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MARIO FAUBERT Parc national en devenir, le cap Wolstenholme est situé à une trentaine de kilomètres au nord du village Ivujivik, dans l’extrême nord de la région de la baie d’Hudson. Des chercheurs du Centre des études nordiques sillonnent cette région depuis des années afin d’y étudier le réchauffement climatique. LE DEVOIR, LES SAMEDI 6 ET DIMANCHE 7 AOÛT 2011 50 ANS DU CEN 50 ANNÉES D’EXPERTISE Regard sur les accomplissements du CEN Page F 2 PREMIÈRES NATIONS Les chercheurs écoutent et consultent les Inuits et les Cris Page F 2 LOUIS-EDMOND HAMELIN Entrevue avec le fondateur du CEN Page F 3 EXPLORATION Les chercheurs ont maintenant un bateau pour étudier les eaux du Nunavik Page F 4 RECHERCHES De la biologie à la géologie, en passant par l’archéologie Page F 5 LE CENTRE D’ÉTUDES NORDIQUES F CAHIER PIERRE VALLÉE F ort de ses 50 ans de recherches scientifiques dans le Grand Nord québécois, le Centre d’études nordiques (CEN) entend bien jouer son rôle et participer pleine- ment au développement de cette région, tel que proposé par le Plan Nord du gouvernement Charest. «Nous avons signé récemment une entente for- melle et nous faisons maintenant partie des 65 organisations qui composent le Réseau de soutien à la recherche et au développement des connais- sances qui agira comme interface entre le Plan Nord et la communauté scientifique», explique Warwick F. Vincent, directeur du CEN. La présence du CEN au sein de ce réseau se justifie amplement, non seulement par la perti- nence des recherches scientifiques menées par le CEN, mais aussi par la qualité des liens noués au fil des ans. «Au fond, le CEN est partie pre- nante de toutes les recherches en milieu nordique au Québec et au Nunavik. Nous collaborons avec tous les organismes de recherche qui s’intéressent à un aspect ou l’autre du Grand Nord québécois. Nous avons des liens avec les ministères et les in- dustries qui œuvrent dans le Nord. Nous avons même des liens internationaux, par exemple avec le CNRS, en France, et même avec un laboratoire chinois spécialisé dans le génie du pergélisol. De plus, au fil des ans, nous avons noué des liens étroits avec les communautés autochtones, en particulier les Cris et les Inuits. Plusieurs de nos projets de recherche se font en collaboration avec ces communautés. Et comme le Plan Nord doit se faire en partenariat avec les Premières Nations, le CEN est bien placé pour favoriser les rappro- chements entre les organismes publics ou privés qui œuvreront au développement du Plan Nord et les communautés autochtones.» Des recherches essentielles Parmi les contributions du CEN au développe- ment du Plan Nord, la première est sans doute de s’assurer que les données et les résultats des recherches scientifiques menées par le CEN sont facilement accessibles aux organismes, et en particulier aux entreprises, qui voudraient mettre en avant un projet de développement as- socié au Grand Nord. La raison est fort simple: ces données scientifiques sont essentielles à la réussite de l’amitieux projet. Prenons, par exemple, les recherches scienti- fiques de Michel Allard, chercheur au CEN et spé- cialiste du pergélisol. «Une méconnaissance de ce qui se produit aujourd’hui en ce qui concerne le per- gélisol pourrait rendre rapidement inopérantes de nouvelles infrastructures construites en milieu nor- dique», précise-t-il. On définit le pergélisol comme étant un sous- sol contenant au moins 50 % de glace qui se maintient en permanence dans les régions nor- diques. Lorsqu’il est permanent, il constitue une solide fondation sur laquelle construire une infrastructure. Or, le pergélisol fond de manière accélérée en raison du réchauffement climatique qui se trouve à être particulièrement élevé dans l’Arctique de l’Est. «Le réchauffement climatique est phénomé- nal au Nunavik. La chaleur fait fondre les plaques de glace du pergélisol, ce qui produit des affaisse- ments et des tassements inégaux. Toute nouvelle in- frastructure construite sur cette fondation de pergé- lisol serait fortement endommagée, en particulier les infrastructures aéroportuaires, où les pistes d’atterrissage seraient suffisamment bosselées pour ne plus permettre d’atterrissage.» Certaines routes et pistes d’atterissage du Nunavik sont endommagées par le dégel. Le ministère des Transports est bien au fait de ce problème et cherche à mieux comprendre ce phénomène par l’entremise du CEN afin d'adapter ses infrastructures présentes et futurs à cette réalité. Autre conséquence du réchauffement clima- tique, l’effet isolant de la neige qui permet au sol de conserver une température élevée. «La neige est un isolant qui empêche le sol de se refroi- dir et on observe présentement une augmentation des chutes de neige. De plus, comme la neige est poussée par le vent, elle s’accumule le long des remblais des infrastructures, si bien que son effet isolant contribue à la dégradation du pergélisol sur lequel reposent ces infrastructures.» À la lu- mière de ces données scientifiques, on com- prend aisément qu’un organisme ou une entre- prise qui envisagerait la construction d’une in- frastructure en milieu nordique aurait avantage à en tenir compte avant de se lancer et surtout d’adapter les méthodes de construction aux nouvelles réalités climatiques. En plus de rendre accessibles ses données et résultats de recherche, le CEN demeure dispo- nible pour tout organisme ou entreprise privée impliqué dans le Plan Nord qui voudrait faire ap- pel à son expertise scientifique pour qu’il réalise, seul ou en collaboration, une recherche particu- lière en milieu nordique. «Le Plan Nord se veut un projet qui s’inscrit dans le développement durable, souligne Warwick F. Vincent. Nous avons fait au CEN une priorité du développement durable dans nos recherches scientifiques. Nous sommes donc bien placés pour fournir le savoir de base pour le développement du- rable du Plan Nord.» La collecte et la gestion de données scienti- fiques pourraient aussi être un autre axe de colla- boration. «Une de mes craintes est que le nombre de recherches, et par conséquent le nombre de don- nées, augmente à cause du Plan Nord. Il y aurait alors de plus en plus d’intervenants et rien n’assure que ces nouvelles données seraient colligées et par- tagées adéquatement, explique Michel Allard. C’est un rôle qui pourrait être assumé par le CEN.» Une idée que partage Warwick F. Vin- cent. «Nous possédons toute l’expertise nécessaire puisque nous assumons depuis sept ans la gestion des données du réseau canadien ArcticNet.» Enfin, il y a le volet formation puisque l’un des rôles du CEN est de former les scientifiques de demain. «Le Plan Nord propose un développement qui s’étend sur 25 ans. Il faudra donc une nouvelle génération de spécialistes qualifiés pour l’espace nordique et le CEN va contribuer à la formation de ces nouveaux scientifiques, dit M. Warwick. C’est peut-être là la plus importante contribution du CEN au Plan Nord, quoique, à bien y penser, tout ce que nous faisons au CEN est pertinent au Plan Nord.» Collaborateur du Devoir À la conquête du Grand Nord Le Centre d’études nordiques entend contribuer à l’ambitieux Plan Nord « Tout ce que nous faisons au Centre d’études nordiques est pertinent pour le Plan Nord », estime Warwick F. Vincent, directeur du CEN Voilà maintenant cinq décennies que le Centre d’études nor- diques (CEN) se penche sur le Grand Nord et ses vastes étendues parsemées de communautés autochtones. Fondé en 1961 par le géographe Louis-Edmond Hamelin, ce centre d’excellence interuniversitaire regroupe aujourd’hui plus de 200 chercheurs, professionnels et étudiants issus du monde de la biologie, de l’archéologie, de la géographie et de la géo- logie, notamment. Sa mission? Contribuer au développement durable des régions nordiques en améliorant notre compré- hension des changements environnementaux liés au réchauf- fement climatique et de leurs enjeux socioéconomiques. Re- gard sur ce qu’ont accompli plusieurs générations de cher- cheurs curieux de «nordicité» et ce que d’autres accompli- ront dans le cadre de l’ambitieux plan de développement du Nord québécois.

LE DEVOIR, LES SAMEDI 6 ET DIMANCHE 7 AOÛT 2011 · 2011-08-12 · Collaborateur du Devoir À la conquête du Grand Nord Le Centre d’études nordiques entend contribuer à l’ambitieux

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MARIO FAUBERT

Parc national en devenir, le cap Wolstenholme est situé à une trentaine de kilomètres au nord du village Ivujivik, dans l’extrême nord de la région de la baie d’Hudson.Des chercheurs du Centre des études nordiques sillonnent cette région depuis des années afin d’y étudier le réchauffement climatique.

L E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 A O Û T 2 0 1 1

50 ANS DU CEN50 ANNÉESD’EXPERTISERegard sur lesaccomplissements du CEN

Page F 2

PREMIÈRESNATIONSLes chercheursécoutent et consultentles Inuits et les Cris

Page F 2

LOUIS-EDMONDHAMELINEntrevue avec lefondateur du CEN

Page F 3

EXPLORATIONLes chercheurs ontmaintenant un bateaupour étudier les eaux du Nunavik

Page F 4

RECHERCHESDe la biologie à lagéologie, en passant par l’archéologie

Page F 5

LE CENTRE D’ÉTUDES NORDIQUESFCAHIER

P I E R R E V A L L É E

Fort de ses 50 ans de recherchesscientifiques dans le Grand Nordquébécois, le Centre d’étudesnordiques (CEN) entend bienjouer son rôle et participer pleine-ment au développement de cetterégion, tel que proposé par le

Plan Nord du gouvernement Charest.«Nous avons signé récemment une entente for-

melle et nous faisons maintenant partie des 65organisations qui composent le Réseau de soutienà la recherche et au développement des connais-sances qui agira comme interface entre le PlanNord et la communauté scientifique», expliqueWarwick F. Vincent, directeur du CEN.

La présence du CEN au sein de ce réseau sejustifie amplement, non seulement par la perti-nence des recherches scientifiques menées parle CEN, mais aussi par la qualité des liens nouésau fil des ans. «Au fond, le CEN est partie pre-nante de toutes les recherches en milieu nordiqueau Québec et au Nunavik. Nous collaborons avectous les organismes de recherche qui s’intéressentà un aspect ou l’autre du Grand Nord québécois.Nous avons des liens avec les ministères et les in-dustries qui œuvrent dans le Nord. Nous avonsmême des liens internationaux, par exemple avecle CNRS, en France, et même avec un laboratoirechinois spécialisé dans le génie du pergélisol. Deplus, au fil des ans, nous avons noué des liensétroits avec les communautés autochtones, enparticulier les Cris et les Inuits. Plusieurs de nosprojets de recherche se font en collaboration avecces communautés. Et comme le Plan Nord doit se

faire en partenariat avec les Premières Nations,le CEN est bien placé pour favoriser les rappro-chements entre les organismes publics ou privésqui œuvreront au développement du Plan Nord etles communautés autochtones.»

Des recherches essentiellesParmi les contributions du CEN au développe-

ment du Plan Nord, la première est sans doutede s’assurer que les données et les résultats desrecherches scientifiques menées par le CENsont facilement accessibles aux organismes, eten particulier aux entreprises, qui voudraientmettre en avant un projet de développement as-socié au Grand Nord. La raison est fort simple:ces données scientifiques sont essentielles à laréussite de l’amitieux projet.

Prenons, par exemple, les recherches scienti-fiques de Michel Allard, chercheur au CEN et spé-cialiste du pergélisol. «Une méconnaissance de cequi se produit aujourd’hui en ce qui concerne le per-gélisol pourrait rendre rapidement inopérantes denouvelles infrastructures construites en milieu nor-dique», précise-t-il.

On définit le pergélisol comme étant un sous-sol contenant au moins 50 % de glace qui semaintient en permanence dans les régions nor-diques. Lorsqu’il est permanent, il constitue unesolide fondation sur laquelle construire une infrastructure.

Or, le pergélisol fond de manière accélérée enraison du réchauffement climatique qui se trouveà être particulièrement élevé dans l’Arctique del’Est. «Le réchauffement climatique est phénomé-nal au Nunavik. La chaleur fait fondre les plaques

de glace du pergélisol, ce qui produit des affaisse-ments et des tassements inégaux. Toute nouvelle in-frastructure construite sur cette fondation de pergé-lisol serait fortement endommagée, en particulierles infrastructures aéroportuaires, où les pistesd’atterrissage seraient suffisamment bosselées pourne plus permettre d’atterrissage.»

Certaines routes et pistes d’atterissage duNunavik sont endommagées par le dégel. Leministère des Transports est bien au fait de ceproblème et cherche à mieux comprendre ce

phénomène par l’entremise du CEN afind'adapter ses infrastructures présentes et futursà cette réalité.

Autre conséquence du réchauffement clima-tique, l’effet isolant de la neige qui permet ausol de conserver une température élevée. «Laneige est un isolant qui empêche le sol de se refroi-dir et on observe présentement une augmentationdes chutes de neige. De plus, comme la neige estpoussée par le vent, elle s’accumule le long desremblais des infrastructures, si bien que son effetisolant contribue à la dégradation du pergélisolsur lequel reposent ces infrastructures.» À la lu-mière de ces données scientifiques, on com-prend aisément qu’un organisme ou une entre-prise qui envisagerait la construction d’une in-frastructure en milieu nordique aurait avantageà en tenir compte avant de se lancer et surtoutd’adapter les méthodes de construction auxnouvelles réalités climatiques.

En plus de rendre accessibles ses données etrésultats de recherche, le CEN demeure dispo-nible pour tout organisme ou entreprise privéeimpliqué dans le Plan Nord qui voudrait faire ap-pel à son expertise scientifique pour qu’il réalise,seul ou en collaboration, une recherche particu-lière en milieu nordique.

«Le Plan Nord se veut un projet qui s’inscritdans le développement durable, souligne WarwickF. Vincent. Nous avons fait au CEN une prioritédu développement durable dans nos recherchesscientifiques. Nous sommes donc bien placés pourfournir le savoir de base pour le développement du-rable du Plan Nord.»

La collecte et la gestion de données scienti-fiques pourraient aussi être un autre axe de colla-boration. «Une de mes craintes est que le nombrede recherches, et par conséquent le nombre de don-nées, augmente à cause du Plan Nord. Il y auraitalors de plus en plus d’intervenants et rien n’assureque ces nouvelles données seraient colligées et par-tagées adéquatement, explique Michel Allard.C’est un rôle qui pourrait être assumé par leCEN.» Une idée que partage Warwick F. Vin-cent. «Nous possédons toute l’expertise nécessairepuisque nous assumons depuis sept ans la gestiondes données du réseau canadien ArcticNet.»

Enfin, il y a le volet formation puisque l’un desrôles du CEN est de former les scientifiques dedemain. «Le Plan Nord propose un développementqui s’étend sur 25 ans. Il faudra donc une nouvellegénération de spécialistes qualifiés pour l’espacenordique et le CEN va contribuer à la formationde ces nouveaux scientifiques, dit M. Warwick.C’est peut-être là la plus importante contributiondu CEN au Plan Nord, quoique, à bien y penser,tout ce que nous faisons au CEN est pertinent auPlan Nord.»

Collaborateur du Devoir

À la conquête du Grand Nord

Le Centre d’études nordiques entend contribuer à l’ambitieux Plan Nord

« Tout ce que nous faisons auCentre d’études nordiques estpertinent pour le Plan Nord »,estime Warwick F. Vincent,directeur du CEN

Voilà maintenant cinq décennies que le Centre d’études nor-diques (CEN) se penche sur le Grand Nord et ses vastesétendues parsemées de communautés autochtones. Fondé en1961 par le géographe Louis-Edmond Hamelin, ce centred’excellence interuniversitaire regroupe aujourd’hui plus de200 chercheurs, professionnels et étudiants issus du mondede la biologie, de l’archéologie, de la géographie et de la géo-logie, notamment. Sa mission? Contribuer au développementdurable des régions nordiques en améliorant notre compré-hension des changements environnementaux liés au réchauf-fement climatique et de leurs enjeux socioéconomiques. Re-gard sur ce qu’ont accompli plusieurs générations de cher-cheurs curieux de «nordicité» et ce que d’autres accompli-ront dans le cadre de l’ambitieux plan de développement duNord québécois.

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l’Université Laval et directeur du CEN de 1976 à1986, puis de 1996 à 2000.

C’est pourquoi, au début des années 1980, leCentre effectue un virage radical: il abandonneles sciences humaines pour se concentrer sur lessciences naturelles. «Une longue période de transi-tion qui n’a pas été facile», puisque les centres derecherche sont à l’époque «en pleine définition»,constate Yves Bégin, directeur du Centre EauTerre Environnement de l’INRS, à Québec, et di-recteur du CEN de 2000 à 2007.

S’il a survécu, le CEN a toutefois dû travaillerd’arrache-pied durant les deux décennies sui-vantes, de 1980 à 2000, puisqu’il a dû rebâtir sonéquipe de chercheurs — passée d’une trentaineà moins de dix —, cibler un domaine de re-cherche dynamique et «développer une approcheoriginale et exclusive, dans le contexte très compéti-tif de la recherche structurée faite dans les centresde recherche québécois et canadiens», précise M.Payette, alors directeur. Car le CEN puise sesressources essentielles pour les voyages coûteuxdans le Nord au sein de programmes gouverne-mentaux comme le Fonds de recherche du Qué-bec – Nature et technologies (FRQNT) et leConseil de recherches en sciences naturelles eten génie du Canada (CRSNG).

De calibre internationalLe CEN accueille, à la fin des années 1990 et

au cours des années 2000, plusieurs colloquesscientifiques internationaux à la station Whapma-goostui-Kuujjuarapik, nouveau nom de la stationPoste-de-la-Baleine. Préoccupés par les change-ments climatiques, les chercheurs du CEN, gui-dés par Serge Payette, s’ef forcent de com-prendre les processus d’évolution de la nature.«Toutes les occasions d’acquisition d’informationont été utilisées. On ne faisait rien pour rien, serappelle M. Bégin. On trouve aujourd’hui le fruitde ces ef forts-là dans les manuels scolaires: lescartes de la végétation, les cartes du Nord...»

Au fil des années, les chercheurs du Centreont d’ailleurs publié des milliers d’articles de lit-térature scientifique concernant des recherchesaussi pointues que la situation du caribou auNouveau-Québec ou l’état de dégradation du per-gélisol de l’Arctique québécois. La revue Nordi-cana, fondée par le CEN en 1964, et la revueÉcoscience, de calibre international, permettentde partager le savoir acquis sur place.

En 2009, arrive une bonne nouvelle: une sub-vention de 8,3 millions de dollars de la part duministère des Affaires autochtones et du Déve-loppement du Nord Canada, qui permet de réno-ver les neuf stations de recherche du réseauQaujisarvik. Un investissement majeur pour leCentre, qui a travaillé fort pour construire denouveaux bâtiments et miser sur l’énergie verte.«Ça améliore les conditions de recherche. C’estbeaucoup plus sécuritaire, car il y a des risques àtravailler dans la toundra», explique Émilie Saul-nier-Talbot, coordonnatrice au CEN.

Avec le Plan Nord, lancé en grande pompe par

le gouvernement de Jean Charest en mai 2011, leCEN est plus pertinent que jamais. Le Centrepourrait d’ailleurs réaliser des études fondamen-tales et d’impact en aménagement écosystémique,croit M. Payette, «autant des écosystèmes commetels que des forêts boréales et subarctiques, et bien sûrles aires protégées et les parcs nordiques». Mais legrand défi, croit Yves Bégin, sera d’être «innova-teur en matière de technologie». «Car il faut adapterau Nord des modes de vie, d’exploitation des res-sources naturelles et de traitement des résidus reliésà l’activité humaine.»

Depuis sa fondation, le Centre est resté fidèleà sa mission de former des chercheurs et desprofessionnels des régions froides qualifiés et decontribuer au développement durable de cetterégion méconnue. Rassemblant une quarantainede chercheurs et environ 200 étudiants auxcycles supérieurs, désormais interinstitutionnelet reconnu à l’échelle mondiale, le CEN collabo-re entre autres à ArcticNet et SCANNET, deuxréseaux qui étudient les changements environne-mentaux dans le Nord. Et poursuit sa quête dereconnaissance internationale. «Le futur du CENest assuré, croit M. Bégin. Le grand défi, c’est degarder l’interdisciplinarité et de s’assurer que lesjeunes qui arrivent, souvent très spécialisés, gar-dent la flamme de leurs prédécesseurs.»

Le Devoir

G E N E V I È V E T R E M B L A Y

C’est à force de persévérance que le géographeLouis-Edmond Hamelin a pu fonder, en 1961,

le Centre d’études nordiques (CEN) que l’on cé-lèbre aujourd’hui. «Ce n’est pas seulement le Nordqui me motivait lors de mon premier voyage de1947 en canot dans le bassin de la Jamésie, se rap-pelle le premier directeur. C’était l’entièreté spatia-le et culturelle du pays, qu’il s’agisse du Canada oudu Québec.» Déjà étudié, même exploré dès 1952par des professeurs de l’Université Laval associésà l’Institut d’histoire et de géographie, le Nord atoutefois besoin à l’époque d’un centre de re-cherche fonctionnel et subventionné.

Après l’échec de sa demande de création d’unestation de recherche dans l’Ungava auprès deMaurice Duplessis, en 1955, Louis-Edmond Ha-melin tente sa chance auprès de René Lévesqueen 1960. Une virée dans le Grand Nord avec celuiqui, à l’époque, est ministre des Ressources natu-relles porte ses fruits: le CEN est créé par un ar-rêt ministériel du gouvernement de Jean Lesagele 2 août 1961. Le Conseil universitaire de l’Uni-versité Laval ayant déjà donné son aval au projeten avril de la même année, la grande aventurepeut commencer.

Le CEN arpente dès ses débuts la péninsule duQuébec-Labrador, où il envoie en 1965 une expédi-tion multidisciplinaire. Le projet Hudsonie, lancéen 1967 et s’étalant sur dix ans, s’intéresse quant àlui aux côtes orientales de la baie d’Hudson, où lebut des travaux est d’arriver à définir un degréd’habitabilité des milieux de la côte hudsonienne.

Histoire de donner un pied à terre aux cher-cheurs qui étudient la géomorphologie de la ré-gion, la station de recherche Poste-de-la-Baleineest ouverte en 1968 dans des installations dugouvernement du Québec. C’est le début de cequi forme désormais le réseau Qaujisarvik, soitneuf observatoires nordiques munis de labora-toires, que complète le réseau Sila («climat» eninuktitut), une série de 75 observatoires perma-

nents des changements climatiques et environ-nementaux nordiques. Réparties entre Radissonet l’île Ward Hunt, ces stations se trouvent au Nu-navik et au Nunavut, l’essentiel du territoire ex-ploré par les scientifiques.

À vocation interdisciplinaire, le CEN ras-semble à ses débuts des chercheurs de diversdépartements: anthropologues, géographes etbiologistes se penchent autant sur les causessociales, comme la scolarisation et l’économiedes populations autochtones, que sur l’étudedes milieux géologiques et biologiques duNord. Mais ce double regard «n’a pas contribuéà apporter une nouvelle vision de la recherchenordique, car il y avait peu de connectivité entreles sciences naturelles et les sciences humaines»,raconte Serge Payette, professeur de biologie à

L E D E V O I R , L E S S A M E D I 6 E T D I M A N C H E 7 A O Û T 2 0 1 1F 2

L E S 5 0 A N S D U C E N

Le Centre d’étudesnordiques s’est donnépour mission de mieuxcomprendre le GrandNord et ses habitants

Cinq décennies d’aventures nordiques

SOURCE CENTRE D’ÉTUDES NORDIQUES

De nouvelles infrastructures verront bientôt le jour à la station de Whapmagoostui-Kuujjuaraapik, dont un centre scientifique communautaire.

R É G I N A L D H A R V E Y

A fin de mener à bien leurs travaux, les cher-cheurs du Centre d’études nordiques (CEN)

ont choisi de faire preuve d’ouverture, de respectet de transparence envers les populations autoch-tones, allant même jusqu’à apprendre leurlangue ancestrale.

«C’est un point essentiel pour nous. C’est très im-portant parce que, dans les faits, on a trois stationsde recherche qui sont situées dans des villages au-tochtones. On est donc physiquement chez eux à lasuite d’ententes prises avec les communautés.Quand les chercheurs se déplacent, ils rencontrentles maires ou les autorités en place pour leur expli-quer les projets sur lesquels on travaille. C’est im-portant qu’ils soient au courant de nos travaux. Ilarrive aussi souvent que des personnes des dif fé-rentes communautés nous servent de guides», ex-plique Monique Bernier, directrice adjointe duCEN et responsable de l’axe de recherche surl’évaluation des risques associés aux change-ments environnementaux et le développementde stratégies d’adaptation.

Les résultats des travaux peuvent avoir des im-pacts importants sur le mode de vie des autoch-tones et leur quotidien, selon elle. «Par exemple,dans un de mes projets, on se penche sur le suivi dela glace des rivières. Au sud, on s’intéresse davan-tage à la prévision des embâcles et des inondations,mais au nord, le problème est différent. Ce qui in-téresse les gens, c’est vraiment leur sécurité. Les au-tochtones, et les Inuits en particulier, utilisent fré-quemment les rivières pour se déplacer et desnoyades peuvent survenir», explique-t-elle.

Pour se rapprocher des Inuits, des chercheursse sont mis à l’apprentissage de leur langue, l’in-uktitut. «Il se donne des cours à l’Université Laval.En plus, dans plusieurs projets on tient maintenantdes ateliers pour en savoir plus sur les conditions devie du passé et pour mesurer les changements qui sesont produits. On a installé des stations météorolo-giques pour connaître le climat, mais on tente d’ob-tenir aussi leur perception à ce sujet; on fait parfoisappel à des interprètes, mais il arrive que des étu-diants s’expriment dans la langue des Inuits.»

Collaborateur du Devoir

À l’écoute des autochtones

Cinquante années d’évolution1961 › Fondation du Centre d’étudesnordiques1965 › Expédition multidisciplinaire dans la péninsule Québec-Labrador1967 › Lancement du projet Hudsonie1968 › Ouverture d’une station de rechercheà Poste-de-la-Baleine, à la baie d’Hudson1977 › Création de la revue Études inuites -Inuit Studies1981 › Orientation en sciences naturelles1984 › Début de l’implantation du réseau detélémétrie, qui deviendra le réseau Sila1998 › Colloque international sur l’écologiedu pergélisol à la station Whapmagoostui-Kuujjuarapik2002 › Octroi, par le gouvernementprovincial, d’une subvention defonctionnement de plus d’un demi-million dedollars annuellement, pour six ans2008 › Publication d’un mémoire appuyant lacréation du parc de la Tursujuq2009 › Rénovation et agrandissement du réseau CEN grâce à une subvention de 8,3 millions du ministère des Affairesautochtones et du Développement du Nord Canada2011 › Cinquantième anniversaire etlancement d’un bateau de recherche Louis-Edmond Hamelin

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L E S 5 0 A N S D U C E N

R É G I N A L D H A R V E Y

A u temps de sa jeunesseaventurière et audacieuse,

il a remonté les cours d’eaupour aller à la rencontre des ré-gions nordiques et de leurs ha-bitants. Plus tard, il est devenule spécialiste de la nordicitéquébécoise en fondant en 1961le Centre d’études nordiques(CEN), à une époque où lacommunauté scientifique de-meurait largement dans l’igno-rance et l’indifférence en ce quiconcerne la vie au nord du 49e

parallèle. À 88 ans, Louis-Ed-mond Hamelin demeure unesommité mondiale de l’universcircumpolaire, qu’il a aidé à fai-re connaître et reconnaître.

Ce n’est pas un hasard si ce-lui que l’on considère commele père de la nordicité cana-dienne figurait aux côtés dupremier ministre Jean Charestlors du dévoilement, en maidernier, du Plan Nord. Il ap-puie depuis des décennies ledéveloppement du GrandNord québécois, qui pourraitêtre déterminant pour l’avenirdes communautés autochtonesaux prises avec de graves pro-blèmes sociaux.

On lui attribue même l’ex-pression «Faire le Nord», repri-se sous forme de slogan parJean Charest dont le souhait estde développer et d’exploiterune région qui représente 72 %du territoire québécois.

Un vide à comblerAu moment où le CEN voit

le jour, le Grand Nord est loinde connaître la faveur des mi-lieux politique et scientifique,comme le rappelle Louis-Ed-mond Hamelin. «C’était très dif-férent d’aujourd’hui. En réalité,les choses ont commencé à

changer sur le plan des mentali-tés dans les années 1970. Avantcela, on parlait très peu duNord, à l’exception des grandsprojets qui avaient cours ducôté du Labrador. Quand j’aicommencé ma carrière à la findes années 1940 et que je signa-lais à mon entourage que jepartais en canot, on riait, parcequ’on s’imaginait que c’était làquelque chose qui n’avait aucu-ne importance.»

Dans l’ensemble, les cher-

cheurs et les gouvernementsne s’occupaient pas du Nord. Ily avait un vide que M. Hamelinet ses collègues de l’UniversitéLaval ont alors essayé de com-bler. «On a fait des progrès enfaisant entrer le Nord dans nosidées, mais, d’un autre côté, onl’a peut-être diminué en le “secto-rialisant”, science par science.»

M. Hamelin dresse un por-trait plutôt flatteur du centrequ’il a créé, même s’il se montrequelque peu critique de la re-

cherche nordique actuelle. Quelregard jette-t-il sur le cheminparcouru en 50 ans? «J’ai un re-gard très positif, même si je nesuis plus impliqué depuis trèslongtemps. Le CEN est devenu unorganisme majeur de rechercheau Québec, beaucoup plus impor-tant que ce que j’aurais pu rêverau départ. Pour preuve, il y a ac-tuellement une station permanen-te à Whapmagoostui-Kuujjuara-pik, le long de la baie d’Hudson.Elle peut recevoir de 20 à 30

chercheurs à la fois. Ils ne vien-nent pas que du Québec, maisaussi de la Finlande, des États-Unis et d’ailleurs», se réjouit-il.

Un défi de taille«Cette base d’opérations prin-

cipale s’accompagne de tout unchapelet de stations secondairesqui s’échelonne à partir du norddu Québec, et qui se prolongedans la partie est des archipelsarctiques. À l’époque, j’avais pré-vu une seule station!»

S’il se retrouvait aujourd’huià la direction d’un tel organis-me de recherche, quelles se-raient ses attentes? «Permettez-moi d’élargir la question enl’étendant à l’ensemble des re-cherches nordiques qui se font àtravers le monde. Que ferais-je?Je conseillerais peut-être deuxchoses: d’une part, de réfléchir àcette espèce d’équation entre larecherche sectorielle et celle quiest globale. J’ai l’impressionqu’actuellement, peut-être en rai-son de la présence de l’ordina-teur, on favorise le sectoriel plu-tôt que le global, on met l’accentsur des recherches extrêmementpointues. Avec l’apport de celles-ci, on devrait jeter un regard ré-flexif qui servirait à aller plusloin et à agrandir le cadre.»

«Entendez-moi bien, poursuit-il. Ce n’est pas qu’il y a trop derecherches pointues, mais plutôtqu’il manque de recherches glo-bales interdisciplinaires quipourraient être utiles auxhommes politiques qui ont àprendre des décisions.»

D’autre part, il aimerait uneplus grande équité entre lesdisciplines des sciences natu-relles comme la biologie et lagéologie, et celles des scienceshumaines, comme l’archéolo-gie et la géographie «Si jeprends l’exemple des stations duCEN, dit-il, il semble y avoirbeaucoup plus de chercheursdans les sciences naturelles.Cela ne dépend évidemment pasde la direction du Centre, maisplutôt de la société, qui semblecraindre de développer lessciences humaines en raison desa peur du bloc autochtone.»

Un beau défi qui attend poli-ciens et chercheurs à l’aube duPlan Nord.

Collaborateur du Devoir

Louis-Edmond Hamelin, père de la nordicitéLe fondateur du CEN a été un précurseur des recherches nordiques québécoises

CLÉMENT ALLARD LE DEVOIR

Le géographe et écrivain Louis-Edmond Hamelin a pris part en mai dernier au dévoilement du Plan Nord par Jean Charest.

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L E S 5 0 A N S D U C E N

P I E R R E V A L L É E

Le nouveau bateau scienti-fique du Centre d’études

nordiques (CEN), nommé leLouis-Edmond Hamelin, enl’honneur du fondateur duCEN, a été officiellement inau-guré le 2 août. Il a toutefoisconnu son véritable baptême del’eau en juillet , lors de sa toutepremière mission scientifique.

Le Louis-Edmond Hamelinest aujourd’hui une composan-te intégrale du réseau de sta-tions de recherche du CEN.Pourtant, ce n’est pas ce quiavait été prévu au départ. «En2006, nous avons reçu une sub-vention de Fonds canadien del’innovation et du ministère del’Éducation du Québec afind’améliorer nos infrastructuresde recherche, explique ClaudiaZimmerman, responsable dudossier au CEN. Il était alorsquestion d’acheter un bateaupour le transport, mais c’est seu-lement plus tard que nous avonspris la décision de faire de ce ba-teau une station de recherchemobile.»

Fabriqué par une firme ter-re-neuvienne, le Louis-EdmondHamelin est un bateau (SylverDolphin) en aluminium de 26 pieds propulsépar deux moteurs de135 chevaux-vapeur.Sa valeur se chiffre à920 000 $. L’en-semble de l’équipe-ment scientifiquevaut à lui seul envi-ron 800 000 $. Unecabine fermée occu-pe plus de la moitiédu pont. «La cabinepermet aux cher-cheurs de travailler àl’abri des intempé-ries, explique PatrickLajeunesse, chercheur au CENspécialisé dans la cartographiede milieux subaquatiques etprincipal utilisateur du petit na-vire. Nous avons choisi ce modè-le de bateau car il est très stableet résiste donc aux fortes vaguespuisqu’il peut même prendre lamer.»

Des instruments précisIl n’est toutefois pas ques-

tion pour autant de naviguersur le Saint-Laurent ou de lon-ger la côte atlantique pour serendre au Nunavik. Le bateauest remorqué par la route jus-qu’à l’endroit où il peut êtremis à l’eau. Et si la destinationà atteindre n’est pas desserviepar une route? «Nous le remor-querons alors à notre station derecherche à Kuujjuarapik, quel’on appelait autrefois Poste-de-la-Baleine, et de là un piloteinuit le mènera vers le nord. Lebateau servira principalementà cartographier le fond des lacset les fonds côtiers», af firme M. Lajeunesse.

En règle générale, le bateauaccueillera trois ou quatre cher-cheurs. Il n’y a pas d’espaced’hébergement sur le Louis-Ed-

mond Hamelin, les chercheursdoivent donc faire du campingsur la terre ferme ou si possibleloger dans un camp.

Le Louis-Edmond Hamelinest équipé de plusieurs instru-ments scientifiques, dont aupremier chef un échosondeurmultifaisceaux. «Ce sonar peutatteindre une profondeur de300 mètres, dit le chercheur.Comme son faisceau est pluslarge, cela réduit le nombre depassages à effectuer pour carto-graphier un lac. Cet instrumentnous donne une car tographie3D de la morphologie de la sur-face du fond et permet d’identi-fier le type de sédiment, que cesoit du roc, du gravier ou dusable.»

Il y a aussi un profileur desous surface. «Ce sonar émetune onde sonore de basse fré-quence qui nous permet de péné-trer sous la surface, jusqu’à uneprofondeur de 40 à 50 mètres.Cet instrument nous permet devoir les différentes couches de sé-diment et d’établir une séquencesédimentaire que nous pouvonsdater», explique M. Lajeunes-se, ajoutant que pour plus deprécision, une carotte de sédi-ment pourra être prélevéepour ensuite être datée au car-

bone 14.«Le troisième sonar

que nous utilisons estun sonar à balayagelatéral. Cet instru-ment nous donne unesorte d’image 2D dufond, un peu commeune photographie.»

Au gré desbesoins

Tous ces instru-ments sont évidem-ment connectés à unordinateur et les

données recueillies sont af fi-chées sur les trois ou quatreécrans reliés à ce dernier. Cesont ces instruments qui ontservi lors de la première mis-sion scientifique du Louis-Ed-mond Hamelin par Patrick La-jeunesse et son équipe, qui ontréalisé une étude géomorpholo-gique du fond du lac Walker, unlac de vallée glaciaire situé surla Côte-Nord, dans la réservefaunique Port-Cartier-Sept-Îles,à une trentaine de kilomètresau nord de Port-Cartier.

Fait à noter, aucun de cesinstruments scientifiques n’estfixé de manière permanente aubateau. Il faut donc environdeux jours pour les installer.«Nous avons choisi de ne pasfixer les instruments en perma-nence afin de donner davantagede polyvalence au bateau. Il estdonc possible pour d’autres cher-cheurs d’installer d’autres ins-truments scientifiques. LeLouis-Edmond Hamelin peutainsi servir à faire dif férentstypes de recherches, selon les be-soins des chercheurs», conclutM. Lajeunesse.

Collaborateur du Devoir

Un bateau au service des scientifiquesLa station mobile sillonnedepuis juillet dernier leseaux intérieures et côtièresdu Nunavik

CLÉMENT ALLARD LE DEVOIR

Le fondateur du Centre d’études nordiques, Louis-Edmond Hamelin, a inauguré cette semaine un tout nouvel outil scientifique: unpetit navire dédié à l’étude des eaux du Nord québécois.

Le petit navireà vocationscientifiqueserviraprincipalementà cartographierles lacs et lesfonds côtiers

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L E S 5 0 A N S D U C E N

R É G I N A L D H A R V E Y

I mmuable depuis des millé-naires, le Grand Nord subit

depuis quelques décennies deprofonds changements envi-ronnementaux et socioécono-miques qui af fligent tant sonterritoire que ses populationsautochtones. Les quelque 200scientifiques, étudiants et em-ployés du Centre d’études nor-diques (CEN) se sont ainsidonné pour mission de mieuxcomprendre les changementsqui s’opèrent dans les régionsnordiques et leurs consé-quences sur l’environnementet les activités humaines afinde contribuer, à leur façon, audéveloppement durable duGrand Nord.

Cette mission n’est toutefoispas simple en raison de nom-breux enjeux sociaux, écono-miques et environnementaux.«Le Nord connaît actuellementun important développement so-cioéconomique qui est appelé àse transformer en raison du PlanNord et de l’exploitation sansprécédent des ressources natu-relles qui y est envisagée. Pour cefaire, il y a un réel besoin d’amé-liorer les infrastructures», ex-plique War wick F.Vincent, directeur duCEN et professeurau Département debiologie de l’Univer-sité Laval.

Autre enjeu detaille, les change-ments climatiques.«À l’échelle planétai-re, il est prévu que lesplus grands change-ments se produirontdans les latitudes lesplus nordiques. Et c’est ce quel’on observe actuellement.»

Réchauffement alarmantLe CEN a même constaté

que la région canadienne laplus affectée par ce phénomèneest le nord du Québec. «Le cli-mat était demeuré très stable surce territoire depuis 3000 ans,mais à partir des années 1990,une transformation majeure s’estproduite. On a calculé que lenord du Québec, particulière-ment du côté de la baie d’Hud-son, a connu un taux de réchauf-fement de 4,2 degrés Celsius. Cetaux est sept fois plus élevé quecelui que la NASA a estimé àl’échelle planétaire pour 2010.C’est énorme. Maintenant, lors-qu’on parle de Plan Nord et dedéveloppement socioéconomique,il faut prendre en compte toutecette question de changement declimat et des prévisions relativesà celui-ci.»

La formation de spécialistesdes sciences naturelles estégalement un enjeu qu’il nefaut pas sous-estimer, selon M.Vincent. «On doit former laprochaine génération de cher-cheurs. Il y a un intérêt énormepour cette région parmi lesjeunes chercheurs en devenir enraison de tout le potentiel de dé-

veloppement. On peut dire quenous avons des étudiants trèsmotivés qui manifestent une vé-ritable passion envers le Nord.Pour nous, c’est une sourced’inspiration qui dure depuis lafondation du Centre il y a 50 ans.»

Trois axes de recherche bienprécis sont au cœur des travauxdes chercheurs du CEN. Le pre-mier porte sur l'analyse de lastructure et du fonctionnementdes environnements nordiquescontinentaux.

«C’est le point de départ à par-tir duquel on établit les compo-santes de l’environnement nor-dique sur les plans du paysage,de la neige, du pergélisol et duclimat. Il faut bien caractériserces éléments de base avant d’al-ler plus loin. On peut aider lesautochtones dans l’utilisation deleurs espaces pour la construc-tion, par exemple, on peut aussisoutenir le gouvernement duQuébec dans la réalisation despistes d’avion ou des routes.»

Le second axe a pour but demettre en place des stratégiesvisant à respecter un environ-nement par ticulier dont lesconditions sont modifiées par leréchauf fement du climat. «Il

porte surtout sur l’as-pect dynamique duNord, de l’évolutiondes environnementsnordiques dans lecontexte des change-ments planétaires. Il ya ceux qui sont asso-ciés au climat, maisaussi ceux qui relè-vent des activités hu-maines. Les grandescompagnies impli-quées dans le nord du

Québec exercent une influencesur l’économie mondiale. Onvoit quels sont les grands besoinsde ressources du côté de la Chi-ne, en Inde et dans l’Asie en gé-néral. Ces gens-là sont de plus enplus présents dans le Nord et ilfaut en tenir compte.»

Les scientifiques sont appe-lés à faire preuve de vigilancedans un tel contexte de convoi-tise. «Notre but est donc de consi-dérer que, oui, le développementdu Nord est une bonne chose, im-portante pour les autochtones etpour le Québec. Mais il faut toutde même faire attention.»

Solutions pratiquesLe troisième axe découle des

deux premiers et sert à mettreen place des solutions appli-quées. «Par exemple, on tra-vaille avec les Inuits pour déter-miner où on peut construire lesmaisons sans que les sols présen-tent de risque», indique M. Vin-cent. Il y a aussi toute une équi-pe d’ingénieurs qui collaborentavec les dif férents gouverne-ments pour l’application de me-sures rendues nécessaires dansla construction des routes etdes dif férentes pistes d’aéro-nefs. «Ces pistes de décollage etd’atterrissage sont essentiellesdans la vie quotidienne des vil-

lages du Nord, dit-il. À l’excep-tion des objets volumineux quiarrivent par bateau, tout arrivepar avion, y compris les médica-ments et la nourriture.»

Le directeur fait obser verque tout l’aspect biologique estintégré de façon pratique à cet

axe, qu’il s’agisse des questionsrelevant de la gestion des cari-bous, des oies sauvages oud’autres espèces.

Depuis quelques annéesmaintenant, le CEN œuvre à ac-croître son rayonnement surl’échelle internationale. Son ré-

seau comprend aujourd’hui neufstations de recherche et, depuiscette année, un bateau devenuune base d’opérations mobilequi a été baptisé Louis-EdmondHamelin, du nom du fondateurdu Centre. «Nous avons fait denombreux ef forts pour situer ce

dernier à l’intérieur d’un réseauinternational circumpolaire del’Arctique composé de plusieurspays et appelé SCANNET. Noussommes devenus une composanteimportante de celui-ci.»

Collaborateur du Devoir

Une mission axée sur le développement durableLe CEN scrute les réalités nordiques d’un territoire en pleine mutation

SOURCE CENTRE D’ÉTUDES NORDIQUES

Des chercheurs du CEN percent la glace d’un lac du Nunavik pour y prélever des échantillons d’eau susceptibles de les aider à mieuxcomprendre l’impact des changements climatiques sur la faune et la flore de la région.

Le nord duQuébec est larégion du paysla plustouchée par leréchauffementclimatique

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