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LA CRISE ÉCONOMIQUE ET FINANCIÈRE ÉTATS-UNIENNE : ENJEUXGÉOGRAPHIQUES ET GÉOPOLITIQUES
Laurent Carroué
La Découverte | « Hérodote »
2009/1 n° 132 | pages 104 à 127 ISSN 0338-487XISBN 9782707157386DOI 10.3917/her.132.0104
Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-herodote-2009-1-page-104.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
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* Laurent Carroué est géographe à l’IFG, Université Paris-VIII. Hér
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La crise économique et financière états-unienne : enjeux géographiques et géopolitiques
Laurent Carroué*
L’accès à la Maison-Blanche de Barack Obama intervient dans un contexte decrise économique, financière et sociale exacerbée. Si elle explique un net et rapidebasculement de l’opinion publique en sa faveur – en particulier des classesmoyennes et de la jeunesse – du fait de la disqualification politique de son concur-rent républicain durant les derniers mois de la campagne électorale, il entamesa présidence sous les plus mauvais auspices. Si l’accent est souvent mis par lamajorité des observateurs sur ses facteurs financiers et économiques, cette crisepose des enjeux géographiques et géopolitiques qui touchent à l’essence même dela première puissance mondiale.
Les États-Unis sont en effet confrontés à une triple crise systémique – c’est-à-dire de nature profondément structurelle – aux effets encore largement sous-estimés en Europe et sans doute aussi outre-Atlantique. Économiquement, avecl’effondrement de ce que l’économiste François Chesnais nommait le « nouveaurégime international d’accumulation financière », qui avait été imposé par lesÉtats-Unis au monde et dont ils constituaient le centre à partir des années 1970dans le cadre d’une nouvelle phase de la mondialisation dérégulée et financia-risée. Politiquement et idéologiquement, avec la complète disqualification desbases de la « révolution conservatrice et néolibérale » promue par les républicainsdepuis trente à quarante ans, comme en témoigne l’appel désespéré des plus chauds
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1. Voir par exemple : Natixis : Flash Économie n° 1, 7 janvier 2009.2. Les actifs financiers représentent 8 % des avoirs totaux des ménages en 2006, essentielle-
ment les Fonds de pension (3 %), les Fonds de placement (1 %) et les actions (1 %).Hér
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partisans économiques et politiques d’un ultralibéralisme débridé à l’interventionpublique. Enfin, stratégiquement, avec soit l’échec, soit le recul de l’imperiumgéopolitique et géostratégique états-unien qui s’était déployé depuis la fin de laguerre froide. Au total, on assiste à la remise en cause à l’échelle internationaledes fondements de leur hégémonie et à l’échelle nationale des principaux piliersde la construction sociale et territoriale du pays.
La crise des subprimes : une triple crise systémique
L’implosion d’un modèle de croissance insoutenable
Depuis trente ans, le dynamisme états-unien s’est construit sur un modèle decroissance insoutenable fondé sur deux principaux piliers. Une économie d’endet-tement de plus en plus financiarisée, rentière et spéculative. Une société de plus enplus inégale et duale où l’insécurité sociale est généralisée [Krugman, 2008]. Faceà la stagnation des salaires réels versés à la grande majorité des salariés 1 alorsqu’explose la richesse d’une toute petite minorité, l’essentiel du dynamisme de lademande fut porté par la financiarisation croissante des revenus des ménages d’uncôté2, par l’endettement et la spéculation immobilière qui servent de substitut àla croissance des salaires réels de l’autre. C’est ainsi que les prix immobiliersaugmentent de 80 % entre 2000 et 2006 et que l’immobilier représente 80 % de ladette totale des ménages. Ce processus repose sur une double logique.
Symbole de l’American Way of Life, le rêve d’un accès à la propriété indivi-duelle est rendu accessible à une majorité croissante de la population états-unienne(cf. tableau 1) ces deux dernières décennies, en particulier pour les minorités, auprix cependant d’une explosion de l’endettement. Géopolitiquement, ce processussur lequel a surfé la vague idéologique et politique néoconservatrice est extrême-ment important puisque c’est ce moteur même de l’adhésion et de l’intégrationà la société de consommation et à la nation qui est aujourd’hui en panne et lerêve trahi.
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Catégories 1994 2007 Diff.Grandes régions
1994 2007 Diff.
National 64 68,1 + 4,1 Nord-Est 61,5 65 + 3,5
Blancs 70 75,2 + 5,2 Midwest 67,7 71,9 + 4,2
Hispaniques 41,2 49,7 + 8,5 Sud 65,6 70,1 + 4,5
Noirs 42,5 47,8 + 5,3 Ouest 59,4 63,5 + 4,1
Asiatiques ou autres
50,8 60,1 + 9,3 National 64 68,1 68,1
Toutes minorités
43,2 50,9 +7,7
3. Laurent Carroué : « La crise des subprimes : la fin de l’hégémonie américaine ? », ImagesÉconomiques du Monde 2009 (IEM), Armand Colin, septembre 2008.
La constitution d’un patrimoine immobilier est d’autant plus importantequ’elle sert de garantie auprès des banques pour l’achat d’une voiture, un prêtétudiant ou une opération médicale alors que 45 millions d’Américains sont sanssécurité sociale. Face à la saturation du marché du crédit des couches moyennesdont le taux d’épargne est proche de zéro, une innovation – les crédits subprimes –est diffusée vers les couches sociales les plus pauvres et souvent insolvables. Cestock de capital, peu important (1 700 à 2 000 milliards de dollars), va être trans-formé en titres financiers (« titrisé ») et vendu à de nombreux acteurs financiersdans le monde. Le recul des prix immobiliers à partir de l’hiver 2006 et la montéedes impayés vont déboucher à l’été 2007 sur une crise financière sans précédent3.
Crise de la dette et effondrement systémique de la finance
La crise des subprimes est d’abord à l’origine une crise de la dette. Para -doxalement, si de nombreux économistes se sont intéressés aux enjeux géopoli-tiques de la dette des pays du Sud, la montée de la dette totale états-unienne – multipliée par 10,5 en vingt ans pour atteindre 47 700 milliards de dollars, soit
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TABLEAU 1. – TAUX D’ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ INDIVIDUELLE DES MÉNAGESPAR CATÉGORIES ETHNORACIALES ET GRANDES RÉGIONS GÉOGRAPHIQUES
(EN %, US Census Bureau)
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4. Laurent Carroué : « Fonds souverains et crise des subprimes : un nouvel enjeu de la guerreéconomique », Revue Diplomatie, n° 34. sept./oct. 2008.
5. L’OCDE estime que les Fonds de pension de ses membres ont perdu 4 000 milliards dedollars entre janvier et octobre 2008.H
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346 % du PNB de l’année 2007 – demeurait largement ignorée du fait d’unecroyance irrationnelle en la solidité du système financier. Face à une dette publiquepeu importante (16 % total) du fait de la faiblesse des politiques sociales, deuxacteurs jouent un rôle majeur avec 63 % de la dette nationale : le secteur financier(35,5 % du stock, soit 121 % du PIB) et les ménages (20 % du stock, soit 106 % duPIB). Ils sont au cœur de la crise actuelle. L’échec du sauvetage de deux fondsspéculatifs de la banque d’affaires Bear Stearn en juin 2007 et l’annonce par laCitigroup, alors première banque américaine, d’énormes pertes qui l’obligent àrecourir aux Fonds souverains4 de Singapour, d’Abou Dhabi et du Koweit pourêtre sauvée, le 1er octobre 2007, révèlent l’extrême fragilité du système financier.
L’engrenage de la crise balaye alors progressivement tous les compartiments,des Hedge Funds (Fonds spéculatifs) aux banques régionales. La capitalisationboursière, c’est-à-dire la valeur totale des actions cotées en Bourse, des trois prin-cipaux marchés états-uniens s’effondre de 35 à 40 % en un an, soit une perte devaleur marchande équivalente à 7 040,3 milliards de dollars (51 % du PIB). Ceprocessus menace en particulier directement les Fonds de pension, dont 40 % ducapital sont placés en actions, et donc par ricochet une large partie des systèmesde retraite. En effet, rien qu’entre juin 2007 et juin 2008, les régimes de retraitepublics et privés états-uniens ont perdu 900 milliards de dollars, soit plus de 10 %de la valeur totale de leurs actifs financiers 5. C’est ainsi que CalPERS, le fameuxFonds des agents publics de Californie, qui couvre 1,6 million de personnes, envi-sage de se retourner vers cet État fédéré afin de compenser ses pertes. Dans cedomaine, le pays est face à une première bombe à retardement dans la mesure oùles Fonds de retraite des entreprises privées, déjà très largement sous-financésface à leur engagement dans un pays en voie de vieillissement, adhèrent à uneagence publique, la PBGC (Pension Benefit Guaranty Corporation), qui seraitcontrainte de prendre à son compte les fonds en faillite ou en graves difficultés(automobile, aéronautique...).
Les menaces sur les Fonds de pension et les systèmes de retraites : un enjeu géopolitique encore largement sous-estimé
Le brutal recul des capitalisations boursières menace en particulier directe-ment les Fonds de pension, dont 40 % du capital sont placés en actions, et doncpar ricochet une large partie des systèmes de retraite. En effet, rien qu’entre
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juin 2007 et juin 2008, les régimes de retraite publics et privés états-uniens ontperdu 900 milliards de dollars, soit plus de 10 % de la valeur totale de leurs actifsfinanciers.
On assiste ainsi à un profond rééquilibrage des rapports de forces géoécono-miques mondiaux : les États-Unis passent entre 2005 et fin 2008 de 44 % à 39 %de la capitalisation boursière mondiale au profit de l’Asie en développement et del’Europe, tandis qu’on assiste à une forte rétraction géographique de l’empriseétats-unienne sur le système financier international.
Les pertes financières obligent en effet à de nombreuses cessions de filialesà l’étranger (Europe, Asie, Chine, pays émergents), à de lourdes opérations dedépréciations d’actifs (678 milliards de dollars) et en conséquence à d’impor-tantes recapitalisations (554 milliards de dollars dans la finance), y compris enrapatriant brutalement les capitaux financiers placés à l’étranger. Une large partiedes fleurons du pays disparaissent (Contrywide, premier fournisseur de créditsimmobiliers, Washington Mutual, la plus grande caisse d’épargne, Wachodia,quatrième banque...) ou sont sauvés de la faillite par l’intervention publique.En particulier, les cinq grandes banques d’affaires new-yorkaises (Goldman Sachs,Morgan Stanley, Merrill Lynch, Lehman Brothers, Bear Stearns), au cœur depuisles années 1990 du système spéculatif mondial [Carroué, 2007], disparaissent ouchangent de statut.
Loin d’être achevée, comme l’illustre le scandale Madoff en décembre 2008qui touche en particulier le cœur de la communauté juive new-yorkaise, la crisedemeure une épée de Damoclès. Du fait en particulier d’une deuxième bombe àretardement que représentent les trous noirs de la finance américaine et mondialecomme les produits dérivés (26 000 milliards de dollars) ou les Credit-DefaultSwap (CDS, 62 000 milliards de dollars, soit l’équivalent du total des dépôtsbancaires de la planète ou 4,5 fois le PIB des États-Unis). Face à la montée dela panique, au blocage des marchés et à la montée des pertes financières, les auto-rités politiques et monétaires se mobilisent de manière croissante.
Le scandale Madoff déstabilise la communauté juive
Figure emblématique du rêve américain, puisqu’il débuta sa vie profession-nelle comme maître-nageur à Long Island, et respectée de la place new-yorkaisedepuis 1960, Bernard Madoff a été arrêté par le FBI en décembre 2008 à l’âge de70 ans. Gérant de fonds, il est accusé d’une des plus grosses fraudes de l’histoirefinancière mondiale, d’un coût total de 50 milliards de dollars. Dans son systèmepyramidal, qui s’effondre comme un château de cartes avec la crise, l’arrivée denouvelles liquidités – drainées en proposant des rendements exceptionnels de 8
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à 13 % à travers un large réseau d’intermédiaires – servait essentiellement àrembourser les premiers clients. Cet attrait reposait sur ses anciennes fonctions dePDG du Nasdaq, Bourse new-yorkaise des valeurs de haute technologie, l’imagede marque haut de gamme de ses produits, un réseau habile de rabatteurs et la totaledéfaillance des contrôles de la SEC. Drainant l’épargne de plus de 4000 clients insti-tutionnels (banque espagnole Santander, Union bancaire privée, les BritanniquesHSBC et RBS, les Français Natixis, BNP Paribas, AXA...) ou très fortunés de laplanète financière, ce cataclysme toucherait de nombreuses personnalités parmiles plus riches et les plus influentes aux États-Unis (à l’instar de Cal Shapiro, ancienmagnat du textile, Mort Zuckerman, de l’immobilier, la famille Wilpon, proprié-taire d’une des grandes équipes de base-ball, les Mets...) et dans le monde, deLondres à Genève, de Paris à Tokyo (les familles Bettencourt de L’Oréal ouRécamier de Vuitton, le prince saoudien Al-Walid...).
Mais un des points importants de ce scandale réside dans le fait que BernardLeon Madoff étaient une figure importante de la communauté financière juivenew-yorkaise et de Miami, grâce en particulier à son introduction en 1996 auCountry Club de Palm Beach, un club ultra sélect fondé par des résidents juifsdans les années 1950, alors exclus des clubs anglo-saxons WASP. Ses réseauxsociaux s’étendaient de Long Island à Boston, de Minneapolis à Los Angeles.De nombreux fonds financiers juifs avaient déposé chez lui une large partie deleurs avoirs, comme le Fonds Ascot Partners dirigé par Jacob Ezra Merkin, grandfinancier de Wall Street et fils du président de la synagogue de la 5e Avenue, quiperd 1,8 milliards de dollars. De nombreuses personnalités se trouvent soit ruinées,soit accusent des pertes énormes, comme le réalisateur hollywoodien StevenSpielberg, dont la fortune personnelle était estimée à 3,1 milliards de dollars,ou Jeffrey Katzenberg, PDG du studio DreamWorks, dont leur agent californien,Gerald Breslauer, avait placé leurs fonds chez Madoff. En particulier, de très nom -breuses fondations caritatives ou institutions de la communauté juive connaissentde fortes pertes, tels la Jewish Federation de Los Angeles, la Jewish CommunityFoundation, l’American Jewish Congress, la fondation Lappin de Boston, laYeshiva University de New York ou la fondation d’Elie Wiesel, prix Nobel dela paix 1986, qui perd 15,2 millions de dollars. Face à cette catastrophe, la commu-nauté juive resserre les rangs, des associations juives craignant la montée d’unevague antisémite dans une partie de l’opinion publique, comme l’indique Le Mondedu 29 décembre 2008.
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6. Economic Policy Institute, « Jo losses accelerate at alarming rate », 5 décembre 2008. Hér
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Une crise économique et sociale sans précédent depuis 1945
La crise immobilière et financière débouche historiquement sur une crise écono-mique et sociale d’une rare violence puisqu’il faut remonter à 1945, voire 1929, pouren trouver l’équivalent. La montée des saisies immobilières (2,2 millions) menaceplus de 10 millions de familles insolvables et entraîne directement par conta-gion une perte de valeur de 352 milliards de dollars pour plus de 40,6 millionsd’Américains propriétaires, alors que le bâtiment entre en crise avec l’effondre-ment de 40 % des mises en chantier en un an. Le tout débouche à l’automne 2008sur un fort recul de la consommation des ménages, qui représente 70 % du PIB,ceux-ci ayant perdu en un an l’équivalent de 6 700 milliards de dollars du fait dela baisse de la valeur de leur patrimoine immobilier et financier. Cette crise de lademande se traduit par un brutal recul de l’investissement et de la productionindustrielle avant de toucher l’ensemble des services.
Les entreprises multiplient fermetures d’établissements et licenciements.Selon l’Economic Policy Institute6, le rythme mensuel des destructions d’emploispasse de 82 000 entre janvier et août 2008 à 419 000 en novembre pour atteindreles 524 000 en décembre 2008. Au total, 2,6 millions d’emplois sont perdusen 2008, le niveau le plus élevé depuis 1945. En un an, le pays compte plus de3 millions de chômeurs supplémentaires pour dépasser les 10,5 millions. Si, ennovembre 2008, le taux de chômage officiel est de 6,7 % de la population active, ilse monte à 12,5 % si on y inclut les travailleurs marginalisés ou à temps partielimposé.
Selon le Bureau of Labor Statistics, on assiste au dernier trimestre 2008 à uneprofonde rupture qualitative du marché du travail. Le solde de 1,615 milliond’emplois perdus durant cette seule période par rapport à 2007 masque en effet undouble phénomène. Les salariés entre 25 et 44 ans, forces vives de la nation, seretrouvent au cœur de la tourmente puisqu’ils représentent 61 % des 2 450 millionsd’emplois perdus. À l’inverse, 925 000 travailleurs âgés se retrouvent dans l’obli-gation de retravailler à nouveau du fait de l’effondrement de leurs systèmes deretraites : ils sont 559 000 entre 55 et 64 ans, 191 000 entre 65 et 69 ans et 104 000de plus de... 75 ans. On mesure à ces données les enjeux sociétaux et écono-miques auxquels sont confrontés les États-Unis du fait à la fois de l’absence d’unsystème national et solidaire de sécurité sociale (santé, retraite) et de l’extrêmefinanciarisation induite par les Fonds de pension.
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7. Rural Voice, « Losing the Dream. The Foreclosure Crisis in Rural America ».8. Federal Reserve System and The Brookings Institution : « The Enduring Challenge of
Concentrated Powerty in America : Studies from Communities Across the US », octobre 2008,2 200 p.H
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Une crise au cœur de la construction territoriale
Les subprimes au cœur de la métropolisation
On ne peut comprendre la profondeur de la crise actuelle sans la réinscriredans l’organisation et la dynamique urbaine du pays puisqu’elle frappe le cœurdémographique, économique, fiscal et politique du pays. En effet, les 363 régionsmétropolitaines sont les principales concernées même si certaines zones ruralessont aussi touchées 7. En effet, si elles couvrent une petite partie seulement duterritoire, elles captent 90 % de la croissance démographique entre 1970 et aujour-d’hui et polarisent 84 % de la population totale, 90 % du PNB et 87,5 % desrevenus totaux. Dans ce cadre, l’extraordinaire expansion spatiale des aires métro-politaines – portée par l’automobile, le rêve de l’accès à la propriété individuellepavillonnaire et la ségrégation ethnoraciale8 – se traduit par la création d’immenseszones suburbaines (urban sprawling) qui regroupent aujourd’hui 62 % de la popu-lation totale du pays.
Pour comprendre l’ampleur de la crise structurelle, il convient de décliner leslogiques territoriales d’endettement aux échelles des États fédérés, métropoli-taines et locales. Si, à l’échelle nationale, le montant de la dette immobilière totalenationale représente 66 % de la valeur totale des biens immobiliers des familles,les écarts sont considérables entre États fédérés, de New York (48 %) au Nevada(89 %). Cette première approche permet d’identifier des zones de plus ou moinsgrande fragilité (cf. tableau 2). Cette première approche peut être complétée parune géographie des crédits subprimes. Une étude du JEC du Congrès souligneainsi en janvier 2008 que onze États fédérés, réalisant 56,5 % du PNB, ont contracté60,6 % des créances subprimes en premier lieu dans les trois États du Grand Sudporteurs de la révolution néoconservatrice des dernières décennies : la Californie(14 %), la Floride (9,6 %) et le Texas (7,3 %), devant New York, l’Ohio, l’Illinois,le Michigan et la Pennsylvanie [Carroué, 2008a].
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Très fragiles
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solides
Nevada 89 Californie 68,5 Washington DC 59
Michigan 84,7 Wisconsin 68 Wyoming 58
Géorgie 77 Alabama 67 Connecticut 58
Ohio 76Moyenne nationale
66,2 New Jersey 57
Dakota Nord
76 Virginie 66 Massachusetts 56,8
Arizona 76 Utah 65,5 Rhode Island 56,6
Iowa 74 Illinois 64,5 Montana 55,9
Floride 74 Delaware 63,3 Pennsylvanie 55,6
Texas 74 Minnesota 62,8 New York 47,7
À l’échelle locale, la crise des subprimes touche d’abord et en priorité lespopulations les plus pauvres appartenant aux minorités. De l’échelle nationale auxéchelles locales (cf. tableau 3), on observe une forte corrélation entre prix moyensdes propriétés, recours aux subprimes dans les emprunts immobiliers et poidsrelatif des minorités. Les Afro-Américains et les Latinos représentent en effetrespectivement 52 % et 40,6 % des clients de ce type de crédits. Spatialement, on lesretrouve soit au cœur même des métropoles (est de Cleveland, sud de Chicago...),soit dans les zones périurbaines comme Kalb et Clayton au sud d’Atlanta,Long Island à New York, Prince George’s à l’est du district de Columbia àWashington... À Cleveland, une des métropoles les plus pauvres frappée de pleinfouet par la désindustrialisation et peuplée à 54 % par les Noirs, ceux-ci consti-tuent les ¾ des emprunteurs utilisant les subprimes pour accéder à la propriété.Ils vont être les premières victimes de la crise : plus de 40 % des maisons sontsaisies ou menacées à Slavic Village, East Cleveland ou Mount Pleasant. H
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TABLEAU 2. – LA SITUATION CONTRASTÉE DES ÉTATSFACE À L’ENDETTEMENT IMMOBILIER
(% dette immobilière totale/valeur totale des biens/First American CoreLogic, octobre 2008)
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CARTE 1. – L’IMPACT DE LA CRISE DES SUBPRIMES À CLEVELAND
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État District du congrès% Noirs
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subprimes
Michigan Détroit 68 % 32 396 60 %
Texas Galena Park (Est Houston) 76 % 32 196 53 %
Texas Missouri City (Sud Houston) 69 % 37 116 49 %
Texas Dallas 75 % 35 054 47 %
New York Queens 70 % 46 592 47 %
Missouri St Louis City 52 % 33 527 48 %
Michigan Dearborn 63 % 36 872 59 %
Illinois Harvey 72 % 41 389 58 %
Illinois Evergreen Park 72 % 33 956 52 %
Floride Miami 76 % 30 645 55 %
Arizona Phoenix Tempe 65 % 30 203 49 %
New York Nord Manhattan 78 % 28 374 10 %
Michigan Détroit 68 % 32 396 60 %
9. Par exemple : Ronald E. Wilson et Derek Paulsen, « Foreclosures and Crime : A Geo -graphical Perspective », in Geography and Public Safety, vol. 1, oct. 2008.
De nombreuses études 9 s’inquiètent aujourd’hui du potentiel de déstabilisa-tion que représente un tel processus sur des composantes sociales et territorialesdéjà amplement fragilisées par des logiques de ségrégations sociospatiales et demarginalisation économique d’une rare intensité dans des espaces métropolitainsfragmentés par les concurrences géopolitiques [Lacorne, 2006 ; Douzet, 2007].
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TABLEAU 3. – L’UTILISATION DES SUBPRIMES PAR LES MINORITÉS NOIRESOU LATINOS DANS L’ACCÈS À LA PROPRIÉTÉ
(Center for Community Capital, janvier 2009)
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État District du congrès% Noirs
et LatinosPrix
moyens%
subprimes
Missouri Cape Girardeau 5 % 27 894 66 %
Washington Olympia 6 % 44 506 26 %
Oklahoma Est 6 % 29 183 38 %
Ohio Zanesville 3 % 34 450 33 %
Ohio Marion 6 % 39 111 30 %
Ohio Massilon 6 % 41 710 28 %
Ohio Bowling Green 5 % 42 128 28 %
Nebraska Ouest Kearney 6 % 33 949 34 %
Missouri Nord Ouest/St Joseph 5 % 40 097 28 %
Michigan Midland 3 % 39 335 26 %
Iowa Des Moines 6 % 42 853 25 %
Indiana Est Richmond 5 % 39 044 31 %
Indiana Nord Est/Fort Wayne 6 % 42 853 25 %
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Mais le recours aux subprimes n’est pas réductible aux seules minoritésethniques et aux quartiers pauvres. Elles peuvent aussi jouer un rôle majeur dansles emprunts immobiliers totaux des espaces dynamiques comme dans la SiliconValley et la Californie (Salinas : 40 %, San José : 35 %, Santa Barbara et OrangeCountry : 32 %, Los Angeles Long Beach : 27 %, Sacramento : 26 %) ou dans lesespaces urbains et périurbains de l’Amérique profonde où elles peuvent repré-senter entre un quart et un tiers des emprunts (cf. tableau 4).
TABLEAU 4. – L’UTILISATION DES SUBPRIMESPAR LES COUCHES MOYENNES BLANCHES URBAINES ET PÉRIURBAINES
(Center for Community Capital, janvier 2009)
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10. Standard and Poor’s, Case-Shiller Home Price Indices, données trimestrielles etannuelles. H
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La crise a d’autant plus d’impact que, par contagion, le retournement du marchéimmobilier va progressivement déstabiliser une part croissante des couchesmoyennes blanches, en particulier des marges périurbaines. Dans les dix plusgrandes métropoles, après avoir augmenté de 126 % entre janvier 2000 et mai200610, les prix immobiliers moyens chutent de 25 % entre mai 2006 et novembre2008 (cf. tableau 5). Le recul est particulièrement spectaculaire dans les métro-poles qui étaient les plus dynamiques et les plus spéculatives, en particulier dansl’ouest du pays (Las Vegas : – 40 %, Los Angeles : – 33 %), la Floride (Miami : – 40 %), les Grands Lacs (Chicago : – 22 %) et la Megalopolis (Washington : – 40 %, Boston : – 38 %, New York : – 33,5 %). Le processus mécanique d’appau-vrissement des ménages est spectaculaire : d’ici 2010, un recul moyen de 30 %des prix immobiliers nationaux signifierait pour ceux-ci une perte de capital d’unevaleur de 6 600 milliards de dollars.
Ce processus a un effet mécanique immédiat sur la solvabilité des 45 à50 millions de ménages très endettés et sur leurs capacités à rembourser leursdettes. On assiste partout à la fois à la montée et surtout à la rapide diffusiongéographique des impayés, des expulsions et des saisies immobilières (cf. tableau 3).Déjà, entre décembre 2005 et décembre 2007, les taux d’impayés passent de 3,5à 25 % à Stockton, dans la Central Valley californienne. En novembre 2008,les États les plus en difficulté sont le Nevada, le Michigan, la Floride (Miami,Fort Lauderdale, Tampa), l’Arizona, la Californie, la Géorgie et l’Ohio. Parexemple, selon le Woodstock Institute, elles augmentent en un an de 42 % àChicago même (14 000 en 2007) et de 54 % dans l’ensemble de l’agglomération(38 200). À l’échelle de chaque aire métropolitaine, de fortes différenciations detrajectoires apparaissent selon les logiques de ségrégation sociospatiale et lesdynamiques fines des marchés immobiliers. À Los Angeles, par exemple, la diffu-sion de la crise est particulièrement spectaculaire au cœur de l’agglomérationsur l’axe nord/sud Long Beach-Compton et au sud-est sur Anaheim/Santa Ana.Dans l’Utah, Salt Lake City est coupée en deux, opposant un ouest fragilisé faceà un est plus solide.
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Saisies/expulsions
Propriétés frappées par la baisse des prix
Pertes fi nancières
(milliards $)
Perte moyenne par propriété
en $
Californie 336 967 7 505 584 105,92 - 14 112
Floride 198 828 3 667 230 35,43 - 9 661
Texas 143 091 2 283 390 4,86 - 2 131
New York 122 192 3 552 642 64,36 - 18 117
Géorgie 85 198 630 218 1,79 - 2 849
Illinois 84 158 2 536 938 26,9 - 10 632
Ohio 81 039 1 392 990 2,8 - 2 022
Arizona 80 850 1 201 327 8,5 - 7 145
Michigan 76 892 1 414 411 3,7 - 2 653
Les piliers économiques du pays vacillent
L’impact de la crise est tel que de nombreux piliers de l’économie nationalevacillent, comme l’illustrent la finance new-yorkaise ou l’automobile des GrandsLacs.
Crise de la finance : New York sous le choc
Déjà fortement fragilisée par l’impact des attentats du 11 septembre 2001 contrele World Trade Center, l’économie de la métropole new-yorkaise est frappée deplein fouet à la fois par la crise des subprimes qui déstabilise son marché immo-bilier et surtout par la crise économique et financière 11. Le secteur financier, qui
11. Federal Reserve Bank of New York, « Employment in the New York-New Jersey Region :2008 Review and Outlook », in Current Issues, vol. 14, n° 7, sept./octobre 2008. H
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TABLEAU 6. – LA MONTÉE DES SAISIES IMMOBILIÈRESET LE DÉCLIN DE LA VALEUR DES PROPRIÉTÉS VOISINES
DANS LES DIX ÉTATS LES PLUS TOUCHÉS(Center for Responsible Lending, août 2008)
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12. Center for Automotive Research, « The Impact on the US Economy of a MajorContraction on the Detroit Three Automakers », Research Memorandum, 4 nov. 2008.H
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tombe de 566 000 à 463 000 emplois entre 1986 et décembre 2008 (-18 %), repré-sente en effet dans la ville de New York 36 % de la masse salariale du fait à la foisde la concentration des emplois (13 %, contre 6 % à l’échelle nationale) et des trèshauts salaires et bonus jusqu’ici versés par les firmes financières. Selon les estima-tions, la région de New York pourrait perdre 225 000 emplois ces deux prochainesannées, dont 48 000 dans le seul secteur financier. Dans une ville de 8,3 millionsd’habitants où l’impôt municipal et foncier pèse pour la moitié sur seulement40 000 foyers, dont les ¾ sont directement liés au secteur financier, on mesure lesenjeux fiscaux avec une possible mise en faillite à terme de la ville.
Crise de l’automobile : la fin des « Big Three »
De même, à l’automne 2008, intervient la quasi-faillite des « Big Three », lestrois principales firmes automobiles de Détroit : General Motors (deuxième rangmondial des constructeurs automobiles derrière Toyota), Ford (quatrième rang) etChrysler (douzième). La crise financière sert surtout, via l’effondrement de leursventes, de révélateur d’une grave crise structurelle : la production baisse déjàde 26 % entre 1990 et 2007, leurs parts de marché aux États-Unis s’effondrent de65 à 46,8 % entre 2000 et 2008 face à la pression japonaise, alors que l’emploirecule de 37 % en huit ans pour atteindre 732 000 emplois en 2008, dont 239 000chez les Big Three et 113 000 chez les constructeurs étrangers. Surendettées etsous-capitalisées, elles sont juste maintenues en survie par une aide publique dequelques dizaines de milliards de dollars décidée par le président George W. Bushface aux blocages des élus républicains au Sénat mais avec l’appui des élus démo-crates en décembre 2008.
Alors qu’en 1953 le PDG de General Motors, Charles Wilson, pouvait tran-quillement affirmer que « ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour GM, etvice versa », le nouveau président Obama se trouve face à un grave problème poli-tique, économique et de politique industrielle. Politique puisque 50 % des emplois et80% des principales usines des Big Three se trouvent au cœur de la «ManufacturingBelt » bordant les Grands Lacs, dans le Michigan, l’Ohio et l’Indiana, qui ont large-ment voté démocrate aux dernières élections. Économique dans la mesure où ladisparition des Big Three constituerait un véritable séisme avec la perte, selon leCenter for Automotive Research 12, de 3 millions d’emplois, directs et indirectsdans l’industrie en amont (614 000, sidérurgie, mécanique, électronique, sous-traitants...) et les services. Territorial puisque la déflagration, loin de se réduire
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13. Economic Policy Institute, « When Giant fall », EPI Briefing Paper, 3 décembre 2008. Hér
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à leurs seuls bastions, aurait un impact majeur sur de puissants États du fait durôle considérable de l’automobile dans l’économie nationale. Au-delà de la pertede 150,7 milliards de dollars de salaires et charges sociales et de 60 milliards derecettes fiscales, dix États au cœur de la puissance économique et politique états-unienne [Dorel, 2006] polariseraient 60 % des 3 millions d’emplois perdus selonl’Economic Policy Institute de Washington 13, en particulier la Californie, leTexas, l’État de New York ou la Floride.
L’importance des enjeux dépasse donc le simple sauvetage de la Manufactu -ring Belt et d’entreprises au management autiste, rapace et arrogant, Alan Mulally,le PDG de Ford, se voyant par exemple octroyer un salaire de 21 millions dedollars en 2007. Alors que la crise actuelle révèle la faillite d’un modèle écono-mique d’insertion dans la mondialisation basé sur les seules nouvelles techno -logies civiles et militaires et les services financiers et domestiques, il s’agit d’abordet avant tout de savoir si les États-Unis seront aussi capables dans les annéesà venir de rompre avec le large processus de désindustrialisation (stagnation de laproduction hors nouvelles technologies, pertes de parts de marché et d’emplois,recul de l’investissement productif...) mis en œuvre depuis des décennies en rele-vant de nouveaux défis technologiques et industriels qui conditionnent leur futurrang de puissance mondiale.
Les États-Unis insérés dans de nouveaux liens d’interdépendance
Le sauvetage de la finance puis de l’économie par l’État
Dans ce contexte exacerbé, on assiste à un double phénomène d’une grandeimportance géopolitique qui modifie en profondeur la représentation qu’avaientles acteurs économiques et les opinions publiques de la mondialisation : le retouret la réhabilitation de l’État, de la puissance et de l’intervention publiques d’uncôté, l’importance de l’échelle nationale – face à une finance et une économiesouvent et faussement présentées comme totalement « globalisées » – de l’autre.On doit cependant souligner deux ambiguïtés majeures qui reflètent la complexitédes structures issues des compromis politiques, institutionnels et sociaux états-uniens [Lacorne, 1996 ; 2006].
Premièrement, l’intervention publique est longtemps hésitante, partielle etstratégiquement décousue jusqu’au début de l’automne 2008, quand la faillite de la
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banque d’affaires Lehman Brothers oblige enfin à un nécessaire sursaut du fait dela totale paralysie des marchés financiers américains et mondiaux qu’elle entraîneet qui donne à la crise financière sa dimension historique. L’État et la Réservefédérale (FED) se substituent alors au second semestre 2008 soit partiellement,soit totalement selon les segments, aux banques et aux marchés financiers.
Deuxièmement, elle se traduit d’abord et avant tout par une socialisation desénormes pertes au détriment du contribuable et par une étatisation partielle decertains acteurs sans que soient réellement mises en œuvre de nouvelles politiquesde régulation des activités financières, de mise au pas des logiques spéculativeshypertrophiées d’une économie-casino incontrôlée et de réorientation des banquesvers le financement des besoins réels du pays. Ceci fait la différence entre uneétatisation et une nationalisation.
La mobilisation de l’État américain, à travers l’intervention du Trésor et de laRéserve fédérale, dans le sauvetage de son système économique et financier esthistoriquement tout à fait phénoménale. En janvier 2009, on peut en effet estimerà environ 8 600 milliards de dollars les engagements financiers directs pris jusqu’icipar les autorités états-uniennes – soit 62 % du PIB – pour juguler la crise, dont5 600 milliards proviennent de la FED.
Le Trésor joue en effet les pompiers. Il nationalise le 7 septembre 2008 FannieMae et Freddie Mac (dont les appellations officielles sont Federal NationalMortgage Association et Federal Home Loan Mortgage Corporation), deux piliersdu refinancement immobilier chargés de faciliter le financement de l’accès à lapropriété, pour un coût de 238 milliards de dollars et sauve le 18 septembre 2008AIG, n° 2 mondial de l’assurance, qui avec 1 060 milliards d’actifs avait investi441 milliards dans les produits immobiliers à risque. Il participe directement à laréorganisation du secteur bancaire à travers des aides publiques de dizaines demilliards de dollars lors de la vente de la Bear Stearns à JP Morgan Chase ou de lareprise de Wachodia par Citigroup le 28 septembre 2008. Puis, face au faibleimpact de ces stratégies, le Plan Paulson – du nom du secrétaire au Trésor qui estl’ancien PDG de la banque d’affaires Goldman Sachs et dont la fortune person-nelle est évaluée à 600 millions de dollars – mobilise 700 milliards de dollars,soit 5 % du PIB et 2 000 dollars par Américain, à partir d’octobre 2008 afin dereprendre les créances douteuses, participer à la recapitalisation des firmes... LeTrésor prend aussi des risques indirects croissants en se portant garant, en casde faillite des entreprises, de sommes de plus en plus considérables (Fannie Maeet Freddie Mac : 6 000 milliards de dollars, soit 38 % du PIB et 58 % de la dettepublique de 2007).
La FED ou Réserve fédérale, après avoir joué sur l’ensemble des leviersde politique monétaire et financière à sa disposition (baisse des taux d’intérêt...),prend elle aussi de plus en plus de risques (prise en dépôts contre des prêts de
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produits financiers de moins en moins bonne qualité, rachat de titres de dettesbancaires et d’entreprises...) en mobilisant des sommes astronomiques. Entre2007 et janvier 2009, le bilan de la FED – à peu près stable jusqu’en août 2008 –passe ainsi de 869 à 2 265 milliards de dollars. Incapable de faire face seule à sesengagements croissants, la FED doit être à plusieurs reprises recapitalisée parcentaines de milliards de dollars par le Trésor alors qu’elle envisage même endécembre 2008 de lancer ses propres emprunts, une totale nouveauté.
Mais, alors que la crise ne cesse de s’aggraver, le premier semestre 2009 va voirencore s’accélérer l’intervention publique puisque l’injection de 1 800 milliardsde dollars est déjà programmée. L’objectif est de contrer la baisse durable de lademande et de l’investissement privé par une très forte hausse des dépensespubliques. Le Plan de relance de Barack Obama porte sur 825 milliards de dollars,contre 100 milliards du Plan Bush au premier semestre 2008, dont 275 de baissesd’impôts et 550 d’investissements afin de créer 3 millions d’emplois, auxquelss’ajoutent 100 milliards pour empêcher la montée des saisies immobilières. Poursa part, la FED annonce un nouvel effort de 900 milliards pour relancer le marchédu crédit (immobilier, automobile, prêts étudiants et aux PME) au premiertrimestre 2009 en rachetant en particulier les titres de Fannie Mae, Freddie Mac etde douze banques régionales.
Dette, budget militaire et interdépendance : trois enjeux géoéconomiques majeurs
Cette intervention publique est fondamentalement financée par une montéede la dette et des déficits publics. Dans ce cadre, plusieurs enjeux géopolitiques etgéoéconomiques majeurs doivent être posés.
Le premier réside dans la capacité des États-Unis à maintenir leurs interven-tions militaires à l’étranger et la taille hypertrophiée de leur budget militaire.Alors que la guerre en Irak coûte 120 milliards de dollars par an, le budget fédéral2008 est de 2 978,4 milliards de dollars. Dans celui-ci et face à la grave et récur-rente faiblesse des politiques sociales, de santé et d’éducation, trois postes occupentune place majeure (60 %) : les budgets du Pentagone (36 % du total, 624 milliardsde dollars), du ministère de la Sécurité intérieure (15 %, 432,5) et, enfin, leservice de la dette, qui absorbe déjà 249 milliards de dollars (8 %). Alors que lesÉtats-Unis réalisent plus de la moitié des dépenses militaires mondiales et que leprésident Obama souhaite accélérer le retrait de l’Irak au profit de l’Afghanistan,on peut se demander si les États-Unis ont encore en interne les moyens de leurpuissance.
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14. Par exemple, Department of the Tresor, Financial Management Service, TreasuryBulletin, décembre 2008.H
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Le deuxième réside dans les nouvelles interdépendances géoéconomiques crois-santes que représente la montée exponentielle de leur endettement public et privé.Alors que le stock de dette privée s’accroît légèrement malgré la crise, la dettepublique passe de 5 600 à 10 615 milliards de dollars de l’arrivée de G. Bush à laprésidence en 2001 à janvier 2009 (+ 89,5 %), soit de 58 à 72,5 % du PIB. Alorsque le Trésor14 emprunte 1 080 milliards de dollars le dernier semestre 2008, dont560 pour le compte de la Réserve fédérale, il devrait procéder à l’émission de2 000 à 2 500 milliards de dollars de dettes dans les mois prochains, soit l’équiva-lent de 13 à 15 % du PNB. Enfin, selon le Congressionnal Budget Office (CBO)de décembre 2008, le déficit budgétaire devrait passer de 3,2 à 8,3 % du PIBentre 2008 et 2009, soit 1 200 milliards de dollars pour 2009 hors impact des plansde relance annoncés.
Dans ce contexte, les États-Unis sont de plus en plus dépendants des sourcesde financement étrangères. Selon le Trésor, la dette externe, publique et privée,passe de 6 570,1 à 13 627,5 milliards de dollars entre juin 2003 et décembre 2008(+ 107 %) et les détenteurs étrangers de la seule dette fédérale sont passés de32,2 % de celle-ci en 2003 à 50,4 % en décembre 2008. Si la puissance américaines’est traduite jusqu’ici par sa capacité exceptionnelle à drainer à son profitl’épargne mondiale, on peut se demander si ce processus ne tisse pas, en retour, denouveaux liens d’interdépendance qui influencent de plus en plus directement lapolitique économique et étrangère des États-Unis, comme le montre aujourd’hui,par exemple, leur politique chinoise et asiatique. En effet, la Chine est devenueleur premier fournisseur de capital, la Banque centrale chinoise détenant plus de1 800 milliards de dollars de réserves de change, massivement investis dansdes Bons du Trésor américains. Le stock chinois de Bons passe ainsi de 459 à653 milliards de dollars en un an (+ 42 %), faisant aujourd’hui de Pékin le premierfinancier étranger de Washington. Si la Chine – du fait du poids des États-Unisdans ses échanges et de la contrainte de stabiliser la parité de sa monnaie (RMB) parrapport au dollar – semble condamnée à financer le déficit extérieur de Washington,elle dispose de nouvelles marges de manœuvre internes (cf. plan de relance chinoisde 461 milliards d’euros) et externes qui rendent les relations entre les deux puis-sances beaucoup moins asymétriques qu’il y a dix ou vingt ans.
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Total 2 299,2 3 042,7 743,5 + 32,3 100
Total Asie 1 428,7 1 661,8 233,1 + 16,3 54,6
Dont Chine 459 652,9 193,9 + 42,2 21,4
Dont Japon 601,7 585,5 - 16,2 - 2,6 19,2
Dont pays émergents Asie
184 211,7 27,7 + 15 6,9
Dont Hong Kong 51,3 65,2 13,9 + 27
Dont Taïwan 40,3 40,7 0,4 + 0,9
Dont Singapour 32,6 38,8 6,2 + 19
Dont Corée du Sud 37 32,2 - 4,8 - 12,9
Dont Thaïlande 22,8 34,8 12 + 52,6
Royaume-Uni 155 360,2 205,2 + 132,3 11,8
Paradis fi sc. Caraïbes 105,7 219,5 113,8 + 107,6 7,2
Pays export. pétrole 141,6 187,7 46,1 + 32,5 6,1
Le troisième a trait en effet plus globalement à l’érosion sensible des capacitéshégémoniques des États-Unis sur la scène mondiale, un processus qui va sansdoute les obliger à se réinscrire, au moins pour un temps, dans une démarche plusréaliste et multilatérale. La gestion de la crise financière a bien fait apparaître eneffet que, face aux nouveaux enjeux de stabilisation des marchés financiers, laRéserve fédérale devait s’appuyer sur une étroite coopération avec les autres H
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TABLEAU 7. – LA FORMIDABLE MONTÉE DE L’ENDETTEMENTET LE POIDS DE LA CHINE
(détenteurs étrangers de la dette publique en Bons du Trésor et obligations garanties, milliards de dollars et %, Trésor, janvier 2009)
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15. Par exemple, le lundi 29 septembre 2008, la FED américaine disposait de lignes deswaps totales de 290 milliards de dollars avec les autres Banques centrales, dont 120 milliards(4 %) avec la seule Banque centrale européenne. Au total, un potentiel de 620 milliards étaitimmédiatement disponible.H
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grandes Banques centrales. C’est ainsi que, face à la paralysie des refinancementsinterbancaires de ces derniers mois, les Banques centrales ont largement coor-donné leurs interventions et ont multiplié entre elles les prêts à très court terme(lignes de swaps 15) portant sur des volumes parfois énormes de capitaux (viadifférents systèmes, cf. système Target).
De même, dans la finance privée, la crise a été l’occasion de vérifier un chan-gement des rapports de force lors des appels successifs aux Fonds souverains despays émergents à sauver de la faillite les fleurons du capitalisme financier états-unien. À l’automne 2007, la Citigroup a dû accepter de servir à l’Abou DhabiInvestment Authority une rémunération du capital comprise entre 9 % et 11 % paran alors que le fonds singapourien GIC s’était assuré d’une protection contre toutebaisse des cours des actions en Bourse. Et c’est dans le palais saoudien du princeAl-Walid qu’a été décidé le départ du PDG de la Citigroup, Chuck Prince, unedes conditions présentées par les intérêts saoudiens pour répondre à l’augmen-tation de capital de ce qui était à l’époque la première banque américaine etmondiale. Enfin, face à l’irruption de ces Fonds dans leurs entreprises financières,les autorités de Washington ont opté pour une attitude particulièrement défensiveen cherchant à passer un accord politique avec leurs autorités de tutelle. C’estainsi que, le 15 mars 2008, le ministère du Trésor des États-Unis a défini en parte-nariat avec les gouvernements d’Abou Dhabi et de Singapour un « code de bonneconduite » instaurant en particulier les principes d’une séparation des intérêtscommerciaux des Fonds, souvent publics ou parapublics, et des intérêts géopoli-tiques des États d’origine, et une transparence de gestion.
Enfin, et même si les informations demeurent encore très partielles ou confi-dentielles, on ne peut comprendre les modalités ou le calendrier de certaines inter-ventions de sauvetage d’institutions financières ces derniers mois par le Trésor sion ne tient pas compte des énormes pressions politiques exercées aux plus hautsniveaux des États par certaines puissances, au premier rang desquelles la Chine,qui exigeaient que Washington se porte garant des centaines de milliards de dollarsplacés dans ces institutions (Fannie Mae, Freddie Mac, AIG...). Ainsi, seloncertaines sources, de nombreux pays détiendraient plus de 1 000 milliards dedollars de la dette émise en propre par les deux agences parapubliques de finance-ment immobilier Fannie Mae et Freddie Mac, dont 376 pour la Chine, 225 pour leJapon et 75 pour la Russie. Leur nationalisation en catastrophe par le gouverne-ment le 8 septembre s’explique donc autant par des facteurs endogènes que par la
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nécessité de maintenir au plan international la crédibilité de la signature des États-Unis et de Washington face à leurs principaux créanciers. Au total, en quelquesmois, la perte par les investisseurs étrangers de centaines de milliards de dollarssur les marchés financiers états-uniens a fortement affaibli le capital confiance quileur est dorénavant accordé, comme le soulignent depuis trois mois les fortes inquié-tudes et la grande prudence des Fonds souverains chinois. Si on se remémorel’extrême brutalité géoéconomique et géopolitique (cf. les plans d’ajustementstructurel...) avec laquelle Washington ou les grands organismes internationauxqu’elle dominait, comme le FMI ou la Banque mondiale, traitaient les crises de ladette des pays du Sud en Afrique ou en Amérique latine dans les décennies 1970-1990, on mesure le basculement géopolitique des rapports de forces mondiauxréalisé depuis et la puissance des nouveaux liens d’interdépendance dans lesquelssont pris les États-Unis.
En conclusion, on peut penser qu’au tournant des années 2007-2009 l’effon-drement sous nos yeux du nouveau régime international d’accumulation financière,privilégié et promu par les États-Unis depuis une trentaine d’années, marque lavéritable entrée du monde dans le nouveau XXIe siècle qui s’ouvre devant nous.En effet, son possible déploiement n’avait été rendu possible à ce stade exacerbéd’économie-casino que par l’effondrement en 1991 de l’URSS à l’issue de laguerre froide, dont l’affrontement bipolaire avait largement polarisé le secondXXe siècle.
Ce processus pose aujourd’hui aux États-Unis et à la nouvelle Administrationdémocrate des problèmes redoutables d’ampleur historique inédite. À l’échelleinternationale, on peut en effet se demander si l’imperium géoéconomique,géopolitique et géostratégique états-unien a encore les moyens et les ressortsinternes – au moins dans l’immédiat – et un leadership externe suffisant pourassurer le maintien de son hégémonie mondiale dans sa forme la plus brutale et laplus exacerbée (Irak, Afghanistan, nouveau containment de la Russie...) face à unmonde de plus en plus multipolaire à la recherche de nouvelles coopérations etrégulations plus solidaires. À l’échelle nationale, on doit constater que la mobili-sation de l’État sous sa forme actuelle et l’injection de centaines de milliards nepeuvent au total suffire à répondre à une crise structurelle majeure qui bouleverseles piliers mêmes de l’économie, de la société et du territoire. Car la réponse àune crise d’une telle ampleur ne peut être que de nature politique et géopolitique.En effet, la confiance ne peut être rétablie qu’autour d’un véritable projet fédéra-teur proposant au peuple américain un nouveau modèle économique et social. Sile président Barack Obama a soulevé durant sa campagne électorale d’immensesespérances, paradoxalement ses propositions sont pour l’instant restées particulière-ment vagues et ses premières prises de position très traditionnelles. Les prochainsmois seront donc décisifs pour les États-Unis et le monde.
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