La remise de la chose - essai danalyse a partir du droit
des contrats
Johann Le Bourg
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Johann Le Bourg. La remise de la chose - essai danalyse a partir du droit des contrats. Droit.Universite de Savoie, 2010. Francais. NNT : 2010CHAML013 .
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THSE Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE LUNIVERSIT DE GRENOBLE
Spcialit Droit Priv
Arrt ministriel : 7 aot 2006
Prsente et soutenue publiquement par
Johann LE BOURG
Le 5 novembre 2010
La remise de la chose Essai danalyse partir du droit des contrats
Thse dirige par Madame le Professeur Genevive PIGNARRE et Monsieur le Professeur Philippe BRUN
Jury : Monsieur Philippe BRUN Professeur lUniversit de Savoie, directeur de thse.
Monsieur Franois CHNED Professeur lUniversit Rennes 1.
Monsieur Pierre-Yves GAUTIER Professeur lUniversit Paris II, Panthon Assas.
Madame Genevive PIGNARRE Professeur lUniversit de Savoie, directeur de thse.
Monsieur Pascal PUIG Professeur lUniversit de La Runion, rapporteur.
Monsieur ric SAVAUX Professeur lUniversit de Poitiers, rapporteur. Thse prpare au sein du Centre de Droit priv et public des Obligations et de
la Consommation de la Facult de Droit et dconomie de lUniversit de Savoie, dans lcole Doctorale SISEO
Prendre, recevoir et demander, voil le secret en trois mots 1.
Marie
1 P.-A. CARON de BEAUMARCHAIS, La folle journe ou le mariage de Figaro, Paris, Ruault librairie, 1785, Acte II, scne 2, p. 38.
La facult nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans la thse. Elles doivent tre considres comme propres leur auteur
SOMMAIRE
PARTIE 1 Apprhension juridique de la remise de la chose........19 TITRE 1 Conceptions de la remise de la chose...........................................23
CHAPITRE 1 La conception traditionnelle de la remise : une opration envisage par ses effets..............................................................................25
CHAPITRE 2 La conception renouvele de la remise : une operation envisage en tant que notion .................................................................................... 115
TITRE 2 Typologie des remises de la chose ............................................. 187
CHAPITRE 1 La conscration dune obligation portant sur la remise............. 189 CHAPITRE 2 La rvlation de remises dtaches du contrat ........................ 257
PARTIE 2 Intgration des remises de la chose en droit positif295
TITRE 1 La remise dans le contrat : la ncessit dune classification .... 299 CHAPITRE 1 Lobligation de mise disposition au sein de la summa divisio des obligations ................................................................................................ 301
CHAPITRE 2 Recomposition de la summa divisio des obligations.................. 367
TITRE 2 La remise dtache du contrat : lopportunit dune construction.................................................................................................................... 439 CHAPITRE 1 La recherche dun rgime juridique : la spcificit du modle... 441 CHAPITRE 2 Le rayonnement du regime juridique : lexportation du modle 465
TABLE DES ABREVIATIONS
Adde Ajoutez Al. Alina APD Archives de Philosophie du droit Art. Article Ass. Pln. BGB
Assemble plnire Brgerliches Gesetzbuch (Code civil allemand)
Bull. Bulletin des arrts de la Cour de cassation C. civ., com., conso. Code civil, de commerce, de la consommation CA Cour dappel Cass. civ., crim., soc., com.
Cour de cassation, chambre civile, criminelle, sociale, commerciale
CCC Revue contrats, concurrence, consommation CE Conseil dtat Chron. Chronique Comp. Comparez Contra Au contraire D. Recueil Dalloz . Digeste DCFR Draft common frame of reference D.H. Dalloz hebdomadaire D.P. Dalloz priodique Defrnois Rpertoire gnral du notariat Defrnois d. dition Fasc. Gaz. Pal.
Fascicule Gazette du palais
Ibid. Ibidem, au mme endroit In Dans Infra En dessous Inst. Institutes J.-Cl. Juris-Classeur JCP La semaine juridique dition gnrale JCP d. E. ou N. La semaine juridique dition entreprise et affaires ou notariale
et immobilire Jurisp. Jurisprudence LGDJ Librairie gnrale de droit et de jurisprudence LPA Les Petites Affiches Obs. Observations Op. cit. P.
Opere citato, dans l'ouvrage cit Page
Prc. Article prcit PUAM Presses universitaires dAix Marseille PUF Presses universitaires de France RDC RD imm.
Revue des contrats Revue de droit immobilier
Rd. Rdition Rimp. Rimpression Rep. civ. Rev. crit. leg. jur.
Rpertoire civil de lencyclopdie Dalloz Revue critique de lgislation et de jurisprudence
RLDC Revue Lamy de droit civil RRJ Revue de la recherche juridique, droit prospectif RTD civ., com. Revue trimestrielle de droit civil, droit commercial S. Sirey Spc. Spcialement Supra T.
Au-dessus Tome
Trad. V.
Traduction Voir
V Vol.
Verbo, au mot Volume
INTRODUCTION
Les articles que le Diable lui proposa sont tels que
ci-aprs :
Premirement, que Faust lui promt et jurt
quil serait sien, cest--dire en la possession et
jouissance du Diable.
Pour le second, quafin de plus grande
confirmation, il lui ratifit par son propre sang, et
que de son sang il lui en crivt un tel transport et
donation de sa personne 2.
1 - La remise premires vues terminologiques. La remise est laction
de remettre 3. Issu du latin remiterre, remettre signifie notamment mettre en la
possession ou dans le pouvoir de quelquun ou, dans un franais quelque peu vieilli,
abandonner 4, do notamment les expressions telles "remise de dette" ou "remise
de peine". Sans encore aborder les implications juridiques de cette dfinition et dun
point de vue strictement terminologique, il peut tre constat que la combinaison de
ces significations traduit lexistence dun double mouvement : labandon auquel
rpond la mise en possession. La corrlation entre les ides de transmission et
dabandon se retrouve dans le terme de "tradition", utilis par le Code civil jusqu la
rforme du 12 mai 20095, pour dsigner la remise. Or comme peut le noter un auteur
sinterrogeant sur le sens des termes "tradition" et "livrer", tout le moins, on doit
admettre que traduire tradere par abandonner, laisser aller, est chose souvent
adquate 6. Une telle prsentation, insistant davantage sur la dessaisine du tradens,
2 G.-R. VIDMANN, Lgende de Faust, trad. P. CAYET, in J.-W. von GOETHE, Faust et le second de Faust, trad. G. de NERVAL, Paris, Michel Lvy, 1868, p. 272. 3 Le grand Robert de la langue franaise, 2e d., 1986, V Remise. 4 Le grand Robert de la langue franaise, op. cit., V Remettre ; Adde, Dictionnaire de L'Acadmie franaise, 1re d., 1694, V Remettre, o le terme est notamment dfini par mettre comme en depost, confier au soin, la prudence de quelqu'un . 5 Loi n2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allgement des procdures. 6 A. PHILIPPIN, Traditio - Obligation de livrer, in Mlanges offerts Ernest Mahaim, T. 1, Paris, Sirey, 1935, p. 221.
2
constituera la source dune meilleure apprhension de celle-ci par le droit. Si
"tradition" est donc le terme juridique pour dsigner la mise en possession, la loi du
12 mai 20097 lui a nanmoins substitu lexpression de "remise de la chose" dans le
but de rendre le Code plus accessible. La rforme na cependant quune porte
juridique limite et apparat, du moins sur ce point, comme une uvre inacheve.
Larticle 11388, dans lequel le terme "tradition"9 est le plus susceptible demporter la
controverse, na, en effet, subi aucune modification. Aussi, dans la suite de ces
dveloppements, les termes "remise de la chose" et "tradition" seront-ils compris
comme synonymes. Le terme mme de "remise" suscite une autre remarque. Sa
largesse permet dinclure dans les dveloppements, outre les remises originaires
cest--dire non prcdes dune remise pralable les restitutions, celles-ci tant
dun point de vue matriel identiques aux premires.
2 - La remise de la chose la distinction entre les choses et les biens.
Quest-ce quune chose ? La rponse est de prime abord aise et pourrait tre
rapporte par de nombreux exemples une chaise, un arbre, un livre, une ide la
question serait alors la plus simple du monde 10. En ralit, il nen est rien :
aussitt que nous voulons dfinir la chose comme telle, (), tout se complique
immdiatement 11. Le premier rflexe dans llaboration dune dfinition de la chose
serait de lopposer ce quelle nest pas. Telle est la dmarche choisie par certains
auteurs qui considrent que la chose est ce qui est distinct de la personne 12 :
7 Art. 10 8 qui remplace tradition relle par remise de la chose larticle 1606 C. civ. et 9 qui remplace les mots : tradition relle ou feinte par remise relle ou fictive , larticle 1919 C. civ. 8 C. civ. art. 1138, l'obligation de livrer la chose est parfaite par le seul consentement des parties contractantes. Elle rend le crancier propritaire et met la chose ses risques ds l'instant o elle a d tre livre, encore que la tradition n'en ait point t faite, moins que le dbiteur ne soit en demeure de la livrer ; auquel cas la chose reste aux risques de ce dernier . Pour une analyse de cet article V. Infra, n 21 et s. et 41 et s. 9 ce titre il est intressant de noter que les acceptions classique et juridique du terme "tradition" ne sont pas si loignes. Dans le langage courant elle dsigne, en effet, une doctrine ou pratique, religieuse ou morale, transmise de sicle en sicle, originellement par la parole ou lexemple (Le grand Robert de la langue franaise, op. cit., V Tradition). Or quelle vise un savoir ou une chose, la tradition est toujours synonyme de transmission. 10 J.-L. VULLIERME, La chose, (le bien) et la mtaphysique, APD T. 24, Les biens et les choses en droit, Sirey, 1979, p. 32. 11 Ibid. 12 Ph. MALAURIE et L. AYNS, Les biens, Defrnois, 3e d., 2007, n8 ; R. ANDORINO, La distinction juridique entre les personnes et les choses lpreuve des procrations artificielles, prface F. CHABAS, LGDJ, Bibliothque de droit priv, T. 263, 1996, n29 ; P. BERLIOZ , La notion de bien, prface L. AYNS, LGDJ, Bibliothque de droit priv, T. 489, 2007, n894 ; Dun point de vue strictement juridique, une telle position emprunte grandement au droit romain qui distinguait les personnes, les choses et les actions, Inst. 1, 2, 12, Omne autem ius, quo utimur, vel ad personas pertinet vel ad res vel ad actiones .
3
serait donc une chose ce qui est dpourvu de volont13. Cela ne peut tre rfut
cest lantithse absolue 14 mais aboutissant lobtention dune catgorie
rsiduelle15, la dfinition ainsi pose ne saurait suffire16. Un autre critre doit donc tre
dgag17, mais deux conceptions sopposent alors. Lune, quil est possible de qualifier
de classique, voit dans la chose tout objet matriel considr sous le rapport du
Droit ou comme objet de droits 18. La qualification de "chose" ne pourrait alors tre
attribue quaux corps prsentant une certaine matrialit19. Cette conception rduit
13 Cette position semble particulirement empreinte de la doctrine Kantienne. Suivant Kant, en effet, rien nest fin en soi sinon lHomme, les autres choses ntant considres que comme des moyens : je dis : lhomme, et en gnral tout tre raisonnable, existe comme fin en soi, et non pas simplement comme moyen pour lusage que pourrait en faire telle ou telle volont et lauteur de poursuivre : les tres dont lexistence repose en vrit, non sur notre volont, mais sur la nature, nont toutefois, sil sagit dtres dpourvus de raison, quune valeur relative, en tant que moyens, et se nomment par consquent des choses ; en revanche, les tres raisonnables sont appels des personnes, parce que leur nature les distingue dj comme des fins en soi, cest--dire comme quelque chose qui ne peut pas tre utilis simplement comme un moyen, et par consquent, dans cette mesure limite tout arbitre (E. KANT, Mtaphysique des murs, T. I, Fondation, introduction, Flammarion, Trad. A. Renault, 1994, 2e section, p. 107). 14 J. CARBONNIER, Les non-sujets de droit rvls par lantithse de la chose et de la personne, in Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 8e d., 1995, p. 197. 15 Pour une volution de la distinction entre les personnes et les choses, V. P. BERLIOZ, op. cit., n854 et s. 16 V. toutefois apprhendant positivement cette dfinition ngative, J.-C. GALLOUX, bauche dune dfinition juridique de linformation, D. 1994, chron. p. 229, n27, la chose se comprend de tout ce qui est susceptible dun rapport la personne, de tout ce qui peut tre objectiv ; Adde, partant de lide de subordination des choses par rapport aux personnes et qualifiant de chose ce qui prsente une utilit pour lhomme, S. BECQUET, La spcification. Essai sur le bien industriel, thse, Lyon 2002, n18 ; Dun point de vue historique la distinction entre personnes et choses est peut tre moins nette quaujourdhui. Particulirement loquent est ce titre le statut de lesclave. Rome, lesclave est considr comme un Homme (Inst. L. 1, Tit. 3, 4) mais tant la proprit de son matre (Inst. L. 1, Tit. 8, 1), il nest pas juridiquement une personne et peut, ce titre, tre vendu. Sous lempire du Code noir, (dict par Louis XIV en 1685 sous le nom dEdit du Roy servant de rglement pour le gouvernement et ladministration de justice et la Police des isles franaises de lAmrique et pour la discipline et le commerce des esclaves dans ledit pays), lesclave est expressment trait comme un bien meuble, proprit de son matre, et notamment dpourvu de patrimoine (Art. 28). Lassimilation la chose nest nanmoins pas totale. Le mme Code oblige, en effet, le matre procurer lesclave une ducation catholique (Art. 2) et ce dernier peut galement tre responsable pnalement (Art. 33 et s.). 17 Pour une approche moins juridique V. M. HEIDEGGER, Quest-ce quune chose, trad. J. REBOUL et J. TAMINIAUX, red. Gallimard, 1971, p. 18, qui propose trois dfinitions : 1 La chose au sens du donn porte de main : une pierre, un morceau de bois () ; les choses inanimes et aussi les choses animes, une rose, un arbuste (). 2 La chose en un sens qui englobe ce qui vient dtre numr, mais aussi les plans, les rsolutions, les rflexions, les mentalits, les actions, lhistorique 3 Tout ce qui vient dtre nomm, et en plus tout ce qui dune manire ou dune autre, est quelque chose et nest pas rien ; le dernier sens propos par lauteur rejoint la dfinition pose par le Dictionnaire de lAcadmie franaise, 6e d., 1835, V Chose, Ce qui est. Il se dit indiffremment de tout; sa signification se dtermine par la matire dont on traite 18 Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, pub. sous la dir. de G. CORNU, PUF, 5e d., 1996 V. Chose 19 Telle est, notamment la conception de J. CARBONNIER, Droit civil, Vol. II, Les biens, les obligations, PUF, 2004, n708 in limine, qui affirme que toutes les choses ne sont pas des
4
toutefois outrance la notion et peine qualifier ce qui est perceptible par un autre
sens que le toucher 20, dautant quil est admis largement que certaines choses, telles
les uvres de lesprit, peuvent tre dnues de matrialit. Aussi, lautre acception
envisage-t-elle la notion de faon plus extensive et considre que les lments
incorporels peuvent galement recevoir la qualification de chose. Une distinction
sinstaure alors entre les choses corporelles, perceptibles par les sens21 et les choses
incorporelles, perceptibles par lintellect22 : pour bien concevoir les choses
immatrielles ou mtaphysiques, il faut loigner son esprit des sens 23. Cest donc
une conception large de la notion de chose quil convient de se rfrer : mme
dpourvue dexistence matrielle, toute entit, lexception des personnes et de ce
qui se rattache la personnalit, est donc une chose24.
Si la notion de "chose" est difficile cerner, celle de "bien" lest tout autant25. Il
est frquemment affirm que tous les biens () sont des choses ; mais [que] toutes
les choses ne sont pas des biens 26, cette maxime traduisant le fait que les biens sont
biens () [mais qu] linverse, tous les biens ne sont pas choses . Lauteur sappuie sur le fait que, selon lui, les biens immatriels ne sont pas des choses, et que limmatriel qui a envahi le droit () ne nie pas la prsence dune ralit physique dans les biens de sa mouvance. Seulement, cest dune autre physique quil sagit : lnergie est substitue la matire ; la conception matrialiste de la chose est galement celle retenue par le BGB. Ainsi le 90 dispose que Sachen im Sinne des Gesetzes sind nur krperliche Gegenstnde : les choses au sens de la loi sont toujours des objets corporels . 20 N. BINCTIN, J.-Cl. Civil Code, Art. 565 577, Fasc. Unique, Proprit, Droit d'accession relativement aux choses mobilires, 15 fvrier 2009, n14. 21 La seule perception par lun des cinq sens permettrait dacqurir la matrialit, en ce sens N. BINCTIN, Les biens intellectuels : contribution ltude des choses, Communication commerce lectronique, Juin 2006, tude 14, n16. 22 V. par ex. Y. STRICKLER, Les biens, PUF, 2e d., 2006, n22 ; V. dj GAIUS au . 1, 8, 1, 1, Quaedam praeterea res corporales sunt, quaedam incorporales. Corporales hae sunt, quae tangi possunt, veluti fundus homo vestis aurum argentum et denique aliae res innumerabiles ; incorporales sunt, quae tangi non possunt, qualia sunt ea, quae in iure consistunt, sicut hereditas, usus fructus, obligationes quoquo modo contractae : il y a des choses corporelles et des choses incorporelles. Les choses corporelles sont celles qui tombent sous les sens, comme une terre, un homme, un habit, largent, lor et une infinit de choses ; les choses incorporelles sont celles qui ne tombent point sous les sens, comme celles qui consistent en un droit ; par exemple la succession, lusufruit, les obligations de quelques manires quelles soient contractes . 23 R. DESCARTES, Rponses aux secondes objections aux mditations mtaphysiques, in uvres de Descartes, publies par V. Cousin, T. I, Levrault, Paris, 1824, p. 413. 24 Rappr. C. DEMOLOMBE, Cours de Code Napolon, T. IX, Trait de la distinction des biens, T. I, Paris, Durand, Hachette, 1861, 2e d., 1861, n9, le mot choses, dans la flexibilit indfinie de ses acceptions, comprend tout ce qui existe, non seulement les objets qui peuvent devenir la proprit de lhomme, mais mme tout ce qui, dans la nature, chappe cette appropriation exclusive : lair, la mer, le soleil, etc. . 25 Elle serait mme impossible , C. GRZEGORCZYK, Le concept de bien juridique : limpossible dfinition ?, APD T. 24, op. cit., p. 259 et s. 26 G. BAUDRY-LACANTINERIE et M. CHAUVEAU, Trait thorique et pratique de droit civil, T. V, Des biens, Paris, Librairie de la socit du recueil gnral des lois et des arrts, 1896, n10 ; C. DEMOLOMBE, op. et loc. cit.
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dots dun attribut dont les choses sont dnues : lempreinte de lHomme. En
doctrine deux prsentations sopposent. Presque inconnue en droit romain27 qui lui
prfrait le terme chose, la notion de bien divise. Pour certains, les biens seraient
toutes les choses qui, pouvant procurer lHomme une certaine utilit, sont
susceptibles dappropriation prive 28. Dans un sens relativement proche, dautres
estiment que cest le caractre appropriable dune chose qui lui donne la qualit de
bien29. Devraient donc tre considrs comme des biens les choses pouvant faire
lobjet dun droit de proprit30. Nanmoins, lutilit et la propension tre appropri
ne semblent gure rendre compte de la notion de bien. Tout dabord, lutilit doit tre
carte comme condition du passage de la qualification de chose celle de bien31. Le
27 Deux dfinitions sont toutefois prsentes dans le livre 50 du Digeste et lient la notion de bien celle dutilit. . 50, 16, 49, "Bonorum" appellatio aut naturalis aut civilis est. Naturaliter bona ex eo dicuntur, quod beant, hoc est beatos faciunt: beare est prodesse. In bonis autem nostris computari sciendum est non solum, quae dominii nostri sunt, sed et si bona fide a nobis possideantur vel superficiaria sint. Aeque bonis adnumerabitur etiam, si quid est in actionibus petitionibus persecutionibus: nam haec omnia in bonis esse videntur : le terme de biens sentend de ceux que lon possde naturellement ou daprs la fiction du droit civil. On entend par possession naturelle celle dont on est gratifi par la nature, cest--dire qui vient du patrimoine et procure une aisance propre rendre heureux. Mais on doit observer que dans le nombre des biens on fait rentrer non seulement ceux dont on a la proprit naturelle mais aussi ceux que lon possde de bonne foi, et dont on na que la superficie. On met galement au nombre des biens ce que lon a acquis par actions, demandes et poursuites : car toutes les choses que nous obtenons de cette manire sont censes tre civilement dans nos biens . . 50, 16, 83, Proprie "bona" dici non possunt, quae plus incommodi quam commodi habent : on ne peut proprement appeler "biens" les choses qui sont plus nuisibles quavantageuses . 28 G. BAUDRY-LACANTINERIE et M. CHAUVEAU, op. et loc. cit. ; C. ATIAS, Droit civil, les biens, Litec, 9e d., 2007, n1 ; Rappr. C. DEMOLOMBE, op. cit., n15, les biens sont les choses qui peuvent tre utiles lhomme pour la satisfaction de ses besoins ou de ses jouissances . 29 V. par ex., J. CARBONNIER, op. et loc. cit. ; R. LIBCHABER, Rep. civ. Dalloz, Biens, septembre 2009, n7. 30 Comp. C. KRIEF-SEMITKO, La valeur en droit civil franais, essai sur les biens, la proprit et la possession, avantpropos F. CHABAS, prface C. ATIAS, Lharmattan, 2009, n37 et s., et spc. n74, les biens sont les choses auxquelles est attache une valeur conomique ; Adde, A. PIEDELIVRE, Le matriel et limmatriel, essai dapproche de la notion de bien, in Aspects du droit priv en fin du 20e sicle : tudes runies en l'honneur de Michel de Juglart, LGDJ, Montchretien, ditions techniques, 1986, p. 61, le schme de bien est ontologiquement une valeur au sens mtaphysique ; Ph. Le TOURNEAU, Le parasitisme dans tous ses tats, D. 1993, p. 310, cette notion de valeur conomique ou, ce qui revient au mme, de bien juridique . Toutefois, si lier la valeur et les biens aurait pour mrite dunifier les conceptions juridiques et conomiques, lanalyse ne semble pas approprie. La notion mme de valeur est fuyante et polysmique, comme en atteste notamment la distinction entre la valeur dusage et la valeur dchange mise en lumire par ARISTOTE (thique Eudme, III, 4, 1231, b, 39 et s.) et prolonge par A. SMITH (Recherches sur la nature et les causes de la richesses des nations, trad.. G. Gabnier, T I, Paris, Guillaumin, 1813, p. 35), qui affirme que des choses qui ont la plus grande valeur en usage nont souvent que peu ou point de valeur en change ; et, au contraire, celles qui ont la plus grande valeur en change nont souvent que peu ou point de valeur en usage. Il ny a rien de plus utile que leau, mais elle ne peut presque rien acheter ; peine y a-t-il moyen de rien avoir en change. Un diamant, au contraire, na presque aucune valeur quant lusage, mais on trouvera frquemment lchanger contre une trs grande quantit dautres marchandises . Par ailleurs, comme il a pu tre relev, le risque inhrent la dtermination de la notion de bien en contemplation de la valeur est que tout puisse tre qualifi de bien (P. BERLIOZ, op. cit., n20). 31 En ce sens, V. P. BERLIOZ, op. cit., n930 et s.
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lien entre lutilit, cest--dire la substance juridique de la chose et la notion de bien32
a pour dfaut de confondre lavantage que lon peut retirer de la chose, grce au
droit que lon a sur elle, avec le bien 33. Ensuite, une telle conception aurait, par
exemple, pour effet de qualifier une res nullius de bien34, puisque celle-ci peut
prsenter une utilit pour lHomme et peut, par ailleurs, tre approprie35. Or dans ce
cas, le passage de la qualit de chose celle de bien sopre par loccupation. Il
semble donc prfrable de considrer que cest lappropriation qui permet dattribuer
une chose la qualification de bien36. Telle est, dailleurs, la dfinition retenue par
lAvant-projet de rforme du droit des biens qui dispose larticle 520 que sont des
biens () les choses corporelles ou incorporelles faisant lobjet dune appropriation,
ainsi que les droits rels et personnels 37.
32 V. C. DEMOLOMBE, op. cit., n19 et s., qui opre la distinction entre la substance civile ou juridique de la chose et sa substance matrielle, seule la premire permettant lattribution de la qualification de bien. Lexemple cit par lauteur rvle alors sa pense (n21) : supposez quun navire, un moulin ou toute autre construction ait t lobjet de tant de rparations successives, quil ny reste plus rien des anciens lments dont il avait dabord t compos. La substance physique a pri sans doute ; elle a t compltement change, renouvele ; mais la substance juridique est au contraire toujours reste la mme ; cest toujours le mme tre () ; cest toujours enfin le mme bien . Et de poursuivre (n22), mais voici que ce moulin, ce navire () sont dtruits, dsassembls, dmolis. Physiquement la substance est toujours l, et les lments naturels nont pas chang. Civilement la substance a cess dtre, () il est vrai quil y a encore l une certaine quantit de biens : des pierres, du bois () ; mais plus de moulin, plus de navire () ; ce bien l, il a pri ! . 33 P. BERLIOZ, op. cit., n932. 34 Les choses sans matre sont celles qui ne sont pas appropries mais [qui] sont appropriables , F. TERR et Ph. SIMLER, Droit civil, les biens, Dalloz, 7e d., 2006, n8. 35 Contra, M. PLANIOL, G. RIPERT et M. PICARD, Trait thorique et pratique de droit civil franais, T. III, Les biens, Paris, LGDJ, 1926, n51, qui considrent que les choses susceptibles dappropriation sont considres comme des biens, non seulement quand elles ont un matre, mais mme pendant quelles nen ont pas. On dit alors que ce sont des biens "vacants" ou "sans matre" . 36 En ce sens, V. par ex., F. ZENATI-CASTAING et T. REVET, Les biens, PUF, 3e d., 2008, n2, constitue () un bien toute entit identifiable et isolable, pourvue dutilits et objet dun rapport dexclusivit ; P. BERLIOZ, La notion de bien, op. cit., n1716, le bien doit tre dfini comme une chose approprie et saisissable ; Rappr. J.-L. BERGEL, M. BRUSCHI et S. CIMAMONTI, sous la dir. de J. GHESTIN, Trait de droit civil, les biens, LGDJ, 2000, n1, les choses ne sont des biens que si elles sont objets de droit exprimant les pouvoirs que des personnes dtiennent sur elles , pour ces auteurs toutefois, au sens large, les biens sont essentiellement des droits ayant une valeur conomique ; A. SUPIOT, Critique du droit du travail, PUF, 2e d., 2007, p. 39, cest en entrant dans un patrimoine que les choses matrielles acquirent la qualification juridique de "biens" . 37 Comp. la dfinition de la notion de "bien" pose par la Cour europenne des Droits de lHomme : certains droits et intrts constituant des actifs , CEDH Oneryildiz c/ Turquie, 30 novembre 2004, AJDA 2005, p. 550, obs. J.-F. FLAUSS ; Les grands arrts de la Cour europenne des Droits de lHomme, PUF, 4e d., 2007, p. 659 et s. comm. J.-P. MARGUNAUD. Pour un exemple dinterprtation particulirement large de la notion de bien V. par ex. CEDH 29 mars 2010, Depalle c/ France et Brosset-Triboulet et autres c/ France, JCP d. E., 19 avril 2010, 2140, comm. Ph. YOLKA ; D. 2010, p. 2024, comm. C. QUZEL-AMBRUNAZ, qui rigent en bien lintrt patrimonial jouir dun immeuble protg au titre du respect du droit de proprit. La porte dune telle dfinition vis--vis du droit interne doit nanmoins tre relativise, la Cour affirmant lautonomie de la notion de bien entre le droit de la Convention europenne de
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En ce sens, il semblerait plus adapt de traiter de "la remise du bien" que de
"la remise de la chose" puisque pour tre remise, la chose doit avoir pralablement
fait lobjet dune appropriation par le remettant, ou lauteur du remettant. Pour autant,
il est frappant de remarquer que le Code civil nutilise pas la premire expression et lui
prfre la seconde. Cela se comprend : avant dtre un bien, lobjet de la remise est
une chose. En outre, dans le Code, les termes de "biens" et de "choses" semblent
avoir un domaine prcis dapplications. Alors que le premier est essentiellement utilis
dans le deuxime livre consacr expressment aux biens38, il ny est que rarement fait
rfrence dans le troisime livre39, les codificateurs lui prfrant le second. Le terme
"chose" est ainsi principalement utilis dans les parties consacres aux obligations. Il
napparat donc pas erron et plus en adquation avec la lettre du Code et les rcentes
modifications lgislatives de retenir lexpression "remise de la chose".
Une dernire question se pose alors : toute chose est-elle susceptible dtre
remise ? Si la remise dune chose corporelle ne semble gure poser de problmes,
plus dlicate est la question de la remise de certains biens incorporels. Il peut, tout
dabord, tre affirm que les droits peuvent tre remis. Le Code civil prvoit
explicitement leur tradition en excution dune vente, en affirmant quelle sopre ou
par la remise des titres, ou par lusage que lacqureur en fait du consentement du
vendeur 40. Ensuite, force est de constater que lide de remise se concilie mal avec
certaines choses dotes dune nature particulire telle, notamment, une information.
La nature de chose pour linformation nest pas douteuse41. Depuis un arrt rendu par
la Chambre criminelle de la Cour de cassation le 12 janvier 198942, la jurisprudence
retient la possibilit de sanctionner le vol dinformation, indpendamment de la
soustraction du support. Le vol tant la soustraction frauduleuse de la chose
dautrui 43, dfaut de chose, cette infraction ne saurait tre caractrise. Si une
sauvegarde des droits de lHomme et les droits internes (CEDH, Gasus Dosier c/ Pays-Bas, 23 fvrier 1995). 38 Art. 516 710 C. civ. 39 Art. 711 2279 C. civ. Dans la version dorigine du Code civil, seuls les articles 1767 et 1768 relatifs au bail rural visaient le terme de "bien". 40 Art. 1607 C. civ. 41 Le dbat se cristallise plus sur le point de savoir si linformation nest quune chose ou si elle pourrait tre qualifie de bien. Pour certains, linformation doit tre qualifie de chose incorporelle, susceptible de devenir un bien au moment o lon envisagerait de lapprhender exclusivement afin de pouvoir en disposer (J.-C. GALLOUX, bauche dune dfinition juridique de linformation, prc., n29). Pour dautres, elle serait un message communicable autrui par un moyen quelconque (P. CATALA, La proprit de linformation, in Mlanges Pierre Raynaud, Dalloz, 1985, n6). Dans cette seconde acception, linformation serait toujours un bien. 42 Cass. crim. 12 janvier 1989, Bull. crim. n14. 43 Art. 311-1 C. pnal.
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information peut donc tre vole, il paratrait alors logique daffirmer quelle peut tre
remise. Pour autant, le fait quune information fasse lobjet dune remise,
indpendamment de la remise de son support, peut laisser dubitatif. En considrant
que la remise traduit aussi bien labandon de la chose que sa prise de possession, il
nest gure vident que matriellement linformation soit remise : en effet, le tradens
nabandonne pas vritablement linformation. Il continue den jouir malgr sa
transmission : en quelque sorte linformation peut tre transmise, mais non
vritablement remise44. En conclusion, si seules les choses et les biens peuvent tre
remis, tous ne peuvent tre remis.
3 - La remise de la chose analyse partir du droit des contrats un
lment du droit commun spcial des contrats 45 ? La tentative de
classification des contrats spciaux est une entreprise rcurrente, mais comme le note
un auteur, la fresque des contrats spciaux est devant nous comme une voie lacte.
Le firmament des conventions est constell de points plus scintillants que
lumineux 46. Les contrats spciaux prsentant un ensemble touffu et peu
cohrent 47, la doctrine svertue substituer aux diffrentes classifications des
contrats proposes par le Code synallagmatiques ou unilatraux, commutatifs ou
alatoires, consensuels, rels ou solennels par exemple des critres de qualification
prsents comme tant plus adapts, afin de leur appliquer des dispositions
adquates. Le critre classiquement retenu est alors celui de lobjet du contrat, ou
plutt de lobligation fondamentale48, cest--dire la prestation autour de laquelle se
noue laccord de volonts, la prestation en labsence de laquelle les parties nauraient
pas song conclure le contrat et qui absorbe lutilit conomique du contrat 49.
Dans cette conception, fonde sur la notion de prestation caractristique50 et
empruntant grandement larticle 1101 du Code civil, deux grands types de contrats
44 Bien entendu, cela nexclut pas lide que le document matrialisant linformation puisse, quant lui tre remis. Pour une analyse de certaines remises de document, V. Infra, n378 et s. 45 Lexpression est emprunte P. PUIG, Pour un droit commun spcial des contrats, in Le monde du droit, crits rdigs en lhonneur de Jacques Foyer, conomica, 2008, p. 825 et s. 46 G. CORNU, Introduction, in Lvolution contemporaine du droit des contrats, Journe Ren Savatier, Poitiers 24-25 octobre 1985, PUF, 1986, p. 100. 47 J.-F. OVERSTAKE, Essai de classification des contrats spciaux, prface J. BRETHE de la GRESSAYE, LGDJ, bibliothque de droit priv T. 91, 1969, p. 10. 48 J.-F. OVERSTAKE, op. cit., p. 28 et s. 49 F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, Contrats civils et commerciaux, Dalloz, 8e d., 2007, n28. 50 Sur laquelle V. par ex. M.-E. ANCEL, La prestation caractristique du contrat, prface L. AYNS, conomica, 2001 ; E. GAVIN-MILAN, Le sens de la notion de prestation caractristique, outil de dtermination de la loi applicable aux contrats internationaux, RRJ 2003, n1, p. 121.
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sopposent : les contrats translatifs et non translatifs de proprit. Diverses critiques
svincent toutefois dune telle prsentation. Tout dabord, elle est conceptuellement
frustrante. Si la premire catgorie est balise ne sont concerns que les contrats
emportant une obligation de dare51, cest--dire de transfrer la proprit la
diversit de la seconde conduit crer une classification refuge et rsiduelle52 : celle
dont les contrats emportent une obligation de faire, dont la substance nest gure
dfinie par le Code53. Ensuite, il peut tre reproch la classification daboutir des
rsultats quelque peu antithtiques avec lesprit mme du contrat. Ainsi, elle aboutit
classifier le prt de consommation dans la mme catgorie que la vente, en raison du
transfert de proprit, alors mme que celui-ci ny est pas tant un effet recherch
par les parties, quune consquence inluctable de lobjet du contrat 54. tablir une
classification rationnelle des divers contrats spciaux serait alors une entreprise voue
lchec55. Partant, certains auteurs proposent doprer une distinction notamment
entre les contrats portant sur les choses, ou plus prcisment sur les remises de
choses et ceux portant sur les services56. Nanmoins, de laveu mme de ces auteurs,
la proposition peut paratre artificielle. La notion de services57 est fuyante et peut, en
un sens, mener distinguer de nouveau entre contrats translatifs et non translatifs de
proprit. De plus, mme si la catgorie des contrats portant sur les remises de
choses peut paratre unie 58 puisquils tendraient la ralisation dun objectif
commun : permettre au bnficiaire de la remise den retirer des utilits et des
avantages la prsentation pche en un point59. De nombreux contrats emportent, en
51 Dont lexistence est nanmoins douteuse, sur ce point, V. Infra, n 247 et s. 52 F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, op. et loc. cit., linconvnient de cette division tient ce que sa premire partie est cohrente et systmatise, alors que sa seconde partie est ouverte et recouvre des contrats qui ne se ressemblent que parce quils ne sont pas translatifs . 53 V. Infra, n 253 et s. 54 J. HUET, sous la direction de J. GHESTIN, Trait de droit civil, Les principaux contrats spciaux, LGDJ, 2e d., 2001, n10001 ; pour une analyse du transfert de proprit dans le prt de consommation, V. Infra, n 50 et s. 55 V. par ex. G. RIPERT et J. BOULANGER, Trait lmentaire de droit civil de Marcel Planiol, T. II, LDGJ, 2e d., 1947, n2301 ; P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, Droit civil, les contrats spciaux, Litec, 5e d., 2007, n15, qui relvent que comme le suggre le Code civil, nest-ce pas en dfinitive la pluralit de classifications qui simpose ? Il faut admettre la combinaison des classifications. Ces dernires se coupent et se recoupent, et les contrats figurent dans les intersections de ces ensembles . 56 P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, op. cit., n16 ; F. COLLART-DUTILLEUL et Ph. DELEBECQUE, op. cit., n30. 57 Pour une proposition de dfinition de la notion de services V. Infra, n 284. 58 P.-H. ANTONMATTEI et J. RAYNARD, op. cit., n17. 59 Rappr. A. SRIAUX, Contrats civils, PUF, 2001, n6, qui considre que si la distinction des contrats portant sur les biens et des contrats portant sur les services est apparemment simple, elle est la vrit impraticable () parce que superficielle. () elle fait fi de lancrage
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effet, une remise de la chose, sans que celle-ci constitue lessence de lopration. Tel
est, par exemple, le cas dun contrat dentreprise, qui peut aboutir la dlivrance dun
bien. En tant que telle, la remise ne peut donc tre rige en mode de classification
des contrats spciaux. Regrouper les contrats emportant une remise en une catgorie
ou en famille indpendante naurait gure de sens. Comme il a en effet pu tre relev,
il semble quen dehors de la possibilit de regrouper tous les contrats, une bonne
classification doit aboutir la mise en uvre dune rglementation gnrale minimum,
attache chaque catgorie de contrats, qui sappliquera automatiquement chaque
contrat spcial nouveau non rglement ds que lon aura dtermin la catgorie
laquelle il appartient 60 ; or, la diversit de ce type de contrat tant si importante,
tenter dy appliquer un rgime unique serait vain.
Face cette situation, une partie de la doctrine, sinterrogeant sur lventuelle
existence dune thorie gnrale des contrats spciaux61, propose de regrouper les
contrats de faon plus fonctionnelle, par familles 62. Lide consisterait donc
intercaler, entre le droit commun du contrat, considr en gnral, et les droits
propres chaque espce de contrat, considre en particulier () une thorie
gnrale intermdiaire 63 qui se distinguerait des deux premiers corps de rgles.
Diffrentes propositions de dcouvertes de familles de contrats peuvent alors tre
releves64. Pour certains, la classification de lavenir 65 serait celle opposant les
historique de chaque contrat ou mme des grands types de classification proposes par le droit romain (). Au demeurant, son avenir se trouve quelque peu oblitr par le surgissement fort discutable dailleurs de la notion consumriste de "vente de services" () ou plus rcemment encore de celle de "consommateur de soins" . 60 J.-F. OVERSTAKE, Essai de classification des contrats spciaux, op. cit., p. 122. 61 V. J. CARBONNIER, Introduction, in Lvolution contemporaine du Droit des contrats, prc., p. 31, qui affirme quil serait utile de rserver dans [le titre III du livre III du Code civil] une place pour la thorie gnrale des contrats spciaux. Dune telle thorie nous avons lamorce dans les articles 1101 et suivants la classification des contrats et surtout dans larticle 1107 le contrat innomm. Mais il y faudrait davantage : des rgles sur la qualification, sur la possibilit et le traitement des contrats mixtes ; et de Ph. JESTAZ, Lvolution du droit des contrats spciaux dans la loi depuis 1945, in Lvolution contemporaine du Droit des contrats, op. cit., p. 135, selon qui les contrats sont aujourdhui si nombreux et ressemblants que la matire appelle une nouvelle rflexion : pour relever le dfi du lgislateur, pour rendre justice tout de mme ses crations marquantes et pour mettre un frein la diaspora du contrat, il faut, de toute urgence, inventer une thorie gnrale des contrats spciaux . 62 Selon lexpression de G. CORNU, op. et loc. cit. 63 L. CADIET, Interrogations sur le droit contemporain des contrats, in Le droit contemporain des contrats, Bilan et perspectives, prface G. CORNU, conomica, 1987, p. 30. 64 Il peut tre not que les mthodes proposes divergent. Pour certains, (P.-Y. GAUTIER, Prolgomnes une thorie gnrale des contrats spciaux, RDC 2006, p. 610 et s. spc. n14) le seul intrt vritable dune recodification qui plaide "pour le droit constant", on en rougit ! serait de faire entrer dans le Code civil des lois extrieures qui lui appartiennent pourtant par essence : tous les baux non commerciaux, la sous-traitance, la coproprit, les mandats spciaux de toutes sortes, en commenant par limmobilier, etc. , et de conclure que sil y a des "thories gnrales" tablir durgence, cest probablement " lintrieur de chaque contrat", par lnonc de ses ramifications : thorie du bail, du mandat, du dpt, etc. ; pour
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contrats entre professionnels, les contrats entre professionnels et profanes (que lon
appelle parfois les contrats mixtes) et les contrats entre particuliers 66. Dautres
proposent de regrouper les contrats en fonction de la nature des biens en cause dans
le rapport dobligations67, relevant par exemple que la pertinence dune thorisation
des biens intellectuels nest pas douteuse 68. Pour sduisantes que soient ces
propositions, leur adaptation aux volutions de la pratique nest pas assure. Aussi,
jetant les bases dun nouveau type dunification des contrats spciaux un auteur peut-
il proposer de dcloisonner les qualifications par des thories spciales 69 en
renonant au classement en quelque sorte vertical que nous connaissons au profit
de rgimes transversaux sattachant non plus opposer des contrats dfinis les uns
aux autres, mais tablir un corps de rgles li lobjet et la fonction de tel ou tel
type dobligation, quel que soit le contrat prcis dans lequel elle vient de sinsrer 70.
Si lide ayant pour objectif dunifier le rgime des obligations rencontres dans les
contrats spciaux est attrayante, force est de constater que les contrats ne se
rsument pas la production dobligations. Lentreprise pourrait donc se montrer plus
large. Il conviendrait alors de dgager un droit commun des oprations
contractuelles lmentaires, lesquelles mettent en uvre plusieurs obligations
rassembles en vue dune finalit commune (). Chacune de ces oprations pourrait
dautres, il conviendrait de sattacher la fonction conomique du contrat, autrement dit, lopration que chaque contrat permet de raliser , J.-J. BARBIRI, Pour une thorie spciale des relations contractuelles, RDC 2006, p. 621 et s. ; Sur les diffrentes thories proposes, V. C. GOLDIE-GENICON, Contribution ltude des rapports entre le droit commun et le droit spcial des contrats, prface Y. LEQUETTE, LGDJ, Bibliothque de doit priv, T. 509, 2009, n71 et s. 65 Ph. MALAURIE, L. AYNS et P.-Y. GAUTIER, Les contrats spciaux, Defrnois, 4e d., 2009, n53, 2. 66 Ibid. La jurisprudence semble, dans une certaine mesure retenir cette qualification en matire de prt de consommation, celle-ci distinguant entre le prt dargent consenti par un tablissement de crdit qui sanalyse en contrat consensuel, et celui conclu entre particuliers qui demeure un contrat rel, sur ce point, V. Infra, n 74. 67 F. COLLART-DUTILLEUL, La thorisation des contrats spciaux : du droit des contrats au droit des biens, RDC 2006, p. 604. 68 Ibid. ce titre lauteur relve quil y a matire llaboration dune thorie gnrale propre lensemble des contrats spciaux portant sur les biens intellectuels, au moins lgard de leffet translatif et lgard de la protection de la partie faible . Lauteur poursuit son raisonnement en proposant de regrouper dans une famille les diffrents contrats relatifs aux biens agroalimentaires (p. 607 et s.). 69 A. BNABENT, Les difficults de la recodification : les contrats spciaux, in Le Code civil, 1804-2004, Livre du bicentenaire, Dalloz, Litec, 2004, p. 250. 70 A. BNABENT, prc., p. 251 ; Rappr. D. MAINGUY, Pour une thorie gnrale des contrats spciaux ?, RDC 2006, p. 615 et s., spc. n5 p. 619, qui propose linstauration dune vritable thorie gnrale des contrats , et affirme qu il serait de bonne mthode de proposer une conception globale et unitaire de mcanismes communs : le transfert de proprit, le transfert des risques, la garantie dviction, la garantie des vices cachs, ou la garantie de conformit, appliqus tous les contrats qui les rencontrent et, ventuellement, en adaptant leur rgime de
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ainsi se combiner avec dautres au sein de figures contractuelles complexes sans que
la qualification du contrat soit un obstacle lapplication simultane des rgimes 71.
Lobjectif ne serait donc pas de rassembler les contrats dans des familles trop larges
et dont les rapprochements se rvleraient trop artificiels ou trop vite dats par les
volutions de la pratique. Il consisterait plutt en la dcouverte dlments,
constituant ou non des obligations72, transcendant un seul type de contrat, pour
sappliquer lensemble des oprations dans lesquelles ils ont vocation intervenir,
qui formeraient alors un droit commun spcial des contrats 73. Si diffrentes
obligations comme les obligations de scurit, de conformit ou de conservation, ou
des effets du contrat comme le transfert de proprit, viennent aisment lesprit,
dautres lments doivent tre systmatiss.
Parmi ceux-ci, la remise de la chose semble prsenter les caractristiques de
transversalit ncessaires pour prtendre son incorporation au sein dun droit
commun74 spcial des contrats75. Ne constituant pas ncessairement une obligation,
elle est susceptible dintervenir diffrents titres tout au long du processus
contractuel : en tant que condition de formation76, en tant quobligation77, voire
comme outil permettant la liquidation du rapport dobligations78. supposer que
puisse tre dgag un modle de remise de la chose en droit des contrats, celui-ci
pourrait, en outre, avoir vocation sappliquer hors des contrats. Nombreuses sont les
situations, gnralement gratuites et analyses comme des contrats de bienfaisance,
qui se dtachent toutefois du modle contractuel, faute den prsenter tous les
lments. Or la dcouverte dun modle de remise de la chose dpassant ltude
telle manire quils puissent convenir chacun des contrats spciaux ; P. PUIG, Pour un droit commun spcial des contrats, prc. 71 P. PUIG, Contrats spciaux, Dalloz, 3e d., 2009, n11. 72 P. PUIG, Pour un droit commun spcial des contrats, prc., p. 851, le droit commun spcial doit encadrer plus que de simples obligations mais moins que des contrats . 73 P. PUIG, prc., p. 831, lauteur prfre cette expression celle de droit commun des contrats spciaux () en ce sens que la spcialit sattache moins aux contrats eux-mmes quau droit qui les rgit. Il sagit bien dun droit commun puisquil transcende les catgories contractuelles connues, mais il sagit aussi dun droit spcial en ce quil na pas vocation rgir tous les contrats mais seulement ceux qui mettront en uvre lune des oprations lmentaires prcites . 74 Lide de droit commun sentend ici dun ensemble de dispositions positives ayant vocation rgler les problmes juridiques , . SAVAUX, La thorie gnrale du contrat, mythe ou ralit ?, prface, J.-L. AUBERT, LGDJ, Bibliothque de droit priv T. 264, 1997, n36. 75 Lide est dailleurs propose, demi-mot par A. BNABENT, prc., p. 252, qui vise le transfert de dtention , mais lauteur ne lenvisage quen tant quobligation. 76 V. Infra, n 65 et s. 77 V. Infra, n 96 et s. 78 V. Infra, n 82 et s.
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ponctuelle qui en est classiquement faite, permettrait dans certaines hypothses
danalyser sous un jour nouveau ces oprations79.
4 - Des remises la remise essai de dcouverte dun modle. Cette
tude a donc pour objet de dgager les lments caractristiques des remises afin
dtablir un modle de la remise. Il peut, en effet, tre constat que si la remise de la
chose, envisage globalement a nourri le dbat doctrinal au XIXe sicle80, elle ne fait
plus aujourdhui lobjet que danalyses ponctuelles visant tablir son rle dans tel ou
tel contrat. Ainsi, les dveloppements qui lui sont consacrs dans les ouvrages rcents
ont essentiellement pour objectif dexpliquer ses rapports avec le transfert de
proprit81 et son rle dans les contrats rels82. Cela se comprend. Tout dabord,
depuis ladoption du Code civil, la remise de la chose ne se voit confier quun rle
marginal par le droit qui na de cesse de la priver de ses effets. Deux exemples sont
ce titre particulirement frappants. Elle ne serait plus en mesure doprer le transfert
de proprit, larticle 1138 lui substituant lchange des consentements ; de la mme
faon, la catgorie des contrats rels tant en perptuelle rgression, son rle dans la
formation du contrat deviendrait presque marginal. En somme, la tradition aurait
cess dtre un procd de technique juridique pour devenir un simple fait matriel
dexcution [ou de formation] du contrat 83. Ensuite, ltude de la remise en gnral
et non des remises particulires, pourrait paratre vaine, tant elle prsente divers
visages. Il est, en effet, possible de remarquer que la remise nest pas traite de la
mme faon en fonction des contrats dans lesquelles elle intervient. Elle est ainsi
prsente comme un simple fait lorsquelle est exige pour la formation dun contrat,
mais sintellectualise et se complexifie lorsquelle intervient titre de paiement dune
obligation, comme cest le cas pour la dlivrance dans les contrats de vente ou de bail.
Dans ces hypothses le regard du juriste ne sattarde plus essentiellement sur la
79 V. Infra, n 205 et s. 80 V. not. M. CHRISTEA, De la tradition, Paris, A. Giard, 1891 ; A. DE BEAUVERGER, Droit romain: de la tradition; Droit franais: de la tradition titre onreux des droits rels immobiliers l'gard des tiers, Paris, F. Pichon et A. Cotillon imprimeurs, 1881 ; A.-E. BOUVIER-BANGILLON, De la tradition en Droit romain et dans l'Ancien droit franais ; De la transmission de la proprit par l'effet des conventions en droit franais actuel, Paris, F. Pichon imprimeur librairie, 1877 ; C. VERDALLE, De la tradition en droit franais, Lyon, Imprimerie du "Courrier de l'Ain", 1899. 81 V. par ex. R. SACCO, Un cryptotype en droit franais : la remise abstraite ?, in tudes offertes Ren Rodire, Dalloz, 1981, p. 273 et s. ; S. BECQU-ICKOWIZC, Le rle de la traditio dans le transfert de proprit, in Le code de commerce 1807-2007, livre du bicentenaire, Dalloz, 2007, p.473 et s. 82 V. par ex. E. GAVIN-MILLAN, tude anthropologique de la tradition dans les contrats rels, RRJ 1996, n4, p. 1141 et s. 83 J. PARAMELLE, De lobligation pour lacheteur deffets mobiliers de prendre livraison, Paris, Jouve et Cie, 1927, p. 8.
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remise en elle-mme mais sur ses suites et les diffrentes garanties lassortissant84.
Par ailleurs, une certaine gne de la doctrine, face aux hypothses dans lesquelles la
remise nintervient pas en excution dun contrat ou en tant que condition de
formation de la convention, peut tre releve. Il est frappant de noter que, ds lors
quune remise est sans lien avec une relation contractuelle, nombreux sont les auteurs
qui refusent de la traiter comme une opration juridique et qui la rejettent presque
systmatiquement dans le non-droit : ntant donc pas un phnomne juridique, elle
ne saurait tre lobjet dtudes particulires. Enfin, accorder une trop grande place la
remise de la chose en droit contemporain pourrait tre considr comme le signe
dune rminiscence darchasmes avec lesquels le Code aurait pourtant entendu
rompre. Cet argument doit toutefois tre combattu, le Code civil na pas constitu en
soi une vritable rupture, mais plutt laboutissement dune lente volution du droit85.
Or il est impossible, dans de nombreuses situations, de dispenser les parties doprer
une tradition. Cariatide des contrats portant sur les transmissions de choses, la remise
ne pouvait en tre exclue. Laffirmation trouve dailleurs particulirement cho dans
les articles 1604 et suivants rvlant que le Code na de la notion de dlivrance
quune conception matrielle 86.
Oprations troublantes, mais, en pratique, sans cesse rptes en raison de
leur simplicit dexcution, les remises semblent en ralit indispensables la
ralisation des changes de biens. Partant, il serait pour le moins trange quun tel
phnomne ne soit pas vritablement saisi par le droit. Si ces diffrences intrinsques
ne sauraient tre nies, il peut tre propos de considrer non les remises en tant
quoprations distinctes dun contrat lautre, mais la remise en tant que notion
transversale du droit des contrats. Il peut alors tre remarqu que, du moins dun
point de vue matriel, quelle intervienne dans le cadre dun prt, dun dpt, dune
vente ou dun bail, la remise dune chose se traduit ncessairement par les mmes
84 Le phnomne est particulirement remarquable pour lobligation de dlivrance dans la vente o les principaux dveloppements lui tant consacrs sont orients sur la conformit. Comme le note un auteur, lobjet de la dlivrance dborde la seule mise la disposition de la chose pour s'tendre la remise d'une chose conforme aux stipulations contractuelles , (. SAVAUX, obs. sous Cass. civ. 3e, 29 janvier 2003, Defrnois 30 juin 2003, n12, p. 844). 85 V. A. ESMEIN, Loriginalit du Code civil, in Le Code civil, 1804-1904, livre du centenaire, T. I, Socit dtudes lgislatives, rimpr. 1969, Edouard Duchemin, p. 5, lorsquon analyse la substance de cette grande uvre, lorsquon suit lhistoire de sa rdaction, lillusion se dissipe. Presque tout ce quil contient a t fourni par le droit du pass () ; les lments vraiment neufs se rduisent peu de chose. Les rdacteurs du Code, les bons ouvriers de cette formidable tche, ne prtendaient aucunement tre des crateurs ; ctaient des disciples et non des prophtes ; Adde, P.-Y. GAUTIER, Sous le Code civil des franais : Rome (lorigine du droit des contrats), in Le Code civil 1804-2004, Un pass, un prsent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 51 et s., qui dmontre que nombreuses sont les hypothses o le Code est le prolongement des rgles romaines, telles quordonnes par DOMAT et POTHIER ; Pour une illustration de cette volution, en matire de transfert de proprit, V. Infra, n 11 et s. 86 A. SRIAUX, op. cit., n21.
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faits : le passage dune chose des mains dun tradens, vers celles dun accipiens. Cette
remarque peut, en apparence, sembler dtache de ce quest juridiquement la remise
dune chose pour ne sattacher qu son aspect physique. Elle constitue nanmoins la
base dune recherche dun modle de remise. Elle met, en effet, laccent sur le fait
quune remise ne saurait tre caractrise quautant quelle concerne au moins deux
personnes : lune, initiant le mouvement de la chose et lautre, le finalisant. Partant,
bien que la remise soit une opration unique, elle semble inluctablement se
dcomposer en deux mouvements. Ceux-ci sont alors particulirement perceptibles en
matire de vente de meubles corporels. Concluant le chapitre consacr aux obligations
de lacheteur, larticle 1657 du Code civil, impose ce dernier une obligation de
retirement87. Or, alors que la vente de denres et deffets mobiliers est un des
contrats dans lequel la remise est particulirement perceptible, le Code prvoit lui-
mme sa dcomposition en une dlivrance et un retirement. Prolongeant le
raisonnement, il peut donc tre propos danalyser la remise comme la succession de
deux actes : le dessaisissement de lun que nous qualifierons plus tard de mise
disposition suivi de lenlvement de lautre. Ce modle, sattachant essentiellement
la matrialit de lopration, semble applicable toutes les situations impliquant le
transport dune chose : des remises, il est ainsi possible de passer la remise.
Envisage comme une notion unitaire, la remise pourrait alors tre analyse dun
point de vue juridique afin de dterminer son rgime.
5 - Explications de la dmarche de ltude : la remise au confluent du
droit commun et du droit spcial. Considrer la remise comme une opration
identique dun point de vue purement matriel quel que soit le contrat loccasion
duquel elle intervient, nempche pas que, dans certaines hypothses, elle prsente
certaines spcificits, notamment lorsquelle intervient en excution dun contrat et
quelle prend donc la forme dune obligation. Ny aurait-il alors pas quelque paradoxe
considrer que la remise, impliquant ncessairement deux personnes lune
remettant, lautre recevant puisse tre une obligation ? Autrement dit, la remise
tant envisage comme la combinaison dun double mouvement, considrer une
obligation de remise reviendrait obliger les deux parties, la premire serait oblige
se dmettre de la chose, alors que la seconde devrait se mettre en possession.
Assurment, hors lhypothse vise par le Code celle de lobligation de retirement
cette prsentation nest pas tenable. Partant, la conception de "lobligation de remise"
doit voluer afin de prendre en compte la ralit matrielle de la remise. Ds lors, seul
le premier des deux mouvements celui du tradens pourrait avoir vocation tre
87 Sur laquelle, V. Infra, n 125 et s.
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saisi par le droit en tant quobligation. Cest alors une notion issue du droit romain, la
mystrieuse 88 obligation de praestare, qui parat tre de nature permettre une
analyse nouvelle de ce type dobligation. ce titre galement, ltude poursuit son
ambition de contribuer dgager des lments permettant danalyser les contrats
spciaux de faon transversale, en sattachant proposer une catgorie spciale
dobligation : celle emportant la remise dun bien. Lobjet est alors de suggrer un
dpassement de la traditionnelle opposition des obligations issue de larticle 1101 du
Code civil89, entre dare, facere, et non facere, pour y intgrer le praestare90. Son
insertion en droit positif ne saurait toutefois tre dnue de consquences. Seule la
systmatisation dun rgime lui tant propre pourrait tre de nature justifier sa
redcouverte 91. Lobjectif poursuivi est alors de dpasser les nombreuses
hsitations rencontres par la doctrine et la jurisprudence dans la dtermination du
rgime applicable aux diffrentes obligations. Les interrogations sont, en effet,
nombreuses en la matire : lexistence de lobligation de donner est controverse92 et
le rle et le rgime vritables des obligations de faire et de ne pas faire demeurent
flous93. Partant, lintgration dune catgorie dobligations portant sur la remise des
choses permettrait dclaircir cette obscure situation tant en ce qui concerne le champ
dapplication des catgories dobligations retenues, quen ce qui concerne leur rgime
juridique ; mais est-ce l un travail relevant toujours de ce droit commun spcial
des contrats ?
88 M. FABRE-MAGNAN, Le mythe de lobligation de donner, RTD civ. 1996, p. 85 et s. n3. 89 C. civ. art. 1101, le contrat est une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s'obligent, envers une ou plusieurs autres, donner, faire ou ne pas faire quelque chose . 90 Sur cette obligation V. not., G. PIGNARRE, la redcouverte de l'obligation de praestare, pour une relecture de quelques articles du code civil, RTD civ. 2001, p. 41 ; I. CORNESSE, L' xcution force en nature des obligations contractuelles, RRJ 2003, n4, p. 2433 ; J.-F. OVERSTAKE, Essai de classification des contrats spciaux, op. cit., p. 39 ; A.-S. LUCAS-PUGET, Essai sur la notion dobjet du contrat, prface M. FABRE-MAGAN, LGDJ, Bibliothque de droit priv, T. 441, 2005, n69 et s. ; P. PUIG, La qualification du contrat dentreprise, prface B. TEYSSI, Ed. Panthon Assas, Droit priv, 2002, n11 ; F. CHNED, Les commutations en droit priv, Contribution la thorie gnrale des obligations, prface A. GHOZI, Economica, 2008, n170 et s. ; N. CARDOSO-ROULOT, Les obligations essentielles en droit priv des contrats, prface . LOQUIN, lHarmattan, 2008, spc. n118 et s. ; A. SRIAUX, Contrats civils, op. cit., n29 ; pour la conception retenue, V. Infra, n 165 et s. 91 Selon lexpression de G. PIGNARRE, la redcouverte de l'obligation de praestare, pour une relecture de quelques articles du code civil, prc. 92 V. par ex. M. FABRE-MAGNAN, prc. ; V. MARCAD, Explication du Code civil, T. IV, 7e d., 1873, Paris, Delamotte et fils, n478 ; Contra, N. PRYBYS-GAVALDA, La notion dobligation de donner, thse, Montpellier, 1997 ; J. HUET, Des diffrentes sortes d'obligations et, plus particulirement, de l'obligation de donner, la mal nomme, la mal aime, in tudes offertes Jacques Ghestin, Le contrat au dbut du XXIe sicle, LGDJ, 2001, p. 427. 93 V. Infra, n 253 et s.
17
Selon toute vraisemblance la systmatisation dune nouvelle summa divisio des
obligations dpasse ce cadre pour rejoindre celui du droit commun du contrat94.
Lincursion dans cette matire parat nanmoins justifie voire indispensable car,
comme le notent certains auteurs, la distinction du gnral et du spcial nest pas
absolue 95. Droit commun et droit spcial se nourrissant lun de lautre, la saisie dun
modle, issu du droit spcial, par le droit commun constituerait mme un
aboutissement96. Par ailleurs, une distinction des obligations plus rigoureuse
permettrait de jeter les bases dune classification des contrats spciaux vritablement
ancre sur leur objet sans se rfrer leur ventuel effet translatif ou non translatif de
proprit97. Si la remise ne saurait tre rige en elle-mme en dnominateur
commun des contrats spciaux, fondant ainsi une famille indpendante, envisage en
tant quobligation, voire, plus largement en catgorie dobligation autonome, elle
semble en mesure de fonder une distinction pertinente des contrats spciaux.
Lindispensable rglementation gnrale minimum 98, soudant les diffrents
contrats, serait alors constitue par lunicit du rgime juridique des obligations
naissant de ces conventions.
6 - Structure de ltude. Caractrise par un perptuel mouvement de
balancier entre le droit commun du contrat et les contrats spciaux, la remise subit la
volont du droit de se dfaire du matrialisme. Cette volution, dicte par la ncessit
de sadapter aux procds dchanges modernes pour laisser une plus grande place
aux oprations intellectuelles et dmatrialises99. Cette volution pourrait faire
94 Ce point de vue nest toutefois pas partag par tous, suivant J. CARBONNIER (prc., p. 31), les articles 1101 et suivants constituent l amorce , de la thorie gnrale des contrats spciaux. 95 J. FLOUR, J.-L. AUBERT et . SAVAUX, Droit civil, les obligations, T. 1, Lacte juridique, Sirey, 13e d., 2008, n78. 96 Rappr. D. MAZEAUD, Lattraction du droit de la consommation, in Droit du march et droit commun des obligations, RTD com. 1998, p. 106, n20, qui estime que le droit spcial (en loccurrence le droit de la consommation) renforce, dynamise, ractive le droit commun des obligations () il en constitue en quelque sorte laiguillon . 97 Comp. P. PUIG, Pour un droit commun spcial des contrats, prc., p. 855 et s., qui considre que lintgration dune obligation de praestare aux cts des obligations de facere, pourrait () inspirer une nouvelle classification des contrats spciaux fonde sur lobjectif conomique du contrat. () Deux familles de contrats apparaissent en filigrane, que leur fonction conomique permet de distinguer. La premire regroupe les contrats crateurs de richesses (). La seconde comprend les contrats qui organisent la circulation des richesses dj cres (). La liste est-elle close ? Il me semble quune troisime famille devrait tre identifie, celle qui a pour fonction conomique de conserver les richesses . 98 Pour reprendre lexpression de J.-F. OVERSTAKE, op. cit., p. 122. 99 V. ce titre le rquisitoire men par F. COMBESCURE (Existe-t-il des contrats rels en droit franais ?, Rev. crit. leg. jurisp. 1903, p. 477 et s. et spc. p. 490) contre les contrats rels et la formalit constitue par la tradition relle, en affirmant que le droit marche lentement mais srement vers une perfection idale, quil natteindra certainement jamais, mais dont il tendra
18
songer que la remise ne produit plus les effets qui lui taient jadis reconnus. Pour
autant, la tradition relle demeure essentielle la ralisation de la transmission des
choses et est ce titre porteuse de rflexions indites. Le postulat fondateur de
ltude est donc le suivant : lanalyse systmatique de la remise permettra de lui
dcouvrir des potentialits jusqualors inexploites.
Etudie en contemplation de sa ralit matrielle, la remise peut tre
apprhende juridiquement (Premire partie). Elle prend alors les traits dun double
mouvement : la dessaisine suivie de la saisine de la chose. Cette conception
matrielle, socle intangible de toutes remises, permet de les analyser en un genre
unique, ce qui nexclut cependant pas que le modle puisse se dcliner en diffrentes
espces. Ainsi la faon dont le droit se saisit de la remise varie selon que celle-ci
intervient ou non dans le cadre dun contrat. Une telle apprhension permet une
rinterprtation de lobligation portant sur la remise. Dans le double mouvement, seul
le premier celui du tradens est systmatiquement rglement. Cest donc par le
truchement de lobligation de mise disposition que lobligation portant sur la remise
pourra tre systmatise. La conception propose permettra galement de dcouvrir
un type particulier doprations non contractuelles centres exclusivement sur la
combinaison de la mise disposition et de la prise de possession.
Lapprhension juridique de la remise justifie sa pleine intgration en droit
positif (Seconde partie). En premier lieu, lorsque la remise est contractuelle, il est
possible de repenser, puis de reconstruire la summa divisio des obligations en fonction
de leur objet. Lintrt de cette intgration nest pas seulement thorique mais
permettra de doter chaque catgorie dobligations dun rgime juridique adquat.
Lanalyse duale de la remise, facilite, en second lieu, lincorporation dans la sphre du
droit des remises intervenant hors des rapports contractuels. Pour tre singulire la
dmarche nen sera pas moins fconde en ce quelle lvera ces remises au rang de
vritables lments juridiques.
Premire partie : Apprhension juridique de la remise de la chose.
Seconde partie : Intgration des remises de la chose en droit positif.
de plus en plus se rapprocher. Ainsi sest-il peu peu dgag de la grossire matrialit primitive () .
PARTIE 1 APPREHENSION JURIDIQUE DE
LA REMISE DE LA CHOSE
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7 - Introduction de la premire partie : premires vrits et
choses difficiles . Dans les Rgles pour la direction de lesprit, DESCARTES
enseigne qu il ne faut pas commencer notre tude par la recherche des choses
difficiles ; mais, avant daborder une question, recueillir () les premires vrits qui
se prsentent, voir si de celles-l on peut en dduire dautres, et de celles-ci dautres
encore, et ainsi de suite. Cela fait, il faut rflchir attentivement sur les vrits dj
trouves, et voir avec soin pourquoi nous avons pu dcouvrir les unes avant les
autres, et plus facilement reconnatre quelles elles sont 100. Dans le cadre de la
systmatisation dune notion et de ses applications, la logique imposerait de
dterminer au pralable la nature puis les applications. Force est alors de constater
que les tudes consacres aux remises de choses sont essentiellement axes sur la
dtermination de leurs effets. la question quest-ce que remettre une chose ? ,
est gnralement substitue la question quentraine la remise dune chose ? . La
logique parat alors inverse, puisque la notion nest dcouverte quen fonction de ses
consquences : ltude des choses difficiles prcde celle des premires
vrits . Cette dmarche se comprend toutefois et peut sexpliquer aisment. Limage
de la remise de la main la main aidant, il pourrait tre affirm que la remise de la
chose ne serait pas une opration particulirement complexe. Le rflexe tendant alors
ne sattacher quaux consquences serait donc tout naturel. Pour autant ltude
fonctionnelle de la remise pche en un point : elle ne permet pas de dcouvrir une
unit la notion. La remise de la chose serait donc une notion clate, qui ne saurait
tre reue par le droit que ponctuellement : il ny aurait que des espces de remises
et non un genre de remise.
Cela surprend, dautant quil peut tre remarqu que la remise innerve les
relations contractuelles. Or le parallle entre les diffrentes situations dans lesquelles
la tradition relle intervient nest jamais ralis, faute de stre pralablement attach
la dcouverte des premires vrits . Partant, dans lobjectif de pouvoir
systmatiser la remise de la chose, il peut tre propos de suivre la dmarche dcrite
par DESCARTES. Le postulat de dpart est alors simple et correspond linversement
des tudes classiquement menes. Lanalyse conceptuelle doit, en effet, prcder
lanalyse fonctionnelle : seule lidentification de ce quest la remise dune chose
apparat susceptible de mettre en lumire ses implications vritables. Aussi,
lobservation des premires vrits , cest--dire la dcouverte dune conception
100 R. DESCARTES, Rgles pour la direction de lesprit, Rgle sixime, in uvres de Descartes, publies par V. Cousin, T. XI, Levrault, 1826, p. 230.
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renouvele de la remise (Titre 1), rpond lanalyse des choses difficiles , ici la mise
en lumire des diffrents types de remises (Titre 2).
TITRE 1
CONCEPTIONS DE LA REMISE DE LA CHOSE
8 - Introduction du titre 1 : dune analyse fonctionnelle une analyse
notionnelle. Dans lobjectif de pouvoir prsenter la remise de faon renouvele, il
convient au pralable de sintresser la prsentation traditionnelle qui en est faite.
Force est alors de constater lclatement de lanalyse classique. La doctrine prsentant
la remise de faon fonctionnelle et non conceptuelle, lopration nest jamais
envisage en soi, mais uniquement en contemplation de ses effets. Si les fonctions de
la remise font lobjet dtudes, la doctrine fait gnralement lconomie de la
dfinition. Seules sont donc traditionnellement analyses les remises. Classiquement,
les tudes leur tant consacres sont menes autour de deux axes : le rle de la
tradition relle dans lacquisition drive de la proprit et dans la formation des
contrats. Le constat dress par la doctrine majoritaire et qui ne peut qutre rejoint est
alors que les remises ne sont gure dotes dune place significative en droit positif.
Une telle conclusion est nanmoins troublante : comment expliquer que le droit
marginalise outrance une opration innervant pourtant les contrats ? Partant, avant
de pouvoir nier toute efficience la remise, il est ncessaire de tenter den proposer
une dfinition essentiellement juridique de nature rvler ses vritables
potentialits. Ds lors, afin de dterminer ce que constitue rellement la remise, il
convient de sattacher sa ralit matrielle. Il peut ainsi tre remarqu que toute
remise peut tre scinde en deux temps : labandon du bien par le tradens auquel
rpond lacquisition par laccipiens. Juridiquement ces mouvements se traduisent par
les concepts de mise disposition et denlvement.
La prsentation traditionnelle a donc pour unique objet de sintresser aux
effets de la remise de la chose. Cette dmarche se comprend, mais conduit une
impasse tendant la marginalisation de son rle en droit positif et labsence de
dfinition du concept. Une prsentation alternative doit alors tre retenue : celle ayant
pour objectif de dterminer lessence de la remise. Partant, dans un premier temps il
est possible de mener une analyse critique de la prsentation classique pour, dans un
second temps, tenter de dterminer ce que recouvre cette notion : lanalyse
24
fonctionnelle (Chapitre 1), il est alors possible de substituer une analyse notionnelle
(Chapitre 2).
CHAPITRE 1
LA CONCEPTION TRADITIONNELLE DE LA REMISE :
UNE OPERATION ENVISAGEE PAR SES EFFETS
9 - Prsentation des effets traditionnellement attachs la remise. La
doctrine sintressant la tradition relle sattache, pour lessentiel, en dterminer
les effets. Fortement inspirs, en ce sens, par le droit romain, les auteurs prsentent
alors classiquement la remise sous deux angles : son rle dans le transfert de
proprit et son rle en tant qulment de formation du contrat dans le cadre des
contrats rels. lissue des analyses, les rsultats sont souvent identiques : le
transfert de proprit soprant par le seul effet des consentements, la remise nentre
pas en compte dans la mutation du droit et le Code civil retenant un mode de
formation consensualiste, il ny a aucune raison de considrer la remise lors de la
cration du contrat. La conclusion gnralement retenue est alors implacable, la
remise ne jouerait jamais un rle important dans les contrats. Ce constat ne peut,
dailleurs, qutre rejoint voire, en certains points, amplifi.
Tout dabord, laspect immatriel du droit de proprit conduit nier lutilit
dun recours la tradition relle en la matire. Cela ne signifie pas ncessairement
que le modle du transfert de proprit solo consensu ne souffre jamais dexceptions.
Au contraire, celles-ci sont nombreuses mais, alors mme que lapparence pourrait
subordonner la mutation du droit la remise de la chose, cest toujours un lment
autre qui la provoque ou la consomme. Ensuite, envisage en tant qulment formant
la convention, la tradition relle ne semble prsenter dutilit que dans des hypothses
tellement limites quelles en deviendraient presque marginales. Cest, enfin,
indirectement, que lutilit de la remise, notamment dans les contrats rels, est
parfois invoque en ce quelle constituerait la cause de lobligation de restitution.
Nanmoins, ici encore, sa fonction doit tre grandement relativise.
Lanalyse classique de la remise en contemplation de ses effets conduit donc
une double marginalisation de la remise : prive de toute efficience dans les contrats
translatifs de proprit (section 1), elle voit, en outre, son rle considrablement
rduit dans les autres contrats (section 2).
Conceptions de la remise de la chose 26
Section I
Le dpassement de la remise dans les contrats
translatifs de proprit
10 - De la tradition relle un effet rel du contrat. La tradition est une
forme dapprhension. []. Quand lapprhension sopre avec le concours de lancien
possesseur qui abandonne sa possession, on la nomme tradition 101. Les manuels de
droit romain tudient classiquement la tradition dans les parties consacres au
transfert de proprit, aux cts dautres moyens dalination plus formalistes et
solennels quelle a pu remplacer, tels la mancipatio ou lin jure cessio. La mancipatio
est dcrite comme une vritable comdie extra-judiciaire, comportant ses acteurs,
lalinateur et lacqureur, qui doivent tous deux tre prsents, et toute une
figuration 102 compose de tmoins. Lin jure cessio quant elle en tait proche,
cela prs quelle avait lieu devant un magistrat. Lavnement de la traditio, simple
remise de la chose, est le fruit de la recherche de plus de souplesse dans les modes de
transmission des biens. Cependant, elle na jamais t suffisamment efficace pour
oprer, elle seule, le transfert de la proprit. Son abandon comme condition du
transport du droit nen fut que plus "ais" concevoir. Ltude historique de la
tradition permet galement dexpliquer limpossibilit de systmatiser, mme titre
exceptionnel, une mutation de la proprit issue dune remise de la chose. Au sein du
mcanisme translatif de proprit, la tradition a donc vu ses effets diminuer
progressivement (1). De manire similaire, le mouvement de rejet de leffet translatif
de la remise de la chose est prgnant en droit positif malgr lapparence de certaines
rsistances parfois souleves par la doctrine (2).
101 C. AUBRY et C. RAU, Cours de droit civil franais, T. II, Librairie Marchal et Billard, 6e d. Par E. Bartin, 1935, 179, p. 112. 102 J.-P. LEVY ET A. CASTALDO, Histoire du droit civil, Paris, Dalloz, 1re d., 2002, p. 553, les auteurs citent les Institutes de Gaius 1, 119 et 2, 104.
La conception traditionnelle de la remise 27
1. Labandon progressif de la tradition dans les contrats
translatifs de proprit
11 - Lvolution vers un transfert de proprit dmatrialis.
Originellement, la remise de la chose, relle ou dmatrialise, est imprativement
exige afin de raliser un transfert de la proprit des biens. Subordonn non
seulement la tradition, mais galement dautres conditions de fond, le transport du
droit est alors une opration strictement encadre juridiquement, malgr le progrs
que ce procd ralise par rapport aux modes plus primitifs dalination (A).
Lvolution de la technique juridique, autorisant ladmission de procds de remises
dmatrialises, combine une affirmation plus marque de la force de la volont,
ont permis lavnement dun transfert de la proprit par le seul effet des
consentements (B). Cette conscration peut ds lors tre considre comme la
continuit dune logique historique et non comme une rupture brutale.
A. Les liens originels entre tradition relle et transfert de
proprit
12 - La tradition relle et la circulation des choses. Le rapport entre
tradition relle et transfert de proprit est la marque dune frontire peu dfinie et
floue en droit romain entre les choses et les droits portant sur ces choses. Cette
dlimitation mal opre aboutit une certaine confusion entre la possession, le
pouvoir matriel dun homme sur un bien, et le droit se rattachant ce bien. Au-del
de la circulation des droits, cest la circulation des choses qui prime ; aussi, la remise
de la chose nentrane-t-elle pas delle-mme vritablement la transmission du droit,
mais plus celle de sa possession (1). La dissociation entre tradition relle et effet rel
du contrat (2), peut ainsi, en partie, sexpliquer par une meilleure distinction entre la
proprit et la possession.
Conceptions de la remise de la chose 28
1. Une tradition translative de la possession des choses
13 - La tradition est la possession, en quelque sorte, comme la
naissance est la vie 103. Prsente ds la loi des Douze Tables104, la tradition
relle ou remise de la chose est un mode driv dalination issue du droit des gens105,
qui na que des conditions de fond106, et quil est possible de faire remonter au stade
pr-juridique des groupements les plus rudimentaires 107. Celle-ci ne semble
cependant pas aussi ancienne que la mancipation, ou lin jure cessio qui paraissent
tre, historiquement, les premiers modes de transmission des biens108. Si, en
apparence, la remise de la chose napparat tre quune seule et mme opration, le
terme " tradition ", en lui-mme, ne permet pas de rvler clairement lintention des
parties. Il convient, en ralit, doprer une dissociation entre la nuda traditio et la
traditio. La premire consiste concder volontairement un tiers une emprise
matrielle sur la chose, sans renoncer lanimus domini ; la seconde en revanche,
seule capable de transfrer la proprit, consiste dans la translation volontaire de la
possession proprement dite109. La tradition relle peut tre le sige de diffrentes
oprations juridiques. Par elle, le tradens ou remettant, peut vouloir confrer
103 R. Von IHERING, L'esprit du droit romain dans les diverses phases de son dveloppement, trad. d'O. de MEULENAERE, T. III, Marescq An, 1877, 50, p. 162. 104 J.-L.-E. ORTOLAN, Explication historique des Instituts de l'empereur Justinien, T. I, Paris, Librairie de la Cour de cassation, 3e d., 1844, p. 333 ; Ch. DEMANGEAT, Cours lmentaire de droit romain, T.I, Paris, A. Maresc, 3e d., 1876, p. 483 : il est () probable que la loi des Douze Tables parlait rellement de la tradition . 105 Le terme "droit des gens" est ici employ dans ce qui semble tre son troisime sens historique, c'est--dire, des rgles applicables aux peuples domins et aux rapports entre citoyens romains et trangers . Le premier sens historique tant celui de rgles rglant les rapports entre les peuples italiques , le deuxime tant les rgles rgissant les rapports de Rome et de ses citoyens avec les peuples trangers . La signification prcise de lexpression "droit des gens" en droit romain est toutefois dbattue. Comme le note un auteur, pas moins de cinq significations peuvent tre retenues : 1. droit commun des peuples italiques, droit commun des peuples tout court ; 2. droit naturel ; 3. droit international priv et, en ce sens droit interne ; 4. droit international public ; 5. droit international tout court , S. LAGHMANI, Histoire du droit des gens, du jus gentium imprial au jus publicum europaeum, A. Pedone, 2003, p. 11. 106 J.-P. LEVY ET A. CASTALDO, Histoire du droit civil, op. cit., p. 563 : La tradition nest pas un acte formaliste, mais un acte rel, o lessentiel est la res, la possession de la chose . 107 J. GAUDEMET, Droit priv romain, Domat, Montchrestien, 3e d., 2009, p. 237. 108 Voir en ce sens H. SUMNER-MAINE, L'Ancien droit considr dans ses rapports avec l'histoire de la socit primitive et avec les ides modernes, Paris, Guillaumin, 4e d., traduction par J.-G. Courcelle-Seneuil, 1874, p. 262 ; A. De BEAUVERGER, Droit romain: De la tradition; Droit franais: De la tradition titre onreux des droits rels immobiliers l'gard des tiers, thse, Paris, F. Pichon et A. Cotillon imprimeurs, 1881, qui considre toutefois que si la tradition est postrieure la mancipation, on peut dire que celle-ci, cot des solennits requises, contenait dj une vritable tradition de la chose , p. 11. 109 C. ACCARIAS, Prcis de droit romain, T. I, Paris, A. Cotillon et Cie, Librairie du Conseil d'Etat, 3e d., 1879, n225.
La conception traditionnelle de la remise 29
laccipiens la simple dtention, la possession, ou la proprit de la chose. toutes les
poques, cependant, et quelles que soient ses fonctions, la tradition a toujours eu le
caractre dun simple fait matriel110, et a toujours consist dans la remise dun objet
un acqureur.
14 - Le rgime spcial de la tradition romaine en matire dactes
translatifs de proprit : lintime relation entre tradition et possession 111 .
La traditio sert transfrer la proprit du droit des gens aux prgrins, qui ne sont
pas susceptibles dtre les sujets dun droit de proprit quiritaire112, ainsi que la
proprit provinciale. lpoque de GAIUS et dULPIEN, elle est le moyen daliner la
proprit des choses nec mancipi113 entre citoyens romains114. la suite de labolition
de la distinction entre choses mancipi et nec mancipi par JUSTINIEN, la traditio
permet dacqurir la proprit civile sur toutes les choses115. Cependant, la remise de
la chose nopre pas elle-mme le transfert de la proprit, elle ne va en transfrer
que la "possession physique"116, ce qui ne rend pas, en soi, propritaire. La ralisation
dune tradition relle, contenant lintention rciproque de transporter la proprit entre
les parties, permet alors une remise de la "possession lgale"117. Cest la possession,
remise par le tradens, jointe la volont des parties, qui produit la proprit. Il est
donc possible de dduire que le fait physique de la tradition est lui seul impuissant
transporter la proprit, sil nest accompagn de llment intentionnel que constitue
la justa causa traditionis qui gt dans laccord des deux volonts tendant lune
110 P.-F. GIRARD, Manuel lmentaire de droit romain, Dalloz, 8e d., 1929, p. 316. 111 J.-L.-E. ORTOLAN, op. cit., p. 399. 112 P.-F. GIRARD, op. cit., p. 316. 113 La distinction entre les rei mancipi et les rei nec mancipi est propre au droit romain. Lide gnrale est que certaines choses constituent une catgorie privilgie, sur laquelle le paterfamilias exerce un pouvoir (ou mancipium). Les rei mancipi