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RE-MOTIVER AU TRAVAIL Développer l’implication de ses collaborateurs

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RE-MOTIVER AU TRAVAIL

Développer l’implication de ses collaborateurs

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Éditions d’OrganisationGroupe Eyrolles

61, bd Saint-Germain75240 Paris cedex 05

www.editions-organisation.comwww.editions-eyrolles.com

Le code de la propriété intellectuelle du 1

er

juillet 1992interdit en effet expressément la photocopie à usagecollectif sans autorisation des ayants droit. Or, cettepratique s’est généralisée notamment dans l’enseigne-ment, provoquant une baisse brutale des achats delivres, au point que la possibilité même pour les auteursde créer des œuvres nouvelles et de les faire éditercorrectement est aujourd’hui menacée. En applicationde la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduireintégralement ou partiellement le présent ouvrage, sur

quelque support que ce soit, sans autorisation de l’Éditeur ou du CentreFrançais d’Exploitation du Droit de copie, 20, rue des Grands-Augustins,75006 Paris.

ISBN : 978-2-212-53844-1

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Claude LEVY-LEBOYER

RE-MOTIVER AU TRAVAIL

Développer l’implication de ses collaborateurs

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DU

MÊME

AUTEUR

,

CHEZ

LE

MÊME

ÉDITEUR

La gestion des compétences

, 1996.•

Le 360°, outil de développement personnel

, 2000.•

La personnalité

, 2005.•

RH, les apports de la psychologie du travail

, 2

e

édition, 2006.

Évaluation du personnel

, 5

e

édition, 2006.•

La motivation au travail

, 3

e

édition, 2006.

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Sommaire

IntroductionAujourd’hui, la démotivation

........................ 1

La motivation, une « qualité » fondamentale ?

4

Quelles questions se poser

........................... 6

Plan du livre

................................................... 12

Partie 1

Qu’est-ce qui a changé ?

...................... 17

Chapitre 1

Valeur et signification du travail, hier et aujourd’hui

......................................... 19

Le travail n’a pas toujours été une valeur centrale

..................................... 20

Différentes éthiques du travail

...................... 23

Les relations entre travail et famille

.............. 25

Les attitudes face au travail

.......................... 28

Et la motivation dans tout cela ?

................... 31

Un nouveau modèle organisationnel

............. 33

La situation au cours du

XXe

siècle

................ 34

Que retenir de ce rapide survol historique

.... 37

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Chapitre 2

Ce qui change dans le monde du travail

... 43

La révolution du savoir

.................................. 43

Les changements dans le monde du travail

.... 47

La composition de la population active

......... 58

Quel impact sur la nature et la signification du travail

....................... 61

Le monde du travail évolue

........................... 70

Conclusion de la partie 1

Des récompenses « au mérite » à l’image de soi

............................................. 73

Partie 2

Environnement social, image de soi et motivation

............................................. 79

Chapitre 3

Valeurs culturelles et motivation

............... 81

La culture et les ressorts de la motivation

... 85

Contexte culturel et efficacité des stratégies motivationnelles

................. 95

Encourager les sources de motivation interne

97

Chapitre 4

Image de soi et motivation

.......................... 101

Pourquoi s’intéresser à l’image de soi ?

...... 102

Quel est le rôle de l’image de soi dans la genèse des motivations ?

............. 104

Comment se construit l’image de soi ?

........ 107

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OMMAIRE

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La motivation est liée à l’image de soi

......... 110

La dynamique motivationnelle

....................... 115

Conclusion de la partie 2

De la motivation à l’implication

.................. 119

Chapitre 5

Comment re-motiver, aujourd’hui ?

............ 123

Quelle source de motivation utiliser ? ........... 124Qu’est-ce que l’implication ? ......................... 128Décrire son travail par les activités

ou les objectifs ............................................ 130L’objectif, un élément clé de la motivation ... 132Activités et implication ................................... 137Un autre style de leadership .......................... 142

Index ................................................................ 147

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Introduction

Aujourd’hui, la démotivation

Voici plus de vingt ans, j’ai essayé de montrer que lacrise économique et le chômage qu’elle entraînait neconduiraient pas, contrairement à ce qu’on aurait pucroire, à un accroissement de la motivation au travailqui serait dû à la crainte de perdre son emploi(C. Lévy-Leboyer, 1984).

J’avais, malheureusement, raison.

La démotivation de leur personnel semble êtreaujourd’hui un problème important pour beaucoupd’organisations, qu’elles soient publiques ou privées,de grande ou de petite taille, à vocation industrielle oude service. Elle peut concerner tous ceux quitravaillent, quels que soient leur niveau et leurscompétences, leur rôle et leur fonction. Et lorsqu’ondemande à des cadres ou à des dirigeants quel est leproblème majeur auquel ils doivent faire face en tantque managers, tous, ou presque, répondent « l’absencede motivation ». Et la motivation n’est certainementpas un luxe inutile. Les personnes démotivées ne

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cherchent plus à consacrer leurs efforts et leursressources intellectuelles à leur travail et adoptentsouvent des comportements de retrait, négligence,retard, absentéisme, baisse de qualité… ce qui estévidemment dommageable pour la productivité desentreprises et pour la qualité des services.

Il suffit, pour confirmer cette impression, d’utiliser lesressources des différents moteurs de recherche surInternet et de demander « démotivation travail » pourse voir proposer de 100 000 à 200 000 pages de docu-ments. Mais leur lecture ne fait que confirmer l’impor-tance d’une démotivation qui atteint toutes lesspécialités et toutes les catégories socioprofession-nelles, sans apporter d’explications, encore moins deremèdes, et surtout, sans tenter d’analyser les condi-tions de travail dans la société postindustrielle, doncde comprendre comment la démotivation s’estinstallée. En outre, si on se tourne vers les sitesInternet qui commercialisent des livres et les présen-tent par thème, à la demande « motivation travail » nesont proposées que des recettes peu justifiées et desanalyses théoriques où on retrouve les noms deVroom, dont l’ouvrage, certes remarquable pour sonépoque, date de 1964, de Herzberg ou de Maslow.Même si ces auteurs ont le mérite d’avoir été lespremiers à mettre l’accent, l’un sur les motivations« intrinsèques », l’autre sur les besoins que le travailpeut satisfaire, il est bien établi maintenant que leursmodèles, probablement trop simples, n’ont pas résistéà la recherche de preuves expérimentales sérieuses.

Le travail n’a pas seulement changé, mais il a, en partieau moins, perdu sa « centralité », c’est-à-dire qu’il semblene plus être le cadre de référence principal pour une

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partie croissante des actifs en France. Quand il est encoreperçu comme un élément important de l’existence, ilsemble que c’est surtout en fonction de ce qu’on échangecontre le travail lui-même, faute de pouvoir tirer de l’acti-vité professionnelle des satisfactions directes. Dansl’enquête faite par l’Insee et publiée par la Dares sur les« histoires de vie », au cours de laquelle les grandsdomaines de la vie sont abordés, seulement 7 % despersonnes interrogées accordent une première place autravail en réponse à la question « Qu’est-ce qui vouspermet de dire qui vous êtes ? » et ceci, même si le travailreste pourtant la seconde source de l’identité après lafamille. Il est vrai que la question pouvait faire penserqu’on interrogeait sur ce qui fait l’identité au sens étatcivil du mot, et non au sens psychologique. Mais il doitbien s’agir de l’importance du travail puisque celui-ciapparaît plus souvent comme un élément fort de l’iden-tité chez les cadres et les membres de professions indé-pendantes que chez les employés et les ouvriers (Garneret al., 2005). Et cette perte de l’importance du travail estconfirmée par l’enquête faite par CSA pour Les Échos enmars 2005 : 45 % des Français interrogés s’arrêteraients’ils pouvaient disposer de leurs revenus actuels sansavoir à travailler. Le problème est suffisamment gravepour qu’une session ait été consacrée au WorldEconomic Forum de Davos en 2004 sur le thème« Comment mobiliser des salariés désenchantés ».

Pourtant, la démotivation ne s’observe, ni dans tousles domaines, ni sur tous les terrains. Jamais les acti-vités bénévoles, les associations, les compétitions spor-tives non professionnelles n’ont été aussi florissantes.Des centaines de marathoniens, de tous âges, sontprêts, tous les ans, à transpirer sur le macadam pari-

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sien. Et de jeunes étudiants prouvent leur motivationen préparant des examens et des concours, qui, pour-tant, ne leur garantissent pas toujours un accès àl’emploi. Il est vrai que ce sont probablement lesmêmes qui vont défendre plus tard leurs horaires detravail et la durée de leurs vacances. On a le sentiment,mais qu’il faut analyser, que des activités autres que letravail satisfont des besoins nouveaux, ou encore desbesoins anciens que le travail actuel peine à satisfaire.

Il existe donc encore des tâches et des fonctions moti-vantes et des activités susceptibles de mobiliser les éner-gies. Mais peut-être pas les mêmes que par le passé.Qu’est-ce qui a changé ? Probablement pas la naturehumaine, mais sans aucun doute le monde du travail ausens le plus large du mot : la répartition des connais-sances et des compétences, la transformation, en courssous nos yeux, des activités professionnelles, des struc-tures organisationnelles, des moyens d’accès à l’infor-mation, probablement aussi une complexité croissantedes qualifications qui assurent l’employabilité, et unedévalorisation de l’esprit d’entreprise qui conduit beau-coup de jeunes à chercher davantage la sécurité del’emploi que le plaisir de prendre des risques demanière autonome. Peut-être aussi, dans un monde dutravail devenu global, un rôle plus important des para-mètres sociaux et culturels de la motivation.

La motivation, une « qualité » fondamentale ?Une analyse des facteurs de la motivation doitcommencer par rappeler qu’il ne s’agit pas d’une qualitéfondamentale, qui caractériserait tout individu de manière

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permanente, quelle que soit la tâche à accomplir et sonenvironnement. En d’autres termes, une même personnepeut être motivée pour une activité et pas pour une autre.Ce sont les conditions et l’environnement du travail, ainsique la manière dont ils sont compris et évalués parchacun d’entre nous, qui créent la motivation.

La motivation au travail a fait l’objet de nombreuxmodèles théoriques, bien démontrés sur le terrain, quidécrivent les aspects de la situation susceptibles del’expliquer, et qui, par conséquent, justifient l’emploide pratiques motivationnelles spécifiques (C. Lévy-Leboyer, 2006). On a ainsi montré notamment le rôlejoué par les besoins susceptibles d’être satisfaits enéchange du travail accompli et proposé des listes de cesbesoins. Moins évident, mais tout aussi bien prouvé, onsait maintenant que les objectifs motivent d’autant plusqu’ils sont exigeants. Et la nécessité s’est imposée decréer un lien clair entre les performances et les récom-penses. En outre, la conviction de posséder la compé-tence nécessaire pour la tâche à accomplir est unecondition essentielle de la motivation. Ces modèlesthéoriques ont des applications pratiques : primes etpromotions, ou autres « récompenses » proportionnellesà la performance, qu’il faut s’efforcer de faire corres-pondre aux besoins prioritaires et qui doivent être aussiéquitables que possible. Enfin, le fait d’analyser lesressorts de la motivation a permis de constater qu’unesituation donnée n’est pas perçue de la même manièrepar tout le monde. En particulier, le jugement indivi-duel concernant l’équité de la récompense fait l’objetd’un travail cognitif individuel dont il faut être enmesure de tenir compte.

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Quelles questions se poserCes différents modèles de la motivation au travail ontdeux caractéristiques communes. D’une part, ils nedécrivent la motivation que comme le résultat de l’anti-cipation d’un échange entre le travail fait et la récom-pense qui sera obtenue. Ce qui conduit à donner uneplace prépondérante aux pratiques de managementutilisant le schéma performance/récompense. Et d’autrepart, ils ne considèrent que la relation entre le travailleuret le travail, sans s’interroger ni sur le rôle de l’environ-nement culturel et social, ni sur les valeurs personnelles.

Il faudra donc se poser trois questions :

• Ces déterminants traditionnels de la motivationont-ils perdu de leur pertinence ? Ou bien sont-ilsseulement plus difficiles à mettre en œuvre ? Pour-quoi les pratiques motivationnelles qui ont été effi-caces jusqu’à maintenant ne le sont plus, ou ne lesont plus autant ?

• Existe-t-il d’autres sources de motivation qui nereposent pas sur le schéma récompense/perfor-mance et qui prennent en compte l’environnementsocial et culturel du travail ?

• Quel est le processus psychologique impliqué dansla relation entre le travail et celui qui l’accomplit ?Son analyse permet-elle de mieux comprendre ladiversité des sources de motivation et l’actualité decertaines d’entre elles ? Et de décrire la manièredont les valeurs personnelles interviennent sur lasignification du travail, et, par voie de conséquence,sur les motivations ?

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Si ces questions se posent aujourd’hui, c’est évidem-ment parce que le monde du travail a changé sous denombreux aspects et a été marqué par des bouleverse-ments et des réorganisations profondes survenuspresque en même temps. Ces changements ne sontpas sans précédents. Lorsqu’on jette un regard enarrière, on ne peut manquer d’être étonné par lesnombreuses évolutions de la signification et de lavaleur du travail. Pour comprendre comment et pour-quoi la motivation n’est plus au rendez-vous, il fautdécrire les changements récents et en analyser lesconséquences sur la motivation. De ce point de vue,quatre aspects méritent l’attention.

Quatre facteurs en cause

La mondialisation de l’économie

Les schémas théoriques évoqués plus haut décrivent lamotivation sans prendre en compte les facteurssociaux et les normes culturelles alors que, aussi biendu fait de la globalisation de l’économie, que desmouvements de migration vers et hors de notre pays,nous sommes confrontés à la diversité des cultures etobligés de nous interroger sur le rôle des facteursculturels dans la genèse de la motivation. Nous vivonsà une époque où le travail est globalisé, où l’Europeprofite des productions disponibles dans les pays peuindustrialisés et où les cadres sont expatriés à travers lemonde pour gérer les filiales d’entreprises multinatio-nales. Il faut donc prendre en compte les différencesculturelles et leur impact sur l’efficacité des pratiquesde motivation. Ce n’est pas chose facile. Celaimplique non seulement d’identifier les dimensionsculturelles pertinentes, mais aussi de chercher quels

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intermédiaires leur font influencer la motivation – cequi conduira à revoir la complexité du processus moti-vationnel, et, notamment, le rôle de l’image de soicomme intermédiaire entre l’environnement culturelet la motivation.

Le progrès technologique

La rapidité et l’importance du progrès technologique,en particulier les nouvelles techniques d’informationet de communication, ont profondément modifié lecontenu même du travail et, très probablement, lessources de satisfaction, ainsi que la rapidité aveclaquelle les compétences deviennent obsolètes, donc lecours même des carrières professionnelles. En outre,la complexité et la diversité des nouvelles technologiesobligent à travailler en équipe, et on peut s’interrogersur la possibilité, actuellement, de mesurer les perfor-mances individuelles pour les récompenser de manièreéquitable. Il est donc important de se demander dansquelle mesure et de quelle manière les nombreuxaspects du progrès technologique ont renouvelé leprocessus motivationnel.

La répartition des activités

La répartition des activités professionnelles en diffé-rents secteurs a aussi profondément changé. Dans lapériode postindustrielle qui caractérise les pays déve-loppés, les services concernent près des trois quartsdes activités salariées. Alors que la production de bienstangibles est mesurable objectivement et peut donnerlieu à des récompenses équitables, l’évaluation desservices est beaucoup plus délicate. C’est probable-ment ce qui explique, au moins en partie, l’inefficacité

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des stratégies motivationnelles qui s’appuient sur unerelation travail-récompense.

La structure de la population active

Dans le même temps, la structure de la populationactive s’est modifiée sous beaucoup d’aspects. Onpeut citer l’entrée tardive des jeunes sur le marché dutravail parce qu’ils accumulent les formations ou parcequ’ils passent par un stade intermédiaire de forteprécarité, la proportion croissante de femmes à tousles niveaux de la hiérarchie et le décalage entre dessecteurs à fort taux de chômage et des secteursdevenus impopulaires qui ont des difficultés de recru-tement. Cette diversité s’accompagne probablementd’une variété beaucoup plus grande des besoins que letravail est susceptible de satisfaire, du prestige inégalaccordé aux différentes activités professionnelles, et dela manière dont est géré l’équilibre entre vie de travailet vie hors travail.

En fait, l’idée même selon laquelle les « recettes » demotivation survivraient aux changements qui affectentactuellement le monde du travail et l’environnementéconomique et social est déraisonnable. La nature et lasignification du travail ont changé sous nos yeux, rapi-dement et profondément, et elles n’ont plus grand-chose de commun avec ce qu’on pouvait observer il ya seulement vingt ans.

Tenter de continuer à motiver de la même manièreque dans le passé est donc contraire au bon sens. Maisrenouveler les sources de motivation n’est pas évident.Et les propositions qu’on peut faire dans ce butdoivent impérativement s’appuyer sur une analyseattentive des conditions de travail actuelles, de la

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signification du travail aujourd’hui, ainsi que desconséquences des changements démographiques, dela rapidité du progrès technologique et de la globalisa-tion de l’économie sur la nature du travail. Il fautcomprendre pourquoi les stratégies traditionnelles demotivation sont devenues moins efficaces, ou mêmetotalement inefficaces, voire difficiles à mettre enœuvre de manière satisfaisante et être en mesure d’ensuggérer d’autres, mais aussi les justifier par l’observa-tion des conditions actuelles du travail.

Quelles sont les conditions actuelles du travail ?

Renouveler les sources de motivation exige doncqu’on analyse au préalable les changements qui affec-tent actuellement le monde du travail et leurs consé-quences, mais ce n’est pas tout. Les sources de lamotivation au travail constituent également un vraiproblème de société.

Beaucoup de questions viennent à l’esprit :

• D’autres activités sont-elles en train de prendre laplace qu’avait le travail, au moins pour une partied’entre nous ?

• La « paresse » va-t-elle devenir un mode de vie ?

• Y a-t-il des tâches qui ont complètement disparu, etdes compétences devenues totalement obsolètes ?

• Le travail salarié, fait en dehors de chez soi, est-ilen train de devenir la règle pour une majorité defemmes, qu’elles soient ou non des mères de jeunesenfants ?

• Le travail devient-il plus ou moins pénible ?

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• Ces évolutions qui donnent au travail de plus enplus ou de moins en moins de place dans la viesont-elles identiques pour tous ? Ou bien le fossé secreuse-t-il entre une élite bien formée, qui sait tirerparti des progrès techniques et des ouverturesinternationales et une main-d’œuvre non qualifiée,qui a peu de chances de s’adapter à des change-ments qu’elle ne sait pas prévoir, qui a peu demoyens de lutter contre la compétition venant despays à faible salaire et contre le chômage qui en estune des conséquences ?

• Le travail se réduit-il à la seule manière de satis-faire des besoins économiques, ou bien peut-ilavoir une valeur et une signification qui vont au-delà de ce qu’on a coutume de nommer pudique-ment « motivation extrinsèque » ?

• Les progrès techniques ont-ils entraîné une déshu-manisation du travail, accroissant le stress, dimi-nuant les satisfactions sociales liées au travail et lesliens que crée entre les hommes le fait de faire untravail en commun, d’appartenir à la même organi-sation avec la même culture et les mêmes objectifs ?

Répondre à ces questions n’est pas simple affaire decuriosité. C’est la seule manière de comprendre lesraisons actuelles de la démotivation, pour, ensuite,tenter d’identifier les nouvelles sources de motivation,afin de préciser les pratiques managériales susceptiblesde les mettre en œuvre.

Quel impact sur la motivation

Aux raisons dénoncées dans l’ouvrage La crise desmotivations, sont venues s’en ajouter d’autres, indé-

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pendantes des effets de la crise économique et duchômage, liées aux transformations du travail lui-même, à tout ce qui caractérise les acteurs de la sociétépostindustrielle, mais aussi aux évolutions démogra-phiques, aux nouvelles caractéristiques de l’éducationet de la formation, à la nature et à la complexité crois-sante des compétences. Le travail a changé decontenu, de contexte, d’environnement, de répartitiondans les différentes catégories sociales, de biend’autres points de vue encore. Et il est vraisemblablequ’il va continuer à changer. La nature du travail et lerôle qu’il joue dans notre équilibre personnel et dansnos relations sociales, structurent aussi bien sonimportance pour chacun d’entre nous que notrecontribution aux systèmes collectifs de service, deproduction et d’activité.

C’est, en définitive, la signification que prend le travailpour chacun d’entre nous et la valeur que nous lui attri-buons qui déterminent nos attitudes et qui construisentaussi bien nos motivations que nos sources de satisfac-tion et d’insatisfaction professionnelle, et également noscomportements.

Plan du livreCes remarques justifient le plan de ce petit livre. Leschangements de l’environnement social et technolo-gique modifient profondément la signification dutravail et les attitudes, donc les sources de motivation,des travailleurs.

La première partie concerne cette notion de chan-gement, avec deux objectifs :

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• Rappeler que le travail n’a pas toujours eu le rôle etla signification que nous lui avons connus au siècledernier et qu’il est en train d’en changer à nouveau.

• Décrire les changements actuels, et tenter d’enpréciser les conséquences sur la motivation au travail.

Le chapitre 1 a pour but de montrer par quelquesexemples, combien la valeur et la signification dutravail ont été différentes selon les époques, de fairecomprendre que ce qui a pu nous paraître permanent,voire constituer un modèle universel, a pu perdre deson actualité, ceci afin de relier ces évolutions à deschangements techniques et sociaux.

Le chapitre 2 revient à l’actualité pour décrire lesévolutions observables actuellement qui concernentaussi bien le progrès technique que la structure de lapopulation active, et pour tenter d’en tirer les consé-quences en ce qui concerne les sources de motivation.La conclusion de cette première partie doit permettrede montrer quelles sources de motivation ont changé,rendant inefficaces les stratégies habituelles, et égale-ment de décrire les changements de l’environnement,du contenu et de la signification du travail qu’il fautprendre en compte si on veut faire revivre la motiva-tion au travail.

La nature du processus motivationnel est probablementrestée la même. Mais les modèles classiques qui décri-vent ce processus se sont limités à identifier les facteursindividuels de la motivation au travail et, de ce fait, ontjustifié l’accent mis sur la « motivation extrinsèque »l’échange travail-récompense. Réintroduire le rôle desvaleurs individuelles, liées aussi bien aux cultures natio-nales qu’aux impératifs personnels implique de

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redonner de l’importance à la « motivation intrinsèque »,celle qui tient à l’exercice même d’une activité profes-sionnelle, au rôle social qu’elle implique, au sentimentd’efficacité, voire d’utilité sociale qu’elle génère.

Montrer comment se construit et s’actualise cetteautre source de motivation est l’objectif de la secondepartie. Alors qu’il était facile de comprendre que lamotivation soit fondée sur la récompense obtenue enéchange d’un travail effectué, on ne peut réalisercomment l’exécution même de son travail est suscep-tible de représenter une source active de motivationsans prendre en compte la dimension culturelle, etsans mettre en jeu, en tant que variable intermédiaire,la représentation de soi.

Le chapitre 3 décrit les dimensions culturelles quiont un impact sur la signification du travail et sur savaleur et précise celles qui caractérisent la culturefrançaise.

Le chapitre 4 reconstitue le rôle, certes complexe maisessentiel, de l’identité personnelle et de l’image de soicomme source directe de motivation mais égalementcomme intermédiaire entre valeurs et motivation.

Le chapitre 5 aborde les stratégies à mettre en œuvre.Il rappelle que si récompenser – donc utiliser unesource de motivation extrinsèque – a pu être efficaceet peut encore l’être, la motivation ne peut plus seréduire seulement à obtenir un échange entre ce qu’onproduit et ce qu’on souhaite recevoir. Il faut donc setourner vers l’autre groupe de stratégies motivation-nelles, les « motivations intrinsèques » qui sont directe-ment associées au travail en train de se faire et pas à cequ’on échange contre le travail qui a été fait.

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AUJOURD’HUI, LA DÉMOTIVATION

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Références citéesGarner H., Méda D., Senik C., La place du travail dansl’identité, Dares, 2005.

Lévy-Leboyer C., La crise des motivations, PUF,1re édition 1984, 2e édition 2001.

Lévy-Leboyer C., La motivation au travail, Éditionsd’Organisation, 2006.

Numéro spécial sur le travail en France, Enjeux LesÉchos, avril 2005.

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Partie 1

Qu’est-ce qui a changé ?

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Chapitre 1

Valeur et signification du travail, hier et aujourd’hui

Deux explications sont possibles quand on cherche àcomprendre la nature et les causes de la démotivationactuelle : soit les attentes et les attitudes des hommeset des femmes qui travaillent ont changé, soit c’est lanature du travail et sa signification dans la société quiont changé. En réalité, c’est probablement les deux –comme cela a été le cas dans le passé.

En effet, le travail n’a pas toujours fait partie de la viedes hommes, selon les temps et les civilisations, etaujourd’hui encore, il n’est pas pour tous, une donnéeconstante de la condition humaine. Et ce qui valorise letravail, ce qui lui donne une signification, et donc ce quijustifie aujourd’hui notre motivation à travailler, estdifférent de ce qui existait hier, et probablement diffé-rent de ce qui sera demain. Certes, les rôles profession-nels et les activités de travail sont aujourd’hui des aspectsfondamentaux de notre vie sociale et de notre identité,mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont jamais changé,

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qu’ils ne sont pas en train de changer sous nos yeux, niqu’ils ne changeront pas encore.

Nous avons tous besoin des produits du travail, dunôtre et de celui des autres. Mais le travail a biend’autres fonctions que la production de biens et la four-niture de services. Et sa valeur, comme son caractèreobligatoire, peut être fondée sur des attitudes et sur desreprésentations, voire sur des convictions religieuses,qui ne sont pas les mêmes dans toutes les cultures, pasles mêmes pour tous, et qui peuvent changer au coursd’une vie. En outre, les différences entre le travail payéet le travail fait pour soi, entre l’effort sportif et l’ardeurapportée à remplir une fonction salariée, entre le travail– non salarié – lié à la vie familiale et le travail en dehorsde la famille, compliquent encore le tableau.

Savoir combien les fonctions du travail sont et ont étévariées, et, réaliser, par voie de conséquence, que lesmotivations au travail peuvent se justifier de manièredifférente, ne peut se faire sans jeter un regard enarrière ni sans réfléchir à la manière dont la valeur et lasignification du travail ont changé dans le temps. Unetelle description mériterait tout un ouvrage. Notrepropos se limite ici à montrer, par des exemples,comment la place et la valeur du travail ont évoluédans le passé.

Le travail n’a pas toujours étéune valeur centraleLe travail n’a pas toujours été une obligation. Et il nel’est pas pour tous. La nécessité de travailler est peut-être évidente et immédiate pour les membres des

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sociétés économiquement sous-développées, commepour les catégories les plus dépourvues des sociétésoccidentales. Et leur demander pourquoi ils travaillentreviendrait à leur demander pourquoi ils tentent desurvivre et de faire vivre leur famille. En outre,aujourd’hui, les difficultés d’insertion professionnelledes jeunes montrent quel rôle le travail peut jouer pourla construction de l’identité et pour la définition dustatut social. C’est dire combien les motivations autravail sont nombreuses, complexes et diverses.

Sans vouloir faire ici une histoire du travail à travers lesâges, il faut prendre conscience du fait que l’obligationde travailler n’est ni instinctive, ni innée. Les attitudescollectives vis-à-vis du travail ont été soumises à deprofonds bouleversements et la signification du travail,ainsi que son importance par rapport aux autres acti-vités humaines, ont changé au cours des siècles, demanière radicale, et à de nombreuses reprises.

La valorisation du travail à travers l’histoire

Les grands systèmes idéologiques qui ont valorisé letravail l’ont fait pour des raisons différentes, soitcomme une valeur en soi et une obligation moralefondamentale, soit comme un moyen permettantd’atteindre des objectifs qui sont eux-mêmes valorisés.Pour les Grecs anciens, par exemple, le travail est unemalédiction et si les hommes y sont condamnés, c’estque les dieux ne les aiment pas. Au mieux, le travail est,pour eux, un moyen de s’enrichir, donc d’échapper à lasujétion des plus fortunés et d’accéder à la liberté queprocure l’oisiveté. Il est vrai que c’est une liberté que,à notre époque, certains futurs retraités attendent avecimpatience. L’éthique des Romains était très proche :

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Cicéron ne considère comme dignes de l’homme quel’agriculture et le grand commerce. Aux esclavesrevient l’essentiel du travail manuel. Ce mépris pourles tâches sans qualification est encore très présentdans la société occidentale actuelle où les immigrésvenus des régions pauvres du globe effectuent lestravaux manuels dans les pays économiquement plusavancés, ou encore, les font chez eux pour des salairestrès bas.

Plus près de nous, au XVIIIe siècle, le travail est unmoyen de richesse et d’émancipation. Il régule lesrapports sociaux mais il n’est pas valorisé en soi : dansles comédies de boulevard, les pères de famille souhai-tent un gendre qui ait des rentes, pas un gendre quipossède une compétence et un métier qui lui confè-rent un rang social. Mais au XIXe siècle, l’accent est missur les potentialités de chacun. Et une opposition sedéveloppe entre le travail noble, qui permet la viesociale et qui implique la création et la production debiens tangibles, et le travail aliéné qui consiste à vendreson temps sans autre retour que le salaire qui assure lasurvie familiale.

Au-delà des problèmes sociaux et économiquessoulevés par cette répartition sociale et cette valorisa-tion inégale des tâches, on peut donc retenir de cesquelques exemples que la valeur accordée au travailn’est, pas plus que sa signification et sa place au seindes autres activités humaines, une donnée globale,mais qu’elle varie en fonction du type de travail, de laformation exigée, de la nécessité de travailler avec sesmains, de la rareté des qualifications… La valorisationdu travail est, et a toujours été, un problème qu’il fautposer en termes différents selon le contenu et le

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contexte du travail, selon le statut social qui l’accom-pagne, selon l’éthique et les conditions économiques etsociales qui dominent dans une société et à un momentdonné. On peut retenir que le travail n’a pas partout nipour tous le même caractère d’obligation, et que sasignification sociale, aussi bien que sa valeur, dépendde facteurs nombreux et complexes. Le paragraphesuivant en donne quelques exemples historiques.

Différentes éthiques du travailLes anciens Hébreux défendaient une double significa-tion du travail puisqu’ils enseignaient la nécessité de par-tager leur vie entre l’étude des textes saints et l’exerciced’un travail manuel. Pourquoi ? Parce que, pour eux, letravail a deux fonctions : manuel et pénible, il représenteune expiation du péché originel ; intellectuel et ennoblis-sant, il constitue une chance pour chacun de participerau sauvetage de l’humanité.

Les premiers chrétiens se sont situés d’emblée dans uneperspective différente dans la mesure où, valorisant nonle travail, mais ses résultats, ils le justifient par l’obliga-tion de charité. Pour eux, le produit du travail ne doitpas être amassé, il convient de le distribuer aux pluspauvres. Le travail, de ce point de vue, n’a pas de vertuen soi, mais il représente un moyen d’obtenir la bénédic-tion divine et, il faut le souligner, d’accéder à une vieultérieure… débarrassée du travail manuel.

Il a fallu encore beaucoup de temps pour que le travailsoit motivé par autre chose que le besoin de survivre, ledésir de faire la charité, ou l’obligation d’expier lepéché originel. Une des mutations décisives est liée à larévolution spirituelle apportée par la Réforme. Luther, pourqui le travail est un moyen de servir Dieu, condamne

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l’inaction des ordres contemplatifs et enseigne quechacun doit travailler au mieux de ses capacités. Tousceux qui peuvent travailler y sont astreints, et la chariténe doit être faite qu’à une minorité réellement incapa-ble de subvenir à ses besoins. Calvin va plus loinencore en valorisant la réussite parce qu’elle démontreque le travail accompli plaît à Dieu. Le travail n’estcependant pas une activité égoïste, et ses produitsn’autorisent pas celui qui les accumule à mener une viefastueuse. Il doit les réinvestir pour donner naissance àde nouveaux profits. Cette idéologie qui glorifie etmoralise le succès encourage à lutter dans une sociétéqui doit être compétitive. Elle représente la base del’éthique protestante à laquelle Max Weber a attribuéle développement du capitalisme moderne.

Bref, le travail n’a jamais eu le caractère d’une obliga-tion fondamentale. Il ne figure pas au même titre, parexemple, que le devoir filial ou le respect de lapropriété d’autrui dans les dix commandements1 quireprésentent encore la base de la morale dans nossociétés judéo-chrétiennes. Bien plus, les activitésprofessionnelles n’ont pas toujours constitué la trameessentielle du système social. D’autres caractéristi-ques, le nom et la naissance, la fortune, ont pu êtredéterminants. D’où l’importance des idéologies quivarient selon les époques et les cultures, qui donnentau travail des significations et des valeurs différentes,et qui sont susceptibles de conférer ou non au travailun caractère obligatoire.

1. La seule obligation relative au travail, dans le décalogue, concerne…le repos du Sabbat et l’obligation de consacrer le septième jour dela semaine à la prière et à l’étude des textes sacrés : « Souviens-toidu jour du Sabbat pour le sanctifier… ».

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Les relations entre travail et famille

Les rôles de la famille et du travail à travers les cultures

Le tableau se complique quand on prend en compteles autres réseaux sociaux dont dispose chaque indi-vidu. Ainsi, les rôles respectifs de la famille et dutravail varient selon les cultures.

L’importance de la famille a longtemps été forte enGrande-Bretagne où la présence d’une mère au foyer,sans activité professionnelle, était jugée essentielle pourl’équilibre des enfants. De ce fait, les femmes y ont eu,pendant longtemps, et au moins jusqu’à laSeconde Guerre mondiale, moins de chances de déve-lopper une carrière que les hommes ; le travail profes-sionnel a alors joué une part moins importante dans ledéveloppement de leur identité. Par opposition, enSuède, hommes et femmes ont un accès égal auxchances de carrière ainsi qu’aux aides leur permettantd’avoir à la fois une activité professionnelle et une pré-sence importante auprès de leurs enfants.

Bref, il existe des cultures nationales différentes en cequi concerne les rôles que doivent jouer les hommes etles femmes dans le couple familial, ainsi que l’équilibreentre le travail et la famille. Mais, même dans les paysqui défendent un partage égal de l’accès au travail etdes responsabilités familiales, certaines charges fami-liales sont considérées comme plus appropriées pourles femmes et d’autres, pour les hommes.

En outre, la participation des femmes aux activitésprofessionnelles est partout en augmentation. Pendantlongtemps, dans nos sociétés, le travail des femmes a été

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réservé à celles qui ne peuvent pas se passer de cettesource de revenus. Aujourd’hui, les femmes font desétudes supérieures longues et exigeantes, et elles accè-dent à des postes à responsabilité de niveau élevé. Ellesse marient plus tard et sont nombreuses à continuer àtravailler après la naissance de leur premier enfant.L’arrivée des femmes sur la scène politique n’est plusune exception et elles exercent maintenant, même dansdes pays d’Afrique où la tradition ne les favorisait pas,des postes de chef d’État. Symétriquement, la partici-pation du père à la vie familiale est en augmentationmême si elle est modulée par l’âge, la religion… etprobablement la personnalité.

La relation travail-famille se transforme

L’articulation entre la vie familiale et la vie de travailprend des formes variées. Il peut y avoir une associationforte, les satisfactions venant du travail influençant lessatisfactions de la vie familiale, et réciproquement. Ilpeut également exister une compensation entre letravail (notamment concernant l’insatisfaction) et lesexpériences plaisantes éprouvées chez soi. Enfin, ilpeut y avoir une opposition, un conflit, entre les deux,ce qui crée une relation négative entre travail etfamille, les obligations familiales nuisant aux obliga-tions de travail et à la carrière, et inversement.

En fait, la relation entre travail et famille est déter-minée par un grand nombre de facteurs : des facteursindividuels (le fait que seul le mari travaille ou que lesdeux époux aient une activité professionnelle), démo-graphiques (la présence d’enfants), psychologiques (lanature de l’interaction entre les attitudes du marienvers son travail et le climat familial) et situationnels

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(égalité des sexes dans la culture, conditions d’emploi,conditions de vie familiale notamment). D’où l’émer-gence, actuellement, d’un nouveau style de rôlescomme parents, partagés à égalité entre le père et lamère, et le fait que travail et famille deviennent de plusen plus étroitement associés. Pour compliquer letableau, il est évident que cette relation change àmesure que le temps passe, que les enfants quittent lefoyer, que les carrières se développent et que les expé-riences de travail font évoluer la vie de famille, etinversement. Mais on peut retenir qu’il y a, de manièregénérale, et dans tous les pays, une inégalité plus oumoins forte des rôles concernant le travail et la familleen fonction du sexe.

Progrès technique et tâches familiales

Un autre aspect important méritera de retenir notreattention lorsque les changements technologiquesactuels et leurs conséquences sur la motivation au travailseront abordés. C’est l’important progrès dont les foyersont bénéficié dans les pays développés. Les tâches fami-liales de nettoyage, de cuisine, d’entretien sont mainte-nant facilitées par des équipements ménagersconstamment perfectionnés. En outre, existe une diver-sité de produits tout préparés qui sont facilement acces-sibles et qui simplifient le travail au foyer. Le tempsconsacré aux travaux ménagers s’en est trouvé réduit,même si la double journée des femmes qui travaillentreste beaucoup plus longue que celle des hommes.

On peut penser qu’il y a un déficit d’estime de soiquand ces travaux sont à la fois facilités et rendusanonymes puisque faits en série : le statut de femmeau foyer a, en quelque sorte, perdu de sa noblesse. La

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participation des femmes à des activités profession-nelles qui ne sont plus seulement dictées par la néces-sité de s’assurer un revenu comme l’accès croissantdes femmes à des postes de niveau élevé s’expliqueprobablement, au moins en partie, autant par la libertéque leur laissent des tâches familiales facilitées, quepar la recherche d’une identité et d’une estime de soique les activités traditionnelles au foyer ne permettentplus de satisfaire.

Les changements qui se déroulent sous nos yeux sontcaractéristiques de notre époque, mais le fait que lasignification du travail change ne constitue pas unphénomène nouveau, comme le rappelle la descriptionqui suit.

Les attitudes face au travailDe la période agricole à l’industrialisation, les attitudesface au travail ont profondément changé. La place dutravail et sa signification à une époque où dominaientl’agriculture et l’artisanat ont évolué à mesure quel’industrialisation s’est développée. Décrire cette étapen’est pas notre objet principal puisque nous sommesentrés, aujourd’hui, dans la période postindustrielle.Mais pour analyser la situation actuelle de manièrepertinente, il faut savoir ce qui différencie la périodeindustrielle, dont nous ne sommes évidemment pastotalement sortis, de la période antérieure. Non seule-ment parce que c’est à partir des conditions qui carac-térisent la période de l’industrialisation qu’il serapossible de définir les caractéristiques actuelles dutravail et de réfléchir à leur évolution, mais aussi parceque c’est cette description qui permettra de mieux

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comprendre les changements profonds dus à la globa-lisation de l’économie, aux progrès technologiques et àla société de l’information.

La fin du XIXe siècle a apporté l’industrialisation etl’urbanisation. C’est également le moment où se déve-loppent les moyens de communication, facilitant ainsila distribution des produits sur un large rayon.L’industrialisation entraîne aussi un mouvement demain-d’œuvre sans précédent, dû à la fois au dévelop-pement des machines agricoles qui réduit les besoinsde personnel et à l’appel des industries ayant besoin demain-d’œuvre. De ce fait, les jeunes quittent la fermeou le petit atelier, et, du même coup, renoncent à laliberté du travail en famille, tributaire des saisons etimpliquant de longues journées pour le travail salarié,souvent répétitif, encadré de manière autoritaire, eteffectué dans un environnement parfois sale et incon-fortable.

On a ainsi abandonné une activité semi-rurale et semi-artisanale où s’ajoutaient aux activités agricoles lestravaux, textile et céramique notamment, faits à lamaison entre les périodes d’activité agricole intense.Les marchands voyageaient pour acheter et vendre lematériel nécessaire pour produire, mais il y avait peude moyens susceptibles d’améliorer la productivité. Àl’usine, le fait de mettre tous les ouvriers dans unmême lieu va alors permettre de contrôler leur travailet de gérer la production. Ces nouvelles conditions detravail apportent aussi la possibilité de progresser dansune carrière qui offre des promotions au mérite, etl’accès à des biens manufacturés inconnus jusque-là.Mais cette vie est dure, avec des semaines de travailqui sont plutôt de 60 heures que de… 35, et la perte

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de l’autonomie du travail fait en famille ainsi que de lapossibilité de visualiser le résultat de son travail.

Le travail industriel implique également la nécessité defaire respecter une discipline et l’usine devient une insti-tution pédagogique où il faut apprendre de nouvellesnormes de conduite. Les descriptions des conditions detravail à la fin du XIXe et au début du XXe siècle racontenten détail les punitions et les amendes encourues par lestravailleurs qui quittent leur place sans justification,ouvrent les fenêtres, parlent ensemble ou même sifflenten travaillant, ne sont pas vêtus proprement, arrivent enretard ou encore s’absentent sans raison. Mais, àmesure que le travail traditionnel se raréfie, la résistanceà la discipline du travail industriel devient plus orga-nisée. En même temps, il est vrai, le progrès techniquediminue le poids du travail physique en créant despostes qui demandent moins d’effort musculaire. Cen’est évidemment pas le cas de toutes les tâches ; letravail des mineurs continue à reposer entièrement surl’effort physique, comme beaucoup d’autres activités :la production du pain, l’obtention du verre, la fabrica-tion de la poterie, le travail du cuir…

La complexité croissante de la technologie et descompétences techniques requises, les marchés quis’étendent et accroissent la compétition, ainsi que ledéveloppement de la profession d’ingénieur, rendentalors nécessaire le contrôle systématique du travail àl’usine. C’est le début de l’approche traditionnelle dumanagement incarné par Taylor, la poursuite de l’effi-cacité fondée sur une analyse scientifique des tâches,analyse destinée à les débarrasser de ce qui est inutile,en particulier de tous les efforts improductifs qu’il estpossible de réduire.

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Et la motivation dans tout cela ?Taylor croyait nécessaire de partager les fruits del’accroissement de la productivité, de manière à ce queles « cols blancs » et les ouvriers aient un intérêtcommun. Mais il avait sous-estimé la difficulté à gérerles primes sur lesquelles devait reposer cet effortcommun, parce que les objectifs de production chan-geaient fréquemment et surtout parce que la pressionexercée sur les travailleurs était une source de stress etde fatigue. Taylor croyait qu’un travail plus facile etdes salaires indexés sur la production allaient unir les« cols blancs » et les ouvriers et stimuler leur motiva-tion. Il pensait aussi que la plus grande flexibilitéd’une main-d’œuvre peu qualifiée rendrait l’entreprisemoins dépendante des attitudes et des efforts indivi-duels. Le résultat n’a pas confirmé ses espoirs et son« management scientifique » a entraîné aussi bien uneattitude hostile envers les personnes chargées de lemettre en œuvre, que la création de normes officieusesde travail, et la défense par les ouvriers de ce qui leurparaissait être un objectif légitime : travailler dans desconditions confortables et non dans des conditions deproductivité optimale.

La fragmentation des tâches, due à la création, notam-ment chez Ford, de chaînes d’assemblage, diminuel’effort individuel, accroît la productivité, demande dela rapidité, mais requiert peu de compétences de lapart des ouvriers. Et le modèle fordien est reproduiten France notamment dans l’industrie automobile. Onassiste alors à un transfert de compétences del’homme à la machine. La production de masse réduitdonc le savoir-faire, et probablement l’estime de soi

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qu’il entraîne ainsi que la fierté du travail accompli. Leproduit du travail devient non identifiable : l’artisancordonnier faisait entièrement une paire de chaussureset pouvait voir concrètement le résultat de son travail.Celui qui fait, à la chaîne, un dixième de chaussure n’ani la même expérience, ni la même satisfaction dutravail accompli. Par ailleurs, le développement descompétences, qui représentait une importante sourced’intégration sociale et de promotion, s’en trouvefreiné. En outre, l’industrialisation entraîne unecentralisation du savoir et également la nécessité degérer les stocks et les ressources, ce qui développe unebureaucratie industrielle chargée du contrôle. Laréduction des compétences de chaque travailleur créeun fossé entre les travailleurs du terrain et ceux quiconsacrent leur temps à l’encadrement et à laréflexion, entre les ouvriers et les cadres. Ce qui setraduit par un mépris pour le travail manuel, et uneambition sociale qui cherche à s’en débarrasser endevenant employeur, cadre… ou encore rentier.

Les ouvriers ne s’adaptent pas toujours à ces condi-tions de travail difficiles et ils ont peu le sentimentd’implication envers leurs entreprises. La réciproqueest vraie. Les entreprises n’ont pas vraiment le sens deleurs responsabilités vis-à-vis de leur personnel. Leshiérarchies relativement transversales comportent peude managers intermédiaires, et, de ce fait, ce sont lescontremaîtres qui concentrent l’autorité. Ce quientraîne d’une part la création de systèmes de primessusceptibles de stimuler la quantité et la qualité de laproduction, et d’autre part, en contrepartie, le dévelop-pement de normes de groupes qui visent à réduire lesquotas exigés.

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Le développement par Taylor du one best way et du« management scientifique » a certainement été utilede beaucoup de points de vue – la standardisation destâches, le développement des études temps et mouve-ment, la formation au poste –, mais cela a entraîné uneréduction des initiatives et des responsabilités dechacun et un contrôle étroit des opérations par unehiérarchie proche, rendant ainsi le travail industrieltrès éloigné de ce qu’était le métier de l’artisan ou del’agriculteur.

Les organisations sont ainsi progressivement devenuesdes mondes sociaux complexes avec une culture, descoalitions, des statuts d’employés différents, desréseaux de contrôle. Le travail s’y est fait dans uncontexte social diversifié, avec une hiérarchie àplusieurs échelons qui exercent l’autorité nécessairepour assurer le respect des décisions prises au niveausupérieur. Les organisations ont alors surtout besoind’obtenir l’exécution de tâches prescrites et elleséchangent ce travail contre des récompenses« externes », des salaires, des primes et des avantagessociaux. De ce fait, l’initiative et l’implication ne sontni souhaitées, ni nécessaires. Le salaire au mériterécompense l’obéissance.

Un nouveau modèle organisationnelLa phase suivante va voir se compliquer les relationsentre les organisations et leur personnel. Des organi-grammes de plus en plus sophistiqués, comportantdes secteurs distincts avec des spécialités différentesvont s’installer dans les organisations. Le modèle orga-nisationnel comporte alors trois niveaux différents : un

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contrôle administratif de l’organisation sur sesemployés, le développement sur le long terme de rela-tions entre les employés et l’organisation, et descontacts directs entre l’organisation et son personnel.Il est, en effet, de plus en plus important que lepersonnel comprenne, partage et intègre dans sontravail les valeurs de l’organisation (R.M. Kanter,1983). Pour réussir dans cette nouvelle forme d’orga-nisation socialement plus complexe, il ne suffit plus àchacun de maîtriser les compétences techniquesrequises et d’exécuter la tâche prescrite, il faut aussiposséder des compétences sociales. En outre, il estpossible de faire carrière dans l’organisation et demonter dans la hiérarchie en encadrant ceux qui fontun travail qu’on a fait soi-même. Ce système depromotion fondé sur l’expérience et sur la séniorité,crée de nouvelles sources de motivation conçues sur leprestige tiré de l’accès à des positions plus élevéesdans la hiérarchie, sur la possibilité d’acquérir descompétences nouvelles au cours de sa vie profession-nelle et sur l’existence de fonctions diversifiées decommandement au lieu d’un seul chef chargé surtoutde surveiller l’exécution des tâches.

La situation au cours du XXe siècleL’évolution dont les grandes lignes viennent d’êtredécrites ne s’est pas faite du jour au lendemain, et audébut du XXe siècle, trois modes de travail coexistentencore : un monde agricole, un emploi industriel et unsecteur qui va se développer rapidement, celui desservices. Même sans disposer de données d’enquêtesdétaillées, il semble évident que les sources de

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motivation aussi bien que la signification du travaildoivent être différentes pour chacun de ces troissecteurs.

Dans la seconde moitié du siècle dernier, on peutdécrire différents types d’organisation industrielle.Tout d’abord, un secteur où le travail apporte uneréelle estime de soi et une vision claire de sa produc-tion parce que la contribution de chacun est tributairede sa compétence. C’est le cas, par exemple, del’imprimerie. La même situation existe, mais pourd’autres raisons lorsqu’un process continu de fabrica-tion implique non pas une connaissance théorique,mais une maîtrise concrète des activités mises enœuvre, comme dans l’industrie chimique. Dans cesdeux cas, l’intégration à l’entreprise et l’espritd’équipe sont fortement fondés sur le savoir dechacun. En revanche, les tâches qui consistent àutiliser des machines comme dans l’industrie textile,ou encore toutes celles qui font partie de la productionde masse comme dans l’industrie automobile, ontcertes accru la productivité et ouvert des possibilitésd’emploi à des ouvriers sans qualification, mais ontlimité l’apport de chacun à un segment de productionsans grande signification et ont éliminé au maximumce qui faisait la compétence de l’ouvrier, donc lasource d’une identité professionnelle sur laquellerepose le sentiment de sa valeur personnelle(S. Zuboff, 1989).

À la même époque, le travail de bureau se développeet beaucoup de femmes occupent des emplois de cetype, d’autant plus que c’est le moment où apparais-sent les premières machines à écrire. Mais l’évolutiondu travail de bureau a suivi un cours opposé à celui

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qui caractérise les tâches industrielles. Dans l’indus-trie, tout ce qui peut être rationalisé l’a été et l’organi-sation de la plupart des tâches n’incombe plus àl’encadrement. De ce fait, les responsabilités descadres dirigeants ont changé. Au début, le proprié-taire de la petite entreprise la dirige et ses activitésvont de la finance à la supervision directe des unitésde production. Son temps est absorbé par le travailquotidien et il en reste peu pour l’anticipation, quiest pourtant un élément central du management(A.D. Chandler, 1977). Par ailleurs, la dépendancepar rapport à l’information orale reste forte. Mais, peuà peu, les responsabilités d’encadrement direct vontêtre retirées aux cadres supérieurs et confiées aumiddle management, ce qui va donner naissance à desservices spécialisés : finance, marketing, distribution,achats, inventaires, transport, production, comptabi-lité, vente, formation et ressources humaines…

Après la Seconde Guerre mondiale, la productivitédiminue, en partie parce que le travail en usine est jugémonotone et ennuyeux, et que, comme l’a montréM.S. Viteles (1953), un des pionniers de la psychologiedu travail, on s’est plus occupé de l’efficacité, au senstechnique du mot, que des sources d’insatisfaction, qu’ils’agisse de cols bleus ou de cols blancs. Les défenseursdes relations humaines, comme F. J. Roethlisberger etW. J. Dickson (1939), ont montré que le travail sedéroulait dans un environnement social, et que sasignification ainsi que son contexte devaient être prisen compte. Mais la gestion de la motivation reste foca-lisée sur les sources de motivation extrinsèques, c’est-à-dire sur les récompenses de tous ordres qu’il estpossible d’échanger contre le travail bien fait. Il est

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vrai que les chercheurs commencent à s’intéresser auxbesoins d’ordre supérieur qui concernent non seule-ment la sécurité et la vie sociale, mais aussi l’estime etla réalisation de soi, ainsi que le degré de contrôle quechacun peut avoir sur son travail. Mais cet intérêt restethéorique et mal défendu par des modèles expérimen-taux peu concluants.

Que retenir de ce rapide survol historiquePlusieurs idées peuvent éclairer l’analyse de la situa-tion actuelle et nous aider à prévoir l’évolution dutravail dans les années à venir.

Le travail n’existe pas dans un vacuum

L’avenir du travail n’est pas une extrapolation dupassé. Pour tenter de comprendre ce que sont en trainde devenir et ce que seront demain la place et la signi-fication du travail dans un monde bouleversé sous nosyeux par des changements économiques, politiques ettechnologiques considérables, il faut en chercher lescauses en faisant l’analyse d’un environnementprofondément renouvelé. Il ne faut pas seulement selimiter au contenu du travail, mais considérer aussibien les stratégies et la structure des entreprises,l’importance des compétences et leur fragilité, le pres-tige changeant des techniques, la disponibilité desressources de main-d’œuvre, les variations démogra-phiques, bref tout ce qui fait et va faire évoluer lecontenu du travail, la manière dont les travailleursréagissent et les nouvelles donnes des formations

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professionnelles, aussi bien que la multiplication et ladiversification des activités hors du travail lui-même.

Le travail n’est pas l’objet d’une obligation morale universelle

C’est plutôt une condition de survie qui ne s’imposepas forcément à tous, et pas à tous de la mêmemanière, ce qui aide à comprendre l’importance et lavariété des différentes idéologies qui lui donnent unesignification et une valeur. Or ces idéologies apparais-sent, au cours des siècles, comme nombreuses,diverses, et liées à des représentations qui valorisentou non le travail, notamment :

• des motivations matérielles lorsque le produit dutravail est échangé contre un salaire qui donne lapossibilité d’acquérir d’autres objets ou d’autresservices, eux-mêmes recherchés en tant que tels ;

• la signification sociale lorsque le travail garantit unstatut et l’appartenance à un ou même à desgroupes valorisés par eux-mêmes ;

• la signification individuelle du travail dans lamesure où le fait de travailler, de produire, decontribuer au progrès, d’assurer un service, de faireœuvre utile, représente une affirmation de sa libertéet un fondement de son identité.

Les rapports entre l’homme et le travail restent complexes

Les rapports entre l’homme et le travail n’ont jamais étésimples. En effet, ils dépendent d’idéologies souventconflictuelles, et toujours étroitement associées auxproblèmes de stratification sociale et d’inégalité. Le

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travail n’est pas seulement une activité, une relationduale, isolée, entre l’homme et l’objet de son travail.Ce n’est pas non plus une activité spontanée. Il fautque la pression sociale, la nécessité matérielle, unerègle morale, des besoins psychologiques ou plusieursde ces conditions à la fois lui donnent une significationet lui confèrent un caractère d’obligation.

La signification du travail s’inscritdans le temps

Les conditions de travail changent à mesure que leprogrès technique modifie les charges de travail, leurrépartition et les relations sociales qu’elles entraînent.Le statut des différents rôles professionnels varieprofondément d’une époque à l’autre. Le travail a étépendant longtemps une affaire de famille. Passer de laferme à l’usine a changé cette relation et a fait dimi-nuer la pression normative du groupe familial sur letravail. Et cela a en même temps entraîné la séparationphysique du travailleur et de sa famille pendant l’acti-vité professionnelle. Si on veut comprendre l’évolutionactuelle de la valeur et de la signification du travail, ilfaudra tenir compte des caractéristiques du progrèstechnologique et de ses effets sur la nature et la répar-tition du travail.

De nouveaux rôles en émergence pour lesquels l’adaptation est difficile

Les évolutions du contenu et de la signification dutravail affectent de manière inégale les différentes caté-gories professionnelles. C’est ainsi que l’industrialisa-tion, en devenant plus scientifique, a fait perdre auxouvriers ce qui était lié à leur savoir-faire, donc le plus

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valorisant dans leur activité, alors que les cadres ontabandonné ce qui était le moins valorisant en se libé-rant des tâches de gestion subalterne et en ne retenantprogressivement que les responsabilités de planifica-tion, de conception et d’anticipation.

L’adaptation de la signification du travail auxnouveaux rôles que nous imposent ces bouleverse-ments ne se fait pas facilement. D’autant plus que, enréalité, trois mondes du travail – agricole, industriel etservices – subsistent, avec une pénétration sur chacund’entre eux des progrès techniques, de la communica-tion et de la globalisation des marchés créant ainsi desbouleversements et des décalages inédits.

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Références citéesChandler A. D., The visible hand : the managerial revol-

ution in american business, Harvard UniversityPress, 1977.

Hamel G., Pralahad C. K., Competing for the future,Harvard Business School Press, 1994.

Kanter R. M., The change masters : innovation for pro-ductivity in the american corporation, Simon andSchuster, 1983.

Roethlisberger F. J., Dickson W. J., Management andthe worker : early sociology of management and organi-zations, Routledge, 1re édition 1939, 2003.

Triandis H., Dunnette M. D., Hough L. M. « Cross-cultural industrial and organizational psychology »,Chapitre I in Handbook of industrial and organiza-tional psychology, Vol. 4, Consulting PsychologistsPress, 1994.

Viteles M. S., Motivation and morale in industry,W. Norton, 1953.

Watanbe S., Takahashi K., Minami T., « The emergingrole of diversity and work-family values in a globalcontext », Chapitre 11, Earley P. C., Erez M., Newperspectives on international industrial/organizationalpsychology, Pfeiffer & Company, 1997.

Weber M., The protestant ethic and the spirit of capita-lism, Dover Publications, 2003.

Zuboff S., In the age of the smart machine : the future ofwork and power, Basic Books, 1989.

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Chapitre 2

Ce qui change dans le monde du travail

Le chapitre précédent nous a montré que la valeur etla signification du travail, ainsi que son rôle dans la viesociale, ont changé et peuvent encore changer. Ceschangements ont des causes, liées le plus souvent auxconditions même du travail. C’est ce qui se passeactuellement, sur une échelle sans précédent, parceque les conditions de travail sont bouleversées à la foispar le rythme rapide du progrès technologique, enparticulier en ce qui concerne la technologie del’information et de la communication, et par la globali-sation de l’économie qui transforme les règles de lacompétition internationale. L’objectif de ce chapitreconsiste à décrire ces changements et à tenter d’enpréciser leurs conséquences, dans la mesure desconnaissances disponibles.

La révolution du savoirPlus qu’une évolution, il y a rupture entre le monde dutravail d’hier et le monde du travail d’aujourd’hui

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(A. Howard, 1995). Et rupture implique disconti-nuité, ce qui rend le changement inconfortable parceque l’expérience du passé n’est plus un guide pourl’avenir (C. Handy, 1989). Quelles sont les racines decette discontinuité ? Essentiellement le développementrapide et profond des connaissances dû à plusieurscauses qui agissent simultanément : le progrès destechnologies, les nouvelles techniques d’informationqui assurent l’accès facile et rapide au savoir et l’éléva-tion du niveau d’éducation. Il faut noter que lesconnaissances sont des acteurs économiques dont lespropriétés sont spécifiques. Leur transmission créed’autres connaissances parce qu’elle provoque desquestions, donc la recherche active de réponses. Et ilest possible de transmettre des connaissances tout encontinuant à les posséder… Mais on ne peut ni enfaire hériter ses enfants, ni faire voter des lois pour enrégir la distribution. En outre, l’internationalisationdes connaissances grâce aux moyens actuels de diffu-sion des informations crée à la fois des liens et desrelations de compétition sans précédent entre les pays.

Pendant longtemps, le rythme du progrès technolo-gique a été lent et a eu relativement peu d’influencesur le contenu et sur le contexte social du travail.Certes le passé a été marqué de manière répétée parle progrès technologique et par le changement ducadre social du travail, mais ces changements ont étémoins drastiques que ceux auxquels nous assistonsaujourd’hui, notamment du fait du progrès extrême-ment rapide de tout ce qui touche aux ordinateurs, la« smart machine » pour reprendre le titre de l’ouvragede Zuboff. En outre, le changement actuel est irréver-sible et il présente un caractère brutal beaucoup plus

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important que les bouleversements précédents vécusaux XVIIIe et XIXe siècles. Il ne s’agit, en effet, ni d’unnouveau type d’activité ni d’un déplacement géogra-phique qui entraîne une modification du cadre de vie,mais d’une évolution profonde des tâches elles-mêmeset des qualités qu’elles demandent. On peut doncpenser que non seulement les sources de la motivationau travail ont changé, mais aussi ce qui constitue lesobjectifs de la motivation.

En fait, ce n’est pas la première fois que le progrès desconnaissances apporte des ruptures profondes dans lasignification, le contenu et l’organisation du travail.L’invention de l’imprimerie par Gutenberg, auXVe siècle, a permis de développer très rapidement laproduction de livres, ouvrant ainsi un accès direct ausavoir et encourageant le développement de l’espritcritique. De manière comparable, les progrès actuelsde l’information et de la communication n’entraînentpas une extension du bras ou de la main, mais une« extension du cerveau » qui permet non seulementd’avoir accès à une masse d’informations considé-rable, et qui s’accroît à chaque instant, mais aussi, parexemple, de faire des calculs, de présenter et deprojeter sur écran des graphes et des schémas, et ausside créer un nouveau type de relations sociales grâce auréseau d’Internet.

Les changements technologiques actuels créent desbouleversements sociaux aussi bien dans les attitudesindividuelles face au travail que dans les structures orga-nisationnelles. Leur multiplicité et leur rapidité rendentla situation difficile à décrire. Et il est encore plus diffi-cile d’en analyser les conséquences sur la valeur et lasignification du travail pour ceux qui l’exécutent.

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Pour tenter d’affronter ces difficultés, ce chapitreprésente une analyse en deux parties :

• D’abord, une description factuelle des principauxchangements, concernant aussi bien les progrèstechnologiques que la composition de la populationactive.

• Ensuite, l’examen des conséquences de ces change-ments sur la nature du travail et de leur impact surles attitudes et les attentes concernant le travail.

Pourtant, quel que soit le soin apporté à la documen-tation, et quel que soit l’effort de réflexion sur lesdocuments rassemblés, le résultat présenté ici ne peutpas être considéré comme exhaustif, et encore moinscomme définitif, pour deux raisons :

• D’une part, l’évolution technologique que nousallons tenter de décrire est loin d’avoir épuisé lesressources potentielles de progrès. Comme l’a ditP. F. Drucker il y a près de quinze ans (1993), lacivilisation est affectée à des intervalles de quelquescentaines d’années par une transformationmajeure, qui s’étend sur une cinquantaine d’annéeset qui crée un monde très différent. Nous sommes,vraisemblablement au milieu d’une de ces transfor-mations majeures.

• D’autre part, les effets de ces changements, le rôledes nouvelles techniques d’information et decommunication ne sont pas identiques partout etpour tous. Ils ont certainement un impact différentselon les secteurs d’activité, selon les niveauxhiérarchiques, et sûrement selon les cultures domi-nantes.

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Ces remarques préalables incitent à ne considérer lesanalyses qui suivent que comme un ensemble d’exem-ples qui montrent que la valeur et la signification dutravail, aussi bien que les attentes et les attitudes deceux qui travaillent, sont en train de changer, de tellemanière que les stratégies motivationnelles doiventêtre diversifiées et repensées.

Les changements dans le monde du travailÀ la fin du XXe siècle, on passe progressivement d’uneéconomie mondiale fondée sur la production etl’industrialisation à une économie fondée sur l’accèsfacile à une multitude d’informations, sur les activitésde service et sur l’automatisation des tâches simples etrépétitives ce qui a transformé aussi bien la structuredes organisations que le contenu du travail et lamanière dont il est utilisé. Le rythme des progrès danstout ce qui concerne la technologie de l’information,qu’il s’agisse de la capacité des ordinateurs, de la rapi-dité de transmission et de la multiplication des possibi-lités de connexion a été accompagné d’une baisserapide des coûts. En même temps, l’accès à cesressources est devenu plus facile et l’investissement ensystèmes d’ordinateurs s’est accru fortement dans lesquinze dernières années. Non seulement le progrèstechnologique n’a jamais été aussi rapide, mais ilaccompagne la mondialisation de l’économie, doncl’existence d’une compétition à l’échelle du globe.

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Le progrès technologique est omniprésent

Le progrès technologique ne se limite pas à la techno-logie de l’information, encore moins à ce que nousvoyons tous les jours, dans tous les secteurs d’activité– les ordinateurs et les téléphones portables. En outre,et sans vouloir faire de pronostic, on peut signaler despistes de progrès à venir. Les avancées de la biotech-nologie ne sont plus des fictions, et les applications,nombreuses, concerneront par exemple, le secteuraérospatial, la pharmacie, les économies d’énergie, lamicrobiotique, l’électronique moléculaire, la bioélec-tronique, de nouvelles méthodes d’imagerie au niveaumoléculaire, les thérapies ciblées, des nouvellessources d’énergie, de nouveaux moyens de trans-port… Les progrès de la génétique affectent déjà ledomaine de la santé, et vont le faire de plus en plus. Etla nanotechnologie, c’est-à-dire la manipulation de lamatière à l’échelle atomique, va influencer fortementles technologies de production, avec des conséquencessur les produits et sur les procédures.

Vers une recherche constante d’amélioration des services et des produits

La compétition à l’échelle mondiale impose de créerde nouveaux produits ou des services de meilleurequalité que ses concurrents. Pour atteindre cetobjectif, toute organisation est obligée de remettreconstamment sur l’établi les procédures de travail, cequi conduit à adopter une nouvelle façon d’organiserla production, le reengineering. De quoi s’agit-il ?D’examiner, pour l’améliorer, le processus actuel etd’étudier les activités qui peuvent transformer unesérie de produits ou de services, ce qui implique la

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succession d’activités suivantes : description du processactuel, mesures, proposition d’améliorations, re-mesures… Au lieu d’une analyse de poste qui définitchaque poste, l’analyse des process permet de prendreen considération toutes les activités de travail et dechercher les méthodes optimales permettant de créerou d’améliorer un produit ou un service.

La compétition mondiale affecte l’ensemble de la chaîne de production

Des capacités de production réactives à la demande

La compétition devenue mondiale crée une pressionsans précédent sur les produits manufacturés et sur lesservices susceptibles d’être délocalisés. Et cettecompétition concerne non seulement la qualité, maisaussi la capacité à répondre aux demandes du marchéet à sa diversification. Cet impératif a conduit à unesérie d’initiatives destinées aussi bien à utiliser lessystèmes informatiques pour suivre les ventes etrépondre aux demandes du marché qu’à accroître ladiversité des produits et à organiser la production demanière à gérer les réserves de matières premières,ceci afin de réduire les coûts. En même temps, lesprocessus de fabrication conduits par ordinateur et lesinstallations robotisées se sont généralisés. Ces dispo-sitifs permettent de multiplier les opérations faites sansintervention humaine et surtout de modifier cesopérations rapidement et facilement, afin de répondreaux demandes du marché. De ce fait, les demandesphysiques du travail se réduisent considérablement, auprofit des demandes cognitives, impliquant en parti-culier les compétences nécessaires pour faire lediagnostic des problèmes qui surviennent et pour

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prévoir les erreurs. Mais les effets de ces changementssont variés, allant d’une responsabilité active desacteurs à une surveillance passive des processus encours.

Un travail « en relation » qui n’autorise pas l’erreur

Ces nouvelles procédures accroissent la visibilité de lacontribution de chacun à la production. En effet, touteerreur est imputable à un défaut de surveillance indivi-duel et chacun peut en identifier les conséquences. Etles équipements de production sont beaucoup pluscoûteux que dans le passé. La nature des processus defabrication rend donc chaque travailleur beaucoupplus dépendant des autres que dans le passé et la colla-boration étroite entre ingénieurs, opérateurs etprogrammateurs est souvent nécessaire et peut mêmeassocier le marketing et les services aux clients.

Les opérations automatisées se font plus rapidement.Mais toute erreur dans la base de données que gèrel’ordinateur est grave. Les flux tendus (le juste-à-temps) font que ce ne sont plus les matériaux disponi-bles qui déterminent le programme de fabrication,mais la demande, avec une programmation rapide etune facturation qui l’est tout autant. En outre, le TQM(management de la qualité) implique que la produc-tion et le contrôle ne soient plus séparés : la qualité faitpartie intégrante de la fabrication. Dans ce but,l’implantation d’un logiciel de gestion crée une forma-lisation rigide des activités et fait donc gagner en ratio-nalisation mais perdre en innovation, en créativité eten initiative des opérateurs.

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Les NTIC ont modifié le travail

Les capacités de traitement et de stockage des infor-mations sont considérablement accrues, mais auxdépens de l’intervention humaine. Et le travail est deplus en plus situé à l’interface homme/machine. Lesinterventions humaines sont donc plus liées à desdysfonctionnements qu’il faut résoudre. De ce fait, letravail est plus éloigné du concret. En outre, chacundépend de ressources communes d’informations, cequi diminue le sentiment d’avoir du pouvoir.

De nouveaux postes de travail

On assiste à un profond remaniement de la nomencla-ture des postes de travail et de leur contenu. Parexemple, la vente par ordinateur est devenue unsecteur de l’économie, avec des prix qui ont baissé enmême temps que les produits devenaient plus sophis-tiqués. De ce fait, certaines catégories de commer-ciaux, les représentants, ont disparu. En revanche, lemarketing bénéficie d’informations obtenues par desemployés de centres d’appels (souvent situés à longuedistance de la personne qu’ils contactent), ce quiconstitue une nouvelle activité. Les informations ainsirecueillies sont nombreuses, traitées et stockées demanière à être le plus utiles possible. D’autres fonc-tions ont évolué. Ainsi le courrier passe en grandepartie par e-mail avec des adresses présentes dansl’ordinateur. Le travail des secrétaires a donc considé-rablement changé, d’autant plus que les lettres se fontpar ordinateur au lieu d’être dictées, puis corrigées parla personne qui en est l’expéditeur.

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Les tâches du management intermédiaire ont étéprofondément remaniées. Comme leurs responsabi-lités principales (rassembler, traiter et faire circulerl’information) se sont réduites, leur nombre adiminué. Cela a créé des structures organisationnellesdifférentes, avec moins de niveaux hiérarchiques etune plus grande flexibilité. De manière générale, lescompétences requises des travailleurs sont fréquem-ment modifiées, ce qui explique que l’idée de formerchaque travailleur pour un poste défini, simple etdurable, comme le recommandait Taylor, est devenueimpossible et est remplacée par la formation continueet l’acquisition constante de nouvelles compétences.

La révolution de l’information à l’épreuve des faits

L’ordinateur, un moyen d’accès pour tousà l’information

La fin du siècle dernier et le début du XXIe siècle nousont fait entrer dans l’ère de l’information. Les ordina-teurs comme tous les moyens de communication sontde plus en plus sophistiqués et leur prix baisse réguliè-rement (– 21 % par an entre 1995 et 2000). Et dans lamême période, le prix d’un mégawatt a diminué demoitié tous les deux ans (P. Woodall, 2000). Les ordi-nateurs sont utilisés partout, à l’école, à l’usine, dansles administrations, à l’hôpital, et même… à la ferme.Les chauffeurs routiers ont un ordinateur et un fax àbord, ce qui leur permet de gérer leurs déplacementsde la manière la plus efficace et la plus rentablepossible. Mieux encore, un système satellite localise le

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camion et gère les demandes de livraison de sorte àenvoyer le chauffeur à la destination la plus logique.

L’accès pour tous à l’information

Il y a peu de temps encore, le prix des équipementsinformatiques et leur complexité réservaient leur utili-sation à une minorité. Aujourd’hui, les ordinateurs nesont plus limités à la possibilité de faire rapidementdes calculs compliqués et de concevoir des textes àimprimer. Ils sont devenus des moyens d’accès pourtous à l’information. Et des logiciels « amicaux »(faciles à utiliser) ont permis aux ordinateurs des’infiltrer dans tous les niveaux d’activité, dans toutesles tâches administratives, et dans des tâchescomplexes comme la gestion financière, les inventairesde stocks et les ressources humaines.

On ne saurait trop souligner la rapidité impression-nante de ces bouleversements. Les premiers ordina-teurs sont apparus sur le marché dans les années 70.Le vocabulaire anglais qui les accompagne est entrérapidement dans l’usage quotidien (dot.com, octet,mainframe, software, cookies…) Et les équipementsont progressé ensuite à toute vitesse, améliorant larapidité de traitement et de transmission, la capacitéde stockage et la qualité des interfaces. En 1965,Gordon Moore, le cofondateur de Intel, a prédit que ladensité des transistors sur les circuits intégrés allaitdoubler tous les 18 mois. Sa prédiction a été largementréalisée. En 30 ans, la densité de transistor sur unélément de silicone de la taille d’un ongle est passée dequelques milliers à 44 millions (P. Woodall, 2000). Larapidité de transmission des informations électroniquesa progressé de manière tout aussi impressionnante.

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Entre 1990 et 2000, la capacité d’un seul câble defibre optique a été multipliée par 1 000. Et nous assis-tons actuellement à la montée des communicationssans fil avec les téléphones mobiles, puis avec l’accèsgénéralisé à l’Internet sans fil. Les progrès du softwareont accompagné les progrès du hardware. La révolu-tion de l’information est en marche et il devientpossible de stocker et d’avoir accès à une massed’informations de manière quasi instantanée.

Les spécialistes pensent que la loi de Moore va conti-nuer à s’appliquer au moins pendant 8 à 15 ans. Celasignifie que la vitesse de fonctionnement des ordina-teurs ainsi que les capacités de stockage d’informa-tions vont encore s’accroître, impliquer de nouveauxchallenges sur les processus de fabrication et leurniveau de précision, notamment avec la possibilité demodifier de plus en plus rapidement les produitsmanufacturés. Le contrôle sur ordinateur deséquences d’opérations dans le processus de fabrica-tion réduit les coûts, donne une qualité constante auxproduits et facilite les changements de produits néces-saires sur un marché qui change vite. À cela s’ajoute-ront des progrès importants sur des domaines ouvertsrécemment comme la reconnaissance de la parole, latraduction, la reconnaissance du visage.

Intelligence artificielle, nano, micro… au service de l’homme au travail

Les avancées dans le domaine de l’intelligence artifi-cielle entraîneront l’arrivée de robots plus intelligents etplus mobiles, liés entre eux par des réseaux sans fil. Etla miniaturisation des instruments de communication etdes chips d’ordinateur va permettre notamment de

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disposer d’une technologie de microstructures quiserviront à contrôler, par exemple, l’irrigation agricole,l’intégrité des bâtiments et des ponts. Des radiosminiatures pourront être attachés à des produits pourassurer leur traçabilité depuis la fabrication, le stoc-kage, la vente et la consommation. Les connexionsaccessibles se sont multipliées aussi bien à l’intérieurd’une même entreprise qu’entre différentes organisa-tions. Et il est possible d’introduire dans un texte uneou plusieurs traductions avec des liens hypertextes, cequi permet de faire communiquer aisément despersonnes ne parlant pas la même langue.

Le pouvoir accru de stockage et de traitement del’information a augmenté notre capacité à traiter rapi-dement et utilement des masses d’informations. Parexemple, les compagnies d’aviation peuvent rentabiliserleur exploitation en utilisant des modèles de vente pourchaque vol, par catégorie de places et par époque del’année. Ils offrent alors des places qui changent de prixdans le temps, de manière à maximiser la rentabilité duvol. Ils peuvent aussi calculer le poids des bagages,combiner cette information avec les données météoro-logiques et prévoir la quantité de carburant nécessaire(G. Hamel, C.K. Pralahad, A. Kraut, A. Kaufman, 1999).

La notion de carrière change

Au siècle dernier, la carrière concernait plusieursgénérations parce que le commerce artisanal ou ledomaine agricole passaient de père en fils. L’industria-lisation et la naissance des grandes entreprises ontprogressivement changé les choses : la carrière sepasse alors dans la même organisation, le plus souventavec le même métier et cela crée un contrat implicite

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entre l’entreprise et ses employés, avec un échangeentre la sécurité et l’implication. Ce n’est plus vraiaujourd’hui : une même personne peut avoir plusieurscarrières dans des organisations différentes, etplusieurs métiers au cours de sa vie active. D’oùl’importance des formations en cours de carrière et dela flexibilité individuelle. Le développement de lacarrière est fonction du développement personnel, etla recherche de nouvelles expériences guide les choixsuccessifs. Surtout, la motivation liée à l’appartenanceà une entreprise pour laquelle on a de l’estime, voiredu respect, disparaît au profit des motivations qu’onpeut qualifier de « personnelles » parce qu’elles visentle développement de sa carrière, tel qu’on le gère soi-même.

De nouvelles possibilités de communication

Les techniques de communication permettent de selibérer du bureau et de travailler dans des endroitsvariés. Cela est vrai même si la nature des activités detravail impose de prendre des contacts avec d’autrespersonnes. Cette aisance dans les contacts et le travailen commun facilite la coopération. Par exemple, untexte d’article ou de contrat peut faire l’objet d’allers etretours entre deux collègues avec des propositions demodifications. En outre, l’accès aux informations peutêtre obtenu de partout et pas uniquement de l’endroitoù les archives sont stockées. De ce fait, un groupe depersonnes peut partager les mêmes informations et lemême environnement, même s’ils sont très loin les unsdes autres. Et les compétences de l’un peuvent êtreutilisées par d’autres en direct.

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La multiplication des activités de services

Les changements du monde du travail ne se sont pasarrêtés au secteur industriel. Ils ont accompagné unedemande fortement accrue pour le secteur desservices qui concerne actuellement en France les troisquarts des emplois. Cette multiplication a des causesdiverses : développement du commerce, éclatementdes familles et migration dans les grandes villes,accroissement des services de santé, féminisation de lapopulation active. Il se crée ainsi un rapport entre lepourvoyeur de service et son client qui n’a rien à voiravec le rapport ancien, bien plus distant, entre leproducteur et l’utilisateur de la production – et qui peutéventuellement devenir une source de motivation.

On a vu naître la formule de « personne dépendante »qui caractérise les personnes âgées ou handicapées,incapables de subvenir seules à leurs besoins élémen-taires. Mais, en fait, nous sommes tous dépendantsdes services que la société du XXIe siècle a multipliés :services de santé, de transports, d’éducation etservices urbains en tout genre… Ce qui donne à cesfournisseurs de service un pouvoir social que lesproducteurs n’ont jamais atteint, en particulier parceque la majorité de ces services peut difficilement sedélocaliser dans les pays où les salaires sont moinsélevés, alors qu’ils sont devenus essentiels à la viequotidienne – en témoignent la notion de serviceminimum et la difficulté à la mettre en œuvre.

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La composition de la population activeEn même temps que le contexte du travail a profondé-ment changé, la composition de la population active aégalement évolué, en partie du fait des changementstechnologiques, mais aussi pour des raisons économi-ques et sociales. Chercher les causes de ces change-ments n’est pas notre propos ici. En revanche, il estimportant de les identifier et de les prendre en compteparce qu’ils sont, comme le progrès technologique,des facteurs de l’évolution des motivations au travail.

Ces changements présentés par la Dares (S. Amra,2004) pour les vingt années écoulées entre 1982 et2002, concernent essentiellement la répartition del’emploi par secteur et par niveau de qualification, leniveau de qualification à l’entrée en activité, la partici-pation des femmes et le vieillissement de la populationactive.

L’accroissement du nombre de personnesemployées

Le nombre de personnes employées s’est accru en vingtans de 10 % en France. Et l’augmentation la plus impor-tante concerne la période la plus récente (1997 à 2001).En même temps, les emplois se sont fortement redistri-bués. Les services aux particuliers sont le domaine quicontribue le plus à la croissance de l’emploi. À l’inverse,les emplois du secteur agricole sont passés en vingt ansde 8,9 % de la population active à 4,3 %, et les emploisindustriels, en particulier ceux qui concernent le bâti-ment et la mécanique, ont régressé, passant de 21,7 % à16,9 % de la population active.

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Dans la même période, le tertiaire passe de 60,7 % à72,3 %. Les chiffres bruts sont encore plus parlants.Toujours dans la même période, 900 000 emplois sontcréés dans le domaine des services aux particuliers,900 000 sont détruits dans l’agriculture, et 400 000dans les industries légères.

Toujours plus de cadres…

L’évolution par secteur s’accompagne d’un accroisse-ment de la population de cadres qui passe, pendant lamême période, de 26,6 % à 36,2 % de la populationactive. En revanche, on constate une diminution dunombre d’ouvriers de 31,7 % à 25,9 %. Et les famillesprofessionnelles les plus qualifiées, en particulier cellesqui appartiennent aux secteurs de l’informatique et dela recherche, ont toutes accru leurs effectifs, avec uneforte progression des emplois de cadres (54 % en20 ans).

Les activités intermédiaires en plein essor

La répartition des emplois dans les activités intermé-diaires a également évolué, avec une progression de38 %, en particulier dans l’action sociale, culturelle etsportive, dans les services administratifs et compta-bles, et dans les professions paramédicales, alors queles secrétaires de direction, les agents de maîtrise desindustries mécaniques et de l’électricité ont régressé.

La faible valorisation des diplômes

La part des personnes sans diplôme est passée de21 % en 1982 à 46 % en 2002. Mais la valorisation deces diplômes en termes de niveau professionnel, desalaire et de promotion ou dit autrement, la relation

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entre le niveau de formation et le niveau de l’emploiest décevante. C’est-à-dire que la réussite profession-nelle et le niveau hiérarchique sont de moins en moinssouvent dépendants des titres et diplômes.

Le développement de l’activité féminine

Plus nombreuses à être actives, les femmes investissentpeu à peu les métiers de cadres. En 2002,10,8 millions d’emplois sont occupés par des femmes,soit 24 % de plus qu’en 1982, alors que le nombred’emplois occupés par des hommes ne progresse quede 1,1 % dans la même période. On peut donc direque la croissance de l’emploi signalée plus haut tientessentiellement au développement de l’activité fémi-nine. En outre, l’emploi féminin demeure concentrédans les professions peu qualifiées, même si unnombre croissant de femmes, notamment parmi lesplus jeunes, accède à des postes d’encadrement ou àdes postes techniques. Entre 1992 et 2002, le nombrede femmes cadres est passé de 1 328 000 à 1 754 000,ce qui représente 39,6 % de l’ensemble des métiers decadres contre 36,4 %, dix ans plus tôt.

La féminisation touche particulièrement les métiers àdominante relationnelle et les métiers de l’expertise.Ces croissances sont parfois très spécifiques. Ainsi, lesfemmes sont majoritaires au sein des professionsd’avocat (52 % en 2002 contre 32 % en 1992) maisminoritaires dans les professions de notaire et deconseils juridiques et fiscaux. Et les plus jeunesaccroissent leur arrivée dans les professions de niveauélevé essentiellement parce qu’elles sont plusnombreuses à poursuivre des études plus longues.

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Le vieillissement des salariés

La population en emploi vieillit, essentiellement parceque l’accroissement du chômage des jeunes ainsi quel’allongement des études a fait décroître régulièrementla proportion des moins de 30 ans dans les vingtdernières années, passant de 29 % des actifs en 1992 à19 % en 2002. Dans la mesure où les besoins desdifférentes catégories d’âge ne sont pas les mêmes, cefait contribue certainement à une évolution des moti-vations au travail.

Quel impact sur la nature et la signification du travail Pour comprendre les mutations actuelles du processusde motivation, il faut prendre en considération le faitque deux groupes d’acteurs sont concernés, ceux quiveulent motiver les autres et ceux qui doivent êtremotivés. Nous envisagerons donc d’abord la manièredont les changements techniques et les progrès del’information ont conduit les entreprises et les organi-sations à avoir des attentes différentes en ce quiconcerne le comportement des travailleurs. Et ensuiteseulement, ce qui peut démotiver dans les conditionsactuelles, pour tenter de repérer enfin, ce que les diffé-rentes personnes qui occupent des emplois à l’heureactuelle attendent de leur activité professionnelle. Il estévident que ces diverses approches de la motivation autravail doivent être, sinon réconciliées, au moins expli-cités et mises en relation.

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Des nouveaux rapports au travail

Le mot-clé de ce chapitre est « changement ». Et toutesles analyses de ce changement montrent combien il estrapide, même brutal, et important. Plus encore, cen’est pas une évolution, c’est une discontinuité, quiimpose de penser, comme le dit Charles Handy(1989), de manière discontinue : « Les changementsdiscontinus exigent une réflexion discontinue. Si le nouvelordre des choses est différent de l’ancien, et n’est pas seule-ment un progrès par rapport au passé, il faut tout envi-sager d’une manière nouvelle. » C’est autour de cettenotion que les nouvelles attentes des entreprisess’organisent, et elles contrastent fortement avec lesdemandes passées. En effet, la hiérarchie, dans unmonde du travail qu’on peut, a posteriori, qualifier de« stable », attendait de ses employés qu’ils exécutentavec fidélité des consignes durables. Actuellement, lamondialisation de la compétition, la rapidité duprogrès technologique et la facilité de transmission desinformations font pour beaucoup de secteurs etd’emplois, remplacer le respect des règles par la flexi-bilité. Cette tendance est générale, mais plus ou moinsforte selon le niveau d’évolution du secteur concerné,ce qui conduit à décrire de nouveaux rapports autravail.

Une priorité accordée à la réflexion et à la prise d’initiatives

L’ordinateur et le robot obéissent aux programmesélaborés par l’homme. Ce qu’on attend des travailleursqui vont surveiller l’exécution des programmes, c’estdavantage d’être capables d’identifier à l’avance lesproblèmes qui peuvent survenir que de respecter

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étroitement des règles élaborées par d’autres. Il y a unepriorité accordée à la réflexion et à la prise d’initiativesjustifiées.

Les compétences acquises en question

La compétition et la rapidité d’apparition des produitset des services nouveaux obligent à constammentrenouveler la production comme les offres de service.D’où la nécessité, pour chacun des acteurs de cenouveau monde du travail d’acquérir de nouvellescompétences tout au long de leur vie active. Celaimplique que des compétences acquises peuventdevenir obsolètes, et minimise les résultats obtenusdurant la formation initiale.

Une demande plus ciblée sur le fonctionnementcognitif

Le stock de connaissances définissait la qualification.Ce n’est plus le cas. La capacité à consulter efficace-ment les ressources informatiques, à trier les connais-sances et les informations pertinentes pour résoudreun problème donné, devient plus importante et exigedes qualités de fonctionnement cognitif. De manièregénérale, et même si c’est à un rythme différent selonles secteurs, la demande est plus ciblée sur le fonction-nement cognitif que sur les qualités physiques.

Des informations disponibles

Des informations facilement accessibles n’ont plus àêtre stockées ni même traitées dans la mémoirehumaine ou dans des registres papier. Il n’est plusnécessaire de se souvenir des règles et des données quela machine gère pour vous… Un exemple quotidien

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pour beaucoup d’entre nous : les téléphones portablesont en mémoire les numéros de téléphone que nousappelons souvent.

De manière plus générale, inutile de connaître lesrègles inscrites dans un logiciel, encore moins d’avoir àjuger où et comment elles s’appliquent. Le fait dedisposer de stocks d’informations aisément consulta-bles et immédiatement mises à jour réduit le besoind’avoir des contacts avec d’autres personnes pourcompléter ses connaissances. Et probablement aussi lesentiment d’être efficace, de constituer soi-même unrouage important du système dans lequel on travaille.

Un nécessaire travail en équipe

La complexité croissante des techniques oblige àconstituer des équipes qui travaillent en collaborationparce qu’il est impossible à une seule personne d’enmaîtriser tous les aspects. Les qualités socialesrequises par le travail en équipe représentent donc uneexigence importante. La croissance des activités deservice renvoie également à des attentes concernant lesqualités sociales requises.

De nouvelles demandes

L’évolution de la composition de la population activeentraîne des demandes plus diversifiées. Pour lesfemmes, l’équilibre entre la vie familiale et la vie activereste une préoccupation, notamment pour les mèresde famille. Et du fait du vieillissement de la popula-tion, les besoins et les demandes sont différents dans lafraction la plus âgée, surtout dans un monde du travailoù les compétences acquises risquent de devenir obso-lètes.

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Cela exige également une population plus qualifiée,mais avec un fréquent sous-emploi de ces qualifica-tions, souvent acquises sans tenir compte des besoinsdu marché du travail. Ce décalage entre les besoinspar spécialité et les ressources en main-d’œuvre créedes frustrations pour ceux qui ont choisi une spécialiténon porteuse sur le marché du travail et qui se retrou-vent, de ce fait, obligés d’accepter un emploi dont leniveau de qualification est inférieur au leur.

Enfin, un accroissement du secteur des services, àtous les niveaux de la hiérarchie ouvre de nouvellessources de motivation, mais, en même temps, dans lamesure où nous sommes tous plus ou moins dépen-dants des services, crée un rapport de puissance avecles « clients ». En témoignent les problèmes que nousrencontrons tous quand les salariés des services detransport, de santé, d’éducation… sont tellementdémotivés qu’ils se mettent en grève.

Tenter d’identifier les sources de démotivation

Qu’est-ce qui, dans les conditions actuelles peutdémotiver les personnes au travail ? En l’absenced’enquête récente sur ce sujet – enquête qui n’auraitd’intérêt que si elle portait sur un échantillon large-ment diversifié –, on ne peut qu’utiliser les commen-taires les plus fréquemment faits par les cadres enparcours de développement personnel, par lesgestionnaires de ressources humaines et par lesconsultants. À nouveau, le propos qui suit ne prétendpas épuiser le sujet. Cela dit, il est évident que lapopulation active a changé, que son rapport autravail est différent de ce qu’il était il y a encore vingt

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ans et que les possibilités de construire avec le travailune relation significative ont aussi changé.

Face au progrès, de fortes différences

Le rythme du progrès n’est pas le même partout, danstous les pays, dans tous les secteurs, à tous les niveaux.Les trois quarts des utilisateurs d’Internet vivent dansdes pays à haut revenu, qui ne représentent que 14 %de la population mondiale. Et dans les pays en voie dedéveloppement, un fossé se creuse entre des jeunescompétents sur les nouvelles technologies et un largegroupe qui reste incapable, faute de formation, deprofiter du progrès technologique.

Certains secteurs bénéficient du progrès, d’autres,pour des raisons variées, vont être peu affectés. Ducoup, il y aura des « vieux » métiers, peu prestigieux,et des métiers « en pointe » avec une étiquette decomplexité technique et de modernité. Il y auratoujours, en effet, des postes qui ne peuventprogresser, aussi bien dans les services que dans laproduction.

En outre, on assiste dans beaucoup de cas à une dispa-rition des postes intermédiaires. Le profil de réparti-tion des emplois prend donc une forme en U avec unaccroissement des emplois qualifiés, notamment danstout ce qui concerne la gestion et les applications del’informatique, une diminution du middle management,et un accroissement des emplois peu qualifiés, surtoutdans les métiers de services aux particuliers.

Cette inégalité concernant le progrès actuel laisse pourcompte ceux dont le travail ne s’est pas ouvert àl’effort technologique, et aussi, ce qui est probable-

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ment plus grave, ceux dont la compétence n’a plus devaleur marchande. On peut voir là une autre source dedémotivation, probablement parce qu’on ne peut pasrendre plus signifiantes, ni donner plus d’autonomie etde responsabilité (« enrichir »), aux tâches nontouchées par le progrès technologique, qu’il s’agissede services ou de production.

Difficile d’identifier la performance individuelle

Dans le cadre, fréquent, du travail en équipe, ildevient difficile d’identifier le mérite de chacun. Si onsouhaite cependant continuer à utiliser une stratégiede motivation au mérite, les risques d’injustice sontgrands. Il y a donc une difficulté croissante à mettre enœuvre des systèmes de primes ou de récompense,voire de promotion, fondés sur la performance. C’estle groupe qui produit un résultat et la contribution dechacun est en même temps essentielle et difficile àidentifier. Ce n’est donc pas le souhait d’obtenir unerécompense due aux résultats qui va mobiliser lesénergies.

La charge de travail source d’insatisfaction

Les gens motivés s’identifient avec ce qu’ils font parceque leur travail a du sens et une signification person-nelle. Mais les tâches qui accroissent la responsabilitésont des sources potentielles de stress. C’est le cas, parexemple, des contrôleurs aériens qui ont peu de lati-tude de décision, sont soumis à un contrôle étroit, avecdes responsabilités importantes. Cela engendre unépuisement émotionnel qui se traduit par de l’absen-téisme et de l’insatisfaction. La même chose se produitprobablement pour certaines activités du secteur de la

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santé. En outre, la nécessité de l’interdépendance avecd’autres travailleurs réduit le sentiment d’être auto-nome et crée une dépendance par rapport à ses collè-gues.

La réorganisation du travail fait disparaître beaucoup de postes

Beaucoup de postes et de fonctions disparaissentprogressivement, rendus inutiles du fait des progrèstechnologiques. Ils sont, certes, remplacés par denouvelles fonctions, mais il est souvent difficile deformer à de nouvelles tâches des personnes qui ontdéjà une ancienneté dans leur emploi. Dans ce cas,elles continuent à faire, souvent avec des méthodesdésuètes, des tâches qui vont disparaître quand ellespartiront à la retraite. Comment ne pas être démotivédans ce cas ?

Mettre en œuvre de nouvelles sources de motivation

Le développement personnel en cours de carrière

Le développement personnel en cours de carrièreapporte de nouvelles échéances et de nouvelles moti-vations. Il y avait, traditionnellement, un contrat impli-cite entre l’entreprise qui assurait la sécurité et lepersonnel qui, en échange, apportait sa volonté decollaborer de son mieux aux objectifs communs. Cen’est plus le cas. Et, alors que la mobilité était perçuepar le marché du travail comme un signe d’instabilité,c’est maintenant un élément positif du curriculumvitae, dans la mesure où cela implique une diversitéd’expériences. Le parcours de carrière s’en trouve

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donc profondément modifié. Il privilégie la formationtout au long de la vie et ouvre ainsi des possibilitésd’évolution et de développement personnel qui n’exis-taient pas quand les promotions reposaient surtout surla séniorité dans l’emploi. L’importance – et la signifi-cation – de ces possibilités de développer une carrièrefondée, non sur le mérite de l’exécution d’une tâchemais sur la preuve renouvelée de sa valeur profession-nelle, représente probablement un support de motiva-tion.

Reconnaître l’utilité sociale et éthique du travail

La fierté liée au travail est venue longtemps de l’appar-tenance à une entreprise, publique ou privée dontl’image ou la réputation renforçait l’estime de soi, oubien dans le cas des moyennes et des petites entre-prises, de l’appartenance à un « métier », avec sestraditions et ses impératifs de moralité et de profes-sionnalisme. Dans les deux cas, cette appartenancequi coïncidait avec l’identité personnelle constituaitune des bases de l’estime de soi. La mobilité indivi-duelle, les réorganisations fréquentes des grandesentreprises et la disparition des métiers au profit desprofils de compétences ont affaibli ces sources demotivation. Pourtant, le souci de l’éthique des activitésprofessionnelles est resté vivant et devrait pouvoirconstituer une autre source de motivation.

Mettre en évidence la contribution à travers le regard des autres

Le témoignage des autres sur sa valeur personnellereprésente une source de motivation potentielle, àtravers la prise de connaissance de l’efficacité person-

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nelle. En témoigne le succès des procédures dites à360° qui, entre autres effets, redynamisent despersonnes qui n’avaient pas confiance en elles, grâce àl’envoi par les autres d’informations positives sur leurcomportement et sur leur travail. Ce processus montrele rôle central de l’image de soi dans le processus moti-vationnel.

Le monde du travail évolue• Les tâches et les fonctions réorganisées du fait du

progrès technologique font davantage, et plussouvent qu’auparavant, appel au fonctionnementcognitif et moins souvent aux qualités physiques.

• Les rôles professionnels concernent plus souvent larecherche des dysfonctionnements ; les prisesd’initiatives destinées à éviter des problèmes sontencouragées.

• Le progrès technologique et le rôle croissant jouépar les ordinateurs et par les robots ont fait dispa-raître de nombreux postes, ont rendu obsolètes descompétences acquises et en ont créé d’autres.

• La redistribution de la population active incite àpenser que les activités professionnelles acquièrentdes fonctions différentes, aussi bien par rapport àl’identité personnelle, que par rapport aux besoinsà satisfaire.

• La formation en cours de carrière est devenue unaspect important du développement personnel, dela carrière et de la construction de l’identité person-nelle.

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• Le travail en équipe est rendu nécessaire par lacomplexité des opérations et la diversité descompétences. Il rend difficile l’évaluation desperformances individuelles.

• La redistribution de la population active, notam-ment son vieillissement et la part accrue de lamain-d’œuvre féminine, à tous les niveaux hiérar-chiques, modifie vraisemblablement les attentesindividuelles concernant le travail.

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Conclusion de la partie 1

Des récompenses « au mérite » à l’image de soi

Les modèles de motivation au travail fondés sur larécompense au mérite, ou, plus simplement sur l’idéeque le travail est motivé par des besoins à satisfaire,même s’ils apportent des schémas convaincants nesont, en fait, applicables que dans des situations deve-nues plus rares, lorsque « les objectifs sont clairs, qu’il ya beaucoup de récompenses disponibles, et qu’il est faciled’associer ces récompenses aux performances » (B. Shamir,1996). Même si certaines de ces situations existentencore et qu’elles justifient la mise en œuvre desrécompenses au mérite, il faut enrichir la liste de nosstratégies motivationnelles et tenir compte desnouvelles situations de travail.

Peut-être devrions-nous mieux poser la question. Aulieu de chercher ce qui motive les gens à travailler, ilfaut se demander ce que nous sommes motivés à faire.Par exemple, comme le précise Christine Doyle(2003), quelqu’un qui fait un travail qui lui déplaîtn’est pas motivé à travailler, il souhaite seulement

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gagner l’argent nécessaire à sa famille, donc quicorrespond à son identité de mère ou de père defamille, mais pas à son identité professionnelle. Si onlui propose plus d’argent pour travailler plus, cettepersonne le fera probablement, toujours pas parce quele travail la motive, mais parce qu’elle souhaite gagnerplus d’argent.

Pour continuer à suivre l’analyse que propose Chris-tine Doyle, il y a donc deux raisons principales etdifférentes de travailler, et il est vraisemblable que laseconde devienne plus fréquente dans le mondeactuel :

• Le travail peut être un moyen de satisfaire desbesoins qui sont importants pour nous, mais qui nesont pas directement liés au travail et qui passentpar un échange entre récompenses et travailaccompli.

• Ou bien l’activité de travail elle-même peut corres-pondre à ce que nous valorisons, c’est-à-dire à cequi est important dans notre identité, et, dans cecas, nous le ferons avec motivation, même sansrécompense. C’est sûrement vrai de nombreusesactivités bénévoles, et aussi, par exemple, de laparticipation à des activités sportives non profes-sionnelles et des travaux ménagers.

Revenons au travail salarié. Le chapitre 1 a montréque la signification et la valeur du travail ont profon-dément, et à plusieurs reprises, changé dans le passé.Le chapitre 2 a décrit comment l’accroissement de lacompétition internationale impose d’adapter enpermanence produits et services, il a aussi montré quela rapidité du progrès technique périme rapidement

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les processus de production et la méthodologie desservices et que l’accès facile à une quantité énormed’informations force à s’adapter de manière rapideaux contraintes du marché. Il a montré également quele modèle hiérarchique qui implique que les cadresaient la charge de résoudre les problèmes et attendentde leurs collaborateurs qu’ils soient des exécutantspassifs disparaît progressivement. Les organisationsont donc de plus en plus besoin de personnel suscep-tible de prendre des initiatives efficaces, à tous lesniveaux. De ce fait, l’esprit de décision, l’imagination,la créativité sont des qualités importantes, même enbas de l’échelle hiérarchique. En d’autres termes, leprogrès technologique et la compétition internationalecentrent les objectifs de la motivation sur des compé-tences et sur des comportements nouveaux, et moinssur le respect de règles durables que sur les qualitésd’initiative, moins sur la docilité passive que sur lamise en œuvre et le développement des qualitéspersonnelles. Dans des structures organisationnellesdifférentes, chacun a la charge de faire face à desincertitudes, voire à des crises, alors que dans le passé,ces responsabilités étaient le fait de l’encadrement dehaut niveau. Autrement dit, on recherche bien moinsdes personnes passives et obéissantes, motivées seule-ment parce qu’elles reçoivent en échange de leurtravail, que des personnes impliquées, pour qui letravail a une signification personnelle. Bref, lesressorts de la motivation ont changé, peut-être paspour tous, mais pour beaucoup.

La source de la motivation peut donc toujours être(mais de plus en plus rarement) ce qu’on échangecontre le travail, ou (de plus en plus souvent) le travail

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lui-même qui représente alors un facteur potentiel demotivation à condition de correspondre à l’image quenous avons de nos compétences et de notre rôle social,image que nous souhaitons défendre, actualiser etaméliorer. Beaucoup de modèles théoriques, justifiantdes stratégies précises, ont été consacrés aux motiva-tions par les récompenses, qui constituent la premièreéventualité (C. Lévy-Leboyer, 2006). Mais ce n’estque récemment qu’on s’intéresse à une source demotivation directement tirée de l’exercice même dutravail, des responsabilités et du rôle social qu’ilimplique.

Gérer les motivations par l’intermédiaire des récom-penses accordées au travail exécuté ne pose pas dedifficultés majeures, même s’il faut connaître la hiérar-chie des besoins à satisfaire, s’il faut savoir les identi-fier pour des populations différentes, et même si leurrépartition et les conditions de leur attribution posentdes problèmes parfois délicats. Mais les processuspsychologiques impliqués lorsqu’on tente de mobiliserles sources « internes » de la motivation sont pluscomplexes parce qu’ils mettent en jeu ce paramètrepsychologique qu’est l’image de soi, sa genèse et sescomposantes, aussi bien que les différents environne-ments socioculturels et les valeurs qu’ils véhiculent.

Mieux comprendre comment se construit la motiva-tion interne, comment elle se rattache à l’image de soiet comment interviennent dans ce processus, nonseulement nos valeurs personnelles, mais égalementles valeurs culturelles qui caractérisent la société oùnous vivons, constitue l’objectif de la seconde partiede cet ouvrage.

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Références citéesDoyle C., Work and organizational psychology, Psycho-

logy Press, Hove, East Sussex, 2003.

Lévy-Leboyer C., La motivation au travail, Éditionsd’Organisation, 2006.

Shamir B., « Meaning, self and motivation in organi-zations », in Steers R., Porter L. W. et Bigley G. A.,Motivation and leadership at work, McGraw, 1996.

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Partie 2

Environnement social, image de soi et motivation

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Chapitre 3

Valeurs culturelles et motivation

Être motivé, c’est consacrer des efforts significatifs àl’accomplissement d’un objectif précis. Et il ne fautpas confondre la motivation avec l’énergie et le dyna-misme personnel. Énergie et dynamisme sont descaractéristiques individuelles stables qui déterminentle comportement, alors que la motivation n’est pasune qualité fondamentale, présente quelle que soitl’activité, quel que soit l’environnement et susceptiblede différencier les individus entre eux. La preuve enest : lorsqu’une même personne peut être motivéepour une activité mais pas pour une autre. Et ce n’estpas non plus l’effort nécessaire qui détermine lamotivation : on peut être prêt à s’entraîner en vued’une compétition sportive exigeante, mais ne pas êtremotivé pour exécuter un travail facile.

Il faut probablement poser la question à l’envers. Et,au lieu de chercher à comprendre qui est motivé, sedemander ce qui rend une activité motivante. C’est lefait qu’elle ait une valeur pour nous et il y a beaucoup

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de raisons possibles à cela. Certes, dans le cas dutravail, et, de manière générale, de l’activité profes-sionnelle, la première source de motivation, celle queA. Maslow place à juste titre au sommet des priorités,est constituée par la satisfaction des besoins physiolo-giques, en d’autres termes, par ce qui nous permet desurvivre – nourriture, vêtements, logement… Maisune fois ces besoins vitaux satisfaits, et parfois mêmeavant, d’autres priorités se font jour et déclenchent nosmotivations. Cette manière d’envisager les ressorts de lamotivation comme une liste de besoins à satisfaire,conduit à ne mettre l’accent que sur les perceptions etles représentations individuelles de l’environnement,sans tenir compte des normes collectives qui gouver-nent les attitudes face à cet environnement et quiinfluencent les objectifs que chacun va chercher àatteindre. Cela conduit forcément à élaborer des stra-tégies motivationnelles centrées sur les facteurs indivi-duels, comme les plans de récompense et mêmel’enrichissement des postes de travail.

Se limiter aux facteurs individuels de la motivationrevient à détacher l’individu de son contexte social, et àsous-estimer notamment l’importance des valeurs cultu-relles comme déterminante de nos comportements.

En quoi ces normes partagées influencent-elles lesprocessus motivationnels ?

• En premier lieu, l’identité personnelle est struc-turée par le processus de socialisation qui transmetla culture d’une génération à l’autre. Et noscomportements sont, à leur tour, déterminés parles valeurs que véhicule cette identité sociale.

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• En second lieu, ce que nous cherchons à obtenir,en particulier par nos comportements dans les acti-vités de travail, est également tributaire des valeursculturelles.

Ainsi, dans les cultures collectivistes comme au Japon,c’est l’appartenance au groupe, son approbation et toutce qui fortifie l’insertion de l’individu dans son contextesocioprofessionnel qui motivent les comportements, alorsque, dans les cultures individualistes, comme la nôtre,c’est avant tout les paramètres individuels qui caractéri-sent chacun d’entre nous.

Tenir compte des singularités culturelles est particuliè-rement important à un moment où la globalisation del’économie rend nécessaire une approche diversifiée dela gestion des ressources humaines. Une autre raisonimpose de prendre en compte ces différences. Lesrecherches sur la motivation et sur l’efficacité des diffé-rentes stratégies motivationnelles ont été élaboréesdans des pays économiquement développés et, pour laplupart, dominés par une culture individualiste ; ce quipose problème quant à la possible généralisation deleurs conclusions à une époque où la globalisation del’économie mondiale, la multiplication des entreprisesmultinationales et l’immigration des travailleurs d’unerégion à l’autre du globe mettent en question la possi-bilité d’appliquer dans des contextes sociaux différentsles mêmes stratégies motivationnelles.

En fait, une réelle parenté unit besoins à satisfaire etvaleurs à respecter, qu’il s’agisse de valeurs culturelles,transmises par notre environnement national, ou devaleurs personnelles, transmises par le groupe familialou développées au fil de nos expériences. Des rela-tions étroites entre besoins et valeurs se tissent au

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niveau des représentations cognitives, et les valeurssont les représentations cognitives des besoins. Ellesexigent la présence de processus conscients dont seulsles êtres humains sont capables, et elles correspondentà l’idée selon laquelle certains comportements etcertains objectifs sont préférables aux autres. Lesvaleurs permettent donc d’exprimer les besoinshumains qui guident l’action. Certaines valeurs sont« terminales » comme la paix, la liberté ou encorel’égalité, et d’autres sont « instrumentales » commeêtre ambitieux, sociable ou encore coopératif. De cefait, ce sont les valeurs qui servent de connexion entreles besoins, les objectifs et les intentions dans laséquence motivationnelle.

Cette séquence comporte six étapes :

• des besoins aux valeurs ;

• des valeurs aux objectifs ;

• des objectifs aux intentions ;

• des intentions aux performances ;

• des performances aux récompenses ;

• puis, quand elles sont obtenues, des récompensesaux satisfactions.

Et les besoins ne peuvent pas se transformer en objec-tifs s’ils n’ont pas une représentation cognitive sous laforme de valeurs.

Pourquoi ces valeurs culturelles ont-elles un impactimportant sur la genèse de la motivation au travail ?Parce que chacun d’entre nous fait partie d’une commu-nauté sociale qui partage les mêmes valeurs, et que cetteappartenance est un des fondements de l’identité

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personnelle. Il est donc essentiel de prendre en compte,non seulement les facteurs individuels mais aussi lesvaleurs collectives, notamment celles qui caractérisent laculture de notre pays, et d’analyser la manière dont ellespeuvent déterminer l’efficacité des stratégies motivation-nelles. Et, si on veut suggérer de nouvelles stratégiesmotivationnelles, il faudra tenir compte de ces caracté-ristiques, et par conséquent, bien comprendre ce quicaractérise les valeurs culturelles françaises.

La culture et les ressorts de la motivationLes attitudes culturelles que chacun d’entre nous aacquises par le processus de socialisation auquel il estexposé dès l’enfance sont d’importants déterminantsde nos comportements. Bien sûr, cela ne signifie pasque nous nous comportions tous d’une manièreconvenue. Mais face à une situation donnée, nousavons tendance à réagir d’une façon qui est cohérenteavec notre culture de référence. C’est probablementmoins vrai lorsque la situation a un caractère évident.

Par exemple, si la direction de votre entreprise décidede réduire l’effectif en supprimant le service auquel vousappartenez, la situation est claire et la réponse, indé-pendante des valeurs culturelles, mobilisera le groupeconcerné afin d’organiser une protestation collective.Mais si la gestion d’un service de vente impose unquota de chiffre d’affaires à chacun des vendeurs, uncomportement déterminé par l’individualisme verticalsera déclenché, c’est-à-dire que chacun travaillera poursoi, sans chercher l’appui du groupe, ce qui ne seraitprobablement pas le cas dans une culture collectiviste.

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Dans une situation ambiguë, le comportement indivi-duel diffère donc selon que la culture d’appartenanceest individualiste ou collectiviste.

Pour prendre un autre exemple, si le fait de partir envacances à une certaine date entraîne des difficultéspour les collègues, les collectivistes vont aménager encommun leur calendrier de vacances, et les individua-listes ne vont le faire que contraints et forcés.

Par ailleurs, les personnes qui utilisent habituellementune certaine référence culturelle ne se sentent pasconfortables quand il leur faut se comporter autre-ment, aussi développent-elles des habitudes decomportement cohérentes avec leur culture. Il estévident que ces dimensions culturelles sont destendances moyennes et que des individus peuvent s’enécarter plus ou moins si la situation l’exige. Maisl’appartenance à une culture implique que chacun deses membres adopte spontanément des comporte-ments conformes à cette culture et ne s’en écartequ’au prix d’un réel effort (H. Triandis, 1997).

Dans les sociétés qui ont une distance de pouvoirélevée, comme la société française, il y a souvent uneforte inégalité entre les salaires et autres rémunérationsainsi que dans les symboles de statut et, de manièreplus générale, entre les cadres et leurs subordonnés enmatière de qualité de la vie de travail. Dans les sociétésà culture individualiste et verticale, la différence entreles salaires des cadres supérieurs et ceux des employéspeut être considérable et le sentiment d’inégalité nonjustifiée est accru par l’importance des « parachutes »qui accompagnent le licenciement des cadres de trèshaut niveau. Dans tous ces cas, la gestion de la

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motivation repose sur l’équité perçue des récompensesindexées sur les performances. Et elle ne serait proba-blement pas acceptée dans d’autres cultures, notam-ment dans les cultures collectivistes qui refusent unsystème susceptible de créer une compétition entre lesmembres d’une même équipe ou d’un même service.

Individualisme et collectivisme

Les résultats de l’enquête, de Hofstede (1980) sur117 000 personnes travaillant pour IBM dans 66 paysdifférents ont permis d’identifier plusieurs facteurs quicaractérisent les valeurs culturelles partagées par lamajorité des personnes habitant et vivant dans cespays. La dimension la plus nette, et celle sur laquelle ilexiste actuellement le plus de recherches analysant sasignification et ses conséquences comportementales,concerne l’individualisme opposé au collectivisme.Une enquête récente, dirigée par Robert House(2004), qui a réuni plus de 80 chercheurs dans 62pays, a confirmé son importance. L’intérêt de cesétudes vient du fait que la conception des question-naires et l’analyse des résultats sont orientées vers lesvaleurs liées au travail.

Qu’est-ce que signifient ces deux concepts

Ils correspondent au fait de poursuivre des objectifsindividuels, ou, au contraire, de s’assigner des objec-tifs liés au groupe, ce qui donne aux activités de travailsoit un rôle de développement de l’identité indivi-duelle, soit une fonction essentiellement socialisante.Autrement dit, dans un cas, le travail est avant tout unmoyen de satisfaire des besoins individuels, dansl’autre cas, c’est surtout un vecteur d’intégration

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sociale, et les objectifs du groupe ont alors plusd’importance que les objectifs individuels. Lespersonnes qui sont socialisées dans une culture indivi-dualiste donnent une priorité au fait d’être indépen-dantes dans leur travail, c’est-à-dire de compter avanttout sur elles-mêmes, et d’avoir une réelle autonomiede décision. En outre, elles s’attendent à recevoir desévaluations portant sur leur contribution personnelle.À l’inverse, celles qui ont été socialisées dans descultures collectivistes se perçoivent avant tout commemembres d’un réseau de relations sociales. Elles cher-chent à souligner leurs similarités avec les autresmembres du groupe et utilisent des références collec-tives pour évaluer les situations et les comportements.

Dans les cultures collectivistes, le groupe profes-sionnel, ou même l’organisation, est utilisé par l’indi-vidu pour se décrire, plutôt que les caractéristiquesindividuelles (je suis « un EDF », « un postier », « ununiversitaire »). Les cultures collectivistes favorisentles normes et les règles qui fondent l’harmonie dans legroupe, et c’est la sécurité, le sens du devoir et lerespect des règles communes qui sont les valeursdominantes. Dans les cultures individualistes, on valo-rise au contraire la compétition, l’autonomie, l’égalitédes chances, ce qui a évidemment un impact fort surla signification du travail, comme sur l’efficacité desdifférentes sources de motivation. Dans les culturescollectivistes, chacun appartient à un très petitnombre de groupes auxquels il est fortement attaché,et pour lesquels il manifeste une réelle solidarité, alorsque les individualistes choisissent dans une gammeimportante de groupes celui ou ceux qui correspon-dent à leur profil personnel et sont prêts à changer de

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groupe de référence si la situation l’impose. Lespersonnes appartenant à une culture collectiviste ontun groupe stable auquel elles s’identifient, alors queles individualistes doivent faire de gros efforts pour sefaire accepter par différents groupes et cette affiliationest souvent remise en cause. En particulier, ils aban-donnent un groupe de référence quand celui-ci ne sertplus leurs objectifs. Les comportements sociauxvarient donc fortement en fonction de la positionculturelle sur l’une ou sur l’autre des valeurs indivi-dualisme/collectivisme.

Analyse comparative à l’échelle des pays

Les études comparatives entre des pays à forte culturecollectiviste et des pays individualistes mettent enévidence des différences qui concernent évidemmentla valeur attribuée à la réussite individuelle, mais aussià l’indépendance, au développement des compétenceset à la compétition, par opposition à la loyauté augroupe et à la coopération. En réalité, ces valeurscoexistent dans toutes les cultures, mais avec une forcerelative qui varie. Les pays les plus individualistes sontla France, les États-Unis et la Grande-Bretagne.D’une manière plus générale, les pays de l’Europe duNord et de l’Amérique du Nord sont ceux où la valeurindividualiste est centrale, alors que l’orientationcollectiviste caractérise, par exemple, les pays d’Asiede l’Est.

En outre, plusieurs points méritent d’être notés.

• D’abord le décalage entre terrains de recherche etsituation mondiale. La majorité des personnes dansle monde est socialisée dans une culture collecti-viste, alors que la plupart des recherches sur la

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signification du travail, sur les sources de motiva-tion et sur l’importance du travail dans la vie desindividus, sont faites par des spécialistes qui appar-tiennent eux-mêmes à des cultures individualisteset qui travaillent sur des échantillons de populationcaractérisés par les mêmes cultures.

• Ensuite, aucune société n’est homogène du pointde vue de l’importance de ces valeurs culturelles.Notamment, les catégories sociales les plus élevéesont des valeurs plus individualistes, les hommesplus que les femmes et les habitants des grandesvilles plus que les habitants de zones rurales(H. Triandis, 1997).

• Enfin, on ne peut manquer d’être frappé par le faitque la culture individualiste caractérise avant toutles pays déjà fortement industrialisés, alors que lespays actuellement dans une phase de développe-ment économique rapide comme la Chine s’indus-trialisent en s’appuyant sur une culture à orienta-tion plus collectiviste.

Il y a bien d’autres exemples de pays présentant desdifférences culturelles sur ce thème :

• La culture indienne donne une place centrale auxdifférences entre individus, attribuant ainsi un rôlesymbolique aux tâches que chacun a le droit et ledevoir d’accomplir.

• Dans la culture japonaise, au contraire, les règlesfondamentales interdisent de se différencier desautres, ce qui donne à la réussite professionnelleune place relative.

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• La culture israélienne a tendance à considérer lesrôles professionnels et les fonctions parentalescomme interchangeables.

Dans tous ces cas, et même si c’est pour des raisonsdifférentes, les compétences professionnelles consti-tuent la base de l’identité individuelle.

Les quelques exemples cités ci-dessus, même s’ils ontété décrits de manière succincte, montrent que letravail répond à des impératifs très différents selon lescultures, et que, par conséquent, la gestion de la moti-vation, l’intégration dans l’entreprise, la constitution etle bon fonctionnement des équipes obéiront à desvaleurs et à des règles très différentes. Et on ne peutpas stimuler la motivation de la même manière dansdes cultures qui mettent l’accent sur les valeurs indivi-dualistes, attribuent les performances aux efforts indi-viduels, et donnent de l’importance à la compétition etdans celles où ce sont les groupes qui reçoivent desobjectifs, qui sont considérés comme la source decréativité et qui sont jugés responsables des résultatsobtenus – la contribution de leurs membres étantavant tout liée à l’harmonie du groupe et au respectdes décisions collectives.

La France est un pays à culture fortement individua-liste, ce qui justifie l’attachement à la stratégie actuellepuisqu’elle consiste essentiellement à récompenserchaque individu en fonction du travail qu’il vientd’accomplir. Dans la mesure où, du fait des progrèstechnologiques décrits dans le chapitre précédent, lemérite de chacun devient difficile à évaluer objective-ment, il faudra trouver un moyen d’asseoir quandmême les motivations sur ce qui caractérise la culture

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individualiste de notre pays. L’alternative n’est sûre-ment pas de passer à une gestion collectiviste desmotivations, qui consisterait à récompenser les résul-tats du travail collectif, mais plutôt de chercher à fairecorrespondre l’activité professionnelle avec les valeursindividuelles et l’image de soi.

Deux autres dimensions culturellesimportantes

Deux autres valeurs sont également importantes parcequ’elles vont nous permettre de mieux mettre en reliefla singularité française. Il s’agit de la distance depouvoir qui caractérise les rapports entre différentsniveaux hiérarchiques, et plus généralement le degréd’inégalité dans la société et de l’évitement de l’incerti-tude qui gouverne les attitudes et les comportementsdevant les situations incertaines ou inconnues.

La distance de pouvoir

La distance de pouvoir concerne le degré d’inégalitéentre ceux qui ont du pouvoir (notamment les cadres)et ceux qui en ont moins, ou même qui n’en ont pas(notamment les travailleurs en bas de l’échelle hiérar-chique), et le fait de créer une distance, sociale etsymbolique, plus ou moins forte entre ces différentescatégories. Dans les sociétés à forte distance depouvoir, chacun des membres de l’organisationconnaît et respecte sa place dans la hiérarchie, utiliseet identifie les symboles de statut qui caractérisent sonniveau personnel et celui des autres. La distance depouvoir crée, en outre, lorsqu’elle est forte, le senti-ment d’être différent des autres, ce qui entraîne, pourles sociétés à forte distance de pouvoir, de mettre en

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évidence et d’encourager ce qui distingue les individusentre eux.

Les cultures qui soulignent les aspects identiques desindividus sont appelées « horizontales ». Elles impli-quent une notion d’égalité au sens où différents indi-vidus sont interchangeables. Au contraire, les sociétésà culture « verticale » soulignent les différences entreindividus et entre catégories sociales.

Avec l’Inde – où même si le système des castes a étéaboli, la culture de base continue à en tenir compte –et les pays arabes, la France fait partie des pays où ladistance de pouvoir est forte et les différences entrepersonnes de statut différent fortement marquées. Unexemple facile à observer concerne les attributs liés àla fonction de cadre ou de hiérarchique de haut niveaudans la fonction publique : cantine, place de parkingréservée, décoration des bureaux… Cette caractéris-tique française n’est pas sans influence sur la gestionde la motivation. En particulier, elle rend plus difficilele fait, pour l’encadrement, de donner de l’autonomieet de déléguer des décisions, même si ses collabora-teurs possèdent les compétences nécessaires.

La complexité croissante des technologies jointe àl’accès élargi aux informations contraint à repenser lanature et l’exercice de la distance de pouvoir. L’auto-rité hiérarchique dans les organisations ne peut pluss’appuyer, comme cela a été longtemps le cas, sur lefait pour l’encadrement d’être capable d’accomplir cedont chacun de ses collaborateurs est chargé. Il faudrafaire accepter une distance de pouvoir plus flexible etfondée sur les compétences individuelles, indépen-damment du rang dans la hiérarchie, en rendant

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chacun plus conscient de la réalité et de l’importancede ses compétences personnelles. C’est d’ailleurs cequi se passe dans les organisations qui remplacentprogressivement les hiérarchies pyramidales par desstructures matricielles, essentiellement constituéesd’équipes sans rapport hiérarchique entre elles, et quisont dissoutes lorsque leur objectif est atteint. Leresponsable d’une équipe de projet a le pouvoir, dansla mesure où il possède les compétences requises parle projet, et aussi longtemps que l’objectif n’est pasatteint.

L’évitement de l’incertitude

Le fait d’éviter l’incertitude se traduit par des règlesprécises et des comportements rituels. Les personnesappartenant à des cultures qui évitent l’incertitude ontdes principes clairs, sont peu tolérantes et les règlesqui régissent les organisations auxquelles elles appar-tiennent sont peu flexibles. En revanche, les culturesqui tolèrent l’incertitude sont moins formelles etacceptent des règles plus souples. La France fait partiedes pays qui évitent l’incertitude, à la différence, parexemple, du Danemark et de la Suède.

L’évitement de l’incertitude a d’autres conséquences :l’attachement à la séniorité comme facteur de promo-tion en fait partie, ce qui peut être une réelle source deproblèmes à une époque où, comme on l’a noté dansle chapitre 2, le développement des carrières se fait deplus en plus en fonction de l’acquisition de nouvellescompétences. C’est dire que les carrières fondées surla séniorité impliquent moins d’effort individuel etreposent sur l’accumulation d’expériences homo-gènes. Il n’est donc pas étonnant de constater que

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l’évitement de l’incertitude est négativement corrélé audésir de réussir, probablement parce que l’ambitionprofessionnelle suppose la prise de risque, donc uneattitude active devant les situations dont l’issue n’estpas totalement prévisible. En d’autres termes, cettevaleur culturelle rend probablement une majorité destravailleurs de notre pays méfiante devant la recherched’expériences nouvelles, dont l’issue est peut-êtreincertaine, mais qui constitue de plus en plus un impé-ratif à une époque de progrès technologique rapide etde globalisation de l’économie.

Même si cette valeur culturelle qui caractérise laFrance n’intervient pas directement sur le dynamismedes motivations, il faut souligner qu’elle va àl’encontre du développement, aujourd’hui très néces-saire, de l’initiative.

Contexte culturel et efficacité des stratégies motivationnelles Il est possible, à partir des descriptions qui précèdent,de préciser comment l’efficacité des stratégies motiva-tionnelles dépend du contexte culturel. Ainsi, l’enri-chissement des tâches, qui consiste à rendre le travailplus significatif, peut être adapté aux tâches indivi-duelles, ou bien être géré au niveau du groupe, respec-tant ainsi aussi bien les cultures individualistes quecollectivistes. En revanche, la plupart des actions demanagement visant l’amélioration de la qualité repo-sent sur des équipes et s’adaptent mal aux culturesindividualistes. Elles n’ont de chance d’être efficacesdans ces cultures que si le dispositif permet à chaqueindividu de se sentir personnellement responsable et si

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les efforts individuels comme les efforts collectifs sontl’objet de récompenses. C’est la façon dont sont gérésles cercles de qualité au Japon (M. Erez, 2005).

Cet exemple japonais montre bien que toute stratégiemotivationnelle doit être adaptée à la culture nationale.De la même manière, la participation aux décisionsn’a pas toujours et partout d’effet motivateur. Dans lescultures collectivistes et à faible distance de pouvoir,c’est le fait, pour la hiérarchie, d’imposer des objectifssans aucune participation aux décisions qui détruit lamotivation. Mais dans les cultures individualistes et àforte distance de pouvoir, comme la France, le respectculturel de la hiérarchie fait accepter les objectifsimposés mieux que dans les cultures individualistes età faible distance de pouvoir (M. Erez, 1997).

Toutefois, il faut tenir compte du fait que même si lescultures diffèrent, il y a des sources de motivation quitraversent les frontières, parce que certains besoinshumains sont universels. C’est le cas de tout ce qui peutconforter l’estime de soi, de ce qui peut renforcer etpréciser le sentiment d’efficacité et de ce qui construit lacohérence de l’image de soi. Toutefois, la force relativede ces différents besoins et la nature des moyens misen œuvre pour les satisfaire sont bien fonction de laculture dominante.

Comment s’opère cette influence des valeurs cultu-relles sur les comportements ? Hofstede (1980) utilisela métaphore de la culture comme le « software del’esprit ». Le hardware est universel et nous l’utilisonstous. Mais le software fait interpréter les informationsdifféremment en fonction de sa culture. Par exemple,l’évaluation de la performance de chacun sera perçue

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positivement par les membres des sociétés individua-listes et négativement par les membres des sociétéscollectivistes parce qu’il s’agit d’une démarche quicontredit le concept de travail en équipe, où la perfor-mance est perçue comme le résultat de l’effortcommun. Les comportements au travail sont doncfonction à la fois des valeurs culturelles et du type destratégies motivationnelles. Ces deux aspects intera-gissent avec des conséquences sur les régulations del’image de soi et de l’identité (P.C. Earley, 1994).

On peut retenir que, en règle générale, la structure demotivation des personnes appartenant à une cultureindividualiste met l’accent sur les droits individuels etsur les succès personnels, plutôt que sur les succès dugroupe d’appartenance. Cela implique que les objec-tifs des membres de cultures individualistes serontrelativement hétérogènes, qu’ils vont rechercher despostes de travail comportant des défis, donc unereconnaissance personnelle, avec des buts personnels.

Encourager les sources de motivation interneLes valeurs culturelles représentent des déterminantsimportants de nos comportements professionnels.Toute stratégie motivationnelle devra donc en tenircompte. On ne peut pas, pour gérer la motivation, etdans le cas présent, pour échapper à la démotivation,tourner le dos à nos valeurs culturelles et mettre enœuvre des stratégies qui seraient fondées sur desvaleurs différentes. En d’autres termes, importer unestratégie motivationnelle sous prétexte qu’elle a étéefficace ailleurs risque de décevoir. Et il est peu vrai-

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semblable que des stratégies identiques aident àreconstruire la motivation dans des secteurs et à desniveaux hiérarchiques différents. La mixité culturellequi caractérise de plus en plus la population activerend le tableau encore plus complexe.

Comment dépasser ce constat ? En France, et jusqu’àmaintenant, ce sont surtout les récompenses fondéessur les performances qui ont été utilisées. Autrementdit, des sources de motivation externes. Elles permet-tent, en effet, d’utiliser des stratégies motivationnellescohérentes avec notre culture individualiste, qu’ils’agisse de récompenses individuelles avec un diffé-rentiel de salaire élevé, de systèmes de prises de déci-sion hiérarchiques exécutées dans une structure claired’autorité et de responsabilité, ou encore de promo-tions fondées sur le mérite individuel.

Par ailleurs, les conditions de travail actuelles, tellesqu’elles ont été décrites dans le chapitre précédent,rendent difficile la gestion objective des récompensesindividuelles, et d’une manière générale, de toutes lesstratégies motivationnelles qui reposent sur la mise enœuvre d’une source de motivation externe. On peut enrappeler les raisons : la difficulté à isoler de manièrefiable les contributions individuelles et le fait que lamajorité des résultats suppose soit un travail enéquipe, soit l’appel à des compétences multiples. Enoutre, les qualités d’initiative, de créativité et la capa-cité à prendre des responsabilités sont devenues plusimportantes que la docilité vis-à-vis de la hiérarchie etle respect des règles. Encourager initiatives et respon-sabilité, c’est stimuler les ressources personnelles,l’autonomie et la prise de décision personnelle.

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Si on veut lutter contre la démotivation actuelle, il fautdonc probablement se tourner vers les sources demotivation « interne », celles qui sont fondées sur letravail lui-même, sa correspondance avec les valeursculturelles et avec l’image de soi. Mais, pour avancerdans cette voie, il faut mieux comprendre la genèse del’image de soi et de l’identité personnelle et leur rôledans la construction de la motivation. C’est l’objet duchapitre suivant.

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Références citéesErez M., Earley P. C., Culture, self-identity, and work,

Oxford University Press, 1993.Erez M., « A culture based model of work motivation »,

chapitre 8 in Earley P. C. et Erez M., New perspecti-ves on industrial/organizational psychology, Pfeiffer& Company, 1997.

Erez M., Toward a model of cross-cultural industrial andorganizational psychology, chapitre 11, in H. Triandis,M. D. Dunnette, L. M. Hough, Handbook of industrialand organizational psychology, 2e édition, vol. 4, Con-sulting Psychologistes Press, Palo Alto, California, 1994.

Hofstede G., Culture consequences, Sage, 1980.House R.I., Hanges P. J., Javidan M., Dorfman M.,

Gupta P. W., Culture, leadership and organizations: theglobe study of 62 societies, Sage Publications, 2004.

Lévy-Leboyer C., La motivation au travail, Éditionsd’Organisation, 2006.

Maslow A.H., Motivation and personality, New York,Harper and Row, 1954.

Shamir B., « Meaning, self and motivation inorganisations », in Steers R., Porter L. W., etBigley G.A., Motivation and leadership at work,McGraw, 1996.

Triandis H., « Culture theory and the meaning ofrelatedness », chapitre 2 in Earley P. C. et Erez M.,New perspectives on industrial/organizational psycho-logy, Pfeiffer & Company, 1997.

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Chapitre 4

Image de soi et motivation

Pendant longtemps, l’échange entre un travail et cequ’on va gagner pour l’avoir exécuté a paru être labase d’un modèle de motivation au travail qui justifieles stratégies fondées sur la nature et l’importance desrécompenses. De fait, de nombreuses recherches ontpermis de mieux comprendre ce qui module l’effica-cité du lien entre récompense et performance(C. Lévy-Leboyer, 2006). Mais toutes ont misl’accent sur les facteurs cognitifs de la motivation,c’est-à-dire sur les processus de traitement de l’infor-mation qui déterminent la manière dont sont perçuesla tâche et ses exigences, ainsi que la récompense, sanature et ses conditions. En d’autres termes, ces stra-tégies motivationnelles et l’analyse de leurs modesd’action ont isolé le couple individu/récompense deson passé et de son contexte social. Cela conduit ànégliger les caractéristiques de l’environnement et àlimiter les paramètres individuels aux besoins à satis-faire, omettant ainsi les normes personnelles liées àl’image de soi.

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Pourquoi s’intéresser à l’image de soi ?L’image de soi (ou self concept) est constituée parl’ensemble des affirmations faites explicitement, ouimplicitement, par une personne à son sujet. C’estl’utilisation des mots « je » et « moi » dans les affirma-tions employées pour décrire les attitudes, les inten-tions, ainsi que les rôles et les valeurs qui caractérisentchacun d’entre nous (H. Triandis, 1997). Ces caracté-ristiques sont fonction aussi bien de l’expériencepersonnelle que des évaluations apportées par lesautres, donc de l’environnement social. C’est, au total,la représentation que chacun d’entre nous a construitede sa personnalité, de son identité et de son rôle social(M. Erez et P.C. Earley, 1993).

L’observation quotidienne nous montre en effet quenos comportements ne sont pas automatiquement,voire passivement, gérés par la satisfaction de nosbesoins. Des règles morales influencent nos conduites.Et nous avons une hiérarchie personnelle de priorités,fondées sur nos valeurs personnelles. D’un point devue cognitif, comme d’un point de vue affectif, voirenormatif, il y a des activités que nous sommes prêts àfaire sans récompense monétaire, et d’autres que nousn’accepterons pas, quelle que soit la récompense. Lestâches professionnelles, qui nous intéressent ici, sedéroulent dans un cadre social. Nous sommessoucieux de l’image que nous donnons aux autres etdu respect des valeurs qui nous caractérisent, etparfois nous différencient des autres. Aussi défen-dons-nous l’image que nous voulons donner auxautres et cherchons-nous à la conforter en adoptant

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des comportements qui lui correspondent. L’image desoi est donc une source de motivation importante etindépendante de la satisfaction de nos différentsbesoins.

L’image de soi a deux aspects : un aspect interne, quicorrespond à peu près à la voix de la conscience, et unaspect externe, la face qu’on veut présenter aux autres– la signification symbolique de nos actions dans uncontexte social donné. L’image qu’on donne auxautres a elle-même deux composantes, fondées surnos propres valeurs et sur les normes correspondant ànotre fonction dans une structure sociale donnée. Lesrègles morales qui font partie de l’image de soi sont lerésultat de la socialisation qui nous a enseigné ce quiest permis et ce qui est interdit dans la société où nousvivons. Ces règles sont un élément fondamental de lavie en société. Même si des règles différentes caracté-risent des cultures différentes, elles ont toutes uncaractère relativement stable et elles correspondentaux valeurs culturelles. En revanche, l’autre aspect del’image de soi, celui qui nous concerne plus personnel-lement et qui est le fruit de l’expérience, peut changerà mesure que les rôles et les fonctions changent decontenu et de statut.

Ces différents aspects sont d’importantes sources demotivation :

• D’une part, parce que nos comportements tendentà respecter les règles morales qui font partie denotre identité sociale, ainsi que les valeurs qui leursont attachées.

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• D’autre part, parce que nous nous comportonsconformément aux attributs de notre rôle profes-sionnel, tels que nous les concevons.

Dans les deux cas, nous cherchons à donner par noscomportements une image de nous-mêmes conformeaux règles morales que nous avons acquises etconforme aussi au rôle socioprofessionnel qui nousconcerne.

Quel est le rôle de l’image de soi dans la genèse des motivations ?Le self concept mobilise la motivation à agir, mêmedans des conditions de travail où les objectifs ne sontpas clairs, où les récompenses externes sont jugéesinadéquates, ou encore lorsque le lien entre effortindividuel et performance est affaibli parce que laperformance est fonction de facteurs sur lesquelsl’individu n’a pas d’impact (B. Shamir, 1996). Autre-ment dit, le rôle motivateur de l’image de soi est indé-pendant des conditions de la motivation « externe ». Ilintroduit, en effet, dans le processus motivationnel, lesvaleurs et le sens d’obligation morale qui donnent unesignification personnelle à la situation.

On peut ainsi citer l’exemple du personnel paramédical,souvent mal payé avec des conditions de travail stres-santes, mais qui reste motivé parce que cela correspondà son image de soi et à sa représentation de l’impor-tance de son rôle professionnel. Mais, s’il en vient àconsidérer que ses conditions de travail ne lui permet-tent plus de fournir une performance qui correspond àses valeurs, il est probable qu’il démissionnera.

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On comprend mieux, et l’importance de l’image de soiet la complexité de son rôle dans le processus motiva-tionnel, en énumérant les points suivants qui rappel-lent où et comment elle intervient :

• La représentation de soi est composée de diffé-rentes identités qui sont plus ou moins importantespour nous. Et nous cherchons activement des occa-sions de réaliser ces identités.

• Les êtres humains ne sont pas seulement mis enmouvement par des objectifs matériels à atteindre.Leurs comportements sont aussi déterminés pardes attitudes, des valeurs et des sentiments et, enmême temps, ces comportements représentent unemanière importante d’exprimer ces attitudes et cessentiments.

• L’image de soi a une composante cognitive qui faitl’objet d’une évaluation par chacun d’entre nous. Etnous espérons tous pouvoir développer et conforternotre « estime de soi » et le sentiment de notrevaleur – valeur et estime qui sont tributaires denotre culture et de nos exigences personnelles.

• Nous cherchons à protéger ce que nous percevonscomme la cohérence de notre propre image, grâceà une continuité de comportements et d’attitudesdans le temps, c’est-à-dire entre le passé, le présentet l’avenir. En d’autres termes, nous tentons cons-tamment de valider notre représentation de nous-même.

• Le comportement n’est pas toujours associé à desobjectifs clairs et spécifiques. Il peut être motivépar des rêves qui nous mettent en mouvement etqui correspondent à notre échelle de valeur,

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comme, la protection de la planète, la disparitionde la pauvreté dans le monde…

L’image de soi est donc à la fois le résultat et lemoteur d’une triple dynamique qui cherche à utilisertoutes les opportunités pour renforcer les informa-tions positives sur soi, pour définir et promouvoir lesarguments qui démontrent ses compétences, et pourmaintenir une perception cohérente de soi-même(M. Erez et P.C. Earley, 1993). Ce qui signifie quel’aspect social de notre identité est tributaire desgroupes de référence avec lesquels nous sommes encontact dans les situations sociales. Ces différentsaspects de notre identité nous apportent une série denormes qui déterminent nos comportements. Noussommes ainsi motivés par ce qui a de la valeur dans lasociété dans laquelle nous vivons. La motivation estdonc fortement tributaire de la culture qui domineautour de nous, et elle est orientée par la recherche dece que la société valorise, et de ce qui a de la valeurpour chacun d’entre nous.

La fonction de l’image de soi peut être observée dansde nombreux comportements de la vie quotidienne,qu’il s’agisse, ou pas, de travail.

On contribue à une action charitable ou encore onachète un produit fabriqué dans son pays plutôt que leconcurrent venant de l’étranger parce que cela corres-pond à notre conception de la solidarité. On fait desheures supplémentaires, même peu rémunérées, parceque le service ainsi rendu nous donne le sentiment d’êtreutile aux autres. Le gérant d’un immeuble retarde l’expul-sion d’un locataire qui n’a pas payé son loyer parcequ’il sait qu’il s’agit d’une personne qui a eu un deuilrécent.

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Bref, nos valeurs, les normes que nous avons inté-grées, souvent sous l’influence du contexte social, ontun impact sur nos comportements, et les différencientdes comportements que d’autres personnes adopte-raient dans les mêmes situations, parce qu’elles ontdes normes sociales différentes.

Comment se construit l’image de soi ?Plusieurs processus, mettant en cause des paramètresdistincts, contribuent à la construction de l’image desoi (M. Erez et P.C. Earley, 1993).

Le profil d’efficacité

Toute activité, professionnelle ou pas, donne l’occa-sion d’évaluer ses compétences, ce qui contribue à ladéfinition de son « profil d’efficacité ». Ce sentimentd’être efficace pour une activité donnée peut venir del’auto-évaluation de sa performance, ou, mieuxencore, de l’évaluation faite par d’autres : supérieurshiérarchiques, clients, personnes à qui on fournit unservice… La comparaison de ses résultats avec cequ’on peut juger du résultat des autres contribue aussiau sentiment d’efficacité. Le rôle de « l’expériencevicariante » (apprentissage par imitation d’un modèlequ’on observe, ou qu’on a eu l’occasion d’observer)est plus subtil : le simple fait de constater le succèsd’autres qu’on juge semblables à soi accroît le senti-ment de sa propre compétence. La persuasion verbaleaussi, qui met en jeu l’environnement social, peutconvaincre quelqu’un qu’il possède les compétencesrequises. Par ailleurs, la motivation est stimulée

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lorsqu’on confie à quelqu’un une responsabilité qui estsupérieure à son efficacité reconnue, parce que celaconfirme un meilleur niveau d’efficacité et lui donne lavolonté de répondre à la confiance qui lui a été faite.

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les objec-tifs sont d’autant plus motivants qu’ils sont difficilesà atteindre, précisément parce que se voir confierune tâche difficile renforce le sentiment d’efficacitéet stimule donc la motivation (E.A. Locke etG.P. Latham, 1990). Et l’inverse est vrai : les missionstrop faciles découragent dans la mesure où ellesmenacent le « profil d’efficacité ». La surqualificationactuelle de diplômés qui ne trouvent pas un travailcorrespondant à leurs attentes est une des explicationsde la démotivation ambiante.

L’effet de groupe

Dans les cas précédents, c’est l’identification descompétences individuelles qui est en cause. Mais ilfaut aussi tenir compte de l’importance de l’identifica-tion des compétences du groupe par ses membres, enparticulier dans les cultures collectivistes où le travailen équipe et la perception de l’efficacité de l’équipeoccupent une position centrale. La complexité actuelledes tâches et des missions a multiplié les activités quine peuvent se faire qu’en équipe. Dans une cultureindividualiste comme la nôtre, l’évaluation du rôlejoué par ses compétences par rapport à celles dugroupe participe à la motivation de chacun à coopérerefficacement avec les autres membres de l’équipe.

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La cohérence de l’image de soi

L’image de soi fait partie de notre identité et nousavons besoin de la défendre. C’est parce que l’imagede soi est cohérente qu’il est possible d’interpréter etd’intégrer les nouvelles expériences et de se comporterconformément aux valeurs impliquées par l’identitésociale. Cette cohérence explique la continuité de nosschémas de motivation, même en cas de changementde poste ou de fonction et également la manière dontseront interprétés nos succès et nos échecs, en fonc-tion du nécessaire sentiment de continuité et de stabi-lité.

Le besoin d’autodétermination

Il ne s’agit en aucune façon du désir de contrôlerl’environnement, mais d’un souhait d’autonomie,c’est-à-dire de pouvoir identifier sa contribution auxrésultats obtenus. Le désir d’autonomie active aussibien les effets des stratégies de motivation intrinsèque,que ceux des stratégies de motivation extrinsèque.D’une certaine manière, l’autonomie permet dechoisir les sources de motivation que nous voulonssatisfaire : les « récompenses » externes ont de la valeurpour nous ou de la valeur que nous attribuons directe-ment au travail dont nous sommes chargés. Si letravail n’implique aucune possibilité d’autodétermina-tion, ou encore si la situation est perçue comme nouséchappant totalement, la démotivation s’installe avecle découragement (E.L. Deci et R.M. Ryan, 1985).

L’estime de soi

Le travail, les fonctions professionnelles, les évalua-tions formelles et informelles auxquelles elles donnent

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lieu sont des sources importantes de l’estime de soi.Chacun intègre les informations qui lui sont acces-sibles et les interprète, le plus souvent de manièrepositive, ce qui signifie que nous retenons de préfé-rence les informations susceptibles de renforcer notreestime de soi. Cette construction de l’estime de sois’inscrit dans un développement général de l’identitépersonnelle qui consiste à chercher activement desactivités qui seront significatives parce qu’elles s’intè-grent dans le tableau général de nos compétences oude nos intérêts (E.L. Deci et R.M. Ryan, 1985).

La motivation est liée à l’image de soi

L’image de soi au regard des valeurs culturelles

L’efficacité des différentes stratégies de managementest tributaire de leur contribution à l’estime de soi, àl’évaluation de ses compétences et à la cohérence del’image de soi. Mais il ne faut pas oublier que cesdifférents critères sont, eux-mêmes, appréciés enfonction des normes culturelles et personnelles.Notamment, dans les cultures qui défendent desvaleurs collectivistes, les techniques de managementqui renforcent la contribution de l’individu au groupesont les plus efficaces. Et c’est le contraire, la mise enévidence de la contribution individuelle, qui est effi-cace dans les cultures individualistes comme la nôtre.Même si le rôle de l’image de soi, sous tous sesaspects, existe partout, aucune analyse de la motiva-tion ne peut se dispenser de prendre en considérationla culture du pays concerné.

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Les valeurs culturelles servent donc à apprécier lasignification des stratégies motivationnelles, ainsi quecelle des résultats du travail. Elles impliquent desopinions concernant les modes de comportementpréférables, opinions qui, dans le cas des valeursculturelles, sont partagées par une majorité. Et lessources de motivation mises en œuvre par le manage-ment font l’objet d’évaluations positives quand ellescorrespondent aux valeurs culturelles. Par exemple, sila culture prône avant tout la solidarité entre collègues,une demande de la hiérarchie qui souhaite que chacunsignale les comportements contre-productifs de sescollègues sera mal accueillie. Si c’est le contraire, cequ’on nomme délation ailleurs sera considérée commeune contribution à l’efficacité collective du travail.

C’est le cas de la culture anglaise. Ainsi, on peutsouvent voir au dos des voitures et des camions une invi-tation à signaler un conducteur incompétent ou non res-pectueux des règlements, invitation accompagnée parun numéro de téléphone. Le civisme consiste alors à pro-téger la communauté contre le comportement déviantd’un individu et non à faire preuve de solidarité à sonégard.

Même si, dans les descriptions précédentes, la motiva-tion n’a pas été toujours directement évoquée, elleapparaît comme liée à l’image de soi, comme condi-tion, comme cause, ou encore comme conséquence.

Sentiment d’efficacité et motivation sont indissociables

Avoir le sentiment d’être efficace, ou pour employerun concept plus actuel, posséder les compétencesnécessaires motive pour effectuer ce pour quoi on se

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croit efficace. Et l’inverse est aussi vrai. Sans confianceen soi, on a peu d’ardeur à se consacrer à une tâchequ’on ne pense pas pouvoir maîtriser. En outre, larelation entre sentiment d’efficacité et motivation estdynamique. Le fait d’avoir bien fait un travail qui vousa été confié accroît la confiance en soi et le sentimentd’efficacité, peut-être même au-delà de la tâche spéci-fique. Et conforter l’image de soi, dans des situationset pour des challenges nouveaux est aussi une sourcede motivation. La force et la clarté de notre identitéreprésentent un aspect important de notre équilibre.C’est pourquoi nous cherchons aussi bien à confirmeret à élargir notre profil de compétences qu’à expliciteret utiliser les valeurs culturelles et personnelles quiconstituent le fondement de l’image de soi. La mêmedynamique est également vraie en ce qui concernel’estime de soi qui se construit au fil des expériencesprofessionnelles. Les occasions de développer et deconfirmer l’estime de soi représentent une source demotivation, impliquant le désir de réussir ce qu’onentreprend.

Au total, qu’il s’agisse du sentiment d’efficacité, dubesoin de cohérence ou encore du rôle de l’estime desoi, la motivation est fonction de l’image de soi. Etl’image de soi est elle-même fonction des valeurssociales défendues par le ou les groupes auxquels onappartient. Analyser les causes de la motivation,aujourd’hui, c’est donc décrire les processus quimobilisent les valeurs culturelles et les normessociales dans un environnement complexe et qui aprofondément changé, et savoir comment chaqueindividu perçoit la situation de travail, comment ill’évalue en fonction de sa culture et son self concept, et

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comment la motivation est déterminée par ces repré-sentations et par leur signification. Cela donne uneplace centrale à l’image de soi et à ses relations avecl’environnement social de chacun, ainsi qu’à ses liensde causalité avec les motivations et les comportementsqu’elles déterminent.

L’identité personnelle, un paramètre important de la motivation

L’identité personnelle, notamment ce qui constituel’image de soi, représente donc un paramètre impor-tant de la motivation et ce, pour plusieurs raisons.C’est en effet à la fois une cause et une conséquencede la motivation et des résultats du travail :

• Une cause, parce que nous ne serons pas motivés àexécuter des tâches qui nous sont étrangères ou quisont en contradiction avec l’image que nous avonsde nos compétences et de nos valeurs.

• Une conséquence, parce que chaque résultat desefforts effectués, là où la motivation est présente,conduit à conforter ou à modifier notre image desoi.

En outre, l’image de soi et son développement enfonction de nos activités et des retours de l’environne-ment sur les résultats de ces activités, sont fortementinfluencés par les valeurs culturelles, donc par l’environ-nement social dans lequel nous vivons.

On ne peut par conséquent ignorer les valeurs socialesqui différencient les cultures et le sens d’obligationmorale qui les accompagne. Ces valeurs opèrent àl’échelle globale en ce sens qu’elles ne sont pas activespour une tâche ou un environnement spécifique. Mais

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elles déterminent fortement le temps que noussommes prêts à consacrer au travail, notre disponibi-lité, le soin que nous allons y apporter, l’effort faitpour améliorer notre performance… L’image de soi,son développement, sa cohérence et sa protection,constituent bien le lien entre le contexte social et lescomportements impulsés par la motivation. C’est« l’interprète de la signification et de l’importance despratiques motivationnelles » (M. Erez et P.C. Earley,1993, p. 26). On ne peut comprendre le rôle joué parles valeurs culturelles sans prendre en compte le faitque la motivation n’est pas seulement un échangetravail/récompense, mais aussi un processus psycholo-gique complexe qui implique l’image de soi et sesdéterminants (B. Shamir, 1996).

Comprendre les liens qui existent entre notre culture,l’identité individuelle et le travail est donc essentiel sion veut être en mesure d’analyser les causes actuellesde la démotivation. Comment décrire concrètement cetriple lien ? Chacun d’entre nous a une idée de soi-même, qu’il cherche à enrichir et à préserver. Ce quisignifie que nous ne sommes pas seulement motivéspar des buts à atteindre et les récompenses ou lesavantages qui accompagneront le but atteint, maiségalement et surtout par le désir d’expliciter et demontrer notre image de soi, de défendre notre estimede soi, qui est fondée sur l’idée que nous avons de noscompétences et des valeurs à respecter. Si la tâchedont nous sommes chargés ne correspond pas à nosvaleurs, ou si nous ne nous croyons pas capables del’exécuter correctement, nous ne serons pas motivés.En revanche, la motivation viendra du sentiment quecette tâche ou cette responsabilité correspond bien à

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notre image de soi, qu’elle va la renforcer et rendreencore plus crédible notre sentiment d’efficacité.

En outre, cet effet motivateur sera d’autant plus fortqu’on aura le sentiment d’avoir une réelle responsabi-lité d’action et de décision, de telle sorte que les résul-tats obtenus seront surtout imputables à nos efforts.Et le seul fait de confier à quelqu’un une nouvelleresponsabilité modifie l’image de soi et peut, si lesentiment d’efficacité et l’autonomie sont présents,constituer une réelle source de motivation.

La dynamique motivationnelleL’élément le plus fondamental de la vie, c’est qu’ellecontinue… Plus nous avançons en expérience, plusnous avons la volonté de consolider notre image de soien préservant sa cohérence, c’est-à-dire en assurantune continuité entre le passé, le présent et le futur. End’autres termes, l’image de soi agit comme une idéo-logie personnelle que les individus valident par leurscomportements. Et la motivation est fortementinfluencée par l’image de soi, à la fois pour laconforter par le résultat des activités prises en chargeet pour orienter l’effort vers les tâches qui sont cohé-rentes avec son image. L’identité et l’image de soi,ainsi que les besoins qui en dérivent, constituent doncun lien dynamique entre les pratiques managériales,les facteurs culturels et la motivation qui en résulte.

Cette dynamique motivationnelle comporte plusieursaspects qu’il faudra garder en mémoire pour mieuxcomprendre ce qui peut démotiver :

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• Nous cherchons à consolider la cohérence de notreimage de soi, aussi bien en ce qui concerne sonaspect cognitif que sa solidité et sa cohérence avecnos comportements.

• L’estime de soi a plusieurs déterminants, notam-ment le sens de ses compétences, de son influence,et de son aptitude à contrôler l’environnement.

• Notre valeur sociale est fonction des normes et desvaleurs qui caractérisent notre environnement. Ilfaut noter que l’importance de l’estime de soi n’estpas limitée aux catégories socioprofessionnelles dehaut niveau.

• L’image de soi est tributaire des rôles que nousjouons et qui nous relient à la société, notammentpar notre appartenance à un pays, à une organisa-tion, à un métier. De ce fait, de nouveaux rôles et,surtout, de nouvelles responsabilités sont suscepti-bles de modifier l’image de soi.

• Les hommes et les femmes au travail ne sont passeulement orientés vers un but, ils sont aussisoucieux d’exprimer leur identité. C’est-à-dire quenos comportements ne sont pas seulement instru-mentaux et calculés, ils sont aussi destinés àexprimer des émotions et des valeurs.

• En l’absence de buts précis, nous pouvons êtremotivés par la foi et l’espoir qui sont en eux-mêmesdes sources de satisfaction.

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Références citéesErez M., Earley P. C., Culture, self-identity, and work,

Oxford University Press, 1993.

Deci E. L., Ryan R. M., Intrinsic motivation and self-determination in human behaviour, Springer, 1985.

Lévy-Leboyer C., La motivation au travail, Éditionsd’Organisation, 2006.

Locke E. A., Latham G. P., A theory of goal setting andtask performance, Prentice Hall, 1990.

Shamir B., « Meaning, self and motivation in organi-zations », in Steers R., Porter L. et Bigley G., Moti-vation and leadership at work, McGraw, 1996.

Triandis H., « The self and social behaviour in diffe-ring cultural contexts », Psychological Review, 96,506-520, 1998.

Triandis H., Bhawuk D.P.S., « Culture theory and themeaning of relatedness », chapitre 2, in P.C. EarleyM. Erez, New perspectives on industrial/organiza-tional psychology, The New Lexington Press, SanFrancisco, 1997.

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Conclusion de la partie 2

De la motivation à l’implication

Faisons le point sur l’apport des chapitres précédents :

• Un bref rappel historique nous a montré que lasignification du travail et son rôle social ontsouvent, et beaucoup, changé dans le passé, et quele travail n’est pas une des obligations fondamen-tales de notre culture.

• Le monde du travail a profondément changé et estencore en train de changer. Le travail ne se résumeplus à des tâches avec des règles simples à respecteret des hiérarchies pyramidales, où les supérieurscontrôlaient le travail de leurs collaborateurs ; ils’agit de plus en plus souvent de structures matri-cielles.

• La rapidité du progrès technique ainsi que la globa-lisation de l’économie donnent plus d’importanceaux qualités d’initiative. On passe progressivementd’un climat axé sur l’obéissance à une recherche departenariat, l’accent étant mis davantage sur

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l’implication et sur les capacités d’adaptation etd’innovation, que sur l’obéissance et le respectaveugle des règles.

• Les activités de service qui permettent à l’acteur depercevoir directement les effets de son action, sesont multipliées, au détriment du secteur industriel.

• Les attentes individuelles et des organisations ontchangé à mesure que le contenu et le contexte dutravail étaient rendus plus complexes, et les compé-tences plus exigeantes et plus diversifiées.

Rien d’étonnant, donc, si la gestion traditionnelle de lamotivation n’a plus l’efficacité qu’elle avait aupara-vant. Nous sommes en train de passer de la gestion dela motivation par l’anticipation d’une récompense,attribuée après que le travail est terminé, et en fonctionde sa qualité, à l’implication, fondée sur la significationdu travail en train de se faire.

Pour mieux comprendre la genèse et le rôle de la signi-fication du travail, les deux chapitres de la secondepartie ont tenté de décrire les ressorts de la valeurattribuée par chacun d’entre nous à une activité detravail, et ont montré que :

• Les attitudes face au travail, qu’il soit salarié oubénévole, qu’il s’agisse d’un emploi ou de tâchesfamiliales, sont fonction des valeurs culturelles etdes valeurs personnelles qui font partie de l’imagede soi.

• Le rôle des valeurs sociales et personnelles a étésous-estimé dans les modèles de motivation actuels.Or, la culture française est singularisée par desvaleurs sociales dont il faut tenir compte, en parti-

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DE LA MOTIVATION À L’IMPLICATION

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culier l’individualisme, la distance de pouvoir et lafaible tolérance à l’incertitude.

• Les valeurs culturelles, mais aussi personnelles,interviennent dans la construction de l’image desoi. Et cette image représente un repère puissant dela signification des différentes activités de travail,aussi bien qu’un rouage intermédiaire dans la cons-truction de la motivation au travail.

• L’image de soi, ou self concept, a plusieurscomposantes : non seulement l’estime de soi et lesentiment de l’efficacité personnelle, mais égale-ment les valeurs que chacun d’entre nous souhaitedéfendre.

Reste, à partir de ces constats, à faire des propositionsconcrètes destinées à favoriser l’implication. C’estl’objet du dernier chapitre, à la fois conclusif et pros-pectif.

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Chapitre 5

Comment re-motiver, aujourd’hui ?

Il y a beaucoup de manières, parfois contradictoires,de stimuler la motivation en gérant des récompensesfondées sur le travail exécuté par chaque individu, saquantité, sa qualité, ou même sa pertinence parrapport aux problèmes rencontrés. On peut utiliser unsystème de salaire indexé sur les performances dechacun, des salaires égaux pour tous, associés à desrécompenses individuelles, donner accès à une partici-pation aux décisions en fonction des résultats obtenus,communiquer sur le rôle des « meilleurs » par affi-chage ou par la presse interne à l’entreprise… Danstous ces cas, la motivation est liée à la reconnaissancedu mérite individuel et concerne les réalisationspassées. En définissant des critères de qualité ou dequantité à l’échelle individuelle, on respecte donc lesvaleurs centrales de la culture de notre pays : l’indivi-dualisme, puisque ces récompenses sont calculées àl’échelle individuelle, l’évitement de l’incertitude,dans la mesure où leur évaluation est prévue àl’avance, et la distance de pouvoir parce que les

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récompenses sont attribuées par la hiérarchie etqu’elles apportent une autorité fondée sur le prestigeet ses symboles à ceux qui reçoivent les récompensesles plus fortes.

Quelle source de motivation utiliser ?

Motivation intrinsèque OU motivation extrinsèque ?

Les récompenses externes, proportionnelles au mérite,sont de plus en plus difficiles à gérer objectivement,dans le respect de l’équité et de la justice perçue.Mesurer le mérite individuel est, en effet, impossiblechaque fois que le travail en équipe rend complexel’identification de chacun à la performance collective.Et évaluer le mérite avec précision pour les activités deservice est quasi impossible. En outre, la performanceindividuelle dépend de plus en plus de facteursexternes dans un monde du travail devenu plus tech-nique et plus complexe. Ceci dit, il existe encore desenvironnements professionnels où les récompenses aumérite peuvent être évaluées de manière fiable, et iln’est pas question d’y renoncer.

Motivation intrinsèque ET motivation extrinsèque ?

Rien n’empêche d’utiliser simultanément les deuxsources de motivation : récompenses au mérite quicorrespondent aux besoins individuels, et motivationintrinsèque qui favorise l’implication et qui corres-pond aux valeurs et à l’image de soi. Et même si les

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conditions de travail actuelles ouvrent de plus en plusde nouvelles possibilités pour susciter des motivationsintrinsèques liées au travail lui-même, cela ne veut pasdire que les sources de motivation extrinsèques nerestent pas importantes : par exemple les salaires et lesavantages financiers jouent un rôle au moment deschoix (choix d’une filière professionnelle, d’un poste,voire d’une entreprise). Mais quand l’exercice mêmedu travail commence, que l’activité s’accompagned’une fonction sociale, qu’elle est comparée avec sesaspirations, la signification de ce qu’on est en train defaire prend de plus en plus d’importance et déterminel’implication.

De nouvelles relations avec l’entreprise

L’importance croissante des motivations intrinsèquesimplique un nouveau mode de relation entrel’employeur et l’employé, dans le secteur privé commedans le secteur public. On peut parler, avecD.M. Rousseau (1995) de nouveaux « contratsimplicites ». L’attachement à l’organisation a fait tradi-tionnellement partie des facteurs de motivation et ce,pour plusieurs raisons. Tout d’abord la fierté attachéeau fait d’appartenir à une organisation connue, et dontles objectifs sont importants. Ensuite et surtout, l’exis-tence d’un contrat implicite entre l’organisation à quion assure sa loyauté et qui, en échange, prend soin devous. Cette entente tacite, souvent concrétisée par desfacilités de logement, des priorités données aux enfantsdu personnel, pour n’en citer que quelques aspects,disparaît progressivement. La nécessaire flexibilité desorganisations et les impératifs économiques qui obli-gent à des remaniements rapides et importants et,

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parfois, à fermer des unités de production devenuesnon rentables, s’accompagne de la nécessité pour lepersonnel de continuer, pendant toute sa carrière, àacquérir de nouvelles compétences.

Ce nouvel environnement du travail a réduit la loyautéde l’individu envers l’organisation qui l’emploie, auprofit de l’importance prise par sa propre carrière.L’idée de passer sa vie dans une seule entreprise a faitplace à une relation qui doit être constamment recons-truite entre l’employé et l’employeur. Sur ce point, il ya forcément une différence entre le secteur privé et lesecteur public, et entre les grandes entreprises et lesPME, voire les très petites entreprises artisanales.Mais dans tous les cas, l’implication se joue moinsentre la personne, sa profession et l’entreprise, et plusentre la personne, la signification de sa tâche, lesresponsabilités dont elle est chargée et les compé-tences mises en œuvre.

Même si les stratégies de motivation fondées sur l’anti-cipation des récompenses sont, et seront, encore utili-sées, il faut développer d’autres stratégies, axées surl’implication tirée du travail lui-même.

Deux sources de motivation

Ce sont, de fait, des motivations totalement différentes.

• Les récompenses externes sont utiles pour prendreune décision rationnelle, du type « la fin justifie lesmoyens », qui tient compte de la valeur des récom-penses accordées au travail bien fait, et de la satis-faction qu’elles apportent par rapport aux besoinsindividuels.

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• Les motivations intrinsèques, elles, s’inscriventdans le registre affectif. Elles correspondent à lasatisfaction de besoins de haut niveau : besoin de seréaliser et de faire un travail qui a une significationpour soi, volonté de construire son identité profes-sionnelle, besoin d’être apprécié pour le servicequ’on rend à d’autres.

Cette distinction entre les rôles des deux sources demotivation, extrinsèque et intrinsèque, correspond, enfait à deux manières de décrire un travail :

• Soit on se limite aux activités elles-mêmes, tellesqu’elles sont prescrites par la hiérarchie et exécu-tées par ses collaborateurs.

• Soit on s’intéresse également, de manière plus large,aux objectifs qui justifient un ensemble d’activités engénéral assumées par plusieurs personnes, objectifsqui donnent un sens à ces activités.

Par exemple, le travail d’un enseignant peut être décriten énumérant les heures de cours, les copies à corriger,la participation à différents comités, la tenue de juryd’examens. Ce sont là des activités.

Lorsqu’on fait une analyse de poste afin de préciser lesqualités et les compétences nécessaires pour bien effec-tuer les tâches qui incombent à cette fonction en vued’un recrutement par exemple, ce sont les activités quiservent de point de départ. Il est évident que ces quali-tés sont essentielles. Faute de les maîtriser, le travail nesera pas bien fait. Et cela nous permettra, éventuelle-ment de savoir si le salaire, les conditions de travail, lespossibilités de promotion, bref, tout ce que l’enseignantva échanger contre son travail… le motive.

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Mais cela ne nous dira rien sur la motivation intrinsèque,l’implication, c’est-à-dire la satisfaction tirée du fait qu’oncontribue à atteindre un objectif important (éveiller l’inté-rêt des élèves), qu’on remplit un rôle central dans lasociété (transmettre des connaissances), et qu’on justifieun statut social d’intellectuel qui convient à notre identitépersonnelle.

On peut aussi décrire ce travail en mentionnant d’autresobjectifs : développer la recherche dans son domaine,conseiller les étudiants sur le choix d’une filière, dévelop-per leurs qualités de réflexion et d’analyse, leur appren-dre à respecter l’éthique de la profession à laquelle ilsse destinent.

La liste des activités n’est pas motivante en elle-même.En revanche, la liste des objectifs, ou plutôt desmissions qu’ils concernent, est une réelle sourced’implication si les objectifs coïncident bien avec lesvaleurs individuelles et l’image de soi.

Qu’est-ce que l’implication ?Pour aller plus loin, il faut mieux comprendre ce qu’estl’implication. C’est d’abord accepter un objectif et lefaire sien. Mais c’est plus que cela. C’est aussi trouversoi-même, grâce à ses propres ressources, les activitésqui vont permettre d’atteindre l’objectif pour lequel ons’implique. C’est le fait de prendre la responsabilité dece qui doit arriver. Et, par conséquent, d’aller au-delàdes activités prescrites en adoptant les initiatives néces-saires pour éviter les problèmes et atteindre les objectifs.M. Frese et D. Fay (2006) en donnent un exempleclair.

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Un service hospitalier a désormais l’obligation de con-server les dossiers des patients pendant dix ans. L’admi-nistration est rapidement submergée par les documents.Le chef de service tente de résoudre le problème enachetant de nouvelles étagères. Mais les services sontrapidement encombrés par ce nouveau mobilier. Dansun autre département hospitalier, soumis aux mêmescontraintes, une des employées prévoit le problème. Elleprend l’initiative de réunir des documents sur l’achat etl’utilisation d’un scanner destiné à réduire le volume dedocuments à conserver. Elle compare les coûts avecceux de l’achat de mobilier et en parle à son supérieur.La décision est prise et le problème évité.

L’implication, c’est aussi ne pas se limiter à exécuterpassivement sa tâche et savoir prendre des initiativespour que l’objectif général du service ou de l’entre-prise soit atteint. C’est entreprendre de son proprechef des activités avec l’espoir qu’elles résoudront leproblème qu’on anticipe.

On ne peut pas déléguer l’implication. Il faut la susciter,trouver des objectifs qui vont la créer et, surtout, savoirles présenter. En général, il s’agit des valeurs que l’orga-nisation défend, comme le service aux clients, la qualitéet l’importance des produits et des services, l’innovationdans la compétition internationale – ce qui peut impli-quer l’orgueil de faire partie de cette organisation.Surtout, l’implication vient du fait que le travail« appartient » à celui qui l’accomplit, qu’il fait sienl’objectif général et qu’il le relie aux activités dont il estchargé, ce qui suppose un autre rôle pour le leader : ilapporte des informations et donne des avis et desconseils sur les activités projetées par ses collaborateurspour atteindre les objectifs qu’il a intégrés.

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Décrire son travail par les activitésou les objectifsLorsqu’on veut décrire à quelqu’un d’autre son travailou sa fonction, il y a deux manières de le faire : soit selimiter aux activités dont on est chargé, soit adopterune perspective plus orientée vers les objectifs.

Pour emprunter l’exemple proposé par K.W. Thomas(2002), si on demande à un steward qui travaille àbord d’un avion de ligne de décrire son travail, il peutfaire la liste de ses activités, comme lire les consignes desécurité, distribuer oreillers et couvertures, proposer desboissons… Ou bien, il peut expliquer l’objectif de cesactivités et dire que son travail consiste à assurer leconfort et la satisfaction des passagers.

En d’autres termes, le travail de chacun d’entre nousest constitué « par quelque chose d’autre que les activitésque nous exécutons… Ce sont des activités orientées versun objectif » (K.W. Thomas, 2002). En fait, nousdécrivons rarement notre travail en mentionnant sonobjectif, probablement parce que atteindre cet objectifne dépend pas de nous seuls, mais est tributaire defacteurs environnementaux, que précisément, lahiérarchie est traditionnellement chargée de contrôler.

Nous avons vu en conclusion du chapitre 2 que larapidité du progrès technique, jointe à la mondialisa-tion de la compétition, rend impossible dans unnombre de situations croissantes, cette répartition desresponsabilités entre exécutants et cadres chargés derésoudre les problèmes et de définir étroitement lescharges de travail de leurs collaborateurs. À partir dumoment où ceux qui n’étaient que des exécutants sontappelés à prendre des initiatives et à prendre des déci-

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sions intelligentes, ils ont besoin de bien connaître lesobjectifs, donc d’acquérir ce que Richard Leider(1997) nomme le « pouvoir des objectifs ». Bref, cesont les objectifs de notre travail qui lui donnent unesignification et qui créent l’implication.

Il faut souligner à nouveau que les objectifs étaientmoins importants dans le travail industriel caractérisépar un environnement stable, donc par des règlesprécises et une hiérarchie forte chargée de gérer lesdécisions impliquées pour résoudre les événementsperturbateurs, dans le respect des objectifs de l’organi-sation. Et les membres du personnel avaient peu demoyens de connaître l’objectif de leur travail, – entémoigne le « management scientifique » élaboré parTaylor qui excluait toute information non nécessaire àl’activité elle-même. Au XXIe siècle, la globalisation del’économie et l’innovation technologique ont changé ladonne. La qualité des produits et la rapidité de fabri-cation sont devenues essentielles, tandis que la multi-plication des activités de service a accru l’appel àl’initiative de chacun. Et les contacts directs avec lesclients dans les activités de service mettent enévidence le rôle social, même celui des moins qualifiés,et permettent à chacun de faire des suggestions pouraméliorer les services rendus.

Deux aspects doivent donc être pris en considérationdans la gestion de l’implication :

• Les objectifs et leur signification pour chacune despersonnes actives dans l’organisation.

• Les activités mises en œuvre par chacun dans lecadre de ces objectifs.

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L’objectif, un élément clé de la motivationLes objectifs mettent en jeu, pour être atteints : desaspects extérieurs au travail lui-même, comme, dansles exemples cités plus haut, les ressources disponi-bles, les attitudes des collègues et de la hiérarchie,leurs compétences, la concurrence, la nature desrèglements et la manière dont leur respect estcontrôlé… En outre, ils concernent des événementsextérieurs au travail lui-même.

Par exemple, le travail de l’enseignant ne sera valoriséque s’il existe un système d’inspection, ou encore desexamens en fin d’année susceptibles de prouver lesprogrès de ses élèves. Si une activité de recherche faitpartie de ses fonctions, ses résultats ne seront mis en évi-dence que s’il parvient à les faire publier, ou encore s’ilpeut les présenter à l’occasion d’un congrès sur sonthème de recherche.

Dans le cas de l’employée administrative, l’efficacité deson initiative dépend de son accès à la documentation,des ressources financières disponibles, de l’écoute deson supérieur…

Et le service rendu par le steward est fonction des condi-tions météorologiques, de la qualité des mets à offrir auxpassagers, du confort de l’avion où il travaille…

L’importance de l’objectif n’est pas une nouvelle idée.C’est le thème du mythe de Sisyphe, condamné par lejuge des Enfers à rouler un énorme rocher en hautd’une colline, pour le voir retomber en arrière chaquefois que le but est atteint. Une activité exténuante, sanssuccès possible, mais surtout dépourvue d’objectif,donc frustrante. Il est vraisemblable que l’importance

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des objectifs du travail est actuellement de plus en plusforte, du fait de l’accroissement général des compé-tences acquises par l’ensemble des travailleurs et de lacomplexité des fonctions elles-mêmes. En d’autrestermes, tout incite à chercher, plus qu’avant, un travailayant une valeur et une signification, et ceci pour deuxraisons : les besoins nouveaux d’un personnel plusqualifié qui ne se contente pas d’être simple exécutant,et la nature différente du travail lui-même qui requiertimplication et initiative.

L’objectif est un des éléments clés de l’implication, cequi veut dire que sans un objectif clair, connu et bienaccepté, la motivation sera faible et fragile. Maisl’implication est plus que la volonté d’atteindre unobjectif, c’est la « décision de prendre personnellement laresponsabilité d’atteindre un objectif » (K.W. Thomas,2002). Cette appropriation des buts collectifs estparticulièrement importante dans notre culture indivi-dualiste, parce que cela permet à chacun d’entre nousde travailler en vue d’un objectif qui le concernepersonnellement, et non d’un objectif qui appartient,avant tout, à un groupe, voire à l’ensemble de l’entre-prise. D’où le rôle central de la communication, quisert à décrire le ou les objectifs, à mettre en évidenceles valeurs qui les concernent et les progrès réalisés.

Communiquer pour rendre l’objectif motivant

Plusieurs démarches et attitudes favorisent le développe-ment de la « motivation intrinsèque », liée à la significa-tion du travail pour celui qui l’exécute (K.W. Thomas,2002). En particulier, il est important de :

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• Communiquer une vision et ne pas se contenter dele faire une fois, de manière formelle, mais détaillerles aspects concrets de ce qu’apportera la poursuitedes objectifs concernés : en réputation pour l’entre-prise, en reconnaissance par les collègues, en visibi-lité de la part d’autres organisations, en satisfactiondes clients.

• Préciser les objectifs spécifiques qui permettront àcette vision de devenir une réalité. Par exemple,élaborer de nouveaux produits, atteindre denouveaux marchés, offrir des services inédits… Etaussi, accroître la présence de l’organisation sur lesforums internationaux, mieux satisfaire les clients.

• Créer des occasions pour que les objectifs fassentl’objet d’échanges entre collègues. Il est, en effet,difficile d’être durablement motivé par un objectifsans avoir la possibilité d’en parler avec ceux quisont aussi concernés. Cela permet de discuterouvertement de la signification des objectifs et deschances de les atteindre, et de mieux s’informer, enparticulier lorsque l’objectif est le résultat d’untravail de groupe.

• Multiplier les informations, par exemple en préci-sant le nombre de personnes qui bénéficient d’unservice assuré par l’organisation, la qualité spéci-fique des produits, la nature des progrès réalisés,l’originalité des services rendus, la contribution à lasanté publique ou à la protection de l’environne-ment… Il peut s’agir aussi bien du sens du devoiraccompli dans l’exercice d’un service importantpour le confort et pour la sauvegarde d’autrespersonnes, que de la production de biens essentiels

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à la vie d’autrui, ou tout simplement d’informationsconcernant la survie dans de bonnes conditions del’entreprise où on travaille… et qu’on a envie devoir se développer parce qu’elle représente unesource d’emploi dans la région.

• Encourager les personnels à chercher activement cequi donne un sens à leur travail, leur fournir lesmoyens d’obtenir les informations utiles pourpréciser ce qui les implique et chercher desmissions qui leur correspondent.

• Dans la mesure du possible, découper les tâches demanière à ce qu’elles ne soient pas trop parcellairespour être perçues comme contribuant aux objec-tifs, ce qui permet à chacun d’avoir une idéeconcrète de sa contribution aux objectifs, depouvoir la décrire, d’en tirer un sentimentd’accomplissement, de profiter d’un éventuel redé-coupage des tâches et des responsabilités pour lesrendre mieux reliées avec la vision générale desobjectifs. (J. Hackman et G.R. Oldham, 1980).

Connaître, comprendre… et célébrerles progrès

La signification des objectifs va se perdre rapidementsi on n’entretient pas l’espoir de les atteindre. Ménagerla possibilité d’évaluer les progrès accomplis repré-sente la meilleure façon d’éviter le découragementmalgré les difficultés ou les écueils. Il ne suffit pas, eneffet, de connaître le but à atteindre. Il faut égalementêtre capable de mesurer le parcours accompli parl’effort commun dont on fait partie. Cet aspect a uneimportance particulière dans notre culture qui n’aime

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pas l’incertitude. Nous avons besoin de savoir où onen est par rapport aux objectifs. Et, si les progrèsobtenus sont inférieurs à ce qu’on espérait, il imported’en faire connaître la cause et d’informer sur lescorrections apportées.

Comment relancer la motivation en informant sur lesprogrès ? De plusieurs manières, notamment entenant compte des remarques suivantes :

• Pour suivre les progrès accomplis, il est utiled’avoir défini au préalable les étapes significativesdu, ou des, projets en cours.

• On ne peut pas apprécier les progrès sans repères.C’est la responsabilité de l’encadrement, mais aussicelle de chaque membre de l’organisation qui peutêtre encouragé à définir des repères spécifiquespour sa fonction. Ceci dit, les progrès peuvent êtrelents, en particulier quand il s’agit d’objectifscomplexes.

• Une des sources d’information sur la manière donton progresse en direction des objectifs vient de laréaction des clients, qu’il s’agisse de services ou deproduits, d’où l’utilité, quand c’est possible, deménager pour tous des contacts avec les clients afinde connaître leurs évaluations, qu’il s’agisse d’ache-teurs ou de bénéficiaires de services. Les marquesde satisfaction directes motivent, mais c’est vraiégalement d’autres informations, comme les statis-tiques de vente et les lettres d’appréciation.

• Ne pas hésiter à célébrer les progrès, mais le faireavec discernement, c’est-à-dire en ne fêtant pastrop vite des progrès réversibles, ni des succèssusceptibles de rendre les autres jaloux.

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Activités et implicationL’objectif et sa signification ne constituent pas la seulesource potentielle d’implication. Il faut que la tâchequotidienne favorise également la motivation. Lesactivités mises en œuvre pour atteindre cet objectifsont sources de motivation, à deux conditions : avoirun degré satisfaisant d’autonomie et avoir l’occasiond’employer les compétences qu’on maîtrise et qu’onsait posséder.

Le degré d’autonomie est un facteur sensible de la motivation

Cela signifie que notre intervention et nos décisionssont prises en compte, autrement dit, que nous dispo-sons d’un certain degré d’initiative personnelle dansnotre travail, donc de la possibilité de choisir ce quinous semble le plus utile pour atteindre les objectifs.Plus précisément, c’est le sentiment de pouvoir choisirle comportement à adopter, ce qui entraîne le désird’être plus performant, de réunir le plus possibled’informations, bref, d’avoir un degré significatif deresponsabilité sur les activités dont on a la charge. Enrevanche, sans autonomie, ce qui est le cas lorsque lesrègles qui s’appliquent à nos activités sont nombreuseset forcées, on se sent contraint par d’autres et on perdtout intérêt pour son travail et ce, d’autant plus que lesrègles ne prévoient pas toujours toutes les situations etqu’on se trouve parfois conduit à adopter des compor-tements qu’on sait être inefficaces (K.W. Thomas,2002).

Tant que nous acceptons l’idée que les règles et l’auto-rité qui nous dirigent sont plus compétentes que nous,

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notre volonté de les respecter est entière. Dès quenous jugeons l’autorité faillible, même si elle continueà nous sembler parfois utile, nous souhaitons pouvoirutiliser notre jugement personnel et avoir notre marged’autonomie, tout en ayant la possibilité d’en discuteravec la hiérarchie. Cela nous donne le sentiment de nepas être un instrument passif de l’organisation, maisun maillon qui compte et qui participe de manièreoriginale au travail collectif. À l’inverse, ne pas avoir lapossibilité d’être entendu entraîne un comportementpassif et non responsable, ou, pire encore, hostile et enrébellion contre une autorité perçue comme peucompétente.

Avoir la possibilité d’être autonome et de faire deschoix est, en fait, une condition essentielle pour sesentir adulte. C’est le sentiment de ne pas être un pionmanœuvré par d’autres, mais quelqu’un qui compte.L’image de soi et la cohérence de son identité sontintimement liées au fait d’avoir une certaine auto-nomie d’action et de décision. Et l’autonomie estd’autant plus importante que les choix concernés sontliés à l’accomplissement d’un objectif qu’on valorise.C’est le sentiment de pouvoir être efficace pour le butà atteindre et de ne pas perdre son temps à faire desefforts sans utilité.

Le degré d’autonomie consenti à ses collaborateurspar la hiérarchie représente donc un facteur sensiblede la motivation, particulièrement dans notre culture,pour compenser la distance de pouvoir qui nouscaractérise et qui implique l’existence de frontièresétanches entre les niveaux hiérarchiques.

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C’est la hiérarchie qui dispose d’un large contrôle surl’autonomie laissée aux personnes qu’elle encadre, etqui peut exercer son leadership de manière à accroîtrele nécessaire sentiment d’autonomie, notamment surles points suivants (K. W. Thomas, 2002) :

• Chercher des occasions de déléguer son autorité, cequi implique de remplacer un contrôle étroit par lavolonté de développer les compétences de ses colla-borateurs. Cela suppose aussi d’expliquer pourquoiil n’est pas possible de déléguer sur certainsaspects, et de réunir l’équipe pour envisager lespoints sur lesquels on pourrait déléguer et lamanière de le faire. Déléguer n’est pas une décisionsolitaire.

• Faire confiance à ses collaborateurs, ce qui signifiede réellement déléguer et d’annuler les règles ou leshabitudes et les contrôles antérieurs. Ne pas limiterla délégation aux décisions sans importance… Nepas hésiter à exprimer à voix haute sa confiance et àencourager la prise de nouvelles responsabilités, etexpliquer pourquoi.

• Faire la différence entre les erreurs qui sont dues àde bonnes intentions et celles qui sont des fautesprofessionnelles. La liberté de réfléchir et deprendre des initiatives risque de provoquer deserreurs, même si on cherche des conseils avantd’agir, et même si on délègue avec précaution,seulement aux personnes capables de prendre denouvelles responsabilités. Sanctionner de la mêmemanière, sans faire la différence, risque de tarir lesprises d’initiative. En outre, les erreurs sont unesource de progrès si on les analyse sans crainte ;

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cela ne s’applique évidemment pas aux situations oùla conséquence des erreurs serait catastrophique.

• Faire circuler les informations, notamment sur lesobjectifs : les choix faits par ceux à qui on délèguene peuvent être pertinents que s’ils ont biencompris la nature de l’objectif et s’ils disposent detoutes les informations nécessaires… Sans oublierque les cadres ont accès à plus d’informations queleurs collaborateurs.

Le sentiment d’efficacité concourtà la motivation

Avoir la certitude de bien maîtriser les compétencesrequises pour faire efficacement son travail représentele second facteur de motivation concernant les acti-vités elles-mêmes. L’impression de ne pas être compé-tent détruit évidemment la motivation, puisque celafait anticiper l’échec, et ceci quelle que soit sa bonnevolonté.

À quoi est due une évaluation positive de sescompétences ? D’abord aux appréciations et auxcompliments d’autrui, mais également au fait qu’on adéjà eu à faire ce travail et qu’on a directement cons-taté son efficacité. Il faut ajouter que la satisfaction,procurée par le plaisir de bien faire, est une cause demotivation (E. Deci et R. Flaste, 1995). Satisfactionencore plus forte lorsque la tâche dont on est chargécontribue à atteindre un objectif qui a une valeur poursoi. Être félicité pour ses résultats est une source demotivation. Il est donc possible de développer le senti-ment d’efficacité chez ses collaborateurs en manifes-tant clairement son appréciation.

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Inversement, la démotivation peut être due au simplefait de ne pas savoir comment maîtriser la tâche, maisaussi, et de manière plus inattendue, un travail qu’on asouvent accompli ne représente plus un challenge, cequi contribue à détruire la motivation. Créer un chal-lenge entraîne donc la motivation, à condition de bienle doser : un challenge gérable, qui ne suscite pasd’anxiété, mais qui est suffisamment difficile pourstimuler l’intérêt (K.W. Thomas, 2002).

À partir du moment où on réalise le besoin de mettreen œuvre des sources de motivation intrinsèque, on estconfronté à un problème de choix pertinent. Dans lecas de la motivation au mérite, le choix des sources demotivation et leur utilisation ne posent pas deproblèmes très compliqués. C’est différent dans le casde la motivation intrinsèque parce que développerl’implication peut se faire de multiples manières et,surtout, cela dépend de plusieurs conditions quidoivent être satisfaites. La réussite de ces différentesactions de leadership met en jeu de nombreux facteurscontextuels et personnels, notamment la nature desactivités qui se prêtent mal à une vision, et égalementla personnalité individuelle qui ne recherche ni l’auto-nomie, ni le développement. D’où l’importanced’avoir un cadre de références qui permet de mieuxcomprendre ce qui peut faire que le travail soit unesource directe de motivation. Ceci d’autant plus que lavaleur du travail va dépendre, non seulement desvaleurs véhiculées par l’image de soi, mais aussi desvaleurs culturelles qui caractérisent le cadre social dutravail.

Les quatre conditions de la motivation qui viennentd’être décrites sont toutes nécessaires, mais elles ne

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sont pas suffisantes, ce qui signifie que chacuned’entre elles doit être présente et prise en considéra-tion. Sans vision, sans repérage des progrès, sansautonomie et sans sentiment d’efficacité dans sontravail quotidien, la motivation dépérit. Toute tentativepour redynamiser la motivation doit donc commencerpar un état des lieux destiné à faire le point sur chacunde ces facteurs d’implication.

Un autre style de leadershipL’analyse qui précède a été focalisée sur la manièredont on peut créer une réelle appropriation, par l’indi-vidu, du travail demandé par l’organisation. Cela neconduit pas, on l’a vu, à annuler l’identité individuelle.Au contraire, la relation entre la vision et les valeursindividuelles, le sens de ses compétences, le besoind’avoir une marge significative d’autonomie mettentbien l’individu, son éthique, ses valeurs, mais aussi sapersonnalité, sa perception personnelle de la situation,au centre du processus motivant.

On peut aller plus loin et mettre l’accent sur ce querecherche l’individu à travers son travail. Il faut tenircompte du fait que la majorité d’entre nous a unbesoin fondamental de progresser, de multiplier sescompétences et de se développer, à condition toutefoisque l’environnement s’y prête, c’est-à-dire que lescontraintes externes ne s’y opposent pas.

Répondre à ce besoin correspond à une autre formede leadership, le leadership « transformationnel », quipermet de promouvoir l’appropriation du travail et lamotivation intrinsèque (C. Lévy-Leboyer, 2006 etB. Bass, 1990). De quoi s’agit-il ?

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Le leadership traditionnel (désigné également par lequalificatif « transactionnel ») est un échange taciteentre celui qui dirige et celui qui est dirigé, et ilconcerne exclusivement l’exécution par les subor-donnés de missions dont le cadre a la responsabilité,assurant la motivation par la gestion rationnelle derécompenses « extrinsèques ».

Au contraire, les leaders « transformationnels »mettent l’accent sur l’actualisation et le développe-ment des compétences de leurs collaborateurs, encou-ragent chacun à s’exprimer et à prendre desresponsabilités. En outre, ils montrent l’utilité desformations et de la participation à des expériences« apprenantes ». Ce faisant, ils encouragent la satisfac-tion du besoin d’autonomie et aident leurs collabora-teurs à développer des objectifs qui concernent aussibien l’entreprise que leur développement personnel.Cependant, le leadership transformationnel ne s’opposepas au leadership transactionnel. En fait, il le complète.Qu’apporte le leader transformationnel ? De la consi-dération pour les autres en les encourageant à prendreplus de responsabilités, une stimulation de la créativitéet de l’initiative.

On peut résumer les caractéristiques des leaders trans-formationnels en quatre points (B. Bass, B. Avolio,L. Atwater, 1996) :

• Ils ont du charisme, c’est-à-dire un sens fort desobjectifs de l’entreprise qu’ils savent communiquerefficacement.

• Ils ont de l’influence en ce sens qu’ils savent donneraux autres confiance dans la possibilité d’atteindre

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les buts qu’ils ont acceptés et dans leur contributionà cet effort.

• Ils apportent une stimulation intellectuelle encontribuant à l’innovation et à la remise en questionpermanente des procédures.

• Ils font preuve de considération en accordant de lavaleur à tous les membres de l’organisation, quelque soit leur statut, ce qui contribue à donner plusde pouvoir aux autres en les aidant à avoirconfiance en eux et à atteindre leurs objectifspersonnels à travers les objectifs de l’organisation.

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Références citéesBass B., Bass and Stodgill’s handbook of leadership,

Macmillan, 1990.

Bass B., Avolio B., Atwater L., « The transformationaland transactional leadership of men and women »,Applied psychology, An international review, 45, 1, 5-34, 1996.

Deci E., Flaste R., Why we do what we do: understan-ding self-motivation, Penguin Books, 1996.

Frese M., Fay D., « Quel est le rôle de l’initiativepersonnelle ? », chapitre 14 in Lévy-Leboyer C.,Louche C., Rolland J.-P., RH : Les apports de la psy-chologie du travail, Éditions d’Organisation, 2006.

Hackman J., Richard, Oldham G.R., Work redesign,Addison Wesley, 1980.

Leider R., The power of purpose : creating meaning inyour life and work, San Francisco, Berrett-Koehler,1997.

Lévy-Leboyer C. « Comment choisir et former desleaders », chapitre 11 in Lévy-Leboyer C.,Louche C., Rolland J.-P., RH, Les apports de la psy-chologie du travail, Éditions d’Organisation, 2006.

Thomas K. W., Intrinsic motivation at work, Berrett-Koehler, 2002.

Rousseau D. M., « Changing individual: organizationattachments », chapitre 8 in Howard A., The chan-ging nature of work, Pfeiffer & Company, 1995.

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Aactivités 3, 4, 8, 9, 10, 19,21, 22, 24, 25, 28, 29, 30,35, 36, 38, 47, 48, 49, 50,56, 57, 59, 64, 67, 69, 70,74, 83, 87, 102, 108, 110,113, 115, 120, 121, 124,127, 128, 129, 130, 131,137, 140, 141apprendre 30, 128attitudes culturelles 85autonomie 30, 67, 88, 93,98, 109, 115, 137, 138,139, 141, 142, 143

Ccarrière 8, 25, 26, 27, 29,34, 55, 56, 68, 69, 70, 94,126collectivisme 87, 89compétition 3, 11, 30,43, 44, 47, 48, 49, 62, 63,74, 75, 81, 87, 88, 89, 91,129, 130

Ddémotivation 1, 2, 3, 11,19, 65, 67, 97, 99, 108,109, 114, 141développement person-nel 56, 65, 68, 69, 70,143distance de pouvoir 86,92, 93, 96, 121, 123, 138

Eefficacité 7, 14, 30, 36,69, 83, 85, 88, 95, 96,101, 107, 108, 110, 111,112, 115, 120, 121, 132,140, 142estime de soi 27, 28, 31,35, 69, 96, 105, 109, 110,112, 114, 116, 121éthique du travail 69évitement de l’incertitu-de 92, 94, 95, 123

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Ffamille 3, 20, 21, 22, 25,26, 27, 29, 30, 39, 57, 59,64, 74fonctionnement cognitif63, 70

Iidentité 3, 14, 19, 21, 25,28, 35, 38, 69, 70, 74, 82,84, 87, 91, 97, 99, 102,103, 105, 106, 109, 110,112, 113, 114, 115, 116,127, 128, 138, 142image de soi 8, 14, 70,76, 79, 92, 96, 97, 99,101, 102, 103, 104, 105,106, 107, 109, 110, 111,112, 113, 114, 115, 116,120, 121, 124, 128, 138,141implication 32, 33, 56,119, 120, 121, 124, 125,126, 128, 129, 131, 133,137, 141, 142individualisme 85, 87,89, 121, 123industrialisation 28, 29,32, 39, 47, 55information 29, 36, 43,44, 46, 47, 48, 52, 53, 54,55, 61, 101, 131

insatisfaction 12, 26, 36,67intelligence artificielle 54

Lleadership transactionnel143leadership transforma-tionnel 143loi de Moore 54

Mmanagement scientifi-que 31, 33, 131mondialisation 7, 47, 62,130motivation extrinsèque11, 13, 14, 36, 109, 125motivation intrinsèque14, 109, 124, 128, 133,141, 142

Oobjectif 5, 11, 12, 14, 21,31, 43, 45, 48, 68, 73, 75,76, 81, 82, 84, 87, 88, 89,91, 94, 96, 97, 104, 105,108, 125, 127, 128, 129,130, 131, 132, 133, 134,135, 136, 137, 138, 140,143, 144

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organisation 1, 11, 33,34, 35, 36, 45, 47, 48, 55,56, 61, 75, 88, 92, 93, 94,116, 120, 125, 126, 129,131, 134, 136, 138, 142,144

Pperformance 5, 6, 67, 96,101, 104, 107, 114, 117,124population active 9, 13,46, 57, 58, 59, 64, 65, 70,71, 98productivité 2, 29, 31,35, 36progrès technologique 8,10, 39, 43, 44, 47, 48, 58,62, 66, 67, 70, 75, 95

Ssatisfaction 3, 8, 11, 12,26, 32, 82, 84, 102, 103,116, 126, 127, 128, 130,134, 136, 140, 143savoir 20, 28, 31, 32, 35,39, 43, 44, 45, 76, 112,127, 129, 136, 141

self concept 102, 104,112, 121service 1, 2, 8, 12, 20, 34,36, 38, 40, 47, 48, 49, 50,54, 57, 58, 59, 63, 64, 65,66, 67, 74, 75, 85, 87,106, 107, 120, 124, 127,129, 131, 132, 134, 136signification du travail 6,9, 10, 12, 13, 14, 20, 21,23, 28, 35, 37, 39, 40, 43,45, 47, 61, 88, 90, 119,120, 133

Ttechnologie de l’informa-tion 43, 47, 48travail industriel 30, 33,131

Vvaleur du travail 7, 20,74, 141valeurs culturelles 76, 81,82, 83, 84, 85, 87, 90, 96,97, 99, 103, 110, 111,112, 113, 114, 120, 121,141

Page 158: Re-motiver au travail - -CUSTOMER VALUE-meslivres.site/LIVREF/F34/F034160.pdf · croire, à un accroissement de la motivation au travail qui serait dû à la crainte de perdre son

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