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DOSSIER N°24 MAI 2009 25LES CAHIERS DE LA COMMUNICATION INTERNE Quand la Communiquer une ambition stratégique : le cas AXA L’engagement : un véritable carburant pour les organisations moines-de-cluny.com ET DANS CE NUMÉRO passe en mode « crise » communication interne

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DOSSIER

N°24MAI 2009

25€

LES CAHIERS DE LA COMMUNICATION INTERNE

Quand la

Communiquer une ambitionstratégique: le cas AXA

L’engagement : un véritable carburant pour les organisations

moines-de-cluny.com

ET DANS CE NUMÉRO

passeen mode «crise»communication interne

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Directeur de publication : Pierre Labasse • Rédacteur en chef : Guillaume Aper • Comité de rédaction : Dominique Albet-Mellinger, Robert de Backer, Jean-Philippe Cathelin, Jean-Marie Charpentier, Laurence Hurstel, Jean-Yves Larour,Pascal Moisy, Françoise Plet-Servant • Secrétariat de rédaction : A ÉDITORIAL© • Délégation générale de l’Afci : Laurence Hurstel 15, avenue Victor Hugo, 92170 Vanves; Tél. : 01 41 09 05 24; Email : [email protected] • Éditeur: A ÉDITORIAL©; Tél. : 01 42 40 23 00 • Dépôt légal : 2e trimestre 2009, Achevé d’imprimer en mai 2009 • Imprimeur : Printimage - Paris • ISSN: 1286-4072

Publication de l’Association Française de Communication Interne (Afci)

SommaireCommuniquer une ambition stratégique Le cas AXA: devenir la société préférée ______________________________ p. 2Valérie Perruchot Garcia, directeur de la communication interne du groupe AXA, présidente de l’Afci,Louis-David Benyayer, associé du cabinet Vobiscum

Le « désir d’agir » et les mots_______________________________________ p. 6Florence Duriez, coach consultante chez Inergie Management, Mariette Darrigrand, sémiologue, directrice ducabinet-conseil Des faits et des signes

L’engagement: un véritable moteur pour les organisations ____ p. 11Maurice Thévenet, professeur à l’ESSEC et au CNAM

moines-de-cluny.com __________________________________________________ p. 14Robert de Backer, administrateur de l’Afci

Quand la communication interne passe en mode «crise» ________ p. 19

Une crise, des crises, la criseJean-Yves Léger, consultant en communication, directeur pédagogique, Chaire Communication et Management de l’ESSEC

La crise : le choc du souhaitable et du possibleStéphane Rozès, président de Cap Études

Salariés, entreprises : l’urgence d’un nouveau contrat socialJean-Marie Besse, partner EuroRSCG C&O

Communiquer mondialement dans un contexte profondément mouvantNicolas Cote, responsable RH et communication de la société Bouygues Bâtiment International

« Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle… »Pascal Moisy, administrateur de l’Afci

Communiquer quand rien ne va plusThierry Garnier, responsable de la communication interne de Renault Trucks, administrateur et ancien président de l’Afci

Paroles de crise : le discours des dirigeants à la loupeGuillaume Aper, directeur adjoint de la communication de JCDecaux, vice-président de l’Afci

Lu pour vous __________________________________________________________ p. 40Approches communicationnelles des organisations, Sciences de la société, n° 74, 2008Mon entreprise face à la crise, Emmanuelle Tran Thanh Tam et Denis Boulard, Éditions Editea, février 2009 - Les valeurs : donner du sens, guider la communication, construire la réputation, Thierry Wellhoff, Éditions d’Organisation

La chronique du net _________________________________________________ p. 42 Michel Germain

DOSS

IER

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l y a dix ans, le 1er janvier 1999, la monnaie unique était introduite dansonze pays de l’Union européenne. En dehors des couloirs des institu-tions européennes et des colonnes de la presse financière, l’anniversairen’a fait aucun bruit, ni en France ni ailleurs. Étonnant. Non seulementparce que l’euro est aujourd’hui le signe le plus tangible de la réalité de

l’Europe dans la vie quotidienne des habitants des pays qui l’ont adopté,mais parce qu’il constitue une de ses plus belles réussites. Bien qu’il n’ait pastenu toutes les promesses du traité de Maastricht, son succès est incontes-table. Il s’est imposé comme une monnaie stable et reconnue internationa-lement. Il a entraîné la fin des dévaluations sauvages à l’intérieur ducontinent, l’assainissement de la concurrence et finalement le renforcementde l’économie des pays qui l’ont adopté.

Pourtant, malgré son bilan largement positif, il souffre d’une désaffectionévidente de la part des Français. En dix ans d’existence, il n’a pas réussià gagner en popularité. Il aurait même plutôt perdu. Raison principale : il est accusé d’avoir provoqué l’augmentation des prix. Or les statistiquesmontrent que ce grief est sans fondement : entre 1998 et 2008 la hausse desprix à la consommation en France n’a pas dépassé 16 %, soit moins de1,6 % en moyenne annuelle et moins que durant les dix années précédentes(2 %). Faut-il ajouter que l’euro ne peut être tenu pour responsable del’augmentation du coût des matières premières ou de l’immobilier ?

Mais il est incontestable que les prix de certains produits ou services usuelsont sensiblement augmenté au moment du passage à la monnaie unique.Des boulangers, des cafetiers, des coiffeurs ou des garagistes ont profité del’aubaine et ont pratiqué la conversion à leur avantage. Et les consomma-teurs n’ont remarqué que cela… Or, très imprudemment, le gouvernement,désireux de conjurer toutes les craintes, avait assuré que le passage à l’euron’entraînerait aucune augmentation des prix. Erreur funeste ! Car c’est bienla communication déployée au départ qui est en cause. À part quelquesavantages pratiques sans grand intérêt pour la majorité des citoyens, elle asurtout insisté sur les inconvénients que l’euro n’entraînerait pas. Elle s’estaussi focalisée sur les problèmes de conversion qui étaient sans utilité réelleavant le passage effectif et ne pouvaient qu’effrayer les gens. Et surtout, elleest largement passée à côté du message essentiel : l’Europe…

I

Éditorial

Il est toujoursdangereux de setromper de message…

Pierre Labasse Président d’honneur de l’Afci

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Les cahiers de la communication interne n° 24 - Mai 2009

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Le projet d’entrepriseAmbition 2012

AXA est une entreprise ambitieuse. En vingt ans, leGroupe a réussi à se hisser parmi les leaders mon-diaux de son secteur, la protection financière. Sur lapériode récente, l’ambition a suivi l’évolution de laposition du Groupe. Devenir la référence mondialedu métier puis devenir leader sur le métier et enfindevenir la compagnie préférée des clients, collabo-rateurs et actionnaires. Cette évolution rejoint celledes groupes comparables à AXA révélée dans uneétude de Vobiscum qui identifiait un cycle périmètre-positionnement - image1.

Pourquoi chercher la préférence?Ambition 2012 est le nom du projet d’entrepriselancé en mars 2005 par Henri de Castries, présidentdu directoire d’AXA. Après la crise qui a touché lesmarchés financiers en 2001, dont AXA est sorti renfor-

cé, le Groupe a constaté qu’il souffrait d’un déficitd’image, qu’il était jugé froid et distant. Ce déficit ris-quait de retarder ou d’empêcher l’atteinte de la posi-tion de leader sur son marché. Ainsi, en complémentd’objectifs économiques (doubler le chiffre d’affaireset tripler le résultat opérationnel), le Groupe a formu-lé son ambition de façon plus qualitative : conquérirla préférence de ses clients, actionnaires et collabora-teurs. Cette formulation qualitative n’est pas seule-ment complémentaire des objectifs financiers,chercher la préférence est identifié comme un moyend’atteindre les objectifs économiques. En effet, dansun marché où la fidélité des clients diminue et où laconcurrence s’accroît, la différenciation par la qualitéde service est un vecteur de conquête du marché.Également, dans un métier de service, l’engagementdes collaborateurs a un impact direct sur la qualité deservice délivrée au client. Le Groupe veut ainsigagner leur préférence en devenant notamment unemployeur de référence.

Les ambitions véhiculent des évolutions importantes en termes de mission, destratégie, d’organisation ou de compétences. Afin que les discours ne restent pasincantatoires, le rôle de la communication interne est double : faire œuvre depédagogie pour légitimer le but, et agir pour transmettre de nouvelles valeurs,de nouveaux comportements. Cependant, on dispose de relativement peu d’infor-mations sur la façon dont les groupes communiquent leur ambition en interne,sur le dispositif par lequel celle-ci est transmise aux collaborateurs. Commentcommuniquer en interne une ambition stratégique ? Quels sont les dispositifsmis en œuvre et quels sont les impacts sur les collaborateurs ? Partant des résul-tats des études menées par le cabinet Vobiscum, Valérie Perruchot Garcia etLouis-David Benyayer analysent l’exemple de l’ambition d’AXA : devenir la socié-té préférée d’ici 2012.

Valérie Perruchot Garcia,Louis-David Benyayer

Communiquer une ambition stratégique

Le cas AXA :devenir la société préférée

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constituée en task force hebdomadaire (« AXAbrand Spirit »). En effet, devenir la société préféréenécessite de construire une différence claire pourles clients. La task force définit les contours de cettedifférenciation et ainsi le territoire de la marqueAXA : AXA passe de la promesse à la preuve et s’en-gage aux côtés de ses clients. Afin de réaliser la pro-messe et d’être dans une stratégie de la preuve, laculture de service et les compétences ont été renfor-cées autour de trois attitudes : disponible, attention-né, fiable. Dans ce contexte, la satisfaction client estmesurée.Customer Scope est une enquête menée auprès desclients pour mesurer leur satisfaction et le niveau dequalité avec lequel ils sont pris en charge. Deux foispar an, la satisfaction de plus de 80000 clients dans41 entités du Groupe (30 pays) est mesurée. Lesclients sont interrogés sur leur perception après leurexpérience d’achats (affaires nouvelles) et de services(sinistres, rachats, gestion courante…). Cette enquêtecouvre l’ensemble des contrats représentatifs.Un KPI (Key Performance Indicator) de satisfactionclient unique est calculé sur la base de l’ensembledes réponses (clients satisfaits et insatisfaits). Afind’obtenir un seul indicateur de satisfaction pour leGroupe, le calcul se fait en agrégeant les KPIs de cha-cune des entités en appliquant une règle de pondéra-tion basée sur le chiffre d’affaires. Chaque année, unobjectif de satisfaction client est fixé pour le Groupeet pour chaque entité intégrée au KPI du Groupe.Le KPI s’attache à s’assurer de l’atteinte d’un desobjectifs émotionnels du Groupe, qui est de gagnerla préférence de ses clients. Les résultats de CustomerScope sont utilisés pour identifier des actions cibléesà mettre en œuvre pour satisfaire les clients au maxi-mum et, ainsi, gagner leur préférence.Socle principal de l’amélioration du service et de laconquête de la préférence des clients, l’engagementdes salariés a fait l’objet d’une attention et d’un trai-tement particulier. L’engagement constitue unedimension clé de productivité, d’avantage concur-

Comment passer du discours à l’acteL’étude de Vobiscum sur la communication des ambitions met en exergue trois conclusionsprincipales 2 :• les ambitions sont généralement jugées positive-ment par les collaborateurs ;

• la formulation d’une ambition n’est pas directe-ment facteur de motivation ou d’implication maisdavantage vecteur de sens ;

• si leur impact est fort sur la stratégie et l’organisa-tion, il est en revanche faible sur les politiquesinternes.

Ainsi, la réalisation ne va pas de soi ; comment AXAest-il passé du discours à l’acte, de la promesse àla preuve ?

Le dispositif deconquête de la préférence

Le dispositif de conquête de la préférence est àdouble niveau. D’une part, des actions ont étélancées pour chacune des trois cibles – clients,actionnaires et collaborateurs. D’autre part, onobserve que la conquête d’une cible a des impactssur la conquête de l’autre, renforçant ainsi le dispo-sitif. Enfin, on constate que la mesure d’atteintedes résultats est utilisée de façon dynamique pourrenforcer le plan d’action.

Conquérir les clients par la marque, le niveau de service et l’engagement des collaborateursPour conquérir la préférence des clients, AXA s’estappuyé à la fois sur une stratégie de marque et surune stratégie RH de renforcement de l’engagement.Pour concevoir et accompagner le nouveau posi-tionnement de la marque, l’équipe de direction(CEO, DRH Groupe, Directeur communicationGroupe, Directeur excellence opérationnelle,Directeur marketing, Directeur de la marque) s’est

3

Le dispositif de conquête de la préférence d’AXA

Conquérir la préférence des collaborateurs• Inciter à l’atteinte des objectifs financiers

et clients• Densifier la culture avec la marque• Former• Mesurer par une enquête annuelle

Conquérir la préférence des actionnaires• Formuler et atteindre des objectifs financiers

conformes aux attentes• Générer de la valeur par la marque

Conquérir la préférence des clients• Se positionner comme une marque mondiale• Renforcer le niveau de service par un

meilleur engagement des collaborateurs• Mesurer par une enquête annuelle

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rentiel et de satisfaction ou de rétention client. Il stimule la qualité de service et la performance.C’est pourquoi il est mesuré au travers de l’enquêted’opinion interne annuelle Scope qui permet à tousles collaborateurs du Groupe d’exprimer leur opi-nion sur leur entreprise.Plus qu’un outil d’évaluation, Scope Collaborateurest un levier pour atteindre l’Ambition 2012 : écouteproactive des salariés, amélioration de la compré-hension des raisons de l’engagement et du désenga-gement des collaborateurs, identification des forceset faiblesses d’AXA en tant qu’employeur, mise enplace de plans d’action. Scope est un outil d’aide aumanagement ; c’est un outil de gestion concret, per-mettant aux managers de progresser dans leur rôle etd’atteindre de meilleurs résultats d’activité grâce àdes collaborateurs plus efficaces, car plus impli-qués. Les managers sont invités à exploiter les résul-tats de Scope comme un mécanisme d’auto-évaluationleur permettant ainsi d’améliorer la gestion de leurpropre organisation.

Conquérir la préférence des collaborateurspar la communication et la formationLe Groupe a affirmé sa volonté de devenir employeurde référence. Au lancement du programme Ambition2012, la fidélisation des collaborateurs est identifiéecomme un axe d’amélioration, une partie importan-te d’entre eux étant prêts à quitter le Groupe pourune offre plus attirante. Afin d’améliorer la fidélisa-tion et l’engagement de ses collaborateurs, leGroupe a engagé des actions de plusieurs natures.Passeport 2012 est une initiative clé destinée à per-mettre à chaque collaborateur de répondre à deuxquestions : « Comment (en tant que collaborateur)vais-je contribuer à Ambition 2012? » et « CommentAXA/mon manager (en tant qu’employeur) facilitera-t-il ma contribution à Ambition 2012 et m’aidera-t-ilà construire mon avenir professionnel ? » Cette ini-tiative est présentée comme une opportunité de ren-forcer un dialogue ouvert entre un collaborateur etson manager. C’est aussi une source de motivationet d’engagement pour les collaborateurs.Le Groupe a également travaillé sur la reconnaissan-ce et la rémunération en mobilisant des leviers sala-riaux, organisationnels (processus) et managériaux(évaluation de performance). Le programme AXAMiles vise par exemple à associer chaque salarié àla réussite du Groupe. Une première distributiond’actions gratuites a eu lieu en 2007. Elle était sou-mise à l’atteinte des objectifs du projet Ambition2012 : le résultat opérationnel par action et l’indicede satisfaction client. AXA Miles visant à renforcerl’engagement et à favoriser l’adhésion au projetAmbition 2012, il était donc cohérent de retenir descritères liés à l’atteinte de l’ambition pour déclen-cher ou non le mécanisme de distribution d’actions.

Enfin, le levier principal d’engagement des salariésétant le management, le Groupe a lancé en 2005 unprogramme important de leadership managérialdestiné aux 10000 managers du Groupe (2012 &Beyond). Ce programme a pour objectif de faire évo-luer les réflexes managériaux et de les mettre encohérence avec l’ambition et les promesses de lamarque : être digne de confiance, casser les codes. La marque a également joué un rôle fédérateur de laculture d’AXA. L’important travail réalisé autour deBrand Spirit a eu un impact sur la dimension cultu-relle. La marque et son positionnement ont été trèsbien perçus par les collaborateurs qui y ont large-ment adhéré. Cette adhésion massive à la marqueconstitue un élément fédérateur et de définition dela culture d’AXA.

Les résultats

L’évaluation des résultats de telles initiatives estdélicate. Afin d’y répondre, nous avons distinguétrois indicateurs qui, même s’ils n’apportent pas uneréponse définitive, contribuent à localiser les évolu-tions qui ont été atteintes.Le premier indicateur que nous avons retenu est l’évé-nement AXA / Forum qui s’est déroulé en mai 2008,au moment de l’annonce de la nouvelle signature.Les deux autres sont les résultats d’enquêtes Scope etCustomer Scope menées en interne tous les ans depuisle milieu des années 90 au sein du Groupe.

La mesure quantitative des résultats :les enquêtes collaborateurs et clients

Dans l’évolution de l’indicateur Customer Scope,on constate une amélioration continue du KPI desatisfaction des clients. On peut interpréter lesdeux années de stagnation 2006 et 2007 commeune étape de transition, les effets des dispositifsmis en place, notamment la formation, mettant dutemps à délivrer leurs effets. À la lueur des résul-

Évolution des Key PerformanceIndicators de satisfactionclients et collaborateurs

75,670

79

71

7973

81,277

2005 2006 2007 2008

Customer Scope Scope Collaborateurs

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tats de 2008, le Groupe constate que la marge deprogression est limitée et que le rapport entre lesefforts à mobiliser pour gagner des points supplé-mentaires et les impacts de cette augmentationdoit être évalué.Concernant Scope Collaborateurs, au moment dulancement d’Ambition 2012, le KPI d’engagementdu Groupe était significativement plus bas que lesautres groupes f rançais ayant recours à cesmesures. Les grandes entreprises internationalescomparables à AXA obtenaient généralement desscores d’engagement supérieurs de près de 10 points. En 2008, AXA s’est rapproché des lea-ders sur ce critère. Sur deux critères d’évaluation,AXA est au-dessus des benchmarks externes : laconfiance dans la société et dans l’Ambition 2012d’une part et la perception du changement d’autrepart. Ce qui constitue un élément de mesure dela qualité de la communication réalisée autour del’ambition.

La mesure qualitative,l’événement Axa ForumEn mai 2008, au moment du lancement de la nou-velle marque, le Groupe a ouvert un Forum de dis-cussion en ligne pendant 24 heures au coursdesquelles tous les salariés pouvaient poser desquestions à leur management (local et corporate).Les salariés étaient sollicités sur trois thèmes :• Comment traduire au quotidien : être disponible,fiable, attentionné ?

• Que pensez-vous de la nouvelle signature ?• Que signifie pour vous être ambassadeur de lamarque ?

120000 personnes ont été invitées, 53000 se sontconnectées, 20000 verbatims ont été postés et ana-lysés. L’événement a obtenu un Top Com d’argenten février 2009.Les réactions étaient empreintes d’une forte teneurémotionnelle. Elles ont été très positives sur l’oppor-tunité donnée de s’exprimer et de poser des ques-tions au management.Le nouveau positionnement et la nouvelle signatureont eu un impact fort auprès des participants et lescollaborateurs ont identifié comme enjeu principalla capacité à être dans la preuve (par opposition à lapromesse).Les collaborateurs ont exprimé leur convictionque la culture de l’entreprise doit changer pourtenir la promesse du nouveau positionnement etque l’organisation interne doit changer pour quela culture change. C’est la cohérence entre la pro-messe et les pratiques managériales qui est aucœur de l’enjeu.

Pour conclure

L’exemple d’AXA nous renseigne sur deux facettes dela communication des ambitions : la cohérence desambitions et des pratiques managériales, et le disposi-tif de communication, à la fois interne et externe.Tout d’abord, sur les enjeux liés à la communicationinterne des ambitions, l’exemple d’AXA vient confir-mer les études déjà réalisées : les collaborateurs sontsouvent en accord avec l’ambition formulée par ladirection générale, elle leur donne un cap d’action. Ilssont également conscients des impacts de transforma-tion induits par ces ambitions et sont en attente d’évo-lutions sur le mode de management et la structure.Au-delà du discours, les collaborateurs identifient clai-rement l’enjeu: passer aux actes en faisant évoluer lesstructures et les modes de management pour lesmettre en cohérence avec l’ambition formulée.Ensuite, sur le processus de communication, on voitbien dans cet exemple les différents niveaux d’ac-tion d’un dispositif de communication (clients etcollaborateurs) ainsi que sur les liens qui les unis-sent. Cet exemple fait apparaître clairement le lienentre la communication externe et interne. La com-munication externe (le travail sur la marque corpo-rate) agissant également sur les salariés (renforcementde la culture) et la communication interne (renforce-ment de l’engagement) agissant sur les clients (amé-lioration de la qualité de service).Enfin, à la lueur de la conjoncture et de la criseamorcée à la fin de l’été 2008, on peut s’interrogersur la pertinence des ambitions en temps de crise.Ces événements seraient-ils de nature à remettre encause le contenu de l’ambition ? AXA a déjà apportéune réponse à cette question en confirmant, dès ledébut 2009, le contenu et les objectifs qualitatifs ini-tialement formulés. La prochaine étude de Vobiscumcontribuera plus largement à la réponse en analy-sant les ambitions des groupes du CAC 40 début2009 et en s’interrogeant sur l’influence du contextede crise sur le contenu des ambitions 3.

1 Le contenu des ambitions stratégiques des groupes duCAC 40 entre 1996 et 2004 (Vobiscum, 2006).

2 Pourquoi les entreprises tiennent-elles des discoursambitieux (Vobiscum, 2008).

3 Le contenu des ambitions stratégiques des groupes duCAC 40 entre 1996 et 2008 (Vobiscum, à paraître)

Valérie Perruchot Garcia Directeur de la communication interne

du groupe AXA,Présidente de l’Afci

Louis-David Benyayer Associé du cabinet Vobiscum

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Mariette Darrigrand,Florence Duriez

Du désir d’agir au pouvoir d’agir

Dans un contexte de mutation, nous assistons à lamontée du désir individuel d’agir. Notre expérienceet notre perception du monde sont en train de« muter », selon un terme qui circule beaucoup. Cesreprésentations de notre monde et de nous-mêmesdans ce monde nous font passer d’une vision sta-tique (la terre et ses frontières) à une vision dyna-mique (la planète en mouvement) dans laquelle lesétats, comme les individus, sont interdépendants.

Ainsi, nous vivons le monde sous deux versions, etselon deux attitudes qui touchent aussi bien lespeuples que les personnes. D’une part, une formed’immobilisme apeuré, voire dépressif ; de l’autre,au contraire, des ressources de dynamisme, desenvies nouvelles d’agir et de maîtriser son destin. Lavie politique française est caractérisée par ce« bipartisme ». L’année 2008 et le début 2009 nousmontrent que la seconde version est train de s’impo-ser. Agir – parfois en bloquant des gares ou en bar-rant des routes, voire en pillant des supermarchés,mais aussi en aidant des familles touchées par unetempête ou menacées d’expulsion – agir sansattendre car la vie est courte et le monde lancé àgrande vitesse : voilà une forte aspiration, majoritaireaujourd’hui.

Pendant la crise, le pouvoir d’agir est mis à maldans l’entreprise

Notre hypothèse est que plus le pouvoir d’action - personnel comme collectif à l’échelle de l’entreprise -est mis à mal, plus le désir d’agir de chacun estprésent et demande à s’exprimer.Faisons le diagnostic de la crise dans l’entreprisetelle qu’elle peut être perçue et expérimentée par lescollaborateurs : qu’observe-t-on? que discerne-t-on?Le contexte de l’activité évolue : baisse d’activité,projets gelés, attentisme des décideurs entraînent un

Le « désir d’agir » de l’individu monte avec la crise : comment les mots de l’ima-gination peuvent-ils l’encourager ? Les mots de l’entreprise si décalés et en pertede sens peuvent-ils aider à agir ? Dans un contexte de crise qui accentue la dis-torsion, comment choisir ses mots, quand on est managers ou communicants ?Quel rôle pour les mots qui faciliteraient l’accompagnement de l’action de l’entre-prise à travers la communication interne?

Le « désir d’agir »et les mots

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Le fameux « Yes we can » de Barack Obama est trèssignificatif de cette nécessité aujourd’hui pour unleader de parler au désir d’agir, au potentiel d’actionde ceux qui l’écoutent. Il commence à dessiner unprogressisme nouveau, adapté au monde actuel. En effet, le progressisme traditionnel s’inscrit dansla seule logique de l’émancipation et de la libertéhéritée des premiers temps démocratiques : un « Yes we may », en quelque sorte. Aujourd’hui, dans une société à la fois permissive sur le plan desmœurs, et contrainte par les réalités économiques et géopolitiques, ce « may » n’a plus grand sens. Le « can » ou le « to be able to » (comme dansdéveloppement dur-able, commerce équit-able,entreprise respons-able) est au contraire trèsfortement signifiant.

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repli sur soi et accentuent le sentiment d’impuissan-ce et l’anxiété des collaborateurs. Un risque majeurserait donc que l’énergie du désir d’agir ne s’exprimedans des comportements agressifs ou stériles : l’ab-sentéisme, la désolidarisation de la hiérarchie, leretrait, la colère… ou bien qu’elle ne se réfugie dansla sphère privée – chacun s’organisant au mieuxpour « passer » la crise – avec une démobilisationdans le cadre de la vie professionnelle (parionsqu’une fois de plus, le taux de natalité augmente enFrance, porteur de désirs d’agir sans aucun doute).L’engouement marqué pour des formes d’actionintenses et très symboliques révèle le désir d’agiractuel et montre qu’il ne demande qu’à s’exprimer.Pensons en particulier au thème de la « traversée del’Atlantique » et notamment au Vendée Globe.

«Le pouvoir dire précède le pouvoir d’agir»1

Sur ces sujets, le philosophe Paul Ricœur nous offreune piste de réflexion de fond dont la communautédes communicants peut se saisir. Tous les travaux dece penseur ont porté sur le lien entre l’action etl’imagination. Pensant l’homme après Freud (et sonidée que l’action de tout être dépend de son incons-cient, c’est-à-dire de forces pulsionnelles immaîtri-sables), Paul Ricœur introduit néanmoins unenotion de capabilité humaine : d’intention person-nelle de chacun. Selon lui, un être humain possèdeun espace d’action sur la vie, et cet espace est situédans son langage. Avant tout acte, il est possible de« dire » cet acte : de le décrire, de l’envisager, etmême de le fictionnaliser. Il n’y a pas d’individu-sujet sans récit, dit Ricœur : récit de vie, récit d’évé-nements, récit qui mélange passé et futur, mémoireet projet. Cette force fictionnelle n’exige pas néces-sairement l’acte d’écriture. En fait, elle est spontanéeet produite par l’imagination la plus naturelle.Laisser son imaginaire rêvasser, se balader, réagirlibrement, c’est déjà métaphoriser sa situation, etdonc ouvrir l’espace qui rendra possible le désir del’améliorer s’il y a lieu, en tout cas d’agir sur elle.Prolongeant la réflexion des psychanalystes, deve-nue classique, qui conseille aux individus de« mettre des mots sur leurs maux » pour faire bouger

leur inconscient et se remettre en route, Ricœur vaun cran plus loin. Son idée est que les mots ne sontpas de simples descripteurs, ils sont déjà des "boos-ters" d’action. Et cela parce qu’ils permettent à l’ac-tion, avant de s’effectuer, de s’envisager sousplusieurs scénarios. C’est ce qu’il appelle jolimentles « variations imaginatives du "je pourrais" ». Ledépressif comme le salarié démobilisé sont des êtresqui ne peuvent plus faire une telle expérience : ils nepeuvent plus introduire de conditionnel (et si… et sij’avais des ailes…) dans leur vie. Ils restent fixés surdes constats d’impuissance (je ne peux pas, on nepeut rien faire…). Toute communication internegagne donc à passer par une phase de redistributionde ce « je pourrais ». Il s’agit d’une immersion dansles moyens indiqués par Ricœur, et qu’il place tousdans le langage, la poésie, les « métaphores vives »produites par les écrivains, les cinéastes, les pen-seurs, certains acteurs, certains artistes… Si l’onreprend l’exemple du Vendée Globe, c’est bien lafigure d’Ulysse et celle de son odyssée qui s’expri-ment dans la société actuelle. De même, dans l’en-treprise, chaque salarié, chaque communicant, doitêtre aidé à trouver ses mots et ses images pour sedire par un voyage dans notre fonds culturel. C’estdans ce mouvement vers l’imaginaire qu’il trou-vera son pouvoir d’agir personnel relié au pouvoird’agir collectif de l’entreprise 2.

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Crise : vient du grec « krinein » qui veut dire« séparer, repérer, discerner » et faisait partie du vocabulaire médical ; faire une crise voulaitdire « dresser un état des lieux, dresser undiagnostic ». Ce n’est que dans la languemoderne que le mot crise est connoténégativement et ne concerne plus le diagnosticde la maladie, mais la maladie elle-même.

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Chez Michelin, la base line « la meilleure façond’avancer », qui hier signifiait le transport d’unpoint à un autre selon des images mécanistes etprogressistes, est associée aujourd’hui à desimages nouvelles liées à de nouveaux sens pourle mot avancer (un mouvement moins direct, pluscyclique, plus humain, plus ouvert sur le monde).En d’autres termes, Michelin se donne pourmission aujourd’hui de contribuer aux progrès de la mobilité (voir sur son site internet), unemobilité qui se veut profitable, avec une finalitésociétale, retrouvant ainsi l’origine del’entreprise : les deux frères Michelin fondateursde l’entreprise, pour qui l’automobile apporte la prospérité à tous. Ce sont ces images quinourrissent le travail d’expression descommunicants.

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Comment la communication internepeut-elle nourrir le pouvoir d’agir?Comment faire pour que l’entreprise reste un milieufertile pour l’individu, et pour elle-même par effetsecond, y compris pendant les crises ? Et en particu-lier, comment la communication interne dans lesentreprises facilite le « pouvoir dire » qui conduit aupouvoir d’agir ? Nous vous proposons trois pistespour accompagner le management de cette périodeen particulier :

• Piste 1 : aller plus loin dans la mise en place dedispositif d’échange et favoriser un vrai partage,à parité entre celui qui émet et celui qui reçoitLe rôle de la communication interne est maintenantbien installé, avec des pratiques bien identifiées :informer, communiquer ; c’est-à-dire mettre les indi-vidus en relation avec les événements (des pratiquesd’information) et mettre en relation les individusentre eux (des pratiques de communication) selonnotre définition consacrée 3. Et, pour cela, le métiers’est professionnalisé et a évolué : l’expert de l’infor-mation est devenu conseil en communication à laligne managériale, s’occupant autant de contenu quede mise en relation. Il nous semble que la questionmaintenant est d’organiser des échanges actifs d’unautre type, créant un vrai partage à parité entre celuiqui parle et celui qui reçoit ; les récepteurs veulentêtre des émetteurs et activer eux-mêmes la fameuseboucle du feed-back dans une spirale vertueuse,avec une circularité des paroles quasi simultanée.Les individus n’attendent pas l’entreprise pour lefaire et ont développé leur propre expertise en parti-cipant à de multiples réseaux sociaux. Ils se sontcréé des relations entre individus qui échappent àtoute instance organisatrice : réseaux, associations,blogs, Facebook, etc.

• Piste 2 : choisir l’optimisme et orienter le contenusur une projection constructive de l’avenir (le « yeswe can » d’Obama)Le désir d’agir exige un minimum d’optimisme. Ainsi,dans la presse, on observe que le seul quotidien qui aaugmenté son tirage c’est Aujourd’hui en France/LeParisien, tout simplement parce qu’il donne des pointsde vue optimistes régulièrement, sans s’arrêter au purconstat des drames. Pour l’entreprise, un tel engage-ment à développer un discours optimiste est un objec-tif pour le management; c’est aussi un positionnementde contenu pour la communication interne.Il s’agit de fournir un guide pour atteindre des buts,au-delà de l’opérationnel et du pur réalisme pré-sent, de donner à voir un résultat à venir, de parlerd’avenir et de relier les faits à des finalités quiouvrent à l’imaginaire.

• Piste 3 : ouvrir la parole des managers et des diri-geants sur des buts autres qu’opérationnels, plus« transcendants », touchant aux finalités de l’entre-prise, aux valeurs et engagements qui la sous-ten-dent et s’adressant au désir d’agir des collaborateursLa communication interne gagne à s’engager et à s’ou-vrir sur des buts non seulement opérationnels et com-merciaux, mais d’un autre ordre, ceux de la bonnegouvernance comme l’éthique, le développementdurable, la responsabilité morale vis-à-vis du futur,montrant ainsi comment l’entreprise « tient debout » etest « alignée » sur ses différents niveaux de sens5. Lescommunicants peuvent jouer ce rôle : porter le

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Signalons le nouveau concept de dynamiquecollective Wikipe® 4. « Wikipe » est un néologismeissu du rapprochement des mots « wiki »et « équipe », « wiki-wiki » signifiant « vite »en hawaïen (c’est le mode collaboratif qui a donné naissance à Wikipédia, l’encyclopédie co-élaborée par les internautes). La Wikipe est une équipe qui vit avec et dans lacomplexité ; elle met la culture créative de chacunau service d’une finalité. La Wikipe se compose depersonnes qui s’auto-saisissent spontanément et enparité d’un enjeu partagé ou d’un objectif préciset rapproché dans le temps. Elle fonctionne sanschef, s’auto organise, éventuellement à distance. Elle produit des « wikidées », les idées fructueusestrouvées à plusieurs qui appartiennent à tous.

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Quand le groupe mondial del’agroalimentaire Kraft propose de« faire de chaque jour un délice »(« make today delicious ») dans sanouvelle communication corporate,non seulement elle ouvre l’imaginaire de ses consommateurs mais aussicelui de ses collaborateurs. Elle lesinvite à être inspirés pour donner à sentir, ressentir, goûter ce qui estproduit par la firme à tous lesniveaux ; elle s’engage sur uneexigence de résultat qui va jusqu’àl’impact émotionnel de sa productionpour tous, incluant ainsi sa trace surl’environnement et notre culture.

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Notre travail : la fonction imaginative et poétique des messages comme clé de l’implicationAu centre de notre travail avec les communicants, etéventuellement les managers, sous forme d’ateliersde formation-action ou d’accompagnement enconseil, nous mettons l’accent sur la fonction poé-tique et imaginative, qui met en œuvre la force fic-tionnelle dont parle Ricœur. C’est cette fonctionpoétique, métaphorique, qui manque le plus aujour-d’hui 7, et même cruellement ; ou, quand elle existe,est imposée par des agences souvent de manièreinappropriée. Nous initions nos interlocuteurs à uneautre lecture du discours médiatique pour s’en nour-rir et comprendre ce que ce discours médiatiqueraconte (les grandes représentations collectives, lesmythes, les archétypes) sous des formes en apparen-ce très « clichés ». Nous les entraînons à quitter lediscours rationnel pour toucher le « cœur », utiliserleur créativité et leur sensibilité, leur « expertise » decitoyens du monde qu’ils sont eux-mêmes, capablesde s’adresser de manière vivante et vraie à d’autreshommes et femmes que sont leurs cibles, collabora-teurs à l’interne, partenaires ou clients à l’externe.

désir d’agir de la communauté des collaborateurs àla conscience des dirigeants et des managers etinciter ces derniers à formuler des buts transcen-dants, à « donner du sens ». Les communicants ontla capacité de porter cette parole s’ils se préoccu-pent de libérer le « pouvoir dire » des collabora-teurs (notre piste 1). Ainsi leur rôle de veille neserait plus seulement centré sur l’écoute dessignaux sensibles, mais aussi sur l’écoute des« désirs d’agir » des collaborateurs.

La place des motspour jouer ce rôle

Notre vision : l’urgence pourles communicants de se formerà une nouvelle approche du langageLa vocation traditionnelle de la communicationinterne est connue : mieux relayer le discours del’entreprise et être plus efficace ; être en position deforce vis-à-vis de fournisseurs (agences de commu-nication par exemple) en maîtrisant son briefingcréatif ; enfin, se doter d’outils pour analyser, criti-quer, évaluer sa production de messages. Cettepériode de crise donne des arguments pour allerplus loin : créer du lien entre les interlocuteurs enétant attentifs aux formes d’interlocution du langage(le « je », le « nous » par exemple) ; imaginer le lan-gage de l’action (avec des mots vivants, imagés,mettant en situation) ; repérer les mots usés, blo-quants ou rejetés (performance, ambition, pro-grès…) et comprendre pourquoi ; faire circuler dulangage frais (fenêtres, ouverture, rêve, booster…).L’objectif pédagogique central de notre approcheconsiste à éveiller la conscience de ces communi-cants en les formant à un décryptage qui leur per-mette de s’ouvrir sur un autre langage plus ouvert,imaginatif, sensible. Notre ambition est de les aiderà sortir du cadre limitant dans lequel ils sont souventconfinés aujourd’hui, à oser prendre un ton et àcréer pour l’entreprise un style propre à communi-quer de l’enthousiasme et de l’« incarné ».

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Dans certains cas, le travail mène à des retrouvailles ; voici les propos de la revue Prospéritévers 1900, mettant en valeur le guide de la route des "frères" Michelin : « Les commerces sontrevivifiés quand "la route" est elle-même ranimée par l’automobile. (…) Tous profitent des richessesque sème l’automobile. » 6

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Si l’on reprend l’image du navigateurdu Vendée Globe, il est possible, par exemple de faire travailler desresponsables de communication sur l’archétype d’Ulysse et de sonodyssée, si essentiel aujourd’hui dansun monde de la durée, dans unesociété qui sait qu’elle doit traverserdes épreuves, pour des individus qui savent qu’ils auront à se battre et devront, tels le héros mythique,faire marcher leur « ruse » et leurpuissance de langage. Ulysse est un héros très contemporain : il estintelligent et sait dompter la forcebarbare du Cyclope uniquement parun jeu de mots 8 (alors qu’un Hercule,archétype du travail physique et de la force brute, paraît bien lointain,inadapté au monde actuel du langageet du partage des connaissances).

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Pour conclure, il y a urgence à rendre plus cohé-rentes les trois composantes de l’image : - mind identity, le discours ; - visual identity, la vitrine ; - behaviour identity, les comportements9. L’objectif : accompagner les dirigeants dans laconstruction de cette identité, propre à générer de lavaleur au sein de l’entreprise et de la puissance à sa« marque ». En donnant de la puissance au langage,les communicants soutiennent la communauté desacteurs de l’entreprise pour faire vivre le génie del’entreprise (pour reprendre le terme que BarackObama applique à l’Amérique), présent dans sonhistoire, ses aventures, ses dirigeants, ses collabora-teurs, dans une dialectique entre les croyances dumythe porteur – ce à quoi on adhère et ce pourquoion s’engage – et la valeur de ce que l’on fait, per-ceptible et en lien avec son environnement.

1 Paul Ricœur (27 février 1913, Valence - 20 mai 2005,Châtenay-Malabry), est un philosophe français. Deuxouvrages en lien avec nos propos : La métaphore vive,éditions du Seuil, 1975 et Du texte à l’action, éditions duSeuil, 1986.

2 C’est pourquoi nous croyons que les démarches d’inno-vation participative et systèmes de management desidées ont de l’avenir : elles contribuent à donner uncadre et à créer un milieu propice à l’expression et à lacirculation des idées… la difficulté reste souvent encorede laisser de la place aux décisions et à l’action pourmettre en œuvre les idées.

3 In L’information et la communication au service de l’en-treprise, 1986, Bernard Galambaud

4 Wikipe est un concept mis au point en 2009 par un grou-pe de recherche sur les Dynamiques Collectives Apprenanteset Créatives composé de Philippe Dellière, Hubert Nègre,Natacha Rozentalis (Ideho), Michelle Seban (HansaConsultants) et Jean Maurice Vergnaud (Human Lights). À l’origine de l’apparition des wikipes, il y a un déséqui-libre social, organisationnel ou technique, une faille quedes individus trouvent nécessaire de combler.

5 Nous faisons référence ici à la métaphore de la "colonnevertébrale du sens" – inspirée des neuf niveaux de sensde Vincent Lenhardt dans Les responsables porteurs desens, Insep Éditions 2001.

6 Repris dans le hors-série de la revue La Montagne consa-cré à l’aventure Michelin (2007).

7 En référence aux six fonctions du langage de RomanJakobson, qui comprend aussi : la fonction référentielle(ce dont on parle), la fonction d’appel (à qui on parle), lafonction phatique (comment on entre et reste en contact),la fonction métalinguistique (selon quels codes et cadrede représentation on parle), la fonction expressive (quiparle). Dans ce schéma, la fonction poétique est aucentre, c’est le cœur du message (comment on parle) – à retrouver dans Essais de linguistique générale, Éditionsde minuit (1963).

8 En utilisant un des sens de son nom, Ulysse qui signifieaussi bien « le rusé », que « personne », il dit au cyclopequ’il s’appelle Personne, de sorte que quand le person-nage monstrueux appelle à l’aide ses pairs, ceux-ci semoquent de lui et ne le croient, car il prétend être atta-qué par « personne »…

9 En référence à « la trinité de l’image » constituée des troiscomposantes suivantes : mind identity, le discours –visual identity, la vitrine – behaviour identity, les com-portements, développée par Gérard Carron - Un carrénoir dans le design, Éditions Dunod 1992

Florence Duriez Coach consultante chez Inergie Management,

experte en communication managériale et en innovation participative.

Mariette Darrigrand Sémiologue, directrice du cabinet-conseil

Des faits et des signes. Auteur d’un essai faisant état de cette approche :

Ces mots qui nous gouvernent, Bayard 2008.

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L’engagement :un véritable moteur

pour les organisations

Qu’est-ce que l’engagement des salariés au travail ? Quelles en sontles causes ? Est-il indispensable pour une institution ? Autant dequestions qui se posent de façon encore plus aiguë en période decrise socio-économique. Professeur à l’ESSEC et au CNAM, auteurnotamment de Le travail, je veux tout, Le management - Pourquoij’échoue (éditions Eyrolles, 2008) et Manager en temps de crise(éditions d’Organisation, 2009), Maurice Thévenet nous aide àdécrypter les ressorts de l’engagement au travail.

Maurice Thévenet

Entretien avec Maurice Thévenet

• Le forum de l’Afci, organisé le 30 sep-tembre dernier, au cours duquel vous êtesintervenu, s’intitulait « L’engagement autravail dans tous ses états ». Finalement,les organisations ont-elles besoin que leurscollaborateurs s’engagent au travail? Et sioui, pourquoi?Maurice Thévenet : Il est légitime de se posercette question. Car, finalement, dans certains sec-teurs d’activité, l’engagement des salariés n’influepas – ou pratiquement pas – sur les performances del’entreprise. En revanche, dans toutes les activitésdites de services, cet engagement est indispensable.Car, là, la perception de la qualité de son achat estintimement liée à la qualité de la relation qui se noueentre l’acheteur et le vendeur. Dans ce cas, l’engage-ment est au cœur du business model de l’entreprise.Rappelons notamment que notre économie a fait duconcept d’expérience un produit de consommationparticulièrement apprécié. Prenons le cas d’Eurodisney:c’est bien autour de cette notion que s’est construitesa communication. C’est le sentiment de vivre – ou

d’avoir vécu – quelque chose de spécial, qui fait lavaleur de cet achat. Or ce qui rend cette expériencesi spéciale, c’est fondamentalementle comportement et les atti-tudes des employés quivous ont accueilli et prisen charge. Cet exemplemontre que les entre-prises du secteur desloisirs dépendentétroitement de ce queleurs salariés mettent,ou non, dans leur tra-vail. Et là, il n’est pasquestion d’humanisme. Ilest question de business.Sans cet engagement, ces entre-prises ne peuvent répondre aux attentes de leursclients.

• La bonne volonté des collaborateursserait donc indispensable à la performancede certaines organisations?M. T. : Tout à fait. Prenons un autre exemple. Nous

L’engagementest une notion très concrète,un élément de nosbusiness models

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sommes tous aujourd’hui dans des organisations deplus en plus complexes. À quelle condition celles-cipeuvent-elles fonctionner ? Si, et seulement si, lesgens qui les composent acceptent de les faire fonc-tionner. Les organisations matricielles en sont lesexemples les plus probants. Ce qui les fait fonction-ner n’est pas la compétence de ceux qui les conçoi-vent. Lorsqu’un salarié se trouve dans une situationoù il reporte à deux, voire à trois personnes diffé-rentes qui lui demandent des choses parfois incom-patibles, le système ne fonctionne que si le salarié ala capacité à surmonter ce type de difficultés. Làencore, l’organisation est dépendante de la bonnevolonté, de l’engagement de ses salariés.

• Ce rôle primordial de l’engagement estd’autant plus visible en période de crise…M. T. : Effectivement. Cela fait trente ans que nousvivons des changements profonds, des restructura-tions, des ruptures, mais aujourd’hui la situa-tion est particulièrement diff icile. Àquelle condition va-t-on s’en sortir ?Ou plutôt, certains vont-ils s’ensortir mieux que d’autres ? Je suiscertain que les organisations oùle niveau d’engagement estélevé bénéficieront d’un capitalparticulièrement utile. Danstoutes les situations de crise,ceux qui s’en sortent, générale-ment, ne sont pas ceux qui ont lesmeilleurs business plans. Ce sontceux qui ont les capacités d’engage-ment interne qui leur permettent de dépas-ser les difficultés.

• Finalement, la notion d’engagement estloin d’être théorique…M. T. : Oui, et c’est bien pour cela que les organi-sations s’y intéressent. L’engagement est un véri-table carburant qui permet de les faire fonctionner.C’est une notion très concrète, un élément de nosbusiness models.

• Pour agir sur ce niveau d’engagement,il faut d’abord en comprendre les res-sorts. Quelles sont les causes de l’enga-gement ?M. T. : Il y en a plusieurs. Je vous en citerai cinq.D’abord, il y a des gens qui s’impliquent dans leurtravail car ce qui est important pour eux, c’est lavaleur travail. Celle-ci correspond à la réponse àla question suivante : où est-ce que je me vois ren-voyer une image de moi la plus valorisante ? Autravail ou chez moi ? La réponse est souvent « autravail ». Et c’est une cause importante de l’enga-gement.

Deuxième cas de figure : les salariés qui s’engagentdans leur environnement de travail. C’est notam-ment le cas des jeunes. Leur engagement est sou-vent lié à la qualité de l’ambiance au travail. Car lajeunesse est la période de l’existence où la dimen-sion la plus importante est la dimension relation-nelle. Cela signifie que l’engagement de cettepopulation est lié à la qualité du relationnel au tra-vail.Autre cas : il existe des gens pour qui le produit, lesecteur d’activité de leur entreprise est important.C’est souvent ainsi dans le secteur automobile. Etl’intérêt qu’y porte votre entourage est tout aussiimportant. Si mon travail n’intéresse personne, ilest peu probable que je développe une attitudepositive vis-à-vis de lui. Voyez les journées « Portesouvertes » organisées par les entreprises. Qui vienten premier ? Les salariés et leurs familles. Lesparents sont fiers d’expliquer à leurs enfants cequ’ils font. C’est fondamental pour la qualité de

leur relation. Nous avons tous besoind’exister « plus ». Et le travail peut nouspermettre d’exister plus auprès desgens qui sont importants pour nous.La quatrième cause de l’engage-ment est l’attachement à son métier,sa profession. Certains profes-sionnels se sentent plus prochesde ceux qui exercent la mêmeprofession qu’eux que de leursautres collègues de travail.

Enfin, la dernière catégorie d’engage-ment est celui qu’on place dans l’entre-

prise, l ’ institution. Qu’est-ce que celasignifie ? Dans la théorie, il s’agit d’une adhésionaux buts et aux valeurs d’une organisation. Mais,en réalité, c’est une notion beaucoup plus concrè-te. Elle se réfère à l’identification qu’un salarié peutavoir avec son entreprise. C’est une cause très fré-quente de l’engagement.

• Mais alors, comment susciter cet enga-gement chez l’autre ?M. T. : C’est impossible. Par contre, il existe desconditions nécessaires – bien que non suffisantes –pour que cet engagement existe. Elles sont aunombre de trois, mais l’une d’entre elles intéresseplus particulièrement les communicants. Il s’agitde la cohérence. Un collaborateur ne peut s’enga-ger dans son entreprise si les discours qu’il entendsur celle-ci ne sont pas cohérents. Dans la situationéconomique actuelle, cet élément est particulière-ment important. Il est nécessaire de donner auxsalariés le sentiment de partager quelque chose.Dans ces périodes difficiles, il va être primordialde partager des références communes. Et seule unelongue répétition de ces références permettra de

L’enjeuactuel de lacommunicationest de continuerde dire ce quel’on sait déjà

“ “

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M. T. : Certainement, mais tout réside dans ledegré d’authenticité de ce type d’action. Il n’y arien de pire que de lancer une action pour laquelleon est peu crédible. En général, l’effet boomerangest terrible.

Interview réalisée par Aurélie Renard,adjointe à la déléguée générale de l’Afci

les rendre crédibles. Je suis persuadé que l’enjeuactuel de la communication est de continuer dedire ce que l’on sait déjà. C’est ainsi qu’on donne-ra l ’ impression aux salariés qu’ils partagentquelque chose, et c’est ce qui leur donnera suffi-samment de force pour s’engager.

• Quelles sont les deux autres condi-tions ?M. T. : L’une est la réciprocité, mise en place à lafois dans les systèmes mais aussi dans la qualité dela relation. L’autre est l’appropriation. On ne peuts’engager que si l’on a l’impression que le projet,le dossier sur lequel on travaille, nous appartientun peu.

• Existe-t-il des thèmes, comme le déve-loppement durable par exemple, qui peu-vent créer de l’engagement ?

Une étude TNS Sofres, menée fin 2008 pourPublicis, montre que 75 % des cadres interrogésse disent heureux dans leur vie professionnelleactuelle. 15 % se déclarent même « très heureux ». Un résultat à l’encontre des idées reçues sur le malaise professionnel de cette population active. Parmi les sentimentsexprimés à l’égard de leurs entreprises, ce sont l’attachement, la confiance et la fiertéqui reviennent le plus souvent.Par ailleurs, 79 % des cadres ont l’impression dedonner le meilleur d’eux-mêmes dans leur vieprofessionnelle. Et parmi ceux-là, la logiqued’épanouissement et d’accomplissementprofessionnel au travail supplante celle deperformance.En ce qui concerne la fameuse « génération Y »,l’étude montre que les cadres de moins de 30 ans sont prêts à faire des sacrifices pourréussir leur vie professionnelle et considèrentque le travail est un moyen de prouver leur valeur. Cependant, ils sont moins attachés à leur entreprise que la moyenne des cadres et assimilent moins le travail au bonheur. S’ilscroient en leurs perspectives de progression, ilssont plus critiques vis-à-vis de leur hiérarchie etde la fluidité de l’organisation. En résumé, cette« génération Y » continue à vivre sur un espoirde gain vis-à-vis de leur entreprise (un deal

gagnant/gagnant), tout en se sentant déphaséeculturellement par rapport au mode managérialet au fonctionnement de l’entreprise.Quand on les interroge sur les ressorts de leurengagement, les cadres mettent en avant troisgrands leviers :• la possibilité de s’accomplir dans un travailépanouissant, formateur, dont on perçoit le senset où l’on dispose de suffisamment d’autonomie,• le fait de savoir que ses efforts seront reconnuset récompensés,• le sentiment d’être en phase avec les valeursde son entreprise.Des résultats qui confirment que les valeurs« douces » d’épanouissement individuel etd’insertion dans le collectif ont remplacé cellesd’achievement ou de carriérisme.Quant aux causes du désengagement – état quiconcerne 21 % des cadres interrogés – elles sontà chercher du côté du manque de considérationportée au collaborateur, du mode d’organisationinterne (notamment de l’absence de fluidité et detransparence des informations) et de la capacitéinsuffisante des dirigeants à motiver leurscollaborateurs.

1 Étude menée auprès d’un échantillon représentatif

de 500 cadres travaillant dans des entreprises de

plus de 50 salariés.

Des cadres à la recherche de nouvelles valeurs

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moines-de-cluny.com

Robert de Backer

luny, première multinationale de l’Histoire !L’expression fait mouche, mais la grandeépoque des Clunisiens (XIe-XIIe s.) est auxantipodes de la nôtre.I l est vrai cependant que l’abbaye de

Cluny a rayonné depuis la Bourgogne dansl’Europe de l’Ouest et au Moyen-Orient. En deuxsiècles, les moines seront quatre cents à Cluny etquelque dix mille dans plus d’un millier de « lieuxclunisiens ».Devenu puissant et riche, l’ordre s’est imposé. Sonsuccès, d’après Duby, « représente le fait le plusimportant de l’histoire européenne du XIe siècle. Il fut total. » 1. L’église de Cluny, « deuxièmeRome » est la plus grande de la Chrétienté. En1245, le roi de France, Saint-Louis, discute àCluny des affaires du monde avec le pape. Diderotsignalera le fait dans son Encyclopédie !L’organisation clunisienne fonctionne donc plutôtbien. L’information circule malgré les distances ;entre le monastère de Paisley en Écosse et Cluny, il y a plus de 2000 km à vol d’oiseau! Des milliers depersonnes, moines et laïcs, paysans, serviteurs sala-riés, sous-traitants, sont managées et gérées ; dessynergies suffisantes se créent entre elles pour fairevivre ce gigantesque corps. Son influence est immen-se. Les abbés de Cluny ont prouvé qu’ils étaient des« hommes d’État de premier plan » (L. Fèbvre).Le but de cet article est modeste : décrire la com-munication clunisienne dans quelques domaines

clés. On se limitera aux trois premiers siècles, lesplus brillants, d’une histoire qui en compte huit !

Un préalable :la communication au Moyen-Âge

La communication médiévale est audiovisuelle ;l’écrit revient à une élite. Crieurs publics, trom-pettes et cloches forment le tryptique sonore de lacirculation des nouvelles. À ces médias volatiles,ajoutons les portails sculptés de Cluny, Vézelay etMoissac, et les fresques, images de pierre poly-chromes, qui traverseront les siècles.L’information circule par contact direct, de person-ne à personne, de porte en porte, « d’ostel enostel » et les canaux informels fonctionnent à plein :pèlerins, marchands, jongleurs allant d’un châteauà l’autre, pauvres, chevaliers errants, voyageurs aulong cours, font circuler les nouvelles ; les rumeurssurtout. C’est le règne des témoignages en chaîne etde leurs inévitables déformations.À quelle vitesse circulait l’information? Au rythme deschevaux et des bateaux à voiles ou à rames. Un mes-sager rapide mettait 25 jours pour aller de Rome aucentre de la Germanie. Quant à l’organisation de lacommunication, elle balbutiait. Les marchands ont étépionniers. Au XIVe siècle, les Italiens créent la « scar-cella » florentine qui envoie chaque semaine, dans lesdeux sens, un courrier de Florence à Avignon…

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La communication interne, vieille de plus de 1000 ans? L’abbayede Cluny, présente dans toute l’Europe et au Moyen-Orient, enconnaissait déjà bien les ficelles : audits, réunions et comptesrendus, formulation des missions du « Groupe », mise en forme de« parcours de carrière »… Les moines étaient déjà « connectés »à la modernité !

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La grande cour du monastère de Cluny grouille demonde : puissants seigneurs et leur entourage,pauvres, SDF, jongleurs, pèlerins, marchands, che-valiers errants, clercs. Des mill iers d’hôtes,sources de rumeurs et d’informations ! « Il y a dansle cloître un va-et-vient si fréquent des clercs, deslaïcs, du personnel, qu’on le croirait transforméen une voie publique » relate un texte de l’époque.Une langue cimente alors la civil isation del’Europe, le latin. Pas celui de Tacite ! Équivalentde notre anglais, comme lui déformé, simplifié,adaptable, il est parlé et écrit par les élites intellec-tuelles et politiques, tels les moines lettrés. Il coha-bite avec les langues maternelles, romanes ougermaniques, langues du peuple vouées au concret,au sensible, non écrites avant le XIIe siècle.

Le projet clunisien :communiquer avec le Cielet créer du lien social

La communication clunisienne s’inscrit dans cepaysage. Elle se formalisera au fur et à mesure oùl’abbaye deviendra puissante, dotée de droits etde pouvoirs contraignants : les moines rendront la

justice, battront monnaie, lèveront l’im-pôt et exploiteront d’importants

domaines agricoles.Au préalable, il importe d’évo-quer le « projet » clunisien.La charte de fondation del’abbaye de Cluny (909-910) stipule que les moinessuivront la tradition béné-dictine, et précise deux points :

ils rechercheront « avec unevolonté profonde et une ardeur

totale, le dialogue avec le ciel » ;« ils s’occuperont chaque jour, très

miséricordieusement, des pauvres, des indigents,des étrangers et des pèlerins ».Le projet clunis ien se formule d’emblée entermes de communication. Dialogue avec leciel ; les moines « produiront » de la prière et desliturgies. Accueil des autres ; ils créeront du liensocial. Et les deux dimensions sont liées : Clunydeviendra « un asile de prière ». Cette configura-tion sera le terreau d’une économie florissante.Voici comment.

La communicationclunisienne, moteur de l’économie

Dès leur fondation, les clunisiens bénéficient d’unstatut clair et d’une utilité sociale reconnue. Au

Moyen-Âge en effet, il y a trois classes sociales :ceux qui prient, clercs et moines ; ceux qui font laguerre et défendent les autres ; et les paysans quitravaillent pour les deux premiers (Le Goff, Lacivilisation médiévale, p. 234). Tous concourent,théoriquement, à l’harmonie sociale.Les moines sont donc les médiateurs attitrés entreciel et terre. De ce fait, les puissants et les richesleur apportent des dons en contrepartie d’uneassurance-vie éternelle. « Le culte des défunts aété la pompe de l’économie clunisienne » selonun historien. Ce culte existait déjà dans d’autresmonastères, mais Cluny l’a développé et magni-fié. Il a initié un marketing de la vie dans l’au-delà qui lui attirera une énorme richesse. Le2 novembre, fête des morts, c’est eux ! Aujourd’huiencore cette fête touche les cœurs d’une foule degens, y compris les incroyants, et fait le bonheurdes fleuristes.

L’art de tisserune mémoire collective

Très tôt, les laïcs bienfaiteurs obtiennent le privilè-ge d’entrer dans la « famille » clunisienne « anti-chambre de l’Au-Delà » . De ce fait l’abbayes’enrichit comme plus tard les autres lieux cluni-siens. Les noms des défunts, parents des moines etautres laïcs, jeunes et vieux, femmes et hommes,bourguignons et italiens…, sont inscrits sur deslistes, les obituaires ou nécrologes ; et ceux desmoines sur des « rouleaux » qui circulent entre lesmonastères. Portés de monastère en monastère,sorte de courrier postal avant la let t re, ces « listings » construisent la mémoire collective dela grande famille clunisienne.Aujourd’hui, nous consacrons « la mort de lamort » en cachant les agonies et en supprimant lescimetières, ce qui « émousse notre sixième sensde l’invisible et les cinq autres par contrecoup »(R. Debray, Vie et mort de l’image, Folio, p. 47).

Des morts et des pauvres

La deuxième dimension du projet clunisien, l’ac-cueil des pauvres, est liée à la première. Lespauvres, en effet, sont considérés comme les subs-tituts des défunts. On les appelait « portiers duCiel ». Les prières à l’intention des défunts sont doncaccompagnées d’aumônes pour les pauvres. Il s’agitle plus souvent de repas. Ainsi, la « pompe de l’éco-nomie clunisienne » qui, c’est vrai, procure tant derichesses, entraînera des dépenses considérables,car le nombre des morts augmentant comme c’estfatal, il faudra nourrir de plus en plus de pauvres !

La communicationde l’abbaye seformalise au fur et à mesure qu’elledevient puissante

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L’intime de lacommunication interne

Beaucoup serait à dire du « jardin secret » de la vieclunisienne. L’abbaye est une famille. Les moines yvivent et y meurent dans la tradition bénédictine.Or celle-ci privilégie le silence, l’« instrument desbonnes œuvres » selon Saint Benoît. Le silenceimprègne leur communication quotidienne.Cependant, puisqu’il faut échanger, on le fera parsignes. Le système organisé de signes non verbaux,utilisé par les moines encore aujourd’hui, remonte-rait à l’origine de Cluny.Au cœur de la communication clunisienne étaientdonc le silence et le langage non verbal.

Chant et scénographie

Les grands monastères clunisiens ont résonné unepartie de la nuit et durant presque toute la journéedu plain-chant, hymnes, psaumes, chants de lamesse. Un témoin de passage au Xe siècle rappor-te que durant les longues journées d’été, il ne sepassait aucun moment sans que l’office soit célé-bré ! Même les activités profanes, cuisine, rasage(eh oui !), nettoyage, sont accompagnées de psal-modies ! On imagine le lien qui se crée à la longueentre tant d’hommes qui respirent à l’unisson pourchanter, fait d’émotion partagée, de tension versun seul horizon qui transcende la communauté.Ceux qui chantent ensemble disent souvent qu’ilséprouvent cela !La musique et, par elle, la liturgie, furent les instruments de connaissance les plus efficaces au XIe siècle (G. Duby), adaptés à un monde qui« ne cherche pas à raisonner sa foi, il ne se sou-cie ni de cause, ni d’effet ni de preuve, mais decommuniquer avec l’invisible et nulle voie ne luiparaît plus directe que l’expérience du chœurliturgique » (id.).Le chœur monastique était le lieu de mises enscène minutieusement définies : décors et vête-ments, mouvements, lumières, textes, chants, psy-chodrames même, auxquelles le peuple étaitconvié à certaines occasions. Plus tard, dans lescathédrales, naîtra le théâtre, ancêtre de nosmodernes spectacles.

Le chapitre ou la réunionquotidienne d’information

Les « cadres » du monastère, qu’on appelaitmoines profès, se réunissaient tous les jours lematin en chapitre. Ainsi appelait-on cette réunionparce qu’elle commençait par la lecture d’un cha-

pitre de la règle. D’où, nos expressions « chapitrerquelqu’un », « avoir voix au chapitre ». La salle deréunion, ou salle capitulaire, se trouve le long ducloître, carrefour obligé des voies de communica-tions interne, et proche du chœur.Après la lecture et quelques instants de silence, lesupérieur et les responsables de fonctions appor-tent aux participants des informations sur les litur-gies du jour, les morts à y évoquer, les visitesattendues, l’état de santé de certains moinesmalades, les affaires en cours, les événementsextérieurs. Ensuite, on répartit les tâches de lajournée.Y avait-il des comptes rendus de réunion ? S’agissantdes chapitres quotidiens, probablement pas. Maisles réunions à enjeu, organisées à l’occasion deconflits par exemple, à l’intérieur ou à l’extérieur,tels les conciles ou les chapitres généraux, en pro-duisaient.La chancellerie de Cluny, c’est-à-dire le serviceadministratif qui émet et conserve les actes de gou-vernement, sera plus importante, à une époque, quecelle de Rome. Quant aux cartulaires clunisiens,recueils de documents écrits compilés par lesmonastères, ils sont une mine pour les historiens.

Les règlements intérieurs,catalogues Manufrance dela vie quotidienne

Comment la poignée de moines des débuts a-t-ellegénéré en deux cents ans un corps social près demille fois plus grand ? Comment l’identité cluni-sienne et son projet se sont-ils transmis de généra-tion en génération, à Cluny même, mais aussi deCluny à l’Italie du Nord, à l’Espagne, et ailleurs enEurope ? Comment les convictions des premiersmoines se sont-elles muées enorganisation ? « Une commu-nauté monastique est untube à essai où le plusincroyant des hommespeut tester nos capa-cités à faire corps »(R. Debray).L’éprouvette cluni-s ienne nous révèlel’importance des cou-tumiers qui consignentles mœurs des moines. Clunyen eut quatre. Mises en formed’expérimentations incontrôlées, par essais eterreurs, ils sont, d’après Régis Debray, les témoinsde l’âge d’or de la sociologie occidentale (IVe auXIIIe s.). Qu’y trouve-t-on ? Les coutumes, rites,règles quotidiennes des moines « du cœur de la

Les coutumierssont à la fois des guides, desvecteurs d’image,et des supportsde formation

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nuit à la fin du jour ». Ils nous renseignent sur lessalaires des serviteurs laïques, le détail des céré-monies et des processions, l’ordonnancement desrythmes et des horaires, les instruments de cuisine,les traitements médicaux, le fonctionnement del’infirmerie, l’accompagnement des mourants,l’hygiène, les comportements au chœur, au réfec-toire, au dortoir… Ils consignent avec clarté etprécision ce qui nous paraît être détails. MaisDieu ne réside-t-il pas dans les détails qu’on pré-voit, de même que le diable se cache dans ceuxqu’on néglige ?Supports d’information, les coutumiers sont écritsd’abord pour les monastères étrangers, à leurdemande. Vecteurs d’image, ils informent sur lemode de vie clunisien les seigneurs désireux defonder chez eux un monastère. Moyens de forma-tion, ils aident les recrues adultes lorsqu’elles arri-vent en nombre (2e moitié du XIe s.). I ls sontd’abord des guides ; l’un d’entre eux ne s’appelait-il pas le Livre du chemin . Ils ne deviendrontqu’ensuite normatifs (après le XIe s.).Ils nous apprennent que le fait a précédé le droit,et que les coutumes, ciment d’identité collective,se sont longtemps transmises par imitation et ora-lement.

Le Moyen-Âge avaitses « job descriptions »

Dès leur apparition en Occident, les monastèressont hiérarchisés et organisés en fonctions appe-lées offices. Les tâches des « officiers » étaientdécrites avec soin, comme en témoignent les cou-tumiers. Cluny reprit cette tradition et allongea laliste des offices, vu le nombre des moines ; maniè-re aussi d’occuper les moines profès. Les « offi-ciers » rendaient compte à l’abbé. Existait-il desentretiens d’évaluation ? Des parcours de carrière ?En fait, certainement. On avait plus de chance dedevenir abbé si auparavant on avait été prieurclaustral, c’est-à-dire responsable des servicesinternes, ou grand prieur, responsable du spirituelet du temporel, second de l’abbé ; une fonctionprescrite dès l’origine par Saint Benoît qui, dans sagrande sagesse, craignait l’exercice personnel dupouvoir. Toujours est-il qu’on passait d’une fonc-tion à l’autre, certaines relevant du spirituel, lesautres du temporel où il y avait de quoi faire : grai-netier, cellérier en charge de l’alimentation, cham-brier ou financier, forestier chargé de la gestiondes forêts, gardien du vin, jardinier, connétable(chevaux), etc.

Cluny, restaurant du cœur,samu social, refuge des SDF

L’accueil exercé par les clunisiens coûtera de plus enplus cher ! Vers 1085, pour distribuer de la viandeaux indigents, à la veille du carême, il a fallu qu’onabatte 250 porcs pour 17000 pauvres. G. Duby acalculé que les doyennés autour de Cluny, entre1080 et 1155, consacrent un quart de leur budget àla distribution d’aumônes et à l’accueil des hôtes !Tant et si bien qu’il faut redresser la situation.Pierre le Vénérable décide de limiter le nombredes repas offerts à 50 par jour afin, dit-il avec unhumour noir, « que les morts ne finissent pas parexterminer les vivants » Ce qui faisait encore18 000 repas par an !On le voit, Cluny et les autres lieux clunisiens,surtout les plus grands, tels Paray-le-Monial,Moissac, Vézelay, et tant d’autres hors de France,furent des lieux d’accueil, d’échange, ouverts auxautres, riches (à cheval) et pauvres (à pied). Ils setrouvaient sur des routes passantes, à la différencedes cisterciens ou des chartreux qui s’enfonçaientau fond des forêts. Ce sens de la communicationroutière fera jouer aux moines de Cluny un rôlemajeur dans le développement des Chemins deSaint-Jacques.

Des audits déjà

En se développant la famille clunisienne se trans-forme. Au XIIIe siècle, elle devient un « ordre »organisé en provinces. Le chapitre général, sortede parlement des moines, est son organe de déci-sion. Cent ans plus tôt, 1 400 moines avaient déjàété convoqués à Cluny ! On imagine la logistiquedes réunions, de l’hospitalité, des voyages et…leur coût.Les chapitres généraux font le point sur les inspec-tions réalisées dans les prieurés durant l’année. Ils’agit d’audits en bonne et due forme. Les « audi-teurs » vont deux par deux dans les couventsd’une même province. L’un appartient à la provin-ce et l’autre lui est étranger. Astucieux ! Ils effec-tuent leur mission avant l’hiver pour éviter lesintempéries. Comment font-ils ? Ils n’imposentrien, n’étant que des informateurs. Ils constatentde visu l’état des bâtiments, des biens et des per-sonnes, se font exposer les problèmes dans tousles domaines, spirituel et temporel, disposant par-fois de questionnaires ad hoc. Ils ont accès auxdocuments utiles. Ils rédigent ensuite leurs rap-ports dont ils présenteront la synthèse à l’assem-blée générale où les décisions seront prises par lesseuls définiteurs (entre quatre et quinze) qui sontélus ; l’abbé de Cluny ne pouvant en être.

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Communicationet signification

Notre survol de la communication clunisienne alaissé dans l’ombre de nombreux points : la trans-mission des savoirs par l’écriture et par l’école, lesubtil formatage de l’image institutionnelle deCluny par l’écriture de son histoire, les médiationsdes moines entre responsables politiques, la com-munication épistolaire favorisée déjà par SaintBenoît, les messages transmis par les arts, l’utilisa-tion des images, la symbolique des couleurs(moines noirs clunisiens, moines blancs cister-ciens, deux univers !)Reste que ce trop bref détour par l’Histoire, ceregard porté mille ans en arrière, donne à penserpour aujourd’hui. Retenons cette réflexion deRégis Debray, orfèvre en sémiologie, qui tombe àpic : « L’erreur du jour consiste à croire qu’onpeut faire une communauté avec des communica-tions. Comme une culture avec des équipementsculturels. D’où, ces tuyauteries sans eau, ces car-rosseries sans moteur, ces moyens sans finalité quifont la panoplie du loisir contemporain. Ne met-tons pas, nous, la charrue avant les bœufs, enpensant la communication hors la signification. »(Vie et mort de l’image, p. 82). Tout le contrairedes Clunisiens.

Sources :D. Iogna-Prat : Ordonner et exclure, Aubier 1998M. Pastoureau : Le noir (2008) chap. sur moines de Cluny et les Cisterciens (Noir et blanc)R. Debray : Vie et mort de l’image, FolioLe feu sacré, FolioM. Pacaut : L’ordre de Cluny, Fayard

Robert de Backer Administrateur de l’Afci

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DOSSIER

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La crise par vagues successives

Pour l’immense majorité des Français concernés, lacrise a commencé fin 2008/début 2009. Mais parlerde crise est inexact : la crise, non ; les crises : oui.D’abord la crise du crédit aux États-Unis, au prin-temps 2007, qui touche les ménages américains.Ensuite, la crise bancaire aux États-Unis, puis enEurope, dans la deuxième moitié de 2007 et en2008. Et puis, la contagion à l’automne 2008 auxvaleurs boursières bancaires des deux côtés del’Atlantique, suivie de la crise boursière généralisée

à l’automne 2008 et, surtout pendant l’hiver 2008-2009. Ces crises bancaires (restriction du crédit)puis boursières (effondrement des valorisations)déclenchent les crises économique puis sociale quibalaient les économies, non seulement occidentalesmais aussi mondiales. Il est intéressant de revenir surces vagues successives, ces crises qui ont conduit àla situation violente que nous subissons aujourd’hui.Mais au préalable, une première question : à quipeut-on imputer la responsabilité de ces crises ? Lesresponsables sont assez faciles à identifier.

Une crise, des crisesla crise

Crise. Tous les jours depuis octobre 2008, les médias parlent decrise. Depuis début 2009, ce mot est dans la bouche des politiqueset dans les communiqués des sociétés, mais surtout, il occupe lequotidien de nos vies et notamment celle des salariés touchés direc-tement dans leur emploi. Tout le monde le dit : la crise est profonde,exceptionnelle, mondiale. Oui, bien sûr. Mais chacun s’interroge : à quand la fin de la crise? On pourrait penser que tout a été dit surla crise : origines, ampleur, conditions de sortie. Mais tous ces pointsméritent une remise en perspective.

Jean-Yves Léger

Quand la

passeen mode «crise»communication interne

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

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Crises et crise : à qui la faute?

La première cause est à chercher bien sûr aux États-Unis avec la politique de l’argent pas cher et du créditfacile mis en place à la fin des années 90 et début desannées 2000 par Alan Greenspan, le gouverneur de labanque centrale (FED), notamment pour aider aumaintien du plein emploi. Pendant cette période, lestaux d’intérêt directeurs de la FED passent de 6,50 %en mai 2000 à 1,75% fin décembre 2001… et 1 % enjuin 2003… Une autre illustration de l’argent faciledans le monde: entre 1987 à 2006, les crédits ontaugmenté en moyenne annuelle de 15% alors que lesPIB ne progressaient que de 4 % à 5 %…À noter que la situation est très différente entre lesÉtats-Unis et la France concernant l’épargne et àl’octroi du crédit. Aux États-Unis, l’épargne desménages est négative alors qu’en France, on enre-gistre un taux d’épargne de 15 %. Aux États-Unis,on prête avec peu de contrôle alors qu’en France,on prête à qui peut rembourser : c’est une règledure mais qui montre, dans la période actuelle, sapertinence.Deuxième explication : le mode de rémunérationdes dirigeants, aux États-Unis mais aussi ailleurs, enparticulier dans le secteur financier. Les bonus et lesstocks options, c’est-à-dire les variables, sontdevenus, et pas seulement pour les banquiers d’af-faires américains, une part croissante des rémunéra-tions qui ont atteint des niveaux énormes étroitementliés à l’évolution de la Bourse : il faut faire monter lescours de bourse, d’où une priorité donnée à la renta-bilité à très court terme, avec le développement dansle monde bancaire de produits financiers risqués. Lesdossiers gérés par les banques d’affaires génèrent descommissions énormes pour les établissements etpour leurs employés : ainsi, en 2007, les rémunéra-tions des salariés des cinq principales firmes de WallStreet étaient de 66 milliards de dollars…Troisième raison à la crise : un laxisme certain, enparticulier aux États-Unis, dans le contrôle desmarchés et des opérations par les autorités ; lacomplaisance de nombreux acteurs, seule explica-tion, par exemple, à l’affaire Madoff ; la faiblesurveillance des risques par les banques ; et surtoutle rôle ambigu des agences de notation. En théorie,ces agences ont un rôle majeur pour les marchés etles investisseurs : elles doivent leur baliser le terrain.En pratique, le fait marquant les concernant a étéleur aveuglement face aux événements. Leur faiblenombre (trois établissements se partagent le marchémondial), leur mode de rémunération (elles sontpayées par les sociétés qu’elles notent), leurs condi-tions d’intervention (avec parfois des conflits d’in-térêt) et leurs critères de notation les ont à l’évidenceconduites à ne pas être les censeurs de pratiques peurecommandables et à ne pas s’étonner de la faiblessedes contrôles.

Et enfin dernière raison, origine majeure de cettecrise : la conception et la commercialisation deproduits financiers à rendements fous et à risqueapparemment dilué via la titrisation ; les subprimesen sont évidemment le meilleur exemple.Dans une logique de crédit facile, les banquesaméricaines ont fait des prêts hypothécaires à desclients finalement peu solvables, mais en s’appuyantsur l’idée que la hausse de l’immobilier permettra larevente, le remboursement et le ré-emprunt, et ainside suite… Les banques américaines ont ensuitemutualisé leurs dettes via la titrisation et doncrevendu aux investisseurs du monde entier lescréances sur leurs clients pour pouvoir continuer àprêter. Le poison s’est donc répandu dans tout lesystème quand sont venus la crise immobilière auxÉtats-Unis début 2007 et les premiers défauts desolvabilité d’un nombre croissant de ménages, quiont entraîné le début de la baisse des prix de l’im-mobilier : les actifs sont devenus non liquides etdonc toxiques…On peut donc formuler l’équation simple :

Non limitation du crédit+ Produits financiers fous+ Crise immobilière

= Crise des subprimes

La crise du crédit (printemps,été, et surtout automne 2008)

Petit rappel : une banque est un établissement quidispose de fonds propres et reçoit des dépôts, lecumul des deux déterminant sa capacité à faire desemprunts sur le marché interbancaire. L’ensembledes ressources d’une banque et la confiance qui luiest faite sur le marché permettent de déterminer lemontant des prêts possibles à la clientèle.Lorsque les clients des banques américaines ontcommencé à ne plus rembourser leurs prêts,certaines banques ont commencé à perdrebeaucoup et ont dû passer des provisions (plusieursmilliards de dollars aux États-Unis au printemps2008) qui ont diminué leurs fonds propres.Il en est résulté une perte de confiance qui fait que labanque A ne prête plus à la banque B, et donc lestaux d’intérêt interbancaires montent, et donc lesressources se font plus rares et plus chères, et doncvient le rationnement du crédit et des prêts à l’éco-nomie, et donc le marché se bloque, et donc lesporteurs de prêts titrisés, en particulier les hedgefunds, sont fragilisés, et donc, et donc… c’est la crise

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bancaire… illustrée par une donnée : entre 2005 et2007, les impayés bancaires ont triplé aux États-Unis. Illustrée aussi par les pertes des banques :Merrill Lynch : 2,2 milliards dès octobre 2007, UBS :12 milliards de FS ; par les rachats de NorthernRock par le gouvernement britannique, BearStearns par JP Morgan, Merrill Lynch par Bank ofAmerica, Freddie Mac et Fannie Mae, les deux refi-nanceurs immobiliers, par l’État américain, Dexiapar les États français et belge, Wachovia parCitigroup ; par le sauvetage de Morgan Stanley parune banque japonaise et, bien sûr, par la faillite deLehman Brothers. Sans oublier, en France, la prise departicipation de l’État français dans le nouveaugroupe Banque Populaire/Caisse d’Épargne…

De la crise du crédit à la criseboursière bancaire (printemps/été2008) puis globale (été, et surtoutautomne 2008)

Au cours de l’été 2008, à travers le monde, la valeuren bourse des banques baisse parce que leurs fondspropres baissent à cause des dépréciations quientraînent des pertes (1000 milliards de dollars entre2007 et novembre 2008) et de leurs perspectives quideviennent incertaines.Ainsi, à Paris, l’indice boursier du secteur bancairerecule de 10% entre janvier et mai 2008, puis de 50%entre mai et décembre 2008. L’exemple du bon élèvedu secteur à la Bourse de Paris, la BNP, est édifiant :le cours de 73 euros début janvier 2008 est encorede 64 euros début octobre, mais se situe à29 euros le 31 décembre, soit un recul de59 % en un an…Dans ce contexte, les banques sontobligées de faire appel à leursactionnaires : augmentations decapital de la Société Générale, duCrédit Agricole, de Natixis enFrance par exemple.Puis vient la contagion et toutes lesvaleurs cotées dans le monde sontattaquées. L’évolution du CAC 40 àParis est symbolique…

La propagationà l’économie réelle

Les banques touchées, la bourse en fort recul, lereste de l’économie va être atteint car les banques,c’est le crédit, qui permet aux entreprises d’investir,aux particuliers de consommer.C’est donc sans surprise les secteurs dont les produitset services sont largement préfinancés ou financéspar le crédit qui souffrent le plus rapidement :

construction/promotion, immobilier, automobile…L’autre point crucial, c’est que le resserrement ducrédit a pour conséquence de réduire les facilités

de trésorerie pour beaucoup de petites etmoyennes entreprises.Cette crise met pourtant, curieusement,un certain temps à être réellementperçue par les marchés et à setraduire dans les prévisions de résul-tats pour 2008. La crise est unélément peu présent dans lescommentaires sur les résultats semes-

triels de 2008 des sociétés du CAC 40publiés fin juillet et fin août. Certes, les

sociétés du secteur bancaire ou de l’assu-rance parlent de la crise et quelques autres sociétéscitent la hausse de l’énergie et le ralentissement del’économie ou de la consommation dus à la crisefinancière mais il convient de noter que Saint-Gobain est le seul groupe industriel à réviser à labaisse ses objectifs. Les autres sociétés du CAC 40n’évoquent pas la crise, certains groupes relevantmême leurs objectifs de profits… ou annonçant desinvestissements conséquents d’extension decapacité (Arcelormittal). Étonnant, quand on sait quela communication financière sur des résultats semes-triels est à la fois un compte rendu mais aussi la

Des facilités de trésorerie réduites pour les PME

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L’évolution du CAC 40

Date Niveauoctobre 1998 2900septembre 2000 (bulle internet) 6944avril 2003 2393juin 2007 6200fin décembre 2007 5614juin 2008 4923 novembre 2008 3487fin décembre 2008 32183 avril 2009 2958

En 2008, les indices baissent fortement:CAC 40: - 43 %; Dow Jones: - 34 %; EuroStoxx 50: - 44 %.Ainsi, début 2008, les marchés de New York,Tokyo, Londres, Francfort et Paris pesaient 24000 milliards de dollars ; en octobre 2008, ils ne valaient plus que 16000 milliards de dollars, soit une perte de 8000 milliards, c’est-à-dire quatre fois le PIB de la France…

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

Les cahiers de la communication interne n° 24 - Mai 2009

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transmission d’éléments qui doivent permettre aumarché de consolider ou de modifier son opinion.Même constat ou presque à l’occasion des résultatsau 30 septembre 2008 publiés fin octobre/débutnovembre. Sur vingt communiqués analysés, sixseulement parlent de « crise » (trois) ou « crise finan-cière » (trois), et trois mots reviennent fréquemment,plus de treize fois chacun : « dégradation », « diffi-cile », « ralentissement ».Mais le plus surprenant est l’écart constaté entre lesestimations des analystes sur les résultats de 2008des sociétés du CAC 40 et la réalité des résultatspubliés en février et mars 2009. Ainsi dans Le Mondedu 16/11/2008, le total estimé pour les résultats dessociétés clôturant au 31/12/2008 était de96 milliards d’euros. Dans le Journal des Financesdu 10/1/2009, l’estimation était de 88 milliardsd’euros. Dans Le Figaro du 3/2/2009, le consensuspour ces sociétés ressortait à 83 milliards d’euros. Et,surprise désagréable, début mars 2008, après lesdernières publications, les résultats définitifs condui-sent à un total de 65 milliards d’euros. On constatedonc un écart de 30 milliards entre les estimations

de novembre 2008 et les résultatsde mars 2009, ce qui peut

sembler logique car la criseest arrivée. Mais l’écartest de 18 milliards entrele consensus de févrieret les résultats défini-tifs : un écart moinsexplicable. Erreurd’appréciation desanalystes, mais les

entreprises auraient puréagir. Mauvaise visibilité

des entreprises, mais c’estinquiétant pour la qualité du

contrôle de gestion des sociétés. Ou bienfaut-il voir dans la crise un bon prétexte pourprocéder à un coup de rabot ou de paille de fer,comme disent les spécialistes, pour procéder à desrestructurations avec un bon prétexte, ce qui auraaussi pour effet d’établir une base de départ plusbasse quand on comparera les résultats 2009 et ceuxde 2008…

Et maintenant, quelle suite à l’histoire?

Tout le monde est d’accord pour considérer quecette crise est exceptionnelle. C’est vrai. Mais ellen’est pas la seule de ces dernières années.Peu d’enseignements ont été vraiment tirés de cescrises de natures diverses, d’ampleurs différentes,dont certaines ont été pourtant violentes.

Certes, les réglementations ont été renforcées surplusieurs marchés, mais trois éléments sont venuscontrarier ces remises en cause : le rôle croissant del’actionnaire dans la vie des entreprises, la part crois-sante de l’actionnaire dans le partage des richesses,l’argent facile et les rémunérations effarantes decertains dirigeants.À ce sujet, comment ne pas relire cette déclarationfaite le 16 juillet 2002 par Alan Greenspan, legouverneur de la banque centrale américaine : « Leshommes ne sont pas devenus plus cupides que parle passé. Ils ont simplement eu beaucoup plus depossibilités de l’être. La falsification et la fraudedétruisent le capitalisme ». Il ajoutait : « J’ai eu tortde penser que le marché seul pourrait résoudre leproblème ». Il concluait : « Si nous réglons leproblème des Pdg, les autres problèmes disparaî-tront ». Cupidité, argent facile, fraude : tout est ditdès 2002 par une autorité majeure du monde écono-mique et financier mondial. Mais rien n’a étévraiment fait et on a vu le résultat avec l’affaireMadoff, qui en est une illustration parfaite. Une

De nombreuses crises depuis 40 ans…

Période Événement

1973 Crise pétrolière

1982 Crise des pays émergents

1987 Krach boursier

1991 Crise post-guerre du golfe

1992 Faillite des caissesd’épargne américaines

1990/1997 Krach immobilier

1997 Crise asiatique

1998 Faillite du fonds spéculatifLTCM aux États-Unis

1999/2001 Création et éclatement de la bulle internet

2002 Scandale Enron et crise russe

2003/2007 Montée vertigineuse des bourses mondiales

2007/2008 Crise des subprimeset la suite…

Fin 2008/2009… La Grande Crise

Un écart de 30 milliards d’eurosentre les estimationsde résultats denovembre 2008 et les résultats de mars 2009

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histoire qui nous ramène aux escroqueries les plusbasiques et les plus classiques avec des ressortssimples : la cupidité, la complaisance, le règne del’argent roi et le rêve du rendement magique, lanaïveté (l’argent coule à flots et on ne se pose pas dequestions), la multiplication des intermédiaires etdonc des commissions, des organes de contrôlebluffés (complices ?) et 50 milliards de dollars enmoins dont on a perdu la trace…Des analyses très différentes existent sur leschances et les conditions du rebond.Certains le situent dès fin 2009,d’autres le voient plutôt en 2010 etcertains disent que la crise vadurer plusieurs années. Difficilede prétendre avoir la réponse :pourtant, selon moi, il y a desraisons d’espérer.D’abord, nous ne sommes pas en1929, les États-Unis ne sont passeuls au monde et les pays émer-gents ont un rôle croissant dansl’équilibre économique mondial.Ensuite, dans le monde entier, l’interventionpublique a été rapide. En 1929, aux États-Unis, ilavait fallu trois ans pour un premier plan d’aide.Aujourd’hui, en six mois, auront été mis en place unplan de sauvetage des banques dans de nombreuxpays, notamment en France ; une politique derelance active en Asie, en Europe et aux États-Unis,avant l’arrivée de Mr Obama (plan Paulson :700 milliards dollars) et surtout après (800/1000milliards dollars) ; la tenue d’un G20 débutavril 2009. Le point crucial est l’activisme et le retourde l’interventionnisme des États, avec bien sûr unproblème majeur : l’endettement croissant et recorddes États. En effet, les 1600 milliards d’euros environconsacrés par les États-Unis, les États européens et laChine à leurs plans de relance et les 1000 milliardsde dollars nécessaires pour racheter les actifstoxiques aux États-Unis devront au final être réglés,d’une façon ou d’une autre…Autres points à noter : le rôle de certains pays (Inde,Chine, Russie, par exemple) qui ont besoin des paysoccidentaux, en notant toutefois quelques incerti-tudes : le problème de la solvabilité des paysd’Europe Centrale, l’évolution du prix des matièrespremières, et le rôle que décideront de jouer lesfonds souverains.En France, la situation des entreprises n’est pashomogène. À côté de secteurs très touchés (auto-mobile, banques, assurances), certains secteurstrouveront des relais de croissance grâce aux carac-téristiques propres de l’économie et du pays quipeuvent aider à amortir la crise : une épargne élevée,un taux de fécondité important, l’importance écono-mique des seniors, et, bien sûr, le poids du secteur

public et para-public comme employeur, tant biensûr que l’État peut emprunter pour payer… Cettereprise de l’activité risque évidemment de se faireaprès ou en même temps qu’une casse sociale réelle,mais d’ampleur différente selon les secteurs, cassesociale probablement amplifiée car la crise est, àl’évidence, un bon prétexte dans beaucoup desecteurs.

La Bourse sera un baromètrede ce redémarrage

Si l’on considère que les plans derelance vont avoir des effets assezrapides, que l’inflation va revenirtranquillement, via la baisse destaux, parce que c’est le meilleurmoyen, même peu vertueux, d’al-léger la dette des États, que lesplans de restructuration ou d’assai-

nissement des entreprises vont avoirdes effets positifs sur la rentabilité, que

le décalage entre la valeur objective dessociétés et leurs cours de bourse est trop

important, que l’histoire financière et boursièreenseigne que plus la chute est violente, plus lerebond est rapide (ainsi, après une baisse de 44 % enmoins d’un an après le choc pétrolier de 1973, leDow Jones à New York avait retrouvé 50 % de saperte six mois après), que la bourse anticipe très vite,en se rappelant que qui n’a pas vendu n’a pas perdu,que le placement en actions est le plus rentable surlongue durée et que l’action est une épargne longuedont il ne faut pas avoir besoin à court terme ; alors,on peut imaginer un rebond rapide des marchés d’icifin 2009.Le CAC 40 sera-t-il à 3500, 4000 ou à 4500 findécembre 2009, contre 3218 fin 2008? À chacunson avis, en souhaitant simplement que la raisonreprenne un peu de couleurs dans les mois et annéesqui viennent. Mais les crises précédentes nouslaissent songeurs sur les chances de voir de vraischangements dans les comportements desnombreux acteurs qui ont conduit à la crise en cours.

Jean-Yves LégerConsultant en communication

Directeur Pédagogique, Chaire Communication et Management de l’ESSEC

À quand lerebond : fin 2009?plutôt en 2010?Ou la crise va-t-elledurer plusieursannées ?

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

Les cahiers de la communication interne n° 24 - Mai 2009

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• Nous sommes depuis plusieurs moisdéjà dans la crise. Quelles sont les repré-sentations structurantes de l’opinion desFrançais dans cette crise?Stéphane Rozes : Nous sommes dans une crisesingulière et puissante. Cette fois, elle est systé-mique et elle est perçue comme telle. Tout indiquequ’elle va bousculer la donne à la fois sur le planéconomique et social, mais aussi plus profondémentdans les conduites des individus. Il y a aujourd’huiun cas français dans le rapport à la crise. Aumoment où celle-ci survient, les Français l’ont déjàintériorisée. En tout cas, ils la jugent inévitable. Ils sedéclarent inquiets. Pour autant, leurs comporte-ments restent marqués par un attentisme certain. Àla différence des pays anglo-saxons, par exemple,où l’individu anticipe bien davantage et manifesteune plus grande élasticité dans son quotidien, il y aen France une singulière contradiction entre uneforte inquiétude psychologique et une faible réacti-vité des consommateurs. Cela ne tient pas seule-ment à la meilleure résistance de notre modèleéconomique et social, mais au fait que l’on regarded’abord le politique, et singulièrement Nicolas

Sarkozy, œuvrer face à la crise. Cela renseigne aupassage sur la centralité de l’État et du politiquedans notre imaginaire.

• D’où vient au fond cette contradictionentre représentations et conduites?S. R. : En France, les individus sont scindés. Ilsprofessent des valeurs, mais font souvent lecontraire. D’un côté, depuis quinze ans, nousportons collectivement des valeurs communes decitoyenneté, d’intérêt général, de bien commun,de service public, de laïcité… De l’autre, les com-portements individuels révèlent de puissants cli-vages. Je suis pour l’école publique, mais je metsmon enfant dans le privé, si je le peux, en cas deproblème ; je suis pour la mixité sociale des terri-toires, mais je cherche à m’éloigner le plus pos-sible des zones accueillant des catégories endeçà de la mienne ; je suis profondément huma-niste, mais je me méfie de l’autre ; je suis attachéà un certain modèle social, mais j’abuse de laconsommation de biens et de services rendus dis-ponibles par une mondia l i sa t ion semblantremettre en cause les acquis sociaux… Il y a en

La crise : le choc du souhaitable et du possible

Ancien directeur général de l’institut CSA, et fondateur du cabinetCap Études, Stéphane Rozès analyse les représentations desFrançais depuis de nombreuses années. Il a collaboré à de nom-breux ouvrages sur l’état du pays, du salariat et de l’opinionpublique. Enseignant à Sciences-Po, il intervient souvent dans lesmédias et livre régulièrement ses réflexions de politologue à larevue Le Débat. Il a accepté de répondre à nos questions sur lestransformations de l’opinion dans la crise, sur la place des entre-prises et le rôle de la communication.

Stéphane Rozès

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quelque sorte le souhaitable à long terme et l’ar-bitrage de court terme qui est à l’opposé. Le pro-blème est que l’écart entre le souhaitable et leréel n’a cessé de s’accroître. Ces tensions indivi-duelles sont l’expression des contradictions ausein d’un système qui change. Un système qui,rappelons-le, a dans la dernière période large-ment fait prévaloir l’intérêt de l’actionnaire.

• À quoi conduit ce clivage dans la criseque nous vivons?S. R. : L’ayant intériorisée, les Français perçoi-vent aujourd’hui très bien la crise, mais ils s’enexonèrent encore quelque temps. Comme si l’ontenait encore à distance le réel. La crise va venirbrutalement percuter leurs contractions internes.Lacan disait « La réalité, c’est quand on se cognededans ». On assistera à des réaménagementsprofonds des représentations et des conduites. Lacrise aura non seulement des impacts quantitatifset collectifs, mais aussi qualitatifs et personnels.La réponse des individus devrait aller dans lesens d’un plus grand « rigorisme ». La pénuried’emplois et , plus largement, de ressourcesengendrée par la crise va réduire pour chacun lechamp des possibles et donc réaménager le sou-haitable. D’où une plus grande rigueur, une plusgrande ascèse de la part des Français pour rendreplus cohérentes opinions et conduites.

• Ce « rigorisme » dont vous parlez, est-ceune donnée positive?S. R. : Cela dépend. On peut très bien avoir unenchaînement vertueux si, dans la société, onarrive collectivement et individuellement àréaménager les conduites. Cela peut se traduirepar un retour aux fondamentaux, aussi bien entermes d’ imaginai re commun que deconduite. Mais pour faciliter cettetransformation, encore faut-il quel’environnement des individusbouge. Que le débat démocra-tique sur le souhaitable préva-le sur les logiques de courtterme des acteurs financierset économiques. Sinon, n’arri-vant pas à sortir de leurs ten-s ions int imes, les individusvont recourir au bouc émissaireamenant à l’autoritarisme.

• Parmi les acteurs dans la crise, ily a les entreprises. Quel rôle vont-ellesjouer?S. R. : Elles aussi vont devoir bouger. Certainesn’ont peut-être pas pris encore toute la mesurede la situation quand elles attendent, une fois la

crise passée, un retour au statut ante. Les ten-sions récentes sur les parachutes dorés, les stocksoptions et les rémunérations patronales sontrévélatrices de ruptures en cours. Les entreprisesvont être astreintes à une plus grande cohérenceentre leurs promesses et le réel. Elles peuventêtre demain des acteurs de premier plan duretour de la confiance. Mais, elles devront beau-coup plus qu’avant s’affirmer sur le plan de leurapport à l’intérêt général, de leur utilité sociale,de la mise en valeur de leur métier, de leur rap-port aux territoires, de leurs empreintes environ-nementales, sociales et sociétales. Bref, ellesaussi auront à faire un retour aux valeurs et auxfondamentaux. Non pas certes comme retour dupassé, mais comme facteurs d’avenir et d’innova-tion. Il faut bien voir que la critique du cours deschoses dans l’opinion française concerne moinsl’économie en tant que telle que la contingencede la finance.

• Quels enseignements en tirer en matièrede communication d’entreprise?S. R. : Nos études auprès des entreprises mon-traient déjà avant la crise qu’elles communi-quaient plus sur ce qu’elles étaient que sur cequ’elles vendaient. L’identité de l’entreprise, uneidentité authentique, redevient en tout cas pri-mordiale (« voilà l’empreinte et le récit dans les-quelles je m’installe en tant qu’entreprise dans lasociété »). Et à ce propos, il ne peut y avoir dedéconnexion entre l’identité que portent les sala-riés et ce qui est transmis à l’extérieur. Le besoinde congruence, de cohérence sera de plus enplus fort. L’imaginaire du corps social qu’est l’en-treprise repose sur trois éléments : les dirigeants(avec leur capacité à incarner), le projet commun

et les métiers. Les entreprises qui posséderontune identité forte sur ces trois registres

(dirigeants-projet-métiers), et cela tantà l’interne qu’à l’externe, aurontassez de ressort pour se projeterdans l’avenir. Quant aux salariés,ils auront d’autant plus le senti-ment d’être mobilisés et de semobiliser au travers d’une tâche,d’une fierté et d’une attractivitécommune, qu’ils seront dans une

situation de co-élaboration de l’en-treprise. Les communicants d’entre-

prise sentent d’ailleurs bien cette demandecroissante pour que les communications cor-

respondent véritablement à la réalité. On rechercheune communication par la preuve. Le socialdevient une preuve de l’engagement sociétal etenvironnemental de l’entreprise. Cette pressionne fera que croître.

L’identitéde l’entrepriseredevient primordiale

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

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• Quels thèmes voyez-vous monter dans lacrise?S. R. : De mon point de vue, la crise ne rend pasles problématiques de développement durable etde responsabilité sociale d’entreprise (RSE) obso-lètes. Au contraire, on perçoit de plus en plusque les causes de la crise climatique ou de lacrise financière sont dues à la prévalence desarbitrages individuels privés de court terme sur lesouhaitable de long terme. Dans le monde quivient, les « consommateurs-salariés-épargnants-résidents » auront à procéder à des choix sur lemoyen et le long terme. Leurs choix se porteronten particulier vers des entreprises dont ils pen-sent que les arbitrages de court terme ne sont pascontradictoires avec le long terme. La demandede cohérence envers les entreprises sera décisi-ve. Cohérence entre la promesse et la réalité, leproduit, la marque et le corporate, entre l’interneet l’externe, entre les valeurs, les métiers et pro-duits, le court et le long terme. La société obligel’entreprise à construire un récit et cette exigencequestionne son modèle économique et son orga-nisation interne.

Interview réalisée par Jean-Marie Charpentier,responsable de l’observation sociale, ERDF,

administrateur de l’Afci

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Stéphane Rozès

Jusqu’alors directeur général de CSA et directeurdu pôle opinion, image et stratégies, il quittel’institut d’études au bout de dix-sept ans pour créer Cap Études : Conseils Analyses et Perspectives.

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Salariés, entreprises l’urgence d’un nouveau contrat social

Jean-Marie Besse

omment redonner du sens au travail descollaborateurs, alors que les stratégies sontde plus en plus vite remises en cause ?Comment leur demander des efforts, alorsque les comportements de quelques diri-

geants font penser que la règle du jeu n’est pas lamême pour tous ? En résumé, comment les motiver,à commencer par les cadres, alors qu’ils ont le senti-ment que leur entreprise les défend de plus en plusmal ? L’interventionnisme tous azimuts de l’État (deGandrange à Caterpillar) renforce le sentiment queles entreprises n’assurent plus leur rôle d’employeur.La crise de confiance entre les salariés et leurs entre-prises, maintenant patente, remonte de plus en plushaut dans la hiérarchie 2. Pour rétablir cette confian-ce perdue, sans doute faut-il retravailler le « contratsocial », autour de quatre engagements sur lesquelsl’entreprise doit se repositionner, en contrepartie decelui qu’elle demande à ses salariés.

Emploi : un engagement de moyens plus que de durée

La multiplication des plans sociaux vient de rappelerbrutalement qu’aucune entreprise ne peut plus fairede promesses crédibles d’emploi pérenne. Pour lesnouvelles générations, qui ont intégré l’instabilité dusystème économique, c’est une évidence. Leurpremière attente, dès leur arrivée dans l’entreprise,est de progresser et de développer leur compétencele plus vite possible 3. Cela ramène sur le devant dela scène l’employabilité, qui ne doit plus être unestratégie que l’on affiche quand les choses commen-cent à aller mal, mais une stratégie d’anticipation etde valorisation, prouvée dans les faits et revendiquéehaut et fort. L’arsenal des moyens est très fourni,GPEC, VAE, DIF, en passant par les bilans de compé-tence, les parcours individualisés, etc. Pour les entre-prises, le nouvel enjeu est d’aider chaque salarié àconstruire son projet professionnel, afin de lui

Les conséquences de la crise économique sur le climat interne desentreprises sont dévastatrices. La crise a révélé et accentué la crisede confiance qui, depuis quelques années déjà, couvait entre lessalariés et leurs entreprises. Conséquence : une large majorité desalariés estiment que ce doit être l’occasion de repenser la stratégieet le fonctionnement des entreprises1 pour rétablir leur confiance.Et cela passe sans doute par un nouveau contrat social.

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donner une valeur sur le marché du travail interne etexterne, quels que soient son âge et son espérancede vie dans l’entreprise. Cette employabilité prouvéesera demain le socle de la légitimité de l’imageemployeur de l’entreprise.

Reconnaissance équitable :des preuves !

L’annonce simultanée de bons résultats (2008) et deplans sociaux, puis la polémique sur la rémunérationdes dirigeants, ont rendu encore plus aigu un phéno-mène rampant depuis plusieurs années : la frustrationmajeure des salariés en matière de reconnaissance etd’équité, individuelle et collective. L’analyse enprofondeur de ce sentiment montre qu’il résulte engrande partie du fait que le collaborateur n’a plusd’interlocuteur de proximité : disparition des RH surle terrain (souvent dans la foulée des plans de perfor-mance RH), impuissance des managers de proximitécroulant sous de multiples responsabilités (tech-nique, gestion, organisation, communication, RH),sans véritables marges de manœuvre, faute demoyens, de disponibilité, de supports. D’où uneincompréhension des systèmes de rémunération, degestion des carrières, de valorisation des personnes.Et le sentiment que l’on n’est pas récompensépour les efforts que l’on consent, maisqu’actionnaires et dirigeants s’enten-dent pour se « partager le gâteau »,même quand ça va mal. Or c’est surle terrain, au cœur de la relationde travail, que la reconnaissancefinancière, promotionnelle, etmanagériale se discute et prendtout son sens. D’autant plus queles moyens de reconnaissance sesont élargis : innovation participa-tive, soutien d’engagements citoyensde collaborateurs… La fonction RH doitrevenir sur le terrain, non pas pour « faire del’administratif » comme autrefois, mais en tandemavec le manager de proximité, pour l’aider à « fabri-quer de la reconnaissance »… ressentie par lescollaborateurs ! Et elle le sera d’autant plus que l’en-treprise justifiera d’une répartition équitable desrichesses qu’elle crée entre salariés, dirigeants etactionnaires.

Comportements : arrêter la double injonction !

Les comportements de l’entreprise vis-à-vis de sessalariés doivent être cohérents avec ceux qu’elleaffiche vis-à-vis de ses autres parties prenantes,

clients, actionnaires, pouvoirs publics, commu-nautés. Comment demander aux salariés de traduireles valeurs de la marque dans leurs comportementsvis-à-vis des clients s’ils jugent qu’il y a incohérenceentre ce que l’on promet aux clients et ce que l’en-treprise fait en interne ? Par exemple, lorsqu’uneentreprise se positionne sur l’utilité de ses servicespour ses clients, et donne des objectifs quantitatifs àses commerciaux qui les poussent à faire d’abord duquantitatif. Ou quand une entreprise de servicedéveloppe une gamme spécifique de services pourles handicapés, et reste totalement frileuse sur sapolitique interne d’emploi des handicapés.L’ensemble des pratiques managériales et RH doitdonc être revisité au prisme des valeurs affichées parla marque, avec comme règle de proscrire lesdoubles injonctions, qui accroissent la défiance dusalarié vis-à-vis de son entreprise.

Réinventer le « vivreensemble »

C’est sans doute le plus difficile, avec des structuresen perpétuelle évolution, des changements straté-giques brutaux, sur fond de crise dont personne nesait combien de temps elle va durer. C’est un sujet

qui interroge à la fois les relations sociales et lerôle des représentants du personnel, les

pratiques de management et le rôledes managers, et bien sûr, lacommunication interne. Lemanque de temps pour s’expli-quer, écouter, répondre auxpréoccupations devient drama-tique. Certaines entreprises ontdû subir de graves crises pourréinstituer le principe deréunions régulières d’équipe,

redécouvrir la valeur irremplaçabledu temps collectif, pris régulièrement

et pas une fois par an ou simplementquand il y a crise. C’est une révolution pour la

communication interne, qui doit abandonner lefantasme du contrôle de l’information interne par la« maîtrise des tuyaux » pour investir dans la créationde moments collectifs de communication, c’est-à-dire d’échange, d’écoute, de confrontation, notam-ment entre tous les niveaux hiérarchiques, là où sedétériore le lien entreprise-collaborateurs. Et libérersans complexe la puissance relationnelle du web2.0, parce que de façon irréversible, c’est la réalitécommunicationnelle des salariés. Avec ou sansl’aide des entreprises, ils vont mixer canaux de l’en-treprise et canaux personnels, faire des blogs, wikiset autres, devenir producteurs de contenus sur leurtravail, leur environnement, leurs projets, leurs

Revisiter les pratiquesmanagériales etRH au prismedes valeursaffichées par la marque

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préoccupations. À l’entreprise d’être présente danscette dynamique, dans le cadre de quelques règlesdu jeu simples. À ces deux conditions, la communi-cation interne peut devenir la garante du vivreensemble.Refonder le contrat social va donc plus loin qu’un« dépoussiérage » des conventions et accords collec-tifs. Il s’agit d’apporter des réponses concrètes à desquestions fondamentales :• comment l’entreprise développe ou non l’employa-bilité de ses collaborateurs ;• comment elle reconnaît leur contribution, en touteéquité avec celles de ses actionnaires et de ses diri-geants ;• comment elle facilite le « vivre ensemble », quigarantit le partage du projet, et l’apport de chacun àce projet.C’est un chantier de fond, où l’on doit trouver autourde la table les managers, les RH, la communicationinterne. Sous l’impulsion et avec le soutien de la DG.Sous le regard et avec les contributions des salariés.

1 La fatigue des élites, François Dupuy, Éditions du Seuil,et son intervention au Congrès HR le 1er avril 2009.Quand les cadres se rebellent, David Courpasson etJean-Claude Thoenig-Vuibert 2009.

2 Enquête Liaisons Sociales-Anvie sur l’impact de la crisesur le jugement que les salariés portent sur leur entreprise,in Liaisons Sociales, avril 2009.

3 Génération donnant-donnant : les nouveaux défis del’entreprise pour fidéliser ses jeunes salariés, ÉtudeEuroRSCG C&O en collaboration avec TNS-SOFRES,septembre 2008.

Jean-Marie Besse Partner EuroRSCG C&O

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

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• Comment gérez-vous la communicationinterne dans un ensemble aussi importantet diversifié?Nicolas Cote : Nous avons choisi de privilégierl’information écrite et audiovisuelle. Notre premieroutil est le journal interne Challenges Magazine,diffusé à 5 000 exemplaires, trois fois par an.Challenges couvre l’actualité commerciale duBâtiment International, fait un point sur les grandschantiers en cours, et met en valeur le travail et lapassion des collaborateurs de l’entreprise. Publiéen français et en anglais, il fait la part belle auximages. Quant à l’information « chaude », elle estenvoyée en fonction de l’actualité au travers de nosBreaking News (BN) à l’ensemble des collabora-teurs disposant d’une adresse électronique. Diffuséspar le siège et aisément classables, ces BN couvrentune large palette de thèmes : informations géné-rales, succès commerciaux, prévisions financières,achats, développement durable, ressources humaines,communication, etc.

• Vous privilégiez aussi l’audiovisuel…N. C. : Historien de formation, je crois effective-ment aux « lieux de mémoire ». Les films sont deprécieux témoins de nos réalisations. Ils gardentla mémoire de notre travail et de nos efforts.Nous avons la chance de travailler sur les cinqcont inents . Les paysages , les couleurs , lesambiances y sont particulières. L’image véhiculetout cela et bien plus encore… : l’émotion ! Lesfilms touchent enfin tous les publics, sans dis-tinction d’âge ou de nationalité. Enfin, ce sont depuissants outils commerciaux. Nos clients voientconcrètement les ouvrages construits, dans leurcontexte naturel. Bientôt, tous les collaborateursde notre entreprise auront accès à l’ensemble desfilms produits par Bouygues Bâtiment Internationalau travers d’une plateforme intranet de « video ondemand ».

Communiquer mondialementdans un contexte

profondément mouvantBouygues Bâtiment International, filiale de Bouygues Construction,réalise de grands projets de construction d’hôtellerie, immeublesd’habitation, immeubles de bureau, aéroports, complexes sportifs,et est présente dans une vingtaine de pays à travers le monde :Angleterre, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Maroc, Nigéria,Guinée Équatoriale, Asie Centrale, Dubaï, Hong Kong, Singapour,Thaïlande, Caraïbes, Canada, etc. Nicolas Cote, responsable RH etcommunication de la société, voyage donc beaucoup. Ses rencontresdans le monde entier font de lui un observateur et un praticien aviséen ces temps de crise mondiale.

Nicolas Cote

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• Quel est le rôle de vos filiales dans cettecommunication interne?N. C. : Les responsables locaux reçoivent lesmédias que je v iens d’évoquer : magazine,Breaking News (mails), films. Nous sommes àleur disposition pour les écouter et les conseiller.Ils bénéficient d’une très grande liberté d’actioncar ils sont au plus près des problématiqueslocales.

• Venons-en à la crise financière et écono-mique. Comment gérez-vous ses effetssur le moral et les perceptions de vos col-laborateurs?N. C. : D’abord, notre entreprise est solide et enbonne santé financière, c’est un atout maître. Lesprises de commandes en 2008 se sont élevées à1,75 milliard d’euros. Bien sûr, travaillant à tra-vers le monde, nous voyons au quotidien, peut-être plus que les autres, les effets polymorphes dela crise. Mais chez Bouygues, nous avons apprisà rester lucide face aux difficultés…

• Encore faut-il que les collaborateurs ensoient conscients !N. C. : Évidemment. Voyez par exemple laConvention annuelle que nous avons organiséeen octobre 2008. Elle a rassemblé au siège socialplus de 500 collaborateurs. Son objectif était dedonner une vision concrète, précise et factuellede notre business et de nos perspectives. Factuelle,mais pas pessimiste. Concrète, mais pas décon-nectée des réalités du moment…La géographie nous a servi de fil rouge. Durant cinqheures, nous avons fait le tour du monde de nos

implantations, continent par continent, pays parpays. Une approche simple et pédagogique qui a lemérite de donner une « image » complète de notreactivité. Tout cela en cinq langues, ce qui nécessiteune excellente logistique en termes d’accueil et detraduction. Mais c’est aussi cela la com!

• Comment ces informations ont-elles étédiffusées à vos collaborateurs?N. C. : Au travers d’un numéro hors-série deChallenges : Special Edition. Nous y avons fait dela pédagogie. Langage simple et direct, allantdroit à l’essentiel. Illustrations et graphismes pourles chiffres clés. Une mappemonde centrale etdétachable informait sur l’actualité de chaquepays : contexte géopolitique, stratégie commer-ciale, clients, projets en cours, perspectives 2009,etc. Ce magazine, diffusé à la veille de Noël, a étépréparé dans l’idée d’être partagé par toute lafamille. Pour expliquer, en quelque sorte, à quoiressemble l’entreprise à ses proches…

• Pour conclure, quels sont vos principesd’action pour gérer cette crise?N. C. : Le défi, me semble-t-il, n’est pas de com-muniquer sur la crise. Mais de communiquerdans un monde incertain, paradoxal, qui bougevite et partout à la fois. Nos principes sont lessuivants : dire ce qui se passe et parler des faits ;signaler les difficultés rencontrées dans certainspays ; parler aussi des bonnes nouvelles. Il y atoujours des lendemains…

Interview réalisée par Robert de Backer, administrateur de l’Afci

Le numéro spécial du magazine interne a été l’occasion de dresser

un bilan factuel sur l’entreprise

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« Quand le ciel bas et lourdpèse comme un couvercle…»

Pascal Moisy

L’emploi sacrifié

Nul n’est besoin de plagier le spleen baudelairienpour rappeler l’omniprésence de la crise actuelle etses ravages. Face aux baisses des commandes et autarissement des lignes de crédit offertes aux entre-prises, celles-ci, prises à la gorge, se lancent dansune fuite en avant pour dégager le maximum decash. Objectif : faire face aux échéances, préserverleur santé et leur indépendance financières. Lesappels au secours vers les Pouvoirs Publics, ultimerecours des entreprises aux abois, se multiplient.Mais surtout, partout, la chasse aux coûts est ouver-te. Dans la ligne de mire, solution devenue « natu-relle », ceux liés à l’emploi. Il est loin le temps où lescoûts de personnel étaient déclarés sanctuaire, et oùl’on refusait le terme de « variable d’ajustement »pour désigner les salariés. L’ancienneté, le travailbien fait, voire la compétence pure ne suffisent plus.Pas une semaine ne se passe sans l’annonce de miseen chômage technique de centaines, voire de mil-liers, de salariés qui n’ont pas démérité, de plans dedéparts volontaires souvent prémices à d’autresmesures plus drastiques.

Imaginer l’entreprise de demain

Il y a encore quelques mois, quelques semaines, desvoix s’élevaient pour jeter l’opprobre sur ces patronsopportunistes qui profitent de la crise pour sortir deleur carton les projets d’allégement d’effectifs imagi-nés pour plaire à l’actionnaire. Des critiquesfusaient sur cette éthique capitaliste douteuse, glori-fiant l’optimisation du profit privé et réclamant sanspudeur l’aide publique. Aujourd’hui, la profondeurde la crise ne fait plus de doute et les mesures,jugées extrêmes hier, paraissent pour partie justi-fiées, même si elles sont effectivement doulou-reuses.Bien sûr, on peut s’interroger sur les vices d’un sys-tème capable de générer de tels dysfonctionne-ments. Bien sûr, on peut chercher les responsabilitéset demander des comptes. Mais est-il encore tempsde mener ces combats ? Peu importe finalementcomment on en est arrivé là, nous y sommes ! À pré-sent, l’enjeu est d’imaginer l’entreprise de demain,et la place des salariés dans cette entreprise dedemain.

« Quand la crise grave et lourde pèse sur les cours de bourse,Effrayant les entreprises, privées de crédits,Et que les salariés emportés par la course,Voient l’emploi sacrifié sur l’autel du profit… »

DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

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Le temps d’une belle aventure

Là se trouve le véritable défi des patrons : faire del’entreprise un lieu où vivre une expérience, un pro-jet à partager. L’idée n’est pas nouvelle. La façondont elle se dessine désormais l’est davantage.L’entreprise, demain, sera très probablement articu-lée autour d’une collection de communautés danslaquelle l’individu trouvera naturellement sa place,par affinité, par métier, par projet, plutôt qu’uneorganisation basée sur l’unique dénominateur com-mun de la « culture d’entreprise ». La fameuse géné-ration Y, celle des trentenaires qui ne se font pasd’illusions sur ce que leur employeur peut prendrecomme engagement à leur égard, va s’appro-prier l’entreprise selon ses propres cri-tères et ses propres envies.Pour les autres, ceux dont la rela-tion à l’entreprise se décline sur unmode parfois plus affectif, plusimpliqué, plus moral, une pro-fonde révolution culturelle estindispensable. Car dorénavant,chacun, dans son emploi, doit seconsidérer en sursis. Il n’y a plusd’espace protégé, plus de garantieacquise. Aujourd’hui, la précarité n’estplus un risque mais une réalité, il faudrabien s’y faire !Faut-il composer avec cette nouvelle donne ourésister de toutes ses forces ? Résister, n’est-ce pass’avouer vaincus, finalement ? La solution consistesans doute à abandonner les habitudes du passé,la vision féodale de la relation à l’entreprise pourrejoindre le modèle de la caravane évoquée parHubert Landier 1 : on entre dans une entreprise àun moment « t » car on partage sa culture, ses pro-jets, et parce qu’on y découvre une opportunité enphase avec ses aspirations. Et lorsque l’on trouvel’herbe plus verte ailleurs, alors on se sépare, enrestant en bons termes, pour continuer l’aventureautrement…

Une remise en question quasi permanente

C’est cela qui peut faire la différence : la capacitédes salariés à se remettre en question de façon quasipermanente. Cultiver sa faculté à faire preuve d’agi-lité – flexibilité intellectuelle, mobilité profession-nelle, géographique, managériale. Pas facile, certes.Épuisant à la longue, sans doute. Mais dans unmonde qui change vite, rester statique revient à semettre en péril. Et c’est finalement adopter une atti-tude que l’on pourrait qualifier de plus adulte, loinde la relation parfois infantilisante liant entreprise et

collaborateurs, qui laissent ces derniers orphelinslorsque leur emploi est supprimé.Pour le communicant interne, cette époque estd’une complexité extrême mais s’avère particulière-ment excitante. Il s’agit d’abord d’animer les com-munautés qui se créeront au sein de l’entreprise, deréinventer le lien social dans une entreprise où il sedélite. Il faut être capable de saisir la formidableaubaine qu’offre cette crise pour changer d’époque,pour modifier radicalement le rapport à l’emploi demillions de salariés. Le communicant interne doitréussir ce tour de force consistant à projeter dansune nouvelle ère une population mal préparée, sou-vent apeurée, voire définitivement réticente. Aider

chacun à acquérir les réflexes pour se remettreen cause et rester maître de son destin.

Oser changer, voi là la solut ion.Évidemment, certains refusent etrefuseront toujours par peur, parconfort , par égoïsme… Lesautruches sont partout ! Ceux-là,c’est à l’entreprise de les prendreen main, presque malgré eux.L’entreprise doit empêcher l’im-mobilisme professionnel, former,

donner envie d’apprendre, apprendreà apprendre. Et si finalement c’était ça,

la véritable responsabilité sociale de l’en-treprise ? Faire sortir de terre la tête des autruches !Le communicant interne a du pain sur la planche.Mais il a aussi du talent. Formons des vœux pourque ses ailes de géant ne l’empêchent pas demarcher…

1 Management Social, La Lettre d’Hubert Landier, 4 juillet 2005 n° 704 : De la morale traditionnelle à « l’éthique de la caravane » : faut-il brûler les livres de management ?

Modifier le rapport à l’emploi de milliers de salariés

“ “Pascal Moisy Administrateur de l’Afci

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

Les cahiers de la communication interne n° 24 - Mai 2009

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uillet 2008. Premières décisions d’ajuste-ment de la voilure : objectifs commerciauxfortement revus à la baisse, réduction de laproduction, non-renouvellement des contratsintérimaires (un quart de l’effectif), gel des

recrutements…Il faut expliquer, faire accepter l’inconcevable pourque, très vite, chacun adopte les comportements quipermettront de passer le cap et de rester mobiliséssur les objectifs business, pour rebondir rapidementlorsque le marché repartira.

Préparer le terrain : le rôle cléde la pédagogie économique

La pédagogie économique engagée six mois plus tôt,quand le marché était au plus haut, va maintenant s’in-tensifier. Fin 2007, c’était en effet une gageure, car si lemarché montrait les signes avant-coureurs d’un retour-nement, les ventes de Renault Trucks atteignaient enmême temps leurs plus hauts niveaux historiques.

Le ciseau se refermera pourtant inexorablement, lacrise des subprimes accélérant brutalement le retour-nement de marché. Pendant l’été 2008, la baisse desventes se concrétise pour Renault Trucks (peu d’en-trées de commandes, beaucoup d’annulations). Sonampleur se révèle peu à peu: ce n’est pas un ralentis-sement, c’est un effondrement. Du jamais vu!L’effort particulier de pédagogie économique, décidéaux premiers signes de faiblesse du marché, com-mence alors à porter ses fruits. Une pédagogie d’au-tant plus utile que 70 % des salariés ont moins de dix ans d’ancienneté et n’ont connu que les annéesde croissance de l’entreprise (la dernière crise dure de Renault Trucks date de 1993). Pour beaucoup, labaisse de régime est un concept, une abstraction.Lorsqu’en juillet 2008, la direction annonce les pre-mières mesures, les esprits sont cependant bien pré-parés à l’idée d’un retournement de la conjonctureet du marché – sans toutefois que personne n’aitanticipé l’enchaînement dévastateur de la crise dessubprimes…À partir de ce moment, les messages vont se mettre

Communiquer quand rienne va plus

« La crise économique s’annonce globale, profonde et durable.Comme tous les constructeurs de camions, Renault Trucks connaîtune situation d’effondrement de ses commandes sur l’ensemble deses marchés… » Le communiqué intranet publié en ces premiersjours d’octobre 2008 donne le ton : il sera direct. La crise est quali-fiée : profonde, durable. La baisse d’activité : un effondrement. Cen’est pas un effet de manche : les ventes ont chuté de moitié.L’industrie du camion est le secteur le plus touché par la crise, avantles autres, plus que les autres. Six mois de crise et de communica-tion interne. Récit et réflexions.

Thierry Garnier

J

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en place et se décliner dans les supports d’informa-tion et les interventions du management. Des mes-sages simples, directs. La crise économique estmajeure. Le retournement de marché est violent.Une telle chute d’activité n’a jamais été connue parle passé. La visibilité est nulle au-delà de deux outrois mois. Les premières mesures d’ajustement sontnécessaires – elles ne seront peut-être pas suffi-santes. La réduction des coûts va s’intensifier. Lechômage partiel est un mal nécessaire pour préser-ver l’emploi. Les investissements de R&D doiventêtre maintenus pour préserver l’avenir…

Informer factuellement dans un contexte de crise inédit,imprévisible, inquiétant

Novembre 2008. Le marché poursuit sa chute verti-gineuse : en un an, les ventes des constructeurseuropéens ont baissé des deux tiers. Sur le front descommandes, toujours pas d’embellie pour RenaultTrucks. Le 19 novembre 2008, la direction annonceune nouvelle série de mesures lors d’un CCE extra-ordinaire.L’effort de pédagogie va désormais se déplacer du« pourquoi » vers le « quoi » et le « comment ».Avec un impératif : objectiver, « factualiser » l’infor-mation pour éviter que l’émotion ne l’emporte sur laraison, la perception sur le fait, le symbole sur laréalité. Passant rapidement sur le contexte écono-mique, le marché et la situation commerciale, lesannonces de novembre se centrent sur les nouvellesdécisions d’ajustement :• coupure supplémentaire de la production,• coupure des investissements, à l’exception desinvestissements de R&D stratégiques qui préserventl’avenir,• mesures d’intensification de la baisse des coûts,• dispositif de chômage partiel en 2009 (avec unepremière prévision de 90 jours en 2009 pour le per-sonnel de production).

Non pas rassurer, mais informer, complètement,honnêtement, souvent

Pour la communication, un marathon s’engage. Il vafalloir informer de façon fréquente, exacte, complète,cohérente dans la durée, sur l’évolution de la situa-tion; doser correctement l’information positive sur lesréussites de court terme ou les décisions qui donnentconfiance en l’avenir de l’entreprise ; et pour restercrédible, traquer les prophéties gratuites, les incanta-tions sur les promesses de l’après-crise, le manqued’humilité sur le thème « nous sommes les meilleurs… ».

Rester optimiste, mais raisonnablement…L’enjeu pour l’information est de trouver le justemilieu entre la réalité des faits qui sensibilise etresponsabilise – mais peut aussi faire peur – et lesmessages de confiance mobilisateurs… Un posi-tionnement de curseur délicat lorsque la sortie decrise est encore loin.

Le canal managérial : clé de voûte du dispositif de communication

Lorsque s’achève le CCE du 19 novembre, respon-sables de communication, business partners, RH etmanagers ont été briefés du processus de communi-cation et sont sur les starting-blocks. Dans lesminutes qui suivent, chaque manager reçoit parmail un ensemble de supports de communication.24 heures plus tard, les équipes de travail du matin,de l’après-midi et de la nuit ont été informées. Ellesont pu dialoguer, poser leurs questions, exprimerleurs inquiétudes… Le dispositif de communicationest classique mais complet : communiqué, kit deprésentation (version courte, version longue), ques-tions/réponses, site intranet dédié, expression direc-te des questions avec engagement de réponse sous48 heures, et deux médias « chauds » pour incarneravec simplicité et proximité les messages les plusdifficiles : réunions des équipes de 15 ou de 30minutes, émission de radio interne faisant intervenirles principaux dirigeants.

Les responsables doiventcommuniquer plus souvent etmontrer qu’ils sont à la barre

Dans la tempête, on se tourne vers le chef, on attendsa parole. Tout le monde est sur le pont et observe lebarreur. Le capitaine doit montrer qu’il tient soncap, ajuste la voilure, sait commander… Pour lesdirigeants, il s’agit de montrer qu’ils analysent cor-rectement la situation, agissent avec pragmatisme,traitent les problèmes… sans chercher à les minimi-ser, mais en gardant leur sang-froid. Et en informant.Ce qui fait alors la différence, ce ne sont certaine-ment pas les médias, mais la capacité des managersà dialoguer avec leurs troupes. Le top managementdoit se déplacer, aller au contact, multiplier lesoccasions d’échange direct.À partir de décembre 2008, les rendez-vous du pré-sident avec les 250 cadres de direction deviennentmensuels et se prolongent par un message vidéo duprésident au personnel ; sur le terrain, les équipesindustrielles systématisent les « top 15 et top 30 »(réunions hebdomadaires) pour échanger sur la

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

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situation de l’entreprise et ses effets locaux. Lesmanagers communiquent. Sur-communiquent. Pournombre d’entre eux, la crise marque un tournantdans leurs pratiques de communication.

Le mot-clé : « dialogue »

Dans la tourmente, le comportement des dirigeantsest regardé de près. Et s’ils communiquent plus sou-vent, plus longtemps, plus largement… les managers

intermédiaires se sentent à leur tour encouragés – autorisés, parfois – à prendre le temps de la com-munication directe avec les équipes.Il y a là pour la fonction communication une oppor-tunité à saisir. Il s’agit de valoriser ce rôle de com-munication directe, de fournir aux managers lessupports d’information et de démultiplication qu’ilsattendent (avec une vraie valeur ajoutée par rapportaux supports diffusés au plus grand nombre), de leurdonner une longueur d’avance (un temps d’avanceet une profondeur de contenus informatifs d’avance),

Le rôle du responsable de communication interne dans la gestion de la crise. Que dit le référentiel Afci ?

La crise, une opportunité pour mieux positionner la communication interne dans son rôle de conseil au management

Extrait du Référentiel de Compétences du RCI, disponible sur www.afci.asso.fr

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et enfin de les informer préalablement du processusde communication décidé avant chaque opérationimportante de communication pour qu’ils puissents’y préparer (et ne pas se laisser surprendre).Lorsqu’à l’issue d’un nouveau CCE extraordinaire enjanvier 2009, la direction de Renault Trucks annon-ce sa décision d’étendre le chômage partiel à toutesles catégories de personnel, y compris les cadres –une première dans l’histoire –, c’est encore le canalmanagérial, fortement sollicité dans la communica-tion, qui en assurera le déploiement efficace. Pouraccompagner l’annonce, une série d’informationsfactuelles sur la situation du marché et du business,bien sûr, mais aussi une série de messages. Concis,clairs, directs :• l’hypothèse d’une crise de deux ans ;• la confirmation de l’effondrement des commandes(- 50 %) ;• face à la gravité de la situation, la nécessité d’agirplus vite et plus fort ;• l’entreprise se met en « mode survie » ;•l’impératif de baisse des coûts pour préserverl’avenir de l’entreprise ;• la volonté réaffirmée de préserver l’emploi.

Après les annonces, entretenirla dynamique de communication

Après de telles annonces, les canaux du dialoguefonctionnent à plein. Par la suite, le plus difficilesera de maintenir le rythme de la communicationdirecte dans les périodes d’accalmie. Mais en yregardant de près, il y a toujours des choses à dire – même lorsqu’il n’y a « rien de neuf ».On peut ainsi réaffirmer que l’on prend toute lamesure du problème et de ses conséquences, quel’on s’efforce d’y apporter des solutions (réponsesimmédiates, réponses de long terme), que l’oncontinue à tenir le personnel informé de l’avance-ment des informations…On peut aussi périodiquement promouvoir le dispo-sitif d’expression des questions et de réponses auxquestions – une façon de dire aux managers et auxsalariés « je vous reconnais la légitimité de poserdes questions et le droit d’être bien informés ».

Une opportunité pourdévelopper la communicationmanagériale

On peut enfin – et en cela cette crise est une oppor-tunité pour la fonction communication – s’appuyersur le besoin des managers de communiquer effica-cement avec leurs troupes, pour les aider à dévelop-per leurs compétences en communication : par des

guides pratiques de communication, par des forma-tions (courtes !) à la communication de changement,par des groupes d’analyses de pratiques permettantd’échanger entre managers sur leurs expériences decommunication, par des offres « flash » d’appui-conseil aux managers pour apporter le regard d’ex-pert de la fonction communication… Autant devoies à explorer pour renforcer la fonction commu-nication interne dans son rôle de conseil aux diri-geants, aux managers intermédiaires et, bienentendu, dans sa capacité à être reconnue commeun acteur à part entière de la gestion de la crise.

Thierry GarnierResponsable de la communication interne

de Renault Trucks,administrateur et ancien président de l’Afci.

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DOSSIER : Quand la communication interne passe en mode «crise»

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remier constat : les patrons n’hésitent pas àemployer le mot « crise » dès l’automne2008, et au moment des vœux, le mot estprésent partout, certains écrivant : « La criseest là », d’autres évoquant « une crise d’une

brutalité et d’une profondeur sans précédent ».Ensuite, chacun voit midi à sa porte : « Nous pouvons(…) nous réjouir de notre situation, comparée à celled’autres secteurs industriels, plus rapidement et plusdirectement impactés ». En effet, d’une entreprise àl’autre, la crise est soit un « contexte économique »extérieur, c’est-à-dire qui concerne les autres, soitune « réalité qui frappe à la porte », c’est-à-dire chezsoi. Les plus optimistes, parce qu’ils ne ressentent pasencore l’effet crise sur leurs performances et parceque, rappelons-le, beaucoup ont « réalisé un très bonexercice 2008 », se placent dans une logique decontinuité de l’action engagée (« Nous devons agiravec détermination sans remettre en cause nosobjectifs et notre plan stratégique. ») doublée d’uneextrême prudence, et parlent déjà de « plan d’écono-

mies » au nom de « l’incertitude » et de la « difficultéà évaluer l’impact de la crise ».

Dire les mots

Certains dirigeants annoncent eux-mêmes, à l’occa-sion de ces prises de paroles écrites, des annulationsde séminaires, la réduction des déplacements ou le geldes embauches. D’autres mettent en gardent, pourjustifier des efforts d’adaptation qu’ils pensent bientôtdevoir demander à leurs équipes: « Notre position deleader ne nous protège pas de la crise qui frappel’économie » ou: « Si nous ne devons pas nous croireinvulnérable, nous ne devons pas non plus perdreconfiance ». À l’opposé, dans les entreprises apparte-nant à des secteurs liés à l’industrie et entrées plus tôtdans la crise, le ton est plus grave, évoquant parexemple le spectre des suppressions d’emploi : « Aveccet ensemble de mesures (ndlr : chômage partiel,baisse des cadences de production, réduction des

Paroles de crise : le discoursdes dirigeants à la loupe

En novembre dernier, alors que le mot « crise » avait commencéà s’installer dans les esprits et les stratégies des entreprises,nous avions lancé l’idée d’étudier le discours des patrons et sesévolutions éventuelles, notamment à l’occasion de la périodedes vœux, moment traditionnel pour faire le point de l’annéeécoulée et se projeter dans l’avenir incertain de 2009. Petiteincursion en terre inconnue, dans l’intimité des discoursinternes des patrons à leurs salariés : entre lucidité, pédagogie,franchise et espoir. Et si le discours en mode « crise » était uneaubaine pour la communication interne…

Guillaume Aper

P

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coûts), la direction estime pouvoir passer le cap diffi-cile de la crise de 2009, tout en préservant l’emploi, etêtre au rendez-vous de la reprise du marché », ouencore: « (…) nous devons nous remettre en questionet faire évoluer nos organisations, car s’adapter auxréalités du monde est une nécessité ». Dans d’autresentreprises encore, les dirigeants doivent se plier à unexercice de style peu évident, en s’adressant à deuxcibles antagonistes, ceux qui restent et ceux qui vontpartir : « Nous avons toujours été convaincus quenous disposons de la meilleure équipe du secteur (…)et nous sommes vraiment navrés à l’idée de perdrecertains de nos salariés ».Dans toutes les entreprises, en revanche, le mois demars est clairement un tournant. Les dirigeants ontrepris la parole à cette date, pour annoncer, sans fard,une dégradation de la situation: « Le Groupe, pour lapremière fois de son histoire, prévoit une baisse deson chiffre d’affaires en 2009 » ou: « Aucune entre-prise ne peut tenir longtemps avec un carnet de com-mande au plus bas (…), et nous n’avons pas d’idéesur le calendrier de sortie de crise ». Certains, pourplus de clarté, complètent leur analyse de la situationen mettant à disposition de leurs salariés des informa-tions sur les mesures prises par leurs concurrentsdirects (changements de Président, suppressions depostes, baisses de production…), mais aussi, par desentreprises appartenant à d’autres secteurs mais detaille équivalente, et elles aussi mondialisées. Le mes-sage est clair : ils s’adaptent, nous aussi.

Et l’avenir ?

Le mot qui revient fréquemment pour qualifier lasituation est « difficile ». Le mot, bien qu’assez mesu-ré, est rarement employé seul, sans doute pour nepas rester sur une note négative. L’année sera donc« difficile mais passionnante » ; « Nous demandonsla compréhension et la patience de chacun dans ceprocessus difficile » ; « Ne sous-estimons ni les diffi-cultés, ni nos capacités à relever les défis ». En fait,les difficultés sont quasi systématiquement mises enregard d’un « collectif ». Le « vous/nous » et le« ensemble » font leur apparition à cette occasion :« (…) il faudra nous serrer les coudes, jouer collectif,donner le meilleur de nous-mêmes » ou « Dans latempête, l’intérêt collectif prime sur l’intérêt particu-lier et j’en appelle à la responsabilité de chacunpour que nous passions le cap de 2009 ».Une nécessité rhétorique émerge : garder l’espoir.Même si le mot n’est pas employé, cette thématiqueest sous-jacente dans la manière dont les dirigeantsconcluent leurs interventions, parfois sur un mode unpeu trop incantatoire. Ils rendent ainsi hommage à la« motivation », à « la capacité à répondre aux attentesdes clients (ou à) maintenir le cap », à « l’excellence »,

à la « rapidité de réaction ». Toujours pour donnerespoir et pointer des lendemains plus souriants, unargument est également souvent utilisé, la crise-oppor-tunité : « Notre entreprise saura non seulement traver-ser cette crise mais en sortir plus robuste (…), plussoudée (…) » ou « La situation actuelle offre de nou-velles opportunités de développement ; il est doncessentiel de ne pas nous replier sur nous-mêmes (…)», ou enfin « Nous sommes taillés pour le combat,nous pouvons sortir bien placés de cette crise ».Il est frappant de constater qu’au-delà des secteursd’activité, des cultures, des styles utilisés par les diri-geants pour évoquer la crise, apparaissent de nom-breux points de convergence. Tous jouent la carte dela lucidité, de la transparence, de la franchise, teintésd’une note positive. Ensuite, on constate un clivagefort : les dirigeants des entreprises frappées par lacrise parlent plus souvent, plus concrètement, plusdirectement, plus franchement à leurs salariés. Lesautres conservent un registre plus abstrait, plus indi-rect, plus métaphorique et donc moins pédagogique.Dans les deux cas, les ressorts de la motivation dessalariés qui sont en jeu impliquent des niveaux dediscours bien différents, avec un curseur que lescommunicants déplacent en fonction de la gravité dela situation. En tant que communicant, en tout cas,on peut se demander si on ne préférerait pas recouriren permanence à ce discours en mode « crise », plusproche des salariés. Et si on leur demandait, aux sala-riés, ce qu’ils en pensent… et ce qu’ils ressentent enlisant le discours de leurs dirigeants ?

Guillaume AperVice-Président de l’Afci

Directeur adjoint de la communication de JCDecaux

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Comment avons-nous procédé?

Afin de collecter des textes intéressants, nous avonsdemandé à des adhérents Afci de nous transmettredes discours, éditos ou autres articles de leurs diri-geants, en leur garantissant un anonymat intégral.Les citations et références que vous trouvez dans cet article proviennent d’entreprises de secteursd’activité variés : banque-assurance, automobile,industrie, services… Merci à ces contributeursanonymes, mais qui se reconnaîtront, pour le« matériel » précieux qu’ils ont apporté à cet article.

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Lu pour vous

« Comprendre les organisations parla communication », tel pourrait êtrele point commun de l’ensembledes articles de ce numéro de la revue Sciences de la société. Un numéro à vrai dire tout à faitintéressant sur l’état des recherchesen communication desorganisations. L’occasion en toutcas de prendre connaissance des

récentes recherches menées tant au Canada qu’enFrance. Depuis de nombreuses années, un courantde recherche dynamique existe au Canada autour deJ-R Taylor, E. Van Every, Nicole Giroux entre autres.Un courant fécond qui situe la communicationà la base du phénomène de l’organisation. En clair, ces auteurs développent une conception de l’organisation comme émergeant de lacommunication, la communication entendue à travers ses diverses modalités (réunions, téléphone,plate-formes de travail, espaces de vente, couloir,cafétéria… mais aussi messages, discours, textes).L’intérêt de ce champ de recherche est dedésenclaver la communication, de l’élargir pour lasituer sur le double plan de la conversation et dutexte, pour reprendre les catégories développées parJ-R Taylor. « Situations de communicationprofessionnelle, processus communicationnels imbriquésdans les processus de production de biens et de services,élaboration de discours à vocation performatives par lespolitiques de communication, constituent tout à la foisdes objets d’études et des clés d’interprétation desphénomènes sociaux et organisationnels où ils prennentplace », constatent Jean-Luc Bouillon, Sylvie Bourdinet Catherine Loneux, trois chercheurs qui développent en France ces « approchescommunicationnelles des organisations ». Bien entendu, ces recherches vont au-delà desdimensions fonctionnelles de la communication

Approchescommunicationnelles des organisationsSciences de la société, n° 74, 2008

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En nous faisant suivre pas à pasl'itinéraire d'un dirigeant d'uneentreprise de l'agro-alimentairefrappée par une crise sanitaire,Emmanuelle Tran Thanh Tam,consultante en gestion de crise,et Denis Boulard, journalisted'investigation, nous livrentquelques réflexions sur lesbonnes et mauvaises pratiques

des entreprises dans ce domaine. De l'utilité de croireen ses doutes à l'indispensable préparation en amont,

Mon entreprise face à la criseEmmanuelle Tran Thanh Tam et Denis BoulardÉditions Editea, février 2009, 213 pages

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telle qu’on l’entend dans les entreprises. Pour autant,elles représentent un intérêt majeur pour descommunicants qui sont confrontés à la complexitédes situations en entreprise et qui s’intéressent à la dimension « sociale » des pratiquescommunicationnelles. Des passerelles doivent être trouvées entre des telles recherches et lescommunicants. Non pas pour instrumentaliser les recherches, mais pour progresser dans la voie de la compréhension des transformations. On a trop enfermé, pour de multiples raisons, la communication dans l’image. Or la dimensionsociale prend une telle place que les communicantsont besoin d’élargir leur champ de vision et deconnaissance. On ne saurait donc trop leurrecommander la lecture de ce numéro, même sil’aridité de certains articles peut parfois rebuter. Nous reviendrons prochainement en tout cas sur les enjeux pour les communicants d’une meilleureconnaissance des recherches en sciences del’information et de la communication, et pluslargement en sciences humaines et sociales.

Jean-Marie Charpentier

Les cahiers de la communication interne n° 24 - Mai 2009

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les auteurs proposent des pistes de réflexion à ceuxqui ont, sont ou seront un jour touchés par une crise.Étayé d'exemples concrets (du drame de la vague desuicides du Technocentre Renault de Guyancourt à lafraude financière interne dont a été victime la SociétéGénérale), ce livre balaie les idées reçues solidementimplantées au cœur des organisations. Libérée descroyances collectives et des craintes individuelles, lagestion de crise trouve ainsi une voie conjuguantrigueur et ouverture, maîtrise et sincérité. Finalement,les auteurs nous rappellent que l'expérience de la criseest avant tout une expérience managériale qui porteen elle des risques, mais aussi des opportunités.Révélant les forces et les faiblesses d'une organisation,son exigence tire le management vers l'excellence etrappelle aux dirigeants leur mission première: donnerdu sens à ce qui n'en a, a priori, pas.

Aurélie Renard.

Les valeurs? Quelles valeurs?Régulièrement invoquées dansles entreprises, celles-ci recèlentbien des ambiguïtés. Valeursmorales, valeurs de marque,valeurs institutionnelles? Qu’est-ce au juste que desvaleurs? À quoi servent-elles,comment les choisir, commentles utiliser, comment évaluer

leur intérêt? Thierry Wellhoff, président de l’agence de communication Wellcom, explore le sujet desvaleurs d’entreprise dans son nouveau livre Les Valeurs, aux éditions Eyrolles – Éditions d’Organisation.Bouleversant la dichotomie classique entre valeurs de marque et valeurs éthiques, il apporte un éclairageneuf et propose, sous l’appellation « code génétique »,

Les valeursDonner du sens, guider la communication,construire la réputationThierry Wellhoff,Éditions d’Organisation

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une voie qui permet de clarifier les fondamentaux de l’entreprise, donner un sens aux différents enjeux et garantir la cohérence de ses communications. Il s’attache à dépasser une vision passéiste de l’entreprise exclusivement « fric », ou de l’entreprise uniquement « citoyenne »,l’entreprise « démon » ou l’entreprise « ange ».Le système de valeurs de l’entreprise constitue lemoyen le plus adapté pour réunir les dimensionsinstitutionnelles et marketing, pour fédérer lescommunications internes et externes et pourconstruire la réputation. À condition bien entendud’éviter le simple effet d’affichage et de consacrer un minimum d’efforts…La première partie « Comprendre les valeurs »synthétise le cœur du sujet et nous amène à biencomprendre le sens et donc l’utilité des valeurs sousun angle entrepreneurial et managérial (et mêmephilosophique). La deuxième partie « Connaître lesvaleurs », dresse un panorama des valeurs corporateretenues par les entreprises (cartographie des valeursd’entreprise, classement des valeurs retenues par lesentreprise françaises et à l’international). La troisièmepartie « Engager une démarche valeurs » expose lesmeilleures pratiques et propose une démarche pourformaliser les valeurs de son entreprise, les déployer et les communiquer.Alliant des concepts théoriques et pratiques sur le sujet, cet ouvrage donne des repères précieux pour que les valeurs, au-delà d’un artifice de mode,permettent aux entreprises de mieux partageren interne et en externe le sens de leur action.N’est-ce pas là le cœur de notre métier decommunicant?

Laurence Hurstel

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La chroniquedu net

• Monde :On compte aujourd’hui plus de 1 milliard d’internautes à travers le monde, dont 41 % enAsie et 28 % en Europe. La Chine dépasse les États-Unis (179 millions contre 163). Suivent le Japon(60 millions), l’Allemagne (37), le Royaume-Uni (36,7) et la France (34). L’Inde est septième, devantla Russie et le Brésil. Source : ComScore, cité par le Journal du Net.

Source : www.journaldunet.com/cc/01_internautes/inter_nbr_mde.shtml

• France : En partenariat avec Nielsen Netratings, Médiamétrie a publié en janvier son classementdes cinquante principaux sites web de l’internet français. En tête du classement, Google recenseprès de 30 millions de visiteurs uniques, pour près de 29 millions pour Microsoft, et 23,2 millionspour France Telecom. Suivent de façon décroissante : Pages Jaunes, eBay, Benchmark Group, Iliad,Yahoo, PPR, TFI, Lagardère, Wikipedia, M6, Prime Minister, Facebook.

En savoir plus : www.mediametrie.fr/resultats.php?rubrique=net&resultat_id=638

• France : On enregistre une progression des réseaux sociaux. Plus de 21,7 millions d’internautesfrançais ont visité un réseau social en décembre 2008 (+ 45 % en un an). En premier lieu figureFacebook.com (12 millions de visiteurs), suivi par Skyrock (11 millions de visiteurs), Copainsd’avant (5,8 millions de visiteurs), MySpace (3 millions) et Flickr.com (1,8 million de visiteurs).

Source : www.comscore.com/press/release.asp?press=2725

• France : On note une évolution significative en France de l’audience vidéo sur Internet (passagede 16 à 27 millions d’utilisateurs entre 2008 et 2009). Les principaux bénéficiaires sont (par ordredécroissant d’importance) : Google (15166000) Dailymotion (11478000), Microsoft (4972000),TFI (4795000), Orange (4370000), France Télévision (3378000).

Source : www.comscore.com/press/pr.asp

Brèves du Net

Michel Germain (Arctus)

L’édition 2009 de l’Observatoire de l’Intranet, réalisépar Arctus (www.observatoire-intranet.com), vientde paraître. Dix ans après sa première édition,sept constats principaux synthétisent les tendances.

• Formalisation du « dispositif » IntranetCe dernier s’entend comme une approche globa-le de l’intranet désormais considéré sous satriple dimension : technologique, procédurale(qualification des processus et des procéduresqui conditionnent la dynamique d’actualisation

et de structuration des connaissances) et mana-gériale. Les managers sont impliqués dans le res-pect des bonnes pratiques par les contributeurset les utilisateurs d’une part, et, d’autre part,dans l’exercice de leur fonction managériale(animation et gestion des équipes) en utilisant lesoutils de l’intranet. Dans le même temps, l’intra-net, par la diversification des fonctions de colla-boration qu’il propose, devient un support del’efficience collective. À l’intranet « centre de coût » succède un intranet « centre de profit ».

Tendances de l’intranet en 2009

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• Centrage vers l’utilisateur (conduite de projet, implémentation, etc.)

La participation à l’intranet d’un nombre croissantd’acteurs et de contributeurs s’accompagne d’unenécessaire attention accordée à l’utilisateur sousl’angle de la prise en compte de ses pratiques et deses manières de faire. La dimension de maîtrised’usage (MUE) complète ainsi les rôles plus tradition-nels de maîtrise d’œuvre (MOE) et de maîtrise d’usa-ge (MUE). Dans le même temps, à la structurationverticale de l’intranet (en « silos » d’information pardomaines d’activité) succède une orientation trans-versale de l’intranet organisé par communautés depratiques et communautés d’intérêt qui utilisent desoutils de plus en plus interactifs (espaces collabora-tifs, blogs, wikis). Enfin, les notions de profilage (dif-fusion ciblée des contenus en fonction du statut et duprofil de l’intranaute) et de personnalisation se géné-ralisent.

• Structuration des connaissancesL’augmentation spectaculaire de la masse d’infor-mation gérée par l’intranet incite à formaliser lepatrimoine connaissance de l’entreprise grâce àl’adoption de règles partagées (métadonnées, taxo-nomie, indexation) inscrites dans les mécanismesdu CMS (Content Management System). Elles per-mettent, d’une part, la structuration des connais-sances (en données, connaissances et savoirs) etconditionnent, d’autre part, la performance desmoteurs de recherche.

• Approche organisationnelle et gouvernanceLa complexité croissante de l’intranet, du fait de ladiversité des fonctionnalités qu’il propose, s’ac-compagne d’une formalisation grandissante de sonorganisation. Elle s’exprime à travers les différentsdocuments réglementaires qui formalisent la réali-té de cette dernière (charte graphique, charte édi-toriale, charte technique, bonnes pratiques, chartede gouvernance des dispositifs web, etc.). Enfin,cette réflexion conduit souvent à la définition demodalités élaborées de pilotage de l’intranet parles indicateurs dans un but d’adaptation perma-nente du dispositif proposé, d’évaluation descontributions, comme de quantification du retoursur investissement.

• Développement de l’interactionL’évolution de l’intranet confirme par ailleurs, enraison de l’évolution des fonctionnalités du web(web 2.0 notamment), l’augmentation de l’interac-tion. Elle se traduit sous différentes formes comme :- la transversalité de l’administration et de la contri-bution avec la généralisation de la coopération etdu copilotage de l’intranet ;- la décentralisation de la contribution à l’enrichis-sement documentaire ;- le développement des réseaux sociaux et des com-munautés de pratiques sous la forme d’espaces colla-boratifs, d’espaces transversaux, de blogs et de wikis.

• Professionnalisation et employabilitéLa systématisation de l’intranet – comme soncaractère désormais incontournable – posent laquestion centrale du niveau d’exigence attendudu dispositif mis en place. Cette évolution se tra-duit par la formalisation des compétences desacteurs et des contributeurs dans la définition desrôles, activités, tâches et compétences (savoirs,savoir-faire, savoir-être). Cette attention sert ànourrir les actions de formation destinées à assu-rer un niveau commun de professionnalisme, et àdéfinir le statut des contributeurs, dans un but dequalification des tâches qu’ils exercent et d’éva-luation de leur action.

• Approche globale One NetEnfin, l’inscription de l’intranet dans le contexteglobal du « e-business » confirme la prise encompte de la notion d’entreprise élargie. L’entreprise,confrontée désormais à la diversité de ses approchesinternet, intranet et extranet, porte une attentioncroissante à l’optimisation du dispositif d’en-semble (qualifié de One Net ou xNet). Cetteapproche se traduit par l’adoption d’un systèmeunique de gestion documentaire, la mutualisationdes équipes en charge des contenus documen-taires, l’urbanisation web. Elle s’exprime aussi parla formalisation d’approche de « cross media »dans laquelle le CMS devient la source de la pro-duction des différents médias tant web (internet –intranet – extranet) qu’imprimés (plaquettes,publications, journaux d’entreprise, etc.).

En savoir plus : www.observatoire-intranet.com et [email protected]

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Les cahiers de la communication interne n° 24 - Mai 2009

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Référentiel des Métiers de l’Information et de la Communication

L’expansion d’internet et de ses usages, la mondia-lisation (sur fond de webisation des entreprises)posent la question des compétences requises par les nouveaux métiers. Le référentiel Métiersdes Technologies de l ’ Information et de laCommunication dresse l’inventaire des activités,des tâches et des compétences liées aux nouvellestechnologies. Ce travail est le résultat d’un parte-nariat entre le Celsa (pour la formalisation ducadre méthodologique de construction du référen-tiel et la réalisation d’un certain nombre de fiches-métiers) et plusieurs partenaires publics ou privés,dans le cadre d’un projet mené par la Délégationaux Usages d’Internet (DUI), au Ministère del’Enseignement supérieur et de la Recherche.Ce référentiel vise à répondre au manque de formali-sation des nouveaux métiers et à remédier à :

• la méconnaissance par un large public (parentsd’élèves, enseignants, journalistes, entreprises, etc.)de la diversité comme des promesses de ces nou-veaux métiers ;

• l’incompréhension du corps enseignant (secondai-re et universitaire) devant ces nouveaux profils etles formations qu’il convient de déployer en rela-tion avec ces derniers ;

• la contribution de l’utilisation des nouvelles tech-nologies à l’employabilité des salariés des entre-prises, par la montée en compétence dans leurutilisation (notion de maîtrise d’usage) pour s’infor-mer, communiquer, travailler et gérer les connais-sances, etc. ;

• l’insuffisance des formations traditionnelles (AFPA,Greta, etc.) pour répondre à ces nouveaux métiers,faute d’identification des besoins de formationd’une part et – ce qui est plus grave – de qualifica-tion des formateurs et des axes d’enseignementnécessaires ;

• l’attente des entreprises à l’égard de la formalisa-tion des compétences liées à l’utilisation des nou-velles technologies (savoirs, savoir-faire etsavoir-être) pour revisiter leurs propres référentielsde compétences et développer la notion de« maîtrise d’usage » ;

• le besoin pour les recruteurs (traditionnels et surinternet) de mieux formaliser les fiches de postesqu’ils réalisent et la gestion des candidatures, pourpromouvoir des nouveaux métiers et les postes quien découlent ;

• la nécessité d’une interopérabilité entre cette défi-nition des postes et les approches européennes(vaste marché de l’emploi supranational).

En savoir plus : www.metiers.internet.gouv.fr

Le site internet du Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi offre des ressourcesinsoupçonnées. Ainsi la rubrique « Internet dans l’entreprise » présente un panorama deressources consacrées aux opportunités d’Internet dans l’exercice de leur activité et pour le déve-loppement de leur compétitivité.La sous-rubrique l’e-Management, pas à pas propose quatre dossiers téléchargeables au format PDFtoujours utiles à consulter :• L’intranet pour toutes les fonctions de l’entreprise ;• L’extranet pour toutes les relations de l’entreprise ;• Les réseaux d’entreprise pour augmenter la productivité ;• Comment choisir ses intermédiaires avec internet.

En savoir plus :www.telecom.gouv.fr/rubriques-menu/entreprises-economie-numerique/internet-dans-entreprise/53.html

www.telecom.gouv.fr/rubriques-menu/entreprises-economie-numerique/tableaux-bords-guides-outils/internet-dans-entreprise/e-management-pas-pas-187.html

E-Management

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Les organisations se complexifient, les changements s'accé-lèrent, les outils d’information accroissent la rapidité deséchanges, les attentes des salariés évoluent, l’entreprise se trouve confrontée à de nouveaux acteurs… Pourquoi et comment dans ce contexte la communication des organisationsest-elle interpellée ?

Une certaine idée de la communicationNous croyons que la performance d’une organisation est profondé-ment liée à la qualité des relations qui s'établissent en son seinavec ses partenaires et ses parties prenantes.Nous croyons qu'une communication cherchant à favoriser des relations de coopération équilibrées permet aux salariés, aux diri-geants et à l'ensemble des acteurs de l'environnement d'une organisa-tion, de partager durablement des objectifs communs.

Pour y parvenir, la fonction communication doit écouter le corps social, favoriser la circulation de l’information, développer ledébat et l’expression des salariés, conseiller le management sur sacommunication et développer la dynamique collective.

C’est ainsi que l’Afci conçoit et veut promouvoir la communication aucœur des organisations.

L’Afci au service de ses adhérentsForte de plus de 400 membres, l’Afci, depuis sa fondation en 1989, s’efforce de faire évoluer la communication dans lesorganisations. Elle contribue à accroître la prise en compte de la communication dans les organisations et à faire progresser lespersonnes en charge de la fonction.

Réseau de professionnels, réservoir de compétences et d’expériences,espace de réflexion et d’échanges au carrefour des évolutions de lacommunication des organisations, l’Afci s’est donné trois missions:Professionnaliser : développer les compétences des professionnels.Échanger : offrir un espace d'échange de pratiques, de veille, deréflexion dans les domaines liés à la communication.Rayonner : promouvoir la communication interne dans les pra-tiques de management auprès des responsables des entreprises etdes organisations.

Afci, la communicationau cœur des organisations

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DOSSIER SPÉCIALDANS LES PROCHAINS CAHIERS

Pas à pas, depuis maintenant 20 ans, l'Afci suit lacommunication interne et ceux qui la font. Elle tentede répondre aux questions qui se posent, d'anticiperles changements, de formaliser les bonnes pratiques.À travers des témoignages, des études, des enquêtes,les Cahiers n°25 dresseront un panorama de lacommunication interne et de ses évolutions pendantles 20 dernières années. 

Qu'apporte l'Afci à la communication interne depuis 20 ans ?

Quel est le profil type du communicant interne ?

Comment a évolué la communication interne ces 20 dernières années ?

Quels ont été les impacts du temps, des TIC, de la mondialisation, du développement durablesur la communication interne ?