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7/18/2019 Alibert Psycologie Thomiste Et Théories Modernes http://slidepdf.com/reader/full/alibert-psycologie-thomiste-et-theories-modernes 1/433 i^lii:

Alibert Psycologie Thomiste Et Théories Modernes

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Psicología tomista

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  • JOHN M. KELLY LIBDA2Y

    -^

    .^-::^%

    Donated byThe Redemptorists ofthe Toronto Province

    from the Library Collection of

    Holy Redeemer Collge, Windsor

    University of

    St. Michael's Collge, Toronto

  • HOLY [^DtE.ViER LIBRARY,

  • Digitized by the Internet Archive

    in 2009 with funding fromUniversity of Ottawa

    http://www.archive.org/details/lapsychologiethoOOalib

  • LA

    PSYCHOLOGIE THOMISTEET LES

    THORIES MODERNES

    HOLY REDEEMER LIBRARY, WINS^R

    ^^

  • SOCIETIS ANONYME D IMPRIMERIE DE V I LLE F K A ?s G H K- I E- R O U F. R G U EJules U*.nDotfx , IJh"e(tenr.

  • PSYCIIOLOGII THOMISTEK T L R S

    THORIES MODERNES

    C. ALIBERT, p. S. S,

    DiriECTEuri de la Solitude

    y.

    PROV. ,,^^1 )

    PARISLIBRAIRIE DELHOMME ET BRIGUET

    Gabriel BEAUGHESNE & GDITEURS

    117, me de Rennes, 117

    Dpt Lyon, 3, avenue de l'Archevch.

  • Imprimatur.

    Parisiis, die XVII^ Julii 1903.

    G. Leledyre, V. G.

  • Depuis la renaissance de la philosophie Ihomisle

    dans les coles catholiques, bien des eforls ont t

    lentes pour mettre cet enseignement si substantiel euharmonie avec les proccupations de la pense con-temporaine. C'est le dsir de contribuer l'uvre

    commune qui a dtermin ce travail.Voici les ides qui ont prsid sa composition :

    sans toucher aux controverses qui ont perdu pour noustout intrt, prsenter les questions restes classiquessous la forme la mieux adapte aux proccupations deFge prsent; dmler dans les crits de saint Thomasles textes qui s'y rapportent le plus troitement; cher-cher l'analogie des ides sous la diffrence des non-cs

    ;prciser les divergences ; viser dans la dmons-

    tration les difficults et les prjugs de nos adversaireset de nos mules ; suppler au silence ou au laconismedu saint docteur, par l'interprtation de ses principes,et par des emprunts faits aux philosophes modernes

    ;

    de plus, le cas chant, ouvrir des aperus, tracer unedirection aux jeunes clercs, auxquels cet ouvrage estspcialement destin...

    Les points les plus importants de la doctrine tho-miste, concernant la notion et la division des puissan-

  • ces psychologiques, l'espce sensible et l'espce intel-

    ligible, le passage du sujet l'objet dans la perception

    externe, l'origine exprimentale des concepts et des

    princfpes, la nature de l'habitude..., ont 6t dvelop-

    ps avec un soin particulier.

    Mais il tait ncessaire de recueillir aussi les meil-

    leurs rsultats de travaux plus rcents de psychologie

    exprimentale, touchant l'origine du langage, ses rap-

    ports avec la pense, les formes suprieures de l'ima-

    gination, l'idal, le rle du sens intime dans le pro-blme de l'origine des ides et la dfense de lamtaphysique, la nature de l'attention, le sentiment,la dmonstration du libre arbitre... Pas de meilleurcomplment pour la psychologie thomiste, que l'idebiraniennne relative la perception du principe pen-sant par la conscience.

    Sans se proposer une tude spciale du positivismeet du kantisme, l'auteur s'attache combattre le prin-cipe de ces systmes, celui du premier en particulier,dans les pages consacres la conscience intellectiveet l'origine des ides de cause et de substance.

  • LA

    rSYCllOLOGlE THOMISTEr, r L !: s

    THORIES MODEllAES

    NOTION GENERALE DE LA PSYCHOLOGIE

    Avant d'aborder la srie des questions qui forment ledomaine de la psychologie, soit exprimentale, soitrationnelle, il convient d'examiner l'ide conue sur cesujet par saint Thomas, et de la rapprocher de celles quenous trouvons chez les auteurs modernes.

    I. La pense du saint docteur accuse deux inspira-tions de caractre diffrent, appeles du reste se com-plter, l'une pripatticienne, l'autre chrtienne.

    Arisiote regardait la connaissance de l'me humainecomme une branche de la physique, qui reprsentait ses yeux la science de la nature entire (cf^a--.;), et com-prenait notamment l'tude de la plante et celle de l'ani-mal. En faveur de ce groupement, on peut allguer desaffinits et des connexions d'un rel intrt. Car plusieursdes puissances attribues par le Stagirite notre meappartiennent au vgtal, celle de nutrition par exemple,

    et la brute, les sens externes et internes, les passionset l'nergie motrice. Aussi, sans sortir de ces deux rgnesinfrieurs, sans avoir mme nomm l'me humaine, nousavons fait les deux tiers de la psychologie. Reste, il est

    1

  • 2^ PSYCHOLOGIE

    vrai, le chapitre le plus important, qui complte et cou-

    ronne les prcdents, celui des facults intellectuelles;

    mais il a sa place marque dans le domaine de la physi-

    que, entendue au sens tymologique. Encore est-il bon

    d'ajouter que la pense, associe d'ordinaire l'exercice

    de l'imagination , dpend des conditions crbrales ; et

    qu' ce titre, la science des manifestations de la vie sen-

    sitive rclame encore une part dans cette tude. Bref, la

    psychologie se trouve engage dans la physique, dont

    elle figure un dpartement.

    Sous l'influence des ides chrtiennes, le lien d'origine,

    sans tre compltement rompu, devait se relcher unpeu. La science de Tme humaine, en effet, prit, sous laplume de nos docteurs, un relief nouveau; elle se gros-

    sit de problmes trangers aux conceptions d'Aristote, et

    en gnral la philosophie paenne, concernant les rap-

    ports de rhomme avec Dieu, la cration et ses suites,la conservation et le concours, la batitude objective,l'immortalit de l'me, les conditions de sa vie aprs

    la mort, etc.

    Ces questions, et plusieurs autres de ce genre, visent

    d'une faon exclusive l'esprit humain, et dtachent plusnettement son tude de celle des tres infrieurs. A plusforte raison en est-il ainsi des sujets mixtes, intressant la fois la philosophie et la thologie, par exemple, les

    relations de la science et de la foi, l'exercice du librearbitre sous l'action de la grce, les vertus morales et

    les vertus infuses... Les apports de la pense chrtienne,en donnant un prix inestimable la science psychologi-que, la dgageaient un peu des cadres de l'ancienne phy-sique, tout on laissant subsister une alliance dont nous

    verrons tout riieurc l'avautagc'. M. Paul Jauet, dans

    1. ].;i l(ji (In profrs ciilrane la division du travail, cl par consrqueiil las(';paralion des sciences qui primilivemcnt se trouvaient confondues. Personnene songe regreller que la zoologie, la botanique,... ne fassent plus partie du

  • NOTION CI' M': Il ALI- DK I.A PS YC IIOLOC I E 3

    son Histoire de la p/iilosopliie, a signal celte inlluence.

    u Le christianisme, dit-il, devait ramener l'esprit en hii-

    nn^me. Saint Augnslin pressent la direction nouvelle (^uedevra juendre la philosophie, et l'indique magistrale-ment. Ouel est l'objet de la philosophie? C'est la con-naissance de Dieu et de soi-mme. Deuni et animaniscire cupio. yHtihie plus? Nihil omnino. [SoHL, I, 7.)Ce ddain de la physique (provenant de l'importanceprise dans l'opinion par les questions de Tordre tholo-

    gique et moral) fait passer au premier rang la science del'me'. Ajoutons que rien, du reste, n'est aussi intime-ment prsent notre esprit que lui-mme. Nihil enimtam novit mens quam id quod sibi prsto est, nec mentimagis quid(juam prsto est, quam ipsa sibi^

    Or, saint Thomas recueillit l'hritage d'Aristote, etcelui des Pres de l'Eglise. Ce fut pour sa psychologie undouble bienfait.

    Au premier elle doit, avec l'analyse rationnelle la pluspntrante, la base eiprimentah la plus large et la plussure; au second, son lvation doctrinale. Car, unissant

    l'me la matire par les plus fortes attaches, lui assi-gnant les nergies vgtatives diffuses dans l'organisme,elle la prend dans les plus humbles manifestations de lavie corporelle, pour l'lever la rgion la plus haute, quiconfine celle des purs esprits, et la prparer aux com-munications de la vie divine. On ne saurait concevoir unspiritualisme plus sage, plus tempr, et en mme tempsplus hardi.

    Le caractre positif des donnes initiales exige imp-rieusement l'emploi de la mthode d'observation

    ; et

    mme groupe que la psychologie. L'avantage que nous visons en ce mo-ment est que, dans la psychologie thomiste, l'tude des sens et de l'intellectest rapproche de celle des fonctions physiologiques, et que les questionsrationnelles concernant la nature de l'me sont troitement rattaches aux don-nes exprimentales.

    1. Janet et Sailles, Histoire de la philosophie, p. 29.2. Saint Augustin, De Trinitate, XIV, 7.

  • 4 PSYCHOLOGIE

    l'cole no-lliomisle, en le prnant, se montre fidle

    l'esprit et aux principes du matre. Observons, toutefois,

    que, par suite d'une rserve tenant l'poque et au

    milieu, le saint docteur n'a us que sobrement du pro-

    cd. D'ordinaire il se borne utiliser un petit nombrede faits qui, interprts avec sagacit, fconds par le

    raisonnement, fournissent le fondement de sa doctrine.

    La puissance d'analyse et la sret de jugement taienttelles dans l'observateur, que gnralement ces faits lui

    suffisent pour dgager et (ixer en traits rapides d'excel-

    lentes thories psychologiques que nous retrouvons

    aujourd'hui chez les modernes, comme le lecteur pourrale constater facilement au cours de cet ouvrage. Vienneune poque caractrise par la prdominance des mtho-des positives , o le philosophe prouve le besoin demultiplier les donnes exprimentales pour largir la basede ses inductions, le plan conu par saint Thomas seraassez vaste pour recevoir ces dveloppements.

    Or, cet ge est le notre. 11 a commenc avec Descartes,et dure encore.

    II. Descartes contribua puissamment mettre enhonneur Vi/itrospection.

    Et bon droit, car l'observation interne est la mthodefondamentale de la psychologie, celle dont l'usage est,tout la fois, le plus naturel et le plus ncessaire.

    C'est que les faits mentaux s'offrent d'eux-mmes ausens intime. Et, tandis que j'ai besoin d'ouvrir mes pau-pires pour voir les objets extrieurs, d'en approcher lamain pour les toucher, les yeux de la conscience sonttoujours ouverts sur mes propres penses. La perceptionexterne requiert un milieu reprsentatif qui manifesteles proprits des corps : pour l'introspection, tout milieuest superllii, l'objet cl le sujet ne faisant (|u'nn, le moiconnu s'identi liant avec le moi qui connat. Mes ides,mes sentiments, mes dterminations, sollicitent d'eux-

  • NOil(.N (.K.MMt.M.i; UK I.A PS V Cil o !.()(; I K 5

    inrmcs le regard du si-ii^ iiiliiin' : ce (|iii esl j)i'

  • 6 PSYCHOLOGIE

    Mais la conscience ne nous claire pas sur sa nature

    intime. Ce sentiment intrieur que j'ai de moi-mmem'apprend que je suis, que je pense, que je veux, que je

    sens, que je souffre, etc.; mais il ne me fait pas connatre

    ce que je suis, la nature de ma pense, de ma volont, de

    mes sentiments, de mes passions, de ma douleur..., parce

    que, encore un coup, n'ayant point d'/f/ee de mon me,

    n'en voyant pas Xarchttjpe dans le Verbe divin, je ne puisdcouvrir, en la contemplant, ni ce qu'elle est, ni les mo-

    dalits dont elle est capable'.

    Si les faits internes ne peuvent nous rvler la consti-

    tution intime du sujet pensant, quel sera le fruit de leur

    observation? Il sera de nous donner des lois exprimen-tales, c'est--dire des gnralisations tires de cas parti-

    culiers. 11 est fort inutile de mditer sur ce qui se passe

    en nous, si c'est dans le dessein d'en dcouvrir la nature.

    Car nous n'avons point d'ide claire ni de notre tre ni

    d'aucune de ses modifications... Mais nous ne pouvons

    faire trop de rflexions sur nos sentiments et nos mou-

    vements intrieurs, afin d'en dcouvrir les liaisons et lesrapports, les causes naturelles ou occasionnelles qui les

    excitent. La connaissance de l'homme est, de toutes lessciences, la plus ncessaire notre sujet. Mais ce n'estqu'une science exprimentale, qui rsulte de la rilexionqu'on fait sur ce qui se passe en soi-mme-.

    C'est ainsi que le lien qui rattachait l'tude du prin-cipe celle des oprations, la mtaphysique de l'esprit sa phnomnologie, se relche. 11 va mme, dans les gessuivants, continuer de s'affaiblir graduellement, au dtri-ment de la psychologie rationnelle, qui, relgue l'ar-rire-plan, sera, de jour en jour, moins cultive, tandis(|ue la psychologie exprimentale, gagnant sans cesseCM faveur, prendra des dveloppements inattendus, au

    1. Tioisicntf Enlrnlu'n sur la nii''la}iti!jsiijue.,'. Munilr, irc partii-,.cli. v, SS I*> l-I 17.

  • NOTION r.i',Nr:i{.\i.E m; i. a I'.svciioi^oc.ih 7

    poiiil (le couvrii" la uu'ilknir' [taiiic du doiiiaiiK' [)liiloso-l)lii([ui\

    Aprs Malebranclic, plusieurs auteurs, par des voiesdilVroules, onl concouru produire ce rsultat : Locke,

    Thomas lleid, Hume, Kant...IV. Locke dclare son dessein dans VAvant-Propos*

    de l'Essai su?' l'entendement humain : Je ne xa engageraipoint considrer en plu/sicien la nature de l'me, voir

    ce qui en constitue Y essence... Il suffira, pour le dessein

    que j'ai prsentement en vue, d'examiner les diffrentesfacults de connatre qui se rencontrent dans l'homme.

    L'empirisme, dont l'crivain faisait profession, l'enga-

    geait prendre celte attitude et lui en crait mme lancessit. Car, rduisant la substance un amas de pro-

    prits, la relation de causalit une succession, et par

    suite la cause un simple antcdent dpourvu d'effica-cit, comment aurait-il pu mener le lecteur au del desphnomnes? Cet au del n'existe gure pour le sen-siste : il n'existe pas de principe antrieur aux faits, leur

    servant de gnrateur et de support. De ce chef, c'estfaute d'objet que s'vanouit la science rationnelle de l'me.

    Il est juste toutefois de reconnatre que ces consquen-ces ne se dgagent pas toujours aussi clairement des ou-vrages de Locke. Elles s'accuseront davantage plus tarddans les crits de David Hume, et des positivistes quipoussent l'empirisme sa dernire limite.

    V. Thomas Reid, chef de l'cole cossaise, bienqu'adversaire de Hume, qu'il essaya timidement de rfu-ter, rduisit l'tude de l'me sa partie purement exp-rimentale. La connaissance humaine, dit-il, peut seramener deux chefs gnraux, selon qu'elle a pour objetla matire ou l'esprit, les choses corporelles ou les chosesintellectuelles-. Par esprit, nous entendons ce qui dans

    1. 2.2. Prface de l'Essai sur les facults intellectuelles, trad. Jouffroy, t. 111, p. 7.

  • 8 PSYCHOLOGIE

    r homme pense, se souvient, raisonne, veut. L'essence desesprits et celle des corps.nous sont inconnues. Nous connais-

    sons certaines proprits des uns et certaines oprations

    (les autres, et c'est par l seulement que nous pouvons les

    dfinir, ou plutt les dcrire^ A quelles sources puise-rons-nous une connaissance exacte de l'esprit et de ses

    facults? Je rponds que la principale et plus naturellede ces sources est la rflexion ou l'observatioii attentive des

    oprations de notre propre esprit.

    L'me ne nous est donc pas entirement connue. Elleoffre une rgion obscure, contenant des attributs et desnergies que le sens intime ne peut atteindre, et unergion claire, qui correspond au moi. Le moi, c'estime dans la mesure o elle se rvle elle-mme, l'memoins sa partie inconsciente. Eclaircissons la significationde ce mot. Une chose est dite inienne lorsque je puis endisposer. Si le mien est sous la dpendance du moi, ils'ensuit que le moi est matre de lui-mme, se possde,qu'il peut s'imprimer une direction de son choix. Gomme,d'autre part, on ne dirige que ce que l'on connat bien, ilen rsulte aussi que le moi doit avoir une connaissanceimmdiate de lui-mme.

    Sous le nom de facults, on dsigne les puissances acti-ves du moi. Car facult signitie pouvoir librement exerc.Or, on ne peut librement exercer une force qu'autantqu'on la connat, qu'elle est prsente l'esprit^ soumiseen ([uclque manii'e l'action du libre arbitre : ma vue,par exemple. Je puis, mon gr, user ou ne pas user de lavue, fermer les yeux ou les ouvrir, les diriger vers telleou telle |arlic de l'horizon, les porter rapidement sur ungrand nombre d'objets, ou bien, au contraire, les arrterlongtemps sur une miniature. Aussi la vue est nne facultdu moi. Au contraire, le pouvoir d'laborer les aliments

    1.

    Essai sur loi facuUcs inlelirclueUes, Essai 1, cli. i'>-, lr;ul. Juullroy, p. 19, 20.

  • MHION r.i^NftRAi.i: di: la I'SYciioi.ocik 9

    iiilroiliiils dans Icsloiiiac, jjourlcs liaiislormer en cliynic,vu c-liylo oL on san^'. et les assimiler l'organisme, n'est

    pas une raciill, mais seiilemoiit une puissance, parcet|u'il chappe la direction du libre arbitre, la percep-tion du sens intime, et ([ue sou existence m'est rvleseulement par des inductions tires des donnes physiolo-giques.

    A la dilTrence de la psychologie thomiste, qui avaitpour objet lame prise avec l'ensemble de ses puissances,conscientes ou inconscientes, la psychologie moderne n'enaccepte qu'une partie : savoir, le nioi\ ses facults et leurs

    plu-nomnes.

    Encore Thomas Reid, trop rserv dans l'emploi de samthode, restreint la porte de la conscience aux simplesphnomnes. Quant au moi lui-mme, envisag commesujet et principe de ces manifestations, il le dclare inac-cessible au sens intime. Seul, le raisoimement peut l'at-teindre, en se basant sur des vrits premires d'une appli-cation incessante : tout mode suppose une substance; toutfait suppose une cause.

    La sparation des phnomnes et de leur sujet s'ac-centue dans le systme de Kant.

    VI. Kant accepte la lgitimit des faits internescomme objet de perception immdiate. Le psychologuepeut s'en emparer, les associer deux deux, faire dechaque couple une loi spciale.

    Quant au principe, il chappe l'observation; et laraison lui applique des notions dont rien ne garantit la

    valeur objective. Nous le concevons comme substanceet cause, tout en ignorant s'il y a rellement en dehorsde notre pense des substances et des causes.

    1. Sans doute les psychologues contemporains sont amens tudier l'in-conscient, pour clairer l'origine et les conditions des faits internes. Mais leurdivision des facults de l'me ne lui fait aucune part directe, la diffrence dela division thomiste, comprenant les nergies de l'me, et non pas seulementcelles du moi.

  • 10 PSYCHOLOGIE

    Il en rcsiillerail que chercher dterminer la nature

    de rame, serait s'engager dans une voie sans issue, entre-

    prendre une tude voue d'avance la strilit.Yll. Les positivistes dclarent aussi la mtaphysi-

    que impuissante, ou, ce qui revient au mme, lui assi-gnent pour objet l'inconnaissable.Et mme tel d'entre eux, Taine notamment, parait aller

    plus loin encore, et n'admettre d'autre ralit que celle

    des faits. A ce compte, les substances et les causes neseraient pas seulement de Vinconnaissable, mais de r?V-rel, et de Vinexistant ; et la psychologie rationnelle per-

    drait, avec son objet, toute sa raison d'tre.En face de ces ngations, quelle sera l'attitude des phi-

    losophes spiritualistes?

    YIII. La meilleure, notre sens, est celle qui nousest suggre par la doctrine de Maine de Biran, dontnous devons ds maintenant donner une ide au lecteur.La science exprimentale est tous les jours clbre

    cause de son caractre positif, parce que ses donnessont observables. C'est le secret de la faveur accorde la phnomnologie de l'esprit. Mais en considrant leschoses de prs, nous constatons que les caractres onto-logiques du sujet pensant, notamment l'unit, l'identit,l'activit, sont perus par la conscience.

    Prenons un fait bien lmentaire, celui de l'effort. J'aile sentiment immdiat de l'ellort musculaire, et, par intui-tion, je saisis la diffrence qui le spare d'une affectionpurement passive, par exemple de la douleur causepar un mal de dent. La diffrence, c'est que l'effortvient d'une force qui est moi, tandis que l'affection estplutt subie par moi. Je ne puis percevoir l'effort avecson caractre distinclif, sans percevoir du mme coupune force en exercice, par cons([uent une cause. Il enrsuite que la conscience, facult minemment percep-tive, apprhende l'existence d'une cause efliciente; que

  • NOTIU.N CIvNKRALi: DK LA PS VCIIO LOf; I K H

    cc'llo notion, lalioiiiit'llc au [ticmier clu'l", prcnil rang'|iainu K's donnes obscrvubl(;s, et que la mlapliysiquerevi'l, (iiiol([ues gards, le caractre d'une science posi-

    tive et exprimentale.

    (lnralisons le procd. L'analyse de la consciencepsychologique dgage l'unit du moi; celle du souvenir,l'identit; le sentiment le notre libert suppose celui de

    l'activit.

    Dans l'lude de chaque facult, l'me se rvle par unattribut mtaphysique inhrent sa constitution. Sup-primer l'examen de ces attributs, serait mutiler ou dii-

    gurer la notion des facults elles-mmes, base sur l'ex-

    prience.

    D'autre part, ces caractres ontologiques du moi, unit,identit, activit, reprsentent dans l'difice psychologi-

    que autant de pierres d'attente pour la partie rationnelle,

    autant de prmisses sur lesquelles repose la dmonstra-tion de l'immatrialit de l'me. iSous le verrons l'issue

    de cette premire question.Ce sont des raisons puissantes qui engagent ne pas

    sparer les deux sections du trait, car elles sont uniespar la plus troite solidarit. Mieux que toute autre, lamthode inaugure par Maine de Biran sauvegarde cettesolidarit. Aussi nous semble-elle rpondre aux exigen-ces du spiritualisme contemporain.

    IX. Il nous reste dire quelques mots sur la ma-

    nire dont la psychologie est enseigne de nos jours.1 Le rsultat gnral des thories que nous venons de

    mentionner, celle de Biran excepte, a t de mettre en

    honneur, pour toutes les coles, l'tude descriptive des

    faits internes, et bien souvent de dprcier, mme pour lesspiritualistes, celle du principe. Ouvrez les traits de phi-

    losophie rputs les plus corrects, vous serez frapp du

    contraste.

    Dans la premire moite, vous trouverez expose, avec

  • 12 PSYCHOLOGIE

    la plus grande tendue, avec des dtails souvent minu-

    tieux, l'analyse des phnommes mentaux. Puis, aux der-nires pages, vous verrez condenss en quelques cha-

    pitres, sous le nom de mtaphysique, les problmes les

    plus graves qu'il soit donn l'esprit humain de poser.De plus, dans les divers organes de publicit scientifi-

    que, cette mme tude est reprsente comme une suitede questions insolubles, de spculations striles, o ladiscussion renat sans cesse pour ne jamais s'puiser, oiiles opinions les plus contradictoires se produisent avec

    une gale apparence de vrit.

    Ce discrdit ne peut qu'ajouter encore la prpond-rance de la science exprimentale, qui largit son do-

    maine dans la mesure oii la mtaphysique rtrcit lesien.

    2 Du reste, ces dveloppements et ces progrs sontencore favoriss par une conception plus large de la m-thode. Le vrai disciple de Descartes, ceux de Locke etmme de Thomas Reid, s'en tenaient peu prs unique-ment l'introspection : observer les faits qui se produi-sent dans le moi, distinguer leurs caractres, les lier par

    des rapports invariables, telle devait tre, leurs yeux,

    la tche du psychologue. Qu'obtenait-il ainsi? La pein-ture fidle de son tat intrieur, de l'intrieur du philo-sophe, non celui de la plupart des hommes. Car il fautbien convenir que le rsultat d'une observation, exclusi-vement personnelle ne peut tre gnralis, sans dan-ger d'erreur. Le philosophe doit beaucoup la religiondans laquelle il a t lev, la nation civilise dont ilfait partie, l'ducation intellectuelle, aux inspirations

    reues de ses devanciers, ses propres mditations. Etces inlliicMcc's ont eu \h)\w cllct de dvelopper certainesinclinations de sa milure un degr particulier, peut-tre d'en affaiblir quel([ues autres. L'exercice quotidiende la rllexion, les joies pures et austres de la pense,

  • NOTION C.I'NKllAM': DE I.A l'S V ( .11 o I.OC I !: |;{

    ont tl lever ses Mies, iiiiuli-er liuuleiir de ses passions,amortir certains peucliaiils infrieurs.

    Sa physionomie morale n'est donc pas exactement cellede riiomme sans culture, surtout de l'homme tranger la civilisation, ([ui adore des fticlics et vit dans les plusgrossires superstitions. Kl s'il voulait leur appliquertout ce (ju'll constate en lui-mme, l'induction pcherait'par excs.

    Rien ne peut suppler une information directe, faite endehors de nous, chez nos semblables.

    L'observation externe est encore ncessaire pour pren-

    dre connaissance des tats anormaux, tels que le rve, lesomnambulisme, l'hallucination, la folie, et pour dcrirela vie psychique de l'animal, dlimiter la partie des facul-ts humaines qu'il convient de lui attribuer, et celles quenous devons tenir pour incommunicables. Cette tude estappele psychologie compare. Nous dsignons sous lenom de psychologie compare ou de psychologie socio-logique, comme l'appelle Ilffding, la psychologie desanimaux, des peuples sauvages ou demi-civiliss, de l'en-fant, du langage, de la littrature, etc.-. Nous devons signaler aussi des procds d'application

    rcente qui, dans la pense de leurs auteurs, devraientreproduire le caractre positif des mthodes scientifiques.Ce sont les suivants : psychophysique, psychomtriepsychophysiologie, psychopathologie.

    Le nom de ps/jc/iop/iysique dsigne souvent l'tude

    1. A celte lude se rallache la science des caraclres, de cration aussircente. Le rapport qui l'unit la psychologie exprimentale est nettementindiqu par M. A. Fouille, dans la prface (p. 9) de son ouvrage intitul : Tem-prament et Caractre. La psychologie gnrale n'tudie que les lois abstrai-tes; la psychologie des caractres tudie les types produits par la combinaisonparticulire des lois gnrales et servant classer les individus. Elle est moiti chemin entre ces termes extrmes : l'universel et l'individuel. Commeessais du genre, nous citerons les ouvrages de M. Henri Joly : la Psychologiedes c/rands hommes, la Psychologie des saints; ceux de M. Paulhan : les Ca-ractres; de >L Prez : le Caractre de l'enfant l'homme.

    2. E. Peillaube, Revue de philosophie, 1" dc. 1902, p. 108.

  • U PSYCHOLOGIE

    exprimentale de la vie consciente et quivaut celui

    (le psychologie exprimentale. Fechner, qui l'a, sinon

    invent, du moins fait accepter en publiant Leipzig,

    en 1860, un livre intitul lmnits de psychophijsique,l'entendait dans un sens plus restreint, que nous lui con-

    servons ici. Il comprenait, sous ce titre, la recherche du

    rapport qui unit la sensation et l'excitation physique.

    Les psychophysiciens', l'origine, se proposaient de

    mesurer les tats de conscience comme on mesure les

    phnomnes du monde physique, et de les faire entrerdans les lois gnrales du mouvement. Ils traitaient lavie consciente comme si, au Heu de se dvelopper dans le

    temps, elle se dveloppait dans l'espace. Ils abordrent

    cette tude par les sensations, phnomnes lmentaireset relativement simples, dont la cause, l'excitation, a une

    grandeur extensible et mesurable. Ils pensaient qu'entablissant une relation mathmatique entre l'excitationet la sensation , on parviendrait mesurer la sensation

    elle-mme.hvi psijchomtrie est plus cultive de nos jours que la

    psychophysique; la plupart des recherches institues dansles laboratoires de psychologie exprimentale ont pourbut de mesurer la dure des processus psychologiques,les temps de raction.

    On essaye de dterminer le temps qui s'coule entre lemoment o une impression est produite sur un sujet etle moment o le sujet ragit. Dans certaines expriences,le sujet doit ragir d'une manire dtermine, d'aprs lanature de l'excitation qu'il ne connat pas et qu'il lui fau-

    1. Voici nu .s])i'cimcii des exprioucos de l;i psycluipliysiqne. Des ol).scrva-lions fiiilcs eu Alleiniigne oui eu pour rsultai de dlermiuer le minimum del'excitiilion ncessaire pour produire une sensation apprciable la conscience.Ou prtend que pour le toucher le minimum sensihle varie de 0''',002 03',05. Les rgions les plus sensiitles sont le front, les tempes, les paupires, led )s de la main. Le plat de la main, les ongles, les jambes et le lalou >, sont lesmoins sensibles. (IIiuot, Vsychol. allem., p. 17'?.)

  • NoritiN iii:M;uAi-i': ni-: i,.\ l'svc.iioi.ocii': i:;

    (Ira a|>|)i'(''c'i(M' : (Milro rexcilalioii ol la i'(''aclioii, il s'coule

    un iiilorvallt' do lonips occu|) des compuraisons, deslisilalioiis. D'aiilres fois, ou laisse le sujet lihre de choi-sir le uiode de racliou; dans ce cas, la raction est tou-jours plus prompte.

    Le temps de racliou varie avec les condi lions danslesquelles l'exprience a lieu, selon ([ue le sujet lait oune fait pas attention, qu'il est et n'est pas averti du moded'excitation, ou du mode de raction, ou du but que l'onpoursuit. Avant de gnraliser les rsultats, il faut recher-

    ciier dans quelles conditions et sous quels rapports dter-

    mins les expriences ont eu lieu. Les rsultats n'ont devaleur qu' ce prix.

    Un ordre de recherches trs en honneur dans les labo-ratoires, c'est la dterminalion des diffrences individuel-les sous le rapport de la sensibilit, de la mmoire, del'habitude, de l'imagination. On tudie comment et pour-quoi une perception actuelle voque tel groupe de repr-sentations plutt que tel autre. Un mme objet, un arbre,par exemple, suggre des images bien diffrentes suivantqu'on est peintre, agriculteur ou bcheron...

    hsi psi/c/iophi/siologie iend plus spcialement rappro-cher les deux parties de la nature de l'homme isoles parl'abstraction : la nature organique et la nature psycholo-gique. Elle postule un certain paralllisme.

    Son idal primitif, trs voisin de l'ancienne psychophy-sique, fut d'tudier les mouvements lmentaires de lamatire nerveuse, et particulirement du cerveau, d'endterminer les lois et d'arriver ainsi constituer une sortede mcanique crbrale dont la prtendue vie de l'espritne serait qu'une traduction, un reflet, un piphnomne.Elle a vu cet idal s'loigner de plus en plus : non seule-

    ment on ne sait rien des mouvements de l'tat crbrallmentaire, mais on ne voit mme pas la possibilit d'enrien savoir. Aussi beaucoup de ses partisans ont-ils repu-

  • 16 PSYCHOLOGIE

    di toute mtaphysique matrialiste, pour admettre sim-

    plement que chaque phnomne psychologique a sonsupport matriel dans un phnomne physiologique d-termin. C'est encore un postulat; il ne hlesse en rien les

    convictions spiritualistes, mais il n'est pas dmontr. Ce

    qui parat tahli, c'est que toute forme de la vie cons-

    ciente, mme la plus idale, retentit de quelque faondans la vie organique.

    La psychopathologie ou psi/chologie morbide a rendu et

    continue rendre les plus grands services la psycholo-

    gie normale. Elle comprend deux catgories de faits par-ticulirement instructifs, concernant l'alination mentale

    et les maladies de l'esprit.

    Les faits d'alination mentale ne sont que le grossisse-

    ment et l'exagration de certains phnomnes de la viecourante. Entre la simple illusion des sens qui se produit

    chaque instant et que l'on corrige aussitt, et l'halluci-

    nation du fou, on peut intercaler une srie d'hallucina-

    tions intermdiaires, dont les unes sont immdiatementrectifies, dont les autres ne le sont que difficilement, ou

    mme ne le sont jamais. Le dlire systmatis est analo-gue ces cristallisations qui font converger vers un mmepoint nos tats de conscience du moment : le point deconvergence peut tre une ide simplement intense, il

    peut tre aussi une ide dlirante, l'ide des grandeurs,

    par exemple. L'lude de ces faits constitue une mthodede grossissements

    L'ensemhle de ces procds est dsign sous le nom demthode objective, par opposition la mthode base surl'observation interne, qui est dite subjective.

    Des considrations dveloppes au cours des pages pr-cdentes, dgageons les trois points qui nous paraissentles rsumer assez fidlement.

    \. Iv l'iilliuibo, Ikvuc di: philosophie, l'^dc. Wi, p. lUi ol suiv.

  • NOTION GKNKUALK \)K LA l'S V C Ho Ijxi I K i?

    \. Conclusion. r Les lucillciiis i('|)icscnlants de1 l'ctilo llioinislo se nioiili'eiil aujourd'hui lis lavorables l'emploi do la mlliodc objective, surtout en ce qui con-cerne les rapports du physique et du moral, les comli-lions physiolo|;,it|ues do la sensation et de l'imaj^e. Riendo plus lgitime : ils s'inspirent en cela des traditions dela philosophie pripatticionnev

    2" ^lais il nous semble que plusieurs d'entre eux nefont pas inie part assez large l'introspection. Non pasqu'elle soit totalement nglige : la force des choses s'yoppose, car sans l'observalion intrieure nous n'aurions

    pas l'ide d'un seul phnomne psychique.Pour concevoir le plaisir, la douleur, la sympathie, les

    sentiments moraux ou esthtiques, la libert..., il fautles avoir connus au dedans. Si le sens intime nous man-quait, il nous serait aussi difficile d'en acqurir la notion,qu'il est malais un aveugle-n de se former celle decouleur. De mme que nulle combinaison de saveurs,d'odeurs et de sons ne produit la reprsentation de cou-leur, aucune pareillement ne produira l'ide d'amourmaternel ou de pit filiale. Ces concepts sont d'un ordre part, trangers de tout point aux conditions de la ma-tire tangible et palpable, trangers par consquent nosfacults sensibles, organises pour la perception des objetscorporels.

    Disons plus : les lments recueillis en nous-mmesclairent les manifestations de la vie psychique en nossemblables ou dans la brute. Vous entendez le cri de dou-leur pouss par un animal, les sanglots d'un enfant. Ilsrvlent un fait sensible, la douleur. Sans doute, si, pra-lablement, vous avez constat en vous l'union du physi-que et du moral, rassocialion forme par la nature entrenos sentiments et leur expression vocale, la prsence del'un des termes associs vous suggrera celle du second.Mais si vous supprimez la conscience, avec elle disparai-

  • 18 PSYCHOLOGIE

    tra l'un des termes du rapport, le fait psychique; il ne

    restera qu'un son, cri ou sanglot. Vous les entendrez, et

    ne saurez pas les interprter. Vous serez dans la situation

    d'un voyageur qui, n'ayant jamais vu de feu, apercevraitde la fume. Devinerait-il que la fume est le signe dufeu? Nullement. Elle serait pour lui un phnomne isol,dont il ignorerait la cause. Ainsi, sans les indications de

    votre propre conscience, la conscience d'autrui resterait

    lettre close. Il n'y a que l'esprit qui connaisse l'esprit :

    on ne voit pas la pense du dehors, on y assiste dudedans ^

    Si nous insistons sur cette vrit lmentaire, c'est

    principalement en faveur des tudiants des grands smi-naires, qui ces lignes s'adressent spcialement. Il yaurait pour eux des avantages signals s'initier, dans

    une large mesure, la pratique du procd. Nous ne pou-vons qu'numrer ces avantages :

    A. Les faits internes bien dcrits et bien interprts

    sont la clef de la psychologie mme rationnelle, et jettentbeaucoup de lumire sur les autres parties de la philoso-phie. Nous n'avons qu' dgrader notre vie mentale pournous faire une ide de l'animal; comme, d'un autre ct,

    il suffit de la purifier de ses dfectuosits, et de la porter

    sa forme la plus haute, pour concevoir les attributsdivins.

    B. Ces faits clairent aussi bien des questions thologi-

    ques : par exemple, la thorie de l'acte humain, la certi-tude morale, le rle de la volont dans la croyance, lesvertus thologiques, la plupart des vertus morales, laconnaissance de l'me de Notre-Seigneur et de ses mys-tres.

    C. Le prtre est, par tat, le directeur des mes. Or,pour diriger les mes, il faut les connatre. Que de belles

    1. .I;iiielel Saillcs, lUsluirc de la jikilosaiili/c, p. 40.

  • NOTION r.KNHAl.i: I)K [,A PS YCIIOLOGIK 19

    pages (le psychologie chrtii'iuu' nous olrenl les (Miivaiiisas(.-li(|iit's ! I^llcs ^a-^iiciaiciil, aux yeux d'un ^imihI iioiii-

    bre (le loclours, lvo relies (rime manire scienlili([iieaux lois mentales, dont elles sont, sous certains rapports,l'applioation. La Psychologie des saints de M. Joly a tune premire tentative.

    D. L'orateur sacr, lui aussi, doit analyser les mobiles

    du cur humain et en faire de vives peintures.E. Si l'argumentation forme le mtaphysicien , c'est

    l'analyse des faits de conscience, qui prpare, en partie, le

    critique. Car les arguments intrinsques d'authenticit et

    d'intgrit, pour les documents historiques, se basent, leplus souvent, sur des particularits refltant le caractre

    de l'auteur, ses habitudes d'esprit, ses prjugs, ses ima-ges les plus familires, le mouvement de sa pense, sonvocabulaire... Or, le meilleur moyen de se rendre apte discerner les lgers indices, les menus traits, les multi-

    ples dtails, presque imperceptibles, qui en se combinantconstituent des arguments srieux, c'est l'analyse des ph-

    nomnes de conscience. Il est vrai de dire que telle tuded'authenticit en faveur d'un ouvrage ancien n'est qu'une

    page de psychologie applique.

    F. Enfin, la plupart des uvres de notre temps portent

    le cachet de la psychologie. M. Taine a puissamment con-tribu de nos jours donner ce caractre l'histoire. Sousdes influences analogues, le roman, le drame, le pam-phlet, sont devenus des peintures d'tats d'me. M. Paul

    Bourget essaye, par la voie du roman, une apologie des

    grandes vrits de la philosophie sociale... Pour ne pas

    rester tranger au courant intellectuel de ses contempo-

    rains, le prtre doit s'exercer manier le mme instrument.En revanche, aprs avoir accord lgitime satisfaction

    la tendance exprimentale, il convient de s'lever au-

    dessus des phnomnes, jusqu' l'analyse du principe.L'examen des faits est une introduction destine pr-

  • 20 PSYCHOLOGIE

    parer celui de leur cause. En d'autres termes, la psycho-

    logie rationnelle doit rester troitement unie la psy-

    ciiologie exprimentale.3 La scission qui cre un intervalle presque infran-

    chissable entre le paratre et l'tre, la phnomnologie de

    l'esprit et sa mtaphysique, est adopte par la plupart

    des ouvrages de philosophie contemporains, et consacre

    par le programme du baccalaurat es lettres, qui place

    au premier rang l'tude des facults de Tme avec sesdveloppements et ses applications en logique et en mo-

    rale, pour relguer l'tude de l'me elle-mme l'arrire-

    plan, dans le recueil des questions mtaphysiques rpu-

    tes presque toujours insolubles.Cet isolement est absolument contraire aux lois de la

    logique'.

    Ces lois, en effet, demandent que l'on spare le moins

    possible la conclusion des prmisses. Or, la psychologie

    rationnelle comprend un petit nombre de thses qui serelient aussi directement aux analyses des faits internes,

    que la conclusion se rattache aux prmisses. La thse

    (le l'immatrialit, par exemple, se confond presque avec

    l'affirmation des caractres mtaphysiques propres cha-cune de nos facults. Nous l'avons dj dit, la consciencene se conoit pas sans l'unit du sujet pensant, la m-moire sans son identit ; la libert suppose l'activit,

    dont elle exprime seulement une forme plus leve. Or,ces caractres ontologiques une fois bien tablis en psy-

    chologie exprimentale, il n'y a plus qu' en infrer ladistinction de l'me et du corps.

    1. Imililc (U; faire rcmiirquer qvi'il csl avissi fort in-L'jiuUciiiljle rcnspiyne-meiit m(''tapliysi(iuc, dont les solutions, dtaches de leur base exprimentale,rvlent l'apparence de frles hypothses. Si l'on ajoute que, dans la plupartdes traites de date rcente, cet enseij^uemcnt se rduit quelques leons, qu'ilest prsent sous une forme sche et rapide, alors que les inlrls moraux lesplus tjraves sont en jeu, l'on concevra que nous ne puissions nous empcher dele regretter amrement.

  • NOTION (;i-Nl':ilALK DK I.A lS Vdl OI.OC I F. 21

    L'Amo est libre. La malire es! incite. iJuiic l'iiK.' nCslpas matire.

    Le principe pensant reste identique lui-mme dansle temps, tandis (jue l'organisme se renouvelle priodi-([uement. Donc ils ne sauraient s'identifier.

    l*our les problmes relatifs l'union de l'me et ducorps, les prmisses sont empruntes aux conditions pby-siologiques des phnomnes internes

    Sans doute, en maint endroit, la discussion offrira desdifficults. Mais n'est-on pas en meilleure situation pourles rsoudre, lorsqu'on se trouve encore prs du terrainsur lequel l'antcdent a t pos, avec les dtails d'ana-

    lyse propres en claircir le sens et la porte, et que ces

    dtails sont encore prsents l'esprit du lecteur? Quegagnera-t-on placer des traits entiers d'un ordre dilT-

    rent, logique et morale, entre ce que nous avons appelles prmisses et la conclusion? S'il veut remplir cons-ciencieusement sa tche, le professeur se verra oblig de

    rappeler des analyses dj faites au dbut du cours, etpour n'avoir pas voulu, en psychologie, achever l'tude

    d'une question mtaphysique, il se verra rduit rpter,en mtaphysique, une question de psychologie expri-mentale.

    Et quelle est la raison allgue pour lgitimer la spa-

    ration? Sans doute, le dsir de ne pas mler la sciencede l'tre celle du paratre, la mtaphysique la phno-mnologie de l'esprit. Mais on n'obtiendra jamais une ph-nomnologie pure de tout alliage ontologique. De l'aveuunanime, la question du libre arbitre fait partie de lapsychologie exprimentale, et le sparatiste le plus r-

    solu ne saurait l'en bannir. Or, la thse de la libert

    affecte mi caractre minemment mtaphysique, attenduqu'un tre libre est une cause efficiente, une nergie

    productrice, au sens rigoureux des termes. Il est donc

    impossible d expurger tous les lments ontologiques de

  • 22 PSYCHOLOGIE

    rlude relative aux faits internes; pour y arriver, nos

    adversaires devraient rayer de leur programme nombrede questions' essentielles dont la suppression mutilerait

    la psychologie. Ds lors, puisqu'il faut se rsoudre, bongr, mal gr, introduire la mtaphysique dans l'examendes faits de conscience, pourquoi s'arrter mi-cheminet ne pas mener jusqu' son terme l'tude du sujet pen-sant, en joignant la partie rationnelle la partie expri-mentale? Pourquoi couper en deux un trait qui portel'empreinte de l'unit et qui gagnerait une clart et une

    force nouvelles tre expos d'une faon continue?Afin de joindre l'application la thorie, nous consa-

    crerons la premire partie de cet ouvrage la dynamolo-gie, et la seconde la psychologie rationnelle.

    1. Telles sont la notion de facult, principe d'une srie de faits irrductibles,la notion de l'effort musculaire, de l'efort intellectuel (l'attention), la consciencequi peroit le moi, substance et cause; l'explication du plaisir et le lien quil'unit l'exercice de l'activit, les attributs mtaphysiques du moi, l'unit etl'identit.

  • pri^:mikre pautiePSYCHOLOGIE EXP R I IVI ENT ALE

    SECTION PREMIRE\otioiis gni'i'iles sur les puissances

    psychologiques.

    Article premier. La puissance, la facult.

    L'empirisme n'admet que des faits ou des rapports defaits. Les mots facult, capacit, pouvoir, qui ont jouun si grand rle en psychologie, ne sont que des noms

    commodes, au moyen desquels nous mettons ensembledans un compartiment distinct tous les faits d'une espcedistincte; ces noms dsignent un caractre commun aux

    faits qu'on a logs sous la mme tiquette ; ils ne dsi-gnent pas une essence mystrieuse et profonde qui dure et

    se cache sous le flux des faits passagers'.

    Mais, rencontre de l'empirisme, les spiritualistes

    reconnaissent unanimement que la facult psychologiqueest un principe. Nous retrouverons presque chaque

    page de ce livre l'cho et la justification de cette ide :aussi n'est-il pas expdient d'y insister maintenant.

    Toutefois, leurs manires de voir ne sont pas de toutpoint identiques.

    L Depuis les analyses de l'cole cossaise, facultsignifie \epri?icipe d'une classe irrductible dfaits de cons-

    cience.

    1. Taine, De l'Intelligence, prface, p. 1.

  • 24 PSYCHOLOGIE

    Or, on appelle fait iiTductible, celui que l'on ne peut

    dcomposer en des faits plus simples. Ainsi les phnom-nes cognitifs sont irrductibles, parce que j'essayerais envain de les ramener d'autres phnomnes plus lmen-taires. J'aurais beau associer le sentiment du plaisir un

    autre sentiment, la combinaison ne donnera pas lieu un

    fait cognitif. Aussi les psychologues admettent que con-

    natre et prouver des motions, figurent deux types bientranchs de faits de conscience. En revanche, le langageest un fait complexe, car il suppose une connaissance, un

    mouvement de l'organe vocal. Faction de la volont sur

    cet organe...; et il rsulte de la combinaison de ces l-ments.

    Les phnomnes attribus une facult psychologiquerelvent du sens intime. Nous l'avons dj remarqu dansles pages qui prcdent, en signalant la diffrence designification qui existe entre facult et puissance. Par

    puissances, on comprend toutes les nergies de l'me, sansaucune exception, que leur fonctionnement se drobe laconscience, comme celui des forces vgtatives, ou bien

    qu'il s'accomplisse sous son regard, comme les oprationsde l'entendement. Par facults, au contraire, on entendune espce particulire de puissances, celles qui sont sus-ceptibles d'tre diriges, par consquent qui sont con-nues, observes, analyses la hmiire du sens intime,et directement soumises l'empire de la volont libre.Les modernes tudient des facults, tandis que les philo-sophes du moyen ge tendaient leurs recherches toutesles puissances de l'me.

    Mais cette diffrence n'est pas la seule signaler. Il yen a une autre, d'une certaine porte doctrinale et quidemande des dveloppements.H. La puissance psychologique est un principe

    secondaire d'opration. Or, l'opration a ses prludes etses suites; et, dans la thorie thomiste, la srie entire

  • l'svciKiij;!!': KXi'in.MKNTA i.K 2.-;

    lies {(rcliulos cl dos suites iinmdiatos est uUrilnic lamt^mc puissance. Prenons pour exemple rintellect. Nousavnus (l'ahoi'd //// principe niitmionic iVactivil, dou (Vin-c/itntn'uHS spciales; ensuite la dtermina tio)i de ce prin-cipe par les donnes des sens internes ou de l'imagina-tion; Yacte de la connaissance; la dlectation, sentiment

    do l'inclination satisfaite, elTet momentan de l'acte; 17m-bitiide, son eiret durable.

    Le saint docteur rapporte rentendemcnt les cinqmanires d'otre : l'inclination connatre, la dtermina-tion reue par rintellect, l'acte de connaissance, le plaisir

    qui l'accompagne, lorsqu'il se produit en des conditions

    normales, l'habitude intellectuelle, rsultat permanent.

    Parcourons les membres de cette numcration.1 Uautononiie est le propre des tres vivants : vivre,

    c'est se mouvoir soi-mme, tre le principe de son mouve-ment, 7'atio vit niovere seipsum. Vivere dicuntur aliqua,

    secundum quod operantur ex seipsis, et non quasi ab aliismola, a dit saint Thomas*; la diffrence de la matirequi est inerte, l'me et ses facults ont de l'initiative,

    une activit spontane qui se met en jeu la premireincitation de l'objet.

    En effet, pour que l'acte se produise, il faut, au prala-ble, que l'objet vienne nous, qu'il fasse, pour ainsi dire,

    le premier pas, dtermine la puissance le rechercher, en

    lui assignant une direction et un but.2 Au dfaut de cette dtermination, elle resterait dans

    un repos qui ne serait pas le nant de l'tre, mais le nantde l'action. La nature y a pourvu en multipliant, autour

    de nous, les stimulants.

    Nous entendons par stimulants, par exemple : l'espce

    sensible, condition de la perception extrieure; la sensa-

    tion ou l'image, condition de l'espce ralise par l'intel-

    1. I, q. xvni, art. 3.

  • 26 PSYCHOLOGIE

    lect agent; Tespce intelligible, milieu ncessaire la

    pense; la connaissance du bien, mobile de l'appctit...Pour nous borner expliquer un seul de ces cas et le

    plus simple, la vision des objets matriels ne peut s'effec-tuer sans la formation pralable de l'image visuelle. Pen-

    dant la nuit, cette formation tant impossible, ma vuereste sans exercice, bien que l'organe et la facult soient

    dans un tat sain. Cela prouve la ncessit d'une dtermi-nation pour mettre en acte cette facult, la tirer de son

    indiffrence et lui donner une application prcise. A cer-tains gards, c'est l'objet qui prend l'initiative de l'union,en agissant sur l'organe visuel ; c'est lui qui nous prvientet nous sollicite. Nous rpondons ses avances en nousportant vers lui, pour le connatre, et en prendre, pour

    ainsi dire, possession.

    La difficult serait de concilier les deux conditions djnonces : un principe qui a besoin d'un stimulant pourpasser de la puissance l'acte semble manquer d'autono-mie et de spontanit. Nullement; et pour rsoudrel'objection propose, il suffit de remarquer que la ractiondpasse de beaucoup l'incitation, qu'elle est d'un ordrebien suprieur. Par exemple, l'objet color produit surl'il une impression physique, qui donne lieu l'imagevisuelle et la perception. La perception tant d'un genreplus lev que la simple impression organique, d'oii vientla diffrence? Prcisment de l'initiative propre nosfacults. L'me y a mis du sien, parce qu'elle recle unfoyer d'activit propre, avec inclination au mouvement.Dans la matire qui est inerte, le mouvement produit esttoujours gal en quantit au mouvement reu, la dpensegale la recette, la raction est l'expression pure et sim-|)le de l'action. Si la loi des ractions* psychologiques est

    1. T(Miles ces n'acUons, sans oxccpUon, sont suprieures rincilalion :rimage vaut moins que l'espce intelligiljle, fruit de rinlellect agent; l'ide dubien, moins que l'amour de ce bien...

  • PS VCIlol.OCli: KM'KIU.MKMALIi: 27

    loulo contraire, c'est (juc riuc n'est pus inerte comme lamatire, et que la dtermination dont nous avons parlia seulement pour elVet d'veiller nos iacults, pour y [iro-

    voquer l'emploi de ressources latentes.3" C'est Vopcralion qui figure, proprement parler, cet

    essor. Dj, raison de sa constitution, la puissance con-tenait l'exercice en germe, ou, j)lus rigoureusement, l'tat potentiel, qui est plus pauvre et moins parfait quel'tat actuel. Aussi, en le ralisant, en le tirant d'elle-

    mme, se donnc-t-elle un nouveau degr d'tre analogue sa nature, un accroissement. L'acte est pour la puis-

    sance ce ([u'est l'expansion pour la force, le vol pour l'aile

    de l'oiseau, un perfectionnement virtuel, qui la complteet l'achve.

    4" Accomplie dans les conditions normales, l'oprationest accompagne a plaisir, parce que, en ce cas, le sujetpasse d'une perfection moindre une perfection plusgrande, et que le plaisir n'est que le sentiment de cet tat

    meilleur, le sentiment d'une activit se dveloppant selonses propres lois, l'cho port la conscience d'un pro-

    grs immanent. Operationes sunt delectabiles in quan-tum sunt proportionat et connaturales operanti'.

    D'aprs Aristote, la dlectation n'est pas l'acte, mais un

    surcrot qui s'ajoute l'acte comme la jeunesse sa tleur.Dans un langage plus austre, saint Thomas ajoute :(( Cum dicitur quod delectatio est operatio, non est pre-dicatio per essentiam, sed per causam-. Au lieu del'identit, nous avons un rapport de dpendance : le plai-sirn'est pas l'acte, mais une modalit qui en dcoule et s'yattache, une sorte 'piphnomne. L'exprience tmoignede cette relation, car elle nous montre que souvent nous

    aimons Faction pour elle-mme. L'enfant et les jeunesanimaux trouvent du plaisir aux mouvements vifs et rapi-

    1. 1" 2", q. XXXII, art. 1".

    2. 12='^, q. XXXI, art. 1".

  • 28 PSYCHOLOGIK

    des. Au matin de la journe, l'amateur de chasse lche-rait le livre la recherche duquel il va courir de longues

    heures. Si la vrit tait dpose dans ma main, disait un

    dilettante, je la laisserais s'envoler afin de la poursuivre

    encore : il dsirait donc penser pour penser, agir pour

    agir. Les travaux intellectuels qui passionnent davantagele petit nombre de ceux qui les cultivent sont ceux quirequirent la rflexion la plus intense.

    Au rebours, la douleur est le sentiment d'une activitcontrarie dans son dveloppement, ou bien s'exerant endes conditions anormales.

    Au fait qui passe, joignons la disposition qui reste pouren faciliter le retour, l'habitude.

    5 Tout le monde convient que Vhabitude est formepar la rptition des actes. Ex multiplicatis actibus gene-ratur qualitas qu vocatur habitus, dit saint Thomas

    ^

    Cause parles oprations qui prcdent, elle favorise, rendplus aises, plus promptes, plus efficaces, celles qui sui-

    vent. Il est donc naturel de la rapporter la puissancequi a produit les actes dont elle est le rsidu.

    Aussi bien que saint Thomas, les psychologues contem-porains admettent cette mme loi d'origine, vrifie cha-que jour du reste par l'exprience la plus lmentaire. Maisau lieu d'attribuer Thabitude la facult qui l'a engen-dre, ils la dtachent pour l'assigner une autre facult, decration arbitraire et factice, l'activit, qui comprend djl'instinct et la volont libre. Ils recueillent les habitudesles plus disparates, qu'elles aient rapport la vie organi-que, sensitive, intellectuelle, la vie morale mme (vertuou vice), pour les rapprocher de l'instinct, par la raisonqu'elles en imitent l'inconscience et l'automatisme. Lesaint docteur, qui dj n'a pas voulu sparer la dlectationde l'acte qui la produit, ne saurait en sparer l'habitude.

    1. 1"2--, q. i.i, rii-1.2.

  • PSYCHOLOGIE ! XPIllMLM ALK 29INiur uiu' raison analogue, les mmes aulciiis lenl

    le la srie ordonue quo. nous avons dcrite, l'incliiia-lion et le i)laisir, pour en l'aire le lot (runi; facult [oui,

    arlilicielle, qui est lu sensibilit. C'est que la conscience

  • 30 PSYCllOLOCHE

    sens plutt qu'en un autre, le plaisir et la douleur n'au-

    ront aucune prise sur elle' .

    Il est presque superflu de montrer que l'ide de saint

    Thomas sur l'origine des habitudes, simple expression duplus modeste bon sens, est, tous les jours, reproduite parnos philosophes.

    Tout exercice rpt d'une facult ou tout usage

    d'un organe dans les tres vivants, dit M. Janet, produit

    dans cette facult ou dans cet organe une certaine dispo-

    sition C^^?), que l'on appelle habitude-. La continua-

    tion ou la prolongation d'un mouvement, d'une action,

    d'une impression, d'un mouvement quelconque, est aussi

    propice que la rptition engendrer l'habitude \ A vraidire, elle nat do premier usage de la facult et de l'or-gane; les usages suivants ont seulement pour effet de la

    fortifier. Seul, le premier mouvement, que rien n'a pr-

    cd, ne doit rien l'habitude; c'est lui, au contraire, que

    l'habitude doit sa naissance, c'est lui qui possde primiti-

    vement la vertu de prparer, de faciliter les suivants. Eneffet, s'il n'a pas cette vertu, s'il n'est pas, au moins enpartie, la raison du second mouvement, celui-ci, tant tout fait indpendant du premier, sera lui-mme comme s'iltait premier et le deviendra en ralit'. Il en sera demme des suivants, et la srie entire se droulera sansformer mme le germe d'une habitude.

    Mais, tout en admettant la mme provenance que saintThomas pour le plaisir et l'habitude, rsultat naturel del'activit, au lieu de les rapporter aux facults gnratri-

    ces, les psychologues de nos jours crent tout exprs desfacults nouvelles, purement nominales, qui jouerontsimplement le rle d'tiquettes : par exemple, des moda-

    1. Du l'iaistir rf de la Douli-ur.2. Traitri lie pliilosojihie, p. 2SS.:5. All)(;f( L

  • l'SVr.llOLOGIE KXPKUIMI-NTAI.K 31

    lils siicccssivos (|iii cniisliluciil le [trocessus (le rintellect,ils (ltiiclionl d\u\o pari l'incliiuition i penser cl le plaisirde la pense. [onr en doler la sensibilit. Anonuilio toulau niinns apparente : la sensibilit, qui ne peut j)enser, estcependant incline le faire; elle prouve du plaisir pourl'exereice de la pense, qui lui est de tout point trangre.En revanche, l'intelligence, l'acuit autonome et sponta-ne, est dpouille des inclinations sans lesquelles cettemme spontanit est inconcevable, et de la jouissanceapproprie associe sa propre opration, bien que cettejouissance en soit un simple mode.De mme, c'est une facult toute factice qui s'arroge le

    monopole des habitudes, aprs en avoir dpouill lespuissances qui leur ont donn naissance, et qui seulessont mme de les perfectionner et de les complter.

    Bref, des deux cts nous trouvons les mmes lmentset des liens de mme nature pour unir ces lments. Seu-lement les psychologues contemporains ne font aucunusage de ces liens dans la conception des facults de l'me,sans doute pour dgager les donnes initiales de toutalliage systmatique et ne pas appliquer par anticipation,ds les premires pages du trait, des thories que seulesdes analyses ultrieures peuvent justifier.

    Ces considrations appellent une conclusion. Toutefois,

    il sera plus expdient de l'ajourner l'article suivant. Laquestion que nous allons aborder ayant les plus troites

    affinits avec la prcdente, nous serons mieux mme, l'issue de cet article, de nous prononcer sur la valeur

    restrictive des deux notions.

    Article II. Division des puissances psychologiques.

    I.Avec l'cole pripatticienne, saintThomas comptecinq puissances psychologiques : les puissances vgtati-

    ves, sensitives, l'intellect, l'apptit, et la force motrice.

  • 32 PSYCHOLOGIE

    Signalons immdiatement une irrgularit logique, qu'il

    est ais de faire disparatre. Un seul terme, celui d'app-tit, dsigne deux facults de nature bien dilTrente : l'ap-

    ptit scnsitif, principe des passions, commun la brute et

    l'homme, et Tapplit inlellectif, la volont. La dislance

    qui les spare est exactement la mme que celle des sens l'entendement, parce que la passion est associe des

    conditions organiques, aussi bien que la sensation, et que

    la volont libre avec la raison qui la guide se meuvent

    dans une sphre suprasensible. Aussi y aurail-il dfaut

    de suile grouper la volont et l'apptit sensitif sous une

    mme tiquette, aprs avoir distingu l'intellect des sens.Exig par la logique, le ddoublement de l'apptit est,du resle, en harmonie avec le principe de la philosophiethomiste.

    II. Voici la deuxime conception.(( Les psychologues sont aujourd'hui peu prs d'ac-

    cord, dit M. Rabier, pour reconnalre qu'il y a, ni plus, ni

    moins, trois classes de faits et de fondions psychologi-

    ques : des faits reprsentatifs ou faits inlellectiiels, des faits

    affeclifs' ou sensitifs, des faits volilifs ou de volont-.

    Pour rendre plus intelligible l'nonc'de cette classifi-

    cation, nous devons quelques explications au lecteur.1 Saint Thomas, dans sa division, fait une part aux

    forces vgtatives, que les philosophes contemporains nemenlionneut pas. Nous l'avons dj remarqu. Descartesa limit la psychologie au domaine du sens intime. Cedomaine ne comprend pas l'me tout entire, mais seu-lement une partie des nergies et des phnomnes qui enmanent. A ct de la rgion claire se trouve la rgionobscure, et toutes les forces (jui drobent leur jeu au

    1. La sensiliilili' c^l (riiilnxliiclinn riniilhciiicnl n'ccMite; Descartes, MiiU;-branclie et I^cilmil/. ne Idnl pas admise Ulre spcial. Mais, depuis les cossaiscl Coiisiii, elle s'est (Ii'IiicIh'c des deux auli'es f,T()\ipes, pour se formel' un do-maine il pai'l, (in'clle a conserv dans des Iraili's de psychologie contemporains.

    2. l'sijciioloyie, p. 80.

  • PS Y C 110 LOCH-: KXIM-HIMKN l ALF: 3{

    sons inlinio soiil non avcniios aujourd'hui pour la ckissi-lii-alit)!! tlos faculls huiuaincs. Or, parmi ces ncrj^ics,liguronl les puissances vgtatives. J'ai beau me recueil-lir, jo ne perois pas un seul des phnomnes pliysiologi-(pies qui s'accomplissent dans les profondeurs de l'orga-nisme : digestion, circulation du sang, etc. Ces faitsrelvent de l'observation externe et sont apprhends audehors par les sens; c'est ainsi

  • 34 PSYCHOLOGIE

    voir, entendre, penser, vouloir, et les dlectcations

    annexes pur la nature ces oprations.

    Cette diirence se rattache celle des principes de

    classification suivis de part et d'autre. Un mot sur cesprincipes.

    La loi p:nrale de la mthode est d'clairer les idesconfuses par les ides distinctes, d'aller du connu l'in-

    connu. Or, les puissances de l'me sont moins connuesque leurs oprations, et les oprations elles-mmes moinsconnues que les objets. Nos facults mlent leur jeu dansla complexit de la vie mentale; elles se pntrent et se

    confondent au point que le regard le plus attentif ne sau-

    rait les sparer. Puisque la logique nous autorise induiredu terme l'opration, et des oprations aux puissances,il ne peut y avoir que des avantages procder par subs-titution, c'est--dire nous appuyer sur le connu pour

    diffrencier l'inconnu. Oportet, dit saint Thomas, quodratio potenti diversiiicetur ut diversiticetur ratio actus.

    Ratio autem actus diversificatur secundum rationem ob-jecti'. Cette mthode, du reste, fait corps avec les prin-cipes de l'idologie thomiste, qui nous montre le regard

    de l'esprit se dirigeant au dehors, avant de se rflchir

    au dedans, et qui accorde la connaissance directe la

    priorit sur la rflexe.

    Autant de puissances psychologiques que d'objets for-mels-. Mais entre ces deux extrmes, la puissance et sonobjet, lien n'empche la pluralit de relations : c'est ainsique le vrai, objet de l'intellect, peut tre cherch, connu,got, c'est--dire devenir le terme d'une connaissance,la cause immdiate d'une motion. Un satellite qui gra-vite autour d'un corps cleste peut occuper par rapport

    1. I. q. i.xxvii, ;irl. '.

    2. Un ol)jel considr comme formol est pris sous l'iispecl sous lequel il estaccessible une facult : l'objel formel de reuteiidemeiil, c'est l'lre en laiitqu'il csl susceptible d'tre reprsent, conu, et aflirni-.

  • PSYCIIOLOCIK i:\PKllIMKNTALl': 35

    i ce corps des posilions varies. De nitMiio, on allant son objet, la puissance passe par des tais divers repr-

    sentant les j)hases progressives de son volution.Il s'ensuit (jiu^ la mthode tlioinisle suppose, outre 1(^

    rapport de similitude, impliqu dans toute rduction de lanuilliplieil l'unit, un rapport spcial de finalil, per-

    mettant d'assigner une puissance le systme entier desmanires d'tre qu'elle revt au cours de son mouvementvers l'objet, savoir : l'inclination originelle; la dtermi-

    nation destine l'inciter; l'acte qui en dcoule; le plaisir

    conscutif; enlin l'habitude, rsultat posthume. Ces talsiigurent, pour ainsi dire, les parties de la courbe dcrite

    par la facult autour de son terme. Le lien qui les unit

    peut tre dit lien de iinalit, attendu que chaque antc-

    dent s'ordonne en vue de ses consquents.

    Or, ce mode de groupement n'est pas appliqu par lesphilosophes contemporains, qui, ngligeant le rapport de

    finalit, s'en tiennent la simple similitude.

    Aussi leur classification spare ce que la premire rap-proche : elle dtache de chaque puissance ses modesaffectifs et ses habitudes, pour les placer sous d'autres

    titres. C'est que, au lieu de prendre les objets comme basedel diffrenciation des facults, ils appuient la diffren-ciation directement sur les faits.

    Interprtons leur pense.

    Il y a toujours avantage puiser ses indications le plusprs possible du point en litige. Or, l'acte est plus prs de

    la facult que l'objet. Nous avons le spectacle incessant de

    notre vie mentale, et, aucun intermdiaire ne se plaant

    entre le moi connu et le moi qui connat, la fidlit de lareprsentation n'en peut tre altre.

    Descartes a beaucoup contribu fermer au psycholo-

    gue toute issue hors du moi, puisqu'il a pris pour donne

    initiale le fait de la pense, indpendamment de ses rela-tions l'objet qu'elle exprime : je pense, et lors mme

  • 36 PSYCHOLOGIE

    que ma pense serait doute, erreur, draison ou folie,

    son existence ne saurait en tre infirme. Douter, se trom-

    per, mal raisonner, draisonner mme, c'est encore pen-ser; et penser, c'est exister. De l suit la thorie du doute

    mthodique, fond sur la pense, considre dans sa pure

    subjectivit, abstraction faite de son rapport avec l'objet.

    Nous ne savons des phnomnes subjectifs que ce que laconscience nous en dit. Or, ce n'est pas la conscience qui

    peroit le rapport de l'acte la dlectation qui en drive.

    Entre ces tats elle peroit seulement des diffrences, et

    point de relation causale. Aussi, si l'on s'en tient son

    tmoignage, il est impossible de les attribuer une seule

    et mme facult, et l'on est oblig de les disjoindre.3 Nous arrivons une troisime diffrence conue en

    sens inverse de la prcdente. Saint Thomas spare danssa division les puissances animales des facults spirituel-

    les : disposition fonde en raison et qui trouvera sa justi-fication la plus complte au cours du trait. Car il y a,entre la vie sensitive et la vie intellectuelle, une ligne de

    dmarcation bien accuse : les sens, lies Forganisme, neperoivent que les objets capables de produire des impres-sions physiques, tandis que l'entendement et les facults

    annexes atteignent l'immatriel. La classification scolas-

    tique, expression scientifique de la parole' si souvent

    cite : Homo liabet vivei'e cum plantis, sentire ciim anima-libus, mtdlifjere cum angflis, accorde chaque rgne vi-vant une part bien tranche dans la distribution de nosnergies psychiques; elle dispose ces nergies dans unordre hirarchique, o tous les degrs ontologiques for-ms par la nature sont reprsents. Ainsi se vrifie laconccplion qui fait de riiomme un rsum de l'univers,|/.!/.p'//.07;j.o;.

    Celte progression est moins bien exprime dans le par-

    1. S.iint Grg-uirc le Grand, liomlie 20, in Evangella.

  • PSVCHOI.OC.IK KXI'Kin.MK.N rAI.K 37

    tau,*' t[iii rMinriic les pliriiomnes psychiciuos ;i Irois dus-ses : connaissance, sensibilit, aciivit.

    Car la promic'^ro, celle de la connaissance, se ralla-

    clienl tous les laits cognilirs sans exception, nime les plusdissemblables, depuis la conscience empiri([ue et la per-ception externe jusqu' la notion de liiiliiii cl aux plusliantes conceptions de la mlapliysique. De mme, sous letitre de sensibilit, se groupent tous les phnomnes mo-tionnels, la sensation physique, par exemple le plaisir queTon prouve manger une pche, la douleur qui suit unebrlure; non moins que les sentiments les plus dlicats dela conscience humaine, la joie de la bonne conscience,l'amour du bien moral. Enfin, le domaine de l'activitcomprend non seulement la volont libre, mais aussi laforce motrice ou nergie musculaire, l'instinct et les habi-

    tudes.

    Que penser des deux modes de distribution?III. Conclusion. 1 L'ancienne division est la fois :A. La plus complte, parce qu'elle prsente le tableau

    entier des nergies, non pas seulement du moi, mais del'me;

    B. Celle qui marque le plus nettement la gradation desformes de la vie, et l'ordre chronologique de leur dvelop-

    pement, attendu que l'tre humain commence par vg-ter, pour sentir ensuite, imaginer, raisonner et vouloir;

    C. Enfin, la plus doctrinale, puisqu'elle applique les

    rapports scientifiques qui unissent les divers groupes de

    phnomnes psychiques : inclination, opration, plaisiret habitude.

    2 Au contraire, la division rcente, en dtachant del'opration l'inclination qui la prcde, le plaisir qui

    l'accompagne et l'habitude qui la suit, pour les ranger

    sous de vaines dnominations, altre les rapports formspar la nature, les supprime, pour y substituer des relations

    artificielles et factices, des facults de pure convention.

  • 38 PSYCHOLOGIE

    Cependant on peut dire, la dcharge de ses dfen-seurs, que la vrification de ces relations se fait seulement

    au cours du trait, et que l'on n'est pas tenu de les pr-juger ds l'entre en matire; que l'on doit mme alorsse contenter d'un arrangement provisoire, dgag le pluspossible de toute vue systmatique. Il en rsulte que la

    place de cette classification serait au seuil du trait, sonrle tant de tracer des jalons pour l'analyse.En revanche, pour une raison analogue, celle de la clas-

    sification thomiste devrait tre l'issue de ce mme traitde psychologie exprimentale, dont elle consacre les r-

    sultats gnraux.3 A bien des gards, cette distinction d'un partage pro

    visoire et d'une organisation dfinitive a sa raison d'tre.

    Mais au point de vue pratique, qui est en partie celui dela pdagogie, elle prsente l'inconvnient de compliquerl'conomie du trait, et le danger que ce provisoire de-vienne dfinitif. Car, dans l'hypothse que nous venons

    d'noncer, la division toute nominale de nos adversairestendrait son rseau sur toute la dynamologie, en inspi-rerait l'ordonnance, dterminant, jusque dans le dernierdtail, la distribution des matires. Et le trait tout entier

    se ressentirait de cette influence. Aussi bien, nous en cons-tatons le rsultat dans les ouvrages contemporains, l'allure si peu doctrinale, rduits le plus souvent des

    descriptions empiriques, relies entre elles par des titres

    purement conventionnels i mthode pleine de pril, sin-gulirement favorable au phnomnisme.

    Avant de terminer ces gnralits, disons quelques

    mots du rappoit qu'il convient d'tablir entre la puis-sance psychologique et son principe.

  • psYCiiOLOcii: i:\iM:in.Mi;Ni'Ai.K 30

    AiiTicLi: 111. Rapport de la puissance psychologiqueavec son principe.

    Ce principe est l'me pour les scolastiqiics, le moij)Oiir les philosophes contemporains, c'est--dire le foyer(le la vie mentale, dans la mesure o il prend consciencede ses facults et est mme d'en diriger l'emploi.Ame ou moi, ce principe est distinct des simples ph-

    nomnes psychologiques. En ce point, pas de divergenceentre les spiritualistes, d'accord pour reconnatre l'unit

    du sujet et la pluralit des faits. L'homme le moinsexerc l'observation interne sait fort bien que soulrir

    n'est pas penser, que penser n'est pas vouloir, bien que

    ce soit le mme sujet en nous qui souffre, pense etveut.

    A la diversit des actes, ajoutons celle des habitudes :le savant qui perd dans le sommeil l'usage de ses ides,ne perd pas ses ides elles-mmes; au rveil, il les retrou-vera intactes, aussi vives, aussi claires, aussi bien ordon-

    nes qu'au moment o l'inconscient lui en a t la libredisposition. En dormant, il a donc une activit sans exer-cice, une force sans emploi momentan, une habitude. Orles habitudes varient : la science du chimiste n'est pascelle du thologien, pas plus que la vertu de temprancene se confond avec celle de justice. Mettons les unes etles autres dans une mme me l'tat de dispositionsacquises. Il s'ensuit que, si le principe de la vie mentale

    est un, ses manires d'tre sont multiples.Or, les facults sont une sorte d'intermdiaire entre le

    principe dune part, et de l'autre les oprations et leshabitudes. De l deux interprtations possibles sur lerapport qui les unit aux extrmes : on peut les rapprocherdu principe, au point de les identifier avec lui, c'est lathorie gnralement adopte par les philosophes moder-

  • 40 PSYCHOLOGIE

    lies; ou bien les solidariser avec les oprations, pour

    les distinguer de l'essence.

    I. C'est la pense de saint Thomas, qui, s'appuyantsur l'troite affinit de la puissance et de l'acte, fait

    remonter aux puissances la diffrence constate dans les

    actes.

    Sentir n'est pas la mme chose que penser; ni penser,la mme chose que vouloir. Or, des faits on peut induire leurs principes prochains. Oportet quod ad idem ge-nus referantur potentia et actus. L'acte, en effet, n'est

    que le dveloppement et le complment de la puissance,qui, en le revtant, achve de se raliser. A certainsgards, ils sont donc de mme essence. D'o il rsulteque, si les oprations diffrent de nature entre elles, lespuissances respectives ne sauraient s'identifier, Gumessentia anim;e sit unum principium, non posset esseimmediatum principium omnium suarum actionum, sedoportet quod habeat plures et diversas potentiels corres-po)identes diversitati suarum actionum, potentia enim adactum dicitur corrlative^.

    Or, si les facults sont distinctes entre elles, elles doi-

    vent se distinguer de l'essence, en vertu de l'axiome bien

    connu : deux choses identiques avec une mme troisimesont identiques entre elles.

    Mais la distinction n'entrane pas l'indpendance. Lespuissances manent de l'me, comme les branches de latige, lluunt ab essentia aninue sicut a principio- . Avrai dire, elles ne sont que la continuation del substancedont elles se partagent la vertu, pour la diffrencier et la

    spcialiser, en l'adaptant d'une faon immdiate desoprations dtermines.JL l'ont autre est l'opinion de Descartes et des

    philoso})iies modernes, qui, pou d'exceptions prs, n'ad-

    1. 2 q. dexp., quxst. unica, De Anbita. art. l',', c.2. I, q. Lxxvii, arl. 0.

  • PSYCIIOLOr.IK KXI'KHIMKN l'Ai,!*: 41

    nicllciil ([iiuiic (lisliiuliou loj;i([uo cL iiiio siiujjlc variiH

    (le ronflions.

    Le sujet pensant, dit cet auleup, est toujours uneseule et mchiie fore, qui, s'applicpuint l'imagination

    en tant qu'elle revint des formes diverses, est dite se res-

    souvenir, l'imagination qui cre des formes nouvelles,

    est dite imaginer ou concevoir; qui, enfin, lorsqu'elle agitseule, est dite comprendre. Aussi re(^oit-elle, raison deses diverses facults, les noms divers d'intelligence pure,

    d'imagination, de mmoire, de sensibilit'. 11 n'y a dans l'me qu'un seul principe d'activit, sus-

    ceptible d'attributions multiples, qui par lui-mme suffit tout; par consquent l'on doit carter ces intermdiai-res, ces nergies secondaires et drives, qui sont abso-

    lument superllues, et dont le maintien altrerait l'unitdu sujet pensant, en y introduisant un mode de composi-tion que sa nature repousse.

    Nous croyons avoir fidlement rendu la pense despsychologues contemporains.

    A notre sens, ils exagrent l'unit du sujet pensant.III. Il n'est pas exact que toute composition soit

    inconciliable avec la thse de la simplicit de l'me. Loinde l. Car il existe une distinction numrique entre nosoprations mentales, et mme une vraie diffrence denature pour certaines d'entre elles, par exemple la sensa-

    tion et le concept de la loi morale. En d'autres termes,tandis que l'essence de l'me est simple, ses accidentssont multiples et divers.

    1 La question qui se pose, en ce moment, n'est doncpas de savoir si l'on doit introduire la diversit dans cette

    rgion secondaire, ou l'en exclure, mais seulement dedcider si elle s'applique deux catgories d'accidents,les uns essentiels et permanents, qui sont les puissances,

    1. Rgles pour la direction de l'esprit, rgle douzime.

  • 42 PSYCHOLOGIE

    les autres accidentels et phmres, qui sont les actes; oubien une seule. Il s'agit simplement de prciser le point

    o naissent les embranchements, o le rayon se rfracte,o l'unit primordiale se diffrencie. Dans les deux opi-nions, la pluralit drive de l'unit, mais des profon-

    deurs ingales : quant aux faits seulement, selon la con-

    ception cartsienne; plus haut que les faits, et moinshaut que l'essence, selon la conception thomiste.

    2 Celle-ci parait plus prs de la vrit, car il y a quel-

    que anomalie driver du mme principe immdiat desphnomnes de nature aussi disparate que la sensation,et les plus nobles oprations de l'me : l'activit qui

    vivifie l'organisme ne peut s'identifier avec le libre arbitre.

    Aprs avoir consacr ce premier chapitre l'examendes gnralits, nous aborderons l'analyse des puissances

    psychologiques.

    Au degr initial, se trouvent les puissances vgtatives.

  • SECTION II

    Les puissances vlalves.

    Ces puissances peuvent cMre considres en elles-

    mrnies, ou bien clans leurs manifestations sensibles.

    1". Les puissances vgtatives considres

    en elles-mmes.

    La question est du domaine de la cosmologie, puisquel'tude de la plante et des forces qui lui appartiennent

    forme un chapitre de ce trait.

    Dans ce chapitre, il y aurait lieu d'appliquer aux ner-

    gies vitales la thorie gnrale de la puissance psychique,

    dans la mesure o le sujet le comporte. 11 semble possibled'tablir les points suivants :

    A. La vie vgtative implique de vritables oprations.

    B. Ces oprations sont dtermines dans la force qui les

    produit, par l'intluence des agents naturels, chaleur, lu-

    mire, etc.

    C. Malgr la ncessit d'une dtermination, les puis-sances vgtatives prsentent un vrai caractre d'activit

    vitale, c'est--dire autonome et spontane, au sens prc-

    demment indiqu, parce que les effets produits sont d'unordre suprieur l'influence qui a servi de stimulant, que

    la raction surpasse l'action.

    D. Enfin la plante est susceptible ^'habitudes, mmed'habitudes hrditaires.

  • 44 PSYCHOLOGIE

    Des cinq phases du processus, une seule, la dlectation,lui manque, parce que le sujet est dpourvu de connais-sance. La mme raison fait que les quatre autres maniresd'tre ou d'agir sont inconscientes dans le vgtal.

    Mais l'homme aussi vgte; et ces tats, transports ennous, ont dans la sensibilit physique une rpercussiondont le psychologue doit fixer les lois.

    2. Les puissances vrjtalives considresdans leurs manifestations sensibles.

    J. Voici la srie de ces manifestations.

    A. Aux inclinations naturelles des puissances vgta-tives, correspondent les apptits, que Thomas Reid dcritainsi :

    1 Chaque apptit est accompagn d'une sensation d-sagrable qui lui est propre, et qui est plus ou moins viveselon la vivacit du dsir que l'objet nous inspire. 2 Lesapptits ne sont pas constants, mais priodiques; ils sontapaiss, pour un temps, par leurs objets, et renaissentaprs des intervalles dtermins...

    Les plus remarquables dans l'homme, amsi que dansla plupart des autres animaux, sont la faim, la soif et l'ap-ptit sexuel...

    Si nous examinons le phnomme de la faim, noustrouvons en lui deux lments : une sensation dsagrableet un dsir de nourriture. Le dsir nat la suite de lasensation et cesse avec elle... Si un philosophe soutenaitque la faim est une sensation dsagrable, et un autrequ'elle est un dsir de nourriture, ils paratraient d'avis

    tout fait opposs; car une sensation et un dsir sont deschoses trs dilfrentes et qui n'ont aucune ressemblance.Cependant tous les deux auraient raison; car la faim ren-ferme une sensation dsagrable et un dsir d'aliment".

    1. Trad. Jonllroy, l. VI, p. 132 et 33.

  • PSYCHOLOCli: KXPKIUMKNALI": 4;;(. Los aj)|)lils ont pour lin, ajoiiU' M. ilabicr, de solli-

    ollcr l'accoiiiplissemoiil dos roiiclions ucossalros lavie coi'porolle. Par suite, la subdivision de ces fondionsdonnera la sulidiNision {](' 00s ap})lits'.

    I). Nous avons nous demander, en second lieu, quelleosl la dtermination qui veille ces apptits.A titre de sim[)le essai de solution, et pour mieux mar-

    quer le sens de notre question, donnons la rponse deplusieurs physiologistes.

    u La faim et la soif... sont des sensations gnrales quenous sommes tents de localiser dans le tube digestif,mais qu'il est impossible de rattacher exclusivement desorganes ou des nerfs particuliers. Leur cause principalerside sans doute dans un ajtpauvrissement de la compo-sition du sanQ, sous l'i/i/luc/tce des pertes que l'organismesubit incessamment...

    La sensation de soif (malaise gnral accompagnd'une sensation de scheresse dans l'arrire-bouche et lepharynx) se produit chaque fois que la quantit d'eau quicircule dans le corps se trouve dimitiue... L'applicationbcale doau froide sur la muqueuse de la bouche et dupharynx diminue la sensation locale de scheresse, maisn'abolit pas compltement la soif. Les chiens fistule so-phagienne ou fistule ouverte, que Ton a privs d'eaudepuis longtemps, boivent, pour ainsi dire, indfinimentsans apaiser leur soif, parce que Feau s'coule par lafistule mesure qu'elle est avale...

    La sensation de faim parat plus directement influencepar l'tat de vacuit de l'estomac. Il suffit de remplir l'es-tomac de substances inertes pour diminuer notablement]a faim. Cependant la section des nerfs de l'estomac nel'abolit pas-.

    1. Psychologie, p. 490, 491.2. lments de physiologie hionaine, par Frederick et Nuel, vol. I", p. 196-

    197.

  • 46 PSYCHOLOGIK

    C. La satisfaction de l'apptit, qui concide avec l'ac-

    complissement d'une fonction vgtative, procure du

    plaisii'.

    D. Enfin Vhabitude trouve sa place dans les apptits que

    nous contractons par la rptition des actes, et qui de-

    viennent presque aussi imprieux que les apptits origi-

    nels : c( Tels sont les apptits que quelques hommes sedonnent pour le tabac, l'opium et les liqueurs enivrantes,

    On les appelle communment habitudes, et c'est avecraison; mais il y a diffrentes espces d'habitudes, et qu'il

    faut distinguer... Celles dont il s'agit ici engendrent le

    dsir d'un objet avec une sensation dsagrable, qui durejusqu' ce que l'objet soit obtenu : ce sont ces derniresseulement que j'appelle apptits facticesK

    Une fois forms, ces besoins se font sentir des inter-

    valles priodiques, comme les besoins naturels. La cause

    de la priodicit est la mme, savoir, une alternance d'-tats organiques, possession ou privation.

    IL Mais cette rpercussion sensible des tats est sus-

    ceptible de deux interprtations : l'apptit, par exemple,

    peut tre conu simplement comme la forme consciented'une puissance qui serait, de sa nature, vgtative; ou

    bien, comme une inclination sensible absolument distincte

    des tendances vitales, mais annexe ces tendances enguise de signe avertisseur pour la conscience empiriquede l'animal.

    Saint Thomas semble adopter la premire conception : Duplex est appetitus cibi, nous dit-il : unus quidemnaturalis secundum quod vis appptitiva, retentiva, diges-tiva et expulsiva deserviuiit nutriliva', qua est poirntia

    anim vc/jetalis; et talis appetitus est esiiries, qua^. nonscquitur aliquam apprehensionem, sed sequitur naturxi/idif/oUiam... AVius est appetitus sensilivus consequens

    1. Tliuin.'is licld, liM(l. .IiMiiroy, I. VI, j). :8.

  • PSYCHOLOGIE KXIM'IUMKNTALK 47

    a|>|>it'li('iisioiitMii in ([iio siuit aiiiin.i' passionos; cl liiijiis

    a|)j>etlfii^ iininodorala concupisccnlia in sutiioiulis ciljisliabol rationcm giila*'.

    Mais [)oiin[uoi les phnomnes vgtatifs, inconscientsponr la plante, revliraient-ils un caractijrc suprieur

    dans la Lrute? En vertu de la loi (jui veut (jue le moinsparfait s'amliore au contact du plus parfait, loi facile vrifier, du reste, tous les degrs de la vie humaine.

    C'est ainsi que les lois chimi([ues subissent de profondesmodifications en passant du rgne minral au rgne vg-tal. Les combinaisons et les scrtions qui se produisentdans le protoplasme de la cellule vivante dilTrent nota-

    blement des ractions obtenues avec la matire inorga-nique. La prsence de la vie a pour elTet d'lever les pro-prits chimiques des substances assimiles, des effetssuprieurs; elle les enrichit d'une vertu nouvelle et les

    dirige vers un but qu'elles n'auraient pu atteindre, livres elles-mmes.

    Dans l'ordre mental, l'imagination s'ennoblit au con-tact de la raison et devient cratrice. Il y a loin du chienqui rve au pote qui chante : la difTrence est due l'in-tluence d'un principe suprieur. Nous en dirions autantdu langage, qui, rduit dans le perroquet quelques sonsarticuls, devient en nous la parole humaine ; de la pas-sion qui doit au commerce des facults intellectuelles un

    champ plus vaste, une action plus intense, une volutionplus dramatique-.

    Pourquoi les effets de l'alliance ne se raliseraient-ilspas en faveur des puissances vitales, alors qu'ils se vrifient

    dans les domaines limitrophes, suprieurs ou infrieurs?C'est un mme tre qui pense, sent et vgte : puisque la

    1. De Malo. q. xiv. art. 1 ad. 4um.2. Ainsi, dans un ordre nouveau, la raison du philosophe chrtien doit

    beaucoup aux inspirations de la foi. Elle y i,''agne des lumires plus tendueset plus pures. Le visage humain est transligur par la pratique assidue de laverlu chrtienne.

  • 48 PSYCHOLOGIE

    vie modifie le jeu des forces chimiques, que la raison en-noblit les facults sensitives, nous pouvons, ce semble,

    nous autoriser de l'analogie pour associer quelque degr

    de sensibilit aux phnomnes vgtatifs.Mais ces inductions n'offrent pas la valeur d'une preuve

    positive, exprimentale, et laissent la conception thomiste,

    dont la porte toutefois n'chappe personne, l'tat

    d'hypothse.

    III. Celte hypothse, du moins, a l'avantage d'ouvrir

    une voie l'investigation scientilique.

    L'objet des deux paragraphes tait la vie vgtative, etnous n'avons pu les parcourir sans nous voir engags, par

    l'tude des apptits, dans le domaine sensitif. Preuvenouvelle de la loi de continuit, si souvent applique par

    Leibnitz : Natura non facit saltus.

    La dlectation cause par la satisfaction des apptits

    est une sensation affective. Nous devrions en traiter spa-

    rment. Mais les trois premiers paragraphes de la sectionsuivante, concernant la sensation en gnral, combleront,

    d'eux-mmes, cette lacune.

  • SECTION II[

    Les puissances de Tofclrc seiisilif.Aie animale.

    Saint Thomas assigne la brute trois sortes de puis-sances : les sens, l'apptit sensitif, la force motrice.

    CHAPITRE PREMIER

    LES SKNS

    Avant d'tudier tour tour les sens externes et les sens

    internes, nous les considrons dans les conditions gn-rales qui leur sont communes.

    Article premier. Conditions gnrales de la sensation.

    Sous ce chef, nous examinerons trois choses : la condi-tion physiologique de la sensation, le sujet immdiat, et lesige.

    l^^ Condition physiologique.

    Ce sont les impressions du systme nerveux qui ser-vent d'antcdent organique la sensation.

    Or, on distingue dans ce systme : d'un ct, la partiecentrale, l'axe crbro-spinal; de l'autre, la partie pri-phrique.

    Les cellules nerveuses dissmines dans l'organisme4

  • 50 PSYCHOLOGIE

    recueillent les impressions causes soit par des agents

    extrieurs, soit par les accidents du travail d'assimila-tion et de dsassimilation organiques. Portes aux centres

    secondaires, ces impressions se transmettent ensuite aux

    centres suprieurs, la moelle pinire et le cerveau.

    I. Or, d'aprs les philosophes modernes, la sensationn'est dtermine d'une manire directe et prochaine quepar Faction des cellules crbrales.

    La difficult est de bien dfinir la nature de cette action.Plusieurs explications ont t tour tour proposes :notamment le systme cartsien des esprits animaux, etune thorie d'origine plus rcente, celle des vibrations.

    Des savants minents ont essay, avec plus ou moins desuccs, de ramener les phnomnes de la matire au mou-vement, et ses proprits actives la force mcanique. S'ilen tait ainsi, la lumire, la chaleur, le son, se rdui-

    raient des phnomnes vibratoires, et ils produiraientdans la substance nerveuse des effets analogues, c'est--

    dire aussi des vibrations.

    Cette conception n'est encore qu'une hypothse, com-battue par des hommes comptents en matire scientifi-que. Il n'entre pas dans notre sujet d'en discuter la va-leur : la discussion nous oblig-erait sortir du domaine dela psychologie, et nous imposerait de longues excursions

    sur un terrain lrang-er. Au surplus, elle n'est pas nccs-saife pour atteindre le but que nous poursuivons.

    II. Saint Thomas reconnat l'existence de cetteimpression organique, conue au sens le plus gnral,qu'il est, du reste, absolument impossible de contester;il la nomme, immiitalio natxralis. Mais il en admet aussiune deuxime d'un ordre plus lev, prsentant un ca-ractre sensilif, et que, pour cette raison, il appelle, bien

    (ju'improprement,