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Et si on changeait de modèle de santé? Un moment de Jean-Noël Cabanis. MR. JEAN-NOËL CABANIS CONSULTANT CNAM PARIS

Et si on changeait de système de santé

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ET SI ON CHANGEAIT DE MODÈLE DE SANTÉ?

Un moment de Jean-Noël Cabanis.

MR. JEAN-NOËL CABANIS CONSULTANT CNAM PARIS

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ET SI ON CHANGEAIT DE MODÈLE ?INTRODUCTION

Mais au fond, et avant de changer, quel est notre « modèle » de système de santé ?

La question a son importance car elle détermine les jalonnements d’une réforme indispensable, et même, et c’est notre idée, d’un changement de modèle. Un modèle assez riche finalement, on va le voir, ce qui rend le changement plus délicat, car il ne peut manquer de provoquer des fins de rentes.

Le premier livre sur le sujet a été écrit il y a 30 ans par Jean de Kervasdoué, John Kimberly et Victor Rodwin, avec ce titre évocateur : « La santé rationnée »…et une série d’interrogations visionnaires. Un ouvrage de référence1.

1 On est dans le culte : il y a 30 ans, Jean de Kervasdoué se faisait l’ardent défenseur du budget global qui devait créer une situation ou de rente ou de déficit des hôpitaux, qu’il condamnait quelques années plus tard. Le livre est épuisé et non réédité. (Les notes en italiques sont de Samir Sharshar).

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RÉCESSION ET DÉFICITS EN VUE

Les pouvoirs publics s’engagent depuis quelques années dans un processus de compression budgétaire, par réduction des dépenses évidemment, mais aussi augmentation des prélèvements (impôts et taxes), dans un environnement stable voire dépressif. La France n’a pas vraiment le choix2, sa dépense publique atteint des sommets, sa dette enfle, et ses ambitions sont intactes ! L’année 2012 devrait accentuer ce mouvement, avec un effet de ciseau bien connu : récession et déficits aggravés.

La « santé » fait débat, et entre en campagne… présidentielle3. Ouvrages et contributions se succèdent, s’enchaînent, pour reprendre à peu de choses près la même antienne : la situation est grave mais pas désespérée, les méthodes du NPM (acronyme de New Public Management) sont incontournables, et le privé va sauver le public malgré lui. Des efforts pour tous, sans toucher à l’essentiel !4

Les théories de Keynes s’effaceraient-elles pour toujours, avec une impossible relance ? Il est vrai que nous ne sommes pas dans un système où la médecine ayurvédique tient le haut de l’affiche.5 Il est vrai aussi que science et technologies en santé repoussent les limites du possible — jusqu’au vieillissement depuis peu — et déplacent les vrais besoins. Il en résulte un malaise diffus : trop de moyens mal utilisés, ou à l’inverse, carences sectorielles, abus, rentes de situation… et inégalités d’accès.

Dans un contexte mondial agité de turbulences imprévisibles, on peut et doit parler de « rigueur », certes, mais on peut et doit aussi imaginer d’autres solutions que les « rustines » et autres « bricolages » dénoncés par les uns et les autres, alternativement6. Le secteur de la protection sociale n’y échappe pas. La santé en fait partie, pour un tiers bien visible. Tous ceux qui connaissent à la fois l’organisation générale et les subtilités de notre système de santé en conviennent, parlementaires chevronnés et respectés, à l’image d’Yves Bur, d’Yves Daudigny, devenu « les spécialistes » de la LFSS7. Pourtant, notre dette sociale, identifiée, ne représente que le dixième de notre dette globale.

La dette sociale cumulée est de l’ordre de 140 milliards, elle est régulée par la CADES, et les déficits annuels s’échelonnent en ce moment entre 25 et 30 milliards, ce qui correspond au besoin de financement de la dette sociale. Le besoin annuel de financement de l’État pour 2012 — c'est-à-dire le niveau des emprunts nécessaires — est de 180 milliards, autant que l’Allemagne, mais moins que l’Italie : c’est dire que la dette sociale n’est

2 Voilà typiquement pourquoi l’économie de la santé est politique : en quoi l’augmentation des dépenses publiques c’est mal ?3 Ce texte n’est finalement pas prémonitoire : la santé sera totalement évacuée des débats de la campagne. La santé représente le deuxième poste de dépenses sociales après les retraites : 9% en 2011 des dépenses publiques évacuées du débat électoral (source INSEE).4 « La santé par quels moyens et à quel prix ? », Pierre-Yves GEOFFARD, Roger GUESNERIE, Julian Le GRAND, PUF, 2010 ; « La lancinante réforme de l’assurance maladie », Pierre-Yves GEOFFARD, éditions rue d’ULM, 2006.5 C’est le plus ancien système médical connu de l’humanité, pratiqué depuis 3500 ans en Inde, qui repose sur une approche globale, dite « holistique » qui améliore la santé du corps, de l’âme et de l’esprit.6 « Manifeste pour une santé égalitaire et solidaire », par Didier TABUTEAU, François BOURDILLON, André GRIMALDI, Olivier LYON-CAEN, Odile Jacob, septembre 2011.7 On citera également un grand observateur, François de CLOSETS (avec Irène INCHAUSPE), « l’échéance », Fayard, août 2011 ; et un politique, Jean-Marie Le GUEN, « Sauvons la santé avant qu’il ne soit trop tard », éditions du Moment, septembre 2011, avec deux diagnostics identiques et des solutions radicalement opposées. Et aussi Christian PRIEUR, « Financer nos dépenses de santé, que faire ? », éditions l’Harmattan, juillet 2011.

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qu’un élément de l’ensemble, mais que son évolution ajoute à l’inquiétude des citoyens et, il faut le reconnaître aussi, des marchés8.

Mais l’heure est grave, et l’année 2012 sera bousculée. Les alertes de la commission des affaires sociales du Sénat en témoignent au moment de l’examen du PLFSS pour 2012.

La conférence annuelle de rentrée de la Cour des comptes s’est inscrite logiquement dans ce mouvement, le premier président Didier MIGAUD dénonçant un déficit abyssal de 28 milliards pour 2010 (dont 13 milliards pour le régime « vieillesse » et le « FSV »), et 12 milliards pour la « maladie ») et une dette sociale cumulée de plus de 136 milliards9. Ces chiffres devraient interpeller, mais voilà : parce qu’il s’agit de milliards de dépenses publiques, pourquoi s’inquiéter ? La France ne bénéficie-t-elle pas d’une excellente notation pour vivre à crédit ? Et la santé est un bien tellement précieux qu’elle justifie ce crédit « revolving ». Et enfin, nous constatons depuis deux ans un ralentissement relatif de la croissance de ces dépenses, alors, à quoi bon s’inquiéter ?

Selon les derniers chiffres de la DREES10, nous enregistrons en 2010 une croissance modérée des dépenses de santé :

Une dépense courante de santé (DCS) de 234 milliards, soit 12,1% du PIB ;

Une croissance des soins hospitaliers qui ralentit doucement (81 milliards, dont 61 pour le secteur public et 20 milliards pour le secteur privé) ;

Une croissance des soins de ville qui ralentit aussi (44 milliards) ;

Une relative stabilité pour les médicaments (34 milliards) ;

Les dépenses prises en charge par la sécurité sociale s’élèvent à 133 milliards soit 75,8% ;

Les dépenses à charge des organismes complémentaires s’élèvent à 23,7 milliards soit 13,5%, en hausse ;

Les dépenses à charge des ménages (RAC) représentent 16 milliards, soit 9,4%.

8 Il faut inverser les termes : des marchés et de l’Europe « allemande » qui a fait de la maîtrise des dépenses publiques et de sa régulation par les marchés LE credo et par extension des citoyens qui n’ont pas d’autre paradigme proposé que celui-ci.9 Rapport annuel de la Cour des comptes sur l’exécution de la LFSS, septembre 2011.10 Notice DREES, n° 773, septembre 2011.

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UNE RÈGLE D’OR SOCIALE ?

S’il existe une « règle d’or », elle consiste à changer de modèle lorsque le quotidien devient non seulement insupportable à chacun, mais de surcroît ingérable, même pour les plus talentueux hauts fonctionnaires, obligés de développer des stratégies de contournement des règles qu’ils ont eux-mêmes fixées.

On remarque dès à présent la fragilité systémique de notre effort social, largement financé par l’emploi. Ce dernier s’effondre-t-il, ce qui est le cas fin 2011 ? Les prévisions basculent, réduisant à néant les efforts consentis sur la maîtrise des charges. Ainsi, une panne de l’emploi menace chaque jour l’équilibre des comptes de la sécurité sociale, pour l’exercice en cours, mais aussi pour les prévisions à moyen terme11. Ce constat conduit donc à imaginer d’autres sources de financement que celles mises en place en 1945.

Nous en sommes vraisemblablement arrivés à ce point dans le domaine qui nous préoccupe, l’effort social, et tout particulièrement la santé. Trop de moyens ou pas assez ? La réponse tient en quelques tableaux, toujours contestables certes, quelques indicateurs de ressources, bruts ou corrigés : la France tient son rang, et les ressources affectées à l’effort social et à la santé sont plus importantes que dans la plupart des pays de l’OCDE. Elles sont donc importantes sans pour autant être suffisantes si la demande n’est pas contrôlée. Or celle-ci ne l’est pas, elle est même encouragée, ce qui explique sans doute le nombre croissant de mécontents.

Les difficultés rencontrées sont donc ailleurs : implantation des ressources et utilisation, rapport à l’argent, revenus moyens et extrêmes tirés d’activités prises en charge par la collectivité, qualité… tous domaines dans lesquels l’économie peut apporter une aide à la réflexion en pointant des inégalités voire des injustices.

Une aide à la réflexion, et une invitation à l’action, mais dans un contexte plus difficile que jamais12.

À l'occasion de la présentation du Projet de loi de finances (PLF) pour 2012, Valérie Pécresse, ministre du Budget, des Comptes publics et de la réforme de l'État, porte-parole du gouvernement, et François Baroin, ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie, ont confirmé une volonté de réduction du déficit public. Celui-ci "sera ramené de 5,7% en 2011 à 4,5% en 2012, 3% en 2013, 2% en 2014 puis 1% en 2015 ».

Cet engagement passe notamment par une baisse historique des moyens des ministères. Toutefois cela ne concerne pas les dossiers dits prioritaires du gouvernement soit : la recherche et l'enseignement supérieur, les engagements en matière de politique sociale et les missions régaliennes de l'État.

Globalement le PLF 2012 prévoit un déficit de l'État à 81,8 milliards d'euros, avec une hypothèse de croissance à 1,75% identique à celle de 2011.

11 La baisse de la masse salariale est provoquée soit par une baisse des rémunérations moyennes, soit par une baisse de l’emploi salarié, soit le cumul des deux. Elle impacte directement les ressources de l’ACOSS, et provoque l’effet de ciseau qui déterminera le niveau du déficit, car l’assurance maladie n’a aucun moyen de réguler les dépenses en cours d’année.12 Rapport annuel du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM), 2010, « l’assurance maladie face à la crise : éléments de réflexion » et rapport du groupe de travail sur le pilotage des dépenses d’assurance maladie (rapport BRIET), avril 2010. Le rapport 2011 du HCAAM est consacré entre autres sujets à l’ONDAM et à son évolution régionale (à quelles conditions est-il possible de mettre en place des enveloppes régionales totalement fongibles entre les mains des ARS ?).