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1 LA CARRIERE DES SPORTIFS PROFESSIONNELS : DES STRATEGIES DE RECONVERSION DURABLES ? Auteurs : Catherine Fabre, Université de Bordeaux 2, LACES (équipe VSTII) ; Anne- Laure Gatignon-Turnau, Université de Toulouse, LGC ; Séverine Ventolini, Université de Bourgogne, LEG Adresse : Catherine Fabre, 43 rue Camena d’Almeida, 33 000 Bordeaux [email protected] tel : 06 62 72 13 91 -05 56 84 52 28 Résumé : Dans le domaine du sport professionnel, la question de l’alliance entre court terme et long terme, entre performance et bienveillance se pose avec particulièrement d’acuité. Si les pouvoirs publics incitent les joueurs professionnels et les clubs à anticiper la reconversion de carrière, en imposant la mise en place d’un programme d’accompagnement des joueurs, ces initiatives paraissent minces face aux enjeux nouveaux du rugby professionnel. En effet, en proie à une concurrence accrue et à de fréquentes blessures, les carrières individuelles peuvent basculer très rapidement. Dans ce contexte, la fin de carrière sportive arrive souvent prématurément et il semble important que cette population prépare sa seconde partie de carrière. Comme dans d’autres milieux professionnels, les sportifs doivent être acteurs de leur évolution professionnelle (carrière protéenne, Hall, 1996) ; Cette communication s’interroge sur les différentes stratégies mises en oeuvre par les joueurs pour préparer leur reconversion professionnelle à l’issue de leur carrière sportive. Il s’agit ici de comprendre les facteurs sur lesquels s’appuient les individus pour effectuer ce virage, notamment à travers la grille de lecture des carrières intelligentes (Defillipi, Arthur, 1994; Parker et al., 2009) en ayant une approche subjective de la carrière (Parker, 2002). Cette étude repose sur l’analyse de vingt entretiens de joueurs professionnels et présente une typologie représentative des différentes stratégies adoptées. Elle vise également à identifier les facteurs explicatifs de l’adoption des différentes stratégies. La possibilité de transferts de compétences du milieu sportif à un autre secteur professionnel est également analysée.

LA CARRIERE DES SPORTIFS PROFESSIONNELS : DES STRATEGIES DE RECONVERSION DURABLES ? C. Fabre

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LA CARRIERE DES SPORTIFS PROFESSIONNELS :

DES STRATEGIES DE RECONVERSION DURABLES ?

Auteurs : Catherine Fabre, Université de Bordeaux 2, LACES (équipe VSTII) ; Anne-

Laure Gatignon-Turnau, Université de Toulouse, LGC ; Séverine Ventolini,

Université de Bourgogne, LEG

Adresse : Catherine Fabre, 43 rue Camena d’Almeida, 33 000 Bordeaux [email protected] tel : 06 62 72 13 91 -05 56 84 52 28

Résumé : Dans le domaine du sport professionnel, la question de l’alliance entre court

terme et long terme, entre performance et bienveillance se pose avec particulièrement

d’acuité. Si les pouvoirs publics incitent les joueurs professionnels et les clubs à anticiper la

reconversion de carrière, en imposant la mise en place d’un programme d’accompagnement

des joueurs, ces initiatives paraissent minces face aux enjeux nouveaux du rugby

professionnel. En effet, en proie à une concurrence accrue et à de fréquentes blessures, les

carrières individuelles peuvent basculer très rapidement. Dans ce contexte, la fin de carrière

sportive arrive souvent prématurément et il semble important que cette population prépare sa

seconde partie de carrière. Comme dans d’autres milieux professionnels, les sportifs doivent

être acteurs de leur évolution professionnelle (carrière protéenne, Hall, 1996) ;

Cette communication s’interroge sur les différentes stratégies mises en œuvre par les joueurs

pour préparer leur reconversion professionnelle à l’issue de leur carrière sportive. Il s’agit

ici de comprendre les facteurs sur lesquels s’appuient les individus pour effectuer ce virage,

notamment à travers la grille de lecture des carrières intelligentes (Defillipi, Arthur, 1994;

Parker et al., 2009) en ayant une approche subjective de la carrière (Parker, 2002).

Cette étude repose sur l’analyse de vingt entretiens de joueurs professionnels et présente une

typologie représentative des différentes stratégies adoptées. Elle vise également à identifier

les facteurs explicatifs de l’adoption des différentes stratégies. La possibilité de transferts de

compétences du milieu sportif à un autre secteur professionnel est également analysée.

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LA CARRIERE DES SPORTIFS PROFESSIONNELS :

DES STRATEGIES DE RECONVERSION DURABLES ?

Auteurs : Catherine Fabre, Université de Bordeaux 2, LACES (équipe VSTII) ; Anne-

Laure Gatignon-Turnau, Université de Toulouse, LGC ; Séverine Ventolini,

Université de Bourgogne, LEG

Adresse : Catherine Fabre, 43 rue Camena d’Almeida, 33 000 Bordeaux [email protected] tel : 06 62 72 13 91 -05 56 84 52 28

Résumé : Dans le domaine du sport professionnel, la question de l’alliance entre court

terme et long terme, entre performance et bienveillance se pose avec particulièrement

d’acuité. Si les pouvoirs publics incitent les joueurs professionnels et les clubs à anticiper la

reconversion de carrière, en imposant la mise en place d’un programme d’accompagnement

des joueurs, ces initiatives paraissent minces face aux enjeux nouveaux du rugby

professionnel. En effet, en proie à une concurrence accrue et à de fréquentes blessures, les

carrières individuelles peuvent basculer très rapidement. Dans ce contexte, la fin de carrière

sportive arrive souvent prématurément et il semble important que cette population prépare sa

seconde partie de carrière. Comme dans d’autres milieux professionnels, les sportifs doivent

être acteurs de leur évolution professionnelle (carrière protéenne, Hall, 1996) ;

Cette communication s’interroge sur les différentes stratégies mises en œuvre par les joueurs

pour préparer leur reconversion professionnelle à l’issue de leur carrière sportive. Il s’agit

ici de comprendre les facteurs sur lesquels s’appuient les individus pour effectuer ce virage,

notamment à travers la grille de lecture des carrières intelligentes (Defillipi, Arthur, 1994;

Parker et al., 2009) en ayant une approche subjective de la carrière (Parker, 2002).

Cette étude repose sur l’analyse de vingt entretiens de joueurs professionnels et présente une

typologie représentative des différentes stratégies adoptées. Elle vise également à identifier

les facteurs explicatifs de l’adoption des différentes stratégies. La possibilité de transferts de

compétences du milieu sportif à un autre secteur professionnel est également analysée.

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LA CARRIERE DES SPORTIFS PROFESSIONNELS :

DES STRATEGIES DE RECONVERSION DURABLES ?

Résumé : Dans le domaine du sport professionnel, la question de l’alliance entre court

terme et long terme, entre performance et bienveillance se pose avec particulièrement

d’acuité. Si les pouvoirs publics incitent les joueurs professionnels et les clubs à anticiper la

reconversion de carrière, en imposant la mise en place d’un programme d’accompagnement

des joueurs, ces initiatives paraissent minces face aux enjeux nouveaux du rugby

professionnel. En effet, en proie à une concurrence accrue et à de fréquentes blessures, les

carrières individuelles peuvent basculer très rapidement. Dans ce contexte, la fin de carrière

sportive arrive souvent prématurément et il semble important que cette population prépare sa

seconde partie de carrière. Comme dans d’autres milieux professionnels, les sportifs doivent

être acteurs de leur évolution professionnelle (carrière protéenne, Hall, 1996) ;

Cette communication s’interroge sur les différentes stratégies mises en œuvre par les joueurs

pour préparer leur reconversion professionnelle à l’issue de leur carrière sportive. Il s’agit

ici de comprendre les facteurs sur lesquels s’appuient les individus pour effectuer ce virage,

notamment à travers la grille de lecture des carrières intelligentes (Defillipi, Arthur, 1994;

Parker et al., 2009) en ayant une approche subjective de la carrière (Parker, 2002).

Cette étude repose sur l’analyse de vingt entretiens de joueurs professionnels et présente une

typologie représentative des différentes stratégies adoptées. Elle vise également à identifier

les facteurs explicatifs de l’adoption des différentes stratégies. La possibilité de transferts de

compétences du milieu sportif à un autre secteur professionnel est également analysée.

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INTRODUCTION

La reconversion professionnelle revêt des réalités différentes pour les individus, selon ses

conditions et ses causes. Entre la situation de licenciement économique subie et la mise en

œuvre d’un projet professionnel choisi par le salarié, la capacité qu’a l’individu d’être acteur

de sa carrière est tout à fait différente. Ainsi, deux configurations de reconversion peuvent

être opposées : d’un côté, les reconversions non souhaitées et non anticipées, de l’autre les

reconversions souhaitées et anticipées (Glee et Scouarnec, 2008).

Or une autre configuration semble être intéressante à étudier. En effet, dans un contexte de

précarisation du parcours professionnel (Castel 2003 ; Mercure et Spurk, 2003), de relation

salariale distendue et de chômage, les transitions professionnelles, même lorsqu’elles sont non

souhaitées, deviennent probables voire inéluctables. Il paraît dès lors important pour les

salariés de les anticiper et de se préparer à une potentielle reconversion, de façon à être en

capacité de « rebondir » face à une situation professionnelle difficile. Il s’agit pour les salariés

de passer du « non souhaité non anticipé » au « non souhaité anticipé », ce qui se rapproche

du « passage du subir au choisir » évoqué par Glee et Scouarnec (2008). Devenir acteur de

son parcours professionnel, c’est être en situation de mettre en place des projets et des

stratégies pour faire face à une transition professionnelle future et pour « gérer intelligemment

sa carrière » (Parker et al., 2009).

Pour étudier cette configuration de reconversion professionnelle, la situation du sportif

professionnel est sans doute emblématique. En effet, le sportif est confronté à une rupture

professionnelle radicale et inéluctable lors de l’arrêt de sa carrière sportive, dont la fin ne peut

pas toujours être maitrisée. Plus largement, la fin de carrière sportive présente des

caractéristiques très spécifiques, qui en font un idéal-type, susceptible à ce titre d’apporter un

éclairage nouveau à la question des parcours professionnels dans le contexte actuel des

relations de travail. Au-delà de l’enjeu de cette question pour le sportif professionnel, il

semble donc que l’étude de ces reconversions professionnelles puisse avoir une portée plus

universelle.

Cette communication s’interroge sur les différentes stratégies mises en œuvre par les joueurs

pour préparer leur reconversion professionnelle à l’issue de leur carrière sportive. Il s’agit ici

de comprendre les facteurs sur lesquels s’appuient les individus pour effectuer ce virage,

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notamment à travers la grille de lecture des carrières intelligentes (Defillipi, Arthur, 1994;

Parker et al., 2009) en ayant une approche subjective de la carrière (Parker, 2002).

Cette étude qualitative repose sur l’analyse de vingt entretiens de joueurs professionnels et

présente une typologie représentative des différentes stratégies adoptées. Elle vise également

à identifier les facteurs explicatifs de l’adoption des différentes stratégies.

I. REVUE DE LA LITTERATURE

I.1. La fin de carrière des sportifs de haut niveau ou la retraite sportive

L’analyse de la fin de carrière des sportifs de haut niveau fait l’objet d’un grand nombre de

travaux de recherche exposés dans les revues spécialisées en psychologie du sport. Dans cette

littérature, le passage de l’individu du haut niveau sportif à une autre activité professionnelle

est analysé comme la dernière transition effectuée par le sportif dans sa carrière

professionnelle, succédant à un ensemble d’autres transitions vécues dans leur parcours

sportif (Lavallee et Wylleman, 2000, Cecic´ Erpicˇ et al., 2004) durant lesquelles l’image que

se font les sportifs de la retraite évolue (Torregrosa et al., 2004).

Ces recherches ont le mérite d’avoir clairement mis en évidence les dangers auxquels sont

exposés les sportifs lors de cette période délicate. En effet, si certains articles présentent la fin

de carrière sportive comme l’occasion d’une renaissance sociale (Coakley, 1983) et

l’opportunité d’un développement personnel (Stephan et al., 2003, Kerr et Dacyshyn, 2000),

la plupart considèrent qu’elle déstabilise profondément le sportif : elle génère fréquemment

du stress et une crise identitaire (Stephan et al., 2007, Lally, P. 2007, Alfermann et al., 2004)

et induit des effets traumatiques négatifs (Svoboda et Vanek, 1982 ; Cepic Erpic, Wylleman et

Zupancic, 2004), allant de l’ingestion d’alcool ou de substances illicites à la dépression. On

comprend dès lors qu’une meilleure compréhension des conditions favorisant une transition

de fin de carrière en douceur constitue un enjeu majeur pour la santé et le bien être de long

terme des sportifs de haut niveau.

Partant de ce constat, beaucoup de recherches ont tenté d’identifier les conditions permettant

de favoriser la réussite du processus d’adaptation. Ainsi, selon Schlossberg (1981, 1984) et

Charner et Schlossberg (1986), la décision d’arrêter volontairement sa carrière, associée à une

démarche d’anticipation et de préparation à la vie après le sport facilitent le processus

d’adaptation. Lavallee et Anderson (2000) préconisent d’étudier onze facteurs : le degré de

volonté dans l’arrêt de la carrière sportive, le sentiment de contrôle dans sa fin de carrière

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professionnelle, le degré d’identification avec le rôle de sportif, le degré de forclusion (de

rejet) vis-à-vis de l’environnement non sportif, la disponibilité des ressources d’adaptation,

l’expérience de transitions antérieures, la continuité post carrière d’une implication reliée au

sport, la planification de la carrière d’après sport, la conscience et l’utilisation de compétences

transférables, l’atteinte des buts reliés au sport, l’accès au service de soutien à la transition de

carrière.

Ici se pose la question de la meilleure façon d’expliquer les effets de chacun des facteurs

identifiés. Comme le suggère Schlossberg (1981, 1984), ces facteurs, individuels et

situationnels, sont susceptibles d’interagir d’abord lors de la construction des stratégies

élaborées par les individus pour construire leur projet de reconversion professionnelle, et non

pas seulement lors du processus d’adaptation post carrière. Or, la majeure partie des études

menées ont été effectuées auprès d’athlètes ayant arrêté leur carrière, c'est-à-dire à partir de

données qualitatives rétrospectives, qui semblent introduire un certain nombre de biais

d’interprétation et de rationalisation a posteriori, notamment par rapport à des éléments qui se

jouent avant l’arrêt de carrière, comme la préparation à la fin de carrière (Stambulova et al.,

2007, Torregrossa et al, 2004, Taylor and Ogilvie, 1994, 1998; Ogilvie & Taylor, 1993).

En se plaçant en fin de processus, ces recherches s’intéressent aux conséquences d’une

transition selon la manière dont elle a été conduite. Mais il est également possible de

renverser l’analyse, et de s’intéresser aux comportements des sportifs en poste, de sorte à

capter les logiques internes aux acteurs selon la stratégie d’anticipation qu’ils adoptent. Cette

démarche permet de sortir d’une analyse normative, qui cherche à établir ce qui devrait être,

et d’adopter une démarche plus prescriptive, chère aux sciences de gestion, qui tente de

modifier les conditions de l’action afin d’amener les individus à adopter un comportement

attendu.

Sur le plan théorique, l’analyse des transitions de carrière s’est élargie : d’un objet d’étude

ponctuel considéré comme « un évènement ou un non évènement qui débouche sur un

changement des représentations que l’on a de soi et du monde, et qui requièrent de ce fait un

changement du même ordre sur les plans comportemental et relationnel » (Schlossberg, 1981,

Schlossberg, Waters & Goodman, 1995), elle est analysée aujourd’hui comme un processus

dynamique, qui, dans le cas de la transition de fin de carrière, va de la préparation de la fin de

carrière à l’adaptation post carrière (Torregrosa et al., 2004, Stephan et al., 2003, Wylleman et

Lavallee, 2003). Dans cette perspective, une partie de l’analyse semble devoir porter sur le

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projet de reconversion professionnelle qui innerve la vie du sportif bien avant qu’il n’arrête sa

carrière sportive.

Identifier des typologies de stratégies de reconversion de carrière, combinant des

caractéristiques individuelles et situationnelles, nous semble donc un préalable important

avant de pouvoir en comprendre les effets sur la qualité de la transition post carrière. Ainsi,

dans cette étude, nous avons mobilisé un certain nombre des facteurs identifiés par la

littérature en psychologie du sport. Etant donné notre objectif de focaliser l’analyse sur le

projet de reconversion et afin de compléter cette littérature spécialisée, nous avons également

mobilisé la littérature en Sciences de Gestion sur les carrières intelligentes, ce qui constitue

une approche originale par rapport aux recherches existantes.

I.2. La littérature sur les carrières intelligentes

Les sciences de gestion se sont depuis longtemps intéressées aux parcours professionnels. Les

auteurs ont étudié les carrières en prenant en compte des aspects psychologiques, caractérisant

des « cheminements de carrière » liés aux styles cognitifs des individus (Driver, 1979).

L’étude des étapes de carrière et des orientations de celles-ci (Super, 1980, Hall, 1976) a

également permis de mieux appréhender les évolutions professionnelles au sein des

organisations. Aujourd’hui le contexte des carrières a évolué : les carrières linéaires mono-

organisationnelles avec progression hiérarchique systématique ne sont plus le modèle

prédominant. La littérature sur les carrières a pris en compte ces mutations et comprend

désormais plusieurs courants. Elle met notamment en parallèle le modèle des carrières

traditionnelles et celui des carrières post organisationnelles (“post-corporate carrer“, Peiperl

et Baruch, 1997). Pour ces dernières, il est souvent fait référence aux carrières nomades

(Arthur et Rousseau, 1996 ; Mirvis et Hall, 1994) qui mettent en avant l’idée que les individus

réfléchissent à leur évolution et construisent leurs parcours professionnels sans prendre en

compte la contrainte des frontières organisationnelles. Les individus sont nomades dans le

sens où ils n’hésitent pas à changer d’organisation, de métier, voire de région, pour satisfaire

leurs aspirations de carrière. Ces carrières sont caractérisées par des transitions fréquentes et

une individualisation des parcours. L’aspect proactif de l’individu dans la gestion de son

parcours est également souvent lié à son nomadisme. Lorsque l’individu devient l’acteur

principal de sa carrière, on parle alors de carrière protéenne (Hall, 1976,1996) définie de la

manière suivante : « la carrière protéenne est un processus que l’acteur, et non

l’organisation, gère. Cela consiste en des expériences variées vécues par chaque individu

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dans son éducation, sa formation, son travail dans différentes organisations, des changements

de métiers, etc… Les choix de carrière et la recherche de son accomplissement personnel

sont des éléments d’unification et d’intégration dans la vie d’une personne protéenne». Ainsi

de manière volontaire, ou bien souvent par la force des choses, l’individu devient responsable

de sa carrière et de son évolution professionnelle (Strickland, 1997). A contrario,

l’organisation se déresponsabilise en partie du parcours professionnel de ses salariés.

Si les concepts de carrières nomades et de carrières protéennes sont souvent liés, ils

représentent des degrés de liberté différents des individus. En effet, les carrières nomades ou

sans frontière signifient que les parcours peuvent être construits (de manière voulue et active

par les individus ou non) hors des cadres traditionnels d’une carrière (cadre organisationnel et

fonctionnel). Par carrière protéenne, les auteurs entendent plutôt mettre l’individu au cœur du

processus de l’évolution professionnelle, mais celle-ci peut se faire dans ou en dehors des

cadres traditionnels de l’organisation (pour plus de précisions, voir Baruch, 2006, Briscoe et

al., 2006).

La carrière des sportifs de haut niveau a d’une part un aspect nomade dans le sens où l’arrêt

de la carrière sportive est certain, amenant de fait à une reconversion professionnelle. Elle a

également et surtout un aspect protéen dans le sens où le sportif de haut niveau va devoir

choisir la stratégie qu’il juge la plus efficace pour réussir sa reconversion professionnelle,

dans la mesure où les clubs paraissent de plus en plus en retrait sur cette question.

Les parcours professionnels n’étant pas façonnés par les organisations, c’est aux sportifs eux-

mêmes de les construire et de définir en leurs propres termes leur idée de carrière. Sullivan et

Arthur (2003) défendent également cette idée de la vision subjective car pour eux, les

carrières nomades ne sont pas qu’un changement physique mais s’accompagne également

d’une mobilité psychologique propre à chaque individu. Ainsi la carrière ne doit plus être

considérée comme une donnée objective mais vue sous un angle subjectif où les étapes

passées et futures ne peuvent être comprises que par rapport à une rationalité individuelle.

Gunz et Heslin (2005) soulignent qu’il pourrait y avoir une vision subjectiviste (versus

objectiviste) de la carrière en demandant aux individus leur propre définition du succès (et ne

plus considérer comme dans la vision objectiviste les critères de satisfaction, d’intention de

quitter, etc… traditionnellement utilisés pour mesure le succès subjectif). Cependant pour ces

auteurs, il reste difficile d’opérationnaliser cette idée.

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Le concept de “carrière intelligente” (Arthur et al., 1995) permet cette opérationnalisation. En

effet, la carrière intelligente est une manière de représenter les leviers d’actions possibles pour

chaque individu dans son évolution professionnelle. Elle permet à l’individu d’identifier les

moyens qu’il peut actionner pour sa seconde partie de carrière.

Beaucoup de recherches ont mis l’accent sur l’employabilité comme moyen de réussir sa

transition de carrière. Il s’agit en effet de s’appuyer sur les compétences de l’individu qui sont

transférables d’une organisation à une autre ou d’un contexte à un autre. La grille d’analyse

de la carrière intelligente va plus loin dans le sens où d’autres moyens que les compétences

sont identifiés pour aider les individus dans leur transition de carrière (Parker, 2002).

La carrière intelligente indique aux individus trois piliers sur lesquels s’appuyer pour mener à

bien leurs projets professionnels :

- le « savoir comment » (Knowing How), qui renvoie aux compétences et expertises de

l’individu qui vont l’aider dans son travail et son comportement au travail. Il s’agit à la fois

des compétences explicites, qualifications et connaissances formelles et toute autre formation

ainsi que des compétences et connaissances tacites qui émergent des expériences. En

s’appuyant sur ce pilier, l’individu renforce son employabilité et cela peut lui amener de

nouvelles opportunités de carrière.

- le « savoir pourquoi » (Knowing Why) qui renvoie aux motivations, aux valeurs et au sens

que donne l’individu à sa carrière et à la place que sa carrière occupe dans sa vie. Il s’agit

donc pour l’individu de définir un projet professionnel qui soit en adéquation avec ses

aspirations personnelles. Cela va permettre à l’individu de faire ses choix de carrière et de

définir son degré d’engagement et d’adaptabilité à son projet. La représentation de l’individu

quant à son parcours et à sa carrière est essentielle lors des transitions professionnelles et il

est nécessaire « qu’ils restructurent leur vision du monde et leurs projets de vie »

(Parkes,1971, cité par Glee et Scouarnec, 2008) pour l’étape post sportif professionnel.

- et le « savoir avec qui » (Knowing Whom) qui reflète les relations interpersonnelles internes

et externes à l’emploi occupé par l’individu et sur lesquelles l’individu peut s’appuyer pour

obtenir de l’information ou d’autres ressources utiles pour sa carrière. Higgins et Kram (2001)

parlent de réseau de développement professionnel pour mentionner toute personne qui a un

intérêt actif et qui aide l’individu de quelque manière que ce soit dans sa carrière. Ce réseau

peut comprendre des relations de travail (fournisseurs, consommateurs, industries,

connections internes à l’organisation), mais également des relations personnelles (amis,

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familles, connaissances professionnelles) qui peuvent soutenir la personne dans son évolution

professionnelle.

Ainsi, chacun peut ancrer et construire sa propre évolution de carrière par rapport à l’une de

ces trois ressources. Ces trois voies sur lesquelles l’individu peut s’appuyer pour façonner sa

carrière peuvent se compléter, voire se renforcer mutuellement (Parker et al., 2009). Ainsi en

répondant à la question de pourquoi je travaille ? (Knowing why), l’individu peut orienter son

parcours vers l’acquisition de nouvelles compétences ou vers des types d’expériences ou de

postes (Knowing how) qui vont ainsi lui apporter plus ou moins de satisfaction

professionnelle. L’individu va aussi construire son parcours en étant influencé par des

personnes rencontrées dans certaines activités sociales (qui seront différentes d’un individu à

un autre selon ses valeurs et ses centres d’intérêts) car une carrière est faite d’interactions

sociales et ne se construit pas seul (Knowing whom).

De la même manière c’est en misant principalement sur le développement des compétences et

sur l’expérience acquise que l’individu va construire le sens de carrière (Knowing why) et ces

différents postes vont lui permettre d’être en contact avec des personnes (Knowing whom)

qu’il n’aurait pas rencontré autrement que par ses expériences professionnelles. Comme le

soulignent Podolny et Baron (1997), une partie du réseau social est hérité de sa position

professionnelle.

Enfin à travers son réseau personnel (Knowing whom), l’individu peut acquérir des ressources

qui vont lui permettre d’évoluer professionnellement. Ainsi beaucoup d’études ont montré

que le réseau personnel pouvait apporter des opportunités de poste externes ou internes

(Granovetter, 1995 ; Burt, 1992 ; Seibert et al., 2001) et permettre d’améliorer les

compétences et la performance au travail (Knowing how). Le réseau peut également apporter

à l’individu des normes et des valeurs (Coleman, 1988) par exemple et aider l’individu à

trouver son identité professionnelle (Dobrow et Higgins, 2005).

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II. METHODOLOGIE DE RECHERCHE

L'objectif de cette recherche vise à construire une typologie des stratégies de reconversion

de carrière des sportifs professionnels. L’étude du cas du rugby français permet de répondre à

cet objectif.

II.1. le cas des rugbymen professionnels français

Le rugby connaît depuis quinze ans des mutations profondes, sur lesquelles il convient

de revenir dans un premier temps, car ces évolutions ont une incidence majeure sur la

situation des rugbymen en fin de carrière sportive, et sur leurs processus de reconversion.

Ainsi, le rugby a connu l’avènement du professionnalisme au mois d’août 1995, date à

laquelle l’International Rugby Board, institution règlementant le rugby mondial, efface de ses

statuts toute référence à l’amateurisme obligatoire, qui était jusqu’alors la règle. L’effet de

cette modification sur le fonctionnement des clubs est très progressif, si bien que le processus

de mutation n’est probablement pas encore achevé. En effet, ce n’est que maintenant

qu’arrivent sur le marché du travail les premiers « retraités » n’ayant connu que le système

professionnel.

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Avec le professionnalisme, le rugby semble avoir changé de rythme, de culture et de

modèle économique. De rythme, car les entraînements se sont intensifiés1, ainsi que la

fréquence des matches. Culturellement, les joueurs ont cessé les troisième mi-temps

intempestives et le mode de vie festif qui participait pour une large part à l’identité culturelle

de ce sport de bons vivants. Mais c’est sûrement l’injection massive d’argent, avec

l’augmentation des droits de retransmission et l’explosion du sponsoring qui est à l’origine de

toutes ces évolutions. Aujourd’hui, les clubs sont gérés comme de véritables entreprises, et

recherchent avant tout la rentabilité. En corollaire, les joueurs sont à la fois des salariés,

subordonnés par un contrat de travail, et des actifs dont dépend la valeur de leur club. Ce

changement de statut impacte largement leur rémunération : en 1996, 600 joueurs signent un

contrat professionnel et gagnent un salaire mensuel moyen légèrement supérieur au SMIG

(Moles, 1998). Aujourd’hui, le salaire net moyen d’un joueur se situe autour de 10 000 € par

mois en Top 14, et de 4000 € par mois en Pro D22.

De plus, si traditionnellement la carrière d’un joueur était très liée à la trajectoire de

son club, c’est loin d’être le cas aujourd’hui. La désolidarisation entre le joueur et le club a

des conséquences sur la vie des joueurs, leur socialisation, la manière dont ils peuvent

construire leur trajectoire de vie et le désengagement du club à prendre en charge ou à aider à

la reconversion de ses joueurs. En tant qu’entreprises, les clubs ont le devoir de faire en sorte

que leurs salariés restent employables sur le marché du travail, au titre du droit à la formation

tout au long de la vie, mais la longue tradition d’outplacement, héritée de l’époque où ils

trouvaient un travail à leurs joueurs afin de les fidéliser et de les remercier de leur

contribution est bel et bien révolue. D’autant plus que si auparavant, les joueurs,

obligatoirement amateurs, travaillaient en parallèle de leur vie sportive, ce n’est plus le cas

aujourd’hui pour la quasi-totalité d’entre eux. Dans un contexte où ils s’entraînent

intensément, rendant difficile la conduite simultanée d’un double projet, mais où le niveau de

salaire ne suffit pas encore à les faire vivre de leur rente pour le restant de leur vie, la question

de la reconversion professionnelle à l’issue de la carrière sportive se pose avec acuité. A ce

sujet, en 1998, Moles rapportait ces propos de Fred Artigot, entraîneur des équipes

universitaires de Paul Sabatier de Toulouse, plusieurs fois championnes de France :« On

s'achemine doucement vers l'impossibilité de faire des études et du rugby de haut-niveau,

même si quelques clubs se penchent encore sur le devenir social». Il faisait également réagir

1 De trois fois par semaine en soirée, il sont passés à deux fois par jour en journée (Moles, 1998). 2 Données issues de documents internes de l’Agence XV, association en charge de l’accompagnement des sportifs concernant leur reconversion de carrière

13

Louis Gagniéres, le Président du RC. Nîmes, qui, selon lui, « a toujours privilégié la politique

de formation à celle d'un recrutement argenté » : « On prépare de futurs SDF et une cohorte

de chômeurs en crampons ».

La fin de carrière des rugbymen professionnels français représente également un cas

extrême de reconversion professionnelle, qui est favorable à la découverte et à la saillance des

phénomènes que l’on souhaite observer (Yin, 1989). D’abord, il s’agit de reconversions

radicales, dans la mesure où elles supposent un changement complet d’activité3. Par ailleurs,

les compétences développées par les sportifs de haut niveau sont très spécifiques, et de ce fait,

peut être, difficilement transférables vers d’autres métiers. Quel métier peut directement

exploiter des savoirs faire tels que donner une passe précise, participer à une belle poussée

collective ou encore mettre en place un plan de jeu vu à l’entraînement ? Ainsi, étudier la

reconversion des rugbymen amène à s’interroger sur la gestion d’une transition radicale pour

une main d’œuvre aux compétences à priori peu transférables.

Enfin, l’étude de la reconversion des rugbymen rejoint les enjeux des études portant sur les

effets psychosociaux négatifs engendrés par la fin de carrière. En effet, l’enquête de Provale4,

qui a recueilli le témoignage de nombreux anciens joueurs de rugby, démontre qu’une grosse

partie d’entre eux déclare des difficultés d’ordre psychologique. D’autres études françaises

témoignent également de cela (Collectif, 2004 ; Irlinguer et al , 1996).

II.2 : Protocole de recueil des données – définition de l'échantillon

L'objet même de ce travail a justifié la réalisation d'une analyse qualitative. En effet, le

recours à cette méthode nous permet d'apprécier l’interaction des éléments personnels et

situationnels rentrant dans la stratégie de reconversion des acteurs, ainsi que de nous

immerger dans le contexte dans lequel le projet se construit. Parmi le panel de sources de

données accessibles (Yin, 2003), nous avons choisi de réaliser des entretiens semi directifs en

face à face ou téléphonique avec les acteurs les plus concernés par le phénomène étudié

(Wacheux, 1996), c'est-à-dire des rugbymen ayant signé un contrat professionnel avec leur

club, jouant à un haut niveau sportif (Top 14 et pro D2) et dans une phase susceptible d’être

une période de préparation à la reconversion. Cette phase commence dès que le joueur a signé

3 Parmi les anciens rugbymen professionnels, seulement 22 % se sont reconvertis en restant dans le secteur du sport, considéré de manière large (Eisenberger, 2007). 4 Eisenberg, F. (2007). Fin de carrière et reconversion des rugbymen professionnels en France, Etude commandée par Provale, Union des joueurs de rugby professionnels, mai 2007

14

un contrat à durée déterminé avec un club et se termine lors de son départ en retraite sportive.

Cette période dure généralement entre 10 et 20 ans, en fonction de leur entrée professionnelle

dans un club (au plus tôt à 18 ans) et de leur départ en retraite sportive (au plus tard à 40 ans).

Cette étude qualitative s'appuie sur 20 entretiens réalisés auprès de rugbymen

professionnels de clubs du Top 14 et de pro D2 du sud de la France. Conformément au type

de recherche, les critères de définition de l'échantillon sont assez larges afin de maximiser la

diversité des situations dans lesquels nous allons relever les informations (Patton, 2002). Les

acteurs interrogés ont entre 23 et 39 ans.

Ces entretiens sont d’environ 1 heure. L'élaboration d'un rapport des attitudes et des

comportements perçus lors des rencontres ainsi que l'enregistrement de la totalité des

entretiens, et leur transcription intégrale, ont contribué à une meilleure restitution de la

richesse des échanges.

II.3 : Traitement et analyse des données

Parmi les techniques de traitement des données qualitatives existantes, nous avons soumis

l'ensemble de nos données recueillies à une analyse de contenu thématique assistée par le

logiciel NVIVO 8. Nous avons élaboré une grille de codage théorique inspirée de la littérature

évoquée précédemment. Ainsi nous avons retenu 13 codes que nous avons regroupés dans

trois catégories thématiques : la situation professionnelle actuelle du joueur, l’analyse de la

reconversion par le joueur et la préparation pour la reconversion. Les deux premières

catégories sont composées de codes construits à partir de la littérature en psychologie

sportive, tandis que la troisième utilise principalement des codes issus de la littérature sur la

carrière intelligente. Au sein de la première catégorie, nous avons notamment utilisé les

résultats de Lavallee et Anderson (2000) et retenu 4 codes : le profil socio professionnel du

joueur, la carrière sportive, l’identification au rugby et le soutien social. Au sein de la

seconde, nous avons identifié 5 codes : le sentiment de contrôle de sa fin de carrière

professionnelle, la préoccupation pour la reconversion, l’employabilité perçue, le rôle du club

dans la reconversion, les dispositifs d’accompagnement. Là également, les travaux de

Lavallee et Anderson (2000) ont servi de point d’ancrage, mais ils ont été complétés par ceux

d’Alfermann et al. (1997) et de Taylor et Ogilvie (1994). Enfin, la troisième catégorie est

composée de 4 codes : le « knowing whom », le « knowing how », le « knowing why » et le

projet professionnel.

15

Etant donné le codage parallèle de plusieurs chercheurs, un pré travail approfondi de

sélection, de définition et de description des codes a été nécessaire pour homogénéiser

l’interprétation. Ce travail a été réalisé après que chaque chercheur ait retranscrit au moins

trois entretiens et lu une première fois l’ensemble des entretiens. Les chercheurs se sont alors

réunis pour stabiliser une pré grille de codage et répartir la tâche de codification. Il a été laissé

possible à chaque chercheur de faire évoluer cette grille au fil de l’analyse des entretiens.

Ainsi, la typologie proposée est une combinaison d'approche déductive et inductive. Après

que chacun ait opéré sa tâche de codification, les chercheurs ont échangé leurs résultats et une

deuxième analyse par un autre chercheur a été effectuée pour chaque entretien. Cette

triangulation théorique (Denzin, 1989) doit permettre d’asseoir la validité interne de la

recherche. Celle-ci a abouti à des propositions de recodages et de réinterprétations. Enfin,

l’ensemble des résultats ont été réunis, et, après consensus, ont abouti à une grille finale de

codages et d’extraits d’entretien à partir de laquelle la phase d’analyse a pu être effectuée. Le

travail de typologie a consisté tout d’abord à identifier les codes discriminants entre les

individus pour comprendre leur stratégie de carrière. Cette première phase a abouti à

l’élimination de certains codes, jugés par l’ensemble des chercheurs comme non structurant.

Celle-ci a été également l’occasion de vérifier la pertinence des codes issus de la littérature

sur les carrières intelligentes pour construire la typologie. Une deuxième phase a consisté à se

focaliser sur les résultats de ces codes afin d’analyser la façon dont chaque individu combine

ses savoirs pour concevoir sa stratégie de carrière. Après débat et élaboration de schémas

(exemple de la figure 1) discutés, quatre combinaisons ont été retenues et ont été nommées.

Dans une dernière étape, nous avons testé la pertinence de cette typologie en vérifiant que

chaque individu pouvait s’inscrire dans une catégorie.

III. RESULTATS

III.1 : Présentation de la typologie des stratégies de reconversion

La figure 1 représente la manière dont les individus intègrent les attentes et motivations (le

« savoir pourquoi »), les compétences (le « savoir comment ») et le réseau (le « savoir avec

qui ») dans l’élaboration de leur stratégie de carrière. Nous voyons que quatre types de

stratégies se distinguent. Parmi celles-ci, deux s’appuient principalement sur le « savoir avec-

qui », c'est-à-dire sur le réseau (les « attentistes » et les « opportunistes »), une trouve son

origine dans le « savoir comment », c'est-à-dire dans la compétence acquise (les « experts »)

16

et enfin la dernière se fonde sur le « savoir pourquoi », sur le sens que les individus se font

d’une carrière réussie (les « entrepreneurs »).

- Les « attentistes »

Les attentistes misent beaucoup sur les opportunités que leur donnera le réseau social

construit au cours de leur carrière sportive, notamment les partenaires économiques du club.

Ils n’ont pas encore de projet de carrière post-rugby précis, et n’ont pas encore bien défini ce

qu’ils attendent de la suite de leur carrière. Ainsi cette catégorie de joueurs semble centrer

leur effort sur la réussite de leur carrière sportive, comme principal tremplin pour une réussite

post rugby. Ils comptent sur les opportunités qu’ils rencontreront pour trouver leur mode de

reconversion : ils investissent donc en priorité l’aspect « savoir avec qui » de la carrière

intelligente. Dans cette configuration, la question du sens donné à la carrière (savoir

pourquoi) vient à posteriori, de façon à rationaliser ex post le processus de reconversion. Par

ailleurs, les rugbymen « attentistes » ne peuvent pas vraiment miser sur leurs compétences,

sur le « savoir comment », car ils jugent que celles-ci sont peu transférables, et n’enclenchent

pas non plus d’actions pour acquérir d’autres compétences, dans la mesure où ils ne savent

pas vraiment ce à quoi ils se destinent. La préparation à l’après carrière sportive semble

réduite à son minimum, de manière passive, via le cercle amical que le rugby engendre. Les

sportifs qui adoptent cette stratégie prévoient néanmoins de devenir un peu plus proactifs dans

les années qui précèderont la fin anticipée de leur carrière, soit en cultivant les relations avec

les partenaires économiques du club, soit en s’inscrivant à des formations

professionnalisantes. Mais au moment de l’enquête, et bien que tous les sportifs de cette

catégorie aient plus de 26 ans, aucune action concrète n’a été conduite en vue de la

reconversion professionnelle.

17

Figure 1. Représentations des stratégies de carrière projetées par les différents types de sportifs professionnels identifiés

Légende :

- Les éléments représentent les différents leviers qui permettent de construire une carrière : le sens (les attentes et les motivations par rapport au travail : le savoir pourquoi), les compétences (le savoir comment) et le réseau social (le savoir avec qui). L’ordre avec lequel ils s’articulent entre eux et avec la reconversion dans un nouveau métier est une représentation de la manière dont les rugbymen de chaque catégorie projettent le processus qui va donner lieu à leur reconversion.

- Les mots en gras soulignés et les flèches épaisses désignent les étapes du processus qui sont déjà en cours, que les rugbymen appartenant à cette catégorie mettent en œuvre de manière volontariste au cours de leur carrière rugbystique.

Ainsi, la préparation concrète permise par chaque type de stratégie est mise en relief.

Réseau

Sens Compétences Reconversion Compétences

Réseau Reconversion

Compétences

Sens

Réseau Reconversion Sens

Les « attentistes »

Les « opportunistes»

Les « experts »

Réseau

Sens Compétences Reconversion

Les « entrepreneurs »

18

Le flou du projet professionnel caractéristique des attentistes

Christophe5, 27 ans, joue en Top 14. Donc d’ici un an, je commencerai une formation. Laquelle, je ne sais pas ? Du moins, j’ai plein d’idées, quelques idées, de tout et ... Sur lesquelles je ne me suis pas trop penché non plus. Après d’ici un an, tel que je me connais, des idées, il y a en plein d’autres qui vont arriver. Et donc, je verrais bien, vraiment au moment où il faudra, me pencher et cibler là où je veux me lancer. […] Après c’est vraiment des idées. C’est à dire il n’y a vraiment rien en place. Il n’y a aucune formation.

Le réseau comme solution à la faible transférabilité perçue des compétences

Mathieu, 27 ans, joue en Top 14. Je me vois plutôt avec des professionnels d’autres domaines et moi être plutôt partenaire ou être collaborateur mais comme moyen de financement. Mais être sur le terrain, ça me paraît plus difficile parce que je n’ai pas de formation et d’expérience professionnelle.

La compétence, pensée comme un outil au service d’un projet défini :

Mathieu, 27 ans, joue en Top 14. Ça dépend aussi des opportunités professionnelles que je pourrais avoir avec les relations qu’on me propose et suite à cela faire une formation adéquate et voilà…

Possibilités offertes par le réseau et la notoriété:

Christophe, 27 ans, joue en Top 14. Après il faut se servir de tout ce qu’on a vécu dans le rugby et partagé avec différentes personnes, il y a beaucoup de partenaires au club et je pense que ce seront des personnes qui seront heureuses certainement si tout va bien de nous accueillir dans leur structure pour différentes choses, de différentes manières pour des formations, pour des embauches.

- Les « opportunistes »

Les opportunistes placent également de forts espoirs dans les possibilités de reconversion que

leur apportera le réseau social dont ils bénéficient par le rugby. Ils misent aussi sur le pilier de

carrière : « savoir avec qui », et ne bénéficient pas non plus d’un « savoir pourquoi » bien

défini. Ils n’ont pas non plus de projets précis, ni de représentations claires d’une carrière

réussie. Ainsi, le sens de leur carrière se clarifiera probablement ex post. Cependant, ils se

distinguent de la première catégorie de rugbymen par le fait qu’ils investissent fortement dans

l’acquisition de nouvelles compétences, dans le « savoir comment », avec une logique

d’accumulation. Leur idée est qu’en engrangeant des compétences susceptibles de les rendre

employables, ils auront plus de ressources, et donc plus de facilité par la suite à se valoriser

auprès du réseau. Ainsi, les « opportunistes » semblent chercher à réduire les risques auxquels

va les exposer leur fin de carrière sportive.

5 Afin de respecter la confidentialité des déclarations, étant donné que les joueurs de rugby professionnels jouissent d’une certaine notoriété, nous avons remplacé leur vrai prénom par un prénom fictif.

19

Logique d’accumulation de compétences pour augmenter l’employabilité

Benoît, 25 ans, joue en Top 14. Parce qu’on se dit qu’on ne sait pas ce qu’on fera après le rugby et que plus on a de diplômes plus notre salaire sera sûrement élevé et qu’on aura une porte ouverte plus large en ayant plus de diplômes.

Marc, 25 ans, joue en Top 14. Avec mon permis poids lourd, si demain je suis à la rue, je prends mon camion et je vais travailler pour un livreur, et ça me fait une rentrée d’argent pour nourrir ma famille […] Après la licence, si je trouve une autre formation à faire, je la ferai. Parce que quand j’y réfléchis, je disais tout à l’heure j’ai passé trois ans sans rien faire, mais en fait ce n’est pas vrai. J’ai passé le permis poids lourd, le permis moto, le permis bateau, le niveau 1 de plongée, je voulais passer les CASES, enfin les petits engins élévateurs pour la manutention, je voulais passer plein de petits trucs comme ça.

Intérêt perçu du réseau pour la reconversion

Benoît, 25 ans, joue en Top 14. Donc moi je pense que tout ça ce sont des opportunités, la fin de carrière, pour moi ce sera une opportunité, un contact qui fera que, une relation […]

Eric, 31 ans, joue en Top 14. Moi, je me suis toujours dit que ce serait toujours la bonne rencontre qui ferait que j’arrêterai le rugby comme ça. La bonne rencontre au bon moment.

- Les « experts »

Les experts se destinent à des carrières au sein du milieu sportif, en tant que préparateur

physique, entraîneur ou sélectionneur. Ils construisent leur stratégie de carrière sur leurs

expertises dans le milieu du sport et leur acquis en termes de compétences, car ils considèrent

leur expérience hautement transférable et légitimante. Ce vécu leur permet d’être sûrs du sens

qu’ils donnent à leur carrière, la passion pour le sport, puisqu’ils s’inscrivent dans la

continuité. Ainsi, pour eux, le pilier de carrière « savoir pourquoi » est prédominant, et il

entraîne dans sa suite une réflexion sur le « savoir comment ». Confortés par cette certitude,

ils s’investissent entièrement dans l’acquisition des compétences qu’ils doivent encore obtenir

pour prétendre aux postes convoités. Le réseau, issu du milieu sportif, est perçu comme une

aide dans l’acquisition des compétences et comme une ressource importante pour trouver les

appuis politiques et relationnels nécessaires à l’obtention d’un poste, dans un milieu qu’ils

perçoivent comme assez fermé.

Sens donné à sa carrière : vient de la compétence sport, du plaisir et de la continuité qu’elle procure

Laurent, 28 ans, joue en Top 14. J’aimerais rester dans le monde du sport, du rugby, dans le monde de la préparation physique… Parce que voilà j’aurai fait 10-15 ans pro, je connaîtrai le métier pas sur le bout des doigts mais j’aurai de quoi parler, même si j’aurais pu faire autre chose, mais quand tu fais quelque chose tu es obligé de le pratiquer, c’est mieux d’avoir des repères et avoir des repères, c’est bon donc c’est plus ça qui m’a fait plus basculer. Je me sers de ce que j’ai appris, de ce que j’ai vécu et de ce que j’aime pour grandir et voilà… je sais de quoi je parle, c’est plus facile

20

Acquisition de compétences orientées vers le projet de reconversion

Bertrand, 27 ans, joue en Top 14. J’ai passé la première partie du diplôme d’entraîneur, le

tronc commun du brevet d’état et là je compte passer la spécialisation rugby, la 2ème partie avant la fin de ma carrière, de telle façon qu’à la fin de ma carrière je puisse pouvoir

entraîner et être rémunéré. […] Là réellement la priorité c’est cette 2ème partie d’entraîneur pour avoir le diplôme reconnu. Peut-être je vais mettre 2 ans ou 3 ans pour le passer. Donc je me dis que si je le passe maintenant, j’arriverai bien avant la fin de ma carrière avec un diplôme qui me plait et qui est validé et ce sera une inquiétude en moins ou un poids en moins.

Rôle du réseau et de la réputation:

Bertrand, 27 ans, joue en Top 14. Pour être entraîneur, tout simplement, il faut qu’on parle de nous en bien dans le milieu du rugby. Il faut qu’après les clubs qui cherchent un entraîneur, il faut que quelqu’un glisse ton nom et dise que « ce joueur a été un excellent joueur, il a toutes les qualités pour être un bon entraîneur, par exemple je te conseille de l’essayer ». Voilà et ça, pour arriver ça, il faut l’anticiper tant qu’on est joueur et qu’on est encore dans la lumière.

- Les « entrepreneurs »

Ils sont concentrés sur l’objectif de conserver un bon niveau de vie à l’issue de leur carrière

sportive. Ils déclarent également chercher une carrière qui leur donnera de l’indépendance, de

la souplesse et du plaisir. Ce sens qu’ils donnent très clairement à leur carrière les conduit à

vouloir créer leur entreprise afin d’être leur propre patron. L’investissement dans les

compétences, via les formations et l’expérience sur le terrain, leur permet de concrétiser peu à

peu ce projet. Le réseau, généralement externe au milieu du rugby, est perçu comme un apport

de compétences complémentaires, nécessaires à la réalisation du projet. Cette dernière

catégorie perçoit l’après carrière comme un nouveau cadre de réinvestissement, dont il espère

un sentiment d’accomplissement personnel aussi fort que celui qu’il retire du rugby.

Objectif : conserver un bon niveau de vie, de l’indépendance et du plaisir

Stéphane, 31 ans, joue en Pro D2. Pour moi, il y a une notion essentielle : c’est s’épanouir dans son travail. […] Mais moi, je pense que je ne me plairais pas du tout comme un salarié ou comme quelqu’un qui reçoit des ordres. On m’a toujours habitué à être assez autonome au rugby, bien sûr au sein d’un groupe mais on a quand même cette liberté et c’est vraiment ce que je recherche. […] Voilà, mon but, ce n’est pas de me mettre à l’abri ou un but sécuritaire. C’est vraiment de gagner de l’argent.

Réseau extérieur au rugby, complémentaire des compétences

Thomas, 23 ans, joue en Pro D2. Je compte commencer par des cours d’ambulancier purs et durs, et puis après embrayer sur des cours de gestion d’entreprise, voire de comptabilité, enfin oui et non parce que j’ai ma femme qui est là dedans, donc c’est un projet que l’on a à deux, d’arriver à gérer l’entreprise à deux quoi.

21

Deux axes permettent de distinguer les stratégies adoptées par les rugbymen, comme l’illustre

la figure 2.

Ainsi, la typologie dégagée fait état d’un grand axe distinctif, qui est la préexistence ou non

d’une réflexion sur les attentes vis-à-vis de sa carrière, en amont du projet professionnel (le

savoir pourquoi). Les « experts » et les « entrepreneurs » sont les deux catégories de joueurs

capables de répondre clairement à cette question : « pourquoi travailler ». Et les réponses

qu’ils donnent sont très différentes. Pour les premiers, l’enjeu est de conserver la passion liée

au rugby et les compétences développées, tandis que pour les seconds, il s’agit de garder le

même niveau de vie, ce qui passe par un projet de création d’entreprise. Les « opportunistes »

et les « attentistes » ne parviennent pas encore à définir clairement ce qu’ils attendent de leur

carrière.

Figure 2. Les quatre stratégies de reconversion identifiées

Attentes claires de la carrière

Attentes confuses de la carrière

Non acquisition de compétences

Acquisition de compétences

ATTENTISTES

ENTREPRENEURS

EXPERTS

OPPORTUNISTES

Investissement dans le « savoir pourquoi »

Investissement dans le savoir comment »

:

22

Le second axe de différenciation concerne l’acquisition de compétences en vue de la

reconversion (le savoir comment). Cette acquisition, pour les experts et les entrepreneurs, est

naturellement guidée par le projet professionnel, c’est à dire le « savoir pourquoi ». Pour les

opportunistes, la stratégie adoptée consiste à engranger des savoirs et des savoir-faire pour

augmenter leur capacité à répondre aux opportunités susceptibles de se présenter via le

« savoir avec qui». Pour les attentistes, la question de l’acquisition de compétences est

prématurée, puisqu’elle doit logiquement contribuer à la réalisation d’un projet professionnel,

qui lui-même n’est pas encore défini. Pour préparer leur reconversion, les attentistes ne

s’appuient donc ni sur le « savoir comment », ni sur le « savoir pourquoi ».

La typologie décrit donc quatre projections différentes de la manière dont la reconversion va

se mettre en place. Il est important de noter que dans certaines représentations, les rugbymen

se vivent en acteurs de leur reconversion (c’est le cas des entrepreneurs et des experts), tandis

que dans d’autres ils sont plus dans une position de spectateurs (les attentistes). Les

opportunistes se situent dans une représentation de leur rôle qui parait moins confortable, dans

la mesure où ils voudraient agir mais n’ont pas d’orientation claire à donner à leurs actions.

On peut alors se demander ce qui amène certains rugbymen, paradoxalement, à construire ce

type de stratégie de carrière, et, plus généralement, chercher les facteurs explicatifs de l’une

ou l’autre des postures adoptées.

III. 2. Identification des facteurs associés à l’adoption de l’une ou l’autre des stratégies

de reconversion

Certains facteurs, intégrés dans la grille de codage et traditionnellement reconnus comme

participant aux processus de reconversion de carrière sont ressortis comme discriminant dans

notre analyse : le degré de préoccupation pour cette transition, le sentiment de contrôle, le

degré d’anticipation et de préparation, le degré d’identification au monde du sport. En

revanche, le rôle des organismes accompagnateurs et des organisations employeuses est perçu

par l’ensemble des rugbymen d’une manière sensiblement identique, et en tout cas ne

contribue pas à expliquer l’appartenance à l’une ou l’autre des catégories identifiées.

Le sentiment de contrôle et la préoccupation pour la reconversion professionnelle

23

Le sentiment de contrôle émane de la libre décision de mettre fin à la participation sportive de

haut niveau et de la proximité temporelle avec cette fin de carrière. Il dépend des causes

anticipées de la retraite sportive, volontaires ou involontaires, vécue négativement ou

positivement, et de l’incertitude liée à l’avenir.

La préoccupation pour la reconversion professionnelle mesure l’importance accordée par le

rugbyman à sa reconversion, qui se concrétise par le temps qu’il passe à y penser ou à agir

pour la préparer, mais également par des affects positifs (sérénité) ou négatifs (stress, peur).

La stratégie suivie par les opportunistes, que l’on a décrite ci-dessus comme paradoxale,

surprend car elle repose sur l’acquisition de ressources (par la formation) afin d’atteindre un

objectif qui lui-même n’est pas encore précisé. Cette approche consiste finalement à mettre

« la charrue avant les bœufs ». Ce résultat s’explique par le fait que les opportunistes se

caractérisent à la fois par une assez forte préoccupation pour la reconversion, et par un faible

sentiment de contrôle la concernant. Les rugbymen placés dans cette configuration se sentent

probablement pris en étau, et dans un certain inconfort psychologique. Le fait de vouloir

accumuler des compétences semble correspondre à une volonté de réduire l’incertitude dans

laquelle les plonge leur manque de visibilité sur leur avenir. A contrario, chez les attentistes,

la préoccupation pour la reconversion de carrière est faible, ils ne se sentent pas vraiment

concernés par la question, pour différentes raisons (employé de mairie, rentes financières,

âge…), ce qui évacue la question de l’inconfort psychologique. Enfin, les entrepreneurs et les

passionnés se caractérisent par une forte préoccupation pour la reconversion, et par un

sentiment de contrôle plus élevé que les deux autres catégories.

24

Tableau 1 – Principales caractéristiques de la typologie de stratégie de reconversion des rugbymen français

Les attentistes Les opportunistes les experts les entrepreneurs

Principe fondateur de la stratégie

Attendre que le réseau issu du milieu sportif les aide à réussir

leur reconversion

Accumuler un maximum de ressources pour provoquer des

opportunités, qui seront proposées par le réseau social

Rester dans un métier relié au sport et au rugby afin de valoriser leur expertise

sportive et poursuivre leur passion

Etre proactif et acteur de sa reconversion afin de

s’accomplir personnellement et garder un niveau de vie

acceptable

Levier central de carrière et articulation des autres leviers

Le réseau

(Savoir « avec-qui »)

Le réseau

(Savoir « avec-qui »)

Exploité grâce à une accumulation de compétences

propres à augmenter l’employabilité

Les compétences

(Savoir « comment »)

Renforcées par la certitude que le projet répond à ce que le joueur attend de sa carrière.

Le réseau, issu du milieu rugbystique, se greffe sur le

projet pour le consolider

Le sens de la carrière

(Savoir « pourquoi »)

Détermine le projet et les compétences à acquérir.

Le réseau, externe au monde rugbystique, se greffe sur le projet pour le consolider.

Facteurs discriminants

- Préoccupation faible pour la reconversion

- Identification au rugby forte

- Facteurs socio démographiques (niveau d’étude faible, âge > 27)

- Préoccupation forte pour la reconversion

- Sentiment de contrôle faible

- Identification au rugby déclinante

- Facteurs socio démographiques (niveau d’étude assez élevé (Bac +2 ou plus), âge entre 25 et 31)

- Préoccupation forte pour la reconversion

- Sentiment de contrôle fort

- Identification au rugby forte

- Facteurs socio démographiques. Niveau d’étude varié.

- Préoccupation forte pour la reconversion

- Sentiment de contrôle fort

- Identification au rugby déclinante

- Facteurs socio démongraphiques : âges très hétérogène (23-32), niveau d’étude assez élevé (Bac+2 ou plus)

25

Sentiment de contrôle et de la préoccupation pour la reconversion pour les « opportunistes »

→ Sentiment de contrôle faible et préoccupation forte

Marc, 25 ans, joueur de Top 14. A chaque fois, tu remets la question à la prochaine échéance de ton contrat. C’est là où c’est délicat […] J’espère prendre ma décision et arrêter. Ca voudrait dire que j’aurai toujours eu des clubs et que tout s’est bien passé q. Là par exemple, on est en fin de contrat, moi si demain je ne trouve pas un club, je suis au pôle emploi. C’est comme ça que ça se passe.

→ Préoccupation pour la carrière assez forte

Antoine, 30 ans, joue en Pro D2. Je me suis souvent préoccupé de ma reconversion, j’ai toujours essayé de m’y mettre avec le temps que j’avais.

Préoccupation de carrière chez les « attentistes » :

Mathieu, 27 ans, joue en Top 14. Donc ma préoccupation ce n’est pas forcément la reconversion professionnelle, c’est surtout enfin moi j’ai ou j’aimerais acquérir un certain niveau de rente au delà de 32 ans, donc j’ai tout axé sur ça.

Yohann, 38 ans, joueur en Top 14. Cela ne me préoccupe pas parce que moi, ma reconversion, je l’ai déjà (il a travaillé jusqu’en 96 comme employé de la ville). Si je veux faire autre chose je peux, mais pour l’instant ma reconversion je l’ai déjà, donc moi par rapport aux jeunes de maintenant, je ne suis pas à la rue, si j’arrête le rugby, j’ai un emploi derrière.

L’évolution de l’identité professionnelles et des représentations

Ce facteur cherche à apprécier l’idée selon laquelle une forte identification de joueur au rugby

serait un frein pour mettre en place une stratégie claire de reconversion et pour se projeter

dans une autre activité professionnelle. En effet, une forte identité professionnelle peut créer

certaines rigidités, certains blocages en période de transition professionnelle, car, selon

Schlossberg (2005), le processus consiste justement à modifier les représentations que l’on a

de soi et de son environnement pour parvenir à passer le cap sereinement. Mais le changement

identitaire que demande la reconversion professionnelle dépend fortement de l’écart existant

entre l’ancienne et la nouvelle profession (Dubar, 2000).

Dans le cas des « experts », le choix consiste à rester dans la continuité de la carrière sportive,

en restant dans le même milieu et sur le même principe de fonctionnement (travail de terrain,

guidé par la performance et la compétition). Les raisons invoquées pour ce choix sont la

passion d’une part, et la satisfaction de pouvoir apporter à son nouveau métier un certain

éclairage issu de l’ancienne profession. Ce choix est probablement celui qui remet le moins

en question l’identité professionnelle des individus. C’est probablement la raison pour

laquelle l’une des spécificités fortes des « experts » est leur degré d’identification au rugby,

qui est élevée et qui ne tend pas à diminuer, comme on peut le constater par exemple auprès

26

des « opportunistes » ou des « entrepreneurs ». En effet, les discours recueillis suggèrent que

ces derniers ont déjà transformé les représentations qu’ils avaient d’eux-mêmes et de leur

environnement, et qu’ils sont prêts à accueillir la transition professionnelle comme une

nouvelle voie de développement personnel et d’ouverture au monde. Chez les « attentistes »,

en revanche, la représentation de soi semble être bloquée à la situation présente, si bien que

les individus peinent à se projeter dans une nouvelle profession.

Degré et évolution de l’identification au rugby selon les types de stratégies :

→ L’identification au rugby et les « opportunistes » :

Bertrand, 27 ans, joue en Top 14. De toute façon, depuis l’âge de 14 ans, on vit là dans le sport, on baigne là dedans, ça sera difficile de suivre un autre chemin. Maintenant, la compétition, c’est devenue quelque chose dont on a besoin. Dès lors qu’on est plus en compétition, ça n’a plus de saveur.

→ L’identification au rugby des « experts »et des «entrepreneurs »:

Marc, 25 ans, joue en Top 14. Quand on rencontre quelqu’un c’est par l’intermédiaire du rugby. C’est pour ça que ça nous fait du bien de venir en cours, de voir d’autres personnes, des gens de notre âge […] Moi j’ai toujours un peu regretté de ne pas avoir de vie étudiante oui… Parce qu’il faut faire des choix… On ne peut pas sortir le jeudi soir, on ne peut pas aller en cours tout le temps. La vie étudiante, j’ai toujours eu le regret de ne pas l’avoir vécue. Mais je ne regrette pas ce que je fais… il est là le paradoxe.

Cyril, 26 ans, joue en Top 14. C’est déjà une grosse prise de tête le rugby donc si en plus on ne se coltine que du rugby… Donc avoir des projets en cours, ça permet de penser à autre chose… Et puis ça nous permet de préparer notre reconversion … Donc c’est un bon compromis.

→ L’identification au rugby et les « attentistes »:

Mathieu, 27 ans, joue en Top 14. J’ai un but, et une stratégie mais j’ai du mal à me projeter après, mais je sais quand ça va s’arrêter, je sais très bien que le niveau de vie baisse, je le sais très bien, je ne me leurre pas du tout … mais j’ai du mal à me projeter encore.

L’anticipation de la reconversion

Le niveau d’anticipation de la reconversion par le rugbyman est déduit du degré de clarté, de

planification et de mise en œuvre du projet professionnel.

Les différences de représentations ont une incidence sur les actions engagées par les

rugbymen, au cours de leur carrière sportive, en vue de préparer leur reconversion. Ainsi, la

figure 1 représente d’une part les quatre représentations mentales que les rugbymen peuvent

27

avoir de la manière dont s’organisera leur reconversion de carrière, et d’autre part les actions6

qui ont effectivement été engagées par les rugbymen au moment où on les interroge. Cette

distinction entre stratégie projetée et stratégie mise en œuvre permet de mettre en évidence

que certaines stratégies de reconversion induisent plus rapidement que les autres une

concrétisation. Ainsi, il semble que lorsque la stratégie de reconversion se fonde sur le sens

plus que sur le réseau, elle puisse être mieux anticipée.

Les facteurs sociodémographiques

Les facteurs sociodémographiques font apparaître quelques spécificités, surtout dans la

catégorie des attentistes, qui présente sur cet aspect des profils homogènes, qui les

différencient des autres. Il apparaît ainsi que les sportifs qui adoptent une stratégie

« attentiste » sont plutôt des sportifs qui n’ont pas fait d’études supérieures (ils ont au

maximum un niveau baccalauréat), à l’inverse des « opportunistes » et des « entrepreneurs ».

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les « attentistes » ne sont pas caractérisés par leur

jeune âge. Si les autres catégories correspondent à des sportifs de tout âge, il semble que la

catégorie des « attentistes » concerne moins les jeunes sportifs que les autres. Ainsi, la raison

du manque de préoccupation ou de la difficulté à se projeter ne semble pas liée à la distance

temporelle qui sépare le rugbyman de sa retraite sportive.

Les facteurs non discriminants – le rôle du club

A côté des facteurs discriminants précédemment présentés, certains facteurs étudiés n’ont pas

permis de différencier les différentes stratégies de carrière les unes par rapport aux autres.

Ainsi, par exemple, les personnes interrogées ont unanimement décrit le même rôle perçu du

club dans le processus de reconversion professionnelle de ses joueurs. L’ensemble des joueurs

interrogés jugent que leur club se déresponsabilise totalement de leur devenir. Ce manque

d’engagement à leur égard est justifié par le fait que le rugbyman est payé pour être

performant, de la même manière que tout autre salarié, mais qu’il n’est pas lié au club par une

autre relation que celle que prévoit le contrat de travail strict. Les verbatims suivants montrent

que les sportifs dans leur ensemble ont pris acte de ce changement culturel radical.

6 Ces actions apparaissent en gras, en souligné, et avec des flèches plus épaisses (les cadrans et les flèches non épaisses signifient à l’inverse que ces étapes sont projetées par le rugbyman comme faisant partie de son processus de reconversion futur, mais qu’elles n’ont pas encore été mises en chantier).

28

Perception de l’implication du club pour les joueurs

Benoît, 25 ans, joue dans le Top 14. Bon après la reconnaissance, à moins d’être une vedette, franchement le jour où tu arrêtes le rugby, elle n’existe plus, ils n’en ont plus rien à foutre, le club, les supporters, à part vraiment peut être les mordus mais autrement moi je ne trouve pas qu’il y ait de reconnaissance vis-à-vis des anciens. Quand on voit ce que certains anciens ont fait pour des clubs et que quand ils viennent au match, il faut qu’ils payent leur place alors qu’ils ont joué pendant 10 ou 15 ans dans un club, des trucs comme ca c’est …Et c’est un peu partout pareil. C’est pour ca qu’il faut en profiter tant qu’on est dans le système. Le jour où ça s’arrête, …

Laurent, 28 ans, joue dans le Top 14. Le Top 14, il est en train de prendre une autre dimension qui va ressembler au foot, même si on en est loin. C’est pour ça que d’un autre côté, le club il va être encore plus intransigeant et demandeur de résultat, parce que s’il donne 30000€ par mois à un joueur, il faut qu’il soit efficace le dimanche et il n’en a rien à « carrer » de ce qu’il va faire après. La grande famille, là, c’est fini complètement.

Pierre, 27 ans, joueur de Top 14. Ca dépend, ça dépend parce qu’il y a certains clubs qui agissent dans la continuité et tout ça, après il y en a d’autres, une fois que c’est fini, c’est fini. Plus de nouvelles…

IV. DISCUSSION

Cette étude présente un certain nombre d’apports, tant du point de vue des instances qui

régulent le rugby moderne et accompagnent les sportifs dans leur carrière que de celui, plus

universel, de la gestion des parcours de carrières dans un monde du travail régi par

l’incertitude et la flexibilité.

IV.1. Implications théoriques et managériales pour les Sciences de Gestion

Concernant les parcours professionnels, nos résultats sur les stratégies de reconversion de

carrière des sportifs professionnels ont un intérêt non seulement pour le milieu sportif mais

également pour comprendre les parcours de carrière de tout salarié confronté à un contexte de

précarisation de la relation d’emploi.

La littérature en sciences de gestion a déjà beaucoup exploré les modèles de carrière en

mettant en avant des modèles classique, professionnel, entrepreneurial et nomade (Culié,

2007, Cadin, 1999, Dany et Livian, 1995). Nos catégories recouvrent en partie ces modèles.

Les « attentistes » peuvent être analysés comme des salariés vulnérables (Glee et Scouarnec,

2008), c'est-à-dire des individus qui, faute de réflexion sur le futur et de capacité à faire

évoluer leur représentation identitaire, peuvent se retrouver en situation difficile face à une

rupture professionnelle insuffisamment préparée même si elle était prévisible. Les

« opportunistes » cherchent à se prémunir d’une situation difficile, en essayant de palier au

29

manque de transférabilité des compétences du à la spécialisation forte de leur secteur

d’activité. Leur positionnement consiste à enrichir leur trajectoire professionnelle, et leur

identité professionnelle évolue progressivement, de sorte qu’ils soient prêts

psychologiquement à découvrir d’autres domaines d’activités. La catégorie des « experts » se

rapproche du modèle des professionnels, dont le métier est central à la réflexion sur le

parcours professionnel. Ils cherchent à faire fructifier leurs compétences. Cette stratégie

rationnelle semble spécialiser les individus dans des corps de métier étroits et rendre ainsi

plus délicate une réorientation si cette première stratégie s’avérait infructueuse. Enfin, la

catégorie des « entrepreneurs » rejoint la littérature sur la carrière protéenne, où le salarié est

acteur de son parcours professionnel et conduit son avenir en fonction de sa volonté d’une

renaissance professionnelle réussie.

Notre typologie s’inscrit cependant dans une optique un peu différente des modèles

précédents. Il s’agit ici non pas d’identifier un modèle permettant de mieux décrire le parcours

de l’individu mais de comprendre les leviers d’action des individus. En ce sens notre travail

peut avoir des implications importantes dans l’accompagnement des personnes en

reconversion professionnelle.

Cette recherche a en effet le mérite de souligner que, face à une rupture professionnelle

inéluctable, l’analyse qu’en font les individus et les réponses qu’ils adoptent pour y faire face

sont largement soumises à la subjectivité de chacun. Les chemins de la reconversion sont

différents. Pour l’atteinte d’un même but, plusieurs leviers peuvent être mobilisés et

accumulés que ce soit les compétences, les relations ou les motivations des individus. Les

professionnels de l’accompagnement ou les éventuelles structures qui accompagnent les

personnes en reconversion professionnelle peuvent s’appuyer sur l’une de ces voies pour les

sensibiliser et les aider à préparer leur projet de reconversion et pour adapter

l’accompagnement à leur vision subjective car personnelle de ce qu’est une carrière réussie.

En effet, dans la mesure où les ressources réseau, compétences et identité professionnelle

peuvent se renforcer, l’accompagnement peut être adapté à chaque individu en l’amenant à

réfléchir, à partir des ressources qu’il pense avoir, sur la façon dont il pourrait en acquérir

d’autres.

Par ailleurs, notre étude identifie les facteurs qui déterminent le choix de l’une ou l’autre des

stratégies adoptées par les joueurs. Ainsi la préoccupation quant à son avenir professionnel, la

30

mise en œuvre précoce de moyens engagés dans cette reconversion et l’évolution des

représentations identitaires sont les principaux éléments qui ressortent de notre étude.

Nos résultats sur les représentations peuvent être rapprochés de ceux de Coakley (1983) et

Stephan et al. (2003) ainsi que de ceux de Glee et Scouarnec (2008). En effet, la transition

professionnelle semble facilitée par une modification précoce de la représentation de son

environnement professionnel futur et par la capacité à se projeter dans l’après carrière. Cela

modifie la manière dont l’individu vit sa transition professionnelle : subie ou choisie. Les

« attentistes » par exemple ne mènent pas d’action pour préparer leur transition car ils ne se

projettent pas dans l’après rugby dans la mesure où le « knowing why » c'est-à-dire le sens

qu’ils peuvent donner à leur seconde partie de carrière n’est pas encore défini.

Par ailleurs, l’anticipation (Charner et Schlossberg, 1986) et la préoccupation (Vigoda-Gadot

et al., 2010) ont été identifiées comme des éléments clés du succès des transition. Cela rejoint

l’idée que face à un environnement où les organisations se désengagent de la reconversion de

leurs membres, ceux qui sont le plus capables de prendre en main leur avenir et d’être

proactifs sur la préparation à l’après carrière seront les mieux à même de réussir leur

transition. L’étude de De Vos et al. (2009) montre que la transition des étudiants entre l’école

et le monde professionnel est facilitée par un comportement proactif. Ce type de

comportement a un impact positif sur le succès subjectif de carrière à un an. De nombreuses

études ont montré l’importance de la proactivité des individus sur le succès de carrière, que

cette proactivité soit cognitive (Eby et al., 2003) ou comportementale (Forret et Dougehrty

2004 ; Claes et al. 1998).

L’identification des facteurs amenant à l’une ou l’autre des stratégies s’inscrit dans la lignée

de ces travaux. Ils permettent de jauger le degré et de comprendre les dimensions de la

proactivité des individus face à une transition de carrière Notre étude ne permet pas de tester

le lien entre ces facteurs et le succès subjectif de carrière. On peut cependant supposer que,

pour une plus grande réussite post carrière, l’individu devra d’une part avoir une proactivité

cognitive en termes de représentation et d’autre part une proactivité comportementale à

travers la planification et le contrôle de sa reconversion. La première amène l’individu à

clarifier le sens qu’il veut donner à sa carrière (Knowing why), la seconde l’amène à mettre en

œuvre de manière concrète le processus de reconversion en développant un réseau relationnel

de contacts utiles professionnellement (Knowing whom) et/ou en développant ses

compétences (Knowing how).

31

IV.2. Implications managériales pour le milieu sportif

Les résultats de notre étude nous permettent d’estimer l’importance pour les joueurs de

réfléchir à leur projet de reconversion et d’acquérir des compétences assez rapidement au

cours de leur carrière sportive. Pour cela, il nous semble important que les clubs ou les

structures en place puissent accompagner les joueurs dans cette reconversion de manière

individuelle et collective (Glee et Scouarnec, 2008) afin de faire émerger des projets en

élargissant la vision des possibles des joueurs. Cela nous parait d’autant plus important que la

représentation et la projection de chacun dans l’après rugby est un déterminant essentiel dans

la mise en application d’une des stratégies possibles.

Le désengagement des clubs, patent, pose la question de la responsabilité sociale de ces

entreprises vis-à-vis de la reconversion de ses joueurs. Les sportifs ont pris conscience qu’ils

ne peuvent plus se reposer sur le club pour la gérer. En effet, la professionnalisation a entraîné

une logique court termiste, où les clubs attendent de leurs joueurs une performance maximum

et immédiate. Cette vision semble marginaliser leur rôle quant à l’accompagnement des

sportifs tout au long de leur carrière sportive, mais aussi dans l’après rugby.

Les instances de régulation tentent d’encadrer les pratiques, par le biais des centres de

formation, qui incitent les jeunes à poursuivre leurs études le plus loin possible en attendant

d’avoir atteint l’âge légal pour signer un contrat professionnel. Les clubs, comme toute

entreprise, sont également soumis aux lois sur la formation continue de leurs salariés, et de ce

fait financent certaines demandes de formation de joueurs. Cependant, les efforts des clubs

concernant le maintien de l’employabilité de leurs sportifs sont réduits au minimum. Parmi les

joueurs interrogés, nombreux sont ceux qui ont témoigné des contraintes temporelles ou

spatiales les empêchant de se reconvertir7 dans le métier souhaité. La mobilité inter-club, qui

grandit d’année en année, empêche aussi tout projet de se construire dans la durée. Ainsi, la

logique court termiste des clubs entre en opposition frontale avec la nécessité pour le joueur

de penser et de préparer sa trajectoire professionnelle sur la durée. Le passage vers une

gestion responsable du parcours professionnel du joueur supposerait un encadrement juridique

plus contraignant du club. Par ailleurs, d’autres organisations ont pris le relais pour palier à

ces défaillances. Ainsi, l’Agence XV, émanation de la Fédération Française de Rugby (FFR),

de la Ligue Nationale de Rugby (LNR) et du syndicat des joueurs (Provale), est chargée de

7 Par exemple, un joueur n’a pas pu se rendre à l’examen terminal du diplôme préparé avec assiduité pendant un an parce que l’examen tombait un jour de match. Un autre a perdu son diplôme d’infirmier qu’il avait pourtant obtenu car l’école ne l’a pas placé en détachement le temps de sa carrière sportive. D’autres, isolés dans des clubs de villes de petite taille, n’ont pas accès aux formations qui leur permettraient de concrétiser leur projet.

32

sensibiliser les joueurs à l’importance d’anticiper la reconversion, de les informer et de les

aider à définir et à mettre en place leur projet professionnel. Cet organisme est connu de la

plupart des joueurs, il est perçu comme un véritable partenaire tout au long du parcours de

reconversion. Les résultats de notre étude montrent néanmoins que certains joueurs ne

parviennent pas, malgré tout, à définir un projet professionnel, et que d’autres pensent que la

notoriété seule suffira à leur reconversion. Le rôle des dispositifs d’accompagnement consiste

sans doute à s’adapter aux projections des joueurs, à leurs attentes, à leurs ressources, pour

leur proposer un soutien sur-mesure.

IV.3. Limites et voies de recherche

Deux limites importantes peuvent être mentionnées quant aux résultats de cette enquête, au-

delà du design de recherche ne permettant pas de généraliser nos résultats à l’ensemble des

sportifs de haut niveau et du nombre d’entretiens limité dont il est difficile d’être totalement

sûr qu’il permette de saturer parfaitement les informations pertinentes.

La première d’entre elles concerne le choix des rugbymen comme cas d’étude des sportifs

professionnels. En effet, la professionnalisation du rugby est encore récente et notre

échantillon mélange donc des joueurs qui ont commencé leur carrière professionnelle au tout

début de ce processus et des joueurs qui n’ont connu que ce nouveau contexte et qui donc en

ont sans doute intégré plus naturellement les nouvelles règles. Cette hétérogénéité induit

probablement un biais dans nos interprétations, dans la mesure où certains élaborent leur

stratégie de reconversion dans un contexte stable tandis que d’autres l’élaborent dans un

contexte professionnel en mutation.

La seconde limite concerne la capacité prescriptive de notre étude. En effet, le choix d’avoir

interrogé des sportifs en cours de carrière rend impossible toute discussion sur l’efficacité des

différentes stratégies adoptées. Il aurait été intéressant de confronter les facteurs facilitateurs

de transition identifiés par la recherche en psychologie du sport à l’épreuve des expériences

vécues. Toutefois, notre choix d’étudier les projections des joueurs sur leur reconversion à

venir était guidé par la volonté de ne pas recueillir de discours rationalisants « ex-post ».

Notre étude constitue donc un préalable indispensable pour poursuivre dans cette thématique

de recherche, en adoptant un design longitudinal qui nous permettra d’analyser dans le temps

l’évolution des stratégies de cette cohorte de joueurs. L’objectif sera alors de mettre en

33

correspondance l’appartenance des joueurs à l’une ou l’autre des catégories identifiées dans

cette étude avec la réussite de leur reconversion de carrière.

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