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L’INDE ET SA DIASPORA : UNE SYNERGIEGEOPOLITIQUE ?Gérard-François Dumont

To cite this version:Gérard-François Dumont. L’INDE ET SA DIASPORA : UNE SYNERGIE GEOPOLITIQUE ?. Ver-luise, Pierre. Histoire, Géographie et Géopolitique de l’Asie, Diploweb, pp.174-186, 2018, 979-10-92676-20-4. �halshs-01795284�

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L'Inde et sa diaspora : une synergie géopolitique ?

Par Gérard-François DUMONT

Recteur, Professeur à l'Université de Paris-Sorbonne. Président de la revue Population & Avenir. Membre du Conseilscientifique du Centre géopolitique qui soutient le Diploweb.com.

Sous l'effet des migrations internationales, de nombreux pays comptent desressortissants ou des descendants de ressortissants qui habitent dans des paysétrangers. Avec l'essor des moyens de communication, ces personnes peuventconserver des liens forts avec leur pays d'origine ou celui de leurs ascendants. C'estainsi que le terme diaspora, usité pendant deux millénaires au singulier car ilconcernait exclusivement les juifs chassés de Palestine, s'applique désormais auplurieP^ à des personnes vivant dans un autre pays que celui dont eux ou leurs parentssont originaires. Or, cette réalité nouvelle qu'est l'existence de groupes diasporiquespeut-elle avoir des effets géopolitiques ? Afin de répondre à cette question, analysonsici l'exemple de la diaspora indienne dans le monde, ou plus précisément desdiasporas indiennes dispersées sur tous les continents et dans de nombreux pays.

Cela nécessite d'abord de comprendre les flux migratoires explicatifs de l'existence dediasporas indiennes. Il conviendra ensuite d'en prendre la mesure géographique, vuedes pays d'immigration et vue de l'Inde, et de préciser le cheminement qui a conduitles gouvernements indiens à s'intéresser à leurs diasporas. Enfin, le rôle géopolitiquedes diasporas indiennes sera examiné dans trois régions : l'Amérique du Nord,l'Europe et le Moyen-Orient.

Les vagues d'émigration à la source de groupes diasporiques

La présence de diasporas indiennes est le résultat d'émigrations qui sont unphénomène historiquement assez récent dans l'histoire de l'Inde. Ces émigrations sedistinguent en quatre vagues principales.

En effet, les premiers flux d'émigration significatifs de populations d'origine indiennene se produisent qu'au XIXe siècle. Une première vague migratoire se dirige vers

Cf. Dumont, Gérard-François, Démographie politique. Les lois de la géopolitique des populations, Paris, Ellipses, 2007.

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l'Afrique, l'Asie du Sud-est, les Fidji et les Caraïbes (Trinidad, Jamaïque...). Elle estessentiellement motivée par la grande demande de main-d'œuvre bon marché qui naîtaprès l'abolition britannique de l'esclavage en 1833-1834, et concerne doncnotamment des territoires de l'Empire britannique recrutant des travailleurs souscontrat individuel (« indenture labour »), surtout en Inde du nord. Au cours de cemême XIXe siècle, se met en place dans le sud de l'Inde le système dit Kangani(contremaître) de recrutement familial villageois vers le Sri Lanka, la Malaisie ou laB i r m a n i e .

La deuxième grande vague migratoire se déploie im siècle plus tard, aprèsl'indépendance de l'Inde en 1947, donc dans la seconde moitié du vingtième siècle.Elle concerne des Indiens bénéficiant généralement d'une certaine qualification et sedirigeant vers des pays développés. La cause est principalement économique carl'Inde a privilégié, dans les premières décennies de son indépendance, des politiqueséconomiques assez proches de la logique soviétique qui, avec la mise en place d'uneimportante bureaucratie, corsètent l'économie et nuisent au développement.

La troisième vague migratoire, qui commence dans les années 1970, prend desdirections géographiques très différentes des deux précédentes, avec un contextejuridique des pays de destination également fort différent. Elle est déclenchée par lesbesoins croissants des pays producteurs de pétrole d'Asie occidentale qui recrutentdes travailleurs temporaires peu qualifiés.

Enfin, et même si les deux dernières vagues continuent d'exercer des effets, lesfacteurs qui se surajoutent depuis les années 1990, dus aux processus de globalisation,d'internationalisation et de mondialisation^® , conduisent à considérer l'existenced'une quatrième vague, très liée d'une part à l'ouverture économique de l'Inde et,d'autre part, au potentiel des marchés de destinations.

Deux approches statistiques de rimmigration indienne

Dumont, Gérard-François, « The new logic of migration in the Twenty-First Century », Geopolitical Affairs, volume 1, number2, summer 2007. En français : « Les nouvelles logiques migratoires au XXIe siècle », Outre-Terre, n° 17, Éditions Eres, 2007.

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Deux méthodes sont toujours possibles pour prendre la mesure d'une immigration :considérer, d'une part, les définitions et les statistiques des pays d'immigration et,d'autre part, celles des pays d'émigration.

Le recours à la première méthode est notamment possible dans les pays de l'OCDEqui appliquent une définition géographique de l'immigration, inventoriant lespersonnes résidentes sur leur sol et nées à l'étranger. Selon ce critère, les statistiquesde l'OCDE^' permettent de mettre en évidence l'importance de l'immigrationindienne aux États-Unis, avec plus de 2 200 000 personnes en 2014, devant leRoyaume-Uni avec 784 000 personnes, puis le Canada avec plus de 550 000p e r s o n n e s .

Mais cette approche géographique donne une idée insuffisante de l'apport del'immigration indienne. En effet, l'immigration ne rend ni stérile ni immortel et touteimmigration a des effets sur le mouvement naturel dans le pays d'arrivée. En outre, lefait de naître dans un pays ne signifie nullement le refus des éléments identitaires issusde parents ayant émigré de leur pays de naissance. En conséquence, l'Inde a défini sapropre méthode pour chiffrer le nombre de personnes issues de l'émigration indienne,méthode qui conduit à des chiffres nettement plus élevés que les précédents. Il enrésulte, par exemple, que le gouvernement indien estime, en 2015, à 1,8 million leseffectifs de la diaspora indienne dans ce pays, un chiffre 2,3 fois supérieur au nombredonné par le Royaume-Uni pour quantifier les personnes y résidant et nées en Inde.Quel cheminement a conduit à une telle différence statistique^ ?

La prise de conscience par l'Inde de sa diaspora

En réalité, les premiers gouvemements de 1947, donc l'Inde de Nehru, prônel'intégration des communautés indiennes émigrées dans les nouveaux États issus dudémembrement de l'Empire britannique. Certes, les personnes ayant émigré sontdésignées comme des Indiens d'outre-mer (« overseas Indians »), même si ellesn'avaient pas accompli un parcours maritime lors de leur migration ; mais, par

Perspectives des migrations internationales 2016, OCDE, 2016.22 À noter que l'argument d'une mauvaise qualité des services statistiques démographiques de l'Inde doit être écarté, car ce payseffectue dans ce domaine un travail de qualité par exemple avec les recensements décennaux ; cf. Dumont, Gérard-François,« Les dynamiques démographiques de l'Inde », dans : Brigitte Dumortier, Philippe Cadene (direction), Inde : une géographie,Paris, Armand Colin, 2015.

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exemple, les Indiens résidant en Birmanie ou en Malaisie sont enjoints à adopter lanationalité de ces nouveaux États. L'attitude de désintérêt du gouvernement indienpour ses émigrés d'outre-mer est tout particulièrement mise en évidence en 1972 parle refus de l'Inde d'accueillir l'ensemble de ses ressortissants d'outre-mer qui setrouvent expulsés d'Ouganda.

Le changement d'attitude du gouvernement indien commence en 1986 : la prise deconscience de l'utilité éventuelle pour l'Inde des Indiens d'outre-mer conduit à lacréation, au sein du département de l'industrie, d'un service pour faciliter lesprocédures d'investissement des non-résidents. Cette première initiative témoigne durôle économique possible des diasporas indiennes, mais guère de leur éventuel rôlegéopolitique.

À compter des années 1990, le gouvernement indien déploie de nouvelles initiativespour mobiliser la diaspora indienne au profit de son pays. Le terme diaspora, pourdésigner les Indiens ayant entrepris d'émigrer, devient utilisé au sein de son ministèredes Affaires étrangères, par une division des Indiens non-résidents et des personnesd'origine indienne. En mars 1999, une carte pour les personnes d'origine indienne estinstituée pour leur faciliter notamment l'accès à la propriété et l'octroi d'un visa delong séjour permettant de faciliter les déplacements entre le pays de résidence etl ' I nde .

Puis les années 2000 prolongent les initiatives précédentes. En août 2000, un HautConseil de la diaspora indienne est installé. Deux ans plus tard, un rapport de ce HautConseil affiche, parmi ses six objectifs, sa volonté de « transformer les membres de ladiaspora en ambassadeurs de l'Inde ». En 2003, un amendement à la loi sur lacitoyenneté permettant de créer une citoyermeté d'outre-mer pour des nationauxd'autres pays d'origine indienne. La même année, est organisée pour la première foisune journée des expatriés indiens (Pravasi Bharatiya Divas). Sa date est fixée au 9janvier, qui correspond à la commémoration du retour définitif de Gandhi d'Afriquedu Sud en Inde en 1915. Cette journée réunit 2 000 délégués des diasporas indiennesvenus de 61 pays. Il est alors décidé la création d'une nouvelle décoration crééespécifiquement pour les membres de la diaspora indienne.

Deux ans plus tard, en janvier 2005, lors de la conférence du Pravasi Bharatiya Divas,le Premier ministre indien Manmohan Singh fait état de son espoir de voir un jour

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tous les descendants d'immigrants indiens vivant dans différents pays du mondebénéficier de la citoyenneté indienne s'ils le désirent. L'Inde souhaiterait donc l'octroide la double nationalité à tous les descendants des Indiens vivant à l'étranger^ .

Pour illustrer l'importance désormais reconnue de la diaspora indienne par legouvernement du pays, précisons le thème de la 6ème édition de janvier 2008 de laPravasi Bharatiya Divas à New Delhi : « Une diaspora engagée : le moyen d'avancer» {Engaging the diaspora the way ahead). À cette occasion, l'Inde remet au chef dugouvernement mauricien le « Pravasi Bharatiya Samman Award », une récompensepour sa contribution « exceptionnelle » en tant que fils d'immigrant indien.

Parallèlement, pour attester l'importance attachée à ses diasporas, l'Inde décide d'endonner une définition précise permettant l'établissement de statistiques par leministère indien des Affaires étrangères. Les membres des diasporas relèvent de deuxtypes : les personnes d'origine indienne {persan of Indian origin ou PIO) et lesIndiens non-résidents {Non resident Indians ou NRIs), qui peuvent toutes disposerd'un document prouvant leur origine, même si elles n'ont pas la nationalité indienne.Les personnes d'origine indienne, dont certaines sont des descendants de la premièrevague migratoire présentée ci-dessus, relèvent de trois natures :

• toute personne qui a possédé auparavant un passeport indien ;

• toute personne dont les parents, un des grands-parents ou un des arrière-grands-parents sont nés, ou ont eu une résidence permanente sur le territoire de l'Indetel que défini par les lois indiennes (donc à l'exclusion du Pakistan et duBangladesh) ;

• le conjoint d'un citoyen indien ou d'une personne d'origine indienne entrantdans l'une des deux catégories ci-dessus.

Le second ensemble formant la diaspora indienne, selon les normes des autorités del'Inde, est celui des Indiens non-résidents (« Non resident Indians » ou NRIs). Ce sontdes citoyens indiens, de nationalité indienne, ayant un passeport indien et résidant endehors de l'Inde pour une période indéfinie, en raison d'un emploi à l'étranger ou

Ce qui supposerait que tous les pays où vivent des membres de la diaspora acceptent le principe de la double nationalité.

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pour tout autre motif. Dans les faits, les Indiens non-résidents sont le plus souvent desémigrés récents et considérés comme des émigrants temporaires. On peut néanmoinspenser que leur émigration temporaire pourrait devenir définitive quand elle s'orientevers des pays ouverts à la naturalisation, comme en Europe ou en Amérique du Nord,mais devrait rester temporaire lorsqu'elle va vers des pays où l'accès à la citoyennetéest impossible, comme les pays du Golfe.

En appliquant les définitions ci-dessus, au milieu des années 2010, la diasporaindienne compte 28 millions de personnes (NRI+PIO) selon le Ministry of OverseasIndian Affairs. Analysons sa répartition géographique qui s'étend dans 130 pays.

Pluralité géographique avec de fortes concentrations

Si l'on considère les pays de la diaspora indienne par ordre d'importance en 2015 " ,neuf pays comptent plus d'un million d'Indiens (soit, dans l'ordre décroissant, Etats-Unis, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Malaisie, Myanmar, Afnque du Sud,Royaume-Uni, Sri Lanka et Canada) et vingt pays en comptent plus de 100 000. Ladiaspora indienne aux États-Unis est le résultat d'une immigration fort récente, dueessentiellement à la quatrième vague migratoire précisée ci-dessus. La deuxième placede l'Arabie Saoudite, ainsi que la troisième des Émirats arabes unis, s'inscrit selon lalogique de la troisième vague migratoire, tandis que le Royaume-Uni cumule deseffets indirects de la première vague migratoire (du fait de la ré-émigration à partir decolonies anglaises) et des deuxième et quatrième vagues.

La quatrième place de la Malaisie dans le classement, avec 2,1 millions d'Indiens dela diaspora, est l'héritage du système dit Kangani (contremaître) cité ci-dessus, c'est-à-dire de la pratique d'im recrutement familial villageois qui a prévalu surtout dans lesud de l'Inde, au XIXe siècle. Ces 2,1 millions sont donc essentiellement despersonnes d'origine indienne. La cinquième place de la Birmanie-Myanmar voisine,avec 2 millions d'Indiens, s'explique pour les mêmes raisons relevant de la premièrevague migratoire.

Toujours selon le Ministry of Overseas Indian Affairs

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En sixième position avec 2 millions de personnes, l'Afrique du Sud hériteessentiellement des effets de la première vague migratoire. La présence indienne y estmême parfois plus ancienne, mais elle demeura longtemps très faible. Elle commenceen 1653, lorsque des marchands néerlandais vendent des Indiens comme esclaves àdes Néerlandais de la colonie du Cap. Mais elle prend surtout de l'importance aprèsl'abolition de l'esclavage dans l'empire britannique en 1833-1834. Les travailleursindiens pour les plantations sud-africaines viennent principalement du Bihâr (au nordde l'Inde, dans l'est de la plaine indo-gangétique), de l'Uttar Pradesh oriental (Inde duNord), du Tamil Nadu (sud-est) et de TAndhra Pradesh (sud-est). Plus tard, arriventaussi des commerçants du Gujarat (ouest de l'Inde) qui émigrent comme « passagerslibres » (« free passengers »). Les travailleurs indiens exercent aussi des fonctions dedockers, de mineurs, ou dans les chemins de fer, des services municipaux etdomestiques. Comme certains Indiens réussissent dans le commerce en concurrençantles Blancs, l'administration coloniale édicté des lois les discriminant. Une longuebataille pour l'égalité s'ensuit, pour laquelle Gandhi, arrivé en 1893, joue un rôlemajeur. En 1894, sont créés le Congrès indien du Natal, puis le congrès indien duTr a n s v a a l .

Après les événements ayant conduit à la suppression définitive, en 1994, del'apartheid, en 2016, il y a 56 millions de Sud-Africains, dont 2 millions d'Indiens,soit 3,5 % de la population totale. La moitié d'entre eux vivent au KwaZulu-Natal.Bien que porteurs d'un rôle historique poiu l'indépendance de l'Inde à cause deGandhi, les Indiens d'Afrique du Sud ont longtemps eu des liens géopolitiques avecl'Inde assez lâches pour trois raisons : leur émigration est ancienne, effectuéeessentiellement entre 1860 et 1911 ; ils ont obtenu la nationalité sud-africaine dès1961 et leur priorité a été de participer à la construction de la nation sud-africaine.Toutefois, la population d'origine indienne a créé une South African Federation pourpromouvoir la culture indienne et lui donner toute son importance.

Dans le reste de l'Afrique, hormis Maurice et la Réunion, la communauté indiennen'atteint jamais une proportion aussi importante qu'en Afrique du Sud. Le nombre desimmigrés indiens, assez élevé en Afrique australe, a même diminué après lesindépendances lorsque les nouveaux gouvernements ont conduit des politiquesdéfavorables aux habitants d'origine non-africaine. Par exemple, en 1972, toutes lespersonnes d'origine asiatique ont été chassées de l'Ouganda par le Président Idi Amin.Une partie seulement, minoritaire, de la diaspora est donc revenue en Inde car le

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nombre de personnes que le gouvernement indien était prêt à accueillir était plafonnéà 15 000. La majorité des environ 100 000 expulsés a gagné la métropole de l'anciencolonisateur, donc le Royaume-Uni, comme précédemment les Indiens du Kenya à lafin des années 1960.

L'importance relative de la diaspora indienne

Considérons désormais la proportion de la diaspora indienne dans la population totaledes pays où elle réside. Des distinctions nettes apparaissent à nouveau selon lesvagues migratoires. La première, celle du XIXe siècle, explique que les Indiensforment 55 % de la population de Maurice, 50 % de la population de la Guyana, et despourcentages supérieurs à 25 % aux Fidji, à Trinité et Tobago, au Surinam et à LaRéunion. Les proportions d'Indiens les plus élevées dans la population des pays setrouvent donc dans des îles de l'océan Indien ou dans des pays riverains de la mer desCaraïbes, effets directs de l'abolition de l'esclavage.

Maurice est le seul pays où les personnes d'origine indienne constituent la majorité dela population. Nombre d'entre elles, souvent originaires du district de Bhojpuri dans leBihâr, situé au nord de l'Inde (dans l'Est de la plaine indo-gangétique), descendentdes émigrations consécutives à l'abolition de l'esclavage. A La Réimion, depuis 1920,les personnes d'origine indienne ont la nationalité française et des droits politiques etsociaux complets, ce qui leur permet depuis d'exercer un rôle important dans la viepolitique locale.

Puis se distinguent des pays du Golfe (Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis, Bahreïn,Qatar, Oman et Koweït), destinations de la troisième vague migratoire, avec desproportions d'Indiens d'autant plus élevées qu'il s'agit de pays faiblement peuplésdisposant d'une main-d'œuvre largement insuffisante pour leurs activités liées auxhydrocarbures, pour leurs besoins économiques courants ou pour leur diversificationéconomique comme à Dubaï .

Cf. Semple, Laure, « Dubaï 2020: exposition universelle et fabrique de la ville mondiale », Population & Avenir, n° 734,septembre-octobre 2017.

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L'examen de la diversité du poids et de la nature de la diaspora indienne doit êtrecomplété, afin d'en approcher la mesure géopolitique, par l'étude spécifique de troisrégions : l'Amérique du Nord, l'Europe et le Moyen-Orient.

La diaspora indienne aux États-Unis, facilitatrice géopolitique

Pour 2014, l'OCDE classe aux États-Unis l'Inde au deuxième rang des pays d'originedes immigrants, soit 2,2 millions, après le Mexique. Mais, selon les définitions deNew Delhi, la diaspora indienne y est composée d'environ 4,5 millions de personnes,en raison d'une très forte hausse depuis les années 1990. La diaspora indienne estdonc devenue la première diaspora asiatique, devançant la chinoise, la philippine et ladiaspora japonaise, longtemps la plus nombreuse. La diversité de l'Inde se retrouveaux États-Unis, avec des associations d'originaires du Kerala, du Gujarat, du Bengaleou une Association des Américains indiens de religion chrétienne, formée à LosAngeles en 2000, sans oublier la Fédération des associations d'Indiens musulmans.

La diaspora indienne représente, avec ses membres ayant la nationalité étatsunienne,un poids électoral non négligeable. Dans les années 1980, elle commence às'organiser politiquement pour peser au niveau local, celui des États, comme àl'échelon fédéral. Plusieurs Américains d'origine indienne occupent des postespolitiques dans les États ou comme maires tandis que la diaspora indienne a, parexemple, exercé des responsabilités dans l'entourage du président Bill Clinton (1993-2001). En 2002, un Comité d'action politique de l'Inde des États-Unis est créé. En2004, un caucus^® de l'Inde est formé au Sénat par John Comyn (parti républicain) etHillary Clinton (parti démocrate) : c'est le premier caucus axé sur les pays établi auSénat. Son objet est de favoriser les relations entre l'Inde et les États-Unis. Ce caucusfacilite l'action de la diaspora indienne qui obtient, par exemple, l'augmentation dunombre de visas indiens autorisés par le Congrès.

La diaspora indienne aux États-Unis plaide pour des législations américainesfavorables aux intérêts de son pays d'origine ou lors d'événements géopolitiques,comme du conflit de Kargil, alors que le contexte ne lui est pas favorable à l'origine.En effet, dans les premières décennies suivant les indépendances de 1947, le Pakistan

Groupe parlementaire.

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est diplomatiquement plus proche des États-Unis, alors que les relations entre cesdemiers et l'Inde^^ , alors très liée à l'URSS, sont plutôt mauvaises. Au fil des années,l'action géopolitique de la diaspora indienne prend de l'importance. Sa présence réelleaux États-Unis est mise en évidence lors de ce conflit de Kargil - aussi appelé laguerre des glaciers - qui oppose l'Inde et le Pakistan en 1999, à l'heure d'unenouvelle dégradation de la situation au Cachemire qui conduit les deux pays às'affronter. En mai 1999, des centaines de combattants islamistes, soutenus par l'arméepakistanaise dirigée par le général Musharraf, s'infiltrent et s'installent sur les hauteursde Kargil, puis contrôlent la route stratégique Srinagar-Leh. L'Inde réagit fermementen engageant des moyens importants, notamment aériens, et la nouvelle guerre entrel'Inde et le Pakistan dure du 9 mai au 12 juillet 1999. La tentative pakistanaise deremettre en cause la situation du Cachemire est condamnée par la communautéinternationale. Les États-Unis, notamment, exercent une forte pression pour obtenir leretrait des combattants et de l'armée pakistanaise.

L'influence de la diaspora indienne aux États-Unis, qui a pu s'exercer à cetteoccasion, s'est aussi déployée à plusieurs reprises auprès du Congrès américain pourfaire gommer certains aspects législatifs défavorables à l'Inde. En 2007, la diasporaindienne a plaidé auprès des sénateurs américains en faveur de la signature de l'accordsur le nucléaire civil avec New Delhi, ce qui lui a valu les remerciements du Premierministre indien, Manmohan Singh^^.

Au Canada, la diaspora indienne est moins nombreuse qu'aux États-Unis, mais elle yreprésente une proportion plus importante de la population (2,8 %) et y connaît aussiune croissance annuelle élevée. Sa présence a été symbolisée par l'élection d'unCanadien d'origine indienne, Ujjal Dosanjh, comme Premier ministre de la Colombiebritannique en 2000-2001. De façon générale, les hommes politiques canadiensattachent une importance croissante à la diaspora indienne, dont le poids électoralabsolu et relatif augmente.

La prééminence du Royaume-Uni dans la diaspora indienne enEurope

Dont le contexte géopolitique régional n'est guère apaisé ; cf. Da Lage, Olivier, « L'Inde : quelle géopolitique régionale pourun géant démographique ? », Population & Avenir, n° 734, septembre-octobre 2017.

Le Monde, 19 janvier 2008, p. 3.

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Bien qu'il y ait eu au XIXe siècle une immigration indienne en Europe occidentale,cette dernière n'a véritablement pris de l'importance qu'au milieu du XXe siècle, endevenant intense au moment où les anciennes colonies devinrent indépendantes.Ainsi, des Indiens du Surinam ré-émigrèrent vers les Pays-Bas ; des Indiens deMadagascar ou de Maurice allèrent en France ; des Indiens du Mozambique et del'Angola se rendirent au Portugal. Mais les flux les plus importants s'effectuèrent del'Afrique de l'Est ou de l'Inde vers le Royaume-Uni.

Dans les années 2010, plus des deux tiers des personnes d'origine indienne ou denationalité indienne vivant dans l'Union européenne (à 28) habitent au Royaume-Uni,12 % d'entre elles résidant aux Pays-Bas. Dans les 26 autres pays, se distinguentl'Italie, le Portugal et la France avec environ 4 % de la diaspora indienne de l'Unioneuropéenne, tandis que la présence indienne dans les autres pays de l'Unioneuropéenne est très faible. En conséquence, la communauté indienne forme uneimportante minorité ethnique du Royaume-Uni. Cette présence se trouve symboliséeen économie par de nombreux industriels britanniques d'origine indienne, dontLakshmi Mittal, mais elle participe aussi à la vie politique britannique. Plusieursmembres de la Chambre des Communes et de la Chambre des Lords sont d'origineindienne. Les deux principaux partis politiques britanniques ont formé des groupesparlementaires d'amitié avec l'Inde.

La caractéristique de la diaspora indienne au Royaume-Uni, ce qui constitue sadifférence fondamentale avec la diaspora pakistanaise, est sa nette réussite au point devue économique comme à celui de l'intégration.

Des émigrants nécessairement temporaires dans les pays du Golfe

Les besoins économiques des pays du Golfe, combinés à une population activelimitée, ont engendré depuis les années 1970 des immigrations de travail temporaire.Sur près de 7 millions d'Indiens travaillant dans les pays du Golfe, environ une moitiév ien t du Kera la .

Ces immigrants indiens sont en majorité des hommes sans qualification ou à faiblequalification, auxquels ajoutent des professionnels de métiers tertiaires (médecins.

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'2 deHu Golfe se trouve dans une situation jundique fort différente ae ceiierf nt Eeff" Tpays ne permettent pas anx travailleurs indiens d'obtenu lacitoyenneté ou la nationalité, ce qui explique de fortes rotationstravailleurs ne peuvent demeurer sur place à la fm de leur contrat degéopolitique de la diaspora indienne est donc fort limité, compte tenu de son ma qde libertés dans les pays du Golfe. Toutefois, lesdésintéressent pas et agissent auprès de ces pays, tout parttculteremen pom que cdemiers ne fassent pas obstacle à l'envoi de remises. La pression Delhi peut avoir des effets tout simplement parce que les pays du Golfe ont besoin dcette main-d'œuvre pour satisfaire leurs objectifs économiques.

Hormis les pays du Golfe, une diaspora indienne est également présente, dans uncontexte fort différent, dans un autre pays du Moyen-Orient, Israël, où sa présence ades effets géopolitiques.

La diaspora indienne en Israël

En effet, depuis les années 1940, environ 50 000 Indiens de confession juive ontmigré en Israël. Ces juifs ou leurs descendants souhaitent généralement conserver desliens avec l'Inde car leurs ancêtres n'y ont jamais été maltraités. Cette histoire et lerôle exercé par la diaspora indienne en Israël, comme par les Indiens de confessionjuive vivant en Inde, sont des facteurs explicatifs des bonnes relations diplomatiquesentre l'Inde et Israël.

Conclusion

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La diaspora indienne est issue de quatre vagues migratoires principales. Après unepériode d'indifférence, le gouvernement de l'Inde a réalisé son intérêt géopolitique etdécidé d'en établir une définition assez large qui va jusqu'à inclure des arrière-petits-enfants de migrants. Cette diaspora est fort diversifiée selon l'anciermeté de samigration, la géopolitique interne des pays de résidence, les régions de l'Inde d'oùelle tire son origine, ou selon les religions pratiquées.

Rapportée à la population de l'Inde, cette diaspora indierme, 28 millions de personnes,apparaît faible, soit 2 % de la population du pays. Mais, d'une part, son niveauéconomique représente pour l'Inde un atout et, d'autre part, son implantationgéographique variée, dont une forte présence aux États-Unis, en fait un relaisimportant de l'action diplomatique de l'Inde. En promouvant les atouts et les méritesde sa diaspora, dont la réussite dans les pays où elle réside est souvent avérée, l'Indeconcourt à valoriser sa politique étrangère et à stimuler son développement tandis que,dans le même temps, la mobilisation de la diaspora indienne pour son pays d'origine

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en fait un véritable acteur géopolitique dans des pays démocratiques comme les Etats-Unis, le Canada, le Royaume-Uni ou Israël.

En appliquant la politique diasporique réelle ou souhaitée de l'Inde, la questiondiasporique dans le monde prendrait une importance fortement accrue au planquantitatif et qualitatif. Les effectifs des diasporas seraient nettement supérieurs auxchiffres généralement annoncés et le nombre de personnes possédant deux passeportsconsidérablement augmenté. Au plan qualitatif, de nombreux pays sauraient mieuxutiliser leurs diasporas pour leurs intérêts diplomatiques et économiques.

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Mots clés : Inde, Diaspora, Soft Power, 2018, Géopolitique, Géostratégie, Démographie, Immigration, Populations

Pour citer cette publication:To c i t e t h i s v e r s i o n :

Dumont, Gérard-François, « L'Inde et sa diaspora : une synergie géopolitique »,dans : Pierre Verluise (direction). Histoire, Géographie et Géopolitique de VAsie,Éditions Diploweb, 2018, p. 174-186.

Livre papier ISBN 979-10-92676-20-4 ; libre numérique ISBN 979-10-92676-49-8

Page 15: L'INDE ET SA DIASPORA: UNE SYNERGIE GEOPOLITIQUE?

Pierre VERLUISE (dir.)

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