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CNRS HISTOIRE

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KHADIJA MOHSEN-FINAN

S a h a r a o c c i d e n t a l

Les enjeux d'un conflit régional

Préface de I. William Zartman

CNRS EDITIONS

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Illustrations de couverture : Panneau de bois, « désert », usiné par OBJECTILE, détails.

Cliché Gilles Mermet

© CNRS Éditions, Paris, 1997 ISBN : 2-271-05514-8

ISSN : 1251-4357

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I N D E X D E S S I G L E S

AARSD : Association des Amis de la République arabe sahraouie démo- cratique. ALN : Armée de Libération nationale (Algérie). ALPS : Armée de Libération du Peuple sahraoui. ANP : Armée nationale populaire (Maroc). APRONUC : Autorité provisoire de l'ONU pour le Cambodge. APS : Algérie Presse Service. CCR : Conseil de commandement de la révolution (Algérie). CDT : Confédération démocratique du travail (Maroc). CEE : Communauté économique européenne. CIJ : Cour internationale de justice. CNP : Conseil national palestinien. ERAC : Établissement régional d'aménagement concerté (Maroc). FAR : Forces armées royales (Maroc). FDIC : Front de défense des institutions constitutionnelles (Maroc). FIS : Front islamique du salut (Algérie). FLN : Front de libération nationale (Algérie). FLU : Front de libération et de l'unité. FMS : Foreign Military Sales (vente d'armes américaines à l'étranger). FORPRONU : Force de protection des Nations unies. FOSBUCRAA : Fosfatos de Boucraâ, S.A. Front Polisario : Frente Popular para la Liberacion de Saguia el-Hamra y Rio de Oro (Front populaire pour la libération de la Seguiet El-Hamra et la Rio de Oro). GIA : Groupement islamique armé (Algérie). HCE : Haut comité d'État (Algérie). HCR ou HCNUR : Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés. MALG : Ministère de l'armement et des liaisons générales (Algérie). MOREHOB : Mouvement de résistance des hommes bleus. MINURSO : Mission des Nations unies pour le référendum au Sahara oc- cidental. OCP : Office chérifien des phosphates (Maroc). OCRS : Organisation commune des régions sahariennes. OLP : Organisation de libération de la Palestine. ONAREP : Office national marocain de recherche et d'exploitation pétro- lières. ONU : Organisation des Nations unies. OUA : Organisation de l'unité africaine. PAGS : Parti d'avant garde socialiste (Algérie).

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PPS : Parti du progrès et du socialisme (Maroc). PUNS : Parti de l'union nationale sahraouie.

RASD : République arabe sahraouie démocratique. SM : Sécurité militaire (Algérie). UGTA : Union générale des travailleurs algériens. UMA : Union du Maghreb arabe. UMT : Union marocaine des travailleurs.

UNFP : Union nationale des forces populaires (Maroc). UNFS : Union nationale des femmes sahraouies.

USFP : Union socialiste des forces populaires (Maroc).

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Préface

Le conflit du Sahara occidental mérite un meilleur traitement qu'il n'a eu jusqu'ici. Peu de livres lui ont été consacrés sans préjugé ou polémique, et plus récemment, le sujet a tout simplement disparu des écrans. Mais le conflit saharien persiste, avec l'endurance d'un homme du désert, chargé d'une importance qui dépasse le simple enjeu territorial. Tant que son salut ne trouve pas de solution définitive, le conflit reste la dernière lutte de décolonisation sur le continent africain. Dans les prétentions du Front Polisario à l'indé- pendance, il recèle toutes les questions sur ce qu'est un État. C'est un conflit qui défie toute tentative de solution, directe ou médiée, ayant en particulier échappé aux efforts de deux secrétaires-généraux de l'ONU. Dans tout cela, il constitue l'enjeu principal des relations régionales, à la fois un symbole, un prétexte, et une épine dans les rapports entre le Maroc et l'Algérie, car c'est le fond de l'affaire, comme le démontre cette étude définitive de Khadija Mohsen-Finan.

Quoi qu'il arrive au Sahara, nous ferons référence à cet excellent livre pour le comprendre. Travail sur le terrain, recherches en archives, nombreux entretiens en assurent la qualité. Il montre une passion non pas de parti pris mais d'analyse. Pris entre l'indépen- dance et l'intégration comme issue, le conflit se trouve également pris entre la négociation et le référendum comme moyen d'en sortir. Ce livre indique les avantages et inconvénients d'une autonomie dé- centralisée et régionalisée au sein du Maroc, mais il démontre aussi le confortable suspens qu'une situation sans guerre et sans solution a produit pour les deux adversaires depuis longtemps. Un tel tissu de tensions et de contradictions exige la fine analyse et la compré- hension profonde que cet ouvrage contient.

Mais il est temps que ce conflit prenne fin. D'autres ont cessé quand les combats des habitants ne servaient plus à leurs patrons voisins ou lointains. Ce fut le cas de la Namibie, des luttes en Amé-

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rique centrale, ou de l'Allemagne divisée. D'autres encore continuent au-delà de l'intérêt des populations concernées à cause des décisions ou de l'indécision de ces «patrons», comme à Chypre ou en Ulster. Le Sahara se trouve entre ces deux états. Maintenant, la possibilité de surmonter la tension entre négociation et référendum comme moyen de réconcilier la contradiction entre indépendance et intégra- tion commence à paraître. Il faut la saisir. Il vaut mieux utiliser la configuration régionale pour résoudre le conflit, de peur que le conflit ne la bouleverse encore, comme l'indique la pénétrante ana- lyse de Mme Mohsen-Finan.

I. William Zartman Professeur, spécialiste de la résolution des conflits,

Université Johns Hopkins à Washington, Président de l'Institut américain d'études maghrébines.

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Introduction

Depuis 1975, le Maroc et le Front Polisario se disputent l'ancienne colonie espagnole du Sahara occidental. Peu médiatisé, ce conflit a néan- moins fait l'objet de nombreuses études à caractère juridique, économique, mais aussi sociologique et anthropologique.

La revendication d'un État par une entité nomade a tout d'abord consti- tué un premier sujet de réflexion; depuis les travaux d'Ibn Khaldoun, complétés par les auteurs français de la période coloniale (Gautier, Mon- tagne...), les nomades sont considérés comme réfractaires à toute mesure étatique, incapables de gérer durablement une cité. À ces données, du reste contestables, s'ajoutait une autre argumentation tout aussi contestable, re- lative à la faiblesse des Sahraouis, et censée plaider contre la constitution de leur État. Ces différents éléments contribuèrent à considérer le combat des Sahraouis du Polisario comme un épiphénomène et non un problème de décolonisation qui oppose deux nationalismes pour la souveraineté du territoire du Sahara occidental.

Sous l'angle de la décolonisation, on pouvait pourtant percevoir la co- existence d'un nationalisme marocain se référant aux «droits historiques» pour plaider le maintien de la délimitation des frontières en vigueur avant la décolonisation et d'un nationalisme sahraoui qui fonde la légitimité de sa revendication sur ce qui est devenu la norme de l'OUA depuis 1964 - le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes : deux nationalismes, mais aussi deux appréciations opposées du droit et de l'histoire.

D'autres considérations de type juridique ou économique dictèrent dif- férentes lectures de ce conflit. Mais, si elles doivent nécessairement être prises en compte, ces argumentations paraissaient quelque peu en décalage par rapport à la manière dont cette guerre a évolué durant la décennie 80. C'est la raison pour laquelle ces analyses se sont évanouies, laissant le champ libre à l'émergence d'appréciations nouvelles, en termes de relations internationales, qui s'attachent à mettre en avant les facteurs idéologiques et hégémoniques inhérents au conflit. En effet, durant les années 80, les nouvelles stratégies mises en place par le Maroc, l'inversion du rapport des forces à son bénéfice, la réorganisation des alliances régionales et sur- tout la réconciliation algéro-marocaine donnèrent une autre physionomie à cette guerre.

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En liaison avec les problèmes de frontières, de souveraineté et d'hé- gémonie qui ont divisé le Maghreb, le problème du Sahara occidental est devenu, au fil des ans, un véritable enjeu de politique inter-maghrébine d'abord, mais aussi, à l'intérieur de chacun des pays concernés ou inté- ressés, un sujet de démarcation et de positionnement politique. Cette di- mension à la fois régionale et nationale du conflit saharien a été précisément privilégiée dans cet ouvrage qui a pour principal objet d'ap- préhender cette guerre dans son aspect fonctionnel, agissant comme rouage de la politique régionale, dans sa résonance sur les politiques nationales et son interaction avec elles. Bien plus que l'analyse des facteurs et causes du conflit, c'est bien sur ses fonctions et enjeux, sans cesse mouvants que nous nous pencherons en mettant l'accent sur le lien permanent entre le dossier du Sahara et les politiques intérieures du Maroc, de l'Algérie et dans une moindre mesure de la Mauritanie; le Polisario tenant lui, par la force des choses, un rôle particulier.

L'analyse va porter dans un premier temps sur le conflit comme élé- ment structurant des politiques intérieures des pays de la région, notamment par la consolidation de leurs États. En 1976, les trois pays limitrophes du Sahara se sont engagés dans ce conflit pour des raisons hégémoniques et d'autres motifs davantage liés à la situation intérieure de chacun des pays. Pour le Maroc qui connaissait de grandes difficultés intérieures (émeutes, grèves ouvrières et estudiantines, coups d'État perpétrés contre la personne du roi), la «réunification» du royaume paraissait tout autant un dérivatif politique et une opportunité réelle de faire l'union sacrée autour de la mo- narchie, de satisfaire le nationalisme politique marocain en pratiquant une politique de défi aussi bien vis-à-vis de l'Espagne, de l'Algérie que des Nations-unies, tout en assignant aux Forces armées royales (FAR) d'autres tâches que celles d'une éventuelle prise du pouvoir. Quant au gouvernement du président Boumediene, après une courte hésitation due à la volonté de ne pas rompre l'entente difficilement mise en place entre Alger et Rabat après la guerre des sables (1963), il optait pour l'octroi d'une aide au Po- lisario qualifiée d'inconditionnelle. Il est vrai que la marche verte avait suscité des craintes de la part des Algériens, qui voyaient dans l'extension du Maroc vers le sud, une menace potentielle de leurs frontières et de leurs zones considérées comme stratégiques. Pour le gouvernement de Mokhtar Ould Daddah, l'occupation du Tiris El Gharbia permettait à la Mauritanie de repousser les frontières avec un Maroc virtuellement expan- sionniste qui, quelques années plus tôt, revendiquait encore la Mauritanie comme province marocaine. En outre, en érigeant sa revendication sur le Sahara occidental en cause nationale, Ould Daddah réussit pendant un temps à consolider l'unité nationale et à dépasser les clivages tribaux qui minaient la politique intérieure du pays.

En même temps que l'engagement de ces pays qui contribuait à conso- lider leurs États et mettait en exergue leurs velléités hégémoniques, un acteur nouveau apparaissait sur la scène régionale à travers la revendication de son indépendance et de son identité propre : le Front Polisario. Pour mener le combat sur un territoire qu'il considère comme le sien, ce mou-

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vement a initialement développé une idéologie transnationale avant de constituer un «État» en exil, la RASD, proclamée unilatéralement en fé- vrier 1976. Ce faisant, il se substituait d'une certaine manière aux Nations unies et à la coalition tripartite (Espagne/Maroc/Mauritanie) qui, en signant les accords de Madrid en 1975, avait à ses yeux fait dévier irrégulièrement le processus initial de la décolonisation. Face à cette action, le Maroc a développé la stratégie du «dossier clos», persuadé que ses méthodes vien- draient à bout de la résistance armée du Polisario. Mais l'aide fournie à la fois par l'Algérie et la Libye aux combattants Sahraouis et la capacité de ceux-ci à dominer militairement le terrain contribuèrent à rendre de plus en plus difficile la négation d'une vraie guerre. Ces atouts devaient également permettre au belligérant sahraoui de se distinguer au plan mi- litaire et diplomatique jusqu'en 1979, et d'isoler par là même l'adversaire.

Victime d'une guérilla largement favorable au Polisario qui lui a fait essuyer de multiples revers, isolée au plan diplomatique et exposée à de vives critiques sur sa gestion du conflit au plan interne, la monarchie a dû bouleverser, dès le début des années 80, sa stratégie de guerre. La pour- suite de cette guerre qui avait permis un consensus autour du trône était nécessaire, il fallait néanmoins la conduire autrement. Au plan militaire, une contre-guérilla matérialisée par le «mur» a permis au Maroc d'épuiser militairement un adversaire dont la supériorité tactique sur le terrain résidait surtout dans la mobilité. Au plan diplomatique, avec l'accord donné au sommet de l'OUA de Nairobi en 1981, Hassan II inaugurait une nouvelle ère diplomatique marquée par la reconnaissance implicite du belligérant sahraoui. Le troisième volet de cette nouvelle tactique de guerre marocaine consistait à intégrer progressivement le Sahara dans son espace de souve- raineté. Pour cela, la monarchie a choisi d'accélérer et d'achever son pro- gramme d'intégration du territoire et de la population sahraouis, entamé au lendemain du départ des Espagnols en 1976. Au plan territorial, cette intégration a été pensée comme une extension de l'administration maro- caine dans ces provinces et comme une implantation de l'État marocain dans le Sahara.

De manière concomitante à la mise en place de l'administration ma- rocaine dans ce que Rabat considère comme des «provinces récupérées», confirmée par l'extension des élections nationales dans ces contrées et l'exercice de l'autorité du ministère de l'Intérieur jusqu'à Laguira, le Maroc entreprit une série de réalisations pour développer économiquement ces régions et «effacer le long retard enregistré». Cette action ne pouvait qu'être différemment interprétée par les deux parties qui se disputent la souveraineté de ce territoire. Tandis que pour Rabat il s'agit d'une réinté- gration des régions restituées par l'Espagne aux termes de l'accord de Madrid, pour le Front Polisario elle correspond à une «annexion» et une violation de la souveraineté de ces provinces.

À cette gestion de la guerre par le Maroc, correspond un cadre régional en profonde mutation; la Mauritanie n'est plus partie prenante au conflit et l'Algérie s'oriente progressivement vers une politique interne et régio- nale qui ne justifie plus son aide au Polisario. Cela conduit à s'interroger

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sur le renouvellement des enjeux pour le Polisario. L'évolution de la RASD permet de voir comment - après l'organisation des camps de Tindouf qui s'est faite de manière parallèle au «développement et à l'intégration des provinces sahariennes » par le Maroc - le prolongement de cet « État » en exil à Tindouf, en liaison avec les nouvelles donnes régionales, a pu générer une crise au sein de la direction politique du mouvement, et désarroi et questionnement auprès de la population des camps. La perte des alliés ré- gionaux n'a pas uniquement affecté la ligne politique du mouvement, elle a également fait naître le doute au sein de la population quant au caractère de plus en plus aléatoire de son exil en Algérie. De plus, l'évanouissement des valeurs socialistes qui constituaient l'essentiel de l'idéologie du Poli- sario ne pouvait qu'aggraver la crise morale de la population des camps.

Mais si le conflit du Sahara s'est modifié durant la décennie 80 sous

l'effet de la nouvelle conduite marocaine de la guerre, ces mutations pro- fondes sont également liées à l'évolution de la politique saharienne de l'Al- gérie. Dès son arrivée au pouvoir, le gouvernement du président Chadli Benjedid a opté pour des réformes qui ont conduit le pays à abandonner progressivement les principes du boumedienisme. En outre, le soutien - notamment logistique - apporté par l'Algérie au Polisario constituait de

plus en plus une charge financière pour un pays plongé depuis 1986 dans une crise économique sans précédent. L'affaire du Sahara changeait alors de nature, elle représentait moins un enjeu entre les deux grands États de la région qu'un fardeau économique, idéologique et politique. Tandis que le gouvernement algérien voulut se défaire de ce dossier, des différences d'appréciation quant à la forme à donner à ce règlement divisaient la classe politique. Ces divergences ont pu conduire à l'utilisation de ce conflit par différents pôles pour s'isoler mutuellement, pour paraître plus en accord avec les principes de l'Algérie boumedieniste ou encore plus protectionniste et alerte vis-à-vis d'un voisin qui jouit finalement d'une situation plus fa- vorable dans la région. Conditionné par ces clivages, ce conflit a pu consti- tuer un véritable enjeu de politique intérieure.

La réflexion va donc porter sur la place du conflit à travers les nou- veaux choix de politique nationale ou régionale pour appréhender les rap- ports entre le Polisario et son principal tuteur, l'Algérie, à partir de la fin des années 70. Elle recouvre la relation entre la politique intérieure de ce pays et la question du Sahara qui fut gérée dans une relation intime avec le pouvoir, les intérêts du pays et des hommes politiques, les luttes de sérail et les rivalités entre les différentes institutions.

La dernière partie de l'ouvrage est consacrée aux trois principales dy- namiques qui en fait constituent les éléments d'un même dénouement. La première est relative aux ralliements, la deuxième au référendum d'auto- détermination et la dernière porte sur la solution politique que pourraient trouver les parties pour régler le conflit.

L'analyse des ralliements des Sahraouis au Maroc permet d'avoir un nouvel éclairage sur l'évolution de ce conflit. Le choix du moment où ils se rallient, les révélations faites à travers leurs récits, leurs itinéraires ainsi que les modalités de leur insertion au Maroc, peuvent constituer un nouveau

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matériau pour une grille de lecture alternative à ce conflit finissant, d'autant plus que cette politique qualifiée de «clémence» par Hassan II, et consi- stant à lancer des appels «aux frères égarés pour regagner la patrie misé- ricordieuse », constitue à n'en pas douter un volet subtil de la stratégie de guerre marocaine, fondée sur l'épuisement de l'adversaire et l 'éclatement du mouvement.

Par ailleurs, malgré les aléas et les ajournements répétés d'une consul- tation admise dans son principe, la réflexion sur le référendum, sur l'é- ventualité de sa tenue, dépasse le cadre juridique de la signification d'un tel acte et représente la fin d'une guerre intermaghrébine de plus de vingt ans qui a constitué pour la monarchie un formidable capital de légitimité suscitant un élan national et provoquant un consensus autour du trône. La fin d'une telle guerre signifie en premier lieu la fin de certaines ressources de légitimation et sans doute la nécessité de trouver une cause de substi- tution à la «récupération des provinces sahariennes», qui s'est avérée fé- dératrice.

Enfin, le départ d'une partie du contingent de la MINURSO, décidé par le secrétaire général de l 'ONU en mai 1996, laisse à penser que les protagonistes pourraient s'orienter vers une solution politique portant sur l'intégration du Sahara et des Sahraouis au Maroc par le biais du projet marocain de décentralisation. Rabat pourrait ainsi se voir confirmer dans son rôle de maître du Sahara, tandis que les Sahraouis du Polisario pour- raient continuer à faire valoir leur identité, mais dans un cadre régional. Ce scénario n'exclut pas, à terme, la tenue d'un référendum qui sanction- nerait, au plan international, le caractère marocain du Sahara.

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Les principales villes du Sahara occidental

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C h a p i t r e p r e m i e r

Le Sahara : un territoire convoité

Le territoire du Sahara occidental s'étend sur une superficie d'environ 266000 k m Enserré entre le Maroc, l'Algérie et la Mauritanie, il ferme économiquement les frontières de l'Ouest saharien des trois États avec les- quels il partage des frontières communes : 445 km avec le Maroc, 1 570 km avec la Mauritanie et une cinquantaine avec l'Algérie. Purement artifi- cielles, ces frontières, comme bien d'autres sur le continent africain, sont le résultat de découpages entre les puissances colonisatrices, en l'occur- rence, l 'Espagne et la France.

Quasiment plat et désertique, ce dernier vestige du second empire co- lonial espagnol est, depuis la restitution de Tarfaya au Maroc en 1958, composé de deux régions distinctes : la Seguiet El Hamra, au nord, qui s'étend sur 80000 k m avec pour capitale Laayoun et au sud, le Rio de Oro avec comme capitale l'ancienne villa Cisnẽros, aujourd'hui Dakhla. En réalité, ces délimitations ne correspondent à rien de précis sur un ter- ritoire de parcours de chameliers, de pasteurs et de commerçants ignorant les frontières politiques et indifférents à celles-ci. Si une présentation ex- haustive de ce territoire n 'a pas sa place dans cet ouvrage, un bref détour par l'histoire nous semble toutefois indispensable de manière à appréhender le conflit du Sahara occidental dans sa composante humaine.

Les références à la population de ce territoire dans les chapitres sui- vants ont rendu quelque peu nécessaire la présentation de cette dimension humaine. Le choix des références aux origines tribales ou la négation de celles-ci par les Sahraouis du Front Polisario, la constitution du corps élec- toral pour l'organisation du référendum d'autodétermination, renvoient à l'identité de la population du Sahara occidental dont il convient de brosser brièvement le tableau, en citant les principales tribus qui peuplaient ce territoire, en évoquant leur organisation durant la période précoloniale et leur résistance aux envahisseurs étrangers. Par ailleurs, la décolonisation conflictuelle de ce territoire nous conduit naturellement à rappeler certains points saillants d'une période durant laquelle ce territoire était sous tutelle espagnole; d'autant que la politique de développement de cette région par le Maroc à partir de 1975 n'est pas sans rappeler, comme nous le verrons plus loin, celle du gouvernement espagnol en 1958. En favorisant le dé-

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veloppement du Sahara occidental, l'Espagne avait pour principal objectif de renforcer les liens de la colonie avec la métropole au moment où les menaces pesaient sur ses possessions en Afrique.

Pour le Maroc, le développement et l 'aménagement de ce même ter- ritoire s'inscrivent dans une stratégie de guerre, consistant à rendre ces régions les plus attrayantes possible pour inciter ou accélérer les ralliements des Sahraouis de Tindouf et provoquer de ce fait une véritable hémorragie dans les rangs du Front Polisario. Dans les deux cas, il s'agit bien d'une politique de sédentarisation, de modernisation et d'implantation de l'État.

LE SAHARA N'EST PAS DÉSERT

P o p u l a t i o n « i n d i g è n e » e t o r g a n i s a t i o n s o c i a l e

Les travaux des historiens, ethnologues et anthropologues sur la r é g i o n permettent aujourd'hui d'avoir une idée relativement précise des popula- tions qui occupaient la région par le passé.

À l'arrivée des Arabes, le Sahara occidental était peuplé de Noirs, de Berbères et de juifs. Les Berbères étaient composés de deux groupes qui s'affrontaient régulièrement : les Sanhaja et les Zénètes. Les premières ex- péditions arabes qui eurent lieu au VII siècle ne réussirent pas à venir à bout de la suprématie des Zénètes dans la région.

Les premiers contacts entre les Arabes du Nord et les tribus commen- cèrent vraisemblablement au IX siècle avec l'établissement d'un commerce

devenu régulier à travers le Sahara. Les grands États arabes de la Médi- terranée occidentale, qui avaient de gros besoins d 'or en provenance d'A- frique noire pour frapper monnaie, envoyèrent des émissaires qui durent s'allier à des tribus locales de façon à contrôler les pistes caravanières. Chaque t r i b u est composée de plusieurs fractions, elles mêmes subdivisées en sous-fractions rassemblant un nombre variable de Khaima ou tentes qui peuvent abriter une, deux ou trois familles. Une vingtaine de tribus noma- disaient dans ce territoire, mais les principales étaient au nombre de huit,

1. Pour notre étude, nous nous sommes particulièrement inspirés des travaux de : BAROJA (Julio Caro), Estudios Saharianos, (Études sahariennes..), Madrid, Instituto de estudios africanos, 1955; GAUDIO (Attilio), «le Sahara occidental espagnol», notes d'études, septembre 1953; LA CHAPELLE (F. de), «Esquisse d'une histoire du Sahara oc- cidental», Hesperis, 11, 1930; JULIEN (Charles André), Histoire de l'Afrique du Nord; éditeur 2; VERGNIOT (Olivier), «L'identité saharienne », mémoire de DEA, Institut d'études politiques d'Aix-en-provence, 1977.

2. Sur les tribus qui nomadisaient dans le Sahara occidental cf. GAUDIO (Attilio), «Les populations nomades de l'Ouest saharien face à la modernité », thèse de doctorat, université de Paris V, 1980; MARTINET (Guy), «Les tribus de la Sakiet el Hamra », Lamalif, 42, octobre 1970, pp. 16-19.

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divisées en quaran te -c inq fract ions : les Reguiba t , les Izatguien, les Ou led Del im, les Ou led Tidrar in, les Ahl Arous ien , les Aï t Lahcen , les A h l M a El Aïn in et les Yaggout.

Les auteurs d ive rgen t l a rgemen t sur la c lass i f ica t ion des di f férentes

tribus, leur popu la t ion et leur local isat ion. Le dern ier r e c e n s e m e n t e spagno l de 1974, établi après une pér iode de sédentar i sa t ion , paraî t de ce fait le

plus fiable. Les di f férentes tribus ava ien t un statut social par t icul ier dans la h iérarchie qui c o m p r e n a i t trois degrés p r inc ipaux ; les guerr ières , cons i - dérées c o m m e les plus nobles , les marabou t iques ou cho r fa d e s c e n d a n t du p rophè te M o h a m m e d et enf in celles inféodées à d ' au t r e s , auxque l l e s el les versa ient un tr ibut en cont repar t ie de la p ro tec t ion qui leur étai t appor tée (tributaires). Elles ava ien t des act ivi tés spéci f iques et c i rcula ient généra le - men t dans des aires b i en dé te rminées ; ainsi les Regu iba t , qui sont berbères

Sanhadja , sont p r inc ipa l emen t guerr iers et a c c e s s o i r e m e n t pas teurs , appelés les « f i l s des n u a g e s » ; ils se dép laça ien t en Maur i t an ie , dans le sud du Maroc et de l 'Algér ie . Mai s de man iè r e plus précise , les Regu iba t son t fo rmés de deux grands g roupes et nomad i sa i en t sur des aires p o u v a n t se c h e v a u c h e r ; les Regu iba t Sahal à l 'oues t , du Z e m m o u r au Tagant en Mau- r i tan ie ; ils sont a u j o u r d ' h u i mau r i t an i ens ; les R e g u i b a t L g o u a c e m pou- vaient quant à eux c i rculer au sud du M a r o c et en par t icu l ie r dans la val lée de l 'Adrar . Les R e g u i b a t qui représen ten t la tr ibu la plus impor tan te nu- mér iquement , on t été les p r inc ipaux maî t res de la rég ion de la Segu ie t El Hamra , du Rio de O r o et du Drâa j u s q u ' à la co lon isa t ion espagnole , qu ' i l s ont comba t tue fe rmement . Les T e k n a autre tr ibu berbère , est r ep résen tée au Sahara e spagno l pa r trois composan t e s d is t inctes : les Izarguien, les Aït Lahcen et les Yaggout . Leu r centre étai t local isé dans la région de Tarfaya,

rest i tuée par l ' E s p a g n e au M a r o c en 1958, o n les re t rouva i t é g a l e m e n t dans le sud du M a r o c et dans la Seguie t El Hamra . Les Tekna sont sédenta i res au nord et n o m a d e s au sud où ils p ra t iqua ien t un c o m m e r c e caravanier . D ' o r i g i n e Maqui l , la tribu des Ou led D e l i m occupa i t le sud-oues t du R io

de Oro entre Villa C i snè ros et le Cap b lanc ; duran t la co lon isa t ion espa- gnole ils en t rè ren t en n o m b r e dans la fonc t ion publ ique , et e s sen t i e l l emen t dans la police locale. Out re les tr ibus a rabes ou berbères , vivait é g a l e m e n t au Sahara occidenta l une popu la t ion négro ïde don t les ancêtres , esclaves , furent jad is amenés des rég ions si tuées plus au sud. N ' a y a n t pas été re-

3. Sur les Reguibat Lgouacem, lire l'article de CAUNEILLE (A.) et DUBIEF (J.), «Les Reguibat Lgouacem, chronologie et nomadisme », in Bulletin de l'Institut français d'A- frique noire, série B, 17 (3-4) juillet-octobre 1955, pp. 528-550.

4. Sur les Reguibat on peut se reporter aux travaux de CAUNEILLE (A.), «Les nomades Reguibat », travaux de l'Institut de recherches sahariennes, 6, 1950, pp. 83-100; HART (Da- vid M.), «The social structure of the Rgibat Bedouins of the western Sahara», The Middle East Journal, 16 (4), automne 1962, pp. 515-527 ; LESOURD (M), « Les Reguibat du Sahara occidental », Paris, CHEAM, 10 février 1964 (rapport de colloque).

5. Sur les Tekna, voir LA CHAPELLE (F. de), «Les Tekna du Sud marocain, étude géographique, historique et sociologique », Paris, publications du Comité de l'Afrique fran- çaise, 1934, 112 p.

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censée par l ' admin i s t r a t ion espagnole en 1974, on en ignore le nombre réel. Néanmoins , il semblera i t que cette popula t ion composée d 'esc laves et d ' a f f ranch i s ait été peu nombreuse .

Le Sahara occidenta l se présenta i t ainsi c o m m e une vaste é tendue aux mains des berbères Sanhad ja aux prises avec l ' é l é m e n t Zénète au nord et l ' é l é m e n t noir au sud. Avant l ' a r r ivée des Arabes , ce sont les interrelat ions

de ces trois ensembles qui on t fait l 'h i s to i re du Sahara occidental .

« L ' é l é m e n t arabe a appor té une qua t r ième variable sur le plan des acteurs h is tor iques mais le déco r lui restai t inchangé. Il fallait toujours maî t r i ser la zone déser t ique l imitée au nord par la zone " t ampon" des oasis et au sud, la zone " t a m p o n " plus large qui va des oasis de l ' A d r a r au

f leuve S é n é g a l » La conquê te et la maîtr ise de ces zones t ampons al laient p o u r la p remiè re fois faire éc la ter l ' e s p a c e habi tuel des nomades , et réal iser une unité spirituelle du Soudan à l 'Espagne La première expédition arabe au Maghreb, conduite par Oqba Ibn Nafâa, date de 681 et semble avoir atteint le Sahara et plus précisément ce qui deviendra un avant-poste des forces espagnoles : Farisia. Relativement peu importante, cette première expédition a néanmoins constitué le premier contact des berbères Sanhadja avec l'Islam. L'invasion arabe proprement dite s'est produite au moment où les Almoravides quittaient le désert. La fragile cohésion qu'ils y avaient forgée s'est rapidement effritée dans des conflits entre tribus et en parti- culier lors de la bataille de Tagant en 1087. Ce n'est que deux siècles plus tard que les tribus arabes bédouines venues d'Égypte ont pu venir à bout de la résistance Sanhadja au Sahara.

Mais les premières incursions arabes au Maghreb qui dataient du VIIe siècle n'ont eu en réalité qu'un faible impact sur les populations locales par le biais de leur conversion à l'Islam. Au-delà de cette conversion, la langue arabe n'était parlée que dans les villes. Les véritables mutations linguistiques se feront après l'invasion des tribus bédouines envoyées par le calife fatimide d'Égypte qui venait de se soustraire à l'autorité du su- zerain fatimide.

Si les deux principales tribus envoyées par les Fatimides d'Égypte (Be- ni Helal et Beni Soulaïm) n'ont pas réussi à atteindre le Sahara occidental, en revanche une autre peuplade arabe - les Maquil, probablement origi- naires du Yémen - a traversé à son tour l'Afrique du Nord passant par le désert. Au début du XII siècle, les Maquil sont parvenus à s'installer dans les oasis du Drâa et le long de la côte atlantique; mais lorsqu'ils voulurent franchir la chaîne de l'Atlas pour s'installer dans les plaines de l'Atlantique, ils durent affronter les expéditions punitives dirigées contre eux par les Mérinides, nouveaux maîtres du Maroc. Quelques Maquil issus des tribus dites Beni Hassan quittèrent alors la vallée du Drâa en direction du sud vers le Sahara occidental. L'infiltration qui commença au XII siècle fut progressive et dura deux ou trois siècles.

6. VERGNIOT (Olivier), L'Identité sahraouie, op. cit., p. 79. 7. Ibid.

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C h a q u e tribu et f ract ion du Sahara occ identa l conf ia i t la ges t ion de ses affaires à une a s semblée ( D j e m a a ) au sein de laquel le se réunissa i t tous les h o m m e s libres du c a m p e m e n t , d ' u n e f rac t ion ou d ' u n e t r ibu ; des

h o m m e s qui, pa r leur âge, leur piété, leur r ichesse ou leur hérédi té , ins- pi ra ient respect et dignité. Le c h e f de l ' a s s e m b l é e ou Cheikh étai t tradi- t ionne l lement choisi pa rmi les occupan t s des tentes les plus nobles du

campemen t , mais l ' â g e pouva i t é g a l e m e n t ent rer en l igne de compte . Si la dé tent ion de cet te fonct ion est en pr inc ipe hérédi ta i re , la D j e m a a n ' é -

chappai t pas p o u r au tan t à l ' empr i se des notables. L ' a s s e m b l é e avai t de mult iples fonc t ions ; elle était n o t a m m e n t chargée d ' i n s t a u r e r les lois pro- pres à régir le g roupe (orf), d ' a p p l i q u e r la loi i s l amique ( C h a r i a ) et de n o m m e r un j u g e chargé d ' a p p l i q u e r la jus t ice (Cadhi ) . Au n iveau de la tribu, cette a s semblée appelée Aït a r b a ï n ou consei l des quaran te étai t pré-

sidée par un m o q u a d e m et se réunissai t géné ra l emen t en sess ions ext raor- dinaires en t emps de guer re p o u r n o m m e r un c h e f mil i ta i re ( d a h m a n ) , organiser la défense de la tr ibu ou déc ider d ' u n e s t ratégie d ' a t t aque .

En réalité, les tr ibus guerr ière et m a r a b o u t i q u e é ta ient les vér i tables

détent r ices du pouvo i r qu ' e l l e s se pa r t agea ien t dans un rappor t de force p e r m a n e n t m ê m e si, se sachant complémen ta i r e s , el les se comba t t a i en t peu : « P o u r pr ie r et cu l t iver la science, les marabou t s ont beso in des guerr iers qui assurent leur p ro tec t ion en échange de bénéd ic t ion et de cadeaux . A r m é s de leur pac i f i sme, les marabou t s p e u v e n t d i spense r une idéo logie qui agit peut-être plus p r o f o n d é m e n t que la force pol i t ique a rmée p r o m p t e et effi- cace des g u e r r i e r s Dans la tr ibu marabou t ique , la D j e m a a étai t toute- puissante, tandis que le Cheikh n ' e n étai t que le s imple por te -paro le ,

exécu tan t des décis ions pr ises en son sein. En revanche , dans la tr ibu guer- rière, les pouvoi r s du Cheikh é ta ient très é t endus ; il déc ida i t de la guer re et de la paix, d i r igeai t les combat tan t s , renda i t la jus t ice .

L a p é r i o d e p r é c o l o n i a l e

La pér iode préco lon ia le ne nous intéresse q u ' i n d i r e c t e m e n t p o u r l ' ana lyse que nous fa isons du conf l i t sahar ien, néanmoins , et dans la m e s u r e où les

causes du conf l i t ont pu à cer ta ins éga rds s ' e n r a c i n e r dans des an técédents

lointains, il para î t utile d ' e n re t racer les g rands traits p o u r une mei l l eure c o m p r é h e n s i o n des rapports qui ont pu exis ter ent re les popu la t ions locales , les Européens et les Maroca ins . Cet te pé r iode qui se situe avant la colo- n isa t ion espagnole a été m a r q u é e à la fois pa r de mul t ip les ten ta t ives de

la part des Européens de s ' é t ab l i r sur la côte occ iden ta le de l ' A f r i q u e et par les in tervent ions du M a r o c au Sahara .

Ent re le I X et le XVI siècle, le M a r o c avai t tenté à p lus ieurs repr ises d ' é t ab l i r sa p résence au Sahara , voire m ê m e j u s q u ' a u Soudan . Mai s aussi bien sous les Idrissides, les A l m o r a v i d e s que les A l m o h a d e s , a u c u n con t rô le

8. Ibid., op. cit., p. 103.

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réel n ' a pu être exercé sur la zone qui nous retient. Certes, à la fin du XIV siècle, les Mér in ides , des Berbères venus du Tafilalet et du Touat,

ont eu à repousser les invas ions des arabes Maqui l au Maroc , en lançant cont re eux des expédi t ions j u s q u ' a u Tafi lalet et m ê m e jusque dans la Se- guie t El Hamra . Vers 1492, ils ont dû faire face à une autre tentat ive de conquê te p o u r pa rven i r à é tendre leur inf luence sur les oasis du Touat et

du Goura ra mais ces act ions para issa ient isolées et éphémères , v isant prio- r i ta i rement à p ro tége r le M a r o c de ses ennemis , et à permet t re un mei l leur cont rô le du c o m m e r c e caravanier . Au début du X V siècle, le r oyaume ma- rocain divisé a subi l ' implan ta t ion por tuga ise et l ' a r r ivée des chré t iens ; alors que M a r r a k e c h est cont rô lée par des tr ibus berbères insoumises , la flotte por tuga ise arr ive à C e u t a en 1471 et s ' e m p a r e s imul tanément de Ksar Es Seghir , d ' A r z i l a et de Tanger.

Les événemen t s qui se sont produi ts en Espagne avec la réal isat ion de l 'un i té de l ' E s p a g n e chré t ienne (1478) puis la chute de Grenade (1492)

n ' o n t pas manqué d ' a v o i r des re tombées sur le Maroc où s ' é ta i t déve loppé un c l imat ant i -chrét ien. L ' implan ta t ion por tuga ise et e spagno le sur les côtes sahar iennes inquiè te le sultan maroca in qui craint une dévia t ion du trafic ca ravan ie r vers les comptoi rs . A u Sahara , cet te menace européenne est ve- nue s ' a j ou t e r aux b ravades de l ' empi re Songhay du XVI siècle, qui au som- met de sa pu i s sance cont rô le le déser t j u s q u ' a u x salines de Teghaza, le c o m m e r c e de l 'or , du sel et de la kola. Avec la conquête chré t ienne au nord, l ' a r r ivée des O t tomans à l 'es t , en Algér ie et l ' expans ion de l ' emp i r e Songhay au sud, les compto i r s du royaume maroca in se réduisent consi- dé rab lement . Le M a r o c n ' e s t plus en mesure de cont rô ler ses sources d ' a p - p rov i s i onnemen t ni m ê m e d ' a s s u r e r l ' a c h e m i n e m e n t des marchandises . C ' e s t pour ten ter d ' é c h a p p e r à cette s i tuat ion b loquée que les Saadiens d ' abo rd , les Alaou i tes ensui te , vont se tourner vers le sud en déve loppan t

une pol i t ique en di rec t ion du « S a h a r a lo in ta in» . Dans un p remier temps, p o u r con t rô le r p r inc ipa lement le c o m m e r c e du sel, don t les mines sont aux mains du pr ince Songhay, le M a r o c lance une série d ' expéd i t ions qui se so lderont par des échecs.

M o u l a y Ismaï l (1672-1727) , dont la mère était une esc lave noire du Sahara , fut p ra t iquemen t le seul sul tan alaouite à avoi r j oué un rôle im- por tan t au Sahara. Il avai t réussi à pacif ier une grande par t ie du royaume et à régner en maî t re absolu sur le M a r o c 9 ; il pacif ia les rebelles, fit re- connaî t re son autori té sur le Bled Es Siba, mi t les Turcs en échec et é l imina

p resque toutes les enc laves chré t iennes de la côte a t lant ique marocaine. Pour cela, M o u l a y Ismaï l avai t beso in d ' u n e armée puissante et f idèle ; c o m p o s é e de 150 000 esclaves (abid) , son a rmée régulière nécessi tai t de nouvel les recrues que le sul tan pensa i t pouvoi r se procurer à Tombouc tou où les pachas r econnuren t l ' au tor i té nomina le du sultan. Ce fut la p remière ra ison qui mot iva M o u l a y Ismaï l à en t reprendre des expédi t ions . La seconde

9. Sur l'intervention des sultans marocains au Sahara occidental, voir LA CHAPELLE (F. de), «Esquisse d'une histoire du Sahara occidental», op. cit., pp. 35-95.

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avait bien sûr pour but de réorienter le commerce transsaharien vers le Maroc.

Entre le XVI siècle et la fin du XIX les expéditions envoyées par le sultan du Maroc au Sahara ont été isolées et épisodiques. Frédéric de la Chapelle qui a retracé l'histoire des interventions marocaines au Sahara a pu conclure : «Toutes ces interventions, trop rapides, trop espacées et trop incohérentes, furent à peu près sans influence sur l'histoire du S a h a r a

Le S a h a r a e s p a g n o l

La colonisation du Sahara occidental par l'Espagne s'est faite selon un processus très lent". Les Espagnols ont commencé leur installation sur la baie de Rio de Oro en 1884, date à laquelle ils placent la région sous leur protectorat, en dépit des résistances rencontrées de la part de quelques tri- bus locales. Les frontières de la colonie, quant à elles, ne seront fixées qu'entre 1900 et 1912 au terme de trois traités signés entre la France et l'Espagne. L'occupation de l'intérieur du pays, beaucoup plus tardive, s'est faite à partir de 1934 avec l'aide militaire de la France.

Le Premier ministre Antonio de Canovas del Castillo, un nombre im- portant d'hommes politiques espagnols et les partis d'opposition s'interro- geaient sur l'opportunité d'un protectorat espagnol au Sahara au moment où l'Espagne se voyait contrainte d'abandonner trois de ses colonies : Cuba, Puerto Rico et les Philippines. Le gouvernement espagnol accepta cepen- dant la fondation de cette colonie sous la pression du puissant «groupe des africanistes» qui pensait tirer un profit commercial de l'expansion es- p a g n o l e e n A f r i q u e C e t t e p r e s s i o n s ' e s t e x e r c é e a u m o m e n t o ù l e t r a i t é

d e B e r l i n f i x a i t l e s r è g l e s d e p a r t a g e d e l ' A f r i q u e . L a S o c i é t é e s p a g n o l e

d e s a f r i c a n i s t e s , q u i b é n é f i c i a i t d e l a s y m p a t h i e d e l a f a m i l l e r o y a l e e t d u

s o u t i e n d e p l u s i e u r s h o m m e s d ' a f f a i r e s , l a i s s a e n t e n d r e a u g o u v e r n e m e n t

q u e s ' i l n e r e v e n d i q u a i t p a s t r è s r a p i d e m e n t l a c ô t e s a h a r i e n n e , u n e a u t r e

p u i s s a n c e e u r o p é e n n e p o u r r a i t a l o r s l e f a i r e , d e v a n ç a n t a i n s i l ' E s p a g n e .

D ' a u t a n t q u e l a F r a n c e , q u i o c c u p a i t d é j à l ' A l g é r i e e t l a T u n i s i e e t a v a i t

m a n i f e s t é s a v o l o n t é d e n o u e r d e s l i e n s c o m m e r c i a u x a v e c l e N o u n , n e

p o u v a i t q u ' ê t r e i n t é r e s s é e p a r l a c ô t e s a h a r i e n n e . C ' e s t d o n c p o u r d é j o u e r

l e s p r o j e t s d e c e s c o n c u r r e n t s q u e l a S o c i é t é e s p a g n o l e d e s A f r i c a n i s t e s

d é c i d a d ' e n v o y e r E m i l i o B o n e l l i e n r e c o n n a i s s a n c e s u r l a c ô t e s a h a r i e n n e

e n n o v e m b r e 1 8 8 4 . L a c o m p a g n i e c o m m e r c i a l e h i s p a n o - a f r i c a i n e a v a i t f a i t

c o n s t r u i r e u n e f o r t i f i c a t i o n à D a k h l a e n 1 8 8 5 , q u i a v a i t é t é s a c c a g é e t r o i s

m o i s a p r è s s o n é d i f i c a t i o n p a r l a t r i b u d e s O u l e d D e l i m , h o s t i l e à l ' i m -

10. Ibid., op. cit., p. 82. 11. AZAM (P.) et CAUNEILLE (J.), «L'Afrique occidentale espagnole », Paris, CHEAM,

mémoire n° 1 009, juillet 1946. 12. Sur les raisons qui ont pu amener l'Espagne à intervenir au Sahara occidental

cf. MIÈGE (J.-L.), «Les origines de la colonie espagnole du Rio de Oro», in Le Sahara, rapports et contacts humains, Aix-en-Provence, faculté des lettres, 1967, pp. 193-221.

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planta t ion espagnole , et qui avai t coûté la vie à p lus ieurs employés de la compagn ie . M a l g r é cet inc ident qui a a m e n é le Premier ministre espagnol à mani fes te r de n o u v e a u que lques hési ta t ions quan t au b ien- fondé de cette

colonisa t ion , les Cor tès ont fait press ion sur lui afin que le gouve rnemen t con t inue à souteni r l ' en t repr i se de Rio de Oro. Celui-ci f init alors pa r ga- rantir, au n o m du g o u v e r n e m e n t que lque 2 0 0 0 0 nouvel les act ions de la

C o m p a g n i e et envoya un d é t a c h e m e n t mil i ta ire à Dakh la qui deviendra Villa Cisnèros . U n décret royal plaça, le 10 ju i l le t 1885, toute la côte entre le Cap b lanc et le Cap Bo jado r sous la responsabi l i té adminis t ra t ive du minis t re d ' o u t r e - m e r à Madr id .

Le traité du 2 mars 1894 entre un che f des Ou led De l im (le cheikh

O u l d Larouss i ) et les Espagnols , est venu mettre un te rme aux mult iples a t taques des Sahar iens , é m a n a n t essen t ie l l ement des Ouled Delim, contre

la p ré sence espagnole . Mai s tandis qu ' i l s gagna ien t la conf iance des indi-

gènes , les Espagno l s réal isaient que le proje t commerc i a l de la compagn ie h i spano-af r ica ine étai t un échec total. En cette fin du XIX siècle, le

c o m m e r c e sahar ien d iminua i t cons idé rab lemen t et les rares produi ts vendus par les Sahar iens aux Espagnols , telles les p lumes d ' au t ruche , subissaient la chute des prix sur le marché mondia l , en ra ison de la concur rence sud- afr icaine. Conf ron tées à cet échec commerc ia l , les sociétés qui ava ient in- vesti dans le projet on t d e m a n d é et ob tenu des crédi ts avantageux du g o u v e r n e m e n t qui a dû alors suppor te r le coût de l ' adminis t ra t ion et de la défense du terri toire de Rio de Oro.

Au te rme des deux convent ions , de Paris (1900 et 1904) et de Madr id

(1912), les front ières du Sahara espagnol comprena ien t désormais le Rio de Oro et la Seguie t El Hamra . L ' E s p a g n e disposai t éga l emen t d ' u n e zone d ' i n f l uence dans la région de Tarfaya - qui est devenue un protec tora t sous le n o m de M a r o c mér id iona l espagnol - et d ' u n e enc lave à Ifni. L 'occu- pa t ion de ces terri toires restai t à faire et ne s ' opé re r a que vingt-c inq ans plus tard. En dépi t des a t t r ibut ions faites à l ' E s p a g n e au terme des trois traités préci tés , la p résence des Espagnols s ' e s t l imitée à Tarfaya, Villa Cisnèros et la Güe ra où ils d i sposa ien t d ' ins ta l la t ions c o m m e r c i a l e s ; jus- q u ' e n 1952 la p résence dans ces trois centres n ' é ta i t assurée que par quel- ques militaires. J u s q u ' e n 1934, l ' a r m é e e spagno le n ' a pas déployé d 'ef for ts par t icul iers p o u r con t rô le r l ' in té r ieur du pays, alors que les t roupes fran- çaises on t comba t tu M a El Ain in en 1910 et son fils El Hiba en 1912 avant de prendre S m a r a et de met t re ainsi f in au pr incipal m o u v e m e n t de rés is tance et pe rmet t re la péné t ra t ion européenne dans la région. En 1943, les Français paci f ièrent le sud m a r o c a i n et apa isèrent les conflits algéro- maroca ins qui échappa ien t à leur contrôle ; ils occupèren t le sud maroca in et la rég ion de T i n d o u f et soumiren t les Regu iba t Lgouacem. Les Espagnols prof i tèrent de cet te paci f ica t ion p o u r occupe r l ' in té r ieur du territoire, es- sen t ie l lement Smara, le Rio de Oro et Ifni.

L ' E s p a g n e voulut uni f ie r l ' admin i s t r a t ion de ses possess ions dans la région, en dépi t de leurs di f férents statuts ju r id iques : protec tora t de la zone nord et de la région de Tarfaya, concess ion d ' I fn i et colonie du Sahara espagnol . Les terri toires e spagno l s furent alors placés sous l ' au tor i té du

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