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Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 04/25/2020 1:19 a.m. Lien social et Politiques Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie Partnership in Action : The Case of an EU Programme in Lithuania François-Xavier Schweyer Les frontières du social : nationales, transnationales, mondiales ? Number 45, printemps 2001 URI: https://id.erudit.org/iderudit/009405ar DOI: https://doi.org/10.7202/009405ar See table of contents Publisher(s) Lien social et Politiques ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Schweyer, F.-X. (2001). Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen en Lituanie. Lien social et Politiques, (45), 161–182. https://doi.org/10.7202/009405ar Article abstract This article analyses a partnership experience that was made in Lithuania, within the context of Tempus programme of the European Union. The author's perspective is an unusual one; he was the co-ordinator of the project. Now with a distance of two years and an abundance of information, the author is able to distinguish the different types of partnerships that characterised the several phases of the project. At first the "partnership" was prescribed by those who put the pilot project into place. This invention of an institutional form both provided a formal shape to the project and allowed it to avoid becoming part of established order of Lithuanian universities. The introduction of a "second circle" of partners transformed the original contractual setting, and the resulting relative disorderliness allowed a genuine innovation to occur. This second change generated shared practices and meanings, albeit at the cost of heavy co-ordination tasks. The conclusion assesses the particularities of international partnership.

Le partenariat en actes : le cas d un programme européen ... · international en vue d’une collabo-ration suivie. L’objet de cet article est d’analyser l’association de plu-sieurs

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Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2001 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit(including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can beviewed online.https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/

This article is disseminated and preserved by Érudit.Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal,Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is topromote and disseminate research.https://www.erudit.org/en/

Document generated on 04/25/2020 1:19 a.m.

Lien social et Politiques

Le partenariat en actes : le cas d’un programme européen enLituaniePartnership in Action : The Case of an EU Programme inLithuaniaFrançois-Xavier Schweyer

Les frontières du social : nationales, transnationales, mondiales ?Number 45, printemps 2001

URI: https://id.erudit.org/iderudit/009405arDOI: https://doi.org/10.7202/009405ar

See table of contents

Publisher(s)Lien social et Politiques

ISSN1204-3206 (print)1703-9665 (digital)

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Cite this articleSchweyer, F.-X. (2001). Le partenariat en actes : le cas d’un programmeeuropéen en Lituanie. Lien social et Politiques, (45), 161–182.https://doi.org/10.7202/009405ar

Article abstractThis article analyses a partnership experience that was made in Lithuania,within the context of Tempus programme of the European Union. The author'sperspective is an unusual one; he was the co-ordinator of the project. Now witha distance of two years and an abundance of information, the author is able todistinguish the different types of partnerships that characterised the severalphases of the project. At first the "partnership" was prescribed by those whoput the pilot project into place. This invention of an institutional form bothprovided a formal shape to the project and allowed it to avoid becoming part ofestablished order of Lithuanian universities. The introduction of a "secondcircle" of partners transformed the original contractual setting, and theresulting relative disorderliness allowed a genuine innovation to occur. Thissecond change generated shared practices and meanings, albeit at the cost ofheavy co-ordination tasks. The conclusion assesses the particularities ofinternational partnership.

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L’Union européenne finance denombreux projets de coopérationinternationale qui sont regroupéspar type selon leurs objets et lespays bénéficiaires. Ainsi, lesprojets «Tempus» sont destinés auxcoopérations concernant l’ensei-gnement supérieur et les pays del’Europe centrale et orientale.L’association d’institutions oud’experts originaires de différentspays de l’Union européenne estune exigence pour s’inscrire dansde tels projets, dont l’essencemême est d’être des instances par-tenariales. Le mot partenariat estdonc pris ici dans une acceptionlarge d’association à un projetinternational en vue d’une collabo-ration suivie. L’objet de cet articleest d’analyser l’association de plu-sieurs institutions de trois paysappartenant à l’Union européenne àdeux universités lituaniennes pourcréer, dans le cadre d’un projet

«Tempus », un diplôme universi-taire (Master) en «Management duchangement en santé publique »,destiné à former les cadres dusystème de santé lituanien nouvel-lement réformé.

L’entreprise s’est révélée d’unegrande complexité, avec plusieursniveaux de partenariat. Au planlocal, dans chacun des pays parte-naires, des enseignants issusd’écoles ou d’universités et desprofessionnels travaillant dans deshôpitaux ou des centres de santéont collaboré. Au plan internatio-nal, un partenariat dans et entrediverses équipes s’est élaboré selondes thèmes transversaux, avec unsouci de mise en cohérence perma-nent. De 1995 à 1999, j’ai participéà la préparation puis à la conduitede ce projet, avec la responsabilitéde coordonnateur, c’est-à-dire dechef de projet. Pendant cinq ans,

j’ai rencontré les membres duprojet in situ, dans leur cadre detravail ou dans les séminaires quiont rythmé l’avancée du travailcommun. Mon rôle m’a permisd’observer de près certains com-portements, dans une positionacceptable par tous. C’est en obser-vateur de terrain que je me suisefforcé d’étudier les interactionssociales et leurs conséquences cul-turelles et institutionnelles au seindu projet, avec une conscience quime rende capable de m’analysermoi-même dans mon rôle.

Toutefois se posait un problèmede méthode car l’investissementsimultané dans l’action et dansl’analyse relève de l’impossible.Non pas seulement par l’effort dedistanciation exigé, mais parcequ’il est malaisé, voire infaisabledans le cas d’un chef de projet, dejouer deux rôles à la fois. Hughes,

François-Xavier Schweyer

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dans son introduction à l’ouvragede Junker (1960)1, donne une clépour résoudre ce problème : «Ladialectique sans fin entre le rôle demembre (qui participe) et celuid’étranger (qui observe et rendcompte) est au cœur du conceptmême de travail de terrain. Il estdifficile de jouer les deux rôle enmême temps. L’une des solutionsconsiste à les séparer dans letemps. Au bout de plusieursannées, ayant acquis une distancepar la pensée et par l’esprit, le cher-cheur rend compte de ses souvenirsdes expériences sociales aux-quelles il a pleinement participé »(Hughes, 1996 : 275) Telle est laposture que je retiendrai pour cetteanalyse, en utilisant pour matériauxles notes personnelles, les dossiersarchivés et les écrits produits tout aulong du projet, ainsi que les nom-breux échanges que j’ai eus avecl’ensemble des partenaires.

Après avoir situé le projet dansson contexte et rappelé ses objec-tifs, j’évoquerai le cadre d’actionqui a présidé au partenariat initial.Ce sera l’objet de la premièrepartie. Par la dynamique même deséchanges et du travail réalisé, lepartenariat « prescrit » est devenu

« partenariat engagé ». La deuxièmepartie présentera cette mise enœuvre concrète des partenariats, lepluriel étant utilisé ici à desseinpour rendre compte de toutes sortesd’ajustements, de traductions,d’abandons ou de réorientations quivoulaient être des réponses adaptéesaux événements. Ces divers élé-ments permettront de distinguerdeux types de partenariat et de définirles variables jugées essentiellespour la construction d’un «partena-riat innovant» au plan international(troisième partie).

Un projet ambitieux detransfert de savoir-faire

Dans leur philosophie même, lesprojets Tempus visent à participer àla transformation des sociétésissues de l’ancien empire sovié-tique. Les aspects techniques desprojets se conjuguent à une viséepolitique qui se situe à deuxniveaux. Il s’agit, d’une part, departiciper à la transformation et à lamodernisation des pays de l’Europecentrale et orientale, mais aussi, etd’autre part, de construire l’Unioneuropéenne en favorisant leséchanges et les travaux communsentre différents partenaires de paysmembres. Le partenariat est doncun préalable à tout projet financésur fonds européens2, préalable quise décline au plan idéologique et auplan des modalités opérationnelles.C’est à la fois un but et un moyen.

Pour être « éligible », c’est-à-direfinancé, un projet doit se soumettreà un cahier des charges strict3.L’élaboration d’un dossier de can-didature demande un investisse-ment initial lourd, tant en contactsavec les futurs partenaires qu’en

élaboration du projet lui-même, quidoit être énoncé dans les termesprécis du vocabulaire bureaucratiquedu Bureau Tempus qui régit l’en-semble des projets. Ainsi, la naturemême des décisions projetées relèved’un compromis entre les exigencesdes financeurs et la «réalité institu-tionnelle» des parties candidates aufinancement du projet. Plus précisé-ment, je formule l’hypothèse que,pour l’éligibilité d’un projet, sa« conformité » aux normes et auxcroyances du milieu des finan-ceurs est plus importante que sapertinence par rapport aucontexte dans lequel il sera mis enœuvre. C’est dire que le partenariatest d’abord «prescrit », c’est-à-direqu’il correspond aux activités, auxprocédures et aux objectifs telsqu’ils sont formalisés dans les défi-nitions des cahiers des charges etdes règles de travail et dans lesdocuments officiels issus des ser-vices de la Fondation européennepour la formation. Le partenariatest donc, en tant que décision ini-tiale, une « invention » plus qu’unchoix calculé, raisonné et rationnel4.Et cette invention normée est ledébut d’un processus d’innovation,et non l’innovation en tant que telle.

Une seconde hypothèse est quele partenariat engage les parties surla réalisation d’activités prédéfi-nies et non sur leurs effets, c’est-à-dire sur l’obtention de résultatsautres que formels. Si l’on se placedu point de vue du pays bénéfi-ciaire, ici la Lituanie, l’incertitudeliée à la réalisation d’un tel projetest donc très grande. Autrement dit,les enjeux sont importants pour lesinstitutions lituaniennes, alorsqu’ils sont objectivement limitéspour les institutions de l’Union

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européenne. A minima, les engage-ments institutionnels garantissentla réalisation d’un cahier descharges selon un calendrier prévi-sionnel. Mais la pertinence de cequi sera fait et l’adéquation duprojet par rapport aux réalitéslocales dépendent aussi de l’enga-gement personnel d’acteurs dansun processus innovant. Ils devront« payer de leur personne » pourchanger leurs habitudes, revoirleurs plans, apprendre ou négocier.Et cet engagement personnel, ausens de surtravail mu par desvaleurs et une vision du projet,n’est pas contractuel. Il relève del’autonomie de chacun desmembres engagé dans le pro-gramme. Deux hypothèses complé-mentaires en découlent. Lapremière est que les partenaires(individuels) se sont engagés à par-ticiper à des activités qui relèvent dedécisions institutionnelles contrac-tuellement définies, et dont lesrésultats restent ouverts et ne lesengagent pas personnellement. Laseconde est que la «productivité »du projet dépend moins de l’addi-tion arithmétique du nombre d’ex-perts mis à disposition par chaqueinstitution que de l’intégration réa-lisée au sein de la nouvelle équipe.Or la capacité intégrative dechaque institution, importante pourmotiver chaque expert à s’engager,n’est plus opératoire dès lors que leprogramme démarre. Ce qui a pourconséquence de renforcer encorel’autonomie de chaque « expert »,d’accroître la différenciation déjàforte au sein du dispositif et defaire reposer la capacité d’intégra-tion du groupe sur des procédureset des règles non négociées audépart, d’une part, et, de l’autre,

sur le travail et la personnalité ducoordonnateur, inconnu pour laplupart des membres au moment deleur engagement. Ainsi, une bonnepart de ce que produira réellementle projet dépend des arrangementsqui seront trouvés après son com-mencement, et donc indépendam-ment du contrat de financement quia scellé sa réalisation.

Pour discuter ces hypothèses, jeprésenterai d’abord l’origine duprojet, j’évoquerai ensuite lepremier partenariat lors de la prépa-ration du projet, et les contextes ins-titutionnels sur lesquels il s’estfondé. J’analyserai enfin la physio-nomie du premier partenariat quej’appelle «partenariat prescrit », quia été au fondement du projet commeprocessus d’innovation.

L’origine du projet

L’origine du projet est due à unchirurgien, doyen de la faculté desoins infirmiers de l’Académiemédicale de Kaunas5 qui avait lesouci de développer le cursus deformation en soins infirmiers parl’introduction d’une formation spé-cifique destinée aux cadres. Lemodèle des infirmiers générauxfrançais lui paraissait intéressant etil prit l’initiative d’un contact avecdes formateurs français. Ne parlantpas français, il demanda à un pro-fesseur de l’Université technolo-gique, spécialisé en management etfrancophone, de l’accompagnerlors d’un premier voyage enFrance. L’adresse d’un cabinet deconseil en région parisienne luiavait été donnée par une étudiantede l’Université technologique. Cefut donc le premier contact6. Maisla demande qui était faite ne rele-

vait pas du domaine d’activité de cecabinet, qui orienta les universitaireslituaniens vers l’École nationale de lasanté publique (ENSP). Un rendez-vous fut établi sur le champ. La pre-mière visite avait un but très clair quise résume en une question : «Pouvez-vous venir former des infirmièresgénérales en Lituanie?». L’idée for-mulée était celle d’un transfert d’unprogramme de formation avec desenseignants associés. Implicitement,ce qui se faisait en France devaitêtre, sinon mieux, car la fonctiond’infirmière générale n’existait pasen Lituanie, du moins adapté, carvenant de l’Occident.

Il serait erroné de voir là unesorte de naïveté. Il s’agit plutôtd’un parti pris idéologique et d’unevolonté forte de changer le systèmeen place. Le chirurgien qui avaitpris l’initiative du contact avaitparticipé aux événements tragiquesde 1990 et 1991 à Vilnius, et ilcomptait parmi les « patriotes » quiont tenu tête aux troupes sovié-tiques venues intimider la popu-lation. Son projet n’avait doncpas seulement une dimensionprofessionnelle : il s’agissait biende relever le défi de l’indépen-dance par la modernisation et latransformation du pays. Une notiond’urgence était perceptible dans ladémarche, l’urgence de changer etde rompre avec l’ancien modèle. Lacréation d’une véritable professioninfirmière devait participer à ceprojet. Car les infirmières, appelées« sœurs » en Lituanie, n’avaientqu’un rôle très secondaire parrapport à un corps médical plétho-rique, dans le cadre d’une divisiondu travail fondée sur l’hyper-spé-cialisation.

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Dans le domaine des affairesinternationales, l’ENSP refusel’idée de simple transfert et celled’un enseignement direct. D’autrepart, l’engagement dans un parte-nariat demande de discuter le pro-blème posé avant d’envisager lesmodalités d’une solution à appor-ter. C’est pourquoi il fut décidé defaire une mission « exploratoire » àKaunas pour comprendre le contextede la demande, ses enjeux, et réflé-chir ensemble à un projet. Le res-ponsable des affaires internationales,le responsable de la formation desinfirmiers généraux et celui desdirecteurs d’hôpital allèrent enLituanie pour présenter le systèmefrançais de santé et de formation, etpour apprendre les réalités litua-niennes et les perspectives de chan-gements institutionnels. Il futdécidé, d’une part, d’élargir lademande aux différents «cadres desanté », et, d’autre part, de recher-cher des financements, conditionsine qua non de la réalisation d’unprojet qui s’annonçait assez ambi-tieux. Sur le premier point, l’ENSPdevenait chef de projet puisque lademande initiale lituanienne étaittransformée et que, surtout, ledoyen qui était à l’origine de la

démarche se retrouvait porteurd’une dimension parmi d’autres dufutur projet. Le fruit de son initia-tive lui échappait, et l’élargisse-ment des perspectives revenait àconfier au recteur de l’Université lesoin d’articuler les engagements dedifférentes facultés. On changeaitdonc d’interlocuteur. Sur lesecond point, les financementscommunautaires pour les pays del’Europe centrale et orientale(programme PHARE) représen-taient une opportunité, plus parti-culièrement ceux octroyés par ledépartement Tempus du Directoratgénéral XXII, « Éducation, forma-tion, jeunesse ».

Un premier partenariat lors dela préparation du projet

Le label de « Joint EuropeanProject » Tempus s’obtient, ainsique son financement, par concours.Des dossiers présentant chacun unprojet particulier répondant à uncahier des charges précis sontsélectionnés rigoureusement. Ceuxqui sont déclarés éligibles obtien-nent un financement qui équivauten général à une partie seulementde ce qui était demandé. La prépa-ration d’un tel dossier est un travailimportant et représente un enjeu entermes d’investissement. Dans lecas présent, la préparation a duréun an et demi pour aboutir à larédaction d’un cahier des chargesprécis engageant chaque partie.

L’institution qui a l’initiatived’un projet doit trouver des parte-naires dans au moins deux autrespays de l’Union européenne. Orl’initiative du projet revenait àl’ENSP et non plus aux Lituaniens,qui se trouvaient engagés dans un

partenariat asymétrique où ils s’enremettaient à l’expérience et auxinitiatives de leur nouvel associé.La confiance, née des premierséchanges, caractérisait la relationinitiale entre partenaires. On peutimaginer que dans le cas où un«réseau » existe déjà entre institu-tions, la recherche d’associés estgrandement facilitée. L’ENSPn’avait pas de réseau constitué enEurope pour trouver des parte-naires, sinon quelques contactsavec d’autres écoles de Santépublique7. Il fallait donc en cher-cher et d’abord établir des critèresde choix. Ils se sont fondés sur unraisonnement de nature politique.D’une part, les chances d’éligibi-lité des projets présentés par lesnouveaux pays membres del’Union étaient réputées plusgrandes. D’autre part, la Lituanie,pays bénéficiaire du projet, étantun pays balte, il parut cohérent des’associer à des pays proches,c’est-à-dire à la Suède et à laFinlande. La prise de contactconsistait à la fois à présenter lesmodalités et les objectifs d’une col-laboration possible, et à motiver leséventuels partenaires pour untravail de préparation exigeant dontl’aboutissement relevait du pari.L’incertitude était donc grande audépart. L’enjeu pour l’entrepreneurdu projet était de convaincre sesinterlocuteurs de sa capacité demaîtriser les règles imposées parl’Union européenne et d’inspirer laconfiance pour que le pari soitperçu comme une opportunité.

Une école de santé publique sué-doise de grande réputation (onl’appellera Famous School ofPublic Health) et une universitéfinlandaise (Université de T) se

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déclarèrent intéressées. Une pre-mière réunion eut lieu à Kaunas, enLituanie, pour lancer le projet,celui d’élaborer un cahier descharges qui soit accepté pour l’ob-tention d’un financement Tempus.Ainsi, le premier partenariat quis’est dessiné a été de nature institu-tionnelle; chaque partie était repré-sentée par un de ses dirigeants ets’engageait en référence à une stra-tégie qui lui était propre. Avantd’analyser les modalités de travailet la mise en œuvre du partenariat,il convient d’étudier la rationalitéde chacun des partenaires.

Les contextes institutionnels surlesquels se fonde le partenariat

Cinq institutions se trouvent enga-gées au départ du projet. Chacune adésigné un représentant au moins, etaccepte le principe d’un travail depréparation sans garantie de succès.L’indétermination même de l’entre-prise fait que les partenaires n’ontpas de mandat explicite de leur ins-titution. Ils se trouvent en position derelais (Crozier et Friedberg, 1977 :141), avec le double rôle d’infor-mer leur institution des discussionsengagées et d’influencer les déci-sions à prendre dans un sens accep-table pour leur propre institution.Quels sont les contextes institu-tionnels sur lesquels le partenariatva se greffer ?

L’Académie médicale de Kaunasest une institution réputée enLituanie: c’est la première univer-sité médicale, avant celle deVilnius, bien qu’elle n’en porte pasle nom8. Son Recteur, élu depuispeu, a travaillé huit ans àl’Organisation mondiale de la santé(OMS), ce qui lui donne une stature

internationale renforcée par la pra-tique courante de l’anglais et du fran-çais. Si l’Académie compte desinnovateurs (soins infirmiers, sida,etc.), elle n’en reste pas moins uneinstitution bureaucratique marquéepar «l’ancien régime». Les informa-tions ne circulent pas et chacun seprotège de l’autre. Il existe desfamilles médicales qui préservent un« entre-soi » fermé à de nouveauxentrants. Le Recteur a écarté d’em-blée le promoteur anglophone duprojet pour désigner une coordon-natrice, pédiatre et responsable durésidanat, au motif qu’elle parlaitle français. Être coordonnatriced’un tel projet international a uneportée symbolique considérable etles profits associés sont importantsen termes de carrière et de pouvoiret au plan matériel, nous le verrons.Pour autant, l’objet même du projetn’appartenait pas à son domained’excellence. Elle va donc rapide-ment éprouver une certaine appré-hension, une peur de mal faire, etsurvalorisera les aspects formelsdes échanges, ne pouvant pasinvestir sur le fond dans un premiertemps9. Le recteur put garder ainsitout son ascendant sur le devenir duprojet. L’enjeu était pour lui double :obtenir une aide à la modernisationet à l’équipement de son institu-tion, mais aussi créer de nouveauxdiplômes reconnus au plan interna-tional. Ces éléments étaient autantd’atouts pour faire reconnaître letitre d’université à l’Académiemédicale. Indépendamment de sonobjet, le projet s’inscrivait doncdans le plan stratégique de l’insti-tution, avec un référentiel d’actiond’abord local.

La formation des cadres de santéayant un aspect managérial, il

convenait d’associer une autre uni-versité lituanienne porteuse de cechamp de compétence. L’Universitétechnologique de Kaunas, repré-sentée par le professeur franco-phone de la première heure, futdonc légitimement associée auprojet. Plus précisément, ce fut unenouvelle faculté d’administrationpublique dont la doyenne, anciennesyndicaliste de métier, avait pourbut de développer le domaine dessciences sociales (au sens large),nouvellement reconnu commechamp académique. Le projetreprésentait une double opportu-nité : une ouverture et des contactsavec des partenaires étrangersd’une part, et, d’autre part, l’intro-duction dans un nouveau domaine,celui de la santé. Les enseignantsde la faculté partageaient uneculture au travail qui était celle desaffaires : concrètement, se mettre àson compte seul ou en équipe, etdévelopper des activités avecprofit. Le (futur) projet s’est inscritsans difficulté dans le plan straté-gique de l’Université. Très rapide-ment, un contrat tacite a lié lesdeux universités lituaniennes,pourtant en concurrence frontale.L’Académie médicale recevraittous les subsides, mais les universi-taires seraient associés au dévelop-pement de la nouvelle formation àpart égale, et ceux de l’Universitétechnologique seraient payés envacations.

La Famous School of PublicHealth, représentée par son direc-teur, gentleman francophone etfrancophile proche de la retraite,avait une grande notoriété en Santépublique, son domaine d’excel-lence. La Famous School of PublicHealth est une école internationale

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en partie financée par le NordicCouncil qui rassemble cinq pays etdont la mission est de former lesprofessionnels de santé de ces cinqpays, en formation continue exclu-sivement, sous forme de stagespayants qui assurent les revenusindispensables au bon fonctionne-ment de l’école. L’expérienceinternationale de l’institutionconcerne essentiellement desprojets de l’OMS, qui permettent larétribution des experts. Le fonc-tionnement de cette école se rap-proche du modèle du marché, avecdes enseignants entrepreneurs sou-cieux de la solvabilité des sta-giaires, leur rémunération étantdirectement liée à leurs prestations.Le projet représentait une opportu-nité à trois titres au moins : il per-mettait une ouverture sur lesfinancements européens (et uneopportunité d’apprentissage pour yaccéder); il était également unmoyen de conforter un autre projetinternational dans l’espace baltequi venait de débuter dans ledomaine de la santé publique10;enfin, il concernait aussi lesLituaniens, c’est-à-dire des voisins.La mer Baltique est source d’uneidentité que veulent partager les

pays qu’elle borde. Dès le début desrencontres, le directeur a été accom-pagné d’un expert auprès de sonécole, britannique d’origine, historiende formation, et consultant indépen-dant de métier. Ses talents d’anima-teur et de pédagogue ont fait de lui un«invité permanent» officieux.

C’est l’Université de K. qui futd’abord pressentie comme parte-naire finlandais. Mais, en l’absencede réponse de sa part, les parte-naires suédois recommandèrentl’Université de T., représentée dansun premier temps par un professeurde Santé publique, proche de laretraite, d’un esprit très ouvertmais sans projet personnel précis.En 1995, la Finlande venait derejoindre l’Union européenne, etelle n’en partageait pas encore laculture. Le partenaire finlandaisse déclara assez proche desLituaniens et dit vouloir apprendreau contact des experts réunis dansle projet. En fait, le projet Tempusen préparation venait à point pourle développement stratégique del’université et pour la successiondu responsable du département desanté publique. Car une ensei-gnante finlandaise, qui était alorsresponsable de formation à laFamous School of Public Health,avait le projet de créer la T. School ofPublic Health au sein de l’Universitéde cette ville, en prenant la succes-sion du chef du département. Ainsi,le projet offrait une opportunité deformation pour une nouvelle équipeà créer, aucun enseignant localn’ayant un profil conforme aux stan-dards internationaux.

Première contactée, et devenueleader du projet après la transfor-mation de la première demande

lituanienne, l’ENSP avait décidéd’investir pour le succès de ceprojet. Les raisons en sont les sui-vantes. D’une part, la formationdes responsables du système desanté appartient au savoir-faire del’institution et le développement deprojets internationaux d’ingénieriepédagogique est un des axes decroissance de sa direction desaffaires internationales. D’autrepart, la gestion d’un programmeeuropéen permet d’obtenir desbudgets en partie mutualisés pourla gestion des activités internatio-nales. Enfin, le partenariat avec despays nordiques était de nature àouvrir un nouvel espace d’activitéjusqu’alors peu investi. L’enjeupour l’ENSP était donc d’assurer lacoordination et la contractualisationdu projet, autrement dit de le piloteret de le gérer. L’institution s’en estdonné les moyens: son directeur desAffaires internationales a pris per-sonnellement en charge la défini-tion du premier cahier des chargeset elle détacha à mi-temps unenseignant, sociologue, désireux deprendre des responsabilités dans unprojet d’envergure. La philosophied’action se rapprochait d’une culture« essentialiste », fondée sur les prin-cipes de service public, c’est-à-diresur des valeurs de disponibilité,d’égalité de traitement, mais aussi de«gratuité» de service. Ainsi, le prin-cipe des projets Tempus de ne paspayer les experts mobilisés en sus deleur salaire ordinaire n’a fait l’objetd’aucune discussion, le principe étantperçu comme allant de soi.

La physionomie du premierpartenariat

L’engagement dans le projetétait sous tendu pour chacun des

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partenaires par des critères d’op-portunité qui lui sont propres. Onconstatait une forte différencia-tion11 : les motivations à s’engagerdans le projet divergeaient maistraduisaient un réel engagement dechaque partenaire, une dynamiqued’intérêt qui augurait d’un investis-sement à venir. Le spectre des inté-rêts peut être brièvement résumé.Une recherche de notoriété ou devisibilité s’articulait, pour les institu-tions, avec la recherche de profit(équipement, savoir-faire, finance-ments). La recherche d’une opportu-nité d’apprentissage et de formationmobilisait également les partenaires.Sur un autre plan, la solidarité entre«voisins», l’intérêt intellectuel pourune expérience nouvelle, le senti-ment d’utilité conjugué à uneéthique de l’engagement sous-ten-daient la mobilisation d’uneéquipe naissante12. Tous ces inté-rêts étaient pensés à moyen terme,un projet Tempus durant trois ans,auxquels s’ajoute au moins un ande préparation.

Un même pari liait les partenaires,celui de gagner ensemble. La com-munauté d’intérêt offrait un « cimentsymbolique » (Strauss, 1992 : 95)grâce auquel la coopération allaitêtre possible. Il s’agissait de tra-vailler vite pour minimiser l’inves-tissement initial et le risque, et cetteexigence a eu au moins trois consé-quences fortes. La première a été quele consensus est apparu comme uneexigence. Implicitement, il s’agissaitd’un « consensus par assimilation »,qui devait être à l’abri des ten-dances dispersives des intérêtsindividuels13. Les échanges ontévité l’expression des divergenceset chaque partenaire a cherché àêtre très « compliant » au risque de

n’engager que lui, et non son insti-tution. Les effets de cette attitudeinitiale se feront sentir plus tard. Ladeuxième conséquence a été unformalisme accentué dans l’énoncédu projet : la stricte observation descritères formels édictés par lebureau Tempus a été perçue partous comme un gage de succès. Ladéfinition fine des tâches, du calen-drier, des responsabilités et desengagements a également rassuréchaque partie, qui croyait savoir àquoi elle s’engageait. La troisièmeconséquence, née de l’urgence, aété que la réflexion s’est fondée surle savoir spontané partagé, c’est-à-dire l’illusion de la connaissance.Le but du projet était d’aider à latransformation du système de santélituanien par la mise en place deformations adaptées. Or la compré-hension de la situation s’estappuyée sur les seules explicationset les seules analyses spontanéesdes représentants de l’Universitémédicale de Kaunas. Si leur propreexpérience permettait aux autrespartenaires une certaine distancia-tion par rapport à ce discours, leprimat de l’action et les courtsdélais qu’il supposait ont écartéd’emblée la nécessité d’une inves-tigation rigoureuse pour définir lesbesoins. Le doyen de la faculté desoins infirmiers avait documenté sademande, qui se fondait sur uneconnaissance fine d’un secteur pro-fessionnel précis en milieu hospita-lier. En élargissant le champ duprojet à l’ensemble des respon-sables du système de santé, on achangé sans s’en rendre compte lanature des informations qui ontnourri les réflexions.

Ce noyau primitif composé dehuit personnes va travailler

pendant un an et demi avant l’inau-guration du projet lui-même.Quatre séminaires de travail ont étéorganisés dans chacun des paysreprésentés, en vue de définir lesobjectifs, les modalités de réalisa-tion, le calendrier et le budget dufutur projet. Les discussions sesont faites en français et en anglais,les deux langues étant retenuescomme langues officielles. Cepoint est essentiel. En effet, l’usagedu français au même titre que l’an-glais a permis aux partenaires fran-çais d’exprimer leurs idées avecprécision, de discuter sur le fond,avec nuances et argumentation. Parla suite, le projet abandonnera lesdeux langues pour ne retenir quel’anglais et l’effet direct sera depénaliser les membres non couram-ment anglophones lors des séancesplénières. Mais à ce moment, l’ar-chitecture du projet était définie etle pilotage solidement établi. Lechoix des langues a pesé sur lechoix des interlocuteurs. Les uni-versitaires lituaniens étaient fran-cophones, car le premier contacts’était fait avec la France. Ilsappartenaient à une génération quiavait bien connu le régime sovié-tique, qui valorisait le françaiscomme langue littéraire. Leursjeunes collègues étaient majoritai-rement anglophones. Pour les par-tenaires suédois et dans unemoindre mesure finlandais, leséchanges ne pouvaient se penserqu’en anglais. Cette période depréparation a permis aux partici-pants de se connaître, en réunionmais aussi lors d’événements mar-quants vécus dans chacun des pays,c’est-à-dire de se lier par une his-toire commune. Une équipe estainsi née, qui deviendra le groupe

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de pilotage du projet, le fondementde sa légitimité aussi.

La proposition de création d’undiplôme (Master) en « Managementdu changement en santé publique »a été retenue par le bureau Tempus,qui a octroyé 90 pour cent dubudget demandé14. Le projetpouvait donc démarrer pour unedurée de trois ans. Une premièreexpérience de partenariat avaitpermis de créer une équipe res-treinte et soudée vers un mêmeobjectif sous-tendu par des intérêtsdivers. Cet objectif était à propre-ment parler une invention norméequi devait permettre d’amorcer unprocessus d’innovation au moyend’un partenariat élargi.

Le partenariat à l’épreuvedes faits : la mise en œuvredu projet

La philosophie du projet s’estfondée dès le départ sur un objectifd’autonomie à terme des parte-naires lituaniens, et un refus de«faire à la place de», au risque dedécevoir. Il s’agissait de définir etde créer une formation universi-taire de haut niveau en manage-ment de la santé publique, adaptée

au contexte lituanien. La reproduc-tion à l’identique de programmesexistants était rejetée. C’est dire quele projet a misé sur un travail de pro-duction original. Le principe fonda-teur du projet a été le partenariat ausens d’un travail d’équipe, appelécompagnonnage15, chaque équipeétant composée d’universitaireslituaniens et d’universitaires origi-naires de l’Union européenne16,mais aussi de professionnels hospi-taliers ou travaillant dans descentres de santé. Les contenus desenseignements et les méthodespédagogiques n’ont pas été définisa priori, sinon par une matrice decadrage sans statut définitif quidevait guider les premiers travaux.Ainsi, une marge de manœuvresignificative a été voulue pourchacune des neuf équipes et l’indé-termination des résultats a étéacceptée. La participation réelle dechacun devait être favorisée car lechamp des possibles restait ouvert.Les jeux n’étaient pas faits, mêmesi des outils, un calendrier et unsuivi avaient été soigneusementdéfinis.

Dans le même temps, lesLituaniens étaient destinataires etpartenaires. Le partenariat a étépensé comme une modalité d’ac-tion, neutre et presque technique.Son principe s’imposait, il s’agis-sait d’une évidence de manage-ment fondée sur un postulatdémocratique. Le cadre d’action,c’est-à-dire la structure du projetdéfinie en détail, les outils et lesmodalités de travail, a été fondé apriori sur le partenariat. La réalisa-tion du projet allait mettre enlumière l’ethnocentrisme d’unetelle position. En effet, le contexteinstitutionnel et sociétal lituanien

était encore très marqué par lespesanteurs des mécanismes bureau-cratiques, des habitudes collectiveset des mentalités établis au tempsde l’Union soviétique. Le projets’inscrivait dans une société entransition où les structures socialeset les représentations collectives setransformaient sous les pressionsextérieures. Ces réalités ont consti-tué une contrainte forte pour ledéroulement des activités. Lesévoquer permettra d’éclairer lesfondements idéologiques duprojet, parfois dissonants avec lesréalités lituaniennes en matière derelations de travail et de «cultured’entreprise ». Enfin, l’examen plusdétaillé de certaines activités et deleur mise en œuvre compléteral’analyse de la notion de partena-riat, dans le souci de comprendreles différentes dimensions de cettenotion et d’en mesurer les effets.

Le projet comme instancepartenariale complexe

La complexité n’est pas l’attri-but du seul projet, elle caractérisele contexte de sa mise en œuvre. Eneffet, la Lituanie a entrepris unevaste réforme de son système desanté, en définissant des prioritésde santé publique et en créant denouvelles règles de financement etde nouveaux principes d’organisa-tion. Dans le même temps estconduite une restructuration del’enseignement supérieur du pays,au plan des enseignements, desméthodes pédagogiques, de l’orga-nisation et de la gestion. D’un côté,le train des réformes était unfacteur favorable au projet et à sesinitiatives, mais d’un autre côté,l’absence de cadrage politique etinstitutionnel stable pouvait pénali-

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ser l’avancée par étapes en lesprivant d’une validation nationaleofficielle. Toutefois, pendant ladurée du projet, l’institution uni-versitaire a toujours eu plus depoids que l’État lituanien lui-même, trop récent et trop instablepour imposer une logique propre àune élite locale formée d’expertsreconnus et depuis longtempsétablis.

L’architecture du projet senouait autour de la création d’unMaster, diplôme de deux ans com-prenant 1800 heures d’enseigne-ment et la réalisation d’une thèse,et de la formation d’un corps pro-fessoral en charge du nouveaudiplôme. La réalisation de septtypes d’activités sur trois ansdevait permettre d’atteindre l’ob-jectif, selon un calendrier précisé-ment défini. Les universitéslituaniennes devaient disposer àterme d’une équipe pluridiscipli-

naire d’enseignants formés et d’unensemble d’outils, d’équipementset de supports pédagogiques leurpermettant d’assurer, dans debonnes conditions, la maintenanceet le développement du nouveaudiplôme. Chaque objectif concretse traduisait par la définition d’uneactivité décrite précisément dansson contenu, dans son calendrieret dans ses méthodes de travail. Letableau 1 présente les sept activi-tés faisant l’objet du contrat definancement.

Dans son architecture, le projetimpliquait plusieurs types de parte-nariats. Les résultats attendus, etqui ont fait l’objet d’un contratavec les financeurs, n’auraient euqu’un caractère utopique s’ilsn’avaient été sous-tendu par ladéfinition de mécanismes decoopération et d’élaboration col-lective de structures et de projetsau sein même de l’architecture

d’ensemble. Autrement dit, le partipris du partenariat ne faisait que tra-duire l’ambition de mettre en placedes « processus transformateurs »,définis par Sainsaulieu comme« des rapports d’interaction suscep-tibles de franchir les trois paliers dupouvoir, de l’identité et du projet pourdéboucher sur un renouvellementstructurel viable parce que fondé surl’évolution du système social »(Sainsaulieu, 1987 : 244-245).

Le pari du partenariat était doncnon seulement de créer des coali-tions durables (le temps de projet)d’acteurs, mais que ces coalitionssoient novatrices, capables dedévelopper des structures et desfonctionnements sociaux nou-veaux. Rien n’était acquisd’avance étant donné le parcoursd’obstacles institutionnels, lesrésistances stratégiques et lesincompréhensions culturelles quijalonneraient le parcours. Pour s’en

4.Étude de cas intégrative Intégrer l’ensemble desenseignements

Non réalisé

5.Formation des adminis-trateurs

Gestion du diplômecomme un projet

Stages et suivi France

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Activité Objectif Contenu Lieu de réalisation

1. Développement du«curriculum»

Création du programmedu nouveau diplôme

Neuf «unités d’enseigne-ment»: Santé publique,Finance, Management,Droit et éthique, etc.(43 modules)

Lituanie, France, Suède,Finlande

2. Formation des universi-taires («recyclage»)

Actualiser les savoirs et lesméthodes pédagogiques

Quatre domaines : linguis-tique, scientifique, profes-sionnel, pédagogique

Lituanie, France, Suède,Finlande

3. Enseignement aux étu-diants

Ouverture du nouveaudiplôme

Trois semestres d’en-seignement, un semestrepour la «thèse»

Lituanie

6.Colloques Diffuser et valoriser lesrésultats

Deux colloques interna-tionaux

Lituanie

7.Recrutement et sélec-tion des étudiants

Constituer les promotions(20 étudiants par an)

Mécanismes institutionnels,et oral avec un jury spécial

Lituanie

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tenir aux principes, il avait étéprévu plusieurs types de partena-riats. Pour la création des modulesd’enseignement, des équipesdevaient réunir des experts d’ori-gines diverses sur un pied d’égalité.Le travail de production attendus’apparentait au «processus transfé-rentiel » souvent utilisé dans leséchanges internationaux, et quiconsiste en emprunts, en confron-tations, en imitations diverses. Laformation des universitaires litua-niens se fondait sur le même pro-cessus, mais dans une relation detravail asymétrique qui transfor-mait a priori le partenariat en rela-tion d’aide, les Lituaniens étantréputés devoir apprendre aucontact de leurs homologues étran-gers. La conception officielle desactivité s’en tenait au transfert deconnaissances et passait soussilence le travail sur les relationsinstituées et les cultures profondé-ment intériorisées, sans toutefoisméconnaître cette autre face de laréalité, mais en la confiant à laboîte noire de la coordination.

Pour certaines activités, le parte-nariat était défini comme «proces-sus réformateur », avec l’objectifclairement affiché de faire évoluer

les pratiques. Par exemple, l’ensei-gnement dispensé aux futurs étu-diants devait l’être conjointementpar des universitaires et des profes-sionnels. Le projet de réforme,préparé comme tel, entendait élargirl’espace académique aux savoirsappliqués. La formation de l’admi-nistrateur du nouveau diplôme étaitpensée dans les mêmes termes, lagestion bureaucratique devantcéder le pas devant la gestion parprojet. La volonté de modernisa-tion des structures existantes enLituanie était l’objectif latentcommuns à tous ces partenariats.

De l’engagement despartenaires : un enjeu majeurnon maîtrisé

Les activités présentées ont étéapprouvées par les autoritésTempus, qui ont alloué un finance-ment. Dès lors, elles devenaientcontractuelles et il était de la res-ponsabilité personnelle du coor-donnateur que le cahier des chargessoit respecté. Des rapports d’acti-vité annuels devaient en témoigneret justifier l’engagement desbudgets correspondants. En cas denon-respect des termes du contrat,un remboursement partiel était exi-gible. La formation des équipes encharge de chaque unité représentaitun enjeu majeur : il fallait trouverdes experts compétents dans teldomaine, suffisamment intéresséspar le projet pour s’y investir sansêtre rémunérés, acceptant uncontrat moral d’engagement surtrois ans pour les professionnelslituaniens et les experts des pays del’Union européenne, sur un termeplus long encore pour les ensei-gnants lituaniens chargés de fairevivre le Master après le projet. Des

« contrats d’adhésion » ont été signéspar chaque partenaire pour formali-ser le rôle attendu de chacun et sonengagement à jouer ce rôle.Chaque partenaire était donc censéconnaître ce qui était attendu de lui,et la mise en scène de l’engage-ment lors du premier séminaired’ouverture du projet devait créerune obligation morale par rapportaux autres membres, une solidaritéattendue. Le coordonnateur était lemetteur en scène d’une pièce écritepar un petit groupe une annéeauparavant, et le côté théâtral del’action n’échappait à personne.Mais il était important de fairecomme si on n’en avait pasconscience, de manière à ne pasremettre en question le scénarioécrit, qui était le seul cadre forma-lisé de référence pour une aventurecollective saturée d’incertitudes.

Seule la solidarité entre les par-tenaires pouvait assurer une cohé-sion de l’ensemble. Pour autant, lacoopération était traversée de« calculs égoïstes» divers. Il auraitété absurde de fustiger les engage-ments intéressés, car ils motivaientune partie des acteurs présents. Ilspouvaient même permettre d’im-pliquer les sujets dans leur rôle, ausens de fonction, et de réduire ainsileur mise à distance par rapport auxsituations à vivre17. L’enjeu ducoordonnateur était clairement defaire cohabiter dans le projet despartenaires aux intérêts individuelsdifférents, et, avec chaque parte-naire, de négocier une relationd’échange qui puisse rendre com-patibles dans la durée les intérêtsparticuliers et leur temporalité avecune solidarité, un niveau d’engage-ment, suffisants pour faire vivreune partie du processus innovant

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qu’était le projet. Les échangess’inscrivaient dans une logique dedon et d’engagement mutuel dansla relation. Dans ce cas, le partena-riat n’est ni le résultat d’une obli-gation à caractère réglementaire, nile résultat d’une routine profes-sionnelle, mais bien une actionmenée de manière collective,impliquant un système d’échangespécifique.

Le projet reposait sur une incerti-tude : le recrutement du « deuxièmecercle », c’est-à-dire des équipesnationales par chaque représentantinstitutionnel du comité de pilo-tage. Le coordonnateur n’avaitaucune maîtrise sur les contratslocaux de partenariat. Les critèresde recrutement comme les termesdu contrat interpersonnel ontéchappé au groupe de pilotage, ouplutôt ils n’ont pas été explicités etrelevaient des seuls représentantsinstitutionnels nationaux. D’oùl’existence de « contrats d’adhé-sion » pour cadrer les engage-ments. Côté lituanien, on peutpenser que les engagements se sontfaits sur une communauté d’inté-rêts, à savoir le renforcement destoutes nouvelles facultés de santépublique et d’administration. Leprojet représentait une opportunitépour conforter les positions encorefragiles dans les deux universités,et un moyen de faire carrière plusrapidement. La logique finlandaisene devait pas être différente puis-qu’il s’agissait de fédérer par leprojet une nouvelle équipe portantla création d’une nouvelle école desanté publique. Ces trois configu-rations institutionnelles expliquentque la logique du don cohabitaitavec une logique hiérarchique, lesdirections représentant l’équipe au

sein du groupe de pilotage. Pour lespartenaires suédois et français, ilsemble que les engagements aientété plus individuels, fondés surl’estime réciproque, parfois l’ami-tié, la curiosité intellectuelle, laquête de savoirs nouveaux. Ces cri-tères, apparemment extra-profes-sionnels, contenaient un paradoxe.D’un côté, ils réduisaient singuliè-rement l’aspect formel de l’enga-gement, chacun se mettant un peu àson compte pour vivre l’aventureproposée. Mais d’un autre côté, sile partenaire acceptait de s’engagerréellement, les critères fondant cechoix se révélaient être les élé-ments d’une compétence d’innova-tion, c’est-à-dire d’une capacité des’ouvrir aux autres, d’accepter dese distancier de ses routines, d’unecapacité de ne pas miser sur unretour sur investissement sûr etimmédiat.

La fragilité des engagementsindividuels a été mise en lumièredès le premier séminaire d’ouver-ture. Quelques partenaires suédoisont d’emblée refusé certainesrègles de fonctionnement : voyageren vol économique18, venir tra-vailler en Lituanie. L’argumentétait qu’ils ne pouvaient engagerqu’un minimum de temps dans ceprojet, et que par ailleurs ils voya-geaient en « classe affaires ». Pourma part (en tant que coordonna-teur), j’y vis moins une questiond’étiquette qu’un refus de sortir dumodèle pratiqué localement à laFamous School of Public Health, laformation continue sur catalogueen séminaires résidentiels. Ilsemble que le premier contratnégocié ait omis d’évoquer la gra-tuité de l’engagement, et que l’ab-sence de rémunération ait été

déterminante, moins pour lemanque à gagner que pour lalogique d’échange que supposel’absence d’argent. Si les presta-tions ne sont pas payées, il existeune forme d’endettement mutuelqui engage dans la durée. La tran-saction n’est pas étalonnée et closeaprès paiement. Au contraire, ledon suppose une confiance dans leséchanges ultérieurs, une concep-tion commune du travail, autre-ment dit un engagement horsrèglement qui déborde le rôle pourimpliquer la personne, le sujet. Jefais l’hypothèse que les parte-naires lituaniens n’étaient pasjugés « à niveau » pour s’engagerdans une telle relation. Il n’y eutcependant pas rupture mais affi-chage d’un engagement a minimaqui consistait à aider les partenairesà distance, à accueillir en Suède quivoulait venir. Le représentant del’équipe suédoise, tout directeurqu’il fût, n’avait manifestementpas les moyens d’intégrer uneéquipe composée d’entrepreneursindépendants. La logique fut alorsde recruter ponctuellement tel ou telcollègue pour participer à un sémi-naire et représenter ainsi la déléga-tion suédoise. L’engagement, nonconforme au cahier des charges, aété pour partie fructueux.

La présence du coordonnateurau sein de l’équipe française acontribué à l’implication de chacundes membres. Le niveau d’infor-mation, les informations étanttransmises et expliquées, était bon,les pressions amicales possibles,les aides directes aussi. Pour ce quiest du recrutement des partenaireslituaniens, les réseaux affinitairesse sont aussi imposés. Mais lecontexte était autre. Le référentiel

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de sélection conjuguait des critèresde compétence, de mise à l’écartd’une possible concurrence, d’affi-nités politiques, d’allégeance insti-tutionnelle, de parenté. C’est ainsique les équipes de l’universitémédicale ont été recrutées dans unseul département de la faculté demédecine, département où tra-vaillaient le mari et une amie de lacoordonnatrice. Le chirurgien pro-moteur du projet a été écarté, ainsique tout collègue francophone derang professoral. Au sein de l’uni-versité de technologie, le corres-pondant a eu l’habileté de proposerun poste de responsabilité à sadoyenne, de recruter son adjoint etquelques collègues compétents etnon directement concurrents.Ainsi, les postes clés de respon-sables d’unité ont été répartis entrela coordonnatrice, son mari, uneamie, le chef du mari pour cinqunités, les quatre autres étant diri-gées par des collègues de l’univer-sité de technologie. Le partenariatmet en jeu une géopolitique duprojet et ne prend sens que dans uncontexte préexistant. La mise enœuvre des activités a mis enlumière le fait que le partenariatétait une notion exogène au

contexte lituanien, en dehors desnormes culturelles fondant les rela-tions de travail. Si le projet s’inscri-vait formellement dans les réalitésinstitutionnelles du moment, ilallait rapidement entrer en conflitavec l’ordre établi.

Un conflit fondateur

Le projet a été inauguré par unséminaire plénier en septembre1996. L’ordre du jour était chargépuisqu’il fallait présenter les activi-tés et les modalités de travail,expliquer et répondre aux interro-gations, rassurer des partenairesinquiets devant l’aspect « ouvert »du projet. Les équipes devaientdécider elles-mêmes des contenus,de la répartition des charges detravail, du calendrier, etc. Unclimat de retrait était perceptibleparmi les Lituaniens, d’abord attri-bué à la nouveauté de l’entreprise.Un second séminaire devait réunirl’ensemble des partenaires en avril1997. Deux voyages intermédiairesdu coordonnateur permirent deconstater une ambiance tendue etune absence de prise de parole. Leséchanges renvoyaient l’écho d’unecoordonnatrice lituanienne anxieuseet despotique, intimant des ordresau nom du « chef » (le coordonna-teur). La négociation, l’initiatived’un aménagement du programme,l’adaptation étaient des notionsétrangères à son répertoire d’ac-tion, proche du conformisme etd’un modèle strictement hiérar-chique et autoritaire19. Une évi-dence s’imposait : le succès d’unprojet innovant ne pouvait pas êtreenvisagé avec une coordonnatriceterrorisée par les marges demanœuvre et traduisant ses peurspar une attitude dominatrice. Un

débat eut lieu au sein de l’équipede pilotage. Certains arguaientqu’il était impensable de changerune coordonnatrice nommée par leRecteur. D’autres plaidaient pourson changement, le projet devantprimer sur l’institution. Le coor-donnateur partit à Kaunas rencon-trer le Recteur et lui demander leremplacement de la coordonna-trice, qui pouvait rester membre duprojet par ailleurs.

Une crise s’ouvrait. Car au-delàde la coordonnatrice, c’est leréseau francophone qui étaittouché. Le Recteur était pris audépourvu. Il était désavoué dansson choix et ne disposait pas deremplaçant a priori. Mais il savaitaussi que le temps était comptépour un projet ambitieux dont ilescomptait les bénéfices pourl’université. La discussion avec lecoordonnateur confirma uneconfiance mutuelle et des intérêtspartagés. Mais aussi la fermeté dela demande. L’issue proposée parle Recteur avait un prix : changerde langue officielle en adoptantl’anglais dans le groupe de pilo-tage, ce qui fut accepté. Il décida leretrait de la coordonnatrice et sonremplacement par une jeune pro-fesseur associée anglophone sousla tutelle de sa mère, chef du dépar-tement déjà impliqué dans leprojet. Il témoigna d’un réelcourage, car la décision se doublaitd’un drame familial20. La jeunecoordonnatrice jouait sa carrière, etle pari demandait du courage aussi.La décision fut annoncée au coursdu second séminaire d’avril 1997.

Les effets et l’issue de cette crisedépassèrent toute attente. Ce futtrès positif. De façon immédiate-

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ment perceptible, l’ambiance sedétendit, la confiance semblaitretrouvée. Les blocages et les vio-lences n’étaient plus à l’ordre dujour. Plus profondément, et sans lesavoir, les membres du projetvenaient de traverser une épreuvefondatrice. Pour les Lituaniens, unchef « soviétisé », nommé par leRecteur et francophone venaitd’être écarté au profit d’une jeunecollègue inexpérimentée et anglo-phone. Le projet s’affirmait commeun espace de travail échappant à lacompromission. L’opposition auRecteur puis le nouveau contratmarquaient l’autonomie revendi-quée du projet par rapport à cer-tains usages de l’ordre établi. Ilsemble que certains jeunes univer-sitaires lituaniens « sans grade », enretrait jusqu’alors, aient vu dansl’événement une opportunité pours’investir. Le leadership françaisétait encore plus affirmé, avec uneffet assez négatif pour lesSuédois, qui ne s’approprièrent pasle projet.

Le partenariat, compris commeun processus d’échange, de partici-pation et de négociation, s’est doncimposé à l’issue d’un rapport deforce et d’une crise ouverte avec laprincipale institution bénéficiairedu projet. Deux enseignementspeuvent en être tirés. D’une part, leconsensus a priori ou l’alignementsur les pratiques établies ne sontpas toujours favorables au partena-riat. D’autre part, l’utilité d’uncadre formel élaboré pour cadrer leprojet doit être aussi soulignée. Eneffet, le cahier des charge initial estapparu à certains comme trèslourd, voire artificiel. Il s’agissaitbien d’une « invention » mais quiavait force d’institution depuis le

contrat de financement signé avecles autorités Tempus. Ce cadre ins-titutionnel a été une ressourceorganisationnelle déterminantepour résister aux pratiques institu-tionnelles en place et imposerd’autres règles du jeu. Le partena-riat n’existe pas seulement auniveau des interactions, des rela-tions de travail. Il appelle unestructure, un cadre d’action formelpour faire valoir des mécanismesd’action et des limites au-delà des-quelles le projet se dénature.

Le partenariat, le compromis etl’arrangement

Le conflit dont il vient d’êtrequestion a créé le projet commemouvement, lui a donné sa dyna-mique propre. Il n’était plus seule-ment question d’appliquer desconsignes institutionnelles, ou deréaliser des activités définies parun cahier des charges. Il devenaitpossible de penser une action col-lective, d’élaborer des normes defonctionnement permettant augroupe de s’organiser et d’agir demanière relativement indépen-dante. En ce sens, l’expériencerejoint l’analyse d’E. Reynaud surles aspects culturels des processusde changement : « C’est le plussouvent un conflit qui permet àune identité collective de seconstituer, c’est dans l’action quese déterminent les objectifs dugroupe, par opposition à ce quiexiste déjà ou à ce qui est proposépar ailleurs » (Reynaud, 1982 :171). L’affranchissement relatifdu groupe par rapport à l’ordreétabli était jugé à la fois favorablepour le processus réformateurquand il s’agissait des structureslituaniennes, et risqué (au moins

pour le coordonnateur) quant ils’agissait du respect du cahier descharges des financeurs.

Car la mise en œuvre concrètedes partenariats au sein de chaqueactivité a modifié et transformé« l’invention » initiale décrite dansle cahier des charges jusqu’à cequ’elle s’adapte aux réalités. Au grédes événements, il y eut des aban-dons, des ajustements, des réorien-tations au terme de partenariatsnégociés. Mais les résistances et lesinitiatives ont pu transformer leprojet en un réel processus d’innova-tion, parce que le groupe de pilotagene s’est pas obstiné à imposer «l’in-vention dogmatique » du contrat avecle bureau Tempus.

Ainsi, l’ambition affichée s’estparfois révélée irréaliste au vu descontraintes locales. L’étude de casintégrative (activité no 4) a étéabandonnée car elle nécessitait untravail trop important, irréalisableau vu de la disponibilité des diffé-rents partenaires. La modicité dessalaires en Lituanie fait que laplupart des universitaires (et desétudiants) ont plusieurs métiers.Tout engagement dans un partena-riat au sein du projet représentaitobjectivement un surtravail moduléen fonction des positions et desprojets personnels. La diversité desactivités est un autre facteur quiexplique la pluralité des formes departenariat.

Le « Développement du curricu-lum» consistait à créer neuf unitésd’enseignement21, chacune animéepar une équipe formée d’universi-taires et de «professionnels» (méde-cins, directeurs d’hôpital, infirmières,etc.), lituaniens ou venant d’au

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moins un pays associé. Le travail aété rythmé par des temps communsau cours desquels les membres del’équipe se retrouvaient, et par destemps de « compagnonnage », c’est-à-dire de partenariat bilatéral plusrestreint dans une des institutionsassociées22 ou par Internet. Sichaque équipe a systématiquementrendu compte de son travail à l’en-semble des partenaires au cours desséminaires pléniers, les échangesn’ont pas dépassé le stade de l’in-formation mutuelle. En sorte que laforme de ce partenariat entreéquipes peut être qualifiée par laformule together but apart.

D’autres activités ont donné lieu àun «partenariat consensuel», dans lesens où les compromis ont été pré-férés aux négociations conflic-tuelles. Les enjeux ne justifiaient lecoût d’arrangements remettant encause des savoir-faire et des codesculturels existants. L’organisationdes deux colloques, par exemple, aété complexe, et chaque partenairene donnait pas le même sens à latenue d’un colloque, ni à ses objec-tifs, mais cette activité n’a pas poséde problème particulier en termesde partenariat car les profits pourles institutions et les universitaires

ne se situaient pas au même niveau.Les colloques ont permis aux uni-versitaires de Kaunas de s’affirmerau plan national et à leurs parte-naires étrangers de découvrir unesociété en transition. La formationdes universitaires lituaniens (acti-vité 2) est un autre exemple inté-ressant23. En fait, l’acceptabilitéd’une telle démarche a été trèsdiversement reçue par les universi-taires lituaniens, et leurs capacitésde se (re)former variables. Parailleurs, les stages opérationnels oude terrain, selon les disciplines,n’ont pas rencontré un franc succès,dans la mesure où la traduction pro-fessionnelle des savoirs n’intéressaitque peu les universitaires spontané-ment «académiques ». Ce comporte-ment évoluera après la fin du projet.Pour les aspects scientifiques etprofessionnels de la formation, lepartenariat a donc pris une formetrès individualisée, entièrementmaîtrisée par les Lituaniens, diver-sement investis selon leurs objec-tifs personnels. Leurs partenairesdes institutions d’accueil se sontfocalisés sur l’offre de pro-grammes de formation, sans s’en-gager sur l’exigence de résultats.Ce type de partenariat est trèsfragile et dépend de la qualité de larelation interindividuelle. Mais le« partenariat consensuel » peutrelever aussi d’un « consensus decomposition » fondé sur la recon-naissance des différences et l’adop-tion de principes et de règlesminimales partagés. Ce fut le casde la formation de nature pédago-gique, qui consistait à fédérer legroupe des universitaires lituaniensautour d’objectifs de formation etde méthodes partagés, grâce à des« séminaires didactiques » spéci-

fiques organisés pour eux. L’idéeétait de créer un espace de discus-sion et d’échange, permettant demettre en commun les difficultésrencontrées pour les surmonter, etde renforcer la cohérence du groupe.En réalité, la fascination partagéepour les exemples étrangers (et lestechniques audiovisuelles) a fédéréle groupe, qui a pu exprimer sesdivergences internes sur le modepacifié du «comment traduire locale-ment ces méthodes?».

Certaines activités ont donné lieuà un partenariat contractuel qui peutêtre qualifié de « formel » en cequ’il se limite à des contacts insti-tutionnels sans discussion véritabledes contenus. La formation linguis-tique illustre un partenariat formelexterne24. Des cours intensifs ontété organisés à Kaunas, en partena-riat avec des institutions de forma-tion25, qui n’avaient ni les mêmeslogiques, ni les mêmes valeurs, niles mêmes contenus d’enseigne-ment. La relation de prestataire deservice établie entre le coordonna-teur et les organismes de formationlimitait le partenariat à la fourni-ture quantifiée d’un service sansdiscussion des contenus ni desmodèles idéologiques véhiculés(grossièrement : une approche his-torique et culturelle pour le fran-çais et le pragmatisme du marchépour l’anglais)26. Le partenariat«formel» peut être un moyen d’évi-ter tout partenariat, comme dansl’organisation des enseignementsdispensés aux étudiants dunouveau diplôme. Des universi-taires et des professionnels litua-niens devaient se partager lescours, en fonction de leur spécialitéet de la nature plus ou moins appli-quée des enseignements. Mais les

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professionnels, médecins direc-teurs d’hôpital, n’ont pas pu main-tenir cette activité, pour des raisonsinternes à l’université médicale,qui tenaient plus à leur statut nonacadémique qu’à leurs compé-tences. Le partenariat souhaité n’apas vu le jour faute d’instancetierce capable d’arbitrer et deporter le changement. En sorte quece sont les règles locales qui ontprévalu, excluant toute forme decoopération avec des non-universi-taires. Le partenariat formel est-ilpour autant synonyme de statuquo? La réponse doit être nuancée,car le changement est un processusqui s’inscrit dans la durée. Prenonsl’exemple de la sélection et de lavalidation finale des étudiants duMaster. Il était prévu une cam-pagne de publicité, ainsi qu’uncomité de sélection (international)qui devait tenir compte, entreautres choses, des motivations ducandidat et de son niveau enlangue. Or ces modalités se sontavérées totalement inadaptées. Lapublicité allait contre tous lesusages qui voulaient que les placessoient prioritairement gardées pourles étudiants non pas seulement del’université mais bien du départe-ment ou de la faculté. Car l’admis-sion dans un Master ouvre le droità une bourse, et il est importantd’en garder le bénéfice à des gensconnus et souvent introduits surrecommandation ou liens deparenté. La sélection était inutiledans ce contexte, mais elle fut tou-tefois mise en scène par la tenuetrès protocolaire d’un jury et l’attri-bution de notes d’oral ne représen-tant que quelques pour cents d’untotal non modifiable. Introduire desmodalités jugées opportunes et per-

tinentes dans l’absolu revenait àchanger un système local qui nebrillait pas par sa transparence. Leproblème, dont on a pris consciencepour le recrutement de la deuxièmepromotion, n’a trouvé de solutionque pour la quatrième promotion,soit cinq ans après le commence-ment du projet, illustrant ainsi lanotion de «dyschronie » liée à l’in-compatibilité (provisoire) de deuxchangements (Alter, 2000 : 191).Ainsi, le partenariat a été formelpendant le temps nécessaire auxnégociations difficiles et ardues ausein même de l’université médicaleet avec les ministères de tutelle,négociations qui échappaient tota-lement aux partenaires de l’Unioneuropéenne.

Enfin, le partenariat a pu êtresinon conflictuel, du moins disso-nant, sur le registre de la participa-tion critique. Non pas entreuniversitaires, qui pour certains ontpréféré la défection à la prise deparole (Hirschman, 1972), ou dontle modèle de régulation profession-nelle les conduisait plus sur leterrain de l’évitement que de l’op-position frontale27. Le partenariat dis-sonant a caractérisé une activitéapparemment secondaire : la forma-tion de l’administrateur en chargede la gestion du futur diplôme, quiétait prévue, pour le contenu enpartenariat, avec l’administrateurfrançais du projet et, sur un autreplan, en partenariat avec le Recteurde l’université médicale, qui s’étaitengagé à créer un poste après la findu projet pour garantir la pérennitéde la fonction. En fait, deux fac-teurs déterminants avaient étéignorés: l’acceptation par les col-lègues du Département où tra-vaillait cet administrateur de

nouvelles méthodes de gestion(diffusion d’information, comptesrendus de réunions, discussion ettransparence des budgets, mise àdisposition et prêt des documents),qui a été difficile et progressive,d’une part, et, d’autre part, l’inexis-tence d’un profil d’administrateuren Lituanie28. La coordonnatricelituanienne du Master a dû recruterprovisoirement d’anciennes étu-diantes qui n’avaient pas projet des’investir dans ce poste, et négocieren interne la définition d’un profilde poste qui remettait en cause denombreux usages. Son allianceavec le coordonnateur français duprojet a obligé le Recteur à se poseren arbitre face aux hiérarchiques enplace.

Les dimensions d’un partenariat international

Il n’est pas sûr qu’un partenariatinternational soit réellement origi-nal. Ce serait plutôt une affaire dedegré : l’aspect international rédui-rait fortement les représentationssociales et les cadres culturels par-tagés. Dans le cas présent, lesexperts appartenaient à des disci-plines différentes, à des institutionsaux finalités diverses, à des paysdifférents aux formes d’État provi-dence hétérogènes et à un champqui n’est pas vraiment structuré : lasanté publique. Les évidences par-tagées étaient donc minimales. Lepartenariat ne consistait donc passeulement à agencer des relationsde travail dans un but commun,mais aussi à rendre possibles ceséchanges par une confiance parta-gée, une durée de l’engagement,une langue commune.

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Le partenariat, une aventurecommunautaire?

La construction du partenariats’est faite en premier lieu au coursde séminaires pléniers regroupantl’ensemble des partenaires pourtravailler les objectifs communs etdiscuter l’avancement des travauxet les orientations à prendre pour lebon déroulement du projet. Cesséminaires ont permis aussi deséchanges amicaux et festifs dontles effets ont été déterminants. Lepari d’un travail partagé entre gensde cultures et de disciplines diffé-rentes a un aspect déraisonnable.Les barrières sont nombreuses, lesincompréhensions aussi. Chaqueparticipant a à accepter un travailde conversion, c’est-à-dire doitaccepter de changer ses habitudes,de remettre en question ses façonsde faire, de s’ouvrir à des mondesnouveaux parfois corrosifs. Cettenouveauté crée non seulement dudésordre mais elle met aussi aujour une fragilité des pratiques. Ellepeut générer des peurs: peur de nepas être compétent, peur d’êtrejugé, peur de ne pas savoir faire.Les fêtes partagées sont commedes rites qui désamorcent ces ten-sions. Une communauté se crée par

les liturgies de la table, les rythmesde la danse, les climats de lamusique. Tout se passe comme si lepartenariat avait ses rites depassage. Ceux des membres duprojet qui ont vécu ensemble l’ex-périence d’un sauna, qui ontflambé leurs saucisses à la vodka,qui ont joué de la musique et bu duchampagne, ont formé le noyau dugroupe. Par eux, le projet n’a pasété réduit à la réalisation des objec-tifs mais a aussi intégré les per-sonnes. Le partenariat prenait sens,par-delà les aspects les plus tech-niques, en incluant le respect, laconfiance, l’estime partagée.

Les séminaires de deux à troisjours ont permis à ceux qui ontaccepté d’y consacrer ce temps decréer de véritables relations decoopération. Le temps passé permetde s’apprivoiser, de dépasser laméfiance ou l’utilitarisme étroit. Ilfonde une relation de coopération,d’amitié et de confiance. Ce typed’échange est la source d’une com-pétence collective. Le partenariatapparaît comme le résultat d’unéchange social obéissant à desnormes et principes assurant lacohérence et la cohésion du groupe(Reynaud, 1989). Ces séminairesmanifestaient le caractère collectifde l’action et ainsi restituaient àchaque membre présent une part dela responsabilité du succès (ou del’échec). Ils ont été aussi un moyende contrôler l’individualisme,selon une norme implicite quiinterdit à un individu de tirer unparti trop exclusivement personnelde l’action. Enfin, ils se sont ins-crits dans le temps par une succes-sion de rendez-vous bi-annuels.Les échanges de conseils, d’en-traide, d’information voire de sym-

pathie ne se sont pas inscrits dansle registre de la réciprocité immé-diate ni dans celui de l’équiva-lence. Et le fait que la réciprocitéde l’échange entre partenaires aitété différée a engagé ceux-ci dansune relation fondée sur la durée.Les dons faits au cours d’un sémi-naire anticipaient les contre-donsdes rencontres suivantes. Le parte-nariat, de ce point de vue, est aussiune histoire commune.

Les spécificités du partenariatinternational

La question linguistique a objec-tivement été un frein puissant àl’intégration dans le projet. D’unepart, la pratique de l’anglais étaitinégalement partagée et a demandéun surtravail non négligeable àbeaucoup de partenaires29. Le coûtd’entrée dans le projet en a étéd’autant plus élevé. D’autre part,l’anglais en usage dans les projetsinternationaux n’est pas la languede Shakespeare mais s’apparenteplutôt à un sabir aussi commodeque pauvre. Or l’innovationdemande à être plaidée, expliquée.Elle remet en question les représen-tations collectives et culturelles, ellequestionne les certitudes, elle meten jeu des « visions du monde»fondées sur des valeurs. Ainsi, lesdétournements de sens ont éténombreux, et l’usage des mêmesmots (thèse, santé publique,hôpital, justice, etc.), qui avaientdans chaque langue un sens spéci-fique, a produit un effet « tour deBabel », faute que l’on ait pris letemps de définir un vocabulairecommun. Des incompréhensions,jugées trop fastidieuses à surmon-ter, ont pu générer retraits et aban-dons sur tels ou tels points. Par

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exemple, il a été très difficile decomprendre le fonctionnement réeldu système de santé lituanien.D’une part, les informations dispo-nibles étaient difficiles d’accès (aumoins au début); d’autre part, lesystème est double, l’officiel seconjuguant avec l’officieux. Lesincompréhensions venaient ausside codes culturels différents etnuancés, difficiles à expliquer dansla langue utilitaire et pauvre de laplupart des participants. Le domainedu partenariat, la santé publique,appelait une compréhension globalede la société. Il n’était pas possiblede se cantonner à un registre tech-nique étroit ou dans une spécialitépointue. Ainsi, les impositions deproblématiques, au sens queP. Bourdieu donne à l’interpréta-tion abusive des résultats de son-dages d’opinion, n’ont pas étérares. Par lassitude ou manque detemps, certains accords se sontfaits par défaut, la nécessité depasser à un autre point laissant undébat en suspens ou précipitant unedécision sans approbation géné-rale. L’accumulation de ces frustra-tions, le sentiment de ne pas secomprendre vraiment, ont provo-qué chez certains partenaires unelassitude propice à la défection,momentanée ou durable.

Le partenariat a été facilité quandil pouvait se fonder sur des aspectstechniques. L’épidémiologie, lacomptabilité, l’informatique ontoffert un cadre de coopérationstable sinon universel, qui a étébénéfique à terme en permettantd’engager l’action et un processusd’apprentissage. Les aspects tech-niques ont été utilisés comme desfondements objectifs permettant defaire croire à une neutralité de

l’échange. Cette illusion partagée aservi de point d’appui pour desadaptations et des traductions perti-nentes. Et quand la question dusens a été posée, ce fut ultérieure-ment, à un moment où la qualitédes relations de coopération per-mettait l’expression des diver-gences de point de vue sans mettrele groupe en péril. Le partenariat aété en revanche difficile voireimpossible dans les unités relevantdes sciences sociales, de l’éthiqueou du « management ». Le premierabord de ces domaines a été marquépar une forte charge idéologique.Les échanges ont été limités fauted’une culture commune. Parexemple, les sciences socialesétaient encore en 1996 des disci-plines scientifiques nouvelles enLituanie, et beaucoup d’ensei-gnants étaient des philosophes, dessyndicalistes ou des moralistesreconvertis. L’investissement en for-mation « initiale» n’a pas été pos-sible – ou du moins il a été trèslimité – pour les partenaires litua-niens, déjà très engagés dans lesmultiples activités du projet. Parailleurs, l’approche empirique parle travail de terrain n’existait pas.Les seules enquêtes pratiquéesétaient quantitatives et formelles,assez proches de ce que Sorokin(1959) dénonçait sous le nom dequantophrénie. Dès lors, il étaitimpossible de s’appuyer sur desétudes de sociologie ou de sciencessociales qui auraient éclairé la spé-cificité du contexte lituanien.Finalement, le partenariat s’esttraduit par des concessions succes-sives dans un processus d’appren-tissage à moyen ou long terme. Parexemple, l’investissement idéolo-gique fort dans des techniques

managériales appliquées, le plussouvent d’origine américaine, utili-sées pour affirmer la nouveauté dela démarche et enseignées tellesquelles, a été vu comme une étapepeut-être nécessaire mais non satis-faisante. Tout se passait comme sila priorité était donnée à l’affi-chage d’une rupture avec le régimesoviétique, dans une urgence quidevait justifier les emprunts plusqu’elle ne stimulait l’appropriationcritique des nouveaux savoirs. Desproblèmes identiques ont été ren-contrés dans le domaine éthique oùla place du sujet dans la sociétéétait directement interrogée. Lapublicité faite aux questionséthiques a favorisé un transfert decontenu et un recyclage de notionssans lien direct avec les réalitéslituaniennes. La pression de lademande a joué contre l’apprentis-sage réel mais pour les pratiquesd’affichage. Sur ces points, leprojet était en partie décontextua-lisé par rapport à la société localeen transition.

Certains modules n’ont été quele transfert d’enseignements dis-pensés ailleurs et enrichis dedonnées locales. D’autres ont tentéune adaptation aux réalités litua-niennes de contenus professionnels.Mais l’effort de traduction s’est viteheurté à cette réalité que les établis-sements de santé ou les municipali-tés30, par exemple, n’étaient en rienpréparés à changer les méthodes detravail. Toutefois, la production demodules d’enseignement a été pos-sible et elle a servi à l’évaluationimmédiate du projet. Il ne s’agittoutefois que d’un aspect des béné-fices du projet. Le partenariat, quisur ce plan n’apparaît que commemoyen, a introduit en réalité et de

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façon implicite d’autres concep-tions des relations de travail,fondées sur l’échange et laconfiance, d’autres postures intel-lectuelles pour aborder les pra-tiques professionnelles par lequestionnement critique et laremise en question. De ce point devue, le partenariat ne prend sensque dans la durée. Il relèverait pourpartie de l’investissement, fût-ilrisqué, et pour partie de la produc-tion tangible et immédiate, c’est-à-dire d’une tension entre le courtterme et le long terme qui, pourêtre surmontée, pose directement laquestion de la finalité explicite par-tagée. Cette finalité demande à êtrerenégociée en cours de projet pourêtre explicitement dite.

Les variables clés du partenariat

Plusieurs variables ont été repé-rées comme essentielles pour laconstruction d’un partenariat. C’estd’abord le niveau d’informationpartagé par les membres du projet.Un premier partenariat a permis à unpetit groupe d’élaborer le cadre dupartenariat et d’en fixer les objectifs.L’élargissement de l’équipe au-delà de ce comité de pilotage a éténégocié à partir d’une diffusion de

ce premier niveau d’information.La diffusion s’est faite au prix d’in-terprétations et de traductions.C’est pourquoi l’élaboration d’unréférentiel commun d’action n’apas précédé le projet, mais a étéprogressive au cours des sémi-naires pléniers qui ont réunis àKaunas l’ensemble des partenairesdu projet. On peut dire que l’adop-tion d’un référentiel d’actioncommun n’a concerné qu’unepartie des partenaires, au gré deleurs participations. Le pari était defavoriser l’appropriation du projeten permettant à chaque équipe des’organiser de façon autonome. Laforte différenciation qui en arésulté a conduit le comité de pilo-tage, mais surtout le coordonna-teur, à s’investir dans un travaild’intégration très suivi, soit parajustement mutuel avec tel ou telmembre, au prix de voyages, detraduction systématique de docu-ments, soit par la diffusion d’infor-mation sous forme d’une lettre,d’un annuaire de tous les parte-naires, soit encore par un travaild’évaluation par étapes permettantl’expression des divergences oudes incompréhensions. Par ailleurs,le référentiel d’action n’a jamaisété stable, il a été renégocié en per-manence, parfois en dehors deslimites du contrat officiel. Dans cecas, le coordonnateur a eu à négo-cier des dérogations et des accordsavec les autorités Tempus. Le parte-nariat s’inscrit donc dans la logiquede « l’ordre négocié » décrit parStrauss (1992) dans d’autrescontextes.

La deuxième variable impor-tante est le rapport à la hiérarchie.Le partenariat n’est pas un espacehiérarchique. L’autorité hiérar-

chique n’a pas de sens dans cet« ailleurs institutionnel » que repré-sente le projet pour chacun desmembres. Cette réalité n’est pastoujours spontanément acceptée, niacceptable. Ainsi, l’émancipationnécessaire des petites équipes noncontrôlables a dû être défendue etparfois imposée pour préserver desespaces d’innovation. Le refus des’inscrire dans un rapport hiérar-chique transgressait les usageslituaniens et constituait unemenace pour les hiérarchiques enplace. Le soutien sans cesse réaf-firmé du Recteur de l’universitémédicale a été déterminant. Leprincipe du leadership est enrevanche accepté, soit de la part deleaders experts, soit de la part deleaders charismatiques dans les-quels les membres se reconnaissentet auxquels ils peuvent partielle-ment s’identifier. Le coordonnateurest avant tout un leader, dans unefonction de management très per-sonnalisée, qui peut être efficacemais reste fragile. Car sa légitimitéd’action est en grande partiefondée sur l’unité du groupecomme coalition d’intérêts, lesrègles étant trop peu contraignantespour avoir une capacité intégrative.

La troisième variable clé pour laconstruction d’un partenariat est lenécessaire retour sur investisse-ment pour chacun. Les principesprésidant à la conception desprojets Tempus sont altruistes etsolidaires. Aucune rémunérationspécifique n’est possible, aucunintéressement, et la vigilance surl’application des règles est sansdéfaut. Pour autant, on ne peutignorer la logique de l’intérêt, etl’implication de partenaires n’estpossible que s’il existe des enjeux

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pour eux. Dans un premier temps,le partenariat n’a de sens que parrapport à des intérêts personnels :thèse, per-diem avantageux, car-rière31, partage de ses convictions,apprentissage de l’anglais. Leseffets bénéfiques tangibles du par-tenariat sont attendus à courtterme, selon des rationalités indivi-duelles. Bien sûr, des intérêts plusinstitutionnels, comme la notoriétédes institutions, les relations avecde nouveaux partenaires, existentdans une temporalité à moyenterme. Mais ils n’engagent que peules « partenaires de base » qui anti-cipent faiblement les effets béné-fiques du projet. Cette logiqued’intérêt a été source de débat. Pourles partenaires inscrits dans unedémarche « altruiste », la rechercheindividuelle de bénéfices immé-diats paraissait déloyale, alors qu’ils’agissait d’une condition néces-saire pour leur investissement. Leproblème était plutôt dans la réci-procité de l’échange, en termes dedon et contre-don. Le partenariatest une forme de boursed’échanges de savoirs et d’al-liances, dans laquelle celui quireçoit doit savoir donner à son tour.La coopération se fonde sur cetéchange, ni strictement réciproque,ni immédiat. De ce point de vue, larelation partenariale peut êtrecomprise dans les termes décritspar M. Mauss (1968 : 163) : le donoblige celui qui reçoit à entrer dansune relation d’endettement. On a vuque certains partenaires ont d’em-blée refusé explicitement de s’ins-crire dans de tels échanges. Maisd’autres se sont engagés dansl’échange sans en respecter lesrègles implicites, en effectuent uneprise de bénéfices avant même la

fin du projet, c’est-à-dire sans res-tituer sous forme d’enseignements(dans le cadre du Master) lessavoirs reçus. Ces comportementsperçus comme déloyaux ont démo-tivé certains partenaires.

Une autre variable encore est ladistance au rôle ou l’acceptationd’un nouveau rôle dans le cadre dupartenariat, nouveau rôle quis’ajoute aux rôles habituels. D’unecertaine façon, le rôle de partenaired’un projet non encore ancré institu-tionnellement est « agi » à la marge,dans le maquis. Il relève de l’enga-gement personnel fondé sur un pariet, pour que l’objectif commun aitdu sens, sur une croyance partagéecensée immuniser contre lecynisme ou le laisser-faire. Le rôlede partenaire, on l’a vu, n’est pasun décalque du rôle professionnelquotidien. Il oblige en effet àconstruire un espace de coopéra-tion nouveau, à tisser des alliancesavec des partenaires ne partageantpas les mêmes références. Mais ildépasse aussi le cadre strictementfonctionnel d’un utilitarisme étroit.Il conduit les personnes à s’investirau-delà de leur rôle, à échangersinon de l’amitié du moins de lasympathie, à vivre des événementsfestifs ou non par lesquels s’élabo-rent la confiance et l’estime parta-gées. Autrement dit, le partenariatinnovant suppose une compétencecollective qui se construit dans untemps non fonctionnel. Ce quiconduit à évoquer la dernièrevariable essentielle pour la construc-tion d’un partenariat innovant.

Il s’agit de la durée acceptée. Letemps d’un partenariat innovant nepeut être rationnellement maîtrisé.L’action s’inscrit dans la durée,

dans quelque chose qui advientsans que l’on puisse le définir clai-rement. Si un calendrier rythme etlimite les termes de l’échange, il nepermet pas d’anticiper de façon défi-nitive l’investissement à consentir.Les imprévus sont nombreux.L’explicitation des cadres de réfé-rences initiaux est nécessaire pourélaborer un référentiel d’actioncommun. Mais en même temps,elle n’est possible que si les rela-tions sont pacifiées par un néces-saire apprivoisement où lesrelations informelles ont unegrande importance. Le partenariatne peut être ponctuel, car les codesde l’échange ne sont pas stabilisésni même partagés par tous. Letemps nécessaire aux apprentis-sages, aux conversions aussi, exigela stabilité des équipes. Ainsi, leséquipes inchangées au cours duprojet ont souvent été les plusnovatrices en termes de produc-tion, par un effet de capitalisationde savoir-faire et d’apprentissages.A contrario, les équipes où la parti-cipation des membres a été fluc-tuante, soit se sont cantonnées dansune logique d’importation de savoirsacadémiques préexistants, soit ontproduit des « modules patchwork »peu intégrés.

De même, l’articulation duprojet et de son environnement nese noue que dans la durée.L’exemple présenté ici s’inscritdans le cadre d’une société en tran-sition qui le dépasse, il ne constituequ’un aspect très modeste deschangements en cours. La négocia-tion permanente des objectifs, et dusens du partenariat, n’échappe pasau débat plus large qui accom-pagne toute réforme: faut-il uneréforme d’ensemble parfaite ? Ou

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faut-il procéder localement à destransformations qui deviennent desréformes? Après la fracture de1991, les Lituaniens ont vécucomme une nécessité de redéfinirune société. Les projets deréformes traduisaient un idéalisme,peut-être nécessaire au plan poli-tique et idéologique, mais pas tou-jours compatible avec desdémarches réalistes de terrain. Unetension dialectique entre deuxécueils a fondé le partenariat : l’im-portation volontaire de modèlesextérieurs susceptibles de conforterla rupture opérée avec l’anciensystème, et la soumission aux sys-tèmes existants, seuls à même degarantir les carrières. D’où untravail de traduction, de définitionqui requiert confiance et durée, au-delà des conflits inévitables.

Conclusion

Le partenariat est d’abord uneinvention qui a comme cadre offi-ciel une association contractuelleengageant plusieurs institutions àréaliser un objectif commun.L’octroi d’un financement donne àce contrat la réalité d’une structureformelle avec ses règles, ses objec-tifs et des moyens spécifiques. Si le

contrat a une durée déterminéemais continue, le cadre d’actionpartenarial, lui, est utilisé de façondiscontinue par les membres duprojet. Il constitue pour eux unmode d’action décentré par rapportà leurs pratiques professionnelleshabituelles. Il les engage à tra-vailler avec des partenaires exo-gènes à leurs relations de travaillocales. Un premier enjeu est repé-rable dans une alternative, celle detraduire ou non le partenariatcomme cadre d’action spécifique.A minima, le partenariat peut seconcevoir comme la mise à dispo-sition de moyens existants, en res-pectant les règles institutionnellesen usage, pour permettre à des« partenaires » externes d’atteindreleurs objectifs. Par exemple, ils’agit d’accueillir des universi-taires étrangers au sein de groupesen formation, pour suivre unesession préalablement définie etprogrammée. L’investissementdans la structure partenariale estavant tout formel et ne remet pasen question le travail quotidienlocal. Ce type de partenariat est fortrépandu, et peut être appelé « parte-nariat périphérique ». Le partena-riat est la figure imposée pouraccéder à certaines sources definancement. Au contraire, le cadred’action partenarial peut êtreaffirmé comme spécifique, diffé-rent des mécanismes d’action habi-tuels. Il suppose alors un travaild’explication, d’argumentationpour l’affirmer dans sa spécificitéet un travail d’appropriation de lapart de chacun des membres duprojet. Dans ce cas, on l’a vu, lepartenariat implique un travail deconversion pour se distancier parrapport à l’ordre établi et s’investir

dans un processus innovant. Cesecond type peut être appelé « par-tenariat innovant ».

Le récit de la mise en œuvred’un projet Tempus a mis enlumière la construction du partena-riat comme un processus d’appren-tissage éclaté et aléatoire. Au seind’un cadre contractuel formalisé, lechoix des partenaires associés auxéquipes s’est fait selon des critèreset des modalités non contrôlés nimême toujours explicités. La délé-gation voulue du pilotage dechaque équipe a introduit unegrande indétermination dans lefonctionnement même du projet.Ce désordre relatif, qui à premièrevue accroissait la fragilité de l’en-semble, était en fait la condition del’innovation.

François-Xavier SchweyerENSP et LAPSS

1 Introduction traduite et publiée sous letitre «La place du travail de terrain dansles sciences sociales », dans Hughes,1996, chapitre 18 : 267-279.

2 J’utiliserai par commodité le qualificatif«européen » pour dire « de l’Union euro-péenne ». Ce raccourci de langage estsouvent choquant pour les ressortissantsdes pays de l’Est qui se sentent pleine-ment européens, et aspirent à se voirreconnaître cette appartenance par lespays de l’Europe occidentale qui mono-polisent symboliquement l’héritagecommun en assimilant l’Union euro-péenne à l’Europe.

3 Dominiczak et al., 1995.

4 Alter (2000); voir plus particulièrementle chapitre 2, « Inventions organisation-nelles et décisions normées», p. 41 et ss.

5 Kaunas est la deuxième ville de Lituanie(400 000 habitants) et a été la capitale du

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Notes

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pays pendant la première République(1919-1939). Ses universités sont répu-tées, tout particulièrement son Universitémédicale, qui supplante celle de Vilnius,l’actuelle capitale. Toutefois, l’universitémédicale n’avait que le nomd’Académie, pour ne pas faire ombrage àl’université de la capitale.

6 Ces éléments au caractère anecdotiquepermettent de saisir l’enjeu que représen-tait l’information au lendemain (1994)de l’indépendance de la Lituanie (1991).Non seulement les contacts avec l’étran-ger étaient rares, mais la possibilitémême de sortir de son strict domaine despécialité était jugée très difficile. Lescontacts amicaux ou informels permet-taient de s’affranchir des cloisonnementsinstitutionnels hérités de la périodesoviétique. Le fait de prendre contactavec un collège d’une autre université etd’une autre discipline, et de fonder sadémarche sur les recommandationsd’une étudiante, signait chez ce Doyenune ouverture d’esprit exceptionnelle.

7 Notamment au sein de l’ASPHER, asso-ciation européenne des écoles de Santépublique.

8 C’est d’ailleurs un enjeu fort pourl’Académie de Kaunas, en rivalité avecVilnius pour se voir reconnaître le titred’Université médicale.

9 On peut en donner un exemple. Les pre-miers séminaires de travail voulaientobéir à un rythme de travail intense pourmettre à profit les deux jours deréunions. Mais il fallut, au moins la pre-mière année, se soumettre au rite de lapause café, organisée avec grand peinedans un contexte de pénurie, et quiprenait une importance démesurée, neserait-ce qu’en temps consacré, qui étaitquasiment égal au temps de réunion. Ilest vrai qu’il s’agissait aussi d’une habi-tude établie au sein de l’Académie.

10 Le projet Brimhealth, financé parl’OMS, consiste à créer une formationcontinue en santé publique, communeaux pays de la Baltique, par de courtsstages itinérants donnant lieu à l’obten-tion de crédits, qui, cumulés, donnentun diplôme. Voir Rimpelä et Eklund(1996): 43-48.

11 Les concepts de différenciation et d’inté-gration ont été développés par Lawrenceet Lorsch (1969).

12 Deux des représentants institutionnels,proches de la retraite, ont anticipé leursuccession au sein du projet, signe decohérence et d’inscription dans une stra-tégie institutionnelle.

13 On peut se demander s’il ne s’agit pasd’un postulat dû à la démarche très« managériale » qui a présidé à la défini-tion initiale du projet. Sur la notion, voirBoudon et Bourricaud, 1986 : 112-114.

14 Le code du projet est JEP 11425-96. Laproportion du budget attribué étaitexceptionnelle, la moyenne se situantplutôt autour de 50 pour cent dessommes demandées.

15 Ce terme, adopté pour les activités inter-nationales de l’ENSP, fait référence, aumoins dans l’esprit de ses inventeurs, autravail des compagnons en apprentis-sage, dans une vision enchantée de laformation des gens de métier bien éloi-gnée de l’analyse qu’a pu en faireSewell, 1983 : 76 et ss.

16 L’expression « universitaires européens » aété, rappelons-le, évitée, car lesLituaniens se sont toujours revendiquéscomme d’authentiques Européens, etl’expression était à leurs yeux malheu-reuse car elle les excluait symbolique-ment de l’espace culturel européen.

17 Je me réfère à ce que Goffman (1991 :136) dit de la distance au rôle et de la« personne » qui désigne le sujet d’unebiographie.

18 Le budget des « mobilités » étant fixe, ila été proposé que tous les partenaires,quel que soit leur pays d’origine, voya-gent en classe économique et vol APEX(comprenant une nuit samedi-dimanche),ce qui permettait de doubler le nombrede voyages, au profit des Lituaniensprioritairement.

19 J’appris notamment que le prélèvementdirect sur les per-diem reçus lors de mis-sions à l’étranger était pratiqué par lacoordonnatrice, conformément à unusage semble-t-il courant dans cette ins-titution avant l’indépendance.

20 La nouvelle coordonnatrice étant unejeune collègue du mari de la premièrecoordonnatrice, et sa mère étant chef dumari. Ces éléments ne sont pas que vau-devillesques, car le logement des univer-sitaires se fait dans des immeubles où lescollègues sont tous voisins. La divisiondu travail est calquée dans la divisionspatiale de l’habitat. La répartition des« jardins d’été » et des résidences sur lacôte de la mer Baltique obéissent auxmêmes règles. C’est dire les consé-quences d’une tension au travail.

21 Santé publique, Management, Finances,Relations humaines et sociales, Systèmesd’information, Droit, éthique, Outils decommunication, Conduite du change-ment. Chaque unité devait donner lieu àla production d’un guide de l’animateur,d’un dossier pédagogique pour les étu-diants et d’un dossier documentaire.

22 Les temps de formation sont appelésmobilités, ils durent d’une à deuxsemaines, et ont lieu dans un des troispays associés. Il s’agit d’un des aspect dela deuxième activité. Pour donner une idéede l’ampleur du projet : 640 semaines deformation ont été organisées en trois ans.

23 Dans chaque discipline scientifique, unperfectionnement ou un recyclage étaitproposé sous forme de sessions courtesde formation dans un des pays del’Union européenne. Des stages pra-tiques en établissements de soins, d’unedurée d’un mois, venaient complétercette formation et constituaient une autredimension du processus. Un rapport destage (en deux langues) était demandépour que le travail d’approfondissementconcret d’une question puisse êtrepartagé parmi les enseignants lituaniens,mais aussi pour limiter l’incertitude forteque représentait l’investissement réel despartenaires.

24 Une bonne maîtrise de l’anglais ou dufrançais était nécessaire pour un travailréel avec les experts étrangers.

25 Centre Robert Schuman pour le françaiset Fondation Soros pour l’anglais.

26 Ces visions du monde, le plus souventinconscientes, ont des effets importantesdans une perspective de santé publique.European Health ManagementAssociation, 2000.

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27 Je fais référence au modèle de l’autoré-gulation professionnelle décrit parFreidson (1984 : 160).

28 C’est-à-dire d’un profil qualifié (infor-matique, anglais obligatoire, mobilité etsens du contact) pour un poste assimilé àcelui d’une secrétaire, payé modique-ment. Les règles de gestion du projetinterdisaient de payer plus que le niveaulocal des salaires. Quelques per-diemversés à l’occasion d’un voyage enFrance ne pouvaient changer fondamen-talement les choses. Ils ont toutefois tenulieu d’augmentation de salaire à unmoment où le gouvernement réduisaittous les salaires de la fonction publique(moins 20 pour cent début 1999).

29 Seuls quelques membres de chaqueéquipe nationale parlaient anglais cou-ramment. Le problème concerne moinsla compréhension de ce qui est dit, litté-ralement, que le projet de sens qui sous-tend le discours et donc le sens à donneraux propos.

30 Les municipalités gèrent environ 60 pourcent des hôpitaux lituaniens.

31 Les attestations de présence à des stagesou à des formations (quelle qu’en soit lanature) ont une grande valeur pour lesLituaniens, car elles permettent d’avan-cer dans la carrière.

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Bibliographie

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