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87 année - Hebdomadaire 3267 - 8 juillet 2011 3 france-catholique.fr france-catholique.fr FRANCE Catholique ISSN 0015-9506 Edgar Morin Quel avenir pour l’humanité ? pages 10 à 12 NOUVELLE ÉVANGÉLISATION « Des menhirs à internet » Récits d’Hervé Marie Catta pages 14 à 21 Faut-il saborder le mariage ? pages 6 à 8

FRANCE Catholique · 2014. 12. 2. · Abyei et au Sud-Kordofan, devaient être réglées par voie de référendum. Ces dernières semaines, elles le sont plutôt par les armes. Le

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  • 87 année - Hebdomadaire n° 3267 - 8 juillet 2011 3 €fran

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    9506

    Edgar Morin Quel avenir

    pour l’humanité ? pages 10 à 12

    NOUVELLE ÉVANGÉLISATION

    « Des menhirs à internet »Récits d’Hervé Marie Catta pages 14 à 21

    Faut-il saborder le mariage ?

    pages 6 à 8

  • BRÈVES

    2 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    FRANCEgouVERNEmENt : Après la nomination de Ch. Lagarde à la tête du FMI, l’ex-ministre de l’Économie et des Fi nances a été remplacée le 29 juin par François Baroin ; Valérie Pécresse quitte l’En-seignement supérieur pour le ministère du Budget ; plu-sieurs centristes entrent au gouvernement.politiquE : Le premier tour des primaires d’Europe-Eco-logie-Les Verts s’est soldé le 29 juin par une victoire significative d’Éva Joly sur Nicolas Hulot, avec 49,75 % contre 40,22 %.Au parti socialiste, après la déclaration de candidature de Martine Aubry le 28 juin, Harlem Désir a pris la direc-tion du parti ; de son côté, Pierre Moscovici, ancien soutien de D. Strauss-Kahn, a annoncé le 29 son rallie-ment à François Hollande. C’était sans compter avec le retournement survenu le 1er

    juillet dans l’affaire Strauss-Kahn : après des révélations qui décrédibilisent l’accusa-tion, la Justice américaine a décidé de libérer sur parole l’ancien patron du FMI. Certains espèrent son retour rapide sur la scène politique française.JuStiCE : Les parents d’une adolescente tuée à coups de poing devant son collège par un camarade à Florensac (Hérault) ont porté plainte le 28 juin contre le collège pour négligence de surveillance.Un homme qui avait agrippé le Président lors d’une visite en Lot-et-Ga ronne le 30 juin a été condamné à 3 mois de prison avec sursis. C’est la première fois que le dispo-sitif de sécurité entourant le chef de l’État a été franchi.

    REtRAitES : La princi-pale mesure de la réforme des retraites est entrée en vigueur le 1er juillet ; l’âge légal de départ est passé à 60 ans et 4 mois ; il atteindra 62 ans en 2018.BACCAlAuRéAt : Un employé d’une entreprise de mainte-nance pour les imprimeries, soupçonné d’être à la source de la fuite des sujets de maths, ainsi que son fils ont été interpellés le 27 juin.DiStRiButioN : Selon un rapport de l’Observatoire des

    prix et des marges révélé le 27 juin, les marges des producteurs agricoles n’ont cessé de baisser depuis dix ans alors que celles des dis-tributeurs ont augmenté.AlpiNiSmE : 9 alpinistes ont trouvé la mort dans les Alpes les 26, 27 juin et 1er juillet.iNtEmpéRiES : Après une phase de canicule et une première offensive orageuse le 27 juin, de violents orages étaient attendus le 28 entre le Nord et le Centre-Est.iNCENDiES : 200 hectares de forêts ont été détruits par le feu le 3 juillet près de Lacanau (Gironde).CyCliSmE : Le Tour de France a pris le départ le 2 juillet de Vendée ; le favori est l’Espa-gnol Alberto Contador, trois

    fois vainqueur de l’épreuve, mais toujours sous le coup d’une enquête pour dopage dans le Tour précédent.

    moNDEEuRopE : Alors qu’une grève générale de 48 heures se déroulait en Grèce à partir du 28 juin pour protester contre le deuxième plan d’austé-rité soumis au Parlement depuis mai 2010, le gouver-nement portugais présentait au Parle ment un programme

    sur quatre ans pour remplir ses obligations liées à une aide internationale de 78 milliards. Le gouvernement italien a également adopté un nouveau plan d’austé-rité de 43 milliards en vue de tenir son engagement de parvenir à l’équilibre budgé-taire en 2014. En Grande-Bretagne, les fonctionnaires ont manifesté le 30 juin contre la retraite à 66 ans. En France, la dette a conti-nué de croître au 1er tri-mestre pour atteindre 1 646 milliards, soit 84,5% du PIB.liByE : La Cour pénale inter-nationale de La Haye a lancé le 27 juin un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Kadhafi pour crimes contre l’huma-nité depuis le soulèvement

    du 15 février ; des mandats ont également été délivrés contre un de ses fils et le chef des services de ren-seignements libyens. Selon des informations émanant du Conseil de sécurité, les forces rebelles prendraient le dessus grâce aux frappes aériennes de l’OTAN ; mais depuis le début de ces frappes Al-Qaida au Maghreb isla-mique est devenu le desti-nataire d’un trafic d’armes avec la Libye.VENEzuElA : Hugo Chavez a été opéré le 10 juin dernier à Cuba d'un abcès pelvien cancéreux.AFghANiStAN : Le gouver-neur de la Banque centrale s’est enfui aux États-Unis.SéNégAl : Les habitants de Dakar excédés par des cou-pures d’électricité à répéti-tion, ont incendié plusieurs bâtiments publics le 28 juin.liBAN : Le tribunal interna-tional chargé de l’enquête sur l’assassinat du dirigeant Rafic Hariri a remis le 30 juin quatre mandats d’ar-rêt au procureur général de Bey routh ; l’affaire qui divise le pays fait craindre de nou-velles tensions.SyRiE : 500 000 manifes-tants ont de nouveau récla-mé le 1er juillet le départ de Bachar el-Assad.mARoC : Le projet de ré forme constitutionnelle proposé par le roi a été plébiscité le 1er juillet avec plus de 90% de oui.thAïlANDE : Yingluck Shina-watra, 44 ans, sœur de l'an-cien Premier ministre Thak-sin Shinawatra, qui est en exil depuis 2006, a large-ment remporté les élections législatives du 3 juillet et de vrait être nommée Premier ministre.

    J.L.

  • CE N'EST PAS si souvent que nous avons l'occasion de nous réjouir d'un événement comme celui du mariage du prince Albert et de la nouvelle princesse Charlène à Monaco. Certes, des esprits chagrins pourront récriminer. Déjà, au moment du mariage

    de William et de Kate à Londres, on avait pu entendre une opinion minoritaire, s'indigner contre le caractère désuet de cette cérémonie… Mais justement, le désuet pourrait bien s'identifier à ce qui dépasse toutes les modes. La monarchie anglaise nous enterrera tous, comme sans doute la princi-pauté de Monaco. Bien sûr, il y a dissymétrie entre la cou-ronne britannique dont le prestige s'étend sur toute une partie de la planète et cet étonnant anachronisme d'un Rocher isolé sur la Côte d'Azur. Mais la symbolique, ici et là, est assez semblable, celle d'une famille régnante, en qui des peuples s'identifient, parce qu'elle représente la vie, l'amour, la rencontre d'un homme et d'une femme, la venue des enfants, la transmission des générations, et l'histoire sans cesse refon-dée et continuée.

    Pourquoi cet engouement pour les familles royales et prin-cières, même dans les pays dits républicains ? Pourquoi cette ferveur autour des grands événements dynastiques ? Il ne faut pas trop se creuser la tête pour comprendre, alors que nous avons en miroir cette vie même, qui dans sa représentation royale acquiert une dimension qui n'a rien de démesuré ou de surhumain. Il suffisait de suivre la cérémonie de samedi. C'était beau, tout simplement. Beau jusqu'au sublime, parce que le sublime ne naît nullement du démesuré, mais de ce qui correspond aux sentiments fondateurs, à cette situation originelle où est prononcée une promesse, qui transfigure un homme et une femme au-delà de l'instant où ils la pronon-cent. Promesse qui signifie parole donnée, et en même temps espérance. Projet d'un avenir qui sera supérieur aux aléas du temps. Une promesse qui n'a de garant que Dieu lui-même, représenté ici par l'archevêque de Monaco, Mgr Barsi et tout le corps ecclésial. Qu'en conclure, sinon avec saint Paul que « ce mystère est grand » ? ■

    SOMMAIRE

    ACTUALITÉ 4 SOUDAN Un Kosovo africain 5 MONDIALISATION Christine au FMI 6 SOCIÉTÉ Faut-il saborder le mariage ? La déferlante gay

    Le cas new-yorkais

    9 AFGHANISTAN Otages médiatiques 10 IDÉES Entretien avec Edgar Morin 13 ECCLÉSIA Pakistan : feu vert aux islamistes ?

    DOSSIER 14 NOUVELLE ÉVANGÉLISATION Des menhirs à internet

    ESPRIT 22 LECTURES 15e dimanche ordinaire 24 LIVRES Sélection spiritualité 25 THÉÂTRE « Duc in altum » 26 JEUNESSE Entretien avec Mgr Benoît Rivière

    MAGAZINE 28 EXPOSITIONS L'épée 30 COMÉDIE MUSICALE « Hair » 32 LIVRES Sélection Air et Mer 33 CINÉMA « Switch », « Derrière les murs », « My little princess », « Hop »

    34 THÉÂTRE « Le fantôme d'Avignon » 35 TÉLÉVISION « Le Papillon », « Shrek 4 », « Toutankhamon », « Batman begins »

    36 TÉLÉVISION Votre début de soirée 38 BLOC-NOTES Vie associative et d’Église

    ENCART JETÉ DANS CE NUMÉRO :Lettre du service librairie de France Catholique

    Cet événementest grand

    ÉDITORIAL

    FRANCECatholique N°3267 8 JUILLET 2011 3

    par Gérard LECLERC

    Écoutez la chronique de Gérard Leclerc,

    chaque semaine sur :

  • ACTUALITÉ

    4 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    par Yves LA MARCK

    Le 9 juillet 2011, le Sud-Soudan est indé-pendant. Mais c’est un pays qui n’a jamais existé. L’Érythréen

    et le Somaliland (dont l’in-dépendance autoproclamée il y a plus de vingt ans n’a jamais été reconnue) avaient été des territoires coloniaux séparés. Même le Darfour a été un émirat jusqu’en 1916. Ce ne fut jamais le cas du Bahr-el-Ghazal, à peine autonome un temps sous un gouverneur égyptien, et sur une moindre superficie que celle du nouvel État. L’identité du Sud-Soudan est ethnique et religieuse, à ce jour plus négativement — non arabi-sés et non musulmans — que positivement — les diversités de peuplement et de religion y sont profondes. La tâche du nouvel État sera de passer de décennies de lutte de libé-ration à un régime démo-cratique : désarmement des milices et transformation d’un mouvement de libération (SPLA/M) devenu quasi-parti unique en un multipartisme qui ne soit pas tribaliste ou clanique : Nuer contre Dinka, idem entre sous-clans.

    La reprise de la guerre Nord-Sud peut servir de ciment national au Sud

    comme au Nord. Quelques disputes frontal ières , à Abyei et au Sud-Kordofan, de vaient être réglées par voie de référendum. Ces dernières semaines, elles le sont plutôt par les armes. Le précédent de la terrible guerre fratricide entre l’Éthiopie et l’Érythrée dès l’indépendance de celle-ci hante les esprits.

    Addis-Abeba a d’ailleurs envoyé dans la zone contes-tée une force d’interposition de 4 200 soldats en attendant une force onusienne (déjà dix mille observateurs ou casques bleus sont dans le coin).

    Les prétextes à guerre

    civile ou à guerre extérieure ne manquent donc pas. Le tout est de savoir si le Nord et le Sud en profiteront ou pas. Jusqu’à présent, le président sudiste, Salva Kiir, a été suffi-samment habile pour ne pas répondre aux provocations du Nord. S’il le faisait, il compro-mettrait l ’ indépendance avant même sa proclamation.

    Les vieilles ficelles d’Al-Bachir n’ont pas marché. Que va-t-il faire après le 9 juillet ?

    Khartoum doit tirer les conséquences de l’indépen-dance du Sud. Al-Bachir avait menacé en cas de sécession d’instaurer au Nord un État

    islamique avec application de la charia, y compris aux sudistes résidents au Nord, en fait aux non-musulmans. Le fera-t-il ? Khartoum avait jusqu’au début de l’année été sous « surveillance » de l’Égypte. L’adjoint de Moubarak, en charge du renseignement, était chaque semaine dans la capitale soudanaise. Le Caire ne souhaitait pas voir un isla-misme dur sur sa frontière sud. Survient le printemps arabe : exit le tuteur égyp-tien. Les services égyptiens ont été dissous. Les politiques ont d’autres chats à fouetter. Les Soudanais ont donc la bride sur le cou.

    Un printemps arabe à Khartoum ne semble pas à l’ordre du jour. Al-Bachir n’a à redouter qu’une révolution de palais et s’est organisé en conséquence. L’inculpation par le procureur de la Cour pénale internationale l’a jusqu’à présent plutôt servi en le « sanctuarisant », dans la sous-région et au sein de l’Union africaine déjà embarrassée par le problème libyen. Les États-Unis pour le moment en font autant, préférant tenir (l’indépen-dance du Sud) que courir (le changement à Khartoum). La Chine, principal investisseur pétrolier, a spectaculaire-ment renouvelé son soutien en recevant Al-Bachir en visite officielle fin juin. La Haye attendra. Pour quelque temps encore, Al-Bachir a le champ libre. n

    SUD-SOUDAN

    Un printemps arabe à Khartoum ne semble pas à l'ordre du jour(

    Promis à la guerre civile et/ou la guerre extérieure, le nouvel État indépendant du Sud-Soudan doit inventer une nation et un avenir.

    Un Kosovo africain

  • ACTUALITÉMONDIALISATION

    par Y.L.M.Christine au FMI

    FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011 5

    La co ïnc idence va encore accréditer la théorie du complot. 18 ma i : d ém i s -sion de Dominique

    Strauss-Kahn ; 29 juin : élec-tion de Christine Lagarde ; 1er juillet : remise en liberté de DSK ; 5 juillet : prise de fonctions de Mme Lagarde. Il faudrait prouver non seule-ment que D. Strauss-Kahn à la tête du FMI depuis 2007 dérangeait, ce qui est connu, mais encore que Christine Lagarde ne poursuivra pas sur la ligne de son prédéces-seur mais s’engagera dans une politique contraire, ce qui n’est pas exclu. Néan-moins la démonstration serait toujours fausse car on surestime le poids des questions de personne dans une institution aussi technocratique.

    On ne compare pas deux Français dont l’un serait un poids lourd poli-tique et un économiste de talent, l’autre une brillante avocate d’affaires et une simple débutante en poli-tique, l’un un social-démo-crate européen, l’autre une libérale atlantique, l’un « un homme à femmes », l’autre une « femme chic ».

    La politique du Fonds est celle de son Conseil d’admi-nistration. Christine Lagarde, comme son prédécesseur, sera

    consensuelle. Elle n’a dû sa brillante et rapide élection qu’à la campagne qu’elle a faite à Pékin, Brasilia, Tokyo et Moscou, sans parler bien entendu de Washington et Bruxelles. L’Europe a eu le mérite de comprendre en un quart de seconde que, si elle voulait conserver le poste —nécessaire pendant la crise de la dette qui frappe plusieurs de ses membres —, il lui fallait

    avoir un candidat unique et le soutien de plusieurs grands pays émergents. L’Inde et l’Afrique du Sud se sont retrouvées isolées. Le candi-dat mexicain — la plus forte dette au monde hors États-Unis — n’avait aucune chance.

    Si Pékin notamment a pesé nettement en faveur de

    Christine Lagarde, ce n’est pas pour faire plaisir à la France ou à l’Europe, mais pour acquérir une place importante dans la direction du Fonds et poursuivre la cogestion « chinaméricaine » du système financier interna-tional. Au-delà, si Dominique Strauss-Kahn a replacé avec habileté, grâce à la crise européenne, le FMI au cœur des débats sur la gouvernance

    mondiale, son successeur, tout autant convaincu de la nécessité de celle-ci, sait que ce n’est pas tant affaire d’économie que de diploma-tie. L’ancienne présidente du plus grand cabinet d'affaires international (Baker and McKenzie), depuis Chicago, pendant six ans (1999-2004),

    y a sans doute autant appris que pendant les réunions du G8 du G20 et des conseils bruxellois.

    Au-delà de cette ligne de continuité, va-t-on changer, comme certains l’insinuent, de doctrine économique, passant d’un keynésianisme de la relance par le déficit et l’inflation à un monétarisme de déflation budgétaire et de réajustement des parités de change entre les grandes monnaies ? Le FMI n’est pas un centre de recherches de sciences économiques. Le FMI n’est pas là pour penser, diront les plus cyniques, mais, selon son mandat de 1944, pour corriger les déséqui-libres des balances des paie-ments.

    Le principal reproche adressé à DSK, non sans arrière-pensées électorales, était d’être trop engagé en

    Europe. La critique ne venait pas seulement de s Non-eu ropéen s mais aussi de plusieurs

    Européens qu’il concur-rençait, en premier lieu la Banque centrale euro péenne de Bernard Trichet. Était-il trop ami avec Georges Papandreou ? Christ ine Lagarde n’en trouve pas moins scandaleuse l’attitude de l’opposition conservatrice grecque — qui devrait avoir sa préférence, mais qui tend à s’enfermer dans une attitude irresponsable. n

    La succession de Dominique Strauss-Kahn coïncide avec sa mise en liberté : y a-t-il eu coup d’État au Fonds Monétaire International ?

    Ce n'est pas tant affaired'économie que de diplomatie )

  • 6 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    Aucun des ralliements au ma riage entre personnes de même sexe n’est véritablement sur-prenant. Les centristes évitent les convictions de principe : ils

    ont saisi l’occasion de se différencier de l’UMP en se rapprochant des socialistes. C’est logique même si leurs arguments sont cotonneux, avec, en prime, une légère amnésie chez Jean-Louis Borloo qui reproche à la majorité actuelle d’avoir combattu le Pacs dont il fut un opposant comme député à la fin des années 90…

    Difficile de dissocier le mariage du droit d’adopter des enfants. Au moment de son ralliement au gay-mariage, Domi nique de Villepin a cependant ré pondu, à propos de l’adoption : « Je ne suis pas sûr que tout le monde y soit prêt. » Étrange façon, pour celui qui se présente comme un homme d’État, de revendiquer une conviction provi-soire. Deux autres frères ennemis du centre ont des positions contradictoires. François Bayrou travaille pour une union civile en mairie offrant les avantages du mariage civil, c'est-à-dire un système singeant l’institution sans en porter son nom ; si le président du Modem s’oppose à l’adoption conjointe, c’est sans exclure qu’une personne homosexuelle passe par l’adoption comme célibataire. La posture ménage la chèvre et le chou. Opportunisme ? Quant à Hervé Morin (Nouveau Centre), il se déclare « pour l'adoption, mais opposé au mariage » homosexuel. Original.

    Roselyne Bachelot est plus cohé-rente : depuis son soutien au Pacs socia-liste, la pharmacienne s’assume au gou-vernement comme fer de lance du lobby homosexuel. Elle lui offre l’argument de l’inéluctabilité : « Un jour, le mariage entre personne du même sexe existera dans notre pays. » Avant d’enfoncer le clou : « Ma famille politique m’a toujours rejointe à la fin. » Une déclaration qui a provoqué l’appel à la démission de quelques députés UMP sans choquer l’exécutif. François Fillon a même volé au secours de sa protégée, que deux autres collègues, de la nouvelle géné-ration, rejoignent : Chantal Jouanno, ministre des Sports et Jeannette Bougrab, ministre de la Jeunesse.

    Le cas d’Alain Juppé est ressenti plus cruellement chez les défenseurs de l’ins-titution du mariage car l’ancien premier ministre fait figure de sage. Le maire de Bordeaux ne brille pourtant pas par sa compréhension de l’âme humaine. Celui qui avait fustigé en Benoît XVI « ce pape » qui « commence à poser des pro-blèmes » ne souffre-t-il pas de cette fai-blesse anthropologique qu’on reproche souvent à sa froideur technocratique ?

    Tous les récents ralliés ne font que suivre l’évolution des mœurs ou, plutôt son exagération médiatique. Faute de boussole intérieure, ils ont l’œil rivé aux sondages d’opinion : 63 % des Français pour le mariage homosexuel et 58 % pour l’adoption d’enfants. La girouette est l’obligée du vent.

    Il y a par ailleurs, dans ce type de question de société, un facteur per-sonnel à ne pas éluder. Pour défendre le mariage, il faut y croire. Croire à un mariage qui engage, parce que la construction de la société nécessite des couples stables, principalement pour assumer la longue éducation conjointe des enfants, mais aussi pour protéger les plus vulnérables, souvent les femmes, que les hommes abandonnent volontiers au milieu de leur vie.

    Or, quelles que soient leurs quali-tés de cœur ou intellectuelles, ce n’est faire injure à personne que de noter que les ténors ralliés au « mariage gay » on fait l’amère expérience de la faillite de leur propre mariage. On peut l’affirmer pour les principaux candidats à l’élec-tion présidentielle, sans qu’il soit néces-saire d’entrer dans les détails : Nicolas Sarkozy, Martine Aubry, Marine Le Pen (comme son père) ont divorcé. Deux fois pour le président, tout comme Jean-Louis Borloo. La plupart se débattent avec des recompositions familiales com-pliquées. Réalité dont ils sont enclins à nier les conséquences, à l’image de Jean-Louis Borloo concluant sa récente convention sur la famille du parti radical par un témoignage sur sa petite dernière en assurant benoîtement : « Les enfants s’adaptent ! » Tout cela sous le nez de la pédiatre Edwige Antier, autre dépu-té du Parti radical, qui a préfacé Les enfants du divorce : l’ouvrage démontre au contraire que ce sont les enfants qui « trinquent ».

    Dominique de Villepin s’était impru-demment moqué de Nicolas Sarkozy au début de son mandat (« un homme qui n’est pas capable de garder sa femme ne peut pas garder la France ! »). Son propre couple a, depuis, volé en éclats.

    François Hollande et Ségolène Royal n’ont jamais jugé bon de se marier. On

    SOCIÉTÉ

    Tous les récents ralliés ne font que suivre l'évolution des mœurs(

    Jean-Louis Borloo, Roselyne Bachelot, Dominique de Villepin et désormais Alain Juppé… Comment analyser la cascade de ralliements au « mariage homosexuel » à droite et au centre à l’occasion de la gay pride ?

    par Tugdual DERVILLEFaut-il saborder le mariage ?

  • imagine ce qu’ils pensent de l’institu-tion… Beaucoup d’observateurs esti-ment que la candidate puise dans l’in-fidélité du candidat une bonne part de sa motivation à briguer une seconde fois l’investiture socialiste. Le couple se déchire désormais sous le regard de ses quatre enfants.

    Quant à Dominique Strauss-Kahn, la presse a beau titrer "Victoire de l'amour" à propos de sa possible réha-bilitation, il partage avec son épouse actuelle une conception de l’union conjugale aux antipodes de ce que le mariage recouvre pour ceux qui veulent le défendre. Et c’est d’ailleurs là que le bât blesse : le mot mariage n’a pas le même sens pour tous.

    Faut-il avancer que la plupart des politiques chargés de se positionner sur cette institution n’y comprennent plus rien ? « C’est tout juste s’ils savent s’ils sont ou non mariés avec leur com-pagne », se désole une personnalité ecclésiale ayant discuté de l’institution du mariage avec quelques leaders. Force est de constater que le lobby homo-sexuel exploite la fragilité d’un mariage civil en pleine dérive, spécialement chez les élites. Même la digne Christine Lagarde, qui s’empare de la direction du FMI avec une hauteur de vue qu’on aimerait voir dans un président de la République, a connu l’échec de son pre-mier mariage…

    Du coup, une interrogation renaît dans l’Église catholique : faut-il se pré-parer à s’éloigner d’une institution qui aura achevé de se déliter en s’ouvrant aux personnes de même sexe ? Pour éviter de cautionner la dénaturation de l’union conjugale et redonner au mariage religieux sa force, certains reparlent de le découpler du mariage civil. Des fidèles y seraient prêts. Entre l’État et l’Église, ce serait une logique

    FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011 7

    La déferlante gay

    Apparemment, c'est une déferlante ! Un sondage nous annonce que 63 % des Français seraient en faveur du mariage homosexuel. 58 % approu-veraient l'adoption d'enfants par des couples homosexuels. Il s'agit d'une enquête Ouest-France IFOP parue au lendemain de la Gay Pride pari-sienne. Celle-ci a obtenu son succès habituel, à ceci près que les chiffres de la police sont singulièrement en baisse par rapport aux années précédentes et même par rapport à l'année dernière, où, pour la première fois, avait été établie une distinction entre les participants effectifs et les badauds infini-ment plus nombreux qui assistent à la parade. Autre information : on appre-nait en même temps que l'État de New York venait de légaliser ce fameux mariage entre personnes du même sexe, ce qui donne à penser que nous avons vraiment affaire à un véritable rouleau compresseur qui parcourt le monde. On en serait presque à compter les pays qui échappent encore à la contagion.Serions-nous condamnés à nous arc-bouter en vain contre le sens de l'his-toire, comme l'indique Madame Bachelot, qui proclame que c'est inéluctable, que nous n'y échapperons pas ? C'est bien possible. Il est des moments où les choses paraissent inéluctables, et j'en demande bien pardon aux intéressés, même le pire. J'ai connu une période où de bonnes âmes m'expliquaient que la victoire du communisme international était inéluctable. Les choses n'ont pas exactement suivi le cours prévu. On en reparlera dans 10 ans. Ce qu'on considère aujourd'hui comme une avancée inéluctable paraîtra peut-être comme une bévue historique. C'est dans une période où tout paraît perdu, que naît l'esprit de résistance, celui qui se moque des conformismes, et qui se fonde sur les seules convictions de l'esprit et du cœur.De tels propos, que j'ai tenus sur Radio Notre-Dame le 27 juin dernier, m'ont valu d'un correspondant — qui s'affirme chrétien et fréquente son église paroissiale — le qualificatif stigmatisant d'homophobe. Il m'est impossible de l'accepter, parce que jamais je n'ai toléré de réaction de rejet encore moins d'injure à l'égard des personnes qui ont ce type d'orientation. Ce que je conteste, en revanche, c'est toute une culture gay, qui s'affirme avec agressivité depuis des années et qui voudrait bouleverser nos représentations et la structure de la famille, qui est celle même de la Création : « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa » Genèse 1-27.Cette proclamation au tout début de l'Écriture n'est pas anodine. Elle fonde depuis les origines la structure de l'humanité, elle est en rapport, comme l'a très bien expliqué Jean-Paul II, avec l'image de Dieu en nous, qui s'af-firme par la différence sexuelle. Celle qui par la complémentarité, permet l'échange et ouvre à la fécondité. Il m'est donc impossible de me résigner à cette culture intrusive qui voudrait effacer cette différence à l'adolescence ou même avant. C'est une offensive de nature totalitaire, devant laquelle les politiques, les uns après les autres, sont en train d'abdiquer. En revanche, je connais des homosexuels, qui sont farouchement opposés à cette culture gay et à ses ravages. n

    par Gérard LEcLERc

    Faut-il saborder le mariage ?

    (suite en page 8)

  • 8 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    de rupture : l’Église marierait religieu-sement des personnes non mariées civi-lement, notamment pacsées, puisque, désormais, le Pacs offre les mêmes avantages fiscaux que le mariage. Peut-être faudrait-il même inventer un nou-veau mot et délaisser celui de mariage, vide de sens, comme un reptile aban-donne sa peau morte, devenue inutile.

    Laisser couler l’institution, serait-ce la politique du pire ? Inventeur de ce qui s’appelait le CUC dans les années 90, Jan-Paul Pouliquen préconisait ce nau-frage : « Le mariage civil se cassera bel et bien la figure lorsque notre contrat aura fait ses preuves ». Douze ans plus tard, le Pacs concurrence sérieusement le mariage civil. Mais, quantitativement, le mariage résiste. C’est d’autodes-truction par dissolution interne qu’il est menacé. Pouliquen estimait que le mariage civil était, par sa solennité et la promesse de fidélité, une déclinaison du mariage religieux dont il perpétrait le caractère injuste, intrusif et liberti-cide. En s’appropriant le mariage civil, le lobby homosexuel pourrait achever de le vider de sa substance : exit l’enga-gement durable entre un homme et une femme destinés à procréer ensemble… Les théoriciens du gender se targuent de réinventer la liberté : ils veulent dynamiter le « mariage bourgeois » en cassant l’idée de fidélité hétérosexuelle qui lui est attachée.

    La cérémonie en mairie va-t-elle être boudée par ceux qui ont la plus haute idée du mariage ? Il n’est pas certain que les maires apprécieraient cette dévalori-sation d’un événement emblématique de leur mission. Nombre de Français de bon sens, même incroyants, restent attachés à l’institution du mariage parce qu’ils croient encore à l’amour conjugal fidèle, orienté vers l’éducation des enfants.

    Pour les chrétiens, ce serait donc aujourd’hui un crève-cœur de partici-per au sabordage du mariage en mairie. Mais demain ? De toutes les façons c’est le mariage religieux qui est revendiqué par certaines personnes homosexuelles, comme on le voit là où le mariage civil leur est ouvert. Au-delà d’une recon-naissance sociale, la validation ultime-ment recherchée demeure morale. n

    Le cas new-yorkais

    Même ceux qui le déploraient prévoyaient, bien avant le vote de la semaine dernière, que le « mariage » gay atteindrait l'État de New York. Et finalement c'est dû à quelques sénateurs républicains, dont plusieurs catholiques, qui ont baissé les bras alors que la majorité dont ils faisaient partie aurait pu l'empêcher. Pourquoi ne l'a-t-elle pas fait ? Le gouverneur Andrew Cuomo, qui est catholique, a pesé sur la question et a affûté sa plume pour signer la promulgation. Il a participé à la « gay parade » de New York en cette fin de semaine avec sa compagne — et conti-nue à communier à la Messe. [...] Les hommes politiques new-yorkais ne sont pas meilleurs que dans n'importe quel autre État, et probablement pas pires non plus. Le fait qu'ils aient pu se laisser manipuler aussi facilement dans une affaire aussi grave me rend malade.L'affaiblissement de la volonté de résistance se révèle dans la déclaration de Michele Bachmann — Miss Tea Party 2011, la plus énergique conservatrice engagée dans la course à l'élection présidentielle — à ce sujet. Selon elle, à propos de la question de savoir si le mariage unit un homme et une femme, le Dixième amendement laisse aux États le droit de légiférer sur les sujets non spécifiquement énumérés dans la Constitution. En théorie, c'est bien dit ! Qui souhaiterait que le gouvernement fédé-ral légifère sur tout ? Mais quelle étrange myopie de notre culture politique lorsque cette fine mouche dans bien des domaines semble abandonner le combat à cause du Dixième amendement, comme si l'enjeu premier concernait l'équilibre des pouvoirs !Nous vivons dans un monde où Maureen Dowd, du New York Times, reproche au Président Obama de ne pas s'être manifesté « sur le front des combats pour les droits civiques de notre temps ». Réfléchissons un instant. La plupart de nos lecteurs font partie de ces milieux pour qui la question de l'avortement relève des droits civiques de notre époque. Ce qui, à mon avis, appauvrit l'opinion selon laquelle certains disent, et croient sans doute, que le refus du droit au « mariage » à des personnes de même sexe — qu'ils ne pratiqueraient pas eux-mêmes — ressemble à la question du droit de vote des femmes ou au mouvement pour les droits civiques voici un demi-siècle.Une vision tout à fait radicale s'est introduite subrepticement dans notre société en un laps de temps incroyablement bref. C'était naguère impensable. L'être politique semble avoir perdu son système immunitaire. [...] Encore récemment on pouvait se consoler à l'idée que les gens rejetteraient le mariage gay pourvu qu'on les fasse voter là-dessus. Ce qui devient de moins en moins sûr, car les activistes gays et leurs alliés maîtrisent mieux la scène politique. En avant-garde : la commission éthique du conseil municipal de Washington a bloqué l'an dernier une tentative (soutenue essentiellement par les Églises à majorité noire) pour faire un référendum sur le sujet. Le motif en a été qu'autoriser un vote sur le mariage gay serait contraire à l'éthique et violerait les règles de non-discrimination en vigueur dans la ville.Au Maryland, un gouverneur qui se vantait d'avoir effectué toutes ses études dans des établissements catholiques, et inscrivait ses enfants dans de tels établis-sements, est en tête des partisans du mariage gay, remarquant que l'hostilité des évêques fait partie de leur rôle de s'accrocher au passé (Il a près de soixante ans. Imaginez le minuscule enseignement religieux donné de nos jours par les écoles dont il est diplômé). Il était trop sûr de lui, et les prédicateurs noirs de Baltimore l'ont coincé. Mais on verra plus tard. Et à propos des Églises, à lointaine ou même brève échéance, on atteint un point critique. Les églises dans l'État de New York sont dispensées de célébrer* ces « mariages » selon la nouvelle loi, mais est-ce pour toujours ? et à quelles conditions ? S'il est exact que le mariage gay est « l'affaire des droits civiques de notre époque », alors l'Église et ses alliés ne seront-ils pas assimi-lés au Klu-Klux-Klan résistant à la déségrégation ? n

    * NDT : aux États-Unis les mariages sont célébrés en une seule cérémonie, à l'église, à la synagogue…ou devant une autorité habilitée ; l'état civil enregistre alors un document appelé « licence de mariage ».

    par Robert ROYAL, directeur de The catholic Thing

  • ACTUALITÉAFGHANISTAN par Alice TULLE

    Otages médiatiques

    FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011 9

    Après 547 jours de captivité dans un v i l l age de Kap i sa , rég ion toute proche de

    Kaboul, Hervé Ghesquière et Sté phane Taponier sont arri-vés le 30 juin à l’aéroport de Villacoublay. Leur accueil par Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, leurs familles et leurs amis a été l’événement médiatique de la journée.

    Au lendemain de cet évé ne ment heureux, des questions ressurgissent sur l’attitude des deux journa-listes, sur le traitement média-tique des prises d’otages et sur la manière dont on évoque la guerre d’Afghanistan.

    Sur les risques pris par les journalistes, plusieurs auto-rités politiques et militaires avaient souligné, peu après l’enlèvement, les impru-dences commises par les deux hommes qui n’avaient pas pris garde aux avertis-sements donnés par les mili-taires. Une polémique était née, qui avait été étouffée pendant les longues négo-ciations avec les insurgés afghans et, lors de son arrivée en France, Hervé Ghesquière a déclaré : « Personne ne nous a rien dit ».

    Des militaires et des diplomates ont alors discrè-tement fait savoir que les traces des avertissements

    donnés aux journalistes existaient bel et bien. Et des militants humanitaires, qui agissent en Afghanistan depuis des années, disent que des Français qui se rendent en Kapisa sans escorte mili-taire courent les plus grands dangers. Les militaires consi-dèrent que les journalistes, à quelques exceptions près, sont hâbleurs et dangereux : l’attitude des deux envoyés

    de France 3 n’arrangera pas les choses.

    Les deux journalistes ont certainement remer-cié Nicolas Sarkozy et Alain Juppé au cours de conver-sations privées mais à l’aé-roport de Villacoublay et les jours suivants, aucune parole

    de reconnaissance n’a été adressée aux militaires, aux diplomates et aux membres des services de renseigne-ment qui ont mis en œuvre tous les moyens nécessaires à la libération des otages. Seul le comité de soutien a été chaleureusement salué.

    Le malaise est d’autant plus grand que la réaction des médias à l’égard des prises d’otages est toujours la

    même : solidarité quotidienne et spectaculaire de la presse à l’égard des journalistes déte-nus ; évocation rapide des autres otages. On se souvient de la mobilisation pour Jean-Paul Kauffman, détenu au Liban, pour Florence Aubenas, Christian Chesnot et Georges

    Malbrunot, otages en Irak. Mais bien d’autres otages n’ont pas eu droit à la solli-citude médiatique et on a à peine évoqué, le 30 juin dernier, le sort des Français actuellement détenus au Sahel (quatre), au Yémen (trois), en Somalie (un) et à Gaza (un). Cela ne signi-fie pas que la médiatisation des prises d’otages soit une bonne chose (c’est une inci-tation à demander une rançon proportionnelle à la notoriété des détenus) et cela ne signi-fie pas que nos concitoyens soient abandonnés par les autorités françaises : la discrétion est souvent gage d’efficacité.

    Dernier point, non le moindre : la compassion à l’égard des journalistes et la réaction corporative dont ils bénéficient contraste v i o l e m m e n t a v e c l e s quelques minutes d’antenne et les quelques lignes qui sont consacrées aux soldats français qui tombent en Afghanistan.

    En Afghanistan et en Libye, la guerre est présentée — de temps à autre — comme une routine sur laquelle on disserte beaucoup moins que sur la préparation des primaires socialistes. Ce serait inquiétant, si les militaires et les diplomates en venaient à penser que les médias expriment les sentiments du peuple français. n

    Tout le monde se réjouit de la libération des deux journalistes français détenus en Afghanistan mais les militaires et les diplomates éprouvent un réel malaise.

    Bien d'autres otages n'ont pas eu droit à la sollicitude médiatique )

  • idées

    10 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    n Comment qualifieriez-vous votre dernier livre ?

    Edgar Morin : C’est un livre poli-tique au sens le plus large du terme. J ’ai voulu dresser une perspec-tive d’avenir mais je ne propose pas de modèle, ni de programme. L’idée de départ, c’est qu’il faut changer de voie car celle que nous suivons — la mondialisation — est profondément ambivalente : il y a en elle le pire et le meilleur de ce qui pourrait arriver à l’humanité.

    n Le pire, pourquoi ?

    Les développements conjoints de la science, de la technique et du capi-talisme financier conduisent vers de probables catastrophes parce qu’il n’y a pas de régulation économique ; nous savons aussi que la dégradation de la biosphère s’accroît, de même que s'accroissent les armes de dissua-sion massive. Par ailleurs, l’unification techno-économique de la planète s’ac-compagne de phénomènes de disloca-tion : nous avons vu l’Union soviétique, qui était un empire, se détruire ; la

    Yougoslavie a éclaté en nationalismes et en nationalités et d’autres nations sont déchirées par les conflits eth-niques et religieux – je pense à l’Irak.

    La mort des totalitarismes a été suivie par le réveil du fanatisme ethno-religieux et de la pieuvre du capita-lisme financier. On pense généralement que le développement est la voie de la démocratie et du bonheur, alors qu’on voit que ce monde de développement techno-économique est tout à fait compatible avec des régimes politiques d’asservissement des êtres humains – hier le Chili de Pinochet, aujourd’hui la Chine. J’observe également que le mode de développement actuel transforme la pauvreté en misère : la pauvreté com-porte un minimum d’autonomie alors que le paysan arraché à sa terre et plongé dans un bidonville tombe dans une complète dépendance. De même, les pays pauvres qui bénéficiaient d’un minimum d’autonomie grâce aux cultures vivrières sont tombés dans la dépendance de l’Occident, qui les oblige à acheter du blé subventionné.

    n En Europe, est-il présomptueux de par-ler de « l’après-crise » ?

    Oui, car c'est l'inverse. Nous voyons que le bien-être s’affirme aux dépens du bien-vivre et que l’accroissement de la quantité ne parvient pas à nous satisfaire. Nous voyons des ministres entourés d’experts mais ces experts sont dépassés quand un problème sur-git d’un autre domaine et vient enva-hir leur propre champ de compétence. Nous avons tort de séparer les connais-sances entre elles, de les enfermer dans

    des disciplines. Ce faisant, nous créons et nous exportons de l’aveuglement : nous ne parvenons pas à percevoir les problèmes fondamentaux et globaux alors que nous sommes à la veille de nouvelles catastrophes. Je pense par exemple au réchauffement climatique qui va entraîner des déplacements de population générateurs de troubles politiques et sociaux. Mais nous n’arri-vons plus à saisir l’avenir : le temps de la prospective triomphante est révolu. Quand un système n’est plus capable de traiter ses problèmes vitaux, il se décompose. C’est ce que nous consta-tons aujourd’hui.

    Dans la Bible, il y a Jérémie qui se plaint des calamités du temps et Isaïe qui porte l’espoir. J’essaie de réaliser la synthèse entre les deux prophètes ! Plus nous sommes confrontés au mal-heur, plus il y a de chances d’en sortir. Mais rassurez-vous : j’énonce la voie, mais je ne suis pas la voie ! Ne me croyez pas mégalomane !

    n Qu’est-ce qui est probable ?

    D’abord une définition : le probable, c’est ce qui pour un observateur donné dans un lieu donné et disposant de bonnes informations permet de projeter sur le futur des courants qui traversent le présent. Aujourd’hui, le probable, c’est la catastrophe. Mais l’improbable est souvent arrivé dans l’histoire et ceci dans tous les domaines : la religion, la politique, la science. L’inattendu, c’est la force que prend le christianisme dans l’Empire romain. C’est la nais-sance de la démocratie à Athènes, qui avait résisté à l’empire perse contre toute probabilité. Il y a donc beaucoup d’événements qui font dévier le cours de l’histoire.

    eNTReTieN AVeC edGAR MORiN

    Le mode de développement actuel transforme la pauvreté en misère(

    Edgard Morin, penseur politique puissant et rebelle, sociologue et philosophe, constate que le progrès sans fin nous promet des catastrophes en chaîne. Mais il croit que l'humanité peut encore « changer de voie ».

    Quel avenir pour l'humanité ?

  • FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011 11

    Changer de voie paraît aujourd’hui impossible mais au cours de mes dépla-cements j’ai observé qu’il y a énormé-ment d’initiatives créatrices dans tous les domaines, dans les pays pauvres comme dans les pays riches. On voit en France se développer l’économie sociale et solidaire, on voit se développer sur le plan international le commerce équi-table.

    Pour appuyer ces mouvements, il faudrait que l’État accorde des crédits aux entreprises sociales, développe à nouveau les services publics dans les villages. Il faudrait implanter des « mai-sons de la solidarité » dans les quartiers actuellement désertés. Les initiatives sont innombrables mais leurs auteurs ne se connaissent pas — du moins pas encore. Il faut prendre le meilleur de ce qui se fait chez nous et le meilleur de ce qui se fait chez les autres : telle est la direction symbiotique.

    Ne faisons pas table rase du passé : la route vers l’avenir implique un tour par le passé. Le bio est une symbiose entre le maintien des connaissances traditionnelles et l’apport de la science agronomique. Il faut penser selon l’idée de la métamorphose, qui signifie conti-nuité et transformation. La transforma-tion, c’est le même qui devient autre en restant le même — comme la chenille qui devient papillon.

    Cette transformation se fera selon un mouvement marqué par une forte spiritualité. Encore faut-il définir celle-ci : la spiritualité, c’est croire aux ver-tus de la vie intérieure, à la vie de l’es-prit, c’est refuser de tout réduire au matériel comme le fait l’Occident. Mais les poètes et les musiciens ont com-pensé ce mouvement matérialiste. Il faut aujourd’hui développer le rapport avec soi-même, acquérir la sérénité qui pour moi est une vertu spirituelle.

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    Bientôt nonagénaire, Edgar Morin participe depuis la guerre, où il fut un résistant très engagé, au débat intellectuel en France et à l'étranger. à certains égards il est plus connu en Amérique latine qu'en Europe. Ayant appartenu au Parti communiste dont il avait été chassé pour déviationnisme, il fut un des premiers à établir un bilan de l'expérience totalitaire. De fait, il était le contraire d'un esprit cadenassé par les idéo-logies, et sa curiosité allait lui permettre de donner un nouvel essor à la sociologie, en abordant des domaines très divers. Edgar Morin s'est intéressé à l'Allemagne des lende-mains du nazisme, au cinéma et aux stars, aux mutations d'un village breton. Il a vécu pleinement l'expérience des années soixante et du mai révolutionnaire, en explorant notamment la contre-culture californienne. Par la suite, il devait se lancer dans une vaste synthèse sur La Méthode, pour mettre au point les concepts nouveaux adaptés à l'intelligence de la mutation contemporaine. Edgar Morin, aujourd'hui encore, publie des livres, intervient dans le débat public. Ce n'est pas sans effets puisqu'il arrive même à l'équipe de Sarkozy de s'emparer de son projet de « politique de civilisation ».

    Quel avenir pour l'humanité ?Edgar Morin.

    propos recueillis par Gérard LECLERC

  • 12 FRANCECatholique n°3266 8 juillet 2011

    n Qu’entendez-vous par « enveloppe-ment » ?

    Il faut prendre le meilleur dans le développement mais il faut aussi l’en-veloppement : il faut lutter au sein de sa culture contre l’homogénéisation. Je pense aux jeunes Bretons que j’avais rencontré naguère et qui voulaient sau-ver leur musique, leur bagad. Il faut donc démondialiser : redonner vie au local et au national, concrètement il faut cesser de considérer comme normal de consommer en hiver des fruits qui vien-nent de l’hémisphère austral.

    n Êtes-vous favorable à la décroissance ?

    Je suis hostile à la pensée binaire. Il faut savoir ce qui doit croître et ce qui doit décroître. Il faut développer une économie verte — pas seulement les énergies renouvelables —, il faut faire des grands travaux de réaménagement des villes et de dépollution des cam-pagnes. Surtout il faut mettre ensemble les termes contradictoires : mondialiser et démondialiser, développer et enve-lopper, croître et décroître. La mondia-lisation est la pire des choses par ses ravages, mais elle crée une communauté de destin entre tous les êtres humains — mais la « terre-patrie » n’exclut pas les réalités nationales, les cultures natio-nales. Pour moi, l’unité humaine et la diversité humaine sont inséparables. L’unité produit la diversité. Le propre de l’humain, c’est le langage. La culture, nous la connaissons à travers les lan-gues nationales.

    Si nous devons avoir une espérance, c’est au cœur même de la désespérance qu’on peut la trouver. Plus nous serons conscients des périls, plus nous trou-verons les voies du salut. Il faut pen-ser la transformation de la politique, la réforme de l’administration pour en évacuer la bureaucratie, la réforme de l’éducation... Ceci dans une volonté d’épanouissement individuel qui ne doit pas s’opposer à la communauté, qui au

    contraire doit se faire au sein d’une rela-tion communautaire : tel était le sens des révoltes juvéniles qui m’avaient tant intéressé en Californie...

    Mais il faut que tout se transforme en même temps — l’économie, la poli-tique, la morale — comme les rivières forment un fleuve. Telle est la voie, qui est la résultante de plusieurs chemins et qui nous permettra de nous méta-morphoser. Mais on ne peut pas décrire la méta-société qui succèdera à notre société épuisée : la nouvelle organisa-tion naîtra d’une myriade d’initiatives faites par des hommes et des femmes de bonne volonté, et non de cette classe-messie qu’était le prolétariat dans la pensée marxiste.

    Il n’y a pas de grand modèle mais des micro-modèles produits par des ini-tiatives créatrices comme celles qui ont lieu en Amérique latine. Quel contraste entre ces initiatives et nos banlieues où l’on discute des mêmes questions depuis trente ans et où le gouvernement utilise la répression pour toute réponse !

    n L’idée révolutionnaire est-elle morte ?

    La Révolution mondiale est une idée apocalyptique qui a provoqué les vio-lences que l’ont sait. Nous nous sommes laissé intoxiquer par la violence révolu-tionnaire. Mais on ne peut pas prendre la Bastille tous les jours. Cela dit, on ne maîtrise pas les processus émancipa-teurs : les révolutions commencent dans l’euphorie et dans la fraternité mais on déclenche des tourbillons historiques qui ne sont pas maîtrisables. Même les métamorphoses provoquent des souf-frances : pensons au sort du prolétariat au XIXe siècle, au sort de la paysannerie russe après la révolution bolchevique. Il faut utiliser au maximum les moyens non-violents, ne pas adhérer au mythe de la révolution mondiale — sans oublier que nous ne sommes pas à l’abri de mouvements violents.

    Mais nous savons peu de l’avenir. Ce qui me frappe, dans l’histoire, c’est

    l’aveuglement. Par exemple, dans l’Al-lemagne de l’entre-deux-guerres, les communistes se sont aveuglés sur la réalité du danger national-socialiste. De notre côté, nous avons construit la ligne Maginot qui s’est arrêtée à la frontière belge alors que la fragilité de la Belgique était évidente. Ce problème de l’aveu-glement est considérable dans l’histoire humaine. C’est pourquoi je ne préco-nise pas une pensée infaillible mais une pensée complexe qui permet de prendre en considération les différents aspects d’un problème, en sachant que toute action comporte un pari. Mais ce qui peut nous sauver, c’est la conscience que nous avons de nos erreurs et notre capacité à les corriger. Mais il y a aussi le mensonge à l’égard de soi-même, ou comme le chante Jacques Dutronc : « J’y pense et puis j’oublie ».

    n Vous évoquez les convergences entre les diverses initiatives prises en ce moment par des groupes de citoyens dans divers pays, mais quels sont les éléments fédé-rateurs qui pourraient rassembler ces initiatives en un mouvement général ?

    Les forces de fédération ne pour-ront naître qu’avec les mouvements dont je vous parlais : il y a fédération dans le développement. Dans son Manifeste, Marx écrit que les communistes n’ont pas de parti. Puis, à partir de sa pensée, des partis socialistes sont apparus en Allemagne, en Russie... La toute récente révolution tunisienne s’est faite sans fédérateur mais le mouvement n’est pas terminé.

    n La catastrophe de Fukushima peut-elle

    provoquer une prise de conscience ?

    Elle nous montre qu’on ne doit pas tout miser sur le nucléaire et qu’il faut développer d’autres énergies — ce qu’on a négligé de faire en France. Le mythe de la sécurité des centrales a vécu et nous devons en tirer les conséquences.

    La nouvelle organisation naîtra d'une myriade d'initiatives( Edgar Morin, La Voie, Fayard, 320 pages, 19 e.

  • FRANCECatholique n°32678juillet 201113

    SECTES ET FISC La Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France dans sa décision Association Les Témoins de Jéhovah c. France (requête n° 8916/05).L’association requérante reprochait à l’admi nistration française d’avoir modifié l’interprétation du droit fiscal afin de la taxer rétroactivement. La Cour lui a donné raison en jugeant à l’unanimité que l’administration française a violé la Conven tion européenne des droits de l’homme (art. 9) en imposant, sur une base juridique imprécise, un redressement fiscal considérable à l’association requérante. L’affaire porte sur l’interprétation des dispositions relatives à l’imposition des dons manuels effectués au bénéfice d’associations cultuelles. (Article 757 et 79510° du Code Général des Impôts.) Plusieurs autres requêtes ont été soumises à la Cour sur les mêmes faits par d’autres associations.La politique française antisecte était souvent dénoncée au sein des instances internationales depuis la publication le 22 décembre 1995 du pre mier Rapport parlementaire de la commission d’enquête sur les sectes. Ce rapport publie une « liste noire » de mouvements qualifiés de sectes, les livrant à l’opprobre populaire et à la diligence de l’administration, notamment fiscale. Au sein de cette liste figuraient de véritables sectes dangereuses, mais aussi des mouvements se considérant comme authentiquement religieux, notamment protestants ou catholiques.

    Centre Européen pour la Loi et la Justice/ European Centre for Law and Justice,

    Strasbourg, le 30 juin 2011.

    ÉGYPTE Des centaines de salafistes ont atta qué l’église catholique de SaintGeorges, le 23 juin 2011, à Bani Ahmed (archidiocèse de Minya, HauteÉgypte). Armés de bâ tons, ils exigeaient des fidèles qu'ils leur livrent leur curé. Celuici avait déjà été expulsé de la région par de précédentes mani festations le 23 mars dernier parce qu'il avait entrepris la réparation de son église. Il a

    eu l'audace de reve nir célé brer la messe et a dû fuir à nouveau sous la protection de l'armée qui est inter venue pour mettre fin à 5 heures de siège de l'église défendue par de courageux paroissiens.

    (Agence Ucanews, 24/6/2011)

    MYANMAR Dans l'État fédéré kashin, au Nord du Myan mar, le gou ver nement birman fait construire un barrage destiné à produire de l'électricité pour la Chine voisine. La po pu lation des villages noyés s'est révoltée et fait l'objet d'une répression sanglante. On compterait plus de 20 000 déplacés dans des conditions précaires. Les Kashins sont une population de lointaine origine tibé taine estimée à 900 000 individus au Myanmar, en général baptistes, anglicans ou catholiques. Ils ont été en révolte ouverte contre l'État central de la fin des années 50 jusqu'au cessezlefeu de 1994. La région est connue pour sa production de jade et d'opium. La même population est représentée en Chine (40 ou 50 000 individus, mais là ils sont plutôt polythéistes).

    COLOMBIE L'évêque de Monterai, Mgr Julio César Vidal, a affirmé que 5 000 membres des bandes criminelles de tout le pays sont disposés à se constituer prisonniers

    entre les mains des autorités. « Ils m'ont contacté parce qu'ils veulent se rendre. Ils cherchent les bons offices de l'Église afin que le gouver nement leur ouvre un espace protégé », a déclaré Mgr Vidal à l'Agence EFE. Beau coup de ces criminels sont issus des milices d'auto défense antimarxistes dont 31 000 membres ont été rendus à la vie civile entre 2003 et 2006 sans accompa gnement suffisant. Dans un entretien accordé à Radio Caracol et à Caracol TV, sur ce sujet, le président Juan Manuel Santos s'est montré réservé sur toute initia tive qui se ferait en dehors du Parquet général.

    (Agence Fides 22/06/2011)

    MEXIQUE De 14 à 15 000 membres des bandes de jeunes de Saltillo se trouvent désormais intégrés à la criminalité organisée et sont devenus une menace sérieuse pour la popu lation. C'est le cri d'alarme qu'a lancé l'évêque de Saltillo, Mgr Raul Vera Lopez, lors d'une rencontre avec la presse locale. « La situation est identique à celle des pays où existe une militarisation due à une guerre civile, portée à un tel point que même les enfants commencent à prendre les armes », a dénoncé Mgr Vera Lopez qui a demandé au Président Felipe Calderon de changer de stratégie dans la guerre conduite contre la criminalité organisée.

    (Agence Fides 21/06/2011)

    Paskistan : feu vert aux islamistes ?

    Le gouvernement pakistanais vient d’annoncer la suppression du Ministère fédéral pour les minorités religieuses et sa fragmentation en divisions provinciales. Cette mesure devait entrer en vigueur le 1er juillet 2011. L’AED exprime sa profonde inquiétude au sujet de cette mesure, qui aura pour effet de faire disparaître de l’agenda du gouvernement central les questions liées aux droits des minorités. C’est contre cette suppression que s’était battu Shabhaz Bhatti, ministre des minorités religieuses, assassiné le 2 mars dernier en raison de son engagement contre cette mesure et en faveur d’Asia Bibi.

    « Cette mesure est un véritable feu vert donné aux fondamentalistes musulmans pour de nouvelles agressions et violences contre les minorités religieuses, et notamment les chrétiens, explique Marc Fromager, directeur de l’AED et membre de l’Observatoire pour le pluralisme des cultures et des religions. Elle confirme que les minorités religieuses, à commencer par les chré-tiens ne comptent pour rien dans ce pays et sont actuellement en danger. Le droit fondamental de tout être humain à la liberté de conscience et d’expression est ainsi considérablement fragilisé. Enfin, cette mesure est une insulte à la mémoire de Shabhaz Bhatti. »

    Rappel : les chrétiens représentent 2,2 % de la population au Pakistan ; les musulmans : 96% et les hindous : 1,8%. Aide à l'Église en Détresse

  • En ce temps-là, nous habitions au bord de la forêt. Pour arriver à la maison par une petite route empierrée, le cheval avait du mal à tirer la voiture dans les raidillons. On nous faisait descendre pour alléger la carriole. Puis entre deux bouquets de houx apparaissait

    Rozvilio. Devant nous, la belle façade du manoir ; derrière, à l’est, le bois, rien que le bois, qui montait et recouvrait la montagne. Nous étions au bout du monde. J’ai appris plus tard que ce pays perdu était la Bretagne, là où se rencontrent les monts d’Arrée et les Montagnes noires, les meneziou du Poher.

    Pour aller au bois, qui portait le nom somp-tueux de « forêt de Duhaut », il fallait descendre une pente raide jusqu’au ruisseau, le Dourdu – l’eau noire. – On le passait sur un chemin de grosses pierres plantées au milieu de l’eau, dit Pont gaulois, mais qui datait de bien avant les Gaulois disait mon père : c’était la porte d’entrée du pays des mégalithes. Après on rencontrait le dolmen Toul an urs – « le Trou de l’ours » – et l’on montait jusqu’à la dent de Saint Servais, impressionnant menhir dont on apercevait de chez nous la pointe

    au-dessus des arbres. Dans la bruyère, des petits menhirs ou des blocs de granit épars, je ne savais pas faire la différence. Il y avait aussi de l’or dans le sable entre les bruyères.

    Nous étions élevés en français, autour de nous l’on parlait breton. À table, nos parents nous ap-prenaient aussi du breton : il fallait dire : « bara marplij, dour marplij », « du pain, de l’eau s’il vous plaît ». Pendant des années, j’ai entendu la messe en latin, le sermon et les cantiques en breton.

    Voilà comment avant cinq ans j’ai ouvert les yeux sur la culture du peuple des mégalithes, en même temps que sur celle des Bretons armoricains, avec le latin des siècles chrétiens et le français de notre époque. Il m’en est resté une disposition à ne pas m’étonner d’une culture différente lorsque je la rencontrais, et même à l’aimer.

    Pour la prière, notre grand-tante nous appre-nait à dire bonjour au Bon Dieu. Ainsi dès la petite enfance, j’ai su que Dieu était bon. Un jour nous sommes allés au Pardon du Penity. Il m’en est resté un souvenir merveilleux. Pour aller au Paradis on devait sans doute passer par le Penity.

    L’enfance ne dure pas toujours. Le temps a passé avec des joies, puis des épreuves et des assombrissements. J’ai retrouvé la joie et l’espé-rance après ma seconde conversion à trente-trois ans : la rencontre du Renouveau charismatique me conduisit à demander l’effusion de l’Esprit Saint. dans la Communauté Emmanuel, un groupe catho-lique. Dès lors, et pour toujours, j’ai désiré ouvrir les portes de l’espérance à ceux qui ne la connais-saient pas.

    Je ne le savais pas, mais rencontres et circons-tances allaient sous l’action de l’Esprit Saint et dans cette communauté, m’entraîner à évangéliser, dans toutes les cultures – jusqu’aux extrémités du monde

    Lors de cette conversion, je m’étais dit : « J’ai retrouvé la bonne voie, le chemin de la joie ici, et du ciel au-delà, mais la vie va sans doute devenir monotone par rapport à hier. » J’avais jusque-là mené une vie aventureuse. Mais, contrairement

    BONNES FEUILLES

    Nos amis connaissent Hervé Marie Catta comme président de notre Société de Presse France Catholique. Mais tous ne connaissent pas son itinéraire d'évangélisateur envoyé aux quatre coins du monde par la communauté de l'Emmanuel. Il raconte cette aventure dans un petit livre plein d'anecdotes et d'enseignements qui paraît ce mois-ci aux éditions France Catholique. Beaucoup d'entre vous auront à cœur de l'acquérir par correspondance ou bien en librairie (diffusion Salvator). Mais, en attendant qu'il soit disponible, nous vous en livrons quelques « bonnes feuilles ».

    14 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    Dès lorset pour

    toujours, j'ai désiré ouvrir les portes de l'espérance

    par Hervé Marie CATTA

    Des menhirs à internetLA NOUVELLE ÉVANGÉLISATION

    Hervé Marie Catta.

  • à ma crainte, l’aventure a été multipliée par cent. l’Esprit Saint embrasait toute ma personnalité, en la respectant. Un peu comme le buisson ardent, embrasé mais non consumé. Jeune avocat au bar-reau de Paris, j’avais été invité à Bruxelles, Bruges et Gand, à Amsterdam, à Londres, à Rome. Désor-mais je serai appelé à visiter, les pays de l’Europe de l’Ouest puis ensuite des pays communistes : Ber-lin-Est, Pologne, Hongrie, Slovénie, en Union sovié-tique la Russie d’Europe, les Pays Baltes, la Sibérie jusqu’au Pacifique et le Kazakhstan. De l’autre côté du monde j’ai été envoyé au Canada, aux États-Unis, au Mexique, au Nicaragua en plein régime sandiniste. Plus tard j’ai été en Colombie, en Équa-teur, au Pérou, au Chili, en Argentine, en Uruguay et au Brésil. En 1980 avec Martine, ma femme, nous avons visité les pays d’Afrique de l’Ouest : Sé-négal, Côte d’Ivoire et Haute-Volta – aujourd’hui Burkina. J’ai été appelé ensuite au Cameroun, au Rwanda, au Burundi et au Congo Kinshasa. Après ce furent les Philippines, la Chine, la Malaisie, Sin-gapour, l’Indonésie, le Japon, l’Australie.

    Voyager n’est pas résider. Je ne passais pas plus de quinze jours à la suite, le plus souvent une semaine dans un pays. À part l’espagnol, un peu d’anglais et de portugais, je n’ai pas pu apprendre

    les langues de ces nombreux pays. Mais toujours, autant que j’ai pu, j’ai cherché à découvrir et à comprendre leur culture. Pour cela je consultais les meilleurs spécialistes, me faisais conseiller quelques livres pour entrer dans la culture du pays considéré. J’ai conservé un nombre impressionnant de ces livres, mais aussi de méthodes « Assimil », ou assimilées, dans lesquelles j’ai appris à bara-gouiner et à écouter quelques phrases de politesse et de situations concrètes. Ainsi je prononce très bien en russe : « nyié znaïou, nyié ponimaïou, nyié gavariou », ce qui veut dire – « Je ne sais pas, je ne comprends pas, je ne parle pas. » J’espère bien que quelques esprits sérieux seront scandalisés à l’idée que je me contentais de quelques phrases. Pourtant ce n’était pas si idiot. Certes je n’avais ni le temps ni la possibilité mémorielle d’apprendre toutes les langues des pays où je devais me rendre, mais pourquoi ne pas dire quelques mots ? Des mots de politesse et d’attention, la charité quand on s’adresse à l’autre.

    Combien de portes du cœur se sont ouvertes devant ce signe de respect d’une autre langue et d’une autre civilisation ! On s’imagine qu’en recou-rant à « la langue internationale », c’est-à-dire en disant d’emblée quelques mots d’anglais à tout

    Combien de portes du cœur se sont

    ouvertes devant ce signe derespect !

    FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011 15

    Des menhirs à internet

    Chapelle Saint-Hervé, Gourin, Morbihan.

    L'enfant et le menhir.

    D.R.

    D.R.

  • citoyen du monde, on a fait un gros effort « d’ac-culturation ». J’ai préféré essayer de donner aux gens le sentiment qu’ils étaient d’un pays diffé-rent du mien, digne d’être découvert, et tout à fait unique dans l’histoire du monde. Et j’ai beaucoup reçu en retour. Je n’en suis pas resté là. Lorsque nous avons publié en Russie et en Sibérie, durant plusieurs années un petit magazine, j’ai travaillé à dé-couvrir, par la littérature et l’his-toire des idées, quelque chose du génie de ce peuple.

    Après des années de voyages, de découvertes et de rencontres et diverses initiatives dans ces pays, nous avons été amenés à utiliser ces expériences dans une nouvelle façon d’annoncer l’Évan-gile : l’évangélisation par Internet. Nos sites ont reçu durant l’année 2010 plus de 700 000 visites. Au-jourd’hui, à partir d’un minuscule bureau à bord d’une péniche sur la Seine, auprès du pont de Neuilly, j’annonce l’Évangile chaque mois dans plus de cent pays, en 16 langues – y compris le breton de mon enfance.

    Et voilà comment en résumé s’est fait mon chemin depuis les menhirs jusqu’à l’internet.

    C’est une grande joie pour moi, grâce à Pierre Goursat, fondateur de la Communauté Emma-nuel, d’être devenu un évangélisateur laïc, asso-cié à tant de frères et sœurs de l’Emmanuel. J’ai eu la chance de pratiquer un certain nombre de manières d’évangéliser. Pierre, dès le début de la Communauté Emmanuel a eu le sens qu’ensemble nous pouvions, avec l’Esprit-Saint, mener des ac-tions qui nous dépassaient.

    CHAPITRE I

    Mon ami, Jean-Michel Paulus, et moi nous étions de jeunes avocats à la Cour de Paris. Le 11 novembre 1973, nous avons reçu ensemble l’effu-sion de l’Esprit au cours d’un week-end de l’Emma-nuel à Montmartre. Les effets s’en sont fait sentir immédiatement, non seulement dans les groupes de prière que nous fréquentions, l’Assomption et Saint-Sulpice, mais aussi au Palais de Justice. Nous vivions dans une joie permanente. Les confrères qui nous connaissaient nous demandaient ce qui nous était arrivé. Je me souviens d’un jour où, tra-versant le boulevard du Palais pour passer aller au Tribunal de Commerce, je croisai Jean-Michel qui me dit : « Je viens du couloir des Délibérés et j’ai

    commencé à parler avec un-tel. Mais je me presse parce que j’ai une affaire maintenant à la cour d’Appel. Puisque tu vas aux Délibérés, si tu vois un tel, continue de l’évangéliser ! » Une autre fois, j’étais à un tribunal d’instance, où nous étions assez nombreux, en train de lire un petit livre de prière

    pour laïcs, avec les psaumes, quand une jeune femme avo-cat m’a dit : « Qu’est-ce que tu lis là ? » J’ai essayé de dissimu-ler le livre, mais elle l’a attrapé et commençait à en regarder quelques pages quand on a appelé son affaire. Elle s’est levée pour parler au juge et, pour mieux tenir son dossier de plaidoirie, machinalement, elle a posé le livre de psaumes sur le bureau même du juge où je suis allé discrètement le récu-pérer pendant qu’elle plaidait.

    Nous avons décidé un beau jour de commen-cer un groupe de prière d’avocats dans mon petit appartement, dans l’Ile Saint-Louis. C’était as-sez sympathique, on passait à peu près un quart d’heure à faire la louange et la prière et une heure à boire du Beaujolais et à manger du saucisson. C’est peut-être là que nous avons décidé Marie-Nicole Boiteau, jeune avocat connue, à demander l’effusion de l’Esprit à son tour.

    Nous avons eu alors l’idée de réunir ce groupe de prière dans le Palais de Justice lui-même, et la Sainte-Chapelle, érigée par saint Louis en plein mi-lieu du Palais, nous a paru être l’endroit approprié. Malheureusement, l’affaire se révélait plus ardue que nous ne pensions, car la Sainte-Chapelle est un monument que l’État s’est approprié. Affecté au tourisme, il ne s’ouvre qu’exceptionnellement à la prière. Découvrant l’immensité des démarches qu’il nous faudrait entreprendre, nous avons jugé que provisoirement, ce serait aussi bien d’aller à Notre-Dame de Paris. Nous avions rencontré un prêtre qui avait accepté de nous y accueillir. Nous faisions donc notre groupe de prière dans la ca-thédrale de Paris, dans une des chapelles du déam-bulatoire. Les choses marchaient très bien, et le prêtre y participait de temps en temps. Un certain nombre de touristes se joignaient à nous. Nos pre-miers rapports avec l’Esprit-Saint nous donnaient beaucoup d’audace, et le prêtre prit peur de nos exhortations directes et commentaires d’Évan-gile vigoureux Cela pouvait donner aux touristes de Notre-Dame une figure par trop vivante de la religion catholique. Peut-être y eut-il aussi der-rière les coulisses des remarques inquiètes de cha-

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    L'Esprit-Saint chez lesavocats,

    la Boutique verte et

    les débuts d'évangéli-sation dans

    la rue

    Hervé Catta et son ami Jacques Rocher devant le Palais d'Hiver à Léningrad.

    D.R.

    D.R.

  • noines. Toujours est-il qu’un beau jour on nous a affecté d’autorité un réduit dans la cave, à côté de la chaufferie. De ce jour le groupe de prière du Pa-lais-Notre-Dame perdit beaucoup de son attrac-tion ; nous y mîmes fin.

    C’est peut-être à la suite de cette déconvenue que j’ai été invité au printemps 1974 par une do-minicaine, sœur Marie-Thierry, au groupe de prière du foyer dominicain pour étudiantes rue de Condé. De là, la sœur en question, Bernadette Jomard et Martine Burig m’ont emmené à la Boutique verte.

    LA BOUTIQUE VERTE

    La Boutique verte était un petit local en face du porche de l’église Saint-Séverin, appartenant à cette paroisse. C’était une pièce avec une de-vanture vitrée, et une petite arrière-boutique. On s’y réunissait le mardi soir, d’abord à bureau fermé pour prier pendant un quart d’heure. Puis l’on in-vitait les gens à entrer – à moins qu’ils n’entrent d’eux-mêmes quand ils étaient attirés par la lu-mière. Nous étions au milieu d’un quartier de pe-tites rues, avec des restaurants bon marché, des

    marchands de sandwichs. Des touristes passaient sans arrêt, des étudiants, et des marginaux, clo-chards et mineurs en fuite. Les marginaux en-traient le plus facilement. Ils étaient ouverts à du neuf. Ils venaient bavarder et boire quelque chose de chaud. À dix heures du soir on fermait la porte extérieure et l’on faisait une prière avec ceux qui étaient là. En général Bernadette avec sa guitare animait cette prière. On n’arrêtait pas de parler de Dieu dans cette boutique. Bien sûr, on essayait d’en parler aux personnes accueillies et il se passait presque toujours quelque chose. Mais il arrivait que des gens viennent spécialement pour parler de la foi. « Pourquoi es-tu venu ici ? », ai-je demandé un jour à un jeune originaire de Belleville. Il m’a répondu : « Je ne sais pas, il paraît que vous parlez de Dieu ici. Comme je ne le connais pas, je suis venu. »

    Bernadette Jomard était interne en pharmacie. À l’hôpital on l’avait surnommée « Miss Cafard ». Elle avait été en Inde. De retour à Paris, elle s’était convertie à Teen Challenge, une organisation pro-testante en lien avec les Pentecôtistes. Elle avait fréquenté alors un groupe de prière animé par des

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    Onn'arrêtait pas de

    parler de Dieu dans

    cetteboutique

    Évangélisation à Times Square

    (New York), juillet 2006

    D.R.

  • orthodoxes et s’était retrouvée enfin au début du groupe de l’Emmanuel. Bernadette était tou-jours souriante, chez elle un charisme, tant pour la louange que pour l’accueil. Un jour j’entendis un jeune marginal lui dire : « C’est facile pour toi de sourire mais si tu étais dans notre situation tu ne le ferais pas. » Bernadette a répondu : « Tu vois, je viens de perdre mon père et si je peux sou-rire, c’est que ça vient d’ailleurs. »

    Lorsque je suis venu la première fois à la Boutique verte, je disais à sœur Marie-Thierry : « Je ne sais pas comment évangé-liser, je ne sais pas ce qu’il faut dire. » Elle m’a répondu : « Tu n’as qu’à te mettre avec moi, écouter et prier pendant que je parle. » Au cours d’une conver-sation qu’elle menait avec un jeune, je me suis dit : « Pourquoi ne lui dit-elle pas ça ? » Je me suis mis alors à parler. Je me suis alors rendu compte que l’Esprit-Saint m’avait fait voir quelle était la ques-tion, et j’avais la réponse. À partir de ce moment, je ne me suis plus préoccupé de ce que je devais dire.

    Nous avions aussi dans notre équipe un grand jeune homme, ancien hippie. On m’a dit que quelques mois auparavant il se baladait dans le métro en robe blanche avec des fleurs dans les cheveux. Il voulait se faire prêtre, mais on a dé-couvert qu’il était marié et avait laissé sa femme quelque part. Ils reprirent la vie commune quelque temps après et ont eu des enfants. Il s’appelait Alain.

    Le premier il a eu l’idée de sortir carrément parler aux gens dans la rue. Après un ou deux es-sais infructueux, Alain a trouvé une méthode qui nous a donné plus d’assurance et a attiré les gens. Il avait écrit tout l’Évangile de saint Jean sur des feuilles cartonnées, en pliage accordéon. Au fur et à mesure qu’il lisait cet Évangile au carrefour, les feuilles descendaient. Pendant que quelqu’un lisait l’Évangile, les autres parlaient à ceux qui s’arrê-taient. Il y avait souvent des Algériens et des Maro-cains. Nous nous sommes procuré dans une librai-rie protestante de petits Évangiles en arabe. Ces musulmans, quand ils voyaient l’Évangile en arabe le prenaient avec respect et le mettaient dans leur poche. La plupart ne savaient pas lire l’arabe. Mais le petit livre les faisait passer au-delà d’une

    barrière culturelle et religieuse. Puisque l’Évangile était écrit en arabe aussi, la langue sacrée du Co-ran, c’est donc qu’il pouvait être un texte religieux. Leur cœur commençait à s’ouvrir. Quelques-uns entraient dans la boutique. Je me souviens d’une discussion avec l’un d’entre eux qui était de Libye. Il s’accrochait à la question de la prédestination

    de façon très affir-mative et je pensais que la conversation ne pouvait mener à rien ; il fallait trouver un moyen poli d’arrê-ter l’échange. Je me suis dit que j’allais lui parler de Jésus Fils de Dieu, ce que les mu-sulmans sont censés ne pas supporter. J’ai dit à peu près ceci : « Vous les musulmans, vous croyez en Dieu, mais vous ne pouvez pas comprendre à quel

    point il nous aime. Il nous aime tellement qu’il s’est fait homme pour nous rencontrer… » Le Libyen est parti. Mais à ce moment-là j’ai vu que deux per-sonnes étaient également en train d’écouter. Ils étaient d’Afrique du Nord, et l’un d’eux m’a dit : « Mais c’est beau, je n’avais jamais entendu ça ! »

    De ce jour-là j’ai compris qu’on ne pouvait pas classer les gens tous dans la même catégorie et déclarer, par exemple, que les musulmans sont in-capables d’accepter l’Évangile ou de comprendre ceci ou cela. On préjuge que c’est impossible pour eux d’entendre des choses sur la Trinité et l’Incar-nation par exemple. Ainsi nous nous interdisons nous-mêmes de leur en parler, nous les condam-nons d’avance à ne jamais entendre la Bonne Nou-velle. Or Jésus Fils de Dieu a donné sa vie pour tout homme. Si nous le croyons, nous devons essayer d’être sa bouche pour le dire à tout homme que nous rencontrons. Il ne faut pas déclarer à l’avance que telle personnes est incapable d’entendre parler de Jésus. Plus tard Véronica O’Brien, ancienne de la Légion de Marie et conseillère du cardinal Sue-nens, me dirait : « Hervé Marie, retenez bien ceci : personne n’est trop loin de Dieu que je ne puisse lui dire une parole pour l’aider à s’en rapprocher un peu, et personne n’est trop près de Dieu que je ne puisse lui dire une parole pour l’aider à s’en rapprocher encore. »

    Un jour notre petit groupe évangélisait sur le trottoir du boulevard Saint-Michel, à moins de cent mètres de la Boutique. Un homme s’est arrêté

    18 FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011

    Hervé dans les bras du Pape !

    Il ne faut pas déclarer à l'avance que telle

    personne estincapable d'entendre parler de

    Jésus

    D.R.

  • FRANCECatholique n°3267 8 juillet 2011 19

    pour converser avec moi ; il m’a dit être profes-seur à l’université de Vincennes, et communiste. Il n’était pas croyant, mais enfin cela ne l’a pas em-pêché de laisser passer trois fois le bus qu’il devait prendre ; et plusieurs mardis de suite il est revenu me parler. J’ai compris que des gens qui s’arrêtent pour dire qu’ils sont athées et prennent du temps pour le dire, en réalité, témoignent d’une véritable recherche. Une fois l’un d’entre eux, auprès du jar-din du Luxembourg, m’a dit : « C’est curieux, moi qui suis athée, je parle avec vous depuis une demi-heure, et j’ai comme une joie qui monte en moi. Je ne comprends pas. » Quand il m’a dit cela, j’ai im-médiatement pensé qu’en quelque façon, à travers moi, c’était Jésus qu’il avait rencontré. Il me rap-pelait les paroles des disciples d’Emmaüs : Notre cœur n’était-il pas tout brûlant de joie lorsqu’il par-lait avec nous sur la route ? »

    La Boutique verte était en général assez calme. À dix heures du soir, on faisait la prière avec ceux qui étaient là. Un jour la télévision devait faire un reportage discret. Au moment de la prière nous avi-ons l’habitude d’allumer une bougie sur une petite table au centre de la pièce. On éteignait l’électri-cité. Un des jeunes a commencé à interpeller Ber-nadette qui jouait de la guitare : « Mais pourquoi c’est toujours toi qui chantes ? mon copain Jacky chante très bien. Allez, vas-y Jacky, chante ! » Mais Jacky était incapable de chanter plus d’une phrase à la suite. Du coup quelqu’un d’autre dans l’assis-tance a essayé de chanter mais, dès que l’un avait commencé, un autre voulait pousser sa chanson. Bernadette a réussi à reprendre l’animation et à chanter un chant de louange mais il fut bientôt interrompu par le premier qui avait fait une inter-vention et qui s’écria : « Si Dieu est là, qu’il éteigne la bougie ! Qu’il éteigne la bougie ! » La prière devint une suite ininterrompue d’interruptions sonores. Bernadette a réussi à entamer un Notre Père et à conclure cette soirée. La télévision de son côté avait mal calculé ses enregistrements ou sa lumière et rien n’est sorti.

    Une autre émission de télévision a eu lieu dans le bout de rue qui conduit au boulevard Saint-Mi-chel, avec FR3 Île-de-France. Jean-Marc Morin était venu avec quelques personnes de la chorale de l’Emamnuel. Ils avaient accroché une icône sur la grille de protection d’un arbre et ils avaient chanté dans le style liturgique quelque chose comme des vêpres. Nous avons obtenu un grand succès, il y avait un attroupement considérable. Ceux de notre équipe étaient occupés à répondre aux questions et à évangéliser. Un photographe de l’agence de presse Kappa surprit l’un d’entre nous en train d’essayer de baragouiner en espagnol avec

    un couple argentin. Ce photographe parlait l’es-pagnol et se retrouva de la partie ; à la fin de la conversation il nous dit : « Mais je me suis mis moi aussi à évangéliser ! » L’émission passa sur FR3 le Vendredi Saint après-midi.

    Un jour un jeune avait cassé une bouteille et voulait s’en prendre à moi. Heureusement un jeune apprenti jésuite nommé Philippe, qui venait depuis quelque temps et avait lié relation avec ce jeune excité, réussit à le calmer. Une autre fois sur le trottoir du boulevard Saint-Michel des jeunes agressifs voulaient nous brûler le visage avec leurs cigarettes. Un mouvement de foule a mis fin à la confrontation. Ces incidents sont les seuls qui nous soient arrivés.

    Une fois un jeune avec un accent québécois à couper au couteau s’approche et dit : « Vous êtes sûrement des charismatiques ! » Je lui réponds que oui et dis : « Toi, mon gars, tu es sûrement de la Belle Province ! » – c’est l’un des surnoms du Qué-bec. Stupéfait, il répond : « Comment tu le sais ? » Nous avons ensuite bavardé et il nous a dit qu’il nous avait reconnus parce que sa sœur faisait par-tie des groupes charismatiques au Québec ; et il a ajouté : « Moi je ne crois à rien, je suis libre, je n’adore personne. » Il allait partir, mais je lui dis : « La différence entre toi et moi c’est que moi je sais qui j’adore, et donc je suis libre. Tout le monde adore quelqu’un ou quelque chose, mais toi tu ne sais pas ce que tu adores et donc tu n’es pas libre. » Il est parti visiblement surpris. Il s’était passé quelque chose pour lui. Je pense que cela a dû le travailler un certain temps. J’ai confié la suite à l’Esprit-Saint.

    Sur ce même thème, des années plus tard, dans une classe préparatoire de l’école Sainte-Gene-viève à Versailles, l’aumônier m’avait fait parler aux étudiants et répondre à quelques questions. Un jeune a demandé si quand on croyait on pou-vait être vraiment libre. « Je vous répondrai avec la phrase d’un psaume : Il s’attache à moi et moi je le rends libre (Ps 91,14) », et j’ai expliqué que, pour moi, adorer le vrai Dieu, c’est adorer celui qui nous rend libres, qui s’est fait tout petit à Noël. Au contraire si, inconsciemment, on adore le pouvoir, l’argent, la réputation, on est lié par ces idoles. Le plus étonnant c’est qu’après la rencontre le Père jésuite m’a déclaré : « Eh bien, maintenant j’ai compris ce que c’est qu’être charismatique. Tous les élèves ont été stupéfaits de ce que vous ayez répondu avec l’Écriture au seul protestant de la classe, et ça vous ne pouviez pas le savoir. »

    À partir du moment où nous sommes sortis dans la rue, nous avons rencontré beaucoup de Nord-Africains de religion musulmane qui s’arrê-

    Un jourla télévision

    devait faire un

    reportage discret

  • taient pour discuter avec nous. Nous avons fait l’expérience que parler avec plusieurs à la fois était peu fructueux. Les uns devant les autres, ils es-sayaient de nous déclarer la supériorité de l’Islam en tant que complément de la Révélation. Cela tournait à une discussion théorique, il était im-possible aux interlocuteurs de concéder le moindre assentiment. Nous avons donc expérimenté la méthode des entretiens un à un, ou un à deux, et avons délaissé le terrain de confrontation pour aborder celui l’échange spirituel. Par exemple, nous demandions au musulman s’il voulait bien parta-ger avec nous sur sa façon de prier. Les réponses étaient différentes, de la prière la plus formelle à la plus intérieure. Souvent, nos interlocuteurs nous disaient leur désir de prier selon les règles de leur religion (sept fois par jour) mais que la vie à Paris ne facilitait pas les choses. Nous aussi, disions-nous, avons des prières réglementées, comme l’as-sistance à la messe le dimanche, mais nous prenons du temps chaque jour pour un entretien personnel avec Dieu : le louer, le remercier, lui confier nos peines et nos joies. Rares étaient ceux qui ne com-prenaient rien. Quelques-uns ne comprenaient pas grand-chose, d’autres un peu plus, et la plupart prenaient intérêt à cet échange, on sentait qu’une porte s’ouvrait dans leur cœur, et l’on se quittait en promettant de prier les uns pour les autres. Nous leur donnions souvent de petits Évangiles en arabe qu’ils recevaient avec un grand respect.

    Un soir j’étais en train de lire à haute voix de-vant quelques personnes l’Évangile de saint Jean, sur le fameux accordéon, au coin de l’église Saint-Séverin. Dix heures on sonné. J’ai interrompu ma lecture pour retourner à la Boutique verte pour la prière. À ce moment un homme, debout devant moi, m’a dit : « Ah ! est-ce que vous pourriez me lire la suite ? C’est tellement beau ! » Nous avons parlé ensemble. Il était musulman, de la confrérie des Mozabites. Comme nous échangions sur la prière, il m’a dit que tous les jours il passait l’espace d’une heure, assis sur un banc par exemple, pour parler avec Dieu dans son cœur.

    Le groupe de prière de la Boutique verte nous ouvrait à l’évangélisation de personnes de foi et de culture différentes. Plusieurs mardis de suite était venu un Japonais qui n’ouvrait pas la bouche. Il ne savait que quelques mots de français. J’ai cherché à me procurer une Bible en japonais, avec beaucoup d’efforts j’en ai trouvé : une religieuse qui avait vécu au Japon nous a offert une superbe Bible. Le mardi suivant j’ai vu arriver notre homme et j'étais très content ; j’ai sorti la Bible en japonais de mon sac et la lui ai offerte. Il l’ouvrit et se mit à rire sans parler – de toute façon, les Japonais rient

    toujours et nous les Européens, ne savons jamais si c’est joyeux, si c’est un drame ou si ce sont des excuses. Mais celui-ci finit par dire quelques mots approximatifs dont il résultait qu’il n’était pas ja-ponais mais chinois !

    Une autre fois un Brésilien est entré au moment de la prière et y a assisté jusqu’à la fin. Il avait été attiré par la beauté de nos chants. C’était surpre-nant. En effet, ce soir-là Bernadette n’était pas là et nous avions réussi à faire du chant polypho-nique en pensant chanter chacun la même chose ! J’ai compris que ce qui l’avait touché n’était pas la musique mais un son spirituel. Il nous a dit : « J’ai été séminariste autrefois, je suis devenu athée. Mais de mon voyage en Europe le plus beau sou-venir que je rapporterai c’est la prière avec vous. »

    LE GROUPE DE PRIèRE EN ARABE

    Il existe des Arabes chrétiens dans plusieurs pays du Proche-Orient : Liban, Syrie, Palestine, Is-raël, Irak, Égypte… De petites communautés chré-tiennes se trouvent aussi en Afrique du Nord.

    J’habitais alors à Gentilly avec Pierre Goursat et Jean-Marc Morin au premier étage du presby-tère de l’église de la Cité universitaire. Christian Huteau, un étudiant qui nous fréquentait, parlait arabe et préparait des concours dans cette lan-gue. De la cité universitaire il nous a amené un étudiant jordanien, Adnan Nasrawin. Tous les deux sont venus réguliè