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HAL Id: tel-00649238https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00649238
Submitted on 7 Dec 2011
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Les chemins multiples de la coopration transfrontalirefranco-belge : analyse des dynamiques institutionnelles.
Solange Verger
To cite this version:Solange Verger. Les chemins multiples de la coopration transfrontalire franco-belge : analyse desdynamiques institutionnelles.. Science politique. Universit Grenoble Alpes, 2011. Franais. .
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00649238https://hal.archives-ouvertes.fr
THSE Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE GRENOBLE Spcialit : Science politique
Arrt ministriel : 7 aot 2006 Prsente par
Solange VERGER Thse dirige par Alain FAURE et codirige par Fabienne LELOUP prpare au sein du Laboratoire PACTE dans l'cole Doctorale Sciences de lhomme, du politique et du territoire de lIEP de Grenoble
Les chemins multiples de la coopration transfrontalire franco-belge. Analyse des dynamiques institutionnelles. Thse soutenue publiquement le mercredi 16 fvrier 2011, devant le jury compos de :
Mme Anne-Ccile DOUILLET Matre de confrence, Universit de Besanon, Membre. M. Alain FAURE Directeur de recherche, Universit de Grenoble, Directeur de thse. Mme Fabienne LELOUP Professeur, Facults univeritaires catholiques de Mons (FUCAM) -Acadmie Louvain, Co-directeur/Membre. M. Jean-Philippe LERESCHE Professeur, Universit de Lausanne, Rapporteur. M. Andy SMITH Directeur de recherche, Universit de Bordeaux, Rapporteur.
Facults universitaires catholiques de Mons (FUCAM) / Acadmie Louvain
Dpartement des sciences politiques, sociales et de communication
Universit de Grenoble / Institut dtudes politiques de Grenoble
Les chemins multiples de la coopration transfrontalire franco-belge.
Analyse des dynamiques institutionnelles.
Thse prsente en vue de lobtention du grade de docteur en Sciences politiques et
sociales des FUCAM et du grade de docteur en Science politique de lUniversit de Grenoble
Soutenue publiquement le 16 fvrier 2011
par
SOLANGE VERGER
Directeurs de thse : Fabienne Leloup et Alain Faure Jury : Anne-Ccile Douillet, matre de confrence, Universit de Besanon / PACTE. Alain Faure, directeur de recherche, IEP de Grenoble / PACTE. Fabienne Leloup, professeur, FUCAM / Acadmie Louvain. Jean-Philippe Leresche, professeur, Universit de Lausanne, LAGAP.
Andy Smith, directeur de recherche, Universit de Bordeaux / SPIRIT.
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3
Cette thse a t ralise avec le soutien du Fonds spcial de la recherche inter-universitaire (FSRIU) de la Communaut franaise de Belgique.
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Remerciements
Bien qutant avant tout le rsultat dune rflexion et dun cheminement personnels, une thse doit toujours aux personnes qui entourent, guident et soutiennent le doctorant dans cette aventure intellectuelle prilleuse. Ainsi, au terme de ce travail, je tiens adresser mes remerciements : A mes directeurs de thse, Fabienne Leloup et Alain Faure, qui, par leurs qualits et leurs distances complmentaires mais aussi par leur optimisme partag, ont su morienter et mencourager tout au long de ces annes. A Anne-Ccile Douillet, pour sa remarquable rigueur scientifique et professionnelle, pour ses commentaires francs et prcis et pour son attention constante, qui ont t dune grande aide dans la ralisation de ce travail. Aux autres membres du jury, Andy Smith et Jean-Philippe Leresche qui ont manifest de lintrt pour mon travail et ont accept de participer son valuation finale. A Franois et Laurne, pour leur hospitalit et leur compagnie toujours agrable lors de mes nombreux dplacements sur le terrain lillois. A Delphine Cazor, pour mavoir facilit laccs certains documents. Sans pouvoir les nommer cause de leur nombre important, je remercie bien sr les diffrentes personnes, administrateurs et lus, franais et belges, de la coopration transfrontalire , qui ont accept de me rencontrer. Je me dois de mentionner ici M. Jef Van Staeyen qui a rpondu avec beaucoup de prvenance et dintrt toutes mes sollicitations. Je pense aussi mes collgues des FUCAM, en particulier : Sbastien Pradella, voisin attentionn, fin thoricien et observateur avis de la politique belge et franaise ; et mes fidles compagnons du TEC et de la gare de Mons, travailleurs frontaliers pour certains dentre eux et camarades de drink la Saint-Feuillien. Je voudrais galement rendre hommage Howard Becker qui apporte tellement de rconfort de nombreux jeunes chercheurs angoisss dans un monde acadmique parfois difficile. Je noublie pas non plus tous mes amis de France et de Navarre, pour leurs coups de fil rconfortants du dimanche soir, leur soutien distance, la confiance quils mont toujours manifeste, et les moments damiti partags. En particulier, merci aux Parisiennes trentenaires, aux gens du Nord, aux anciens compagnons de lIEP de Rennes (qui sont en partie les mmes), aux Ixellois, au High Time Sound, Mathilde pour mavoir prcde dans la voie doctorale, ceux qui ont pris la poudre descampette (Shanghai, Accra, Rgen) et la chicana qui vadrouille entre San Francisco et la Sicile Jadresse un remerciement spcial mes homologues et amies du GERME/ULB qui mont fait partager avec sympathie leur exprience de la recherche, du monde acadmique et de la vie bruxelloise. Je dois par ailleurs reconnatre la prsence prcieuse de mes camarades descalade, qui ont contribu sans sen rendre compte mon quilibre physique et moral pendant la priode prouvante de la rdaction. Merci galement Fabien pour sa bienveillance et pour nos changes qui ont beaucoup compt. Je tiens aussi remercier la famille Tand pour lattention la fois discrte et sans faille quils mont accorde, ainsi que pour la tranquillit apaisante des sjours au chalet. Une spciale ddicace Annick pour sa relecture mticuleuse et sa chasse implacable aux fautes dorthographe. Evidemment, cest aussi ma famille que vont mes remerciements : mes parents qui mont laisse libre, tout en tant toujours prsents et solidaires, invariablement ; Alice et Bertrand, Pierre et Adriana, pour le devoir bien accompli de fraternit et la qualit de nos relations, simples et sincres. Enfin, ce travail naurait pas pu aboutir sans laffection quotidienne dAlexandre, sans ses relectures minutieuses, sans son indfectible soutien dans les moments difficiles. Pour tout cela, et pour tout ce qui nous unit, mais aussi, pour le courage dont il fait preuve devant les obstacles et les injustices, et pour son me de chercheur, je ddie cette thse la sienne qui verra bientt le jour.
5
A Malne,
6
La ferme tait le long de la Lys, quelque part, tout prs de la frontire. Mais on ne savait pas o exactement. On savait seulement que la Belgique ntait pas loin. Maxence Van Der Meersch Lempreinte de Dieu
7
SOMMAIRE
INTRODUCTION GNRALE .............................................................................................. 8
PARTIE 1 : CONSTRUCTION ET TRAITEMENT PUBLIC DU PROBLME TRANSFRONTALIER FRANCO-BELGE............................................................................ 63
Chapitre 1 : Les conditions dmergence et de dfinition du problme transfrontalier franco-belge ........................................................................................................................ 67
Chapitre 2 : La COPIT, une organisation transfrontalire intercommunale en voie de fonctionnalisation............................................................................................................... 146
Conclusion de la partie 1 : De la problmatisation la fonctionnalisation : une prise en charge oriente de la coopration transfrontalire............................................................. 198
PARTIE 2 : La COPIT/EUROMTROPOLE : UNE CONSTRUCTION INSTITUTIONNELLE INACHEVE ET INCERTAINE ......................................................................................... 201
Chapitre 3 : Les rgles et les normes qui font linstitution ............................................ 207
Chapitre 4 : Clivages et instabilit, ou la fragilit de lordre institutionnel ........................... 321
Conclusion de la partie 2 : Un ordre institutionnel la recherche de son sentier ......... 387
PARTIE 3 : LILLUSION DUN CADRE INSTITUTIONNEL UNIQUE : AUTONOMIE, CONCURRENCES ET CHEVAUCHEMENTS DORDRES INSTITUTIONNELS .............. 390
Chapitre 5 : Dispositif europen INTERREG versus intercommunalit transfrontalire...... 394
Chapitre 6 : Les multiples logiques sectorielles contre linstitutionnalisation mtropolitaine .......................................................................................................................................... 487
Conclusion de la partie 3 : Une institutionnalisation fragmente : la centralit intercommunale en question........................................................................................................................ 553
CONCLUSION GNRALE.............................................................................................. 555
BIBLIOGRAPHIE GENERALE ......................................................................................... 571
TABLES ET ANNEXES .................................................................................................... 595
8
Introduction gnrale
9
Notre travail doctoral sinscrit dans le cadre dun projet de recherche intitul Quand souvrent les
frontires, comment gouverner les territoires transfrontaliers ? . Notre universit daccueil en
Belgique tant situe moins de vingt kilomtres du territoire franais, cest la frontire franco-belge
que nous avons immdiatement pens. Des toutes premires investigations que nous avons menes,
nous avons retenu le terme de coopration transfrontalire : celui-ci peut tre apprhend comme
un domaine daction publique qui fait intervenir conjointement les collectivits territoriales situes de
part et dautre dune ligne sparant deux Etats. Ds lors, la coopration transfrontalire nous est
apparue comme une entre intressante pour interroger le gouvernement de laction publique locale en
France et en Belgique.
Pour comprendre la construction incrmentale de notre cadre analytique, il est utile de retracer dans la
premire partie de cette introduction le parcours de notre pense : son point de dpart, puis les
limites et difficults que nous avons rencontres dans le transfert des premires problmatiques et
thories mobilises pour clairer notre cas dtude, et enfin les influences multiples qui sont venues se
greffer de manire complmentaire, et finalement dcisive, au fur et mesure des rsultats empiriques
accumuls. Ce nest quau terme de ce parcours que nous pourrons restituer la cohrence de notre
rflexion et de notre approche thorique. Il sagit donc ici de reconstituer a posteriori notre
cheminement rflexif, en tentant de ne pas occulter les moments de remise en cause et les erreurs de
jugement qui ont abouti la construction dun cadre analytique original fabriqu partir dexpriences
de recherche varies.
Paralllement et en lien avec la construction de notre problmatique et de notre cadre analytique, nous
avons opr des choix mthodologiques que nous prsenterons dans la seconde partie de cette
introduction soulignant ainsi les orientations pistmologiques qui sous-tendent notre travail.
1- La construction dun cadre analytique original : cheminement inductif et choix thoriques
Afin dapprhender pleinement notre objet dtude, nous nous sommes intresse dans un premier
temps aux travaux de recherche relatifs aux espaces frontaliers et transfrontaliers situs dans le
territoire de lUnion europenne et, dans une moindre mesure, aux frontires externes de lUnion
europenne et dans les pays dAmrique du Nord1. Dune part, nous avons constat que la coopration
transfrontalire est une thmatique de recherche relativement rcente en science politique. Par
1 Les frontires des autres zones gographiques ont t cartes dans la mesure o elles ne correspondent que trs partiellement au contexte europen tudi. Par ailleurs, nous nous sommes focalise pour lessentiel sur les travaux de science politique, mme si les recherches traitant des frontires dans dautres disciplines de sciences sociales comme la gographie, la sociologie, lanthropologie ou lconomie ont pu tre prises en considration de manire ponctuelle et complmentaire.
10
consquent, il existe encore peu de travaux approfondis sur ce thme, notamment dans le domaine de
lanalyse de laction publique. Face ce constat, lapproche inductive et empirique sest impose pour
nous assez rapidement : ainsi, des va-et-vient permanents entre enqute de terrain et lectures
thoriques ont rythm notre recherche. Dautre part, nous avons constat que les travaux qui sont
consacrs au phnomne transfrontalier, sils parviennent expliquer diffrents aspects de ce
phnomne, ne permettent pas de comprendre les logiques internes et multiples au travers desquelles
la coopration transfrontalire sinstitutionnalise. Ainsi, la question de linstitutionnalisation nous a
sembl tre une problmatique pertinente pour interroger la ralit transfrontalire sous un jour
nouveau.
Cest pourquoi, dans un second temps, nous avons eu recours un corpus thorique orient vers
lanalyse des processus de construction institutionnelle. Cependant, compte tenu de la spcificit de
notre objet dtude, les questionnements et les thories habituellement dvelopps pour analyser les
dynamiques dinstitutionnalisation se sont avres partiellement inadaptes pour saisir la construction
institutionnelle franco-belge. Cela nous a alors oblige dpasser ce cadre de comprhension et
mobiliser dautres approches, notamment celle relative aux rseaux de politiques publiques et celle
concernant les rapports entre action publique territoriale et action publique sectorielle.
Ainsi, la problmatique de la construction institutionnelle de la coopration transfrontalire est issue
de et vient alimenter deux ensembles de travaux : dune part, les travaux qui ont trait la coopration
transfrontalire en tant quobjet dtude ; dautre part, les travaux relatifs aux processus de
construction institutionnelle dans le cadre de laction publique territoriale. Concernant les premiers,
nous dgagerons les apports et les angles morts de la littrature existante, et nous verrons que la
question de la construction institutionnelle permet de regarder la coopration transfrontalire sous un
angle nouveau. Concernant les seconds, nous montrerons dans quelle mesure ces approches peuvent
sappliquer au cas transfrontalier, et nous verrons que la spcificit de lobjet dtude transfrontalier
permet de renouveler les cadres danalyse sur les processus de construction institutionnelle.
Loriginalit de notre cadre analytique ne tient donc pas tant au thme de la coopration
transfrontalire ou la problmatique de la construction institutionnelle qu la combinaison de cet
objet dtude et de cette problmatique. En effet, cette combinaison apporte la fois une nouvelle
comprhension du phnomne transfrontalier, trs peu tudi sous langle de linstitutionnalisation, et
des perspectives originales sur les processus de construction institutionnelle du fait de la spcificit de
lobjet dtude transfrontalier, peu mobilis dans ce type dapproches.
11
Observer la coopration transfrontalire sous un angle nouveau
De la construction de lEtat-nation ltude du transfrontalier
Il faut souligner tout dabord que le trans-frontalier , en tant quespace existant de part et dautre
dune frontire, reste un objet peu tudi en science politique, particulirement dans lanalyse des
politiques publiques territoriales.
Les frontires sont longtemps lapanage des chercheurs en relations internationales : la frontire
est alors considre comme un lment constitutif de la construction de lEtat-nation sans quelle soit
pour autant tudie pour elle-mme. La frontire est assimile une ligne de dmarcation indiquant les
limites de la souverainet dun Etat2. Cependant, dans les annes 1970 et 1980, ltude des zones
frontalires commence intresser les tenants de la gographie dite sociale ou humaine qui y
consacrent de nombreux travaux et dveloppent lide de la frontire comme espace de vie au sein
duquel se dploient des relations sociales spcifiques. Les travaux de Michel Foucher, Paul
Guichonnet et Claude Raffestin sont cet gard particulirement marquants3. Les gographes, suivis
danthropologues et de sociologues, sont donc les premiers sintresser la frontire en tant que fait
social. Des tudes et des thories dconomie rgionale sur les dynamiques dchanges luvre dans
ces zones sont ensuite labores. Remigio Ratti notamment sintresse au dveloppement des zones-
frontires, mettant en vidence les spcificits des conomies frontalires4. Jusquau milieu des annes
1980, dans un contexte de cloisemment relatif des Etats-nations, cest donc avant tout le frontalier
et non le trans-frontalier qui fait lobjet de toutes les attentions.
Avec louverture des frontires dans le cadre de la construction europenne et le processus plus
gnral de globalisation lchelle mondiale, les cadres danalyse voluent. La gographie en
particulier poursuivit ses tudes sur les reprsentations fonctionnelles et identitaires des frontires et
des espaces frontaliers, sur leurs mutations et sur leur temporalit particulire5. En science politique, la
frontire sort du seul domaine des relations internationales pour faire son entre dans les analyses du
fonctionnement de lEtat et de laction publique. Ainsi, les politologues se tournent peu peu vers
ltude des cooprations, des changes transnationaux et de leurs consquences pour lEtat-nation.
Dans le cadre de lUnion europenne, ces travaux portent plus spcifiquement sur lanalyse des
institutions et des politiques publiques europennes par-del les frontires. Deux coles de pense se
2 Tilly C. (ed.), The formation of national states in Western Europe, Princeton, Princeton University Press, 1975 ; Anderson B., Limaginaire national. Rflexion sur lorigine et lessor du nationalisme, Paris, La Dcouverte, 1992. 3 Fouchet M., Fronts et frontires, un tour du monde gopolitique, Paris, Fayard, 1988 ; Guichonnet P., Raffestin C., Gographie des frontires, Paris, Presses Universitaires de France, 1974. 4 Ratti R., Thorie du dveloppement des rgions-frontires , Les Cahiers du LERASS, 1991, n24, p.9-26. 5 Piermay J-L., Reitel B., Renard J-P., Zander P., Villes et frontires, Paris, Anthropos-Economica, 2002 ; Picout P., Renard J-P, Les frontires mondiales. Origines et dynamiques, Nantes, Le Temps, 2007.
12
dveloppent alors sur des thses opposes : la premire, celle des inter-gouvernementalistes ou
interactionnistes, dfend lide de la persistance de lEtat-nation comme acteur principal de la
rgulation politique et sociale malgr lintensification des flux et des cooprations internationales, la
crise de lEtat-providence et la monte en puissance des organisations supranationales et des acteurs
rgionaux6 ; la seconde, celle des tenants du no-fonctionnalisme, voit dans linternationalisation et
leuropanisation des changes et des politiques un recul progressif de lEtat-nation et la fin de lEtat-
providence, au profit dune rgulation supranationale mlant des acteurs publics de diffrents niveaux
de gouvernement et des acteurs privs, selon de nouvelles modalits de coordination7. Lopposition
entre ces deux thses sest attnue avec lapparition de travaux portant un regard plus nuanc sur le
phnomne dintgration europenne, parmi lesquels on peut citer louvrage collectif de Wayne
Sandholtz et Alec Stone Sweet, et celui dirig par Yves Mny, Pierre Muller et Jean-Louis
Quermonne8.
travers lensemble de ces travaux, les chercheurs en science politique sintressent moins aux
frontires et aux espaces de part et dautre de la frontire quau phnomne deffacement suppos des
frontires et ses consquences politiques contradictoires : dclin de lEtat-nation, intgration
europenne, rgulation mondiale et rgionale, multiplication des acteurs intervenant dans la fabrique
de laction publique, apparition de nouveaux modes de coordination. Les frontires et leur progressive
obsolescence sont alors considres comme des lments explicatifs et contextuels permettant de
rendre compte des changements de laction publique dans les territoires institutionnels existants9. La
frontire est envisage comme une barrire, dont le degr croissant douverture dans les domaines
conomique, politique, culturel et social dtermine lvolution des structures politiques nationales qui,
en retour, modifient les fonctions de la frontire. Les travaux fondateurs de Liam ODowd, Thomas
M. Wilson et James Anderson sur les frontires sinscrivent clairement dans cette perspective10.
Par ailleurs, les analystes de laction publique et des structures politiques, en considrant louverture
des frontires uniquement sous laspect du march unique europen et de la mondialisation,
lassimilent un phnomne gnral, essentiellement conomique, qui se concrtise par une
multiplication des flux et des rseaux ignorant les cadres nationaux (NTIC, innovations, vols
davion). La frontire apparat alors comme un lment d-territorialis. Ainsi, il semble que la
frontire matrialise et spatialise dcrite par les gographes trouve peu dcho auprs des
politologues. En science politique, le phnomne de la frontire apparat pendant longtemps comme
6 Moravcsik A., "Preferences and power in the European Community : a liberal intergovernmentalist approach", Journal of Common Market Studies, 1993, 31/4, p. 473-524. 7 Haas E., The Uniting of Europe: Political, Social and Economic Forces 1950-1957, Stanford, Stanford University Press, 1968. 8 Sandholtz W., Stone Sweet A. (Eds), European Integration and Supranational Governance, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; Mny Y., Muller P. et Quermonne J-L.(dir.), Politiques publiques en Europe, Paris, L'Harmattan, 1995. 9 Jessop B., "The Political Economy of Scale", in Globalization, Regionalization and Cross-border Regions, Perkmann M., Sum N-L. (Ed.), New-York, Palgrave, 2002. 10 Wilson T.M., ODowd L., Frontiers of Sovereignty in the New Europe in Borders, Nations and States: Frontiers of Sovereignty in the New Europe, ODowd L., Wilson T.M. (Ed.), Aldershot: Avebury, 1993; Anderson J., ODowd L., Borders, Border Regions and Territoriality: Contradictory Meanings, Changing Significance, Regional Studies, 1999, vol. 33.7, p.593-604.
13
relevant des lois du commerce mondial, des traits politiques internationaux et daccords rgionaux,
cest--dire ayant une existence avant tout lgale, voire virtuelle, et non une consistance matrielle et
territorialise. Les analyses sont focalises sur lchelon transnational, ngligeant ainsi le point de vue
local : la question dune dynamique propre lespace transfrontalier demeure largement impense.
Il faut attendre la monte en puissance de la politique rgionale communautaire et plus
spcifiquement, le dveloppement des programmes INTERREG et la gnralisation des
mouvements de dcentralisation, qui facilitent les projets de coopration transfrontalire, pour que la
frontire devienne un objet dtude part entire. Les recherches qui sintressent la frontire en tant
quespace, cest--dire lespace transfrontalier et aux enjeux politiques qui sy rattachent,
sinscrivent dans la ligne des travaux relatifs laffirmation croissante des pouvoirs locaux,
rgionaux et urbains en lien avec le renforcement des organisations supranationales11. Dans ces
approches, il nest plus seulement question de frontires mais de coopration transfrontalire : on
passe dun tat passif des frontires perues comme des variables indpendantes explicatives un tat
actif travers lequel les frontires sont envisages comme un nouvel espace daction publique qui
devient lui-mme un phnomne expliquer. Cest travers la focale territoriale prsente dans les
analyses du local que lespace transfrontalier accde au statut dobjet dtude.
Plusieurs axes de recherche sont alors dvelopps. On peut schmatiquement les regrouper en quatre
catgories relies les unes aux autres : la coopration transfrontalire comme exemple typique et
spcifique des transformations de laction publique ; les facteurs dterminants de la coopration
transfrontalire ; les usages politiques de la coopration transfrontalire ; la coopration
transfrontalire au prisme de leuropanisation.
La coopration transfrontalire, cas exemplaire des transformations de laction publique
Plusieurs travaux, notamment ceux rassembls par Markus Perkmann et Ngai-Ling Sum dans
Globalization, Regionalization, Cross-border Regions: Scales, Discourses and Governance12,
soulignent lintrt de travailler sur la coopration transfrontalire dans la mesure o celle-ci est
emblmatique des changements qui affectent laction publique et les modes de gouvernement depuis
plus de vingt-cinq ans. Ces recherches montrent en effet que la coopration transfrontalire doit son
dveloppement aux mouvements de territorialisation de laction publique dune part cest--dire aux
phnomnes de dcentralisation et plus largement au processus dautonomisation des acteurs locaux ,
11 Par exemple : Balme R., Les politiques du no-rgionalisme, Paris, Economica, 1996 ; Keating M., Regions and Regionalism in Europe, The International Library of Comparative Policy 16, Cheltenham, Edward Elgar Collection, 2004 ; Le Gals P., Du gouvernement de villes la gouvernance urbaine , Revue Franaise de Science Politique, 1997, vol.45, n1, p.57-95. 12 Perkmann M., Sum N-L (eds.), Globalization, Regionalization, Cross-border Regions: Scales, Discourses and Governance, New-York, Palgrave, 2002. Voir aussi les contributions relatives au transfrontalier dans Bassand M., Saez G. (dir.), Gouvernance mtropolitaine et transfrontalire, Paris, L'Harmattan, 1997.
14
dintgration rgionale au niveau supranational dautre part, notamment travers la construction de
lUnion europenne et le dveloppement de sa politique de cohsion. En retour, elle participe ces
deux processus. La coopration transfrontalire sinscrit ainsi dans le processus douverture de laction
publique de nouveaux acteurs13, tant locaux que supranationaux, mais aussi aux acteurs du secteur
priv14. Ces tudes sur la coopration transfrontalire montrent galement la perte dinfluence de
lEtat, ou du moins, la redfinition du rle des instances tatiques aux frontires nationales.
De plus, la coopration transfrontalire implique plusieurs pays, concerne potentiellement une
pluralit de secteurs daction publique et peut stendre sur un espace gomtrie variable : par
consquent, elle est susceptible de donner lieu une coordination dacteurs pluri-sectorielle et multi-
niveaux. Cette coordination peut prendre la forme de rseaux interdpendants dacteurs constitus sur
une base territoriale ou sectorielle. Ces rseaux sont analyss comme tant le plus souvent non
contraignants, fluctuants et faiblement institutionnaliss. Ils refltent le passage dune action publique
limite aux territoires politiques une action publique dploye sur des espaces fonctionnels
mettant en jeu une pluralit de territoires, dacteurs et de niveaux de gouvernement15.
Dans ce type dapproche, les auteurs mobilisent la notion de gouvernance ou dveloppent une
analyse en termes de rseaux daction publique , deux perspectives qui insistent sur la perte de
centralit de lEtat et sur le dveloppement de modes de rgulation plus horizontaux.
Ces recherches sur la coopration transfrontalire mettent galement en vidence les limites des
transformations de laction publique en cours. Comme pour dautres politiques publiques, louverture
du processus daction publique une multiplicit dacteurs et le recours des formes moins
hirarchises de coordination ne signifient pas une plus grande garantie dmocratique. Au contraire,
nombreuses sont les tudes, comme celle de Patrick Hall sur la rgion dresund entre le Danemark et
la Sude, qui soulignent le caractre technocratique et litiste des rseaux daction publique
transfrontaliers16. Par ailleurs, si la coopration transfrontalire est un terrain propice laffirmation de
nouvelles faons de gouverner, elle est aussi un exemple frappant de la persistance des systmes
institutionnels et politiques traditionnels . En effet, la porte limite des actions et des partenariats
transfrontaliers rvle la rsistance des cadres nationaux, le positionnement ambigu de la Commission
13 Leloup F., Moyart L., La rgion frontalire : vers quels nouveaux modes de dveloppement et de gouvernance ? , in Amilhat-Szary A.L., Fourny M-C., Aprs les frontires, avec la frontire. Nouvelles dynamiques transfrontalires en Europe, Paris, La Tour dAigues, 2006. 14 Beaucoup de projets de coopration transfrontalire sont ainsi raliss par des associations. 15 Leresche J-P., Saez G., Identits territoriales et rgimes politiques de la frontire , Ple Sud, 1997, n7, p.27-47 ; Nagelschmidt M., Le systme niveaux multiples dans les rgions transfrontalires en Europe : le cas du Rhin suprieur et de la frontire Est de la RFA , Revue internationale de politique compare, 2005, vol.12, n2, p.223-236 ; Faure A., Politiques de coopration et pratiques culturelles. Les intrts en jeu sur l'espace franco-genevois in Gouvernance mtropolitaine et transfrontalire, Bassand M., Saez G. (dir.), op.cit. 16 Hall P., Opportunities for Democracy in Cross-border Regions? Lessons from the Oresund Region, Regional Studies, 2008, vol.42, n3, p.423-435. Voir galement : Veggeland N., Post-national Governance and Transboundary Regionalization. Spatial Partnership Formations as Democratic Exit, Loyalty and Voice Options?; Strver A., "We are only allowed to re-act, not to act": Eurocrats Strategies and Borderlands Tactics in Dutch-German Cross-border Region in Cross-border Governance in the European Union, Kramsch O., Hooper B.(Ed.), Londres, Routledge, 2004.
15
europenne, la faible implication des entreprises et la dpendance des acteurs locaux vis--vis du
gouvernement central, autant dlments qui relativisent lavnement dune re de la gouvernance .
Les travaux relatifs ces problmatiques partent le plus souvent dhypothses fortes sur le
transfrontalier comme terrain exemplaire des nouveaux modes daction publique. Il sagit dun
raisonnement dductif qui vise inscrire lanalyse locale dans un cadre dexplication macro , ce qui
fait courir le risque dune surinterprtation du phnomne transfrontalier : celui-ci deviendrait le cas
typique, voire lavant-garde, des transformations de laction publique, laissant de ct lhypothse de
particularits propres au transfrontalier. Les spcificits locales notamment tendent tre sous-
estimes au profit dune lecture homognisante qui apporte finalement peu dlments
supplmentaires par rapport aux analyses dj dveloppes autour du thme de la gouvernance .
Les facteurs dterminants de la coopration transfrontalire
Les tudes existantes sur le transfrontalier concerne galement les causes de son dveloppement :
pourquoi les acteurs se mobilisent-ils pour mettre en place des cooprations transfrontalires ? Quels
sont les lments qui dterminent la structuration spcifique dune coopration ?
Les travaux relatifs ces questions mettent en vidence deux types de facteurs : les facteurs structurels
de grande ampleur et les facteurs plus conjoncturels et/ou spcifiques chacune des zones tudies.
Parmi les facteurs structurels, que nous avons voqus prcdemment, on retrouve dune part les
processus de dcentralisation ou de rgionalisation, et plus largement de territorialisation de laction
publique, et dautre part lavance de la construction europenne, et plus spcifiquement le
renforcement de la politique rgionale europenne et son volet consacr la coopration
transfrontalire (INTERREG). Alors que les rformes de dcentralisation et la conclusion daccords
internationaux offrent aux acteurs locaux de nouvelles possibilits pour tendre leur action au-del des
frontires, le programme communautaire INTERREG met disposition des oprateurs locaux des
financements, des instruments et une idologie europenne qui peuvent intresser les acteurs
locaux en qute de lgitimit et de capacits daction. Les contributions runies dans louvrage
collectif de Liam Dowd, James Anderson et Thomas M. Wilson, New Borders for a Changing Europe.
Cross-border Cooperation and Governance, voquent linfluence de ces diffrents facteurs17. On
trouve galement ce type danalyse dans le travail de Bruno Dupeyron sur les frontires rhnanes et
pyrnennes qui dcrypte les conditions dmergence et de mise en uvre de la coopration
transfrontalire. Cet auteur montre que la mise sur agenda de la question transfrontalire fait intervenir
17 Anderson J., O'Dowd L., Wilson T.M. (Ed.), Borders for a Changing Europe. Cross-border Cooperation and Governance, Londres, Frank Cass Publishers, 2003.
16
une multitude dacteurs et que ce processus est dabord domin par les acteurs tatiques avant que ne
saffirment progressivement la Commission europenne et les collectivits locales18.
Ces phnomnes communs lensemble des pays de lUnion europenne nont cependant pas les
mmes effets toutes les frontires. Les spcificits nationales, mais aussi rgionales et locales jouent
un rle dterminant. Ainsi, certains travaux essaient dapprcier le poids des facteurs tels que la
structure institutionnelle, politique et juridique propre aux pays en particulier ltat des relations
centre-priphrie , les donnes socio-culturelles, dmographiques et gographiques de la zone
transfrontalire, lhistoire locale de la coopration, lintensit de la mobilisation sociale et lexistence
ou non dun leadership politique au niveau territorial, les intrts politiques des organisations et des
lus locaux19 Markus Perkmann montre par exemple dans son tude sur les Eurorgions que le
systme fdral allemand, la grande autonomie des communes ainsi que la prsence dun entrepreneur
politique local facilitent fortement la coopration transfrontalire20.
partir de lidentification de ces facteurs, des auteurs tentent de constituer des typologies des
diffrentes formes de coopration transfrontalire. Les principaux lments de diffrenciation mis en
lumire sont de trois ordres : la production dune reprsentation commune et stratgique du territoire ;
le mode de gouvernement retenu ; limplication de la socit civile et de la classe politique locale. Les
recherches ce sujet, notamment celles de Markus Perkmann21, tendent tablir un classement des
cooprations transfrontalires, des plus intgres et lgitimes aux plus faiblement institutionnalises et
marginales. Les jugements normatifs sont alors prsents dans ce type de travaux qui peuvent se
rapprocher plus de lexpertise que de la production scientifique traditionnelle.
Les approches no-institutionnalistes et la mthode comparative sont majoritairement sollicites pour
analyser linfluence des diffrents facteurs sur le phnomne de la coopration : selon les tudes, on
retrouve principalement des analyses en termes dinstitutionnalisme historique et du choix rationnel.
Ces thories ne sont toutefois pas mobilises pour expliquer dventuelles dynamiques
institutionnelles internes la coopration transfrontalire mais uniquement pour valuer le poids des
institutions existantes sur le dveloppement effectif de la coopration. Par ailleurs, les rfrences au
concept de leadership et aux approches cognitives sont frquentes.
Les limites de ce type de travaux proviennent du fait que les diffrentes variables explicatives sont
souvent exposes indpendamment les unes des autres, sans que les liens qui les rattachent entre elles
18 Dupeyron B., L'Europe au dfi de ses rgions transfrontalires : expriences rhnane et pyrnenne, Bern, Peter Lang, 2008. 19 Voir par exemple ltude dAndrew Church et Peter Reid sur la coopration franco-britanique : Church A., Reid P., Cross-border Co-operation, Institutionalization and Political Space across the English Channel, Regional Studies, 1999, vol.33.7, p.604-617 ; Voir galement : Nagelschmidt M., op.cit., sur la frontire de la valle du Rhin suprieur entre la France, lAllemagne et la Suisse. 20 Perkmann M., Construction of New Territorial Scales: a Framework and Case Study of the EUREGIO Cross-border Region, Regional Studies, 2006, n40, p.1-15; Euregions: Institutional Entrepreneurship in the European Union in Globalization, Regionalization and Cross-border Regions, Perkmann M., Sum N-L (Ed.), op.cit. 21 Perkmann M., 2003, Cross-border Regions in Europe. Significance and Drivers of Cross-border Co-operation, European Urban and Regional Studies, n10 (2).
17
soient clairement explicits. Ainsi, en faisant appel des bases thoriques et disciplinaires diverses,
ces analyses tendent aligner une srie de facteurs mais manquent dun cadre explicatif global tel
quon peut en trouver dans les travaux des no-institutionnalistes. De plus, elles privilgient les
explications en termes de causalit au dtriment de lanalyse des processus qui exigerait une approche
plus introspective de laction publique transfrontalire. Ces tudes favorisent aussi les typologies au
risque daplanir les diffrences entre les cas de coopration transfrontalire. Enfin, la dimension
normative de ces analyses transparat dans le fait que ces typologies ressemblent souvent des
classements qui hirarchisent les diffrents types de coopration.
Lapport majeur de ces recherches est de montrer que la coopration transfrontalire dpend dune
pluralit de facteurs spcifiques. En revanche, elles ont tendance privilgier une lecture exogne de
ces facteurs et surestimer le rle des leaders, sans interroger suffisamment les conditions sociales
dans lesquelles sexerce le leadership. Dautres travaux comblent en partie ces faiblesses en se
focalisant sur les usages qui sont faits de la coopration.
Les usages politiques de la coopration transfrontalire
linstar des analyses de laction publique locale qui montrent de quelle manire le territoire peut tre
une ressource pour les acteurs, certains travaux prsentent la coopration transfrontalire comme une
opportunit pour les individus et les groupes qui sy investissent. En effet, les diffrents acteurs
retirent de leur engagement dans la coopration transfrontalire des avantages la fois symboliques et
matriels qui leur permettent daugmenter leur pouvoir (capacit daction) et leur autorit (lgitimit).
Ainsi, la construction souvent trs symbolique dune identit territoriale transfrontalire, qui met en
avant les caractres communs de part et dautre de la frontire en termes historiques, gographiques ou
socio-culturels, fournit aux acteurs locaux un support dmancipation face aux pouvoirs centraux et
une lgitimit vis--vis des populations et des autres organisations prsentes sur le territoire22. Les
travaux de Hkli sur la frontire catalane ou de Lissandrello sur lespace transfrontalier autour du
Mont Blanc dcrivent cette construction identitaire autour de la frontire qui se mourrit de lide dune
citoyennet europenne, et parfois des discours vhiculs par les mouvements rgionalistes. Outre ce
travail de mise en reprsentations, les acteurs de la coopration sappuient sur les moyens financiers,
les outils et les potentialits relationnelles contenus dans le dispositif europen INTERREG et dans
dautres formes de coopration pour acqurir de nouvelles capacits daction en termes la fois
matriels et de capital social . Pour certains lus locaux, faire du transfrontalier , cest offrir
limage dun territoire ouvert, dynamique et pro-europen, tisser des liens avec les institutions
europennes, tablir des relations avec de nouveaux partenaires, apprendre matriser des mthodes
22 Hkli J., Governing the Mountains: Cross-border Regionalization in Catalonia; Lissandrello E., Cross-border Region Espace Mont-Blanc: a Territorial 'not yet', in Cross-border Governance in the European Union, Kramsch O. and Hooper B. (Ed.), op.cit.
18
innovantes de gestion territoriale. travers ces usages de la coopration transfrontalire, les lus et
les organisations quils reprsentent inscrivent leur territoire politique dans la comptition territoriale
et dans le mme temps, confortent leur position politique au sein de leur fief lectoral23. Laction
publique transfrontalire, dans la mesure o elle est porteuse de ressources, apparat alors comme un
enjeu de pouvoir entre les diffrentes autorits politiques, qui, de manire la fois partenariale et
concurrente, essaient de se lapproprier. Le travail de Burno Dupeyron montre ainsi que malgr
l anomie de la coopration transfrontalire, celle-ci a des raisons de se dvelopper dans la mesure
o les acteurs peuvent en retirer divers avantages24.
Pour expliquer les usages de la coopration transfrontalire, les auteurs sappuient soit sur les thories
du choix rationnel, soit sur les approches cognitives. Par ailleurs, ils portent un regard plus
sociologique sur laction publique locale. De plus, comme dans les travaux portant sur les causes de la
mobilisation transfrontalire, ces auteurs utilisent la comparaison comme outil de validit scientifique.
Les limites de ce type dapproche sont de deux ordres. Dune part, si ces travaux introduisent de
manire intressante les lments lis au pouvoir et aux luttes politiques, ils ont parfois tendance trop
vouloir se mettre dans la peau du responsable politique et valoriser ainsi une explication par les
choix rationnels, ce qui ne permet pas de rendre compte de lensemble des pratiques de coopration.
Cest notamment le cas du travail de B. Dupeyron qui appuie son propos presque exclusivement sur
les thories du choix rationnel, avec des rfrences constantes M. Olson, et prte peu attention
linfluence de lenvironnement, cest--dire aux structures, notamment institutionnelles, et aux
lments contextuels25. Dautre part, quand les auteurs tentent de nuancer les lectures en termes de
choix rationnel par une approche qui valorise le rle des ides et des reprsentations, ils peinent se
dtacher des reprsentations produites par les acteurs et porter sur elles un regard critique.
La coopration transfrontalire au prisme de leuropanisation
Enfin, la coopration transfrontalire est souvent tudie dans le cadre de questionnements lis
lintgration europenne et une ventuelle europanisation de laction publique lchelle des
23 Hamman P., Entre voisins le transfrontalier. Le territoire du projet Sarrlolux , Les Annales de la recherche urbaine, 2001, n90, p.199-207. 24 B. Dupeyron met en lumire lanomie de la coopration transfrontalire tant au niveau de ses acteurs dans la mesure o ceux-ci sont en nombre rduit, faiblement dots financirement et symboliquement et organiss au sein de rseaux htrognes et partiellement concurrents que de ses politiques dans la mesure o on a affaire des micro-projets sans cohrence densemble et dune porte limite. Malgr, et parfois grce , cette vulnrabilit, la coopration transfrontalire a des raisons de se dvelopper : la petite taille des rseaux permet tous les acteurs participants de bnficier des retombes positives de la coopration sans risque de voir se dvelopper des comportements de passager clandestin ; le discours consensuel sur lintgration europenne et la construction dune reprsentation commune du territoire transfrontalier soude les solidarits et sert les intrts politiques locaux ; enfin, le transfrontalier offre des incitations slectives facilement accessibles (financement INTERREG, symbolique de lengagement europen et de la diplomatie de proximit, mdiatisation facile) et des bnfices dordre affectif et professionnel spcifiques. Dupeyron, B., op.cit.. 25 Dureyron B., op.cit..
19
territoires. Les travaux dvaluation du programme INTERREG raliss pour le compte des
institutions europennes et de leurs partenaires territoriaux prsentent peu dintrt en termes de
rsultats scientifiques. En revanche, la thse de Jean-Baptiste Harguindguy26 qui analyse le processus
de mise en uvre locale des programmes communautaires INTERREG dans plusieurs zones de la
frontire franco-espagnole met en vidence les mcanismes de convergence ou au contraire de
divergence entre les diffrents territoires transfrontaliers. Cest clairement la problmatique de
leuropanisation27qui est ici considre : il sagit de voir de quelle manire les acteurs locaux
adaptent le programme INTERREG aux conditions locales et dans quelle mesure cette adaptation
limite ou non lhomognisation des faons de faire du transfrontalier en Europe28. Lauteur vise
dpasser la dichotomie entre les thories no-fonctionnalistes et interactionnistes29. Pour cela, il
mobilise une pluralit dapproches quil estime complmentaires : no-institutionnalismes historique
et des choix rationnels, thorie des rseaux, analyse cognitive. En comparant la mise en uvre de
plusieurs projets INTERREG dans des zones distinctes de la frontire franco-espagnole, J-B.
Harguindguy rfute lide dune homognisation des manires de faire du transfrontalier et
souligne limportance de certains facteurs dans la diffrenciation des cooprations transfrontalires
tudies : lanciennet de la coopration ; lintrt politique des leaders locaux ; les efforts
complmentaires dautres acteurs (Etat, Rgions, techniciens) ; le degr dinstitutionnalisation des
interactions au sein de la coopration.
En cherchant comprendre quels lments interviennent dans le processus deuropanisation et de
diffrenciation de la coopration transfrontalire, lauteur sintresse la fois aux facteurs et aux
usages mmes de la coopration, au risque de les confondre. En effet, lorsque lauteur met en vidence
le rle du temps long et des traditions coopratives la frontire dans la structuration actuelle des
cooprations transfrontalires, il voque un facteur causal. Par contre, lorsquil insiste sur le degr
26 Harguindguy J-B., La frontire en Europe : un territoire ? Coopration transfrontalire franco-espagnole, Paris, LHarmattan, 2007. 27 Lapproche en termes deuropanisation sest dabord focalise sur linfluence de lintgration europenne sur les Etats-membres, privilgant une vision verticale. Cf. Caporaso J.A., Green Cowles M., Risse T. (Ed.), Transforming Europe: Europeanisation and Domestic Change, Ithaca, Cornell University Press, 2001 : Radaelli C., The Domestic Impact of European Union Public Policy , Politique europenne, n5, p.107-142. Puis, diverses tudes ont fourni des analyses plus subtiles, introduisant les acteurs locaux et rgionaux mais aussi privs dans le jeu europen et incluant les relations double sens entre les Etats et les institutions europennes. La plupart des travaux actuels dcrivent ainsi une ralit complexe qui ne rend pas compte dun jeu somme nulle entre les acteurs mais de relations rticulaires, de stratgies dalliances et de coopration qui intgrent une pluralit dacteurs et nobissent pas au simple dcoupage Etats membres/Commission europenne. L europanisation voque dsormais les stratgies dajustement diffrencies et le poids des configurations nationales et locales dans la fabrique des politiques publiques europennes. Palier B., Surel Y. (dir.), LEurope en action. Leuropanisation dans une perspective compare, Paris, LHarmattan, 2007 ; Hooghe L., Keating M., The Politics of European Union Regional Policy , Journal of European Policy, 1994, 1:3, p.367-394. 28 Le thme de leuropanisation est galement prsent, bien que de manire beaucoup moins centrale, dans les travaux de Bruno Dupeyron, op.cit.. Celui-ci explore notamment lvolution du rle de la Commission europenne par rapport celui des autres acteurs. Alors que son rle est non-directif lors dINTERREG I et II (de 1988 2000) et que priment la ngociation et la diffrenciation de chaque espace transfrontalier, il devient plus contraignant partir dINTERREG III, mme si la perspective dune homognisation de la coopration transfrontalire est encore lointaine. Face la politique europenne, les acteurs nationaux et infra-nationaux ragissent diffremment : par des jeux dalliance ou de concurrence, certains saffirment au dtriment dautres. 29 En cela, lauteur sinscrit dans la ligne des travaux de recherche prcdemment voqus qui produisent une vision nuance du processus dintgration communautaire. Ce dernier ne serait ni le produit dune diffusion descendante des normes communautaires entranant une dissolution unilatrale des limites tatiques, ni celui dune diffusion intermdie et dune mobilisation ascendante prservant le pouvoir des Etats membres.
20
dinstitutionnalisation de la coopration comme facteur de diffrenciation, il ne sagit plus dune cause
mais dune manifestation de cette diffrenciation, dun usage diffrenci des interactions
transfrontalires. Enfin, quand il voque les intrts des leaders politiques locaux et les stratgies des
autres acteurs, ce sont la fois les attentes des acteurs et leur concrtisation en actes politiques qui
interviennent dans le processus de construction de la coopration transfrontalire. La distinction entre
les causes et les usages nest pas toujours facile oprer tant les deux phnomnes peuvent se
rejoindre. Nanmoins, cest la temporalit qui spare les causes des usages et fait quil est possible de
reprer un usage et den rechercher les causes, alors que linverse est illusoire. Les spcificits dune
coopration transfrontalire peuvent donc sexpliquer dune part par des facteurs prexistants, dautre
part par des usages particuliers, mais il est ncessaire analytiquement de distinguer ces deux types
dexplication, qui impliquent des mthodes de recherche et des approches thoriques diffrentes.
La construction institutionnelle : langle mort des travaux existants relatifs au thme de la coopration transfrontalire
Compte tenu des limites inhrentes aux diffrents travaux voqus prcdemment, nous avons effectu
plusieurs choix de nature ngative ou positive. Il convient dans un premier temps de souligner ce qui
ne relve pas des directions principales de notre projet de recherche. En effet, en matire de
construction de lobjet dtude et du questionnement, un effort de concentration sur une seule
perspective a t poursuivi, ce qui a impliqu de mettre lcart certaines questions, qui pourront
malgr tout apparatre en filigrane.
Tout dabord, les approches en terme de gouvernance ont t cartes, non pas parce quelles ne
correspondent pas aux faits observs mais parce quelles ne constituent pas, notre avis, un cadre
danalyse original qui puisse mettre en vidence les particularits de la coopration transfrontalire par
rapport dautres espaces daction publique. De plus, ltude des nouveaux modes de rgulation entre
acteurs suppose dadopter un point de vue surplombant qui ncessite un travail empirique tous les
niveaux de gouvernement, ce qui nous est apparu trop ambitieux.
Ensuite, le thme de leuropanisation na pas non plus t retenu comme axe principal, dune part,
parce quil a dj t trait dans la thse de J-B. Harguindguy, dautre part, parce quil exige une
tude des relations entre le niveau europen et le ou les territoires, et requiert donc une mthodologie
spcifique difficilement matrisable. Par ailleurs, la thmatique de leuropanisation incite travailler
prioritairement sur des projets INTERREG, ce qui fait courir le risque driger les normes
europennes en donnes de rfrence et de driver vers des analyses dvaluation du programme
europen.
Quant aux questions relatives aux usages et aux facteurs de la coopration transfrontalire, elles nont
pas t retenues dans un premier temps comme les lignes directrices de notre questionnement compte
tenu de leur faible valeur explicative globale lorsquelles sont extraites de leur environnement
21
sociologique et structurel. Il nous a sembl opportun de rintroduire ces questions au fur et mesure
de lanalyse au service dune trame explicative plus gnrale. Autrement dit, nous les avons plac dans
notre bote outils sans les considrer comme dterminantes pour la dfinition de notre question
de dpart.
Les recherches que nous avons mentionnes jusquici se rattachent des questionnements et des
courants thoriques classiques de la science politique mais passent ct dune problmatique qui
semble pourtant essentielle quand on tudie un nouveau domaine daction publique : la question de
linstitutionnalisation.
Quand le terme d institutionnalisation apparat dans les travaux relatifs la coopration
transfrontalire, il est souvent assimil une variable qui dterminerait la politique transfrontalire. Le
caractre plus ou moins institutionnalis de la coopration est alors voqu comme un critre pour
caractriser ou pour valuer lefficacit du phnomne transfrontalier observ. Linstitutionnalisation,
selon son degr daboutissement, est envisage en tant que cause dune coopration plus ou moins
russie et conforme au modle europen ou en tant que facteur de diffrenciation entre diverses
expriences de coopration transfrontalire. Elle fait galement partie du constat de dpart : la
coopration transfrontalire est faiblement institutionnalise. Les auteurs se demandent alors quelles
en sont les causes, quils estiment souvent extrieures, mais sans dtailler le processus mme de
construction institutionnelle. De plus, dans les travaux existants, le processus dinstitutionnalisation
est frquemment associ au degr de formalisation. Linstitution se confond alors avec lorganisation.
Si quelques rares travaux vont au-del de lanalyse des formes et des rgles explicites de
fonctionnement, et sattachent dcrire les pratiques quotidiennes et les arrangements informels entre
acteurs, ils ninterrogent pas la manire dont ces formes et ces rgles qui font linstitution ont t
produites, ni dans quelle mesure elles se perptuent indpendamment des acteurs qui leur ont
initialement donn corps, ni mme si elles sont susceptibles dvoluer.
En fait, la coopration transfrontalire est toujours analyse comme un domaine daction publique
dpendant la fois des structures socio-politiques, voire culturelles, qui lenglobent, et des leaders
politiques locaux qui la contrlent. Il est rarement envisag que la coopration transfrontalire puisse
relever en partie dun processus autonome.
Pourtant, il sagit l dune question importante pour comprendre comment se dveloppe le phnomne
transfrontalier. En effet, pour saisir les ressorts qui orientent la coopration transfrontalire, il est
essentiel de se demander quelles sont les dynamiques de lgitimation et dautonomisation qui sont
luvre au sein des groupes dacteurs et des organisations en charge de ce domaine daction publique.
En dautres termes, nous pensons quau-del des explications qui se focalisent uniquement sur les
facteurs exognes de la coopration ou sur ses usages politiques, ltude du processus
dinstitutionnalisation permet de rendre compte des logiques internes qui gouvernent la coopration
22
transfrontalire. Nous entendons par institutionnalisation le processus de transformation en
institution, cette dernire tant prise dans son acception sociologique et non comme simple synonyme
dorganisation formelle. Nous pouvons retenir la dfinition de linstitution donne par Olivier Nay :
un ensemble de modles de comportements et de systmes de valeurs partages, qui, par leur
stabilit et leur rcurrence, orientent les pratiques et les conduites des acteurs sociaux 30. A partir de
cette dfinition, les principaux questionnements de notre recherche se dessinent plus clairement :
assiste-on lmergence de rgles et de normes spcifiques la coopration transfrontalire franco-
belge ? Comment ces rgles sont-elles produites ? Confrent-elles aux organisations et aux groupes
dacteurs engags dans des actions de coopration transfrontalire une certaine lgitimit et une
certaine autonomie par rapport aux institutions existantes ? Dans quelle mesure ces pratiques et ces
valeurs partages se reproduisent-elles au del des individus qui les portent ?
Pour rpondre ces interrogations, nous avons d laisser de ct les travaux relatifs la coopration
transfrontalire pour nous intresser ceux qui traitent des processus de construction institutionnelle.
Ainsi, nous avons effectu un dplacement au cours duquel la coopration transfrontalire ne
reprsente plus llment central de notre recherche, mme si elle demeure un terrain particulier
prendre en considration. Cest la construction institutionnelle qui retient dornavant toute notre
attention. Dans cette perspective, la frontire nest plus au cur du raisonnement mais elle nous
permet de mettre lpreuve des hypothses et des concepts forgs partir de travaux empiriques sur
les processus dinstitutionnalisation. Autrement dit, la spcificit de notre objet dtude constitue
loriginalit de notre rflexion sur laction publique locale et les dynamiques institutionnelles.
Une approche originale des processus de construction institutionnelle
Le cas de la coopration transfrontalire peut facilement tre assimil au phnomne des nouveaux
espaces daction publique tels que les rgions, les pays , les agglomrations, lUnion europenne,
dont les processus dinstitutionnalisation et dautonomisation ont fait lobjet de nombreuses
recherches en science politique. Cest pourquoi nous nous sommes dabord intresse aux travaux
portant sur ces nouveaux territoires et sur les nouvelles organisations qui les accompagnent.
30 Nay O., La rgion, une institution. La reprsentation, le pouvoir et la rgle dans lespace rgional, Paris, LHarmattan, 1997, p.14.
23
Les travaux sur les nouveaux espaces daction publique : clairer la coopration transfrontalire sous un nouveau jour
linstar des nouveaux espaces daction publique infra-nationaux, la coopration transfrontalire
relve dune logique fdrative qui consiste agrger des territoires, et les organisations politiques qui
les reprsentent, sans sy substituer. La coopration transfrontalire franco-belge se traduit ainsi par
des accords et des partenariats de type intergouvernemental. La COPIT (Confrence permanente
intercommunale transfrontalire) tout comme le dispositif INTERREG, qui sont les deux principaux
lieux dorganisation de la coopration transfrontalire, mettent en relation de manire plus ou
moins formalise plusieurs autorits gouvernementales issues de pays et de rgions distincts et de
niveaux de pouvoir diffrents. Parmi les nouveaux espaces daction publique locaux, les travaux
relatifs aux agglomrations et aux logiques intercommunales qui les accompagnent nous ont
particulirement inspire dans la mesure o la zone transfrontalire que nous avons choisie a une forte
dimension urbaine.
Les organisations et les territoires intercommunaux tels quils existent dans de nombreux pays
dEurope se distinguent fondamentalement des espaces transfrontaliers par leur caractre infra-
national et limportance de leurs capacits daction31. Toutefois, ils ont lintrt de prsenter des
dynamiques dintgration du mme type, soulevant a priori des questions de recherche identiques sur
les nouveaux modes de coordination entre acteurs, la transformation du rle de lEtat ou la remise en
cause des mcanismes classiques de reprsentation politique32.
Une srie de travaux se focalisent sur le moment de la rforme instituant la nouvelle organisation :
quelles sont les conditions gnrales de production des rformes institutionnelles ? Quels rles ont
jou les diffrents acteurs dans la formulation et lapplication de ces rformes ? Daniel Gaxie a ainsi
montr limportance des luttes inter-institutionnelles au moment de llaboration des rformes, ce qui
tend favoriser les changements la marge33.
Dautres recherches abordent la question des facteurs locaux qui dterminent la construction
institutionnelle intercommunale afin dexpliquer le dveloppement diffrenci de lintercommunalit
selon les territoires. Bernard Jouve et Christian Lefvre mettent en vidence limportance du
31 Les Etablissements publics de coopration intercommunale (EPCI) bnficient, du moins juridiquement, dun transfert de comptences (en provenance des communes) tandis que les organisations transfrontalires restent des lieux de coordination sans comptence propre. De plus, les moyens financiers et humains dont peuvent disposer les EPCI sont sans commune mesure avec ceux des organisations transfrontalires, mme quand celles-ci reoivent un soutien de la part de lUnion europenne. 32 En guise dintroduction un ouvrage collectif sur les mtropoles et le transfrontalier, Michel Bassand et Guy Saez mettent en avant les points communs entre ces deux objets dtude. Cf. Les recompositions de laction publique en contexte mtropolitain et transfrontalier , in Gouvernance mtropolitaine et transfrontalire, Bassand M., Saez G. (dir.), Paris, LHarmattan, 1997. 33 Gaxie D., Structures et contradictions de ldifice institutionnel , in Luttes dinstitutions. Enjeux et contradictions de ladministration territoriale, Gaxie D. (dir.), Paris, LHarmattan, 1997.
24
leadership politique dans la construction dune action collective urbaine34. Emmanuel Ngrier et
Franois Baraize font tat dune grande varit de processus dintgration territoriale selon les
territoires et les contextes politiques locaux35. Taoufik Ben Mabrouk insiste quant lui sur le rle
croissant des experts et des cadres administratifs allis aux lus locaux dans la production dune
nouvelle vision du territoire urbain et sur linfluence des conflits inter-gouvernementaux dans la
construction dun nouveau modle de gestion et de mdiation des intrts36.
Deux recherches doctorales ont plus particulirement tudi les mcanismes dinstitutionnalisation de
lintercommunalit, mettant en vidence les logiques de dpendance au sentier mais galement les
dynamiques de changement des rgles dterminant le fonctionnement des organisations
intercommunales. David Guranger dtaille ainsi les logiques dauto-renforcement endognes qui
conduisent une lgitimation et une intgration croissante de la Communaut dagglomration de
Chambry37. Fabien Desage montre quant lui que lautonomisation de la Communaut urbaine de
Lille seffectue de manire incrmentale suite une conjonction deffets non intentionnels et la
mobilisation dacteurs des moments inattendus38.
Quelques auteurs se sont galement intresss aux effets des nouvelles organisations territoriales sur
les politiques publiques locales ainsi que sur les modes daction publique. Gilles Savary montre que le
mode de gouvernement par consensus privilgi la Communaut urbaine de Bordeaux conduit une
offre de services publics quantitativement et qualitativement suprieure, mais qui ne garantit ni la
cohrence et la rationalit densemble, ni lgalit et la matrise du cot de cette offre39.
Enfin, plusieurs recherches, notamment celles de Rmy Le Saout, interrogent la question du dficit
dmocratique dont souffrent ces nouveaux territoires. Cet auteur montre que les tablissements publics
de coopration intercommunale ne disposent pas dune relle autonomie politique : leur subordination
au pouvoir des communes se manifeste par divers mcanimes, et notamment par le maintien de la
rgle de llection au second degr40.
Parmi ces diffrentes perspectives danalyse, les tudes sur linstitutionnalisation ont particulirement
retenu notre attention dans la mesure o elles permettent dinsister sur les dynamiques internes,
34 Jouve B., Lefvre C. (dir.), Mtropoles ingouvernables : les villes europennes entre globalisation et dcentralisation, Paris, Elsevier, 2002. Voir galement le travail dAnne Mvellec sur limportance de la variable politique dans la rorganisation territoriale franaise : La construction politique des agglomrations au Qubec et en France. Territoires, gouvernement et action publique, Laval, Presses universitaires de Laval, 2008. 35 Baraize F., Ngrier E., Linvention politique de lagglomration, Paris, LHarmattan, 2001. 36 Ben Mabrouk T., Le pouvoir dagglomration en France. Logiques dmergence et modes de fonctionnement, Paris, LHarmattan, 2006. 37 Guranger D., La coopration entre communes dans le bassin chambrien (1957-2001). Elments pour une analyse no-institutionnaliste des dynamiques intercommunales, Thse de doctorat en science politique, Universit Grenoble 2, 2003. 38 Desage F., Le consensus communautaire contre lintgration intercommunale. Squences et dynamiques dinstitutionnalisation de la communaut urbaine de Lille (1964-2003), Thse de doctorat en science politique, Universit de Lille 2, 2004. 39 Savary G., La rgulation consensuelle communautaire : facteur dintgration/dsintgration politique. Lexemple de la Communaut urbaine de Bordeaux , Politique et management public, 1998, vol.16, n1, p.107-140. 40 Le Saout R., Lintercommunalit. Un pouvoir inachev , Revue Franaise de Science Politique, 2002, vol.50, n3, p.439-461 ; Le Saout R., De lautonomie fonctionnelle lautonomie politique , Actes de la recherche en sciences sociales, 2001, vol.140, n1, p.73-79.
25
contrairement aux approches dveloppes jusquici sur la coopration transfrontalire. Ces travaux
nous laissent voir la coopration transfrontalire non plus uniquement sous langle dun rsultat
(produit de phnomnes exognes), dun objet de pouvoir (dont lusage gnre des ressources pour les
acteurs qui sen saisissent) ou dun rceptacle (pour les nouveaux modes daction publique) mais
lenvisagent plutt comme un organisme vivant faonn par les interactions de ses membres et
susceptible datteindre une certaine autonomie. Cependant, nous verrons que la confrontation avec le
terrain a soulign les limites dun tel choix pour ltude du cas transfrontalier et a finalement dbouch
sur le recours dautres corpus thoriques.
Le recours au no-institutionnalisme historique et lanalyse stratgique de laction organise : enjeux de pouvoir, hritages et contingences dans la production de rgles
Dans les travaux sur les villes, la question de linstitutionnalisation est principalement tudie travers
le prisme dune organisation, savoir, les organisations intercommunales. En France notamment, les
recherches relatives aux tablissements publics de coopration intercommunales (EPCI) se sont
multiplies depuis une dizaine dannes41. Ces organisations cres par agrgation dentits dj
existantes se rapprochent fortement de la COPIT qui est une organisation rassemblant cinq
groupements intercommunaux implants de part et dautre de la frontire franco-belge. Cest pourquoi
nous nous sommes dabord focalise sur cette structure, qui devient en 2008 l Euromtropole Lille-
Kortrijk-Tournai runissant quinze autorits publiques distinctes.
Linstitutionnalisation renvoie une double dynamique : la lgitimation et lautonomisation. Dun
ct, lorganisation tend acqurir une lgitimit vis--vis de lextrieur comme de ses propres
membres. Dans notre cas, cest travers un processus de fonctionnalisation , cest--dire la
reconnaissance dune fonction sociale lgitime42, que lorganisation transfrontalire va saffirmer dans
le paysage politique local. Dun autre ct, linstitutionnalisation se concrtise par une production
normative spcifique lorganisation considre et relativement stabilise qui oriente les pratiques des
acteurs et confre ainsi lorganisation une certaine autonomie vis--vis de ses ressortissants. Notre
premire dmarche a alors consist identifier les rgles qui caractrisent la COPIT. Consciente que
les normes de comportement et les reprsentations collectives ne se manifestent pas uniquement
travers les discours et rgles formelles mais surtout travers les usages sociaux que les acteurs en font,
nous avons cherch mettre en vidence les pratiques rcurrentes et les modes de pense partags par
les diffrents membres de lorganisation.
41 Voir les travaux cits prcdemment : Gaxie D., op. cit., Desage F. op.cit. ; Guranger D., op.cit. ; Savary G., op.cit. ; Le Saout R., op.cit.. 42 Lagroye J., Sociologie politique, Paris, Presses de science po/Dalloz, 2003.
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Afin dexpliquer la fabrication de ces rgles qui font linstitution, nous avons fait appel, linstar
dautres recherches sur les processus dinstitutionnalisation, aux thories du no-institutionnalisme
historique ainsi qu lanalyse stratgique des organisations dveloppe par E. Friedberg. Sans entrer
dans le dtail de ces deux corpus thoriques43, on constate quils portent chacun une attention
spcifique aux relations de pouvoir entre acteurs dans la dtermination des rgles de laction
collective. Dans la perspective historico-institutionnaliste, les rgles sont le produit de rapports de
force et de compromis entre acteurs. Ces compromis peuvent tre volontaires, fruits dun calcul
stratgique, ou involontaires, issus dajustements successifs et diffus des comportements. Ainsi, selon
Bruno Thret, linstitution selon le no-institutionnalisme historique serait un ordre tir du
conflit, () la fois convention de coopration et forme de rgulation des conflits44.
Erhard Friedberg rejoint en partie ce point de vue dans son analyse stratgique des systmes daction
concrets puisquil montre que les rgles du jeu de la rgulation sont issues de ngociations entre
acteurs. Ceux-ci ayant des ressources ingales, les rsultats de la ngociation cristallisent un rapport de
force favorable aux acteurs les mieux dots et les mieux positionns. Les jeux stabiliss autour de tels
accords ou compromis ont alors toutes les chances de donner naissance un ensemble de valeurs et de
normes communes sur lesquelles les acteurs sappuient et qui viennent cimenter les arrangements
implicites auxquels les acteurs sont parvenus.
Dans le cas de la coopration franco-belge, nous verrons que les ressources dtenues par les acteurs
lillois en matire dexpertise territoriale et de leadership politique, ainsi que leur exprience dans le
domaine de la contractualisation et de lintgration intercommunale leur confrent une position initiale
dominante face des acteurs belges diviss.
Lune des diffrences entre la sociologie dErhard Friedberg et les no-institutionnalistes rside dans
leur apprhension de la relation structure/agent. Pour les no-institutionnalistes, les ressources des
acteurs, le rapport de force qui en dcoule et les rgles qui en sont issues dpendent fortement des
institutions auxquelles les individus appartiennent ce moment et dans cet espace donns, mme sils
ne nient pas la possibilit dune certaine latitude individuelle dans linterprtation des rgles.
Autrement dit, une nouvelle institution se construit en fonction des bagages institutionnels que ses
membres ont accumuls pralablement, des hritages quils vhiculent. Dans son travail sur la
Rgion, Olivier Nay montre que le rle des conseillers rgionaux rle qui participe
linstitutionnalisation de lorganisation rgionale dpend en partie des appartenances de ces lus
43 Pour une approche complte de lanalyse stratgique des organisations, voir : Friedberg E., La pouvoir et la rgle. Dynamique de laction organise, Paris, Seuil, 1993. Pour une approche synthtique des diffrents courants du no-institutionnalisme (historique, sociologique et du choix rationnel), voir : Hall P.A., Taylor R.C.R., La science politique et les trois no-institutionnalismes , Revue franaise de science politique, 1997, vol. 47, n3, p.469-496 ; Peters G. B., Institutional Theory in Political Science : the New Institutionalism, Londres/New-York, Continuum, 2005 ; Lecours A., Lapproche no-institutionnaliste en science politique : unit ou diversit ? , Politique et socits, 2002, vol.21, n3, p.3-19. Sur le no-institutionnalisme historique en particulier : Steinmo S., Thelen K., Longstreth F. (ed.), Structuring Politics: Historical Institutionalism in Comparative Analysis, Cambridge, Cambridge University Press, 1992. 44 Thret B., Institutions et institutionnalismes. Vers une convergence des conceptions de linstitution ? , in Innovations institutionnelles et territoires, Tallard M., Thret B. (dir.), Paris, LHarmattan, 2000.
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dautres arnes sociales et institutionnelles. Dans cette perspective, Paul Pierson a dvelopp la notion
de path dependence pour voquer linfluence dterminante des structures historiques sur les choix
prsents45.
Pour E. Friedberg, les lments de contingence sont beaucoup plus nombreux et la libert des acteurs
plus prgnante, ce qui rend les quilibres internes aux organisations et les rgles de la coopration
toujours prcaires. Les organisations sont toutes construites pour rguler les comportements, mais
aucune de ces rgulations (formelles ou informelles) ne parvient compltement stabiliser les
relations entre acteurs. Les acteurs concerns russissent, en construisant localement lordre de leur
coopration, se jouer au moins partiellement des rgulations les mieux assises, des contraintes et
des pressions structurelles les plus dterminantes46.
Des travaux de plus en plus nombreux, se rclamant du no-institutionnalisme, se revendiquent dune
position mdiane capable de concilier lintentionnalit des acteurs et le dterminisme des institutions47.
Ainsi, pour des auteurs comme Renate Mayntz et Fritz W. Scharpf48, les acteurs agissent
stratgiquement dans un cadre balis par les institutions, celles-ci dfinissant la constellation dacteurs
dans laquelle les interactions ont lieu et les orientations normatives et cognitives des acteurs
impliqus.
Dans notre cas, nous verrons que ce sont autant les contingences locales et le volontarisme de
quelques pionniers que les traditions et les rfrences issues des cadres organisationnels prtablis qui
dterminent les reprsentations et les rgles de fonctionnement, formelles et informelles, de la
coopration franco-belge.
Limites et rorientation du cadre thorique au regard de lempirie : parler de construction institutionnelle plutt que dinstitutionnalisation
Le recours au no-institutionnalisme historique et lanalyse stratgique des organisations, et lusage
qui a t fait de ces approches thoriques par divers chercheurs dans lanalyse des processus
dinstitutionnalisation des organisations intercommunales, incitent aller au-del de cette premire
tape qui concerne la production normative, pour tudier les mcanismes de renforcement des rgles
produites. Cest ainsi que Jacques Lagroye et Bernard Lacroix, en introduction dun ouvrage collectif
consacr linstitution prsidentielle, invitent le politiste sintresser dabord aux mcanismes de
construction de linstitution, travers les processus de formalisation/codification, puis aux usages, qui
45 Pierson P., Increasing Returns, Path Dependence and the Study of Politics , American Political Science Review, 2000, vol. 94, n2, p.251-267. Cette notion sera expose avec plus de dtails ultrieurement dans cette introduction. 46 Friedberg E., Les quatre dimensions de laction organise , Revue franaise de sociologie, 1992, XXXIII, p.552. 47 Ds lmergence de ce renouveau institutionnaliste, J.G. March et J.P. Olsen considrent que le no-institutionnalisme est mme de dpasser le dualisme entre agents et structures grce une combinaison de concepts comme lincrmentalisme, la path dependence , lapprentissage. Cf. March J.G., Olsen J.P., The New Institutionalism: Organizational Factors in Political Life , The American Political Science Review, 1984, vol.78, n3, p. 734-749. Quinze ans plus tard, Bruno Thret reconnat la capacit du no-institutionnalisme historique constituer une synthse entre lanalyse stratgique des acteurs et la reconnaissance de lautonomie partielle des institutions. Cf. Thret B., op.cit. 48 Mayntz R., Scharpf F.W., L'institutionnalisme centr sur les acteurs , Politix, 2001, vol.14, n55, p.95-123.
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traduisent la consolidation/incorporation mais contribuent galement modeler la figure de
linstitution, enfin aux processus de redfinition49. En effet, pour comprendre un processus
dinstitutionnalisation, il ne sagit pas seulement de reprer les rgles tablies un temps T, ni les
discours de lgitimation, mais galement de dcrire les mcanismes qui permettent la reproduction de
ces rgles dans le temps et leur traduction dans les pratiques des acteurs, cest--dire dexpliciter la
dimension processuelle du phnomne dautonomisation.
cet gard, le concept de path dependence de Paul Pierson, en soulignant les mcanismes de
rendements croissants (increasing return) attachs aux constructions institutionnelles50, constitue un
des cadres explicatifs les plus convaincants pour expliquer lauto-renforcement des processus
institutionnels. Si les tudes sur les institutions, en particulier celles relevant du no-institutionnalisme,
mettent laccent sur de tels effets dauto-renforcement, et consquemment, sur la faible possibilit de
changement des institutions, elles accordent depuis quelques annes une place plus importante au
changement institutionnel51. Surtout, plusieurs chercheurs se rclamant du no-institutionnalisme
historique se dmarquent dune approche du changement institutionnel qui privilgie une explication
par les chocs exognes ou les critical juncture pour dvelopper une analyse plus incrmentale et
dialectique tablissant un lien entre mcanismes de reproduction et dynamiques de changement,
rompant ainsi avec la dichotomie classique entre stabilit et changement. Ainsi, dans leurs derniers
crits, Kathleen Thelen et James Mahoney enrichissent lapproche du no-institutionnalisme
historique de manire mieux apprhender le changement52. Ils montrent que la possibilit dun
changement de nature incrmentale impuls par les acteurs est tout fait compatible avec lapproche
du no-institutionnalisme historique qui peroit linstitutionnalisation non pas uniquement comme un
processus continu de stabilisation, mais comme un va-et-vient entre des phases de renforcement et de
remise en cause du nouvel ordre institutionnel. Pour cela, ils portent une attention renouvele au
comportement des acteurs et leur rapport diffrenci linstitution et lenvironnement53. Ainsi, le
concept de leadership ou la prise en compte de la pluralit des sociabilits au sein dune mme
institution permet de penser le changement lintrieur dun environnement fortement contraint
49 Lacroix B., Lagroye J. (dir.), Le prsident de la Rpublique. Usages et genses dune institution, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1992, p.141. 50 Quatre mcanismes sont identifis par Paul Pierson concernant le renforcement dans le temps des constructions institutionnelles : les effets de coordination (les diffrents lments dune institution tant fortement interdpendants, changer un lment implique de changer lensemble, ce qui dcourage le changement), les effets danticipation adaptative (les acteurs agissent en fonction de prvisions labores par rapport aux rgles en vigueur ce qui, en retour, renforce ces rgles), les effets dapprentissage (qui renforce lacquis au dtriment du nouveau) et les effets lis aux cots (limportance des cots fixes et des cots de lancement dune innovation dcourage les intentions de changements). Pierson P., Increasing Returns, Path Dependence and the Study of Politics , op.cit. 51 Smyrl M., Politics et policy dans les approches amricaines des politiques publiques : effets institutionnels et dynamiques du changement , Revue Franaise de Science Politique, 2002, vol.52, n1, p.37-52. 52 Thelen K., Historical Institutionalism in Comparative Politics , Annual Review of Political Science, 1999, n2, p.369-404 ; Mahoney J., Thelen K. (Ed.), Explaining Institutional Change. Ambiguity, Agency and Power, Cambridge, Cambridge University Press, 2009. 53 Dans louvrage quils ont dirig ensemble en 2009, James Mahoney et Kathleen Thelen dfinissent en introduction plusieurs combinaisons de facteurs lorigine des changements institutionnels. Ils insistent notamment sur le rle des acteurs mme si celui-ci dpend du contexte politique et des caractristiques des institutions vises par la volont de changement. Ils dfinissent quatre catgories dacteurs porteurs de changement : the insurrectionaries , the opportunists , the subversives , the symbionts . Cf. Mahoney J., Thelen K. (Ed.), op.cit.
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structurellement54. Pour le dire autrement, change is seen as the consequence (wether intented or
unintented) of strategic action (wether intuitive or instrumental), filtered through perceptions of an
institutional context that favours certain strategies, actors, perceptions over others55.
Malgr lintrt de ces analyses, cest prcisment sur ce point que nous avons prouv leurs
premires limites, ou plus exactement, que la correspondance que nous avions tablie entre lanalyse
de lintercommunalit urbaine lchelle infra-nationale et la coopration transfrontalire a atteint ses
limites. En effet, nous verrons que notre analyse empirique de la COPIT ne nous permet pas de
distinguer des mcanismes de renforcement et dobjectivation capables de reproduire les rgles
indpendamment (ou partiellement indpendamment) de la volont des individus ou des groupes
membres de lorganisation.
Plusieurs explications peuvent tre apportes cela. Les mcanismes de reproduction et de
changement des rgles institutionnelles stablissent dautant plus facilement et rapidement que les
interactions entre les membres de lorganisation sont denses et prolonges. Cest dailleurs, selon Paul
Pierson, parce que ces conditions sont particulirement saillantes dans le champ politique que la thse
de la path dependence est particulirement convaincante pour comprendre les processus
dinstitutionnalisation au niveau politique, plus encore que dans le champ conomique56. Selon ce
modle, lincorporation des rgles par les individus et les divergences dinterprtation qui peuvent
mener des remises en cause passent par la socialisation et lapprentissage, et le renforcement des
rgles est dautant plus effectif quil existe une interdpendance forte entre les acteurs. Autrement dit,
pour que les rgles se traduisent en routines et acquirent une certaine autonomie, il faut un temps
relativement long durant lequel des acteurs, en nombre suffisamment important, se frquentent de
manire intensive : le temps de la socialisation et de lapprentissage ; le temps ncessaire pour que
sinstaurent des relations dinterdpendance et de coordination ; le temps pour chaque acteur
dintgrer la prsence de ses partenaires dans ses prvisions. Cest bien dans cette optique que Paul
Pierson et les no-institutionnalistes historiques revendiquent une prise en compte du temps long pour
mettre en vidence les dynamiques de continuit et de changement qui parcourent et faonnent les
institutions57.
Or, dans le cas de la COPIT, les changes entre les acteurs ont t relativement restreints et se sont
drouls sur une dure assez limite. Lpisode au cours duquel les interactions ont t les plus denses,
celle du projet Grootstad , a t de courte dure (environ quatre ans) et rassemblait un petit nombre
dacteurs (une quinzaine).
54 Cette approche se retrouve en France dans plusieurs travaux comme ceux de Rmy Lefebvre sur linstitution mayorale ( Le conseil des buveurs de bire de Roubaix (1892-1902). Subversion et apprentissage des rgles du jeu institutionnel , Politix, 2001, vol.14, n53, p.87-115) ou encore ceux de Fabien Desage sur la communaut urbaine de Lille ( Faut-il que rien ne change pour que les intercommunales changent ? Porte et limites des thories no-institutionnalistes. Le cas de la CU de Lille , in Les politiques publiques lpreuve de laction locale. Critique de la territorialisation, Faure A. Ngrier E. (dir.), Paris, LHarmattan, 2008). 55 Hay C., Wincott D., Structure, Agency and Historical Institutionalism, 1998, Political Studies, XLVI, p.951-957. 56 Pierson P., Increasing returns, path dependence and the study of politics, op.cit. 57 Pierson P., Politics in Time: History, Institutions and Social Analysis, Princeton, Princeton University Press, 2004.
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Compte tenu de ces limites propres lorganisation tudie, nous ne pouvons observer quun
processus dinstitutionnalisation inachev et encore fragile. Les mcanismes qui auraient permis
lintgration de lorganisation transfrontalire ntant pas encore solidement installs, nous montrerons
que la structure reste dpendante dune part des clivages prexistants, dautre part des individus qui
lhabitent, en particulier de ses fondateurs. Ainsi, comme le fait remarquer Julien Meimon dans sa
recherche