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La Génétique de l'intelligence · — Hérédité et milieu 9 I. Le point de vue héréditariste 14 2. Le point de vue environnementaliste 16 3. La thèse de la double détermination

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La génétique de l'intelligence

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COLLECTION DIRIGÉE PAR PAUL FRAISSE

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L E P S Y C H O L O G U E

La génétique de l'intelligence

JACQUES LARMAT

PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE

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ISBN 2 13 0 3 6 0 0 1 7

2e é d i t i o n m i s e à j o u r : 2e t r i m e s t r e 1979

(Ç) P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s d e F r a n c e , 1 9 7 3 108 , B d S a i n t - G e r m a i n , 7 5 0 0 5 P a r i s

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S O M M A I R E

AVANT-PROPOS 7

REMERCIEMENTS 8

INTRODUCTION. — Hérédité et milieu 9

I. Le point de vue héréditariste 14 2. Le point de vue environnementaliste 16 3. La thèse de la double détermination 20

CHAPITRE PREMIER. — Expérimentation sur l'aninial . . . . 22

I. Obtention et usage des lignées inbred 23 2. Expériences de sélection 27 3. Essais d'estimation de l'héritabilité 29

CHAPITRE II. — Observations chez l'homme 41

1. Enquêtes familiales 49 2. Etudes portant sur les jumeaux 54 3. Observations sur les enfants adoptifs 68 4. Observations sur des enfants élevés en groupe dans

les mêmes conditions 75 5. Essais d'estimation de l'héritabilité 77 6. Premières conclusions 87

CHAPITRE III. — La constitution du génotype intellectuel... 97

1. Gènes majeurs 97 2. Le système polygénique 99 3. Génotype intellectuel et aptitudes spécifiques . . . . 105 4. Génotype intellectuel et sexe I09 5. Conclusion I I I

CHAPITRE IV. — L'expression du génotype intellectuel.... 113

I. Le contrôle génétique du développement du cerveau 114 2. Le contrôle génétique du métabolisme cérébral .. 121 3. Les conditions physiologiques du développement et

du fonctionnement cérébral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . I25 4. Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

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CHAPITRE V. — L'influence du milieu sur l'expression du géno- type intellectuel. L'interaction génotype-environnement... 134

I. Facteurs nutritionnels 135 2. Facteurs socioculturels 138 3. Interactions entre les différents facteurs de l'envi-

ronnement 150 4. L'interaction génotype-environnement 152

CHAPITRE VI. — Intelligence, classes sociales et races . . . . 165

I. Intelligence héritée et classes sociales 166 2. Intelligence héritée et race 181

CHAPITRE VII. — L'avenir de l'intelligence humaine . . . . 195

CONCLUSION 208

APPENDICE. — Rappel d'éléments de génétique 212

BIBLIOGRAPHIE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 219

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Avant-propos

De tous les organismes, c'est l'homme qui possède le programme génétique le plus ouvert, le plus souple. Mais où s'ar- rête la souplesse ? Quelle est la part du comportement prescrite par les gènes ? A quelles contraintes de l'hérédité l'esprit humain est-il soumis ?

(François JACOB, La logique du vivant)

Ce livre traite d'un sujet depuis longtemps débattu mais qui n'a été abordé avec toute l'objectivité nécessaire, dans l'esprit de la méthode expérimentale, que depuis peu d'années. Aussi ne faut-il pas s'étonner si l'on ne sait pas encore répondre avec précision aux questions que se pose, après tant d'autres, François Jacob.

Nous essaierons donc surtout d'exposer ici les données du problème et de faire voir par quelles voies on se rapproche peu à peu de sa solution. Nous n'évoquerons que brièvement les controverses passionnées qui l'ont trop souvent obscurci et qui empêchent parfois encore de le considérer avec sang-froid. Mais nous rendrons compte des travaux les plus importants réalisés depuis une vingtaine d'années dans les diverses branches de la génétique de l'intelligence.

Nous tenterons enfin de dégager ce qui nous paraît le plus solidement acquis — en tout cas le plus probable — dans les conclusions des chercheurs.

Ecrit surtout à l'intention des étudiants, comme tous les ouvrages de cette collection, ce livre devrait3 nous l'espérons du moins, être accessible dans sa majeure partie au « grand public cultivé ». Un rappel en appendice de quelques « notions de génétique » pourra en faciliter l'accès à certains de ses lecteurs.

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R E M E R C I E M E N T S

Cet ouvrage n'aurait pas vu le jour sans les encouragements et l'aide que nous ont apportés Mme S. Pacaud et M. P. Fraisse, professeurs à l'Université René-Descartes : à eux d'abord va donc notre gratitude.

Mais nous avons aussi l'agréable devoir de remercier tous ceux qui nous ont fourni soit de précieuses indications bibliographiques soit des informations sur des recherches en cours et notamment :

M. le Dr Canosa, ancien directeur de l'Institute of Nutrition of Central America and Panama ;

M. le Pr Dobbing (Manchester) ; M. le pr Galifret (Paris VI) ; M. le Pr Oliverio (Consiglio Nazionale delle Ricerche) ; M. Pressat, chef du département de Conjoncture de l'Institut

National d'Etudes Démographiques ; M. le pr Reuchlin, professeur à l'Université René-Descartes

(Paris V), directeur de l'iNETOP ; M. le Dr Wimer (City of Hope Medical Center, Duarte) ;

ainsi que : Mme Carlier, maître-assistant à l'Université de Paris X, et M. Roubertoux, maître-assistant à l'Université René-Descartes,

dont l'aide nous a été très précieuse pour la mise au point de cette seconde édition,

sans oublier les éditeurs qui nous ont accordé gracieusement l'autorisation de reproduire ou d'adapter certaines figures.

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I N T R O D U C T I O N

Hérédité et milieu

A priori, le développement d'un organe — et d'un orga- nisme — peut dépendre de deux sortes de facteurs.

Il y a d'abord, au départ, le donné héréditaire. On naît — déjà on est conçu — avec un certain « patrimoine » ou, plutôt, un certain « potentiel » génétique. Tel œuf humain est donc promis à engendrer, non seulement un « petit d'homme » — c'est l'hérédité générale —, mais encore un enfant clair ou foncé de peau, blond ou brun de poil, plutôt grand ou plutôt petit... c'est l'hérédité spéciale, ou parti- culière, la seule dont nous aurons à nous occuper dans ce livre.

Il y a ensuite les facteurs extérieurs à l'œuf qui vont influencer son développement, celui de l'embryon plutôt, puis du fœtus dans l'utérus maternel et, après la naissance, celui de l'enfant puis de l'adolescent. Avec un potentiel génétique donné, tel enfant aura la peau plus claire s'il grandit dans un pays nordique, pauvrement ensoleillé ; plus foncée s'il vit dans une région méridionale, plus souvent lumineuse. Il deviendra un peu plus grand s'il est bien nourri, un peu plus petit s'il l'est insuffisamment ; plus musclé s'il pratique régulièrement un sport ou exerce pro- fessionnellement une activité physique, moins s'il mène une vie sédentaire...

C'est le dualisme tant de fois présenté de l'hérédité et du milieu, au sens donné à ce dernier terme par Auguste Comte qui désigna ainsi « non seulement le fluide où l'organisme est plongé, mais... l'ensemble total des circons-

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tances extérieures d'un genre quelconque, nécessaires à l'existence de chaque organisme déterminé ». C'est l'oppo- sition entre les facteurs génétiques et l' environnement, terme d'origine anglaise souvent préféré aujourd'hui à celui de milieu. C'est le conflit — ou la coopération — entre la nature et la nurture des Anglo-Saxons, ce dernier mot étant plus compréhensif que notre « nourriture » puisqu'il désigne l'ensemble des facteurs environnementaux. C'est la distinc- tion enfin entre l'inné et l'acquis.

Précisons ici la signification de certains termes. On appelle gènes les facteurs qui, contenus dans l'œuf, dirigent la construc- tion et le fonctionnement du nouvel être. Pour reprendre le terme des informaticiens, leur ensemble constitue le programme qui annonce et règle le développement de l'organisme, programme dont l'exécution dépend, bien entendu, de l'environnement.

Presque tous ces gènes sont hérités de l'un ou l'autre parent dans des conditions qui sont rappelées dans l'Appendice de ce livre. Toutefois, par suite de rares « erreurs » qui surviennent lors de la formation des gamètes, l'œuf peut ne pas recevoir le jeu chromosomique normal et compter, par exemple, un chromosome en plus ou en moins, ce par quoi la destinée du nouvel être se trouvera évidemment affectée.

De telles aberratioiis chromosomiques que ne présentaient point les parents, altèrent donc le potentiel génétique du sujet. Elles sont innées, dira-t-on, mais n'ont pas été héritées : « héréditaire » (ou hérité) et « inné » ne sont donc pas exactement synonymes.

En toute rigueur, c'est l'inné — et non l'hérité — qui doit être opposé à l'acquis. Mais l'inné diffère si peu, ou si rarement, de l'hérité que les deux mots sont à peu près indifféremment utilisés l'un pour l'autre.

Une autre précision doit encore être apportée. On qualifie souvent de congénital (et inné est parfois employé dans cette acception) un caractère ou une potentialité qui existe au moment de la naissance. Il doit être bien compris que le congénital diffère de l'hérité (et même de l'inné s. s.) puisque le fœtus a été marqué par l'environnement intra-utérin (position dans la matrice, nutri- tion maternelle, éventuellement infection par des germes comme ceux de la syphilis ou de la rubéole) et, finalement, par les circons- tances, parfois traumatisantes, de l'accouchement. A noter, comme le fait remarquer Zazzo, que la nature des Anglo-Saxons correspond souvent plutôt à l'ensemble du potentiel congénital qu'au génotype hérité.

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Dans le langage des généticiens, on oppose aussi génotype et phénotype, mais ce dualisme n'est pas l'équi- valent de l'opposition entre l'inné et l'acquis qui vient d'être présentée.

Le génotype se confond bien avec le patrimoine hérité : c'est l'ensemble des gènes que possède un individu et qui conditionnent, « de l'intérieur », son développement ou celui de tel ou tel de ses caractères (on parle ainsi fréquem- ment du génotype contrôlant la couleur des yeux, celle de la peau ou encore... l'intelligence).

En revanche, le phénotype ne correspond pas à l'acquis, à l'influence du milieu. Le mot s'applique en fait aux caractères effectivement manifestés par le sujet, à son « appa- rence » si l'on veut (phénotype vient du grec phainein, paraître), à condition d'étendre la signification de ce terme aux particularités physiologiques et psychologiques aussi bien qu'anatomiques.

Le phénotype est donc à la fois la résultante des effets du génotype et de l'environnement. Il est le produit des puissances de l'hérédité et des influences du milieu.

Un phénotype donné dépendra donc d'abord du géno- type, étant précisé que, toutes choses égales d'ailleurs, plusieurs génotypes peuvent conduire à un même phéno- type. Ainsi — exemple bien connu — les pois à graines lisses de Mendel étaient pourvus de l'un ou de l'autre des génotypes LL ou Lr, L et r désignant des gènes qui ten- dent à faire se développer le caractère lisse ou le caractère ridé des cotylédons de la graine. Et, dans notre espèce, les sujets dont le sang appartient au groupe A (phénotype A) peuvent appartenir à l'un des deux génotypes AA ou AO.

Mais, naturellement, l' « expression » du génotype — le phénotype donc — qui se réalise au terme du développe- ment, dépend très souvent, nous l'avons dit, des facteurs de l'environnement. Pour reprendre un exemple déjà donné, avec la même collection de gènes (un même génotype) leur promettant, dans les mêmes conditions, la même coloration de peau, deux vrais jumeaux n'auront pas la même pigmen-

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tation cutanée si l'un passe sa vie sous le ciel de Naples, l'autre sous celui de Londres : ils n'auront pas le même phénotype.

Ce n'est d'ailleurs pas toujours le cas : l'action de l'envi- ronnement peut être très discrète, et elle est parfois nulle. On sait, en effet, depuis longtemps, que la réalisation de certains caractères particuliers ne paraît dépendre aucune- ment du milieu. Le cas le plus souvent cité à ce propos est sans doute celui des groupes sanguins. C'est ici le jeu héré- ditaire qui impose seul sa loi. Ainsi un père du groupe AB (gènes A et B) et une mère du groupe 0 (gènes 0 et 0), ne peuvent avoir que des enfants du groupe A (gènes A et 0) ou du groupe B (gènes B et 0). Un enfant qui aura reçu de son père le gène A et de sa mère le gène 0 sera obligatoire- ment du groupe A, quelles que soient les vicissitudes de son existence.

A l'inverse, certains caractères sont très largement condi- tionnés par les circonstances du développement. Les cas les plus frappants se rencontrent peut-être chez les végétaux. On sait, par exemple, depuis les expériences de Bonnier, que si le topinambour cultivé en plaine atteint couramment une hauteur de 1,50 à 2 mètres, en haute montagne, dans les conditions du climat alpin, il ne forme qu'une rosette de feuilles au ras du sol.

Chez l'Homme, on ne rencontre presque jamais d'exem- ples de variations aussi amples. Ou bien, on les trouve dans des particularités psychiques (ou comportementales) surajou- tées, résultats directs de l'éducation. Telle — l'exemple est des plus classiques — la langue parlée : on parle le français (ou l'anglais) non pas « de naissance », mais parce qu'on l'a appris. Seule l'aptitude à apprendre plus ou moins facilement les langues (ou telle ou telle langue) peut avoir un certain conditionnement génétique.

Mais, entre de pareils cas extrêmes, on trouve surtout des caractères influencés à la fois par l'hérédité et par l'envi- ronnement, la « nature » et la « nourriture ». Prenant ici le mot nourriture dans son acception française stricte

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(alimentaire), nous citerons la corpulence. Chacun sait qu'elle dépend à la fois du « tempérament » hérité et de la quan- tité (et de la composition) de la nourriture absorbée. Tel sujet (un hyperthyroïdien, par exemple) restera maigre même s'il satisfait un grand appétit, tel autre (peut-être parce qu'un certain centre de son hypothalamus a un fonc- tionnement défectueux) continuera à engraisser même en se restreignant avec sévérité. Mais un individu « moyen » au système hormonal « normal » pourra maigrir — plus diffi- cilement que le premier — en mangeant peu, engraisser — moins rapidement que le deuxième — en mangeant beaucoup.

Ces exemples illustrent parfaitement une vérité reconnue depuis longtemps par les biologistes, à savoir que « les différences qu'on observe entre les individus... peuvent être la manifestation de facteurs génétiques ou environnemen- taux ou de leurs interférences : elles ne reflètent pas forcé- ment l'influence unique des uns ou des autres... Les varia- tions de certains traits, comme les types sanguins, semblent entièrement héréditaires, d'autres, comme la langue, entière- ment dues au milieu, d'autres enfin, comme la stature... tiennent de l'un ou de l'autre... Le vrai problème, c'est l'importance relative des deux composantes dans la varia- tion observée d'un trait donné, dans une population donnée, à un moment donné... » (Dobzhansky, 1966).

C'est précisément la question que nous allons examiner dans ce livre à propos des aptitudes intellectuelles. Nous y rendrons compte des principales recherches — elles sont nombreuses — qui ont tenté de faire la part de l'hérité dans le « phénotype intellectuel ». Mais avant que le pro- blème ait été abordé objectivement, par des méthodes imparfaites sans doute mais qui ont conduit déjà à des résultats non négligeables, des solutions lui avaient été apportées a priori. Les thèses les plus opposées ont été soutenues et, aujourd'hui encore, des opinions absolues continuent parfois à s'affronter sans tenir compte suffisam- ment des conclusions des chercheurs. Ces thèses, nous

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allons les exposer en indiquant quelques-uns des arguments avancés dans le débat et dont la plupart n'ont guère que la valeur de simples présomptions.

I . LE POINT DE VUE HÉRÉDITARISTE

Que les « caprices » de l'hérédité — comme disent ceux qui ne connaissent pas les règles statistiques du jeu de la transmission des gènes — que ces caprices fixent en grande partie, avant même la naissance, l'intelligence des enfants, bien des parents, surtout ceux qui en ont eu plusieurs, sont naturellement enclins à le penser. Elevant leurs enfants d'une manière semblable — ou, du moins, le croyant — ils constatent que l'un se montre très apte à des études abstraites alors que l'autre ne marque pas d'égales disposi- tions. Et ils ne s'en étonnent pas plus que de voir le premier avoir les yeux bleus, le deuxième les yeux bruns.

Plus généralement, parmi les enfants qui appartiennent, non plus à une même famille, mais à des familles très compa- rables par le genre de vie, l'éducation, etc., des sujets d'intel- ligence très inégale se rencontrent. Comment ne pas être tenté d'attribuer au moins une partie de cette inégalité d'aptitudes à des différences génétiques ?

On tire souvent encore argument de l'existence de quel- ques lignées riches en sujets d'intelligence remarquable : les Bernoulli, les Cassini, les Becquerel, les Darwin, les Monod... Nous n'en donnerons qu'un seul exemple, celui de la famille des Darwin, tel que le rapporte Montagu (1974). La figure i représente une partie de l'arbre généalogique de Charles Darwin. Y figurent (en noir) des sujets excep- tionnellement brillants et qui devinrent membres de la Royal Society : Charles Darwin lui-même, son père, ses deux grands-pères, enfin trois de ses dix enfants.

De telles lignées ne paraissent-elles pas manifester, au long des générations, les effets d'un patrimoine intellectuel spécialement favorable ; tout comme, chez les Bach, la

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FIG. 1. — Généalogie de la famille Darwin (d'après MONTAGU, 1974, modifié)

possession de gènes particuliers expliquerait la transmission des dons musicaux ?

A l'opposé du génie — ou du grand talent — l'existence de déficiences mentales héréditaires fournit une autre rai- son d'accorder une grande part à la « nature » dans le déter- minisme des aptitudes intellectuelles. En effet, si telle ou telle forme d'idiotie ou d'arriération mentale se rencontre dans une même famille, de génération en génération, com- ment ne pas y voir la conséquence d'une altération du patrimoine héréditaire, de cette part du patrimoine qui conditionne le développement du cerveau et, partant, de l'intelligence ?

Tels sont quelques-uns des arguments de « bon sens » qui font penser à beaucoup que l'intelligence est largement conditionnée par le matériel génétique contenu dans l'œuf. Il ne s'agit aucunement de preuves décisives — la suite le

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montrera clairement — mais, redisons-le, de simples pré- somptions.

Pourtant certains philosophes et certains biologistes s'en sont contentés et sont même allés plus loin. Ils ont affirmé leur conviction que, dans ce domaine, l'hérédité faisait tout (ou presque tout) ou bien, ce qui est très peu différent, nous l'avons vu, que les aptitudes intellectuelles sont innées.

De cette thèse héréditariste ou innéiste, on peut citer quelques tenants illustres :

Parmi les philosophes : Platon, lequel pensait que « la nature n'a pas fait chacun

de nous semblable à chacun mais différent d'aptitudes et propre à telle ou telle fonction »,

Aristote selon qui : « Ceux qui sont issus d'ancêtres d'élite ont toutes chances d'être des hommes d'élite, car noblesse est excellente souche »,

Et Rousseau qui écrivait : « Vouloir changer les esprits et d 'un sot faire un homme de talent, c'est d'un blond vouloir faire un brun » (cité par Weill, 1959) ;

Parmi les biologistes, Galton sur les conceptions duquel nous reviendrons plus longuement et, de nos jours, Darlington.

2. LE POINT DE VUE ENVIRONNEMENTALISTE

A l'opposé des innéistes, beaucoup de psychologues et de sociologues et même simplement de gens cultivés accordent une grande part à l'influence du milieu, aux circonstances, dans le développement du cerveau et l'épanouissement de l'intelligence. Pour eux, si l'hérédité détermine largement les caractéristiques physiques de l'individu, elle marque beaucoup moins son psychisme. Celui-ci doit bien davan- tage, sinon tout, à l'environnement, à l'éducation notamment.

Et, de fait, certaines observations appuient fortement

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leur point de vue. Tout laisse penser, par exemple, que le médiocre niveau intellectuel de certaines peuplades quali- fiées à tort de « primitives » tient, au moins en grande partie, à leurs conditions de vie. Rappelons, une fois de plus, l'histoire dont Vellard a raconté le début dans Une civilisa- tion du miel (1939). La voici, résumée par J. Lecomte (1957) :

« Plusieurs années avant la guerre, l'ethnologue Jehan Vellard explorait une région particulièrement mal connue de la cordillère de Gaaguassu dans le Paraguay. Dans cette contrée vivent les Indiens Guayakis qui sont parmi les plus primitifs des Indiens de la forêt sud-américaine. Ils vivent en petites hordes errantes, leur civilisation est une des plus réduites qui soient ; ils ne connais- sent rien de l'élevage et de la culture et se nourrissent essen- tiellement des produits de la chasse, de la cueillette et de la récolte du miel sauvage des Mélipones. Les Guayakis peuvent donc être tenus pour une « race inférieure » s'il en est. Or, au cours d'une de ses expéditions, Vellard recueillit une petite fille de 2 à 3 ans, abandonnée dans un campement. Elevée dans la famille de l'explo- rateur, elle s'adapta d'une manière extraordinairement rapide à sa nouvelle existence, au point de ne différer en rien, quelques mois plus tard, d'une enfant européenne. A 10 ans, elle parlait couram- ment le français et le portugais et elle devint par la suite la colla- boratrice de son père adoptif. »

« Un tel exemple, même unique, doit être toujours présent à la mémoire quand on s'intéresse à ces questions. Le fait est là, indiscutable : une petite fille de deux ans, prise au hasard dans la jungle et élevée avec compétence, peut atteindre un degré de culture qui, en une génération, lui fait franchir peut-être quelques dizaines de milliers d'années. »

Le cas des « enfants sauvages », bien étudié par L. Maison (1964), a impressionné davantage encore certains esprits. Il s'agirait d'enfants abandonnés ou bien très peu de temps après leur naissance et nourris par des animaux (léopards, gazelles, loups...) ou bien un peu plus tard et s'étant alors élevés tout seuls : tel le « sauvage de l'Aveyron » qui fut l'objet des essais éducatifs de Jean Itard. L'état d'arriération mentale, allant jusqu'à l'idiotie, et d'inadaptation à notre vie sociale dans lequel on les a retrouvés a été souvent décrit. Comment ne pas l'attribuer à l'absence de contacts humains ? Ne pas y voir la démonstration de leur rôle déterminant?

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Comme il y a des innéistes qui n'accordent rien, ou presque, au milieu dans la détermination des capacités intellectuelles, il y a des environnementalistes qui refusent à peu près tout à l'hérédité.

Pour eux, sur ce plan, tous les enfants sont, à peu de chose près, semblables au départ. Ce n'est pas d'ailleurs tout à fait ce que pensait Locke à qui on fait souvent remon- ter l'origine de cette conception. Ce qu'il soutenait parti- culièrement est qu'il n'y a pas d'idées innées, « qu'au commencement l'esprit est ce qu'on appelle une « table rase », vide de tous caractères, sans aucune idée quelle qu'elle soit », une table rase sur laquelle s'inscriront les marques des circonstances, l'empreinte de l'environnement.

Beaucoup d'Encyclopédistes se sont ralliés à des vues plus ou moins semblables à celles de Locke et ont admis que la qualité de l'esprit dépend avant tout des influences subies. Tels Condorcet et Helvétius ; ce dernier pensait que « l'iné- galité des esprits est l'effet d'une cause connue, et (que) cette cause c'est l'inégalité de l'instruction » et donc que « tout homme médiocre, s'il eût été plus favorisé de la fortune, eût été semblable aux grands hommes dont il est forcé d'admirer le génie ».

Les psychologues behavioristes ont admis, eux aussi, à la suite de Watson, qu'il « n'existe aucune preuve de l'hérédité du comportement ». Selon eux, « les différences génétiques ne concernent que les formes et les structures et non les fonctions. Ces dernières résultent du modelage par l'envi- ronnement des combinaisons génétiques dont le caractère dominant est une entière plasticité », plasticité à peu près égale pour toutes les combinaisons, lesquelles répondraient de la même manière aux influences environnementales. Et Watson s'offrait à réussir — sans y croire tout à fait1 — une expérience restée imaginaire (et dont l'objet déborde d'ail-

i . Il reconnaissait, en effet, après avoir énoncé cette proposition provocante : « Je vais au-delà de mes résultats et je l'admets, mais les avocats du contraire le font aussi et l'ont fait depuis des milliers d'années. »

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que l'intelligence générale. « Si de telles différences exis- taient, elles ne pourraient être que statistiques. » On peut toutefois apporter une précision supplémentaire : si une telle différence entre les aptitudes innées de deux races venait à être réellement constatée, elle ne représenterait assurément — nous l'avons vu — qu'une fraction réduite de la variation à l'intérieur de chacune d'entre elles. Et cela devrait suffire, bien entendu, à condamner toute attitude raciste, toute discrimination raciale.

On voit en tout cas que le problème ne paraît résolu qu'aux yeux de ceux qui, ne soupçonnant même pas les difficultés qu'il y a à l'aborder scientifiquement, se hâtent de le trancher — dans un sens ou dans l'autre — selon leurs impressions, leurs préjugés ou leurs passions".

II . Psychologues et généticiens ne sont point tous dépourvus de tels préjugés ou de telles passions. C'est pourquoi leurs conclusions sur ce problème ne sont pas toujours indépendantes — nous y avons déjà fait allusion au début de ce chapitre — des circonstances qui ont pu orienter leur façon d'aborder le problème. « Sherwood et Nataupsky (1968) ont... démontré (que les conclusions atteintes par les spécialistes sur le problème de l'inégalité raciale dépendent de facteurs sociaux qui les affectent) en montrant que le rang de naissance, le fait que les grands-parents sont ou ne sont pas nés en Amérique, le niveau de l'éducation des parents, l'en- fance rurale ou citadine et le niveau scolaire sont des variables qui sont toutes corrélées avec les conclusions des chercheurs » (THODAY, in BLOCK et DWORKIN, 1976).

Page 21: La Génétique de l'intelligence · — Hérédité et milieu 9 I. Le point de vue héréditariste 14 2. Le point de vue environnementaliste 16 3. La thèse de la double détermination

CHAPITRE VII

L'avenir de l'intelligence humaine

Comment évoluera dans l'avenir l'intelligence humaine ? Il est évidemment impossible de le prévoir. On peut cepen- dant s'interroger, avant de conclure, sur l'action possible de certains facteurs susceptibles, à la longue, d'influencer cette évolution.

Il s'agit, bien entendu, dans ce dernier chapitre d'un livre consacré au conditionnement génétique des aptitudes, de l'avenir de l'intelligence héritée, et non point des suites des modifications les plus probables des conditions envi- ronnementales.

Ces dernières paraissent plus aisément prévisibles. D'une part, en effet, le progrès global qui améliore — trop lente- ment — la condition moyenne des classes défavorisées, surtout dans les pays industrialisés, et la diffusion d'élé- ments de culture par les mass media au sein des mêmes milieux ont toutes chances de favoriser le développement intellectuel des enfants. Et, d'autre part, la généralisation de l'instruction dans les pays en voie de développement peut aussi entraîner une élévation du Qi moyen.

Mais il s'agit là d'un phénomène complètement indé- pendant de l'évolution du génotype intellectuel. Car, même si l'amélioration des conditions éducatives est suivie d'une élévation du niveau intellectuel, rien de ce qui aura été gagné ainsi ne profitera aux descendants. Les biologistes sont, en effet, quasiment unanimes aujourd'hui pour nier toute transmission héréditaire des caractères qu'acquiert _____