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08.2016 ENROUTE.AIRCANADA.COM When you’re on the trail of food, wine and fiction in Italy’s southern islands, every meal is a real page-turner. Sur la piste de la gastronomie et de la fiction dans les îles du sud de l’Italie, où chaque repas se dévore comme un roman. BY / PAR SARAH MUSGRAVE PHOTOS BY / DE GRANT HARDER POLAR À la sicilienne MY BIG FAT Sicilian Mystery

MY BIG FAT Sicilian Mystery...Tout est une question de priorités, semble dire l’auteur : il faut bien manger, et ne perdons pas de vue où nous sommes. On ne risque pas d’oublier

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When you’re on the trail of food, wine and fiction in Italy’s southern islands, every meal is a real page-turner.

Sur la piste de la gastronomie et de la fiction dans les îles du sud de l’Italie, où chaque repas se dévore comme un roman.

B Y / P A R S A R A H M U S G R A V E P H O T O S B Y / D E G R A N T H A R D E R

P O L A R Àla sicil ienne

M Y B I G F ATSicilian Mystery

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A FTER MY LOVE OF FOOD AND WINE COMES MY LOVE OF mysteries, which is why the detective novels of Sicily’s Andrea Camilleri have a special place in my heart as

well as my luggage. To call his books police procedurals isn’t quite accurate; his small-town inspector Salvo Montalbano deliberately bucks procedure, detouring off right in the middle of a hot case for an epic meal at a seaside trattoria. The languid descriptions of regional specialties – sweet-and-sour eggplant caponata, beccafico of sardines stuffed with bread crumbs and capers, couscous with eight different kinds of fish, dense choco-late cake with orange preserve – are as much about the local relationship to food as to time. Priorities, people, he seems to be saying, we’ve all got to eat – and let’s not forget where we are here.

There’s no forgetting that Sicilian breeze. It’s so ever-present and so perfect that when it stops, you take notice, as though someone turned off the music. The winds come over from the Sahara Desert, pick up moisture across the Mediterranean Sea and blow in like cherub breath from the edges of antique maps. Stand-ing on the western coast of these Italian islands at sunset, you get why everyone who came and conquered – Greeks, Roma ns, A rabs, Spa nish, Germans, Normans – decided to stay a while and leave a little something behind, notably their recipe boxes. I’ve come to eat and drink from Palermo in the northwest to Ortigia in the east. And I’m quickly grasping why Camilleri’s novels come with footnotes: Everything Sicilian – dialects, architecture, cuisine – is so layered with his-tory that it requires some explanation.

“These are merely six of the 15 different kinds of fritti all’italiana, you understand,” says Giuseppe Tasca d’Almerita, popping a perfectly golden crocchette di latte into his mouth. We’re in the salon of Villa Tasca, his winemaking family’s bucolic 16th-century estate located, unbelievably, in the densely historic capital of Palermo. I had momentarily perched myself on a velvet chaise longue – sitting down apparently being Sicilian sign lan-guage for feed me – and the butler appeared with a silver tray full of these little perfections. Past the blue and white tiled terrace, the gardens are laid out before us. Redesigned in the Victorian

A PRÈS MON AMOUR DE LA BONNE CHÈRE VIENT MON AMOUR DES polars, ce qui explique pourquoi les romans policiers du Sicilien Andrea Camilleri occupent une place de choix

dans mon cœur et mes bagages. Camilleri n’écrit pas vraiment des romans de procédures policières, et son commissaire de province Salvo Montalbano n’a que faire des procédures : il peut suspendre une passionnante enquête à tout moment pour faire bombance dans une trattoria en bord de mer. Les langoureuses descriptions de spécialités régionales, telles que caponata d’aubergines aigre-douce, sarde a beccafico (sardines farcies de chapelure et de câpres), couscous aux huit poissons ou dense gâteau chocolaté à

la marmelade d’orange, illus-trent autant le rapport local à la nourriture qu’au temps qui passe. Tout est une question de priorités, semble dire l’auteur : il faut bien manger, et ne perdons pas de vue où nous sommes.

On ne risque pas d’oublier la brise sicilienne. Elle est telle-ment régulière et parfaite qu’on le remarque quand elle tombe, comme quand quelqu’un arrête la musique. Les vents du Sahara se chargent d’humidité au- dessus de la Méditerranée et vous caressent tel le souffle des chérubins sur les marges des cartes anciennes. Face au soleil couchant sur ces îles italiennes, on comprend pourquoi tous leurs conquérants (grecs , romains, arabes, espagnols, allemands, normands) ont déci-dé de s’attarder et de laisser un petit quelque chose, notam-ment leurs recettes. Je suis

venue faire un périple gastronomique de Palerme, au nord-ouest, à l’îlot d’Ortygie, à l’est. Et je saisis vite pourquoi les romans de Camilleri ont des notes de bas de page : tout ce qui est sicilien (dialectes, architecture, cuisine) est si chargé d’histoire qu’il faut l’expliquer.

« Bien entendu, il n’y a là que 6 des 15 sortes de fritti all’ita-liana », précise Giuseppe Tasca d’Almerita en portant à sa bouche une crocchette di latte dorée à point. Nous sommes au salon de la Villa Tasca, le bucolique domaine du xvie siècle de sa famille de viticulteurs, incroyablement situé dans le chef-lieu richement his-torique de Palerme. Je m’étais momentanément posée sur une chaise longue en velours (s’asseoir semble ici interprété comme un cri de famine), et le majordome est arrivé avec un plateau d’argent plein de ces petits délices. Au-delà de la terrasse carrelée

A B O V E The winding streets of Ragusa, in Val di Noto, have stories to tell. O P P O S I T E P A G E Sicily’s past and present coexist, from windmills near Marsala to wine jugs at Valle Dell’Acate, and from food markets in Palermo to aristocratic estates like that of Marchesi di San Giuliano. O P E N I N G S P R E A D Off the eastern coast, the island of Ortigia sheds light on history. E N H A U T Les rues tordues de Ragusa, dans le Val di Noto en ont long à dire. P A G E D E D R O I T E Des moulins près de Marsala aux cruches à vin de la Valle Dell’Acate ; des marchés de Palerme en passant par les domaines aristocratiques comme celui de Marchesi di San Giuliano, en Sicile, le passé et le présent cohabitent. E N O U V E R T U R E Au large de la côte est, l’îlot d’Ortygie met en lumière tout un pan d’histoire.

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era to “confuse and delight the visitor,” they succeed on both counts; wander the heavily foliaged paths past ponds and follies and you become a character in a story about love and decay. The vegetation in Sicily is like a giant botanical garden with speci-mens from different custodians over the centuries: from prickly pear cacti brought via Spain from the New World, to palm trees, citrus and olive groves from North Africa.

Lunch is a local classic, and a Montalbano classic: pasta alla sarde with sardines and wild white fennel. (“We’ve done it with linguine; typically it would be bucatini, but it’s so difficult to eat, I wouldn’t do that to you,” our ever-affable host chuckles.) Next, on tableware bearing the family crest, comes the tenderest pork in a delicate genius of a fennel and mustard-seed sauce. It’s an example of monsu (dialect for monsieur) cooking, named after the French chefs employed by aristocracy in the 1800s (the fam-ily’s Regaleali estate offers cooking classes exploring those tradi-tions). Finale: cannoli with pistachios and homemade ricotta, all lightness, crackle and cream. To go with, he’s pouring bottles like Tascante Ghiaia Nera nerello mascalese and a bright white Tenuta Regaleali catarratto made with indigenous grapes that, like carricante and perricone, could be names of Montalbano’s bumbling associates. For a long time, high-volume, high-alcohol wines from Sicily were shipped north to be used in blends. But in the last decade, Sicilian labels have, for good reason, become darlings of private import lists, and the vineyards themselves increasingly destination-worthy for visitors.

Beyond the estate gates, the capital’s notorious traffic crawls by. Explaining the limited public transportation, my travelling companion Francesco shrugs, “Palermo is 3,000 years old. You can’t dig without hitting some ancient building.” A maze of unstraight streets leads us through the Gothic-inspired core of Kalsa, the old Arab quarter, up from the harbour where

de bleu et de blanc s’étendent les jardins. Réaménagés dans le style victorien au milieu du xixe siècle pour « confondre et ravir les visiteurs », ils réussissent sur les deux plans : errer sous l’épais couvert feuillé des sentiers reliant étangs et folies, c’est devenir un personnage d’une histoire d’amour et de décadence. La végé-tation en Sicile évoque un immense jardin botanique qu’auraient entretenu divers jardiniers au fil des siècles, des oponces importés du Nouveau Monde via l’Espagne aux palmiers, agrumes et oliviers venus d’Afrique du Nord.

Nous dînons d’un classique local, prisé par Montalbano : pasta alle sarde, ou pâtes aux sardines et au fenouil sauvage. (« On a uti-lisé des linguine ; d’habitude, ce sont des bucatini, mais ça se mange mal. Je ne vous ferais pas ça », glousse notre hôte affable.) Ensuite, sur de la vaisselle ornée des armoiries familiales, arrive un porc tendrissime en délicate et divine sauce au fenouil et aux graines de moutarde. C’est un exemple de cuisine des monsù (« monsieur », en dialecte local), terme qui vient des chefs français employés par l’aristocratie au xixe siècle (le domaine familial de Regaleali donne des cours de cuisine qui explorent ces traditions). La finale : cannoli aux pistaches et à la ricotta maison, miracles de légèreté, de croquant et de crème. Pour arroser le tout, notre hôte sert entre autres un nerello mascalese Ghiaia Nera du domaine Tascante et un vif catarratto Tenuta Regaleali (un blanc), deux cépages indigènes dont les noms, à l’instar des carricante et per-ricone, pourraient être ceux de certains collègues empotés de Montalbano. Longtemps, la Sicile a expédié au nord, à des fins d’assemblage, ses vins vineux produits en grande quantité. Mais depuis 10 ans, les crus siciliens brillent, à juste titre, sur les cartes d’importation privée, et les vignobles eux-mêmes attirent de plus en plus de touristes.

À l’extérieur du domaine, on roule au pas dans la tristement célèbre circulation du chef-lieu. Mon compagnon de voyage

A B O V E The Sirignano Wine Resort boasts all-organic production, a traditional construction called a baglio and a pool overlooking the Monreale hills. O P P O S I T E P A G E In the Agrigento area, the cliffs of Scala dei Turchi, or Turkish Steps, rise above sandy beaches. C I - D E S S U S Producteur bio, le Sirignano Wine Resort possède un bâtiment traditionnel appelé baglio et une piscine avec vue sur les monts Monreale. P A G E D E G A U C H E Dans la région d’Agrigento, les falaises de la Scala dei Turchi (l’escalier turc), s’élèvent au-dessus de plages sablonneuses.

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Winemaking goes back 3,000 years on these southern Italian islands. In the last 10 years, the number of qual-ity wine producers has blossomed, with a focus on smaller bottlings and ancient, indigenous grapes. Here are some to know.

On fabrique du vin depuis 3000 ans dans ces îles du Mezzogiorno. Le nombre de producteurs de vin de qualité, privilégiant les petits lots et les cépages indi-gènes, a explosé ces 10 dernières années. Voici des noms à connaître.

The OG of Sicilian reds is nero d’Avola, widely planted on the island. While a decade ago, a good steak demanded a Barolo, this juicy, tan-nic red now holds its own. Fruity, herbaceous, earthy and even smoky, nerello mascalese (and its softer BFF nerello cappuccio) is grown on the cooler volcanic slopes of the still-active Mount Etna. Blend-ing ruby-toned frappato, all strawberries and undergrowth, with nero d’Avola creates cerasuolo di Vittoria – a DOCG on the south-eastern coast with enchanting aromas of cherries, licorice and spice. Caïd des rouges siciliens, le nero d’avola est cultivé partout dans l’île. Si un bon steak s’arrosait d’un barolo il y a 10 ans, ce rouge tan-nique et juteux se défend désormais tout seul. Fruité, herbacé, au goût de terroir et même fumé, le nerello mascalese (et son cousin plus souple, le nerello cappuccio) croît au frais sur les pentes volcaniques de l’Etna, encore en activité. Assemblage de frappato rouge rubis, au goût de fraise et de sous-bois, et de nero d’avola, le cerasuolo di vittoria est une DOCG de la côte sud-est aux envoûtants arômes de cerise, de réglisse et d’épice.

RED / ROUGE

Full-bodied grillo is the grape that, along with crisp, nutty inzolia and citrusy catarratto, built the famous fortified wine industry in the seaside town of Marsala. These old varietals, along with pleas-antly tangy grecanico and zibbibo (elsewhere known as muscat of Alexandria), are bottled as varietals but often blended for refreshing whites that lend themselves to pairings with Sicily’s plentiful fresh seafood. In the Etna region, vines of lively Carricante are grown in freestanding clumps as they would have been millennia ago. Avec l’inzolia, au goût de noix et d’acidité agréable, et le catarratto aux notes d’agrumes, le grillo, charpenté, est à la base de la célèbre industrie du vin muté de la ville maritime de Marsala. Ces vieux cé-pages, et les vifs grecanico et zibbibo (ou muscat d’Alexandrie), donnent des vins monocépages, mais plus souvent des blancs d’as-semblage frais qui s’accordent bien aux abondants poissons et fruits de mer de Sicile. Dans la région de l’Etna, des vignes du rustique carricante poussent librement en massifs, comme c’était le cas il y a des millénaires.

WHITE / BLANC

SICILY, IN ROSSO AND BIANCO

LA SICILE EN ROSSO ET BIANCO

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Hannibal once moored his boats. I’ve asked Francesco to ferret out some of Montalbano’s favourite street foods. Under a sign that says Keep Calm and Mangia le Panelle, a street vendor is throwing thin slices of chickpea flour batter into hot sizzling oil – panisse in a different guise. On the other hand, all I can say about Montalbano’s beloved pane ca’ meusa is that these bready sandwiches stuffed with organ meat don’t strike a chord. Francesco leads me past the jumble of marzipan, olives, capers from Pantelleria and blocks of tuna bottarga in the mar-kets, past the fountains and foot traffic, to the stillness of the Palermo Cathedral, built in the 1200s. In the hooded light, I catch sight of gold-leaf fragments drifting down from the ceiling to join the kaleidoscopic celebra tion of geometry on the f loor. History in the unmaking.

“THE SEEING AND THE DOING!” EXCLAIMS OUR good-humoured driver Riccardo, once again translating an untranslatable local ex pression, as we careen past vineyards and craggy bluffs southwards toward Menfi. Touring around Sicily’s regions – from Val Di Noto and its baroque hotbed of Siracusa province to the Arab-influenced Di Mazara to the black volca-nic soil of Mount Etna in Val Demone that every winemaker wants a piece of these days – is like putting together piec-es of a puzzle and accepting that they don’t quite fit. Tertiary roads often dead-end in a field, rendering the GPS apoplectic. What can we do but laugh – after all, there’s something ridiculous about rushing to get to ancient ruins. And Sicily has no shortage of monumen-tal ocean-lapped sites like the island of Mothia, where someone may gently cor-rect you: “Not the ancient Greeks, dear, the ancient Phoenicians; they came earlier, around the seventh century BC.” Shards of terracotta pottery crunch beneath my feet as I walk past vestiges of past civilizations. Under the arid sun, details are strongly etched. Those deep grooves in the pav-ing stone? They were made by the wheels of Roman chariots. Across the lagoon, salt is still harvested as it has been for more than 500 years; after windmills pump the water out, it’s col-lected into peaked mounds along the shore. I purchase a bag to bring home, and read the ingredients on the label. Mare, sol, vento. Sea, sun, wind. That about sums it up.

Agrigento, on Sicily’s less-trodden south coast, is full of uncanny déjà-vus for the Camilleri fan. Illustrated Penguin cov-ers come to life before my eyes. There’s the Scala dei Turchi, blindingly white-stepped marl cliffs, brilliant and strangely lunar between the turquoise sea and sky. And there’s the statue of the fallen Icarus at the Valle dei Templi, a massive collection

Francesco hausse les épaules en expliquant les limites du transport en commun. « Palerme a 3000 ans. On ne peut y creuser sans tom-ber sur un édifice antique. » Un dédale de rues tordues nous fait traverser le cœur d’inspiration gothique de la Kalsa, le vieux quar-tier arabe, au-dessus du port où Hannibal a un jour amarré sa flotte. J’ai demandé à Francesco de dénicher quelques exemples de mets de rue prisés de Montalbano. Sous une affiche où on lit « Keep Calm and Mangia le Panelle », un vendeur ambulant jette de fines tranches de pâte de farine de pois chiches dans une friture chaude : des panisses locales. En revanche, tout ce que je peux dire

sur les pani ca’ meusa chers à notre ins-pecteur, c’est que ces gros pains farcis aux abats me laissent froide. Francesco m’en-traîne au-delà des marchés et de leur fouillis de massepains, d’olives, de câpres de Pantelleria et de blocs de poutargue de thon, au-delà des fontaines et des foules, dans le calme de la cathédrale de Palerme, bâtie au xiiie siècle. Dans la lumière tamisée, je discerne des parcelles de feuilles d’or du plafond flottant jusqu’à la kaléidoscopique ode à la géométrie du plancher. L’histoire qui s’effrite.

« LE VOIR ET LE FAIRE ! » S’EXCLAME NOTRE amical chauffeur Riccardo en traduisant une autre expression locale intraduisible alors que nous filons au sud vers Menfi par-delà vignobles et falaises escarpées. Visiter les régions de Sicile, depuis le Val di Noto, le foyer du baroque de la pro-vince de Syracuse et les influences arabes du Val di Mazara jusqu’au sol volcanique noir de l’Etna dans le Val Demone que s’arrachent de nos jours les viticulteurs, c’est assembler un puzzle dont les pièces ne s’imbriquent pas tout à fait. Les routes tertiaires débouchent souvent en plein champ, au grand dam du GPS. On ne peut

qu’en rire ; après tout, se dépêcher d’aller voir des ruines antiques a quelque chose de ridicule. Et la Sicile ne manque pas de prodi-gieux sites léchés par la mer comme l’île de Mozia, où l’on se fera gentiment reprendre : « Pas les Grecs de l’Antiquité, ma chère, mais les Phéniciens, qui sont venus avant, vers le viie siècle avant J.-C. » Des éclats de poteries ocre craquent sous mes pieds alors que je foule les vestiges de civilisations disparues. Sous le soleil brûlant, les détails sont gravés à jamais. Ces profonds sillons dans les pavés ? Laissés par les roues de chars romains. De l’autre côté de la lagune, le sel se récolte encore comme il y a plus de 500 ans : en monticules pointus le long du rivage, après que des moulins à vent ont pompé l’eau. J’en achète un sac en souvenir. Sur l’éti-quette, je lis ces ingrédients : mare, sol, vento. Mer, soleil, vent. On ne saurait mieux dire.

Agrigente, sur la côte sud moins fréquentée de Sicile, a des airs troublants de déjà vu pour qui lit Camilleri. Des couvertures

TOURING AROUND SICILY IS LIKE PUTTING

TOGETHER PIECES OF A PUZZLE

AND ACCEPTING THAT THEY DON’T

QUITE FIT.

VISITER LA SICILE, C’EST COMME

ASSEMBLER UN PUZZLE DONT LES PIÈCES NE

S’IMBRIQUENT PAS TOUT À FAIT.

O P P O S I T E P A G E Grape vines and olive trees slope down towards the sea at Feudo Disisa, a wine estate in the Monreale area, not far from Palermo. P A G E D E G A U C H E Vignes et oliviers poussent sur les collines face à la mer à Feudo Disisa, un domaine viticole dans la région de Monreale, près de Palerme.

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of ancient Greek ruins better pre-served than most in Europe; the sea-dampened afternoon sunlight on the Temple of Concordia is enough to make me want to set up an easel and single-handedly found a New Romantic painting movement. In seaside vil lages, beneath dusty peach-painted facades with shut-tered windows and wrought-iron balconies, streetside cafés unhur-riedly cater to customers continuing conversations that started 50 years ago (Sicily is a country for old men, with nicer shoes than yours). The scenes here are so epic, and the sto-rytelling so foundational, the line be tween myth and reality is easily blurred. In fact, Camilleri’s home-town of Porto Empedocle brief ly appended Vigàta to its name, after the fictional counterpart he de scribes so well. Finding his character’s stat-ue on the main street – across from that of the writer Pirandello – I know I’m not the only mystery geek to have grabbed his bigger-than-life bronze hand for a photo op. Montalbano-themed tours, catering in particular to British fans of the televised BBC series, wend their way through here these days.

At the opposite end of the island from Palermo, in Siracusa province, the world headquarters for the anti-minimalism movement might be a bedazzled bijou of a town called Noto. Razed by an earthquake some 300 years ago, it was rebuilt in a fan-fare of f lair and f lourishes: It’s as though the beyond-baroque cathe-drals and wildly ornate Palazzo Nicolaci di Villadorata dare to ever be destroyed. After a morning of sightseeing, all I want at Caffè Sicilia is an espresso, just one espresso. But Corrado Assenza, the third genera-tion of unrestrained bakers to run this 1892 institution, instead brings on six kinds of granita, made with milk from local almonds, fruit from local figs. “It’s just water!” he insists, bustling off in his apron to get more things, all the things, for my friends and me to eat. To go with an array of exquisitely earthy pastries topped with glazed seasonal fruits, he proffers stemmed glasses of nutty,

illustrées de Fleuve noir s’animent sous mes yeux. Il y a la Scala dei Turchi, falaise de marne en gradins d’un blanc éclatant, étrangement lunaire entre la mer turquoise et le ciel. Et la statue d’Icare tombé à la vallée des Temples, vaste collection de ruines grecques antiques parmi les mieux conservées d’Europe ; la lumière du soleil d’après-midi déla-vée par la mer sur le temple de la Concorde suffirait à m’inciter à instal-ler un chevalet et à fonder un mouve-ment pictural néo-romantique. Dans les villages maritimes, au pied de poussiéreuses façades pêche aux volets clos et aux balcons de fer forgé, des cafés en terrasse accueillent indo-lemment des clients qui poursuivent des conversations vieilles de 50 ans (la Sicile est un pays de vieux hommes mieux chaussés que vous). Ici, les scènes sont si épiques, et ce qu’elles disent est si fondateur, que mythe et réalité se confondent aisément. Ainsi, Porto Empedocle, ville natale de Camilleri, a brièvement ajouté Vigàta à son nom, en l’honneur de son équi-valent fictif si bien décrit par l’auteur. Tombée sur la statue du commissaire dans la rue principale (en face de celle du dramaturge Pirandello), je sais que je ne suis pas la seule mordue de polars à saisir sa main de bronze surdimensionnée pour une photo. Des visites guidées sur le thème de Montalbano, qui ciblent surtout les amateurs britanniques de la série télé de la BBC, passent par ici de nos jours.

À l’autre bout de l’île par rapport à Palerme, dans la province de Syracuse, le centre mondial de l’antiminimalisme pourrait se trouver dans la ville de Noto. Rasé par un séisme il y a trois siècles, ce joyau étincelant a été rebâti avec classe et ornementations à foison ; les cathédrales plus que baroques et l’exubérant palazzo Nicolaci di Villadorata semblent défier quiconque voudrait les détruire. Après une matinée de tourisme, tout ce que je veux, c’est un espresso, un seul, au Caffé Sicilia. Mais Corrado Assenza, pâtissier hyperactif de troisième géné-ration à diriger cette institution de 1892, apporte plutôt six saveurs de granité, à base de figues et de lait d’amandes locales. « C’est juste de

A B O V E , T O P T O B O T T O M Time waits for no man in Porto Empedocle; god is in the details at Chiesa dell’Immacolata Concezione, off Palermo’s Il Capo market. O P P O S I T E P A G E Carved into the hills of Val di Noto, Modica goes for Baroque. C I - D E S S U S , D E H A U T E N B A S Le temps prend son temps à Porto Empedocle ; ornementation divine à la Chiesa dell’Immacolata Concezione, près du marché Il Capo de Palerme. P A G E D E G A U C H E Sculptée à même les montagnes du Val di Noto, Modica fait dans le baroque.

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amber-toned Vecchio Samperi from Marco de Bartoli, a legend-ary producer near the city of Marsala. “I know you wanted cof-fee, but this is better!” As we sip the nutty-sweet wine, he tells us that he writes poetry in his spare time. Of course he does.

Sicily is one mystery it’s a pleasure not to solve: You may get lost, but you won’t go hungry. The dining room at La Foresteria, the agriturismo of La Planeta, one of the wineries that put the region on the world map in the 1990s, opens out onto a stately patio that itself gives way to a landscape of vines and trees at the root of so many Sicilian specialties. The recipes in the open kitchen belong to the Planeta family’s grandmothers, reinter-preted by talented chef Angelo Pumilia. Along with winks like a savoury cannolo as a crouton in the bean soup, there’s a decon-structed Montalbano standby, pasta alla Norma, presented so that we DIY the mixture of eggplant, tomato and salted ricotta. Dinner conversation turns, of course, to Camilleri, and estate director Cristina Gionfriddo says the popularity of the detective series, and the author’s way of capturing the constrasting ele-ments that create the islands’ enigmatic personality, reopened interest in old ways of doing things – a pride in what came before. “But not everyone in Sicily eats as heartily as Montalbano every day!” she laughs, as we proceed to eat as heartily as Montalbano, just like every day of this trip. W R I T E T O U S : L E T T E R S @ A I R C A N A D A E N R O U T E . C O M

l’eau ! » insiste-t-il, s’affairant dans son tablier pour servir d’autres mets (tout ce qu’il a, en fait) à mes amis et moi. Pour accompagner une foule de pâtisseries superbement rustiques garnies de fruits de saison glacés, il apporte des verres à pied de Vecchio Samperi ambré du producteur de renom Marco de Bartoli, établi près de Marsala. « Vous vouliez du café, je sais, mais ça, c’est mieux. » Alors que nous sirotons ce vin doux aux arômes de noix, il nous confie écrire de la poésie dans ses temps libres. On l’aurait deviné.

La Sicile est un mystère qu’on ne tient pas à résoudre : on peut s’y perdre, mais on ne reste pas sur sa faim. La salle à manger de La Foresteria, le complexe d’agrotourisme du domaine Planeta, l’un de ceux qui ont mis la Sicile sur la carte du monde dans les années 1990, s’ouvre sur une imposante terrasse qui elle-même donne sur un paysage de vignes et d’arbres à la base de tant de spécialités siciliennes. Les recettes sont celles des grands-mères de la famille Planeta, réinventées dans la cuisine à aire ouverte par le talentueux chef Angelo Pumilia. Outre des clins d’œil tel un cannolo salé tenant lieu de croûton dans la soupe de haricots, il y a une version déconstruite des bonnes vieilles pasta alla Norma de Montalbano qu’il faut assembler soi-même en mélangeant aubergines, tomates et ricotta salée. Au souper, les conversations portent évidemment sur Camilleri. Selon la directrice du volet agrotouristique du domaine, Cristina Gionfriddo, la popularité de la série policière et la façon dont l’auteur rend les contrastes qui donnent aux îles leur personnalité énigmatique ont ravivé un inté-rêt pour les mœurs anciennes, une fierté du passé. « Mais tout le monde en Sicile ne mange pas chaque jour aussi copieusement que Montalbano », plaisante-t-elle alors que nous nous apprêtons à manger aussi copieusement que l’inspecteur, comme chaque jour du voyage. V O S C O M M E N TA I R E S : C O U R R I E R @ A I R C A N A D A E N R O U T E . C O M

A B O V E , L E F T T O R I G H T It’s coffee in the morning and cerasuolo di Vittoria at night, in the town of Acate in Ragusa province; the slow road gets slower between vineyards in the Vittoria region. C I - D E S S U S , D E G A U C H E À D R O I T E À Acate, dans la province de Ragusa, on boit café le matin et cerasuolo di vittoria le soir ; la circulation est dense entre les vignobles dans la région de Vittoria.

Page 12: MY BIG FAT Sicilian Mystery...Tout est une question de priorités, semble dire l’auteur : il faut bien manger, et ne perdons pas de vue où nous sommes. On ne risque pas d’oublier

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PL AN YOUR FLIGHT

PL ANIFIE Z VOT RE VOL

S I C I LY / S I C I L ETR AVEL ES SENTIAL S / C A RNE T DE VOYAGE

01 Chef Fabio Cardilio left behind his Michelin-starred countryside restaurant to concentrate on Sicilian classics at Buatta Cucina Popolana, including sardines rolled with bread crumbs, orange and pine nuts, caponata dusted with cacao, and baked annelletti – ringed pasta made by Barilla only for the Palermo market. (buattapalermo.it) 02 Donnafugata’s whimsical wine labels are full of literary and arts references. A stop at the colour-ful tasting room might include a spread of regional appetizers (salume, olives) and live jazz. It’s a short walk down to I Bucanieri, across from the Marsala harbour, for lunch or dinner. (donnafugata.it; ristoranteibucanieri.it) 03 Rediscover Marsala’s famous oxidized wine at Cantine Florio, where a tour explains how the enormous 1832 cellars use natural elements – limestone building materials and the seaward slope of the floor – and culminates with a tasting of out-of-the-box bottles. Try the Terre Arse. (duca.it) 04 Sicily is not short on ruins, from the Ancient Greek settlement of Selinunte (pictured) to Valle dei Templi in Agrigento, where you can toast the ancient gods at a pathside cabana offering wines by the glass, in this case nero d’Avola from a co-op called CVA Canicattì. (valleyofthetemples.com; cvacanicatti.it) 05 On Noto’s main street, Caffé Sicilia is the place for a pick-me-up between visiting the elaborate

architectural marvels. (Corso Vittorio Emanuele) 01 Le chef Fabio Cardilio a quitté son resto rural étoilé au Michelin pour le Buatta Cucina Popolana, où il se concentre sur les classiques siciliens, tels que sardines enroulées dans une chapelure mêlée d’orange et de pignons, caponata saupoudrée de cacao et anelletti au four (des nouilles Barilla en forme d’anneau vendues seulement à Palerme). (buattapalermo.it) 02 Les curieuses étiquettes des vins Donnafugata sont truffées de références littéraires et artistiques. Un arrêt à la salle de dégustation peut s’accompagner d’antipasti siciliens (salumi, olives) et d’un spectacle de jazz. Pour dîner ou souper, marchez jusqu’au I Bucanieri, face au port de Marsala. (donnafugata.it ; ristoranteibucanieri.it) 03 Redécouvrez le célèbre vin madérisé de Marsala à la Cantine Florio, où une visite guidée explique l’usage d’éléments naturels dans les immenses caves de 1832 (construction en tuf calcaire, plancher incliné vers la mer) et se conclut par une dégustation. Essayez le Terre Arse. (duca.it) 04 La Sicile ne manque pas de ruines (photo), entre l’ancienne cité grecque de Selinunte et la vallée des Temples, à Agrigente, où boire à la santé des dieux antiques. À un édicule au bord d’un sentier, commandez du vin au verre, tel le nero d’avola de la coop CVA Canicattì, qui exploite des parcelles sur ce site du patrimoine. (valleyofthetemples.com ; cvacanicatti.it) 05 Dans la rue principale de Noto, le Caffé Sicilia est l’endroit où prendre un remontant entre deux visites de merveilles d’architecture travaillée. (Corso Vittorio Emanuele)

WHERE TO STAY / OÙ L OGER

Breakfast comes with a side of design books at Casa Talía. Built into old hillside cave dwellings, the architect-owned hotel is a collection of heritage lodgings overlooking the baroque town of Modica

(local specialty: chocolate). À la Casa Talía, le déjeuner s’accompagne de bouquins de design. Bâti dans de vieilles grottes à flanc de montagne, cet hôtel d’architecte pro-pose divers gîtes patrimoniaux surplombant la ville baroque de Modica (spécialité locale : le chocolat).C A S A T A L I A . I T

Rooms open onto herb gardens at Planeta’s La Foresteria, an agriturismo from the commercially successful Menfi-area wine producer complete with pool and nonna-nuova cucina res-taurant. Les chambres

donnent sur des potagers de fines herbes à La Foresteria, hôtel d’agrotourisme du grand viticulteur Planeta des environs de Menfi. En prime : piscine et cuisine de grand-mère revue et corrigée. P L A N E T A E S T A T E . I T