Chateaubriand Et Madame de Custine

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Chateaubriand et Madame de Custine Episodes et correspondance inédite Francois-René de Chateaubriand

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Chateaubriand et Madame de Custine

Chateaubriand et Madame de Custine, by

E. Chdieu de Robethon and Franois-Ren de Chateaubriand and Marquise de Custine This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.orgTitle: Chateaubriand et Madame de Custine Episodes et correspondance inditeAuthor: E. Chdieu de Robethon Franois-Ren de Chateaubriand Marquise de CustineRelease Date: August 24, 2007 [EBook #22384]Language: FrenchCharacter set encoding: ISO-8859-1*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHATEAUBRIAND ET MADAME DE CUSTINE ***

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CHATEAUBRIAND ET MADAME DE CUSTINEPISODES ET CORRESPONDANCE INDITEPAR. CHDIEU DE ROBETHONPARISLIBRAIRIE PLON1893

INTRODUCTION.En publiant, dans ce volume, les lettres indites dont l'ensemble constitue la correspondance de Chateaubriand avec Madame la marquise de Custine, nous nous sommes propos d'clairer d'un jour nouveau la priode trs accidente et trs intressante de leurs relations et de leur vie intime, qui embrasse prs de vingt annes, et s'tend mme au del, jusqu' la mort de Madame de Custine en 1826.Cette priode a fait surgir beaucoup de rcits divers et d'apprciations trs inexactes, o le caractre de Chateaubriand est devenu l'objet des censures les plus svres et les moins justifies. Tromps par des documents incomplets et tronqus, entrans par l'esprit de parti ou par une animosit personnelle, la plupart des crivains ont charg son portrait des plus sombres couleurs; ils ont fait de Madame de Custine une victime de l'inconstance et d'un lche abandon, et de Chateaubriand un froid adorateur, sans scrupule, sans remords et sans piti. Tout cela n'est pas exact.Et pourtant ces lettres indites, destines faire la lumire et rtablir la vrit, ces lettres qui empruntent une grande valeur au nom et la clbrit de leur auteur, nous avons un instant hsit les publier. Nous nous disions qu'elles n'ont point t destines par Chateaubriand la publicit, et que, toujours pris de la beaut de la forme et de la grandeur du style, il se serait refus sans doute placer ct de ses autres oeuvres des pages familires et sans apprt. Il nous semblait aussi que par un sentiment de discrtion et d'honneur dont il ne s'est jamais dparti, il se serait gard de mettre en scne une femme qu'il avait aime. Il a toujours respect le mystre des passions qu'il a inspires, et si ce mystre a t quelquefois dvoil, c'est par celles mmes qui auraient eu le plus d'intrt s'en couvrir. Ne vaudrait-il pas mieux respecter sur ce point la volont non pas certaine mais trs probable de Chateaubriand, que de livrer en pture la curiosit publique les sentiments intimes d'une femme dont le nom n'appartient l'histoire que par un acte de dvouement hroque et de grand courage, et de rappeler sans ncessit l'attention sur des faiblesses auxquelles la gloire et l'amour d'un homme de gnie peuvent servir d'excuse?Mais une considration domine toutes les autres: si la vie de Chateaubriand et de Madame de Custine a t prsente sous de fausses couleurs, et si nous possdons des documents qui les rectifient, nous devons les produire. La vie de Madame de Custine est, depuis longtemps, expose au grand jour dans des oeuvres nombreuses et brillantes. La publication que nous allons faire ne saurait donc nuire sa mmoire; tandis qu'elle disculpe Chateaubriand. Et qui sait si, en les faisant mieux connatre, elle ne les fera pas aimer tous les deux davantage?Cependant, ces quarante lettres indites que Madame de Custine nous a conserves elle-mme, seraient presque inintelligibles si on les dtachait du cadre o elles se sont produites. Il fallait donc rappeler quelques-uns des antcdents de leur auteur, l'pisode de son mariage, par exemple, o la vrit a besoin d'tre rtablie et dgage des fables dont on l'entoure. Il fallait aussi mettre en scne, sans s'carter du sujet principal, quelques-uns des personnages qui se trouvent mls, des titres divers, aux relations de Chateaubriand et de Madame de Custine, comme Madame de Beaumont, M. Bertin, le duc d'Otrante, malheureusement aussi Astolphe de Custine, et d'autres encore.Tel est le cadre que nous nous sommes trac. Il est restreint, mais il suffit. Comme dit le pote:humanos mores nosce volenti sufficit una domus.

CHAPITRE PREMIER.Le portrait et la lgende.--Deux camps opposs.--Le mariage de Chateaubriand.--L'migration.--Le salon de Madame de Beaumont.--Le Gnie du christianisme.--Voyage en Bretagne.Ce n'est pas seulement par les oeuvres littraires qu'ils livrent au public et qu'ils composent en vue de la postrit qu'il faut juger les grands crivains. Sans doute leurs oeuvres capitales, celles dont la clbrit retentit travers les sicles, suffisent pour faire apprcier la nature de leur talent, pour mettre en relief les qualits matresses de leur gnie, et les classer dans l'une ou l'autre des sphres de l'intelligence, suivant que l'imagination ou le raisonnement prdomine en eux, et en fait des potes ou des philosophes, des hommes d'tat, des orateurs ou des historiens. On connat d'eux, par leurs livres, l'homme public, au plus haut degr de puissance o ses qualits spciales ont pu l'lever, mais son caractre, les tendances particulires de son esprit, sa nature intime, l'homme priv, en un mot, ne nous sont entirement rvls que par les plus secrets dtails de sa biographie, par sa correspondance, surtout par celle qu'il n'a point crite pour le public.Et cette tude de l'homme intrieur n'est pas un travail de pure curiosit: combien d'erreurs ce genre de recherches ne rectifient-elles pas? Ne sont-elles pas indispensables pour bien comprendre un crivain dans ses oeuvres, mme les plus leves? Comment fera-t-on disparatre, par exemple, si ce n'est par ces documents intimes, ce qu'il y a de contradictoire et d'inconciliable entre le portrait gnralement adopt et qui devient lgendaire d'un Chateaubriand dur, morose, fantasque, goste, et ses oeuvres empreintes d'une sensibilit si vive et de sentiments si levs? Ceux de ses amis qui l'ont le mieux connu nous le peignent, au contraire, dou des qualits les plus charmantes, la cordialit et l'enjouement, d'une constance inaltrable dans ses engagements, d'une gnrosit habituellement prodigue jusqu' l'excs, et personne plus que lui n'aurait eu le droit d'crire, comme il l'a fait: Mes amis d'autrefois sont mes amis d'aujourd'hui et ceux de demain.Autour de la mmoire de Chateaubriand se sont forms deux camps opposs; dans l'un, admiration sans bornes, dans l'autre, dnigrement et implacable condamnation de l'homme et de ses oeuvres. En quoi il n'est pas probable que, d'un ct ou de l'autre, tous se trompent absolument, mais chacun examine le mme sujet par un ct diffrent. Chateaubriand tait un pote, non un penseur et un politique; aussi en littrature a-t-il donn des tableaux et des descriptions dans le style propre la posie, qui est le langage de l'motion. Qu'y a-t-il d'tonnant, si l'on exige de lui la profondeur d'une savante analyse, qu'on s'aperoive aussitt qu'il remplace en gnral le raisonnement par des images? C'est en vain, par exemple, qu'on chercherait dans le Gnie du christianisme une savante apologie, une dmonstration thologique qui ne s'y trouve pas, et que l'auteur n'avait pas entreprise. Renferm dans sa sphre, il est rest pote, et, dans ces limites, il a cr un chef-d'oeuvre.En politique, il en est de mme. La posie et la politique diffrent essentiellement par leur objet et par la langue mme qu'elles emploient. La posie, peu importe qu'elle s'exprime en vers ou en prose, vit dans la sphre des ides les plus gnrales. La politique, au contraire, n'a pour objet que des ides particulires, et en cela, elle est infrieure la posie; elle ne s'exerce que sur des faits accidentels et contingents. Aussi, le pote, sortant de son domaine pour entrer dans celui de la politique, pourra bien y apporter les ides gnrales et les plus hautes aspirations, mais il se sentira toujours mal l'aise dans la succession des faits variables qui forment le champ indfini de l'exprience.Cette proccupation des images et de la forme potique poursuivait Chateaubriand jusque dans ses tudes. Il n'avait pas l'rudition d'un savant, mais il possdait des connaissances varies trs tendues. Il avait beaucoup tudi les littratures antiques; il citait les potes grecs avec une vidente prdilection, beaucoup moins souvent les potes latins et plus rarement encore les prosateurs, les historiens ou les philosophes. C'est avec les potes de la Grce qu'il tait en communion d'ides; c'est, auprs d'eux qu'il cherchait avec dlices la beaut des formes, la varit et la magnificence des images et les secrets d'une harmonie qui n'a t surpasse dans aucune autre langue. Il puisait surtout avec amour cette source charmante d'inspirations potiques qui s'appelle l'Anthologie grecque. Assurment, il aurait applaudi l'opinion exprime par un savant de nos jours: L'antiquit grco-latine, disait Littr, avait amass des trsors de style sans lesquels rien d'achev ne devait plus se produire dans le domaine de la beaut idale. L'art antique est la fois un modle et un chelon pour l'art moderne[1].La politique, la religion, la posie ont contribu dans des proportions diverses soulever contre Chateaubriand l'hostilit persvrante dont nous avons parl. En politique, le parti libral, tout en cherchant et en parvenant l'attirer dans son sein et l'y retenir, n'a point oubli ses dbuts autoritaires et absolutistes, ni son retour, aprs 1830, aux ides lgitimistes, dont il est encore aujourd'hui considr comme le reprsentant. Le parti royaliste, de son ct, lui garde rancune de son volution vers le libralisme, de ses intimits avec le parti rpublicain, et fait peser, sur ce qu'il appelle sa dfection, la responsabilit de la chute d'un trne. Il n'a donc satisfait personne; il n'est rest l'homme d'aucun parti; et cela se comprend de la part d'un pote: l'imagination seule est un guide trompeur, dont la base est fragile, et qui flotte au hasard parmi les temptes de la politique.Ce que l'esprit de parti surtout n'a pu lui pardonner, ce sont ses sentiments religieux; on en a discut l'orthodoxie, on en a mme contest la sincrit, et le plus minent critique de notre temps, mais le moins orthodoxe des hommes, Sainte-Beuve, s'est attach avec une sorte d'acharnement dmontrer que Chateaubriand n'tait mme pas chrtien, et que toute sa religion forme d'images, de tableaux et de posie, n'tait qu'une oeuvre d'imagination, presque une hrsie, en contradiction directe avec les dogmes et l'austrit du christianisme. Nous ne discuterons pas cette thse, assez trange sous la plume de son auteur; nous ferons seulement observer que le sentiment religieux ne procde pas uniquement des facults de la logique et du raisonnement, mais qu'il peut tout aussi bien trouver sa source dans les sentiments du coeur et les aspirations de l'imagination. Chateaubriand n'tait pas un dialecticien, c'est vident, mais il tait pote, et rien ne s'oppose ce qu'un pote soit un chrtien. Le coeur, a dit Pascal, a ses raisons que la raison ne connat point: on le sait en mille choses.Chaque incident de sa vie, ses actions, ses intentions, ses rapports avec sa famille, sa conduite envers Madame de Chateaubriand, tout a servi de texte aux incriminations, disons mieux: aux condamnations portes contre lui.Cependant la grande figure de Chateaubriand a survcu toutes les critiques fondes ou non, et au dnigrement de parti pris contre sa personne et contre ses oeuvres. C'est que, en effet, si l'on fait abstraction des cts faibles qu'on trouve chez tous les hommes autant ou plus qu'en lui, si, dans son style, on passe condamnation sur l'exagration de quelques-unes de ses images, en faveur de toutes les autres, qui sont fort belles, il restera toujours dans ses oeuvres l'empreinte d'une puissante facult cratrice, d'une inspiration suprieure qui anime tous les sujets, les agrandit et les domine, un souffle potique qui les parcourt et les lve jusqu' l'idal, une sorte de divination spontane qui devance et prdit les vnements. Amour du grand et du beau, noblesse et gnrosit des sentiments, horreur instinctive de tout ce qui est vil et bas, tels sont quelques-uns des traits qui caractrisent le gnie de Chateaubriand.Nous n'entreprendrons pas de rectifier toutes les erreurs que nous venons de signaler, ni d'crire dans ce but l'histoire complte d'une vie que les Mmoires d'outre-tombe nous font parfaitement connatre. Notre tche est plus borne: nous voulons seulement apporter quelques documents nouveaux et indits sur une priode de vie intime, priode limite, mal connue, et par suite mal comprise.Cette priode est celle de la liaison qui a exist entre Madame de Custine et Chateaubriand.Mais pour placer les faits dans leur vrai jour, il est ncessaire de nous arrter sur quelques-uns, des vnements qui l'ont prcde, et qui expliquent la situation personnelle de Chateaubriand l'poque o elle a commenc.Nous avons donc parler d'abord de son mariage, dont l'histoire a t si trangement dfigure qu'un crivain l'a qualifi rcemment de singulier mariage sur la foi d'un rcit qui exige une rectification, une rfutation premptoire.* * * * *Suivons d'abord, en le rsumant, le rcit que Chateaubriand fait de son mariage dans les Mmoires d'outre-tombe.Mademoiselle Cleste de Lavigne-Buisson, ge de dix-sept ans, orpheline de pre et de mre, demeurait Param, prs de Saint-Malo, chez son grand'pre, M. de Lavigne, chevalier de Saint-Louis, ancien commandant de Lorient. Un mariage fut dcid par les soeurs de Chateaubriand entre elle et leur frre. Le consentement des parents de la jeune fille fut facilement obtenu, dit Chateaubriand. Un oncle paternel, M. de Vauvert, seul faisait opposition. On crut pouvoir passer outre. La pieuse mre de Chateaubriand exigea que la bndiction nuptiale ft donne par un prtre non asserment. Le mariage eut lieu secrtement. M. de Vauvert en eut connaissance et porta plainte. Sous prtexte de rapt et de violation de la loi, Cleste de Lavigne, devenue Madame de Chateaubriand, fut enleve, au nom de la justice, et mise au couvent de la Victoire Saint-Malo, en attendant la dcision des tribunaux.La cause fut plaide, et le tribunal jugea l'union valide au civil, ajoute Chateaubriand. M. de Vauvert se dsista. Le cur constitutionnel, largement pay, ne rclama plus contre la premire bndiction nuptiale, et Madame de Chateaubriand sortit du couvent, o sa soeur Lucile s'tait enferme avec elle.Tel est le rcit de Chateaubriand; il est confus, embarrass, manque sur certains points d'exactitude; sur d'autres, il est en contradiction avec des documents authentiques. Mais Chateaubriand n'tait pas un homme de loi, et par consquent il ne faudrait pas exiger de lui la prcision d'un procureur sur les questions de lgalit et de procdure que son mariage a souleves.Il y a plusieurs rectifications faire son rcit.La famille de Lavigne, contrairement l'assertion des Mmoires, ne donnait pas son consentement. Cependant on passa outre; il n'y eut pas de publicit, pas de bans publis; qui les aurait publis, puisque, au plus fort du schisme introduit dans l'glise par la Constituante, les prtres non asserments n'avaient plus d'glise, qu'ils taient forcs de fuir ou de se cacher, et qu'ils n'taient pas plus comptents pour la publication des bans que pour la clbration du mariage mme? La bndiction nuptiale, celle que Chateaubriand appelle la premire (il y en eut donc une seconde!), fut donne sans l'accomplissement d'aucune des formalits prescrites par la loi alors en vigueur[2].Il ne faut donc pas s'tonner que sur la plainte des parents de Mademoiselle de Lavigne, de M. de Vauvert ou de tout autre, la justice se soit mue et ait commenc contre Chateaubriand une procdure pour rapt, enlvement de mineure, violation de la loi, comme le disent les Mmoires d'outre-tombe.Mais les choses en tant venues ce point, la famille, comme il arrive d'ordinaire en pareil cas, se dsista de son opposition et de sa plainte, et la justice, se prtant aux circonstances, accorda des dlais pour donner le temps de procder un mariage rgulier et lgal.C'est, en effet, ce qui eut lieu. Dans l'glise paroissiale de Saint-Malo, le cur constitutionnel et asserment, M. Duhamel, aprs publication de bans, ou avec dispense rgulire de publications, clbra publiquement le mariage de Franois-Auguste de Chateaubriand et de Cleste de Lavigne. Acte en fut dress le jour mme, 19 mars 1792, et c'est cet acte qui, au point de vue lgal, constitue l'tat civil des deux poux.Le mariage ainsi clbr par le prtre comptent, le tribunal correctionnel, saisi d'une plainte qui se trouvait dsormais sans objet, n'avait plus qu' prononcer une ordonnance de non-lieu, ou un acquittement. Mais Chateaubriand a eu tort de dire que la cause a t plaide et que le tribunal a jug valide, au civil, la bndiction nuptiale du prtre inserment; aucun tribunal n'aurait pu valider un mariage clbr sans publications, sans publicit, par un prtre incomptent, c'est l une premire erreur des Mmoires; c'en est une seconde de prtendre que le cur constitutionnel, grassement pay, ne rclama plus contre la premire bndiction nuptiale: il rclama si bien que, la considrant comme non avenue, il administra la seconde, ainsi que les registres de l'tat civil de Saint-Malo en font foi.Comment expliquer cependant que les Mmoires d'outre-tombe aient donn une version si peu exacte des faits? La rponse est facile: maris lgitimement, mais non lgalement, par le prtre inserment qu'ils avaient choisi, contraints par des poursuites judiciaires, M. et Madame de Chateaubriand ont d se soumettre, comme une formalit impose, la bndiction du prtre qu'ils considraient comme schismatique; mais tout en cdant la ncessit, comme ils l'ont fait, ils n'ont pas moins continu reconnatre, dans leur for intrieur, leur premire bndiction nuptiale comme le seul, le vrai lien religieux qui avait form leur union, et il a rpugn sans doute Chateaubriand de faire l'aveu dans ses Mmoires qu'il ait pu tre mari par un prtre schismatique.Les mmes faits, cette poque, ont d se produire frquemment. C'tait une consquence invitable de cette constitution civile du clerg dcrte par l'Assemble constituante. Les populations, surtout dans la Bretagne reste fidle ses prtres perscuts, les suivaient hors des villes jusque dans les lieux dserts pour entendre la parole de Dieu et recevoir d'eux les secours de la religion. Que de mariages bnis par eux n'a-t-il pas fallu faire rgulariser ensuite pour se mettre en rgle avec la loi civile!Il n'y a donc rien d'trange, comme on l'a prtendu, dans le mariage de Chateaubriand, et personne, sans doute, ne s'en serait occup si son collgue l'Acadmie franaise, M. Viennet, n'avait mis en circulation une historiette que Sainte-Beuve ne pouvait manquer de recueillir et qu'il a reproduite en ces termes:M. Viennet, dans ses mmoires (indits) raconte qu'tant entr au service de la marine vers 1797, il connut Lorient un riche ngociant, M. Lavigne-Buisson, et se lia avec lui. Quand l'auteur d'Atala commena faire du bruit, M. Buisson dit M. Viennet: Je le connais, il a pous ma nice, et il l'a pouse de force. Et il raconta comment M. de Chateaubriand, ayant contracter union avec Mademoiselle de Lavigne, aurait imagin de l'pouser comme dans les comdies, d'une faon postiche, en se servant d'un de ses gens comme prtre et d'un autre comme tmoin. Ce qu'ayant appris, l'oncle Buisson serait parti, muni d'une paire de pistolets et accompagn d'un prtre, et surprenant les poux de grand matin, il aurait dit son beau-neveu: Vous allez maintenant, Monsieur, pouser tout de bon ma nice, et sur l'heure. Ce qui fut fait.Dans ce rcit, la vulgarit du style rivalise avec la fausset vidente des faits. Par une grossire mascarade, on fait du prtre orthodoxe appel par la famille un domestique de Chateaubriand, qui cette poque n'avait certainement pas de domestiqus son service personnel. Quant ce mariage exig par l'oncle Buisson, le pistolet au poing, c'est une pure et absurde invention: ce mariage n'aurait pas t plus rgulier que le prcdent, puisqu'il et t clandestin et illgal, et que, de nouveau, il aurait fallu recourir, pour arriver la lgalit, un troisime mariage, celui du cur constitutionnel. Or, en fait de mariages, il n'y en a eu que deux: celui du prtre orthodoxe, qui a donn lieu aux poursuites, et celui du cur constitutionnel, clbr publiquement, rgulirement et dont l'acte existe. Le mariage du cur constitutionnel exclut donc ncessairement le prtendu mariage de l'oncle Buisson.Mais il y a plus: cet oncle Buisson, le riche ngociant de Lorient, n'a jamais exist: la famille de Lavigne n'a jamais entendu parler de lui, ni de son voyage Saint-Malo, ni de ce mariage main arme.Dans une visite que nous fmes Sainte-Beuve vers la fin de sa vie, nous lui demandmes s'il avait quelque document l'appui du rcit de M. Viennet, dont nous lui signalmes l'invraisemblance.C'est l, nous dit-il, tout ce que j'en sais; Viennet racontait cela, l'Acadmie, qui voulait l'entendre, du vivant mme de Chateaubriand. Je mis par crit son rcit, et, pour plus de sret, je lui communiquai mon manuscrit en le priant de le corriger si j'avais mal rapport ses paroles. Il n'y changea que quelques mots. Ce manuscrit, portant les corrections de la main de Viennet, je l'ai encore l, dans ce secrtaire... Je vous le montrerai un autre jour. L'tat de souffrance de Sainte-Beuve ne permettait pas d'insister pour qu'il le montrt immdiatement, et, en dfinitive, nous ne l'avons jamais vu. Peut-tre, le retrouverait-on dans les papiers du clbre critique. C'est le texte mme de cette note manuscrite, nous a dit Sainte-Beuve, qu'il a reproduit dans son livre sur Chateaubriand: cependant, dans son Chateaubriand, Sainte-Beuve ne parle pas de sa note manuscrite, mais il s'autorise de mmoires indits de Viennet, ce qui n'est pas la mme chose. Il y a l une variante que nous ne discuterons pas, mais que nous signalons, sans y attacher plus d'importance qu'il ne faut.Vous devriez, ajouta Sainte-Beuve, tirer au clair cette affaire du mariage de Chateaubriand, en le rapprochant de la lgislation de l'poque et des documents que vous pourriez vous procurer. C'est ce que nous avons fait, et c'est sur des informations prcises, manant des sources, les plus respectables, que nous avons crit les lignes qui prcdent.* * * * *Mari au mois de mars 1792, Chateaubriand partit de Saint-Malo pour l'migration, trois mois aprs, dans le courant de la mme anne. Toute sa famille approuvait sa dtermination. Deux de ses soeurs, Lucile (plus tard Madame de Caux) et Julie (Madame de Farcy), en compagnie de la jeune Madame de Chateaubriand, le conduisirent jusqu' Paris. Ils descendirent tous quatre l'htel de Villette, impasse Frou, prs des Jardins du Sminaire Saint-Sulpice; des chambres y avaient t retenues. Ils y demeurrent quelque temps, ensemble, et le 15 juillet 1792, Chateaubriand s'achemina vers l'Allemagne o il rejoignit l'arme des princes.C'est alors que commena entre les deux poux une longue sparation de huit ou dix annes. La malignit en a fait un chef d'accusation contre Chateaubriand; on lui a reproch, avec une apparence de raison, d'avoir oubli pendant trop longtemps qu'il tait mari! Pour les huit premires annes, tant que dura l'migration, l'accusation n'est pas fonde: cette sparation tait une consquence force. Chateaubriand migr passa d'Allemagne en Angleterre et ne rentra en France qu'au printemps de 1800. Jusque-l tout s'explique et se justifie.Mais pour la priode qui suivit, de 1800 1804, il ne semble gure possible de trouver une raison suffisante. Pendant ces quatre annes, il n'y eut cependant pas de rupture; M. et Madame de Chateaubriand se virent quelquefois, assez rarement, et restrent, croyons-nous, en correspondance. Mais ils demeurrent spars et ne reprirent pas l vie commune.Au surplus voici les faits.Immdiatement aprs son retour de l'migration, Chateaubriand crivit sa famille pour l'informer de son arrive. Sa soeur ane, la comtesse de Marigny, se rendit la premire auprs de lui. Puis, Madame de Chateaubriand vint son tour: Elle tait charmante, dit Chateaubriand, et remplie de toutes les qualits propres me donner le bonheur que j'ai trouv auprs d'elle, depuis que nous sommes runis. Il est possible qu' cette poque, en 1800, les ressources manquassent pour former une installation.Mais aprs la publication d'Atala, en 1801, et surtout aprs le Gnie du Christianisme, les circonstances avaient d changer. Pourquoi la runion des poux ne se fit-elle pas alors? Ce point est rest obscur; aucune correspondance, aucun crit de cette poque ne nous est parvenu. Mais il ne faut peut-tre pas en chercher l'explication seulement dans les relations trs mondaines de Chateaubriand, et l'influence qu'elles exercrent sur sa conduite. Pour clairer, autant qu'il est possible, cette priode, nous dirons seulement que la charmante et fidle amie de Madame de Chateaubriand, Lucile, passa Paris une partie de l'anne 1802, qu'elle tait en relation avec Chnedoll, le confident le plus intime, cette poque, des secrets de son frre, qu'elle faisait partie de la socit de Madame de Beaumont, qu'entre Paris et Saint-Malo, elle servait d'intermdiaire et maintenait ainsi un lien d'intimit entre deux personnes qui lui taient galement chres: son frre et sa jeune belle-soeur.M. et Madame de Chateaubriand se virent de nouveau la fin de 1802, en Bretagne o Chateaubriand fit un court sjour de vingt-quatre heures. Il tait question, en ce moment, de sa nomination prochaine au poste de secrtaire d'ambassade Rome, et l'on comprend qu'il ft press de rentrer Paris o sa prsence tait ncessaire. Mais que s'est-il pass pendant ce sjour, si court ft-il? Aucune lettre, aucun document ne nous l'apprend. Peut-tre pourrait-on suppler ce silence au moyen de traditions de famille qui paraissent exister, mais qui n'ont pas t et ne seront probablement jamais divulgues. Le champ reste ouvert aux conjectures[3].La seule chose qui soit connue, c'est la conclusion de cette entrevue: il y fut convenu que Madame de Chateaubriand rejoindrait son mari Rome. Joubert parlait de l'y accompagner.Mais, comme nous le verrons, ce projet ne fut pas excut. C'est seulement au printemps de 1804 que M. et Madame de Chateaubriand se trouvrent enfin runis Paris pour ne se plus quitter.* * * * *Il nous faut maintenant retourner sur nos pas et reprendre notre rcit un peu plus haut.Aprs les dures annes d'migration qu'il avait passes Londres dans la dtresse, comme la plupart de ses compagnons d'infortune, et pendant lesquelles il avait trouv le moyen de secourir des hommes encore plus malheureux que lui, Chateaubriand rentra en France, comme nous l'avons dit, au mois de mai de l'anne 1800. Il dbarqua Calais avec un passeport au nom de Lassagne. Madame Lindsay et son parent Auguste de Lamoignon l'amenrent Paris, et Madame Lindsay l'installa d'abord dans un petit htel des Ternes, voisin de sa demeure. Fontanes, avec qui il s'tait li Londres, vint aussitt l'y chercher, l'emmena chez lui, rue Saint-Honor, aux environs de Saint-Roch, le prsenta Madame de Fontanes, et le conduisit chez son ami Joubert, qui demeurait prs de l dans la mme rue. Joubert lui donna, pendant quelques jours, une hospitalit provisoire. Chateaubriand le quitta bientt et, toujours sous le mme pseudonyme, loua un entresol dans la rue de Lille, du ct de la rue des Saints-Pres.On ne pouvait faire un pas dans ce Paris de la fin du sicle, sans se heurter aux souvenirs de la Terreur; devant l'migr rentr de la veille, ces souvenirs se dressaient tout sanglants la place de la Rvolution, o son frre et sa belle-soeur, avec tant d'autres illustres victimes, avaient t immols. Ces scnes horribles o l'on voyait, comme disait son concierge de la rue de Lille, couper la tte des femmes qui avaient le cou blanc comme de la chair de poulet, taient prsentes tous les esprits et la populace en regrettait encore l'affreux spectacle.C'est pendant ces tristes jours que Chateaubriand, sans ressources, peu prs sans domicile, inconnu de tous, se cachant sous un nom d'emprunt, en attendant sa radiation de la liste des migrs, fut prsent Madame de Beaumont, dont le salon, rue Neuve-de-Luxembourg, en face des jardins du Ministre de la Justice, tait ouvert, en ce temps de renaissance sociale, une socit peu nombreuse, mais trs choisie et compose d'hommes politiques, de littrateurs, d'artistes, dj connus ou dont le nom tait destin la clbrit.Chateaubriand se mit au travail avec ardeur, et bientt il publia (1801) le roman d'Atala. Le succs de ce livre, qui ouvrit la littrature des voies nouvelles et inaugura le romantisme, est trop connu pour que nous en retracions l'histoire; les ditions se multiplirent rapidement, et son auteur, inconnu la veille, devint la clbrit du lendemain. Cependant les critiques ne manqurent pas au nouvel ouvrage et son auteur que l'amiti passionne et le dvouement enthousiaste de Madame de Beaumont soutinrent au milieu de tous les orages.Il en fut de mme pour le Gnie du Christianisme qu'il publia l'anne suivante. Madame de Beaumont lui offrit, pendant l't de 1801, l'hospitalit dans sa maison de campagne de Savigny. C'est l, sur les bords de l'Orge, sous les auspices et l'inspiration de cette femme aimable, dont l'me tait si forte et l'imagination si brillante, que le Comte de Marcellus la jugeait suprieure mme Lucile; c'est l que le Gnie du Christianisme fut termin. Madame de Beaumont servait de secrtaire au pote, lui procurait les livres dont il avait besoin, et assistait, ravie, toutes les vibrations de ce style magique qui, disait-elle, lui faisait prouver une espce de frmissement d'amour, et jouait du clavecin sur toutes ses fibres.Bien des annes plus tard, Chateaubriand, voquant le souvenir de ces jours heureux de Savigny, crira dans une de ses plus belles pages: Je me rappellerai ternellement quelques soires passes dans cet abri de l'amiti... La nuit, quand les fentres de notre salon champtre taient ouvertes, Madame de Beaumont remarquait diverses constellations, en me disant que je me rappellerais un jour qu'elle m'avait appris les connatre. Depuis que je l'ai perdue, non loin de son tombeau Rome, j'ai plusieurs fois, du milieu de la campagne, cherch au firmament les toiles qu'elle m'avait nommes; je les ai aperues brillantes au-dessus des montagnes de la Sabine. Le lieu o je les ai vues, sur les bois de Savigny, et les lieux o je les revoyais, la mobilit de mes destines, ce signe qu'une femme m'avait laiss dans le ciel pour me souvenir d'elle, tout cela brisait mon coeur.Mais le temps des souvenirs et des regrets n'tait pas encore venu. Aprs le retour de Savigny Paris, la socit de Madame de Beaumont se retrouva dans le salon de la rue Neuve-de-Luxembourg.L'anne 1802 fut consacre, comme la prcdente, aux travaux littraires, et la publication du Gnie du Christianisme.C'est cette poque, vers le milieu du mois d'octobre, que Chateaubriand entreprit ce voyage de Bretagne dont nous avons parl. Le 15 octobre il crivit Chnedoll:Mon cher ami, je pars lundi pour Avignon, o je vais saisir, si je puis, une contrefaon (du Gnie du Christianisme) qui me ruine; je reviens par Bordeaux et par la Bretagne. J'irai vous voir Vire et je vous ramnerai Paris o votre prsence est absolument ncessaire, si vous voulez enfin entrer dans la carrire diplomatique... Ne manquez pas d'crire rue Neuve-de-Luxembourg ( Madame de Beaumont) pendant mon absence, mais ne parlez pas de mon retour par la Bretagne. Ne dites pas que vous m'attendez et que je vais vous chercher. Tout cela ne doit tre su qu'au moment o l'on nous verra. Jusque-l, je suis Avignon et je reviens en ligne droite Paris.On comprend pourquoi Chateaubriand s'entourait de tant de prcautions et de mystres. Ce voyage de Bretagne, qui devait ramener l'infidle poux aux pieds de la femme lgitime, allait peut-tre oprer leur rapprochement; Madame de Beaumont, qui ne pouvait se faire cette ide, nous dit Chateaubriand, aurait prouv de mortelles angoisses si elle en avait t avertie.Comme il l'avait annonce Chnedoll, il partit de Paris le lundi 18 octobre. Il se rendit directement Lyon, o il fut reu, nous disent les Mmoires d'outre-tombe, par le fils de M. Ballanche, propritaire, aprs Migneret, du Gnie du Christianisme, et qui devint son ami. Qui ne connat aujourd'hui, dit-il, le philosophe chrtien dont les crits brillent de cette clart paisible sur laquelle on se plat attacher ses regards comme sur le rayon d'un astre ami dans le ciel. On ne saurait caractriser avec plus d'exactitude et de posie le talent littraire de l'auteur d'Antigone.Peut-tre devons-nous ce voyage de Lyon et aux entretiens de l'auteur avec ses imprimeurs la quatrime dition du Gnie du Christianisme, en neuf petits volumes in-12, qui parut en 1804. Cette charmante dition de l'imprimerie Ballanche pre et fils, aux halles de la Grenette, porte pour pigraphe, qui n'a pas t reproduite dans l'dition des oeuvres compltes de 1826, cette phrase de Montesquieu: Chose admirable! La religion chrtienne qui ne semble avoir d'objet que la flicit de l'autre vie, fait encore notre bonheur en celle-ci. Esprit des Lois, liv. 24, chap. 3[4].De Lyon, Chateaubriand passa Avignon, toujours la poursuite de son contrefacteur qu'il finit par dterrer en courant de librairie en librairie. Aprs vingt-quatre heures, ennuy dj de poursuivre la fortune, il transigea presque pour rien avec le voleur.Enfin, aprs avoir visit Marseille, Nmes, Montpellier, Toulouse et Bordeaux, il arriva en Bretagne le 27 novembre. Comme nous l'avons dit, il ne resta qu'un jour auprs de sa femme et de ses soeurs.Dans cette courte entrevue dont il serait si intressant de connatre les dtails, il fut convenu, c'est lui qui nous l'apprend, que Madame de Chateaubriand le rejoindrait Rome.Cependant, six mois plus tard, le 25 mai 1803, au moment de partir pour sa destination, il crit au pre de Chnedoll: Une personne doit venir me rejoindre dans six semaines ou deux mois en Italie. Si vous y consentez, Chnedoll viendra me rejoindre Rome avec la personne que j'attends. Le 8 juin suivant, il crit Chnedoll dans le mme sens: Je crois que vous pouvez faire vos prparatifs pour accompagner nos amis cet automne, c'est--dire pour les amener Rome.Quels taient ces amis? Quelle tait cette personne? Ce n'tait videmment pas Madame de Chateaubriand, car il l'aurait nomme. N'tait-ce pas plutt Madame de Beaumont? Ce voyage de Rome tait-il dj prmdit entre elle et lui, l'insu de tous leurs amis? Un passage des Mmoires d'outre-tombe donne beaucoup de vraisemblance cette hypothse: La fille de M. de Montmorin (Madame de Beaumont), dit Chateaubriand, se mourait; le climat d'Italie lui serait; disait-on, favorable; moi allant Rome, elle se rsoudrait passer les Alpes. Je me sacrifiai l'espoir de la sauver.Mais la personne laquelle les lettres Chnedoll font allusion pourrait tre aussi Madame de Custine, qui Chateaubriand crivait prcisment la mme poque: Promettez-moi de venir Rome.Ainsi Chateaubriand, avec une lgret difficile justifier, convoquait simultanment trois personnes le suivre dans la Ville ternelle: Madame de Chateaubriand, Madame de Beaumont et Madame de Custine. Faut-il s'tonner que, tomb par ses propres fautes dans d'inextricables difficults, il ait, cette poque, crit Fontanes ces lignes quivoques: Voil o m'ont conduit des chagrins domestiques. La crainte de me runir ma femme m'a jet une seconde fois hors de ma patrie. Les plus courtes sottises sont les meilleures. Je compte sur votre amiti pour me tirer de ce bourbier! Etait-ce bien lui qu'il appartenait d'allguer ses chagrins domestiques?En dfinitive, c'est Madame de Beaumont qui fit le voyage de Rome. Madame de Custine en fut outre; nous verrons plus loin comment elle en tmoigna son humeur. Quant Madame de Chateaubriand, elle avait l'me trop fire pour aller disputer la place ces deux rivales: elle ne partit pas.Les annes de bonheur passent vite, et malgr toute sa force d'me, Madame de Beaumont, pour qui Ruthires avait compos cette devise caractristique: Un souffle m'agite, rien ne m'abat, voyait sa sant dprir; on ne traverse pas impunment les preuves de la Terreur; le massacre de son pre le Comte de Montmorin et de presque toute sa famille lui avait port elle-mme un coup fatal.Aussitt que Chateaubriand l'eut quitte pour se rendre Rome, comme secrtaire d'ambassade auprs du Cardinal Fesch, Madame de Beaumont quitta Paris pour aller demander aux eaux du Mont-Dore le rtablissement de sa sant. Elle tait dj mortellement atteinte. Je suis, crivait-elle un ami, dans un tat de faiblesse qui m'te presque la force de dsirer et de craindre. Je prends les eaux depuis trois jours. Je tousse moins, mais il me semble que c'est pour mourir sans bruit, tant je souffre d'ailleurs, tant je suis anantie. Il vaudrait autant tre morte.

CHAPITRE II.Dpart pour Rome.--Mort de Madame de Beaumont.--Madame de Custine: ses premiers billets.--Madame de Chateaubriand Paris.--La rue de Miromesnil et la Butte-aux-Lapins.--Les Martyrs.--La premire communion d'Astolphe. ce moment mme, Madame de Beaumont se prparait excuter son projet, que combattirent tous ses amis, de se rendre Rome et d'y rejoindre Chateaubriand, malgr les obstacles rsultant de sa sant, malgr l'imprudence, au point de vue des convenances, d'une pareille dmarche. Joubert, affectueux et dvou entre tous, opposa les plus puissantes raisons cette fatale dtermination; Fontanes, d'un ct, M. Mol, de l'autre, firent tous leurs efforts pour en prvenir l'excution. Rien n'y fit. mesure que cette femme mourante allait dprissant, il semblait qu'en elle les facults de l'me redoublaient de puissance avec l'exaltation d'un amour perdu et qui n'avait plus rien de la terre.Je serai Lyon du 15 au 20 septembre, crivait-elle Chnedoll. J'y resterai le temps ncessaire pour arranger mon voyage; ce sera l'affaire de quelques jours. De Lyon, elle atteignit Milan le 1er octobre; M. Bertin l'an, qui l'y attendait, la conduisit Florence o Chateaubriand la rejoignit, et tous trois ils arrivrent Rome au commencement du mois d'octobre.Cependant l'tat de Madame de Beaumont s'aggravait de jour en jour. Ceux qui se rappellent encore ou qui se rappelaient, il y a quelques annes, Madame de Beaumont, crivait bien des annes plus tard Charles Lenormant, la reprsentent comme sans beaut, dtruite et d'une effrayante maigreur, mais avec une physionomie trs touchante, et d'une tonnante supriorit; c'tait une lampe demi teinte qui jetait ses dernires clarts[5].Elle mourut Rome le 4 novembre 1803. Chateaubriand a consign dans des pages immortelles le rcit de ses derniers moments. Il ressentit une profonde douleur, et pendant toute sa vie le cher souvenir de Madame de Beaumont fut pour lui l'objet d'un culte. Il s'tait dvou cette frle existence, et jusqu'aux derniers moments il l'avait entoure de ses soins; il a montr pour elle une rare abngation, une tendresse de sentiment inpuisable, un dsintressement absolu. Cette constance l'amiti, dans des circonstances difficiles, au milieu des embarras d'argent dont nous parlerons, rfutent premptoirement les accusations de scheresse de coeur et d'gosme qui lui ont t si souvent adresses. Il pleura Madame de Beaumont dans toute l'amertume de sa douleur. On n'a pas senti, disait-il, toute la dsolation du coeur quand on n'est pas rest seul errer dans les lieux nagures habits par une personne qui avait agr votre vie.Cette douleur tait partage par tous ceux que Madame de Beaumont avait honors de son amiti, mais personne ne la ressentit plus profondment que Joubert. Je ne vous cris rien de ma douleur, crit-il Chnedoll, elle n'est point extravagante, mais elle sera ternelle. Quelle place cette femme aimable occupait pour moi dans le monde! Chateaubriand la regrette srement autant que moi, mais elle lui manquera moins ou moins longtems... Vous aurez la relation de ses derniers moments. Rien au monde n'est plus propre faire couler les larmes que ce rcit; cependant il est consolant. On adore ce bon garon en le lisant, et quant elle, on sent, pour peu qu'on l'ait connue, qu'elle et donn dix ans de sa vie pour mourir si paisiblement et pour tre ainsi regrette.Un passage de cette lettre de Joubert exige des explications: Chateaubriand regrette srement Madame de Beaumont autant que moi, mais elle lui manquera moins ou moins longtems. Cette assertion vraie dans un sens ne l'est pas dans un autre, et c'est ici que des faits mis aujourd'hui en pleine lumire nous rvlent clairement Chateaubriand avec toute la mobilit de ses passions et toute la persvrance de ses amitis. On ne peut nier ses faiblesses, l'inconstance de ses dsirs, l'entranement qui l'emportait sans cesse vers des passions nouvelles. Mais ces passions se transformaient vite en un sentiment plus lev et plus pur d'affection pleine de tendresse, d'inaltrable amiti qui durait autant que la vie.C'est donc avec une vrit absolue, si l'on veut distinguer entre la mobilit de ses passions et la persistance de ses amitis, qu'on a pu dire de lui que personne n'a peut-tre montr plus de suite et de fidlit dans ses affections; qu'il se donnait trs srieusement et pour ainsi dire sans retour; qu'il a montr toujours une exquise dlicatesse de sentiments, un dsintressement toute preuve, une constance et une rectitude remarquable dans le commerce de l'amiti.Ce jugement port par un homme qui l'a bien connu, se trouve justifi pour Madame de Beaumont. Il ne le sera pas moins pour d'autres liaisons qui ont suivi ce premier attachement.D'ailleurs Chateaubriand avec sa disposition tout dire de lui, le mal comme le bien, nous a rvl lui-mme quel avait t l'tat de son me au milieu des attachements de son orageuse jeunesse. Il raconte dans ses Mmoires que le 21 janvier 1804, il tait all prier sur le tombeau de Madame de Beaumont, en faisant ses adieux Rome, et il ajoute: Mon chagrin ne se flattait-il pas en ces jours lointains que le lien qui venait de se rompre serait mon dernier lien? Et, pourtant, que j'ai vite, non pas oubli, mais remplac ce qui me fut cher! Ainsi va l'homme de dfaillance en dfaillance. L'indigence de notre nature est si profonde, que dans nos infirmits volages, pour exprimer nos affections rcentes, nous ne pouvons employer que des mots dj uss par nous dans nos anciens attachements. Il est cependant des paroles qui ne devraient servir qu'une fois; on les profane en les rptant.En effet, Chateaubriand avait dj remplac, avant mme qu'il et la pleurer, la femme qu'il avait tant aime et dont la mmoire devint le culte de toute sa vie. Avant la mort de Madame de Beaumont un autre attachement tait dj form: la liaison de Chateaubriand avec Madame de Custine avait commenc.* * * * *Un voile mystrieux enveloppe encore les premiers dbuts des relations de Chateaubriand et de Madame de Custine. Quand se sont-ils connus? Comment est n ce long attachement qui a travers tant de fortunes diverses, et que la mort seule a bris? Le biographe le plus rcent de Madame de Custine[6] pense que Chateaubriand la vit pour la premire fois chez Madame de Rosambo, allie de son frre an; ces deux victimes de la Terreur s'taient connues la prison des Carmes. Il est probable cependant que leur premire rencontre remonte un peu plus haut, peut-tre jusqu' l'anne 1801, et qu'elle a eu lieu dans des circonstances trs diffrentes.Les Mmoires d'outre-tombe, sans en fixer la date prcise, semblent nous offrir un indice rvlateur.Rappelons-nous la page charmante o Chateaubriand raconte qu'aprs l'apparition du Gnie du Christianisme, au milieu de l'engouement des salons, il fut enseveli sous un amas de billets parfums. Si ces billets, dit-il, n'taient aujourd'hui des billets de grand'mres, je serais embarrass de raconter avec une modestie convenable comment on se disputait un mot de ma main, comment on ramassait une enveloppe crite par moi, et comment, avec rougeur, on la cachait, en baissant la tte, sous le voile tombant d'une longue chevelure. Ce dernier trait s'appliquait videmment une seule personne et un fait particulier; c'est une motion unique que le pote a ressentie ce larcin, gage indiscret d'un naissant amour, qui se drobait sous le voile d'une longue chevelure.N'y a-t-il pas dans ce passage une allusion voile Madame de Custine? Cette longue chevelure, nous la connaissons; nous la retrouvons bien souvent dans les Mmoires d'outre-tombe, mais dsormais sans mystre. Chateaubriand semble en avoir fait pour Madame de Custine une sorte d'aurole, un charme distinctif qui n'appartient qu' elle. Parmi les abeilles, nous dit-il, qui composaient leur ruche ( son retour de l'migration), tait la Marquise de Custine, hritire des longs cheveux de Marguerite de Provence, femme de saint Louis, dont elle avait du sang. J'assistai sa prise de possession de Fervaques, et j'eus l'honneur de coucher dans le lit du Barnais, de mme que dans le lit de la reine Christine Combourg.Et plus tard, aprs de longues annes, quand il verra pour la dernire fois celle qui avait affront l'chafaud d'un si grand courage, quand il la verra la taille amincie par la mort, ce qui fera une fois de plus l'objet de son admiration, c'est la beaut de cette tte orne de sa seule chevelure de soie.N'est-il pas vident que ces divers passages des Mmoires d'outre-tombe s'appliquent la mme personne? Et si cette conjecture est fonde, n'en doit-on pas conclure qu'il y avait eu au moins une entrevue avant celle dont les salons de Madame de Rosambo furent tmoins, et que sans doute aussi quelque billet parfum avait t crit pour l'obtenir?Dans tous les cas, la premire correspondance connue de Chateaubriand avec Madame de Custine ne remonte qu'au commencement de l'anne 1803, l'poque o, nomm secrtaire d'ambassade auprs du cardinal Fesch, il se prpare partir pour Rome. Elle se compose de dix lettres ou plutt de dix billets adresss Madame de Custine, s'chelonnant quelques jours d'intervalle les uns des autres, et qui sont tous compris entre la date de la nomination au poste de secrtaire d'ambassade et le dpart pour Rome.Cette correspondance, nous n'avons pas la reproduire: elle a t publie[7], il faut la lire dans le texte original qui en a t donn. Mais comme elle est en quelque sorte le prologue et le point de dpart de la longue intimit dont nous allons voir se dvelopper toutes les phases, il est ncessaire, d'en prsenter au moins une courte analyse.En voici les traits saillants.Chateaubriand trs assidu, trs pressant mme auprs de Madame de Custine, est repouss d'abord, mais ses avances sont accueillies bientt avec moins de rigueur. Il vient d'obtenir, dit-il, un sursis son dpart pour Rome; il supplie Madame de Custine de ne pas partir pour son chteau de Fervaques, comme elle en a l'intention: L'ide de vous quitter me tue, dit-il, au nom du ciel ne partez pas! En effet, Madame de Custine ne partit pas: elle alla le trouver dans sa chambre, l'htel d'tampes, rue Saint-Honor, deux pas de la demeure de Madame de Beaumont, rue Neuve-de-Luxembourg. Cette dmarche, un peu lgre, le rendit encore plus pressant, comme Madame de Custine devait s'y attendre, comme elle l'esprait peut-tre. La passion redouble en effet dans les billets qui suivent: Promettez-moi le chteau d'Henri IV! ce chteau o le Barnais avait couch, o il avait aim la dame de Fervaques. Promettez-moi de venir Rome! Plus loin il rpte encore: Songez, je vous prie, au chteau d'Henri IV; cela peut me consoler. Dans sa passion il va jusqu' qualifier la visite de Madame de Custine dans sa chambre d'htel, de sainte apparition. Ce sont dj les lettres d'un amant heureux, ou bien prs de l'tre.Chateaubriand, aprs quelques dlais, dut enfin partir pour Rome o il arriva le 25 juin 1803. Le sjour qu'il y fit et qui dura moins d'une anne, du mois de juin au mois de fvrier suivant, fut marqu par le douloureux vnement de la mort de Madame de Beaumont, par de nombreuses difficults politiques et de grands embarras d'argent. Nous aurons revenir sur ce sujet dans le cours de notre rcit.Madame de Beaumont s'teignit sans avoir souponn que Ren lui ft infidle; les plaintes que lui arrachaient ses douleurs et les regrets de la vie n'ont pas t mls du moins l'amertume d'un amour trahi. Et remarquons ici l'attitude de Chateaubriand; elle est caractristique: entre l'amie malade, la femme mourante qui n'attend plus rien de ce monde, et sa nouvelle passion pour la reine des roses, comme disait Boufflers, toute brillante de jeunesse et de beaut, quel est son choix? O porte-t-il son dvouement? C'est Madame de Beaumont que sa tendresse reste fidle; il lui sacrifie tout et rend, force de soins, la paix ses derniers moments.Il ne faut donc pas trop lgrement riger en victimes de son gosme les femmes qui l'ont aim; laquelle a-t-il dlaisse? Assurment, ce n'est pas Madame de Beaumont, nous l'avons vu, ni Madame de Custine, nous le verrons plus tard, et la correspondance le dmontrera.Nous ne voulons pas dire que l'infidlit, ce qu'il appelait lui-mme ses dfaillances, ne succdt assez vite chaque nouvel amour, mais ce qui ne s'teignait jamais en lui, quand une fois il s'tait donn, c'tait une suprme tendresse de coeur, un inaltrable sentiment d'affection pure, pleine de dlicatesse et de douceur.Pendant l'anne du sjour en Italie, la correspondance avec Madame de Custine continua sans interruption. Mais aucune des lettres ne nous en a t conserve; nous dcouvrirons peut-tre par quel motif, par quel dpit elles ont toutes t supprimes.* * * * * son retour de Rome, au mois de fvrier 1804, Chateaubriand descendit rue de Beaune, l'Htel de France. Sa femme, sa jeune veuve, comme il l'appelait, qu'il nous dcrit, dans ses mmoires, si charmante l'poque de leur union, lorsqu'il la reconnaissait de loin sur le sillon ( Saint-Malo), sa pelisse rose, sa robe blanche et sa chevelure enfle du vent, vint l'y rejoindre, o mme elle l'y avait prcd.Cette installation de la rue de Beaune n'tait que provisoire. Nomm ministre de France dans le Valais, Chateaubriand devait prochainement se rendre son poste. La mort tragique du duc d'Enghien (20 mars 1804) vint tout changer. Chateaubriand envoya sa dmission Talleyrand, ministre des affaires extrieures, par une lettre qu'il avait soumise d'abord Madame de Custine, et dont le texte, avec la rponse du ministre, nous a t conserv[8].Il ne fut plus question, ds lors, de quitter Paris, mais tout au contraire d'y former un tablissement dfinitif. Il fallut donc chercher une installation; on la trouva ds le mois d'avril, rue de Miromesnil, n 1119, au coin de la rue Verte, aujourd'hui rue de la Ppinire. On numrotait alors les maisons par quartier et non par rue.Dans le vieux Paris, tel qu'il tait au commencement de ce sicle, le petit htel que Chateaubriand allait habiter, deux pas du faubourg Saint-Honor, tait presque la campagne. Voici la description qu'il nous en donne:Le petit htel que je louai fut occup depuis par M. de Lally-Tollendal et Madame Denain, la mieux aime, comme on disait du temps de Diane de Poitiers. Mon jardinet aboutissait un chantier, et j'avais auprs de ma fentre un grand peuplier, que M. de Lally-Tollendal, afin de respirer un air moins humide, abattit lui-mme de sa grosse main. Le pav de la rue se terminait alors devant ma porte; plus haut, la rue o le chemin montait travers un terrain vague que l'on appelait la Butte aux lapins. La butte aux lapins, seme de quelques maisons isoles, joignait droite le jardin de Tivoli, gauche le parc de Monceaux. Je me promenais assez souvent dans ce parc abandonn...M. et Madame de Chateaubriand s'installrent dans ce petit htel de la rue Miromesnil avec un certain luxe. Joubert, dans une lettre du 10 mai 1804, donne Chnedoll quelques dtails intressants.Madame de Chateaubriand, lui Chateaubriand, les bons Saint-Germain que vous connaissez[9], un portier, une portire et je ne sais combien de petits portiers, logent ensemble rue de Miromesnil dans une jolie petite maison. Enfin, notre ami est le chef d'une tribu qui me parat assez heureuse. Son bon gnie et le ciel sont chargs du reste.Immdiatement aprs son retour Paris, Chateaubriand avait repris ses relations avec Madame de Custine, et quoiqu'il y et dans l'esprit de chacun d'eux le souvenir d'un froissement et de trs vives contrarits, une parfaite harmonie se rtablit entre eux. Pour Madame de Custine, la rivalit de Madame de Beaumont n'existait plus; la prsence de Madame de Chateaubriand, il est vrai, pouvait lui porter ombrage, mais il semble qu'elle en prit assez facilement son parti. Les relations devinrent plus intimes que jamais; celles de 1803 n'en avaient t que le prlude.C'est de ce petit htel de la rue de Miromesnil que partit la premire lettre de la longue correspondance que Chateaubriand entretint avec son amie, et dont jusqu'ici le public n'a connu que quelques rares fragments.Nous publions quarante lettres indites de cette correspondance, qui, si nous ne nous trompons, jettent sur l'homme de gnie qui les a crites, et sur la femme aimable qui elles taient adresses, une trs vive lumire. Toutes ces lettres sont de la main mme de Chateaubriand, de cette grande criture dont on ne peut plus oublier les traits quand on les a vus une fois. Les dix-neuf premires portent en tte, de la main de Madame de Custine, un numro d'ordre. Dans cette srie, du n 1er au n 19, il nous en manque trois qui ont port les n 7, 12 et 14. Le n 7 a t publi par M.A. Bardoux dans son livre sur Madame de Custine; les deux autres probablement n'existent plus. partir de la dix-neuvime les lettres n'ont plus de numro d'ordre, et comme, en gnral, elles ne sont pas dates, le classement en est quelquefois difficile.Elles sont pour la plupart timbres de la poste.Cette correspondance, qui n'a pas sa contre-partie, parce que Chateaubriand ne conservait aucune lettre, a pass des mains de Madame de Custine entre celles de son fils Astolphe, puis en septembre 1857, date de la mort de celui-ci, entre les mains de ses hritiers. Dix ou onze ans plus tard, le libraire de qui nous les tenons en devenait acqureur.Voici la premire de ces lettres indites:Paris, mercredi 30 mai 1804.J'tais la campagne quand votre billet de Fervaques m'est arriv; on avait nglig de m'envoyer la campagne. Ne soyez pas trop fche de mon silence. Vous savez que j'cris malgr mes dgots pour le genre pistolaire, et vous avez fait le miracle. Je m'ennuie fort Paris et j'aspire au moment o je pourrai jouir encore de quelques heures de libert, puisqu'il faut renoncer au fond de la chose. Bon Dieu! Comme j'tais peu fait pour cela! Quel pauvre oiseau prisonnier je suis! Mais enfin le mois de juillet viendra, je ferai un effort pour courir un peu tout autour de Paris, et puis j'irai un peu plus loin. Ce sera comme dans un conte de fe: Il voyagea bien loin, bien loin (et les enfants aiment qu'on appuie sur le mot loin), et il arriva Fervaques. L logeait une fe qui n'avait pas le sens commun. On la nommait la princesse Sans-Espoir, parce qu'elle croyait toujours, aprs deux jours de silence, que ses amis taient morts ou partis pour la Chine et qu'elle ne les reverrait jamais. J'achverai l'histoire dans le dpartement du Calvados.Mille joies, mille souvenirs, mille esprances. Je vous verrai bientt. crivez-moi. Embrassez nos amis: Ecrivez Fouch. Madame de Custine, ne Sabran, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.Remarquons ce passage: J'aspire au moment o je pourrai jouir de quelques heures de libert, puisqu'il faut renoncer au fond de la chose. Bon Dieu! comme j'tais peu fait pour cela! Quel pauvre oiseau prisonnier je suis! Chateaubriand fait videmment allusion son mariage, sa runion encore toute rcente avec Madame de Chateaubriand et la rpugnance que la vie de mnage lui inspirait. Il a mme dit quelque part, que c'est pour chapper ce sort et rester indpendant qu'il avait accept un poste diplomatique et qu'il tait parti pour Rome. Retomb sous le joug, un peu malgr lui, quels regrets de la libert perdue, le pauvre oiseau prisonnier n'exhale-t-il pas!Plus tard, quand Ren aura dpass la saison des orages et que les annes auront apport le calme cette me trouble, il tiendra un tout autre langage, et rendant Madame de Chateaubriand un solennel hommage, il inscrira clans les Mmoires d'outre-tombe ces graves paroles:Retenu par un lien indissoluble, j'ai achet d'abord au prix d'un peu d'amertume les douceurs que je gote aujourd'hui. Je n'ai conserv des maux de mon existence que la partie ingurissable. Je dois donc une tendre et ternelle reconnaissance ma femme, dont l'attachement a t aussi touchant que sincre. Elle a rendu ma vie plus grave, plus noble, plus honorable, en m'inspirant toujours le respect, sinon toujours la force de mes devoirs.Chateaubriand termine sa lettre, ainsi que plusieurs autres de celles qui vont suivre, en demandant son amie d'crire Fouch, alors ministre de la police. C'est en faveur de M. Bertin l'an, et non de Chnedoll, comme on l'a cru, qu'il rclamait cette intervention.Sur ce point quelques mots d'explication sont ncessaires. M. Bertin fut perscut comme royaliste pendant la Rvolution. En 1800, sous prtexte de quelque complot, il fut arrt par mesure administrative et enferm dans la prison du Temple. Mais il ne subit aucun jugement, aucune condamnation. Il quitta le Temple pour tre relgu l'le d'Elbe. Le rpublicain Briot, qui remplissait dans cette le des fonctions administratives, lui accorda, ou plutt lui fit accorder la permission d'achever son ban en Italie, o la rsidence de Florence, puis celle de Rome lui fut assigne.C'est Rome que M. Berlin se lia d'une troite amiti avec Chateaubriand. C'est lui qui, sur la demande de son ami, alla, comme nous l'avons dit, jusqu' Milan au devant de Madame de Beaumont, et qui la conduisit Florence o Chateaubriand l'attendait.Il assista la mort de cette noble et malheureuse femme, pisode que les Mmoires d'outre-tombe, ont retrac dans des pages si sublimes, les plus loquentes que Chateaubriand ait crites et qui assurent au souvenir de son amie la piti et le respect de la postrit.Enfin, c'est M. Berlin qui a donn l'ide du bas-relief que Chateaubriand fit lever Rome sur la tombe de Madame de Beaumont.Chateaubriand se plaisait rappeler les dbuts de sa liaison avec Berlin l'an: C'est avec lui, disait-il, que je visitai les ruines de Rome, et que je vis mourir Madame de Beaumont, deux choses qui ont li sa vie la mienne[10].Las de l'exil et de ses sollicitations sans rsultat pour obtenir son rappel, Bertin prit le parti assez aventureux de rentrer en France, sans autorisation, mais avec un passeport que Chateaubriand lui avait dlivr complaisamment Rome.Cela se passait au commencement de 1804, au moment mme o Chateaubriand, de son ct, quittait Rome et rentrait Paris.Bertin, qui, malgr son passeport, n'tait pas en rgle, fut oblig de se tenir cach, aprs son retour, tantt dans sa maison de la valle de Bivre, tantt Paris.C'est pour ce proscrit, pour son ami malheureux, injustement perscut que Chateaubriand demande avec instance Madame de Custine d'intercder auprs de son grand ami Fouch.On a pens que ces sollicitations taient rclames en faveur de Chnedoll; mais elles ne pouvaient s'appliquer lui qui n'tait alors ni perscut, ni malheureux, qui n'avait rien dmler avec la police et pour qui Fouch ne pouvait rien aucun titre; de plus, cette poque Chnedoll n'tait pas encore connu de Madame de Custine, qui il ne fut prsent que le 15 aot suivant par Chateaubriand.Quoique M. Bertin ne soit nomm dans aucune des lettres, c'est bien de lui et non de Chnedoll qu'il s'agit; la suite de la correspondance ne permet aucun doute cet gard.On se demande quelles relations pouvaient exister entre Madame de Custine, la patricienne, victime de la Terreur, et Fouch, le jacobin terroriste, car c'est bien de Fouch, l'ancien oratorien, du proconsul de la Convention nationale qu'il s'agit ici, du Fouch aprs les crimes, comme dit Sainte-Beuve.Madame de Custine avait miraculeusement chapp l'chafaud, mais tous ses biens et ceux de sa famille avaient t confisqus. Elle avait t dtenue dans la prison des Carmes, o elle s'tait lie d'amiti avec Josphine de Beauharnais. Josphine devenue la femme du gnral Bonaparte recommanda son amie Fouch, ministre de la police l'poque du dix-huit Brumaire.L'ancien collgue de Collot d'Herbois, Fouch, s'efforait alors, sinon d'oublier son pass, du moins de le faire oublier aux autres, en affectant une modration relative: Aucune des mesures exiges par la sret publique, disait-il, ne commande aujourd'hui l'inhumanit, comme si l'inhumanit et l'atrocit des meurtres pouvaient jamais tre commandes par la sret publique.Il avait rendu, parat-il, de grands services Madame de Custine et lui avait fait restituer la partie de ses biens que l'tat n'avait pas vendue. En 1804, Fouch, devenu ministre de la police, tait rest son ami. Nous n'avons rien de leur correspondance avant 1814, mais les lettres qu'il lui adressa cette date ont t publies[11]; elle contiennent des formules d'une familiarit qu'on regrette d'y rencontrer.Quoi qu'il en soit, Madame de Custine crivit Fouch, suivant la demande qui lui en tait faite. Chateaubriand l'en remercie quelques jours aprs par la lettre suivante:Mille remercments de votre lettre F... (Fouch). Mille remercmens de vos souvenirs. J'irai certainement Fervaques. Vos bonnes gens pourtant me touchent peu, et la race humaine est si mchante que je commence ne plus m'en soucier du tout. Vous vivez en paix! et nous, nous sommes trs malheureux ici. Je n'ai, je vous assure, pas le courage de vous parler de moi, de nos projets. J'ai l'esprit trop proccup. Ma vie est fort triste ici. Je vais errer dans le champ de bl qui est notre porte, et quand j'ai entendu chanter l'alouette, je rentre pour voir un nid de merles, qui est dans mon jardin et dont les petits viennent de s'envoler. Ils sont bien heureux. Vous voyez que nous sommes tous deux occups d'oiseaux.Tresnes a fait une trs vilaine action, je me rserve de lui en parler la campagne.Je pars l'instant pour Champlatreux et je vais passer deux jours chez Mathieu[12]. Je n'y porte pas des dispositions fort gaies, et je ne sais si je pourrai y rester mme ces deux jours, tant il y a d'incertitude dans mes ides, et de tristesse dans le fond de mon me.J'attends des lettres de vous; elles me consolent et me font franchir avec moins d'ennuis les moments que je dois encore passer loin de vous.Mille choses aux amis.Jeudi, 18 Prairial (7 juin 1804). Madame de Custine, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.Madame de Custine avait quitt la rue Martel, o elle demeurait en 1803, pour la rue Verte, au coin de la rue de Miromesnil, en face du petit htel qu'habitait Chateaubriand. Le champ de bl qui est notre porte fait allusion la proximit de leurs demeures. Aussi Chateaubriand a-t-il soin de souligner le mot.Il s'agit dans cette lettre du Marquis de Tresne, traducteur de Virgile et de Klopstock, le mme qui, en 1795, Hambourg, pendant l'migration, prsenta son ami Chnedoll Rivarol. La liaison qui en rsulta fait l'objet d'un rcit trs intressant de Chnedoll, que Sainte-Beuve a reproduit dans le second volume de Chateaubriand et son groupe littraire. Nous ignorons quelle est la trs vilaine action du Marquis de la Tresne laquelle Chateaubriand fait allusion.* * * * *Les lettres de Chateaubriand se succdent rapidement. En voici une pleine d'enjouement et de charmants dtails qui a sa place marque dans sa vie littraire, parce qu'elle prcise la date, presque le jour, du 7 au 18 juin 1804, o vint clore dans son gnie la premire pense du pome des Martyrs. C'est dans ce petit htel de la rue de Miromesnil qu'il en crivit les premires lignes; c'est sous les ombrages des jardins, de Monceaux qu'Eudore, Vallda, Cymodoce lui apparurent pour la premire fois.Il fait sur le ton du badinage l'analyse de la premire bauche encore informe qui bientt se dessinera, prendra corps, et d'o, malgr les dfauts vidents du livre, jailliront des flots de posie, d'loquence et de passion dans le plus beau langage qu'on ait parl depuis le XVIIe sicle.C'est aussi sur le ton du badinage qu'il rpond au rcit que Madame de Custine lui a fait de la premire communion de son fils Astolphe, Fervaques. Une ide srieuse cependant, un sentiment lev et sincre, dont il faudra toujours tenir compte quand on jugera Chateaubriand, se dgage de ses paroles lgres et termine la lettre par une note grave.Paris, 29 Prairial (18 juin),Eh! bien, vous voil donc bien triste! Et pourquoi? Parce que vos oiseaux sont morts! Eh! qui est-ce qui ne meurt pas? Parce que mes merles se sont envols? Vous savez que tout s'envole commencer par nos jours. Ceci ressemble de la posie, et l'on voit bien que je griffonne quelque chose. Je vous porterai les deux premiers livres de certains martyrs de Diocltien dont vous n'avez aucune ide. C'est une jeune personne infidle comme il y en a tant (mais ici fidle signifie chrtienne, et infidle le contraire). C'est un jeune homme trs chrtien, autrefois trs perverti, qui convertit la jeune personne; le diable s'en mle, et tout le monde finit par tre rti par les bons philosophes du sicle de Diocltien, toujours pleins d'humanit.Tout cela fait que je ne dors point, que je ne mange point, que je suis malade, car toutes les fois qu'il m'arrive de me livrer la muse, je suis un homme perdu; heureusement l'inspiration vient rarement. Voil qu'au lieu d'aller courir tout autour de Paris, comme je voulais, je reste rue de Miromesnil, sans songer rien, croyant que mon mnage, qui me cote douze mille francs par an, ira toujours, quoique je n'aie pas un sou.Oh l'heureuse vie que celle des habitants de ce monde! Pour moi, je ne voudrais pas le rformer, il va si bien! Savez-vous que je ne me soucie gure de votre communion? Je trouve que vous l'avez fait faire trop prcipitamment votre fils. Je parierais qu'il ne sait pas un mot des principes de la religion. Les petites filles en blanc taient crasseuses, le cur est une bte, tout cela est clair. Tout cela n'est bon que lorsque les enfants ont t longuement et sagement instruits, que quand on leur fait faire leur premire communion non par devoir d'usage, mais par religion. Vous faites communier votre fils qui n'observe pas seulement la simple loi du vendredi et qui ne va peut-tre pas la messe le dimanche.Voil ce que vous avez gagn raconter cela un pre de l'glise, trs indigne sans doute, mais toujours de bonne foi, faisant d'normes fautes, mais sachant qu'il fait mal et se repentant ternellement.Adieu, chre, humiliez-vous devant cette folle lettre. Attendez-moi Fervaques vers la fin de juillet; crivez-moi et crivez Fouch.Mille choses aux amis. Madame de Custine, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.Il faut avouer que, malgr cette dernire phrase, Chateaubriand, pour un pre de l'glise, manque un peu trop de srieux. Madame de Custine lui avait fait, sans doute, de la premire communion de son fils un tableau mdiocrement difiant: Chateaubriand accepte son rcit (et en cela il a tort); puis s'levant des considrations plus hautes, il lui reproche de n'avoir pas suffisamment prpar son fils ce grand acte de la vie religieuse (et en cela il a raison).Probablement il ne connaissait pas et n'avait jamais vu le prtre que, sur le rapport de Madame de Custine, il traite si ddaigneusement, c'tait l'abb Franois Millet, qui, chapelain l'poque de la Rvolution, avait refus de prter serment la constitution civile du clerg. Il migra en Angleterre et subit les dures annes de l'exil, comme Chateaubriand lui-mme, qui a pu le rencontrer sans le connatre dans les rues de Londres. Rentr en France le 13 Messidor an V (1er juillet 1797) aprs la Terreur, il fut install cur de Fervaques le 22 Ventose an XI (13 mars 1803), et mourut le 23 juin 1807.Rien ne prouve que cet ecclsiastique, qui a souffert pour la foi, soit responsable et du costume un peu rustique des petites filles en blanc, et de la mauvaise prparation du jeune marquis. Si cet enfant a fait sa premire communion plutt par devoir d'usage, que par religion, qui la faute?Madame de Custine ne montra pas, ce qu'il parat, un got trs prononc pour le plan des Martyrs. Chateaubriand va lui rpondre ce sujet. Il n'en continuait pas moins son travail avec activit, puisque ds le 20 juin, il en lisait le premier livre Champlatreux. Voici en effet ce que, cette date, M. Mol crivait Joubert:Chateaubriand est ici avec sa femme. Ils y sont fort aimables et d'une manire simple. Vous connaissez sans doute le premier livre des Martyrs de Diocltien. Je l'ai entendu aujourd'hui avec grand plaisir.Nous verrons par la lettre qui suit que Madame de Custine avait crit Fouch en faveur de Bertin, et que cette dmarche produisit quelques promesses, qui restrent sans rsultat.Chateaubriand annonce sa visite Fervaques pour la fin du mois de juillet.Vous avez bien tort de me prcher sur mon got pour mon nouvel ouvrage. Cela ne me dure gures, et j'ai dj tout laiss l depuis une quinzaine de jours. Pour travailler avec suite et got, il faut tre dans une position sinon trs brillante, du moins tranquille; et ce n'est pas quand on est sans avenir, qu'on travaille pour un avenir qui ne viendra pas. D'ailleurs il faudrait beaucoup de livres, beaucoup d'tudes, beaucoup de chimres pour me faire oublier les personnes que j'aime.Je ne sais encore si on a fait quelque chose pour mon ami[13], comme on nous l'a promis. Il est la campagne, et il ne me parat pas que sa position soit change.Je vous ai donn ma parole d'aller vous voir, et certainement je ferai le voyage, selon toutes les apparences vers la fin du mois de juillet o nous entrons demain. Vous savez que je ne suis pas libre, et il peut arriver tel accident de route on d'affaires qui me retarde de huit ou dix jours. Il suffit que je sois sr de vous voir pour que vous ne m'accusiez pas de mensonge.Vous voyez par le ton de ce billet que je suis trs srieux et fort triste. Outre les sujets de peine que vous pouvez deviner, j'ai la fivre depuis deux jours; cela durera peu; quelques doses de quinine me remettront sur pied.Bonjour, chre. Je suis charm que vous soyez heureuse dans votre bon chteau, et j'ai grande envie de vous y voir.Mille choses nos amis.Vendredi, 29 juin.Madame de Custine, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.

CHAPITRE III.Rupture avec Madame de Custine.--Rconciliation.--Voyage de Fervaques. Chnedoll.--Dpart pour la Bourgogne. Joubert.--Nouveau voyage Fervaques.--Jalousies de Madame de Custine.Jusqu'ici la correspondance de Chateaubriand et de Madame de Custine, s'est droule avec calme, dans les termes d'une intimit pleine de confiance et d'abandon, sans exprimer, peut-tre, une passion aussi exalte que celle des billets qui ont prcd le voyage de Rome. On voit clairement que les situations sont changes: Chateaubriand sollicitait alors; maintenant tous les droits lui sont acquis. Mais au milieu de cet amour pass l'tat chronique, aucun nuage ne s'est encore annonc l'horizon.Tout coup la scne change; la tempte clate; un incident nouveau s'est produit qui rouvre une ancienne et profonde blessure. Chateaubriand, atteint jusqu'au fond du coeur, crit avec amertume ce qu'on va lire.Lundi, 16 juillet.Je ne sais si vous ne finirez point par avoir raison, si tous vos noirs pressentiments ne s'accompliront point. Mais je sais que j'ai hsit vous crire, n'ayant que des choses fort tristes vous apprendre. Premirement, les embarras de ma position augmentent tous les jours et je vois que je serai forc tt ou tard me retirer hors de France ou en province; je vous pargne les dtails. Mais cela ne serait rien si je n'avais me plaindre de vous. Je ne m'expliquerai point non plus; mais quoique je ne croie pas tout ce qu'on m'a dit, et surtout la manire dont on me l'a dit, il reste certain toutefois que vous avez parl d'un service que je vous priais de me rendre lorsque j'tais Rome, et que vous ne m'avez pas rendu. Ces choses-l tiennent l'honneur, et je vous avoue qu'ayant dj le tort du refus, je n'aurais jamais voulu penser que vous eussiez voulu prendre encore sur vous le plus grand tort de la rvlation. Que voulez-vous? On est indiscret sans le vouloir, et souvent on fait un mal irrparable aux gens qu'on aime le mieux.Quant moi, madame, je ne vous en demeure pas moins attach. Vous m'avez combl d'amitis et de marques d'intrt et d'estime; je parlerai ternellement de vous avec les sentimens, le respect, le dvouement que je professe pour vous. Vous avez voulu rendre service mon ami[14], et vous le pouvez plus que moi puisque Fouch est ministre. Je connais votre gnrosit, et l'loignement que vous pouvez ressentir pour moi ne retombera pas sur un malheureux injustement perscut. Ainsi, madame, le ciel se joue de nos projets et de nos esprances. Bien fou qui croit aux sentimens qui paraissent les plus fermes et les plus durables. J'ai t tellement le jouet des hommes et des prtendus amis, que j'y renonce; je ne me croirai pas, comme Rousseau, ha du genre humain, mais je ne me fierai plus ce genre humain. J'ai trop de simplicit et d'ouverture de coeur pour n'tre pas la dupe de quiconque voudra me tromper.Cette lettre trs inattendue vous fera sans doute de la peine. En voil une autre sur ma table que je ne vous envoie pas et que je vous avais crite il y a sept ou huit heures. J'ignorais alors ce que je viens d'apprendre, et le ton de cette lettre tait bien diffrent du ton de celle-ci. Je vous rpte que je ne crois pas un mot des dtails honteux qu'on m'a communiqus, mais il reste un fait: on sait le service que je vous ai demand, et comment peut-on savoir ce qui tait sous le sceau du secret dans une de mes lettres, si vous ne l'aviez pas dit vous-mme?Adieu.Cette lettre, crite sur les quatre cts d'une feuille de papier in-quarto, avait pour enveloppe une autre demi-feuille du mme papier portant pour adresse Au Chteau de Fervaques, comme la lettre qui prcde et celle qui la suit.Il serait intressant de connatre la rponse que fit Madame de Custine aux reproches ports contre elle avec une argumentation si serre. Mais Chateaubriand ne conservait pas les lettres que lui adressaient ses belles amies; plus discret qu'elles, il ne laissait derrire lui rien qui pt les compromettre; elles n'avaient pas toujours pour elles-mmes autant de prudence.Il faut donc essayer de deviner par la lettre suivante ce que cette rponse de Madame de Custine peut avoir t. Il semble qu'au lieu de se disculper directement, elle aurait oppos l'attaque une contre-attaque, et que, oprant une diversion habile, elle aurait rejet les torts sur une personne qu'elle se plaignait de se voir prfrer et dont la perfidie aurait machin cette dnonciation.Chateaubriand ne fut pas convaincu par cette dfense, mais sa colre tait dj tombe; il rpondit amrement encore, mais en laissant, comme on va le voir, une porte ouverte la rconciliation.Il ne s'agit pas de comparaison, car je ne vous compare personne, et je ne vous prfre personne. Mais vous vous trompez si vous croyez que je tiens ce que je vous ai dit de celle que vous souponnez; et c'est l le grand mal. Si je le tenais d'elle, je pourrais croire que la chose n'est pas encore publique; or ce sont des gens qui vous sont trangers qui m'ont averti des bruits qui couraient. Il me serait encore fort gal, et je ne m'en cacherais pas, qu'on dit que je vous ai demand un service. Mais ce sont les circonstances qu'on ajoute cela qui sont si odieuses que je ne voudrais pas mme les crire et que mon coeur se soulve en y pensant. Vous vous tes trs fort trompe si vous avez cru que Madame... m'ait jamais rendu des services du genre de ceux dont il s'agit[15]; c'est moi, au contraire, qui ai eu le bonheur de lui en rendre. J'ai toujours cru, au reste, que vous avez eu tort de me refuser. Dans votre position, rien n'tait plus ais que de vous procurer le peu de chose que je vous demandais; j'ai vingt amis pauvres qui m'eussent oblig poste pour poste, si je ne vous avais donn la prfrence. Si jamais vous avez besoin de mes faibles ressources, adressez-vous moi, et vous verrez si mon indigence me servira d'excuse.Mais laissons tout cela. Vous savez si jusqu' prsent j'avais gard le silence, et si, bien que bless au fond du coeur, je vous en avais laiss apercevoir la moindre chose, tant tait loin de ma pense tout ce qui aurait pu vous causer un moment de peine ou d'embarras. C'est la premire et la dernire fois que je vous parlerai de ces choses-l. Je n'en dirai pas un mot la personne, soit que cela vienne d'elle ou non. Le moyen de faire vivre une pareille affaire est d'y attacher de l'importance et de faire du bruit; cela mourra de soi-mme comme tout meurt dans ce monde. Les calomnies sont devenues pour moi des choses toutes simples; on m'y a si fort accoutum que je trouverais presque trange qu'il n'y en et pas toujours quelques-unes de rpandues sur mon compte.C'est vous maintenant juger si cela doit nous loigner l'un de l'autre. Pour bless, je l'ai t profondment; mais mon attachement pour vous est toute preuve; il survivra mme l'absence, si nous ne devons plus nous revoir.Je vous recommande mon ami[16].Paris, 4 Thermidor (23 juillet).Madame de Custine, dans sa rponse, chercha, parait-il, expliquer le refus du service que Chateaubriand lui avait demand pendant son sjour Rome, par les motifs qui l'avaient dtermine. Ces motifs, c'tait probablement la destination suppose de la somme que Chateaubriand lui demandait; il s'agissait d'un prt de quatre ou cinq mille francs, et sans doute elle s'tait sentie froisse l'ide de subvenir aux dpenses ncessites par la prsence Rome de Madame de Beaumont. Enfin elle expliquait sans doute la rvlation qu'elle avait faite du service demand et refus, par l'intervention de certaines gens qui lui avaient arrach son secret en usant de perfides manoeuvres. Peut-tre aussi sa lettre contenait-elle un certain nombre de rcriminations plus ou moins fondes, que Chateaubriand n'admettait pas.Il rpondit par une lettre date du 1er aot 1804, lettre trs importante qui manque notre collection, mais qui a t publie dans le livre trs intressant de M. Bardoux[17], et qui, sur l'original, doit porter en tte l'annotation habituelle de Madame de Custine, avec le chiffre 7 comme numro d'ordre.Voici cette lettre:Je vois qu'il est impossible que nous nous entendions jamais par lettre. Je ne me rappelais plus pour quel objet je vous avais demand ce service; mais, si c'est pour celui que vous faites entendre, jamais, je crois, preuve plus noble de l'ide que j'avais de votre caractre n'a t donne; et c'est une grande piti que vous ayez pu la prendre dans un sens si oppos; je m'tais tromp.Au reste, pour finir tout cela, j'irai vous voir; mais mon voyage se trouve ncessairement retard. Je ne puis avoir fini mes affaires au plus tt Paris que le 12 du mois; je partirai donc de Paris de lundi prochain en huit, je serai une autre huitaine errer chez mes parents de Normandie, de sorte que j'arriverai Fervaques du 20 au 30 aot. Vous sentez que je vous donnerai des faits plus certains sur ma marche avant ce temps-l.Ce que nous avons recueilli de tout ceci, c'est que les langues de certaines gens sont dtestables, qu'il ne faut pas s'y fier un moment, et que notre grand tort est d'avoir eu quelque confiance dans leur amiti. De ma vie, du reste, je n'aurais t pris au pige o vous vous tes laiss prendre; car de ma vie, je ne confierai personne l'affaire d'un autre, et surtout quand il sera question de certains services; mais ensevelissons tout cela dans un profond oubli, dnouons sans bruit avec les gens dont nous avons nous plaindre, sans leur tmoigner ni humeur ni soupon. Heureusement que leurs mauvais propos sont arrivs dans un temps o l'opinion m'est trs favorable, de sorte qu'ils sont morts en naissant. C'est nous ne pas les rveiller par nos imprudences. Je n'ai pas dit mot personne de ce que je vous avais crit, et j'espre que vous, de votre ct, vous avez gard le silence.Adieu; j'ai encore bien de la peine vous dire quelques mots aimables, mais ce n'est pas faute d'envie.Savez-vous que j'ai vu votre frre[18] et votre mre? Celui-ci a trop d'esprit pour moi.Le dbut de cette lettre est dur assurment. Mais on comprend le sentiment qui l'a dict. Chateaubriand avait puis toutes ses ressources auprs de Madame de Beaumont mourante; il ne pouvait pas et pour rien au monde il n'aurait voulu interrompre les spasmes de son agonie pour lui exposer sa dtresse, pour lui demander un crdit et se faire rembourser en quelque sorte des soins qu'il avait prodigus. N'y avait-il pas l une question de dlicatesse et d'honneur, et n'est-ce pas une grande piti comme il le dit, que Madame de Custine ne l'ait pas compris? Elle n'a vu qu'une rivale l o elle ne devait plus voir qu'une femme infortune et mourante.Cependant, malgr l'aigreur du dbut, Chateaubriand s'adoucit: il ne demande qu' pardonner, tout oublier, et la lettre se termine par un mot charmant. Le post-scriptum renouvelle la demande de pressantes dmarches auprs de Fouch en faveur de l'ami malheureux et perscut (M. Bertin).Cette lettre prise isolment et spare de celles qui la prcdent et qui l'expliquent, tait inintelligible. Aussi est-il naturel qu'elle ait t interprte contre-sens: Le Chateaubriand quinteux, personnel, mfiant, a-t-on dit, est tout entier dans cette lettre. Voil le sens qu'on y a trouv! Aussi que de lamentations en faveur de l'adorable victime de cet homme sans coeur! Et pourtant, dans tout cela, Madame de Custine n'tait pas une victime; le beau rle n'tait mme pas de son ct: mue par une mesquine jalousie, elle avait fini, dans de vulgaires commrages, par trahir l'amiti.Dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, dans la vie prive, comme dans la vie politique, l'opinion se montrait facile tout pardonner Chateaubriand, ses imprudences, ses erreurs, ses fautes mme. D'o lui venait cette persistance des faveurs de l'opinion? C'est que partout dans sa vie, on sentait l'inspiration d'une me chevaleresque et d'un coeur gnreux.Chateaubriand partit de Paris pour Fervaques, comme il l'avait annonc, le 13 aot. Il en informe le jour mme Madame de Custine par le billet suivant:Je n'ai que le temps de vous dire que je pars l'instant pour la Normandie, et que je serai chez vous en huit ou dix jours compter de la date de cette lettre. Je vous crirai sur les chemins. Mille bonjours. N'oubliez pas F... (Fouch).Paris, le 13 aot 1804. Madame de Custine, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.Deux jours aprs, il crit de Mantes cet autre billet, et pour la premire fois il introduit Chnedoll auprs de Madame de Custine.Mantes, 15 aot.Me voil Mantes, c'est--dire quinze lieues plus prs de vous. Je serai Fervaques lundi prochain. Trouvez-vous mauvais que j'y aie donn rendez-vous un de nos voisins, mon ami intime, M. de Chnedoll, avec qui j'ai affaire? C'est un homme d'esprit, pote, etc. Vous voyez que voil un horrible dmenti vos prophties. Ah! mon Dieu, quand voudrez-vous me croire et quand aurez-vous le sens commun! J'aime vous aimer; c'est Madame de Svign qui dit cela. Madame de Custine, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.Comme on le voit, avant l'arrive de Chateaubriand Fervaques, la paix tait dj faite.Cette lettre dmontre premptoirement qu'avant cette date du 15 aot, dans les recommandations Fouch, il ne s'agissait pas de Chnedoll dont, jusque-l, Madame de Custine ne connaissait pas mme le nom.Le mme jour, Chateaubriand crit Chnedoll pour lui donner rendez-vous au chteau de Fervaques[19]:MantesJe m'approche de vous et sors enfin du silence, mon cher Chnedoll: je n'ai os vous crire de peur de vous compromettre pendant tout ce qui m'est arriv (lors de sa dmission envoye le jour mme o le duc d'Enghien a t fusill). Que j'ai de choses vous dire! Quel plaisir j'aurai vous embrasser, si vous voulez ou si vous pouvez faire le petit voyage que je vous propose! Je vais passer quelques jours chez Madame de Custine au chteau de Fervaques, prs de Lisieux, et vous voyez par la date de ma lettre que je suis dj en route. J'y serai d'aujourd'hui en huit, c'est--dire le 22 aot. La dame du logis vous recevra avec plaisir, ou, si vous ne voulez pas aller chez elle, nous pourrons nous voir Lisieux.Ecrivez-moi donc au chteau de Fervaques, par Lisieux, dpartement du Calvados. Vous n'en devez pas tre plus de quinze ou vingt lieues.Tchons de nous voir, pour causer encore, avant de mourir, de notre amiti et de nos chagrins. Je vous embrasse les larmes aux yeux. Joubert a t bien malade et n'a pu rpondre une lettre que vous lui criviez. Tout ce qui reste de la petite socit[20] s'occupe sans cesse de vous. Madame de Caux (Lucile soeur de Chateaubriand) est trs mal.Le sjour de Chateaubriand Fervaques ne fut pas de longue dure; arriv le 22 chez Madame de Custine, il en repart le 29, et le mme jour il lui adresse de Lisieux ce billet:Lisieux, huit heures et demie du soir.Le courrier est pass il y a une heure... La diligence ne part que demain onze heures. Je m'ennuie dj si loin de vous, et je pars en poste pour Paris. J'y serai demain midi. Plus je m'loigne de vous, plus je me rapproche; je me dpche donc d'arriver. Mille bndictions. Salut la bonne dame de Cauvigny. J'embrasse Chnedoll. Le chapitre de Lisieux est en grande rumeur pour la calotte du dfunt. Madame de Custine, au chteau de Fervaques, Fervaques.La date de ce billet est fixe par sa dernire phrase. Ce jour mme, 11 Fructidor an XII (29 aot 1804), tait mort Lisieux 5 heures du matin, l'ge de 82 ans, l'ex-chanoine Jacques Monsaint. C'tait un vieux prtre asserment qui, lors de la constitution civile du clerg, avait livr les archives de l'vch au clerg schismatique. Lorsque le 15 aot 1802, la cathdrale de Saint-Pierre de Lisieux fut rendu au culte catholique[21], il ne fut pas compris dans son clerg. Le 29 aot 1804, il s'agissait sans doute de dcider si la spulture religieuse lui serait accorde. De l grande rumeur du clerg et de la ville, mais non du chapitre, comme le dit Chateaubriand: ce chapitre n'existait plus.Madame de Custine, de son ct, s'est trompe en attribuant ce billet un numro d'ordre qui en fixerait la date au mois d'octobre 1804, la suite d'un second voyage Fervaques. Nous le rtablissons la date qui lui appartient, la suite du voyage du mois d'aot.Aprs cet incident, Chateaubriand prit la poste et arriva Paris, d'o, trois jours aprs, il adressa Madame de Custine la lettre suivante:Lundi, 3 septembre.Je suis arriv vendredi six heures du soir. Samedi j'ai t occup avec des libraires. Dimanche, le juge de paix de M. Pin n'a pas voulu recevoir l'argent; il a remis la chose aujourd'hui lundi. Demain donc, je vous enverrai le reu de 249 francs.Je regrette Fervaques, les carpes, vous, Chnedoll, et mme Madame Auguste. Je voudrais bien retrouver tout cela en octobre; je le dsire vivement. Avez-vous autant envie de me revoir? Notre ami est-il debout? Je voudrais bien lui faire passer de mon quinquina. Tchez donc de faire niveler le billard, d'arracher l'herbe pour qu'on voie les brochets, d'avertir les gardes de sommer le voisin de Vire et la voisine de Caen de se rendre au rendez-vous, d'engraisser les veaux, de faire pondre aux poules des oeufs moins gris et plus frais; quand tout cela sera fait et que M. Giblin aura mis mort le dernier des Guelfes, vous m'avertirez, et je verrai s'il est possible de me rendre Fervaques pour 15 pices de 20 francs. condition toutefois que le professeur allemand[22], tribun de son mtier, ait repris la route du tribunat.Bonjour, grand merci, joie et sant, mille choses Chnedoll. Est-il encore avec vous? Mille choses votre bon fils. Je prie Dieu de conserver Madame de Cauvigny son naturel, sa gat, sa propret, sa rondeur et sa gentillesse. On parle fort de son vol Paris. Ecrivez-moi.Tout vous. Madame de Custine, au chteau de Fervaques, par Lisieux, Calvados.Cette lettre crite sur le ton du badinage o Chateaubriand, esprit srieux, ne russissait gures, dchira le coeur de Madame de Custine. La rponse attriste et plaintive qu'elle y fit, s'est retrouve en copie dans les papiers de Chnedoll, devenu son ami, et en qui elle avait une entire confiance. Cette rponse a t publie par Sainte-Beuve.On avait cru d'abord qu'elle tait adresse Chnedoll; Sainte-Beuve a souponn que le destinataire n'tait autre que Chateaubriand; et il a eu raison. C'est en effet, certainement, la rponse la lettre assez trange qui prcde. La voici:J'ai reu votre lettre: j'ai t pntre, je vous laisse penser de quels sentiments. Elle tait digne du public de Fervaques, et cependant je me suis garde d'en donner lecture. J'ai du tre surprise qu'au milieu de votre nombreuse numration, il n'y ait pas eu le plus petit mot pour la grotte et pour le petit cabinet orn de deux myrtes superbes. Il me semble que cela ne devait pas s'oublier si vite. Je n'ai rien oubli, pas mme que vous n'aimez pas les longues lettres.Votre ami est encore ici, mais il part demain. J'en suis plus triste que je ne puis vous dire: je ne verrai plus rien de ce que vous aurez aim. Il y a des endroits dans votre lettre qui m'ont fait bien du mal.Cette lettre, qui n'est ni signe ni date, doit tre du 5 dcembre 1804.Mais comment Chnedoll a-t-il pu en avoir une copie? Assurment ce n'est pas par Chateaubriand, qui retenu, bien plus que quelques-unes de ses belles amies, par la discrtion, tait incapable d'abuser d'une lettre compromettante.C'est donc par Madame de Custine elle-mme que la communication a t faite au confident de tous ses secrets. En fait de confidences, elle n'avait pas une grande rserve, si nous en jugeons par cette conversation que rapporte Sainte-Beuve:--Voil, disait-elle, le cabinet o je le recevais!--C'est ici qu'il tait vos genoux?--C'est peut-tre moi qui tais aux siens.Dans cette conversation, ne serait-ce pas Chnedoll qu'elle avait pour interlocuteur? Et n'est-ce pas du mme cabinet aux deux myrtes superbes qu'elle faisait ainsi les honneurs?Il se