Upload
others
View
0
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
Les cahiers des leçons inaugurales HEC
HEC et le monde des affaires : nécessaire ambivalence
Anne MesnyProfesseure titulaire Département de management 13 mai 2015
COPYRIGHT, © mai 2015, Anne Mesny.
Anne Mesny
Titulaire d’une M.Sc. en management (Université
Laval, 1992) et d’un Ph.D. en sociologie
(University of Cambridge, Royaume-Uni, 1998),
Anne Mesny est professeure titulaire au
Département de management à HEC Montréal. Ses
recherches portent sur la valorisation et l’utilisation
des connaissances universitaires, les relations entre
chercheurs et praticiens en sciences sociales et en
gestion, l’éthique de la recherche en gestion, la
pédagogie en gestion et l’apprentissage du métier
de gestionnaire.
Promus titulaires, les professeurs de HEC Montréal sont invités à donner un discours inaugural,
appelé leçon inaugurale, à l’intention de la communauté universitaire. Dans le cadre de cette leçon,
les professeurs font part de leurs réflexions sur leur carrière et sur la pratique de la gestion.
P
h
o
t
o
d
e
l
’
a
u
t
e
u
r
(
E
l
l
e s
e
r
a
a
j
o
u
t
é
e
p
a
r
l
a
D
i
HEC MONTRÉAL ET LE MONDE DES AFFAIRES :
NÉCESSAIRE AMBIVALENCE
TABLE DES MATIÈRES
Introduction ..............................................................................................................5
I. Deux façons d’être à l’aise dans une école de gestion .................................8
II. L’utilité des connaissances et les liens entre chercheurs et praticiens .......10
III. Quatre manifestations concrètes de l’ambivalence ....................................17
A. L’enseignement au MBA .....................................................................17
B. L’éthique de la recherche en gestion ...................................................19
C. La production de cas pédagogiques .....................................................23
D. L’apprentissage et le rapport à l’expérience .........................................26
Conclusion ............................................................................................................31
Bibliographie ........................................................................................................33
5
Introduction
Une des premières fois où j’ai exposé en public certaines de mes positions sur
les relations entre chercheurs et praticiens, à l’occasion d’une conférence
internationale au Mexique alors que j’étais toute jeune professeure, je me suis fait
démolir publiquement par un bonze français – dans le pur style de certaines
conférences en France où c’est à qui démolira le plus de personnes – qui trouvait
que je caricaturais le genre de recherches que lui et d’autres menaient. C’était la
première fois (et c’est aussi la dernière fois à ce jour) que je vivais ce genre
d’expérience, mais j’en garde un souvenir assez vif. Et parmi les leçons que j’ai
tirées de cette expérience, j’ai mieux pris conscience du fait que ce dont je parle et
ce que je prétends étudier, c’est un sujet assez sensible pour des chercheurs, qu’il
touche un peu au cœur de leur identité professionnelle et qu’il vaut mieux y aller
mollo, prendre des gants et bien savoir de quoi on parle. Ceux qui me connaissent
savent que « prendre des gants » n’est probablement pas un réflexe chez moi – mais
je travaille fort pour changer –, alors je ne parierais pas que je vais totalement éviter
aujourd’hui de heurter quelques sensibilités. Je m’en excuse à l’avance. Et je me
réjouis du fait que le format de ces leçons inaugurales soit celui d’un auditoire poli,
qui n’en pense pas moins mais qui s’abstiendra de formuler tout haut des critiques
parce que « ce n’est pas le moment » (souvenez-vous de cela pendant la période de
questions!).
Mon rapport au monde des affaires est ambivalent. Il l’a été bien avant que je
ne choisisse une carrière universitaire. Ce choix, d’ailleurs, à l’époque, a beaucoup
plus été le choix de ne pas faire une carrière en entreprise que celui de poursuivre
une carrière universitaire dont je ne savais à peu près rien. Lorsque je regardais mes
parents, mes frères et sœurs, mes amis, tous employés, entrepreneurs, gestionnaires,
dirigeants ou aspirants dirigeants – je suis le mouton noir –, lorsque je me voyais
moi-même étudiante dans une école de gestion, en stage de fin d’études ou dans un
emploi d’été dans une agence de publicité ou un bureau de consultation, j’étais
partagée, mal à l’aise, ambivalente. Ayant la chance d’avoir des parents qui
6
pouvaient me payer des études après l’équivalent de mon baccalauréat en gestion,
même s’ils se demandaient bien où cela me conduirait, j’ai pu oublier ce malaise le
temps d’une maîtrise et d’un doctorat apparemment très éloignés du monde des
affaires. J’ai fait une maîtrise en management, mais le titre de mon mémoire était
Théories de l’organisation, paradigmes et science orthodoxe. Ça vous donne une
idée à quel point j’étais déjà assez éloignée des préoccupations gestionnaires. En
me plongeant dans le monde universitaire, j’ai cependant troqué mon malaise vis-
à-vis du monde des affaires contre un autre malaise, celui du chercheur qui prétend
produire des connaissances au sujet du monde social et de l’enseignant qui prétend
enseigner ou susciter l’apprentissage.
En me retrouvant quelques années plus tard professeure dans une école de
gestion, j’ai gagné le gros lot du malaise et de l’ambivalence, puisque je cumule
maintenant le malaise vis-à-vis du monde des affaires et celui du chercheur et de
l’enseignant. Je suis un peu masochiste, me direz-vous. Ma façon de composer avec
cette ambivalence tous azimuts a été de la prendre comme objet de recherche.
Depuis 20 ans, le « fil rouge » qui relie mes objets de recherche, mais aussi mes
choix et mes réalisations sur le plan pédagogique, c’est la question des relations
entre théoriciens et praticiens, entre chercheurs et personnes étudiées, entre
professeurs de gestion et praticiens de la gestion, entre école de gestion et monde
des affaires, entre expérience et apprentissage.
Cette quête, ce fil rouge, m’a menée dans toutes sortes de territoires: le territoire
épistémologique de la différence entre connaissances pratiques et connaissances
théoriques, la question de la diffusion et de l’utilisation des connaissances
universitaires hors du champ de l’université, les partenariats de recherche entre
universités et industries, la recherche collaborative, l’éthique de la recherche et des
relations entre les chercheurs et les personnes étudiées, l’apprentissage et la
pédagogie ainsi que la question de l’utilité et de la pertinence des connaissances
produites par les chercheurs, en particulier les chercheurs en gestion.
7
Au lieu de m’amener vers un plus grand confort, cette quête non seulement a
accentué mon ambivalence, mais encore elle m’a convaincue que cette ambivalence
avait du bon et qu’elle devait même s’institutionnaliser. Autrement dit, la relation
entre une école de gestion comme HEC Montréal et le monde des affaires devrait
être ambivalente et source de malaise. Un professeur de gestion aujourd’hui devrait
se sentir ambivalent et mal à l’aise. J’ai donc passé ma carrière à faire de cette
nécessité une vertu, à transformer un malaise personnel en une nécessité
institutionnelle (je ne suis pas sociologue pour rien!).
8
I. Deux façons d’être à l’aise dans une école de gestion
Pour moi, il y a en gros deux façons d’être à l’aise dans une école de gestion.
La première façon consiste à se dire qu’à cet endroit on est au service des
praticiens, des entreprises, des gestionnaires, des dirigeants, de la bonne marche du
monde des affaires. On fait de la recherche pour ultimement améliorer les pratiques,
pour contribuer à la performance des entreprises ou du système économique dans
son ensemble, pour mieux comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne
pas. On forme des étudiants à devenir de bons gestionnaires, de bons leaders, de
bons dirigeants, de bons entrepreneurs. On fait de la consultation, on siège à des
conseils d’administration, on paye de sa personne pour transférer ses connaissances
aux praticiens, quitte à faire de la recherche collaborative, de la recherche
commanditée, de la recherche appliquée.
Fidèles à une conception de la gestion comme une pratique et un métier, et à
une conception d’une business school comme une école professionnelle qui vise à
former des praticiens, on assume le rôle de reproduction du système qui est le nôtre,
ce qui ne nous empêche pas de vouloir transformer certaines pratiques ou d’en faire
éclore de nouvelles.
La seconde façon d’être à l’aise est de considérer que l’université constitue un
monde à part, unique, qui obéit à une logique de production de connaissances
scientifiques assez éloignées du monde de la pratique. Ainsi, les chercheurs et les
enseignants en gestion n’ont pas besoin d’avoir de liens étroits avec le monde des
affaires pour faire un bon travail, au contraire. Pour certains, il ne faut surtout pas
qu’il y ait trop de liens, car cela nuirait à la rigueur, à la liberté universitaire, à la
posture critique. Il y a des gens spécialisés dans le transfert qui peuvent
éventuellement tenter de tirer des connaissances pratiques des connaissances
théoriques qu’on produit. On n’a pas vraiment besoin d’aller sur le terrain pour
savoir de quoi il retourne, il existe des bases de données qui réalisent très bien cette
9
tâche. Comme me l’a dit récemment un collègue à l’occasion d’une recherche en
cours dont je vous reparlerai plus tard : practice is overrated.
Pour ceux qui s’inscrivent dans cette perspective, la gestion est devenue une
discipline scientifique, ou un ensemble de disciplines scientifiques, et il y a
forcément un fossé entre les scientifiques et le monde ordinaire. Ce fossé est
inévitable et, jusqu’à un certain point, nécessaire. Il est nécessaire soit parce qu’il
permet de faire de la recherche dégagée justement de préoccupations pratiques pas
toujours intéressantes, soit parce qu’il permet d’adopter une véritable posture
critique à l’abri des idéologies de la pratique.
Vous aurez reconnu dans ces deux positions la dichotomie fameuse entre
pertinence et rigueur ainsi que l’évolution historique du champ de la gestion et le
mouvement de pendule qu’il a connu entre école professionnelle et institution
universitaire. Autant dire que ce que je décris n’est pas nouveau, que cette tension
entre ces deux positions est au cœur même de notre domaine depuis longtemps et
que le débat paraît révolu.
Pour moi, chacune de ces deux positions, prise isolément, s’avère
insatisfaisante. Nous ne pouvons nous asseoir trop confortablement sur aucune de
ces deux chaises. Nous sommes condamnés, si vous me pardonnez l’expression, à
« avoir le cul entre deux chaises » (j’avais envisagé un moment ce titre pour cette
leçon inaugurale, mais j’ai choisi d’être polie). Inconfortable.
10
II. L’utilité des connaissances et les liens entre
chercheurs et praticiens
La principale raison qui rend insatisfaisantes les deux façons d’être à l’aise est
qu’elles reposent à mes yeux sur des conceptions erronées ou tronquées de ce que
sont les connaissances dites scientifiques, du lien entre théorie et pratique, des
besoins des praticiens et de ce que signifie l’utilité des connaissances.
Premièrement, quand on parle d’utilité et de pertinence, on a tendance à réduire
les connaissances à un type très particulier, à savoir des connaissances codifiées,
explicites qui peuvent généralement prendre la forme d’outils, de modèles, de
méthodes et qui se prêtent apparemment bien à une utilisation instrumentale de la
part des praticiens. Par exemple, pour prendre un cas que j’ai étudié en profondeur
avec Chantale Mailhot et Nicolas Pinget, vous produisez, dans le cadre de vos
recherches, un modèle de gestion des préoccupations des employés face au
changement, qui se traduit lui-même par un questionnaire qui vise à mesurer
rigoureusement ces préoccupations et que les gestionnaires peuvent utiliser pour
gérer le changement dans les entreprises. Tout cela est visible, explicite, circonscrit.
Ce modèle est tellement circonscrit qu’il peut être commercialisé comme un produit
ou une technologie.
Ceux qui sont assis sur la première chaise étiquetée « pertinence » sont portés
à croire que plus on est capable de produire de telles connaissances instrumentales,
plus on est utile et pertinent.
Pourtant, ce type de connaissances et d’utilisation est en quelque sorte la partie
émergée d’un iceberg. Sa principale qualité est d’être visible, traçable. Pour autant,
ces connaissances ne forment qu’une toute petite partie des connaissances que nous
produisons et que nous utilisons, et toutes les études s’accordent à dire que ce type
d’utilisation instrumentale est marginal par rapport à d’autres types d’utilisations
qu’on appelle conceptuelle et symbolique.
11
En plus, ce qu’on a mis en lumière dans les cas que nous avons étudiés, c’est
que les artéfacts instrumentaux que nous produisons ne sont souvent qu’un prétexte,
qu’une porte d’entrée pour forger des relations avec les praticiens qui, en fait, sont
en quête d’autre chose de notre part, d’un accès à ce qu’on appelle notre
« expertise » qui est un magma informe de connaissances plus ou moins tacites,
plus ou moins codifiées, plus ou moins instrumentales, de savoirs, de savoir-faire,
en particulier méthodologiques.
Si je reprends le cas que j’évoquais il y a quelques instants de la valorisation
d’un outil de mesure des préoccupations face au changement, ce qui en ressortait
très clairement était l’intérêt des consultants pour l’expertise du chercheur bien au-
delà de l’outil lui-même ainsi que la grande difficulté à « transférer » tout ce qui
n’était pas de l’ordre de la mécanique instrumentale du questionnaire et de son
interprétation.
Il faut donc faire attention avant de réduire les connaissances pertinentes et
utilisables aux seuls artéfacts instrumentaux facilement traçables.
Deuxièmement, le problème que comportent les connaissances qu’on appelle
conceptuelles, qui ne se ramènent pas facilement à un modèle, à une méthode, à
une matrice ou à une liste de contrôle de 14 points, c’est que leur circulation et leur
utilisation sont très difficiles à tracer et à démontrer. N’en déplaise à certains, ce
n’est pas parce que quelque chose ne se voit pas ou s’étudie très mal que cette chose
n’existe pas. Cette réalité est difficile à reconnaître pour un chercheur qui ne jure
que par des preuves ou des falsifications empiriques, mais c’est ainsi.
Sur le plan empirique, étudier la manière dont les connaissances qu’on produit
sur le monde social circulent dans la société et sont appropriées de toutes sortes de
façons par les gens qui composent cette société représente mon Golgotha personnel
en matière de recherche. Il y a 20 ans que je m’efforce de trouver une façon
12
d’étudier empiriquement un phénomène qu’il est quasiment impossible d’étudier
empiriquement, sauf quelques cas particuliers de prophéties autoréalisatrices ou
autonégatrices bien connues en économie, par exemple.
J’ai commencé à me casser les dents là-dessus à l’occasion de ma thèse de
doctorat en sociologie. Je vous explique le projet de départ. Je voulais étudier
comment les gens ordinaires, vous et moi, tout le monde, utilisent sans
nécessairement s’en rendre compte des connaissances issues des sciences sociales
dans leur vie quotidienne, pour expliquer ou justifier des choses qui leur arrivent et
pour se construire eux-mêmes. Je voulais notamment voir comment cette
appropriation de connaissances vient modifier notre sens du contrôle et de la
responsabilité à l’égard de ce qui nous arrive, autrement dit dans quelle mesure on
pense qu’on a un certain contrôle sur ce qui nous arrive et dans quelle mesure on a
besoin de croire qu’on a un certain contrôle pour nous sentir responsables de ce qui
nous arrive.
Les connaissances issues des sciences sociales auxquelles je pense ici prennent
souvent la forme de statistiques, de conclusions autour de ces statistiques, de
données, de faits, de rapports d’experts, et ainsi de suite. Par exemple, votre enfant
ne réussit pas bien à l’école. Ou vous décidez de divorcer. Ou vous choisissez de
placer votre vieille mère dans un CHSLD. Ou vous arrêtez de fumer. Tous ces
événements, tous ces phénomènes ont été étudiés et sont devenus des « phénomènes
sociaux ». Vous avez peut-être une théorie personnelle sur les raisons de votre
divorce, mais vous avez aussi sûrement en tête les statistiques sur les taux de
divorce et les causes qui sont avancées par les experts pour expliquer ces taux,
pourquoi ils montent ou ils descendent. Consciemment ou non, vous incorporez ces
connaissances dans votre propre récit personnel, dans vos explications des raisons
et des causes pour lesquelles cela vous arrive, à vous.
Je voulais étudier le processus du début à la fin : depuis le moment où des
chercheurs s’intéressent à un phénomène social comme l’échec scolaire, produisent
13
des théories, des données, des faits, des explications, jusqu’au moment où ces
connaissances deviennent incorporées dans le sens commun, dans les
représentations sociales et servent concrètement à des parents pour comprendre ce
qui arrive à leur enfant et pour composer avec cette situation.
Eh bien, ce n’est pas facile! Sur le plan théorique, je n’éprouvais aucun
problème. Sur le plan empirique, c’était une autre paire de manches. Une des
difficultés est le paradoxe suivant : plus ce phénomène s’avère important, plus il
est invisible. Plus les connaissances produites par les chercheurs en sciences
sociales sont diffusées et utilisées largement dans la société, plus elles deviennent
invisibles, plus elles s’intègrent au sens commun et moins les gens sont conscients
de ces connaissances et de leur origine. Vous savez très bien, par exemple, que le
quotient intellectuel de votre enfant n’a pas grand-chose à voir avec son échec
scolaire. Mais comment remonter le fil entre ce « sens commun » et le travail de
certains chercheurs?
Plusieurs voies empiriques ont été explorées par différents chercheurs. Par
exemple, des chercheurs se sont penchés sur les façons dont les médias de masse
(journaux et télévision) rendent compte des connaissances produites par les
chercheurs en sciences sociales. D’autres ont pris appui sur le fait que certains mots
« inventés » par des chercheurs et associés étroitement à une théorie particulière
peuvent servir de traceurs pour repérer le passage dans le sens commun. Par
exemple, cela a été fait avec le vocabulaire de la psychanalyse ou certaines théories
en gestion ou en économie. En gestion, justement, des chercheurs ont examiné les
modes et les liens multiples et complexes entre chercheurs, dirigeants, consultants,
gourous et médias qui sont en jeu dans la popularisation de certains termes ou de
certaines idées. Sur un plan plus macro, la généalogie des idées, des représentations
sociales et des archétypes a aussi mobilisé des chercheurs dans bien des disciplines.
Dans cette perspective, ce qui saute aux yeux n’est pas la faible utilisation des
connaissances par les praticiens ou le peu d’utilité des connaissances scientifiques
14
pour les non-scientifiques, mais c’est exactement l’inverse : c’est la circulation
débridée, incontrôlable des connaissances, ce sont les multiples canaux de
circulation entre connaissances scientifiques et sens commun, c’est une utilisation
qui tord, qui transforme, qui déforme, qui reconstruit les connaissances et qui n’a
que faire de leur origine universitaire. On est très loin du « transfert » et de sa
linéarité.
Troisièmement, en ce qui concerne la question de l’utilité des connaissances
universitaires en gestion pour les praticiens, une autre erreur fréquente consiste à
faire comme si on était en physique quantique et qu’on étudiait des particules, des
tribus analphabètes ou encore une poussière d’étoiles. Cette tendance est souvent
observée chez ceux qui ronronnent sur la seconde chaise évoquée précédemment,
celle de la rigueur. Assis sur cette chaise, on est porté à se dire que son travail est
de produire des connaissances scientifiques et que d’autres se chargeront
éventuellement de les traduire en connaissances utilisables par les praticiens. Mais
c’est aussi l’erreur de ceux qui s’activent sur la première chaise en cherchant à
traduire, à transférer, à vulgariser, à populariser, à simplifier. Comme si les
connaissances qu’on produit étaient tellement ésotériques et inaccessibles au
commun des mortels qu’il fallait tout mettre en œuvre pour aider les pauvres
praticiens à y comprendre quelque chose.
Dans notre domaine, non seulement les praticiens n’ont souvent pas besoin de
nous pour s’approprier les connaissances qu’on produit sur eux et sur leurs
entreprises, mais ces connaissances, à la base, ont souvent été produites par eux-
mêmes! De nombreuses études qui ont exploré la généalogie des idées, des concepts
ou des théories en gestion, y compris les plus « scientifiques », ont montré que leurs
origines étaient dans la pratique, formulés d’abord par des praticiens. D’une
certaine manière, notre entreprise à nous, chercheurs en gestion, est un vaste
chantier d’expropriation et d’usurpation intellectuelle…
15
Il existe aussi quelques études fascinantes qui ont cherché à voir dans quelle
mesure certaines théories, par exemple la théorie de la contingence en stratégie
(mais aussi des théories en criminologie ou en psychologie), apportaient quelque
chose de nouveau ou de différent par rapport aux « théories ordinaires » des
praticiens ou des gens en général Leurs résultats nous invitent à faire preuve d’une
plus grande modestie…
Enfin, quatrièmement, je voudrais insister sur un point au sujet de l’utilité et de
l’utilisation des connaissances qui est sans doute le plus important à mes yeux.
Même si, pour beaucoup, cela revient à enfoncer une porte déjà ouverte depuis des
lustres. La production et l’utilisation des connaissances sont toujours intéressées.
Explicitement ou non, on produit et on utilise toujours des connaissances pour
quelque chose ou pour quelqu’un. En matière de production et d’utilisation de
connaissances, la neutralité n’existe pas. On peut bien s’enfoncer sur la deuxième
chaise, celle de la rigueur scientifique soi-disant neutre et apolitique, cette neutralité
est un leurre. Je n’ai ni le temps ni l’envie aujourd’hui de tenter de convaincre ceux
qui auraient encore l’heur de se draper dans une quelconque neutralité scientifique,
d’autant plus que cette démonstration a déjà été faite mille fois par d’illustres
chercheurs. Je me contenterai de donner un exemple largement documenté par des
chercheurs en gestion qui n’ont pas peur de dire que notre rôle, intentionnel ou non,
est d’être des servants of power: en gestion, et d’ailleurs certaines revues A en font
un critère explicite, on est porté à n’étudier que des variables indépendantes qui
peuvent être minimalement contrôlées par les dirigeants et les gestionnaires. Les
autres variables, celles sur lesquelles les dirigeants n’ont pas de contrôle, on ne les
étudie pas, quand bien même elles seraient les plus déterminantes. Vous
conviendrez qu’il s’agit là d’une drôle de neutralité scientifique…
Pour qui produisons-nous des connaissances? Qui servons-nous? Les intérêts de
qui défendons-nous, consciemment ou non? Les dirigeants? Une poignée de ceux-
ci? Tous les membres des entreprises? Les entreprises au-delà de leurs membres?
Les membres de la société? La société? Nous-mêmes? Ces questions sont toujours
16
présentes dans mes activités tant d’enseignement que de recherche; elles ne sont
pas théoriques, elles ne sont pas abstraites, elles ne sont pas philosophiques. Elles
se situent au cœur de mon rôle et de mon ambivalence vis-à-vis du monde des
affaires.
17
III. Quatre manifestations concrètes de l’ambivalence
Cette ambivalence maintenant assumée à l’égard du monde des affaires se
traduit concrètement dans presque toutes mes activités à HEC Montréal. Je vais en
évoquer rapidement quatre : l’enseignement au MBA, l’éthique de la recherche en
gestion, la production de cas pédagogiques et ma position à l’endroit de
l’expérience pratique.
A. L’enseignement au MBA
J’aime enseigner au MBA, et en première année du BAA, parce que ce sont
souvent des étudiants qui ont eux-mêmes une certaine ambivalence vis-à-vis de la
gestion. Les étudiants du BAA parce qu’ils n’ont en général aucune idée de ce
qu’est vraiment la gestion, mais ils savent qu’elle est la voie pour obtenir un emploi,
un statut et faire de l’argent. Les étudiants du MBA parce qu’ils ont habituellement
subi la gestion pendant plusieurs années (en étant gérés par des patrons plus ou
moins habiles) avant de s’y frotter eux-mêmes, parce qu’ils ont souvent des
compétences techniques et une identité de « contributeur individuel » et pas
forcément de gestionnaire, et parce qu’ils arrivent souvent à une étape de leur
carrière où on leur a fait comprendre que s’ils voulaient monter, ils devraient se
tourner plus franchement vers le merveilleux monde de la gestion.
Au lieu de les rassurer, de leur dire qu’ils sont à la bonne place, que le métier
de gestionnaire est un métier formidable et qu’il est temps qu’ils fassent le deuil de
leur expertise technique pour passer au leadership et devenir le patron de leurs
anciens collègues, notre position est beaucoup moins flamboyante (je dis « nous »
car c’est une posture pédagogique que j’ai construite avec plusieurs collègues qui
ont enseigné ou enseignent au MBA avec moi : notamment Benoit Tremblay, Guy
Archambault, Viana Poulin et Claude Beaudoin). Les recherches sur
l’appropriation du métier de gestionnaire montrent qu’il y a une dimension
quasiment identitaire en jeu quand une personne devient gestionnaire. Jusqu’à un
18
certain point, il faut « devenir quelqu’un d’autre ». Dans ce « devenir quelqu’un
d’autre », je retrouve en fait les différentes facettes du métier qui me rendaient si
mal à l’aise quand j’étais jeune, fraîchement sortie d’une école de gestion et
apparemment prête à embrasser ce beau métier. Si on leur donne l’occasion
d’exprimer ce virage identitaire qu’on attend d’eux (entre autres au moyen de cas
pédagogiques), certains étudiants du MBA le font sur au moins trois points.
En premier lieu, devenir gestionnaire, c’est accepter naturellement de commander
les autres, de devenir chef, leader, patron, boss, coach. Peu importe le terme que
vous préférez, il y a une relation de pouvoir, d’autorité formelle qu’il faut assumer.
Au lieu de servir aux étudiants des poncifs du genre « On a toujours besoin de chefs,
l’autorité est naturelle, la plupart des personnes ont besoin d’être dirigées, les
entreprises ne survivraient pas sans autorité formelle », on les amène à réfléchir sur
ce malaise, on entretient leur doute, on les fait parler de leur expérience d’employés
talentueux qui ont souvent été malmenés par des patrons sans talent, on leur signale
que le fait qu’on n’a pas le choix de « gérer comme on est », pour reprendre
l’expression de Laurent Lapierre, n’est pas forcément une bonne nouvelle…
En deuxième lieu, devenir gestionnaire, c’est prendre une certaine hauteur par
rapport aux activités concrètes que sont fabriquer, concevoir, vendre, programmer,
« faire ». Être gestionnaire, on le rabâche assez, c’est « faire faire », c’est déléguer,
ce n’est plus faire soi-même. Pour certains étudiants, il s’agit d’un vrai deuil. Ici
aussi, au lieu de leur dire qu’ils n’ont pas le choix, que « faire faire » est bien plus
emballant (et bien plus payant) que « faire », que le travail en équipe est tellement
plus puissant que le travail individuel, on entretient leur doute, on évoque les
entreprises qui permettent à des individus de « monter » tout en conservant des
postes qui continuent de mobiliser leur expertise technique et leur envie de « faire
», on regarde comment ils peuvent continuer de mobiliser leurs compétences de
base dans un poste de gestion, on les invite à communiquer leur expérience – pas
toujours reluisante – du travail en équipe, et ainsi de suite.
19
En troisième lieu, devenir gestionnaire, c’est partager les objectifs de
l’organisation, c’est croire en son entreprise et croire en l’entreprise en général,
c’est être convaincu que le produit ou le service que l’entreprise fournit est bon,
utile, nécessaire, qu’il répond à un besoin, qu’il a sa raison d’être, que la mission
de l’entreprise revêt un sens et est importante. Quand on devient gestionnaire, il
faut bien encadrer son esprit critique, on ne peut plus se permettre de remettre en
question la pertinence de certaines pratiques organisationnelles, il faut adhérer, il
faut être mobilisé et il faut mobiliser. Certains étudiants n’ont aucun problème avec
ça. Souvent ils nous disent qu’ils ne sont pas dupes, qu’ils ne font que jouer le jeu,
qu’ils ne croient pas vraiment aux superlatifs qui émaillent la mission et la vision
de l’entreprise, qu’ils savent bien qu’ils ne sont pas totalement dédiés à leur
entreprise, que leur esprit critique est intact et leur vie professionnelle bien
compartimentée. Mais ce jeu qu’ils jouent a un prix : le cynisme. Au lieu de
l’ignorer, on en parle. Et on se demande s’il y a d’autres façons d’échapper aux
absurdités de la vie en entreprise.
Cette façon, avec les étudiants du MBA, d’envisager le métier de gestionnaire
est une façon concrète, pour moi, de rendre constructive l’ambivalence à l’égard du
monde des affaires, et de la rendre positive en lui permettant d’être exprimée,
discutée, partagée. Cette possibilité de discuter tout haut de choses qu’ils pensaient
tout bas, ou qu’ils ressentaient sans pouvoir les nommer, est un retour positif très
fréquent qu’on a de la part des étudiants de MBA.
B. L’éthique de la recherche en gestion
Une autre situation où l’inconfort et la vigilance devraient être omniprésents,
c’est en matière d’éthique de la recherche. Comme vous le savez pour la plupart, à
HEC Montréal, nous avons depuis 15 ans environ un Énoncé de politique des trois
conseils (EPTC) en matière d’éthique de la recherche et nous avons un Comité
d’éthique de la recherche (CER) qui encadre toutes nos recherches.
20
Tous les chercheurs de cette école se sont déjà plaints au moins une fois au sujet
du CER; ainsi, mon propos n’est pas d’insister sur ce point. D’autant plus qu’ayant
siégé au CER durant cinq ans, plutôt au début, quand tout était à faire, quand il y
avait une certaine souplesse, quand on discutait des principes éthiques eux-mêmes,
je suis probablement une des rares personnes à avoir trouvé mon compte dans ce
rôle et à l’avoir jugé passionnant. Ce n’est pas étonnant puisque l’objet de cette
politique et de tout ce raffut institutionnel, c’est la relation entre les chercheurs et
les personnes qu’ils étudient, ce qui correspond au cœur de ma cible.
La politique fédérale en matière d’éthique de la recherche, avec laquelle il faut
composer, n’est absolument pas adaptée pour bien des disciplines en dehors du
biomédical. Mais elle est profondément, fondamentalement à côté de la plaque,
selon moi, lorsqu’il s’agit d’encadrer la recherche en gestion. C’est quasiment un
tour de force d’arriver à statuer intelligemment sur le caractère éthique d’une
recherche en gestion avec une telle politique en toile de fond. Pour cette raison,
vous devriez tous être très reconnaissants envers les membres du CER de réussir ce
tour de force projet après projet.
En gros, cette politique suppose que les enjeux de la relation entre un chercheur
en cancérologie qui teste un nouveau protocole sur un patient sont les mêmes que
ceux de la relation entre un chercheur en gestion qui étudie, par exemple, la façon
dont les cadres d’une entreprise participent à l’élaboration de la stratégie de leur
entreprise.
La politique d’éthique de la recherche repose donc sur la nécessité de protéger
les personnes étudiées, vulnérables, à la merci des chercheurs qui détiennent le
pouvoir. En gestion, les personnes étudiées sont souvent des dirigeants d’entreprise,
des cadres, des entrepreneurs, des responsables gouvernementaux, et ainsi de suite.
Ce sont aussi des employés, des gens au bas de l’échelle, mais dans la plupart des
cas, au-delà des personnes en chair et en os, on étudie surtout les personnes morales
21
que sont les entreprises. Cela pose des questions éthiques très particulières qui sont
à des années-lumière des questions abordées par la politique officielle.
Pour ceux qui font de la recherche sur le terrain et qui ont déjà eu à convaincre
des dirigeants d’entreprise de leur ouvrir leurs portes, ou leurs livres, pour qu’ils
puissent les étudier, ou à négocier une entente de confidentialité de 54 pages en
petits caractères qui stipule ce que le chercheur a le droit de dire et ce qu’il n’a pas
le droit de dire sur l’entreprise qu’il étudie, partir du principe que le chercheur a le
pouvoir et que les personnes étudiées sont vulnérables n’a pas beaucoup de sens.
En gestion, c’est parfois le chercheur qu’il faut protéger, plus que les personnes
étudiées. Pas toujours, mais parfois.
En gestion, le consentement des personnes étudiées se fait souvent à deux
niveaux : le niveau des personnes étudiées elles-mêmes, par exemple les 500
employés qui répondront à votre questionnaire, et le niveau de l’organisation; il faut
alors se demander qui est l’organisation et qui doit donner son consentement pour
que vous fassiez passer votre questionnaire aux employés.
Comment, dans le cadre des principes éthiques actuels, faire une place à des
recherches sur le terrain qui portent sur des aspects délicats et dont les résultats
pourraient faire ombrage aux personnes ou aux organisations étudiées?
Actuellement, sachant que la recherche incognito n’est quasiment plus possible, la
seule manière de conduire des recherches critiques est de s’en remettre à des
données publiques ou de ne pas aller sur le terrain du tout.
En dehors de cette conception simpliste des relations entre les chercheurs et les
personnes étudiées, la politique d’éthique de la recherche est à peu près muette sur
des types de recherche qui sonnent très bien dans une école de gestion qui veut la
rigueur et la pertinence: la recherche collaborative et la recherche appliquée.
Beaucoup de chercheurs en gestion se targuent de faire de la recherche
22
collaborative avec les praticiens. Il y a de plus en plus de partenariats de recherche
entre l’université et l’industrie.
Quand on s’intéresse de près aux recherches que leurs auteurs qualifient de
« collaboratives », on trouve que la recherche collaborative est une espèce de
concept parapluie pour abriter toutes sortes de choses. En particulier, une large
proportion des recherches dites collaboratives renvoie à des recherches qui sont tout
simplement financées par des entreprises, sans autre forme de « collaboration ».
En dehors du financement, la recherche collaborative signifie aussi que l’entreprise
ou les entreprises acceptent à certaines conditions d’ouvrir leurs portes aux
chercheurs afin qu’ils puissent recueillir des données. Parfois les praticiens
participent à l’élaboration des questions de recherche, parfois non.
Plus rarement, on a affaire à une « vraie » recherche collaborative, au cours de
laquelle chercheurs et praticiens ont interagi et collaboré à toutes les étapes de la
recherche, en particulier durant la définition des objectifs et des questions de
recherche, durant la collecte et durant l’analyse. Ce type de recherche collaborative
se réalise rarement parce qu’elle s’avère très exigeante pour les chercheurs et pour
les praticiens. Ceux parmi vous qui en font peuvent en témoigner.
Par contre, et pour revenir au CER, ce qu’on voit de plus en plus comme soi-
disant recherche collaborative, ce sont des recherches financées et pilotées par
l’entreprise, qui mène le jeu tout au long du processus, notamment pour définir les
objectifs de la recherche, organiser la collecte de données. Les chercheurs
n’interviennent qu’au moment de l’analyse, et encore… Dans le pire des cas, les
chercheurs font office de prête-nom pour donner une caution scientifique à des
recherches qui n’ont quasiment plus rien de scientifique. Le CER n’est absolument
pas outillé pour émettre un avis quelconque sur le bien-fondé de ce genre de
recherche et pour guider les chercheurs au sujet des limites qu’ils devraient poser à
ce genre de recherche ainsi que les critères minimaux qu’il faudrait respecter pour
qu’on puisse encore parler de recherche scientifique ou simplement universitaire.
23
Voici un dernier point au sujet de la recherche appliquée, soit la « vraie »
recherche appliquée dans laquelle les chercheurs sont présents du début à la fin et
qui est souvent méprisée par ceux qui feraient de la recherche plus fondamentale,
de plus grande envergure, plus scientifique, plus rigoureuse, etc. En effet, une des
choses intéressantes qui ressortaient des cas que j’ai étudiés avec Nicolas Pinget et
Chantale Mailhot, par exemple le cas de la Chaire de recherche en commerce
électronique, c’est que la recherche appliquée est souvent la porte d’entrée ou la
première étape d’une recherche de plus grande envergure et d’une relation de
confiance durable entre chercheurs et praticiens. D’où l’idée qu’il y a un coût à
vouloir opérer une division du travail entre chercheurs appliqués et chercheurs plus
« fondamentaux ».
Bref, aux côtés de l’enjeu traditionnel de la protection des personnes étudiées,
qui reste évidemment un enjeu important, la recherche en gestion soulève des
enjeux éthiques immenses qui sont passés sous silence. Il existe des tensions
importantes, qui ne peuvent être résolues facilement, entre le respect des personnes
et des organisations étudiées, la liberté universitaire et l’intégrité de la recherche.
Le plus pernicieux, dans tout ça, c’est que comme la politique et le CER ne sont
concernés que par les recherches qui nécessitent une collecte de données de
première main ou la mobilisation de données privées, on laisse entendre que les
autres types de recherche – celles qui sont basées sur des données économiques
publiques, par exemple, ne soulèvent aucun enjeu éthique. Ce qui est loin d’être le
cas…
C. La production de cas pédagogiques
La production de cas pédagogiques doit être soumise à la même vigilance que
la recherche. Pour produire des cas, il faut généralement aller sur le terrain et
documenter une situation, rencontrer des gens d’entreprise pour pouvoir ensuite
raconter l’histoire. Le « cas idéal » pour bien du monde, y compris à l’université
24
Harvard, est un cas qui repose sur une collecte de données de première main
(entrevues, documentation, observation) et qui porte sur une entreprise connue et
nommée (Google, Spotify, Amazon, Nestlé, etc.), bien connue notamment des
étudiants qui auront d’emblée la curiosité et l’envie d’en savoir plus sur cette
entreprise (parfois, on changera quelques noms de personnes ou d’entreprises pour
des raisons de confidentialité). Ce cas, pour pouvoir être diffusé, doit avoir reçu
l’approbation formelle de l’entreprise en question. Par contre, en ce qui a trait aux
notes pédagogiques, le professeur est de nouveau seul maître à bord, il peut écrire
ce qu’il veut, et on conseille même fortement de ne pas montrer les notes
pédagogiques à l’entreprise et aux gestionnaires en cause.
En lien avec la tension que j’évoquais auparavant entre respect des personnes
et des organisations et liberté universitaire, il faut pourtant pouvoir s’écarter de ce
canon en matière de production de cas pédagogiques. Par exemple, on peut produire
et publier ce qu’on appelle à la Revue internationale de cas en gestion des « cas
fictifs », c’est-à-dire non pas des cas complètement inventés de la part de
professeurs qui restent confortablement assis dans leur fauteuil (armchair cases),
mais plutôt des cas fortement inspirés du réel, mais maquillés et arrangés de telle
sorte qu’on ne puisse plus identifier les personnes ou les entreprises qui ont pu
inspirer ces cas. Ce faisant, on transgresse plusieurs sacro-saints principes, en
particulier « À cœur d’étudier des entreprises connues et populaires tu auras » et
bien sûr « La bénédiction de l’entreprise toujours obtiendras ».
À l’inverse, il faut également pouvoir produire des cas qui reposent uniquement
sur des données de seconde main, publiques. Certaines pratiques et certains enjeux
se prêtent mal à une collecte directe de données, mais il est important de les
documenter, de les rendre visibles et de les exposer aux étudiants. On doit leur faire
une place même si, ici, on bafoue le sacro-saint principe « Pour collecter des
informations fiables sur l’entreprise sur le terrain toi-même iras ».
25
Cette façon d’élargir le spectre des cas pédagogiques souhaitables a pour
contrepartie qu’il faut ici encore être vigilant. La vigilance doit permettre de
maintenir un certain équilibre entre tous ces types de cas : on a besoin d’une certaine
proportion de cas qui touchent à des entreprises connues et nommées; il faut
absolument conserver le réflexe d’aller sur le terrain lorsque c’est possible et utile
par rapport à ce qu’on veut documenter. De même, on a besoin de cas qui exposent
de bonnes pratiques, voire les meilleures pratiques, tout comme on a besoin de cas
dark side, qui se rapportent à l’aspect sombre de la gestion.
En ce qui concerne les notes pédagogiques, cette espèce de « mode d’emploi »
du cas rédigé par l’auteur ou les auteurs, on ne devrait pas nécessairement partir du
principe que les notes pédagogiques doivent rester terra incognita pour les
praticiens qui sont mis en scène dans le cas. On revient ici à la question de la relation
entre chercheurs et praticiens. La vision selon laquelle les praticiens n’ont pas le
temps de réfléchir – ou qu’ils ont besoin d’être guidés par nous pour réfléchir –, ne
peuvent se payer le luxe d’être critiques par rapport à leurs pratiques ou celles de
leur organisation et n’ont pas la « posture pédagogique » nécessaire pour voir quels
enseignements tirer de leur situation, peut ne pas s’appliquer chez certains, si on
leur en donne l’occasion. Parmi la trentaine de cas que j’ai produits depuis 16 ans,
il y en a au moins 7 pour lesquels les notes pédagogiques et toute la réflexion sur
le cas ont été menées de concert avec les gestionnaires qui étaient mis en scène dans
le cas.
Un dernier point au sujet des notes pédagogiques touche cette fois à la question
de l’utilisation des connaissances et du contrôle qu’on a, ou non, sur cette
utilisation. En réponse au fait que beaucoup de cas pédagogiques sont des
showcases, des « cas vitrines » qui font la part belle à l’entreprise, qui exposent
certaines données, mais d’une façon assez sélective et en omettant souvent toute la
« cuisine » qui rendrait pourtant les choses plus intéressantes, certains prétendent
qu’on peut tirer profit sur le plan pédagogique autant de ce qui est dit dans le cas
26
que de ce qui n’est pas dit, et que l’esprit critique, s’il n’est pas dans le cas, se trouve
dans les notes pédagogiques. D’après moi, cette position est risquée. Le potentiel
pédagogique d’un cas doit être dans le cas lui-même et pas seulement dans les notes
pédagogiques. Il doit y avoir un certain nombre de données dans le cas, d’éléments
visibles, qui rendent impossible une utilisation du cas qui soit à l’opposé de ce que
visait l’auteur. Au bout du compte, les enseignants qui utiliseront le cas, et les
étudiants qui le discuteront, feront bien ce qu’ils veulent, mais c’est ma façon de
regagner un peu de contrôle sur ce processus incontrôlable qu’est l’utilisation des
connaissances.
D. L’apprentissage et le rapport à l’expérience
Le dernier thème avec lequel je veux finir, qui nous ramène encore et toujours
à la relation avec le monde des affaires, c’est le lien entre expérience pratique et
apprentissage. On peut difficilement passer à côté de ce thème là quand on est
professeur dans une école de gestion. Et pourtant, sur ce thème, on entend tout et
son contraire. Par exemple, on entend qu’on devient un bon gestionnaire en
accumulant de l’expérience et non pas en restant sur les bancs d’école; qu’il est
vain, voire nuisible, de prétendre enseigner la gestion à des étudiants qui n’ont
aucune expérience de la gestion; que les enseignants en gestion eux-mêmes
devraient tous avoir une expérience pratique de la gestion, au minimum par
l’entremise d’activités de consultation; que l’apprentissage de la gestion doit être
expérientiel. Le poids qu’on accorde à l’expérience de première main se retrouve
un peu partout, par exemple dans le reproche courant : « Tu ne peux pas
comprendre, tu ne l’as pas vécu ».
Du même souffle, on entend parfois des réflexions qui vont dans l’autre
sens, par exemple qu’avoir 20 ans d’expérience peut signifier qu’on a une année
d’expérience répétée 20 fois; qu’il y a de bonnes ou de mauvaises expériences et
qu’on ressort parfois de celles-ci en disant « Je n’ai rien appris »; que s’il fallait
faire l’expérience directe de tout ce qu’on apprend, on n’aurait jamais assez de
27
temps; qu’écouter un conférencier talentueux peut être une « expérience » tout aussi
riche que participer à une simulation hyperactive en classe., que ce n’est pas
l’expérience qui compte, mais la capacité à apprendre de son expérience, etc.
Alors, qu’est-ce que l’expérience? Quel est le lien entre apprentissage et
expérience? Est-ce que toute expérience est source d’apprentissage? Peut-on
apprendre de l’expérience des autres? Est-il vrai qu’on apprend davantage de ses
erreurs que de ses succès, à moins que ce ne soit l’inverse? Est-ce qu’il faut
forcément « sortir de sa zone de confort » pour apprendre? Est-ce qu’apprendre
peut être une expérience agréable ou faut-il que ce soit un peu souffrant? Peut-on
apprendre les mauvaises choses d’une bonne expérience? Peut-on apprendre les
bonnes choses d’une mauvaise expérience?
Ce sont les questions que je me pose depuis quelques années (vous voyez
que j’ai encore de beaux jours de recherche devant moi!) et que j’ai d’abord
explorées en tant qu’enseignante qui s’interroge sur les apprentissages qu’elle
suscite ou non chez ses étudiants, sur la posture pédagogique à adopter par rapport
à l’expérience pratique en gestion des étudiants ainsi que sur son propre manque
d’expérience pratique. Cela m’a donné l’occasion de faire le tour des théories de
l’apprentissage, de démêler certaines idées confuses sur l’apprentissage
expérientiel, de clarifier le fait que la méthode des cas peut être une méthode pour
apprendre de son expérience (et non pas une méthode pour créer une expérience de
gestion fictive) et bien d’autres choses dont je pourrais encore vous parler pendant
quelques heures.
Je terminerai plutôt en vous disant quelques mots sur mes deux projets de
recherche en cours qui touchent à ce thème du lien entre expérience et
apprentissage. Le premier projet, réalisé avec Viana Poulin, porte sur
l’apprentissage de la gestion. On vise à explorer ce qu’on a appelé les « trajectoires
expérientielles » des gestionnaires, c’est-à-dire les façons dont des gestionnaires
ayant une expérience variable (entre 5 et 40 ans) ont appris, de leur point de vue,
28
leur métier de gestionnaires et les expériences qui ont marqué cet apprentissage.
Nos ancrages conceptuels reposent sur plusieurs paires de concepts, en particulier
le couple apprentissage direct et apprentissage vicariant (dans quelle mesure on
apprend de l’expérience des autres et pas seulement de sa propre expérience), ainsi
que le couple premanagerial learning (ce que le gestionnaire a appris avant de
devenir lui-même gestionnaire) et managerial learning (ce qu’il a appris en tant
que gestionnaire).
Le second projet a été mis en branle de façon indépendante du premier et
avec en tête des objectifs très différents, et pourtant, plus j’y pense, notamment à
l’occasion de l’écriture de ce texte, plus il me semble qu’il est en fait le miroir du
premier. Simplement les « praticiens » étudiés ne sont pas les mêmes. Ce second
projet, avec la collaboration de Serge Poisson-de Haro et David Pastoriza-Rivas,
examine le développement pédagogique des enseignants en gestion. Comment un
professeur de gestion apprend-il à enseigner, comment évolue son enseignement,
quel est son parcours sur le plan pédagogique? Quels sont les incidents, les
événements ou les circonstances qui marquent une carrière pédagogique et quels
sont les moteurs de l’évolution pédagogique? Quels sont les éléments extérieurs à
la carrière d’un enseignant qui ont façonné la manière dont il se définit comme
enseignant et dont il voit son rôle en classe? Est-ce que l’enseignement de la gestion
pose des défis particuliers par rapport à l’enseignement d’autres disciplines? Ici, les
« praticiens » sont les professeurs… Nous avons mené des entrevues avec 50
d’entre eux, des professeurs de tous les domaines de la gestion, qui ont entre 5 et
40 ans d’expérience d’enseignement et qui œuvrent dans les quatre universités
montréalaises. Des professeurs qui adorent ou qui détestent enseigner, des
professeurs qui ont l’impression de s’améliorer ou de stagner sur le plan
pédagogique, des professeurs qui se définissent avant tout comme des chercheurs
et d’autres avant tout comme des enseignants, des professeurs qui ont vécu des
incidents pédagogiques qui les ont marqués et qui ont engendré un virage majeur
dans leur pédagogie et d’autres qui disent n’avoir fait que du fine tuning par rapport
à une posture pédagogique qu’ils avaient adoptée dès le départ. Et ainsi de suite.
29
Dans les deux projets, celui sur les gestionnaires et celui sur les profs, on
creuse le lien entre expérience pratique et apprentissage, on tente de voir s’il y a
des expériences « accélératrices d’apprentissage » et, à l’inverse, des expériences
qui « figent », qui « bloquent ». Parfois c’est la « même » expérience qui, chez un
individu, a un effet d’accélération et d’ouverture et, chez un autre, un effet de
freinage et de fermeture. Maintenir une ambivalence avec le monde des affaires,
c’est aussi, pour moi, ne pas prendre ce lien entre expérience pratique et
apprentissage pour acquis.
Ce faisant, j’ai troqué un défi empirique contre un autre. Je vous disais plus
tôt à quel point il est difficile empiriquement d’étudier la façon dont les
connaissances scientifiques sont incorporées dans le sens commun. Étudier
l’apprentissage est un défi empirique aussi considérable, dans la mesure, par
exemple, où il y a souvent un effet de retard entre le moment où vous vivez une
expérience et le moment où vous prenez conscience du fait que vous avez appris
quelque chose de cette expérience. Cela signifie, soit dit entre parenthèses, que la
question 23 de notre questionnaire d’évaluation auquel les étudiants répondent ne
mesure sûrement pas ce qu’elle prétend mesurer: « Je suis satisfait de mes
apprentissages. » J’espère bien que « tu n’es pas trop satisfait ». D’abord, si j’ai
bien fait mon travail d’enseignante, l’étudiant ressortira du cours un tant soit peu
ébranlé, mal à l’aise parce que j’ai instillé le doute, parce qu’il est plus conscient
de ce qu’il reste à apprendre et de l’absence de certitudes pour le guider, et on est
rarement « satisfait » de cela sur le coup. Ensuite, en ce qui concerne les
« apprentissages » dans le cours, l’étudiant y verra probablement plus clair dans
une semaine, dans un mois, dans un an, dans 10 ans, mais rarement à chaud.
D’ailleurs, dans les 50 entrevues conduites avec les professeurs dont je vous
parlais, ce qui ressort souvent, c’est que « la plus belle récompense » pour ces
enseignants, ce n’est pas quand ils obtiennent 4/4 à une évaluation, c’est quand un
étudiant les contacte ou les croise cinq ans après la fin du cours pour leur dire à quel
30
point ils comprennent maintenant ce qu’on a voulu leur enseigner, à quel point cela
leur est utile, alors que sur le moment ils avaient trouvé cela inutile, et qu’ils sont
reconnaissants.
31
Conclusion
Quelle conclusion peut-on tirer de ce qui précède? Quelle est cette fameuse
position ambivalente, entre deux chaises, inconfortable, que je préconise? En voici
une formulation : HEC Montréal n’est pas au service du monde des affaires, elle
est au service de la société québécoise dans son ensemble, elle ne s’adresse pas
seulement aux dirigeants, mais à tous les membres des entreprises. Elle ne s’appuie
pas sur le principe que le système économique actuel, les entreprises et la gestion
sont une donnée de départ, elle est aussi un lieu de remise en question du système,
de l’existence des entreprises et de la désirabilité de la gestion. Le privilège et le
devoir d’un professeur de gestion aujourd’hui est d’être critique sans être arrogant,
de collaborer avec les praticiens sans toujours les servir, de chercher à partager les
connaissances, toutes les connaissances, pas seulement les connaissances
instrumentales, et d’avoir une vision large de l’utilité et de la pertinence. La
connaissance finalement « utile » peut très bien être, dans certains cas, la
connaissance jugée farfelue, dangereuse ou inutile dans un premier temps, soit par
les collègues chercheurs, soit par les praticiens. Ne pas tenter de répondre à des
besoins à court terme exprimés par les praticiens peut parfois être le moyen
d’aboutir à des connaissances véritablement utiles pour eux comme pour le reste de
la société. De même, ne pas chercher à tout prix à plaire aux étudiants en leur
enseignant ce qu’ils veulent apprendre est parfois le moyen de leur enseigner des
choses qu’ils trouveront véritablement utiles, plus tard.
Mais, comme dans beaucoup de domaines, c’est l’équilibre qui importe. Ne
pas pencher trop d’un côté ou de l’autre, permettre à chacun de s’asseoir sur les
deux chaises, voire d’encourager ceux qui préfèrent rester debout entre les deux et
veiller, sur le plan institutionnel, à ne pas privilégier une position aux dépens de
l’autre. En particulier, on ne peut pas faire l’impasse sur les « besoins à court
terme » des uns et des autres: comme chercheur en gestion, il faut tenir compte des
besoins à court terme des praticiens et pouvoir y répondre en partie, ne serait-ce
32
que pour établir une confiance réciproque qui permet ensuite de parler d’autre
chose. Comme enseignant en gestion, il faut pouvoir répondre aux besoins à court
terme des étudiants pour créer un climat d’apprentissage qui les rend disposés à
supporter le malaise de certains apprentissages. Mais il faut aussi faire une place à
la subversion, à la critique, à la remise en cause et à la liberté universitaire.
33
Bibliographie
Alexandre, Hélène et al. (1993). « Le salarié de base et la connaissance ordinaire »,
dans « Quelle connaissance pour gérer? », Gérer et comprendre, mars, p. 82-88.
Alvarez, J.L. (1998). The Diffusion and Consumption of Business Knowledge. New
York: St. Martin’s Press.
Amabile, T.M. et al. (2001). Academic-practitioner collaboration in management
research : A case of cross-profession collaboration. Academy of Management Journal,
44(2): 418-431.
Ambos, T.C., Mäkelä, K., Birkinshaw, J. et D'Este, P. (2008). When does university
research get commercialized? Creating ambidexterity in research institutions. Journal
of Management Studies, 45(8): 1424-1447.
Armstrong, S.J. et Mahmud, A. (2008). Experiential learning and the acquisition of
managerial tacit knowledge. Academy of Management Learning and Education, 7 :
189-208.
Avenier, M.-J. et Schmitt, C. (2007). « Élaborer des savoirs actionnables et les
communiquer à des managers ». Revue Française de Gestion, 33(174) : 25-42.
Baldridge, D.C., Floyd, S.W. et Markoczy, L. (2004). Are managers from Mars and
academicians from Venus? Toward an understanding of the relationship between
academic quality and practical relevance. Strategic Management Journal, 25: 1063-
1074.
Baritz, Loren. (1960). The Servants of Power : A History of the Use of Social Science
in American Industry. Middletown, Conn.: Wesleyan University Press.
Barnes, J.A. (1979). Who Should Know that? Social Science, Privacy and Ethics.
Cambridge: Cambridge University Press.
Bartunek, J.M. (2007). Academic-practitioner collaboration needs not require joint or
relevant research: Toward a relational scholarship of integration. Academy of
Management Journal, 50: 1323-1333.
Bastow, S., Dunleavy, P. et Tinkler, J. (2014). The Impact of the Social Sciences. How
Academics and their Research Make a Difference. Londres: Sage.
34
Beyer, J.M. (1997). Research utilization. Bridging a cultural gap between
communities. Journal of Management Inquiry, 6: 17-22.
Bosk, Charles et De Vries, Raymond G. (2004). Bureaucracies of mass deception :
Institutional review boards and the ethics of ethnographic research. The Annals of the
American Academy, 595 : 249-263.
Bourdieu, P. (1993) Comprendre. Dans P. Bourdieu et al. (dir.), La misère du monde,
Paris : Seuil, p. 903-939.
Bower, Robert T. et de Gasparis, Priscilla (1978). Ethics in Social Research:
Protecting the Interests of Human Subjects. New York: Praeger.
Bransford, J.D., Brown, A.L. et Cocking, R.R. (dir.). (2000). How People Learn.
Brain, Mind, Experience and School. Washington: National Academy Press.
Bridgman, T. (2010). Beyond the manager’s moral dilemma: Rethinking the «ideal-
type» business ethics case. Journal of Business Ethics, 94: 311-322.
Brief, Arthur P. (2000). Still servants of power. Journal of Management Inquiry, 9(4):
342-351.
Burgoyne, J. et Mumford, A. (2001). Learning from the Case Method. A report to the
European Case Clearing House, ECCH.
Callon, Michel (1999). Ni intellectuel engagé, ni intellectuel dégagé : la double
stratégie de l’attachement et du détachement, Sociologie du travail, 41 : 65-78.
Callon, Michel (1999). The role of lay people in the production and dissemination of
scientific knowledge. Science, Technology & Society, 4(1): 81-94.
Calori, R. (2000). Ordinary theorists in mixed industries. Organization Studies, 21:
1031-1057.
Canadian Institutes of Health Research, Natural Sciences and Engineering Research
Council of Canada and Social Sciences and Humanities Research Council of Canada
(2010). Tri-Council Policy Statement: Ethical Conduct for Research Involving
Humans (TCPS2).
Cell, E. (1984). Learning to Learn from Experience. Albany, N.Y.: State University
of New York Press.
Chetkovich, C. et Kirp, D.L. (2001). Cases and controversies: How novitiates are
trained to be masters of the public policy universe. Journal of Policy Analysis and
Management, 20: 283-313.
35
Christensen, C.R., Garvin, D.A. et Sweet, A. (dir.) (1991). Education for Judgment:
The Artistry of Discussion Leadership. Boston: Harvard Business School Press.
Christensen, C.R. et Hansen, A.J. (1987). Teaching and the Case Method, Boston:
Harvard Business School.
Clement, J. et al. (1989). Not all preconceptions are misconceptions: Finding
«anchoring conceptions» for grounding instruction on students' intuitions.
International Journal of Science Education, 11: 554-565.
Cossette, P. (2007) L’inconduite en recherche. Enquête en sciences de
l’administration, Québec : PUQ.
Demil, B., Lecocq, X. et Warnier, V. (2007). Le couple pratique-recherche. Divorce,
mariage ou union libre? Revue Française de Gestion, 33(171): 31-48.
De Vries, Raymond, DeBruin, Debra A. et Goodgame, Andrew (2004). Ethics review
of social, behavioral and economic research: Where should we go from here? Ethics
& Behavior, 14(4): 351-368.
Dewey, J. (1997). Experience and Education. New York: Touchstone.
Flyvbjerg, B. (2001). Making Social Science Matter. Why Social Inquiry Fails and
How it Can Succeed again. Cambridge: Cambridge University Press.
Gans, Herbert J. (1989). Sociology in America: The Discipline and the Public.
American Sociological Review, 54: 1-16.
Giddens, A. (1990). The Consequences of Modernity. Cambridge: Polity Press.
Giddens, A. (1993). New Rules of Sociological Method. A Positive Critique of
Interpretative Sociologies. Cambridge: Polity Press.
Gulati, R. (2007). Tent poles, tribalism and boundary spanning: The rigor-relevance
debate in management research. Academy of Management Journal, 50: 775-782.
Hatchuel, A. (2001). The two pillars of new management research. British Journal of
Management, 12: S33-S39.
Hewlett, L. (2006). Validating a pre-formed identity or unsettling prior experience?
Experiences of working students entering studies in management. Perspectives in
Education, 24(3): 109-120.
Hodgkinson, G.P., Herriot, P. et Anderson, N. (2001). Re-aligning the stakeholders in
management research. British Journal of Management, 12: 41-48.
36
Huff, A.S. (2000). Changes in organizational knowledge production. Academy of
Management Review, 25: 288-293.
Huff, A.S. et Huff, J.O. (2001). Re-focusing the business school agenda. British
Journal of Management, 12: S49-S54.
Kieser, A. et Leiner, L. (2009). Why the rigour-relevance gap in management research
is unbridgeable. Journal of Management Studies, 46: 516-533.
Kolb, D.A. (1984). Experiential Learning: Experience as the Source of Learning
Development. Englewood Cliffs, N.J.: Prentice-Hall.
Leenders, M.R., Mauffette-Leenders, L.A. et Erskine, J.A. (2001). Writing Cases, 4th
edn. (1st edn.: 1973), London, Ont.: Ivey Publishing.
Liang, N. et Wang, J. (2004). Implicit mental models in teaching cases: An empirical
study of popular MBA cases in the US and China. Academy of Management Learning
and Education, 3: 397-413.
Libecap, G.D. (dir.) (2009). Measuring the Social Value of Innovation: A Link in the
University Technology Transfer and Entrepreneurship Equation, Bingley, R.-U.:
Emerald.
Lundberg, C.C., Rainsford, P., Shay, J.P. et Young, C.A. (2001). Case writing
reconsidered. Journal of Management Education, 25: 450-463.
Mailhot, Chantale et Mesny, Anne (2004). L’hybridité de la théorie à la pratique.
Gérer la recherche en partenariat entre l’entreprise et l’université. Gérer et
comprendre, n° 78, décembre, p. 19-31.
Martin, E. et Lueckenhausen, G. (2005). How university teaching changes teachers:
Affective as well as cognitive challenges. Higher Education, 49(3): 389-412.
Merton, Robert K. et Wolfe, Alan (1995). The cultural and social incorporation of
sociological knowledge. The American Sociologist, automne: 15-39.
Mesny, Anne (1996). Sciences sociales et usages des savoirs par les « gens
ordinaires ». Anthropologie et Sociétés, 20(1) : 187-198.
Mesny, Anne (1998). Sociology for whom? The role of sociology in reflexive
modernity. Canadian Journal of Sociology, 23(2/3) : 159-178.
Mesny, Anne (2002). Bourdieu’s recent work : sens pratique v. hysteresis. Canadian
Journal of Sociology, 27(1): 59-67.
37
Mesny, Anne (2009). Revisiting the case method in management education. Dans
C.M. Madtha (dir.), Higher Education. Issues in Teaching and Academic Writing,
Hyderabad, Inde: Icfai University Press, p. 78-94.
Mesny, Anne (2009). What do «we» know that «they» don’t? Sociologists’ versus
non-sociologists’ knowledge. Canadian Journal of Sociology, 34(3): 671-695.
Mesny, Anne (2013). Taking stock of the century-long utilization of the case method
in management education. Canadian Journal of Administrative Sciences / Revue
canadienne des sciences de l’administration, 30: 56-66.
Mesny, Anne (2014). Public sociology and research ethics. Dans Ariane Hanemaayer
et Christopher J. Schneider (dir.), Public Sociology Debate. The Ethics and
Engagement, UBC Press, p. 153-174.
Mesny, Anne et Mailhot, Chantale (2007). The difficult search for compromises in a
Canadian industry/university research partnership. Canadian Journal of Sociology,
32(2), juin, p. 203-226.
Mesny, Anne et Mailhot, Chantale (2010). La collaboration entre chercheurs et
praticiens de la gestion: repères épistémiques et réflexions critiques. Revue Française
de Gestion, n° 202, p. 33-45.
Mesny, Anne et Mailhot, Chantale (2012). Control and traceability of research impact
on practice : Reframing the «relevance gap» debate in management. M@n@gement,
15(2) : 180-207.
Mesny, Anne et Marcoux, Jean-Sébastien (2009). La recherche en gestion et les
comités d’éthique : l’épreuve de la pratique. Cahiers de Recherches sociologiques, n°
48, p. 111-128.
Mesny, Anne, Pinget, Nicolas et Mailhot, Chantale (2015). The commercialization of
academic outputs in the administrative sciences: A multiple-case study in a university-
based business school. Canadian Journal of Administrative Sciences, à paraître, été.
Mintzberg, H. (2004). Managers, not MBAs. A Hard Look at the Soft Practice of
Managing and Management Development, San Francisco: Berrett-Koehler.
Mohrman, S.A., Gibson, C.B. et Morhman, A.M. (2001). Doing research that is useful
to practice: A model and empirical exploration. Academy of Management Journal,
44 : 357-375.
Moscovici, Serge (1961). La psychanalyse. Son image et son public. Étude sur la
représentation sociale de la psychanalyse, Paris: PUF.
38
Nicolai, A. et Seidl, D. (2010). That’s relevant! Different forms of practical relevance
in management science. Organization Studies, 31: 1257-1285.
Nowotny, H., Scott, P. et Gibbons, M. (2001). Rethinking Science: Knowledge and
the Public in an Age of Uncertainty, Cambridge: Polity Press.
Nutley, S.M., Walter, I. et Davies, H.T.O. (2007). Using Evidence. How Research
Can Inform Public Services, Bristol, R.-U.: Policy Press.
Osigweh, C. (1989). Casing the case approach in management development. Journal
of Management Development, 8: 41-57.
Perriton, L. et Reynolds, M. (2004). Critical management education: From pedagogy
of possibility to pedagogy of refusal? Management Learning, 35(1): 61-77.
Pinget, N. (2012). La valorisation des résultats issus de la recherche en gestion : une
étude exploratoire, mémoire de M.Sc., Montréal : HEC Montréal.
Priem, R.L. et Rosenstein, J. (2000). Is organization theory obvious to practitioners?
A test of one established theory. Organization Science, 11: 509-524.
Radder, H. (dir.). (2010). The Commodification of Academic Research: Science and
the Modern University, Pittsburgh, Penn.: University of Pittsburgh Press.
Raelin, J.A. et Schermerhorn Jr., J. (1994). A new paradigm for advanced
management education: How knowledge merges with experience. Management
Learning, 25: 195-200.
Ramsden, P. (2002). Learning to Teach in Higher Education, (1st ed. 1992), Londres:
Routledge Falmer.
Rynes, S.L., Bartunek, J. et Daft, R. (2001). Across the great divide: Knowledge
creation and transfer between practitioners and academics. Academy of Management
Journal, 44: 340-355.
Rynes, S.L. et McNatt, D.B. (2001). Bringing the organization into organization
research: An examination of academic research inside organizations. Journal of
Business and Psychology, 16: 3-19.
Sadler, I. (2012). The influence of interactions with students for the development of
new academics as teachers in higher education. Higher Education, 64: 147-160.
Shapiro, D.L., Kirkman, B. et Courtney, H. (2007). Perceived causes and solutions of
the translation problem in management research. Academy of Management Journal,
50: 249-266.
39
Shulman, L.S. (1996). Just in case: Reflections on learning from experience. The Case
for Education: Contemporary Approaches for Using Case Methods. Dans J.A.
Colbert, Peter Desberg et Kimberly Trimble, Boston, Allyn & Bacon, p. 197-217.
Sims, D., Morgan, E., Nicholls J., Clarke, K. et Harris, J. (1994). Between experience
and knowledge: Learning within the MBA program. Management Learning, 25: 275-
287.
Slaughter, S. et Rhoades, G. (2004). Academic Capitalism and the New Economy:
Markets, State and Higher Education, Baltimore, Md.: The Johns Hopkins University
Press.
Smith, G. (1987). The use and effectiveness of the case study method in management
education. A critical review. Management Education and Development, 18: 51-61.
Trigwell , K. et al. (2000). Scholarship of teaching: A model. Higher Education
Research & Development, 19(2): 155-168.
Tripp, D. (2012). Critical Incidents in Teaching: Developing Professional
Judgement, Londres, New York: Routledge.
Vance, C.M. (dir.) (1993). Mastering Management Education. Innovations in
Teaching Effectiveness, Newbury Park, Calif.: Sage.
Warner Weil, S. et McGill, I. (dir.) (1989). Making Sense of Experiential Learning:
Diversity in Theory and Practice, Society for Research into Higher Education &
Open University Press.
Watson, T.J. (2001). The emergent manager and processes of management pre-
learning. Management Learning, 32(2): 221-235.
Weimer, M. (2013). Learner-centered Teaching: Five Key Changes to Practice,
San Francisco: Jossey-Bass.
Weiss, C.H. (1977). Using Social Research in Public Policy Making, Lexington,
Mass.: D.C. Heath.
Weiss, C.H. (1986). The many meanings of research utilization. Dans M. Bulmer
(dir.), Social Science and Social Policy, Londres: Allen & Unwin, p. 31-40.
Wrong, Dennis H. (1990). The influence of sociological ideas on American culture.
Sociology in America. Dans Herbert J. Gans (dir.), Londres: Sage, p. 19-30.