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COUR SUPRME DU CANADA
RFRENCE :Cinar Corporation c.Robinson, 2013 CSC 73 DATE :20131223DOSSIER:34466, 34467,34468, 34469
ENTRE :Cinar Corporation et Les Films Cinar inc.
Appelanteset
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.Intims- et -
France Animation S.A., Christophe Izard, Ravensburger Film + TV GmbH,RTV Family Entertainment AG, Christian Davin, Ronald A. Weinberg, RonaldA. Weinberg, s qualits dunique liquidateur de la succession de feu Micheline
Charest, BBC Worldwide Television, Theresa Plummer-Andrews, HlneCharest, McRaw Holdings Inc.,
Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB,
3918203 Canada Inc. et Music CanadaIntervenants
ET ENTRE :Ronald A. Weinberg et
Ronald A. Weinberg, s qualits dunique liquidateur
de la succession de feu Micheline CharestAppelants
etClaude Robinson et Les Productions Nilem inc.
Intims
- et -Christophe Izard, France Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH,RTV Family Entertainment AG, Cinar Corporation, Les Films Cinar inc.,Christian Davin, BBC Worldwide Television, Theresa Plummer-Andrews,
Hlne Charest, McRaw Holdings Inc.,Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB,
3918203 Canada Inc. et Music CanadaIntervenants
ET ENTRE :
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Christophe Izard, France Animation S.A.,
Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AGAppelants
etClaude Robinson et Les Productions Nilem inc.Intims- et -
Les Films Cinar inc., Cinar Corporation, Ronald A. Weinberg,Ronald A. Weinberg, s qualits dunique liquidateur
de la succession de feu Micheline Charest et Music CanadaIntervenants
ET ENTRE :Claude Robinson et Les Productions Nilem inc.
AppelantsetFrance Animation S.A., Ravensburger Film + TV GmbH, Videal Gesellschaft
Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB, RTV FamilyEntertainment AG, Christian Davin, Christophe Izard, Les Films Cinar inc.,Cinar Corporation, 3918203 Canada Inc., Ronald A. Weinberg et Ronald A.Weinberg, s qualits dunique liquidateur de la succession de feu Micheline
CharestIntims- et -
Music Canada
Intervenante
TRADUCTION FRANAISE OFFICIELLE
CORAM :La juge en chef McLachlin et les juges LeBel, Fish, Abella, Rothstein,Cromwell et Moldaver
MOTIFS DE JUGEMENT :(par. 1 152)
La juge en chef McLachlin (avec laccord des juges LeBel,Fish, Abella, Rothstein, Cromwell et Moldaver)
NOTE:Ce document fera lobjet de retouches de forme avant la parution de saversion dfinitive dans leRecueil des arrts de la Cour suprme du Canada.
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CINAR CORP. c.ROBINSON
Cinar Corporation et Les Films Cinar inc. Appelantes
c.
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Intims
et
France Animation S.A., Christophe Izard,Ravensburger Film + TV GmbH,RTV Family Entertainment AG,Christian Davin, Ronald A. Weinberg,Ronald A. Weinberg, s qualits dunique liquidateurde la succession de feu Micheline Charest,BBC Worldwide Television, Theresa Plummer-Andrews,
Hlne Charest, McRaw Holdings Inc.,Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von AudiovisuellenProdukten MHB, 3918203 Canada Inc. et Music Canada Intervenants
- et -
Ronald A. Weinberg et Ronald A. Weinberg,s qualits dunique liquidateur de la succession
de feu Micheline Charest Appelants
c.
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Intims
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et
Christophe Izard, France Animation S.A.,Ravensburger Film + TV GmbH,RTV Family Entertainment AG,Cinar Corporation, Les Films Cinar inc.,Christian Davin, BBC Worldwide Television,Theresa Plummer-Andrews,Hlne Charest, McRaw Holdings Inc.,Videal Gesellschaft Zur Hertellung Von AudiovisuellenProdukten MHB, 3918203 Canada Inc. et Music Canada Intervenants
- et -
Christophe Izard, France Animation S.A.,Ravensburger Film + TV GmbH etRTV Family Entertainment AG Appelants
c.
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Intims
et
Les Films Cinar inc., Cinar Corporation, Ronald A. Weinberg,
Ronald A. Weinberg, s qualits dunique liquidateurde la succession de feu Micheline Charest et Music Canada Intervenants
- et -
Claude Robinson et Les Productions Nilem inc. Appelants
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roman Robinson Cruso de Daniel Defoe, ainsi que de son propre vcu. Il a cr des
personnages, dessin des croquis dtaills, labor des story-boards, crit des
scnarios ainsi que des synopsis et conu du matriel promotionnel pour son projet
Curiosit.
De 1985 1987, R et son entreprise, Les Productions Nilem inc.
( Nilem ), ont entrepris plusieurs dmarches dans le but de faire avancer le projet
Curiosit. Ce faisant, R a donn une copie de loeuvre Curiosity aux administrateurset dirigeants de Corporation Cinar ( Cinar ), W et C. Pendant la mme priode, une
prsentation du projet Curiosit a t faite I, un crateur franais de sries tlvises
pour enfants. Malgr les efforts de R et de ses partenaires, le projet na pas attir
dinvestisseurs et a stagn.
R a mis son projet de ct, sans pour autant loublier. Le
8 septembre 1995, il a regard la tlvision le premier pisode dune nouvelle srie
pour enfants : Robinson Sucro ( Sucro). Il a constat avec stupfaction que
Sucro tait, ses yeux, manifestement une copie de Curiosit. R a par la suite appris
que plusieurs parties ayant eu accs au projet Curiosit, savoir Cinar, W, C et I,
avaient aussi particip la production de Sucro.
R et Nilem ont intent une action pour violation du droit dauteur contre
Cinar, W, C et I de mme que contre plusieurs coproducteurs et distributeurs de
Sucro.
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Le juge de premire instance a conclu que luvre Curiosit de R tait
une uvre originale protge par le droit dauteur, que les crateurs de Sucro avaient
copi Curiosit et que les caractristiques reprises dans Sucro constituaient une
partie importante de Curiosit. Il a jug que Cinar, W, C, I, France Animation S.A.,
Ravensburger Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG (dsigns
collectivement les appelants Cinar ) taient responsables pour la violation du droit
dauteur. Il a galement tenu D, le prsident-directeur gnral de France Animation
lpoque pertinente, personnellement responsable de la violation. Enfin, le juge de
premire instance a conclu que Cinar, W et C taient responsables sur le plan
extracontractuel, envers R et Nilem, du manquement leurs obligations de bonne foi
et de loyaut.
Le juge de premire instance a condamn les dfendeurs payer
5 224 293 $ solidairement titre de dommages-intrts et dhonoraires
extrajudiciaires. De ce montant, 607 489 $ ont t octroys titre de
dommages-intrts compensatoires pour les pertes pcuniaires subies par R par suite
de la violation du droit dauteur, 1716 804 $ pour la restitution des profits gnrs
par suite de la contrefaon, 400 000 $ pour le prjudice psychologique subi par R,
1 000 000 $ titre de dommages-intrts punitifs et 1 500 000 $ titre dhonoraires
extrajudiciaires.
La Cour dappel a en outre confirm les conclusions du juge de premire
instance sur la violation du droit dauteur. Elle a galement confirm ses conclusions
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sur la responsabilit personnelle lgard de la violation du droit dauteur, sauf en ce
qui concerne D, contre qui, son avis, la preuve tait insuffisante.
La Cour dappel a confirm loctroi par le juge de premire instance de
dommages-intrts compensatoires pour les pertes pcuniaires subies par R, sous
rserve dune correction mathmatique mineure. Elle a rejet lordonnance du juge
de premire instance selon laquelle W, C et I taient tenus de restituer les profits
parce que ce sont des socits qui les avaient raliss, et elle a ordonn la restitutiondes profits en question sur une base conjointe plutt que solidaire. La Cour dappel a
aussi exclu des sommes qui avaient t incluses tort par le juge de premire instance
dans le calcul des profits, rduisant ainsi le montant des profits restituer.
La Cour dappel a conclu que le plafond fix dans la trilogie Andrews
sappliquait loctroi de dommages-intrts pour le prjudice psychologique subi et a
rduit ces derniers 121 350 $, ce qui reprsente 50 pour cent du plafond la date de
lassignation.
En outre, la Cour dappel a rduit les dommages-intrts punitifs de
1 000 000 $ 250 000 $ au motif que les dommages-intrts punitifs au Qubec
doivent tre octroys avec modration. Elle a conclu que ces dommages-intrts ne
pouvaient tre octroys sur une base solidaire. Enfin, elle a condamn Cinar verser
100 000 $ en dommages-intrts punitifs, puis W, C et I en verser 50 000 $ chacun.
Elle a aussi confirm la dcision du juge de premire instance daccorder 1 500 000 $
en honoraires extrajudiciaires, mais a refus den accorder pour lappel.
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Quatre appels ont t interjets contre la dcision de la Cour dappel
(dans les dossiers 34466, 34467, 34468 et 34469). Les appelants Cinar contestent la
conclusion de responsabilit pour la violation du droit dauteur (dans les
dossiers 34466, 34467 et 34468). R et Nilem interjettent appel de la dcision de la
Cour dappel quant la rduction des dommages-intrts et la restitution des profits
(dans le dossier 34469).
Arrt : Les pourvois interjets dans les dossiers 34466, 34467 et 34468sont rejets, et le pourvoi dans le dossier 34469 est accueilli en partie.
La ncessit dtablir un juste quilibre entre, dune part, la protection du
talent et du jugement quont exerc les auteurs dans lexpression de leurs ides et,
dautre part, le fait de laisser des ides et des lments relever du domaine public afin
que tous puissent sen inspirer forme le contexte en fonction duquel il faut examiner
les arguments des parties.
En lespce, le juge de premire instance a conclu que les appelants Cinar
avaient reproduit un certain nombre de caractristiques de luvre Curiosit de R, et
que, prises dans leur ensemble, les caractristiques reproduites constituaient une
partie importante de luvre de R. Les appelants Cinar prtendent quau lieu
demployer une dmarche globale, le juge aurait d adopter une dmarche en trois
tapes lobligeant (1) dterminer quels lments de Curiosit sont originaux , au
sens de la Loi sur le droit dauteur; (2) exclure les caractristiques de luvre de R
qui ne peuvent tre protges (comme les ides, les lments qui relvent du domaine
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public et les lments gnriques qui se retrouvent couramment dans les sries
tlvises pour enfants); et (3) comparer Sucro avec ce qui serait rest de Curiosit
aprs ce processus dlimination puis juger si une partie importante de cette
dernire avait t reproduite.
En gnral, il importe de ne pas analyser limportance des
caractristiques reproduites en les examinant chacune isolment. Si elle tait retenue,
lapproche propose par les appelants Cinar risquerait de mener la dissection deluvre de R en ses lments constitutifs. Labstraction qui consisterait rduire
luvre de R lessence mme de ce qui la rend originale et lexclusion des lments
non susceptibles dtre protgs ds le dbut de lanalyse aurait pour effet
dempcher le juge deffectuer une valuation rellement globale. Cette approche
mettrait indment laccent sur la question de savoir si chacune des parties de luvre
de R, prise individuellement, est originale et protge par la lgislation sur le droit
dauteur. Il faut plutt examiner leffet cumulatif des caractristiques reproduites de
luvre afin de dcider si elles constituent une partie importante du talent et du
jugement dont a fait preuve R dans lensemble de son uvre. Le juge de premire
instance na donc pas commis derreur en omettant de suivre la dmarche en trois
tapes prconise par les appelants Cinar.
De mme, le juge de premire instance na pas commis derreur en
procdant une valuation qualitative et globale des similitudes entre les uvres en
tenant compte des ressemblances et des diffrences pertinentes. Pour dcider si une
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Les appelants Cinar soutiennent que, en lespce, il na pas t satisfait au
deuxime critre la ncessit de la preuve. Selon eux, la preuve dexpert ntait
pas ncessaire pour aider la cour parce que la question de savoir si une partie
importante dune uvre a t reproduite doit tre value du point de vue du profane
faisant partie de lauditoire vis par les uvres en question.
Il est utile de connatre le point de vue du profane faisant partie de
lauditoire vis par les uvres en question. La connaissance de ce point de vueprsente un avantage, soit que lanalyse des similitudes demeure concrte et fonde
sur les uvres elles-mmes plutt que sur des thories sotriques propos des
uvres. Cependant, la question reste celle de savoir si une partie importante de
luvre du demandeur a t reproduite et il faut rpondre cette question du point de
vue dune personne dont le jugement et les connaissances lui permettent dvaluer et
dapprcier pleinement tous les aspects pertinents apparents ou latents des
uvres en question. Dans certains cas, il peut tre ncessaire de ne pas sen tenir au
point de vue dun profane faisant partie de lauditoire vis par luvre et de demander
un expert dclairer le juge de premire instance de manire ce que celui-ci soit en
mesure de poser sur les uvres le regard dune personne raisonnablement verse dans
lart ou la technologie en cause. En lespce, il a t satisfait au critre de ncessit
du test applicable pour juger de ladmissibilit dun tmoignage dexpert.
En ce qui concerne les dommages-intrts, R et Nilem demandent
notamment le rtablissement de la restitution des profits ordonne par le juge de
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premire instance. Relativement aux profits provenant de la trame sonore de Sucro,
ils prtendent quil existe un lien de causalit entre la contrefaon et ces profits, et
que le juge de premire instance a donc inclus ceux-ci bon droit dans la restitution
accorde. La rpartition des profits entre les composantes dune uvre qui violent le
droit dauteur et celles qui ne le violent pas est essentiellement une dcision factuelle
qui relve du pouvoir discrtionnaire du tribunal. La cour dappel ne peut modifier
les conclusions du juge de premire instance sur la rpartition des profits que si ce
dernier a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et dominante. Le
juge de premire instance na pas commis une erreur susceptible de rvision en
concluant quil tait inopportun de rpartir les profits attribuables la trame sonore en
considrant celle-ci comme une composante de luvre ne violant pas le droit
dauteur. La Cour dappel a donc commis une erreur en modifiant la conclusion du
juge de premire instance cet gard.
Quant au fait que le juge de premire instance a qualifi de revenu la
somme verse par Ravensburger Film + TV GmbH France Animation S.A., la Cour
dappel a eu raison daffirmer quil sagit l dune erreur manifeste et dominante et
que cette somme devrait tre soustraite des revenus pris en considration dans le
calcul des profits gnrs par Sucro. Toutefois, le juge de premire instance na pas
commis derreur en qualifiant de revenu la somme due par Cinar une socit de
personnes nomme Jaffa Road, et il ny a pas lieu de soustraire cette somme titre de
dpense du calcul des profits provenant de Sucro.
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Sagissant de la responsabilit relativement la restitution des profits
sous le rgime de la Loi sur le droit dauteur, la Cour dappel a conclu bon droit
que le juge de premire instance avait commis une erreur en condamnant tous les
contrefacteurs restituer solidairement les profits. Larticle35 de la Loi sur le droit
dauteur offre deux remdes pour la violation du droit dauteur: des
dommages-intrts pour les pertes subies par le demandeur et la restitution des profits
raliss par le dfendeur. La raison dtre de cette restitution nest pas dindemniser
le demandeur et elle nest pas assujettie aux principes qui rgissent les
dommages-intrts gnraux octroys en vertu du droit qubcois de la responsabilit
extracontractuelle, qui visent un but compensatoire. La restitution des profits prvue
lart. 35 de la Loi sur le droit dauteur se limite ce qui est ncessaire pour
empcher chaque dfendeur de conserver des gains illicites. On ne saurait donc tenir
un dfendeur responsable des gains des codfendeurs en lui imposant lobligation de
restituer solidairement les profits. Pour les mmes raisons, W, C et I ne sont pas
personnellement dans lobligation de restituer les profits. En outre, il y a lieu de
maintenir la rpartition fixe par la Cour dappel quant la restitution des profits.
En ce qui concerne les dommages-intrts non pcuniaires, et plus
particulirement la question de savoir sil convient dappliquer le plafond fix dans la
trilogie Andrews en lespce, il est conclu quil ny a pas lieu dtendre lapplication
de ce plafond au-del des dommages-intrts non pcuniaires dcoulant dun
prjudice corporel. De plus, on ne peut pas dire que le prjudice non pcuniaire subi
par R dcoule dun prjudice corporel au sens de lart. 1607 Code civil du Qubec. Il
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convient davantage de qualifier les souffrances psychologiques subies par R de
prjudice non pcuniaire dcoulant dun prjudice matriel. De fait, la violation du
droit dauteur constituait une violation des droits de proprit de R. Cest la violation
initiale, plutt que les consquences de cette violation, qui sert de fondement pour
dcider du type de prjudice subi. La Cour dappel a donc commis une erreur en
appliquant le plafond fix dans la trilogie Andrewsen lespce.
Lorsquil sagit de dterminer le montant des dommages-intrts accorder pour le prjudice subi en lespce, le juge de premire instance a eu raison
daffirmer que le prjudice non pcuniaire de R est semblable celui invoqu par une
victime de diffamation. Le juge de premire instance a eu loccasion dobserver R en
salle daudience sur une longue priode et il tait bien plac pour procder une
valuation personnalise de son prjudice non pcuniaire. Il na commis aucune
erreur manifeste et dominante dans son valuation des dommages-intrts non
pcuniaires.
En ce qui concerne les dommages-intrts punitifs, ils ne peuvent tre
attribus sur une base solidaire. La Cour a reconnu lautonomie du rgime de
dommages-intrts punitifs de la Charte par rapport au rgime de responsabilit civile
extracontractuelle tabli dans le Code civil du Qubec. Larticle1526 Code civil du
Qubec sapplique la faute extracontractuelle qui entrane un prjudice et ne peut
servir de fondement la solidarit des dommages-intrts punitifs attribus en vertu
de la Charte. De plus, lattribution des dommages-intrts sur une base solidaire
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serait incompatible avec les principes noncs lart. 1621 Code civil du Qubec, qui
impose expressment la prise en compte des objectifs des dommages-intrts punitifs
la prvention, la dissuasion (particulire et gnrale) et la dnonciation des actes
qui sont particulirement rprhensibles dans lopinion de la justice. Les objectifs
des dommages-intrts punitifs et les facteurs pertinents pour les apprcier donnent
penser que ces dommages-intrts doivent tre adapts chaque dfendeur condamn
les payer, ce qui milite contre leur attribution sur une base solidaire.
Par ailleurs, la Cour dappel a eu raison de rvaluer le montant des
dommages-intrts punitifs, mais elle na pas accord suffisamment dimportance la
gravit du comportement en lespce. En effet, Cinar, W, C et I ont constamment ni
avoir eu accs luvre de R et dcri avec mpris les allgations de R selon
lesquelles ils avaient reproduit son uvre. Les consquences de ce comportement
pour R sont tout aussi graves. Ce dernier a non seulement t priv dune source de
revenus, mais aussi de son sentiment de paternit et de contrle sur un projet auquel il
attribuait une valeur presque indicible. Cela dit, les dommages-intrts punitifs
doivent tre accords avec retenue. Larticle1621 du Code civil du Qubec prvoit
expressment que les dommages-intrts punitifs ne peuvent pas excder, en valeur,
ce qui est suffisant pour assurer leur fonction prventive . Le montant de 500 000 $
atteint un juste quilibre entre, dune part, le principe de mod ration qui rgit ces
dommages-intrts et, dautre part, la ncessit de dcourager un comportement de
cette gravit. La Cour dappel a condamn Cinar payer les deux cinquimes des
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dommages-intrts punitifs, et W, C et I, en payer un cinquime chacun, ce qui
reprsente une rpartition raisonnable dans les circonstances.
Jurisprudence
Distinction davec les arrts:Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd.,
[1978] 2 R.C.S. 229; Thornton c. School District No. 57 (Prince George), [1978] 2
R.C.S. 267; Arnold c. Teno, [1978] 2 R.C.S. 287; arrts mentionns :Massie &
Renwick Ltd. c. Underwriters Survey Bureau Ltd., [1940] R.C.S. 218; Thberge c.
Galerie dArt du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34, [2002] 2 R.C.S. 336; Socit
canadienne des auteurs, compositeurs et diteurs de musique c. Bell Canada, 2012
CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326; Entertainment Software Association c. Socit
canadienne des auteurs, compositeurs et diteurs de musique , 2012 CSC 34, [2012] 2
R.C.S. 231; Rogers Communications Inc. c. Socit canadienne des auteurs,
compositeurs et diteurs de musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283; CCH
Canadienne Lte c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, [2004] 1 R.C.S. 339;
Ladbroke (Football), Ltd. c. William Hill (Football), Ltd., [1964] 1 All E.R. 465;
Designers Guild Ltd. c. Russell Williams (Textiles) Ltd. , [2001] 1 All E.R. 700;
Nichols c. Universal Pictures Corporation, 45 F.2d 119 (1930); Housen c.
Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Baigent c. The Random House Group
Ltd., [2007] EWCA Civ 247, [2007] F.S.R. 24; Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc.
(2002), 58 O.R. (3d) 339; Computer Associates International, Inc. c. Altai, Inc., 982
F.2d 693 (1992); Productions Avanti Cin Vido inc. c. Favreau, [1999] R.J.Q. 1939,
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autorisation dappel refuse, [2000] 1 R.C.S. xi; R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9;
Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc., 2011 CSC 27, [2011] 2 R.C.S. 387;
Preston c. 20th Century Fox Canada Ltd. (1990), 33 C.P.R. (3d) 242, conf. par
(1993), 53 C.P.R. (3d) 407; Arbique c. Gabriele, [1998] J.Q. no3794 (QL), conf. par
2003 CanLII 16298; Mentmore Manufacturing Co. c. National Merchandising
Manufacturing Co. (1978), 89 D.L.R. (3d) 195; Longpr c. Thriault, [1979] C.A.
258; Sheldon c. Metro-Goldwyn Pictures Corporation, 106 F.2d 45 (1939); Wellcome
Foundation Ltd. c. Apotex Inc., [2001] 2 C.F. 618; Lubrizol Corp. c. Compagnie
Ptrolire Impriale Lte, [1997] 2 C.F. 3;Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004
CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902; Qubec (Curateur public) c. Syndicat national des
employs de lhpital St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211; Lindal c. Lindal, [1981] 2
R.C.S. 629;Hill c. glise de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130; Snyder c.
Montreal Gazette Ltd., [1988] 1 R.C.S. 494; Schreiber c. Canada (Procureur
gnral), 2002 CSC 62, [2002] 3 R.C.S. 269; Landry c. Audet, 2011 QCCA 535,
[2011] R.J.Q. 570, autorisation dappel refuse, [2011] 3 R.C.S. v; Gauthier c.
Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3; Stations de la Valle de Saint-Sauveur inc. c. M.A.,
2010 QCCA 1509, [2010] R.J.Q. 1872; Socit Radio-Canada c. Gilles E. Nron
Communication Marketing inc., [2002] R.J.Q. 2639, conf. par 2004 CSC 53, [2004] 3
R.C.S. 95; Construction Denis Desjardins inc. c. Jeanson, 2010 QCCA 1287, [2010]
R.J.Q. 1600; Markarian c. Marchs mondiaux CIBC inc., 2006 QCCS 3314, [2006]
R.J.Q. 2851; Genex Communications inc. c. Association qubcoise de lindustrie du
disque, du spectacle et de la vido , 2009 QCCA 2201, [2009] R.J.Q. 2743; Solomon
c. Quebec (Procureur gnral), 2008 QCCA 1832, [2008] R.J.Q. 2127; de Montigny
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c. Brossard (Succession), 2010 CSC 51, [2010] 3 R.C.S. 64; Richard c. Time Inc.,
2012 CSC 8, [2012] 1 R.C.S. 265; Whiten c. Pilot Insurance Co., 2002 CSC 18,
[2002] 1 R.C.S. 595.
Lois et rglements cits
Charte des droits et liberts de la personne, L.R.Q., ch. C-12, art. 1, 4, 6, 49.
Code civil du Qubec, L.Q. 1991, ch. 64, art. 1525(1), 1526, 1607, 1618, 1619, 1621,
2846, 2849.
Loi sur le droit dauteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, art. 2, 3, 5, 13(4), 27(1), 34 [mod.2012, ch. 20, art. 43], 34.1, 35.
Doctrine et autres documents cits
Baudouin, Jean-Louis, et Patrice Deslauriers. La responsabilit civile, 7ed., vol. I,
Principes gnraux . Cowansville, Qu. : Yvon Blais, 2007.
Baudouin, Jean-Louis, et Pierre-Gabriel Jobin. Les obligations, 7e d. parPierre-Gabriel Jobin et Nathalie Vzina. Cowansville, Qu. : Yvon Blais, 2013.
Clermont, Benot. Les compilations et la Loi sur le droit dauteur : leur protectionet leur cration (2006), 18 C.P.I.219.
Gardner, Daniel. Le prjudice corporel, 3e d. Cowansville, Qu. : Yvon Blais,2009.
Gardner, Daniel. Revue de la jurisprudence 2011 en droit des obligations (2012),114R. du N.63.
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McKeown, John S. Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs, 4th
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Vaver, David. Intellectual Property Law : Copyright, Patents, Trade-marks, 2nd ed.Toronto : Irwin Law, 2011.
POURVOIS contre un arrt de la Cour dappel du Qubec (les juges
Thibault, Morin et Doyon), 2011 QCCA 1361, [2011] R.J.Q. 1415, 108 C.P.R. (4th)
165, [2011] J.Q. no9469 (QL), 2011 CarswellQue 7652, SOQUIJ AZ-50771854, qui
a infirm une dcision du juge Auclair, 2009 QCCS 3793, [2009] R.J.Q. 2261, 83
C.P.R. (4th) 1, [2009] R.R.A. 1135, [2009] J.Q. no 8395 (QL), 2009 CarswellQue
8380, SOQUIJ AZ-50572488. Pourvois dans les dossiers 34466, 34467 et 34468
rejets. Pourvoi dans le dossier 34469 accueilli en partie.
William Brock et Cara Cameron, pour les appelantes (34466)/intimes
(34469) Cinar Corporation et Les Films Cinar inc. et pour lintime (34469) 3918203
Canada Inc.
Guy Rgimbald, Normand Tamaro, Gilles M. Daigleet Marie-Catherine
Deschnes, pour les intims (34466, 34467, 34468)/appelants (34469) Claude
Robinson et Les Productions Nilem inc.
Pierre Y. Lefebvre et Alain Y. Dussault, pour les appelants
(34468)/intims (34469) Christophe Izard, France Animation S.A., Ravensburger
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Film + TV GmbH et RTV Family Entertainment AG et pour lintime (34469) Videal
Gesellschaft Zur Hertellung Von Audiovisuellen Produkten MHB.
Guy J. Pratte, Daniel Urbas et Marc-Andr Grou, pour lintim (34469)
Christian Davin.
Raynold Langlois, c.r., Dimitri Maniatis, Jean-Patrick Dallaire et
Fabrice Vil, pour les appelants (34467)/intims (34469) Ronald A. Weinberg et
Ronald A. Weinberg, s qualits dunique liquidateur de la succession de feu
Micheline Charest.
Barry B. Sookman et Daniel G. C. Glover, pour lintervenante Music
Canada.
Version franaise du jugement de la Cour rendu par
LA JUGE EN CHEF
[1] La lgislation canadienne protge le droit exclusif des titulaires de droitsdauteur de reproduire leurs uvres ou den autoriser la reproduction. Lorsquelle
nest pas autorise, la reproduction dune partie importante dune uvre originale
constitue une violation du droit dauteur donnant ouverture lexercice, par son
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titulaire, de divers recours. Pour trancher les prsents pourvois, la Cour doit
dterminer si une partie importante dune uvre a t reproduite, examiner le rle de
la preuve dexpert dans les affaires de violation du droit dauteur et valuer si le juge
de premire instance a commis des erreurs susceptibles de rvision dans loctroi des
dommages-intrts.
[2] Je conclus que le droit dauteur a t viol et je suis davis daccorder desdommages-intrts compensatoires, la restitution des profits ainsi que desdommages-intrts punitifs.
I. Contexte
[3] Claude Robinson tait un rveur. Il a pass des annes crerminutieusement lunivers imaginaire dune srie tlvise ducative pour enfants, Les
aventures de Robinson Curiosit ( Curiosit). Pour ce faire, il sest inspir du
roman Robinson Cruso de Daniel Defoe, ainsi que de son propre vcu. Il a cr un
personnage Robinson Curiosit qui habite sur une le tropicale et doit apprendre
interagir avec les autres habitants. partir de 1982, M. Robinson a dessin des
croquis dtaills, labor des story-boards, crit des scnarios ainsi que des synopsis
et conu du matriel promotionnel. En octobre 1985, le Bureau du droit dauteur a
dlivr un certificat denregistrement lidentifiant comme lauteur de Curiosit et Les
productions Nilem inc. ( Nilem ) une socit dont M. Robinson est le seul
administrateur et actionnaire comme la titulaire de luvre littra ire.
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[4] De 1985 1987, M. Robinson et Nilem ont entrepris plusieurs dmarchesdans le but de faire avancer le projet Curiosit. Il importe ici de signaler quen 1986,
un des partenaires de production de M. Robinson, la socit Pathonic international
Inc. ( Pathonic ), a retenu les services de Corporation Cinar ( Cinar ) afin quelle
agisse comme consultante pour la promotion du projet aux tats-Unis et quelle
donne des conseils gnraux sur la production. Les administrateurs et dirigeants de
Cinar, Ronald Weinberg et feu Micheline Charest, ont commenc participer au
projet. M. Robinson leur a alors donn une copie de luvre Curiosit. Au final,
toutefois, les efforts dploys par Cinar en vue de trouver des partenaires financiers
pour le projet aux tats-Unis nont rien donn.
[5] En 1987, M. Robinson sest associ la socit Les Productions SDA lte( SDA ) pour produire lmission tlvise. Nilem et SDA ont mis sur pied deux
socits, Les Productions de lle Curieuse inc. et Les Entreprises de lle Curieuse
inc., qui devaient servir dintermdiaires pour la production.
[6] La mme anne, M. Robinson et SDA ont particip Cannes, en France, une foire destine aux professionnels de lindustrie de la tlvision. cette
occasion, ils auraient fait une prsentation du projet Curiosit Christophe Izard, un
crateur franais de sries tlvises pour enfants.
[7] Malgr les efforts de M. Robinson et de ses partenaires, le projet na pasattir dinvestisseurs et a stagn. Les Productions de lle Curieuse et Les Entreprises
de lle Curieuse ont t dissoutes le 12 dcembre 1990.
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[8] Monsieur Robinson a mis son projet de ct, sans pour autant loublier.En 1995, il a tudi la possibilit de convertir Curiosit en un logiciel ducatif
interactif pour enfants. Cette nouvelle initiative a toutefois t interrompue quand, le
8 septembre 1995, il a regard la tlvision le premier pisode dune nouvelle srie
pour enfants : Robinson Sucro ( Sucro). Il a constat avec stupfaction que
Sucrotait, ses yeux, manifestement une copie de Curiosit.
[9]
Selon M. Robinson, les personnages et lenvironnement de Sucroressemblaient trangement son uvre. linstar du protagoniste dans Curiosit,
celui de Sucro est barbu, inspir du personnage de Robinson Cruso et porte des
lunettes ainsi quun chapeau de paille. De plus, dans les deux uvres, le protagoniste
habite sur une le et interagit avec dautres personnages. Il y a toutefois des
diffrences notables entre les uvres. Plusieurs des comparses du protagoniste de
Curiosit sont des animaux tandis que ceux du protagoniste de Sucro sont
principalement des humains. En outre, il y a des mchants dans Sucro, en
loccurrence une bande de pirates maraudeurs, ce qui nest pas le cas dans Curiosit.
[10] M. Robinson a appris que plusieurs parties ayant eu accs au projetCuriosit, savoir Cinar, M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard, avaient aussi
particip la production de Sucro. Il en a conclu que Sucro tait non pas une
cration indpendante, mais une reproduction de Curiosit. M. Robinson et Nilem
ont intent une action pour violation du droit dauteur contre Cinar, M. Weinberg,
Mme Charest et M. Izard de mme que contre plusieurs coproducteurs et distributeurs
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de Sucro. Ils ont aussi rclam des dommages-intrts en application des rgles de
responsabilit extracontractuelle, allguant que Cinar, M. Weinberg et MmeCharest
avaient manqu lobligation de bonne foi et au devoir de loyaut que leur imposait
le contrat de service quils avaient conclu avec Pathonic et que, ce faisant, ils leur
avaient sciemment caus un prjudice.
[11] Le procs a dur 83jours et a donn lieu la prsentation dun dossier depreuve volumineux. Aprs avoir entendu les dpositions de plus de 40 tmoins et de4 experts et avoir examin de nombreux lments de preuve documentaire et
audiovisuelle, le juge de premire instance a conclu que luvre Curiosit de
M. Robinson tait une uvre originale protge par le droit dauteur, que les
crateurs de Sucro avaient copi Curiosit et que les caractristiques reprises dans
Sucro constituaient une partie importante de Curiosit. Il a jug que Cinar,
M. Weinberg, MmeCharest, M. Izard, France Animation S.A., Ravensburger Film +
TV GmbH et RTV Family Entertainment AG (dsigns collectivement les
appelants Cinar dans les prsents motifs) taient responsables pour la violation du
droit dauteur. Il a galement tenu Christian Davin, le prsident-directeur gnral de
France Animation lpoque pertinente, personnellement responsable de la violation.
Enfin, le juge de premire instance a conclu que Cinar, M. Weinberg et Mme Charest
taient responsables sur le plan extracontractuel, envers M. Robinson et Nilem, du
manquement leurs obligations de bonne foi et de loyaut : 2009 QCCS 3793, [2009]
R.J.Q. 2261.
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[12] Le juge de premire instance a condamn les dfendeurs payer5 224 293 $ solidairement titre de dommages-intrts et dhonoraires
extrajudiciaires. De ce montant, 607 489 $ ont t octroys titre de
dommages-intrts compensatoires pour les pertes pcuniaires subies par
M. Robinson par suite de la violation du droit dauteur, 1 716 804 $ pour la restitution
des profits gnrs par suite de la contrefaon, 400 000 $ pour le prjudice
psychologique subi par M. Robinson, 1 000 000 $ titre de dommages-intrts
punitifs et 1 500 000 $ titre dhonoraires extrajudiciaires.
[13] La Cour dappel a confirm les conclusions du juge de premire instancesur la violation du droit dauteur. Elle a galement confirm ses conclusions sur la
responsabilit personnelle lgard de la violation du droit dauteur, sauf en ce qui
concerne M. Davin, contre qui, son avis, la preuve tait insuffisante : 2011 QCCA
1361, [2011] R.J.Q. 1415.
[14] La Cour dappel a confirm loctroi par le juge de premire instance dedommages-intrts compensatoires pour les pertes pcuniaires subies par
M. Robinson, sous rserve dune correction mathmatique mineure. Elle a rejet
lordonnance du juge de premire instance selon laquelle M.Weinberg, MmeCharest
et M. Izard taient personnellement tenus de restituer les profits parce que ce sont des
socits qui les avaient raliss. La Cour dappel a aussi ordonn la restitution des
profits en question sur une base conjointe plutt que solidaire. En outre, elle a exclu
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des sommes qui avaient t incluses tort par le juge de premire instance dans le
calcul des profits, ce qui a rduit ainsi le montant des profits restituer.
[15] La Cour dappel a conclu que le plafond fix dans la trilogie Andrews(Andrews c. Grand & Toy Alberta Ltd., [1978] 2 R.C.S. 229, Thornton c. School
District No. 57 (Prince George), [1978] 2 R.C.S. 267 et Arnold c. Teno, [1978] 2
R.C.S. 287) sappliquait loctroi de dommages-intrts pour le prjudice
psychologique subi par M. Robinson et a rduit ces derniers 121 350 $, ce quireprsente 50pour cent du plafond la date de lassignation.
[16] La Cour dappel a rduit les dommages-intrts punitifs de 1 000 000 $ 250 000 $ au motif que les dommages-intrts punitifs au Qubec doivent tre
octroys avec modration. Elle a conclu que ces dommages-intrts ne pouvaient tre
octroys sur une base solidaire. Enfin, elle a condamn Cinar verser 100 000 $ en
dommages-intrts punitifs, puis M. Weinberg, Mme Charest et M. Izard en verser
50 000 $ chacun.
[17] La Cour dappel a conclu que les intrts et lindemnit additionnelle(art. 1618 et 1619, Code civil du Qubec, L.Q. 1991, ch. 64 ( CcQ)) devaient tre
calculs partir du 16 juillet 1996 en ce qui concerne les dommages-intrts
compensatoires, et partir du 1erjuillet 2001 pour la restitution des profits. Elle a
aussi confirm la dcision du juge de premire instance daccorder 1500 000 $ titre
dhonoraires extrajudiciaires, mais a refus den accorder pour lappel.
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[18] Quatre pourvois ont t interjets contre la dcision de la Cour dappel(dans les dossiers 34466, 34467, 34468 et 34469). Les appelants Cinar contestent la
conclusion de responsabilit pour la violation du droit dauteur. M.Robinson et
Nilem interjettent appel de la dcision de la Cour dappel quant la rduction des
dommages-intrts et la restitution des profits.
II. Questions en litige
[19] Les prsents pourvois soulvent un certain nombre de questions, que jevais examiner de la faon suivante :
A. La qualit de M. Robinson et de Nilem
B. La violation du droit dauteur
C. La responsabilit personnelle de M. Weinberg, de M
me
Charest et deM. Davin pour violation du droit dauteur
D. La responsabilit extracontractuelle de Cinar, de M. Weinberg et deMmeCharest
E. La restitution des profits
F. Les dommages-intrts non pcuniaires
G. Les dommages-intrts punitifs
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III. Analyse
A. La qualit de M. Robinson et de Nilem
[20] Lappelant Weinberg fait valoir que ni M.Robinson ni Nilem nontqualit pour intenter une action pour violation du droit dauteur. Selon lui,
M. Robinson a cd tous ses droits sur Curiosit Nilem, qui a ensuite cd ces droits
la socit Les Entreprises de lle Curieuse. Il prtend que, par suite de ces
cessions, ni M. Robinson ni Nilem nont conserv de droits sur Curiosit.
[21] Il incombe M. Weinberg de prouver la perte du droit dauteur: art. 34.1de la Loi sur le droit dauteur, L.R.C 1985, ch. C-42 ( Loi ou Loi sur le droit
dauteur) (art. 34 au moment o la prsente action a t intente); Massie &
Renwick Ltd. c. Underwriters Survey Bureau Ltd. , [1940] R.C.S. 218, p. 233-234.
mon avis, il ne sest pas acquitt de ce fardeau de preuve. Au vu du dossier dont
dispose la Cour, je suis davis de ne pas modifier la conclusion des cours dinstance
infrieure selon laquelle M. Robinson et Nilem sont cotitulaires des droits relatifs
Curiosit. Je suis aussi daccord avec leur conclusion selon laquelle les droits qui
auraient t cds par Nilem la socit Les Entreprises de lle Curieuse lui ont t
rtrocds. En effet, la convention dactionnnaires conclue en 1987 qui prvoyait la
cession par Nilem de ses droits la socit Les Entreprises de lle Curieuse
comportait une clause rsolutoire selon laquelle les droits seraient rtrocds Nilem
si la Socit Les Entreprises de lle Curieuse tait dissoute. Or, cette dissolution a eu
lieu le 12 dcembre 1990.
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[22] En consquence, M. Robinson et Nilem ont qualit pour intenter leurrecours.
B. La violation du droit dauteur
(1) La porte de la protection confre par laLoi sur le droit dauteur
[23] La Loi sur le droit dauteur tablit un quilibre entre, dune part, lapromotion, dans lintrt du public, de la cration et de la diffusion des uvres
artistiques et intellectuelles et, dautre part, lobtention dune juste rcompense pour
le crateur : Thberge c. Galerie dArt du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34,
[2002] 2 R.C.S. 336, par. 30; voir aussiSocit canadienne des auteurs, compositeurs
et diteurs de musique c. Bell Canada, 2012 CSC 36, [2012] 2 R.C.S. 326, par. 8-11;
Entertainment Software Association c. Socit canadienne des auteurs, compositeurs
et diteurs de musique, 2012 CSC 34, [2012] 2 R.C.S. 231, par. 7-8; Rogers
Communications Inc. c. Socit canadienne des auteurs, compositeurs et diteurs de
musique, 2012 CSC 35, [2012] 2 R.C.S. 283, par. 40. Elle vise faire en sorte que
lauteur tirera un avantage de ses efforts, dans le but de favoriser la cration de
nouvelles uvres. Toutefois, elle ne donne pas lauteur le monopole sur les ides
ou sur les lments qui relvent du domaine public et dont tous sont libres de
sinspirer. Par exemple, [TRADUCTION] les circonstances gnriques relats dans les
ouvrages de fiction ou les ouvrages dramatiques peuvent tre repris il sagit dune
partie importante de la culture collective, et non dune uvre individuelle :
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D. Vaver, Intellectual Property Law: Copyright, Patents, Trademarks (2ed. 2011),
p. 182.
[24] La Loi protge toute uvre littraire, dramatique, musicale ou artistiqueoriginale: art. 5. Elle protge lexpression des ides dans ces uvres, et non les
ides comme telles : CCH Canadienne Lte c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC
13, [2004] 1 R.C.S. 339, par. 8. Une uvre originale est lexpression dune ide qui
rsulte de lexercice du talent et du jugement: CCH,par. 16. La violation du droitdauteur consiste sapproprier cette originalit sans autorisation.
[25] Cependant, la Loi ne protge pas chaque [TRADUCTION] infime partie de luvre originale, chaque petit dtail qui, si on se lapproprie, ne risque pas
davoir une incidence sur la valeur de [.. .] luvre dans son ensemble : Vaver,
p. 182. Larticle3 de la Loi sur le droit dauteur confre en effet au titulaire du droit
dauteur le droit exclusif de reproduire [une] uvre [. . .] ou une partie importante
de celle-ci .
[26] Le concept de partie importante de luvre est souple. Il sagit dunequestion de fait et de degr. [TRADUCTION] La question de savoir si une partie est
importante est qualitative plutt que quantitative : Ladbroke (Football), Ltd. c.
William Hill (Football), Ltd., [1964] 1 All E.R. 465 (H.L.), p. 481, lord Pearce. On
dtermine ce qui constitue une partie importante en fonction de loriginalit de
luvre qui doit tre protge par la Loi sur le droit dauteur. En rgle gnrale, une
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(2) La question litigieuse en appel
[29] Les appelants Cinar ne contestent plus certaines des conclusions du jugede premire instance, savoir que luvre de M. Robinson dans son ensemble tait
originale, que plusieurs des appelants ont eu accs luvre et, enfin, que Sucro et
Curiosit partagent des lments communs. Ils prtendent plutt que le juge de
premire instance a commis plusieurs erreurs lorsquil a examin la question de
savoir si une partie importante de Curiosit avait t reproduite dans Sucro, donnant
ainsi ouverture une rparation pour violation du droit dauteur.
(3) La norme de contrle
[30] La conclusion du juge de premire instance selon laquelle une partieimportante de luvre dun demandeur a t reproduite doit tre aborde avec
dfrence par les tribunaux dappel. La question de limportance de la partie
reproduite est une question mixte de fait et de droit. Par consquent, en rgle
gnrale, les tribunaux dappel doivent sen remettre aux conclusions du juge de
premire instance sur ce point, sauf si elles dcoulent dune erreur de droit ou
derreurs de fait manifestes et dominantes: Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33,
[2002] 2 R.C.S. 235; Designers Guild, p. 707, lord Hoffman, et p. 708, lord Millett;
Baigent c. The Random House Group Ltd., [2007] EWCA Civ 247, [2007] F.S.R. 24,
par. 125-126; Delrina Corp. c. Triolet Systems Inc.(2002), 58 O.R. (3d) 339 (C.A.),
par. 81; Vaver, p. 182.
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(4) Le juge de premire instance a-t- il commis une erreur en concluant quune
partie importante de luvre de M.Robinson avait t reproduite dansSucro?
[31] Le juge de premire instance, dont la dcision cet gard a t confirmepar la Cour dappel, a conclu que les appelants Cinar avaient viol le droit dauteur de
M. Robinson en reproduisant une partie importante de son uvre originale sans son
autorisation ni celle de Nilem : voir les par. 3(1) et 27(1) de la Loi sur le droit
dauteur.
[32] Les appelants Cinar prtendent que le juge de premire instance (a) aomis de suivre la dmarche approprie pour valuer limportance de la partie
reproduite de luvre; (b)na pas accord suffisamment de poids aux diffrences
notables entre Sucro et Curiosit; (c) a commis une erreur en concluant que les
caractristiques de Curiosit reproduites dans Sucro taient protges par la Loi sur
le droit dauteur; et (d) a fond ses conclusions sur un tmoignage dexpert
inadmissible. Jexaminerai successivement chacune de ces prtentions.
(a) Le juge de premire instance a-t-il omis de suivre la dmarcheapproprie pour dterminer si une partie importante dune uvreavait t reproduite?
[33] Selon le juge de premire instance, les appelants Cinar ont reproduit uncertain nombre de caractristiques de luvre Curiosit de M. Robinson, y compris
lapparence visuelle du personnage principal, les traits de personnalit de ce dernier et
dautres personnages, des aspects visuels des lieux ainsi que des lments
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scnographiques rcurrents. Il a conclu que, prises dans leur ensemble, les
caractristiques reproduites constituaient une partie importante de luvre de
M. Robinson.
[34] Les appelants Cinar prtendent quau lieu demployer une dmarcheglobale, le juge aurait d adopter une dmarche en trois tapes lobligeant (1)
dterminer quels lments de Curiosit sont originaux, au sens de la Loi sur le droit
dauteur; (2) exclure les caractristiques de luvre de M. Robinson qui ne peuventtre protges (comme les ides, les lments qui relvent du domaine public et les
lments gnriques qui se retrouvent couramment dans les sries tlvises pour
enfants); et (3) comparer Sucro avec ce qui serait rest de Curiosit aprs ce
processus dlimination puis juger si une partie importante de cette dernire avait
t reproduite.
[35] La dmarche propose par les appelants Cinar ressemble lapproche abstraction-filtration-comparaison utilise par les tribunaux amricains pour
valuer limportance de la partie reproduite de luvre lorsquil y a violation du droit
dauteur sur des logiciels: voir Computer Associates International Inc. c. Altai Inc.,
982 F.2d 693 (2nd Cir. 1992); B. Clermont, Les compilations et la Loi sur le droit
dauteur: leur protection et leur cration (2006), 18 C.P.I. 219, p. 237; B. Tarantino,
"Ive Got This Great Idea for a Show" Copyright Protection for Television Show
and Motion Picture Concepts and Proposals (2004), 17I.P.J. 189, p. 199-200. Cette
approche a t examine, sans tre formellement adopte, par la jurisprudence
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canadienne : Delrina Corp., par. 43-47. Je nexclus pas la possibilit quune telle
approche puisse tre utile pour dterminer sil y a eu reproduction dune partie
importante dune uvre comme un programme informatique. Cependant, de
nombreux types duvres ne se prtent pas une analyse rductrice. Dans
lensemble, les tribunaux canadiens ont adopt une approche qualitative et globale
pour valuer limportance de la partie reproduite de luvre. [TRADUCTION] Le
tribunal examinera la nature des uvres et, dans tous les cas, il examinera non pas des
extraits isols, mais les deux uvres dans leur ensemble pour dterminer si le projet
du dfendeur a indment port atteinte au droit du demandeur : J. S. McKeown, Fox
on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs(feuilles mobiles), p. 21-16.4
(je souligne).
[36] En gnral, il importe de ne pas analyser limportance des caractristiquesreproduites en les examinant chacune isolment : Designers Guild, p. 705, lord
Hoffman. Si elle tait retenue, lapproche propose par les appelants Cinar risquerait
de mener la dissection de luvre de M.Robinson en ses lments constitutifs.
Labstraction qui consisterait rduire luvre de M.Robinson lessence mme
de ce qui la rend originale et lexclusion des lments non susceptibles dtre
protgs ds le dbut de lanalyse aurait pour effet dempcher le juge deffectuer une
valuation rellement globale. Cette approche mettrait indment laccent sur la
question de savoir si chacune des parties de luvre de M. Robinson, prise
individuellement, est originale et protge par la lgislation sur le droit dauteur. Il
faut plutt examiner leffet cumulatif des caractristiques reproduites de luvre afin
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de dcider si elles constituent une partie importante du talent et du jugement dont a
fait preuve M. Robinson dans lensemble de son uvre.
[37] Jarrive donc la conclusion que le juge de premire instance na pascommis derreur en omettant de suivre la dmarche en trois tapes prconise par les
appelants Cinar.
(b) Le juge de premire instance a-t-il omis daccorder suffisamment de poidsaux diffrences entre Sucro et Curiosit?
[38] Les appelants Cinar affirment que le juge de premire instance sestconcentr presque exclusivement sur les similitudes entre Sucro et Curiosit, et na
pas tenu compte des diffrences importantes selon eux entre les uvres. Ces
diffrences tiennent notamment ce que les personnages secondaires dans Sucro
sont des humains, tandis que, dans Curiosit, plusieurs dentre eux sont des animaux;
ce que Sucro met en vedette de faon vidente ses mchants , en loccurrence
une bande de pirates maraudeurs, tandis que dans Curiosit il ne semble pas y avoir
de mchants; et ce que le protagoniste dans Sucro nest pas particulirement
curieux tandis que la curiosit est le principal trait de personnalit du protagoniste
dans Curiosit.
[39] Pour dcider si une partie importante de luvre a t reproduite, il fautsattacher dterminer si les caractristiques reprises constituent une partie
importante de luvre du demandeur, et non de celle du dfendeur : Vaver, p. 186;
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E. F. Judge et D. J. Gervais, Intellectual Property: The Law in Canada (2ed. 2011),
p. 211. Le fait de modifier certaines caractristiques reproduites ou de les intgrer
dans une uvre qui est considrablement diffrente de celle du demandeur na pas
ncessairement pour effet dcarter la prtention selon laquelle une partie importante
dune uvre a t reproduite. Comme le prvoit la Loi sur le droit dauteur, la
contrefaon comprend toute [. . .] imitation dguise dune uvre: dfinition de
contrefaon , art. 2.
[40] Cela ne veut pas dire que les diffrences nont pas leur place danslanalyse de limportance de la partie reproduite de luvre. Si les diffrences sont
telles que luvre, prise dans son ensemble, constitue non pas une imitation, mais
plutt une uvre nouvelle et originale, il ny a pas violation du droit dauteur.
Comme la indiqu la Cour dappel, les diffrences peuvent navoir aucun impact si
lemprunt demeure substantiel. linverse, il se peut aussi quil en rsulte une uvre
nouvelle et originale, qui sest tout simplement inspire de la premire. Tout est donc
question de nuance, de degr et de contexte (par. 66).
[41] Le juge de premire instance a procd une valuation qualitative etglobale des similitudes entre les uvres en tenant compte des ressemblances et des
diffrences pertinentes. Par exemple, il a accord peu de poids aux ressemblances
attribuables au lieu une le o se droule lhistoire dans les deux uvres: le fait
quil y ait une plage, une vgtation abondante et des bananes dans les deux uvres
ntait tout au plus quune similitude mineure (par. 621 et 631). Il a aussi accord
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peu dimportance aux ressemblances quil y aurait entre Gladys, un personnage dans
Sucro et Gertrude, un personnage fminin dans Curiosit (par. 577-581). Il sest
demand si Robinson Sucro pouvait tre considr comme aussi curieux que
Robinson Curiosit, et il a reconnu que la curiosit tait un trait de personnalit du
protagoniste moins important dans Sucro quil ne ltait dans Curiosit
(par. 529-531). Il a conclu que, malgr les diffrences entre les uvres, il tait
toujours possible de relever dans Sucro des caractristiques tires de Curiosit et que
ces caractristiques constituaient une partie importante de luvre de
M. Robinson. Le juge de premire instance na pas commis derreur en abordant la
question de cette manire.
(c) Le juge du procs a-t-il commis une erreur en concluant que les lments deCuriosit reproduits dans Sucro sont protgs par la Loi sur le droitdauteur?
[42] Les appelants Cinar prtendent que, en ne suivant pas la dmarche entrois tapes quils prconisent et en naccordant pas suffisamment de poids aux
diffrences entre les uvres, le juge de premire instance a considr une srie de
caractristiques qui ne sont pas protges par la lgislation sur le droit dauteur
comme formant une partie importante de luvre. Ils affirment que Sucro
reproduit, tout au plus, des ides vhicules dans Curiosit, des lments qui relvent
du domaine public (comme le protagoniste du roman de Daniel Defoe qui remonte
prs de 300 ans) et dautres lments qui ne sont pas originaux au sens de la Loi sur le
droit dauteur.
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[43] Je vais dabord examiner largument selon lequel Sucro nest que lareproduction de lide dune srie tlvise pour enfants portant sur un personnage
inspir de Robinson Cruso qui habite sur une le tropicale, plutt que de lexpression
de cette ide par M. Robinson. Je ne peux retenir cet argument. Le juge de premire
instance a clairement fond sa conclusion selon laquelle une partie importante avait
t reproduite non pas sur lide qui sous-tend Curiosit, mais sur la faon dont
M. Robinson a exprim cette ide. Il a affirm que la structure de base du projet de
srie tlvise de M. Robinson avait t reprise. Il a aussi conclu que la prsentation
graphique et plusieurs traits de personnalit du personnage principal de Curiosit
avaient t repris, quil en tait de mme de la personnalit des personnages
secondaires qui gravitent autour du protagoniste dans Curiosit et que la prsentation
graphique du village o habitent ces personnages avait pour sa part t reprise en
partie (par. 685 et par. 824-826). Ces conclusions ne se limitent pas la reproduction
dune ide abstraite; elles mettent laccent sur lexpression dtaille des ide s de
M. Robinson.
[44] Il reste donc le deuxime argument selon lequel, dans la mesure o lespersonnages et les lieux dans Sucro taient une reproduction de ceux figurant dans
Curiosit, ces lments, gnriques, ne sont pas protgs par la lgislation sur le droit
dauteur. Selon les appelants Cinar, le rcit dun homme abandonn sur une le et qui
interagit avec les animaux, les habitants et lenvironnement du lieu en question est
une histoire type reprise depuis des sicles.
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[45] L encore, les conclusions du juge de premire instance rfutent cetargument. Il a conclu que Curiosit tait une uvre originale au sens de la Loi sur le
droit dauteur. Il a fond cette conclusion non pas sur la nature gnrique des
personnages, mais sur leur prsentation visuelle singulire et leur personnalit
particulire, qui sont le fruit du talent et du jugement de M. Robinson. Lle dans
Curiosit ntait pas non plus une le compltement gnrique. Le juge de premire
instance a cit des lments visuels prcis du lieu qui avaient t conus par
M. Robinson et reproduits par les appelants Cinar.
[46] Llaboration de plusieurs personnages ayant des traits de personnalitparticuliers et dont les interactions dpendent de ces traits de personnalit requiert un
exercice de talent et de jugement suffisant pour satisfaire au critre doriginalit de la
Loi sur le droit dauteur : voir par exemple Productions Avanti Cin-Vido Inc. c.
Favreau [1999], R.J.Q. 1939 (C.A. Qu), autorisation de pourvoi refuse, [2000] 1
R.C.S. xi. Lmission Sucro nest pas seulement la reproduction dlments
gnriques dont tous peuvent sinspirer. Elle est galement la reproduction de la
combinaison particulire de personnages qui figurent dans Curiosit et qui ont des
traits de personnalit distincts, habitent ensemble et interagissent sur une le tropicale
des lments qui reprsentent une partie importante du talent et du jugement
exprims dans Curiosit.
[47] En fait, les appelants Cinar contestent essentiellement des conclusionsmixtes de fait et de droit que le juge de premire instance a tires dans ses motifs. Ils
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invitent la Cour procder une nouvelle valuation des caractristiques reproduites
de Curiosit. Je dcline cette invitation. Les appelants Cinar nont pas prouv que
les conclusions du juge de premire instance relatives limportance de la partie
reproduite de luvre sont entaches derreurs manifestes ou dominantes.
(d) Le juge de premire instance a-t-il commis une erreur en se fondant sur unepreuve dexpert inadmissible?
[48] Les appelants Cinar soutiennent que le juge de premire instance a fondla majeure partie de ses conclusions relatives la reproduction dune partie
importante de luvre sur le tmoignage inadmissible dun expert, le smiologue
Dr. Charles Perraton. La smiologie est ltude des signes et des symboles ainsi que
de la faon dont ceux-ci transmettent un message. Dr. Perraton a affirm que,
indpendamment des similitudes visuellement observables entre les uvres en
question, il y avait des similitudes latentes dans la faon dont les deux uvres avaient
utilis lambiance, la dynamique, les motifs, les symboles et la structure pour
transmettre un message. Le juge de premire instance sest fond sur ce tmoignage
pour conclure que les appelants Cinar avaient reproduit une partie importante de
luvre de M.Robinson.
[49] Pour que la preuve dexpert soit admise au procs, elle doit a) trepertinente; b) se rvler ncessaire pour aider le juge des faits; c) ne pas contrevenir
une rgle dexclusion; et d) tre prsente par un expert suffisamment qualifi (R. c.
Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9). Ces critres sappliquent tant aux procs pour violation
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point de vue dun profane faisant partie de lauditoire vis par luvre et de demander
un expert dclairer le juge de premire instance de manire ce que celui-ci soit en
mesure de poser sur les uvres le regard dune [TRADUCTION] personne
raisonnablement verse dans lart ou la technologie en cause : Vaver,p. 187.
[52] titre dexemple, deux uvres de musique classique peuvent semblerdiffrentes pour un profane, peut-tre parce quon les joue avec des instruments
diffrents ou un rythme diffrent. Cependant, un musicien averti pourrait entendredes similitudes donnant penser quune partie importante de luvre originale a t
reproduite la mme armature de clef, le mme arrangement des notes dans les
passages rcurrents, ou un accord harmonique rcurrent et inhabituel. Certes, il
reviendra au juge de dterminer si les similitudes permettent de conclure quune
partie importante de luvre originale a t reproduite. Cependant, pour trancher
cette question, il pourrait devoir examiner non seulement la faon dont les uvres
sonnent loreille dun profane faisant partie de lauditoire vis, mais aussi les
similitudes structurales que seul un expert peut dceler.
[53] En lespce, il a t satisfait au critre de ncessit du test applicable pourjuger de ladmissibilit dun tmoignage dexpert. Premirement, les uvres visent
un auditoire de jeunes enfants. Une application stricte de la norme du profane
faisant partie de lauditoire vis limiterait indment la capacit de la cour de
rpondre la question qui est au cur du prsent pourvoi, soit celle de savoir si une
partie importante de luvre de M.Robinson a t reproduite. Cette approche
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dplacerait le dbat puisquil faudrait alors dterminer si les caractristiques reprises
sont manifestes aux yeux dun enfant de cinq ans.
[54] Deuximement, la nature des uvres en question les rend difficiles comparer. Le juge de premire instance devait comparer le projet, en pleine
laboration, dune mission de tlvision qui navait pas t ralise avec un produit
fini qui avait t diffus la tlvision. Ce ne sont pas des uvres qui se prtent
facilement une comparaison visuelle cte cte mene par un juge san s laide dunexpert.
[55] Enfin, les uvres en question avaient la fois des similitudes apparenteset des similitudes latentes. Ou, comme la expliqu Dr. Perraton, elles partageaient
des similitudes perceptibles et des similitudes intelligibles . Les premires
sont celles qui peuvent tre directement observes, tandis que les secondes comme
lambiance, la dynamique, les motifs et la structure influent indirectement sur
lexprience vcue par le spectateur de luvre. Le tmoignage dexpert tait
ncessaire pour aider le juge de premire instance distiller et comparer les aspects
intelligibles des uvres en question, quil naurait pas t en mesure dapprcier
sans ce tmoignage. Par consquent, le juge de premire instance na pas commis
derreur en admettant le tmoignage dexpert du Dr.Perraton.
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(5) Rsum
[56] Les appelants Cinar nont pas russi dmontrer que le juge de premireinstance avait commis une erreur en concluant quils avaient reproduit une partie
importante de luvre de M.Robinson.
C. La responsabilit personnelle de M. Weinberg, de Mme Charest et de M. Davinpour violation du droit dauteur
[57] France Animation, Cinar, Ravensburger et RTV Family Entertainementne soutiennent plus quils ne peuvent pas tre tenus responsables titre de
producteurs de Sucro. De mme, M. Izard ne prtend plus quil ne peut tre tenu
personnellement responsable. En revanche, M. Weinberg, MmeCharest et M. Davin
soutiennent quils ne peuvent tre tenus personnellement responsables de la violation
du droit dauteur.
(1) M. Weinberg et Mme Charest
[58] Le juge de premire instance a conclu que M. Weinberg et MmeCharesttaient personnellement responsables de la violation du droit dauteur de M. Robinson
puisquils lont viol sciemment et dlibrment.
[59] M. Weinberg prtend que M. Robinson na pas tabli, selon laprpondrance des probabilits, que Mme Charest et lui avaient sciemment viol son
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droit dauteur puisque, selon sa prtention, ils ont eu peu dimplication directe dans la
cration de Sucro.
[60] Pour quun administrateur et/ou un dirigeant soit tenu responsable de laviolation dun droit dauteur commise par sa socit, [TRADUCTION] il doit exister
des circonstances partir desquelles il y a lieu de conclure que ce que visait
ladministrateur ou le dirigeant ntait pas la conduite ordinaire des activits de
fabrication et de vente de celle-ci, mais plutt la commission dlibre et enconnaissance de cause dactes qui taient de nature constituer une contrefaon ou
qui refltaient une indiffrence lgard du risque de contrefaon : Mentmore
Manufacturing Co. c. National Merchandising Manufacturing Co.(1978), 89 D.L.R.
(3d) 195 (C.A.F.), p. 204-205, le juge Le Dain.
[61] la lumire de lensemble de la preuve, le juge de premire instance aconclu que M. Weinberg et MmeCharest avaient dlibrment, volontairement et
sciemment viol le droit dauteur de M.Robinson. Cette conclusion tait taye par
la preuve. Le juge a accept le tmoignage selon lequel M. Weinberg et MmeCharest
avaient personnellement eu accs aux dessins de M. Robinson et les avaient consults
pendant llaboration de Sucro (par. 786-799). Il a tir des conclusions dfavorables
de la persistance de M. Weinberg et de MmeCharest ne pas reconnatre quils
avaient eu accs luvre de M.Robinson, malgr le fait quils avaient obtenu des
copies de luvre et mme fait certains commentaires dans le cadre de leur mandat de
consultants auprs de Pathonic (par. 254-258). Les conclusions selon lesquelles ils
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taient personnellement responsables sont tayes par la preuve et ne devraient pas
tre annules.
(2) M. Davin
[62] Le juge de premire instance a tenu M. Davin, le prsident-directeurgnral de France Animation lpoque pertinente, personnellement responsable de
la violation du droit dauteur. Pour ce faire, il sest fond sur des lments de preuve
dmontrant que M. Davin avait particip des stratagmes de Cinar visant toucher
frauduleusement des redevances et des subventions gouvernementales. Il a aussi
soulign que M. Davin tait le suprieur de M. Izard qui, lui, avait personnellement
particip la reproduction de luvre de M.Robinson. La Cour dappel a infirm
cette conclusion selon laquelle M. Davin tait personnellement responsable au motif
quelle ntait pas taye par la preuve. Je suis daccord avec la conclusion de la
Cour dappel.
[63] Le juge de premire instance a conclu la responsabilit de M. Davin parprsomption, c.--d. grce au processus par lequel, de lexistence de faits connus (le
poste occup par M. Davin chez France Animation et sa participation dautres
stratagmes frauduleux), on induit lexistence dun fait inconnu (la participation
personnelle de M. Davin la violation du droit dauteur): art. 2846 CcQ. Les
tribunaux ne peuvent se fonder que sur des prsomptions qui sont graves, prcises
et concordantes : art. 2849 CcQ; voir aussi Longpr c. Thriault, [1979] C.A. 258,
p. 262.
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[64] La preuve sur laquelle sest fond le juge de premire instance nappuyaitpas une prsomption grave, prcise et concordante selon laquelle M. Davin avait
personnellement, dlibrment et sciemment particip la reproduction de luvre de
M. Robinson, comme lexige larrt Mentmore. Le juge de premire instance a dduit
dlments de preuve circonstancielle gnrale que M.Davin y avait sciemment et
dlibrment particip. Il a soulign que M. Davin tait le personnage teflon qui
avait particip des stratagmes frauduleux (par. 835). Cependant, ces stratagmes
navaient rien voir avec la reproduction de luvre de M.Robinson. Or, la preuve
dune personnalit malhonnte et arrogante ne suffit pas fonder une conclusion de
participation la violation dun droit dauteur. Le juge sest aussi appuy sur le statut
de suprieur hirarchique de M. Izard quavait M.Davin. Cela, pris isolment, ne
permet toutefois pas dtablir sa participation personnelle la violation du droit
dauteur. Le dirigeant dune socit ne saurait tre tenu personnellement responsable
de la violation dun droit dauteur sur la seule base de son statut de dirigeant.
[65] Monsieur Robinson prtend galement que M. Davin a autoris lareproduction de son uvre, au sens de lart.3 de la Loi sur le droit dauteur.
Suivant le par. 27(1) de la Loi sur le droit dauteur, constitue une violation du droit
dauteur laccomplissement dun acte que seul le titulaire du droit dauteur a, en vertu
de la Loi, la facult daccomplir, y compris autoriser lexercice de ses propres
droits : CCH, par. 37. Comme la Cour la prcis dans larrt CCH :
Autoriser signifie sanctionner, appuyer ou soutenir (sanction, approve and countenance ) [. . .] Lorsquil sagit de
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causalit entre la contrefaon et la trame sonore. Deuximement, elle a conclu que le
juge de premire instance avait commis une erreur en qualifiant de revenu la somme
de 684 000 $ verse par Ravensburger France Animation (la somme de
Ravensburger ) et elle a soustrait ce montant du calcul des profits. Troisimement,
elle a conclu que la somme de 1 111 201 $ verse par Cinar une socit de
personnes nomme Jaffa Road (la somme de Jaffa Road ) aurait d tre considre
comme une dpense et soustraite du calcul des profits. Quatrimement, elle a conclu
que seules les socits dfenderesses auraient d tre condamnes restituer les
profits et que, selon lart. 35 de la Loisur le droit dauteur, ceux-ci ne peuvent tre
restitus que sur une base conjointe. Enfin, elle a modifi la date retenir pour le
calcul des intrts et de lindemnit additionnelle affrents la restitution des profits.
[72] Ayant conclu que lart.35 de la Loi sur le droit dauteurne permet pas larestitution solidaire des profits, la Cour dappel a rparti le montant total des profits
entre France Animation (60 pour cent), Ravensburger (15 pour cent) et Cinar (25 pour
cent).
[73] Monsieur Robinson et Nilem demandent maintenant le rtablissement dela restitution des profits ordonne par le juge de premire instance. Aucun appel nest
interjet lencontre de la condamnation par le juge de premire instance verser des
dommages-intrts compensatoires en application de lart.35 de la Loi sur le droit
dauteurpour compenser les pertes pcuniaires de M. Robinson.
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[74] Le juge de premire instance a refus dordonner la reddition de compte,une dcision qui na pas t porte en appel. Il a plutt calcul les profits nets tirs de
Sucro en sappuyant sur la preuve documentaire produite par les parties. Par
consquent, la Cour na pas sa disposition le genre de dossier dtaill qui rsulte
habituellement dune reddition de compte et doit se contenter, dune part, des
conclusions de fait du juge de premire instance et, dautre part, de la preuve
documentaire au dossier.
[75] Je vais examiner tour de rle chacune des failles quil y aurait dans larestitution des profits ordonne par le juge de premire instance.
(1) Les profits provenant de la trame sonore de Sucro
[76] La trame sonore de Sucro est le fruit dun processus de crationindpendante. Elle nest pas le fruit dune copie de luvre de M. Robinson; elle a
plutt t incorpore luvre reproduite. M. Robinson prtend quil existe malgr
tout un lien de causalit entre la contrefaon et les profits provenant de la trame
sonore. Selon lui, cette dernire constitue un lment inextricable dune mission de
tlvision qui a t cre en violant un droit dauteur. Pour leur part, les appelants
Cinar prtendent que, comme la trame sonore est le fruit dune cration indpendante,
il ne peut y avoir de lien de causalit entre la contrefaon et les profits affrents aux
droits musicaux.
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[77] Suivant larticle35 de la Loi sur le droit dauteur, un dfendeur peut trecondamn [TRADUCTION] restituer ses profits dans la mesure o ils dcoulent de la
contrefaon . Comme il doit y avoir un lien de causalit entre la contrefaon et les
profits, il peut tre ncessaire de diviser ces derniers en profits attribuables la
contrefaon et en profits non attribuables la contrefaon : McKeown, p. 24-82.3
(je souligne). Il incombe au contrefacteur de [TRADUCTION] dissocier, de faon
satisfaisante, les activits qui constituent de la contrefaon de celles qui nen
constituent pas : Vaver, p. 653; Sheldon c. Metro-Goldwyn Pictures Corporation,
106 F.2d 45 (2nd Circ. 1939), le juge Learned Hand. Dans certains cas,
[TRADUCTION] luvre du contrefacteur est si inextricablement lie celle du
titulaire du droit dauteur quil est impossible de les dissocier : Vaver, p. 637.
[78] La rpartition des profits entre les composantes dune uvre qui violentle droit dauteur et celles qui ne le violent pas est essentiellement une dcision
factuelle qui relve du pouvoir discrtionnaire du tribunal : Wellcome Foundation
Ltd. c. Apotex Inc., [2001] 2 C.F. 618 (C.A.), par. 23; Lubrizol Corp. c. Compagnie
Ptrolire Impriale Lte, [1997] 2 C.F. 3 (C.A.), par. 9. La cour dappel ne peut
modifier les conclusions du juge de premire instance sur la rpartition des profits
que si ce dernier a commis une erreur de droit ou une erreur de fait manifeste et
dominante :Housen.
[79] En lespce, le juge de premire instance a conclu que les revenusmusicaux ne peuvent tre dissocis de lensemble de luvre (par. 1016). La Cour
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dappel ntait pas de cet avis et sest demande quels profits auraient t raliss si la
trame sonore avait t commercialise comme un produit distinct, indpendamment
du matriel qui viole le droit dauteur(par. 196). Elle sest fonde sur la mthode du
profit diffrentiel utilise dans les affaires de contrefaon de brevet, mthode qui
consiste comparer le profit que linvention a permis au dfendeur de raliser
celui que lui aurait permis de raliser la meilleure solution non contrefaisante :
Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 R.C.S. 902, par. 102.
[80] mon avis, la Cour dappel a commis une erreur en modifiant laconclusion du juge de premire instance selon laquelle il est impossible de dissocier
les profits provenant de la trame sonore de ceux tirs du matriel violant le droit
dauteur. La mthode du profit diffrentiel retenue par la Cour dappel est
gnralement utilise dans les affaires o la contrefaon permet son auteur de
commercialiser un produit dune faon plus rentable quil naurait pu le faire sans la
contrefaon. Cependant, rien nindique que la trame sonore aurait pu tre
commercialise de faon distincte si luvre Curiosit navait pas t contrefaite au
dpart. La trame sonore a t commercialise seulement titre de composante de
lmission de tlvision Sucro, qui est elle-mme une reproduction dune partie
importante de luvre cre par M.Robinson. Le juge de premire instance tait en
droit de conclure que la trame sonore navait aucune valeur en soi et quelle a gnr
des profits seulement titre daccessoire de lmission de tlvision. Par consquent,
il na pas commis une erreur susceptible de rvision en concluant quil tait
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(3) La somme de Jaffa Road
[83] Conformment un contrat de distribution, Cinar a vendu pour1 853 333 $ Jaffa Road ses droits sur Sucro. Personne ne conteste que cette
somme a t perue par Cinar et quelle constitue un revenu tir de Sucro. Dans un
contrat subsquent, Jaffa Road a rtrocd Cinar ses droits de distribution au
Canada et aux tats-Unis. Aux termes de ce contrat, une somme minimale de
1 111 201 $ devait tre verse par Cinar de faon inconditionnelle environ un an
aprs la signature du contrat comme portion dune garantie de revenus . Le juge
de premire instance na pas considr cette somme comme une dpense engage par
Cinar. Cest toutefois ce qua fait la Cour dappel.
[84] Selon le juge de premire instance, essentiellement, les appelants Cinarnavaient pas prouv que Cinar avait rellement pay 1 111 201 $ Jaffa
Road : par. 1022. Dans le document prsent pour prouver que ce paiement avait t
fait, il tait seulement indiqu quune garantie de revenus devait tre verse un an
aprs la signature du contrat. Aucune preuve na t produite pour dmontrer que
cette garantie a t verse la date dchance. Le juge de premire instance tait en
droit de conclure que ce document ne constituait pas une preuve de paiement.
Contrairement ce qua laiss entendre la Cour dappel, il ntait pas tenu dacco rder
foi cette preuve. Par consquent, je ne soustrairais pas cette somme titre de
dpense du calcul des profits provenant de Sucro.
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priode de plus de dix ans, mais majoritairement aprs le 5 dcembre 1995. Comme
le juge de premire instance a refus dordonner une reddition de compte, il est
impossible de fixer les intrts avec prcision. Par consquent, la Cour dappel a
ajout les intrts et lindemnit additionnelle calculs compter du 1 erjuillet 2001,
une date situe approximativement au milieu de la priode durant laquelle luvre
Sucroa gnr des revenus.
[92]
La solution de la Cour dappel tait juste dans les circonstances delespce. Les parties condamnes restituer les profits ne devraient pas payer des
intrts partir dune date clairement antrieure la priode durant laquelle la
majeure partie des profits a t ralise.
F. Les dommages-intrts non pcuniaires
[93] Le juge de premire instance a accord M. Robinson 400 000 $ endommages-intrts non pcuniaires titre de compensation pour son prjudice
psychologique. Il a fait une analogie entre le prjudice psychologique subi par
M. Robinson et le prjudice subi par une victime de diffamation.
[94] La Cour dappel a rduit ces dommages-intrts 121 350 $. Elle aexpliqu que les symptmes physiques de choc et de dpression ressentis par
M. Robinson taient attribuables un prjudice corporel. Par consquent, selon la
Cour dappel, le juge de premire instance aurait d appliquer le plafond fix aux
dommages-intrts non pcuniaires par la Cour dans la trilogie Andrews.
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(1) Lapplicabilit du plafond fix dansAndrews
[95] Dans la trilogie Andrews, la Cour a fix un plafond de 100 000 $ auxpertes non pcuniaires pour lesquelles il est possible dobtenir rparation la suite
dun prjudice corporel catastrophique. Les pertes non pcuniaires forment une
catgorie qui regroupe des lments disparates comme la perte de jouissance de la
vie, le prjudice esthtique, les douleurs et souffrances physiques et psychologiques,
les inconvnients, de mme que le prjudice dagrment et le prjudice sexuel :
Qubec (Curateur public) c. Syndicat national des employs de lhpital
St-Ferdinand, [1996] 3 R.C.S. 211, par. 63; Andrews, p. 264. Dans les cas o le
plafond sapplique, il est ajust en fonction de linflation depuis les trois arrts rendus
en 1978 : Lindal c. Lindal, [1981] 2 R.C.S. 629, p. 640-641.
[96] Bien que le plafond ait t fix par la Cour dans le cadre de pourvoisprovenant de provinces de common law, les tribunaux qubcois lappliquent
lorsquils valuent les dommages-intrts non pcuniaires dcoulant dun prjudice
corporel : J. L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilit civile (7e d., 2007),
vol. I, p. 481-484; D. Gardner, Le prjudice corporel (3e d., 2009), p. 376-377.
Cette uniformit est compatible avec le souci, exprim dans Andrews, selon lequel
[i]l ne devrait pas y avoir de trop grandes disparits dans les indemnits accordes
au Canada [pour ce type de dommages non pcuniaires]. Tous les Canadiens, o
quils rsident, ont droit une indemnisation peu prs quivalente pour des pertes
non pcuniaires semblables (p. 263).
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[97] Cependant, le plafond fix dans Andrews ne sapplique pas auxdommages-intrts non pcuniaires qui ne dcoulent pas dun prjudice corporel,
comme ceux qui rsultent de la diffamation : Hill c. glise de scientologie de
Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, par. 168; voir aussi Snyder c. Montreal Gazette Ltd.,
[1988] 1 R.C.S. 494, o la proposition du juge Lamer selon laquelle les
dommages-intrts dans les affaires de diffamation en droit civil devraient tre
assujettis un plafond na pas recueilli lappui de la majorit de la Cour.
[98] Les appelants Cinar prtendent (i) quun plafond devrait tre impos tous les dommages-intrts non pcuniaires, quils dcoulent ou non dun prjudice
corporel et, subsidiairement (ii) que les dommages- intrts non pcuniaires en
lespce rsultent en fait dun prjudice corporel.
[99] En ce qui concerne le premier argument, je refuserais dtendrelapplication du plafond fix dans Andrews au-del des dommages-intrts non
pcuniaires dcoulant dun prjudice corporel. Dans Hill, la Cour a refus
dappliquer le plafond aux dommages-intrts non pcuniaires dcoulant de la
diffamation. Elle a conclu que les considrations de principe propres aux affaires de
prjudice corporel identifies dans la trilogie Andrews notamment laugmentation
outrancire, lourde de consquences systmiques, des sommes accordes titre de
dommages-intrts non pcuniaires navait pas t tabli en droit de la
diffamation. De mme, les appelants Cinar ne mont pas convaincue quil existe un
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risque imminent daugmentation outrancire des sommes accordes titre de
dommages-intrts non pcuniaires dans les affaires de violation de droits dauteur.
[100] En ce qui concerne le deuxime argument, je ne suis pas daccord pourdire que le prjudice non pcuniaire subi par M. Robinson dcoule dun prjudice
corporel au sens de lart.1607 CcQ. En droit civil qubcois, un prjudice ne peut
tre qualifi de prjudice corporel que si la prsence dune atteinte lintgrit
physique est tablie : Schreiber c. Canada (Procureur gnral), 2002 CSC 62,[2002] 3 R.C.S. 269, par. 62. Pour qualifier le prjudice, il importe de dterminer si
lacte qui a caus le prjudice tait en soi une atteinte lintgrit physique de la
victime, plutt que de dterminer si lacte a eu une incidence sur la sant physique de
la victime : Gardner, p. 17. linverse, latteinte des droits dment qualifis de
droits dordre moral nest pas incluse dans cette catgorie dactions : Schreiber,
par. 64.
[101] La violation du droit dauteur de M.Robinson ntait pas une atteinte son intgrit physique. Certes, elle lui a caus un grave choc qui a entran une
dtrioration de sa sant physique. Cependant, comme je lai dj expliqu, les
rpercussions sur la sant physique de la victime ne suffisent pas qualifier le
prjudice de prjudice corporel en labsence dune atteinte lintgrit physique:
voir par exemple Landry c. Audet, 2011 QCCA 535, [2011] R.J.Q. 570, par. 107,
autorisation de pourvoi refuse, [2011] 3 R.C.S. v. Avec gards, la Cour dappel a
perdu de vue cette distinction.
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[105] Les tribunaux qubcois tablissent gnralement le montant desdommages-intrts non pcuniaires en combinant les approches conceptuelle,
personnelle et fonctionnelle : St-Ferdinand, par. 72-73, 75 et 77; Gauthier c.
Beaumont, [1998] 2 R.C.S. 3, par. 101. Lapproche conceptuelle mesure la perte
[TRADUCTION] en fonction de la gravit objective du prjudice : Stations de la
Valle de Saint-Sauveur inc. c. M.A., 2010 QCCA 1509, [2010] R.J.Q. 1872, par. 83,
le juge Kasirer. Lapproche personnelle sattache plutt valuer, dun point de
vue subjectif, la douleur et les inconvnients dcoulant des blessures subies par la
victime : St-Ferdinand, par. 75, citant A. Wry, Lvaluation judiciaire des
dommages non pcuniaires rsultant de blessures corporelles : du pragmatisme de
larbitraire?, [1986] R.R.A. 355. Enfin, lapproche fonctionnelle vise fixer une
indemnit pour fournir la victime une consolation : Andrews, p. 262. Ces approches
sappliquent conjointement, favorisant ainsi lvaluation personnalise des
dommages-intrts non pcuniaires : St-Ferdinand, par. 80.
[106] En plus dappliquer ces approches, les tribunaux appels fixer lemontant des dommages-intrts non pcuniaires devraient comparer laffaire dont ils
sont saisis dautres affaires analogues o des dommages-intrts non pcuniaires
ont t octroys : Stations de la Valle, par. 83. Ils doivent tenter de traiter
[TRADUCTION] les cas semblables de semblable faon (ibid.), en accordant des
indemnits peu prs quivalentes aux victimes dont les prjudices sont semblables
du point de vue des approches combines dont il a t question prcdemment.
Cependant, il nest pas utile de comparer des cas o les dommages-intrts non
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lintgrit de son processus de cration a t viole, et cela