Le Devenir Machine Memoire

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    Soi-mme comme un autre dans le devenir

    technique lge numrique.

    Essai sur une conception du processus

    Joaquim Silvestre

    25 septembre 2010

    Rsum

    Cet essai dresse un tableau de la technologie dans sa dimension cultu-

    relle et ses applications dans le domaine de la conception. Le rapport avec la

    technique dfinit lhomme. Cest cette dfinition de lHomme qui servira de

    point de dpart un changement de point de vue. Loutil concentre lenjeu

    de ce changement. Il est le mdium par lequel lhomme modifie le monde.

    Larchitecte, figure, reprsente un monde possible. Avec ses outils de concep-

    tion, quils soient manuels ou intellectuels, cest dans une position nvralgiquequil participe ce changement. Il est donc question de proposer un nouveau

    point de vue sur la technique pour les concepteurs. Changer leurs regards est

    un enjeu crucial qui passe par la proposition dune vision. La technique in-

    formatique, au niveau de dveloppement quelle a atteint, constitue le point

    dinflexion qui permet dorienter franchement le devenir de la technologie. Elle

    concentre le contrle de lensemble des outils et dans sa fonction principale

    change le rle de lhomme. Il nest plus celui qui les reprsente les unes par

    rapport aux autres. Une partie de cette reprsentation est automatise et les

    machines tendent rendre leurs relations explicites. Le champ initial des ma-chines est la manipulation de la force. Son extension celle de linformation

    retranche lhomme dans sa fonction la plus substantielle : la pense.

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    TABLE DES MATIRES 4

    4 Soi-mme comme un autre artifice 84

    4.1 Technique sur soi de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

    4.1.1 Rtro-contle de soi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

    4.1.2 Mise profit des autres logiques . . . . . . . . . . . . . . . . . 914.1.3 Desubjectiver . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98

    4.2 Inachvement perptuel, une pense du processus . . . . . . . . . . . 105

    4.2.1 Dissociation et reproductibilit . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

    4.2.2 La raison darrter . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

    4.2.3 Enchevtrement de processus pour penser le devenir . . . . . . 108

    4.3 Artifice universel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

    4.3.1 Miroir virtuel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116

    4.3.2 Soublier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1174.3.3 Partenaire de jeu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

    5 Conclusion 122

    Bibliographie 124

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    1 INTRODUCTION 5

    1 Introduction

    Mon champ dinvestigation est la relation que les architectes entretiennent avec

    leurs outils numriques pendant le processus de conception. Dans cette relation avecloutil, jisolerai la notion de contrle comme objet dtude. Celle-ci tient une place

    centrale dans lhistoire de la cyberntique. Cest par elle que lon peut mener une

    tude pertinente sur la question du devenir de la technologie. Le travail de conception

    architecturale est concrtement ralis par linteraction dun concepteur et de ses

    outils. Dans le cadre dune transformation profonde des outils de conception, la

    mthodologie de conception se trouve elle aussi transforme. Cette transformation

    fait cho aux mutations des formes et des faons dhabiter. En effet, on peut voir la

    mme analogie de relation entre lacte de concevoir par loutil et lacte dhabiter par

    la maison. En concevant, on invente ou rinvente un usage, ce qui est semblable

    laction dhabiter par laquelle on rinvente une faon dtre au monde.

    Ces mutations engendres par la technique constituent une problmatique globale

    qui est difficilement abordable tant les angles dapproche sont nombreux. Celui de la

    conception architecturale permet denvisager la mutation technique du point de vue

    de sa gense et dans un rapport de systmes. En effet, la maison est une ancienne

    technologie qui relie les autres technologies et contient lhomme. Cest dans le cas

    particulier du numrique, cest--dire lensemble des techniques de linformation, dela reprsentation et du calcul que le mmoire sera dvelopp. Le principe de relier est

    aussi au fondement de linformatique. Relier des informations entre elles pour quelles

    soient accessibles lhomme. Une extrapolation entre larchitecture des espaces de

    vie et larchitecture des systmes dinformations peut tre tablie.

    Comment les mthodologies de conception et les thories architecturales

    saccommodent-elles de leurs mutations techniques induites par les outils employs

    la concevoir? Loutil informatique permet de rendre des connaissances discrtes.

    Elles peuvent ainsi tre accumules et articules. La masse ainsi forme fait sys-tme et tend phagocyter le concepteur. Il devient la partie dun tout. Comment

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    1 INTRODUCTION 6

    cette partie tablit-elle une boucle de contrle avec cette somme technique qui le d-

    passe ? Lagrgation de ce systme autour de lindividu pose la problmatique de la

    conception sous laspect du contrle. En effet, les outils numriques reprsentent une

    distribution du contrle. Ce qui est rsolu par la machine nest plus sous le contrlestrict du designeur. Il y a une forme de lcher-prise sur le design qui est substantiel

    des outils. Pourtant, le design est une affaire de contrle. Cest un processus diam-

    tralement oppos celui de laisser les choses se faire compltement au hasard sans

    un regard critique et lucide. Comment contrler le lcher-prise dans la conception

    architecturale assiste par les outils numriques ?

    Je pose comme hypothse de rponse que cet ensemble technique nous oblige

    rinventer des notions et des concepts pour concevoir larchitecture. Cette rinvention

    passe par un dplacement du regard sur les relations entre lhomme, la machine et lanature en tant que philosophie.Ainsi, le concepteur peut avoir accs une autre part

    de lui-mme. Cette part est le processus gnratif de ses conceptions. Il lui permet

    de penser le design en terme de processus inachev et ouvert plutt quen terme de

    forme finie.

    Le mmoire va suivre le plan suivant :

    Dans une premire partie, jexposerai en quelle mesure ladoption de la ma-

    chine tendance modifier la nature de lhomme. Pour dvelopper ce propos,

    je dvelopperai ma rflexion sur trois articulations. La frquentation de la ma-

    chine tend constituer une seconde nature qui modifie notre regard. La naturepremire est perue en terme de fin et de moyen. Elle nest saisie que par un

    appareillage qui institue une objectivit et relgue la subjectivit sur un autre

    plan. Cette modification du point de vue sur la nature tend changer lhomme.

    Il est un tre de culture qui se pense comme issue de la nature. Par son regard

    sur la nature, lhomme modifie la perception quil a de lui mme. Laspect ma-

    chinique quil observe dans la nature se transfre en lui. Ainsi, Descartes [17]

    assimile les passions de lhomme un mcanisme et Pascal soutient quune part

    de lhomme est mcanisme. Laspect sacr de lme humaine suivant le dclinde la transcendance religieuse, lhomme nen devient que plus mcanique. Ce

    qui le distingue de lanimal est la dignit labore par les concepts humanistes

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    1 INTRODUCTION 7

    des lumires. Ils dfinissent lhumain, non plus par le statut crature lue de

    Dieu, mais par la ngative : Ce qui est homme est ce qui nest pas sauvage.

    Mais, ce qui distingue lhomme de la machine et la machine de lanimal tend

    se rduire mesure que le monde est dvoil. Les questions de biothique, declonage ou dembryon chimre illustre bien le flou thique. 1

    Un des principaux symptmes est celui de lutilit. Lhomme devient utile

    et comme ses machines. Extirp de la chaine alimentaire plus ou moins circu-

    laire, il prend place dans un systme dinterdpendance. La facult alinante

    de cet environnement de machine fut souleve par Marx, 2 puis dveloppe par

    Bernard Stiegler. La phylogense des outils informe sur les mutations quelle

    entraine sur la psych humaine et son corps social. Petit petit nous devenonsutiles aux outils devenant utiles dautres machine ou individu. Il ny a pas

    de fin la chaine de lutilit si ce nest une fin logique : lutilit de lutilit.

    Les outils qui aident crer dautres outils dtiennent une place primordiale

    dans cette gnalogie des ides. Ces outils qui nous sont utiles demandent une

    adaptation ncessaire de notre part. Cest par le rapport que nous entretenons

    avec eux que le sens de linvention est influenc. Le paradigme de lutilit a

    contraint le sens de linvention dans une voie qui dun point de vue thique

    et moral rencontre des difficults conserver une cohrence densemble. Cedplacement des frontires de ce que nous percevons comme naturel, animal ou

    humain se rsume, sans connotation ngative, par le terme devenir machine .

    1. Pour citer un exemple, je prendrais le cas des recherches en embryons chimrique. Le clonagehumain est dnonc dun point de vue thique. Pourtant, si le gnome un pourcentage de gneanimal, il nest pas considr comme humain. La HFEA Human Fertilisation and EmbryologyAutority, agence de biomdecine britannique a ainsi autoris les exprimentations sur ce typedembryon. On comprend le caractre un peu absurde de cette morale qui dans un premier tempsautorise lexprimentation sur lanimal. Comme si celui-ci tait une machine que lon pouvait d-monter. Mais cette grandeur humaine inaccessible pour lexprimentation peut se ngocier avec uneadjonction dun pourcentage de gne animale. Je ne plaide pas pour une cause plutt quune autre,

    mais je souligne que la notion de qualit homme se rsume une question quantitative.2. Dans la manufacture et le mtier, louvrier se sert de son outil ; dans la fabrique, il sert la

    machine.

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    1 INTRODUCTION 8

    Celui-ci peut stablir sur diverses modes qui dpendent de lapproche avec

    laquelle on aborde la question dinventer.

    Je voudrai exposer dans la seconde partie une de ces approches. Cest uneconstruction mentale du monde qui appelle un autre devenir machine. La

    seconde partie symbiotique une approche symbiotique du devenir technique

    se droule en trois sous-sections. Dans un premier temps, cest une politique

    dun humanisme technologique qui va entamer un dplacement du point de

    vue vers la seconde section qui dveloppera lide dune espce supplmentaire.

    Pour comparer et comprendre cette espce, elle sera mise en comparaison

    avec le concepteur sur une chelle de valeur commune. La machine abstraite

    sera lespce machinique et la machine sens rsumera la fonction de lhumaindans le processus cratif. Je mettrais en lumire la relation symbiotique qui

    peut stablir entre ces deux machines .

    Jexposerai dans la troisime partie quoi peut ressembler ce devenir tech-

    nique sans en dvelopper son utilit. Lutilit place lhorizon de cette d-

    marche se limite la persistance dune forme de contrle. Dans la dernire

    partie ce sera le thme de Pygmallion qui sera sond pour donner une figure,

    un arrt sur image, dune phase de ce devenir. Ce devenir peut passer par lla-

    boration dune technique de soi. Une forme de contrle de soi. Un contrlequi na pas un aspect coercitif. Il est plutt de la catgorie du tmoignage, de

    la contemplation. Cest par la confrontation avec le formalisme de la commu-

    nication avec les machines quil explore par la pratique et par le rsultat. La

    pratique tablit une action de traduction et le rsultat offre un reflet dun d-

    sir. La vision permet dtablir un rtro-contrle qui prend un aspect, instinctif,

    pour ne pas dire animal ou naturel. Ainsi, on retrouve le vrai sens du design.

    On explore ce qui en devenir tait dj dans lesprit.

    Un autre arrt sur image sera sur le caractre de ces outils et de leur rapi-

    dit. Il permet de placer la navigation un niveau instinctif, mais, aussi, la

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    1 INTRODUCTION 9

    dissociation des phases et leur squenage rationnel permet de les automati-

    ser dune part, et de les rendre instantans dautre part. Ainsi, le design nest

    jamais termin. chaque instant il peut tre ractualis. Il nest pas grav

    dans la pierre. Il est pure forme et cette forme sinscrit dans la matire toutaussi abstraite dans les imprimantes 3D de faon instantane. Ainsi, le projet

    nest jamais fini, et na donc jamais commenc. Le projet est plus nous, notre

    qute et la possibilit dun achvement personnel. videmment, la situation

    professionnelle place la fin concomitante de la date de rendu. Mais le design en

    thorie est inachevable.

    Cet inachvement peut aider penser le projet dans le devenir. Cette forme

    de la forme, ce qui ne sinscrit pas dans un processus, cest sa gense. Elledevient cruciale, car la matire a t annihile. Puis la forme, par les scripts

    est infiniment variable et dtermine, mais indterminable dans son ensemble.

    Seule lide reste un repre dans cet ocan dinformations.

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    2 En quelle mesure devenons nous machine ?

    2.1 Utile nos outils

    Pour crire ce mmoire, jutilise un outil de saisie de caractre de type clavier

    AZERTY. Celui-ci est employ dans une chaine doutils qui permettent de produire

    le document que vous tenez entre vos mains. Un document dactylographi nest ra-

    lisable que dans une chaine de production qui a ncessit un environnement dobjets

    techniques eux-mmes issu dautres processus engageants des objets techniques. Ces

    objets techniques sont inscrits par des relations de ncessit qui forme un systme

    global. Pour ainsi dire, on ne peut dissocier le mmoire dactylographi de notre struc-

    ture sociale. Tout comme on ne peut dissocier lexistence de limprimante personnelle

    telle quon la connait de lordinateur et du clavier. Quand je tape ce mmoire, cestbien loutil qui mest utile pour parvenir produire un document dactylographi

    et illustr. Pourtant dans ce rapport simple, je fais une concession la machine.

    Japprends un nouvel ordre alphabtique : AZERTY. Ce placement des caractres

    est hrit des premires machines crire. En effet, les tiges des touches voisines

    se coinaient frquemment lune lautre. Cette disposition permettait de ralentir la

    vitesse de frappe et dviter les blocages mcaniques qui en rsultaient. 3 La machine

    crire initialement invente pour un souci de lisibilit et pour une rapidit de pro-

    duction du texte se trouve tre un outil pour lequel nous sommes utiles. En plus

    de la fabriquer, nous devons mmoriser un alphabet contre-intuitif et le pratiquer.

    Cet exemple certes minime se dcline avec une srie dobjets techniques issue de la

    rvolution industrielle. Le livre Fragilit de la puissance dAlain Gras[21] illustre

    bien ce propos en montrant que ce qui est appel progrs technique est relativiser

    au regard de toutes les concessions qui ont d tre faites.

    Lhomme des usines dcrites par Marx se trouve ainsi utile dans une chaine de

    production.Il comble les fonctions que lon ne peut pas encore faire excuter aux

    3. Sur les ordinateurs, le clavier AZERTY nest plus ncessaire. Il peut mme tre remplacpar un clavier alphabtique pour un usage plus intuitif ou un clavier Bpo pour une rapiditdexcution optimise pour la langue franaise.

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    machines. En devenant une partie de lusine, une sorte de rouage, il devient utile

    celle-ci. Ces formes techniques issues dautres besoins techniques sont assez cou-

    rantes. Larchitecture a, elle aussi, son lot de contrainte industrielle. Tant sur le plan

    de la prfabrication de ces lments constitutifs que sur le mode de vie quelle im-pose aux hommes. Certes il ne faut pas forcment observer ce phnomne comme une

    emprise sur notre libert dhomme. Mais il y a un dialogue qui sinstalle entre les be-

    soins crs et assouvis par les objets architecturaux. Larchitecture comme machine

    habiter devient une architecture pour machine. Les procdures de scurit, les as-

    censeurs, les rseaux lectrique et hydraulique sont autant de machines, de systmes,

    qui ncessitent notre attention.

    Si les machines taient vivantes, elles nous seraient autant redevables que nous lesommes envers elle. Nous les crons et les entretenons comme loiseau nourrit ses

    oisillons. Ce que la forme de vie la plus primitive ralise par elle mme pour se main-

    tenir dans ltant doit tre le fruit dune attention constante pour les machines.

    Pourtant ces objets, invents pour notre intrt, prennent une autre tournure depuis

    la rvolution industrielle. Leur intrt devient relatif. Ils se dfinissent en fonction

    de lconomie, de la culture ou de la mode, mais nont pas une utilit pour lindi-

    vidu de faon directe. Cest seulement de faon dtourne, en passant par une utilit

    pour le groupe, la communaut, que lon peut justifier de leur utilit. Et encore, le

    sens de ce qui est le bien suprme de lhomme demande tre clarifi vis--vis desautres bien. Il est ainsi difficile de discerner jusqu quel point le divertissement est

    ncessaire ou dans quelle mesure lespce humaine doit elle prolifrer. La disparition

    totale et sans descendance de certains outils illustre bien le caractre relatif de cette

    utilit. Pour certains outils complexes, couteux, polluants, on peut douter de leur

    relle utilit pour nous dans ce monde. La gnalogie des outils na rien de rationnel

    ou darwinien. Il semble mme que nous en devenons utiles pour maintenir ces outils.

    Ce quon pourrait considrer comme un dvoiement des outils dun point de vue

    tlologique nest que la consquence de leur conception partielle et fragmentaire.

    Ils sont conus comme des objets utiles. Ce qui ne suffit pas les maintenir dans le

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    monde de faon cohrente.

    Lutilit instaur comme sens engendre le non sens Hannah Arendt [4]

    2.1.1 Proltarisation automatique

    Lindustrialisation est le coupable idal pour caractriser cette perte de sens. Les

    rcits des ouvriers sur le sentiment de dsuvrement ou sur les conditions de travail

    et les cadences imposes tmoignent lencontre de lindustrie. Lindustrie est

    comprendre comme un systme et non comme un instant, une rvolution qui arrive

    subitement et redistribue les cartes pour le meilleur et pour le pire. Ce systme est

    constitu par linteraction dagents. Les agents narrivent pas tous en mme temps

    et ils ne sont pas tous ncessaires. Comme pour un biotope, il y a des redondances et

    une certaine capacit de reliance 4. Cette notion de systme est explore par BernardStiegler dans son livre "La technique et le temps[40]".

    Il y a un mouvement de proltarisation qui prend une forme automatique dans

    le sens o celle-ci est indexe sur la structure sociale qui tend formaliser tous les

    savoir-faire en protocole excutable par ou avec les machines comme partenaire privi-

    lgi. Mais cet automatisme vient du regard dans lequel la technique est entretenue.

    La technique est juste envisage pour servir.

    Les mmes normes de moyens et de fins sappliquent aux produits. Bien quilssoient une fin pour les moyens par lesquels on les produit. la fin du processus

    de fabrication, ils ne deviennent jamais, pour ainsi dire, une fin en soi, tant quils

    demeurent, du moins, un objet utiliser. La chaise, qui est la fin de louvrage de

    menuiserie, ne peut prouver son utilit quen devenant un moyen. Soit comme objet

    que sa durabilit permet demployer comme moyen de vie confortable, soit comme

    moyen dchange. Cest par luvre que lhomme transcende sa condition proltaire.

    En ralisant une uvre personnelle ou collective, il transcende sa condition. Malgr

    lorientation actuelle du devenir technique la rappropriation est encore possible. (

    4. Entendu au sens du concept dEdgar Morin dans le tome 4 de La mthode : lart de fairedes liens

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    travers notamment le mouvement culturel DIY. 5) Elle permet denvisager louvrage

    comme un acte crateur et innovateur et non comme un labeur. Lapproche se dis-

    tingue de lamateurisme ou du simple divertissement par une relle philosophie de

    vie de dproltarisation.

    Lhomme ne fabrique plus, mais pense lartificialisation. Il pense son rapport la

    nature mdiate par les artifices sa disposition. Cest lvolution envisageable du

    stade "post-homofaber". Penser lart et la technique va de pair avec la dproltarisa-

    tion du savoir-vivre par la rappropriation des techniques. La pense simpose, car

    on ne peut revenir aux savoir-vivre anciens une fois que lon a gout au confort de

    la technique. Vouloir se rfugier dans une ascse technologique est une fuite de la

    pense. Il y a une ncessit dinventer qui simpose lhomme qui est sorti de la ca-verne de la proltarisation. Mais trouver un juste milieu dune dproltarisation sans

    envisager labandon de la technique nest pas chose aise. La pratique du Chabat

    dans la religion Juive est une ascse hebdomadaire de rejet de la technique. Elle

    peut entretenir une rflexion sur la technique par le contraste de son manque. Mais

    ne peut pas illustrer ce mouvement de rappropriation. Elle reste envisage dans un

    htrotopie temporel. En effet, ce rite se joue dans un moment hors de la vie active.

    Il proscrit la technique et le travail pour un temps limit. Cest un plerinage en

    dehors du monde contemporain. The world as design6 est lalternative diamtra-

    lement oppose au retour un tat de nature suppos. Il est un pari assez audacieuxde dessiner le monde. Une entreprise sans relche et puisante pour lhumanit. Otl

    Aicher, philosophe du design, entrevoit un tel rapport au monde.

    2.1.2 Outil, machine, automate, robot

    Pour un ouvrage sur la technique et plus prcisment celle ayant attrait avec

    lautomatisme il convient de prciser certains termes. Ils sont dans le mme champ

    lexical, mais prsentent une certaine nuance. Ainsi, pour placer un premier axe je

    distinguerai la machine de loutil.5. Do It Yourself : faites-le vous-mme.6. Le monde comme une chose dessine

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    Ensuite, lautomate et le robot semblent assez proches, mais on imaginerait que

    le robot une forme anthropomorphe et dtient les prmices dune intelligence ar-

    tificielle beaucoup plus volue que celle de lautomate. Dailleurs lautomate nen a

    aucune, il effectue des gestes de faon cyclique. Pourtant il se distingue de la simplemachine. La diffrence entre lautomate jentends par l le robot dusine et la

    machine de lpoque industrielle est la disparition totale de la main.

    Cette volution technique des machines indique quune partie de la critique que

    H.Arendt fait de la mcanisation du travail commence tre date 7. Loutil pro-

    longe la main qui le guide, alors que la machine utilise la main comme un moyen[4].

    Elle doit se renouveler avec la question des robots et des automates. Ce nest pas

    tant la question de la main que la question de lesprit qui sous-tend toute la filiation

    robot, automate, machine, outil. Ce qui compte dans lobservation Arendt est lef-fet sur lesprit . La sensation dans la situation dune main qui guide donc dun

    esprit qui guide est en contraste avec une main comme moyen. La main comme

    moyen implique-t-elle un esprit qui se sent guid? En gnral les gestes rptitifs

    ont plutt tendance laisser lesprit vagabonder. Le corps bouge automatiquement

    et lesprit vague. L o la main est absente, lesprit est au mieux, contemplatif ou

    affair autre chose.

    Instruments et machines ne sont pas seulement indispensables la mo-

    dification de notre environnement ; ils contribuent galement faonner

    notre exprience sensible ainsi que les mots et les notions que nous utili-

    sons afin den rendre compte. Antoine Picon [37]

    Mme en dehors du lieu de travail, loutil, la machine, le robot nous faonnent.

    Comme elle a faonn les concepteurs qui sen sont servi pour modifier lenvironne-

    ment. Lenvironnement a t faonn par celle-ci. Ce nest pas seulement dans le

    sens littral de la machine industrielle permettant de produire lartifice du monde.

    Cest aussi dans un aspect sensible, la machine nous inspire dans nos ides en enva-

    hissant notre imaginaire. Ainsi, lesprit des machines remonte dans la culture par le

    biais de larchitecture notamment. Larchitecture HiTech en est un probant exemple.7. Comme le fait remarquer Denis Collin dans son texte "Hannah Arendt, Marx et le problme

    du travail" [13]

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    Larchitecture est la volont dune poque traduite en espace. 8 Ludwig

    Mies van der Rohe

    Un culte est fait la machine au travers des productions architecturales comme le

    HiTech, et les reprsentations dArchigram et du mouvement futuriste. Si une volont

    est traduite en espace, cest en partie celle des machines. Ou du moins de lide que

    lhomme sen fait. Linfluence de la machine passe avant tout par la culture avant de

    faire son office insidieux dans les gestes du travail outill. Bien quencore faites

    la main, les images dArchigram et des Futuristes sont ptries de cette volont tech-

    nique. Ce nest pas loutil qui leur a suggr ces formes, mais la culture technique,

    le zeigeist de lpoque. Dailleurs, le prsent de maintenant qui devait tre leur futur

    propose un futur moins futuriste. Et les constructions contemporaines nexacerbent

    plus des signes techniques. Elle tend les cacher et abstraire les volumes. Pourdonner un exemple plus rcent, la blob architecture nest pas si influence par

    le machinisme dun fantasme culturel. Cette fois cest loutil de conceptions qui est

    llment dclencheur. Elle est lexpression de la machine par les voies dtournes

    des outils. Culturellement, elle se situe dans un intervalle post machinique et pr in-

    formationnel. Si on devait dfinir une origine culturelle de limaginaire invoqu dans

    ces formes blobesque, il faudrait plutt regarder du ct du cinma.

    Lenvironnement de ce nouvel homme le change au quotidien. Mais quen est-il du

    concepteur ? Celui qui produit cet environnement ? Il est, en tant quhomme, modifi

    par son environnement, mais il lest dautant plus par ses outils de conceptions et de

    production. Ainsi que ses conceptions sont le plus directement tributaires des outils.

    Jusqu ce que les algorithmes soient crits par des architectes pour des

    architectes, il y aura toujours des questions non rsolues de ce type.

    Des programmes tels que : Alias, Maya, 3D Studio, FormZ, et Autocad,

    sous-entendent tous certaines valeurs architecturales. Ils contiennent des

    styles latents et une idologie qui conditionnent tous les objets qui sont

    construits avec. Ces styles et ces idologies ne vont pas ncessairement

    8. Architecture is the will of an epoch translated into space.

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    modifier ou transformer la discipline architecturale, car ils nont quune

    faible connaissance dune telle ide. 9 Peter Eisenman [6]

    En effet, les outils de larchitecte actuel ne viennent pas de larchitecture. Ces ou-

    tils sont imports des autres disciplines. Le CAD est initialement dvelopp pour

    les ingnieurs. Certains modeleurs abstraits viennent de la recherche scientifique. Le

    grand boom des modeleurs 3D vient de la postproduction cinmatographique des

    films fantastiques. Encore une fois destin un profil dingnieurs, appel pour le

    cas imagnieur. Tandis que les outils de communication prcis sont plutt utiliss

    par les graphistes. Le logiciel de trucage dimage Photoshop, ou le logiciel dillus-

    tration vectoriel Illustrator sont des produits assez gnralistes. Pour certain de ces

    logiciels, il y a une adaptations pour larchitecture qui est propose. Mais dans leur

    gnse, ils ne sont pas faits par et pour des profils architectes. Il est certe possiblede sen accommoder mais cest ce qui permet daccroitre linfluence machinique de

    loutil. Le contrle imparfait, autant que le mode dutilisation de loutil, accroit la

    proltarisation des concepteurs, ces acteurs de lartificialisation du monde.

    Chaque outil doit tre utilis avec lexprience qui la cr. Leonardo

    da Vinci (Codex Arundel, 191R)

    Idalement, on devrait savoir se servir de tous les outils que lon utilise. Savoir leur

    fonctionnement, leur histoire, leur usage pour pouvoir les dtourner consciemment.

    Pour en utiliser beaucoup, il faudrait avoir un don de psychomtrie. Et ainsi, pouvoir

    djouer et savoir employer toutes les idologies et les sous entendus que cache loutil.

    Il est vident quon ne peut maitriser tous les outils et que le lien entre un outil et

    son utilisateur est fort. Il ne se constitue pas seulement dun savoir, mais aussi dune

    pratique.

    9. Until algorithms are written by architects for architects, there will always be unansweredquestions of this kind. Programs such as Alias, Maya, 3D Studio, FormZ, and Autocad, all presumecertain architectural values. They contain latent styles and ideologies that powerfully condition eachobject constructed with them. These styles and ideologies do not necessarily modify or transform

    the discipline of architecture because they have little knowledge of such an idea.

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    2.1.3 Loutils falsificateur

    Quel que soit loutil, il y a un danger quil puisse fausser nos ides. 10

    Christian Gnshirt [18]Loutil prsente le risque de nous imposer lidologie dont il est issu. On peut certes

    essayer daller contre cette tendance de loutil et sen servir comme un "mur pour jouer

    contre". Comme les critres dun manifeste peuvent-tre des outils conceptuels 11

    et pas seulement un recette suivre surtout dans le cas de Dogme 95 qui est

    assez drastique si on sen sert tel quel. Ce dtournement de lusage est un outil de

    conception qui prend le dessus sur les ncessits dun outil de production. Pour

    un architecte, cest par exemple, le pari de faire sa maquette conception sans utiliser

    de colle pour les assemblages. Mais pour que cette domination soit effective, il faut

    que le concepteur ait conscience des forces avec lesquelles il manipule les choses.

    La complexit vient du fait quon ne peut distinguer aussi simplement des outils de

    conception conceptuels et des outils de production matrielle. Il y a un entre-

    deux. Surtout dans larchitecture o le produit nest pas dvelopp. Il ny a pas de

    prototype. Il ny a que des outils de production des reprsentations.

    Pourtant un regard profane peut projeter sur un outil un usage qui est dtach des

    intentions originelles de celui qui a labor loutil. Cet usage sera fond sur le regard

    que le concepteur porte sur le monde. La forme, la situation ou lenvironnementpeuvent aider dfinir cet usage. Le danger de falsification nest finalement effectif

    seulement lorsque lindividu sabandonne loutil. Quil considre loutil comme une

    machine. Cest dire, une machine devant produire une chose concrte remplissant

    une utilit prdfinie. Il faut russir regarder loutil mme le plus commun

    comme une source de possible. Des possibles dans son usage, sa mise en uvre, sa

    forme, et toutes ses dimensions. Loutil est polysmique. Il peut tre tout et rien.

    Comme un enfant qui fait dun sche-cheveu un fusil galactique. Le concepteur peut

    10. There is a danger with any of the possible "tools" that they could falsify our ideas.11. Je fais ici rfrence au Dogme 95. Un manifeste crit par de jeunes ralisateurs danois. Dans

    lentretien de lun deux, il explique que ces critres taient comme un mur contre lequel jouer cequi tait en somme plus librateur que lpais duvet confortable quon ne peut jeter.[22] .

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    sautoriser une mutation du sens. Il peut se librer comme lenfant, mais doit garder

    la conscience. La plasticit du sens dun outil a-t-elle une limite ? Loutil nest-il en

    somme quun matriau pour la pense ? Et dans ce cas, loutil est-il encore un outil

    dans son sens fondamental ? Il est en somme une matire, une ouverture. Ce qui esten somme linverse de la fonction de loutil.

    Loutil peut tre dfini prendre un sens par sa relation avec la matire. En

    dissociant ce qui est matire, ce qui est outil et de quel outil est cette matire. Ainsi

    on remet en perspective les diffrents acteurs de cette relation. La matire est ce

    qui reste, ce qui est creus, ajout. Elle est dun certain point de vue continue. Car

    elle est matire mme si elle est assemblage doutils potentiel. Relier lide de la

    matire limage mentale de la glaise est bien commode. Mais, elle masque toutesles subtiles relations quentretiennent les lments assembls et leur liant. La colle

    est une matire, car elle a ce caractre continu des liquides. Pourtant le clou semble

    moins tre une matire. Certes, il reste dans le produit final. Mais il na pas le mme

    statut. Il permet le maintien, il donne la structure. En somme, il fait un peu le

    travail dun outil. Il nest pas si passif que la matire quil assemble. Il est travaill

    par un outil, le marteau, mais on ne peut dire quil est au mme niveau que celui-ci.

    Et que dire du moule? Le moule en sable ou en cire usage unique? Ils ne restent

    pas dans le produit final et ont toutes les proprits actives dun outil. Seule

    sa matire plastique trouble notre entendement comme le morceau de cire deDescartes[16] interroge notre mode de connaissance.

    On pourrait employer le mot consommable ou matriel pour masquer ce

    trouble frontalier. Mais il faut admettre que, dans le cadre de la conception, beaucoup

    de matire et doutils deviennent des consommables. Nous avons un mlange doutils-

    matire qui dun point de vue panthiste sauto faonne. Donc, nous dirons que

    pour la conception un outil est pour la matire, mais que pour lesprit tout est matire

    de ses outils-concept.

    Ainsi, loutil est fondamentalement falsificateur, car il est par nature imparfait

    et partiel. Il doit falsifier, car il doit masquer une part du monde. Il doit permettre

    disoler un usage de la force sur la matire, et la donner manier de faon plus

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    efficace pour lhomme. Donc on peut faire dun marteau un dcapsuleur ou un levier,

    mais partir de ce moment il devient aussi du matriel. Mme sil nest pas prsent

    physiquement dans lobjet final. Il est prsent linstant o il est vu dtach de son

    usage. Il devient matriaux dassemblage intellectuel.

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    2.2 Des prothses internes et externes

    2.2.1 Extriorisation des gestes & manipulation verbale

    Comme le fait remarquer Leroi-Gourhan[32], lhomme tend par ses outils fairedisparaitre le geste. Cette externalisation progressive de fonctions stablit lavan-

    tage de la parole. Le mode verbal semble privilgi pour les usages de lanalyse et

    la rationalit. Le geste est rattach aux fonctions visuelles de lesprit, cest--dire

    aux capacits de synthses. Cette dialectique entre verbal et visuel, geste et parole,

    analyse et synthse, nest pas imaginer comme une opposition, mais plutt une

    relation de complmentarit. Seul un pur esprit dsincarn peut prtendre concevoir

    laide de la seule raison.

    Dans lapprentissage, le corps est engag par tous les sens. Les bases de la mmo-

    risation se fondent sur les perceptions du corps. Les mots, les concepts ne sont pas

    mmoriss telles des ides platoniciennes. Elles sont un ensemble de sons, dimages,

    dodeurs, de gestes. Mme les ides les plus abstraites sont rattaches une sensation

    interne du corps. Le corps est essentiellement percevant . Comme le fait remarquer

    Hume[24], cest le renforcement des connexions qui tablissent le fondement de lintel-

    lect humain. Le rattachement de plusieurs perceptions dun mme objet nous donne

    lide de cet objet. Linvention dune chose non perue nest quune recomposition

    de diverses sensations perues.

    Pour les concepts plus abstraits tels que lontologie ou lespace, on pourrait

    rtorquer que le monde extrieur noffre pas de perception directe de ces notions.

    Elles sont pourtant dfinies par un ensemble de termes qui eux sont rattachs une

    ralit perceptible. Hume en donne exemple avec lide mtaphysique de force quil

    dissque en de bien communes perceptions.

    Cest dans le mme esprit que jessaie de proposer un dcoupage de la notion

    despace. Lespace pourrait tre lassociation de la sensation de kinesthsie, celle de

    la matire et limage mentale dun ngatif photo. On comprend de faon sensible que

    lespace est comme le ngatif de la matire qui nous permet de ressentir la kinesthsie

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    des membres quand on les dplace.

    Un ensemble dimage symbolique, et de sensation permet de retranscrire toutes les

    ides verbalement exprimes. Les idogrammes chinois, ou les hiroglyphes gyptiensen sont un probant exemple. Les images dites "symboliques" pourraient ne pas tre

    des "donnes immdiates de la conscience[9]", elles ont quelque chose de mdian et

    dindirect. Elles passent par une mtaphore implicite, une interaction de sensation

    physique. Ainsi lexemple de lespace invoque limage symbolique du ngatif photo.

    Celui-ci est illustr par une dcomposition pour en retirer lerreur induite par les

    moyens corporels. Le geste, la sensation viennent se retrancher dans des rgions plus

    recules et moins explicites, mais ils ne sont jamais annihils par le verbe abstrait.

    Le verbe est un non-corps tranger.

    En architecture, cest loutil de reprsentation puis la culture architecturale qui est

    venue repousser le geste, et la sensation dans de nouveaux territoires. Le disegno et

    son mode de reprsentation est un hritage de la Renaissance. Il est une tape dex-

    ternalisation. Ce mode de reprsentation, essentiellement issue du geste, permet la

    diffusion et la confrontation. Implicitement, cest le Verbe qui a pu se dvelopper sur

    une discipline pourtant essentiellement manuelle et visuelle. En effet, les cathdrales

    taient directement traces sur le terrain btir.

    Certes, les btiments une fois rigs taient dj ouverts la critique, mais leur

    prfiguration a permis daccrotre le rle du verbe par la critique de celle-ci 12. Le

    corpus des reprsentations littraires et picturales a permis datteindre une forme

    plus intellectuelle et culturelle de larchitecture. On raisonne avec des images de

    rfrence qui autorisent mener une forme de conception par le dialogue avec les

    partenaires. Le langage tant conventionnellement plus partag que le geste. Le geste

    devient interne, il devient sensation mentale. Dans la conception, le ressenti revt une

    forme plus discrte que le geste du savoir-faire.

    12. Bien que ce soit peut-tre un dvoiement de larchitecture. Le jugement des reprsentationsest-il valable pour la qualit spatiale et architecturale ?

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    2.2.2 Ce qui est sorti

    En 1992, dans le cadre du Paperless Studio du dpartement darchitecture de

    Columbia University dirig par Bernard Tschumi, une forme de pratique des outilsfait son apparition. Elle rduit le geste un strict minimum : appuyer sur des touches

    et faire glisser la souris sur une surface. Laisser une trace de ses gestes, cest--dire

    dessiner, se retrouve externalis par loutil moniteur et imprimante . Le geste

    devient-il intrieur ou disparait-il peu peu de la pratique architecturale. Ce que

    lon nomme le geste nest peut-tre pas dfini de faon absolue. Il se dfinit par la

    ngative du verbe, de faon topologique, relative. Le verbe et le geste se dfinissent

    par leur rapport et non par un dcoupage absolu.

    Lordinateur est symboliquement lultime outil dexternalisation du geste. Il estune machine universelle discrte selon les mots de Turing. Il peut produire une

    mulation de toutes sortes doutils, de logique de faon discrte. Ce terme de discr-

    tion peut aussi voquer la rapidit dexcution qui rend imperceptible le processus

    pour lutilisateur13. Il parvient ainsi faire illusion de continuit. Tous ces outils et

    leurs gestes associs y sont potentiellement reprsentables. Leur mulation nen

    donne pas une apprhension sensible, mais simule leur effet sur la matire. Cest une

    reprsentation de leffet. Voir mme une rinterprtation, car les limites des outils

    virtuels sont diffrentes. Loutil, la machine, est ici un modle de son homologue

    rel. Lintrt nest pas dans la parfaite ressemblance entre loutil et sa version nu-

    mrique. Cette applation "universel" est trompeuse, car elle cre lattente davoir

    tous les outils en un. Lordinateur nest quun outil unique. Et pour tre plus prcis,

    il nest quun composant qui volue en interagissant avec dautres. Il faut discer-

    ner les composants pour rellement comprendre ce quest la particularit de cette

    externalisation.

    13. En informatique et en mathmatique, discret se dfinit autrement. Il se dit dune grandeurcomportant des units distinctes, cest--dire ce qui nest pas continu, analogique. Lacception dumot discret que je propose ici est volontairement distincte de son sens technique. Je tiens

    insister sur lillusion de continuit que procure la machine.

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    Le composant essentiel est le processeur. Seul, il nest pas une machine universelle

    discrte moins den avoir une dfinition trs lche. Le processeur est un pur manipu-

    lateur de signes. Il nest pas lexternalisation dun geste, mais celui dune opration.

    Une technique de lesprit, une noo-technologie, qui avait t internalise par laculture. Cest justement ces concepts trs loigns de la sensibilit qui sont rint-

    grs dans lobjet du processeur. Rintgrs, car ils sont sorti de lesprit humain. Mais,

    il a fallu les incorporer pour que lusage des calculs les plus lmentaires deviennent

    naturels. Dsormais ils sont intgrs dans la machine.

    La traduction franaise de computer prsente certaines subtilits qui informent

    grandement sur la capacit essentielle de la machine et les enjeux de sa science.

    Computer du verbe to compute est, en premier lieu, distinguer de to cal-culate . To calculate se limite aux oprations mathmatiques alors que compute

    prend en compte des oprations dordre logique par exemple. Un calculator , une

    machine qui pratique le verbe to calculate, est une unit intgre dans le computer.

    La frontire entre un calculator et un computer est un peu floue. Elle stablit

    sur un niveau de complexit qui permet la re-programmation de la machine. Certain

    calculator sont trs proche dun proto-computer car on peut reprogrammer

    une partie et son usage peut tre driv de sa tche initiale. Ce qui dfinit de faon

    essentielle le computer , cest la libert quil autorise. Il nautorise pas le choix

    entre plusieurs fonctions, il laisse le choix de dfinir sa fonction dans les limites de sescapacits techniques. Une machine qui permet de calculer la rsistance des matriaux

    et la surface nest pas un computer , car elle ne nous laisse pas libres dorganiser

    facilement les ressources internes quelle nous propose. Ses ressources internes

    sont les composants prsents dans la machine. Pour citer ces lments : il y a le

    FPU pour faire les calculs avec les nombres rel, lALU qui est lunit arithmtique

    et logique, le dcaleur, les registres, le squenceur (SEQ) qui traduit les instructions

    complexes en instructions plus simples. La brique conceptuelle la plus lmentaire de

    toutes ces units est la porte logique. Et dun point de vue concret, elle est compose

    de plusieurs transistors.

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    On peut distinguer les ressources comme les espaces servants et les espaces servis.

    Les espaces servants, cest--dire les composants qui permettent de saisir qui sont

    communment appels input : les capteurs, les boutons, les potentiomtres, les

    acclromtres, tout ce qui est manipulable par lhomme, tout ce qui peut saisir len-vironnement. Mais aussi ceux qui permettent dexprimer quon nomme output :

    les tmoins lumineux, les moniteurs, les haut-parleurs. Mais il y a aussi les modules

    spcialiss qui ne sont pas reprogrammables, mais qui ralisent des oprations assez

    standard.

    Les espaces servis, cest ce qui coordonne le tout. Cela reprsente une infime partie

    de la machine. Et cest le contrle et la programmation de cette partie qui fait passer

    une machine quelconque au stade dordinateur. Le contrle des espaces servis

    permet de contrler les espaces servants et ordonner leur interaction. Si par exemplenous ne contrlons que les inputs sans pouvoir indirectement contrler lespace servi

    nous sommes face un ensemble de calculateurs interfacs avec des priphriques

    dentre et de sortie, mais pas devant un ordinateur. Le contrle de lespace servi

    est une question problmatique. quel degr doit-on pouvoir contrler lespace servi

    pour estimer tre face un ordinateur ? La plupart des usagers nont aucun contrle

    sur cet espace servi.

    Dans le cas de la pratique des logiciels exclusivement on pourrait considrer quils

    nutilisent pas un ordinateur. Un architecte, sur un logiciel comme AutoCad, uti-lise une machine dessiner, mais pas un ordinateur. Ceux qui ordonnent sont les

    programmeurs. Ils tablissent un ordre, un processus dinteraction entre diffrents

    signaux. En Franais le terme ordinateur fut propos par le professeur de philo-

    logie Jacques Perret. Ce mot vient du latin ordinator : celui qui met de lordre,

    ordonnateur. Pour tre plus prcis, celui qui met de lordre est concrtement

    le programmeur. Lordinateur lapplique. Ce terme beaucoup plus riche smantique-

    ment fut demand, car les dirigeants dIBM estimaient que la traduction calcula-

    teur bien trop restrictive eut gard aux possibilits de ces machines. Il y avait bien

    l une intuition de laisser ouvert les possibilits dusage. Et de ne pas labandon-

    ner cette invention aux seuls calculs balistiques ou au dcryptage. Les anctres de

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    lordinateur taient des machines auxquelles on navait pas encore retir la fonction.

    Lordinateur est une machine tout et rien la fois. Loblitration de la fonction

    allait les dlivrer et les rendre abstraites, vierges.

    Les anctres des ordinateurs taient les calculateurs et pendant longtemps calculertait le seul souci. La Pascaline avait pour seule capacit les calculs arithmtiques

    simples. La tabulatrice Hollerith en 1890 pour le recensement, et en 1937 pour le tra-

    vail de comptabilit ncessaire pour la loi sur la scurit sociale du New Deal montre

    un dbut douverture. Il sagit toujours de compter, mais il faut compter diverses

    choses, de faon organise.

    Konrad Zuse fabriqua le Z1 en 1938. Il voulait rendre plus faciles des jours entiers

    de calcul pour les profils aronautiques. Idalement. Sil avait t termin. Il aurait

    t capable de dessiner ou plutt de calculer un pont entirement. chaque foislordinateur fut invent avec une fonction impose. Celui que nous pratiquons dsor-

    mais est dtach dune fonctionnalit prcise. La grande innovation fut doblitrer

    la fonction concrte pour ne laisse quune fonction abstraite. Ainsi, lacheteur, le

    propritaire, est libre de dfinir ce quil faut compute.

    2.2.3 Transhumanisme & corps augment

    Lhistoire de la technique est lhistoire du dsir de puissance de lhomme. Chaque

    machine tend les possibilits de lhumanit. Les progrs en mdecine et le caractre

    individualiste des socits techniques ont inflchi la forme de ce dsir. La puissance

    devient personnelle. La machine doit tendre le pouvoir du corps et non plus celle

    dun groupe. Ce sont prcisment des prothses plutt que des machines part

    entire. Elles sont dsires au plus prs du corps.

    Les outils externalisant les fonctions sont littralement rintgrs dans le corps

    ou son contact. Lexemple de la ralit augmente ou du tlphone portable sont

    symptomatiques de notre poque. Le portable rintgre au plus prs la fonction du

    tlphone qui avait investi les foyers, le lieu du groupe. Le tlphone tant le rappro-chement du tlgraphe qui tait une machine dans lespace publique. Pour la ralit

    augmente, ce sont les fonctions dun guide, dune carte et dune boussole qui sont

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    rintgres dans la vision de lespace. Ces prothses ne compensent pas un handicap,

    elle transcende la capacit humaine. Dans la ralit augmente, cest en fait la percep-

    tion individuelle de la ralit qui est augmente. Cest sa ralit tandis que la ralit

    reste difficilement un bien commun. Cest en somme le corps qui est augment plu-tt que la ralit partage. Le paradigme, licne de cette augmentation de lhomme

    se trouvent symboliss par les super hros des comics amricains. Ils reprsentent

    un homme qui transcende sa condition humaine. Par lascse, le travail, leffort et

    des gadget comme Batman, dans un premier stade. Puis soit par la technique en

    symbiose avec le corps comme Ironman, soit par la biologie et la manipulation g-

    ntique comme Spiderman 14 Le stade ultime tant Superman qui transcende toutes

    les problmatique humaine. Cette ide est promue par les innovateurs de la Silicon

    Valley. Le surhomme est directement li au progrs technique[35]. Dans cet idal il ya un besoin dinterfacer lhomme et la machine de la faon la plus intime. Le travail

    de Kevin Warwick est ce qui est le plus abouti actuellement. Il ressemble un ar-

    chetype de limaginaire de la science-fiction et des comic book. Celui du savant qui

    saugmente par lui-mme, par son savoir. Il mne ses expriences de cyberntique sur

    lui et sa conjointe. (Peut-tre plus tard on pourra dcider dintgrer corporellement

    certains outils. )

    Toute cette collection doutils dans latelier du concepteur est encore externe. Ils

    sont le fruit dune lente externalisation de gestes de fabrication, de conception. Peu peu, les outils, les machines sont miniaturiss, modliss, pour tre plus accessibles

    dun point de vue conomique et ergonomique. Elles peuvent ainsi tre concentres

    dans latelier. La promiscuit, les interconnections, linteroprabilit et la vitesse sont

    les ingrdients de la synergie des machines et du concepteur.

    Pour le designeur industriel, ils reproduisent les contraintes de production. Un

    concepteur de serrure travaille essentiellement avec un tour et une fraiseuse, car ce

    sont les machines-outils industrielles qui seront utilises pour fabriquer ses modles

    14. Batman, Spiderman, IronMan et Superman sont des super hros issue des comic book (bandedssine amricaine). Ils illustrent des hros aux capacits extraordinaire. Ces capacit sont souventle fruit de lhybridation entre lhomme et un concept.

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    en srie.Il stablit donc une stratgie dinternalisation et dexternalisation des ou-

    tils en fonction de la mission de conception. Dcide-t-on dapprendre la perspective,

    dinternaliser un savoir-faire ou externalise-t-on avec un modeleur 3D et une impri-

    mante?

    Pour donner un exemple, je citerais la conception du jardin dans lcoquartier de

    Malm. Stieg Anderson a digitalis des tracs quil a effectus au pinceau. Leurs

    courbes et leurs ondulations ont servi tracer les passages sur leau. Il y a bien

    des outils informatiques qui mulent vaguement le trac dun pinceau, mais ils ne

    sont pas aussi satisfaisants dans leur contrle et dans leur rendu pour donner des

    courbes et des ondulations qui semblaient naturelles pour ce jardin. Dans ce cas,

    la technologie du numrique fut employe pour internaliser le trac, sa reproduction,son agrandissement, sa conversion au format vectoriel, le calcul de la surface. Mais

    pour le trac initial, pour sa recherche et son exprimentation la stratgie fut dutiliser

    une technique purement analogique : le dessiner au pinceau.

    Quel que soit le degr dintgration, de proximit, il y a une frontire rige par les

    priphriques dentre. Tous ces capteurs, ces dispositifs de saisies prennent le ph-

    nomne continu du monde et le transforment en lment discontinu. Cette ncessit

    impose par les spcifications du langage binaire universel va imposer un dcoupage

    de la nature. Le monde se trouve rduit ce que la science veut en dire.

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    2.3 Un point de vue technique de la nature

    Car elles mont fait voir quil est possible de parvenir des connaissances

    qui soient fort utiles la vie, et quau lieu de cette philosophie spcula-tive, quon enseigne dans les coles, on peut en trouver une pratique, par

    laquelle connaissant la force et les actions du feu, de leau, de lair, des

    astres, des cieux et de tous les autres corps qui nous environnent, aussi

    distinctement que nous connaissons les divers mtiers de nos artisans,

    nous les pourrions employer en mme faon tous les usages auxquels

    ils sont propres et ainsi nous rendre comme matres et possesseurs de la

    nature. Descartes, Discours de la mthode

    Cette ide de la nature comme une grande machine mystrieuse est hrite de

    lapproche cartsienne. Elle est pragmatique et efficace et nous a permis de faire

    dabondantes dcouvertes. En instituant un dualisme entre substance matrielle et

    substance mentale, la nature est divise en deux ralits distinctes : la conscience

    sensible et la construction scientifique. Cest ce que le philosophe A.N. Whitehead

    dnomme la bifurcation de la nature. Il souligne laporie cartsienne latente 15 et

    propose le concept dorganisme pour rsoudre cette bifurcation.

    2.3.1 Science ou nature

    Ce qui distingue une philosophie de la nature cest--dire une philosophie quiexplique le monde physique qui nous entoure dune thorie scientifique, cest la pos-

    sibilit de faire une exprience pour vrifier. Philosophie et thorie scientifique sont

    complmentaires. La philosophie de Descartes est devenue le fondement de la science

    moderne. Nombre dexpriences se fondent sur une vision du monde cartsienne.

    Dailleurs, Descartes mit en place des expriences pour valider ses thories. Dautres

    philosophies de la nature postrieures sont restes purement philosophiques, car

    elles nont pas pu tablir une exprience pour vrifier. Et aucune pratique scientifique

    ne sappuie sur celle-ci pour construire ses thories. La physique de Newton se fonde15. Penser que la nature est mcanisme, cest penser lartificiel comme du naturel ; penser la

    nature comme finalit, cest penser le naturel comme artificiel.

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    sur une approche cartsienne de lespace et du temps. Par contre lespace et le temps

    vu par Einstein dpassent le socle philosophique propos par Descartes. Einstein est

    en quelque sorte un philosophe de la nature. Il a tabli une thorie scientifique et a

    propos une autre faon dexpliquer le monde. La plupart des objets techniques quinous entourent ne puisent pas les ressources de la relativit. Un moteur de voiture

    fonctionne et se limite au monde newtonien. Par contre, les GPS ny fonctionnent

    pas. Ils puisent dans les rouages mis jour par Einstein et sa thorie de la relativit.

    Une des dernires thories en date est la thorie des cordes. Elle est la frontire

    entre science et philosophie. En effet, elle noffre pas encore dexpriences qui per-

    mettent de la valider. Elle est une explication du monde qui nentre pas en conflit

    avec les dernires observations et mesures du monde. (Malgr que ces observations et

    ces mesures soient construites avec des appareils issus des anciens paradigmes.[29])La nature est finalement ce que le dernier paradigme scientifique en dit.

    Dans la pratique, elle est rduite ce quen disent les paradigmes qui ont produit

    les appareils pour saisir la nature. Il faut concder que se limiter la physique new-

    tonienne est encore assez efficace. Maitriser ces nouvelles faons de voir le monde

    nest pas vident. De plus, leur chelle de fonctionnement ne parait pas toujours

    compatible avec des applications pratiques.

    Il existe des philosophies qui offrent des visions encore valables de la nature. Elles

    nentrent pas en contradiction avec les dernires observations ou quand cest le caselles sont assez dveloppes pour laborer une critique du mode dacquisition de la

    donne. Celle-ci entrant en contradiction. La philosophie de Bergson est un exemple

    assez probant. Elle donne une explication du monde cohrente. Pour les points sur

    lesquels elle entre en contradiction avec les thories contemporaines, elle propose une

    critique thorique plausible. Cest ce qui sest pass quand Einstein et Bergson se sont

    rencontrs. Bergson critiqua la vision du temps sur laquelle Einstein sappuyait pour

    dvelopper sa thorie. La notion de temps chez Bergson est toute singulire. Il est

    certes plus difficile de mettre au point une exprience pour vrifier une thorie scienti-

    fique issue de la philosophie de Bergson. Elle est nanmoins peut-tre plus juste. A.N.

    Whitman propose aussi une philosophie de la nature assez contemporaine. Postrieur

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    Bergson, elle en prend certains traits et les accordes avec les dcouvertes dEin-

    stein. Elle propose une vision qui offre une profusion de dbouchs pour la science du

    vivant. Cest un des espaces de recherches dans lequel elles peuvent dvelopper un

    imaginaire rationnel pratique. Le dveloppement de philosophie de la nature est unexercice qui nest plus beaucoup pratiqu par les philosophes. Ils ont laiss le champ

    aux physiciens et se sont replis sur la morale, la politique ou lpistmologie.

    2.3.2 Apparatus darraisonnement

    La principale critique de la technique contemporaine est la faon par laquelle

    elle arraisonne la nature. Elle somme la nature de faire son possible et son impos-

    sible, selon les mots de Heideger[23]. Cette faon de saisir passe par les appareils

    techniques. Cette ide est souvent associe limage de lindustrie qui sappropriela force du fleuve pour faire tourner les mtiers tisser. Je souhaiterais dplacer

    cette notion darraisonnement dans les outils et les machines prsentes dans late-

    lier du concepteur. Cet arraisonnement est un prolongement de celui que le modle

    industriel impose. Mais ces rpercussions sont observes sur une chelle plus locale.

    Larchitecte qui participe un concours international va par exemple employer la

    photographie pour saisir la ralit dun site. Il va saisir le site par les donnes releves

    par lagence mto, par un micro et tous les appareils qui lui sembleront ncessaires

    pour avoir la plus adquate et globale perception du site. De cette manire, comme je

    lai voqu dans la section prcdente, il est enferm dans un paradigme particulier,

    celui des appareils avec lesquels il saisit le monde. Certes, cela ne lempchera pas de

    dvelopper un projet, mais certaines problmatiques seront compltement occultes

    dans le processus de conception.

    Dun autre ct, on ne peut reprocher lusage des appareils darraisonnement.

    La perception directe de lespace nautorise pas une vision holistique. Il faut choisir

    entre tre prisonnier de soi ou prisonnier du paradigme scientifique.

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    2.3.3 La vie dmontable

    Les sciences de la vie sont perues avec la mme logique que les sciences physiques.

    Ce qui en soi rpond la ncessit pistmologique dunification des thories. Unethorie de Biologie ne doit pas dans ses prmices et ses prdictions entrer en conflit

    avec les lois dune autre thorie. Ce devoir de cohrence doit tre assur par les

    chercheurs. Ils doivent trouver lerreur. Il y a pourtant une certaine priorit des

    thories en fonction de leur origine. Les thories de physique sont les plus abstraites

    et les plus proches de la philosophie. Elles encadrent les thories de la chimie elle-

    mme encadrant celle de la biologie. Il y a une forme de hirarchie dautorit. Une

    science ne commande pas une autre, mais elle en tablit les bornes. La philosophie

    propose des voies et la science dispose de les employer. Ce que propose Bergson,

    avec son concept dlan vital[8] cest de partir de la vie. Sil y avait une scienceBergsonienne, elle serait borne et idologiquement oriente par la Biologie. Le vivant

    devrait tre la base des questionnements.

    Pour la science contemporaine, cest lunivers et sa matire inerte qui fondent

    ltonnement initial. La nature en devient une morne affaire, ses matriaux obissent

    des lois dnues de sens et que tout dans la nature soit indiffrent aux actions quon

    y commet. Cest en quelque sorte le primat de la loi sur lobservation. On fait une

    loi, une thorie, pour regarder. Ce nest pas lobservation comme en science naturelle

    ou en zoologie. Lapproche des naturalistes tait plutt dtablir des collections puis

    de sessayer une taxinomie cohrente, la loi ne venait quaprs et navait pas de

    caractre prdictif. Rinterroger lordre des sciences est une entreprise lgitime. Cest

    dailleurs la position de lpistmologue Auguste Comte. Il proposait un reclassement

    des sciences dans sa philosophie positive[15].

    Mais quelle diffrence notable ce classement apporte-t-il ? Je pense que la table de

    Mendelev donne un indice sur la vision engage par la science contemporaine. La

    nature est compose dlments organiss de faon bidimensionnelle. Ces lmentschimiques sont combinables et dissociables comme des rouages. Ils composent tous

    les lments et par couche de complexit on parvient tout manipuler avec ces

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    lments de base. En premier lieu, sparer chaque lment dans une forme pure nest

    pas ais. Du point de vue de leur gense, ces lments ne se sont pas gnrs de

    faon dissocie. Les espaces vides laisss dans la table expriment implicitement une

    loi de taxinomie qui conditionne ce que lobservation peut dcouvrir. Cest unedmarche qui suit une chronologie inverse celle des naturalistes.

    Que des lments soient ainsi envisags induit que la nature est dmontable .

    Et les lments du vivant en sont pour la mme considration. On peut composer

    avec ses lments. Combiner, dissocier latome prs sans consquence, car ils ne

    sont quune matire inerte. Et ainsi, changer le plomb en or nest quune question

    de trouver comment arracher quelques lectrons et autant de protons. Alors que les

    alchimistes du Moyen-ge avaient dvelopp des trsors dinventivit en esprant

    raliser cet exploit. Trsors, qui offrirent quelques dcouvertes pour lhumanit.

    Le pavillon de MVRDV pour lexposition universelle de Hanovre en est un exemple

    singulier. Sans porter de jugement ou vouloir blmer cette dmarche, je souligne

    quelle illustre une performance sur la modularit de la nature. Des biotopes et des

    climats empils dans une tagre non sans ironie tablissent une performance sur

    lutilisabilit de la nature. Pouvoir la plier ainsi, cest montrer que lon connait ses

    rouages et quon en est maitre et possesseur.

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    3 INFLCHIR LE LIEN AVEC LA TECHNIQUE 45

    3 Inflchir le lien avec la technique

    3.1 Regarder autrement

    Vous ne pouvez jamais changer les choses en affrontant la ralit existante.

    Pour changer quelque chose, construisez un nouveau modle qui rend le

    modle existant obsolte. 16 Buckminster Fuller []

    Cette stratgie propose par Fuller rsume lintention de ce changement de point de

    vue. Changer de point de vue, cest construire un nouveau modle pour regarder la

    ralit prtendument objective. Il y a de nombreux exemples de personnalit qui ont

    eu le courage de regarder les choses diffremment. Dtre ainsi contre-courant, en

    porte faux. La question est de savoir comment aller visiter ces mondes parallles

    et comment en ramener des biens partageables. Car au-del de la pertinence ou de

    loriginalit dun point de vue, le goulot dtranglement se passe au niveau de son

    expression. Si le point de vue nest pas forcement transmissible car nous occupons

    ce point. Les biens et les retombs doivent, dune manire ou dune autre, se relier

    au reste du monde .

    Car mme dans la devise de Fuller, il est bien question de concurrencer et donc de

    se mettre en rapport avec le modle oppos . On ne construit pas un autre mo-

    dle dans un solipsisme singulier. Il ne rendrait en rien un autre modle obsolte si

    en aucun point il ne sattachait celui-ci. Le point dattache peut tre le produitfinal issu de deux processus diamtralement opposs. Mais il peut aussi tre dans

    les prmisses. Se constituer partir dune condition particulire. Si elle est choisie

    avec pertinence, elle donnera raison au nouveau modle. On peut aussi envisager la

    stratgie du virus. Au lieu dune concurrence loyale, un dtournement dun modle

    est une opportunit pour changer la ralit existante. Mais pour comparer, la strat-

    gie du modle concurrent demande de comprendre lenvironnement, sans forcement

    comprendre le modle concurrencer. La stratgie du virus doit comprendre toutes

    les parties internes du modle pour parvenir le dtourner.

    16. You never change things by fighting the existing reality. To change something, build a newmodel that makes the existing model obsolete.

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    3.1.1 Rien dautre que la matire et la force

    Faut-il envisager le monde seulement en terme de matire et de force ? Les choses

    du monde peuvent y tre articules entre elles. Sont-elles dmontables et manipu-lables condition davoir compris la mcanique de la nature ?

    Lavantage dune telle vision est quelle se dgage de laffect subjectif. En devenant

    machine, elle devient autre. Lerreur est de croire quelle devient objective. Savoir

    quelle est partisane et choisir en me et conscience la reprsentation de la ralit qui

    sera la plus fconde pour le dfi que reprsente la problmatique architecturale du

    lieu. Comme expliqu prcdemment, souvent les modles les plus simples, mme un

    peu errons, sont ceux qui fonctionnent le mieux. Pourtant, il y a des fois, des obser-

    vations surprenantes qui nentrainent pas forcment un changement de paradigme,mais qui ont le mrite dexister et de laisser lindice dune piste de traverse encore

    vierge.

    Tout y est dcouvrir et les dveloppements peuvent tre fcond dans la situation

    dtermine. Un des auteurs favoris de la vague Biomorphogntique en architecture

    est Darcy Thompson. Il introduit les mathmatiques et la physique dans le vivant

    une poque o lon ne jurait que par la slection naturelle. On a l lexemple dun

    changement de point de vue. Dans ce cas, il sopre dans la direction du devenir

    machine.

    Pour les architectes de la vague Biomorphogntique, cette pense permet de sins-

    pirer de la nature comme dans la grande tradition architecturale de lArt nouveau

    Vitruve, on peut dire que le thme de la nature fut une obsession tout en sloignant

    du mimtisme formel. Leur intention se dfinit bien par cette citation de Buckminster

    Fuller : Je ne cherche pas imiter la nature. Je cherche les principes quelle utilise. 17

    Chez DArcy Thompson, cest lanalyse de phnomnes naturels illustrant une re-lation surprenante entre des phnomnes physiques et la constitution des formes vi-

    17. "Im not trying to imitate Nature. Im trying to find the principles she is using"

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    vantes. Ainsi, il remarque que les mduses avaient des similitudes avec des gouttes de

    liquide tombant dans un fluide visqueux et que des anamorphoses de certains animaux

    avaient des similitudes avec la forme des animaux dautres espces. Lanamorphose

    tant lexpression dune pousse ou dune pression physique due lenvironnement.Pour la gnration informatique la biomathmatique est une aubaine. Elle se conver-

    tie aisment en bioinformatique. Et ce nest pas un hasard si Turing, la fin de sa

    vie, sintresse la morphognse 18. Tous les ingrdients taient runis pour que la

    biomorphognse se voit accapare par un domaine tentaculaire comme larchitec-

    ture.

    Concernant les architectes cest le mme schma. Lapproche, dans un premier

    temps, macroscopique de la morphognse drive vers le micro avec les possibilitsinformatiques. On arrive en douceur dans les formes complexes dAlisa Andraesk qui

    se justifient par une ide de la Biologie mathmatise. La premire vague utilise les

    principes, ou plutt les astuces de la nature sur des modles tectoniques dchelle

    macroscopique. Une sorte de bio-performatif encore un peu littrale la faon dun

    Luc Schuiten. Cette architecture ne sest pas encore discrtise , elle nest pas alle

    copier des principes plus internes et abstraits de la nature. Ce nest plus la nature du

    sensible, les formes des coquillages ou le bec des ornithorynques dont le principe est

    utilis, cest la nature de lobservation indirecte. Le microscope, la miniaturisation

    dvoie la question architectonique pour celle de la texture comme le fait remarquerAntoine Picon.

    Supposer que les lois de la nature changent nos frontires pidermiques nest

    plus concevable de nos jours. Pourtant, assimiler le vivant une machine a, pendant

    longtemps, rpugn les philosophes et les savants. Et cest tout leur honneur de

    ne pas vouloir dcalquer des rgles de lun sur lautre. Mais sans ce mlange, la

    physique et la mathmatique ne peuvent voluer. Elles ont besoin dtre contredites

    par lexprience biologique. Il faut prendre conscience de loutil thorique employ

    18. The chemical basis of morphogenesis (Philosophical Transactions of the Royal Society ofLondon, aot 1952)

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    et en user avec discernement sur la matire laquelle on lemploie.

    Le problme nest donc pas quil y ait une thorie qui ne voit dans lunivers que

    force et matire inerte. Cette thorie est lgitime. Ce qui est plus grave, pour undesigner, cest de ne pouvoir sortir de la boite. De ne parvenir penser out of

    the box 19 . Et cela nest pas que valable pour la thorie explicative de la nature.

    Cest aussi la mthode, la philosophie avec laquelle la dcouverte est faite. Cest en

    quelque sorte le processus de design, assimilable celui de la dcouverte. Pour revenir

    DArcy Thompson, il tait un dernier philosophe naturel. Cest par la rflexion et

    lobservation quil mena la conception dune science. Lexprience ntait pas son

    modus operandi. La grande force est peut tre de se garder dtre lesclave dun seul

    outil, dune seule mthode.

    Et pour le designeur processique , la vrit de la mthode ou la fiabilit de

    loutil na que peu dimportance. Il est libre de ressortir de vieux outils, de vieilles

    thories un peu tordues et les assembler pour produire un nouvel outil. Pour citer un

    exemple, le pavillon Seroussi dEZCT fut labor par un algorithme gntique. Qui

    devait naviguer dans un grand nombre de possible pour trouver la forme qui rpondait

    une condition un peu arbitraire dune quantit de lumire indirecte constante

    pendant toute lanne. Le choix dun algorithme gnratif volutionniste fond sur

    un principe darwinien est par exemple un choix qui peut se discuter. En effet, unmodle Lamarckien, bien que faux et antrieur, se rvle plus efficace pour trouver

    loptimum. Lvolution Darwinienne est un systme dapprentissage laborieux. La

    thorie de Lamarck est plus fute dun point de vue pratique, elle transmet

    lacquis sa descendance.

    3.1.2 Le miroir de lautre ct du visible

    Peut-on envisager une forme de la science qui permettrait de transcender la li-

    mitation au visible du concepteur? Une technique peut-elle en dcouler? Elle nous19. penser en dehors de la boite conceptuelle

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    donnerait accs un monde invisible, celui des incorporels, pour reprendre les mots

    de Anne Cauquelin[11]. La notion du vide qui est vide tant que lon na pas su

    quoi mettre dedans est en tension permanente avec lespace cartsien. Il y situe et

    place chaque chose et ainsi nie son existence. Je propose le cas dAnne Cauquelin,car elle est un cas avr dutilisation dune vieille et antique thorie comme

    outils pour comprendre le cyberespace et le mode cration dans lart contemporain,

    pour relever le pari de voir le vide. Converti en outil intellectuel de conception, il

    permettrait de rellement travailler le vide de lespace. Mais ce nest que spculation

    et ce nest pas ici que le caractre opratoire de la doctrine stocienne quelle d-

    terre sera prouv. Ce qui nous intresse, ici, au regard de lapproche par les thories

    scientifiques ou philosophiques, des mthodes base exprimentale, et analytique ou

    fonde sur lobservation et la rflexion, cest lexemple dune science, dune philosophiefondamentalement autre.

    Elle tranche avec la dialectique des clivages prsents jusqu prsent entre ap-

    proches physicienne et vitaliste ou mthode exprimentale ou rflexive. Et surtout,

    loutil quelle invoque, le stocisme est apte rsorber les conflits apparents. Ce qui

    sera utile dans les prochains dveloppements.

    Que du monde parallle des stociens des biens partageables ait t ramen,

    cest indniable! La philosophie morale, arrache au systme stocien est venue

    comme un outil pour les moines. Le sage manuel dpicte leur enseignait com-ment prserver leur tranquillit desprit. Mais peut-on rapporter dautres choses de

    ce monde, quelque chose pour les architectes et les concepteurs contemporains?

    Rapporter un outil concurrent de comprhension du monde qui rendrait obsolte

    un outil dj en place ? Les incorporels stociens reprsentent un de ces outils qui

    a pu voyager entre les mondes. Il permet de comprendre lenjeu du cyberspace qui

    va dans le devenir technique hanter de plus en plus lespace architectural. La ralit

    augmente, les objets communicants, la multiplication des crans et des capteurs ra-

    joutent une surcouche de lien, dincorporel, sur lespace corporel. Ils tissent un rseau

    incorporel quon ne peut aborder avec les notions contemporaines. Cette ide du vide

    qui entoure les corps, qui laisse la place au lieu. Vide et lieu se substituent en

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    permanence. Il permet la croissance et la dcroissance des corps et les maintiens en

    tension par le pneuma.

    3.1.3 Visualisation holistique

    Cette entreprise de voir autrement se caractrise aussi par les cartographies et

    les diagrammes de plus en plus employs pour rsumer la situation. Lobjectif est

    de dpasser le point de vue subjectif pour offrir une comprhension holistique de

    lien conomique, politique, cologique et social. Il y a un dsir dembrasser la ques-

    tion de faon globale. Ce qui passe par un nouveau mode de reprsentation. Le livre

    Data Flow[28] illustre cette tendance. Lenjeu est de faire passer une information non

    symbolique par la voie visuelle. Dviter ainsi la temporisation quimpose lanalyse.

    La production de ces diagrammes rclame un gros travail danalyse et de concep-tion. Tant pour rcolter les informations que pour designer un mise en forme

    la plus pertinente et accessible possible. Par ce biais elle devient assimilable ais-

    ment. Linformation est pour ainsi dire concentre pour devenir une unit de savoir.

    videmment, lobjectivit nexiste pas. Dans les diagrammes mis en uvre pour re-

    prsenter un ensemble de donnes, il y a un parti pris. Celui qui le confectionne

    oriente la lecture. Ils sont la fois objet de communication et outils de comprhen-

    sion. Leur production est surtout bnfique pour le concepteur. Il met en forme et

    synthtise les donnes disparates. Ce travail de design visuel aboutit la production

    dun outil visuel de synthse. Il permet de comparer, raisonner partir dune figure

    abstraite.

    Elles ne sont pas subjectives, car elles sont fondes sur des donnes scientifiques.

    Mais elles ne sont pas objectives pour autant. Du point de vue de leur mise en

    forme et du paradigme de tutelle de loutil qui a permis de les extraire. Elles sont

    d-subjectives dans le sens de sans affect . La cartographie et le diagramme

    synthtisent la perception et la dtachent daffect pour en transposer un autre. Celui-

    ci peut tre neutralis au profit dune sensation, dune idologie vers laquelle on dsirepousser le projet qui sera confectionn par ces outils. Dans le cas du travail de Shoei

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    Matsukawa 20, on distingue quil prend en compte lensemble des relations entre les

    espaces. Il met en avant des relations privilgies, mais garde une expression dun

    rseau o toutes les parties sont relies entre elles. Il veut travailler sur les relations

    privilgies, mais nen oublie pas pour autant quelle sinscrive dans un systme pluscomplexe.

    20. son travail est prsent page 96

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    3.2 Une espce en plus

    Je perois les ordinateurs non pas comme une arme demploys qui blo-

    queront toute crativit par leurs demandes de prcisions, mais commedes esclaves dune patience et dune puissance infinie. 21 Jhon Frazer []

    Cette citation illustre bien limportance du regard. Celui-ci conditionne lexistence

    dun objet. En mettant en contraste lide dune bureaucratie administrative face

    de dociles esclaves, il illustre son point de vue sur la condition des machines. La

    machine administrative est une puisante torture mentale. Elle broie la volont, le

    geste inspir et spontan qui doit se confronter un mur de procdure, de protocole

    et dinterlocuteur semi-robotis. Pourtant ces systmes hirarchiques ne sont pas

    forcement inutile pour canaliser la multitude des intentions. De plus un mur contre

    lequel jouer peut tre un stimulant cratif[22]. Mais force est de constater que ce type

    de systme semble oppresser ses utilisateurs. Ils ne sont pas laise et spontans face

    une interface textuelle austre.

    Combien de recherches sont faites en robotique pour donner la machine un aspect

    humain et sympathique qui dsarme les tensions et libre les esprits 22 ? loppos,

    limage des esclaves patients et dociles donne une ide de toute puissance. Alors que

    les deux, les employs tout comme les esclaves sont notre service, les uns semblent

    nous oppresser tandis que les autres nous donnent un sentiment de pleine puissance.Cest au designer dimaginer un regard sur ses outils qui sera bnfique pour sa

    pratique. Voir lordinateur comme un frein la crativit ou vacuer la question de

    la crativit et observer de faon pragmatique la puissance et la patience infinie

    qui soffrent celui qui veut bien les considrer comme telles.

    21. I see computer not as an army of tedious clerks who will thwart all creativity with theirdemands for precise information, but as slaves of infinite power and patience.

    22. le robot Nexi dvelopp par le M.I.T. est un robot qui dclenche lempathie par ses mimiquesfaciale. Lide novatrice fut de ne pas tenter de copier la ralit dun visage comme le fait lesmodles repliee du professeur Hiroshi Ishiguro. Ce robot ses mimiques inspire du travail de

    Walt Disney sur lanimation caricaturale utilise dans les films danimation. Voir note page 34

  • 8/8/2019 Le Devenir Machine Memoire

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    3 INFLCHIR LE LIEN AVEC LA TECHNIQUE 57

    3.2.1 Gntique de la mcanique

    Entre, considrer les ordinateurs comme des esclaves patients ou des employs

    pointilleux, il y aurait, je pense, une vision plus panoptique qui permet de prendreen considration le rapport entre le tout (la technologie) et la partie (lordinateur).

    Ce rapport est fondamental, car de plus en plus les objets techniques tendent fu-

    sionner, shybrider et sinterconnecter pour finalement aboutir un tout dans lequel

    les parties se confondent. Les appareils photo deviennent numriques puis sont ca-

    pables de filmer. Les machines se golocalisent et deviennent communicantes. Pour

    cela, elles ont des protocoles pour sidentifier et prennent part un systme aux liens

    de plus en plus denses. Pour parvenir penser la technique dans une dimension posi-

    tiviste. Rpondant ainsi au scepticisme Heidegerien et contrebalanant lorientation

    exclusivement conomique de Marx, la pense de Gilbert Simondon est peut-tre remettre en marche. Auteur qui est un peu lcart. Il est remis en avant par des

    penseurs contemporains comme Bernard Stiegler ou Jean-Hugues Barthlmy. Que

    nous propose Simondon comme rapport entre lhomme et sa technique ?

    Lhomme comme tmoin des machines est responsable de leur relation ; la

    machine individuelle reprsente lhomme, mais lhomme reprsente len-

    semble des machines, car il ny a pas une machine de toutes les machines,

    alors quil peut y avoir une pense visant toutes les machines. Gilbert

    Simondon [39]Dans un premier temps, il met en avant le terme de responsabilit quil ne faut pas

    imaginer comme une forme de culpabilit. Cette responsabilit nest pas celle du

    producteur en tant que la chose produite mane de lui, mais celle du tiers, tmoin

    dune difficult quil peut seul rsoudre parce quil est seul pouvoir la penser . On

    peut juger dune culpabilit si lon veut tablir cette relation sur un plan moral. Mais

    Simondon dfend plutt la ncessit de laction humaine. Ce nest pas une simple

    compassion humaine pour des machines boiteuses. Cest lhritage dune espce qui

    se forme travers une histoire singulire. Elle prsente une filiation gntique qui

    relie les objets techniques dans lHistoire. Cela permet denvisager le rapport la

    technique autrement que par lide dune agression du mode de vie humain. Ce nest

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    3 INFLCHIR LE LIEN AVEC LA TECHNIQUE 58

    plus seulement les machines qui transforment lhomme des usines, les habitants des

    machines habiter. Mais cest aussi, les machines qui se reproduisent par le vecteur

    humain. La machine nest pas vivante et ne peut penser, mais elle se maintient dans

    la nature avec lhomme comme un organisme quelle parasite. Cela offre une autrealternative que lide du retour un tat de nature. Lhomme organ