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1 ANALYSE D’ARTICLE Dysfonction érectile : facteur prédictif d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ? Polonsky TS, Taillon LA, Sheth H, Min JK, Archer SL, Ward RP. The association between erectile dysfunction and peripheral arterial disease as determined by screening ankle-brachial index testing. Atherosclerosis. 2009, 207 : 440-444. Article analysé par les Drs Christophe.BONNIN * et Patrick.BOUILLY** Contexte Un Indice de Pression Systolique < 0.9 est associé à une augmentation de 2 à 6 fois de la mortalité cardio-vasculaire (ACC/AHA 2005). Si l’IPS est un test non invasif très utilisé pour dépister l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), celle-ci reste sous diagnostiquée en raison d’une méconnaissance de la pathologie et d’une fréquence élevée de formes asymptomatiques. Par ailleurs, la dysfonction érectile (DE) concernerait 50% des hommes de 40 à 70 ans aux USA. Il existe un lien démontré entre DE et athérosclérose, qui ont les mêmes facteurs de risque et ont en commun la dysfonction endothéliale et la baisse de la biodisponibilité du NO. Il a été récemment suggéré que la DE pourrait être un facteur prédictif du risque cardiovasculaire, précédant notamment de quelques années la coronaropathie. L’association entre DE et AOMI a en revanche été peu étudiée. On ne sait pas notamment si la présence d’une DE peut aider à dépister les patients présentant une AOMI asymptomatique. Cette étude a pour objet de déterminer si la DE peut être un marqueur d’AOMI asymptomatique. Méthodologie Il s’agit d’une étude prospective ayant évalué des patients adressés pour un test d’effort, qui ont été soumis à un questionnaire IIEF 5 et chez lesquels a été mesuré l’IPS. Les symptômes d’AOMI étaient recherchés à l’aide du questionnaire d’Edinburgh. Etaient exclus les patients avec une AOMI connue (ATCD de revascularisation, IPS < 0.9 connu, claudication intermittente d’effort), une coronaropathie connue, une chirurgie prostatique ou de la verge, ou encore un IIEF < 6 traduisant l’absence d’activité sexuelle récente. La DE était définie par un score IIEF 25 (DE légère 17-25, DE modérée 11-16, DE sévère 6-10). L’IPS était calculé en mesurant la pression au niveau des artères pédieuses et de l’artère humérale gauche. Ont été exclus les patients dont l’IPS était > 1.3, selon les recommandations ACC/AHA 2005. Tous les patients ont bénéficié d’une tomographie d’émission monophotonique du myocarde (TEMP ou SPECT) associée à une épreuve de stress. Résultats Parmi les 1024 patients sélectionnés, 334 ont été exclus. Parmi les 690 patients inclus, 45% avaient une dysfonction érectile (n=311) : 28% une DE légère, 11% une DE modérée et 8% une DE sévère. 39.9% des patients avaient une coronaropathie en TEMP. L’IPS était > 1.3 chez 10% des patients et l’évaluation définitive portait sur 623 patients. Parmi ces 623 patients, 23% avaient un IPS < 0.9, dont 66% d’entre eux étaient asymptomatiques.

De Facteur Predictif

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ANALYSE D’ARTICLE Dysfonction érectile : facteur prédictif d’artériopathie oblitérante des membres inférieurs ? Polonsky TS, Taillon LA, Sheth H, Min JK, Archer SL, Ward RP. The association between erectile dysfunction and peripheral arterial disease as determined by screening ankle-brachial index testing. Atherosclerosis. 2009, 207 : 440-444. Article analysé par les Drs Christophe.BONNIN * et Patrick.BOUILLY** Contexte Un Indice de Pression Systolique < 0.9 est associé à une augmentation de 2 à 6 fois de la mortalité cardio-vasculaire (ACC/AHA 2005). Si l’IPS est un test non invasif très utilisé pour dépister l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI), celle-ci reste sous diagnostiquée en raison d’une méconnaissance de la pathologie et d’une fréquence élevée de formes asymptomatiques. Par ailleurs, la dysfonction érectile (DE) concernerait 50% des hommes de 40 à 70 ans aux USA. Il existe un lien démontré entre DE et athérosclérose, qui ont les mêmes facteurs de risque et ont en commun la dysfonction endothéliale et la baisse de la biodisponibilité du NO. Il a été récemment suggéré que la DE pourrait être un facteur prédictif du risque cardiovasculaire, précédant notamment de quelques années la coronaropathie. L’association entre DE et AOMI a en revanche été peu étudiée. On ne sait pas notamment si la présence d’une DE peut aider à dépister les patients présentant une AOMI asymptomatique. Cette étude a pour objet de déterminer si la DE peut être un marqueur d’AOMI asymptomatique. Méthodologie Il s’agit d’une étude prospective ayant évalué des patients adressés pour un test d’effort, qui ont été soumis à un questionnaire IIEF 5 et chez lesquels a été mesuré l’IPS. Les symptômes d’AOMI étaient recherchés à l’aide du questionnaire d’Edinburgh. Etaient exclus les patients avec une AOMI connue (ATCD de revascularisation, IPS < 0.9 connu, claudication intermittente d’effort), une coronaropathie connue, une chirurgie prostatique ou de la verge, ou encore un IIEF < 6 traduisant l’absence d’activité sexuelle récente. La DE était définie par un score IIEF ≤ 25 (DE légère 17-25, DE modérée 11-16, DE sévère 6-10). L’IPS était calculé en mesurant la pression au niveau des artères pédieuses et de l’artère humérale gauche. Ont été exclus les patients dont l’IPS était > 1.3, selon les recommandations ACC/AHA 2005. Tous les patients ont bénéficié d’une tomographie d’émission monophotonique du myocarde (TEMP ou SPECT) associée à une épreuve de stress. Résultats Parmi les 1024 patients sélectionnés, 334 ont été exclus. Parmi les 690 patients inclus, 45% avaient une dysfonction érectile (n=311) : 28% une DE légère, 11% une DE modérée et 8% une DE sévère. 39.9% des patients avaient une coronaropathie en TEMP. L’IPS était > 1.3 chez 10% des patients et l’évaluation définitive portait sur 623 patients. Parmi ces 623 patients, 23% avaient un IPS < 0.9, dont 66% d’entre eux étaient asymptomatiques.

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Parmi les patients qui présentaient une DE, la prévalence de l’AOMI était de 32% vs 16% en l’absence de DE (p< 0.001). La prévalence de l’AOMI était corrélée à la sévérité de la DE : 40% en cas de DE sévère, 33% si DE modérée et 28% si DE légère. Les prévalences d’AOMI les plus élevées étaient retrouvées chez les patients associant une DE à un diabète, un tabagisme, un âge > 70 ans ou encore une coronaropathie (respectivement 41%, 40%, 38% et 39%). Chez ces patients, la présence d’une DE augmentait significativement la prévalence d’AOMI par rapport à l’absence de DE. Même chez les patients sans coronaropathie ou diabète, la prévalence de l’AOMI était significativement plus élevée en présence qu’en l’absence de DE (p < 0.001 en l’absence de diabète, p = 0.007 en l’absence de coronaropathie). Enfin, les patients ayant une AOMI rapportaient plus fréquemment une DE qu’une claudication d’effort (61% vs 34%, p<0.005). En analyse multivariée, la DE était un prédicteur indépendant d’AOMI (OR = 1.97, IC 1.32-2.94), de même que le diabète (OR 2.00, IC 1.30-3.08), le tabagisme (OR 1.76, IC 1.15-2.69), ou la coronaropathie (OR 1.66, IC 1.12-2.47). Discussion Dans cette étude concernant une population de patients sans AOMI connue, la DE est associée à une prévalence élevée d’AOMI asymptomatique diagnostiquée par la mesure de l’IPS. La DE semble être un puissant marqueur de risque d’AOMI même chez les patients sans coronaropathie détectée en TEMP de stress ou sans risque coronaire équivalent (diabète). La DE est un prédicteur indépendant d’AOMI non diagnostiquée auparavant. Les auteurs pensent que la DE peut être utilisée pour cibler les patients en vue d’un dépistage de l’AOMI. La dysfonction érectile est fréquente et étroitement associée aux facteurs de risque cardio-vasculaire et à la pathologie cardio-vasculaire asymptomatique. Chez le patient diabétique de type 2, elle est prédictive de coronaropathie silencieuse et d’évènements cardio-vasculaires et de mortalité cardio-vasculaire. Chez le patient non diabétique, elle est prédictive de coronaropathie détectée en TEMP de stress, et d’IDM et d’angor chez le patient sans pathologie cardio-vasculaire connue. L’AOMI (symptomatique et/ou définie par une IPS < 0.9) ayant un risque cardio-vasculaire équivalent à celui de la coronaropathie, les objectifs du traitement médical en sont les mêmes. Il a été montré qu’un traitement intensif de la dyslipidémie et de l’HTA entraîne une diminution des évènements cardio-vasculaires et de la progression de l’AOMI, en terme de survenue d’ischémie critique et de taux d’amputation. Il est donc important de reconnaître les patients porteurs d’une AOMI asymptomatique. L’AOMI reste sous diagnostiquée notamment parce que de nombreux patients sont asymptomatiques (66% dans l’étude) et sont donc insuffisamment traités. Dans cette étude, une DE est rapportée deux fois plus fréquemment qu’une claudication intermittente en cas d’AOMI. Dans la littérature, les publications précédentes avaient essentiellement établi la prévalence de la DE chez les patients porteurs d’une AOMI. Blumentals (1) avait notamment montré que l’existence d’une DE était associée avec une augmentation de 75% de la prévalence moyenne de l’AOMI (OR = 1.75) (OR = 2.32 dans la tranche d’âge 45-49 ans et OR = 3 dans la tranche d’âge 50-55 ans). L’étude de Polonsky et coll. est la première qui établit la DE comme un facteur de risque indépendant d’AOMI asymptomatique ou non diagnostiquée. La prévalence d’AOMI y est de 32% chez les patients porteurs d’une DE, similaire à celle retrouvée dans les autres études épidémiologiques chez les patients à risque élevé d’AOMI (patients diabétiques, tabagiques ou âgés de plus de 70 ans). Quand la DE est associée à ces facteurs de risque, la prévalence de l’AOMI est encore plus élevée (41% si diabète, 40% si tabagisme, 38% si > 70 ans). Si les patients de l’étude font partie d’une population recrutée pour une évaluation coronaire, la DE reste un puissant marqueur d’AOMI chez les patients avec et sans coronaropathie, et permet donc une stratification par la présence d’une DE des patients insuffisants coronaires ou non pour le dépistage d’une AOMI par la mesure de l’IPS.

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Conclusion La DE est associée à une prévalence élevée d’AOMI non diagnostiquée et constitue un facteur prédictif indépendant d’AOMI diagnostiquée sur la mesure de l’IPS. Ainsi, Il s’agirait d’un marqueur clinique simple sous la forme d’un questionnaire permettant de cibler les patients à dépister. Limites et de l’étude et commentaires Comme le souligne les auteurs, une des limites de l’étude est le mode de recrutement des patients, qui sont à haut risque CV. Même si la DE est un marqueur d’AOMI dans le groupe de patients sans coronaropathie détectée en TEMP, à faible risque d’évènements coronaires futurs, ces données sont à vérifier dans des populations risque cardio-vasculaire intermédiaire. Une autre remarque reprise dans la discussion est l’absence de recherche de l’origine artérielle de la DE. en réalisant un pharmaco-écho-Doppler pénien. Ainsi, il aurait été sans doute possible de sélectionner un sous groupe de patients avec une prévalence d’AOMI et/ou de coronaropathie plus élevée. La DE a en effet été associée à la présence de plaques athéroscléreuses fémorales isolées et de plaques fémorales et carotidiennes. Foresta (2) a montré que le PSV post-IIC était significativement plus bas que les patients indemnes de plaque athéroscléreuse (EIM > 1.3mm) ou d’augmentation de l’EIM (0.9 à 1.3 mm), quel que soit le territoire. Kawanishi (3) avait montré que chez les patients ayant une dysfonction érectile sans insuffisance artérielle (PSV > 35 cm/s), la prévalence d’une coronaropathie était de 3.7% contre 42% en cas de PSV < 35 cm/s. Si la DE est considérée comme un puissant marqueur du risque CV à la fois de coronaropathie et d’AOMI, sa présence devrait conduire dans l’avenir à traiter les facteurs de risque avec un objectif équivalent à celui d’une prévention secondaire. Il faudra valider cette approche et déterminer si l’amélioration de la prédiction du risque observée avec la recherche d’une DE se traduit par une amélioration du devenir du patient. Enfin, si les auteurs citent les recommandations ACC/AHA 2005 concernant l’absence de conclusion possible concernant les IPS > 1.3, ils ne les appliquent pas quant au calcul de l’IPS, seule la pression humérale gauche étant prise en compte et seules les artères pédieuses étant examinées. Références :

(1) Blumentals W, Gomez-Caminero A, Joo S, Vannappagari V. Is erectile dysfunction predictive of peripheral vascular disease ? The Aging Male 2003 ; 6 : 217-21.

(2) Foresta C, Palego P, Schipilliti M, Selice R, Ferlin A, Caretta N. Asymmetric development of peripheral atherosclerosis in patients with erectile dysfunction: an ultrasonographic study.

Atherosclerosis. 2008 Apr;197(2):889-95. (3) Kawanishi Y, Lee KS, Kimura K, Koizumi T, Nakatsuji H, Kojima K, et al. Screening of ischemic heart disease with cavernous artery blood flow in erectile dysfunctional patients. Int J Impot Res 2001;13:100-3.

* Médecin vasculaire – NICE – 06. ** Médecin vasculaire – sexologue – CERGY-PONTOISE- 95.