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Apprendre, c'est se séparer Mémoire professionel de : Dominique ACKERMANN CAPSAIS Option G Session : Juin 2000 Année universitaire 1999-2000 Télécharger le texte au format pdf Accès au format HTML Télécharger au format Word 6/95 SOMMAIRE Introduction Page 1 Cas d'enfants Page 2 Jérémie Page 2 Bastien Page 3 Manuella Page 3 Problématique Page 4 Hypothèses de recherche Page 5 1 Qu'est-ce qu'apprendre d'un point de vue psychanalytique ? Page 6 1.1 Apprendre, c'est grandir et se séparer Page 6 1.2 De l'omnipotence à la désillusion Page 6 1.3 Les dysfonctionnements Page 8 1.3.1 La relation fusionnelle Page 8 1.3.2 L'angoisse de séparation développementale Page 8 2 L'espace transitionnel de la rééducation : Fonction maternelle Page 9 2.1 Rôle de mère "suffisamment bonne" Page 9 2.2 La reconnaissance de l'enfant Page 10 2.3 L'empathie du rééducateur Page 11 2.4 L'estime de soi Page 12 3 Apprendre, c'est renoncer à la toute puissance Page 15

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Apprendre, c'est se séparer

Mémoire professionel de : Dominique ACKERMANNCAPSAIS Option G Session : Juin 2000 Année universitaire 1999-2000Télécharger le texte au format pdf Accès au format HTML Télécharger au format Word 6/95

SOMMAIRE

Introduction Page 1

Cas d'enfants Page 2

Jérémie Page 2Bastien Page 3Manuella Page 3

Problématique Page 4

Hypothèses de recherche Page 5

1 Qu'est-ce qu'apprendre d'un point de vue psychanalytique ? Page 6

1.1 Apprendre, c'est grandir et se séparer Page 61.2 De l'omnipotence à la désillusion Page 61.3 Les dysfonctionnements Page 81.3.1 La relation fusionnelle Page 81.3.2 L'angoisse de séparation développementale Page 8

2 L'espace transitionnel de la rééducation : Fonction maternelle Page 9

2.1 Rôle de mère "suffisamment bonne" Page 92.2 La reconnaissance de l'enfant Page 102.3 L'empathie du rééducateur Page 112.4 L'estime de soi Page 12

3 Apprendre, c'est renoncer à la toute puissance Page 15

3.1 La fonction paternelle Page 153.2 l'apprentissage de la Loi Page 17

4 Influence du milieu familial Page 18

4.1 Le rapport au savoir Page 184.2 La capacité à anticiper Page 19

5 L'espace transitionnel de la rééducation – Fonction paternelle Page 20

5.1 Le cadre rééducatif aspect théorique Page 205.2 La fonction paternelle du cadre rééducatif - Exemples Page 21

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5.3 Les limites du cadre Page 235.4 Le rééducateur, tiers séparateur, dans la relation d'aide Page 245.4.1 Le projet rééducatif de Jérémie Page 245.4.2 La fonction paternelle dans le processus rééducatif Page 24

6 Le rééducateur dans son rôle de médiateur Page 26

6.1 Dans sa relation avec l'enseignant Page 266.1.1 Aspect théorique Page 276.1.2 La relation d'aide avec les parents - Exemple Page 29

7 " La création comme processus de transformation " Jean-Pierre Klein Page 30

8 L'évaluation : Une approche critique du travail de rééducation Page 32

8.1 En séances de rééducation Page 328.2 A l'école Page 328.3 A la maison Page 338.4 Evolution de l'environnement de l'enfant Page 33

Conclusion Page 34

Bibliographie Page 36

Ouvrages Page 36Articles et conférences Page 36

Introduction

Tout au long de cette année de formation, lors de l'observation des séances animées par la rééducatrice d'accueil, et dans ma pratique, j'ai été particulièrement sensible à la difficulté spécifique pour certains élèves d'entrer de manière satisfaisante dans les apprentissages. Ces enfants manifestaient soit une inhibition globale, soit une dépendance excessive à l'adulte.Parallèlement à cette " inappétence cognitive ", la notion de Loi, comme Loi universelle, garantie de la liberté individuelle, n'était pas intégrée par ces élèves. Ils étaient donc enfermés dans la toute-puissance ou dans l'asservissement à l'adulte.L'observation de ces élèves résonnait tout particulièrement pour moi. Institutrice en maternelle, j'ai souvent rencontré des enfants étouffés, asphyxiés sous le joug de leur mère autant que sous la couche de vêtements qui les recouvrait. J'ai parfois détourné le regard, ne pouvant plus supporter la vue de ces enfants, objets de la toute-puissance maternelle. J'avoue avoir savouré l'instant où, brisant le carcan de cette prison dorée, l'enfant décidait un

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matin de ne plus dire au revoir que d'un vague signe de la main pour courir au plus vite vers ses camarades, laissant sur le pas de la porte sa mère désemparée, interrogative. Son enfant ne l'aimait-il plus comme avant ? Il changeait, d'ailleurs il était moins docile ! Lorsque je trouvais favorable cette volonté nouvelle d'indépendance, ces mamans inquiètes étaient souvent déconcertées. Si une relation de confiance était instaurée, alors nous pouvions travailler solidairement, et aider l'enfant dans sa conquête d'autonomie. Parfois, les mères refusaient cette séparation, l'enfant s'enfonçait alors dans divers troubles du comportement : passivité, dépendance, agitation, agressivité. Et les pères de ces élèves ? Absents, cachés, démissionnaires, dénigrés, " perdus " qui ne prenaient pas leur place.Pourquoi les enfants qui avaient des difficultés de séparation avec leur mère n'entraient-ils pas efficacement dans les apprentissages ? Quel rôle pouvait jouer le père dans la résolution de cette difficulté ? Quelle était sa véritable place auprès de l'enfant ? Je décidai de saisir l'opportunité de cette année de formation pour approfondir ma réflexion sur ce sujet. C'est l'exemple de la souffrance de Jérémie, qui me fut confié dans le cadre de ma formation pratique du lundi, de Bastien, dont je suivis la rééducation en tant qu'observatrice, d'Amina et de Manuella, dont nous nous occupâmes à l'école Doisneau avec Maryse Métra notre formatrice, et de Steven que je rencontrai lors d'un stage dans un R.A.S.E.D. (Réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté), qui illustrent ma recherche et je leur en suis reconnaissante.

Cas d'enfantsJérémie

Jérémie est un petit garçon de section de grands, signalé au R.A.S.E.D. en octobre par sa maîtresse, à la demande de la maman.Lors de notre premier entretien, la maîtresse décrit Jérémie comme un enfant très inquiet, peu épanoui. Il est fréquent de le voir arriver en classe, crispé, la voix qui tremble. Lorsqu'il est en grand groupe, Jérémie se montre très inattentif. En petit groupe, il ne travaille qu'en la présence, avec l'aide et sous le regard de l'adulte. Il s'interrompt fréquemment, pour solliciter une approbation. La maîtresse déclare ne pouvoir même pas tourner la tête sans que l'attention ne se relâche, la consigne ne se perde. Toutes les tentatives pour lui laisser l'initiative de son

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travail se sont soldées par un échec. La maîtresse est préoccupée par le devenir scolaire de l'enfant. Il ne progresse pas. Elle perçoit très nettement la nocivité de ce collage à l'adulte quant à l'entrée dans les apprentissages. Pourtant, Jérémie a fait à plusieurs reprises la preuve de ses capacités et s'est montré fier de ses réussites. Un autre point préoccupe la maîtresse. Jérémie a une attitude agréable et entretient de bonnes relations avec ses camarades de classe. Par contre, il est très indiscipliné dans les lieux moins cadrés, et est donc fréquemment puni. Quand aux récréations, tout se passe mal : il agresse systématiquement les enfants plus jeunes et insulte copieusement les grands de l'école primaire de l'autre côté du grillage.Lors du premier entretien avec Mme C., sa mère, nous apprenons que Jérémie pleure chaque matin pour venir en classe. Mme C. avoue être très déprimée et avoir besoin d'aide. Son mari est gentil, mais " trop cool ". Elle est très inquiète pour son fils aîné qui à 9 ans, ne sait ni lire, ni écrire, et a été signalé pour des actes violents à l'école. " Que vais-je faire, si je n'ai pas la loi ? " " Parfois je craque, pourtant je ne peux leur faire vivre ce que j'ai vécu avec mon père ". Mme C. se plaint du manque d'autonomie de Jérémie. Elle le décrit comme un enfant qui refuse de manger seul, de s'habiller seul. Mme C. évoque aussi sa propre famille qui juge excessive, voire anormale, la dépendance des trois enfants à son égard. A la fin de l'entretien, Jérémie manifestera le désir de retourner seul en classe, mais s'écroulera en larmes devant la porte de la classe, incapable de laisser sa mère.

Bastien

Dans le cadre de ma formation pratique dans une école de la banlieue Lyonnaise, j'ai fait la connaissance de Bastien, élève de cours préparatoire. Bastien manifestait une angoisse si préoccupante que sa maman avait sollicité l'aide du R.A.S.E.D. La maîtresse confirmait l'inquiétude excessive et la très forte émotivité de l'enfant. Face à toute nouvelle situation, Bastien se réfugiait dans les larmes, n'osant prendre aucune initiative et ayant sans cesse besoin d'être rassuré.Au cours de l'entretien préliminaire, la mère de Bastien, évoqua les difficultés de séparation déjà rencontrées par l'enfant tout au long de sa première année à l'école maternelle. Toutes les tentatives de fréquentation de la halte-garderie s'étaient préalablement soldées par un échec. L'entretien se déroulait en présence des deux parents. Dès les premiers mois, lorsque Bastien était confié aux soins de son père, il refusait de

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s'alimenter. Seule la mère pouvait le nourrir. Tout au long de l'entretien, Mr. B. essaiera, souvent en vain, de prendre la parole. Il s'appuiera sur les hypothèses de la rééducatrice pour confirmer la relation fusionnelle qui unit Bastien à sa mère. Mme B. manifestera à plusieurs reprises son désaccord avec son mari.Lors des séances préliminaires Bastien apparaît comme un enfant chétif, aux gestes limités, très sage et soumis, privilégiant les jeux à règles très statiques. A son arrivée à la deuxième séance, il dira : " je n'ai plus peur, parce que ma maman m'a dit de ne plus avoir peur, mon papa aussi ". La fois suivante il arrivera en déclarant : " j'ai plus l'angoisse ! ". Un moment plus tard, il parlera de la peur qu'il a de se retrouver seul, sans la clé, à la porte de sa maison.Au fil des séances, Bastien adopte le comportement de l'enfant dressé, réussissant bien ce qu'il connaît bien, mais ne parvenant pas à sortir des jeux à règles. Ses dessins et ses récits sont calqués sur ceux de son camarade. Ses propos débutent par : " ma maman dit… ". Seules la tension des mains et la raideur de son corps témoignent de l'angoisse qui l'habite.

Manuella

Manuella est élève en petite section. Elle est arrivée en France en fin d'année dernière. Sa maîtresse la décrit comme une enfant instable, hyper-active, à l'attention très fugitive. Elle semble vivre "dans un autre monde", ne faisant aucun cas des consignes. Manuella est très rejetée par ses camarades qui sont souvent agacés par son besoin de les toucher.Dès les séances préliminaires, qu'en tant que rééducateurs-stagiaires nous menons à l'école Doisneau, je suis frappée de l'autorité que manifeste Manuella. C'est une enfant très menue et très petite. Elle semble illustrer le profil-type, décrit dans un cours de Marie-Danièle Dufourt, professeur de psychologie à l'IUFM, de l'enfant carencée affectivement, présentant un retard de croissance et un déficit pondéral. Manuella est très mature. Mais elle est dans l'immédiateté. Très rapidement, elle teste les limites. A plusieurs reprises, elle sera dans la maîtrise. Manuella semble être dans la toute-puissance.Lors du premier entretien, sa maman, Mme M., nous apprend qu'à la suite d'un grave problème de santé lors de son accouchement, elle a dû quitter l'île de Mayotte pour être hospitalisée à l'île de la Réunion, laissant Manuella chez sa mère jusqu'à l'âge de 10 mois. Puis, pour fuir un mari brutal et alcoolique, elle est venue se réfugier en France, se séparant une nouvelle fois de sa fille pendant de longs mois. Mme M..

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reconnaît être dans l'impossibilité de pouvoir câliner Manuella, ni ses sœurs. Au cours de l'entretien, la maman se tournera vers sa fille pour lui dire qu'elle est méchante comme son père. la petite fille s'approchera d'elle en offrant son dos.

Problématique

J'ai choisi de développer ces trois exemples parce qu'ils me semblent illustrer les difficultés que pose l'entrée dans les apprentissages lorsque l'enfant n'est pas séparé de sa mère, soit parce que l'enfant et la mère sont encore dans la symbiose, soit parce que l'enfant carencé, n'ayant pu faire l'expérience de la fusion, il ne lui est pas possible de se séparer. Ils illustrent aussi les difficultés que rencontrent ces enfants avec la Loi lorsque la fonction paternelle n'est pas, ou insuffisamment, remplie.Je vais chercher à répondre à la question suivante :Pourquoi la dépendance à l'adulte est-elle un frein à l'entrée dans les apprentissages ?En quoi la rééducation favorise-t-elle la prise d'autonomie, et par conséquent permet à l'enfant d'être élève ? Je choisis de faire alterner tout au long de ma réflexion, la théorie avec sa mise en œuvre en rééducation. Après la présentation de mon hypothèse de recherche, et en me référant essentiellement à Donald W. Winnicott et à Françoise Coutou-Coumes, je définis ce qu'est apprendre du point de vue de la psychanalyse.Je m'attache ensuite à montrer comment l'espace transitionnel de la rééducation peut exercer une fonction maternelle. Puis, je me réfère à Jacques Lacan, pour définir la fonction de " nom-du-père ". J'aborde l'influence exercée par le milieu familial dans la construction du rapport au savoir chez l'enfant. Puis je montre que dans un cadre adapté, le rééducateur instaure la fonction paternelle au sein de la relation. En appuyant ma réflexion sur les écrits de Carl Rogers, je présente le rôle de médiateur du rééducateur. J'expose un exemple sur le développement de la créativité et termine par une approche critique de mon travail de rééducation. Hypothèses de recherche

Pour que l'enfant puisse entrer dans les apprentissages, il lui faut se séparer de sa mère comme de sa maîtresse. Il lui faut avoir expérimenté la capacité d'être seul en présence de l'autre. Cette épreuve du manque est une condition et le moteur de son autonomie.La rééducation contribue à instaurer la notion de Loi qui protège, qui interdit, et qui différencie les êtres dans un cadre

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rassurant, car contenant. Je montrerai qu'à l'intérieur de l'école, la rééducation ouvre un espace, pour que les enfants apprennent la Loi.Qu'elle permet à l'enfant de restaurer l'estime de soi, et de s'essayer à développer sa créativité pour devenir acteur de ses apprentissages, et que, par ailleurs, l'action rééducative participe à l'évolution de l'environnement de l'enfant.Cette action positive de la rééducation ne peut se concrétiser qu'à certaines conditions. La première condition est l'instauration d'un cadre rééducatif clairement posé avec l'enfant et dont le rééducateur est le garant.L'enfant connaît les raisons de sa présence en ce lieu, le temps et la périodicité des séances. Il sait que c'est un espace-temps d'une durée limitée, parenthèse dans sa vie d'élève. Les règles des séances lui sont énoncées. Il est informé du contrat élaboré par l'institution rééducative, telle que la définit Yves de la Monneraye1." L'institution rééducative potentielle, où chacun, qu'il soit rééducateur, instituteur ou parent, se reconnaît et reconnaît l'autre dans sa fonction et s'interdit la confusion des rôles à exercer auprès de l'enfant. Potentielle, seulement, car c'est l'enfant qui décidera lui-même avec le rééducateur s'il veut ou non entreprendre une rééducation. " Y. de la Monneraye (Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.)L'institution rééducative s'engage donc à donner sa place de Sujet à l'enfant.La deuxième condition est pour le rééducateur, l'élaboration du projet rééducatif individuel de l'enfant. L'objectif étant de favoriser la mise en œuvre des processus de symbolisation de la séparation, et pour finalité, de l'aider à conquérir une certaine autonomie nécessaire à l'entrée dans les apprentissages.Ce projet n'est pas figé, il est réactualisé, réajusté régulièrement au fil des entretiens avec les parents et l'enseignant et en fonction de l'évolution de l'élève.La troisième condition est le rôle de médiateur du rééducateur qui fait circuler les aspirations, les attentes entre les partenaires, afin de modifier le système qui environne l'enfant. Il s'agira ici de restaurer la fonction du père, tiers séparateur.1 Qu'est-ce qu'apprendre d'un point de vue psychanalytique ?" Une mère parfaite est celle qui, (…) ne vit pas que pour ses enfants, elle vit ailleurs aussi, elle vit d'autres amours, elle est

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pleinement là dans chaque geste ou chaque mot, (…) et elle est immédiatement ailleurs, ou si l'on veut, les meilleures mères sont ce que le monde appelle les mauvaises mères, celles qui ne pensent pas qu'à leurs enfants, ou si l'on veut encore, les meilleures mères sont celles qui n'oublient pas d'être aussi, avec autant d'intensité, femmes, amantes, enfants. " Christian Bobin C. Bobin, La plus que vive, Gallimard, 1996.1.1 Apprendre, c'est grandir et se séparerFrançoise Coutou-Coumes écrit que grandir pour l'enfant, c'est renoncer à la relation fusionnelle avec sa mère et "prendre de la distance par rapport à ses racines" pour "devenir pensant". C'est à dire, renoncer à prendre en compte son seul point de vue et entrer en relation avec l'autre pour découvrir un point de vue différent. De cette confrontation, naîtra la capacité de se décentrer, d'élaborer son propre jugement. " Apprendre, c'est supporter l'absence, élaborer des différences et renoncer à la toute-puissance. " F. Coutou-Coumes F. Coutou-Coumes, Qu'est ce qu'apprendre ?, Le groupe familial n°121, 1988.L'enfant doit accepter de se séparer. De ce manque, naîtra le désir de se tourner vers l'extérieur - objet, personne, ou savoir - pour dialoguer, vivre et penser. La capacité à supporter l'absence et la solitude conditionne l'accès à l'apprentissage.Pour que la séparation soit possible, il faut que la relation primaire entre la mère et l'enfant ait été favorable. 1.2 De l'omnipotence à la désillusionD.W. Winnicott D.W. Winnicott, Jeux et réalités, Gallimard, 1999 développe la théorie de " l'illusion – désillusionnement ". Dans les premiers mois, l'adaptation de la mère suffisamment bonne aux besoins matériels et affectifs de l'enfant est presque totale. Winnicott parle de " holding ", qui signifie " maintien " et désigne autant la façon dont l'enfant est porté dans les premiers mois de sa vie, que l'adaptation à ses besoins physiques ou psychologiques dont son environnement, principalement la mère, fait preuve durant cette période de grande dépendance. Si l'enfant est satisfait dès qu'il manifeste un besoin, par exemple celui de téter, et que la mère, à ce moment lui présente le sein, l'enfant acquiert peu à peu l'illusion de son pouvoir de créer et trouver l'objet de son désir. Le sein est pour ainsi dire sous le contrôle magique du bébé. C'est la période de l'omnipotence.C'est la mère qui grâce à sa capacité de " rêverie " ajuste son comportement et fournit à l'enfant l'illusion qu'il crée. L'enfant garde ainsi la trace de cette satisfaction. Cette expérience

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satisfaisante permet l'ébauche du fonctionnement de l'appareil psychique.Si la mère est suffisamment bonne, elle va peu à peu introduire le manque et la désillusion. Elle va réinvestir progressivement la relation avec son partenaire, son activité professionnelle, créant des " ratés " avec le bébé. Elle est moins satisfaisante. L'enfant a, pour la première fois, l'intuition qu'il ne peut seul la combler. C'est à partir de ce moment que le père prend sa place, c'est le début de la triangulation.La frustration générée par la désadaptation progressive de la mère déclenche chez le bébé des réactions de colère destructive. Winnicott parle du concept de la position dépressive, tel que l'a décrit Mélanie Klein. L'enfant, encore dans l'illusion où il croit qu'il crée tout, va s'imaginer que sa rage peut tout détruire. Vont ainsi alterner des périodes de colère et d'angoisse d'avoir aussi détruit le " bon ". Il est important que la mère reste calme, le rassure, mais ne renonce pas à cette désadaptation. L'enfant va alors réaliser qu'il ne peut détruire le monde. Il perçoit qu'il peut être ambivalent vis à vis de la même personne " sans croire qu'il a détruit le lien, ni se penser radicalement mauvais ". Mais il découvre aussi que le monde existe sans lui. C'est la découverte du Moi et du Non-moi. L'enfant va expérimenter le manque et commencer à symboliser l'absence. Il va commencer à développer ses capacités, à se représenter l'objet en l'absence de celui-ci. Par exemple, il établira des liens sensoriels entre les bruits, les odeurs qui accompagnent la préparation du biberon, c'est le début de la mémoire.Winnicott pense que la tension entre le principe du plaisir, réalité interne, et le principe de réalité, réalité externe, ne peut être soulagée que grâce à l'existence d'une aire transitionnelle souvent concrétisée chez le jeune enfant par l'objet transitionnel." Cette aire intermédiaire d'expérience, qui n'est pas mise en question quant à son appartenance à la réalité intérieure ou extérieure (partagée), constitue la plus grande partie du vécu du petit enfant. Elle subsistera tout au long de sa vie, dans le monde d'expérimentation interne qui constitue les arts, la religion, la vie imaginaire et le travail scientifique créatif. " D.W. Winnicott D.W. Winnicott, Jeux et réalités, Gallimard, 1999.1.3 Les dysfonctionnements1.3.1 La relation fusionnelle Parfois, la mère, tout à son désir de satisfaire son enfant, maintient l'état de dépendance absolue de l'enfant et l'empêche ainsi de faire l'expérience du manque.

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" Pour être curieux, il faut avoir été comblé, mais il ne faut plus l'être pour le rester. " F. Coutou-Coumes F. Coutou-Coumes, Qu'est ce qu'apprendre ?, Le groupe familial n°121, 1988.L'enfant, toujours comblé, s'enferme dans la fusion avec sa mère.

" Les apprentissages s'inscrivent sous le sceau de la séparation et de la nostalgie. A chaque écolier il est demandé de faire des acquisitions d'ordre intellectuel et culturel d'un groupe étranger au groupe familial : c'est inciter chacun, à la fois, à supporter l'absence, à élaborer une pensée de plus en plus différenciée, à découvrir une vie sociale intense, donc à intégrer les désirs d'autrui en renonçant à la toute puissance. " F. Coutou-Coumes6.Mais la désadaptation avec la mère doit être progressive et mesurée, dans sa durée, à ce qui est supportable par l'enfant. 1.3.2 L'angoisse de séparation développementale Bowlby, dans sa théorie de l'attachement [1952], décrit un processus de trois réactions de l'enfant vis à vis de l'angoisse de séparation développementale. A la première phase, normale, d'agitation, de colère et de pleurs, succède, si l'absence se prolonge, une phase de désespoir et de désarroi intenses. Les pleurs diminuent et s'installe une apparente indifférence. Bowlby qualifie cette phase de chagrin et de deuil. La phase ultime est celle du détachement où l'enfant se résigne à accepter les soins de n'importe quel substitut maternel. Ce renoncement s'apparente à un mécanisme de défense. La séparation est vécue comme une perte." Quand la mère est absente pendant une période qui dépasse une certaine limite (…) le souvenir de la représentation interne s'efface. " D.W. Winnicott5. L'enfant carencé affectivement ne peut faire l'expérience de la séparation. On parle de fusion négative. 2 L'espace transitionnel de la rééducation – Fonction maternelle L'école a pour mission de rendre l'élève créatif, de lui apprendre à penser et à juger par lui-même, ceci afin de l'aider à conquérir son autonomie. Si dans la majorité des cas, l'école est à même de répondre efficacement à cette mission, pour certains enfants, devenir élèves, entrer dans les apprentissages, est impossible parce qu'ils ne sont pas séparés de leur mère.Dans ce cas, une aide à dominante rééducative peut leur être proposée. Le cadre rééducatif joue un rôle de tiers séparateur pour l'enfant. " La rééducation est du holding au sens Winnicottien : un

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soutien, une aide, pour la création d'une unité. " Maryse Métra Cours de M. Métra sur la pratique du rééducateur, 1999.Dans la circulaire n° 90.082 du 9 avril 1990, les actions d'aide spécialisée à dominante rééducative ont pour objectif, d'une part de favoriser l'ajustement progressif des conduites émotionnelles, corporelles et intellectuelles, l'efficience dans les différents apprentissages et activités proposés par l'école et d'autre part de restaurer chez l'enfant le désir d'apprendre et l'estime de soi.2.1 Rôle de mère " suffisamment bonne "Pour atteindre ces objectifs, le rééducateur peut au départ se plier à la grande dépendance souhaitée par l'enfant pour lui faire vivre, ou revivre, l'expérience de la "mère suffisamment bonne" afin qu'il soit en mesure de supporter la désadaptation progressive et la mise à distance, par la médiation de la parole, nécessaire à l'élaboration de la séparation en rééducation. Les séances préliminaires vécues avec Amina me semblent illustrer cette situation.Amina, enfant de petite section, est signalée par la maîtresse pour son mal-être global. Elle s'exprime à l'école par des hurlements et des sons qui ne ressemblent à aucune langue. Lorsque nous allons pour la première fois la chercher, elle pleure depuis son arrivée en classe. Tout au long du chemin, Maryse Métra, rééducatrice-formatrice, essaie de la consoler sans y parvenir. Elle se calmera momentanément lorsque Maryse lui présentera les instruments de musique. Elle la suivra pas à pas tout au long de la séance s'accrochant à sa présence rassurante.La séance suivante, Amina est prostrée, en larmes, sur un banc dans la classe. Cette fois, Maryse ne parvient pas à calmer les larmes de l'enfant par la parole. Les pleurs redoublent. Tout en jouant de la musique, Maryse s'installe à même le sol. Amina se love, entre ses jambes, le corps de Maryse comme une enveloppe protectrice. Les pleurs semblent ne pouvoir se tarir. Maryse la berce, accompagnant ce bercement d'un léger frappé au tambourin mettant progressivement l'enfant au contact de l'instrument. Les pleurs deviennent mélopée lancinante. Amina s'abandonne dans cette attitude régressive. Maryse cherche un autre objet médiateur pour sortir de cette relation fusionnelle. L'ours proposé est ignoré. Je présente à l'enfant l'ardoise qui avait retenu son attention la séance précédente. Maryse dessine, l'enfant est maintenant assise à ses côtés. Peu à peu, les pleurs s'apaisent. Maryse raconte : le soleil qui réchauffe le cœur d'Amina, le nuage qui pleure, …. Du bout des doigts tout d'abord, Amina efface un à un chaque tracé. Puis, la main devient tonique,

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le corps se redresse, une distance, à peine perceptible, s'installe…. Elle recouvrira ensuite l'ardoise de courbes et de tracés. Depuis, elle n'a plus jamais recherché une telle sécurisation physique, découvrant d'autres médiations pour entrer en relation avec la rééducatrice. 2.2 La reconnaissance de l'enfantL'élève est le plus souvent l'objet d'une demande d'aide à sa personne, celle de son enseignant, celle de ses parents. Les raisons de la demande d'aide faite par l'enseignant ou les parents lui sont énoncées clairement.Le rééducateur en le nommant par son nom et prénom le reconnaît comme être social à part entière." En rééducation, on essaie de mettre en jeu la reconnaissance de l'autre ; cela commence par la mise en jeu de la différence. Quand nous appelons un enfant par son prénom et son nom, cela, tout à la fois, nous différencie de lui et le différencie de ses parents. " Y. de la Monneraye8.M ais cela ne saurait suffire pour le reconnaître comme Sujet parlant. " Le premier acte pratique qui sera en conformité avec cette reconnaissance sera de le traiter en sujet, je dirais même, de l'assigner à une place de sujet parlant à partir de quoi il dira ce qu'il voudra ou pourra, s'il veut dire quelque chose. Cette reconnaissance de l'autre comme être parlant, est bien un forçage, et c'est le seul que l'on puisse se permettre, car c'est le seul qui respecte sa liberté. " Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.Sa parole, son silence qui est une parole, sont respectés, entendus comme tels, non comme la réalité. Un temps suffisant lui est proposé pour qu'il puisse s'exercer à la pratiquer.Lorsque j'allai chercher Jérémie dans sa classe, pour notre première séance, il m'attendait inquiet : " La dame l'avait-elle oubliée ? ". Il entra dans la salle de rééducation, s'assit très calme. Je lui rappelai l'entretien que nous avions eu, avec sa maman, en sa présence, les raisons qui avaient motivé la proposition d'un travail avec moi. Je lui énonçai les règles de séance. Il écoutait, silencieux, attentif. Je lui suggérai ensuite de choisir un jeu. Un silence profond s'installa. Les larmes qui glissaient le long de ses joues, sans qu'il ne fasse le moindre geste pour les essuyer, témoignaient du douloureux travail intérieur qu'il s'apprêtait à venir mener ici. C'était ma première rencontre en tant que rééducatrice. J'étais impressionnée par ce silence, véritable acte de parole, engagement douloureux de

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l'enfant dans sa demande d'aide. Il était prêt, mais c'était " douloureux ". Il n'y eut plus jamais de larmes dans nos rencontres, mais combien de fois, alors qu'il était confronté à une nouvelle difficulté n'a-t-il répété " c'est dur " ? 2.3 L'empathie du rééducateur Une présence bienveillante, un regard positif, instaurent le climat de confiance indispensable à l'enfant pour dire, mettre en scène, sa difficulté. C'est ce que Carl Rogers nomme dans " le développement de la personne " le degré élevé de compréhension empathique." Il s'agit donc d'emblée de faire découvrir à cet enfant, à cet élève, tout en les vivant avec lui, et la fonction libératrice de la parole et l'atmosphère de non-jugement qui permet de s'exprimer. " Y. de la Monneraye Y. de La Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.Retour des vacances de Noël. Dès son arrivée, Jérémie a le visage tendu. Il est très agité corporellement. Inattention ,instabilité, abandon ponctuent la séance. Jérémie ne parvient à se fixer sur aucune activité. Son regard est fuyant, insaisissable. Eviter la rencontre de nos regards semble à ce moment-là, sa seule défense contre l'angoisse qui visiblement le submerge." Angoisse de se détruire et de détruire l'autre d'une part, et angoisse d'être englouti, sans distance, par l'autre, d'autre part. Perte de soi et de l'autre ou perte de soi dans l'autre ? " Sami-Ali Sami-Ali, Le regard, Evolutions psychomotrices n°3, 1989.Finalement, Jérémie choisit de peindre. Sa seule préoccupation paraît de faire le plus grand nombre de taches disjointes de couleurs différentes. Je le regarde décontenancée, que se passe-t-il aujourd'hui ? Par le silence qu'il a instauré entre nous, Jérémie manifeste son désir de se couper de ma présence. Je reste silencieuse, acceptant cette " parole ", tentant par une attitude impassible mais paisible de lui faire ressentir que je respecte son silence, que je l'écoute, sans être détruite par lui. Je souhaite aussi lui faire vivre cette situation où je lui propose mon aide mais le laisse libre de la refuser. Jérémie saisit l'opportunité. Tout à coup, sans lever le nez de sa feuille, il me demande si je veux bien peindre les blancs entre ses taches. Sans dans un premier temps lui donner de sens, je perçois que pour le rencontrer il faut que j'accède à sa demande. Je commence à peindre, sans un mot. Je relève la tête. Jérémie est en train de me regarder. Nos regards se croisent avec beaucoup d'intensité, véritable reconnaissance de l'autre pour

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Jérémie à partir de laquelle il fait sa demande d'aide." Tout comme les sensations tactiles, auditives…et les besoins alimentaires, le regard participe à l'élaboration de la vie psychique. Moyen émotionnel de communication, ses racines archaïques renvoient aux premiers échanges mère – nourrisson, au contact œil à œil pendant la tétée. " Jeu et réalité, D. W. Winnicott D.W. Winnicott, Jeux et réalités, Gallimard, 1999.Maryse Métra, à qui je racontai cette " rencontre ", émit l'hypothèse qu'avec ces taches Jérémie montrait le morcellement qu'il ressentait et qu'en me faisant remplir les blancs, il me demandait symboliquement de l'aider à faire les liens.2.4 L'estime de soi L'enfant est Sujet de ses apprentissages, c'est à dire que son désir est le moteur d'action. On nomme ceci la motivation. C'est sur cette reconnaissance de l'enfant que s'appuie la théorie constructiviste. " L'acquisition de connaissances passe par une interaction entre le sujet et l'objet d'étude. " Monique Pré, formatrice UFAIS LYON M. Pre, Conférence " Le projet personnel et ses enjeux ", 2000 .L'apprentissage implique pour tout élève une phase de déstabilisation affective et de déstructuration cognitive (mes connaissances ne me suffisent plus).Ces deux phases de durée limitée précèdent l'émission de nouvelles hypothèses. Une fois vérifiées, celles-ci entraînent l'acquisition de nouveaux savoirs et une restabilisation affective. La satisfaction d'avoir franchi l'obstacle renforce l'estime de soi de l'élève.Mais pour apprendre, l'élève doit avoir une confiance en lui suffisante afin de supporter temporairement d'être déstabilisé.C'est l'estime de soi, entretenue par l'expérience de la réussite, qui donne la confiance en soi nécessaire, et permet à l'élève d'éprouver " l'envie d'y retourner " afin de revivre cette expérience satisfaisante. Pour cela, il a besoin d'expérimenter en toute sécurité dans une atmosphère bienveillante." L'estime de soi se construit dans des relations sécurisantes. " Maryse Métra Cours de M. Métra sur la pratique du rééducateur, 1999.Lors de notre premier entretien, la maîtresse se déclare préoccupée par le manque de confiance en lui de Jérémie. Il demande sans cesse à être rassuré et assimile chaque erreur à un jugement de valeur négatif sur sa personne. Nous convenons alors que la maîtresse s'entretiendra avec lui de son droit à l'erreur dans les apprentissages.

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A l'occasion de notre deuxième rencontre, la maîtresse note une volonté beaucoup plus marquée chez l'enfant de s'essayer. L'erreur présentée comme normale dans le processus d'apprentissage n'est plus perçue comme dévalorisante par l'enfant. Il s'autorise à se tromper. C'est un premier pas dans la conquête de son autonomie. Une autre condition à la construction d'une juste estime de soi est, d'après Winnicott, très liée au regard que porte la mère sur son enfant dès leurs premières interactions." Que voit le bébé quand il tourne son regard vers le visage de sa mère ? Généralement, ce qu'il voit, c'est lui-même. " D.W. Winnicott D.W. Winnicott, Jeux et réalités, Gallimard, 1999.René Spitz explique que, pendant la tétée, le bébé a le regard fixé sur sa mère. A la satisfaction buccale s'associe le plaisir sensoriel du corps à corps avec la mère ainsi que " la captation et la correspondance des regards ". La mère suffisamment bonne permet à l'enfant de faire une expérience de plaisir très positive." Quand je regarde, on me voit, donc j'existe. Je peux alors me permettre de regarder et de voir. Je regarde alors créativement et, ce que j'aperçois (aperception), je le perçois également. " D.W. Winnicott14.Mais, parfois, le regard de la mère ne reflète que son état d'âme : agressivité, dépression, indifférence, …. Le regard ne renvoie pas ce que l'enfant offre. Le visage de la mère n'est pas un miroir. La perception de ce qui aurait pu être l'ébauche d'une rencontre, " un processus à double direction où l'enrichissement du soi alterne avec la découverte de la signification dans le monde avec les choses vues " (D.W. Winnicott) devient aperception. L'enfant apprend alors à scruter sur le visage de sa mère la moindre crispation. Il tait ses propres besoins, adoptant le retrait comme système de défense " sinon ce qu'il y a de central en moi sera atteint " (D.W. Winnicott).Dans les cas de tension extrême de la mère, l'enfant ne regarde plus, il perçoit, et cette perception devient mécanisme de défense.La construction de l'image de soi est donc très liée au regard que la mère et l'entourage de l'enfant posent sur lui.Jusqu'au mois de février, nous avions à plusieurs reprises incité Amina à se regarder dans le miroir. Chaque fois, nous nous étions heurtés à son refus. A l'occasion du carnaval, nous décidons de proposer les déguisements et les masques aux enfants. Pour la première fois, Amina déguisée accepte de se contempler dans le miroir, silencieuse. La séance suivante,

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imitant Manuella, Amina s'installe à côté d'elle, face au miroir. Elles jouent de la flûte. Amina souffle, se regarde, sourit, regarde sa camarade, …. Son regard va et vient du miroir à Manuella semblant vouloir s'assurer que les images reflétées sont bien celles de leurs propres corps. Les éclats de rire fusent. Une semaine plus tard, Amina retourne spontanément devant le miroir avec dans sa main une marionnette. Elle anime la marionnette jouant à " coucou – caché " avec le reflet de celle-ci dans le miroir. A la vue du sourire qui illumine son visage lorsqu'elle se contemple, nous en concluons que cette expérience est gratifiante.Le cadre contenant et rassurant de la rééducation permet à Amina de pouvoir reconstruire une image positive d'elle-même, et " de s'assumer d'un seul coup comme Sujet, comme -je-, au moment même où elle découvre son unité. " Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.Parfois dans sa vie scolaire, l'enfant n'est pas vraiment investi pour lui-même, mais pour ce qu'il doit satisfaire, ou réparer, dans le désir des parents. C'est le cas de l'élève-revanche qui doit réussir à l'école, là où ses parents ont échoué, ou de l'élève-challenge qui a le devoir de réussir au moins aussi bien que ses parents.Ce surinvestissement parental est parfois source d'angoisse pour l'enfant. Se sentant objet de leur désir, ou comme le dit Philippe Mazet Ph. Mazet, S. Lebovici, Penser, apprendre, ESCHEL, 1988, " dépossédé de ses initiatives ou de ses réussites ", son estime de soi risque d'être gravement fragilisée, voire même anéantie, avec de lourdes conséquences dans les apprentissages.La maîtresse de Bastien le décrit comme un enfant ayant une telle peur d'échouer qu'il peut s'en rendre malade. Lors de la première séance préliminaire, Bastien pleure en disant : " j'ai peur de ne pas faire mon travail correctement ". Tout au long de sa rééducation, l'enfant ne parviendra pas à se dégager de l'emprise de sa mère. Il semble sur la défensive, ne parvenant que très difficilement à exprimer un désir qui ne soit celui de sa mère, ou par défaut, celui de son compagnon de rééducation. Les entretiens mettent en évidence la très forte personnalité de la mère. Elle a confié une mission et un devoir à Bastien : réussir là où son frère aîné est en train de décevoir, et obéir à ses exigences. Bastien subit un entraînement intensif qui se solde par une inhibition sans cesse croissante et une dépendance accrue à l'adulte. Pourtant à l'issue des séances préliminaires, Bastien tente de se positionner en refusant de continuer la

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rééducation. Son désir est-il entendu ? Est-il reconnu comme Sujet, lorsque ni les parents, ni l'institution, ne prennent en compte sa parole ? Au vue du désinvestissement de l'enfant, tout entier soumis aux désirs des adultes, son estime de soi semble très fragile. Le forçage éducatif laisse peu d'espace de pensée à l'enfant, nous voyons combien il peut être préjudiciable aux apprentissages.3 Apprendre, c'est renoncer à la toute – puissance3.1 La fonction paternelleDans la première partie de ma réflexion, j'ai parlé de la période de désillusion au cours de laquelle le bébé prend conscience qu'il n'est pas l'unique objet du désir de sa mère. L'enfant, peu à peu, découvre la différenciation entre le moi et le non-moi.Le père, géniteur ou compagnon de la mère, en s'immisçant dans la dyade mère - enfant, instaure la triangulation. Mais il ne suffit pas qu'il y ait un père dans l'instauration de cette triangulation. Encore faut–il, qu'il y ait " du père ". C'est à dire, une relation entre l'enfant, l'objet de son désir, et le représentant de la Loi. C'est ce que Lacan nomme la fonction de " nom–du–père ". Il ne s'agit pas du père de famille en tant que personne, mais du signifiant qui symbolise la Loi auprès de l'enfant, Sujet en construction.Cette fonction de " nom–du–père " est de couper symboliquement le lien fusionnel entre la mère et l'enfant, en les référant à un interdit universel transmis par le père en tant que Loi inconsciente et auquel il est lui–même soumis : l'interdit de l'inceste. Par son désir pour la mère, le tiers séparateur, père ou compagnon, suffit à interdire le fantasme de retour à la fusion avec la mère. L'enfant renonce à l'idéal d'être tout pour l'autre." La fonction première de l'imago du père est l'interdiction de la mère et par cet interdit l'ordonnancement du désir dans son rapport à la loi. " Jacques Lacan . cité par Françoise Hurstel F. Hurstel, La fonction paternelle aujourd'hui, Edition et date non connues.Jacques Lacan17, précise que ce père " symbolique " existe pour l'enfant, seulement s'il existe pour la mère. C'est à dire, qu'elle le nomme, le reconnaisse, non comme le père biologique, le père éducateur, ou le père donneur du nom, mais par le " cas qu'elle fait de sa parole, disons, en un mot, de son autorité, autrement dit, de la place qu'elle réserve au nom du père dans la promotion de la Loi. " Jacques Lacan 17.Ainsi, en s'intercalant entre la mère et l'enfant, le père instaure le manque, et " en assure la pérennité. " Aldo Naouri A. Naouri, Le père noyau de doute, Revue de l'ANPASE.

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L'enfant quitte l'état de nature et assume ce manque instauré en accédant au langage et à la culture. Il devient un être social, différencié désirant. Mais, on ne saurait réduire le rôle du père à cette seule place symbolique. La paternité est un acte d'accueil. Accueillir l'enfant dans son nom, c'est lui offrir un lieu à partir duquel il établira ses règles de vie, sa morale. De plus, le père réel, maternant, joue un rôle affectif non négligeable auprès de l'enfant. Boris Cyrulnik B. Cyrulnik, Sous le signe du lien, Hachette littérature, Date non connue écrit que le bébé ressent les soins et les jeux de son père plus actifs, audacieux et distants que ceux de la mère, ce qui favoriserait son indépendance et une agressivité positive du bébé. Sabrina Spibrein, citée par Didier Dumas D. Dumas, Sans père et sans parole, Hachette littérature, 1999, s'est intéressée à la genèse des mots " maman et papa ". A leur origine, ces deux mots représentent la bisexualité, c'est à dire, le plaisir d'absorber et d'expulser. Maman, comme symbole de la plénitude du dedans, et papa, son qui symbolise le plaisir que l'on prend à se projeter à l'extérieur de soi : le plaisir de se mettre à parler.Jean Le Camus J. le Camus, Conférence à Paris, 11 mars 2000 cite une étude menée à l'UFR de Toulouse auprès d'enfants de trois ans. Elle a montré de meilleures qualités d'intégration sociale chez les enfants dont le père assumait un rôle éducatif bien différencié de celui de la mère." L'acte d'apprendre exige la capacité de supporter, provisoirement au moins, de manquer et de dépendre. " F. Coutou-Coumes F. Coutou-Coumes, Qu'est ce qu'apprendre ?, Le groupe familial n°121, 1988. Steven est un enfant maintenu en grande section. Né d'un inceste, il est placé dans une famille d'accueil où il a du mal à trouver une place. Le rééducateur qui m'accueille dans le cadre d'un stage R.A.S.E.D. travaille avec lui sur l'acceptation de la Loi.En cette période de l'année, il s'agit d'envisager son orientation pour la prochaine rentrée. J'assiste à la passation du test WIPPSI avec la psychologue. L'enfant est enthousiaste, coopérant, " y-en-a encore ? " demande-t-il l'œil gourmand. Puis, brusquement, confronté à une première difficulté, son comportement change. Il s'agite corporellement, disparaît sous la table, secoue frénétiquement la tête en répétant inlassablement : " je sais pas, je sais pas, … ". Il semble paniqué. La psychologue le rassure, l'encourage, lui propose un exercice où il est à l'aise et il accepte

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de continuer avant une autre période de désespoir. Le test se déroulera dans cette alternance d'acceptations et de refus paniqués. Steven, privé de sa mère, n'a pu être comblé affectivement, ni faire l'expérience du manque, source de désir et de créativité. Le non-dit, qui a entouré sa filiation, ne lui a pas permis de vivre la fonction du " nom–du–père " et de faire l'apprentissage de la Loi. " Le secret produit chez l'enfant une crainte de savoir. Il y a danger mortel à savoir, et cela entraîne un refus d'apprendre ; ces enfants présentent une inhibition intellectuelle, ou un retard dans l'organisation du raisonnement. " J .L. Graber J.L. Grabert, L'enfant et la Loi, L'ERRE, Conférence A.R.E.N. Juin 1986.L'enfant refuse la réalité, refuse de savoir.Grandir pour l'enfant, c'est donc être deux, puis trois, puis beaucoup plus, découvrir le manque, symboliser l'absence, s'ouvrir au monde et renoncer à la toute-puissance en se soumettant à la Loi qui commande, protège, et permet d'évoluer parmi les autres.3.2 l'apprentissage de la Loi " Eduquer, c'est rendre autonome. " Françoise Dolto Citation reprise d'un cours de Maryse Metra.Autonomie : " qualité dynamique de l'être humain, qui trouve son équilibre personnel entre les règles qu'il s'est lui-même choisies, et celles qui lui sont imposées mais dont il admet le bien-fondé. " L'univers documentaire HachetteL'autonomie est une valeur. Elle est à conquérir. Elle reste en constant devenir. C'est la Loi que l'on se donne à soi-même, en tant que Loi universelle." Le Sujet, par son mouvement naturel, serait plutôt porté à transgresser la Loi qu'à s'y soumettre. Le Sujet de la Loi est celui qui a refoulé son désir. " J. Lacan J. Lacan cité par F. Hurstel, La fonction paternelle aujourd'hui, Edition et date non connues.La Loi suppose donc une certaine décentration, un apprentissage et le renoncement à la suprématie de ses désirs. L'enfant renonce à sa toute-puissance pour prendre en compte le point de vue de l'autre, ses désirs. La Loi a une fonction d'intégration." L'autonomie ouvre l'espace du Je, mais aussi l'espace du Nous. Elle se fonde de la séparation mais aussi de la rencontre avec l'autre. " G. Guillot G. Guillot, Conférence " Communication et entretien ", 1999 .La Loi s'apprend. L'enfant doit être confronté, dans sa famille et à l'école, à la Loi qui frustre, mais il doit aussi pouvoir faire l'expérience de situations où elle le protège." Il ne suffit pas d'apprendre aux enfants ce qu'est la Loi, si on ne

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fonctionne pas à l'école et jusque dans la classe, selon la Loi. " Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.La pédagogie institutionnelle propose à l'enfant un espace-temps pour permettre à chacun, enseigné et enseignant, de devenir " instituteur " en donnant à chacun la possibilité de créer, d'instituer leur milieu de vie et leurs propres structures éducatives. Elle me semble un support favorable pour que l'enfant apprenne, en situation concrète, à penser et juger par lui-même, tout en négociant avec le groupe, en respectant ses règles et en s'y référant.En rééducation, l'enfant est aussi confronté à la Loi qui unit " la soumission à une contrainte légale avec la faculté de se servir de sa liberté ". Kant, cité par Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.Un cadre bien posé, offre à l'enfant un espace de liberté avec à l'intérieur, des compromis possibles et un espace d'autorité avec des interdits clairement énoncés et non négociables. 4 Influence du milieu familial4.1 Le rapport au savoir Avant sa première rentrée à l'école, l'enfant, influencé par la façon dont ses parents ont vécu leur propre scolarité, aura déjà construit son premier rapport au savoir. L'école sera valorisée, perçue comme un lieu de vie, riche d'enseignements. Parfois, elle sera présentée comme un passage obligé, un lieu de dressage, dont il faut se sortir au plus vite, tout en ne se faisant pas remarquer. D'autres fois, l'école est décrite comme un lieu où l'on doit réussir coûte que coûte. Dès le début de l'année, Mme C., mère de Jérémie, est inquiète. Elle est persuadée que son fils ne réussira pas au Cours Préparatoire.Lors de notre rencontre en mars, Mme C. renouvelle sa demande de voir son fils maintenu en grande section de maternelle, pour qu'il " mûrisse ". Elle souhaite connaître mon point de vue. Je lui confirme ce qu'elle sait déjà : la maîtresse constate des progrès notoires de l'enfant en classe et son évolution est favorable en rééducation. Rien dans son comportement ne justifie un maintien. Jérémie fait preuve d'une détermination certaine à grandir, ce que sa maman semble refuser de voir. En le privant de l'entrée au CP, ne prendrait-elle pas le risque de contrarier son désir ?Il semble que pour cette dame, grandir, quand on est un garçon, soit dangereux. Son père semble l'avoir terrorisée. Son mari ne la soutient pas suffisamment, et son fils aîné est en grande

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difficulté. Certains faits me laissent aussi percevoir que son expérience personnelle de l'école n'a pas été gratifiante. Maintenir l'enfant en grande section permettrait de repousser l'échéance de l'entrée à l'école primaire, signe de nouvelles difficultés. Pour Bastien, la situation est différente. Il n'a pas le choix, il doit réussir même au prix d'une angoisse qui l'étreint depuis son entrée en grande section !Quant à Manuella, lorsqu'au cours d'un entretien, nous demandons à sa maman, Mme M., si l'enfant lui parle de sa vie dans la classe, elle nous répond qu'elle se plaint d'être toujours punie.Voulant savoir si elle en a parlé à la maîtresse, timidement, Mme M. nous avoue n'avoir jamais osé lui adresser la parole !Il me semble que pour Mme M. l'école soit un lieu peu sécurisant où elle ne se reconnaît pas. Un accueil bienveillant et un effort particulier d'information, menés conjointement par l'enseignante et les rééducateurs, devraient pouvoir en modifier sa représentation.4.2 La capacité à anticiper Monique Pré M. Pre, Conférence " Le projet personnel et ses enjeux ", 2000, UFAIS-Lyon, a mis l'accent sur l'influence de la capacité à anticiper dans l'accès aux apprentissages. Elle s'est inspirée des travaux de Lautrey qui classe les familles selon trois critères :- La capacité à anticiper chez l'élève dont la famille est dans l'aléatoire semble être plutôt faible. C'est le cas de Jérémie, qui grandit dans une famille dont les règles sont mal établies. Lors du troisième entretien, Mme C. se déclare soulagée. Son mari fait désormais des efforts pour l'aider à instaurer la Loi à la maison. Pourtant, elle regrette qu'il ne sache pas certaines fois mener une sanction à son terme. Elle estime aussi, qu'en tant que parents, ils ne sont pas constants dans leur façon de réagir face à une même transgression.L'enfant se construit sans repères stables, l'après est vécu comme angoissant.

Très souvent en séance, Jérémie me demande " et après, … ". Pour se rassurer, il a instauré ses propres rites : consulter le calendrier dès son arrivée, éventuellement me demander, alors qu'il les connaît, les évènements que nous y avons notés, s'arrêter en chemin pour lire le menu de cantine de la journée et me faire lire la date inscrite sur un mur peint, ….

- La capacité à anticiper est réduite aussi chez les enfants éduqués dans une structure rigide. Bastien grandit dans une

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famille où peu de place est laissée à son libre-arbitre. Tout est programmé pour lui, rien n'est négociable. Il est le miroir du désir de ses parents. Par exemple, il ne peut peindre que le mercredi, parce que sa maman a le temps de nettoyer la table ce jour-là. Ne pouvant anticiper, toute nouvelle situation en classe, ou consigne, le bouleverse.- Dans les familles à structure souple, les règles sont établies, explicitées, mais non figées, et des compromis sont possibles. C'est la plus favorable pour préparer l'enfant à anticiper. C'est sur ce modèle, que se fondera le cadre de la rééducation qui jouera sur plusieurs registres : celui de la fonction paternelle, qui frustre, mais qui rassure, tout en laissant à l'enfant un espace de liberté suffisant, pour être créatif et autonome. 5 L'espace transitionnel de la rééducation – Fonction paternelle Il a pour mission de " mettre l'enfant dans une loi transmise par le langage dans des conditions d'extrême sécurité physique et psychique ". Maryse Métra M. Métra, La première rentrée, EAP, 1999.5.1 Le cadre rééducatif aspect théoriqueLe rééducateur " construit une relation ajustée, en fonction de la personnalité de l'enfant, qui permet de dynamiser le processus rééducatif " B.O.E.N. hors série n°3 du 8 mai 1997 .Ce processus permet à l'enfant d'ajuster progressivement ses conduites émotionnelles, corporelles et intellectuelles et de restaurer l'estime de soi, conditions nécessaires pour apprendre et être créatif. Il représente l'aspect dynamique de la rééducation. Pour permettre ce changement et aider l'enfant à devenir un élève, le déroulement du processus rééducatif s'inscrit dans un cadre stable et se fonde sur un projet élaboré par le rééducateur à partir de la problématique de l'enfant.Le cadre délimite à l'intérieur de l'école un espace et un temps transitionnels. " C'est un lieu protégé, pour qu'on puisse y parler sans danger, mais non un lieu complètement clos, ignorant par principe les objectifs fondateurs de l'école. " Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.Ce lieu est souvent le seul, où l'enfant peut déposer une partie de son monde interne pour penser, être écouté et symboliser sa souffrance. Ivan Darrault-Harris I. Darrault-Harris, La création comme processus de transformation, L'ERRE, Octobre 1997 considère que le cadre est à la fois matériel et psychique. Il remplit les conditions du " holding ", défini par Winnicott.

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L'enfant y inscrit son histoire. Le cadre est au service de la relation. Il délimite un espace d'autorité et un espace de liberté. L'enfant peut dire et penser à travers les médiations ce qu'il n'est pas autorisé, ou ce qu'il ne s'autorise pas, à faire et dire dans la réalité. Le cadre matérialise un espace d'expériences où l'enfant, avec l'aide du rééducateur, met en œuvre le processus de symbolisation.Ce cadre doit être construit en s'adaptant à la difficulté de l'enfant. Il est tout d'abord une sorte d'enveloppe maternelle, rassurante, constante et bienveillante. C'est sa fonction contenante.Avec des enfants qui ont des carences au niveau du moi " le cadre fournit une métaphore de la mère suffisamment bonne ". M.D. Dufourt Extrait du cours de Psychologie de M. D. Dufourt.Mais le cadre structure, limite, garantit, les interdits fondamentaux. Les règles y sont explicitées, négociées, et ont valeur de lois. Il propose à l'enfant des repères stables sur lesquels il peut s'appuyer en toute sécurité pour élaborer sa pensée. C'est sa fonction paternelle, conteneur . Si la place des parents et celle de l'enseignant sont clairement posées, elles font tiers dans la relation. Pour l'enfant, un cadre bien posé est aussi un instrument de liberté à l'intérieur duquel il va pouvoir évoluer.Le cadre est " muet " tant que l'enfant ne vient pas s'y frotter. Quand il en teste ses limites, le cadre devient " parlant ".5.2 La fonction paternelle du cadre rééducatif - ExemplesAmina est occupée à jouer avec la trousse du docteur, elle se soigne, s'occupe d'elle. Manuella s'approche et lui arrache la trousse des mains. Une courte lutte s'ensuit pour se réapproprier la trousse. La tentative se solde par un échec pour Amina. Tout va très vite. D'un bond, elle se redresse, s'empare de son manteau, et se rue sur la porte, pleine de rage, bien décidée à s'en aller. Maryse se précipite. Elle met des mots sur la colère d'Amina et fait écran pour empêcher la fuite de l'enfant. La rééducation est une relation de paroles. Maryse contient, montre qu'elle n'est ni détruite, ni désespérée par la colère de l'enfant, et qu'elle en comprend le sens. A droite de la porte, est accrochée la pendule. Maryse se réfère au cadre. Elle explique à Amina que la séance dure jusqu'à 11h15 (geste à l'appui), et que l'enfant doit en respecter l'horaire et la durée. Peu à peu, attentive aux paroles de Maryse, Amina se calme. Elle ne joue plus, affirmant par là, sa capacité à avoir ses propres désirs, mais elle accepte la règle et attend. Son regard

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dévie de la pendule vers une image dont elle se fait nommer les éléments. Elle est apaisée.En classe, Manuella ne parvient pas à fixer son attention et manifeste une certaine agressivité à l'encontre de ses camarades.Dès les séances préliminaires, Manuella agit dans la précipitation avec une surenchère d'activités. Elle semble manifester là sa peur de manquer. Son comportement oscille entre l'agit pulsionnel et des phases d'abandon, presque de vide. Son visage devient alors gris, triste. Elle teste sans cesse les limites du cadre.L'équipe des rééducateurs élabore donc un projet selon deux axes :- Aider l'enfant à se réguler et se structurer, en imposant trois temps favorisant les interactions entre adultes et enfants : un premier temps musical commun, une phase d'appropriation individuelle et un temps calme qui rassemble. En fin de séance, une histoire ou un dessin.- L'éduquer au respect de la Loi.Courant décembre, en fin de séance, Manuella refuse de quitter la salle de rééducation, elle se couche sur le sol, déterminée à ne pas obéir. Philippe, rééducateur, maintient très fermement le cadre. Manuella finit par céder et sort en déclarant : " Moi, pas contente ".A l'occasion du Carnaval, Emmanuelle et moi-même animons la séance. La rébellion est incessante. Manuella quitte l'activité musique et il me faut faire preuve de persuasion pour la ramener vers les instruments. Je propose alors une petite farandole musicale pour faire la fête. Amina acquiesce ravie, Manuella refuse boudeuse. Devant les manifestations de gaîté de sa camarade, elle cède et se joint à nous. Le temps de l'histoire est éprouvant. Manuella change de place, attrape un chapeau dans la boîte à déguisements, pose un châle sur sa tête, entraînant Amina dans cette agitation. Je suis débordée par la rapidité et la variété de toutes leurs initiatives. Je mets enfin un terme à ce débordement intempestif en installant fermement Manuella sur mes genoux. Elle marque un instant sa désapprobation, puis, s'abandonne, pendant que je joue peut être pour elle, un instant, le rôle de la mère suffisamment bonne, ferme, mais contenante.A l'issue de la séance, nous mettrons en place une véritable stratégie d'installation des fillettes pendant le temps de l'histoire. Ce dispositif de cadrage matériel se révèlera ensuite efficace

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pour un cadrage psychique les séances suivantes.Jérémie, très insécurisé a besoin d'être enveloppé par le cadre tout en étant contenu par celui-ci. Lors des premières séances de rééducation, sa boulimie d'activités lui donne l'illusion qu'il est dans la maîtrise. En accédant à tous ses désirs, je le comble, avec le danger d'entretenir sa toute-puissance. Consciente de la nécessité de poser un cadre de façon plus prégnante, je décide de limiter la séance à un maximum de trois activités, dont une, la lecture d'une histoire imposée, pour faire le lien avec la classe.Nous sommes en janvier, en présence ce jour-là de Maryse Métra. Lorsque je lui expose la problématique de Jérémie et la difficulté confrontée, inhérente à son hyper-activité, à laquelle je suis confrontée, Maryse insiste sur la nécessité de tenir le cadre. Si l'enfant achève les trois activités en quelques minutes, nous arrêterons la séance pour parler et l'aider à réfléchir sur sa difficulté à gérer ses activités et aux solutions qu'il pourrait proposer pour y remédier. La séance commence. J'explique à Jérémie la règle des trois activités. Il peut en mesurer les durées en se repérant sur le réveil. Dérouté, Jérémie prend un jeu, ouvre la boîte. Il manque des piles. Il le repose et en prend un autre, trop difficile. Il n'en comprend pas la règle et ne peut jouer. Il en sort un troisième. Tout s'embrouille. Jérémie m'entraîne dans sa confusion. Mais je me souviens des objectifs fixés, ce qui me permet de me " recadrer ". La séance se déroule alors calmement. Jérémie, visiblement sécurisé par ce nouvel aménagement du cadre, surveille le temps qui lui est imparti et organise ses activités avec soin. La séance s'achève. Jérémie est resté parfaitement dans le cadre. Il est paisible.Lors des rencontres qui suivront, Jérémie instaurera un nouveau rituel. Après nous être salués, il déclarera chaque fois : " j'ai le choix de deux activités, la troisième, c'est le temps de l'histoire ". Une façon d'accepter le cadre.5.3 Les limites du cadreLe cadre est pensé en fonction de la difficulté de l'enfant. Il ne doit pas lui servir à renforcer ses défenses. Un cadre trop prégnant, notamment pour l'enfant inhibé, se réduit à sa dimension d'autorité privant l'enfant de l'espace de liberté.Par exemple, les rituels s'avèrent utiles pour sécuriser l'enfant et l'aider à poser des repères. Mais l'évolution de la rééducation le conduit à s'en dégager peu à peu. En les institutionnalisant pour chaque cas, le rééducateur leur ôte leur signification. Ils ne sont

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plus une passerelle rassurante pour l'enfant, mais un carcan qu'il subit.Une fonction paternelle trop puissante, injustifiée par rapport à la problématique de l'enfant étouffe sa créativité et empêche l'expression de ses désirs.Bastien vit au sein d'une famille rigide où toute transgression est interdite, voire impensable. Un lundi matin, la rééducatrice est dérangée pour une urgence, par le psychologue. Je propose alors à Bastien et Dylan une activité de leur choix. Ils sortent les Play-Mobil. Le jeu commence, hors du champ visuel de la rééducatrice qui incarne la Loi. Tout doucement, j'entends Bastien suggérer de jouer à la guerre. Ils seraient tous les deux des " méchants ". Dylan prend le temps de réfléchir. Bastien qui avait oublié ma présence se retourne, m'aperçoit, bredouille, devient cramoisi et dit : " Je me trompe, on sera des gentils ". J'explique à Bastien que, dans le jeu, il a droit d'être un méchant. Peine perdue, il reprend son attitude craintive et soumise. Il sera un " gentil ". Bastien joue à être ce qu'il pense que l'on attend de lui.Bastien entretient " une relation de complaisance soumise envers la réalité extérieure : le monde et tous ses éléments sont alors reconnus mais seulement comme étant ce à quoi il faut s'ajuster et s'adapter. " D.W. Winnicott D.W. Winnicott, Jeux et réalités, Gallimard, 1999.Pour cet enfant, le cadre est aliénant. Il n'est pas un espace sécurisant et transitionnel nécessaire pour penser et symboliser. 5.4 Le rééducateur, tiers séparateur, dans la relation d'aide 5.4.1 Le projet rééducatif de JérémieNotre projet est de construire avec l'enfant une relation ajustée dans un cadre sécurisant, avec repères et limites, favorisant le développement de la créativité, " qui donne à l'individu le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue ", Winnicott 36, et s'oppose à la soumission. Pour ce faire :- L'aider à prendre une certaine distance avec l'adulte, en lui proposant un étayage qui alterne le faire avec, faire à côté et faire seul en présence de l'autre.- Travailler conjointement avec l'institutrice à la valorisation des réussites et à la dédramatisation des erreurs pour consolider l'estime de soi, à travers les différentes médiations en rééducation et les activités en classe.- Collaborer avec la famille et le R.A.S.E..D. pour renforcer

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l'étayage nécessaire à la difficulté de Jérémie afin de lui permettre de conquérir l'autonomie nécessaire pour " être en désir de désirer ", Monique Pré M. Pre, Conférence " Le projet personnel et ses enjeux ", 2000, et devenir élève, sujet de ses apprentissages.5.4.2 La fonction paternelle dans le processus rééducatifDès notre première rencontre, Jérémie manifeste un grand intérêt pour les jeux de petites voitures. Jérémie tue, écrase, renverse impitoyablement personnages et voitures. Les mots sont durs, violents et contrastent étrangement avec son visage sur lequel flotte un éternel sourire. Je tente de tempérer ce " massacre " en introduisant des personnages paisibles. Peine perdue, ils sont broyés, laminés. Le tapis de jeu est jonché de corps renversés, de voitures retournées, un véritable champ de bataille. Puis, méthodiquement, Jérémie range les voitures dans leur boîte. Le jeu se déroule trois séances de suite dans les mêmes conditions. Lors de la séance d'analyse de la pratique, Ghislaine Biodjékian, psychanalyste, m'interroge sur ma réaction face à ce " carnage ". Nous en sommes encore aux séances préliminaires, j'ai choisi de laisser l'enfant extérioriser cette violence. Ghislaine Biodjékian n'est pas du tout d'accord. Socialement, face à un tel déferlement de violence, les policiers interviennent. Dans la rééducation, il ne suffit pas que la violence soit expulsée, il faut être castrateur. Pour l'enfant, ce n'est pas rassurant d'être aux prises avec sa violence. Elle me conseille d'intervenir avec le " GIGN "." Le rééducateur va soutenir l'activité imaginaire de l'enfant et il doit également la contenir, en particulier, par rapport à toute la question de la destructivité, de tout ce qui est dangereux dans cet imaginaire. " Paul Fernandez P. ferandez, Conférence " La conception de la médiation en rééducation ", janvier 2000.Séance suivante, la " tuerie " recommence. Je suis cette fois fermement décidée à faire intervenir la Loi, mais j'omets de prévenir l'enfant. J'arrive avec la voiture de police, sirène hurlante. Jérémie est surpris. Sans faire le moindre commentaire, glacial, il demande aussitôt à cesser le jeu. Il est dérouté, mais nous montrera que cette action a été inductrice de changement.Cinquième séance, Jérémie sort les voitures. Sans me regarder, il dit : " Tu joues avec moi. Tu es policier, je fais des accidents, j'allais en prison ". Le jeu commence. Chaque voiture qui commet un délit est arrêtée. Jérémie ne se lasse pas, il semble chercher mes limites. Je tiens mon rôle de policier avec application.

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Bientôt, il ne lui reste plus que la Ferrari rouge qu'il affectionne particulièrement. Il s'approche de la voiture de police que je tiens en main :" - Je t'écrase, je suis plus fort que la police.- Non ! la police est là pour faire respecter la Loi. "Jérémie hésite. Il place sa voiture contre la mienne cherchant à la renverser. L'affrontement commence. Toute notre énergie est concentrée dans nos mains. Nos regards s'affrontent, ils ne s'étaient pas croisés depuis le début de la séance. Tout à coup, Jérémie relâche la pression et cède. Au même instant, il me lance un regard emprunt de désarroi.Au cours de la réunion de synthèse qui a lieu le jour même avec les membres du R.A.S.E.D., le psychologue émet l'hypothèse que Jérémie pourrait revivre dans ce jeu une expérience traumatique non symbolisée, de la période de la destructivité. Le rangement méthodique qui suit, signifiant qu'il ne peut laisser un tel chaos derrière ses pulsions. J'évoque le désarroi de son regard lorsqu'il a été symboliquement confronté à la Loi. Pour le psychologue, l'enfant a peut-être été " sidéré " parce qu'il s'est trouvé confronté à un autre Sujet, avec un désir qui n'était pas le sien. Du même coup, il s'est trouvé institué comme Sujet lui-même.6 Le rééducateur dans son rôle de médiateur Au sens social, le médiateur est celui qui met deux parties en relation, soumet des propositions susceptibles de solutionner des conflits.En psychanalyse, le médiateur est celui qui évite la fusion. " Il s'agit de créer entre les protagonistes de la situation qui fait problème et le rééducateur une institution triangulaire, où chacun aura sa place à tenir, s'interdira de prendre celle de l'autre et dont le rééducateur sera le garant. " Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000.6.1 Dans sa relation avec l'enseignant " L'acte le plus difficile pour un rééducateur est de dire " non " quand il le faut. Non, je ne suis pas à la disposition de tous ceux qui font appel à moi, sans aucune condition ; plus exactement, je suis à la disposition de tous ceux qui font appel à moi, et qui acceptent de considérer que cet appel devra déboucher sur un travail commun. Cette idée de travail commun est essentielle, car elle signe le pari institutionnel de la rééducation. " Y. de la Monneraye39.Notre première rencontre avec la maîtresse de Jérémie a lieu fin octobre, en présence de tous les membres du R.A.S.E.D. Sa

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demande d'aide est précise. Le portrait de l'enfant dans son vécu scolaire est très nuancé. La maîtresse parle de lui avec bienveillance, sans omettre de valoriser ses points positifs. Elle s'engage à me rencontrer régulièrement afin que nous puissions, ensemble, suivre l'évolution du comportement en classe de Jérémie et procéder aux réajustements nécessaires.Courant décembre, à l'issue des séances préliminaires, elle confirme l'implication de l'enfant dans sa rééducation. Il est autonome sur le plan matériel et manifeste une volonté réelle de réussir. Il ne pleure plus lorsqu'il commet une erreur et accepte de recommencer sans se sentir dévalorisé.Par contre, il est toujours très dépendant de l'adulte, indiscipliné dans les lieux moins cadrés, agressif et grossier dans la cour de récréation. Nous élaborons ensemble les grandes lignes du projet rééducatif de l'enfant.La rencontre suivante a lieu début mars. Pour la première fois, la maîtresse arrive avec une feuille et un crayon. Je perçois là, un engagement supplémentaire de sa part dans l'aide rééducative. L'entretien confirme cette impression. Jérémie a fait de réels progrès. Il dépend moins de l'adulte et exprime concrètement par une attention et une concentration croissantes, son désir de grandir, d'entrer au CP.Il apprend désormais de manière satisfaisante, mais a systématiquement besoin de réaliser deux essais, travaillant de ce fait à contre-temps avec ses camarades. De plus, cette habitude peut lui être préjudiciable dans la perspective d'un travail moins individualisé au CP.Ensemble, nous recherchons des propositions à négocier avec l'enfant, dans le cadre de la classe. Un autre point pose problème. La maîtresse a l'habitude de faire deviner aux enfants le questionnement possible. Or Jérémie, toujours confronté à sa difficulté d'anticiper, a besoin de temps pour penser. Les enfants de la classe, plus rapides, le privent de la possibilité de s'y entraîner, en répondant trop rapidement pour lui. Nous convenons que la maîtresse exposera la situation-problème à l'enfant, individuellement, le matin à l'accueil par exemple. La conduite de Jérémie dans les lieux moins cadrés ne s'est pas améliorée. Je propose alors la suggestion de Félix Gentili, IEN et professeur à l'UFAIS , avec qui j'avais évoqué le problème. Il s'agit de passer un contrat de confiance avec l'enfant. Soit celui-ci s'engage à avoir une attitude acceptable en récréation, soit il

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est renvoyé dans la classe (privé aussi du bénéfice secondaire de rester puni près de la maîtresse) et ce, jusqu'à ce qu'il y ait amélioration de son comportement.D'autre part, par exemple en gymnastique, il serait certainement constructif de lui faire vivre et assumer une situation positive et concrète d'autorité en lui donnant des occasions d'être chef.La maîtresse note avec soin ce que nous venons de convenir et qu'elle se propose de mettre en œuvre pour aider Jérémie. 6.1.1 Aspect théorique Favoriser l'établissement de relations de confiance et de collaboration avec les parents, entendre et accueillir leur point de vue et leurs paroles, présenter la structure, le cadre et le travail proposés à l'enfant. Les rencontrer régulièrement afin de les informer de l'évolution de leur enfant, être un médiateur entre eux et l'institution, telle est la mission de relation du rééducateur avec les parents définie dans le référentiel des compétences du 8 mai 1997.Dans la relation d'aide, " mieux vaut (…) ne pas chercher à régler à tout prix un problème, mais se contenter d'améliorer une situation donnée (…). La vision systémique est également modeste en ce sens, qu'à côté des connaissances, elle fait une large place au savoir-faire et à l'apprentissage, offrant ainsi aux plus humbles la possibilité de participer activement à l'œuvre commune au lieu de réaliser seulement des tâches d'exécution sous la direction de cadres ou d'experts. " Daniel Durand D. Durand, La systémique, PUF, Collection Que sais-je, 1990.Carl Rogers C. R. Rogers, Le développement de la personne , Dunod, 1998 énonce les conditions qui sont, à son avis, essentielles pour créer une relation d'aide :- Il conseille tout d'abord la congruence, c'est à dire l'authenticité. Etre vraie, que mes paroles soient en accord avec ma pensée, " être ce que je suis ", fera que je serai perçue comme étant digne de confiance.- Un deuxième point qui lui semble important est l'attitude positive du conseiller à l'égard de la personne impliquée dans la relation d'aide. Accepter l'autre tel qu'il est, sans condition, sans jugement de valeur, en faisant ressentir à la personne que si je suis amenée à formuler un " non " sur un acte, il n'atteint, ni ne remet en cause, le " oui " à sa personne. Carl Rogers parle de considération positive inconditionnelle.- Dans la relation d'aide, le but n'est pas de prendre pour soi la souffrance de l'autre. Etre assez forte et indépendante pour n'être ni engloutie par celle-ci, ni détruite par la colère me

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permettra de le comprendre, sans risquer de me perdre.- Il s'agit d'influencer, d'aider en respectant l'autonomie de chacun, de parler simplement de choses concrètes, de se fixer des objectifs modestes mais réalisables.

" La souffrance psychique fait perdre le sens du réel, ce que l'on vit au quotidien. Si on parle du concret, on négocie du vivable. " Gérard Guillot G. Guillot, Conférence " Communication et entretien ", 1999.

- Il n'est pas souhaitable de chercher à tout comprendre, tout savoir, chacun a droit à sa vie privée. Vouloir tout connaître serait une attitude autoritaire qui réduirait l'autre à l'état d'objet. Un minimum de compréhension empathique est suffisant et efficace pour aider.

" L'aide est maximale quand je suis capable de saisir et de formuler clairement le sens de ce qu'il a éprouvé et qui pour lui est resté vague et confus. " Carl Rogers C. R. Rogers, Le développement de la personne , Dunod, 1998.

- Il convient d'éviter le jugement de valeur dans la relation d'aide. Un jugement même positif n'est guère rassurant. Il présuppose qu'à d'autres moments on s'octroie le droit d'énoncer un jugement négatif. L'objectif est de reconnaître la personne en tant que Sujet, responsable et libre, capable de porter un jugement personnel sur ses propres actes.

6.1.2 La relation d'aide avec les parents - Exemple Notre première rencontre a eu lieu en présence de Mme C. et de Jérémie. Etant donnée la difficulté de séparation de l'enfant avec sa mère, et de sa grande dépendance à l'adulte, la présence du père dans nos entretiens me semble essentielle. Début janvier, deuxième rencontre. Mr et Mme C. et leurs enfants arrivent avec trois-quarts d'heure de retard. Ils avaient oublié le rendez-vous.Mr C. est assis de profil, le regard tourné vers ses enfants, me signifiant ainsi qu'il est là contre son gré. Il prend la parole pour me dire qu'il n'a ni le temps, ni l'envie, de s'occuper de ses enfants. Il est chauffeur-livreur et le soir en rentrant il n'aspire qu'à se reposer. Il me signifie ainsi qu'il n'est pas en position de demande d'aide pour son fils. Je le questionne pour savoir s'il est opposé à ce qu'une aide soit apportée à Jérémie. Celle-ci a été demandée par sa femme, souhaitée par l'enfant, soutenue par l'institutrice, mais elle n'aura de sens et d'efficacité que si nous collaborons tous. Mr. C. confirme : " Il est d'accord pour que l'on aide Jérémie, dont il ne nie pas les difficultés, mais l'éducation, c'est l'affaire

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de sa femme ". Puis il se tait et paraît se désintéresser de la conversation.Mme C. est très volubile. Ainsi que l'écrit Maurice Berger M. Berger , Le travail thérapeutique avec la famille, Dunod, date non connue, " elle déverse les difficultés rencontrées avec l'enfant et des pensées le concernant.(…) Ma fonction essentielle étant d'être le contenant de ce qu'elle ne peut retenir en elle. " J'essaie de trier et de garder en mémoire ce qui me paraît important pour Jérémie. Le plus difficile étant, noyée par ce flot de paroles, de ne pas perdre le fil de ma pensée. Mme C. ouvre une brèche sur leur difficile condition de vie actuelle. Je m'y engouffre. Jérémie évoque souvent son ancienne maison et son chien. Il semble très affecté par leur perte. Il me dit aussi ne pas aimer son appartement actuel. A ce moment, l'entretien " bascule ". La mère se tait et le père évoque la faillite de son commerce, et, avec elle, la faillite de leur vie. J'entends, et je vois, la souffrance du père. Jérémie aussi. " Les problèmes ça alourdit, et ça pétrifie " Gérard Guillot G. Guillot, Conférence " Communication et entretien ", 1999.Je recentre l'entretien sur l'enfant. Maintenant, le père est face à moi. Il y participe activement. Il est d'accord pour faire au moins une " chose " par semaine, seul avec Jérémie. Avant de nous quitter, pour qu'ils soient déjà symboliquement inscrits dans le projet d'aide et en matérialiser des repères dans le temps, je note pour eux la date de notre prochaine rencontre ainsi que mon numéro de téléphone. Mi-mars, une heure avant l'entretien, je reçois un appel téléphonique. Le père de Jérémie me prie de les excuser. Ils ne pourront être présents car leur plus jeune enfant vient d'être hospitalisé d'urgence. Il me demande de fixer un autre rendez-vous par courrier pour qu'ils ne l'oublient pas. Le père manifeste par ces simples mots son désir d'agir pour aider Jérémie.7 " La création comme processus de transformation " Jean-Pierre Klein L'enfant qui crée devient acteur de son savoir et peut ainsi retrouver son statut d'élève. Dans sa conférence à Mendes en 1996, Ivan Darrault-Harris I. Darrault-Harris, La création comme processus de transformation, L'ERRE, Octobre 1997 explique sa " théorie de l'ellipse ". Il représente par un cercle l'espace de la vie quotidienne de l'enfant en souffrance. A l'intérieur de ce cercle, l'enfant s'est construit inconsciemment une défense, le symptôme, que le rééducateur entend comme une parole. Mais la représentation circulaire de l'espace de vie quotidienne, lieu d'addiction, montre

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une répétition sans issue de ce symptôme." Le symptôme est une création importante économiquement, mais c'est aussi une création qui ne peut aboutir en tant que telle si elle n'est pas entendue et accueillie dans un espace de changement. " I. Darrault-Harris46.L'espace transitionnel de la rééducation est un lieu possible de changement. I. Darrault-Harris le représente sous la forme d'une ellipse. Le premier foyer de l'ellipse est l'espace de diction où l'enfant peut parler de lui, de sa souffrance, " Je-ici-maintenant ".Le deuxième foyer est l'espace de fiction, où le rééducateur aide l'enfant à créer un autre lieu d'énonciation sans lien conscient, maîtrisé et lucide où il parlera d'un " Il-là et alors ".Jérémie a beaucoup progressé, mais il reste collé à la réalité de sa vie dans les jeux symboliques. C'est dans le foyer de fiction qu'il prendra la distance nécessaire à l'élaboration d'une pensée personnelle, et inventive dite divergente parce qu'elle permet d'envisager des solutions multiples.Je décide de choisir le conte comme médiation, pour solliciter sa créativité.Jérémie écoute " Roule-galette ", il est très attentif. Puis il prend une grande feuille et dessine. " J'ai fait un château avec des traits ". Jérémie montre la pauvreté de son imaginaire. Il retourne la feuille et dessine un terrain de football. Je découpe un personnage pour introduire une variante et enrichir le jeu : " Tu écris " penalty " sur ma feuille et je finis ton bonhomme. C'est Barthez, le gardien. "Je manifeste mon étonnement de le voir s'emparer ainsi de mon bonhomme. Puis je découpe un ballon et une nouvelle figurine, que je nomme Piccolo. Jérémie dit : " - Mon personnage s'appelle Jérémie.- Non, c'est ton nom et notre histoire est inventée.- Alors c'est Piccolo.- Non, c'est le nom de mon personnage. Il faut que tu en inventes un pour le tien.Il trouve alors un compromis en s'adaptant à la sonorité du prénom que j'ai choisi. - Alors je m'appelle Nico. - Nico, veux-tu jouer avec moi au cirque ? " Jérémie ne répond pas. Il reste fixé sur son jeu de foot. Maryse, présente à la séance, écrira avec humour dans le compte-rendu de séance : Dominique met de l'imaginaire, Jérémie met des buts.

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Je fais dire à Piccolo : " - J'ai chaud ! - Quitte ton pull ! " Jérémie a l'esprit d'à propos, mais reste collé au réel.Je saisis l'occasion, retourne Piccolo, le dessine torse-nu. Mais Jérémie résiste. Il inscrit le numéro d'un footballeur sur la poitrine de Piccolo. Je m'empare alors du ballon qui ressemble à une galette, et je propose cette transformation. Surpris, Jérémie sort un instant de son jeu de foot, et dit : " - Nico veut se faire des amis. "Il découpe un bonhomme, montrant que s'il a peu d'imaginaire il est créatif. Mais la réalité reprend vite ses droits : " C'est le n° 3 ", dit-il.Je fabrique un loup et m'approche : " Je t'ai vu ! ", dit Jérémie au loup, et il fait croquer la galette par l'un de ses personnages. Il entre enfin, dans un espace imaginaire et me demande de découper un autre loup. Nous inventons une histoire. Jérémie se déprend de la réalité. Pour terminer, il me demande de fabriquer deux maisons que je découpe sommairement dans une feuille. Il s'en satisfait, mais déclare qu'il manque les portes et les découpe. Il est maintenant actif et entre dans l'imaginaire et la symbolisation.Jérémie se construit en s'appuyant sur des éléments matériels ou psychiques que je lui propose, mais il ne s'en approprie et ne s'en satisfait que s 'il les a transformés pour en faire sa propre création. " Si l'objectif de la création est de rendre l'enfant Sujet, le fait d'être créatif le rend capable d'être sur le chemin du sens, d'accéder au scolaire (…) La créativité détermine un esprit inventif, susceptible de découvrir, de renouveler, de transformer, d'utiliser du connu à des fins originales. " Maryse Métra M. Métra, Cours sur la pratique du rééducateur, 2000.Jérémie clôt l'histoire en déclarant : " Il y a deux maisons, la maison à toi, la maison à moi. ". Jérémie marque ainsi sa différenciation à l'intérieur du jeu symbolique.8 L'évaluation – Une approche critique du travail de rééducation 8.1 En séances de rééducationA la veille des vacances de printemps, Jérémie est capable de gérer ses activités. Son comportement est sociable et adapté. Il est respectueux du cadre, capable d'agir seul en présence de l'autre et commence à se décoller du réel, pour entrer dans la

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symbolisation. Mais son imaginaire très pauvre a besoin d'être nourri. Je choisis de privilégier le conte comme médiation . En cette fin de prise en charge, le projet rééducatif a pour objectif d'aider Jérémie à développer sa créativité dans le foyer de fiction en encourageant et valorisant ses productions orales, en en conservant une trace écrite afin de découvrir le plaisir de jouer avec les mots, de les associer, de se les approprier pour qu'ils deviennent source de création.8.2 A l'écoleLa maîtresse rencontrée brièvement, confirme l'évolution positive de Jérémie sur le plan scolaire. Il a le désir de grandir, d'apprendre. Le fait de lui proposer le questionnement à l'avance a dynamisé ses capacités d'anticipation. Il est désormais capable de travailler seul et de mener une tâche à son terme. Il a beaucoup de plaisir à écrire, aime s'appliquer, écoute les histoires, sans toutefois aller spontanément vers les livres. Il s'est découvert une passion pour le dessin. Par contre, il a des difficultés à développer un raisonnement logique en mathématique et manque de repères spatiaux-temporels.Nous avions convenu qu'elle lui proposerait des aides matérielles individualisées et l'inciterait à questionner ses camarades en cas de difficulté. Or Jérémie ne s'approprie pas encore de cette opportunité. La maîtresse reste pour lui la seule référence possible. En récréation, la conduite de Jérémie est en voie d'amélioration. La maîtresse évalue à trois sur cinq le nombre de récréations qui se passent sans incident. Elle maintiendra le dispositif jusqu'à l'obtention d'un résultat satisfaisant. 8.3 A la maisonLors du troisième entretien, Mme C. propose que la prochaine rencontre ait lieu seulement en présence de son mari et de Jérémie. Je perçois dans cette suggestion de Mme C. la volonté de donner sa place au père. Mme C. trouve Jérémie plus autonome. Il vient à l'école avec plaisir et travaille mieux en classe. Mais elle se plaint de son comportement actuel à la maison. Il semble que l'évolution favorable de Jérémie déséquilibre Mme C. et place l'enfant en situation d'élément perturbateur désigné au sein de la famille8.4 Evolution de l'environnement de l'enfantLes troubles du comportement manifestés par le frère de Jérémie et les difficultés scolaires qui en résultent ont nécessité une prise en charge individuelle de l'enfant par le psychologue scolaire, et un suivi de la famille.Une réunion de synthèse a lieu mi-avril afin de faire le bilan des

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actions en cours. Le psychologue confirme que Mme C. entretient avec ses trois enfants une relation fusionnelle qui ne permettait pas au père de prendre sa place. Le travail mené conjointement par le R.A.S.E.D. a permis au père d'en prendre conscience et de réagir. Les enfants vont globalement mieux.Le réseau a entendu la souffrance de Mme C. Il s'engage à poursuivre les aides engagées auprès des enfants si elles s'avèrent nécessaires l'an prochain. Mais l'école a aussi atteint ses limites. Mme C. aurait besoin d'une aide pour elle-même. Celle-ci lui a été conseillée par le psychologue scolaire. Mme C. refuse. Le réseau ne peut l'y contraindre, il peut juste espérer que l'idée fasse son chemin." Les liens qui unissent les éléments d'un système sont si étroits qu'une modification de l'un des éléments entraînera une modification de tous les autres, et du système entier. " P.Watzlawick, J.Helmick Beavin, Don D. Jackson P.Watzlawick, J.Helmick Beavin, Don D. Jackson, Une logique de communication, Seuil, 1972. Mr. C. montre sa volonté de prendre sa place de père. Les enfants, celle de grandir et de se séparer. L'amélioration de la situation de chacun aura sans doute une influence sur le comportement de Mme C. qui s'autorisera peut-être à penser à elle-même.

Conclusion

L'acte d'apprendre suppose de dépendre temporairement de l'enseignant, d'accepter de manquer et de se soumettre au cadre scolaire, aux lois mathématiques, aux règles grammaticales, etc, pour devenir élève, dans le sens de celui qui s'élève, curieux et créatif, capable de penser et de juger par lui- même.Parfois, l'enfant encore dans une relation fusionnelle ou carencée avec sa mère, ne peut supporter le manque qui éveille le désir et la créativité. Il se réfugie dans une attitude régressive de très grande dépendance à l'enseignant, de collage même. Cette dépendance est une souffrance, parce que l'élève en difficulté est démuni et peut se sentir dévalorisé, déprimé. Mais il jouit en contre-partie d'un bénéfice secondaire non négligeable, celui de revivre avec la maîtresse une situation proche de celle vécue dans sa relation primaire avec sa mère. Cette attitude régressive, momentanément satisfaisante sur le plan narcissique, est préjudiciable à l'enfant si elle se prolonge. Elle est un frein à la conquête de son autonomie nécessaire à l'entrée dans les apprentissages. Le rééducateur, joue alors le rôle de tiers séparateur dans la relation qui unit l'enseignant et l'élève.

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Mais le refus d'apprendre n'est pas toujours la conséquence d'une difficulté de séparation. Une pratique pédagogique trop rigide qui sanctionne l'erreur comme une faute ne permet pas à l'enfant " d'exercer son autonomie, d'être tant soit peu sujet de son désir d'apprendre, tant il est écrasé ".Y. de la Monneraye Y. de la Monneraye, La parole rééducatrice, Dunod, 2000. Parfois, une situation familiale perturbée n'offre pas à l'enfant le climat de sécurité affective nécessaire pour apprendre. L'élève peut encore avoir besoin d'un étayage spécifique parce qu'il souffre d'une déficience organique ou intellectuelle. Il peut aussi advenir que l'enfant n'apprenne pas parce qu'il n'est pas autorisé à le faire. L'enfant se trouve alors confronté à un dilemme. Soit, il apprend en classe et trahit sa famille, ou sa culture, entrant dans un conflit de loyauté avec les siens, soit il renonce aux apprentissages pour se réfugier dans l'échec scolaire si l'équipe éducative ne parvient pas à négocier un compromis avec la famille. Le rééducateur est ainsi confronté à des situations multiples, parfois complexes, qu'il lui faut d'abord savoir " décrypter ". Pour cela, il s'appuie sur les supports théoriques développés au cours de sa formation, mais doit également faire preuve de créativité et approfondir de façon régulière ses connaissances. Mon objectif du rééducatrice est d'éveiller, ou restaurer, le désir d'apprendre chez l'enfant et l'aider à prendre sa place de Sujet. Pour m'aider à l'aider, l'enfant dispose d'un atout solide, sa capacité de changement et de dépassement. Bibliographie

Ouvrages

D.W. Winnicott Jeux et réalités Gallimard, 1999Y. de la Monneraye La parole rééducatrice Dunod, 2000C. R. Rogers Le développement de la personne Dunod, 1998M. Berger L'enfant instable Dunod, 1999M. Berger Le travail thérapeutique avec la famille Dunod, date non connueM. Métra La première rentrée EAP, 1999B. Cyrulnik Sous le signe du lien Hachette littérature, date non connueC. Bobin La plus que vive Gallimard, 1996Ph. Mazet, S. Lebovici Penser, apprendre ESCHEL, 1988F. Hurstel La fonction paternelle aujourd'hui Edition et date non connuesD. Durand La systémique PUF, Collection Que sais-je, 1990

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P. Watzlawick, J. Helmick Beavin, Don D. Jackson Une logique de communication Seuil, 1972 D. Dumas Sans père et sans parole Hachette littérature, 1999Articles et conférences

J. le Camus Le rôle du père dans la socialisation de l'enfant Conférence à Paris, 11/03/2000I. Darrault-Harris La création comme processus de transformation L'ERRE, Octobre 1997M. Métra " L'enfant et la Loi " Question d'école ? Octobre 1999Sami-Ali Le regard, Evolutions psychomotrices n°3 1989F. Coutou-Coumes Qu'est ce qu'apprendre ? Le groupe familial n°121, 1988P. Fernandez Les médiations Conférence janvier 2000 A. Naouri Le père noyau de doute Revue de l'ANPASEPh. Mazet Estime de soi et apprentissages dans l'enfance L'ERREJ.L. Grabert L'enfant et la Loi L'ERRE, Conférence A.R.E.N. Juin 1986