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VIRGINIE DEROUBAIX
STARACADÉMIOSCOPIE La biographie d’un concept expérientiel de divertissement
Mémoire présenté
à la Faculté des études supérieures de l’Université Laval
dans le cadre du programme de MAÎTRISE en SCIENCES DE L’ADMINISTRATION
pour l’obtention du grade de MAÎTRE ÈS SCIENCES (M.Sc.)
DÉPARTEMENT DE MARKETING
FACULTÉ DES SCIENCES DE L’ADMNISTRATION
UNIVERSITÉ LAVAL
QUÉBEC
© Virginie Deroubaix, 2006
iii
J’aimerais profiter de ces lignes pour exprimer toute ma reconnaissance et mon admiration envers le Professeur Benny Rigaux-Bricmont. Sa générosité, sa bienveillance, sa confiance et sa rigueur m’ont été très précieuses tout au long du cheminement de ce travail de recherche. J’aimerais aussi formuler ma sincère gratitude aux deux Professeurs qui ont largement influencé l’épanouissement de mes intérêts de recherche : Christèle Boulaire et Jean-Sebastien Marcoux. Je souhaiterais, de plus, dire mon enthousiasme quant au fait que la Professeure André Fortin ait accepté de faire partie du Comité d’évaluation de ce mémoire, ainsi que mon profond respect pour le Professeur Michel Audet. Il me faut aussi saluer et remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont contribué à la réalisation et à l’orientation de ce travail. Je pense particulièrement aux forumers passionnés de la communauté des fans de Cornéliu; à Marie-Claude Massie et Louise Morgan de la compagnie Netgraphe qui ont gentiment répondu à mes questions; à feu le Professeur Jean-Pierre Desaulniers pour avoir fourni les bases de compréhension du phénomène Star Académie au Québec; et enfin au Professeur Balloffet pour m’avoir permis de saisir les premiers rudiments de la logique corsaire. À titre plus personnel, toute mon affection va à mon amoureux qui a suivi l’aventure Star Académie avec beaucoup de patience, de compréhension et de flegme ! Je remercie également la tribu des Deroubaix et celle des Vaucelle pour tout le confort et le réconfort qu’ils m’ont généreusement donné, ainsi que pour leur indéfectible soutien. Enfin, je salue très sincèrement Émilie, Magalie, Samia, Sandra et Virginie pour leurs innombrables campagnes d’encouragement !
« Les temps modernes ont fait de l’homme, de
l’individu, d’un ego pensant, le fondement de
tout. De cette nouvelle conception du monde
résulte aussi la nouvelle conception de l’œuvre
d’art. Elle devient l’expression originale d’un
individu unique. C’est dans l’art que
l’individualisme des Temps modernes se réalisait,
se confirmait, trouvait son expression, sa
consécration, sa gloire, son monument. Si une
œuvre d’art est l’émanation d’un individu et de
son unicité, il est logique que cet être unique,
l’auteur, possède tous les droits sur ce qui est
émanation exclusive de lui. »
Milan Kundera, Les testaments trahis
iv
Résumé
Situé au carrefour de plusieurs voies de recherche en comportement du consommateur, ce travail de
recherche s’enracine dans la perspective postmoderne et s’oriente vers un axe qualitatif, en
empruntant à la sociologie et à l’anthropologie plusieurs concepts méthodologiques. Ce mémoire
propose une lecture originale du « Phénomène Star Académie » au Québec, en s’intéressant à la
sous culture de consommation des fans.
Commercialisé pour l’expérience de divertissement extraordinaire qu’il offre, et consommé comme
une aventure humaine singulière, ce concept présente une perspective de recherche intéressante
suivant deux angles d’observation complémentaires. Ce mémoire ambitionne d’exposer la
biographie d’une expérience de consommation, celle du concept de divertissement Star Académie
2004, en faisant part de son itinéraire expérientiel depuis sa marchandisation jusqu’à son
appropriation. Ainsi, l’auteure démontre qu’une co-production de performance -émanant des
producteurs et consommateurs- peut modifier la biographie d’une expérience de consommation, et
par conséquent son succès commercial.
Table des matières
Résumé............................................................................................................................................... iv Avant-propos............................................................................................ Erreur ! Signet non défini. Introduction : le contexte de l’étude.................................................................................................... 1
1- Consommation, culture, symbolique et identité ......................................................................... 1 2- Consommation et cadre postmoderne ........................................................................................ 2 3- L’axe qualitatif pluridisciplinaire ............................................................................................... 5 4- La télé-réalité : un produit de culture populaire ......................................................................... 5
Chapitre 1 : la revue de la littérature ................................................................................................... 7 1.1- De la télé-réalité ...................................................................................................................... 7 1.2- Star Académie au Québec ..................................................................................................... 17 1.3- De la perspective expérientielle............................................................................................. 25
1.3.1- Le paradigme expérientiel.............................................................................................. 26 1.3.2- L’appropriation de l’expérience..................................................................................... 32 1.3.3- Itinéraire de l’appropriation expérientielle..................................................................... 34 1.3.4- Le processus d’appropriation de l’expérience de consommation .................................. 34 1.3.5- L’approche phénoménologique de la consommation..................................................... 35
1.4- Le renouveau communautaire ............................................................................................... 36 1.4.1- Les communautés de consommation ............................................................................. 37 1.4.2- Les communautés de fans centrées sur un objet de consommation ............................... 39 1.4.3- Les communautés virtuelles........................................................................................... 40
1.5- Récit et netnographie............................................................................................................. 44 Chapitre 2 : la proposition de recherche ........................................................................................... 46
2.1- Problématique........................................................................................................................ 46 2.2- Les objectifs de recherche ..................................................................................................... 48 2.3- La question de recherche ....................................................................................................... 49
Chapitre 3 : la méthodologie ............................................................................................................. 51 3.1- La netnographie..................................................................................................................... 52
3.1.1- Rassembler et analyser les données ............................................................................... 53 3.1.2- Garantir l’exactitude de l’interprétation......................................................................... 54 3.1.3- Conduire une recherche éthique..................................................................................... 55
vi
3.1.4- Description du terrain d’étude........................................................................................ 55 3.1.5- Méthodologie d’analyse ................................................................................................. 56
3.2- L’ethnographie ...................................................................................................................... 58 3.2.1- Le terrain d’étude ........................................................................................................... 59
Chapitre 4 : Star Académie, un concept expérientiel commodifié .................................................... 62 4.1- L’offre expérientielle télévisée.............................................................................................. 62 4.2- L’offre expérientielle du site Web de Star Académie ........................................................... 64 4.3- Les produits complémentaires au concept expérientiel ......................................................... 66 4.4- L’habillage expérientiel du concept Star Académie.............................................................. 67 4.5- Une offre expérientielle postmoderne ................................................................................... 72 4.6- Un concept expérientiel commodifié ..................................................................................... 73
Chapitre 5 : l’appropriation expérientielle mise en récit. La communauté comme un espace de ré-
enchantement .................................................................................................................................... 76 5.1- L’appropriation du concept expérientiel................................................................................ 77 5.2- De l’intérêt vers la passion .................................................................................................... 78 5.3- La passion a ses raisons......................................................................................................... 81 5.4- Les conséquences de la passion............................................................................................. 82 5.5- La recherche d’informations supplémentaires....................................................................... 84 5.6- Le partage d’informations et de récits ................................................................................... 84 5.7- La recherche d’une harmonie expérientielle ......................................................................... 88
Chapitre 6 : L’appropriation expérientielle mise en scène. La communauté comme un espace de
dépassement de soi............................................................................................................................ 90 6.1- L’appropriation expérientielle par le récit collectif ............................................................... 90 6.2- Le moi communautaire et l’intelligence collective ............................................................... 92 6.3- La co-production expérientielle par l’agir communautaire : il faut sauver Cornéliu ! .......... 94 6.4- L’évangélisation promotionnelle........................................................................................... 96 6.5- Le forum : une plateforme communautaire au service de l’expérience................................. 97 6.6- L’expérience collective comme patrimoine de la communauté ............................................ 98 6.7- L’expérience communautaire transformationnelle .............................................................. 100 6.8- Loin des yeux, loin du cœur… la fin d’une biographie expérientielle ? ............................. 102
Chapitre 7 : Star Académie, la biographie d’une expérience de consommation............................. 105 7.1- De multiples processus d’appropriation expérientielle ....................................................... 106
7.1.1- La construction d’un mythe ......................................................................................... 106 7.1.2- L’expérience du sacré .................................................................................................. 107
vii
7.1.3- L’expérience de la transcendance émotive .................................................................. 107 7.1.4- L’expérience de la corporalité...................................................................................... 107 7.1.5- L’expérience de flux .................................................................................................... 108 7.1.6- L’expérience de rupture avec la réalité quotidienne .................................................... 109 7.1.7- L’expérience esthétique ............................................................................................... 109 7.1.8- Une expérience matérialisée ........................................................................................ 110 7.1.9- La validation de l’expérience par l’objet ..................................................................... 110 7.1.10- Star Académie, une expérience globale phénoménale ............................................... 111 7.1.11- Le paradoxe de l’expérience de consommation postmoderne.................................... 111
7.2- Le cycle de vie de la biographie expérientielle ................................................................... 113 7.3- La co-production d’une biographie expérientielle............................................................... 114 7.4- D’un point de vue managérial ............................................................................................. 115 7.5- Conclusions ......................................................................................................................... 116
Bibliographie................................................................................................................................... 121
Liste des tableaux
Tableau 1 : Habillage expérientiel du concept de Star Académie (p70)
Tableau 2 : Caractéristiques du concept expérientiel commodifié (p75)
Tableau 3 : L’appropriation expérientielle mise en récit (p89)
Tableau 4 : L’appropriation expérientielle mise en scène (p102)
Tableau 5 : Itinéraire biographique du concept expérientiel de divertissement Star Académie (p106)
Tableau 6 : Inventaire des processus d’appropriation expérientielle recensés lors de l’itinéraire
biographique du concept Star Académie (p112)
Introduction : le contexte de l’étude
1- Consommation, culture, symbolique et identité
Pour Grant McCracken (1988), la consommation est un phénomène largement lié à la culture. «The
meaning of consumer goods and the meaning creation accomplished by consumer processes are
important parts of scaffolding of our present realities. Without consumer goods, certain acts of self-
definition and collective definition in those cultures would be impossible ». (McCracken, 1988, p.
xi). L’auteur s’oppose à l’idée selon laquelle dans une société matérialiste, la consommation ne
serait que destruction et qu’elle rendrait, de surcroît, l’individu malheureux.
Pour Douglas & Isherwood (1979), la consommation et son rapport à l’identité sont des
informations liées à la culture. L’objet est un véhicule culturel dont une des fonctions est
symbolique. Or, selon Miller (1995), il est important de repenser les relations entre consommation
et identité, production de sens et socialité. Les objets de consommation seraient le matériel à partir
duquel l’identité est élaborée, ce qui rejoint la notion de bricolage identitaire (par le biais de la
consommation) de Lévi-Strauss (logique totémique). L’objet de consommation semble donc
posséder une matérialité ainsi qu’une valeur symbolique et communicationnelle.
Selon Douglas & Isherwood (1979), l’individu utilise l’acte de consommation afin de produire du
sens. Consommer joue un rôle prépondérant dans l’existence de l’individu, en tant que moyen
d’expression, la consommation fait partie des rites sociaux. Les objets que nous possédons, et ceux
que nous utilisons, jouent un rôle majeur dans nos vies et contribuent à réfléchir nos identités; nos
possessions font parties de nous-même (Belk, 1988), les objets confèrent une signification
identitaire à l’individu. En effet, selon Baudrillard (1970) : « on ne produit ni ne consomme
n’importe quels biens : ils doivent avoir quelque signification au regard d’un système de valeurs »
(Baudrillard, 1970 : 95). L’auteur convient de la signification identitaire des objets, l’objet devient
signe, c'est-à-dire vecteur de communication vers autrui (Baudrillard, 1970).
Nous comprenons que la consommation soutient et véhicule l’identité sociale de l’individu. En tant
que telle, la consommation individuelle permet donc de nous définir, de construire notre identité.
Depuis ce postulat, nous nous éloignons donc de la notion de maximisation utilitaire que l’on
2
attribue au consommateur, dans la traditionnelle théorie de la consommation. Nos consommations
ont un sens, elles sont d’ailleurs porteuses de sens, et consciemment ou non, nos achats sont basés
sur l’identité que l’on souhaite projeter et communiquer aux autres, « our possessions are major
contributor to and reflection of our identities » Belk (1988 : 139).
La télé-réalité, en tant que format télévisuel, appartient à la sphère de consommation des loisirs.
Paul Yonnet (1999), dans son ouvrage Travail, loisirs, Temps libre et lien social, poursuit une
analyse des pratiques sociales du temps libre et insiste particulièrement sur la formation d’une
cohésion sociale à partir du loisir. Cet auteur affirme que : « le lien social, les significations
collectives, l’être-ensemble, la sociabilité, loin de se déconstituer dans un temps libre devenu le
temps de vie quantitativement le plus important, s’y reconstituent en y glissant » (Yonnet, 1999 : 7).
Pour Yonnet (1999), la télévision est de loin le premier loisir, notamment du fait que « la
caractéristique dominante [de ce] loisir moderne est qu’il est démocratisé » (Yonnet, 1999 : 33).
Dans son analyse, l’auteur s’oppose aux arguments de Lipovetsky (L’ère du vide) en précisant que
le loisir annonce l’ère de plein : « ce plein de significations et de dynamiques sociales » (Yonnet,
1999 : 94), puisque des sociabilités nouvelles et dynamiques s’élaborent à partir du loisir. Firat &
Venkatesh (1995) établissent un lien entre la consommation récréative et le contexte postmoderne.
Ces auteurs suggèrent que dans le cadre postmoderne, la consommation de loisirs est une source
majeure de production de sens pour le consommateur. Ayant cerné les rôles culturel, symbolique et
identitaire de la consommation, l’argument de Firat & Venkatesh (1995) nous invite, à présent, à
considérer le cadre postmoderne.
2- Consommation et cadre postmoderne
Le courant de pensée postmoderne met en évidence une rupture quant au traditionnel paradigme de
l’homo economicus. Ainsi, il remet en question plusieurs idées, au profit d’une analyse qualitative
permettant de comprendre la production d’identités issue de la consommation. Les changements
sociaux, dans nos sociétés occidentales, sont le résultat d’une déconstruction à différents niveaux
(Lyotard, 1979). Pour la discipline du marketing, le cadre postmoderne contribue à revoir l’idée
d’un individu rationnel, en postulant notamment de la place cruciale des émotions dans le
3
comportement de consommation. Le discours de la postmodernité offre la possibilité de considérer
la portée des émotions engendrées par l’acte de consommation.
En effet, la perspective postmoderne présente un cadre conceptuel permettant de mieux appréhender
les changements sociétaux actuels, notamment les mouvements issus de la consommation (Firat &
Venkatesh, 1993 ; Firat & Venkatesh, 1995). Il s’agit de considérer la dynamique sociale, issue du
vécu de multiples expériences de consommation dont émergent représentations et émotions. Alors
qu’une telle dynamique est, selon certains auteurs, expliquée par le rétrécissement sur
l’individualisme (Lipovetsky, 1987), d’autres chercheurs mettent l’accent sur le développement du
tribalisme comme ultime métamorphose du lien social. Ainsi, pour Lipovetsky (1987), la
postmodernité reflète l’accomplissement du processus d’individualisation, alors que pour Maffesoli
(1988) elle est le commencement d’un mouvement social transversal privilégiant la recomposition
de tribus éphémères. Le courant de pensée postmoderne, qui accorde à l’individu la restitution des
liens sociaux qui lui manquaient, comprend que ces liens émergent des émotions et des vécus
expérientiels provenant des activités de consommation.
Au sein de la perspective postmoderne, certaines thématiques sont prégnantes, notamment celle des
rites sacrés issus de domaines profanes de la consommation (Belk & al., 1989). La métaphore du
sacré et du profane est un concept essentiel à l’étude du comportement du consommateur. Dans leur
article, Belk & al. (1989) proposent l’idée selon laquelle la consommation pourrait être un véhicule
permettant de vivre l’expérience du sacré. Ces auteurs parlent d’expériences transcendantes, de
processus d’investissement et de désinvestissement de sens. Or, dans certains cas, cette notion de
sacré peut être attribuée collectivement. La consommation joue un rôle à la création puis à la
révélation des liens sociaux qui, selon Cova (1995), peuvent devenir plus importants que l’objet en
tant que tel (« le lien importe plus que le bien »). En effet, la consommation est issue d’un construit
culturel et social, elle se veut donc l’expression de rapports sociaux mais aussi une production
sociale du fait des usages et significations intrinsèques au produit consommé.
D’autres auteurs du courant de pensée postmoderne ajoutent que la consommation contient une
opportunité d’émancipation pour l’individu. Ainsi pour Firat & Venkatesh (1995), une vision
alternative des processus de consommation met en évidence le potentiel émancipateur, dont émane
la construction du sujet, le rôle symbolique de la consommation, la notion de spéctacularisation du
quotidien (spectacularization of life), la création de l’hyper réel, et la fragmentation des
significations culturelles. Ces auteurs parlent de spectacularisation et d’esthétisation de nos réalités,
4
dont la signification serait culturelle. Dans ce contexte, le sujet est décentré et le rôle de la
consommation est symbolique; le processus de consommation se veut libérateur en combinant
imaginaire et réalité. Le consommateur devient le producteur de ses propres images, puisqu’il
trouve une certaine liberté dans la création de ses hyper réalités. Il donne lui-même un sens au
monde qui l’entoure (signification et symboles) par un processus de construction constamment
renouvelé, qui engendre un ré-enchantement du quotidien.
Dans le contexte postmoderne, l’individu est aussi attiré par l’aspect ludique de la consommation, à
partir de laquelle il cherche à traduire ses identités multiples, notamment par le biais des
interactions sociales. Dans cette façon d’être et d’agir à l’ère postmoderne, prévalent des valeurs
hédoniques, affectives et émotives. Belk & Bryce (1993 : 280) parlent même d’une consonance
carnavalesque. Enfin, si la profonde modification culturelle contemporaine se traduit par une
esthétisation du quotidien, elle conduit aussi à une fragmentation des personnalités des individus
(Firat & Schultz, 1997), mais surtout à un besoin notoire de contacts avec l’autre (Maffesoli, 1988).
Les caractéristiques relevées dans la littérature nous permettent de dresser le profil du
consommateur postmoderne. Ce dernier est insaisissable, versatile et virevoltant, porté par son
humeur. L’ère postmoderne est une ère du spectacle et de simulation, notamment caractérisée par
l’effritement des frontières, la quête d’authenticité, le souci de transparence ainsi que
l’omniprésence des nouvelles technologies (Boulaire & Deroubaix, 2004). Dans ce contexte,
l’individu postmoderne collecte de multiples expériences pour ré-enchanter son quotidien et
esthétiser son existence (Arnould & Price, 1993; Firat & Venkatesh, 1993, 1995). Acteur de sa
consommation, l’être postmoderne est co-producteur des expériences qui lui sont suggérées, en ce
sens il est dynamique plutôt que passif et ne craint pas de se mettre en scène (Boulaire &
Deroubaix, 2004). En quête de relations sociales, l’individu postmoderne sait profiter d’espaces
émancipateurs pour explorer de nouvelles formes de socialité. Favorisant le caractère ludique des
environnements, tout en cherchant une certaine authenticité, l’individu postmoderne aime faire
l’expérience de ses multiples sois, en assumant ses paradoxes qui le conduisent parfois à des
applications simulées (Boulaire & Deroubaix, 2004).
Le courant de pensée postmoderne met l’emphase sur la métamorphose du lien social. Or, dans le
contexte des communautés, le choix émotionnel est généralement conduit par des aspects
esthétiques. Ainsi, on parle de réseau social partageant un lien commun, mais aussi des émotions,
des croyances, des sentiments et des pratiques de consommation. Néanmoins, la tribu postmoderne
5
(Maffesoli, 1988) est éphémère, sa « configuration sociale » est à la fois dynamique, flexible et
évolutive. L’esthétisation de la vie quotidienne se traduit par un enchaînement d’émotions
partagées, le vécu de passions collectives, et le retour au rituel dans une version profane. En ce sens,
dans le contexte postmoderne, la consommation peut être comprise comme étant un véritable
langage qui unit les individus et induit une forme nouvelle de cohésion sociale.
L’esquisse du consommateur postmoderne que nous venons de brosser est largement émotionnelle,
instable et éphémère. L’individu est d’autant plus effervescent qu’il est soumis à de multiples crises
identitaires. Présentéïste (Maffesoli, 1988), l’être postmoderne trouve une certaine harmonie dans le
partage de ses émotions avec l’autre. Il souhaite se reconstruire, par le biais d’expériences
successives dont il cherche l’apport pour s’établir, notamment celles de consommation.
3- L’axe qualitatif pluridisciplinaire
Dans ce contexte postmoderne où consommation, culture, symbolique et identités sont liées, notre
travail cherche à saisir la réalité des individus dans toute sa complexité (esthétisation, célébration de
la consommation…). Depuis un angle d’observation influencé par la pensée postmoderne, nous
considérerons donc la consommation comme un objet culturel. Explorant une consommation en
particulier, suivant un axe interprétatif, nous souhaitons atteindre une certaine compréhension du
phénomène à l’étude en profitant de l’ouverture pluridisciplinaire que prônent plusieurs chercheurs
en comportement du consommateur (Belk, 1984; Sherry, 1995; Zaltman, 2004)). En effet, la
pluralité des approches, quand différentes perspectives d’analyse de la consommation seront
empruntées, permet d’obtenir une complémentarité dans l’appréhension d’un phénomène étudié.
C’est donc cette ligne directrice que nous envisageons de suivre dans notre travail de recherche.
4- La télé-réalité : un produit de culture populaire
Écrire sur le sujet de la télé-réalité est une activité périlleuse. Manque de crédibilité, synonyme de
vulgarité... le sujet connaît la critique. Il semble pourtant nécessaire de dépasser cette mauvaise
presse, faire fi des nombreuses polémiques, pour aborder un sujet qui peut être prometteur quant à
exposer une facette méconnue du consommateur. En effet, il est de notre avis que la télé-réalité est
6
un phénomène de consommation contemporain qui répond aux caractéristiques de spectacle
(Debord, 1967), d’hyper réalité (Eco, 1985) et de consommation (Baudrillard, 1970). De plus, nous
observons que la télé-réalité s’inscrit complètement dans la culture populaire telle que décrite par
Fiske (1989): «to be popular, the commodities of the cultural industries must not only be polysemic-
that is, capable of producing multiple meanings and pleasures- they must be distributed by media
whose modes of consumption are equally open and flexible. Television, books, newspapers,
records, and films are popular partly because their nature as media enable them to be ways in which
people wish to use them» (Fiske, 1989: 158).
En ce sens, il nous parait pertinent de rebondir sur les propos de Kozinets & al. (2004) pour qui le
divertissement permet au consommateur d’échapper à la routine quotidienne, en injectant une part
souhaitée d’excitation. Ainsi, nous prétendons qu’au titre de consommation divertissante, le sujet de
la consommation de télé-réalité mérite l’attention du chercheur en comportement du consommateur.
Il s’agit de nous éloigner des mauvaises perceptions dont la télé-réalité fait l’objet (et de la
télévision en général, qui hébète, abrutit…) pour nous interroger sur les significations de cette
consommation.
En effet, puisque dans la culture postmoderne il est question d’un sujet communicant et d’un
système symbolique (Hirschman & Holbrook, 1992; Thompson, 2000), il nous semble intéressant
de nous rapprocher de l’objet télé-réalité pour en observer la symbolique et le contenu, puis
d’écouter le consommateur de manière à restituer ce que le sujet communicant interprète par cette
consommation. Ainsi, traitant d’un produit culturel au sens où l’entendent Douglas & Isherwood
(1979) et McCracken (1988), nous pourrions tenter d’explorer les pendants symboliques, sociaux et
identitaires de ce type de consommation, en tenant compte des caractéristiques de l’ère
postmoderne. Pour ce faire, nous pourrions d’ailleurs emprunter l’ouverture pluridisciplinaire
recommandée par plusieurs auteurs en comportement du consommateur. Cette piste de recherche
nous invite à fouiller l’état de la littérature. Dans le chapitre suivant, nous nous attacherons donc à
l’exploration des thèmes relatifs aux concepts de télé-réalité, et particulièrement au produit
québécois Star Académie; à la perspective expérientielle de la consommation; au renouveau
communautaire et notamment aux sous cultures de consommation; à l’importance du récit et
spécialement à la méthode netnographique quant à cerner le vécu du consommateur.
Chapitre 1 : la revue de la littérature
1.1- De la télé-réalité
Nouveau format télévisuel, la télé-réalité semble correspondre à une évolution des pratiques de
consommation de la télévision. Geneviève Jacquinot-Delaunay (2003), remarque que ce genre
d’émission engendre de nouvelles pratiques sociales. En effet, plus qu’un phénomène télévisuel, il
est question d’un phénomène social, d’autant que nous avons assisté à une véritable propagation de
ce type de concept à l’échelle planétaire (entraînant d’ailleurs une banalisation de ce genre).
Le terme télé-réalité provient de la traduction de real-life soap. Ce format est apparu en 1999, en
Hollande, suivant le phénomène des sites Internet, pages Web personnelles sur lesquels les
internautes exposent leur intimité par le biais de Webcams. Le titre de l’émission phare de télé-
réalité, fait référence au roman de Georges Orwell, 1984, dans lequel les personnages vivent sous la
surveillance permanente des caméras. Big Brother avait en 1999, aux Pays Bas, battu des records
d’audience sans commune mesure (deux millions de téléspectateurs quotidiens dans un pays qui
compte 16 millions d’habitants). Outre sa diffusion télévisée, le concept hollandais fut aussi
largement populaire sur la toile, par le biais de son site Web sur lequel il était possible de suivre en
continu la vie des candidats de l’émission. Le site est rapidement devenu très célèbre, alors que
parallèlement les produits dérivés liés à l’émission (merchandising) connaissaient des chiffres de
vente importants (Kerviel, 2003 :10).
Le concept original de Big Brother fut inventé par John De Mol (producteur néerlandais) et son
associé Joop Van den Ende (fondateurs d’Endemol, entreprise spécialiste des productions de jeux et
divertissements pour la télévision). Fort de son succès en Hollande, la société n’a depuis cessé de se
développer à travers le monde. En 2001, le groupe avait à son actif la production de plus de 15 000
heures de programmes de télé-réalité, regardés par plus de 250 millions de téléspectateurs. Depuis,
plus de trente pays ont adopté Big Brother ou Loft Story (Kerviel, 2003 :10).
Ce nouveau genre de programme télévisé est venu révolutionner la télévision, la métamorphosant
rapidement, entraînant un suivi de l’ensemble des chaînes télévisées (généralistes et spécialisées).
Big Brother a engendré la prolifération rapide de ce format d’émissions. Il est vrai qu’Endemol
8
(dont le slogan est Worldwide network, local flavour : réseau mondial, saveur locale) a su proposer
un ensemble conceptuel dynamique, correspondant aux souhaits et désirs du téléspectateur
contemporain.
Selon Roux & Teyssier (2003), le format télévisuel nouveau (nouveau car il est à la fois
divertissement, jeu, variété et documentaire) qu’est la télé-réalité « remet en cause les modèles
économiques, juridiques et sociaux qui permettaient jusqu’ici d’analyser et de comprendre la
télévision » (Roux & Teyssier, 2003, v). En effet, l’introduction de ce nouveau genre n’est pas sans
conséquences, tant pour ce qui est des enjeux que des concepts sur lesquels il s’appuie. Ainsi, les
discussions du colloque « Les enjeux de la télé-réalité », organisé à l’Université Paris Dauphine en
avril 2003, nous ont-elles permis de dresser un portrait synthétique et éclairant pour la
compréhension du sujet.
Concernant l’aspect économique, il semblerait que le format de télé-réalité soit apparu à point
nommé, à une époque où la télévision commençait véritablement à s’essouffler. Profitant de la
convergence médiatique (éditions papier et musicale, télévision, radio, Internet et téléphonie), la
télé-réalité s’est conséquemment révélée être un « relais de croissance » (Roux & Teyssier, 2003 :
54). Le support technologique disponible au début du millénaire a servi de levier à ce nouveau
format de télévision, en permettant une forme de synergie par « trois fonctions principales : la
mobilité, l’interactivité et l’interopérabilité » (Roux & Teyssier, 2003 :54). La télé-réalité a aussi
constitué une base stratégique pour les producteurs qui cherchaient à répondre aux nouvelles
attentes du téléspectateur, en proposant des programmes à la fois fictions et documentaires. Les
produits dérivés, largement lucratifs dans certains cas, demeurent secondaires. Le pôle principal
étant la production d’émissions permettant un accroissement des parts de marché (la cible principale
étant les jeunes qui ont tendance à délaisser la télévision) autour d’un programme fédérateur pour
toutes les générations.
De manière analogue, dans le cas d’émissions axées sur le domaine artistique, tel Star Academy en
France, « la télé-réalité est un moyen intéressant pour une maison de disque pour trouver du talent »
(Roux & Teyssier, 2003 :55). L’interactivité permettant d’ailleurs la rencontre immédiate et
spontanée entre le produit présenté et le public, par le biais des appels téléphoniques, par exemple.
Rencontre qui peut d’ailleurs être mesurée instantanément. Il est donc certain, selon les participants
de ce colloque, que la diffusion de programmes de télé-réalité a permis la concrétisation d’une
synergie médiatique, avec un format de télévision qui joue un rôle moteur auprès des autres médias
9
suiveurs (téléphone, Internet, radio et presse, puis compagnies de disques dans certains cas de
figure).
Concernant le point juridique, les discussions du colloque traitent largement du statut des
participants des émissions de télé-réalité (artistes, interprètes ?) et de la commercialisation des
droits relatifs à leur image et à leur personnalité. À ce jour, le débat n’a pas véritablement débouché
sur un consensus.
Relativement au caractère social, les participants du colloque, après avoir cherché à distinguer
différents registres de ce format télévisuel, conviennent que le terme « télé-réalité » n’est qu’un
nom générique, derrière lequel reposent différents concepts. Les chercheurs ont mis en évidence les
frontières entre divertissement et censure : « l’élément décisif qui différencie les émissions est le
diffuseur qui va les programmer. Les diffuseurs ont chacun un style propre, une certaine éthique,
une certaine moralité et également une certaine cible d’audience » (Roux & Teyssier, 2003 :64).
Cependant, quoi qu’il se joue à l’écran, la polémique entoure toujours la diffusion des programmes
de télé-réalité. Le phénomène d’engouement est universel : « pays par pays, on découvre une
histoire » (Roux & Teyssier, 2003 :65). En effet, dans tous les cas observés, la télé-réalité présente
un nouveau type de relation entre la télévision et le téléspectateur.
Si nous reprenons la chronologie des trois âges de la télévision (Eco, 1985:141), nous constatons
que nous sommes passés d’une période de « paléo télévision » (télévision institutionnelle, relation
pédagogique de la télévision vers le téléspectateur, télévision perçue comme un outil de
transmission du savoir), à une époque de « néo télévision » (domination dans la relation de la
télévision vers le public, mais progressivement le téléspectateur ordinaire participe à l’émission s’il
est le témoin de quelque chose, il peut prendre la parole. Le chercheur parle dans ce contexte d’une
certaine « irruption de l’intime »). Enfin, selon Eco, le troisième stade est celui de la « post
télévision ». À l’âge de la télé-réalité, la télévision « n’est plus vecteur de magnification du héros
ordinaire, mais elle est devenue un intercesseur entre le public et les stars en devenir, les gens qui
souhaitent conquérir la notoriété et la célébrité. La participation à l’émission est la seule raison -et
le seul but- pour sortir de l’ordinaire » (Roux & Teyssier, 2003 :67).
Le type de relation nouvelle entre le téléspectateur et la télévision est basé sur la notion de
« lifetainment » (Missika cité par Roux & Teyssier, 2003 :68), c'est-à-dire le divertissement issu de
l’observation du quotidien vécu en huis clos. Baudrillard affirme à ce sujet que « toute notre réalité
10
est devenue expérimentale. (…) La réclusion volontaire [est] comme [le] laboratoire d’une
convivialité de synthèse, d’une socialité télégénétiquement modifiée » (Baudrillard, 2001 :9).
L’observation de la situation expérimentale par le public constitue la base du jeu. Ainsi dans ce
contexte, le téléspectateur « est en quelque sorte le coproducteur de l’émission puisqu’il est là pour
juger, donner son avis, faire évoluer le scénario » (Roux & Teyssier, 2003 :68).
Les chercheurs remarquent un phénomène de société plus ample (Roux & Teyssier, 2003 :69) :
l’intimité de personnes ordinaires en quête de notoriété semble intéresser le public. La télé-réalité
permettrait donc de favoriser l’irruption de l’intime à la télévision, en plaçant des individus lambda
dans des situations artificielles, atypiques et extraordinaires. Cela n’est pas sans rappeler les travaux
de Goffman (1973) relatifs à l’approche dramaturgique de l’analyse de la vie quotidienne, dans
laquelle figurent les notions de scripts, de rôles et de représentations. Or, selon Rojek (2003) : « la
célébrité peut (donc) être lue comme une forme concentrée de caractères généralisés ou
d’aspirations à la métamorphose et à la composition » (Rojek, 2003 :38).
C’est en fait que la télé-réalité, même comme type générique de programme télévisé, porte mal son
appellation. Selon Wolton (2004), « [le mot] est totalement inapproprié, tant les participants sont
instrumentalisés, les émissions soigneusement montées, plus ou moins scénarisées, voire truquées.
Tout est fait pour privilégier le sensationnel, à l’aide des castings orientés » (Wolton, 2004 : 150).
Pour les chercheurs du colloque de Paris Dauphine, l’interactivité totale propre aux concepts de
télé-réalité a été déterminante dans le succès de ce format de télévision. Permettant
l’assouvissement de la curiosité du public, « Internet a eu une fonction démultiplicatrice absolument
gigantesque par la diffusion du programme 24h/ 24 sur ce support, et l’interactivité y était
importante. C’était la première fois qu’un programme était diffusé 24h /24, que chacun pouvait le
voir, avec des plans fixes qui ont beaucoup fait parler, que l’on pouvait interagir de manière directe
sur le programme en votant pour les candidats » (Roux & Teyssier, 2003 :73).
Du fait des castings réalisés par la production et de la diffusion continue du programme (sur
plusieurs semaines), le spectateur (celui derrière son écran d’ordinateur ou sa télévision) a tendance
à s’accaparer l’émission, à suivre l’évolution du jeu, mais aussi à s’identifier aux candidats, à
s’attacher à certains du fait par exemple de leur personnalité ou de leur histoire (d’où l’importance
du casting). Razac (2002) explique que «l’implication spectaculaire se double d’une identification
psychologique et sociale avec de « vrais gens » mis en scène. Le spectateur se projette vers l’écran,
11
rentre dans le monde spectaculaire par le biais de l’identification. Il en ressort transformé en acteur
à domicile » (Razac, 2002 :137).
Les chercheurs n’oublient cependant pas de souligner la possibilité d’un phénomène d’usure du
format de télé-réalité qui, à force d’être répété et décliné sous diverses versions, pourrait conduire à
une réaction de lassitude de la part du public. Néanmoins, même face au spectre d’une grande
fatigue de l’audience pour ce genre de programmes, il est indéniable que les émissions de télé-
réalité continuent de connaître un certain succès. Razac (2002) explique que ce triomphe est
imputable à la part de divertissement engendré par ces formats télévisuels : « la télé-réalité se
présente comme une tentative de lutte contre la « grisaille du quotidien » (…), c’est précisément là
le rôle de tout divertissement qui permet au spectateur de « se changer les idées » » (Razac,
2002 :14).
Baudrillard pour sa part présente une vision plus pessimiste du phénomène : « du sexe, il y en a
partout ailleurs, mais ce n’est pas ce que les gens veulent. Ce qu’ils veulent profondément, c’est le
spectacle de la banalité, qui est aujourd’hui la véritable pornographie, la véritable obscénité »
(Baudrillard, 2001). Cependant, si les polémiques sont nombreuses au sujet de la télé-réalité il
semble qu’à force d’observer les moindres faits et gestes des candidats, le public a l’impression de
connaître les participants et certains tendent ainsi à s’attacher, voire même à s’y identifier. En effet,
outre la part de distraction, il faut souligner combien la transformation d’un individu ordinaire en
personnage célèbre fascine le public : « la notoriété est devenue une valeur cardinale de notre
société à laquelle croit prétendre chaque individu » (Béglé, 2003 : 10). Ramonet1 expose cette idée
de la manière suivante : « ce qui passionne le public, sans qu’il en ait forcément conscience, c’est la
métamorphose qui s’opère sous ses yeux et qui transforme, par la magie du direct et du continu, des
personnes somme toute ordinaires, prélevées dans la vie réelle, en personnages, en acteurs d’une
histoire, d’un récit, d’un scénario qui ressemble à un feuilleton, à une fiction ».
D’ailleurs, certains auteurs parlent de télé-anthropologie (Andrejevic, 2003 :73) puisque la force de
la télé-réalité réside de la proximité d’observation dont profite le public. En effet, « quel que soit
l’âge des spectateurs, tous lui reconnaissent être une leçon de vie. Enfants, adolescents et parents,
pour tous, la realtv répond aux préceptes éducatifs et moraux en cours dans la société actuelle. (…)
1 Ignacio Ramonet, « une nouvelle étape, la « Post-télévision » Big Brother », Le Monde Diplomatique, juin
2001, p1, 24 et 25
12
Pour les parents, comme pour les enfants, la télé-réalité, c’est l’apprentissage de soi, le dépassement
et l’ambition. ».2
Plus qu’une télévision de compagnie, plus encore qu’une « machine à fabriquer du bonheur et de
l’optimisme pour la vie » (Ehrenberg, 1995 : 243), la télévision par le biais de ses programmes de
télé-réalité offre à des anonymes l’opportunité de devenir des héros. « L’effet spectaculaire du
quotidien dans le reality show semble suggérer que la vie de chacun peut devenir, à tout moment, le
sujet pour une émission de flux et être au centre de l’attention générale. (…) ce qui importe c’est
qu’ils soient là, dans le monde où leur existence est rendue unique et mythique » (Grisolia,
2003 :48). Or, du fait de ce transfert émotif, le concept de la télé-réalité nécessite une certaine
implication de la part du public. En effet, nous explique Razac (2002), « un spectateur est toujours
impliqué dans une représentation spectaculaire. Il est impliqué parce qu’il doit être présent, parce
qu’il doit être attentif et parce qu’il doit agir comme un spectateur. Pour regarder une émission de
télévision ou consulter un site Internet, il faut être près de son écran, à une heure précise et pour un
certain temps durant lequel le corps est dans une zone et dans des positions limitées. La place et la
posture du corps sont reliées à l’écran, même s’il ne s’agit que de regarder d’un œil ou d’écouter
d’une oreille en changeant constamment de chaîne » (Razac, 2002 :135).
Il ne serait donc pas uniquement question de voyeurisme passif face à une « télé poubelle »
(Cespedes, 2001 : 23), un « zoo humain » (Razac 2002). Attentif à une émission de télé-réalité, le
spectateur en devient fidèle et tend même à s’impliquer dans le jeu. Il en est d’ailleurs co-
producteur quand il participe à son évolution. « Pour suivre l’émission, il faut aliéner son temps
comme jamais un spectacle ne l’avait demandé. Il faut le donner pour regarder et pour chercher des
informations, il faut l’ordonner pour être présent aux moments importants et il faut l’optimiser pour
rester capable d’effectuer les autres taches essentielles de la vie. » (Razac, 2002 :139). En effet, un
des principes sur lesquels reposent les jeux de télé-réalité est la compétition, dont le public est le
jury. « Tout ceci est renforcé par le fait que le public est mobilisé lui-même comme juge, qu’il est
lui-même devenu Big Brother. On est au-delà du panoptique, de la visibilité comme source de
pouvoir et de contrôle. Il ne s’agit plus de rendre les choses visibles à un œil extérieur, mais de les
rendre transparentes à elles-mêmes, par perfusion du contrôle dans la masse, et en effaçant du coup
2 Pascaline Petit de l’institut d’études ABC+, citée par Rita Mazzoli et Philippe Chesnaud dans «Qu’est-ce qui
fait courir les enfants de la télé-réalité ? », Marketing Magazine, n°81, Octobre-Novembre 2003, p 40-45.
13
les traces de l’opération. Ainsi les spectateurs sont impliqués dans un gigantesque contre-transfert
négatif sur eux-mêmes, et, encore une fois, c’est de là que vient l’attraction vertigineuse de ce genre
de spectacle. » (Baudrillard, 2001 :12).
Outre ce constat, nous devons rappeler que la télévision constitue un élément de lien familial et
collectif. En effet, c’est un média dont on discute et autour duquel des conflits, des alliances et des
négociations ont lieu. Ainsi, si « la télévision est une machine à produire des actions collectives »3,
elle semble aussi être un formidable moyen pour apprendre sur les autres et pour parler de soi.
Discuter des personnages et des intrigues est un moyen de parler de soi, d’expliquer ce que nous
ferions ou ce que nous ressentirions si nous étions dans la même situation. C’est aussi un moyen de
savoir ce que feraient les autres. En effet, « Pour triompher, il faut braver l’adversité, surmonter ses
angoisses, aller jusqu’au bout de soi-même. Tout en découvrant et en respectant les autres. Et c’est
là, la deuxième fonction de la télé-réalité. Apprendre à vivre en société. La communauté est au cœur
des émissions de télé-réalité. Elle permettra à chacun d’explorer, par procuration, les vertus et les
vices de ses semblables. (…) Au-delà de l’apprentissage de la vie en société, la télé-réalité serait
également un réflecteur de la vraie vie»4.
Loin de laisser indifférent, nous avons vu se constituer autour des lancements (fortement
médiatisés), puis des suivis des programmes de télé-réalité bon nombre de polémiques. En effet, la
presse mais aussi la radio, la télévision, Internet…l’ensemble des médias s’est emparé de la télé-
réalité pour en faire une thématique largement débattue. À plus petite échelle, les émissions de télé-
réalité ont aussi alimenté les discussions quotidiennes (certains journalistes n’ont d’ailleurs pas
manqué de souligner que ce type de format télévisuel permettait de renouveler les sujets de
conversation autour de la machine à café). L’adhésion d’un grand nombre de spectateurs à la
diffusion de Loft Story ou de Star Académie reflète une certaine logique collective en partie
provoquée par la curiosité et la nouveauté. En ce sens, l’émission de télé-réalité a engendré un
produit collectif. Cette production groupale fût d’ailleurs grandement nourrie du thème de
l’authenticité. En effet, Ehrenberg (1995) précise que la télé-réalité appartient à « ces spectacles
[qui] sont au croisement d’un rapport du spectateur et d’un genre télévisuel qui mettent au premier
3 Dominique Pasquier, « sitcom et realtv : les raisons inattendues d’un succès », Sciences Humaines, n° 127, mai 2002, p 26-29. 4 Rita Mazzoli et Philippe Chesnaud, «Qu’est-ce qui fait courir les enfants de la télé-réalité ? », Marketing Magazine, n°81, Octobre-Novembre 2003, p 40-45.
14
plan l’idée d’authenticité » (Ehrenberg, 1995 :175). C’est donc dans l’action spontanée des
candidats observés à l’écran (laissant transparaître émotions et sincérité) que le caractère
authentique de ce type d’émission de télévision est assuré, et cela importe au spectateur.
Andrejevic (2003 :75) souligne que : « pour les téléspectateurs, l’authenticité était garantie par leur
propre omniscience, puisqu’ils avaient la possibilité de regarder Big Brother 24 heures sur 24 en
direct grâce à Internet » (Andrejevic, 2003 :75). Répondant à cette soif d’authenticité, les caméras
(Webcams) proposées sur les sites des émissions de télé-réalité prennent ainsi tout leur sens. Elles
viennent rejoindre les attentes du spectateur en lui permettant d’assouvir une part de curiosité, mais
aussi en lui laissant opérer un certain contrôle sur le jeu : « the Website is a central component of
the event that is Big Brother and it provides the audience with a range of activities that allow them
to construct different relationships with the text and other viewers » (Roscoe, 2004 :313).
Le concept de télé-réalité offre donc au consommateur une approche intrusive du jeu: «reality TV
promises its audience revelatory insight into the lives of others as it withholds and subverts full
access to it» (Murray & Ouellette, 2004: 6). Or, dans ce contexte, le site Internet devient une plate-
forme d’activités qui permet de voir, mais aussi de parler (forums de discussion), de s’informer
(zones d’archives), de consommer (produits de merchandising) et de participer (vote interactif).
Internet offre donc un « tout interactif », accessible en tous temps et en tous lieux. L’offre de
services est complète et le site de l’émission de télé-réalité promet une transparence totale: « the
digital media age’s holy grail - cross-platform, interactive, trendsetting and lucrative - was thus
successfully achieved by this glorified game show, and rival networks and production compagnies
looked on enviously at a cross-media event capable of dominating the pop-cultural life of a nation
for a whole season » (Brenton & Cohen, 2003: 5).
Pour Mamère & Farbiaz (2001), « les producteurs ont conçu une émission à tiroirs. L’émission
« ouverte » est un produit d’appel. Si vous voulez en savoir plus, suivez-moi sur le satellite, surfez
pour me retrouver sur la Toile, achetez en magasin les produits dérivés. Cette course incessante
repose sur une promesse : se rapprocher le plus possible de la vérité » (Mamère & Farbiaz,
2001 :67). D’une manière générale, le succès de la télé-réalité est largement attribuable aux
multiples possibilités de voir, d’assister et d’observer. Au niveau de la rhétorique de l’image selon
Barthes (la manière de présenter les candidats des jeux de télévision, par exemple), il faut
remarquer une certaine façon de donner à voir, une certaine manière de mettre en représentation. Le
regard panoptique (Foucault, 1975) semble dominer du fait que l’observation incessante de l’autre
15
est impersonnelle, et que le système de surveillance est essentiel à la pérennité du jeu. Dans ce
cadre particulier, les caméras sont montrées et affichées de manière ostentatoire, « [la caméra] en
apparence, ce n’est que la solution d’un problème technique; mais à travers elle, tout un type de
société se dessine » (Foucault, 1975 : 218). Ce dispositif de surveillance prend un sens particulier en
devenant le symbole du concours, le marqueur identitaire du jeu (Froissard, 2003 :13).
Cependant, souligne Jost (2001) : « la migration de ces spectacles du quotidien vers l’Internet est
curieuse : on imagine l’internaute comme un surfeur actif, sautant d’un site à l’autre, et le voici face
à son écran, attendant indéfiniment un évènement, aussi infime soit-il, le réveil de l’un, la colère de
l’autre ou la douche d’une troisième… Force est de constater que les bavardages des sitcoms sont
plus distrayants …» (Jost, 2001 :199). Or, l’apport du support multimédia du concept, via la
diffusion par Internet, fait que le spectateur détermine et décide du moment pour regarder, il
échappe ainsi au « pouvoir » des horaires de diffusion de la télévision.
Autre aspect remarquable, le caractère sériel de la diffusion télévisée, avec la couverture de
nombreuses plages horaires hebdomadaires, apporte une continuité narrative relativement établie
d’un épisode à l’autre. En effet, le jeu fourni la trame de l’intrigue et de nombreux imprévus et
surprises permettent d’apporter des rebondissements forts en émotions. Comme l’a souligné
Geneviève Jacquinot-Delaunay (2003 :3), « c’est Internet qui a contribué à relayer l’impact
télévisuel », en permettant le suivi continu et pour ainsi dire ininterrompu des candidats. Cet aspect
met en évidence un certain caractère voyeur des spectateurs, mais aussi les attraits interactifs et
ludiques recherchés par ces mêmes consommateurs dans le concept. En ce sens, la diffusion sur
Internet renforce la continuité narrative dont nous faisions allusion plus haut.
De plus, la prolifération des sites Web autour du phénomène de la télé-réalité indique qu’Internet
joue un rôle particulier quant à l’appropriation des émissions, montrant une certaine dynamique qui
rendrait le phénomène encore plus intense. Sur les sites spécialement conçus pour la conversation
(dont le site officiel des émissions auquel l’accès est généralement payant), des forums (véritables
salons de discussions) sont organisés par thématiques afin de combler l’internaute friand de partager
son avis avec d’autres. Les sujets discutés concernent généralement les tactiques d’élimination (les
prévisions), les approches sentimentales et la routine du quotidien collectif (qui est constamment
truffé de surprises). Or, le processus d’identification spectatorielle proviendrait en grande partie de
la convergence de plusieurs genres que la télé-réalité réussit à unir. C’est ce que soulignent Mamère
16
& Farbiaz (2001) : « le point nodal de rencontre de plusieurs genres : la télévision intimiste, la
télévision compassionnelle et la télévision ludique » (Mamère & Farbiaz, 2001 :101).
De manière synthétisée, le concept du jeu télévisé de télé-réalité repose sur plusieurs idées
motrices :
• Le jeu concours s’étend sur plusieurs semaines (caractères sériel et ludique). • Les participants n’ont aucun contact avec le monde extérieur et le spectateur les observe
pendant la durée de leur isolement. • Des nominations hebdomadaires sont prévues afin de procéder aux
éliminations (participation du public), pour que le jeu évolue. • Un résumé quotidien est diffusé en prime time à la télévision. • Le contenu du jeu est accessible 24h/ 24 sur le site Internet de l’émission. • La diffusion télévisée constitue une fiction réelle et interactive puisque entre chaque écran
de publicité il est impératif de créer un contenu attractif. Ce contenu engendre une part d’audience importante lors des pauses publicitaires.
• À l’issue du jeu et donc des éliminations, le vainqueur est propulsé au rang de vedette nationale (durée relativement éphémère).
Du fait du succès de ce type d’émission, il existe un certain intérêt chez les annonceurs quant à
devenir partenaire du format : « une augmentation appréciable, et parfois spectaculaire, des cotes
d’écoute (et des revenus publicitaires) à un coût qui peut être trois fois moins élevé que celui de la
série traditionnelle »5. En effet, il a été affirmé que les programmes de télé-réalité touchent une
large part d’audience : « les programmes de télé-réalité font généralement plus d’audience sur la
cible des ménagères avec enfants que sur la cible des ménagères de moins de 50 ans. Des produits,
s’adressant à la cible conjointe parents-enfants, n’hésitent pas à investir les écrans de Real TV.
D’autant que les hésitations des marques à annoncer aux débuts de la télé-réalité ne sont plus de
mise. La cible visée reste les jeunes femmes au sens large »6.
Les sociologues que sont Alain Ehrenberg et Dominique Mehl comprennent l’engouement pour la
télé-réalité comme étant un phénomène de société, issu de la montée des valeurs individuelles, du
souci de sortir de l’anonymat ainsi que du bouleversement des espaces public et privé. Mais, en
trame de fond de ces concepts de télé-réalité semble aussi résider l’idée d’espoir et la notion de
conte de fées (culturellement transcendant dans nos sociétés, selon Bettelheim (1976)). En effet, le
public assiste à l’écran à la transformation d’un crapaud en prince, à l’évolution d’une Cendrillon
5 Gilles Des Roberts, « La fièvre de la télé-réalité », Commerce, Septembre 2003, p 25-30. 6 Rita Mazzoli et Philippe Chesnaud, «Qu’est-ce qui fait courir les enfants de la télé-réalité ? », Marketing Magazine, n°81, Octobre-Novembre 2003, p 40-45.
17
du 21ème siècle. Dans ce cadre, Wolton (2004) parle d’ « emotainment », le mythe d’une
expérience de transformation magique chapeaute le concours des émissions de télé-réalité.
1.2- Star Académie au Québec
C’est sur l’idée de conte de fées que s’appuie Desaulniers (2004) pour expliquer les raisons du
succès de Star Académie au Québec. Dans son ouvrage : Le phénomène Star Académie, le
chercheur fait allusion à « une fièvre, un enthousiasme collectif répandu à travers le Canada français
et réparti sur toutes les générations (…), un mouvement, un élan collectif qu’il faut éviter de voir
comme l’abrutissement ou l’abêtissement » (Desaulniers, 2004 : 16-17). Il est vrai qu’au Québec la
diffusion de Star Académie fut vécue comme un événement de grande envergure. Diffusé pour la
première fois en février 2003 par la chaîne de télévision TVA (groupe Quebecor), produit tel un
grand spectacle de divertissement par les Productions J, l’adaptation québécoise du concept
européen Star maker a connu un succès étourdissant.
Présentée un dimanche soir (16 février 2003) à 19h30, la première de Star Académie a été suivie par
1,7 millions de téléspectateurs7. Portée par un succès croissant, l’émission a connu plusieurs pics
d’audimat au cours de sa première saison. Avec 2,5 millions de téléspectateurs lors du troisième
gala8, ce premier record a permis d’élever la part d’audience de la chaîne à 34,3%. Suivie en
semaine (l’émission dure ½ heure) par une moyenne de 1,8 millions de téléspectateurs9, Star
Académie n’a cessé, lors de cette première saison, de dominer les ondes. Captivant les foules, elle a
d’ailleurs surpassé la diffusion télévisée des élections provinciales10. Connaissant un succès
crescendo, Star Académie a véritablement connu le triomphe lors de la dernière émission (le gala de
la finale) en touchant une audience de plus de 3 millions de téléspectateurs11.
La première édition québécoise a connu un succès certain, une réussite qui n’a cessé de suivre un
élan ascendant, au fil des dix semaines qu’a duré le jeu. En outre, le succès s’est révélé complet
puisqu’il a aussi contaminé les différents médias du groupe Quebecor. Tout d’abord, le site Web de
Star Académie, puisque selon Media Metrix près de 1,2 millions d’internautes ont visité le site Web
7 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6481 (18.02.03 « Star Académie écrase ses concurrents ») 8 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6643 (20.03.03 « Star Académie progresse encore ») 9 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6683 (27.03.03 « Star Académie captive plus que la guerre en Irak ») 10 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6790 (16.04.03 « TVA gagnante de la soirée des élections ») 11 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6796 (17.04.03 « Star Académie trois fois millionnaire »)
18
de l’émission en mars 200312, devenant ainsi le dixième site le plus visité au Canada au cours de
cette période. Ensuite, le réseau de Radio Énergie (groupe Astral Media), associé à l’émission à
titre de partenaire, a connu un gain de +14% concernant ses heures d’écoute13. Le succès de cette
télé-réalité, pour Quebecor, s’est aussi concrétisé par « les magazines du groupe, qui ont aussi
profité des retombées de Star Académie »14. La répercussion du phénomène Star Académie au
Québec a aussi touché le partenaire Rogers AT&T, qui tout au long de l’émission a mis à la
disposition du public la technologie de messagerie texte mobile (SMS) pour le vote15. « On évalue
que leur investissement publicitaire dans l’émission représente le tiers de ce qu’ils ont obtenu
comme retombées, compte tenu que les cotes d’écoute ont été beaucoup plus élevées que prévu »16.
Selon les données audio métriques de Sondages BBM, fournies par cossette Media, les femmes
représentent au Québec 57% de l’audience des galas de Star Académie diffusés le dimanche soir, et
60% de l’audience des émissions quotidiennes. De manière quasi exclusive, Star Académie séduit
les adultes (86% des téléspectateurs lors des soirées dominicales) et les femmes de 25 à 54 ans qui
représentent 27% de l’audience du gala17. Cette première saison a connu un vif succès et l’émission
de télévision a fonctionné telle une locomotive, en permettant la réussite commerciale des médias
connexes et des partenaires de Star Académie. De ce fait, sans surprise, une deuxième saison fût
annoncée en 2004.
Émission de télé-réalité à laquelle un objectif artistique fut ajouté, Star Académie est un jeu télévisé
qui consiste à observer un groupe de douze candidats, des captifs volontaires apprentis à la
starisation, dans un lieu clos, que traque une multitude de micros et caméras, 24h sur 24, pendant
dix semaines que dure le concours. Le format de l’émission s’articule autour de plusieurs éléments
constituant les activités des académiciens : l’observation de la formation artistique (en chant, danse,
expression scénique, cours de diction…), du quotidien de vie des candidats (repas, sommeil,
détente), et des répétitions (pour les éliminatoires et ensuite pour le gala).
12 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6832 (28.04.03 « Star Académie perce aussi sur Internet ») 13 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6968 (25.05.03 « les BBM de la radio pour le printemps 2003 ») 14 Gilles Des Roberts, « La fièvre de la télé-réalité », Commerce, Septembre 2003, p 25-30. 15 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6470 (17.02.03 « Rogers AT&T partenaire de Star Académie ») 16 Gilles Des Roberts, « La fièvre de la télé-réalité », Commerce, Septembre 2003, p 25-30. 17 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=6665 (25.03.03 « Qui regarde Star Académie ? »)
19
La scénarisation de l’émission repose sur le concept typique à la télé-réalité, celui du jeu
d’élimination des participants, devant aboutir à la désignation finale d’un vainqueur unique
remportant le privilège de produire un disque. Le jeu est fondé sur une procédure bien assimilée du
public. Il s’agit de nomination par le jury, puis du vote du public et de la désignation de l’éliminé,
qui a lieu lors du grand gala hebdomadaire (durant lequel les apprentis chanteurs ont l’opportunité
d’exposer leur talent auprès de l’audience télévisuelle). Ces nominations fonctionnent par sexe,
consécutivement deux filles ou deux gars sont en ballottage. Pour décider lequel sauver, le public
attache autant d’importance au talent des candidats, à leur musicalité, qu’à la sensibilité qu’ils
dégagent, notamment par les choix musicaux qu’ils doivent justifier.
Véritable réussite commerciale au Québec, l’émission a été accompagnée de vives polémiques, avec
une quantité importante de réactions, dans la presse notamment. Malgré cela, Star Académie a
connu de très fortes audiences, allant même jusqu’à enregistrer des records chez le diffuseur TVA.
L’émission québécoise est relativement sobre, chaste et décente. Outre un excès de boisson ou une
grosse crise de larmes, aucun événement ne vient généralement troubler la douce quiétude du
chalet, la Star Académie québécoise est très « politiquement correcte ». Contrairement à Big
Brother (et à Loft Story, dont l’enjeu était une maison ainsi qu’une somme d’argent), Star
Académie n’est pas un jeu qui prend une tournure stratégique : il n’existe guère de formation de
cartel, ni de conspiration en vue d’éliminer un autre candidat. Le vainqueur ne doit son succès
qu’aux votes du public.
Les candidats, tous relativement jeunes et sans vraiment d’expérience, ont été sélectionnés pour leur
talent mais aussi pour leur personnalité et leur caractère sociable. Un environnement favorable à
stimuler les capacités artistiques de chacun a été mis en place à l’intérieur du huis clos (instruments
de musique, salles de sport, salles de répétition…). En étant attachés par contrat au groupe
Quebecor, certains candidats de la première saison sont devenus des célébrités provinciales, et tous
ont généralement connu leurs instants de gloire puisque les médias se sont intéressés brièvement à
leur existence. Certains se sont néanmoins démarqués plus que d’autres, pour réussir à se faire une
place dans le milieu du show business québécois (musique, télévision, radio, cinéma), en plus de
continuer à faire épisodiquement la une des magazines de potins (du groupe Quebecor).
« C’est une drogue. Un phénomène sociologique. Une horreur. La meilleure chose qui soit arrivée à
la télévision depuis 20 ans. La pire chose. Choisissez votre camp ou votre définition, la télé-réalité
séduit, dérange, choque, décourage, bref c’est le phénomène télévisuel auquel le Québec n’échappe
20
plus »18. Pour Hugo Dumas du quotidien La Presse : « à la radio, au bureau ou dans le métro,
critiquer et décortiquer le gala de Star Académie est devenu le sport national du lundi matin »19.
Enfin, ajoute Paul Cauchon du Devoir, « Star Académie est la plus grande émission rassembleuse
du monde (je charrie à peine) que la critiquer, et que critiquer les stratégies commerciales autour,
équivaut à mépriser le bon peuple et le vrai monde »20.
Il est évident que Star Académie plait au public, les chiffres parlent d’eux-mêmes et d’ailleurs le
titre de l’émission fait partie du vocabulaire courant. L’émission elle-même a su devenir un des
sujets de conversation récurrents au Québec, le bouche à oreille créant, selon Desaulniers (2004 :8),
le « premier mouvement de fond ». Pour ce chercheur, les raisons du succès de Star Académie
reposent sur son concept qui allie « proximité avec les téléspectateurs, participation du public et
démocratisation de la culture » (Desaulniers, 2004 :24). Mais, selon l’auteur, « la star est d’abord
une idole avant d’être une artiste » (Desaulniers, 2004 :39) et les moindres détails de son
comportement sont observés, analysés puis discutés par le public.
Desaulniers (2004) traite du mythe du chanteur et du musicien populaire, capables de rassembler et
de provoquer des hystéries collectives du fait d’ « une grâce, une magie, une illumination qui
autrefois aurait été d’origine divine » (Desaulniers, 2004 :42). Or, rappelle le professeur, pour
accrocher le spectateur, le captiver et l’émouvoir il est nécessaire d’avoir des compétences puisque
le public « aime lui aussi jouer au découvreur de talent, exprimer sa surprise et son enthousiasme
mais aussi ses caprices, déceptions et rejets cinglants » (Desaulniers, 2004 : 45). C’est donc sur
leurs performances artistiques, mais aussi quant à leur façon de vivre quotidiennement, leur manière
de se comporter au sein du groupe, leur acharnement au travail, leurs goûts et leur personnalité que
les candidats sont évalués par les spectateurs. Et, à force de les observer, via l’écran de télévision ou
d’ordinateur « chaque téléspectateur pouvait tirer un fil entre lui et l’un ou l’autre des participants »
(Desaulniers, 2004 :54).
Selon Desaulniers, le succès de l’émission est plus encore attribuable à des « sensibilités collectives
très particulières sur l’image d’un soi collectif à la télévision » (Desaulniers, 2004 : 59). L’auteur
avance l’hypothèse selon laquelle Star Académie « repose sur la fable contemporaine d’un élu du
destin, bénéficiant d’un don, d’un talent caché, dont quelqu’un va repérer les aptitudes, l’amener à
18 Paul Cauchon, Le Devoir, « Médias, le triomphe de la télé-réalité », samedi 23 août 2003, p E19. 19 Hugo Dumas, la Presse arts et spectacles, mardi 9 mars 2004, p 4. 20 Paul Cauchon, Le Devoir, « Médias : Comment se sortir de Star Académie », lundi 17 octobre 2005.
21
se découvrir et le proposer au public comme nouveau messager. De ce fait, l’audience constitue une
communauté dont la mission première est de « reconnaître et désigner son meilleur intermédiaire,
celui qui va le mieux exprimer ses utopies et souder le groupe autour des mêmes valeurs ». Or, pour
apporter une résonance à la notion de transformation du héros, Star Académie s’attribue un cadre
scolaire (l’Académie), un processus d’apprentissage ainsi que un rapport d’autorité avec un corps
professoral, pour transmettre les compétences nécessaires au façonnage des futures stars. Le public
récompense les plus talentueux et méritants.
En générant l’impression d’un « chez-soi rassurant », Star Académie est parvenue à atteindre une
symbolique d’émission rassembleuse et populaire (ce que nous confirment les taux d’audience).
Selon Desaulniers (2004), le concours télévisé « reproduit symboliquement des liens sociaux, les
évoque, les met en évidence (…) c’est à cette célébration d’un vaste rassemblement communautaire
que Star Académie a convié les téléspectateurs en leur montrant bien que chacun avait une petite
place dans cette histoire » (Desaulniers, 2004 :91-92).
Mais, d’après cet auteur, le phénomène de Star Académie au Québec va encore plus loin dans son
explication : « au-delà du concours, de l’école, du mouvement de popularité, du jeu de la vérité, une
cinquième dimension apparaît dans l’émission : le retour du miracle et des archétypes »
(Desaulniers, 2004 :128). Car, explique-t-il, le public a plus jugé les candidats sur des symboles
mythiques qu’ils ranimaient (par exemple la voix de Marie-Élaine rappelle celle d’Édith Piaf) que
sur des éléments nouveaux qu’ils pouvaient apporter. Or, plus encore que le miracle de la
réincarnation, comme nous l’avancions plus haut, c’est celui du conte de fées qui a semblé
transporter le Québec. En effet, pour Desaulniers (2004), deux archétypes se sont manifestés lors de
la première saison de Star Académie. Ceux-ci ont émergé en la personne des deux finalistes : « la
jeune femme timide, renfermée, mais qui soudain s’illumine dans la salle de bal; le jeune homme
simple, franc, naturel, qui n’a pas été maculé par la vie moderne. Cendrillon et le Bon sauvage »
(Desaulniers, 2004 :134). Le chercheur précise que, suite à la grande finale du concours, et donc au
couronnement dont tout le Québec a été témoin, c’est « toute la population [qui] s’est réjouie de ce
prodige et de l’aboutissement heureux de cette merveilleuse histoire (…) [du fait que] des milliers
de gens ont voté pour que le conte devienne réalité » (Desaulniers, 2004 :135-136).
Desaulniers (2004) propose donc, pour comprendre le succès de Star Académie au Québec,
d’envisager un téléspectateur en quête d’utopie et d’imaginaire dans un quotidien réel, un
téléspectateur qui croit en la magie de la découverte du héros qui se métamorphose sous ses yeux, à
22
l’écran. L’auteur conclut d’ailleurs que l’émission Star Académie revêt une structure
anthropologique cachée bien plus intéressante que l’ensemble des critiques acerbes qui entoure le
concept de télé-réalité car, ajoute-t-il, « Star Académie nous donnait l’impression de faire partie de
la game et de la gang » (Desaulniers, 2004 :150). Fort de ce constat, le professeur de
communication rappelle néanmoins que la télévision n’est pas une matière figée et donc que ses
conclusions et observations du phénomène Star Académie ne valent que pour la première diffusion
québécoise sur laquelle il s’est penché, une autre mouture de l’émission pourrait faire émerger des
significations différentes.
Au fil du temps, l’émission Star Académie (la première télé-réalité québécoise) a vu son image se
modifier. Testée une première fois, un certain capital sympathie la concernant s’est instauré, puis
installé, alors que débutait la deuxième saison. Largement médiatisée (outils de convergence du
groupe Quebecor), la deuxième édition a été précédée de la diffusion des auditions de recrutement
(6700 auditions). Le casting fût offert en primeur sur Internet aux clients de Videotron21, et à la
télévision, les lundi et mardi soirs à 19h30 (une ½ heure). Les auditions ont charmé une moyenne de
850 000 téléspectateurs, connaissant parfois des pics d’un million de personnes, dont 64% de
femmes22. Le premier épisode de la deuxième saison fût diffusé le dimanche 15 février 2004 à
19h30 (90 minutes), il a rencontré un auditoire constitué de 2 874 900 personnes23. Reprenant le
concept de la première saison, l’émission quotidienne fût animée par Pascale Wilhelmy (pré
enregistrement) alors que le gala hebdomadaire du dimanche (à 20h, pour une durée moyenne de
2h) était animé en direct par Julie Snyder (aussi productrice de l’émission).
Pour cette deuxième saison, malgré l’offensive médiatique du lancement, l’émission Star Académie
a reçu moins d’attention de la part des médias que la première année. Cela n’a toutefois pas
empêché les journaux de suivre, à bonne distance, l’évolution de l’émission, particulièrement le
journal de Montréal qui a consacré quotidiennement deux pages à l’évènement. Le lancement s’est
déroulé sans polémique, ni scandale, sans surprise non plus, comme si la population était devenue
habituée et fidèle à l’émission. La gigantesque campagne promotionnelle qui a ébruité le lancement
de ce deuxième opus de Star Académie provenait plutôt des commanditaires de l’émission : Toyota
21 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=7423 (05.09.03 « Star Académie 2 en primeur grâce à Videotron ») 22 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=7575 (03.10.03 « Les Québécoises craque pour la télé-réalité ») 23 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8232 (17.02.04 « Les commandites de Star Académie démarrent »)
23
(qui avait accompagné la diffusion des auditions), mais aussi quatre grandes marques de Procter &
Gamble ciblant les femmes en particulier : Pantene, Olay, Crest Whitestrip et Nice & Easy (Clairol)
(voir illustration en annexe 1). Ces marques ont formé un partenariat particulier, sous la forme
d’une intégration multicanaux, affichant notamment une forte présence sur le site Internet.
Lors de cette deuxième saison, la convergence initiée en 2003 fût prononcée. Par exemple le réseau
radiophonique Énergie (Astral Media) avait renforcé sa couverture de l’événement, par le biais de
reportages exclusifs et quotidiens et de retransmissions en direct24. Autre illustration de ce renfort
des commanditaires, Rogers AT&T, en plus de permettre à ses abonnés de voter par SMS (short
message service), avait mis à leur disposition un complément interactif de messagerie texte
permettant d’envoyer des demandes spéciales ou encore des mots d’encouragement aux candidats25.
Enfin, ultime pivot de la convergence médiatique autour de l’émission, le site Web de Star
Académie, par le biais du câblodiffuseur Videotron, diffusait sur Internet l’intégralité des prises
caméras 24h/24. Ce site Web : http://www.staracademie.ca/, conçu dans un but commercial, est
venu soutenir et accompagner le produit diffusé à la télévision (suivant les spécificités normées
d’Endemol, à laquelle Star Académie est rattachée). Le caractère « libre » d’Internet a beaucoup
plu, notamment quant à la possibilité de choisir l’angle de vue pour suivre et observer en direct les
candidats. Le spectateur devenait ainsi metteur en scène. Enfin, pour participer, plusieurs services
parallèles permettent le vote du public : Internet, le téléphone, les SMS…
Réussissant le lancement de la deuxième saison, Star Académie a connu par la suite une audience
extraordinaire avec des pics d’audiences de plus de deux millions de téléspectateurs en semaine26,
et près de trois millions lors des galas du dimanche soir27, valant ainsi à TVA 33.2% de part
d’audience28. Star Académie s’est donc révélée une fois encore la locomotive de TVA. En effet,
selon une étude exclusive de Cossette, les quatre premiers galas dominicaux ont été vus par une
moyenne de 2,7 millions de personnes (moyenne de 1,9 millions pour la saison précédente),
représentant une progression de 42%29. Une part du succès a encore été attribuable au public
24 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8220 (13.02.04 « Énergie mise sur Star Académie ») 25 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8235 (18.02.04 « Le lien Rogers AT&T avec Star Académie ») 26 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8241 (19.02.04 « la télé-réalité est payante pour TVA ») 27 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8249 (20.02.04 « TVA en position dominante ») 28 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8296 (27.02.04 « Quinze émissions millionnaires ») 29 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8564 (14.04.04 « Star Académie surclasse les Canadiens de Montréal »)
24
féminin, qui par exemple lors de l’émission spéciale (de type best of) « l’aventure Star Académie »
représentait 65% d’une audience de 1,5 millions de personnes30.
Succès commercial, sans aucun doute, Star Académie s’est révélée être une vache à lait pour
Endemol et une mine d’or pour Quebecor31. Il est notable, cependant, de spécifier que ce succès est
en large partie imputable à Internet. En effet, en plus d’offrir un service payant (droits d’accès) en
échange de séquences de vidéo et d’une plateforme de discussion, le site servait aussi à la
promotion, directe et indirecte, des produits dérivés relatifs à l’émission (objets, magazine, DVD…
tentant de faire de Star Académie une marque à part entière). De plus, il faut ajouter qu’une seconde
part du succès est à accorder au service de câblodistribution (service payant) qui, contre un
abonnement mensuel, offrait le visionnement illimité des activités en direct (la vie à l’Académie),
via les Webcams. Dans ce dernier cas, on parle d’un succès massif, mais aucun chiffre public n’a
été révélé.
Est-ce à conclure, suivant ce qui vient d’être mentionné, que le voyeurisme constituerait la raison
dominante du double succès de la télévision et du site Internet pour une émission de télé-réalité ? Si,
certes, on pouvait parler de curiosité lors de la première saison de Star Académie, le motif principal
justifiant le succès de la deuxième saison pourrait provenir d’ailleurs. À ce titre, l’hypothèse du
conte de fées de Desaulniers (2004) est-elle vérifiable pour la deuxième saison de Star Académie ?
Serait-elle valide pour expliquer l’engouement des internautes sur le site Web de l’émission ? Le
succès de Star Académie au Québec n’incomberait-il pas à une possible perspective expérientielle
contenue dans le concept ? Le cheminement de notre réflexion nous invite, à présent, à envisager le
thème de la perspective expérientielle de la consommation.
30 http://www.infopresse.com/article.aspx?id=8800 (21.05.04 « Bouquet final pour Star Académie ») 31 Pour la troisième version de Star Académie, en 2005, on parle d’une hausse de 10 % des revenus publicitaires de TVA directement imputable à la popularité de l’émission. http://www.infopresse.com/article.aspx?id=16521 (24-02-06 : « Nos étés… cet automne »)
25
1.3- De la perspective expérientielle
Ayant précédemment traité du caractère sériel de la télé-réalité, nous imaginons facilement combien
l’implication des spectateurs (en termes de temps) est importante. Selon Yonnet (1999), la
télévision est le premier loisir contemporain, elle a su s’imposer au public par le biais des grilles
horaires de diffusion. Nous comprenons donc que la part de liberté qu’apporte le support du site
Web de l’émission (disponible en différents lieux et en tous temps) puisse être appréciée des
consommateurs. Yonnet (1999) ajoute que l’équipement télévisuel est une « culture du quotidien,
un mode d’être ensemble, d’occupation des lieux, de relations collectives et familiales », attribuant
au média de télévision la possibilité d’accéder à une (ou plusieurs) forme de socialité. Cela rejoint
en partie l’idée d’Holbrook & Hirschman (1982) suivant laquelle la manière dont les individus
organisent et vivent leurs temps de loisir est un facteur indicatif de la culture. Cela l’est d’autant
plus que la télévision est un objet inscrit dans la routine du quotidien, et qu’Internet tend de plus en
plus à intégrer une place importante dans l’univers domestique et familial. Dans cette perspective
nous pouvons supposer qu’une émission de télé-réalité est encore plus significative quand elle
impose des rendez-vous quotidiens, sur plusieurs semaines. Notons, cependant, qu’il en est de
même avec Internet qui, comme outil d’observation, impose un certain rythme suivant le vécu
quotidien des candidats du jeu.
Pour Pine & Gilmore (1999), la consommation d’un produit ou d’un service peut concourir à une
expérience mémorable et plaisante pour le consommateur qui évolue, le temps de sa consommation,
au sein d’un univers expérientiel. En effet, dépassant l’acte d’achat, ou encore de consommation,
l’individu voit s’épanouir chez lui diverses émotions. Hetzel (2002b) parle d’un « paradigme
expérientiel », relativement aux multiples recherches et réflexions scientifiques autour de la
thématique hédoniste de la consommation. De nombreux éléments du marketing sont étudiés en vue
de procurer des expériences plaisantes; en travaillant notamment au développement créatif
d’univers expérientiels (Andrieu & al., 2003; Ochs, 2004; Sherry, 1998). Cependant, comment le
consommateur s’approprie-t-il l’expérience mise à sa disposition ? Comment la personnalise-t-il,
par le biais de quelles pratiques, suivant quelles significations et en optant pour quelles manières de
faire ?
26
Si de Certeau (1990), phénoménologue, s’est penché sur le rôle de l’individu concernant la question
de l’appropriation de l’expérience, des chercheurs en marketing se sont aussi intéressés à ce sujet,
notamment Bonnin (2002), Caru & Cova (2003), Cova & Cova (2001), Ladwein (2002), Ochs
(2004), Sherry & al. (2001). Pour ce travail de recherche, nous avons choisi d’emprunter la vision
de Kopytoff (1986) qui considère l’expérience de consommation comme un processus. Dans cette
optique, il s’agit de comprendre l’expérience de consommation, à travers son itinéraire expérientiel.
C'est-à-dire initié au sein d’un environnement commercial, en étant l’objet d’une appropriation par
le consommateur et/ou par une communauté des consommateurs, c'est-à-dire encourageant son
cheminement expérientiel.
1.3.1- Le paradigme expérientiel
Pine & Gilmore (1999) ont constaté que l’expérience (et son pendant économique) constitue un
quatrième type d’offre économique (extension du domaine de l’économie marchande), suivant les
matières premières, les biens industriels et les services, relativement à la constitution de valeur
ajoutée. Les auteurs parlent d’une « économie expérientielle » et décrivent l’expérience comme:
« When he (the consumer) buys an experience, he pays to spend time enjoying a series of
memorable events that a company stages, as in a theatrical play, to engage him in a personal way »
(Pine & Gilmore, 1999: 2). Or, la création de l’expérientiel est avant tout une manière de faire appel
aux émotions et à l’irrationalité du consommateur, en lui offrant de dépasser une vision rationnelle
du produit ou service, et en lui permettant d’accéder à une expérience originale, plaisante et
inoubliable (Hetzel, 2002).
Pine & Gilmore (1999) sont d’avis que développer un marketing de type expérientiel convient dans
le cas d’une stratégie de différenciation, puisque la mise en scène expérientielle permet de créer de
la valeur ajoutée, ainsi qu’une distinction concurrentielle du produit. Pour le consommateur, une
expérience plaisante correspond revient à dépasser la fonction première de l’acte d’achat ou de
consommation (Pine & Gilmore, 1999). La proposition de « ré-enchantement du quotidien » (Firat
& Venkatesh, 1995; Hetzel, 2002; Ritzer, 1999), par le biais d’une création d’univers de
consommation, permet d’atteindre cette perspective. Il s’agit pour cela de mettre à la disposition du
consommateur des espaces à caractères nouveaux, ludiques, favorisant le rêve et l’imaginaire et
l’invitant à surpasser son univers quotidien, des cadres émancipateurs qu’un site Internet ou un
concept de divertissement peuvent incarner.
27
Selon Pine & Gilmore (1999), l’entreprise se doit de soutenir son offre expérientielle afin de la
rendre à la fois attrayante et convaincante. La thématisation et la théâtralisation des lieux de
consommation concrétisent l’offre expérientielle par le biais d’univers de consommation
relativement éloigné du quotidien du consommateur (Andrieu & al., 2003; Bonnin, 2002; Ochs,
2004). C’est donc en faisant appel aux perceptions et émotions que l’entreprise sollicite l’individu.
Sherry & al. (2001) parlent d’une « mise en scène expérientielle » (Sherry & al. 2001). Pour Ritzer
(1999), les univers de consommation à tendance expérientielle sont de véritables « cathédrales » qui
mettent en scène des spectacles extravagants et des environnements fantastiques, atteignant parfois
la frontière séparant le profane du sacré. Ce point de vue est d’ailleurs partagé par Andrieu & al.
(2003) concernant le West Edmonton Mall. Sans toutefois chercher autant de décalage avec le
quotidien de l’individu, plusieurs entreprises, par le biais de mises en scènes plus modestes, font
montre d’environnements expérientiels relativement chaleureux, conviviaux et plaisants. Ces
espaces projettent le consommateur dans un univers douillet, véhiculant à cet effet des valeurs et
des significations sensiblement proches de celles auxquelles il se réfère, c'est-à-dire en attachant à la
marque, ou encore à la bannière, des références propres aux croyances culturelles (Gottdiener,
1998; Ochs, 2004; Sherry, 1998).
C’est à Holbrook & Hirschman (1982), dont le travail fut précurseur, que nous devons l’initiation
du courant de recherche portant sur l’étude de la consommation expérientielle. S’éloignant du
courant de pensée cognitiviste, ces chercheurs ont présenté l’importance de l’aspect hédoniste dans
l’acte de consommation, à travers les émotions, le plaisir et les humeurs que le consommateur
rencontre. Dépassant la vision d’un consommateur « homo economicus » rationnel, cherchant à
maximiser l’utilité de sa consommation, Holbrook & Hirschman (1982) ont ajouté la dimension
irrationnelle au processus de consommation, pour ainsi amorcer l’étude de l’expérience de
consommation. Pour ces auteurs, la notions d’expérience peut être définie ainsi : « a primarily
subjective state of consciousness with a variety of symbolic meanings, hedonic responses, and
aesthetic criteria » (Holbrook & Hirschman, 1982 : 305). Dans la lignée de ce travail novateur,
d’autres auteurs en marketing ont ajouté leur pierre à l’édifice, en traitant de l’aspect expérientiel de
la consommation : Arnould & Price (1993, 1999), Celsi & al. (1993), Sherry (1998). Ces chercheurs
ont notamment examiné des consommations de loisir en se penchant sur le thème de la poursuite
« d’expériences extraordinaires », des activités extrêmes et risquées (Arnould & Price, 1993; Celsi
& al., 1993), ainsi que les spectacles sportifs (Holt, 1995).
28
Dans les travaux d’Holbrook & Hirschman (1982), trois composantes sont inhérentes à l’expérience
de consommation : les composantes hédoniste, esthétique et symbolique. Associé aux activités de
loisirs, au divertissement et à la dimension artistique (spectacles vivants, visites de musées,
concerts), l’hédonisme fait appel au plaisir, à la fantaisie, à l’excitation et à l’amusement ressentis
par le consommateur. En ce sens, les travaux sur la consommation de sports extrêmes tels que le
rafting et le parachutisme (Arnould & Price, 1993, 1999; Celsi & al., 1993), mais aussi le travail de
Holt (1995) à propos du baseball, ont mis plus en avant le caractère hédoniste propre à la
consommation sportive. Cependant, le caractère expérientiel ne se limite pas à ces domaines. En
effet, l’expérience de consommation, avec sa particularité hédoniste, est aussi présente sur les lieux
de vente et de consommation où se rapprochent loisir et expérience de consommation (Andrieu &
al., 2003; Sherry, 1998, Ochs, 2004). La dimension utilitaire de la consommation est donc dépassée,
au profit d’une dimension plus orientée vers le plaisir et la satisfaction (Holbrook & Hirschman,
1982).
Produit de divertissement, l’émission de télé-réalité appartient à un cadre conceptuel éloigné de ce
que l’on connaît classiquement d’une émission de télévision. En effet, cette forme de distraction
répond plutôt à des besoins émotionnels et hédonistes qu’à une maximisation de la fonction
utilitaire du produit. Or, l’étude marketing d’une émission de télé-réalité pourrait possiblement faire
émerger le modèle de recherche d’expérience d’Holbrook & Hirschman (1982). À ce titre, il serait
un cadre convenant à notre réflexion.
La perspective expérientielle selon Holbrook & Hirschman (1982) retient l’importance des
processus primaires liés à la quête de plaisir, d’amusement, de stimulations sensorielles et
d’excitation. Elle inclut aussi la dimension symbolique envers soi-même, avec par exemple la
recherche de plaisir et d’émotion, et envers autrui (perspective relationnelle). De plus, les
associations, émotions, voire même les rêves éveillés, produits lors (et suite à) de la consommation
appartiennent à l’apprentissage du consommateur. L’affectif est aussi très important dans ce modèle
puisque l’expérience génère un grand nombre de réactions telles que l’ennui, le désir, le ravissement
et l’anxiété.
Le modèle expérientiel repose sur l’idée d’une expérience vécue, stimulée à travers divers aspects
hédonistes et émotionnels. La recherche d’expérience comprend une quête de sensations et de
nouveauté liée à l’implication du répondant à divers degrés selon un renforcement du concept de
soi, le produit en lui même (affectif) et un cadre situationnel (contexte social de consommation).
29
Dans ce modèle, le comportement est expliqué par des variables déterminantes quant à l’objet (les
caractéristiques du produit déterminent le comportement) permettant ou non d’atteindre la
satisfaction recherchée. Ainsi, si l’activité de contemplation de l’écran (qu’il s’agisse de la
télévision ou de l’ordinateur) semble monopoliser l’esprit, en captant le regard et l’attention, nous
retenons qu’elle permet aussi l’émergence de sentiments et d’émotions chez le spectateur.
En ce sens, nous pouvons nous opposer à la logique aliénante d’un spectateur passif. Notre point de
vue rejoint d’ailleurs les propos de Tisseron (2002) pour qui les images diffusées à l’écran auraient
une fonction thérapeutique. En effet, les images permettraient à l’individu d’éprouver et de
nommer, de façon très claire, « la peur, la rage ou le dégoût que nous éprouvons confusément dans
nos vies» (Tisseron, 2002 : 27). La télévision offrirait ainsi une reconstruction de l’image de soi et
engendrerait un ensemble de sensibilités collectives. Le produit est consommé pour ce qu’il est,
cependant la possibilité d’une valeur extrinsèque n’est pas à exclure, dans le cadre d’un produit de
divertissement, puisqu’elle peut se révéler au travers d’un souhait d’appartenance à un groupe, une
communauté par exemple.
Il est facile d’admettre que l’aspect émotionnel est très prégnant dans la caractérisation de l’aspect
hédoniste de l’expérience de consommation : « by emotion, we mean a mental state of readiness
that arises from cognitive appraisals of events or thoughts » (Bagozzi & al., 1999). Il faut cependant
souligner que, pour qu’il s’engage (ou décide de le faire) dans l’expérience, le consommateur doit
être en éveil. Parallèlement, l’offre expérientielle doit être suffisamment explicite et complète pour
encourager l’individu à participer.
La consonance symbolique, dans l’expérience de consommation, concerne les diverses
significations que le consommateur attribue aux produits, lieux et à l’activité de consommation dans
son ensemble (Belk, 1984; Holbrook & Hirschman, 1982; Otnes, 1998; Sherry, 1998). Véhiculant
des significations culturelles particulières à une marque, un produit et à un service, diffusant des
valeurs utopiques et ludiques, transmettant des références à la culture populaire par le biais des
symboles et images, nous comprenons que la dimension symbolique est une composante intrinsèque
de l’expérience de consommation (Holbrook & Hirschman, 1982).
Selon Holbrook & Hirschman (1982), un autre critère est essentiel à la perspective expérientielle :
la dimension esthétique. Celle-ci est généralement perçue et appréciée par le biais de la
consommation. Issu de l’emballage ou encore du design et de la présentation d’un lieu, la notion
30
d’esthétique répond à un ressenti plaisant qui entraîne un état de satisfaction. D’après Hetzel (2002),
l’esthétique correspond au fait de différencier une offre suivant le caractère « beau »; en faisant
appel de manière prépondérante au caractère irrationnel, en allant au-delà de l’aspect fonctionnel et
utilitaire de l’objet considéré. Dans cet ordre d’idée, Hetzel (2002) parle d’ « esthétisation » du
quotidien » par le biais des émotions, ce qui renvoie en partie à la dimension hédoniste
Les trois composantes de la consommation expérientielle consacrent la quête d’expérience en tant
que telle, en supplantant le caractère rationnel (composante instrumentale), suivant des motivations
sociales ou personnelles. Ces dimensions mettent particulièrement l’emphase sur la notion de
plaisir. Filser (2002 : 21) propose la schématisation de la notion d’habillage expérientiel, suivant les
caractéristiques précédemment citées. Il précise alors les trois éléments composant le contenu
expérientiel d’un produit de consommation : le décor, l’intrigue et les actions.
Comme le démontrent plusieurs travaux récents (Ladwein, 2002; Kozinets & al., 2004; Miller,
1998; Ochs, 2004; Otnes, 1998; Sherry, 1998), le processus participatif de création d’expérience par
le consommateur est central à la perspective interprétative. En effet, Holbrook & Hirschman
(1982 :95) soutiennent que les émotions jouent un rôle capital dans la sélection des produits,
d’autant plus que parfois, c’est le consommateur qui est clairement demandeur de réactions
émotionnelle alors qu’il dirige ses choix de consommation. Aussi, si la roue expérientielle de l’offre
travaille sur cinq facettes : surprendre => proposer de l’extraordinaire => stimuler les cinq sens =>
créer du lien => utiliser la marque au service de l’expérientiel (Holbrook, 1999), et que le souhait de
consommer un produit expérientiel existe, il ne reste plus au consommateur qu’à procéder à
l’acquisition de l’expérience.
L’expérience vécue peut engendrer une sorte de ré-enchantement (Firat & Venkatesh, 1995) lié à
l’aspect expérientiel de la consommation. Dans ce contexte, l’habillage expérientiel permet de
renforcer la notion d’expérience, notamment par le biais de théâtralisation, c'est-à-dire une mise en
scène qui entraîne un surplus de valeur. Cette valeur est toutefois tributaire de l’interprétation du
consommateur. L’approche expérientielle par le biais d’une mise en scène, au sein du contexte
d’utilisation, nous permet de parler d’ingrédients expérientiels (Benavent & Evrard, 2002 : 8).
De plus, la relation dynamique entre l’objet et le sujet entraîne la production d’un flux expérientiel :
“the emotions and fantasy images experienced by the consumer are in continuous flux throughout
this usage period” (Hirschman & Holbrook, 1982 : 97). Un flux que Csikszentmihalyi (1997) définit
31
comme un état de contentement et de bonheur. L’expérience de flux (flow experience) est
caractérisée par l’auteur comme étant « un moment exceptionnel pendant lequel ce que nous
sentons, ce que nous souhaitons et ce que nous pensons sont en totale harmonie »
(Csikszentmihalyi, 1997 :29). Vécue tel un phénomène extraordinaire, l’expérience de
consommation peut véritablement engendrer un état de transcendance (Arnould & Price, 1993). Il
s’agit dans ce cas d’une expérience supposément plus forte qu’une simple recherche de plaisir et
d’esthétique, qui peut engendrer chez le consommateur l’expérience d’un autre moi. Une expérience
permettant donc à l’individu d’explorer ses sois multiples. Par exemple, dans l’article « River
Magic » l’expérience de consommation d’une descente en rafting permet aux consommateurs
d’atteindre transcendance, extase et dépassement de soi. Les auteurs dans cet article parlent d’un
rite de passage, d’un pèlerinage, ainsi que d’un « positive emotional spectrum » (Arnould & Price,
1993). Dans le cas de l’expérience d’un saut en parachute, Celsi & al. (1993) font part d’une
expérience transformationnelle permettant la construction et le renouvellement identitaire.
Ainsi, le pouvoir de l’expérience de consommation est tel qu’il permet le vécu d’un autre moi, par
l’immersion totale dans un univers différent (réel ou imaginaire), afin d’explorer une autre manière
d’être. Or, l’expérience d’un autre moi remplit trois fonctions distinctes chez les individus : « une
fonction hédonique qui correspond à la recherche d’émotions et de sensations; une fonction de
connaissance, qui leur permet d’améliorer leur compréhension d’eux-mêmes, des autres et du
monde qui les entoure; et une fonction sociale, qui participe à la définition de leur place dans la
société » (Dampérat & Gotteland, 2002 :27). Enfin, il reste à souligner que l’expérience marquante
est généralement conservée, par le biais d’une trace en mémoire (les rêves éveillés par exemple),
d’un souvenir physique (un objet) ou encore d’anecdotes et de récits.
Du fait des nombreux bénéfices de l’expérience de consommation, nous constatons que ce concept
répond à ce dont traite Maffesoli (1988), relativement à l’idée d’une dynamique sociale
postmoderne constituée d’une multiplicité d’expériences. Dans plusieurs travaux (Arnould & Price,
1993; Celsi & al., 1993), la notion de communitas fait partie des éléments engendrant une part de la
satisfaction de l’expérience de consommation. En effet, si l’expérience de consommation émane
d’une création individuelle de significations, elle provient aussi des interactions collectives qui
facilitent la production expérientielle. La perception et l’appréciation d’un individu, quant à
l’expérience de consommation qu’il a vécue, s’établissent à partir des interactions avec d’autres
personnes qui vivent l’expérience en même temps que lui. La fonction sociale de l’expérience d’un
autre moi provient ainsi en partie d’une orientation de l’individu vers l’autre : « les connaissances
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issues de l’expérience permettent à l’individu de se positionner par rapport aux autres, c'est-à-dire
de se définir une place au sein du groupe.(…) Faire l’expérience d’un autre soi peut également
révéler certains aspects de sa personnalité utiles en société(…) la fonction sociale répond donc à des
motivations de type extrinsèque orientées vers les autres » (Dampérat & Gotteland, 2002 :27-28).
Or, pour connaître l’expérience d’un autre soi, un processus d’appropriation expérientielle doit être
entrepris.
1.3.2- L’appropriation de l’expérience
Pour de Certeau (1990), ce sont les « manières de faire » qui marquent le concept d’appropriation
de chaque individu. En effet, selon l’auteur, l’individu s’approprie et se réapproprie, chaque jour,
les expériences qu’il vit, par des manières de faire visant à restituer les éléments du quotidien. « À
une production rationalisée, expansionniste autant que centralisée, bruyante et spectaculaire,
correspond une autre production, qualifiée de « consommation » : celle-ci est rusée, elle est
dispersée, mais elle s’insinue partout, silencieuse et quasi invisible, puisqu’elle ne se signale pas
avec des produits propres mais en manières d’employer les produits imposés par un ordre
économique dominant » (de Certeau, 1990 : xxxvii). L’appropriation se concrétise par un processus
de personnalisation de l’expérience que les rituels et routines intègrent et favorisent. Plusieurs
caractéristiques propres à l’expérience de consommation : sa singularité, son caractère mémorable,
son caractère authentique, permettent le phénomène d’appropriation. Dans cet ordre d’idée nous
avons affaire à un individu acteur de l’expérience de consommation, il s’agit d’une expérience à
caractère « ouvert » (Marion, 2003).
Plusieurs auteurs relatent comment l’appropriation se manifeste, sous la forme de transformations
(ajouts de décoration, réalisation de menus travaux), permettant la personnalisation d’un
environnement au préalable étranger. Dans ce cas, les objets jouent un rôle crucial qui favorise le
processus d’appropriation. Or, pour Miller (1996), les biens intégrés lors de l’appropriation
expérientielle d’un environnement (l’auteur prend l’exemple d’une cuisine de HLM en Angleterre)
servent à l’identité culturelle de l’individu. Ces remarques considèrent la sphère privée, et encore
peu le domaine commercial (Ladwein, 2002). Nous pouvons donc nous interroger sur ce processus
d’appropriation; par exemple dans la sphère virtuelle, que devient la dynamique d’appropriation du
lieu, comment le consommateur entre-t-il en action (Miller & Slater, 2000) ?
33
Pour Cova & Cova (2001), c’est la possibilité offerte au consommateur quant à apporter sa touche
personnelle, qui permet à l’individu de se révéler (à lui-même et aux autres). Le processus
d’appropriation lui permet donc de concrétiser un certain contrôle sur l’expérience. L’appropriation
provient de la part de liberté que l’entreprise offre au consommateur pour se manifester et participer
à l’expérience. C'est-à-dire qu’il convient de considérer le consommateur comme un acteur, non
plus comme le spectateur d’une mise en scène (Cova & Cova 2001). Dès lors, nous nous accordons
à réaliser que le consommateur ne suit plus un processus type ni standard, mais qu’il crée son
propre cheminement, à partir d’une « plate-forme » mise à sa disposition, selon Cova & Cova
(2001). À ce stade, le phénomène de decommodification dont parle Kopytoff (1986) est capital.
Plusieurs auteurs s’entendent sur le rôle joué par l’individu au sein même de la construction
expérientielle, mais qu’en est-il des significations attribuées à ces expériences ? Suivant de Certeau,
nous pouvons penser que le phénomène expérientiel se manifeste dans les faits par l’attribution de
certaines significations symboliques, que traduit l’appropriation de l’expérience. L’individu façonne
ainsi son expérience, en utilisant à sa guise les différents éléments dont il dispose (objets, images,
messages…). Nous pouvons supposer qu’il bâtit son expérience de consommation suivant des
significations et des valeurs qu’il privilégie, en intégrant au processus d’appropriation ses
symboliques et interprétations. Cela ressemble à des pratiques de bricolage identitaire (Lévi-
Strauss, 1962).
C’est donc cette optique que nous retiendrons, en comprenant que le phénomène d’appropriation
peut aller au-delà de l’environnement, du fait de l’usage de l’objet. Celui-ci dépasse la sphère
commerciale pour faire partie intégrante de la sphère privée. Néanmoins, nous devons ajouter que le
caractère transitionnel (liminal) de l’expérience permet au consommateur d’intégrer des espaces
épanouissants, ces espaces peuvent être physiques ou virtuels. « They seek temporary respite in
liminoïd spaces offering magic, communion, spiritual enrichment, and the sublime aura of the
authenticity.(…) Pomo (postmodern) consumers desire to be seduced and captivated by the market
for only they can experience its magical reproductions of authentic traditions.” (Thompson, 2000 :
129).
34
1.3.3- Itinéraire de l’appropriation expérientielle
Pour plusieurs auteurs dont Grant McCracken (1986), le processus d’appropriation se prolonge au-
delà du lieu d’achat, par le fait de l’acquisition, de l’utilisation et de la consommation du produit ou
service dans la sphère privée. Ce transfert d’un domaine public à un domaine domestique
s’accompagne de significations particulières à l’égard de l’objet, pouvant ainsi servir de marqueur
identitaire ou encore de médiateur dans les relations sociales (Warnier & al., 1996). Ce déplacement
engendre une production de significations nouvelles, propres à l’individu et à son vécu (Miller,
1996, 2001; Sherry, 1990). Pour Kopytoff (1986), c’est principalement l’histoire de l’objet qui
confère à l’acte d’appropriation tout son sens. L’histoire se révèle par l’itinéraire que connaît l’objet
depuis son origine. Ainsi, suivant son évolution, l’objet acquiert des symboles différents du fait des
utilisations qu’il connaît (Kopytoff, 1986).
Cet auteur distingue deux systèmes de valeurs relatif à l’objet : celui du marché dans lequel les
objets sont échangés, et celui de la sphère personnelle. Dans la sphère marchande la valeur de
l’objet est pour le moins homogène, alors que dans la seconde l’objet acquiert une certaine
singularité du fait de son propriétaire. Ce constat se révèle clairement dans les travaux de recherche
portant sur les collections, quand la signification d’un objet collectionné (Belk, 1995). D’un objet
produit en série et acheté dans le commerce, le collectionneur parvient à attribuer un statut
singulier, voire même une signification (sacrée) à un objet collectionné (Belk, 1995; Belk & al.,
1989; Ezan, 2003).
1.3.4- Le processus d’appropriation de l’expérience de consommation
Le cadre conceptuel de la notion d’appropriation expérientielle met en évidence les « opérations
subjectives menées par le consommateur pour accéder à l’immersion » (Caru & Cova, 2003). C’est
cette immersion totale (à la fois physique et mentale), au sein de l’environnement ou de l’activité
constituée par l’expérience, qui contribue à la réalisation de l’expérience inoubliable (Pine &
Gilmore, 1999) ou de l’expérience extraordinaire (Arnould & Price, 1993). Or, cette immersion
demande une participation active de l’individu. L’immersion est facilitée par le processus
d’appropriation expérientielle, puisque dans ce cas la distance entre le consommateur et la situation
est amenuisée, voir annulée, les deux ne font qu’un. Quant à connaître les éléments, les facteurs et
35
les opérations permettant l’acquisition de compétences pour réaliser l’immersion expérientielle, les
travaux en psychologie environnementale nous apportent plusieurs pistes. Ainsi sait-on que
l’appropriation, individuelle ou collective, se manifeste comme l’exercice d’une autorité, d’un
contrôle, d’un pouvoir (physique et/ou psychologique) sur un environnement (Caru & Cova, 2003).
Il s’agirait donc d’un acte interventionniste visant à transformer et personnaliser un espace,
traduisant ainsi une relation de possession et d’attachement. En effet, l’appropriation correspond à
une recherche et une identification de points d’amarrage. Pour Caru & Cova (2003), le concept
d’immersion tel qu’utilisé en marketing peut être défini comme suit : « c’est un moment fort vécu
par le consommateur et résultant d’un processus partiel ou complet d’appropriation de sa part.
L’expérience de consommation est constituée d’une succession de ces moments forts entrecoupés
de moments vécus beaucoup moins intensément. Ce n’est donc pas toujours un plongeon unique,
instantané et total du consommateur » (Caru & Cova, 2003 : 60-61). Pour considérer l’expérience
de consommation ainsi que le processus d’appropriation que nous avons décrit précédemment, une
approche phénoménologique cohérente avec la vision de de Certeau doit être précisée.
1.3.5- L’approche phénoménologique de la consommation
La discipline phénoménologique nous conduit à considérer, par le biais de l’étude des phénomènes,
le rapport au monde de l’individu sous l’égide de son vécu. Dans ce contexte, le chercheur s’attarde
à étudier les perceptions et le comportement de l’individu. La perspective phénoménologique
accorde une importance toute particulière aux perceptions émanant des vécus expérientiels, au
travers des émotions et des sensations éprouvées (Merleau-Ponty, 1962). En effet, ces dernières
engendrent une production de sens, une manière de concevoir l’expérience, c’est ainsi qu’est définie
la perception. La signification est obtenue quand l’individu prend conscience de son vécu
expérientiel, d’où l’importance de considérer les perceptions propres au vécu d’un individu
(Merleau-Ponty, 1962).
En 1982, Holbrook & Hirschman faisaient déjà référence à une « phénoménologie de la
consommation », en construisant leur modèle expérientiel. En effet, dans leur recherche, les auteurs
se sont attachés à considérer les émotions, significations et perceptions. Mais, le modèle proposé
par ces chercheurs identifie des variables prédéterminées, liées au produit expérientiel. Dépassant
cette limite, Thompson & al. (1990) proposent une démarche phénoménologique plus affinée quant
36
aux relations entre le contexte et l’expérience de consommation, principalement l’environnement
socioculturel de l’individu (Thompson & Troester, 2002). En fonction du vécu et du perçu de
l’individu, certains éléments et certaines dimensions de l’expérience jouent un rôle important, sans
pour autant se baser sur un modèle a priori. C’est notamment ce que Holt (1995) expose dans sa
classification des expériences de consommation puisque pour la même consommation d’une partie
de baseball, les expériences observées chez les consommateurs diffèrent quant à leurs pratiques,
significations et sensations.
Les aspects entourant l’expérience étant liés à la subjectivité, il convient d’adopter une approche
phénoménologique de la consommation, en considérant que le consommateur devient l’unité de
production de l’expérience. Pour Boulaire & Montiglio (2003), une émission de télévision de
divertissement peut clairement figurer dans la catégorie des produits expérientiels, puisque
contenant un fort potentiel d’émotions et de sensations. Nous l’avons vu plus haut, à titre
d’émission spectaculaire, Star Académie a su convaincre et fidéliser un bassin de spectateurs
captifs, ayant choisi de consacrer temps et attention, concentration et implication à ce produit de
télé-réalité. Or, l’expérience de consommation semble dynamique et permet de générer un ensemble
de flux d’émotions. Dans notre travail, une perspective semblable devra être privilégiée, pour
l’étude de l’expérience de consommation et du phénomène d’appropriation. Ainsi, les sensations et
perceptions, les significations ainsi que les pratiques du consommateur pourront nous permettre
d’appréhender, d’une manière plus exhaustive, le vécu expérientiel relatif à la consommation d’un
concept de divertissement de télé-réalité. Or, l’expérience de consommation peut être interprétée
suivant une consonance individuelle dans laquelle un caractère social serait influant. De ce fait, il
convient d’envisager, à présent, l’aspect social de la consommation par sa forme communautaire.
1.4- Le renouveau communautaire
L’objet de consommation qu’est la télévision révèle un autre caractère important, celui de la
sociabilité dont nous faisions allusion plus haut. En effet, Pasquier (1999) affirme que la télévision
opère auprès de plusieurs cercles de sociabilité (que l’auteure appelle des cercles de sociabilité
télévisuelle) : « la télévision est (ensuite) l’objet d’échanges dans une multitude d’autres
communautés sociales. À l’école, sur le lieu de travail, dans le voisinage, dans les lieux de loisirs ou
de vacances » (Pasquier, 1999 :177). Ce point de vue rejoint les propos de Wolton pour qui la
37
télévision est un lien social et culturel par excellence (Wolton, 2004 :10). En effet, la télévision
offre une expérience collective en s’insérant dans le tissu social, et en formant une sorte de support
aux interactions entre les individus (Pasquier, 1999 : 17). Il se pourrait donc que dans l’espace
virtuel, un site Internet par exemple, du fait de la rencontre de l’autre, une expérience soit rendue
possible. C’est en effet ce que Rheingold (1995) affirme : « au cœur de la réalité virtuelle on
retrouve le concept d’expérience -l’expérience d’être au sein du monde virtuel ou dans un lieu
distant sans y être physiquement-, et les problèmes propres à la création d’expériences, de
sensations artificielles ne datent pas de l’ère des ordinateurs » (Rheingold, 1995 : 111).
Renforçant le caractère expérientiel, un autre point marquant apparaît dans la revue de la littérature
à propos de la télé-réalité, il s’agit de la socialité. En effet, si une émission de télé-réalité est capable
de créer des élans individuels, elle permet aussi de générer un engouement collectif, une manière
d’être ensemble réunis autour d’un même produit. En ce sens, nous pourrions avancer que les émois
collectifs (reposant sur des émotions) permettent l’émergence d’une communauté de spectateurs
(tant devant l’écran d’ordinateur que celui de a télévision). Or si ce type de communauté existe, et
qu’elle est chargée émotionnellement, ne pourrions nous pas la nommer communauté
émotionnelle ?
1.4.1- Les communautés de consommation
Selon Cova & Cova (2001 :8), « ce qui peut réunir beaucoup d’individus aujourd’hui, c’est de
consommer la même chose, en commun, au même moment ». En effet, pour ces auteurs le partage
d’une passion avec d’autres consommateurs, eux aussi passionnés, peut amener à la formation
d’une communauté émotionnelle. En ce sens, les auteurs parlent d’un marketing tribal qui
chercherait à « soutenir le lien entre les clients en les aidant à partager leurs passions » (Cova &
Cova, 2001 :10). Plusieurs chercheurs notent un retour à la notion de communauté (néo tribalisme),
favorisant l’émergence du lien social par la proximité affective. Or, la constitution de ces nouvelles
tribus est pour le moins volatile, leur durée est souvent éphémère et leur union repose sur la notion
de libre engagement.
Si, comme nous l’avons exposé précédemment, l’expérience de consommation peut être envisagée
comme une réponse à la quête d’un ré-enchantement du quotidien, à une recherche de sens et à un
désir de socialité (à travers des actions ludiques, hédoniques et esthétiques), l’aspect social demande
38
à être approfondi. En effet, les interactions sociales issues de la consommation peuvent provenir
d’éléments communautaires, c'est-à-dire des communitas composées d’individus qui partagent une
expérience mais aussi un flux (Belk & al., 1989). Dans ce cas, les auteurs parlent de « shared flow »
qui renforcerait l’expérience partagée ou encore d’émotions contiguës dans le cas de communautés
virtuelles et émotionnelles (Cova & Cova, 2001). Quand la passion est le prétexte au regroupement
d’une communauté d’individus, nous parlerons de sous culture de consommation passionnelle
(Schouten & McAlexander, 1995). Or, dans ce type de communauté, le désir de partage des
passions est un alibi à la création de liens sociaux.
Selon Muniz & O’Guinn (2001), les communautés de marques (brand community) sont définies
comme : « a specialized, non-geographically bound community, based on a structured set of social
relationships among admirers of a brand » (Muniz & O’Guinn, 2001). Les communautés de
marques sont des communautés spécialisées, qui ont leur propre culture, rituels, traditions et codes
comportementaux (Muniz & O’Guinn, 2001). Or, remarquent Schouten & McAlexander (1995),
plus la relation est internalisée par l’individu, comme expérience, plus le consommateur est intégré
dans la brand community, et plus il est fidèle dans sa consommation de la marque.
Cette forme de sociabilité centrée sur le partage d’un intérêt particulier et la reconnaissance
commune de la passion, comme élément de lien n’est pas sans rappeler la notion d’être ensemble de
Maffesoli (1988). En effet, le lien social, traduit par un partage des émotions avec les autres met en
évidence le rôle prépondérant de l’affect. Maffesoli (1988) parle de « tribus affectuelles ». Or, selon
l’auteur, l’instabilité apparente des tribus peut s’expliquer ainsi : « le coefficient d’appartenance
n’est pas absolu, et chacun peut participer d’une multiplicité de groupes, tout en investissant dans
chacun une part non négligeable de soi » (Maffesoli, 1988 : 256). Ainsi, le papillonnage permet à
l’individu postmoderne de vivre sa « pluralité intrinsèque » mais, le « ciment de l’agrégation -que
l’on pourra appeler expérience, vécu, sensible, image-, ce ciment donc est composé par la proximité
et l’affectuel (ou l’émotionnel) » (Maffesoli, 1988 : 262). À ce niveau, nous ne pouvons que
remarquer le lien apparent entre l’affectuel et l’expérientiel. Les produits présentant des valeurs de
lien, facilitant l’interaction sociale et rapprochant les individus, sont préférés des consommateurs.
Dans ce contexte, c’est la consommation qui est prétexte au rassemblement, en favorisant
l’interaction sociale.
Pour satisfaire son ambition communautaire, l’individu recherche des produits et des services,
moins pour leur valeur d’usage, tant fonctionnelle que symbolique, que pour leur valeur de lien
39
(Godbout et Caillé, 1992). Le concept de valeur de lien est l’élément d’un produit ou d’un service
autour duquel se réunit la communauté. Or, selon Thompson & Arsel (2004 : 640), la conception
postmoderne de la communauté permet de lui reconnaître une vertu palliative venant parer les
sentiments d’insécurité, d’isolement, de dépersonnalisation et d’inauthenticité. Pour Firat &
Dholakia (1998 :157), les communautés postmodernes ont une qualité émancipatrice, du fait des
logiques affinitaires rassurantes et de la forte notion de partage autour de laquelle le groupe est uni.
Néanmoins, Schouten & McAlexander (1995) remarquent une logique de distinction des
communautés vis-à-vis des autres, de même qu’un souhait de revendication (quand elles se
constituent autour d’un produit par exemple), ce que Muniz & O’Guinn (2001) reconnaissent aux
brand community.
Kozinets (2002) note un ideal communautaire pouvant être carcatérisé comme: “a group of people
living in close proximity with mutual social relations characterized by caring and sharing”
(Kozinets, 2002:21). Se basant sur les travaux de Jenkins (1992), cet auteur remarque qu’il existe un
pendant dichotomique sacré/profane relatif à la symbolique de la communauté. En effet, dans le cas
d’une communauté de consommation groupée autour d’un produit particulier (dans l’illustration de
Kozinets (2001), il s’agit de la série de télévision Star Trek), l’auteur entrevoit une certaine tension
quant à la symbolique culturelle du produit, considérée comme raison d’être de la communauté, et
l’aspect marchand du produit en tant que tel. Cependant, cette remarque ne concerne que les
consommateurs les plus passionnés et impliqués. Il est vrai que les consommateurs avides d’un type
particulier de consommation sont sujets à un engagement plus radical vis-à-vis du produit.
1.4.2- Les communautés de fans centrées sur un objet de consommation
Quand il s’agit d’une communauté qui se déclare fan d’un produit, d’un service ou d’une marque, et
revendique ce statut particulier, le caractère sacré est très prégnant. D’ailleurs, l’objet tend parfois à
connaître une forme de culte, du fait de l’investissement affectif et de l’implication des
consommateurs. Kozinets (2001) observe d’ailleurs une certaine part de dévotion dans le
comportement des consommateurs fans, en plus d’un attachement très prononcé, qui tend parfois
vers un comportement de fanatisme. La forte affiliation qui existe entre les fans, au sein de la
communauté de consommation est telle que Holt (1995) parle d’une expérience mutuelle et
commune.
40
L’état de fanitude (c’est à dire le fait d’être fan, en position d’admiration vis-à-vis d’un produit en
particulier) engendrerait un bénéfice identitaire. Jenkins (1992) expose cette idée de la manière
suivante: “fandom offers not so much an escape from reality as an alternative reality whose values
may be more humane and democratic than those held by mundane society. (…) gains power and
identity from the time she spent within fan culture” (Jenkins, 1992: 241-242). L’expérience
collective commune est d’autant plus forte que les fans, ces admirateurs passionnés, se considèrent
les ambassadeurs de l’objet de leur passion. Ce point est d’ailleurs plus marqué du fait que « la
culture fan demeure hantée par le principe de justification » (Maigret, 2000 : 222).
Pour un fan, différents types d’appropriation passionnelle peuvent être envisageables : être
(communiquer), faire (produire) et avoir (posséder). Dans ce dernier cas, celui de la possession,
nous comprenons que fanitude et collectionnisme vont généralement de pair, avec en trame de fond
l’idée du concept de soi. Pour Jenkins (1992), existe l’idée d’un fan créatif, du fait d’un fort
investissement affectif. De plus, le fan agit souvent comme prescripteur dans la transmission de sa
passion, c'est-à-dire qu’il cherche à diffuser son intérêt par contamination. La passion d’un fan est
tellement puissante que Fiske (1992) parle d’une économie de fans. La réunion des fans dans une
communauté, liée autour d’un produit, d’un service ou d’une marque ressemble à la forme sociale
énoncée par Radway (1984), c'est-à-dire celle d’une communauté interprétative.
Pour Firat & Schultz (1997 :188), l’individu postmoderne est un sujet communiquant. Or, c’est en
partie le besoin de se raconter et de partager ses expériences qui explique l’engouement
communautaire du consommateur passionné. Pour Miller & Slater (2000 : 217), il est important de
considérer Internet comme étant un moyen favorisant la création de liens sociaux, un médiateur
dans nos relations avec l’autre. D’ailleurs, les groupes de passionnés inscrits dans le cyberespace
(certains auteurs parlent de cybercommunautés) se prêtent facilement aux interactions collectives,
notamment par le biais des échanges textuels dans les salles de conversation virtuelles. Dans ce
contexte, précisent Miller & Slater (2000), il est important de considérer les forums de discussions
virtuelles comme des espaces non aliénants, des espaces de production de sens.
1.4.3- Les communautés virtuelles
Média asynchrone, le forum de discussion fonctionne tel un réseau constamment ouvert, accessible
sans plus d’obstacles ni temporel, ni géographique. Pour Rheingold (1995), les communautés
41
virtuelles se caractérisent telles des : « agrégats sociaux qui émergent sur les réseaux Internet quant
un nombre suffisamment important de personnes poursuivent des discussions pendant un temps
suffisant, avec assez de sentiment humain, pour former des réseaux de relations personnelles dans
l’espace virtuel ». Ces groupes agissent dans la sphère virtuelle, un univers digital à l’intérieur
duquel les limites sont repoussées, un environnement immatériel dans lequel l’individu échappe à
son enveloppe corporelle (puisque la co-présence physique n’est plus obligatoire). L’émancipation
des contingences matérielles (Miller & Slater, 2000) et de la corporalité sont renforcées par le
caractère anonyme des échanges (utilisation d’un pseudo).
Pour Kozinets (1999, 2002b), l’adoption du médium Internet, ainsi que des nouvelles technologies
de l’information, a contribué à l’émergence des tribus électroniques. On peut d’ailleurs parler de
cyber-tribus. En effet, ces nouvelles pratiques sociales se sont facilement intégrées dans le quotidien
de l’individu. Or, la constitution des communautés virtuelles reprend certaines caractéristiques
énoncées par Maffesoli (1988) au sujet des néo tribus : elles revêtent un caractère éphémère et sont
bâties dans un contexte de libre association. Kozinets (2002) parle ainsi d’hyper communautés
temporaires : “a temporary hypercommunity from which to practice divergent social logics”
(Kozinets, 2002 :20). Selon cet auteur, les consommateurs réunis dans l’environnement digital sont
mieux informés, ils ont plus de pouvoir, ils sont aussi plus actifs. Or, cette conférence d’un pouvoir
nouveau tend parfois vers une forme d’activisme quand les membres de la communauté se font
porteurs de marque. Firat & Venkatesh (1995), notent à ce sujet une forme de renforcement chez le
consommateur: “the importance of virtual, digital simulation in creating new social realities and
have generally cast them as a potential route to consumer “reempowerment”” (Firat & Venkatesh,
1995: 252-253).
Maffesoli (1988), explique que la forme sur laquelle repose la communauté est celle de
l’identification au groupe : « À la logique de l’identité est en train de succéder un processus
d’identification à un groupe, un sentiment, une mode, c’est en ce sens qu’il faut comprendre
l’émergence des réseaux, des petits groupes, des rassemblements éphémères et effervescents au sein
de la société de masses » (Maffesoli, 1988). Or, la notion de masse critique importe à l’existence
(création puis pérennité) de la communauté. Dans le cas de la communauté virtuelle, elle devient
même l’enjeu principal. En effet, si le taux d’échanges entre les membres est suffisant, alors il y a
création de valeur, ce qui permet de parler d’existence d’un réseau relationnel entre les membres
(Castells, 2002). Mais il faut, pour que se développent les échanges entre les membres, un climat
optimal au sein du groupe. La communauté doit être alimentée pour assurer sa subsistance.
42
Au sein de la tribu digitale, on partage un langage, des règlements, des normes mais surtout un
sentiment d’appartenance. Pour Bagozzi & Dholakia (2002), les communautés virtuelles
remplissent des rôles variables, selon les cas de figure et selon les usagers. Il peut s’agir d’établir et
maintenir des relations d’amitié, d’amour; d’un intérêt d’apprentissage; ou d’un souhait
d’élaboration d’opinion. C’est le processus communicationnel continu qui permet la formation de
communautés virtuelles. De manière générale, une communauté virtuelle entraîne des
participations émotives et affectives de façon assez intense, du fait de l’implication, de
l’investissement, et notamment à cause du sentiment d’appartenance développé, d’une solidarité
dans l’adversité, et aussi des caractères identitaires (identité digitale spécifique).
Au sein de la communauté, les relations de lien entre les membres sont denses, au point de
ressembler à des connexions naturelles. De plus, la participation d’un membre tend à augmenter
avec la durée de temps passé dans la communauté virtuelle, et la satisfaction s’accroît avec
l’expérience au sein de la communauté. Ce contenu issu de la participation active des membres
représente la force de caractère de la communauté virtuelle. Il détermine aussi le rôle et surtout le
statut de chaque membre (selon la participation, la pertinence et l’attitude). C’est leur participation à
l’élaboration du contenu qui détermine le statut des membres au sein de la communauté. Ainsi, pour
Bagozzi & Dholakia (2002), les communautés virtuelles sont des « agrégations d’expertise
collective dont le contenu est géré par ses membres ».
Les communautés virtuelles sont un lieu de production et de consommation d’opinions, d’idées et
d’avis. Selon Cova & Cova (2002) : « l’Internet a permis l’émergence d’un nouvel espace, resserré,
intime : celui des micro-communautés électroniques ou tribus virtuelles. Des petits groupes se sont
formés, par consanguinité, par affinité élective, par émotions communes, pour partager leur vécu
sans contrainte d’espace ni de temps ». Ainsi, à force d’échanges, la communauté parvient à établir
une culture et un système de valeurs qui lui sont propres. Généralement, la qualité et la quantité des
échanges engendrent le niveau de satisfaction des membres de la communauté virtuelle. En effet,
pour Bagozzi & Dholakia (2002) : « les interactions à l’intérieur de la communauté constituent le
noyau sur lequel repose l’existence de la communauté ».
D’après Caterall et MacLaran (2002), la communauté virtuelle peut faire partie intégrante d’une
stratégie marketing d’entreprise, car elle engendre une augmentation du capital sympathie d’une
marque et favorise la fidélité du consommateur. La communauté virtuelle permet de renforcer une
position concurrentielle, elle peut aussi servir à recueillir les avis et réactions des consommateurs.
43
Selon Muniz & O’Guinn (2001), les communautés virtuelles présentent des contextes favorables
aux influences, du fait des propos échangés lors des conversations au sujet des marques et des
produits. Bagozzi & Dholakia (2002) ajoutent que la participation à la communauté virtuelle est une
« action sociale intentionnelle » (goal-directed behavior).
Les motivations encourageant la participation à une communauté virtuelle sont généralement de
contribuer à l’enrichissement de la communauté et de profiter des contributions des membres de la
communauté (Kozinets, 1999). L’attachement à la communauté ne se fait qu’à partir d’un sentiment
d’appartenance de ses membres, renforcé par le partage de rituels, de traditions, responsabilités et
d’engagements moraux qui génèrent la naissance d’un sentiment identitaire commun (Muniz &
O’Guinn, 2001). Cependant, il existe un autre type de contentement pour le membre actif d’une
communauté virtuelle, celui provenant de la satisfaction communiquée par les autres membres au
sujet de sa contribution consommée et appréciée -donc valorisée- (Balasubramanian et Mahajan,
2001).
Selon Kozinets (1999), en termes marketing, il faut songer à une approche many-to-many en
accordant un rôle central à la communauté, c'est-à-dire en la considérant telle une entité possédant
ses propres caractéristiques ainsi qu’une personnalité. Cependant, il ne faut pas nier l’individualité
du consommateur. Les thèmes abordés lors des discussions agissent comme des leviers de
participation, et engendrent le maintien de la communauté. Pour Dholakia & al. (2004), les
interactions fréquentes parmi les mêmes personnes aboutissent à une plus grande connaissance
collective et une construction des relations interpersonnelles. Dans ce contexte, la socialisation est
véritablement une dimension importante. Or, selon Belk & Costa (1998 : 219), outre la notion
d’engagement communautaire, c’est principalement le partage d’expériences qui favorise la
pérennité de la communauté. Poster un message sur un forum de discussion, selon Kozinets (2002),
est une action sociale. Donc tout ce qui est relatif à cet envoi et ce qui est observable (contenu)
devient une source d’informations fiables pour le chercheur.
Kozinets (2001), en traitant d’une communauté d’internautes passionnés de Star Trek, a généralisé
la méthode de la netnographie pour la recherche en comportement du consommateur. Difficilement
généralisables à une autre communauté, les résultats de la netnographie sont ancrés dans le terrain
étudié. Il est malaisé de parler de validité à propos des résultats d’une netnographie, néanmoins si le
processus méthodologique respecte une certaine déontologie, alors les résultats peuvent être
considérés comme fiables. La netnographie s’attache à l’analyse du contenu des messages postés
44
sur un forum de discussion. Cette méthode cherche à saisir les sens véhiculés par ces types de récits
particuliers.
1.5- Récit et netnographie
« La tradition des récits est en même temps celles de critères qui définissent leur triple compétence,
savoir-dire, savoir-entendre, savoir-faire, où se jouent les rapports de la communauté elle-même et
avec son environnement » (Lyotard, 1979 : 101). Il faut le rappeler, l’ère postmoderne accorde une
importance à la transparence, à ce qui est vécu, ressenti et au récit (Arnould & Price, 1993; Belk &
Costa, 1998). Or, dans cette perspective il faut noter que l’individu postmoderne, à la recherche
d’authentique, souhaite se raconter, livrer ses expériences, les conter dans différents espaces, par le
biais de différentes tribunes (Boulaire & Deroubaix, 2004). Le cadre d’Internet présente un espace
de communication et un lieu d’informations; un espace de rencontre mais aussi de découverte.
(Cova, 1997 : Kozinets, 2002 : Venkatesh, 1999). Cet espace permet l’exaltation des sois multiples
et fragmentés, pour un individu postmoderne en quête d’expériences, qui a soif de ré-enchanter son
quotidien (Firat & Venkatesh, 1995). Internet répond aussi à sa recherche de socialité (Cova, 1995;
Boulaire & Deroubaix, 2004).
Dans l’espace digital, le travail du chercheur doit être enraciné dans le contexte du narrateur, de
manière à s’imprégner de tout le sens relatif à une expérience vécue et racontée. Si nous
considérons qu’un récit est le produit d’une expérience vécue, et que son interprétation est
implicitement relative à la « contextualisation », les communautés virtuelles sont alors perçues
comme des sources de collecte d’informations, qui plus est si elles émanent d’une plate-forme
offerte par le producteur. Il est vrai que l’étude des communautés virtuelles centrées sur un objet de
consommation engendre plusieurs avantages tant pour la gestion de la marque, que pour
l’exploration de phénomènes nouveaux. De plus, elle offre la possibilité de mieux comprendre le
consommateur et sa consommation. La netnographie enracinée dans un courant interprétatif,
apporte donc une alternative qualitative, pour la compréhension du consommateur. Ainsi, exploitant
les récits livrés sur la toile, au sein des communautés en ligne, le chercheur peut se rapprocher de
son sujet. L’intérêt de recherche prend alors plusieurs aspects. Premièrement, les communautés en
lignes sont des endroits dans lesquels les consommateurs entreprennent des échanges, ayant pour
finalité le partage d’informations ainsi que la tentative d’influence quant à des produits ou services
45
(Kozinets 1999, Muniz & O’Guinn 2001). Deuxièmement, ces groupes de discussion virtuels
permettent aux chercheurs d’étudier les goûts, les désirs et les besoins des consommateurs qui
interagissent au sein de ces communautés.
Nous avons parlé, plus haut dans cette revue de la littérature, du fait que le succès des programmes
de télé-réalité est en partie imputable au média Internet. Nous avons vu ensuite qu’au Québec la
réussite de Star Académie, était impressionnante, qualifiée de véritable phénomène, et que le
concept québécois propose lui aussi un support digital. Après nous être intéressés aux concepts de la
télé-réalité, nous avons fouillé la notion de perspective expérientielle, puis avons relaté l’émergence
d’une nouvelle forme de socialité incarnée par la communauté virtuelle de consommation. Enfin,
nous avons présenté très brièvement l’utilité de la méthode netnographique pour l’étude des récits
de consommation localisés sur Internet. À présent, il semble convenant de trouver l’axe porteur
nous permettant de lier l’ensemble de ces informations pour présenter une proposition de recherche.
Chapitre 2 : la proposition de recherche
2.1- Problématique
Ce travail de recherche s’inscrit dans la lignée des analyses récentes, en comportement du
consommateur, qui s’attardent à considérer l’expérience de consommation. Il s’agit d’appréhender
l’expérience suivant le cheminement qu’elle suit à l’intérieur de différentes sphères (Kopytoff,
1986). En effet, au sein de différents environnements, l’expérience, telle une marchandise, évolue
depuis un concept proposé par le producteur, dans une zone d’échanges où le consommateur en fait
l’acquisition, puis se l’approprie. Or, dans cette optique, l’expérience reste un objet immatériel et
intangible. Aussi, pour suivre le raisonnement de Kopytoff (1986), l’expérience doit être considérée
suivant un processus, connaissant une trajectoire particulière (suivant les contextes, et les
acquisitions, personnalisation et appropriation) pour devenir, suite à l’itinéraire parcouru, un objet
inaliénable (Miller, 1995, 2001), propre à chaque individu.
C’est donc le suivi de l’évolution particulière que va connaître l’expérience, au fil de son parcours
et de son histoire, que nous proposons dans ce travail. Nous nous intéresserons aux valeurs et
usages du produit expérientiel depuis sa marchandisation par le producteur jusqu’à son
appropriation par les consommateurs. Pour ce faire, nous comprendrons la conception
d’appropriation comme relevant de la capacité d’action de l’individu, conférant au consommateur la
liberté d’attribuer à une expérience un caractère singulier et personnel. Pour suivre l’itinéraire d’une
expérience de consommation, dans le cas du concept de télé-réalité, plusieurs objectifs émergent de
notre problématique.
Si, comme nous l’avons précisé plus haut, les médias ont largement couvert l’évènement de Star
Académie au Québec en parlant d’un engouement, et que les chercheurs se sont intéressés à ce
qu’ils ont nommé « le phénomène Star Académie », il nous paraît pertinent de chercher à
approfondir la compréhension du dit phénomène. En toile de fond de ce travail, nous considérerons
donc le thème de la télé-réalité, mais nous ne chercherons ni à conclure sur un analyse des effets, ni
sur une étude des taux d’audience. Il ne s’agit pas non plus de condamner, ni de participer aux
larges débats entourant l’émission. Le dessein de ce mémoire est de suivre le parcours expérientiel
d’un concept et de comprendre comment l’expérience est mise à disposition par le producteur, puis
47
appropriée par le consommateur. Dans ce contexte, l’émission de télé-réalité est le prétexte pour
investiguer le thème de l’expérience de consommation.
Il est donc ici question de nous intéresser à une certaine forme de culture populaire et d’approcher
l’émission Star Académie de manière objective, tout en conservant un point de vue critique. Il s’agit
d’observer le phénomène social depuis un angle culturel expérientiel propre au concept, afin de
bâtir un rapport laissant émerger ce qui, d’un premier abord, peut paraître banal, anodin et
insignifiant. Or, bien au-delà du téléspectateur captif auquel il est fait référence à propos de la télé-
réalité, il peut être intéressant de considérer l’existence d’un public tout aussi assidu mais moins
visible. Dans notre cas, il s’agirait d’approcher la face cachée du phénomène Star Académie, en
suivant les passionnés qui se rencontrent sur le site Web de l’émission Star Académie. En effet,
selon certains chercheurs c’est à la proposition multicanaux que la télé-réalité doit son succès, en
particulier au support technologique de Internet. Il nous semble donc pertinent d’examiner le rôle
joué par Internet en tant que média potentiellement amplificateur d’un phénomène, en l’occurrence
d’un spectacle de divertissement télévisuel.
Ayant traité du renouveau communautaire et, dans un environnement digital, des communautés
virtuelles, envisager l’étude des consommateurs du site Web d’une émission de télé-réalité telle que
Star Académie est très attrayante, d’autant que cela nous permettrait d’exploiter une méthode
qualitative récente. Nous avons expliqué qu’Internet était pour le moins un facilitateur d’accès
communautaire (du fait qu’il annule les obstacles temporels et géographiques), ne serait-il donc pas
possible de lier ces remarques pour avancer la proposition d’étudier la communauté digitale de Star
Académie ? Or, si parallèlement nous considérons le fait que l’émission de télé-réalité est un
produit de divertissement faisant appel au spectateur, ne pourrions-nous pas aussi songer plus
exhaustivement à son potentiel caractère expérientiel (dans cette perspective quel en serait
l’habillage expérientiel?)? Afin de lier ces deux thématiques, après avoir envisagé l’émission de
télé-réalité comme étant un produit expérientiel, ne pourrions-nous pas considérer le postulat
suivant lequel l’aspect communautaire pourrait être déterminant, au cœur du processus d’acquisition
de l’expérience, en donnant ainsi la primauté au lien social partagé collectivement sur Internet ?
48
2.2- Les objectifs de recherche
Le premier objectif de ce travail de recherche sera de comprendre comment l’offre expérientielle
peut encourager le processus d’appropriation. En ce sens, nous chercherons à considérer la
conception de l’habillage expérientiel d’un produit de télé-réalité tel que Star Académie, afin de
faire ressortir les impacts de sa configuration sur le consommateur, suivant les significations et
valeurs transmises (Sherry, 1998; Hetzel, 2002). Pour cela il conviendra d’envisager la conception
expérientielle par le producteur telle une marchandisation de l’expérience (commodification).
Notre deuxième objectif consistera ensuite à identifier en quoi l’intégration communautaire autour
de la consommation d’un produit expérientiel peut renforcer le contenu expérientiel d’un concept de
télé-réalité et ainsi favoriser le procédé d’appropriation de l’expérience chez le consommateur. En
ce sens, nous chercherons à considérer les différents éléments identifiés par les consommateurs,
dans ses récits, comme favorisant la rencontre de l’autre permettant de renforcer le vécu de l’aspect
expérientiel de la consommation.
Selon Belk (1984), l’acquisition, l’usage et l’entretien qui composent la consommation d’un objet,
engendrent bien plus de significations pour le consommateur que l’achat en tant que tel. Nous
verrons donc, suivant un troisième objectif, quel est le parcours suivi par l’objet. Nous observerons
sa trajectoire depuis la sphère commerciale jusqu’à l’environnement privé du consommateur. Nous
chercherons notamment à savoir s’il existe des traces matérielles de l’expérience vécue. Nous
verrons aussi l’évolution des significations et usages associés à l’objet, depuis la sphère marchande
jusqu’à la sphère domestique, afin d’obtenir un éventail représentant les différents types
d’expériences vécues.
Enfin, notre quatrième objectif consistera à examiner le processus d’appropriation expérientielle
afin de cerner le type de relation qui peut s’instaurer entre le consommateur et le producteur. Dans
le cas d’une communauté digitale centrée sur un produit potentiellement expérientiel, nous nous
interrogerons quant à savoir si une relation de co-production de performances (Kozinets & al.,
2004) peut exister et en quoi elle peut être favorable au succès commercial. Le cas échéant, nous
chercherons à savoir sous quelles formes peut se concrétiser cette relation.
49
2.3- La question de recherche
C’est suivant plusieurs axes que nous procéderons à l’étude d’un engouement populaire pour un
concept de télé-réalité. Ainsi, en conjuguant les pôles d’observation, nous proposerons une
interprétation, procédant de regards croisés entre ce qui se passe à l’écran (comment le jeu évolue)
et ce qui se dit sur la toile au sein de la communauté. Nous observerons comment une communauté
de consommation évolue quand le concept de consommation sur lequel elle repose est changeant
(évolution du concours). Nous obtiendrons de ce fait une double lecture d’un phénomène de
consommation très contemporain.
Cette recherche prend appui sur l’approche de Boulaire & Montiglio (2003) visant à considérer un
produit de divertissement télévisuel sous la perspective expérientielle. Elle prend aussi racine dans
les travaux de Kozinets et al. (2004) qui observent la relation de coproduction -entre le
consommateur et le producteur- d’une performance, dans le cadre de la consommation d’un produit
expérientiel spectaculaire. Suivant ces développements, nous chercherons dans un premier temps à
comprendre les significations associées à l’habillage expérientiel de l’offre du concept de télé-
réalité. Dans un deuxième temps, à partir des résultats de Ladwein (2002), nous examinerons le
processus d’appropriation expérientielle. Nous baserons notre réflexion sur les apports des travaux
d’anthropologie et de sociologie relatifs à la notion d’appropriation (de Certeau, 1990; Miller, 1996)
et à la notion de biographie des objets consommés (Kopytoff, 1986).
Pour chercher à comprendre les significations associées aux vécus expérientiels, nous nous
attacherons principalement à détecter les cohérences et incohérences entre le message du producteur
et le ressenti du consommateur. Nous relaterons les éventuels décalages issus des significations
associées à l’appropriation et au vécu de l’expérience, ainsi que leur évolution au fil du temps.
Cette approche nous parait cohérente puisque le caractère temporel de l’expérience joue un rôle
significatif dans la dynamique d’appropriation de celle-ci (Caru & Cova, 2002, de Certeau, 1990,
Ladwein, 2002). Ainsi, nous pourrons mettre en exergue les ruptures et adéquations entre les
objectifs des gestionnaires et le construit expérientiel du consommateur, et par là même d’identifier
les différents vécus réels ou imaginaires qui alimentent l’expérience principale de la consommation
du concept de télé-réalité Star Académie.
Conservant un ancrage dans la perspective postmoderne de la consommation, nous considérerons la
caractéristique de socialisation, telle que remarquée dans les travaux de Maffesoli (1988). Ainsi,
50
nous observerons les liens pouvant exister entre le caractère expérientiel d’un produit et son pendant
social. Pour cela, nous nous inspirerons des travaux de Kozinets (2002b) relatifs aux
cybercommunautés. En effet, le renouveau communautaire qui se concrétise sous la forme de sous
cultures et de communautés émotionnelles semble porté par le développement de passions partagées
sur Internet. Supportés par les nouvelles technologies de l’information, ces groupes de
consommateurs connaissent un élan nouveau, sous la forme des communautés virtuelles dans
lesquelles l’échange favorise la création du lien social.
Nous basant sur les objectifs énoncés précédemment, nous procéderons à une Staracadémioscopie,
c'est-à-dire à un suivi de l’itinéraire biographique du concept expérientiel de Star Académie au
Québec. Ce travail de recherche nous permettra de répondre à la question suivante : comment la
biographie d’une expérience de consommation, par l’itinéraire qu’elle emprunte, peut-elle
influencer le succès commercial ? Afin de se donner les moyens de ses ambitions de recherche, ce
travail adoptera un volet méthodologique précisément décrit dans le chapitre suivant.
51
Chapitre 3 : la méthodologie
Cette recherche vise à appréhender l’itinéraire emprunté par un concept expérientiel, une émission
populaire de télé-réalité : Star Académie. Ce travail se présente telle une étude de cas, relative à un
épiphénomène de consommation. Il présente un éclairage original du concept de perspective
expérientielle, en utilisant la notion de biographie. L’orientation de cette recherche revêt un aspect
interprétatif tenant compte des conditions réelles des individus dans leur quotidien, pour transcrire
un phénomène approché de manière holistique.
Dans ce cadre, l’exploration des différentes méthodes permet d’honorer la proposition de recherche
précédemment énoncée. Pour répondre à notre objectif initial, et considérer l’offre expérientielle
que compose le concept de télé-réalité Star Académie, une première démarche fut entamée suivant
plusieurs pistes complémentaires. En effet, il nous fallait tout d’abord nous familiariser avec le
concept de télé-réalité de Star Académie, de manière à pouvoir par la suite envisager de décrire en
détails son habillage expérientiel. Reposant sur une convergence des médias, l’offre du produit Star
Académie se décline notamment sous la forme d’une émission de télévision ainsi qu’un site Internet
qualifié d’« officiel ». Sans pour autant ignorer les autres déclinaisons de l’offre, que nous avons
suivies à distance, c’est principalement aux offres de la télévision et d’Internet que nous avons
consacré notre exploration. De plus, pour confirmer notre compréhension des phénomènes et enjeux
de Star Académie au Québec, nous avons dans un deuxième temps procédé à des entretiens avec
des experts.
La première phase de notre démarche s’est concrétisée par une immersion complète dans le concept
de Star Académie, par le suivi quotidien des émissions de télévision (et en trame de fond des
émissions de radio, des journaux québécois et des magazines traitant du sujet) et une fréquentation
assidue du site Web de l’émission et de ses salons de discussion. Cette première démarche fût suivie
de trois interviews confirmatoires nous permettant de valider notre compréhension du concept
québécois.
L’interview de Jean-Pierre Desaulniers (Professeur de Communication à l’UQAM) nous a permis
de cerner les facteurs relatifs au phénomène Star Académie, en focalisant notre discussion sur le
sujet du téléspectateur. Les deux entrevues suivantes, avec Marie-Claude Massie et Louise Morgan,
de la compagnie Netgraphe, respectivement en charge de la gestion du site Web de l’émission et du
52
service marketing, ont concerné le site Internet de l’émission et nous ont permis de distinguer le
rôle des différents acteurs se situant autour de l’émission (production, diffusion, réalisation…). De
plus, ces rencontres nous ont conduites à mettre en évidence l’envers du site Web, c’est à dire son
organisation et sa gestion quotidienne. Ces entretiens nous ayant définitivement convaincu de la
pertinence du sujet et du potentiel qu’il présentait pour des intérêts de recherche, nous avons par la
suite entamé la deuxième phase de la démarche méthodologique.
Nous concentrant sur la composition du site Web de l’émission, du fait de la curiosité éveillée par la
phase exploratoire, il nous a ensuite fallu décider avec précision du terrain à retenir. Dans le
contexte de notre étude, il a été choisi de considérer les construits issus des réalités vécues par les
répondants concernant leur expérience de consommation expérientielle au sein de la communauté
des passionnés de Star Académie. Pour ce faire, nous avons dû choisir la communauté à observer.
En effet le site officiel de l’émission présente plusieurs salles de conversation et il était impossible
de les considérer toutes. À ce stade, l’application de la méthode netnographique s’est imposée
d’elle-même. Il est vrai que les travaux de Kozinets avaient suscité notre attention et leurs résultats
piqué notre curiosité.
3.1- La netnographie
La netnographie est une méthodologie qualitative qui adapte les techniques de recherche
ethnographiques à l’étude des cultures virtuelles. En tant que technique de recherche elle utilise le
contenu disponible sur Internet, dans les forums de discussion par exemple, pour identifier et
comprendre les groupes de consommateurs. La netnographie permet l’analyse des observations des
consommateurs en contexte. Moins onéreuse, flexible et très pratique, la netnographie donne au
chercheur l’opportunité de découvrir des comportements de consommation formulés selon les
termes du consommateur lui-même. Elle permet aussi un accès continu aux informants. La limite
majeure de cette technique provient cependant du fait que le chercheur doit présenter certaines
capacités interprétatives, relatives au caractère particulier des communautés en ligne. De plus, un
certain flou persiste compte tenu du fait que les informants sont uniquement identifiés par un
pseudonyme, et qu’une généralisation des résultats est souvent impossible à l’extérieur du contexte
de l’échantillon étudié. Le chercheur qui souhaite généraliser les résultats d’une netnographie issus
d’un groupe particulier doit nécessairement appliquer une évaluation formelle des similarités avec
un autre groupe et employer des méthodes multiples de triangulation.
53
S’inspirant de la méthode ethnographique, Kozinets a proposé une série d’étapes à suivre, pour le
chercheur désireux d’étudier une communauté en ligne, par le biais de la netnographie. Deux étapes
initiales nécessitent une attention particulière, pour la préparation d’une netnographie. Tout d’abord,
le chercheur doit générer une question spécifique (ou une série de questions spécifiques) quant à
l’objet de sa recherche. De plus, il doit clairement identifier les forums (communautés en ligne)
appropriés à son étude, selon son intérêt de recherche. Ensuite, le chercheur doit apprendre et
s’informer sur les forums, groupes et participants de ces groupes qu’il cherche à comprendre. Une
fois que la communauté en ligne est identifiée et repérée, il s’agit pour le chercheur de juger, selon
des critères bien précis, de sa pertinence pour son travail. Généralement, une communauté sera
préférée à une autre si :
- Elle est très liée au groupe, sujet ou thème de recherche en question. - Elle contient un trafic, un taux de fréquentation, relativement important. - Elle génère un nombre de messages intéressants. - Elle est riche de données détaillées et descriptives. - Elle présente des interactions, entre les membres, liées à la question de recherche.
Cette évaluation est largement relative au contexte spécifique des communautés en ligne, et permet
de distinguer la méthode traditionnelle ethnographique de la netnographie. Les forums en ligne
offrent l’accès à une auto segmentation des individus, selon des orientations de consommation. De
ce fait, avant d’initier tout contact ou collecte de données, le chercheur doit s’être familiarisé avec le
groupe et ses membres (langage, leaders, orientations, intérêts…).
3.1.1- Rassembler et analyser les données
Deux éléments importants doivent être considérés avant d’entamer la collecte de données. Tout
d’abord, le chercheur choisit de copier les communications issues de la communauté virtuelle, mais
parallèlement il prend soin de conserver traces de ses propres observations relatives à la
communauté et à ses membres. C’est la question de recherche qui guide le chercheur dans sa
sélection de données. À ce niveau, le grand défi du netnographe est de savoir « jongler » entre la
spontanéité et l’instantanéité des données. Pour rassembler les données, Kozinets recommande de
les classer en deux temps. Premièrement selon leur contenu social ou informationnel, puis ensuite
selon leur rapport à la question de recherche.
La collecte de données se doit d’être poursuivie tant que de nouvelles informations, relatives à la
question de recherche, sont générées. La force majeure de la netnographie réside dans le fait de
54
s’intéresser à un groupe de consommateurs spécifiques, d’après leurs communications en ligne.
Ainsi, des conclusions peuvent être dessinées suivant un nombre relativement infime de messages,
s’ils contiennent une richesse descriptive suffisante et sont interprétés de manière exhaustive et
analytique. À ce niveau, les prises de notes du chercheur jouent un rôle relativement important, du
fait des observations réflexives (émotions, prétextes, conditions personnelles…) qu’elles
contiennent. En effet, elles permettent de « recontextualiser » les propos dans le cadre évolutif des
évènements.
L’analyse des données est souvent concomitante à la collecte. À cette étape, le chercheur s’attache
à « contextualiser » les données en ligne. Des logiciels, tel QSR NVivo, permettent de coder,
analyser le contenu, lier les données et les disperser. Le codage (annexe 2) et l’analyse des données
sont cruciaux puisqu’ils impliquent forcement une liaison avec les construits symboliques. Dans
pareil cas, la richesse du contexte est donc inévitablement importante pour l’interprétation, afin de
pénétrer les sphères symboliques et métaphoriques.
3.1.2- Garantir l’exactitude de l’interprétation
Une procédure conventionnelle doit être suivie, puisque la netnographie se base avant tout sur
l’observation textuelle du discours. Dans le contexte d’anonymat, le chercheur s’intéresse plus à
l’acte et au comportement qu’à la personne en tant que telle. Cependant, par souci d’exhaustivité,
Kozinets (2002b) recommande de mettre en pratique une triangulation des données
netnographiques, par exemple par l’entreprise parallèle d’entretiens en face à face, de
questionnaires ou encore de focus groups. Cela peut aussi donner l’occasion au chercheur de
généraliser ses résultats, sur un autre échantillon. De plus, Kozinets souligne que l’immersion dans
la durée, au sein de la communauté, et la triangulation des méthodes permettent au chercheur
d’assurer une certitude quant à l’authenticité du rôle des membres de la communauté. Néanmoins,
le chercheur devra s’imposer des limites pour cadrer et cerner les résultats de son travail, limites qui
sont liées au médium et à la technique de l’étude en ligne.
55
3.1.3- Conduire une recherche éthique
La différence la plus importante entre la netnographie et l’ethnographie traditionnelle repose sur
l’aspect éthique. Suivant les nombreux débats provoqués par ce thème, Kozinets propose un guide à
suivre lors de l’étude netnographique. À ce niveau, il est important de rappeler l’ambiguïté existant
dans la distinction public/privé des contenus textuels des forums et autres salles de discussion en
ligne. De ce fait, nous devons nous interroger sur la notion de consentement informé dans le
cyberespace. L’information utilisée au cours de la netnographie ne provient pas d’un entretien
spécifique entre le chercheur et l’informant. Aussi, l’individu qui a originalement apporté
l’information n’est pas forcément ouvert à ce que ses propos soient exploités. En vue d’éviter tout
malentendu, le chercheur doit donc s’assurer de bénéficier du consentement de l’informant et
conserver son anonymat. La procédure que propose Kozinets suit quatre étapes :
- Le chercheur doit dévoiler sa présence et exposer ses intentions auprès des membres de la communauté, dès le début de sa recherche. - Le chercheur doit assurer la confidentialité et l’anonymat des informants. - Le chercheur doit chercher à incorporer les commentaires de ses informants et susciter un retour informatif de leur part (feedback). - Le chercheur doit clairement se positionner quant à la dimension publique/privée dans laquelle se situe sa recherche. Pour ce faire, il doit contacter les membres de la communauté afin d’obtenir leur permission quant à exploiter leurs propos.
3.1.4- Description du terrain d’étude
Suite à la période d’observation des forums de discussion du site Internet de Star Académie, notre
choix s’est arrêté sur la salle de conversation consacrée au candidat prénommé Cornéliu (annexe 3).
En effet, située en première position dans la page d’accueil des forums, la « Zone de Cornéliu »
semblait être suffisamment alimentée (qualité et quantité des messages) et ce dès le début du jeu.
Dans ce contexte, l’objet de la consommation permettant de lier la communauté n’était alors plus
seulement l’émission Star Académie en tant que telle, il comprenait aussi le candidat. Nous avons
donc décidé d’envisager l’aspect expérientiel du concept de télé-réalité depuis le forum de
discussion dédié à Cornéliu, postulant dès le départ que l’offre expérientielle émanerait à la fois du
concept de jeu et de l’évolution du candidat dans le concours.
Nous avons rapidement été confortés dans notre choix par le fait que les 100 premiers messages
postés se voulaient hétérogènes et pertinents, et que dans son ensemble la Zone était assidûment
56
fréquentée. L’observation du forum dédié au candidat a duré onze mois, depuis son lancement (le
15 février 2004) jusqu’à sa fin (en décembre 2004). Au cours de son existence, le forum a connu
certains pics de fréquentation, notamment durant toute la période pendant laquelle le candidat
figurait dans le concours. Cependant, suite à son élimination la Zone de Cornéliu a continué d’être
fortement alimentée, jusqu’au mois de juin 2004 (alors que le concours était terminé). Puis, elle a
connu de moins en moins de fréquentation jusqu’en décembre 2004 (période à laquelle toutes les
salles de conversation du site Web ont été clôturées), avec néanmoins certaines pointes de visites (à
la période de la rentrée scolaire, ou encore lors de la diffusion d’une émission spéciale consacrée à
Star Académie et lors du lancement du disque de Cornéliu).
Conservant l’anonymat, utilisant des pseudos, nous n’avons que très peu d’informations sur le profil
des internautes qui ont fréquenté la Zone de Cornéliu. Cependant, pour avoir rencontré plusieurs des
passionnés et suivi, lu et relu leurs conversations, nous savons que les assidus du forum de Cornéliu
sont en majorité des femmes généralement mères de famille occupant un emploi (agent de police,
infirmière, secrétaire…). Le forum constitue un ensemble discursif relatif aux propos des fans
amateurs de Cornéliu et de Star Académie. Or, pour mener à bien le travail netnographique,
plusieurs milliers de messages furent lus, à de multiples reprises, au cours des mois de recherche
puis d’analyse. Excluant les liens Web ainsi que les photos, les images et les icônes (émoticônes)
notre corpus fut finalement constitué de 8000 messages. Retranscrits sur 3000 pages d’un document
Word. Alimentée par quelques 65 internautes familiers du forum, nous avons su distinguer que le
noyau dur de la communauté, rédigeant des messages de façon régulière, était formé d’environ 25
fidèles.
3.1.5- Méthodologie d’analyse
Pour procéder à l’analyse du contenu des données recueillies sur la Zone de Cornéliu, nous avons
eu recours au logiciel NVivo. Dans un premier temps, le codage des messages a entraîné un double
procédé d’interprétation et d’analyse (Spiggle, 1994). Les données netnographiques furent codées
dans des catégories, selon leur appartenance, puis chaque catégorie a formé un thème, une méta
observation. L’analyse des propos échangés sur le forum dédié à Cornéliu s’est révélée être un
matériel unique et très riche, reposant sur la spontanéité d’un public engagé, et passionné. En termes
de recherche, ce corpus fût quelque peu complexe à traiter mais présente l’avantage d’être
57
absolument informatif et quasiment non biaisé (l’objet de notre recherche n’a aucunement contraint
les forumers32).
Écrire un message sur le forum est un acte qui pour certains relevait de la routine, d’ailleurs le choix
des mots et l’application à la rédaction ne paraissent généralement pas être des freins, tant la
rapidité semble importante dans les échanges. Par contre, le temps passé sur le forum est tout à fait
conséquent et les échanges ont de nombreuses fois généré des moments d’émotions partagées,
traduisant des charges émotionnelles. Depuis notre écran, nous avons assisté à la montée en
puissance de la communauté, à son émergence. Considérer les situations de discussion et les
différentes interactions des membres du groupe permet d’envisager la compréhension entourant une
consommation. Dans ce cadre, l’analyse du contenu des communications, tels des récits, semblait
être à privilégier. L’apparition des communautés, selon Muniz & O’Guinn (2001), surpasse les sous
cultures décrites par Schouten & McAlexander (1995), du fait d’une position explicitement centrale
du produit et dénué de tout intérêt marginal envers la société de consommation. Les communautés
sont constituées de personnes passionnées pour qui une certaine conscience de groupe, des rituels et
des habitudes ayant trait à l’objet de consommation existent au quotidien. De ces groupes
apparaissent un sentiment de loyauté, des comportements de fidélité ainsi que des contacts, des
diffusions d’informations pertinentes et profitables à la communauté.
L’échange se fait donc à partir de textes, dont l’ensemble se veut dynamique. L’environnement des
groupes de discussion est donc quasi exclusivement discursif. Or, nous savons que les discussions,
ou encore discours, sont des actions posées par les participants, et qu’elles prennent tout leur sens
lors de leur observation et de la considération des métaphores de consommation (Holt, 1995;
Zaltman, 2004). Nous avons considéré les discussions du forum comme des histoires relatives à une
forme de consommation, des récits qui émergent d’une expérience de consommation et qui
exposent des tensions et des significations négociées par les forumers. Ces histoires révèlent des
vécus issus d’émotions, de relations interpersonnelles d’affiliation communautaires et de
préférences discutées (Thompson, 1997). Ainsi, en s’appropriant un discours au sujet de la télé-
réalité, le consommateur génère des narrations personnalisées et des références métaphoriques
quant à l’objet de consommation. On aboutit ainsi à l’illustration d’un phénomène de société
interprété de manière différente selon les individus, selon leur compréhension du fait social.
32 « Forumers » est le terme utilisé par les internautes fréquentant le forum de discussion pour se qualifier.
58
Ce travail de recherche fait appel à un devis qualitatif et à une approche méthodologique multiples.
Pour guider notre réflexion, l’emploi de techniques de collecte variées a permis le recueil de
données issues de plusieurs sources. Cela nous permettant d’éviter le risque de dépendance relatif à
l’utilisation d’une source unique. Mais, du fait de la particularité de la communauté à l’étude (les
internautes de la Zone de Cornéliu), nous avons été amenés à dépasser la virtualité des échanges,
pour suivre l’émergence d’un fan club. Or, à cause de cette évolution et des circonstances du jeu de
Star Académie, certains des plus passionnés ont organisé des rencontres physiques afin de
manifester leur soutien au candidat. Cet élan de la part de la communauté présentant une
opportunité potentielle pour notre travail de recherche, nous avons saisi au vol l’occasion d’ajouter
une approche ethnographique à notre étude. Cela a permis d’apporter à ce mémoire une ampleur
insoupçonnée quant au phénomène Star Académie.
3.2- L’ethnographie
La méthode ethnographique fût éprouvée et approuvée par plusieurs chercheurs en comportement
du consommateur (Belk & al., 1989; Penaloza, 2001; Schouten & McAlexander, 1995).
S’intéressant à l’intime quotidien des répondants, l’ethnographie comporte plusieurs volets, dont
celui fort intéressant de l’observation participante. Cette méthode s’inscrit dans la démarche
phénoménologique dont nous traitions plus haut. La technique de l’observation participante permet
généralement de recueillir un corpus très révélateur d’un phénomène ou d’une expérience.
Cependant, l’observation participante demande une intense implication du chercheur sur le terrain
(lors d’une période s’étirant à moyen terme ou long terme), permettant ainsi d’établir confiance et
familiarité avec les répondants. C’est en effet de cette manière que le chercheur parvient à intégrer
et à participer au quotidien des informants. Cette technique nécessite néanmoins une certaine part
de distance que le chercheur doit conserver.
L’ethnographie est une méthode issue de l’anthropologie. Elle n’a cessé de connaître un
engouement certain dans des domaines aussi variés que la sociologie, les cultural studies et la
recherche en comportement du consommateur. Le terme « ethnographie » se réfère à un travail de
terrain, à ce qui concerne les représentations et les différentes significations, pratiques et artefacts
propres à un groupe social particulier. L’ethnographie est une pratique « sans limite » (open-ended),
basée sur la participation et l’observation ainsi que sur le constant souci de reflexivité. Cette
méthode, selon les termes de John Sherry (1991) repose sur : « the acuity of the researcher-as-
59
instrument », elle est donc largement affectée par les intérêts du chercheur, ainsi que par ses
habilités personnelles.
L’ethnographie, tel que le rappelle Thompson (1997), utilise des voies d’interprétation des données
par le biais des l’approches métaphorique, herméneutique et analytique. L’ethnographie est
enracinée dans une connaissance spécifique, locale et particulière. Cette méthode permet d’acquérir
une connaissance enracinée (grounded knowledge). La grande flexibilité de cette technique lui a
valu d’explorer divers domaines afin d’en comprendre les comportements au sein de différentes
cultures, religions, nationalités et groupes d’âges. Cependant, il faut noter que la manière de
conduire une ethnographie n’est jamais complètement identique. En effet, la méthode
ethnographique se modifie et s’adapte au fil de l’évolution des travaux de recherche entrepris sur
des terrains spécifiques. Néanmoins, de manière générale, les chercheurs se réfèrent à un même
schéma méthodologique dont la base est la suivante :
• Procéder à une « entrée » culturelle. • Rassembler et analyser les données. • Garantir l’exactitude de l’interprétation. • Conduire une recherche éthique. • Générer des opportunités quant à un retour (feedback) de la part des membres de la culture
étudiée.
3.2.1- Le terrain d’étude
Le caractère dynamique de l’ethnographie est mis en évidence par Arnould & Wallendorf (1994 :
485) de la manière suivante « l’ethnographie n’est pas juste une technique de collecte des données,
elle cherche à clarifier les façons dont les cultures (ou les micro cultures), simultanément, se
construisent et sont formulées par les comportements et les expériences humaines ». Dans les faits,
l’observation participante de notre travail de recherche s’est déroulée suivant plusieurs aspects,
entre les mois de février et décembre 2004. Prenant des formes diverses et variées (préparation des
manifestations, création du fan club, collectes et levées de fonds, magasinage d’un cadeau pour
Cornéliu, débriefing post mobilisations), elle s’est concrétisée par le suivi, la participation et
l’observation des admirateurs de Cornéliu en dehors de la communauté virtuelle par le biais de
multiples rencontres physiques.
L’élaboration du travail d’observation participante a été accompagnée de notes et de photos prises
sur le terrain, de matériel collecté (cadeau de fans, affiches, tracts… voir annexe 4) lors des
60
rencontres, ainsi que de retranscriptions d’entretiens informels (exemple de notes de terrain en 6).
Permettant une compréhension en profondeur du phénomène à l’étude, l’observation participante
favorise cette appréhension sans que le chercheur soit forcé de se détacher du contexte dans lequel
s’inscrit l’action. Dans notre cas, le suivi du leader de la communauté (celui qui a initié le
mouvement de soutien) a largement facilité l’accès aux informations et a quelque peu aidé à
l’acceptation de notre présence au sein du groupe. Dans le cas particulier de ce leader, le vécu
expérientiel s’est révélé très puissant et son investissement dans le groupe tellement important qu’il
a vu notre projet d’un très bon œil, contribuant ainsi à crédibiliser notre suivi de la communauté.
Le volet ethnographique fût absolument déterminant à ce travail. L’observation des comportements
lors des rencontres, des sujets abordés lors des conversations nous ont permis de cerner les liens
sous-jacents à la communauté, des liens que la netnographie seule n’aurait pas permis de faire
émerger. Il faut préciser que le croisement des données issues de la netnographie et de
l’ethnographie nous a encouragé à déconstruire les premières certitudes issues de l’exploration du
phénomène. Il est vrai qu’en accordant une primauté certaine aux faits et actions en situation réelle,
un aspect inusité de l’itinéraire expérientiel du concept de Star Académie a émergé. Suivant l’avis
de Kozinets & al. (2004) nous avons jugé que cette approche duale (intrusive et non intrusive), à
caractère anthropologique, était révélatrice d’un éclairage original sur le phénomène étudié.
Enfin, pour compléter le caractère phénoménologique de notre entreprise, une série d’entretiens a
été réalisée, de manière à pouvoir valider les pistes émergeant des travaux ethnographiques et
netnographiques. Nous avons donc finalement procédé à la réalisation de plusieurs entrevues avec
les membres de la communauté se déclarant fans. C’est en suivant l’axe phénoménologique que
nous avons élaboré la troisième partie du volet méthodologique. Nous ancrant dans la méthodologie
herméneutique, les entretiens phénoménologiques ont permis de rendre compte des expériences
vécues par les informants. Dans cette optique, nous avons réalisé un guide d’entretien centré sur
plusieurs thèmes relativement flexibles, de manière à pouvoir obtenir des informations descriptives
de leur vécu. Ces entretiens furent retranscrits puis immédiatement analysés, afin de cerner les
points récurrents, les infirmations et confirmations. Lors de ces entretiens, des photos furent
utilisées comme supports aux récits expérientiels et à l’émergence des récits de souvenirs. Cela a
grandement favorisé la compréhension des expériences vécues, puisque à partir des mots des
répondants, les entretiens semi directifs nous ont permis d’ajuster nos conclusions. Dans l’étude des
propos, nous avons prêté une attention particulière aux métaphores utilisées, ainsi qu’aux langage et
61
vocabulaire. L’analyse des données a permis de cerner les différents types d’appropriation
expérientielle.
Au final, notre approche interprétative se base sur les méthodes qualitatives que sont la
netnographie, l’observation participante et l’entretien en profondeur. Le volet méthodologique
semble correspondre à la triangulation des méthodes que recommandent plusieurs auteurs du champ
d’étude du comportement du consommateur.
62
Chapitre 4 : Star Académie, un concept expérientiel commodifié
C’est suivant différents angles que nous avons cherché à observer le concept de télé-réalité Star
Académie, en tant qu’offre commerciale. S’appuyant sur la convergence médiatique du groupe
Quebecor, Star Académie profite de toute une batterie de médias, depuis l’annonce du lancement de
l’émission jusqu’à la fin du concours, et même encore après. Nous avons donc prêté attention à
chacun de ces médias pour baser une réflexion relative au concept de Star Académie. Nous avons
de plus choisi de nous pencher particulièrement sur les deux médias les plus populaires que sont la
télévision et Internet (précisément le site Web de l’émission).
Comme nous l’avons précisé plus haut dans le volet méthodologique, notre exploration du concept
de l’offre de Star Académie fût établie depuis plusieurs collectes de données : l’observation et le
suivi des différents médias tout au long de l’émission, l’étude documentaire (la presse québécoise et
les ouvrages relatifs au phénomène) et enfin des entretiens avec des experts. Le corpus rassemblé
nous a permis, suite à son analyse, d’échafauder le postulat suivant lequel Star Académie est un
concept expérientiel commodifié, répondant au profil d’un produit de divertissement postmoderne.
4.1- L’offre expérientielle télévisée
La description du concept expérientiel de divertissement qu’est Star Académie à la télévision met
en évidence, tout d’abord, son aspect ouvert au public, car diffusé sur une chaîne de télévision qui
est accessible à tous. La couverture télévisée est très large, elle s’étend sur neuf semaines, et est
répartie de manière hebdomadaire (quatre émissions quotidiennes + un gala le dimanche soir)
couvrant un total de 3h30 de programmation chaque semaine. Le concours Star Académie couvre
au total un peu plus de 30 heures de télévision.
Cette large couverture médiatique à la télévision vient s’imposer au téléspectateur de manière
collective, dans la grille de programmation de TVA, en garantissant une série de rendez-vous
rythmés par la progression du jeu, imposant ainsi sa propre temporalité. Cette temporalité
télévisuelle parvient même à se transformer en rituel (un spectacle ritualisé) pour le spectateur
engagé. En effet, on propose au public de suivre l’évolution du concours au gré des éliminations
(l’objectif du jeu).
63
En semaine, le produit télévisé consiste en une émission d’une demi heure, du lundi au jeudi à
19h30. Cette émission est préparée, travaillée, montée pour communiquer un résumé en images de
la journée des académiciens. Elle est présentée et commentée par une animatrice se trouvant à
l’extérieur de l’Académie (généralement dans le jardin, le chalet figurant en arrière plan). La
« quotidienne », selon le jargon de Star Académie, rapporte des scènes de vie et une partie de
l’apprentissage quotidien, elle expose aussi certains extraits des conversations téléphoniques des
candidats avec leurs proches. Ainsi, elle permet au spectateur de s’informer, par le biais d’une
invitation intrusive.
Le dimanche, le gala diffusé à 19h30 (durée moyenne 1h30) est le temps fort, le grand spectacle,
permettant au public de profiter d’un divertissement musical. Grand moment de festivités télévisées
(par opposition à un programme de télévision ordinaire), le gala est aussi nommé, dans le jargon de
l’Académie, le « variété ». Il consiste en une série de numéros de chansons et de chorégraphies
donnée par les apprentis chanteurs, accompagnés en duo ou en groupes de personnalités du monde
du spectacle (à titre d’exemples : Jean-Pierre Ferland, Bernard Lama, Samantha Fox…). Le gala
offre aussi une synthèse imagée de la « semaine des académiciens », puis un résumé de la vie
académicienne des participants mis en danger. L’émission du dimanche soir s’achève avec
l’élimination d’un candidat.
Selon Desaulniers33, le gala est la force centralisatrice du concept, c’est grâce à cette partie du
concours que Star Académie connaît un tel succès. Suivi en famille, le gala joue particulièrement
sur la corde sensible du public en insistant sur le thème de la parenté, faisant notamment résonner
certaines valeurs et symboliques fortes. Rassurant, de par la communication d’une trame héroïque
(le vainqueur doit dépasser une série d’embûches), le gala dominical met en exergue une sorte de
conte vivant, un mythe moderne, qui rend possible l’attachement du public et même l’identification
du spectateur. Rassembleuse, l’émission permet la mise en avant de certaines régions québécoises
(soutenant le candidat « bien de chez nous »), ce qui crée une forte cohésion sociale et développe
une implication importante, ainsi qu’un sentiment de proximité. Émouvante et touchante, l’émission
produit un contenu à fort potentiel émotionnel et sentimental, susceptible d’entraîner des réactions
affectives chez le public. Enfin, la cohésion collective se manifeste par le vote du public pour élire
le candidat sauvé.
33 Entretien du 20 février 2004
64
Nous voyons donc combien l’implication et la participation du public est importante dans ce
concept, elle ne cesse d’être suscitée. Or, une partie de l’aspect expérientiel de Star Académie
émane de ce que le téléspectateur est responsabilisé quant au sort des candidats. En effet, le public
doit répondre à l’invitation qui lui est faite de s’exprimer, de se faire entendre… Le concept
expérientiel existe pendant toute la durée du jeu, puis sera de nouveau apparent, ponctuellement,
lors de diffusions spéciales telle que le best of (quelques mois après la fin de l’émission), faisant
ainsi appel aux notions de rémanence de souvenirs et de nostalgie.
4.2- L’offre expérientielle du site Web de Star Académie
Le deuxième axe d’observation du concept expérientiel de Star Académie est celui du site Web de
l’émission. Poursuivant une couverture continue, par le biais d’une trentaine de caméras et de
micros, le site de l’émission offre un accès au vécu dans l’Académie. Produit quasiment brut, livré
en direct (trois minutes de battement pour d’éventuelles censures), le contenu des images est filtré
mais échappe en partie au contrôle des producteurs, il ne demande cependant pas de mise en scène.
Permettant le regard constant du public, selon différents angles de vues, les Webcams de Videotron
promettent « de pénétrer dans les coulisses de Star Académie ». Cet accès propose un flux
expérientiel continu de l’action in situ. Dans ce contexte, la notion de temporalité appartient au
spectateur qui en dispose à son goût, de manière personnalisée. En effet, c’est de façon individuelle
que le rythme de consommation du produit est décidé par le public. À l’opposé de la diffusion
télévisée, l’accès des Webcams, sur le site Internet de l’émission, est restrictif, il est fermé et
nécessite l’acquittement d’un droit d’accès. Pour le consommateur, ce produit est complémentaire
au produit de télévision. En effet, le gala dominical est seulement visible sur le réseau de télévision
de TVA, alors que l’entièreté du quotidien de l’Académie n’est observable que depuis le site
Internet. Ainsi, le public d’Internet consomme généralement une partie des programmes de
télévision, notamment les galas, et complète le reste de son observation par les Webcams, à sa
guise.
Outre l’accès aux caméras, le site Internet de Star Académie présente de nombreuses autres options.
Selon Marie-Claude Massie34 les options les plus courues sur le site Web sont celles permettant de
34 Entretien du 23 avril 2004
65
fréquenter les salles de discussion, la salle des nouvelles, les fiches biographiques des candidats, les
vidéos exclusives, les albums photos et les accès chat du dimanche (discussion avec une personne
exerçant un des « métiers de Star académie »). Selon la Directrice Marketing de Netgraphe35,
Louise Morgan, environ 250 000 personnes sont abonnées au bulletin de nouvelles
bihebdomadaires de Star Académie distribué par courriel. En 2004, une moyenne de dix millions de
pages ont été visitées sur l’ensemble du site, lors de la durée de l’émission. Parmi les amateurs de
Star Académie, une partie ne fait que consulter la portion gratuite du site (la salle de nouvelles par
exemple), où l’information récente concernant la vie de l’Académie est mise à la disposition du
public. D’autres individus, plus impliqués, ont, quant à eux, accès à la deuxième partie du contenu
offert par le site, en souscrivant à un forfait de consultation (illimité : photo+ vidéo + forum).
Netgraphe, qui exploite le site Web de Star Académie offre aussi un forfait souvenir (9.99$) dès la
fin du concours.
Les abonnés sont souvent des habitués et des fidèles qui se retrouvent lors de chaque nouvelle
édition du concept Star Académie. Ces abonnés sont en général des amateurs de télé-réalité
québécoise. Marie-Claude Massie remarque que ces individus sont souvent inscrits sur les sites
Web des émissions de télé-réalité de TVA (qui a choisi de se spécialiser sur ce créneau) sous les
mêmes pseudos. Les internautes membres de la communauté (c'est-à-dire ayant souscrit un forfait)
sont fidèles dans la durée et semblent fréquenter les salles de discussion sur une période dépassant
celle du jeu. Marie-Claude Massie explique par exemple : « c’est souvent les mêmes pseudos que
l’on retrouve, et on reconnaît certains internautes qui sont passés du site de la première version de
Star Académie à celui de l’émission de télé-réalité Occupation Double, puis ensuite à celui de la
deuxième version de Star Académie, mais tant que le site est ouvert ils le fréquentent. En ce
moment, certains discutent de Star Académie 2 sur le site d’Occupation Double mais l’émission est
terminée depuis des mois. Du détournement de site ! ». En ce sens, le site de l’émission semble être
un lieu de rencontre continu, de par le caractère sériel des émissions. Le site Web constituerait un
lieu de rendez-vous auquel adhèrent les passionnés de télé-réalité.
Ce qui connaît le plus de succès sur le site sont les nouvelles (alimentées régulièrement sous la
forme d’un bandeau mobile situé sur la page d’accueil) ainsi que les archives vidéo (plus de 1000
extraits disponibles pour la deuxième saison de Star Académie). Cependant, Marie-Claude Massie
remarque que les forums sont aussi une option qui rassemble beaucoup d’amateurs. En fait, le
35 Entretien du 12 mars 2004
66
caractère expérientiel de Star Académie dépasse la simple diffusion d’images pour incarner une
communauté de passionnés qui échangent dans des salons virtuels de discussions. Autre aspect
intéressant, selon Marie-Claude Massie, la rubrique des métiers de Star Académie connaît un très
grand succès. Il s’agit d’un chat hebdomadaire avec une personne de l’équipe de production de Star
Académie qui explique son métier et répond aux questions des internautes. Marie-Claude Massie
précise que cela plait aux membres du site, puisque tout ce qui touche aux coulisses de Star
Académie les intéresse.
L’équipe de Netgraphe s’applique à entretenir le renouvellement du contenu du site Web, de
manière à nourrir les internautes de façon continue. Par exemple, le bandeau défilant des nouvelles
est très important précise Marie-Claude Massie : « les membres du site se sentent comme à
l’Académie, en temps réel ». Chez Netgraphe, on parle de la « frénésie du lundi matin ». Par
exemple, Marie-Claude Massie raconte que le lundi suivant le premier gala de Star Académie
(lancement de la deuxième saison) : « avant midi, 110 000 visites avaient été effectuées sur le site
de l’émission, mais c’est surtout entre 4 h et 6 h du matin qu’il y avait le plus de monde ». Si le site
Web offre une partie exclusive du contenu expérientiel de Star Académie, il permet aussi de voter,
le forfait inclut d’ailleurs un « bloc de 10 votes ». Enfin, le site Web permet aux abonnées l’accès
aux journaux intimes que chaque candidat rédige hebdomadairement ainsi qu’à un espace de
dédicaces virtuelles.
4.3- Les produits complémentaires au concept expérientiel
Plusieurs produits complémentaires viennent encore élargir l’offre expérientielle de Star Académie.
Le partenariat radiophonique avec Radio Énergie permet de poursuivre le flux expérientiel par le
biais des diffusions consacrées au concept, elles proposent des entrevues exclusives des candidats
en ballottage ou évincés, mais aussi la diffusion simultanée du gala hebdomadaire sur ses ondes.
Des émissions d’information quant à l’évolution du jeu sont offertes de manière quotidienne,
suivant plusieurs plages horaires.
Au niveau de la presse, le Journal de Montréal et le Journal de Québec couvrent l’évènement de
manière quotidienne. Parallèlement, les magazines du groupe Quebecor apportent des informations
relatives aux potins de l’Académie et consacrent leur une à l’évènement, pendant la durée de
l’émission.
67
Un autre aspect vient ensuite marquer cette offre expérientielle par le biais des commandites
entourant l’émission. Plusieurs partenaires intègrent l’événement avec la promotion de produits
touchant une cible assez large (Toyota et les restaurant Subway, par exemple) ou encore plus
précise (par exemple, Procter & Gamble s’adresse aux femmes, avec trois marques de cosmétiques).
Ces partenaires s’affichent lors des pauses publicitaires à la télévision, ils occupent aussi une partie
du site Internet (« la zone Beauté Naturelle de Procter & Gamble) et enfin s’intègrent dans le
concept même du jeu en sponsorisant certaines activités (tel que le Rallye Toyota des
Académiciens) et sous la forme de cadeaux offerts aux candidats. Les marques associées s’affichent
aussi dans leurs points de ventes. Par exemple, Videotron propose des kiosques de votation dans ses
succursales, et Archambault habille ses commis d’une tenue Star Académie pendant la durée de
l’émission. Ces points de vente en plus de renforcer la continuité du flux expérientiel et sa
cohérence, permettent la mise en avant des produits dérivés du concept, tels que le merchandising,
les disques et la tournée de spectacles.
Enfin, il nous a été donné de constater une forme de prolongement du concept d’expérience de Star
Académie, permettant la poursuite du flux expérientiel. Ainsi, avec la diffusion d’émissions
spéciales à la télévision (annoncées comme étant des évènements), comme ce fut par exemple le cas
des World Best (un concours organisé par Endemol, qui regroupe l’ensemble des gagnants des
émissions Star Académie du monde entier) ou encore avec le lancement du disque de la finaliste de
la première saison de Star Académie, et par la diffusion du spectacle de la tournée d’été des
académiciens. Enfin, fort de ce succès autour de Star Académie, TVA a installé dans sa grille de
programmes deux nouvelles émissions : Demandes Spéciales (talk show musical animé par des
académiciens) et les Auditions de Star Académie (qui précède l’émission et offre aux
téléspectateurs la diffusion des castings).
4.4- L’habillage expérientiel du concept Star Académie
Le concept expérientiel étendu que représente Star Académie repose sur la solide base de l’émission
de télévision. Or, l’observation de son habillage expérientiel (Filser, 2002) nous permet de rapporter
plusieurs aspects intéressants : ses décor, intrigues et actions.
Le décor au sein duquel se déroule le concours est celui d’un chalet cossu appartenant au dirigeant
du groupe Quebecor, Pierre Karl Péladeau. Équipé pour le jeu, il permet d’asseoir le simulacre de
68
l’école prôné par le concept. En effet, le lieu dispose de tout ce qui est nécessaire à l’apprentissage :
salles de répétition, salles de sport, studio d’enregistrement… L’Académie est agencée de manière à
permettre l’intrusion du public de manière continue, par le truchement des micros et caméras, mais
aussi par un système d’éclairage performant et d’un aménagement permettant de multiples prises de
vues. Décoré de façon moderne et confortable (Ikea), le chalet assure une ressemblance avec
l’intérieur du logis du spectateur. Cette ressemblance troublante ainsi que les caractères
précédemment énoncés permettent d’ajouter un flou entre la notion d’espace filmé et d’espace
spectatoriel qui est propre aux concepts de la télé-réalité. La topologie des lieux renforce la
scénographie du concept puisqu’il devient admissible, dans ce contexte, que les candidats suivent
un script et jouent un rôle attribué par les concepteurs du jeu.
L’émission de télévision du gala dominical est enregistrée dans un studio répondant aux critères
technologiques d’une grande émission de variétés. Les moyens utilisés pour le « show » renforcent
l’aspect spectaculaire des performances données par les candidats et les stars invitées. Ces
performances ainsi mises en valeur viennent soutenir la compétition sur laquelle repose le concours,
tout en rassurant sur l’idée de vraisemblance de l’offre expérientielle. Enfin, pour ce qui a trait au
décor du gala, la présence des familles des candidats dans le Studio Mel’s vient soutenir le caractère
réel et authentique de l’expérience. Les parents sont témoins de l’aventure et ils en attestent
physiquement, ils font partie du décor.
L’intrigue de l’habillage expérientiel s’inscrit de manière prégnante dans la trame dramatique dont
les conclusions ressemblent à un conte merveilleux (généralement révélées par un deus ex machina
spectaculaire). La compétition et le risque d’élimination créent le suspense duquel le héros
triomphera. Cet aspect est renforcé par le caractère sériel et régulier de la couverture médiatique.
L’intrigue connaît des rebondissements, et suit chaque semaine une série de rituels : les nominations
de « mise en danger » (ballottage), les répétitions et préparations des performances (ce qui
ressemble au système scolaire finalement), puis le résultat des votes. Le suspense est ainsi entretenu
du mardi au dimanche soir, il est alimenté par des évènements internes (amourettes, conflits…) et
externes (voyages, visites de personnalités…) qui renforcent la trame dramatique ainsi que le
caractère épique de l’histoire. Le vocabulaire et les symboliques communiqués lors des diffusions
(plans choisis par la production) rappellent ces intrigues et les entretiennent. C’est particulièrement
lors du gala du dimanche que cet aspect est le plus flagrant, notamment du fait du caractère
cérémoniel propre à ce « show ». Enfin, il faut souligner que la convergence médiatique entourant
69
le concept augmente l’intrigue dramatique, l’évènement est annoncé, anticipé, suivi, vécu et
commenté.
L’habillage expérientiel du concept de Star Académie se concrétise par des actions,
particulièrement des visites de certaines personnalités à l’Académie (par exemple le Premier
Ministre Charest) et la participation des stars du monde du spectacle lors du gala. Cela tend à
crédibiliser l’expérience offerte, même s’il s’agit de mises en scène. Cela permet aussi d’atteindre
une forme de compromis intergénérationnel en touchant un large public, en rajeunissant les succès
qui sont chantés lors du gala; ainsi qu’un renouvellement du contenu expérientiel. Une autre
manière de soutenir l’attention du public se révèle dans le caractère singulier et merveilleux de
l’aventure Star Académie pour les candidats (des cadeaux luxueux, des voyages à Paris, New
York…) et par la présentation d’un spectacle cérémoniel le dimanche soir. Mais, parallèlement, un
sentiment de proximité est exploité par le biais des reportages couvrant les manifestations
régionales de soutien aux candidats, ces reportages sont diffusés lors du gala. L’implication du
public, en plus d’être suscitée, est aussi montrée et se traduit par la participation avec le vote ou
encore plus activement par la manifestation.
Ces trois aspects de l’habillage expérientiel sont complétés par des éléments supplémentaires dont
le casting qui est essentiel au succès du concept. Celui des candidats, sans qui il n’y a pas de
contenu produit ni de public impliqué; celui des professeurs de l’Académie, sans qui le contenu
resterait fade et non justifié et, enfin, celui de l’animatrice qui présente et explique le contenu au
public. Le casting des candidats est crucial (il sera d’ailleurs diffusé dans sa quasi intégralité lors de
plusieurs émissions précédant le lancement) car il permet de retenir des académiciens
potentiellement intéressants, susceptibles de charmer les spectateurs (ou au contraire de se faire
détester), entraînant les phénomènes d’identification et d’attachement qui conduisent à l’implication
et à la participation du public. Le recrutement des professeurs est aussi important car ces derniers
crédibilisent le mandat propre à l’Académie, c’est à dire l’apprentissage par le biais des notions
d’efforts et de discipline. Les professeurs de l’Académie apportent une forme de légitimité
artistique du fait de leur encadrement. Enfin, le personnage de la présentatrice Julie Snyder est
déterminant, puisqu’elle occupe le premier rôle le dimanche soir lors du gala. En plus d’exposer les
faits au public, Julie Snyder a la responsabilité d’authentifier l’expérience spectaculaire. Sa parole
est essentielle à l’évolution du concept puisqu’elle est l’énonciatrice du verdict issu du choix du
public. Dans le tableau 1,à la page suivante, le lecteur trouvera une illustration synthétique de
l’habillage expérientiel de Star Académie.
70
Tableau 1 Habillage expérientiel du concept de Star Académie (adapté de Filser, 2002)
Décor
Intrigues Actions
Casting
Chalet cossu Trame dramatique Visite de personnalités Casting des candidats
(diffusée à la télévision) : Assure le contenu du produit offert. Favorise les phénomènes d’attachement et d’identification de la part du public.
Simulacre de l’école Conte merveilleux Participation de certaines stars aux galas
Casting des professeurs de l’Académie : apporte légitimité artistique au concept, permet de soutenir les thématiques de l’effort et de la discipline.
Accès intrusif continu Deus ex machina spectaculaire
Orchestrations et mises en scène de la vie académicienne
Casting de l’animatrice du gala : J. Snyder permet d’authentifier l’expérience populaire, agit tel une énonciatrice u verdict, lien entre le public et les héros.
Ressemblance avec intérieur familial (Ikea)
Symbolique du héros Compromis intergénérationnel dans le choix musical
Flou entre espace spéctatoriel et espace filmé
Épisodes diffusés en série régulière
renouvellement du contenu expérientiel maintient l’attention du public
Studio télévision high Tech
Rebondissement des intrigues : suspense alimenté
Aventure singulière et merveilleuse que vivent les candidats
Présence des familles des candidats (authentifie l’expérience)
Rituels des actions et caractère cérémoniel du gala dominical
Participation et implication du public (vote)
Amplification médiatique issue de la convergence
71
C’est finalement la combinaison des quatre éléments, que sont les décors, intrigues, actions et
castings, qui constituent l’habillage expérientiel de Star Académie et rend plausible l’expérience du
concept. L’habillage du concept expérientiel est élaboré depuis le modèle standard proposé par
Endemol, mais Star Académie devient une version singulière en intégrant des ingrédients
expérientiels (Bénavent & Evrard, 2002) locaux permettant d’élaborer une recette unique, propre au
spectacle expérientiel d’un divertissement québécois.
Le discours entourant l’offre du concept Star Académie est axé sur les thèmes du plaisir et de la
découverte. Le discours invite à la participation individuelle pour la prise d’une décision collective,
par le vote. Ainsi donc, la narration entourant le produit fait aussi partie de la mise en scène, et est
renforcée dans son aspect expérientiel par la complémentarité des ingrédients de l’offre. Cela l’est
d’autant plus que la narration suscite une part d’imaginaire permettant de dépasser la réalité
quotidienne par l’évasion. Elle l’est aussi parce qu’elle inclut le spectateur qui fait partie de
l’histoire qui se construit sous ses yeux.
L’habillage expérientiel apporte donc un ensemble cohérant, articulé autour d’une multitude de
détails étudiés, permettant de soutenir l’offre. Ces détails, que le public peut authentifier sont
conçus en fonction de la convergence médiatique, pour produire une expérience singulière et totale.
Il s’agit donc d’une offre expérientielle au sens large, qui dépasse le simple produit de spectacle,
pour prendre la forme d’une organisation expérientielle (Boulaire & Deroubaix, 2004) de
divertissement. Celle-ci est composée d’une constellation d’ingrédients capable d’un rythme intense
de flux émotionnel, renforçant l’aspect expérientiel. En effet, leur contenu est à la fois dynamique et
constamment renouvelé. Cela permet de se prémunir des situations soporifiques, notamment par
l’intervention de divers rebondissements scriptés permettant la production de nouvelles scènes et
situations expérientielles susceptibles, à leur tour, de créer du sens pour le public et de générer des
émotions. La convergence médiatique sur laquelle repose la constellation expérientielle permet
donc l’extension de l’offre expérientielle.
Or, l’offre expérientielle que nous venons de décrire est issue d’une multitude de paradoxes propres
à l’individu postmoderne dont nous avons relaté les caractéristiques plus haut. Fort de ce constat,
nous pouvons prétendre que Star Académie est un concept expérientiel dont le profil est
postmoderne.
72
4.5- Une offre expérientielle postmoderne
S’inscrivant dans l’ère du spectacle et du spectaculaire, Star Académie est annoncé comme un
événement, un rendez-vous de divertissement qui suit un mouvement sériel. Mélange de faits
authentiques et de montages, le contenu paraît tantôt être un reportage documentaire, tantôt une
fiction. Présentant une équipe de candidats que le public suit pendant plusieurs semaines, les
notions de personne, personnage et personnalité tendent à se confondre. En effet, c’est d’un
mélange des genres que résulte le concept de télé-réalité. Or, la mise en scène de l’authentique, les
différents rôles des participants, les stimulations sensorielles, émotionnelles et mentales, l’idée d’un
lieu d’évasion (à la fois nouveau et familier), la continuité des émissions à travers le temps (Star
Académie I, II, III), l’identification à une communauté émotionnelle (à investir et à soutenir) ainsi
que l’exploitation de l’aspect ludique sont des points qui correspondent au cadre postmoderne. Mise
en exergue par Boulaire et Montiglio (2003), la notion de gestion de l’expérience d’un produit de
divertissement télévisé, dans un contexte postmoderne, est observable dans le concept de Star
Académie.
Il est vrai que le produit expérientiel, suivant la perspective postmoderne, répond à une quête
d’expérience d’un individu aux sois multiples que le spectacle, même s’il doit contenir une part de
simulation, ravit d’autant plus qu’il est soutenu par de nombreuses technologies. Dans ce cadre,
l’expérience est mise en scène, elle repose sur des éléments ludiques, elle est gérée et alimentée
suivant un scénario, afin de délivrer un flux expérientiel. Ludique, Star Académie est avant tout un
jeu et un divertissement télévisé. L’observation des coulisses du jeu, puis l’implication dans le jeu
lui-même, sont rendues possibles par différents supports (issus de la convergence médiatique).
Permettant une sorte de grignotage de la part du consommateur, à sa guise suivant ses envies,
rappelant ainsi une certaine philosophie hédoniste. Mélange d’un contenu ludique pris au sérieux,
d’une part de frivolité exploitée avec légèreté, le concept parvient à répondre à une demande de
stimulations mentales et émotionnelles, desquelles émergent des regroupements communautaires.
C’est en ce sens que le concept se veut émancipant pour le consommateur, puisque qu’en plus de
participer par le vote, il tend aussi à s’impliquer en encourageant et soutenant son candidat préféré.
Cet engagement est généralement éphémère, il dure le temps du jeu.
Générant confusion entre la réalité et la fiction (TVA diffusait des exclusivités relatives au concours
dans le bulletin de nouvelles), le spectacle est alimenté de manière continue. S’appuyant sur une
trame dramatique clairement décelable, le concept n’hésite pas à emprunter le vocabulaire
73
spécifique du monde du spectacle pour crédibiliser l’expérience. Dans cette situation, l’expérience
extraordinaire émerge d’une situation dramatique qui favorise l’imaginaire. Diffusé régulièrement
(en moyenne une fois par an), suivi par de nombreux fidèles, le concept permet au spectateur
l’acquisition d’une certaine forme d’expertise, du fait du capital expérientiel cumulé.
Star Académie, en invitant le spectateur à participer au jeu, en l’impliquant dans le processus
évolutif du concours, permet au consommateur d’être actif (échappant donc au stéréotype du public
aliéné) et de s’émanciper, notamment en devenant co-producteur de ses expériences. De même, en
invitant tout un chacun à participer (par le vote), le produit expérientiel se veut profondément
démocratique (Boulaire & Deroubaix, 2004). Enfin, de par son aura rassembleuse, Star Académie
se veut aussi un produit intégrateur, et même unificateur, générant une forme de cohésion sociale.
Le produit est aussi fédérateur du fait de son potentiel de socialité (Boulaire & Deroubaix, 2004),
par le biais des forums de discussion de son site Web où les passionnés peuvent partager leur
ressenti expérientiel (en ce sens, la technologie soutient le caractère rassembleur de l’émission).
Il semble donc que le concept expérientiel de télé-réalité Star Académie réponde à un profil
postmoderne. Ayant ancré notre description dans les résultats des travaux de Cova (1997), Firat &
Venkatesh (1993), McCracken (1988) et Sherry (1991), nous avons su montrer que Star Académie
présente des caractéristiques du profil de produit postmoderne (Boulaire & Deroubaix, 2004). En
effet l’effritement de plusieurs frontières telles que celles de personnes ordinaires/célébrités, vie
privée/vie publique, commercial/culturel, authentique/simulé, réel/imaginaire,
producteur/consommateur ressortent de notre analyse. De plus, les notions d’authenticité et de
transparence sont aussi présentes; de même que celles de spectacle et simulations, et
d’omniprésence des nouvelles technologies permettant de supporter l’offre et d’encourager sa
diffusion.
4.6- Un concept expérientiel commodifié
Cet éclairage intéressant nous permet donc d’affirmer que le concept expérientiel est issu d’une
série de paradoxes et de l’entretien de plusieurs situations floues issues du mélange des genres. Cela
nous permet d’observer un concept constitué sous la forme d’une constellation d’ingrédients
expérientiels (Bénavent & Evrard, 2002) venant agrémenter l’offre principale du jeu concours.
Cette organisation consent à offrir au public un concept complet, formé d’une multitude d’éléments
74
sans cesse renouvelés et améliorés. L’organisation expérientielle du concept favorise l’engagement,
l’implication et la participation du consommateur, ce dernier la consomme comme bon lui semble,
tel un grignotage.
Il nous semble donc pertinent d’avancer l’idée d’un concept commodifié de l’expérience,
s’appuyant sur une convergence des médias pour favoriser et faciliter l’appropriation du concept par
le public. La marchandisation de l’expérience revêt, du fait de sa mise en scène, la forme d’une
aventure à laquelle le spectateur est invité à participer. Le concours de plusieurs éléments permet
l’émergence d’un flux expérientiel générant sensations et émotions chez le public. Ce flux est en
plus organisé, géré de manière sérielle et régulière, ce qui permet d’entretenir le caractère
expérientiel du produit en lui conférant un certain rayonnement prolongé. Offert au consommateur,
le concept est facilement personnalisable, répondant ainsi au souci d’exploration et d’affirmation de
l’individu. Générant des réactions émotionnelles, ainsi que le développement d’un sentiment
d’appartenance (notamment par la ritualisation des mises en scènes), le concept est ouvert à de
multiples exploitations, au gré des envies de chacun, il est relativement flexible (supports
technologiques multiples) et permet de nombreuses interactions. L’offre expérientielle Star
Académie répond à ce que Boulaire & Montiglio (2003) qualifient de « flux social », en décuplant
les réponses aux attentes de l’audience.
L’organisation expérientielle met en valeur des caractéristiques qui font appel aux émotions et
sensibilités du consommateur, permettant de lui faire vivre une expérience de consommation
agréable, par le biais du divertissement et de l’évasion. Enfin, une dynamique hédoniste vient
s’inscrire au cœur du concept, telle une finalité de l’offre expérientielle de consommation.
L’expérience, intangible de par sa nature, est concrètement commodifiée puisque « vendue » pour ce
qu’elle est. Elle est aussi quelque peu standardisée, scriptée de manière à accueillir le
consommateur et à le guider dans un environnement chaleureux et thématisé. Cependant un
caractère de grande liberté entoure l’offre expérientielle que le consommateur est invité à
s’approprier. Ainsi, tout est mis en place pour que le consommateur vive une expérience plaisante,
stimulante et divertissante.
Bâti depuis un thème artistique, le concept de Star Académie se présente sous la forme d’un
microcosme intense et éphémère, qui dispose de rythme et dynamique propres, favorisant
l’intégration expérientielle. Star Académie est donc plus qu’un jeu télévisé, c’est une aventure
collective dont le consommateur fait partie. Il s’agit d’un concept expérientiel organisé, imaginé et
75
conçu par des gestionnaires. Constitué tel une constellation expérientielle, Star Académie est un
ensemble expérientiel ouvert et cohérent, que le consommateur est libre de s’approprier suivant ses
goûts et envies (tableau 2 ci-dessous).
Tableau 2 : Caractéristiques du concept expérientiel commodifié
Star Académie le concept expérientiel commodifié
- Offre expérientielle totale, cohérente et soutenue => produit festif, divertissement musical
- Contenu expérientiel complémentaire et diversifié => télévision + Web + convergence média +
commanditaires…
- Événement Star Académie programmé, annoncé et attendu => spectacle ritualisé
- Temporalité imposée (télévision) et libre (Web)
- Participation du public suggérée de manière continue => identification spectatorielle
- Responsabilisation des spectateurs (implication) => cohésion collective
- Alimentation continue, renouvellement du produit => offre évolutive
- Poursuite d’un flux expérientiel
- Rémanences nostalgiques (souvenirs des saisons précédentes, best of, émission spéciales,
tournées…) => prolongement expérientielle
76
Chapitre 5 : l’appropriation expérientielle mise en récit. La communauté
comme un espace de ré-enchantement
C’est en s’imprégnant du concept de l’offre expérientielle, en le fréquentant assidûment, que le
processus d’appropriation est rendu possible. Il s’agit donc d’identifier les différents éléments
concourrant au phénomène d’appropriation expérientielle, c'est-à-dire les facteurs qui incitent le
consommateur à développer une relation approfondie avec le concept. En effet, plusieurs éléments
servent de support à l’expérience et à son appropriation, rendant ainsi le concept plus large,
notamment d’un point de vue temporel et géographique. Afin de considérer la réception de l’offre
expérientielle, nous nous intéresserons à ce qui en est dit, par analyse du contenu d’un forum de
discussion consacré à un candidat de la deuxième saison de Star Académie. Le forum constitue un
ensemble de contenu discursif des fans et amateurs de Star Académie. Il est important du fait que
les fans en question prennent littéralement possession du site de conversation virtuelle durant toute
la période du jeu, et même par la suite, après que les résultats du concours furent rendus. Le contenu
de la Zone de Cornéliu met en évidence les interprétation et compréhension de cette expérience de
consommation, il est en fait un récit collectivement produit, et justifie de l’appropriation
expérientielle.
Dans la suite de ce document, nous nous intéresserons à la construction sociale d’un mythe élaboré
depuis l’offre expérientielle décrite plus haut. En effet, la forme d’appropriation expérientielle qu’il
nous a été donnée de constater, lors de notre analyse netnographique, provient d’une passion
singulière pour un candidat. Cornéliu semble représenter la perfection, chacun se retrouve en lui, et
dans son histoire, il existe une double notion de distance et de proximité. L’histoire de Cornéliu en
fait un héros, le détenteur d’un pouvoir magique. C’est le personnage issu d’une double
construction tant par le fait des médias que des admirateurs, la « star », c'est-à-dire la
« surpersonnalité » à la fois marchandise et idole, selon Edgar Morin (1957), une figure sociale
vraie et concrète pour ses fans, une construction sociale.
La participation de Cornéliu à Star Académie fut vécue tel un phénomène, modérément couvert par
la presse et la télévision, passablement officiel (les manifestations) mais surtout ressenti dans
l’ombre du réseau Internet, au travers des méandres de cette technologie que tous ne maîtrisaient
pas au début de l’aventure. Passion extraordinaire, vécue avec enthousiasme et émerveillement par
77
des individus admiratifs devant un candidat d’une télé-réalité (sans qui ce dernier n’aurait
probablement pas été celui qu’il a été durant l’hiver 2004), voilà donc l’objet de ce chapitre.
Les admirateurs d’un candidat d’une émission de télé-réalité méritent que l’on s’intéresse à eux
pour plusieurs raisons. Tout d’abord parce qu’ils forment un échantillon du public qui a suivi avec
ferveur l’émission, c'est-à-dire qu’ils se situent parmi les trois millions de fidèles que l’émission a
rejoint chaque semaine. Ensuite pour ce que leurs récits peuvent nous renseigner sur le processus
d’appropriation du concept expérientiel Star Académie, et enfin sur une phénoménale réussite
commerciale.
5.1- L’appropriation du concept expérientiel
L’appropriation d’un concept expérientiel est dépendante du niveau d’implication de l’individu.
Ainsi, l’expérience du consommateur se bâtit différemment d’une personne à un autre. Si certains
sont extravertis, ils connaîtront moins de réticence quant à participer et donc s’approprier
l’expérience, via le forum. Pour d’autres, c’est principalement l’aspect artistique du concept qui
importe. Pour d’autres encore, c’est plutôt le caractère évolutif du concours et le jeu compétitif qui
sont centraux. Il existe donc différentes manières pour le consommateur de recevoir l’expérience de
Star Académie, à partir du concept mis à sa disposition par le producteur.
Tous les forumers n’ont pas une même approche du forum de discussion; ainsi nous percevons par
l’analyse des propos échangés que les actions des consommateurs varient selon leur implication.
Celle-ci, en se concrétisant par la participation, doit produire du sens lors de l’échange entre les
individus. En partant, la volonté de souscrire à un forfait d’abonnement au site Internet de Star
Académie démontre déjà d’un certain intérêt pour le concept, et d’une volonté de participation. Cela
l’est d’autant plus que le site Web de l’émission constitue une continuité avec la diffusion à la
télévision. Ensuite, c’est l’action des individus et leur implication dans la communauté virtuelle qui
leur permet de s’inscrire, plus ou moins intensivement, au sien du groupe, mais aussi de s’engager
dans le processus d’appropriation expérientielle.
78
5.2- De l’intérêt vers la passion
Les expériences narrées sont des récits, ils contiennent un commencement (généralement l’origine
de leur passion), une mise en intrigue (le suspense du concours et le sort qui attend Cornéliu,
suspense, bouleversements, progression avec développement de la communauté et organisation du
soutien), un suspense qui culmine avec l’émergence d’un profond sentiment de partage et de vécu
commun, puis une fin. Ces récits s’inscrivent temporellement dans l’existence des individus. En
effet, il y a, selon leurs dires, un changement dans leur vie, un avant et un après Star Académie.
Sur la Zone de Cornéliu, les premiers récits sont des écrits sur soi, des témoignages qui tendent à
expliquer la raison de leur intérêt pour le candidat. Généralement c’est le caractère esthétique qui
est mis en avant, émanant du talent du participant et de sa sensibilité. La musique est dans ce cas le
vecteur de communion et d’émotions partagées. L’imaginaire lié à l’authenticité de Cornéliu (son
histoire, ses valeurs…) fait de lui l’incarnation du véritable héros. Puis au fil du temps, du fait de
l’attachement et de l’affection, ses admirateurs lui attribueront un surnom : Popcorn (appropriation),
Cornéliu va ensuite devenir un mythe, une icône.
Cornéliu est un modèle. En effet, on s’attache au candidat en raison de sa personnalité (il reflète des
valeurs auxquelles les admirateurs adhèrent), Cornéliu est un exemple à suivre, un espoir pour la
jeunesse, un gendre idéal. Le modèle est talentueux, qualifié d’être exceptionnel, intouchable (lien
entre imaginaire et réalité), mais par certains aspects il leur ressemble, précisent-ils. Ses admirateurs
le trouvent mature, drôle, intelligent, ils observent sa manière d’être, ils lui accordent beaucoup
d’attention et se soumettent volontiers à son influence. Ainsi, s’installe l’impression de rencontrer
quelqu’un qui pense comme eux, qui sait mettre des mots sur les sentiments qu’ils éprouvent, qui
exprime une originalité. Cornéliu devient quelqu’un dans leur quotidien, la star les inspire. Artiste
émergeant, Cornéliu correspond à ce qu’ils attendent de la relève musicale québécoise.
Cornéliu leur donne l’illusion d’une autre vie (échappatoire, exutoire), riche en aventures et en
expériences. Ils vibrent avec lui, gagnent avec lui, depuis leur écran. Leurs émotions et leur
imaginaire leur permettent de se laisser aller, de se laisser porter par l’histoire (l’aventure) et de
s’attacher au personnage. Les admirateurs ont du mal à distinguer la vraie personne du personnage,
de l’artiste en représentation. Cornéliu s’immisce dans leur vie car ils l’ont choisi, il prend la place
qu’occuperait une personne physique (ils en parlent à table !). Ils s’adressent à lui sur le forum,
79
imaginent des scènes où ils le rencontrent et deviennent amis. Le temps qu’ils passent avec lui, dans
l’imaginaire ou virtuellement via l’écran d’observation, est très agréable, ils veulent faire durer le
plaisir. Interviews, reportages… Les admirateurs glanent des informations à son sujet et, au fur et à
mesure, ont l’impression de partager sa vie (d’autant qu’ils le voient 24h/24 sur la Webcam).
Relation platonique, les passionnés s’accordent à accepter, et jusqu’à un certain point à se contenter,
de la relation unilatérale avec le héros. Pour certains, le simple fait d’écrire à Cornéliu, via le forum,
relève du sentiment d’avoir accompli quelque chose. Les admirateurs, dans leurs propos, donnent de
grandes preuves de leur fort degré d’investissement : temps passé devant l’écran de télévision ou
d’ordinateur, les objets dérivés achetés.
Alors qu’ils suivent l’évolution de son apprentissage à l’Académie, les passionnés ne cessent de se
documenter sur la biographie de Cornéliu (légende). Tous les jours, ils ont rendez-vous, à la même
heure, devant leur écran (comme un rendez-vous amoureux), tous lui sont fidèles. Chaque jour, les
admirateurs voient son visage, entendent sa voix, repèrent ses changements d’humeur ou d’attitude,
guettent les signes de sa bonne ou mauvaise santé. Cornéliu prend corps dans leur vie quotidienne,
au point de devenir important tout comme un proche parent. Les forumers finissent par avoir plus
d’échanges sur Internet, au sein de la communauté, qu’avec leur famille et leurs amis. Ils sont
tellement attachés à leur star, qu’elle semble leur appartenir et faire partie de leur famille.
D’ailleurs, ils finissent par lui accorder une sorte de pouvoir sur leur propre humeur, leur chance et
même leur vie (superstitions).
Les admirateurs cherchent à être entendus, ils veulent qu’on prenne en compte leurs idées et avis.
Aussi, sur le forum, ils n’hésitent pas à prendre la parole, à faire des suggestions, à féliciter certains
membres de la communauté… L’espace d’expression de la communauté les implique d’autant plus
dans leur suivi de l’idole, et les pousse à étayer leurs arguments en sa faveur. En l’observant, ils
découvrent qu’avec leurs émotions ils peuvent, eux aussi, réaliser quelque chose de beau et de
valable : poèmes, déclaration d’amitié… Leur sensibilité au talent de Cornéliu les motive, les
stimule à découvrir et développer les leurs.
Le fait d’exposer leur intérêt sur le forum tend à tisser des liens entre les individus qui partagent le
même intérêt. De ce fait, les processus de pré socialisation, socialisation et acceptation au sein de la
communauté ont tendance à s’établir très rapidement. C’est que souvent les admirateurs ont vécu la
même expérience de révélation du talent de Cornéliu. C’est en général la première écoute qui est
80
vécue comme un choc, quasiment un choc biographique, une grande découverte (consommateur
explorateur). Dans la plupart des cas, elle a lieu lors du gala de lancement de Star Académie.
De plus, la fréquentation du site se base sur la notion d’échappatoire, d’exutoire des frustrations
quotidiennes. La découverte de Cornéliu est comprise comme une rencontre magique, par la
génération instantanée de l’admiration. Pour certains, le moment en question était tellement
grandiose qu’il a entraîné des fortes émotions (pleurs), et c’est d’ailleurs ce type de moment fort qui
rend l’expérience Star Académie inoubliable. Parcours non banal, la découverte de l’aventure
musicale est importante dans leur trajectoire personnelle, elle est renforcée par des amitiés
construites autour de leur passion. La naissance de la passion n’est jamais entièrement expliquée par
le premier contact, en fait la passion semble compliquée à décrire, malgré le recours à la métaphore
(par exemple, celle de coup de foudre).
Pour insister sur le phénomène soudain d’enchantement pour Cornéliu, certains posent comme
préalable (et aiment à le rappeler) leur inculture vis-à-vis des ténors et de l’opéra en général. Pour
beaucoup d’admirateurs, c’est le génie de Cornéliu qui les a mis en état de choc, notamment au
travers de sa voix. C’est d’ailleurs en s’imposant d’elle-même (ils n’ont rien su contrôler, ça les a
dépassé, précisent-ils), que la musique de Cornéliu s’est installée dans leur vie.
Ainsi, il convient de noter combien le processus d’appropriation est nié et à quel point la réception
expérientielle semble exclue de l’idée selon laquelle les admirateurs soient impliqués dans la
production du sens. Pour certains c’est un choc biographique, Star Académie a changé leur
existence, Cornéliu a marqué un tournant dans leur vie (métaphore de la renaissance). En ce sens,
l’instant ou l’époque est vécu comme un événement, puisque subi non intentionnellement. Il s’agit
d’un évènement abrupt dont les causes réelles sont incomprises des admirateurs eux-mêmes. Mais,
malgré ces circonstances, tous sont d’avis de féliciter Star Académie, ses professeurs et les
recruteurs.
La relation que les passionnés ont inventée et construite avec l’idole est une relation idéale, qui fait
parfois paraître leur propre réalité sans saveur et banale. Leur implication dans le jeu est telle, qu’ils
ont tendance à délaisser leurs obligations et leur vie familiale ainsi que leurs amitiés. Ils leur
accordent moins d’attention, puisque la relation qu’ils vivent avec l’image de Cornéliu est devenue
prioritaire. Entre eux, sur le forum, les passionnés partagent leurs émotions et vivent le même rêve,
avec beaucoup de sincérité, ce qui les conforte dans leur choix.
81
Enthousiastes et exclusifs dans leur idolâtrie, ils mettent un point d’honneur à demeurer fidèle (et ils
l’écrivent). Les admirateurs de Cornéliu passent une majorité de leur temps libre à assouvir leur
passion, ce qui ne leur laisse plus assez de temps pour s’intéresser au reste du monde. En se
passionnant pour le candidat, ils ont l’impression de partager son expérience et cela leur suffit. Ils
ont le sentiment de participer à son bonheur et délaissent ce qui les concerne proprement.
D’ailleurs, ils refusent de s’éloigner de leur culte et utilisent beaucoup d’énergie, de temps et
d’argent pour cultiver leur passion. Ce comportement de consommation compulsif entraîne parfois
une forme d’isolement du reste du monde. Ils ne pensent qu’à l’effet immédiat procuré, pas aux
conséquences futures. Le plaisir qu’ils retirent de l’expérience est intense et immédiat.
Quand ils parlent du charisme de l’artiste, plusieurs métaphores religieuses sont utilisées comme
pour expliquer qu’ils ont été touchés par sa grâce. Pour se familiariser, ils suivent une période
d’apprentissage à sa musique et s’imprègnent de son style. À chaque performance de l’apprenti
chanteur, ils connaissent un renouvellement de l’expérience magique et enchantée que son talent
leur communique. Ces « cérémonies du plaisir » sont reconduites, ensuite, grâce à un bricolage
technologique qui leur permet de réécouter les performances de l’artiste (cassettes vidéo, par
exemple). Il y a donc une recherche de prolongement du plaisir. Or, ces bricolages sont
généralement partagés, mis à disposition des membres de la communauté. Ainsi, il existe une forme
de partage de l’expérience de la Zone de Cornéliu, d’un certain investissement émotionnel. Cette
générosité collective émane d’une rencontre esthétique, d’une découverte artistique.
5.3- La passion a ses raisons
Ce qui n’était qu’un intérêt au début tend très rapidement à devenir une passion. Le cumul des
collectes d’informations, issus d’une boulimie de consommation médiatique (le site de l’émission,
mais aussi sur d’autres forums extérieurs), permet d’assouvir une curiosité débordante suscitée par
la découverte. Les passionnés sont constamment en état d’alerte. Ils sont infiniment curieux au sujet
de Cornéliu et de Star Académie, et surtout ne sont jamais complètement satisfaits, ni rassasiés, de
l’information qu’ils collectent sur l’objet de leur passion. Les fans sont à ce point impliqués dans le
jeu qu’ils vont jusqu’à commenter les commentaires des professeurs, simuler les mises en dangers
et mener des sondages sur les intentions de votes hebdomadaires. Faisant appel à une dimension
cognitive, ils jouent à évaluer l’interprétation musicale des candidats, avec leurs connaissances
personnelles d’amateurs, ils analysent avec leur sensibilité. Ils font donc aussi appel à une
82
dimension émotionnelle quand des émotions profondes et intenses sont générées par l’activité
(observation des Webcams, du show à la télévision, ou des échanges sur le forum). Enfin, une
dimension imaginative est utilisée quand ils rêvent à Cornéliu, quand ils se souviennent, ou quand
ils s’imaginent… et qu’ils en font part au groupe.
L’observation continue, via l’écran, des talents, des efforts, de l’acharnement au travail, répond en
partie à l’implication cognitive. Elle fait aussi référence à une implication affective, dont émergent
des sentiments et émotions, éveillant la sensibilité du spectateur. En effet, en devenant passionnés
du jeu, en suivant le concours assidûment par le biais des diffusions télévisées et par le truchement
des Webcams, les internautes ont développé une implication multiple qui les conduit à calquer leur
façon de vivre sur celle des candidats à l’Académie. Pour certains, il s’agissait de souper à la même
heure que les académiciens, pour d’autres d’adapter leur habitude quotidienne aux activités de
diffusion, modifiant ainsi leur emploi du temps et leurs repères temporels. Internet leur permet
d’adapter leur routine, sans devoir renoncer au divertissement. Le candidat leur permet de vivre des
moments d’émotion intense et extraordinaire qu’ils n’arrivent pas vraiment à expliquer et ont du
mal à exprimer. Dans ce contexte, l’empathie des camarades du forum est très appréciables disent-
ils, car entre eux ils se comprennent.
5.4- Les conséquences de la passion
Impliqués affectivement envers l’émission et un candidat en particulier, l’individu développe des
sentiments intenses et des réactions chargées d’émotions. Cela est renforcé par la trame dramatique
du jeu, notamment la dramatisation des éliminations. De cela émerge une forme d’attachement et
souvent une forte participation (votes). La passion est telle que le candidat, l’objet de la passion,
devient associé à la personne, il devient une partie de l’individu jusqu’à se révéler être une
extension de son soi, un soi étendu.
Or, la volonté de développer un contact approfondi avec le concept du jeu, tout en demeurant dans
un contexte « confortable », se concrétise par la fréquentation assidue du forum. Les visites
renouvelées engendrent une forme de dépaysement, un détachement des obligations quotidiennes.
Dès lors qu’il s’immerge, le consommateur apprécie son vécu expérientiel, il en oublie la réalité du
fait de la rupture temporelle. Les visites répétées entraînent la perte de certains repères
spatiotemporels. En effet, c’est au rythme des discussions que se développent les participations et
83
échanges, et donc que se développe l’implication des membres. C’est donc le groupe d’individus
qui alimente la communauté et impose sa propre dynamique. Or, en gommant les références à
l’extérieur, en ne se focalisant que sur le concept Star Académie, l’intégration expérientielle est
favorisée. Ainsi, si à la télévision tout est mis en scène pour apporter un moment de détente et
d’évasion par le spectacle, dans l’environnement digital c’est la participation des membres de la
communauté qui crée la matière de divertissement. Ainsi, l’individu perd la notion de réalité (par
exemple, Chouettechouette dit avoir omis de faire le ménage) et suspend sa routine. L’internaute se
retrouve transporté dans un environnement chaleureux et agréable, au sein duquel il s’immerge et
qu’il a parfois bien du mal à quitter. Certains avouent perdre le contrôle et la maîtrise du temps,
mais dans certains cas les contraintes extérieures les ramènent avec déception à leur réalité
quotidienne (par exemple, LauraLaura se dit agacée de devoir quitter le forum pour donner le bain à
sa fillette).
Une rupture temporelle s’est aussi produite pour certains, du fait des sociabilités virtuelles
développées. Ainsi, l’une de nos répondantes nous expliquait que durant plusieurs semaines elle a
fréquenté le forum tard dans la nuit afin de pouvoir échanger avec un des internautes dont les
propos lui paraissaient fort intéressants. Une autre, infirmière, nous a expliqué que de retour de ses
gardes de nuit, malgré la fatigue ressentie, elle profitait du calme matinal pour rattraper la lecture
des échanges et se tenir informée du développement de la communauté. Pris dans le forum, les
internautes perdent la dimension spatio-temporelle, ils se retrouvent délocalisés de leur quotidien.
Une forme de rupture spatiale est aussi apparue dans le quotidien des forumers, notamment sous la
forme d’une perte de distinction des repères privé/public. Par exemple, des conversations nocturnes
auraient pu avoir lieu par téléphone, ou encore par courriel, pour rester privées. Or, l’instauration
d’un climat de confiance rassure les forumers qui vont jusqu’à confier des points très personnels et
intimes.
Leur passion est dévorante. Dès lors qu’elle s’établit au quotidien, elle est vécue totalement et
dépasse le seul style musical pour toucher aussi la manière de vivre, de voir le monde et de le
comprendre. En ce sens, la passion procure une identité. Les forumers, par habitude, adoptent des
pratiques ritualisées du forum. Extension d’eux-mêmes, au fil du temps s’établit un solide
attachement au forum, une identification au lieu (qui réapparaît dans leurs souvenirs, par exemple).
Il existe un sentiment de sécurité qu’ils entretiennent avec ce point de rencontre des passionnés, en
raison de la familiarité éprouvée avec ce lieu qu’ils fréquentent assidûment.
84
5.5- La recherche d’informations supplémentaires
La passion grandissante, fomentée par son récit, entraîne par effet moteur une quête informative
émancipatrice. Elle se concrétise par la recherche d’informations supplémentaires et connexes, de
laquelle découlent un plaisir d’apprendre et une forme de satisfaction qui contribuent à rendre
l’expérience agréable et intéressante. Ce processus correspond aussi à un souci d’alimenter la
communauté pour en assurer la pérennité. Cette partie d’expérience, à caractère pédagogique,
ressemble à un apprentissage suscité par la passion. Elle aboutit à l’acquisition d’un savoir-faire,
que la communauté rend possible par l’entraide. Le forum devient donc un lieu d’apprentissage
permettant l’épanouissement, en plus de l’expression. Le statut d’objet culturel, que les fans
confèrent à la musique de Cornéliu, engendre une forme d’érudition légitime (« les délices de
l’expertise » selon Bromberger, 1998).
5.6- Le partage d’informations et de récits
La fréquentation du forum est une activité socialisante qui impose le respect d’une certaine
netiquette. En effet, les internautes y sont polis et courtois, rendant l’expérience plaisante, ce qui
procure une envie de demeurer dans l’environnement. Mais il est aussi nécessaire d’y trouver un
certain contenu, permettant de rassasier la quête informative. Dès lors, les discussions non
intéressantes sont écartées et l’emphase est placée sur le centre d’intérêt que représente Star
Académie. Le partage des récits, quant à la passion suscitée par un candidat, ajouté à l’observation
assidue des faits et gestes du personnage, ainsi qu’aux informations collectées à son sujet, favorisent
ensuite un sentiment de connaissance. En effet, en plus d’avoir l’impression de vivre l’expérience
avec eux (identification), les internautes passionnées ont l’impression de connaître les candidats, et
plus encore de faire partie de leur famille. S’en suit un sentiment de proximité qui est renforcé par
l’apparition régulière de messages provenant des proches du candidat qui viennent témoigner ou
expliquer certains faits (ses parents, ses amis…). De plus, outre ce sentiment de familiarité, se
développe aussi une sensibilité aux propos et manière d’être du préféré. Ce thème est souvent
développé dans les narrations pour mettre en évidences les points forts du candidat (pour vanter ses
talents). Cela abouti à la création d’un personnage à part entière, vivant une histoire dont les fans
font partie et qu’ils écrivent. En fait, les informations collectées touchent souvent l’aspect
biographique du candidat (souci de transparence) ce qui, au fil du temps, procure le sentiment de
85
compréhension du personnage et tend à l’édification d’un mythe, d’une légende vivante. Le plaisir
de parler de Cornéliu entre passionnés se double du plaisir de parler de soi à travers la passion.
L’admiration est aussi communiquée sous la forme de déclarations postées sur le forum, de cadeaux
envoyés à l’Académie, de votes pour soutenir le candidat. Les passionnés ne regardent pas à la
dépense quand il s’agit de leur préféré. De plus quand ils voient (par les Webcams) que leurs
cadeaux sont arrivés au destinataire, ils sont très heureux puisque cela concrétise un contact avec
l’artiste, une proximité. Ils se font ainsi connaître de lui. Ils n’hésitent d’ailleurs pas à partager cette
satisfaction sur les forums.
Au fil du temps passé sur le forum, des contacts approfondis et personnalisés s’instaurent et une
certaine connivence s’installe entre les assidus du forum. Cette socialité prend la forme d’une
symbiose, du fait d’un vécu expérientiel commun. L’atmosphère du forum est amicale, elle incite
donc le consommateur à y demeurer, à y flâner, même si la routine du quotidien le rattrape souvent.
Cependant, du fait de la familiarité qui se développe sur le forum, des habitudes qui s’instaurent
dans le quotidien des forumers, le forum est de plus en plus fréquenté. Certains parlent d’ailleurs
d’une certaine dépendance. Or, si il se développe une dépendance pour la fréquentation du forum de
discussion, il se développe aussi une addiction à l’objet de la passion. Souffrant de manque quand
ils ne le voient pas, ou de tristesse quand ils ne le voient pas assez, les passionnés cherchent à
maîtriser l’objet de leur passion en souhaitant conserver une certaine autonomie passionnelle vis-à-
vis du candidat (par exemple cassettes vidéo, extraits de radio, coupures de presse… voir annexe 5).
À l’intérieur de la communauté des fans, chacun cherche à se singulariser, à marquer une sorte de
positionnement individuel au sein de la collectivité. Or, il semble que deux types de symboliques
s’affrontent. En effet, d’un coté le plaisir que génère la fusion dans le collectif intégrateur, de l’autre
celui de la différenciation individualiste. La passion grandissante est en partie le résultat des
synergies passionnelles des membres du forum, ainsi la salle de discussion devient un lieu à part
entière. L’espace du forum, au fil du temps, s’inscrit dans une histoire mais aussi une symbolique
sociale. Cela est d’ailleurs nourri par les coupures et décalages temporels ainsi que par le rythme de
visite emprunté par les forumers.
La passion n’est pas contenue et elle contamine l’ensemble des moi sociaux (identité « totale ») :
public, privé… conjugal, professionnel… Le plus souvent la passion reste cantonnée à la sphère
privée et domestique, ce que Goffman appelle la « double vie » (Goffman, 1973 :96), c'est-à-dire la
86
vie professionnelle d’un coté et la passion de l’autre. Mais pour certains, la passion se fait
débordante est empiète dans toutes les sphères du quotidien. Par exemple, Cornéliu a imprégné le
quotidien de plusieurs répondants, l’habitant quasiment tel un spectre, un fantôme. Pour ces
personnes, il s’agit d’un tournant biographique, l’arrivée de Cornéliu dans leur vie et l’aventure du
forum sont vécues comme un évènement frappant de leur existence.
Dans certains cas, la passion fait échos à de petites superstitions. Par exemple, plusieurs croient en
une influence magique. Or, au fil du temps, avec la confiance installée dans la communauté, ils ne
sont plus gênés de communiquer ces croyance au groupe (idée de « destin », notion de fortuna de
Cornéliu). Les admirateurs s’approprient le personnage de Cornéliu en jouant avec les éléments
accessibles dans la réalité et le rôle qu’ils lui donnent dans leurs rêves et fantasmes. La présence de
l’idole dans la vie quotidienne, l’attention qu’ils lui portent, créent une sorte de lien affectif entre
eux et la star, même si cela échappe à la réalité. Ainsi, ils laissent libre cours à leurs sentiments,
sans réelle contrainte.
Au fil des jours, alors que croît la connivence et la familiarité entre les participants du forum, ce
dernier tend à devenir le point d’ancrage de la communauté récemment formée. Alors séparés du
monde extérieur, les internautes prennent l’habitude de se regrouper dans la communauté. Les
forumers adoptent un comportement qui favorise plus encore leur appropriation expérientielle, en
s’imprégnant facilement et rapidement de l’ambiance des lieux (après rituel de lecture par exemple).
En s’affranchissant des contraintes extérieures, et en s’éloignant de la pression temporelle du
quotidien, le consommateur s’immerge dans la communauté qui devient presque un refuge.
De plus, la connivence développée ainsi que la bonne ambiance incitent les participants à passer
plus de temps, à se rendre plus souvent et à s’impliquer plus personnellement dans le forum; à
s’investir dans un endroit qui favorise la construction des expériences personnelles. De ce fait, le
lieu virtuel du forum se charge de significations particulières, du fait de l’histoire commune que
construisent les participants du forum. Pour certains, l’expérience du forum est très révélatrice mais
aussi très surprenante du fait de la familiarité qu’ils partagent avec les autres membres; ils se sentent
à la fois très à l’aise mais aussi parfois gênés de l’implication dont ils font montre. Pour plusieurs
d’ailleurs, l’amitié démontrée sur le forum les fait songer à un renouveau adolescent. Leur propre
engouement les surprend aussi, certains n’en reviennent pas de ce que leur passion les entraîne à
faire. Dans ce cas de figure, un double processus tend à se manifester, freinant l’appropriation d’un
87
coté, mais parallèlement les rassure du fait de la présence familière des amis virtuels. Ils se sentent
compris et écoutés, en symbiose.
La découverte de Cornéliu, l’objet de la passion, rend possible une expérience intime d’une plongée
en soi (maïeutique identitaire). Ainsi, au contact de sa musique, l’admirateur a l’impression de se
découvrir. En ce sens, nous observons une ambivalence dans la situation des passionnés, d’une part
la possible découverte de soi, l’ouverture aux autres; de l’autre la dévalorisation, l’identification et
la jalousie parfois obsessionnelles. L’appropriation est donc favorisée par l’ambiance chaleureuse
du lieu de rencontre qu’est le forum, et cette atmosphère joue le rôle de médium, cette ambiance est
néanmoins propre au forum, elle en devient presque une caractéristique intrinsèque, révélatrice des
valeurs véhiculées en ce lieu.
La prise de conscience de la passion commune pour le candidat Cornéliu va entraîner, chez les
admirateurs, l’initiation d’un combat collectif. Cornéliu est le thème fédérateur, mais il existe un
rapport de force avec les troublions du forum. En effet, la présence sur le forum de vandales qui
dénigrent l’objet de leur passion (qui vandalisent le caractère authentique de Cornéliu), ajoutée à la
croissance de la passion elle-même amplifiée par le synergie du groupe, engendre une véritable
« chasse aux sorcières ». Les forumers de la Zone de Cornéliu sont unanimes sur un point : ils
veulent bien s’impliquer pour un consensus en faveur de l’artiste, mais ne tolèrent pas les conflits ni
les manques de respect. L’expérience sociale est essentielle (ils sont là pour cette raison, pour
partager avec d’autres passionnés), aussi certains refusent de cautionner l’expérience d’un forum
conflictuel et préfèrent se retirer momentanément. En effet, la césure harmonique leur parait
insupportable, et annule l’effet plaisant de l’expérience.
Les admirateurs demandent à ce qu’on respecte leurs goûts. La Zone est réservée aux passionnés de
Cornéliu, il semble donc évident qu’elle ne doit pas comporter de médisances à son sujet. Sur le
forum, que Cornéliu est susceptible de lire, c’est avec sincérité que l’on s’adresse à lui. C’est une
manière de vivre quelques instants en sa compagnie. C’est un moment privilégié de réflexion et
d’application, qui crée une intimité et réduit la distance de séparation. En écrivant ces messages,
c’est aussi un moment que les internautes passent avec eux-mêmes. Le forum leur apporte du
réconfort au quotidien, il les affecte de manière significative.
88
5.7- La recherche d’une harmonie expérientielle
Si les conflits et les soucis viennent gangrener l’ambiance du forum, souvent la réaction engendrée
par cette atmosphère jugée néfaste est un rejet capable de bloquer le processus d’appropriation.
Cependant, ces conflits suscitent aussi de vives stratégies de défense ayant pour objectifs de retenir
les membres de la communauté et de chasser les troublions. Les forumers se portent garants de
l’atmosphère du forum, ils se sentent en droit d’exclure et de boycotter les faiseurs de troubles. De
plus, il existe une revendication d’harmonie et une quête esthétique pour préserver la « pureté du
forum ». Mettant en évidence la revendication de quiétude spécifique au lieu du forum. Marquant
donc une scission entre l’environnement des salles de discussion et l’extérieur («l’ailleurs », selon
Bachelard, 2001). Or, le vécu expérientiel du concept Star Académie incite les passionnés à révéler
et exprimer certains pans de leur imaginaire par le biais de poèmes et images. L’ouverture à l’autre
(parfois intime), en plus d’engendrer une certaine compréhension mutuelle et un réconfort, repose
aussi sur un sentiment de confiance.
Au fil du temps, la quête d’esthétique va devenir plus importante, quasiment une obsession (comme
une art thérapie), au point que l’on pourra qualifier le groupe des forumers concernés de
« communauté esthétique ». Les jeux inventés sur le forum de Cornéliu utilisent le support de
l’image (licornes, anges, paradis, fleurs, voir 6) permettent d’illustrer leur passion pour le candidat.
L’objectif de leurs jeux est la décoration du forum, afin de célébrer le talent de leur préféré (voir
annexe 6). Démontrant un certain coté infantile, laissant la place à une forme de régression du
participant, le jeu des images visait en ses débuts l’aspect ludique (illustrer les titres des chansons
qu’interprète Cornéliu par des images). Il a ensuite dérivé en l’expression des fantasmes. Cette
description met d’ailleurs en exergue la caractéristique imaginaire suscitée par l’activité de
discussion virtuelle. Cela illustre la dimension d’ouverture imaginaire face à l’objet artistique, telle
que mise en évidence par Bachelard (2001 :5), dont l’auteur souligne l’aspect créatif (l’imaginaire
permet « l’expérience même de l’ouverture »). En ce sens, la fréquentation de la communauté pour
certains a franchi plusieurs étapes. En termes de confiance envers les autres membres, avec leurs
échanges d’images, les forumers vivent une expérience esthétique.
L’expérience communautaire est essentiellement construite autour du partage et de l’entraide entre
les membres. Nous pouvons considérer l’échange de messages comme un don de cadeau et il en est
de même pour les petits « coups de main » et le jeu des images. Leur objectif est de partager une
même passion, aussi s’intéressent-ils aux différents aspects qui entourent cette passion (Roumanie,
89
opéra, mais aussi toute la musique de Cornéliu). Dès lors, l’expérience tend à devenir plus
complète, par la découverte. Les passionnés passent d’ailleurs par une phase de désobéissance et
d’illégalité (en piratant les performances du chanteur, notamment pour satisfaire leur passion). Ces
pratiques démontrent cependant de la grande curiosité des consommateurs, et de leur désir de
s’attacher plus encore au candidat préféré. Le forum, par la force de cette passion commune, voit se
développer un sentiment d’appartenance groupale. La base du groupe est le candidat Cornéliu,
auquel les admirateurs attachent une très forte sensibilité esthétique, qui conduit vers une relation
émotionnelle avec les autres internautes du forum. Les interconnexions sociales dépassent la
relation cordiale et superficielle. Au fil du temps, alors que s’accroît la confiance, une expérience
plus intime autocentrée sur le soi va amener les participants à se livrer plus intimement. Or, une fois
que le jeu et l’émission sont terminés, les membres de la communauté redoutent de perdre
l’attention dont ils font l’objet sur le forum. Le sevrage est annoncé comme difficile, tant la
consommation du forum est compulsive. La communauté, après avoir été un espace de ré-
enchantement n’est plus suffisamment alimentée pour satisfaire les passionnés (voir la chronologie
synthétique du tableau 3 ci-dessous).
Tableau 3 : L’appropriation expérientielle mise en récit
L’appropriation expérientielle mise en récit : chronologie synthétique
- Balbutiements timides mais volontaires : présentation de soi, retrouvailles, prises de contact entre les forumers
- Récits partagés, intérêts communs détectés et suspense du concours => narrations
émotionnelles - Fréquentation assidue du site Web et du forum de Cornéliu : échanges de points de vue, partage
d’informations, témoignages, récits de soi, construction d’un mythe - Construction du récit d’une passion commune extraordinaire => appropriation du candidat
(héros, modèle, légende…) - La communauté : espace de ré-enchantement et d’idolâtrie, lieu de passion et de rupture
spatiotemporelle, zone de choc biographique - Recherche d’une harmonie expérientielle : communauté esthétique, partage, entraide
communautaire.
90
Chapitre 6 : L’appropriation expérientielle mise en scène. La
communauté comme un espace de dépassement de soi
6.1- L’appropriation expérientielle par le récit collectif
À force d’écrire, de lire, de partager leurs sentiments et leurs émotions au travers de multiples
récits, les thèmes d’individualité et de collectivité tendent à se confondre au sein de la communauté.
En effet, une sorte de cohésion sentimentale et émotionnelle s’établit dans la Zone de discussions
virtuelles consacrée à Cornéliu. Cette agrégation d’échanges étant basée sur la passion commune
pour Cornéliu, un lien de communauté émerge des discours, lorsque les participants s’aperçoivent
qu’ils connaissent et vivent un même élan passionnel. Les individus qui fréquentent la Zone de
Cornéliu partagent des opinions et appréciations communes concernant Star Académie; ils
embrassent une même quête de sens ainsi qu’un désir de croire au merveilleux de cette découverte
artistique. Au fil des visites du forum, l’implication grandit avec ce sentiment de cohérence, pour
aboutir enfin à la proposition d’une mission commune. Cette annonce est amorcée par la volonté
d’un membre qui deviendra par la suite un des leaders du groupe. Cette ouverture vers les autres se
concrétisera ensuite, dans les faits, par la mobilisation physique du groupe. La mission de la
communauté est centrée sur un message rassembleur, visant à unir leurs voix pour vivre pleinement
l’expérience et soutenir leur candidat préféré. Motivés, car le but à atteindre paraît utile (ils rendent
service à Cornéliu), les membres du forum ne cachent pas leur grande excitation quant à franchir
l’obstacle de la virtualité. En effet, si leur mission est de soutenir Cornéliu, elle se concrétise par des
actions communes qui imposent la nécessité de rencontres physiques. Cette perspective leur est très
plaisante.
C’est donc dans la bonne humeur que chacun propose volontairement sa participation, son
implication dans la mission, composant ainsi l’initiation d’un récit collectif communautaire, en
s’appropriant collectivement l’expérience proposée, en lui donnant une ampleur insoupçonnée. Dès
lors, la relation avec les autres forumers est vécue telle une véritable profession de foi, au point que
Cornéliu devient une obsession. Leur expérience partagée sous la forme d’un récit les projette vers
un état d’ébullition collective.
91
Un consensus s’étant établi autour de « l’immense talent de Cornéliu », on associe son nom à celui
de personnage prestigieux dans le monde du spectacle, cette attitude collective vient ainsi attester
que le candidat a le profil d’un « grand chanteur, d’un ténor» qui a sa place dans l’univers musical
québécois. On lui prédit la gloire, la connaissance du succès, une réussite internationale. Sa
renommée, dit-on sur le forum, dépassera les frontières de la province et fera rayonner l’image du
Québec dans le monde entier. Tous s’accordent à observer en Cornéliu le produit culturel issu d’un
mélange entre sa Roumanie natale et le terroir Québécois. La perspective d’un Cornéliu grand
vainqueur de Star Académie 2004, permet de prévoir avec confiance que le Québec atteindra un
rayonnement universel par cette révélation musicale. Cornéliu offre aux passionnés une image
parfaite de l’immigration, il porte en lui une culture plurielle et une dimension universelle, il est
aussi le symbole du savoir faire québécois. Pour ses admirateurs, Cornéliu est une valeur sûre, son
succès reviendrait à consacrer leur choix. Totem de la communauté, dans le sens désigné par
Durkheim (1985), Cornéliu est l’objet d’une passion investie collectivement qui, par effet de
condensation, signifie de manière propre la communauté de ses admirateurs. « Le totem renvoie à
l’idée d’appropriation collective : il rassemble quand les objets collectionnés divisent et
distinguent » (Durkheim, 1985 :108).
Issu de l’acte de communion des passionnés, Cornéliu tend peu à peu à devenir le héros de
l’expérience que partagent les forumers. Son personnage est investi d’un certain sens, diffusé au
sein du groupe par le cadre narratif du forum de discussion. Le héros rassure, mobilise et encourage
la communauté dans son élan. On lui reconnaît un don, du charisme, de l’audace, il incarne aussi un
Québec moderne. On adhère à ses valeurs (le sens de la famille, la détermination, l’humilité), on
indique clairement son attachement et on finit par revendiquer son appartenance à la cellule des
passionnés. L’univers quelque peu féerique dans lequel s’épanouit Cornéliu, l’Académie, permet
l’embellissement de cette construction du personnage héroïque.
Il s’en suit un combat. En effet, la trame dramatique entourant le jeu de Star Académie provoque
l’amplification des émotions et sentiments des spectateurs. Ses admirateurs remarquent que
Cornéliu fait l’objet de plusieurs injustices (« moi je vous le dit, la directrice de l’Académie ne
l’aime pas ! Elle est toujours après lui!!! »). Dès lors, le lien communautaire s’intensifie autour d’un
projet commun, celui de combattre l’injustice que subit Cornéliu. Dans les propos, sur le forum, la
métaphore du combat est poignante. Pour ses admirateurs, Cornéliu est l’opprimé qu’ils doivent
défendre. Ainsi, pour faire lien avec la notion de conte dont parle Desaulniers (2004), Cornéliu
pourrait incarner le vilain petit canard de l’Académie. De plus, une transition s’est opérée sur le
92
forum. En effet, la relation platonique d’un amour à sens unique de l’admirateur pour son préféré
s’est transformée en une mission commune de la part du groupe. Ainsi, le modèle d’ambition que
représente Cornéliu inspire ses admirateurs, il leur donne une forme de courage et de motivation qui
va les mener à l’action.
Il s’agit d’un double défi pour la communauté, qui consiste à la fois à sauver Cornéliu, et à assurer
la pérennité du groupe. En effet, si Cornéliu est éliminé, la communauté n’a plus de raison d’être.
En fait, les admirateurs de l’apprenti chanteur courent conjointement le double risque de son
élimination : le jeu serait terminé pour lui, comme pour eux. Cette prise de conscience soudaine
amène donc les forumers à se mobiliser, pour garantir l’épanouissement de la passion (plus
Cornéliu reste à l’Académie, plus ils pourront l’entendre chanter lors des galas et en discuter en
groupe) et par là même, poursuivre l’expérience magique de la communauté. Les passionnés sont
envahis par un flux transcendant, cette réalité les responsabilise au point qu’ils attribuent un rôle
crucial à la communauté dans l’histoire qu’ils construisent collectivement. Le défi collectif est à la
fois stimulant et angoissant, mais de l’avis de tous, une promesse de salut attend ceux qui auront cru
en Cornéliu.
Cornéliu devient donc leur projet commun, et il s’agit pour le groupe d’optimiser leurs talents
individuels pour atteindre un certain impact dans leur action de soutien. Le ralliement des volontés
et le pouvoir créatif de la communauté font que les passionnés se sentent invincibles, prêts à
combattre pour défendre leur idéal. L’attention dans la communauté se porte alors sur des éléments
symboliques, ainsi que sur des valeurs susceptibles d’exprimer le sentiment d’attachement du
groupe à la cause de Cornéliu. C’est ainsi que, de l’appropriation collective de l’expérience,
émergent les idées d’un soi communautaire et d’une intelligence collective.
6.2- Le moi communautaire et l’intelligence collective
Par leur mission commune et leur implication, les admirateurs de Cornéliu prennent très à cœur
l’aventure de leur héros, ils suivent son évolution dans le jeu avec attention. De ce fait, ils traversent
des situations d’incertitude (mise en danger, performance du gala) qui les angoissent tout autant
qu’elles angoissent le candidat lui-même. Leur empathie pour l’académicien vient accroître leur état
de panique. Cependant, l’écoute et la compréhension des membres de la communauté, ainsi que le
partage de leurs sentiments, apportent une forme d’aide, de soutien. De plus, la complicité des
93
forumers ainsi que la revendication des valeurs de groupe (leur intégrité par exemple) parviennent à
faire naître un sentiment de cohérence et de cohésion. Ainsi, c’est par la communication de l’émoi
collectif qu’apparaît le moi collectif. Cette part d’identité propre au groupe se concrétise par un
soutien mutuel et l’instauration d’un sentiment de sécurité rassurant (notamment l’idée selon
laquelle il n’y a pas d’âge pour être admirateur, ou encore qu’il est normal que leur découverte du
talent de Cornéliu soit vécue avec émerveillement).
L’identité propre à la communauté repose sur une composition d’ensemble, dans laquelle les
identités individuelles ne sont pas niées. Chacun s’attache d’une manière ou d’une autre à souligner
sa singularité (en livrant par exemple certains aspects de caractère). La participation de tous est
encouragée sur le forum, et les initiatives de plusieurs sont reconnues. Les participants y vont de
leurs talents pour alimenter la communauté : traduction, aide technique sur le forum, résumés
d’interviews radiophoniques, reportage photographique du gala… Cependant, des rivalités se font
apparentes, alors qu’une logique hiérarchique s’installe entre les membres. Les susceptibilités
engendrées par certains messages (à propos de la mauvaise orthographe, de messages trop longs, de
propos redondants…) viennent ainsi contrarier la quiétude des échanges. Néanmoins, le sentiment
d’identité groupale ayant accru la confiance entre les membres de la communauté, le contexte de
« co-présence », ainsi que la situation de soutien de plusieurs, font que les conflits ne sont jamais
très importants.
L’engagement de chacun étant nécessaire au combat communautaire, une forme d’organisation
sociale tente tout de même de s’imposer, générant ainsi de nouvelles crises. En effet, certains
n’hésitent pas à dénigrer les attitudes fanatiques de plusieurs passionnés, dans lesquelles ils ne se
reconnaissent pas. En réponse, prônant la liberté du forum, les individus concernés par ces critiques
avouent, sans pudeur aucune, leur culte pour Cornéliu en exposant plus encore leur passion
débordante pour le candidat. De fil en aiguille, le débat est lancé, concernant la question principale
de l’identité communautaire. C’est au terme de ce conflit majeur qu’apparaît pour la première fois
sur le forum la raison d’être de la communauté : « nous sommes des fans de Cornéliu, pas des
fanatiques».
Une fois cette identité collective clamée, la communauté connaît un virage décisif. En effet, si les
fans travaillent de concert pour affirmer leur engagement passionnel, ils décident aussi de s’afficher
comme tels. Or, l’affirmation de cette distinction ne vaut que si elle est entendue et constatée
publiquement. De ce fait, c’est la manifestation collective qui leur semble être le moyen le plus
94
efficace pour afficher leur cause. Il est vrai que pour la majorité, la représentation collective est
génératrice de sens car elle est l’expression publique de leur attachement exclusif à Cornéliu
Ce projet contient néanmoins la particularité suivante : il revêt une part de québécitude (terme
emprunté à Demers, 1999) dans son intention. En effet, l’argument qui décide le groupe à
concrétiser son action repose sur l’idée que Cornéliu est québécois. Et, c’est en réponse aux groupe
de Roumains qui soutient Cornéliu à Montréal, qu’est organisé son « corollaire québécois », de
manière à prouver que le Québec, aussi, appuie Cornéliu. C’est ainsi que la passion fût pour la
première fois mise en scène, un samedi soir d’hiver à Laval.
6.3- La co-production expérientielle par l’agir communautaire : il faut sauver
Cornéliu !
L’initiative d’une mobilisation relève d’une certaine audace, du fait que les admirateurs acceptent
de sortir du couvert anonyme. En effet, en se rendant à la manifestation, ils échappent à l’univers
privé confiné et ouaté, pour s’afficher publiquement. Ainsi, la communauté virtuelle est dépassée
lorsque les admirateurs se rencontrent physiquement, pour concrétiser publiquement la communauté
des fans de Cornéliu. La dimension imaginaire du groupe fait place à son aspect réel et physique.
Ainsi, les rassemblements correspondent à l’idéal communautaire en ce sens qu’ils permettent de
resserrer les liens sociaux. Or, pour décider de la manière d’entreprendre l’action, un « débat
démocratique » fut mené sur le forum, prenant la forme d’une « tempête d’idées ». L’accord général
aboutissant à un « rassemblement avec pancartes et ballounes gonflées à l’hélium » à Laval, fidèles
à leur engagement communautaire, les fans de Cornéliu se sont montrés publiquement.
Motivation générale (il faisait très froid, la rencontre avait lieu en plein air), militantisme dévoué
(un fan a décoré sa voiture pour l’occasion), sacrifice de soi (une des fans a renoncé à sa journée de
ski) et posture héroïque (une autre a parcouru 100 kilomètres pour participer) sont soulignés sur le
forum dès la fin de la rencontre. Le réseau formé par les admirateurs de Cornéliu est fortement
intégrateur et, dans ce jeu communautaire, chacun s’attribue une identité particulière en cohérence
avec celle affichée sur le forum. Puis, c’est sur le forum virtuel que l’on se retrouve pour témoigner
de l’expérience de la rencontre physique, auprès de ceux qui n’y ont pas participé. Rapportant ainsi
le prolongement d’un vécu marquant, d’une expérience coproduite et d’un partage typiquement
communautaire.
95
La mobilisation générale n’est pas vécue comme un simple rassemblement. Il ressort de cette
expérience un flux d’émotions et de nombreux sentiments qualifiés d’ « incroyables ». Certains
« touristes » du forum se sont présentés au rendez-vous (tous avaient fabriqué des pancartes qui
affichaient leur pseudo à l’endos), certains assidus ont déserté, mais dans l’ensemble la mobilisation
s’inscrit dans la communauté comme un événement historique. En effet, suite à la première
rencontre, des liens se nouent, d’autres se resserrent, la confiance commune se renouvelle et se
poursuit. La rencontre est consignée, dans l’esprit des participants, comme un fait marquant du récit
qu’ils écrivent ensemble, qu’ils produisent ensemble. La notion d’être ensemble de Maffesoli
(1988) prend ici tout son sens.
Hyperactifs, chargés d’un flux transcendant, les participants à la mobilisation montrent un entrain
impressionnant. Le visionnement des scènes de la manifestation filmées par TVA (le dimanche soir
suivant, lors du gala) créera d’ailleurs tout un émoi dans la communauté (« ah, ben donc toi tu es
celle au manteau rouge et à la tuc zébrée??? », « waaaah quelle animation! Bravo les filles!!! »).
L’action menée par la communauté semble être comprise comme un exploit incroyable. Les
membres y voient une certaine connivence et un pas certain pour l’avancement du projet commun.
Organisé de manière collective, l’évènement est mémorable pour tous ceux qui y ont participé. Or,
en plus d’être loisible (plusieurs affirment s’y être beaucoup amusés), il a permis de démontrer
l’appartenance au groupe. Cornéliu est le levier de la mobilisation générale, l’impression de
communion entre les fans permet de cimenter le sentiment d’appartenance communautaire. Vécue
telle la production d’une performance, la manifestation collective est aussi une action spectaculaire.
États euphoriques, dépassement des limites du soi, l’enthousiasme contagieux qui accompagne la
rencontre associe le sentiment de communitas à l’acte de rencontre de l’autre. La découverte de
l’autre soi-même traduit un bonheur manifeste lors des rencontres de passionnés.
Objet de beaucoup de préparations, la première manifestation a été le prétexte à des travaux
manuels pour la confection des pancartes ainsi que d’un apprêtement personnel plus réfléchi que de
coutume. En fait, le souci des participants à vouloir se montrer sous leur meilleur jour émanait
surtout de la possibilité d’être filmés (« on va peut-être voir toute la gang au variété de dimanche
soir!!! Lol36», « je dois vous dire que j’étais vraiment stressée par les caméras alors ce matin je suis
aller chez le coiffeur ») par les caméras de TVA.
36 lol pour Laughing Out Loud : rire à gorge déployée
96
Le groupe investit beaucoup de son temps dans cette aventure communautaire. En effet, plus que la
fréquentation du forum virtuel, l’implication grandissante appelle à de multiples préparatifs et
organisations. Mais, dans le groupe chacun y met du sien et le temps n’a plus la même importance
qu’avant Star Académie, ils s’en défont… Concernant la mission de « sauver Cornéliu », tout le
monde est d’accord pour s’investir entièrement et donner de son temps sans trop compter.
D’ailleurs, plusieurs racontent qu’ils mettent leur vie personnelle en suspens, « entre parenthèses ».
Leur existence « normale » est amoindrie du temps consacré à l’expérience Star Académie, cela est
justifié, selon eux, en raison d’un engagement personnel pour une cause à laquelle ils croient et
qu’ils souhaitent défendre.
Les fans les plus affirmés sont généralement toujours partants pour entreprendre une action de
soutien. En effet, on observe sur la durée qu’ils en font toujours plus pour montrer leur implication.
De ce fait, s’installe une forme de compétition entre certains fans, répondant au besoin de
reconnaissance de la part des membres du groupe. Les passionnés, au fur et à mesure que
s’intensifie le jeu, tendent aussi de plus en plus vers des attitudes irrationnelles. Certains croient à la
fortuna providentielle de Cornéliu, d’autres développent des petites superstitions et d’autres encore
des rituels visant à influencer le dénouement du jeu (appliqués lors des manifestations, par
exemple). En fait, leur foi commune en Cornéliu prend discrètement mais, ponctuellement, l’aspect
d’un culte. Leur mission d’évangélisation fait peu à peu partie intégrante de leurs personnes.
6.4- L’évangélisation promotionnelle
La passion des admirateurs de Cornéliu est telle que se développe ferveur et dévotion et, pour
poursuivre avec la métaphore religieuse, se concrétise parfois par une campagne d’évangélisation.
La mission d’évangélisation des fans consiste à promouvoir les talents de Cornéliu et à inciter le
vote en sa faveur. Cela se manifeste dans un premier temps sous la forme d’influences et de
pressions, au sein du groupe, visant à encourager l’engagement communautaire dans la mission
ainsi que la participation aux manifestations. Les fans vivent quelque chose de significatif et s’y
accrochent passionnément. Paradoxalement, cela a comme effet de les dépasser complètement, ils
sont pris dans un tourbillon qui les submerge.
C’est souvent par la narration, sous la forme de diatribes dithyrambiques et exaltées, que les
passionnés procèdent à la promotion de leur candidat. Défendant par exemple les valeurs auxquelles
97
ils croient, ou encore énonçant ses qualités et le potentiel de talent du héros, plusieurs mènent une
véritable promotion marketing (en dignes porteurs de marque). Dans la communauté, tous les
moyens sont utilisés pour faire connaître le produit Cornéliu, rappeler son existence et vanter sa
singularité. Pour faire rayonner le produit, les forumers n’hésitent pas à utiliser leur réseau
personnel (mailing list). En ce sens, l’organisation en réseau (Castells, 2002) est largement
exploitée. La synergie du groupe porte rapidement ses fruits, puisque la campagne de séduction,
véritable campagne promotionnelle, diversifie ses stratégies médiatiques pour sauver Cornéliu.
L’ambition est à la fois de partager la passion et de convertir le Québec. Pour cela, certains utilisent
les lignes ouvertes des radios, d’autres le courrier des lecteurs des quotidiens et revues, et d’autres
encore, le bouche à oreille dans leur entourage. Leur passion est obsessionnelle, elle ne les quitte
pas et, disent-ils, embellit leur vie quotidienne. Or, en plus du bonheur certain quant au succès
attendu (la réussite de Cornéliu), le plaisir de diffuser la passion est semble-t-il valorisant, puisque
du statut de fan le passionné devient quasiment prophète.
Certains croient profondément en l’influence magique du groupe, en son effet de masse permettant
de convaincre les autres (« si vous lisez mon message… »). En ce sens, les fans sont donc
véritablement des missionnaires. D’ailleurs, pour prouver leur foi, certains n’hésitent pas à mener
des campagnes de financement afin de procéder à des achats massifs de votes. Pour d’autres au
contraire, l’évangélisation consiste à répandre la bonne parole mais, suivant leurs convictions, à
refuser les collectes d’argent; ce dont ils sont d’ailleurs très fiers puisque « le talent de Cornéliu ne
s’achète pas!!! »
6.5- Le forum : une plateforme communautaire au service de l’expérience
Lieu de rassemblement, le forum demeure l’endroit de référence du groupe, bien que l’anonymat y
soit obsolète. Ainsi, du fait de l’implication majoritaire, des actions de groupe, des conflits, des
jeux, des émotions partagées et des confidences diffusées au fil du temps, le forum de discussion
devient le « quartier général » de la communauté.
Sécurisant et rassurant, il est le lieu du consensus quant au génie de Cornéliu, l’endroit où tous
partagent la même passion unificatrice. Lieu de discussions, de débats et de décisions, il est aussi le
point central de rencontre des passionnés qui fomenteront le fan club. En effet, il sera, le temps de
quelques semaines, le lieu de transition entre le site officiel de l’émission Star Académie (dont
98
Netgraphe annonçait la fermeture) et le site Web du fan club en construction. Soutenu par la
technologie, le forum de discussion est l’endroit d’où a émergé toute la chaleureuse socialité du
groupe de fans. Or, habitués à agir en réseau, après plusieurs mois de fréquentation de la Zone de
Cornéliu, les fans se sont naturellement dirigés vers une seconde structure virtuelle pour poursuivre
leurs échanges passionnés au sujet du héros
Mais, bien avant que la Zone de Cornéliu ne soit fermée, devançant largement la première échéance
(Netgraphe a prolongé de six mois la durée de vie du site), le forum s’est vu accaparé par ses
visiteurs d’une manière assez surprenante. En effet, comme nous l’avons relaté précédemment, c’est
à partir d’un jeu d’illustrations consistant à imager les titres des chansons interprétées par Cornéliu
lors de son séjour à l’Académie que le forum est devenu « un lieu de paix et d’amour ». Faisant
place à une part d’auto célébration, en même temps qu’une forme de dévotion, les fans ont ensuite,
et ce pendant plusieurs mois, pris possession et détourné la Zone de Cornéliu pour en faire un
endroit « décoré » à son image. L’échange de visuels a donc suivi l’échange de textes, pour cause
d’épuisement de la matière à discuter. C’est ainsi que des milliers d’images ont été affichées sur la
zone de Cornéliu. Photos de Cornéliu enfant, puis adulte, vues de Roumanie, images de fleurs
accompagnant des souhaits visant les membres de la communauté (« pour toi un bouquet de rose,
Chouettechouette, pour te remercier de ton soutien parfait envers Corn! »), provoquant ensuite la
composition d’un immense pot pourri (licornes, anges…) surchargé de visuels.
Les conséquences de cette appropriation sont doubles. Dans un premier temps, cela se traduit par le
découragements des moins fans qui ont quitté les lieux. Ensuite, pour le groupe restant (au plus une
vingtaine de personnes), l’expérience artistique partagée à l’aide d’illustrations a engendré la
création d’un univers propre, par le biais de ce qu’ils ont appelé « décoration ». Métaphore du
discours, l’ensemble imagé obtenu prétend « célébrer et honorer la beauté et le talent de Cornéliu ».
Cette composition imagée expose une deuxième mise en scène de l’appropriation expérientielle.
6.6- L’expérience collective comme patrimoine de la communauté
Nous l’avons constaté plus haut, l’implication communautaire concernant le concept expérientiel de
Star Académie est avant tout prétexte à la socialisation. Or, contre toutes attentes, malgré la défaite
de Cornéliu à la septième semaine du concours, la communauté que nous avons suivie a connu une
certaine pérennité. En effet, lorsque la Zone de Cornéliu a cessé d’exister, le groupe a trouvé le
99
moyen de se retrouver avec la création d’un fan club. C’est qu’avant toutes choses, les fans
semblaient vouloir prolonger la magie communautaire suscitée par l’expérience de consommation
de Star Académie. En effet, il semble que cette expérience collective soit finalement comprise
comme étant une sorte de patrimoine commun propre au groupe.
Cette notion de capital expérientiel, si elle appartient aux membres de la communauté, provient de
ce vécu commun auquel tous ont contribué. Or, cette contribution est le fruit des implications
individuelles, caractérisées par la notion de don. Don, au sens premier, concernant le héros que le
talent définit comme personne singulière dotée de dispositions hors du commun. Don, aussi, pour ce
que les fans concèdent en participant et en s’investissant dans l’expérience, c'est-à-dire le don de
soi. Don réciproque, pour ce qui concerne l’échange entre la star en devenir et l’admirateur, ainsi
qu’entre le candidat et la communauté de fans. Don et contre don, au sein de la communauté entre
les fans, sous les formes d’entraide, de compréhension et de soutien. Puis finalement don
symétrique, entre les consommateurs de l’expérience Star Académie et le producteur de l’émission.
Il demeure des traces matérielles et non matérielles de ces échanges, et le forum en est l’illustration
principale : il constitue le témoignage de ce que la communauté a vécu et de ce que l’expérience est
véritable. En ce sens, nous comprenons que sa disparition soit douloureusement vécue. Mais, selon
les dires des fans, la preuve la plus parlante de la véracité de l’expérience commune est un message
(supposément) rédigé par le héros sur le forum. L’écrit constitué de plusieurs lignes vise à remercier
les admirateurs de leur soutien, il fut reçu et vécu comme l’apothéose de l’expérience commune.
Ainsi, bien que plusieurs aient imprimé le message en vue de le conserver, sa trace virtuelle
constitue une des pièces patrimoniales du groupe.
D’autres démonstrations apportent la preuve de l’expérience commune, elles sont généralement
livrées par le récit d’anecdotes et de souvenirs. Souvent, ces narrations sont communiquées sur un
ton de nostalgie, concernant un passé proche, montrant ainsi que l’expérience vécue
merveilleusement échappe peu à peu aux admirateurs. Pour la majorité, le souvenir le plus prégnant
reste l’expérience des mobilisations. En effet, ces représentations quasiment théâtrales de la passion
ont marqué la communauté. Les membres ne se savaient pas capables d’une pareille implication.
L’émotion, nous le comprenons, est le pilier de la communauté. Or, pour que l’émotion demeure, il
est nécessaire qu’existe une continuité avec le passé tel qu’il a été vécu et ressenti. Pour ce faire, les
fans de Cornéliu ont choisi de poursuivre la célébration du héros, en décidant de la création du fan
club et des « journées fans ». Essentielles à la célébration de la mémoire collective, ces rencontres
100
ont permis au moi communautaire de s’étendre dans la durée, avant de devenir un souvenir
mémoriel.
Lors des entrevues formelles avec les admirateurs de Cornéliu, plusieurs ont adopté un point de vue
rétrospectif au sujet de leur expérience. Les reconstructions individuelles au sein de l’aventure
commune sont généralement dramatisées, les fans prennent d’ailleurs plaisir à prononcer ce trait.
Les récits prennent parfois des allures homériques et font part d’une mise en scène d’eux-mêmes
(leur rôle dans l’expérience).
L’ensemble de ces récits permet de conclure que le vécu expérientiel commun renforce le vécu
expérientiel individuel. En effet, dès lors qu’ils admettent avoir été en interaction avec le concept
expérientiel, les spectateurs comprennent qu’ils ont participé à un évènement collectif, un ensemble
cérémoniel. Or, Star Académie est un puissant instrument d’intégration, du fait même qu’il contient
une dimension sociale très forte (promoteur de socialité). En effet, les micro célébrations
(entendons par là l’ensemble des manifestations de soutien aux différents candidats) ont été
nombreuses au Québec, mais toutes ont porté sur un même évènement centralisateur : le concours
Star Académie. Ce même produit symbolique est donc probablement vécu et interprété de manière
émotionnelle par plusieurs consommateurs qui s’impliquent dans le concept. Dans le cas des
manifestations, c’est la télévision qui confère à ces rencontres entre fans une dimension
événementielle, puisqu’elles sont en partie diffusées à l’écran. De ce fait, il est possible de prétendre
que ce sentiment de participer ensemble à une célébration fédératrice permet le renouveau d’une
forme de socialité célébratoire.
6.7- L’expérience communautaire transformationnelle
Dans le cas de l’aventure Star Académie, telle que vécue par les fans de Cornéliu, la communauté a
eu tendance à renforcer l’appropriation expérientielle, en plus de l’avoir largement favorisé dans ses
balbutiements. C’est en se servant des supports que l’offre expérientielle du concept Star Académie
mettait à sa disposition, que la communauté a pris collectivement propriété de l’expérience.
Pour la majorité des passionnés rencontrés, cette expérience de Star Académie a été vécue d’une
manière unique et extraordinaire. Plusieurs empreintes sont d’ailleurs encore apparentes, une fois
l’émission terminée. En effet, outre les liens d’amitié qui se sont maintenus, montrant que l’offre
101
expérientielle peut produire des affinités électives, certaines transformations ont été remarquées par
certains participants de la communauté. Pour plusieurs, cela s’est caractérisé telle une force
supplémentaire et nouvelle, un plus expérientiel dans leur vie, que la tournure communautaire a
engendrée.
Vécu comme une aventure phénoménale, l’engagement radical pour soutenir Cornéliu a pris la
forme, chez plusieurs, d’un évènement historique au sein de leur propre biographie. Nous racontant
leur expérience, les fans la revivent, ils revoient mentalement les images de moments
extraordinaires qu’ils disent ne jamais pouvoir oublier. En effet, en affichant leur passion, en la
mettant en scène, les admirateurs sont allés à la rencontre d’un autre soi. Le travail de bricolage
identitaire, qui s’est ensuite imposé à eux, les a conduit à rassembler plusieurs images distinctes
d’eux-mêmes sous un tout identitaire, une sorte de matrice. Or, cette complémentarité atteinte, à
force d’ajustements et de collecte des morceaux dispersés du soi, leur a permis de connaître une
forme d’épanouissement, de croissance personnelle et de bien-être avec l’impression de se libérer
du déterminisme social commun. En soutenant Cornéliu, en s’impliquant dans la communauté de
passionnés, en contribuant à l’expérience collective, les fans ont produit une expérience
extraordinaire leur permettant de se singulariser et d’échapper au banal. La communauté
d’expérience a ainsi rompu leur routine, elle les a transformés.
La communauté d’expérience a donc produit un impact certain sur ses participants. En effet,
l’itinéraire expérientiel de Star Académie est associé à une rencontre majeure entre le vécu
individuel et le vécu collectif. Or, l’intégration communautaire, émanant d’une multitude
d’engagements personnels, a permis de générer un espace d’émancipation bénéfique à chacun.
L’univers social de la communauté d’expérience, en plus de légitimer la passion, a été interprété
comme un endroit de symbiose fabuleuse. Décomplexant les individus quant à leur état de fanitude
(terme emprunté à Girard & al., 2002), l’implication communautaire fut vécue comme quelque
chose de valorisant dans leur vie quotidienne.
Mettant en évidence de nouvelles perspectives, la communauté d’expérience a chargé ses membres
d’une vigueur inédite dans l’affirmation de leur identité. C’est ainsi que, suite à l’expérience Star
Académie, plusieurs ont montré une détermination certaine dans l’entreprise de nouveaux projets.
Pour d’autres ce sont des impulsions inattendues qui ont marqué leur existence. À la page suivante,
dans le tableau 4, le lecteur trouvera la chronologie synthétique de la mise en scène de
l’appropriation expérientielle de Star Académie.
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Tableau 4 : L’appropriation expérientielle mise en scène
L’appropriation expérientielle mise en scène : chronologie synthétique
- Récit d’une passion partagée - Obsession commune pour Cornéliu - Ébullition collective : flux passionnel transcendant - Construction du moi communautaire et élaboration de l’identité collective des fans de Cornéliu - Énonciation de la mission communautaire : sauver Cornéliu ! - Coproduction expérientielle par l’agir communautaire : expérience émotionnelle de la
mobilisation publique; production d’une performance mémorable et spectaculaire - L’aventure communautaire : évangélisation promotionnelle, ferveur et dévotion des fans,
réseautage, participation accrue, émancipation communautaire avec la création du fan club - Forum= quartier général temporaire de la communauté : appropriation esthétique de décoration,
véritable patrimoine communautaire authentifiant l’expérience collective - Expérience communautaire transformationnelle : expérience extraordinaire, choc biographique,
mais avenir incertain.
6.8- Loin des yeux, loin du cœur… la fin d’une biographie expérientielle ?
Par le couronnement médiatique de Stéphanie Lapointe, le terme de la deuxième saison de Star
Académie fut annoncé. Parallèlement à tant de succès, Cornéliu, le totem de la communauté, le
candidat chouchou, l’objet d’une passion inconditionnelle, fût peu à peu désinvesti, et ce de manière
individuelle. C’est ainsi que nous avons graduellement assisté à une désertification de la Zone de
Cornéliu, puis à la fermeture du site Web officiel de Star Académie. Avec le temps, nous avons
aussi été témoin de la fin d’un fan club et de la ruine de plusieurs amitiés, au départ très
démonstratifs de sincérité. Cornéliu, la communauté des fans et Star Académie 2004 ont peu à peu
intégré l’état d’évènement collectionné. C’est comme cela que, pour bien des fans, le totem
Cornéliu s’est figé au milieu d’un ensemble de souvenirs d’engagements passionnels, tant
mémoriels que physiques. À ce jour, Cornéliu appartient encore au concept commodifié de Star
Académie, celui qui l’a fait connaître au public. Cornéliu fait toujours partie d’une écurie de stars
103
en devenir issus de l’offre marchandisée de Star Académie. Cette étiquette lui colle à la peau, même
s’il cherche à s’en départir pour devenir un artiste avec sa propre marque.
Reconnu comme star, Cornéliu a lancé un album solo en novembre 2004. Il fût le premier disque
produit au sein du cheptel de candidats de la deuxième saison Star Académie, 30 000 copies furent
vendues (voir annexe 7). Parallèlement à ce lancement, un site Web officiel fût crée pour cette
nouvelle étoile, par les productions J. À ce jour, il est toujours actif et ressemble énormément au site
créé par les fans. Néanmoins, le site des fidèles semble demeurer le point d’information au sujet du
chanteur, il entretient probablement encore la flamme de certains internautes passionnés.
Star Académie, en tant qu’expérience, a sans nul doute engendré plusieurs conséquences dans
l’existence du jeune interprète : « la plus grosse aventure de ma vie » a-t-il confié au Journal de
Montréal en mai dernier37. Une aventure à laquelle la communauté de fans a largement contribuée,
mais qui n’est peut-être pas aussi importante que ce que la promesse d’une participation à un
programme de télé-réalité pouvait laisser miroiter. Cependant, Cornéliu s’est déjà produit à
plusieurs reprises aux cotés de grands noms de la musique (notamment lors du Festival d’été de
Québec en 2004). Il continue d’ailleurs à participer à de nombreux évènements publics et
populaires38, entre autres : séance d’autographes pour l’ouverture d’un magasin Archambault à
Gatineau, concert au profit de l’Église Notre-Dame de Vanier de Québec, prestation au Festival des
pêches et aquaculture de Shippagan, participation à l’inauguration de la Place de la Roumanie à
Montréal… Mais encore, participation à plusieurs émissions de radio et de télévision, Téléthon,
concerts bénéfices, galas de charité et autres spectacles corporatifs. Tel l’inventaire dressé par
Prévert, la liste est longue et montre combien le candidat est déterminé.
En juin 2005, un an après le début de son ambitieuse ascension, le parcours de Cornéliu a connu un
changement crucial. En effet, il a été choisi pour chanter en première partie du spectacle canadien
(Québec-Montréal-Toronto) de Richard Clayderman, lors de sa tournée internationale. Et, dans la
foulée de ce succès croissant, à 23 ans, il a été élu pour accompagner la soprano Patricia Dansig, au
Carnegie Hall de New York en mai 2006 (voir annexe 8). Qualifié par les médias de « jeune ténor
Canadien », la réussite de Cornéliu dépasse à présent les frontières québécoises. Il n’en demeure pas
moins, selon une admiratrice (ancienne fan-passionnée, qui l’aime encore beaucoup, beaucoup et
garde un œil sur sa carrière; c’est ainsi qu’elle se définie), qu’il lui faut encore asseoir son statut,
37 Caroline Roy « Carnegie Hall à 23 ans : « Je suis un peu stressé », Journal de Montréal, le 10 mai 2006. 38 Sources : http://www.corneliu-montano.com/ et http://www.corneliumontano.mu/
104
c'est-à-dire « progresser, s’améliorer au niveau vocal, puis se produite le plus possible ». Or, d’ici
que son talent soit mondialement reconnu (tel que plusieurs fans l’avaient prédit en situant sa
maturité vocale vers l’âge de 40 ans), alors que la télévision connaît un climat assez tendu
(déclinaison à outrance des concepts de télé-réalité, et concurrence d’Internet), Cornéliu peut
toujours se tenir prêt pour l’énième variation de Star Académie qui pourrait un jour exister, et pour
laquelle il demeure potentiellement le candidat rêvé : « Ténors Académie »!
105
Chapitre 7 : Star Académie, la biographie d’une expérience de
consommation
L’objet de ce mémoire étant d’explorer l’expérience de consommation d’un concept de télé-réalité,
nous avons élaboré notre réflexion depuis deux pôles distincts. Le premier a consisté en
l’observation du produit offert, du point de vue du producteur. Le deuxième s’est attaché à
considérer la réception du concept expérientiel, c'est-à-dire le processus d’appropriation de la part
du consommateur. L’expérience de consommation du concept Star Académie, dans ce cadre, a été
appréhendée telle une biographie.
Partant d’une offre conceptuelle commodifiée répondant au profil d’un produit postmoderne
présenté sous la forme d’une constellation d’ingrédients expérientiels, nous avons suivi l’itinéraire
de l’expérience de consommation pour en cerner le processus d’appropriation par ses
consommateurs. De ce fait, nous avons suivi et analysé le cheminement de l’expérience de
consommation depuis la sphère commerciale jusqu’à la sphère privée. Ce parcours nous a permis de
constater que la biographie expérientielle d’un concept marchand standard peut évoluer pour
devenir, chez certains individus, une expérience inaliénable.
La synthèse de notre travail nous permet d’avancer l’idée selon laquelle la biographie expérientielle
de consommation qui concerne le concept de divertissement Star Académie est le fruit d’une
rencontre performante entre l’offre d’un producteur et l’appropriation des consommateurs. En
conséquence de quoi, nous prétendons que cette construction commune favorise le succès
commercial. Or, de la part de l’individu, la biographie expérientielle émane d’une multitude
d’appropriations que nous devons rappeler.
Le lecteur trouvera dans le tableau 5, à la page suivante, une synthèse guidée par la métaphore de
l’itinéraire biographique : l’itinéraire emprunté par un concept expérientiel de Star Académie.
106
Tableau 5 : Itinéraire biographique du concept expérientiel de divertissement Star Académie
Itinéraire biographique du concept expérientiel de divertissement Star Académie
- Mise à disposition d’une offre expérientielle commodifiée présentant un habillage expérientiel, revêtant le profil d’un produit postmoderne et proposant un ensemble d’ingrédients expérientiels
- Appropriation expérientielle mise en récit : la communauté est un lieu de ré-enchantement
- Appropriation expérientielle mise en scène : la communauté est un espace de dépassement de
soi
7.1- De multiples processus d’appropriation expérientielle
Par la trame dramatique du jeu et la structure narrative du concept de Star Académie, les
spectateurs de l’émission, ainsi que ceux des caméras Web, sont invités à s’impliquer dans
l’expérience proposée. La production les place au centre de l’action expérientielle et cela engendre
un nouveau mode de participation du public. Nous avons observé que le consommateur répond à
cette offre suivant un double processus d’appropriation expérientielle, individuel et collectif, ce qui
a pour résultat de produire chez lui ré-enchantement et transformation. La contribution
communautaire dans le processus d’appropriation expérientielle aboutit à la procréation de l’artiste
(le but du jeu) qui est notamment imagée par l’utilisation de la métaphore de l’accouchement.
7.1.1- La construction d’un mythe
La grande appétence pour le merveilleux dont font preuve les passionnés rejoint quelque peu les
arguments de Desaulniers (2004). Cependant, le processus d’appropriation des fans que nous avons
observés entraîne l’émergence d’un mythe. Pour Edgar Morin (1986 : 155), le mythe est une
« constellation de significations et de représentations liées symboliquement par contiguïté, analogie,
imbrication ». L’histoire du candidat (notamment sa fuite de Roumanie) a beaucoup interpellé ses
admirateurs. Selon eux, Cornéliu est authentique car il porte en lui une certaine part de Roumanie. Il
incarne le héros par ses talents et ambitions qui lui permettent de franchir les obstacles du concours
107
de Star Académie. Ainsi, les récits qui s’écrivent au sujet du personnage font de Cornéliu un mythe
certifié, labellisé quant à son authenticité. Selon ses fans, aucune fraude n’est possible.
7.1.2- L’expérience du sacré
Héros, modèle, légende vivante, Cornéliu est investi de plusieurs significations par ses admirateurs,
ce qui a pour conséquence de singulariser son personnage. L’admiration suscitée par le candidat
provient en partie d’une dimension sacrée. Kopytoff (1986), dans son travail relatif aux biographies
culturelles des objets, a apporté un éclairage majeur sur le thème du sacré. Selon l’auteur, les
processus de sacralisation proviennent du fait que les individus cherchent à créer des significations
sacrées dans leurs existences (Kopytoff, 1986 : 21). À ce sujet, l’auteur suggère le concept de
singularisation (singularization) qui permet une autre interprétation de la notion de sacré. Or, nous
avons remarqué précédemment que l’offre expérientielle de Star Académie était commodifiée par
les producteurs du concept. À présent, nous constatons que le processus d’appropriation de
l’expérience, pour plusieurs passionnés, tire potentiellement profit de la singularisation d’un
candidat, provocant ainsi par voie détournée la décommodification de l’expérience.
7.1.3- L’expérience de la transcendance émotive
Le caractère sacré est renforcé par un phénomène de don/contre don qui s’établit entre la star et ses
admirateurs, au point que ces derniers sont « transportés » émotivement. En effet, plusieurs fans ont
expliqué que l’assouvissement de leur passion, le vécu complet de l’expérience, nécessitait une
donation, un acte concret et matériel, visant à remercier l’artiste. Il est vrai que pour plusieurs,
Cornéliu bénéficie d’un don suprême et céleste qu’il met à la disposition du public, qu’il donne,
qu’il offre à ses fans. Parallèlement, à tant de générosité, les admirateurs se sentent redevables.
L’expérience de la transcendance émotive accentue la singularisation dont nous parlions plus haut,
et donc la décommodification de l’expérience.
7.1.4- L’expérience de la corporalité
Du fait de leur participation aux manifestations, les consommateurs personnalisent leur rapport avec
le candidat qu’ils défendent et donc leur appropriation expérientielle. Il se forme dès lors un
rapprochement imaginaire, et même une forme de familiarité entre la star totem et le fan. De
l’espace intime et fermé de leur domicile, les fans ont affronté la densité de l’espace public pour
108
partager et vivre ensemble leur passion. L’individu s’investit corporellement dès lors qu’il décide de
transgresser la frontière virtuelle du forum de discussion. Il s’implique physiquement dans
l’expérience. L’expérience de la corporalité s’inscrit dans la thématique du don, puisque le fan fait
don de lui-même, par le biais de son corps. En effet, la transgression virtuel/physique, en plus de
briser l’anonymat, participe à une production de sens particulière. La parade festive et enthousiaste,
de laquelle les consommateurs étaient acteurs, a fait montre d’un caractère carnavalesque. Selon
(Fiske, 1989), le carnaval produit un effet d’extase collective. C’est effectivement ce que les récits
des participants ont précisé au sujet de l’envergure extraordinaire que les mobilisations donnaient à
leur expérience. Notons, en passant, que cette propriété carnavalesque n’est pas sans rappeler la
notion de flux; et qu’elle confirme une appropriation émotivement marquante.
7.1.5- L’expérience de flux
La hâte, le désir, l’envie… les admirateurs de Cornéliu ont été tenus en haleine durant plusieurs
semaines, relativement au sort de leur préféré. Dépendants et obsédés, les fans ont vécu un décalage
avec la réalité pendant la période durant laquelle seuls Cornéliu et Star Académie ne comptaient. Le
décalage a été doublement vécu au cours de cette période conduite par le flux expérientiel. Tout
d’abord le rythme des académiciens et de Star Académie s’est imposé aux admirateurs. Ensuite le
rythme du forum, par son flux ininterrompu et incontrôlable d’échanges, a contribué à la perte de la
notion du temps et des priorités quotidiennes.
Intégrés de manière régulière dans leur quotidien, les enregistrements pirates des chansons de
Cornéliu constituent, par exemple pour Zorba, un moyen de se faire plaisir et de se relaxer, du fait
de la beauté de la voix de Cornéliu. L’écoute continuelle lui permet d’atteindre une certaine
harmonie (parfois c’est le « nirvana », précise-t-il) avec lui-même, mais aussi avec le héros qu’il a
l’impression d’apprivoiser peu à peu par la connaissance de son style et de sa voix. Lors de l’écoute
d’un enregistrement musical, le vécu expérientiel de l’instant mémorable (une performance, une
mise en scène spectaculaire lors du gala dominical) est rappelé. Ce souvenir s’accompagne
généralement d’un flux émotionnel qui est source de plaisir immense. Cette consommation permet
un prolongement du plaisir expérientiel, ainsi qu’une forme de consolidation de l’expérience. Or, le
flux expérientiel traduit l’immersion dans l’expérience quand s’ensuit une rupture de la routine.
L’expérience de flux est aussi vécue a posteriori.
109
7.1.6- L’expérience de rupture avec la réalité quotidienne
Plusieurs dimensions sont importantes lors du processus d’appropriation de l’expérience de
consommation de Star Académie, parmi lesquelles le rythme adopté et la cassure temporelle. Pour
voir son expérience de consommation épanouie, le consommateur doit nécessairement se distancier
de son quotidien. En fréquentant assidûment le forum de la Zone de Cornéliu, en affirmant son
appartenance à la communauté des fans, en faisant partie du groupe d’admirateurs un point
d’ancrage quotidien, l’individu procède à une appropriation expérientielle marquant un décalage.
De plus, en partageant une expérience esthétique, le consommateur du concept expérientiel
accentue son détachement de la routine habituelle.
7.1.7- L’expérience esthétique
L’expérience de consommation de Cornéliu est associée à la beauté. Pour ses fans, la voix de
l’apprenti ténor répond à une quête esthétique, et a pour conséquence d’émerveiller ses admirateurs.
Tantôt stimulant, tantôt relaxant, le talent de Cornéliu est associé à des moments de détente,
d’inspiration et de répit. Dans l’univers domestique, (voiture ou baladeur, par exemple) et personnel
(ordinateur de bureau), la consommation du produit Cornéliu ressemble presque à un rituel de
purification, un moment pour se ressourcer, pour accéder à l’intime.
La consommation de l’expérience esthétique de Star Académie, via Cornéliu, peut aussi être vécue
dans le cadre d’une exaltation plus collective. L’expérience esthétique, selon Holbrook &
Hirschman (1982), favorise le vécu de l’expérience plaisante d’un ensemble. Touchés par la
sensibilité du chanteur, par la force des convictions artistiques partagées, le groupe de fans s’est
transformé en une « communauté esthétique ». Argumentant l’embellissement nécessaire du forum,
afin de célébrer la grandeur et le talent de l’artiste qu’ils soutiennent, les fans ont ainsi pris
possession du forum, par une action de groupe. Une sorte de putsch artistique visant à grimer le
forum selon leur créativité. De ce fait, l’appropriation de l’expérience s’est révélée sous la forme
d’une annexion de l’espace communautaire. Cette action leur a permis d’atteindre une certaine
ouverture vers l’autre, en plus de s’inscrire dans un contexte différent de la réalité routinière du
quotidien et de dépasser les limites rationnelles pour s’évader à partir d’évocations issues de
l’imaginaire.
110
7.1.8- Une expérience matérialisée
L’engouement spontané et intense des admirateurs dans la communauté du forum s’est déroulé sur
une dizaine de mois, et l’investissement émotionnel des admirateurs a parfois connu des proportions
démesurées. Cherchant à distancier le terme du concours, pour que perdure l’expérience,
l’appropriation expérientielle de Star Académie fut pour certains intensément matérialisée : photos,
autographes, articles de presse, enregistrements …la consommation de produits relatifs à la
Roumanie (terre de naissance du héros) : vin, plats typiques, musique traditionnelle, livres et
voyages en Roumanie. Selon Miller (1998), c’est en étudiant la possession et la nature de
l’utilisation des objets, leur consommation ainsi que leur manière d’être consommés (en famille,
entre amis fans, avec la communauté lors d’un « party virtuel ») que nous comprenons à quel point
ils sont valorisants pour l’individu. La possession de ces objets engendre un certain plaisir qui
appartient à la dimension hédoniste du plaisir quotidien individuel. De plus, l’aspect artistique lié à
ce plaisir permet d’enrichir, sinon de ré-enchanter, la routine quotidienne.
7.1.9- La validation de l’expérience par l’objet
Les photos de Cornéliu, par la beauté et le talent qu’elles reflètent, sont pour ses fans des objets de
décoration. Placées au salon, dans le cadre convivial de la réception des invités, encadrés et
minutieusement disposées sur le mur (une distance régulière les séparent), les photos de Cornéliu
ressemblent à des trophées de chasse ou encore à des icônes religieuses exposées à l’intérieur de la
sphère privée. Cornéliu devient de ce fait un élément décoratif, il améliore l’atmosphère esthétique
du lieu. Cet aspect est poussé un peu plus loin encore, chez un fan dont la voiture toute entière est
décorée à l’effigie de Cornéliu.
Dans la sphère privée, l’objet qui subit une mise en scène réfléchie fait part de significations
particulières répondant à une véritable théâtralisation. Ce processus de théâtralisation domestique
rappelle d’ailleurs l’argument de Pine & Gilmore (1999) quant à la valorisation visuelle de l’objet
et/ou du lieu d’exposition. Or, l’harmonie qui se dégage de la mise en scène supplante le caractère
fonctionnel de l’objet au sein de l’espace domestique. Ainsi, l’objet contient une double fonction, la
première en tant que produit de divertissement, la seconde comme objet de décoration.
Enfin, nous pouvons noter que les cadres de Chouettechouette, ou encore les autographes collectés
par LauraLaura lors des galas de Star Académie, sont autant d’objets qui permettent le transfert de
sens émanant de l’expérience de consommation. Or, l’émergence de la notion de patrimoine, liée à
111
la quête d’authentique des passionnés et la poursuite d’une collection de fétiches, correspondent à
un souhait de muséifier le personnage de Cornéliu ainsi que la trace de sa rencontre, et donc
l’expérience. Ces objets sont les marqueurs d’un fait historique dans la biographie des fans. Cela
prouve bien que plusieurs ont vécu une expérience de consommation grandiose.
7.1.10- Star Académie, une expérience globale phénoménale
Échappant à la logique d’une aliénation, la consommation du concept de Star Académie a été vécue
par les admirateurs de Cornéliu comme une expérience phénoménale. Permettant d’amorcer des
processus d’émancipation, de transformation et de ré-enchantement, l’expérience s’est composée de
multiples expériences sous-jacentes, issues de l’autonomie acquise au sein de la communauté des
passionnés. L’expérience Star Académie est un évènement marquant et inoubliable. Comprise
comme une expérience extraordinaire (Arnould & Price, 1999), l’expérience de Star Académie a
transformé l’existence de certains des passionnés que nous avons suivi. Cette expérience
particulière n’est cependant pas sans rappeler plusieurs paradoxes propres à la perspective
postmoderne. Le lecteur trouvera à la page suivante, dans le tableau 6, le récapitulatif des
appropriations expérientielles rencontrées dans le présent document.
7.1.11- Le paradoxe de l’expérience de consommation postmoderne
Dans son essai, Bruckner (2000) traite d’une quête d’euphorie perpétuelle profondément ancrée
dans notre société contemporaine. Il s’agit d’un devoir de bonheur, d’une idéologie qui « pousse à
tout évaluer sous l’angle du plaisir et du déplaisir, une assignation à l’euphorie qui rejette dans la
honte ou le malaise ceux qui n’y souscrivent pas » (Bruckner, 2000 : 17). L’individu cherche à
sortir de la banalité du quotidien, il veut imprégner son environnement d’un sens. Or, la
consommation, dans ce registre, peut jouer un rôle palliatif tel un substitut. Certains auteurs
insistent sur le terme social. C’est principalement le cas de Maffesoli (1988) qui décrit l’être-
ensemble, et c’est aussi ce que prônait Lyotard (1979) en s’opposant à l’idée du repli sur soi. Dans
le contexte de la communauté de passionnés de Cornéliu, le paradoxe relève de la polarité entre une
quête d’authenticité accrue et l’utilisation d’un moyen simulé et marchand pour nouer le contact
social. L’avantage principal présenté par le forum de discussion est qu’il permet d’accéder
directement à un ensemble d’individus potentiellement engagés, sinon fans avertis, ce qui plus ou
moins constitue une authenticité préfabriquée.
112
Lancé par une émission de télé-réalité, Cornéliu a connu un succès intense mais éphémère.
L’engouement des fans ayant nécessité une adaptation à la temporalité du format d’observation de
la vie à l’Académie, la quasi entièreté du quotidien des passionnés fut réfléchie en fonction de
l’expérience Star Académie. Ce qui a entraîné la perte de repères spatio-temporels mais aussi
certains liens sociaux. Or, tant que les admirateurs ont eu matière à discuter, ils sont restés
majoritairement groupés dans la communauté. Dès lors que les informations se sont faites rares,
ponctuelles puis inexistantes, le groupe s’est éparpillé. Seule une minorité (une vingtaine de
personnes tout au plus) est restée soudée, par le biais du fan club. Ces individus ont persisté (et
certains persistent encore) à envisager pour Cornéliu une carrière durable et un grand succès
international, s’éloignant donc de l’idée première d’un concours de télévision qui produit des
vedettes instantanées dont le succès est éphémère. Cet autre paradoxe très postmoderne nous amène
à développer sur les thèmes de cycle de vie et de prolongement de l’expérience.
Tableau 6 : Inventaire des processus d’appropriation expérientielle recensés lors de l’itinéraire
biographique du concept Star Académie
Inventaire des processus d’appropriation expérientielle
L’expérience de construction commune d’un mythe L’expérience du sacré L’expérience de la transcendance émotive L’expérience de la corporalité L’expérience de flux L’expérience de rupture avec la réalité quotidienne L’expérience esthétique L’expérience matérialisée L’expérience validée par l’objet L’expérience globale phénoménale de Star Académie
113
7.2- Le cycle de vie de la biographie expérientielle
Dans notre travail, nous avons remarqué combien la création d’une organisation expérientielle
contenant de multiples ingrédients complémentaires était cruciale à la réussite du concept. En effet,
l’offre conceptuelle nécessite une gestion quant à la diffusion du flux expérientiel, de manière à
satisfaire en tout temps les amateurs. En effet, pour poursuivre son itinéraire biographique,
l’expérience doit être alimentée. Or, le concours par élimination hebdomadaire fait planer sur le
concept expérientiel le risque fatal de s’éteindre de manière abrupte et traumatisante, ce que
redoutent les membres de la communauté. Il semble donc impératif de songer à l’extension de la
durée de vie de l’expérience, pour que sa biographie perdure et continue d’être nourrie.
L’appropriation expérientielle est soutenue lorsque les consommateurs préservent et conservent, tels
des trésors, les photos, autographes, disques et toutes autres pièces rappelant l’expérience. D’une
manière générale, la conservation de ces différents éléments participe, au fil du temps, à la
reconstruction évolutive de l’expérience. Affichant un autre paradoxe postmoderne, la collection
d’extraits d’expériences dépasse le caractère éphémère de l’expérience conceptualisée.
Ces éléments de souvenir constituent des objets concrets et tangibles de l’expérience. Ils en sont la
trace, l’empreinte, et permettent de prolonger l’expérience ainsi que son cycle de vie. Malgré ces
petits soubresauts cherchant à rallonger l’expérience, que tous s’accordent à qualifier
d’extraordinaire et transcendante, peu de passionnés suivent encore aujourd’hui la carrière de
Cornéliu ou la communauté émotionnelle avec passion. Les fans ont procédé, peu à peu, à leur
désengagement communautaire,
De la personne exceptionnelle à laquelle ils vouaient un véritable culte, il ne reste un an plus tard
que le souvenir nostalgique d’une belle aventure communautaire. Leur implication a fait place à une
forme de lassitude. Avec le temps, les anciens passionnés demeurent nostalgiques de cette
« formidable expérience vécue avec la gang ». Cornéliu les a accompagné pendant une partie de
l’hiver 2004, il a rythmé et animé leur quotidien, ils en gardent maintenant d’excellents souvenirs
(« notre forum contenait le plus grand nombre de messages!!! »). Ils disent aussi que leur
expérience leur « a beaucoup apporté », car « c’était nouveau et différent ». Cette rupture
biographique de l’expérience n’empêche cependant pas qu’un phénomène de co-production
expérientielle ait encouragé l’épanouissement biographique de l’expérience Star Académie.
114
7.3- La co-production d’une biographie expérientielle
Pour reprendre les termes de Kopytoff (1986), l’expérience cesse d’être commodifée dès lors qu’elle
est personnalisée et vécue de manière singulière. Cela se caractérise par le collectionnisme dont
nous parlions plus haut, ainsi que par l’implication corporelle. Le concept expérientiel connaît une
trajectoire de vie. Depuis sa production, le concept Star Académie a intégré une zone d’échange, et
ensuite une zone de consommation dans le domaine privé.
La convergence dont est issue l’élaboration du concept de télé-réalité Star Académie a permis de
mettre à la disposition des consommateurs une offre constellée d’ingrédients expérientiels
(Bénavent & Evrard, 2002). Depuis le concept, l’individu choisit la manière de s’approprier
l’expérience de consommation, en y participant plus ou moins intensément. Concourant à
l’épanouissement du caractère expérientiel du concept, le forum de discussion par sa structure
chaleureuse stable et rassurante a favorisé la formation d’une communauté très soudée, agissant en
réseau, capable d’autonomie, d’autogestion et d’initiatives. Cette communauté fut conduite par
l’intérêt commun qui unissait les fans.
Or, l’exaltation individuelle, puis collective, qu’ont connue les passionnés provient de la part de
liberté dont ils ont pu profiter pour vivre à leur guise leur expérience de consommation de Star
Académie. Ainsi s’est établie une forme de dialogue égalitaire entre l’offre et la consommation. Le
producteur inscrit la trame dramatique, le consommateur choisit le rôle qu’il veut jouer; le
producteur alimente le scénario, le consommateur décide comment lui donner la réplique, il
improvise un peu, mais il ne quitte pas la scène avant la fin. Puis, occasionnellement, il revient pour
saluer une dernière fois, quand le producteur propose un rappel (avec les best of, par exemple). Le
pourparler entre le producteur et le consommateur serait pratiquement impossible sans la
communauté. En effet, nous avons vu que le groupe des passionnés servait à la fois d’espace de ré-
enchantement et d’émancipation, principalement du fait de la cohésion sociale de ses membres.
Sans la communauté, pas de partage d’émotions, pas de mission, pas de jeu, pas de script … et donc
pas d’histoire, ni de récit collectif. À vrai dire, la communauté émotionnelle que nous avons
observée, en plus de favoriser la coproduction expérientielle, a largement contribué au renforcement
de l’appropriation de l’expérience individuelle.
La biographie expérientielle est le résultat de la participation bipartite de la production et de la
consommation. Sans l’un des deux partis, elle est difficilement concevable. D’ailleurs, à ce niveau,
115
nous avons vu que l’habillage expérientiel de l’offre joue un rôle capital. En effet, les décors,
intrigues, actions et casting contribuent à créer un environnement expérientiel convaincant. Son
succès est généralement attribuable à la part de merveilleux véhiculé par l’expérience (ce qui rejoint
l’argument de Desaulniers, 2004). Cependant, le concept doit fournir une offre continue, flexible,
facilement disponible pour que perdure le flux expérientiel. À ce stade, la complémentarité des
ingrédients expérientiels (Bénavent & Evrard, 2002) est cruciale. Enfin, pour que la biographie
s’épanouisse, le caractère de socialisation doit continuer d’exister au travers de la communauté. Il
ressort donc de ce constat que les deux parties sont également responsables du succès de
l’expérience de consommation qui est le produit d’une co-production.
L’offre expérientielle doit cependant veiller à se renouveler pour éviter que l’usure du concept ne
vienne lasser le consommateur. Elle doit aussi chercher à l’alimenter afin d’allonger le cycle de vie
de la biographie expérientielle. Compromis délicat que parvient, pour le moment, à trouver le
concept de Star Académie au travers d’un caractère sériel de diffusion saisonnière que semblent
apprécier les fidèles. Cela revient quasiment à proposer un concept de consommation ritualisé,
reconduit trois années de suite et connaissant toujours un grand succès.
Concept fédérateur créant une forte cohésion intergénérationnelle, Star Académie est en effet une
réussite au Québec. Plus qu’un produit de divertissement, le concept dépasse en effet le média de
télévision et les Webcams pour proposer une offre expérientielle singulière. Or, loin d’être
aliénante, nous avons vu comment la consommation du concept expérientiel de Star Académie peut
agir telle une force libératrice et émancipatrice pour le consommateur.
7.4- D’un point de vue managérial
Ce travail de recherche en apportant un éclairage original sur un objet de consommation de
divertissement, fait émerger plusieurs pistes managériales intéressantes. Tout d’abord, il nous
semble pertinent de souligner l’importance du concept expérientiel. Pour que celui-ci soit l’objet
d’un processus d’appropriation de la part du consommateur, il est nécessaire que ce dernier y
participe. Cette participation doit être suggérée et encouragée depuis des supports faisant appel à
une implication ludique et créative qui permettent de renforcer la propriété expérientielle du
concept. Or, pour prolonger la biographie de l’expérience, tout en veillant à ce que le consommateur
demeure libre dans ses choix, il doit être question d’une organisation expérientielle. De ce fait, il
116
conviendrait d’envisager le consommateur des concepts de télé-réalité tel un collectionneur
d’expériences.
Dans ce contexte, les technologies récentes permettent d’étendre l’offre expérientielle. Par exemple,
le téléphone mobile présente des capacités techniques favorisant l’envoi d’offres promotionnelles,
mais aussi d’informations et même de spots de télévision. Ainsi, en profitant du nomadisme de
l’individu (Maffesoli, 1997) et de l’utilisation de plus en plus répandue des appareils mobiles, il
conviendrait d’envisager la communauté comme une tribu mobile. Dans cette perspective, le
téléphone cellulaire serait perçu comme un outil de liaison expérientielle, un support convenant à
l’alimentation des membres d’une communauté, via les podcasts et videocasts.
Enfin, dans un ordre d’idée plus économique, il pourrait être intéressant de revoir le concept de télé-
réalité suivant l’ensemble de ses ingrédients expérientiels, en omettant néanmoins la télévision. Il
s’agirait de procéder à l’étude de rentabilité d’un concept diffusé sur Internet et sur téléphone
mobile (donc véritablement 24h/24), en annulant les frais (mais aussi les recettes publicitaires) de
télévision et d’en étudier la viabilité.
7.5- Conclusions
Depuis un axe qualitatif, ce travail de recherche a exploré le thème de la consommation
expérientielle, pour apporter une humble contribution au domaine de la recherche en comportement
du consommateur. La complémentarité des méthodes employées, pour l’observation du concept de
consommation expérientielle s’est révélée riche d’enseignements, bien que nos résultats ne puissent
être généralisables. En effet, le croisement des méthodologies de la netnographie et de
l’ethnographie, en plus d’apporter un double point de vue d’un même phénomène, a prouvé une fois
encore combien l’ouverture pluridisciplinaire dans notre champ d’étude est bénéfique.
Ainsi, la complexité que nous avons dû confronter pour mener de concert les enquêtes de terrain, a
largement été dépassée, tant le corpus recueilli fût fertile. Les deux angles d’observation que nous
avons choisis nous ont permis d’atteindre une compréhension approfondie de l’expérience de
consommation.
117
Pour la jeune chercheure qui a vécu l’entièreté de l’immersion expérientielle du forum et l’univers
culturel particulier de la communauté de fans, l’aventure de Star Académie a aussi été très riche
d’enseignements. L’apprentissage des outils d’investigation que sont l’analyse de contenu et
l’observation participante, directement sur le terrain parmi les fans survoltés, s’est révélé très
formateur. Cette observation attentive de l’itinéraire expérientiel du produit Star Académie a permis
de mettre en pratique plusieurs concepts théoriques passionnants.
Outre cet enthousiasme, il faut signaler que notre travail connaît cependant plusieurs limites,
découlant directement de contraintes involontaires et des choix entrepris dans le volet
méthodologique. Celles-ci concernent l’échantillonnage, la zone géographique étudiée ainsi que le
fait de n’avoir eu accès qu’à très peu de données primaires pour l’exploration de l’offre
conceptuelle de Star Académie. Nous aurions souhaité rencontrer des dirigeants d’Endemol, de
Quebecor, ou encore des Productions J, afin de connaître leur point de vue concernant ce concept
expérientiel de télé-réalité. Malheureusement, personne n’a répondu à notre requête. De plus, du fait
que les statistiques et chiffres d’affaires sont très secrètement gardés, nous n’avons pu bénéficier
d’aucun support pour par exemple procéder à l’élaboration d’une typologie des internautes
fréquentant le site Web de Star Académie.
Concernant l’aspect géographique, il est certain que nos données sont absolument propres au
Québec (les fans ont d’ailleurs revendiqué l’aspect de québécitude de leur mission). Réalisée en
Ontario, cette même étude n’aurait peut-être pas connu la même envergure. De plus, les données
recueillies sont représentatives de Montréal et de sa périphérie, pour ce qui touche à la partie
ethnographique, ce qui se veut donc assez limitatif. Le corpus compilé lors de la netnographie est
quant à lui pour le moins anonyme, puisqu’il s’est intéressé à des internautes utilisant des
pseudonymes et n’indiquant que très rarement leur ville de résidence. Ouvert au Québec et au
Nouveau Brunswick, le forum contenait des visiteurs majoritairement québécois.
Enfin, relativement à l’échantillon, il est certain que pour les approches de terrain nous avons
procédé par convenance. Par contre, pour les entretiens nous avons choisi d’interviewer
principalement les personnages principaux et les leaders d’opinion.
Une autre limite de ce travail de recherche concerne la composition de notre échantillon. En effet, le
profil des informateurs permet de constater la majorité féminine de nos participants, et la faible
représentation masculine. Cependant il est important de souligner que les propos recueillis auprès
118
de nos deux participants masculins concordent avec ceux des informatrices de notre étude. Aussi,
une autre faille concerne l’age de nos informateurs, avec une moyenne située autour de 40 ans, il
semblerait intéressant de s’assurer de la validité de la conclusion auprès d’un échantillon plus jeune.
Ensuite, il convient de distinguer les propos tenus par les fans de ceux des admirateurs moins
investis (plus contenus) dont la logique est axée vers le divertissement.
Même si la recherche qualitative s’impose, car très adéquate pour l’étude de cet épiphénomène,
certaines faiblesses découlent de ce choix méthodologique. Tout d’abord nous ne sommes pas en
mesure de quantifier le phénomène dont il est question dans notre travail. En lien avec ces limites,
plusieurs pistes de recherches futures émanent de notre réflexion. Dans un premier temps,
relativement à la méthodologie nous avons constaté combien les récits des consommateurs recèlent
d’une richesse d’information provenant du vécu de consommation. Or, nous pensons que
l’exploitation plus poussée du récit en tant que support méthodologique peut présenter des horizons
intéressants en termes de recherche exploratoire. Par exemple, nous convenons avec Vanhamme
(2002) de l’utilité du journal de bord comme outils de collecte de données. Or, dans un
environnement digital, à l’heure où le phénomène des blogs est prégnant, il semblerait pertinent
d’envisager ce support électronique comme pouvant être un moyen de collecter les récits de
consommation. Cela signifie que l’étude de contenu des blogs relatifs à un évènement expérientiel
tel que Star Académie aurait pu faire émerger des informations bien différentes de celles que nous
avons recueillies sur le forum officiel. En effet, le blog n’est rattaché à aucune organisation et de
surcroît il est gratuit. Il permet de considérer une population distincte qui, en plus, présente la
caractéristique d’aimer s’exprimer par écrit sur la toile.
Deuxièmement, toujours relativement à la méthodologie, le croisement de nos réflexions avec celles
d’un linguiste pourrait s’avérer fécond quant à faire émerger des explications portant sur la forme
du texte rédigé et non uniquement sur son contenu.
Enfin, tout au long de notre travail de recherche nous nous sommes intéressé au processus
d’appropriation de l’expérience suivant le parcours emprunté. Or, demeure une interrogation
cruciale : que devient la biographie quand l’itinéraire expérientiel s’achève ? Les traces mémorielles
sont-elles niées ? Les traces matérielles sont elles recyclées ? Font elles l’objet d’un renoncement
ou d’une consommation de seconde main ?
119
Par ailleurs, il semblerait intéressant d’approcher les membres de la communauté plusieurs mois ou
années après l’expérience de consommation, de manière à saisir des souvenirs ou rémanences
persistants et vérifier que des amitiés communautaires demeurent. Cela nous permettrait peut-être
d’envisager différemment le paradoxe éphémère/intense propre à l’engagement de l’individu
postmoderne, ou encore pourrait sensiblement se rapprocher des caractéristiques hypermodernes
dans plusieurs cas (Lipovetsky, 2004).
Aussi, compte tenu du fait que la part des commanditaires est importante dans la création de l’offre
expérientielle, il pourrait être valable d’enquêter sur la rentabilité et le retour sur investissement des
partenaires d’un concept de télé-réalité tel que Star Académie par exemple par l’étude du placement
des produits au sein de l’Académie (Ikea, Évian…).
De plus, le caractère culturel entourant un format de télévision pourrait être susceptible d’influencer
la dynamique de co-production expérientielle. Ainsi, nous suggérons que la comparaison de deux
publics distincts quant à une même offre de divertissement de télé-réalité, pourrait s’avérer
intéressante. En effet, elle permettrait de percevoir comment les dimensions culturelles d’Hofstede
(1983) sont évaluées, relativement aux caractéristiques que nous reconnaissons à l’individu
postmoderne. Aussi, nous pourrions assister à un itinéraire expérientiel absolument différent du fait
de la dynamique socioculturelle.
Pour terminer, nous aimerions souligner une piste qui nous paraît particulièrement intéressante,
celle de la sociabilité féminine que nous avons remarquée dans la communauté sur laquelle a porté
notre travail. En effet, nous avons fait référence à l’espace de ré-enchantement et d’émancipation
que révèle la communauté; or, dans la Zone de Cornéliu, un groupe de femmes s’est montré
particulièrement uni. De plus, nous avons précisé dans la revue de littérature que les femmes
constituent une part majoritaire du public de Star Académie et de la télé-réalité en général (voir
annexe 9, les résultats d’une étude de perceptions relatives à l’émission Star Académie). Aussi
pourrions nous songer, en nous inspirant des travaux de Janice Radway (1984) et d’Alison Clark
(2001), que la communauté virtuelle serait un support particulièrement apprécié des femmes, pour
le caractère de socialisation qu’elle encourage, mais aussi pour son aspect pratique dans la vie
quotidienne (organisation, gestion du temps…). Partant de cette hypothèse, il pourrait être
intéressant de consacrer un travail de recherche à une communauté constituée de femmes pour
notamment observer les échanges qui s’y forment, les sujets qui s’y traitent ainsi que les flux de
120
fréquentation. Cette approche permettrait peut-être d’envisager l’appropriation expérientielle de
consommation de façon singulière.
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Annexe 1 : Commanditaires de Star Académie
136
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Annexe 3 : Présentation du candidat Cornéliu
Annexe 4 : Promotion en faveur du candidat Cornéliu
Tracts distribués dans la rue, lors des
manifestations de soutien à Montréal
Promotion de Corneliu sur un support
automobile
140
Annexe 5 : Exemples de coupures de presse relatives à Cornéliu
Article de presse extrait du
magazine officiel de Star
Académie (février 2004)
Une de l’hebdomadaire Échos
Vedettes (mars 2004)
Annexe 6 : Extraits des illustrations décoratives du forum de Cornéliu
142
143
Annexe 7 : Promotion du disque de Cornéliu
144
Annexe 8 : Affiche du spectacle New-yorkais
145
Annexe 9 : Rapport d’analyse du questionnaire : Attitudes et perceptions
des Québécois à l’égard de l’émission de télé-réalité Star Académie
Depuis sa première saison en 2002, l’émission de télé-réalité Star Académie est un succès de télévision au
Québec. Largement décriée et commentée, l’émission a encore fait les manchettes lors que sa troisième
édition bâtait des records d’audience. Véritable paradoxe, génie commercial, phénomène de société… De
nombreuses choses ont été dites au sujet de Star Académie (dont l’appellation fait maintenant partie du
langage courant), mais peu de travaux ont cherché à comprendre l’engouement colossal depuis le point de vue
du consommateur. C’est cette direction qui nous anime et que nous souhaitons emprunter, en approchant le
public de l’émission Star Académie. Cette première approche se veut donc une exploration qui devrait nous
permettre de nous familiariser avec le phénomène.
Le but de cette étude étant d’explorer les attitudes et perceptions des Québécois à l’égard de l’émission de
télé-réalité Star Académie, un questionnaire fut administré (en face à face et par Internet) auprès d’un
échantillon de 120 personnes. À la suite du pré test, un document (voir annexe 1) contenant neuf sections
distinctes fût établit. Le questionnaire, diffusé par quatre étudiantes inscrites au baccalauréat en
Administration à l’Université Laval, contient les parties suivantes :
- Des questions fermées (oui-non) laissant parfois la place à des annotations et commentaires émanant des répondants (sections 1, 2, 5, 7a).
- Des affirmations relatives aux attitudes et perceptions, énoncées et mesurables suivant une échelle catégorique de Likert en 7 points, pour les sections 3, 4, 5, 6, 7b, 8. La notation donnée par les interviewés, en termes de points attribués sur une échelle de 7, permet de situer les opinions et de montrer l’état des préférences et perceptions quant à l’émission Star Académie. Selon Évrard & al. (2000 : 633), l’échelle de Likert permet de mesurer les attitudes, elle est le format le plus connu concernant les études d’opinion. Pour cette échelle de notation, il est demandé à l’interviewé de se placer sur un continuum, par rapport à une série d’assertions portant sur un même sujet et pour lesquelles il doit exprimer son degré d’accord ou de désaccord (échelle bipolaire numérique). Dans notre questionnaire, les répondants sont invités à choisir entre 7 catégories d’énoncés (6 rangs symétriques autour d’un élément neutre) : 1- tout à fait en désaccord, 2- plutôt en désaccord, 3- légèrement en désaccord, 4- sans opinion, 5- légèrement en accord, 6- plutôt en accord, 7- tout à fait en accord.
- Une section finale (section 9) concernant plusieurs des caractéristiques sociodémographiques et personnelles des répondants, telles que l’âge, le sexe, le lieu de résidence, l’occupation. Cette partie contient aussi des questions relatives à la consommation télévisuelle (émission favorite, temps hebdomadaire consacré à la télévision), ainsi que d’autres particulières à la consommation de l’émission Star Académie (nombre de votes, moyen utilisé pour voter…).
Plusieurs aspects ont été abordés au sein des différentes sections :
146
- L’intérêt général pour les émissions télévisuelles répondant au genre de la télé-réalité (section 1); - L’intérêt particulier pour l’émission de télé-réalité Star Académie (section 2); - Les intentions d’écoute concernant l’émission Star Académie 2004 (section 3); - Le caractère social entourant la consommation de l’émission Star Académie (section 4); - La consommation de produits dérivés relatifs à l’émission Star Académie : magazines, sites Internet,
forum de discussion, CD musical, concerts… (section 5); - Les connotations affectives justifiant de la consommation de l’émission Star Académie (section 6); - Les caractères relatifs aux phénomènes d’attachement et d’identification à un candidat en particulier,
parmi les participants à l’émission (sections 7a et 7b); - Les attitudes face au domaine artistique, et à la célébrité en particulier (section 8).
La sélection de l’échantillon fût établie par convenance, touchant très largement le milieu universitaire et la
ville de Québec. La collecte des données fût réalisée au cours de deux semaines du mois de mars 2004.
Concernant les répondants au questionnaire, 60% sont des femmes, 85% ont 30 ans ou moins et 70% sont
étudiants, la majorité vit dans la ville de Québec (85%). De manière générale, le profil-type le plus répandu
dans ce sondage correspond à une femme, étudiante, ayant moins de 30ans, résidant à Québec.
Les statistiques descriptives, après analyse des questionnaires, avancent les résultats suivants :
- 49.2% des répondants consacrent approximativement 2 à 5 heures quotidiennes à leur poste de télévision. Les interviewés sont principalement amateurs de comédies (27.5%) et de télé séries (17.5%).
- Les résultats émanant de la première question exposent une attitude partagée quant à l’appréciation des émissions de télé-réalité en général : 49.2% les apprécient alors que 50% ne les apprécient pas.
- Qu’ils apprécient ou non les émissions de télé-réalité, 72.5% des répondants avaient connaissance de l’arrivée de Star Académie (saison 2004) sur les ondes québécoises, et 51.7% ont regardé le gala d’ouverture*39 du 15 février 2004. De plus, au cours des semaines précédant l’administration du questionnaire (le jeu avait donc débuté un mois auparavant), 48.3% des interviewés avaient suivi une ou plusieurs des émissions quotidiennes*.
- La majorité des répondants amateurs de l’émission semblent plus apprécier la diffusion des galas* (dimanche soir) que les émissions quotidiennes de semaine.
- Cependant, 78.3% des répondants envisageaient écouter au moins une émission de Star Académie (gala ou quotidienne) au cours de la saison 2004.
- Avec une moyenne de 4.41 (écart-type =1.554), tendant vers une situation d’accord à la question posée, les participants à l’enquête affirment entendre souvent parler de l’émission Star Académie, que ce soit à l’école, en famille, au travail ou dans leur entourage.
- Avec une moyenne de 4.07 (écart-type =2.20), les répondants déclarent que la période d’écoute et de visionnement de Star Académie correspond un moment de détente.
1- les astérisques (*) renvoient au glossaire situé en annexe 2
147
- 38.3% avouent savoir qu’un des candidats de l’émission habite dans la même ville qu’eux.
- Avec une moyenne de 4.04 (écart-type =2.353), l’enquête révèle que les répondants ont tendance à avoir une préférence pour un candidat en particulier.
- Avec une moyenne de 4.12 (écart-type=2.40), les résultats montrent que les participants à l’étude ont tendance à poursuivre l’écoute et le visionnement de l’émission Star Académie, malgré la défaite de leur candidat favori.
- Avec une moyenne de 4.91 (écart-type=1.809), qui représente le score le plus élevé, les résultats du sondage expriment une tendance à penser que Star Académie est une opportunité positive et favorable, en termes d’expérience et de succès, pour les candidats de l’émission.
Des questionnaires ne résultent que fort peu d’information exploitable concernant les produits dérivés,
extensions commerciales de l’émission :
- 41.7% ont feuilleté des magazines traitant du sujet Star Académie - 11.7% ont consulté par curiosité des sites Internet et forum de discussion relatifs à Star Académie - 2.5% de ceux qui ont participé à des discussions sur des forums virtuels, ou visité des sites web
relatifs à l’émission, ont l’intention de recommencer au cours de la saison 2004 de l’émission - 5.8% des répondants interrogés ont acheté le disque de Star académie en 2003 et 1.7 % ont
l’intention d’acheter celui de la saison 2004 - 13.3% des répondants affirment que s’ils avaient la possibilité de s’abonner gratuitement au service
Illico pour suivre à l’écran 24h/24 les participants de Star Académie, ils en profiteraient - 3.3% ont voté en 2003 pour soutenir un candidat mis en danger* - 4.2% des interviewés ont l’intention de voter au cours de la saison 2004. Dans les semaines
précédant le sondage, 6.6% de l’échantillon avait voté entre une et trois fois, et en majorité par téléphone
Allant, plus encore, de l’avant, le traitement des questions comprenant des échelles de Likert nous permet de
préciser plusieurs facettes relatives à la définition du concept que nous cherchons à mesurer. Ainsi, en
observant les statistiques descriptives relatives à ces assertions (voir l’annexe 3 pour le détail de ces données),
nous avons relevé les faits qui suivent.
- Quand ils ont aimé, une fois déjà, l’émission Star Académie, les répondants suivent la diffusion des saisons suivantes. Ce type de rendez-vous télévisuel semble être un incontournable.
- Le gala est le type d’émission que le public préfère, celui-ci génère une forte dose d’émotion, de moments critiques et de suspens (qui sera éliminé? Qui sont les stars invitées ? Etc.) qui s’étend dans la durée (entre deux et trois heures). Le gala dominical est apprécié pour être un divertissement télévisuel
- Star Académie semble être à ce point importante qu’elle est l’émission que l’on suit avec attention et qui fait par la suite l’objet de conversations.
148
- De nombreux répondants affirment souhaiter demeurer informés des faits saillants entourant l’émission (supposément pour pouvoir en discuter) et plus d’un quart des participants au sondage disent prendre part aux discussions dont elle est le sujet.
- Star Académie est appréciée et une grande partie des répondants affirment suivre l’émission en famille ou entre amis.
- Une majorité des interrogés associe la diffusion de l’émission à un moment de détente au cours duquel ils vivent des émotions et partagent des sentiments de joie et de bonheur. D’ailleurs, pour certains, un caractère d’exaltation empathique se développe (ils ressentent par exemple de la nervosité pour le candidat sur scène).
- Le concept du jeu est attachant au point que, pour certains répondants, un sentiment de grande déception suit l’élimination de leur candidat favori (le cas échéant). Car, il faut le préciser, les interviewés ne demeurent pas indifférents au jeu, et tendent à préférer un (ou plusieurs) des candidats.
- Malgré la possible épreuve de l’élimination du préféré, Star Académie est à ce point une émission appréciée que le public concerné continuera à suivre le jeu jusqu’à l’ultime finale, faisant ainsi preuve d’un fort attachement et d’une grande fidélité.
- Si 45.8% sont farouchement opposés à l’idée d’encourager un candidat (campagne de financement de votes*, par exemple), 9.2% de notre échantillon sont quant à eux tout à fait favorables à cette option.
- Enfin, les interviewés considèrent avantageusement le format de l’émission Star Académie, percevant en celui-ci l’opportunité, pour les candidats, de se révéler au public.
Dépassant la photographie des statistiques descriptives, le croisement de certaines données nous a aussi
permis de mettre en exergue quelques points intéressants :
- 60% des personnes qui apprécient les émissions de télé-réalité sont des femmes. A contrario, 67% des individus qui n’apprécient pas ce type d’émissions sont des hommes.
- 19.4% des répondantes disent être plutôt en accord avec l’avis suivant : « j’apprécie en général Star Académie », et 13.9% sont tout à fait en accord avec cette assertion.
Aussi, certains commentaires (sections 1, 2, 5, 7a) relatifs au fait d’apprécier ce genre de télévision soulignent
la part de divertissement offert, ainsi que la possibilité d’assouvir une certaine curiosité en s’immisçant dans
le quotidien des gens ordinaires (un interviewé utilise le mot « voyeurisme »). De plus, il faut noter l’intérêt
des répondants quant à suivre une émission qui « donne la chance aux jeunes de se réaliser ». Enfin, une
autre caractéristique semble poindre des commentaires, celle relative à la production d’émotions chez le
téléspectateur.
De manière à pouvoir extraire des tendances plus précises et des dimensions émergentes, quant aux attitudes
et perceptions, nous avons par la suite exploré plus en profondeur notre base de données. L’analyse des
composantes principales (ACP) est une technique multivariée pertinente lorsqu’il s’agit de transformer un
ensemble de variables en un autre ensemble plus petit, de dimension orthogonale. Or, selon Kerlinger
149
(1986 :592), il est possible de conduire une ACP en utilisant comme variables les énoncés d’une échelle
additive unidimensionnelle, telle que celle de Likert, pour l’observation d’un facteur unique.
L’analyse des composantes principales nous a permis de simplifier les jugements obtenus pour en faire
poindre les dimensions perceptuelles, en réduisant l’ensemble des variables à quelques facteurs de dimensions
générales (d’Astous, 2000 : 337). Pour ce faire, nous nous sommes attardées sur les questions proposant des
choix de réponse sous la forme d’échelles de Likert, c’est à dire les sections 3, 4, 5, 6, 7b et 8. À partir de la
base de données caractérisée par des relations d’interdépendance (corrélations) entre des variables, nous nous
sommes dirigées vers une nouvelle base de données comprenant de nouvelles variables, toutes indépendantes.
Nous n’avons retenu que les composantes les plus importantes, la première composante principale étant celle
qui explique le plus de variance. Il s’agissait donc d’examiner la proportion de variance additionnelle
apportée par chaque composante principale, et éliminer les composantes dont la contribution à la variance
totale semble plafonner.
Description de la procédure de l’analyse des composantes principales sur toutes les échelles de Likert :
Par le biais de l’utilisation du logiciel SPSS, nous avons obtenu un graphique des variances associées aux
composantes, de manière à pouvoir juger visuellement de la contribution additionnelle de chacune à
l’explication de la variance totale, et pouvoir déterminer le nombre de facteurs à conserver. Les sorties SPSS
contenaient les quantités de variance expliquées par les 27 composantes (nous disposons d’autant de
composantes que de variables), c'est-à-dire leurs valeurs propres (Eigen values).
Pour chaque composante, SPSS a calculé le pourcentage de variance totale (% of variance, c'est-à-dire la
somme des variances de toutes les composantes), ainsi que le pourcentage de la variance cumulée (cumulative
%). L’examen du graphique des valeurs propres (scree plot) nous a permis de confirmer visuellement les
résultats. Enfin, pour justifier du procédé, précisons que la variance d’une composante principale doit être
supérieure à celle de toute variable standardisée (de variance =1) de l’ensemble des variables considérées.
Une fois la décision prise, concernant les composantes principales à retenir, l’interprétation des résultats fut
rendue possible. Il nous a alors fallu donner une signification aux facteurs conservés, pour ce faire nous avons
observé les corrélations entre chaque facteur et les variables originales. Ces corrélations de structure (factor
loadings) nous ont renseignée sur la contribution de chaque variable à la définition du facteur.
La première composante principale est fréquemment corrélée avec la plupart des variables, mais idéalement
nous devions chercher une solution par laquelle atteindre une situation de structure simple (a/une composante
est fortement corrélée avec quelques variables et l’est peu avec les autres; b/ une variable est corrélée avec
une seule composante, ou un petit nombre; c/ la configuration des corrélations de structure est différente
d’une composante à l’autre). Il s’agissait donc de transformer la matrice des corrélations de structures afin de
se rapprocher de cette situation de structure simple. Pour cela, nous avons procédé par rotation des axes
150
factoriels nous permettant de dégager une structure simple. Nous avons choisi la rotation Varimax qui
consiste à définir la transformation de la matrice des corrélations de structure de telle manière à ce que la
variance des corrélations (élevée au carré) associée à chaque composante soit maximisée.
À la suite de cette rotation, la configuration obtenue pour les corrélations de structure est facilement
interprétable, nous avons donc entamé une nouvelle analyse concernant la matrice des corrélations de
structure avant (component matrix) et après (rotated component matrix) rotation.
Description des résultats des ACP sur toutes les échelles de Likert :
Nous disposions de 27 énoncés, c'est-à-dire de 27 variables, relatifs aux échelles de Likert dans notre
questionnaire. La matrice des corrélations (voir description détaillée en annexe 4) nous a permis de faire
ressortir plusieurs aspects intéressants.
Il semble exister un lien entre l’intention de suivre l’émission et l’appréciation du concept de l’émission en
général. Les personnes souhaitant suivre Star Académie envisagent de manière prépondérante de regarder les
galas, et ce principalement pour rester informées des faits saillants et profiter d’un moment de détente.
Les répondants qui apprécient l’émission en général ont l’intention de suivre le jeu jusqu’à sa finale, et cela
même si leur candidat préféré est éliminé. Ces individus tendent à ressentir joie et bonheur lors du suivi de
l’émission. De ce fait, nous pouvons supposer que ce sont les galas qui génèrent le plus d’émotion. De même,
suivant cette série de résultats, les galas paraissent faire émerger les sujets de discussion auxquels nous
faisions allusion précédemment. Les personnes qui ont l’intention de regarder la diffusion du dimanche soir
sont aussi celles qui aiment prendre part aux conversations à propos de Star Académie.
Concernant le moment de détente que procure l’émission chez les répondants, soulignons que cette
caractéristique s’apparente aussi au vécu de vives émotions, et s’associe au fait de préférer un candidat en
particulier. Cependant, l’élimination du préféré ne correspond pas à une suspension du suivi de l’émission, au
contraire, l’appréciation est telle que le public semble regarder le jeu jusqu’à sa fin.
Pour les personnes fortement impliquées (celles qui ont notamment tendance à ressentir de la nervosité
empathique pour les candidats), l’élimination de leur favori est vécue avec déception. À ce stade de notre
exploration, les résultats nous poussent à croire que le jeu, l’émission, l’expérience des candidats, sont vécus
par procuration par une partie du public. Cela rejoint donc le concept expérientiel développé dans la revue de
littérature. Nous avons aussi noté un certain lien d’attachement, ceux qui apprécient très largement Star
Académie ne cachent pas qu’ils ressentent une part de stress pour leur candidat préféré, cela révèle un
phénomène important.
151
L’analyse des composantes principales nous renseigne sur les quantités de variance expliquées par les 27
composantes. SPSS nous informe, pour chacune des composantes, sur le pourcentage de la variance totale (%
of variance) ainsi que sur le pourcentage de variance cumulé (cumulative %). Nous avons choisi de ne retenir
que quatre composantes principales qui sont celles qui suivent.
Figure 1 : quantité de variance expliquée par les 4 composantes retenues
Composantes Total % de
varia
nce
% de
varian
ce
cumul
é
1 11.717 43.395 43.395
2 3.763 13.939 57.334
3 1.710 6.333 63.667
4 1.131 4.190 67.857
Extraction Method: Principal Component Analysis.
Ces quatre premières composantes sont les plus importantes, elles contribuent ensemble à plus de 67% de la
variance totale. Notons cependant qu’entre la troisième et la quatrième la variance totale est proche du
plafonnement (63.667% cumulé puis 67.857 % cumulé). Notre choix est confirmé de visu par l’observation
du graphique des valeurs propres (scree plot). Nous avons donc décidé de retenir les quatre premières
composantes, d’autant que la valeur propre de chacune est supérieure à 1.
Figure 2 : Graphique des valeurs propres
152
Scree Plot
Component Number
27252321191715131197531
Eig
enva
lue
14
12
10
8
6
4
2
0
Conservant ces quatre composantes, il convient ensuite d’interpréter les résultats en apportant une
signification aux facteurs retenus. Pour ce faire, l’examen des corrélations de structure (corrélation entre
chaque facteur et les variables originales) nous renseigne, en exprimant la contribution de chaque variable à la
définition du facteur. L’interprétation des facteurs retenus permet de mettre en évidence une première
composante principale fortement corrélée avec une majorité des variables. Or, pour se rapprocher de la
situation idéale d’une structure simple (décrite plus avant) l’étape suivante a consisté en la transformation de
la matrice des corrélations de structure. La rotation des axes factoriels choisie est la varimax, elle a permis de
dégager une structure plus simple. À ce stade, SPSS produit deux matrices des corrélations de structure (avant
et après) qui se trouvent en annexes 5 et 6.
Dans la matrice transformée, il nous est donné de constater les variables suivantes sont corrélées de manière
positive avec le premier facteur, et faiblement avec les trois autres facteurs :
- intention de suivre Star Académie - intention de suivre les émissions quotidiennes - intention de suivre les galas du dimanche - apprécie de rester informé des faits saillants relatifs à l’émission - prend part aux discussions sur le sujet de Star Académie - apprécie, en général, l’émission - écoute l’émission en compagnie d’autrui - profite d’un moment de détente - ressent bonheur et joie en regardant l’émission - éprouve de la nervosité pour les candidats - est touché par les émotions vécues par les candidats - ressent une forme de stress lorsqu’un candidat est « mis en danger » - ressent déception si son candidat favori est éliminé - poursuit l’écoute de l’émission même si son candidat préféré n’est plus dans le jeu
153
- a tendance a préférer un candidat en particulier.
Les variables qui suivent sont quant à elles corrélées de façon positive avec le second facteur et faiblement
avec les trois autres facteurs :
- trouve avoir une ressemblance réelle avec l’un des candidats de Star Académie 2004 - aimerait ressembler à l’un des candidats de Star Académie 2004 - a tendance à imiter les goûts et a acheter les marques de produits que son favori préfère.
Les variables suivantes sont corrélées de manière positive avec le troisième facteur et faiblement avec les
trois autres :
- aimerait avoir le talent des candidats de Star Académie pour pouvoir participer à l’émission ou à ce type de concours
- aimerait beaucoup être reconnu et populaire.
Notons aussi que la variable « Star Académie est une belle opportunité, pour les candidats, de se révéler »
s’associe dans une moindre mesure, à ce troisième axe.
Enfin, la variable qui suit est celle qui est corrélée positivement avec le quatrième facteur et faiblement avec
les trois autres :
Star Académie est un sujet de discussion abordé en famille, au travail ou dans mon entourage.
La configuration des résultats nous a permis d’envisager les axes retenus comme représentant des dimensions
émergentes suivantes :
- axe 1 : Star Académie est perçue comme étant un divertissement attachant, - axe 2 : Star Académie est perçue comme étant un catalyseur du soi, - axe 3 : Star Académie est perçue comme étant un révélateur de talents, - axe 4 : Star Académie est perçue comme étant un levier de socialisation.
La première dimension, divertissement attachant, revêt les caractéristiques suivantes : une attitude favorable
vis-à-vis de l’émission, qui est perçue de manière positive, et une intention de suivre le jeu jusqu’à l’élection
du candidat gagnant (malgré l’élimination du préféré). Cet aspect fait montre d’une certaine forme de fidélité
au format de l’émission. Star Académie est compris comme un évènement télévisuel qui devient sujet de
discussion, dont on aime et souhaite être informé et que l’on regarde en compagnie de ses proches, tel un
spectacle familial et social. L’émission de divertissement est associée à un moment de détente et engendre une
certaine part d’implication personnelle et émotionnelle du fait de l’attachement (et des préférences) à certains
candidats, ainsi que des émotions ressenties et de la part d’empathie développée à l’endroit des participants au
jeu. Cette émission ne laisse pas indifférent, elle provoque des réactions et peut engendrer des passions.
La deuxième dimension, catalyseur du soi, révèle des attitudes d’identification et d’implication, tant
affectives qu’égocentriques. En effet, la ressemblance ressentie par certains dans le public, vis-à-vis d’un
154
candidat en particulier, entraîne une modification comportementale (manière de s’habiller, habitudes de
consommation). Cet axe démontre donc de l’effet d’influence de Star Académie à certains égard, jouant tel un
agitateur, un stimulateur du soi.
La troisième attitude, révélateur de talents, est celle du fantasme devant les phénomènes de gloire et de
célébrité. Les répondants comprennent que Star Académie sert de tremplin à la révélation du talent des
candidats et aspirent à vivre cette expérience convoitée, par le biais de leur imagination (phénomène de
procuration).
Enfin, la dernière dimension, levier de socialisation, atteste d’une attitude socialisante. L’émission sert de
support aux discussions et échanges entre amis, en famille, ainsi qu’avec les collègues de travail. On peut
supposer que cela permet de partager des avis, opinions et d’exprimer des valeurs.
Ces quatre dimensions latentes représentent les attitudes, perceptions et compréhensions que se font les
personnes interrogées de l’émission Star Académie, la somme des scores factoriels nous ayant permis de
mesurer ces sensibilités. L’analyse des composantes principales nous a ensuite autorisée à ajouter 4 nouvelles
variables à la base de données, celles qui correspondent aux 4 facteurs retenus. En calculant la moyenne des
scores factoriels suivant le sexe des répondants, pour chaque facteur, nous avons pu ensuite remarquer une
différence marquée entre la position des femmes (moy.= 0.2784450; écart-type = 1.02906173) et celle des
hommes (moy.= -0.415736; écart-type =0.80027386) pour ce qui concerne le premier facteur, c’est à dire
l’attitude de sympathie à l’égard de l’émission Star Académie.
Figure 3 : Moyenne des scores factoriels suivant le sexe des répondants
Group Statistics
Sexe du
répondant
N Mean Std. Deviation Std. Error Mean
REGR factor score 1
for analysis 1
Homme 45 -.4145736 .80027386 .11929778
Femme 67 .2784450 1,02906173 .12571990
REGR factor score 2
for analysis 1
Homme 45 -.0146163 1,18291563 .17633865
Femme 67 .0098169 .86528324 .10571117
REGR factor score 3
for analysis 1
Homme 45 .1034281 1,09578579 .16335010
155
Femme 67 -.0694666 .93227042 .11389496
REGR factor score 4
for analysis 1
Homme 45 .0211536 1,20040071 .17894517
Femme 67 -.0142076 .84892104 .10371221
Afin de comparer les différences sur les scores factoriels entre les hommes et les femmes, un test en t de
Student fût utilisé. La procédure statistique s’appuie sur la distribution d’échantillonnage de la statistique t
pour tester notre hypothèse. Ce test permet de révéler une différence de sensibilité moyenne selon les sexes,
du fait de la division des différences de moyennes par l’écart type de la distribution de l’échantillonnage, en
partant du postulat (hypothèse nulle) que les variances concernant les hommes et les femmes étaient égales.
Ainsi, SPSS nous informe que sur les 45 hommes et 67 femmes qui composent l’échantillon et font partie de
notre analyse, la moyenne relative aux hommes est de -0.4145736, et celle relative aux femmes est de
0.2784450, avec des écart-types (stand. dev.) de 0.800 pour les hommes et de 1.029 pour les femmes. La
valeur de p étant de 0.000 [sig.(2tailed)] nous pouvons conclure que la différence est statistiquement
significative. Avec un seuil de signification statistique fixé à 0.05 (test bilatéral, 0.025 de part et d’autre de la
distribution), l’hypothèse nulle d’égalité des moyennes, 110 degrés de liberté, et une valeur critique de t = +/-
1.98, la règle de décision nous permet de rejeter l’hypothèse nulle. En effet, la statistique t est égale à -3.808,
nous pouvons donc affirmer que dans le cas du premier facteur, les moyennes entre les hommes et les femmes
sont significativement différentes. Il existe donc une différence significative entre les hommes et les femmes,
en plus d’une préférence prononcée et significative des femmes pour cette émission de télévision.
Pour terminer, la matrice des corrélations des scores factoriels avec la variable qui concerne l’âge des
répondants nous indique deux autres aspects intéressants : il existe une corrélation légèrement positive du
premier facteur avec l’âge du répondant (+ âgé, + concerné par le facteur 1) et une corrélation légèrement
négative avec l’âge des répondant concernant le deuxième facteur (+ âgé, - concerné par le facteur 2). Cela
revient à présumer que :
- Les sensibilités relatives aux qualités divertissantes et attachantes de l’émission Star Académie émanent de personnes situées dans les tranches d’âge supérieures de la population, les plus de 30 ans par déduction.
- Les attitudes et perceptions recouvrant l’émission Star Académie d’un caractère stimulant et catalyseur du soi concernent des répondants moins âgés, donc Star Académie influencerait les plus jeunes.
156
Les québécois de notre enquête consomment assidûment la télévision, ils étaient informés de l’arrivée de Star
Académie 2004 sur les ondes et la moitié de notre échantillon a suivi le gala d’ouverture. La majorité des
répondants préfèrent les galas aux émissions quotidiennes, ces diffusions provoquent chez eux des réactions
émotives. L’émission Star Académie est associée à un moment de détente, l’attitude générale se veut positive.
Les individus qui ont déjà apprécié l’émission dans le passé (à l’époque il n’y avait eu qu’une seule édition)
semblent conserver cette attitude favorable au fil des saisons, Star Académie devient un rendez-vous
télévisuel incontournable et familier. Une des caractéristiques de cette émission est de s’étendre dans la durée
(environ 15 semaines), mais pas de manière trop pesante, de façon à ce que les spectateurs s’y attachent
éphémèrement. Les galas sont les évènements de fin de semaine dont les gens parlent le lundi (ce qui rejoint
l’avis de Desaulniers, 2004) entre amis ou collègues de travail, mais Star Académie fait aussi l’objet d’une
attention particulière en famille, Desaulniers (2004) parle d’ailleurs d’un véritable phénomène dont on discute
et dont on veut être informé. Enfin, l’émission est surtout le prétexte à une forme de socialité particulière
(visionnements entre amis, en famille, discussions, débats, polémiques…) de laquelle émane une certaine
forme de cohésion. Mais, il paraît que certaines personnes sont plus impliquées que d’autres (car plus
sensibles, moins indifférentes ?) en développant des exaltations empathiques à l’égard des candidats.
Les résultats de l’analyse des composantes principales nous ont conduites à constater l’émergence de quatre
dimensions prégnantes, celles-ci nous ont encouragées à confirmer nos premières impressions émanant des
statistiques descriptives. La première dimension, la plus importante, est celle qui considère Star Académie
comme un divertissement attachant. Cet axe met en évidence une attitude positive et un comportement de
fidélité (pour ne pas dire de loyauté) à l’émission. Star Académie est associée à un événement de télévision,
une circonstance de détente et de distraction. Ce divertissement est aussi apparenté à des réactions
émotionnelles (préférence, attachement, empathie) rappelant parfois les caractéristiques de la passion. La
deuxième dimension, intitulée Catalyseur du soi, relève de fortes attitudes d’identification et d’implication
personnelles (affection et égocentrisme) entraînant des modifications comportementales du fait de l’influence
de l’émission sur une certaine partie de son public. Les deux autres composantes considèrent respectivement
Star Académie pour son caractère révélateur de talents et pour être un levier de socialisation.
Enfin, l’étude approfondie de notre base de données nous a permis de mettre en évidence des différences
marquées entre les hommes et les femmes. Nos résultats révèlent que ce sont les femmes qui, majoritairement,
apprécient Star Académie. Celles-ci répondent à la première composante qui comprend l’émission comme
étant un divertissement attachant. Une dernière manipulation de nos informations nous a aussi permis de
terminer sur l’affirmation selon laquelle les personnes d’âge supérieur à la moyenne (30 ans) sont plus
sensibles et attachées à Star Académie (facteur émotionnel). Celles situées en dessous de l’âge moyen
correspondent plus particulièrement au second axe en subissant, individuellement, les influences
(stimulations, etc.…) de l’émission.
157
Les bases ludiques du concept de divertissement, ajoutées aux émotions ressenties, aux préférences et
phénomènes d’attachement, pourraient être les composants de la formule du succès commercial qui aboutit à
cette forme de fidélité toute particulière dont nous avons pris connaissance. Il semblerait donc que nous
soyons en présence tant d’un phénomène social, que d’un phénomène commercial. Plusieurs points résultant
de notre étude convergent avec notre revue de littérature, pour ce qui est notamment des caractéristiques du
cadre postmoderne et du concept expérientiel appliqués à la consommation. Star Académie répond et
correspond pleinement à son époque! Le vécu de l’émission, par procuration à travers l’écran cathodique de la
télévision, et pour certains l’implication personnelle tant émotive que pécuniaire (achats de votes)
correspondent à des aspects expérientiels de la consommation. Parallèlement, les caractéristiques ludiques,
éphémères, la part de voyeurisme dont nous avons traité appartiennent au concept postmoderne.
De façon objective, les résultats de notre traitement sont très intéressants mais notre recherche rencontre des
limites en certains points, il nous est donc impossible de valider une quelconque modélisation des dimensions
obtenues à partir de cette exploration. En effet, l’échantillon de convenance ne se veut pas représentatif et
présente des biais, notamment sur les variables de l’âge, du lieu de résidence et de l’occupation des
répondants. Nous ne pouvons donc qu’accorder un faible degré de confiance à nos conclusions. Il semble en
effet important d’insister sur le fait que notre échantillon n’est pas représentatif de la population et donc que
les statistiques descriptives présentées ci-dessous aient un statut très limité. Néanmoins, cette première
approche révèle plusieurs pistes de recherche prometteuses, notamment à cause de la convergence des
résultats de l’analyse statistique avec les faits saillants de la revue de littérature. Il convient donc, suite à ce
travail, de procéder à une fouille plus exhaustive du phénomène Star Académie. En effet, cette émission de
télé-réalité Star Académie ne semble pas être, au premier abord, une simple et banale émission de télévision
comme il y en aurait tant d’autres. Il semble exister un lien plus important et plus fort, notamment émotionnel,
entre le concept et son public. L’émission québécoise provoque des réactions affectives laissant paraître des
sensibilités particulières (dimension esthétique, forme d’appropriation, attachement, interactions sociales)
propres au public de ce format télévisuel. Or, même si nos résultats sont, pour le moins caricaturaux (les + de
30 ans s’y attachent et les – de 30 ans sont influencés) il n’existe cependant pas de doute quant au fait que le
public soit touché par l’émission. Pas de doute, non plus, pour ce qui est du niveau de connaissance de
l’existence de Star Académie, de son suivi, ni aucun quant au fait qu’elle alimente les conversations. Star
Académie fait rêver certains, réagir d’autres, et nombreux sont ceux qui suivent cette émission jusqu’à la
finale décisive. Star Académie procure de la détente, de l’évasion, du fantasme, elle est une émission capable
de faire naître et se développer des passions et c’est précisément ce dernier point qui nous intéresse ! La
prochaine étape sera donc de s’intéresser tout particulièrement aux fidèles passionnés de l’émission. Cette
exploration nous aura donc éclairé et guidé pour la poursuite de nos recherches.
Bibliographie
d’Astous, A. (2000 ). Le Projet de Recherche en Marketing. Chenelière/McGraw-Hill, Montréal.
158
Desaulniers, J.-P. ( 2004). Le Phénomène Star Académie. Éditions Saint-Martin, Montréal.
Évrard, Y., B. Pras & E. Roux, (2000). Market, Études et Recherche en Marketing. Dunod, paris.
Kerlinger, F. N. (1986). Foundations of Behavioral Research. Holt, Rinehart and Winston, New York.
Annexe 1: Questionnaire
Nous sommes quatre étudiantes en Administration des affaires, à l’Université Laval, et nous nous intéressons
à l’ampleur du phénomène Star Académie, plus précisément celui concernant la nouvelle version débutant le
15 février 2004, c'est-à-dire STAR ACADÉMIE 2004 !
Afin de mener à terme notre recherche, nous avons besoin d’un groupe de personnes de tous âges qui
répondront à quelques questions sur Star Académie 2004. Vous avez donc été sélectionnés afin de former cet
échantillon de plus de 100 candidats. Prenez note que les réponses recueillies par ce questionnaire seront
strictement confidentielles et serviront uniquement aux fins de cette étude.
Veuillez prévoir un maximum d’environ 15 minutes pour répondre à toutes les questions.
Nous vous remercions grandement de prendre quelques minutes de votre précieux temps pour répondre à ces
quelques questions.
Section 1
Veuillez répondre par oui ou non en encerclant votre réponse
159
1. Généralement, j’apprécie les émissions de télé-réalité telles que Loft Story,
Occupation Double et Star Académie.
POURQUOI ? ____________________________________________________
oui non
2. J’étais au courant que la nouvelle version de Star Académie 2004 était en ondes
sur TVA à partir du 15 février.
oui non
3. J’ai regardé l’émission d’ouverture de Star Académie 2004 (dimanche le 15
février).
oui non
4. J’ai regardé quelques émissions quotidiennes de Star Académie au cours des
dernières semaines.
Si oui, environ combien de fois par semaine ? ________
oui non
Section 2
Veuillez répondre par oui ou non en encerclant votre réponse.
En sachant que Star Académie 2004, tout comme Star Académie 2003, sera diffusée quotidiennement et un gala aura lieu chaque
dimanche…
1. Je pense être amené à écouter au moins une fois l’une des émissions Star Académie.
Veuillez noter que vous pouvez avoir à l’écouter même si l’émission vous intéresse
plus ou moins (Votre famille, vos amis, votre conjoint(e) l’écoute)
Commentaires :
__________________________________________________________
oui non
Section 3
Veuillez indiquer votre accord avec les affirmations suivantes en encerclant le nombre qui correspond le mieux à votre opinion.
Tout à fait Tout à fait
160
en désaccord en accord
1. Comme j’ai suivi Star Académie en
2003 et que j’ai apprécié grandement
l’émission, j’ai l’intention de suivre aussi
Star Académie 2004.
1 2 3 4 5 6 7
2. J’ai l’intention de suivre la plupart des
émissions quotidiennes de Star Académie
2004.
1 2 3 4 5 6 7
3. J’ai l’intention de suivre la plupart des
galas du dimanche de Star Académie 2004.
1 2 3 4 5 6 7
Section 4
Veuillez indiquer votre accord avec les affirmations suivantes en encerclant le nombre qui correspond le mieux à votre opinion.
Tout à fait Tout à fait
en désaccord en accord
1. J’entends souvent parler de Star
Académie à l’école, au travail et/ou dans
mon entourage.
1 2 3 4 5 6 7
2. J’aime être au courant de ce qui se
passe dans l’émission Star Académie.
1 2 3 4 5 6 7
3. Je prends part aux différentes
discussions sur le sujet.
1 2 3 4 5 6 7
4. J’aime généralement écouter Star
Académie.
1 2 3 4 5 6 7
5. Mes amis, mon/ma conjoint(e), ma
famille écoutent Star Académie et
je l’écoute avec eux.
1 2 3 4 5 6 7
6. J’écoute Star Académie parce que je
n’ai pas le choix.
1 2 3 4 5 6 7
Section 5
Veuillez répondre par oui ou non en encerclant votre réponse.
161
1. Il m’arrive de feuilleter des magazines comme 7 jours traitant de Star Académie même si
ce n’est pas moi qui les ai achetés.
oui non
2. Je visite par curiosité des sites Internet et des forums traitant de Star Académie.
oui non
3. En 2003, j’ai participé vivement à des discussions sur des forums, j’ai visité des sites
Internet sur Star Académie et j’ai aussi l’intention de le faire en 2004.
oui non
4. J’ai acheté le disque de Star Académie en 2003.
oui non
5. Je suis allé voir le concert présenté l’été dernier lors de la tournée Star Académie 2003
oui non
6. J’ai l’intention d’acheter le disque de Star académie 2004.
oui non
7. J’ai l’intention d’aller voir le concert qui sera présenté cet été pendant la tournée Star
Académie 2004
oui non
8. Je suis abonné à Illico afin de suivre les participants de Star Académie 24h sur 24.
oui non
9. Si j’avais la possibilité de m’abonner gratuitement à Illico pour suivre les participants de
Star Académie, 24h sur 24, j’en profiterais.
oui non
Section 6
Veuillez indiquer votre accord avec les affirmations suivantes en encerclant le nombre qui correspond le mieux à votre opinion.
Tout à fait Tout à fait
en désaccord en accord
1. Lorsque j’écoute Star Académie, je
profite d’un moment de détente.
1 2 3 4 5 6 7
2. Pendant que j’écoute Star Académie, il
m’arrive de rire et de ressentir
de la joie.
1 2 3 4 5 6 7
3. Avant une prestation sur scène, je
ressens de la nervosité pour les
candidats.
1 2 3 4 5 6 7
4. Voir pleurer les académiciens de joie
ou de peine me touche.
1 2 3 4 5 6 7
162
5. Je ressens du stress lorsque les noms
des candidats mis en danger
sortent.
1 2 3 4 5 6 7
6. Si mon candidat favori est éliminé, je
suis déçu.
1 2 3 4 5 6 7
7. Si mon candidat préféré est éliminé, je
continue de regarder Star
académie tout de même.
1 2 3 4 5 6 7
8. Je suis choqué parfois par certains
comportements des Académiciens
(exemple : hypocrisie, immaturité,
caprices, etc.)
1 2 3 4 5 6 7
Section 7
Section 7a
Veuillez répondre par oui ou non en encerclant votre réponse
1. Un des participants de l’émission Star Académie habite dans la même ville ou près de
chez moi.
oui non
2. En 2003, j’ai voté (soit par téléphone, Internet, etc.) pour sauver mon candidat en danger
préféré.
oui non
3. J’ai l’intention, en 2004, de voter pour sauver mon candidat préféré s’il est mis en danger.
oui non
163
Section 7b
Veuillez indiquer votre accord avec les affirmations suivantes en encerclant le nombre qui correspond le mieux à votre opinion.
Tout à fait Tout à fait
en désaccord en accord
4. J’aurais tendance à encourager un
candidat qui habite près de chez
moi plus qu’un autre.
1 2 3 4 5 6 7
5. Lorsque je regarde Star Académie, j’ai
tendance à avoir une
préférence pour un participant en
particulier.
1 2 3 4 5 6 7
6. Je trouve que je ressemble à l’un des
participants de Star Académie
2004 (caractère ou look).
1 2 3 4 5 6 7
7. J’aimerais ressembler à l’un des
participants de Star Académie 2004
(caractère ou look).
1 2 3 4 5 6 7
8. Si mon candidat préféré adore une
marque de vêtements ou un
aliment, j’aurais tendance à aimer, moi
aussi, cette marque de
vêtement ou cet aliment.
1 2 3 4 5 6 7
Section 8
Veuillez indiquer votre accord avec les affirmations suivantes en encerclant le nombre qui correspond le mieux à votre opinion.
Tout à fait Tout à fait
en désaccord en accord
1. Les participants de Star Académie sont
chanceux de vivre cette
expérience.
1 2 3 4 5 6 7
2. J’aimerais avoir un talent pour chanter ou
danser afin d’avoir la
chance, moi aussi, de participer à Star
Académie ou à tout autre
concours de ce genre.
1 2 3 4 5 6 7
3. Être populaire et reconnu est quelque
chose que j’aimerais beaucoup. 1 2 3 4 5 6 7
164
4. Écouter Star Académie me donne le goût
d’apprendre à chanter et à
danser.
1 2 3 4 5 6 7
5. Écouter Star Académie pourrait me
motiver à prendre des cours de
chant ou de danse.
1 2 3 4 5 6 7
Section 9
Les questions suivantes nous permettront de mieux décrire les caractéristiques des personnes qui ont accepté de participer à cette étude.
1. Quel âge avez-vous? _________
2. De quel sexe êtes-vous? M F
3. Quelle est votre ville de résidence? __________________________________
4. Quelle est votre occupation? __________________________________
Si vous n’avez pas d’occupation présentement, quel métier aimeriez-vous exercer plus tard ?
a. Un métier dans le domaine administratif (comptable, directeur de banque, etc) b. Un métier dans le domaine de l’enseignement c. Un métier dans le domaine du secteur professionnel (machiniste, plombier (ière), électricien(ne), coiffeur (euse),
esthéticien(ne), etc.) d. Un métier dans le domaine artistique (chanteur (euse), comédien(ne), etc.) e. Un métier dans le domaine de la santé (docteur, infirmier (ère), etc.) f. Un métier dans le domaine du droit (avocat, secrétaire juridique) g. Autres : ____________________________________________
5. Approximativement, quel est le temps que vous passez devant la télévision chaque jour ? __________________________
6. Quelle est votre émission de télé favorite? ______________________________
7. Lors de votre écoute de Star Académie, avez-vous le sentiment d’apprendre quelque chose ?
Oui Non
8. Combien de fois avez-vous voté depuis le début de la saison de Star Académie 2004 ? ____________
9. Si vous avez effectivement voté, quel moyen avez-vous utilisé ? ____________________
10. Diriez-vous que vous êtes enclins à regarder les « quotidiennes » ou le « show de variétés du dimanche » ou les deux ? ________________________________
165
Annexe 2 : Glossaire propre au concept de télé-réalité de Star Académie
Campagne de financement de votes : l’émission Star Académie est à ce point populaire au Québec que des
individus (souvent des parents ou amis d’un participant; parfois de parfaits anonymes) organisent des levées
de fonds visant à financer l’achat de votes pour « sauver » leur candidat.
(Émissions) quotidiennes : Le concept de télé-réalité se partage, notamment, en deux formats de diffusion
télévisée : les galas du dimanche et les quotidiennes en semaine. Les quotidiennes sont un condensé
informatif de la journée. Elles sont un montage préenregistré diffusé du lundi au jeudi à 19 :30 sur le réseau
de TVA, d’une durée de 30 minutes. Le deuxième volet de télé-réalité du concept Star Académie concerne la
transmission instantanée, quasiment en temps réel, de la vie à l’Académie par le biais d’Internet. Les
consommateurs sous contrat avec le cablo-diffuseur Videotron profitent de ce service gratuitement.
Finale : La saison (15 semaines en moyenne) se termine par une finale, diffusée lors du dernier gala
dominical, entre les deux derniers académiciens en lice.
Gala d’ouverture : la première émission d’une saison de Star Académie correspond à son lancement et
présente au public les 14 académiciens candidats. Comme pour l’ensemble des galas, l’émission est diffusée
en direct sur TVA le dimanche soir, animée par Julie Snyder et dure entre 2 et 3 heures.
Service Illico : Le deuxième volet de télé-réalité du concept Star Académie concerne la transmission
instantanée, quasiment en temps réel, de la vie à l’Académie par le biais d’Internet. Les consommateurs sous
contrat avec le cablo-diffuseur Videotron profitent de ce service gratuitement. Ce service est souvent
confondu avec ce que l’on nomme Illico. Il est donc possible, pour les abonnés de suivre la vie de l’Académie
à tout moment, sur leur écran d’ordinateur.
(Soirées de) gala : fait référence aux diffusions du dimanche soir, à partir de 20h sur TVA. Ce type
d’émission est un show musical qui dure entre 2 et 3 heures, faisant intervenir des stars de la chanson
qu’accompagnent les académiciens. Au cours de chaque gala, les trois candidats « en danger » donnent une
performance individuelle, l’un d’eux est évincé (choix du public et de l’Académie).
Mise en danger : le concept du jeu repose sur un procédé éliminatoire hebdomadaire. Chaque mardi soir les
professeurs de l’Académie annoncent les noms de trois candidats « mis en danger ». La performance
artistique de chacun de ces trois candidats a lieu le dimanche suivant, lors du Gala, et fait l’objet d’un vote. Le
166
public est invité à se prononcer (payant) pour choisir le candidat qu’il veut voir rester à l’Académie. Puis,
parmi les deux candidats restant, celui qui demeure dans le groupe est celui « sauvé » par le collège des
professeurs de l’Académie et par ses collègues académiciens.
Annexe 3 : Statistiques descriptives détaillées
- 30.8% cumulés de réponses favorables correspondant à une situation d’accord avec l’affirmation « comme j’ai suivi Star Académie 2003 et que j’ai apprécié grandement l’émission, j’ai l’intention de suivre aussi Star Académie 2004 ». Les personnes tout à fait en accord avec cette assertion représentent 13.3%.
- Les émissions quotidiennes sont moins appréciées (19.2%) que les soirées de gala du dimanche soir. 22.5% des interviewés disent avoir l’intention de regarder. La part favorable cumulée des pourcentages favorables à l’intention de regarder les galas atteint 45.8%.
- 52.5% des répondants (% cumulé) affirment favorablement que star Académie est un sujet de discussion abordé en famille, au travail ou encore dans leur entourage en général. 10% sont catégoriques sur ce point.
- 30.9% (% cumulé) souhaitent et désirent rester informés des faits saillants relatifs à Star Académie, 7.5% sont catégoriquement tout à fait d’accord avec cette idée.
- 27.5% (% cumulé) prennent part aux discussions à propos de l’émission Star Académie.
- 33.3% (% cumulé) apprécient, en général, écouter Star Académie et 9.2% sont tout à fait d’accord avec cette affirmation.
- 35.8% (% cumulé) se disent favorables à l’idée d’écouter l’émission en famille ou avec des amis (13.3% sont absolument d’accord avec cette affirmation). Remarquions cependant que pour 21.3% (% cumulé) des interrogés, regarder Star Académie est plutôt une obligation (ils se plient aux choix des autres).
- 15% des répondants sont farouchement d’accord avec l’affirmation selon laquelle suivre Star Académie à la télévision revient à profiter d’un moment de détente. Un pourcentage cumulé de 47.5% tend vers cette idée.
- Pour 10.8%, le fait de regarder cette émission procure des sentiments de joie et de bonheur ainsi que des éclats de rire. Un ensemble cumulé de 44.1% tentent favorablement vers cette opinion.
- 8.3% des répondants font preuve d’empathie et disent ressentir de la nervosité pour les candidats, lorsque ceux-ci sont sur scène. Un cumul de 21.6% des réponses tend à acquiescer cette affirmation.
- 6.7% avouent catégoriquement être touchés par l’émotion vécue par les candidats, un cumul de 25% des interviewés tend aussi vers cette idée.
- 7.5% disent ressentir du stress à l’annonce des candidats « mis en danger », un ensemble cumulatif de 20.9% rejoint cet avis.
167
- 11.7% se disent tout à fait déçus si leur candidat favori est éliminé du jeu. Un ensemble cumulé de 32.6% rejoint cette affirmation.
- Malgré cette preuve, 25.8% affirment poursuivre l’écoute de l’émission le cas échéant. Un total cumulé de 47.4% rejoint cette idée.
- 11.7% se disent parfois choqués par le comportement des candidats lors de l’émission (hypocrisie, immaturité, caprices…). L’affirmation de cette opinion rejoint de manière favorable un total de 31.7% des répondants.
- 9.2 % sont tout à fait d’accord avec l’idée d’encourager un candidat résidant à proximité de leur lieu de vie, alors que 45.8% sont complètement opposés à cet avis.
- 15.8% affirment avoir tendance à préférer un candidat en particulier, le total cumulé des personnes qui sont en accord avec cette opinion est de 52.4%.
- 2.5% des interviewés trouvent qu’ils ressemblent à l’un des participants de Star Académie 2004 (70.8% refusent farouchement cette affirmation) et 2.5% affirment qu’ils aimeraient ressembler à l’un des candidats en lice (76.7% s’y opposent catégoriquement). Dans ce registre, l’ensemble cumulé des personnes penchant favorablement pour cette idée atteint 6.7%.
- 2.5% disent avoir tendance à se conformer à leur candidat préféré et à imiter certains de leurs comportement (style vestimentaire, comportement ou consommation), alors que 85% des interviewés refusent massivement cette idée.
- 27.5% des répondants sont tout à fait en accord avec l’idée selon laquelle Star Académie est une bonne opportunité pour les candidats. Un total cumulé des réponses allant en ce sens atteint 61.7% des personnes interrogées.
- 6.7% affirment qu’ils aimeraient avoir le talent nécessaire pour participer à Star Académie, un total cumulé de 21.7% ont tendance à penser en ce sens.
- 9.2% affirment clairement qu’ils aimeraient connaître la popularité, un ensemble cumulatif de 26.7% tend à partager cette opinion.
- Pour 1.7% des personnes interrogées, le fait de regarder l’émission donne envie d’apprendre les arts de la scène (un total cumulé de 7.6% tend vers cette affirmation). D’ailleurs pour 1.7%, le fait de suivra l’émission à la télévision génère une motivation quant à cette idée d’apprentissage. 70% des interviewés refusent nettement cette idée.
Annexe 4 : Description détaillée de la matrice des corrélations
- Les répondants qui ont l’intention de suivre l’émission Star Académie en 2004, apprécient le concept de l’émission en général (0.858), ils souhaitent principalement suivre les galas du dimanche soir (0.804) ainsi que la diffusion des émissions quotidiennes (0.793). Ces personnes cherchent à rester informées des faits saillants concernant Star Académie (0.764) et sont d’avis que l’émission procure un moment de détente (0.709).
168
- Les répondants qui ont l’intention de suivre les émissions de gala au cours de la saison 2004, apprécient l’émission en général (0.878). Ils aiment être informés des ce qui se déroule dans l’émission (0.781) et pensent que l’émission procure un moment de détente (0.746). Ces interviewés ont tendance à poursuivre l’écoute de l’émission malgré l’élimination de leur favori (0.739), ressentent des sentiments de joie et de bonheur lors du suivi de l’émission (0.735) et aiment prendre part aux discussions concernant Star Académie (0.711).
- Ceux qui ont l’intention de suivre les émissions quotidiennes de Star Académie apprécient, en général, le concept de l’émission (0.732).
- Concernant les personnes ayant le désir de rester informées des faits saillants relatifs à l’émission, elles disent apprécier Star Académie en général (0.855), avoir l’intention de suivre les galas du dimanche soir (0.781) et aimer prendre part aux discussions à propos des sujets relatifs à Star Académie (0.772).
- Les répondants qui apprécient prendre part aux discussions dont le sujet porte sur Star Académie apprécient en général l’émission (0.80) et ont l’intention de suivre les galas (0.711).
- Les interviewés ayant tendance à apprécier, en général, Star Académie disent avoir l’intention de suivre les galas (0.878), cherchent à demeurer informés des faits saillants relatifs à l’émission (0.855), aiment prendre part aux discussions dont le sujet traite de l’émission (0.80). ces individus envisagent la diffusion de Star Académie comme un moment de détente (0.788) et poursuivent l’écoute de l’émission malgré l’élimination de leur candidat préféré (0.779). Par ailleurs, ils affirment que l’émission leur procure des sentiments de joie et de bonheur (0.768), ils envisagent de suivre les émissions quotidiennes en 2004 (0.732), et sont déçus quand leur favori est éliminé (0.724).
- Les personnes pour qui l’émission Star Académie représente un moment de détente avouent qu’elle engendre aussi des périodes de joies et de bonheur (0.827). Ces répondants poursuivront leur écoute de l’émission malgré l’élimination de leur candidat préféré (0.827), ils apprécient Star Académie en général (0.788). Leur intention lors de l’administration du questionnaire était de suivre la diffusion des émissions de gala (0.746), ils disaient aussi avoir tendance à préférer un candidat en particulier (0.742).
- Les individus ressentant des moments de bonheur et de joie en regardant l’émission apprécient en général Star Académie (0.768) et tendent à poursuivre leur écoute malgré l’élimination de leur favori (0.74). Ils envisageaient de suivre les émissions de gala de la saison 2004 (0.735).
- Les répondants ayant affirmé éprouver de la nervosité concernant les candidats affirment ressentit une forme de stress si leur favori est « mis en danger » (0.841). ils se disent déçus si leur candidat préféré est éliminé (0.714).
- Les interviewés qui touchés par les joies et peines des candidats lors de l’émission Star Académie disent avoir tendance à être déçus si leur candidat préféré est mis hors-jeu (0.760) et affirment ressentir une forme de stress si leur favori est « mis en danger » (0.725).
- Les personnes affirmant connaître une déception certaine lors de l’élimination de leur candidat préféré se disent aussi touchés par les émotions des candidats (0.76). elles affirment que l’émission leur procure des instants de bonheur et de joie (0.758) et apprécient en général Star Académie (0.724). Ces personnes ont tendance à éprouver une forme de nervosité pour les candidats (0.714) mais tendent à poursuivre leur écoute de l’émission malgré l’évincement de leur préféré (0.704).
169
- Les individus ayant tendance à poursuivre l’écoute de l’émission malgré le départ de leur candidat favori considèrent que Star Académie est une émission qui procure un moment de détente (0.827), ils apprécient en général l’émission (0.779). Ces personnes affirment ressentir joie et bonheur en suivant l’émission (0.74), elles envisageaient de regarder les galas de la saison 2004 (0.739) et ont tendance à avoir une préférence parmi les candidats (0.728).
- Les répondants ayant tendance à préférer un candidat en particulier affirment que l’émission Star Académie leur procure un moment de détente (0.742), et tendent à poursuivre l’écoute de l’émission même si leur candidat préféré est éliminé (0.728).
- Les participants ayant affirmé se trouver une certaine ressemblance avec l’un des candidats de l’émission disent aussi qu’ils aimeraient ressembler à un candidat de Star Académie 2004.
- Les répondants qui aimeraient ressembler à un candidat de Star Académie 2004 ont tendance à imiter le comportement de leur candidat préféré (0.764).
- Pour les personnes intéressées à suivre des cours de chant et de danse, Star Académie se veut une incitation supplémentaire (0.701).
Annexe 5 : Synthèse des variances expliquées par l’ACP :
Total Variance Explained
Initial
Eigenvalues
Extraction
Sums of
Squared
Loadings
Rotation
Sums of
Squared
Loadings
Component Total % of
Variance
Cumulative
%
Total % of
Variance
Cumulative
%
Total % of
Variance
Cumulative
%
1 11.717 43.395 43.395 11.717 43.395 43.395 10.087 37.359 37.359
2 3.763 13.939 57.334 3.763 13.939 57.334 4.278 15.845 53.204
3 1.710 6.333 63.667 1.710 6.333 63.667 2.653 9.826 63.030
4 1.131 4.190 67.857 1.131 4.190 67.857 1.303 4.827 67.857
5 .995 3.687 71.544
6 .945 3.499 75.043
7 .822 3.045 78.089
8 .744 2.756 80.844
9 .639 2.365 83.210
10 .555 2.056 85.265
11 .516 1.909 87.175
12 .458 1.697 88.872
13 .389 1.442 90.314
14 .375 1.388 91.702
15 .297 1.099 92.801
16 .289 1.070 93.871
17 .275 1.018 94.890
170
18 .225 .833 95.723
19 .213 .787 96.510
20 .196 .727 97.238
21 .159 .591 97.828
22 .141 .522 98.350
23 .130 .481 98.831
24 .106 .394 99.225
25 .079 .293 99.519
26 .074 .274 99.792
27 .056 .208 100.000
Extraction Method: Principal Component Analysis.
Annexe 6 : Matrice des corrélations de structure avant rotation
Component Matrix
Component
1 2 3 4
Suivre Star Academie en général .797 -.342 -.064 -.002
Suivre les quotidiennes .693 -.283 .096 -.152
Suivre les galas .820 -.374 -.014 .001
Sujet abordé dans famille, travail, entourage .214 -.354 .101 .738
Resté informé sur les faits saillants de Star Ac. .821 -.302 -.052 .068
Prendre part aux discussions .753 -.343 .037 .220
J'apprécie en général Star Académie .869 -.390 -.011 -.038
Écoute l'émission en compagnie d'autrui .691 -.188 -.046 .269
Obligation d'écouter Star Académie -.102 .370 -.175 .058
Procure un moment de détendre .859 -.137 .064 -.088
Procure bonheur et joie .843 -.103 -.027 -.076
Éprouve de la nervosité pour les candidats .739 .201 -.340 -.164
Émotions des candidats me touche .786 .152 -.102 -.213
Resentir du stress si mon candidat est en danger .755 .188 -.373 -.125
Déception si mon favori est éliminé .879 .032 -.119 -.084
Poursuivre l'écoute malgré élimination du favori .827 -.188 .073 .005
Choqué par les comportements des candidats .560 .011 -.240 .320
Privilégier les candidats de ma région .446 .078 .434 -.266
J'ai tendance à avoir un favori parmi les participants .787 -.030 .045 -.114
Ressemblance réelle avec un candidats .546 .663 -.214 .020
J'aimerais ressembler à un candidat .495 .710 -.243 .073
Tendance à imiter mon candidat favori .353 .741 -.186 .093
Belle opportunité pour les participants .488 -.122 .410 -.205
J'aimerais avoir du talent comme eux .476 .365 .555 .147
171
J'aimerais être populaire .301 .405 .633 -.006
Star Academie m'incite à chanter et danser .496 .596 .193 .224
Intéressé à prendre des cours de chant et danse .396 .660 .243 .108
Extraction Method: Principal Component Analysis. a 4 components extracted.
Annexe 7 : Matrice des corrélations de structure après rotation
Rotated Component Matrix
Component
1 2 3 4
Suivre Star Academie en général .859 .002 .050 .125
Suivre les quotidiennes .742 -.068 .193 -.028
Suivre les galas .885 -.036 .091 .139
Sujet abordé dans famille, travail, entourage .213 -.150 .001 .811
Resté informé sur les faits saillants de Star Ac. .853 .050 .077 .189
Prendre part aux discussions .774 -.018 .118 .346
J'apprécie en général Star Académie .941 -.041 .104 .109
Écoute l'émission en compagnie d'autrui .663 .131 .073 .353
Obligation d'écouter Star Académie -.221 .355 -.072 -.033
Procure un moment de détendre .829 .133 .252 .021
Procure bonheur et joie .812 .193 .175 .017
Éprouve de la nervosité pour les candidats .655 .522 -.036 -.159
Émotions des candidats me touche .691 .398 .180 -.173
Resentir du stress si mon candidat est en danger .673 .536 -.068 -.120
Déception si mon favori est éliminé .806 .354 .145 -.019
Poursuivre l'écoute malgré élimination du favori .806 .090 .231 .119
Choqué par les comportements des candidats .487 .339 -.078 .339
Privilégier les candidats de ma région .347 .006 .553 -.195
J'ai tendance à avoir un favori parmi les participants .729 .202 .250 -.031
Ressemblance réelle avec un candidats .257 .829 .164 -.068
J'aimerais ressembler à un candidat .189 .871 .136 -.032
Tendance à imiter mon candidat favori .039 .831 .158 -.025
Belle opportunité pour les participants .458 -.131 .476 -.099
J'aimerais avoir du talent comme eux .186 .275 .741 .170
J'aimerais être populaire .024 .196 .785 .005
Star Academie m'incite à chanter et danser .153 .630 .488 .175
Intéressé à prendre des cours de chant et danse .047 .613 .533 .046
Extraction Method: Principal Component Analysis. Rotation Method: Varimax with Kaiser Normalization. a
Rotation converged in 5 iterations