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DOSSIER © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés 15 AMC pratique n°204 janvier 2012 MISE AU POINT L ’embolie pulmonaire (EP) est une des manifestations cliniques majeures de la maladie veineuse thromboembo- lique (MVTE). Le traitement a pour objectif la régression du thrombus, la diminu- tion de la mortalité et la morbidité, et la prévention des récidives thromboembo- liques veineuses [1, 2]. Si la phase initiale de traitement est désormais parfaitement documentée et codifiée, en revanche les recommandations sur la durée optimale de traitement anticoagulant par antivitamine K (AVK) demeurent controversées principa- lement au décours d’un premier épisode idiopathique, faute d’essai concluant. Néanmoins, une approche de la durée opti- male de traitement anticoa- gulant est possible pour une majorité de patients sur la base d’une identification adéquate des facteurs de risque de récidive après arrêt du traitement ainsi que des facteurs de risque hémorra- gique induits par les anticoagulants. Risque de récidive L’estimation du risque de récidive throm- boembolique s’effectue en deux étapes. Dans un premier temps, il faut identifier la présence ou l’absence de facteurs de risque majeurs de récidive thromboembolique car ils condi- tionnent l’estimation initiale de la durée de traitement anticoagulant ; ces facteurs sont essentiellement cliniques. Dans un deuxième temps, il faut repérer des facteurs de risques dont le rôle est incertain ou de moindre importance car ils peuvent contribuer à moduler l’estimation initiale de la durée de traitement ; ces facteurs sont essentiellement biologiques ou morphologiques [1, 2]. Facteurs majeurs ou déterminants Le principal constat de ces 20 dernières années, basé sur les résultats concordants de multiples études randomisées contrôlées et cohortes prospectives, est la démonstration que l’intensité du risque de récidive throm- boembolique est déterminée par le caractère réversible ou non du facteur de risque cli- nique initial de l’EP [1-4]. Ainsi, après arrêt du traitement anticoagulant, le risque de récidive est faible (3 % par an maximum) chez les patients ayant une EP « provoquée » par un facteur de risque majeur réversible (chirurgie, immobilisation prolongée, frac- ture des membres inférieurs dans les trois derniers mois) ; un traitement court de trois mois est alors suffisant (recommandation grade A) (tableaux 1 et 2) [1-4]. En revanche, chez les patients dont l’EP est idiopathique (absence de facteur de risque transitoire réversible apparent) ou survient en associa- tion avec un facteur de risque persistant (can- cer) (tableau 1) [1-4], le risque de récidive est élevé (9 % par an minimum) : un traitement prolongé de six mois minimum est nécessaire (recommandation grade B) (tableau 2) [1]. Chez les patients ayant une MVTE dans un contexte de cancer, le risque de récidive est trois fois plus élevé pendant et après arrêt du traitement par AVK (notamment au stade métastatique ou sous chimiothérapie) [1, 2, 5] : le traitement anticoagulant est administré pendant six mois minimum, si possible par héparine de bas-poids moléculaire (HBPM) C. Tromeur, C. Leroyer, F. Couturaud EA 3878 (GETBO), IFR 148, CIC INSERM 0502, Département de médecine interne et pneumologie, CHU La Cavale-Blanche, Brest [email protected] Le traitement anticoagulant de l'embolie pulmonaire. Quelle durée ? Le risque de récidive dépend des facteurs de survenue de l’épisode initial et de leur réversibilité. © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. - Document téléchargé le 12/07/2012 par SCD UNIVERSITE VICTOR SEGALEN - (14200)

Le traitement anticoagulant de l’embolie pulmonaire

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MISE AU POINT

L’embolie pulmonaire (EP) est une des manifestations cliniques majeures de la maladie veineuse thromboembo-

lique (MVTE). Le traitement a pour objectif la régression du thrombus, la diminu-tion de la mortalité et la morbidité, et la prévention des récidives thromboembo-liques veineuses [1, 2]. Si la phase initiale de traitement est désormais parfaitement documentée et codifiée, en revanche les recommandations sur la durée optimale de traitement anticoagulant par antivitamine K (AVK) demeurent controversées principa-lement au décours d’un premier épisode idiopathique, faute d’essai concluant. Néanmoins, une approche de la durée opti-

male de traitement anticoa-gulant est possible pour une majorité de patients sur la base d’une identification adéquate des facteurs de

risque de récidive après arrêt du traitement ainsi que des facteurs de risque hémorra-gique induits par les anticoagulants.

Risque de récidive

L’estimation du risque de récidive throm-boembolique s’effectue en deux étapes. Dans un premier temps, il faut identifier la présence ou l’absence de facteurs de risque majeurs de récidive thromboembolique car ils condi-tionnent l’estimation initiale de la durée de traitement anticoagulant ; ces facteurs sont essentiellement cliniques. Dans un deuxième temps, il faut repérer des facteurs de risques dont le rôle est incertain ou de moindre importance car ils peuvent contribuer à

moduler l’estimation initiale de la durée de traitement ; ces facteurs sont essentiellement biologiques ou morphologiques [1, 2].

Facteurs majeurs ou déterminants

Le principal constat de ces 20 dernières années, basé sur les résultats concordants de multiples études randomisées contrôlées et cohortes prospectives, est la démonstration que l’intensité du risque de récidive throm-boembolique est déterminée par le caractère réversible ou non du facteur de risque cli-nique initial de l’EP [1-4]. Ainsi, après arrêt du traitement anticoagulant, le risque de récidive est faible (3 % par an maximum) chez les patients ayant une EP « provoquée » par un facteur de risque majeur réversible (chirurgie, immobilisation prolongée, frac-ture des membres inférieurs dans les trois derniers mois) ; un traitement court de trois mois est alors suffisant (recommandation grade A) (tableaux 1 et 2) [1-4]. En revanche, chez les patients dont l’EP est idiopathique (absence de facteur de risque transitoire réversible apparent) ou survient en associa-tion avec un facteur de risque persistant (can-cer) (tableau 1) [1-4], le risque de récidive est élevé (9 % par an minimum) : un traitement prolongé de six mois minimum est nécessaire (recommandation grade B) (tableau 2) [1]. Chez les patients ayant une MVTE dans un contexte de cancer, le risque de récidive est trois fois plus élevé pendant et après arrêt du traitement par AVK (notamment au stade métastatique ou sous chimiothérapie) [1, 2, 5] : le traitement anticoagulant est administré pendant six mois minimum, si possible par héparine de bas-poids moléculaire (HBPM)

C. Tromeur, C. Leroyer, F. CouturaudEA 3878 (GETBO), IFR 148, CIC INSERM 0502, Département de médecine interne et pneumologie, CHU La Cavale-Blanche, [email protected]

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Le risque de récidive dépend des facteurs de survenue de l’épisode initial et de leur réversibilité.

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peu le risque de récidive (risque de récidive modéré ou non démontré) (tableau 2). D’une façon générale, la présence de certains de ces facteurs peut justifier d’allonger la durée de traitement :• à six mois en cas d’EP provoquée par un

facteur de risque majeur transitoire,• à un an voire plus en cas d’EP non provo-

quée (idiopathique) [2] (tableau 2).

Facteurs biologiquesLa majorité des facteurs biologiques de risque ne sont pas associés à un risque accru et indé-pendant de récidive thrombo embolique. Ainsi, la présence de la mutation Leiden à l’état

et poursuivi tant que le cancer est actif ou en cours de traitement, soit par HPBM soit par AVK selon le contexte et la tolérance des HBPM (tableau 2) [5]. En cas d’élévation persistante des anticorps anticardiolipines [1, 2, 4] ou d’anticoagulant lupique [1, 2, 4], le risque de récidive est multiplié par deux à l’arrêt des anticoagulants et la mortalité plus importante, justifiant un traitement d’une durée non limitée dès le premier épisode [1].

Facteurs mineurs ou modulateurs

Ces facteurs sont considérés comme mineurs dans la mesure où ils n’influencent pas ou

Tableau 1. Risque de récidive thromboembolique selon que la MVTE est associée à un facteur de risque réversible ou non (d’après [1] et [14]).

Études Effectif Suivi Récidive thromboembolique veineuse Risque relatif

Facteur réversible Facteur non réversible

Essais randomisés

BTS 712 12 mois 0,9 % (1/116) 6,9 % (41/596) 8,0

Levine 398 11 mois 1,7 % (2/121) 13,0 % (36/277) 7,9

Schulman 898 24 mois 6,7 % (23/341) 18,0 % (100/557) 2,7

Agnelli 326 35 mois 7,6 % (11/145) 12,2 % (22/181) 1,6

Pinède 720 15 mois 5,1 % (19/375) 10,0 % (34/345) 2,0

Cohortes prospectives

Prandoni 250 24 mois 4,8 % (5/105) 24,1 % (35/145) 5,1

Pini 570 12 mois 1,5 % (1/67) 11,1 % (13/120) 7,3

Baglin 187 24 mois 0,0 % (0/98) 11,2 % (53/472)

Tableau 2. Durées optimales de traitements en fonction du risque de récidive et du risque hémorragique [1].

Absence de facteurs modulateurs associés

Présence de facteurs mineurs ou modulateurs

Facteurs d’allongement de la durée de traitement**

Facteurs de diminution de la durée de traitement***

Facteurs majeurs ou déterminants*

EP provoquée par un facteur majeur aigu

3 mois 6 mois 3 mois

EP non provoquée avec facteur majeur persistant

� 6 moiset tant que le facteur persiste

� 6 moiset tant que le facteur persiste

6 voire 3 mois

EP non provoquée sans facteur détecté

� 6 mois 1 ou 2 ans 6 voire 3 mois

* Les facteurs majeurs aigus « provoquant » sont : la chirurgie avec anesthésie générale, les traumatismes des membres inférieurs et l’immobilisation de plus de 72 heures pour affection médicale aiguë dans les trois mois précédent l’épisode de MVTE. Les facteurs majeurs persistant sont en majorité : le cancer et deux entités biologiques (le syndrome des antiphospholipides et le déficit en antithrombine). Une EP non provoquée est une EP survenant en l’absence de facteur provoquant ou persistant identifiable (EP idiopathique).** Facteurs d’allongement : thrombophilie majeure connue, récidive de TVP proximale ou EP, filtre cave permanent, syndrome obstructif post-thrombotique symptomatique sévère, HTAP, EP associée à état de choc, préférence du patient.*** Facteurs de diminution de la durée de traitement : élévation du risque hémorragique (> 3 % par an).

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de séquelle sévère symptomatique associé à un syndrome obstructif échographique (trai-tement prolongé à six mois en cas de MVTE provoquée, et de un à deux ans pour une MVTE idiopathique) [1]. De même, l’impact des séquelles de perfusion en scintigraphie pulmonaire sur le risque de récidive d’EP est inconnu. En revanche, chez les patients avec une hypertension artérielle pulmonaire post-embolique, le traitement doit être poursuivi indéfiniment en raison de la fréquence et de la mortalité des EP récidivantes [1] ; toutefois, le niveau de pression artérielle pulmonaire systolique à partir duquel un traitement anti-coagulant non limité est justifié est incertain.

Facteurs cliniquesLes femmes auraient un risque de récidive moins important que les hommes indépen-damment du statut hormonal, une observa-tion qui reste cependant à confirmer sur les essais randomisés contrôlés [1, 2]. L’âge semble aussi être associé à un risque accru de récidive thromboembolique [1] mais cette variable se confond, chez les femmes, avec le statut hormonal : lorsqu’une EP est secondaire à une contraception œstro-progestative ou une grossesse, le risque de récidive est faible [1]. Ainsi, l’âge, le sexe et le statut hormonal sont des variables liées difficiles à analyser en multivarié. En conséquence, il n’est pas recom-mandé d’allonger la durée de traitement chez les hommes ; de même, si les patients âgés ont un risque hémorragique augmenté, ils ont aussi un risque probablement plus élevé de récidiver, si bien que le traitement anti-coagulant ne doit pas être systématiquement diminué chez les sujets âgés [1].

Antécédent personnel de MVTELa présence d’un antécédent de MVTE comme facteur de risque indépendant est incertaine. Dans l’étude randomisée de Schulman et coll., le risque de récidive était comparable, après six mois de traitement anticoagulant, pour un premier et pour un deuxième épi-sode thrombotique veineux [9]. Toutefois, lorsque l’antécédent est idiopathique et significatif (TVP proximale ou EP), le risque de récidive est élevé. Ainsi, en cas d’embolie pulmonaire idiopathique récidivante, il est recommandé de traiter à vie [1].

hétérozygote (thrombophilie héréditaire fré-quente conférant un risque modéré de déve-lopper une premier épisode de MVTE avec un odds ratio à 4) n’est pas associée à un risque accru de récidive thromboembolique, tout comme la présence d’une autre thrombophilie héréditaire fréquente, la mutation G20210A du gène de la prothrombine [1, 2, 4-7]. En revanche, certains facteurs biologiques rares, en raison de l’importance du risque de déve-lopper un premier épisode de MVTE (odds ratio de 10 à 15), sont pris en compte dans la détermination de la durée optimale de traitement : en cas de MVTE idiopathique, la détection en premier lieu d’un déficit en antithrombine ou, à un moindre degré, d’une thrombophilie combinée (facteur V Leiden et mutation sur le gène de la prothrombine) ou homozygote (facteur V Leiden) ou d’un défi-cit en protéine C, S, un traitement de 1 an, voire non limité (déficit en antithrombine) est recommandé (accord professionnel) [1]. Enfin, l’élévation du facteur VIII ou l’hyperhomocys-téinémie ne sont pas associés à un risque accru de récidive thromboembolique [1]. Une seule étude randomisée a étudié l’impact de cette observation en pratique clinique ; les résul-tats sont incertains en raison de l’interaction du taux de D-dimères avec certaines variables cliniques telles que l’âge et le caractère idio-pathique de la MTVE [8]. Ainsi, ce dosage ne doit pas être réalisé en routine au décours d’un premier épisode de MVTE [1].

Facteurs morphologiques et fonctionnelsLe risque de récidive associée à la présence de séquelles thrombotiques des membres inférieurs est incertain [1, 2, 4] ; en effet, la présence de séquelles à six mois de trai-tement est observée chez plus 50 % des patients et les résultats des études rando-misées ne retrouvent aucune association entre la présence de séquelles et risque de récidive thromboembolique alors que les cohortes prospectives retrouvent un risque environ deux fois plus important [1, 2, 4]. Ce contraste entre les résultats de ces deux types d’études fait suspecter que la présence de séquelles thrombotiques ne constitue pas un facteur indépendant de récidive. En consé-quence, une modulation du traitement anti-coagulant est proposée uniquement en cas

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Filtre caveL’insertion d’un filtre cave réduit le risque d’EP durant la phase aiguë d’une throm-bose veineuse profonde (TVP) proximale. En revanche, à long terme, la fréquence des TVP récidivantes est deux fois plus importante, sans que le risque de récidive sous la forme d’une EP soit augmenté [11]. L’insertion de filtres caves temporaires pourrait pallier à cet inconvénient, mais ils sont en cours d’évalua-tion. Lorsque le filtre cave est définitif, le trai-tement d’une EP provoquée est de six mois tandis qu’en cas d’EP idiopathique, un à deux ans de traitement sont recommandés [1].

Risque hémorragique

Le risque hémorragique est un facteur de diminution de la durée de traitement. Au cours d’un traitement par AVK de longue durée, l’incidence annuelle d’un saignement grave est estimée à 3 % par an [1, 2, 12] (mor-tels dans 20 % des cas). Ce risque est majoré chez les patients de plus de 75 ans, en pré-sence de facteurs de risque hémorragiques associés (antécédent d’hémorragie digestive, accident vasculaire cérébral, alcoolisme chro-nique, diabète), lors de la prise concomitante d’antiagrégants, au tout début du traitement ainsi qu’en contexte de traitement anticoa-gulant oral difficile à équilibrer [12]. Toutes ces données sont issues d’études sur la warfa-rine, AVK de choix dans le traitement de l’EP.

Présentation clinique initiale de la MVTE (tableau 3)Qu’il s’agisse d’une EP symptomatique (asso-ciée ou non à une TVP asymptomatique) ou d’une TVP proximale symptomatique (asso-ciée ou non à une EP asymptomatique), le risque d’une récidive thromboembolique est identique [10]. En revanche, les consé-quences de la récidive en termes de létalité (mortalité directement liée à la MVTE) sont nettement plus graves au décours d’une EP symptomatique (figure 1). En effet, le tableau clinique de la récidive est proche du tableau clinique initial (au décours d’une EP symptomatique, la récidive survient sous la forme d’une EP dans 80 % des cas, de même qu’après une TVP proximale sympto-matique, la récidive survient sous la forme d’une TVP dans 80 % des cas) [10]. Or, la mortalité de l’EP est d’environ 15 % et celle de la TVP de 2 %, voire moins. En combi-nant ces deux observations, on peut estimer que lors d’une récidive thromboembolique survenue au décours d’une EP, le risque de décès est de 12 % tandis qu’au décours d’une TVP proximale, le risque de décéder lors d’une récidive est de 5 %, suggérant qu’un traitement prolongé pourrait être justifié au décours d’une EP (tableau 3) [10]. Cette analyse n’étant pas confirmée par des essais prospectifs randomisés, les durées de traitement anticoagulant recommandées demeurent donc identiques au décours d’une TVP proximale ou une EP.

Tableau 3. Balance bénéfice risque prenant en compte la fréquence et la létalité d’une récidive thromboembolique veineuse et celles d’une hémorragie grave au décours d’un premier épisode de MVTE [1, 10, 14].

Mortalité initiale Présentation clinique de la récidive

Fréquence de la complication Létalité de la complication Risque de mortalité

EP provoquée* 15 %EP = 80 %TVP = 20 %

3 %/an 12 % 0,35 %/an

TVP proximale provoquée*

2 %EP = 20 %TVP = 80 %

3 %/an 5 % 0,12 %/an

EP idiopathique* 15 %EP = 80 %TVP = 20 %

9 %/an 12 % 1,06 %/an

TVP proximale idiopathique*

2 %EP = 20 %TVP = 80 %

9 %/an 5 % 0,45 %/an

Hémorragie grave* 3 %/an** 20 % 0,6 %/an

* Les estimations de fréquence et de mortalité sont calculées sur la base de risque survenant pendant 1 an après arrêt d’un traitement anticoagulant de 3 mois ;** Les estimations sont calculées sur la base d’un traitement anticoagulant prolongé sur 1 an chez un sujet sans facteur de risque hémorragique majeur.Il est remarquable que l’entité susceptible de bénéficier le plus d’un traitement anticoagulant prolongé est l’embolie pulmonaire idiopathique.

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est suffisante au décours d’une MVTE provo-quée par un facteur de risque réversible [1-3]. En revanche, pour une première MVTE idiopa-thique, trois mois d’AVK sont insuffisants [1, 2, 4]. En France, six mois de traitement sont pro-posés, mais le bénéfice d’une prolongation au delà n’est pas démontré sur le risque de récidive à long terme (pas de bénéfice pour des traite-ments de un an, aucune évaluation disponible au décours de traitements de deux ans) [1]. Les essais ayant évalué une durée non limitée d’AVK ont été réalisés chez des patients majori-tairement inclus au deuxième épisode de MVTE idiopathique ; ainsi, une durée non limitée est indiquée chez les patients ayant une MVTE idiopathique récidivante [6, 7]. En plus de l’op-timisation de la durée du traitement, d’autres paramètres doivent être considérés : l’intensité optimale (un INR entre 2 et 3 constitue la zone thérapeutique de choix afin de limiter les réci-dives et les complications hémorragiques [1, 2, 6, 7]) et le type de molécule (risque de récidive réduit du 50 % avec les HBPM comparées aux AVK chez les patients atteints d’un cancer [5]). Aucun des nouveaux anticoagulants oraux n’est encore disponible en traitement curatif de la MVTE ; toutefois, les résultats préliminaires des études ne mettent pas en évidence de béné-

Balance bénéfice-risque (tableau 3)

Pour chaque patient atteint de MTVE, les risques et les bénéfices du traitement anticoa-gulant doivent être appréciés non seulement en fonction du risque absolu de récidive throm-boembolique (en l’absence de traitement) et de saignement majeur (lié au traitement), mais aussi en fonction des conséquences (létalité) associées à chacune de ces complications [1, 10].Pour une première EP provoquée, après arrêt d’un traitement de trois mois, le risque de récidive est de 3 % par an (soit une léta-lité de 0,35 % par an) ; en l’absence de co- morbidités, le risque de saignement grave, si le traitement est prolongé, est de 3 % par an (soit une létalité de 0,6 %) : trois mois de traitement sont donc suffisants (tableau 3). Si un facteur modulateur est associé, le risque de récidive est compris entre 4,5 % et 6 % (létalité comprise entre 0,5 % à 0,7 %) : cette estimation a constitué un critère décisionnel dans la recommandation d’un traitement prolongé à six mois (tableau 3) [1].Au décours d’une EP ou TVP idiopathique, le risque de récidive, après arrêt d’un traitement de trois mois, est de 9 % minimum par an (léta-lité de 1,06 % par an en cas d’EP idiopathique et de 0,45 % par an en cas de TVP proximale) (tableau 3). Cette estimation incite à allonger la durée de traitement en cas d’EP plutôt que d’une TVP proximale ; en outre, le groupe des MVTE idiopathiques est hétérogène (risque de récidive compris entre 5 % et 20 % selon la présence ou non de facteurs modulateurs, soit des létalités entre 0,6 % et 2,4 %). En France, la durée optimale de traitement est donc de :• six mois minimum en cas d’EP idiopathique

sans aucun facteur modulateur associé,• un à deux ans en cas de facteur modula-

teurs associés (un traitement à vie peut être discuté en cas déficit en antithrom-bine) (tableau 2) [1].

Synthèse et perspectives (tableau 2)

Au vu des résultats de vastes essais randomisés comparant différentes durées de traitement, la durée minimale du traitement anticoagulant au décours d’une première MVTE (TVP distales exclues) doit être de trois mois [1-3]. Cette durée

Figure 1. Embolie pulmonaire confirmée par angio-scanner.

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alors qu’un traitement prolongé de six mois minimum et tant que le facteur persiste doit être conduit en cas d’EP associée à un facteur de risque majeur persistant. En cas d’EP idio-pathique, la durée de traitement est incer-taine : six mois minimum de traitement sont recommandés. Cette durée initiale de traite-ment peut être modulée selon la présence ou non de facteurs additionnels mineurs. Des essais comparatifs évaluant les bénéfices d’un allongement partiel de la durée de trai-tement par AVK demeurent indispensables et sont actuellement en cours [14].

Conflits d’intérêt : Co-investigateur d'études de traitement de MTEV (BMS, Bayer, Boehringer) sans rémunération personnelle.

fice supérieur de ces nouveaux traitements aux AVK [13]. En d’autres termes, la balance bénéfice risque des nouveaux anticoagulants ne modifie pas l’analyse des facteurs de risque de récidive et de saignements graves en vue de terminer la durée optimale de traitement anti-coagulant d’une EP.

Conclusion

L’identification des facteurs de risque de réci-dive et hémorragique repose sur des don-nées cliniques simples obtenues dès l’épisode aigu de MVTE : trois mois de traitement est suffisant au décours en cas d’EP provoquée par un facteur de risque clinique réversible

En pratiqueEP provoquée par un facteur clinique réversible : 3 mois (prolongé si non réversible ou facteur de risque majeur persistant). EP idiopathique : 6 mois minimum.

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