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Illustration : Aurore © 2012 SEFA BENELUX Tous droits réservés DU 2 AU 4 NOVEMBRE 2012 TOUR & TAXIS - BRUXELLES Le festival du Manga et de lanime de retour en belgique ! www.japan-expo.be " AXIS - BRUXEL T TA TOUR & DU 2 AU 4 NOVEMBRE 2012 AXIS - BRUXELLES DU 2 AU 4 NOVEMBRE 2012 du du d L Le fe fes es sti ti va va l a a ang nga ga et t e e la a an al d d M M u u de de re ret to tou our ur en en b bel el lgi giq iq e d d M ni nim ime me que e ! qu u ue ue .japan-e w ww . ja jap apa pan an - e www ww w w. w w. expo.be ex exp xp po o. be be Jérémie Souteyrat pour Zoom Japon www.zoomjapon.info gratuit numéro 24 - octobre 2012 SOLIDARITÉ Aider Maison pour tous p. 4 CINÉMA Une étoile est née p. 14 VOYAGE Le musée Adachi p. 24 Médias Divorce à la japonaise

ZOOM Japon 24

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Zoom Japon, numéro 24 (octobre 2012)

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SOLIDARITÉAider Maisonpour tous p. 4

CINÉMAUne étoileest née p. 14

VOYAGELe muséeAdachi p. 24

Médias Divorce à la japonaise

ÉDITO Méfiance

Les Japonais sont de grandslecteurs de journaux. Grâceà eux, les quotidiens nip-pons figurent en tête duclassement mondial desjournaux les plus lus dans

le monde. Pourtant la confiance que l’opinionpublique accorde à ces publications et au restedes médias traditionnels s’est largement éro-dée, notamment au lendemain de l’accident àla centrale nucléaire de Fukushima Dai-ichi.Reste à savoir si la presse japonaise sera enmesure de reconquérir les cœurs et rétablir lesliens solides qui existaient avec la population.C’est une question cruciale à un moment oùle Japon est confronté à des choix importantspour son avenir. En espérant que cette nou-velle enquête renforcera votre intérêt pourZoom Japon. Pensez d’ailleurs à vous abonner.

LA RÉ[email protected]

ZOOM ACTU

SOCIÉTÉ Les sinistrésbroient du noir Pour la troisième fois, le Kahoku Shimpô,

quotidien de Sendai, a réalisé un sondage

auprès des victimes du séisme du 11 mars

pour évaluer leur moral. 38,5 % des

personnes interrogées estiment que les

choses n’évoluent guère dans le bon sens.

Un chiffre encore très élevé traduisant

le désarroi des sinistrés qui doivent continuer

à vivre dans des logements temporaires.

ECONOMIE Un déficitcommercial inquiétant Selon les chiffres publiés par le ministère

des Finances, le pays a creusé son déficit

commercial au mois d'août à 472,8

milliards de yens contre 371,9 milliards de

yens en juillet. Les exportations ont baissé

de 2,1 % et les importations de 0,2 % par

rapport au mois précédent. Une tendance

liée à la baisse de la demande en Chine et

en Europe.

Tel est le nombre

de centenaires que

compte le Japon. C’est ce que révèle

l’étude annuelle du ministère de la Santé,

du Travail et du Bien-être. Les femmes

représentent 87,3 % du total. C’est la

première fois que le seuil des 50 000 est

franchi. En 1963, ils n’étaient que 153.

51 376

U N JOUR AU JAPON par Eric Rechsteiner

Les Tokyoïtes ont découvert, le 27 septembre, une nouvelle enseigne à la sortie Est de la gare de Shinjuku. Bicqloest le nom de ce nouveau magasin de 22 000 mètres carrés. Il a été créé par deux géants Bic Camera et Uniqlo. Sile second est plus connu à l’étranger, le premier est un des leaders de la vente de produits électroniques. Bicqlovise surtout une clientèle composée de touristes et espère générer un chiffre d’affaires de 590 millions d’euros par an.

Le 12 septembre, quartier de Shinjuku, à Tôkyô

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Couverture : Jérémie Souteyrat

2 ZOOM JAPON numéro 24 octobre 2012

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A u cours des dernières semaines, les médias japo-nais ont relayé les nombreuses manifestationsanti-japonaises, parfois violentes, qui ont

embrasé la Chine. Ce ne sont pas les premières ni sansdoute les dernières, mais comme le soulignait avec jus-tesse l'hebdomadaire Kinyôbi,il y a désormais “une situationd'urgence diplomatique” auJapon face à laquelle le gouver-nement semble bien démuni.Outre la question des îles Sen-kaku (Diaoyu en chinois),Tôkyô doit gérer le différendavec la Corée du Sud portantsur l'île de Takeshima (Dokdoen coréen) et trouver une solu-tion au conflit territorial quil’oppose à la Russie à propos desKouriles du Sud, communé-ment appelées dans l’archipelTerritoires du nord (Hoppôryôdo). Face à ses principauxvoisins, le Japon apparaît dansune position de faiblesse de plus en plus nette et il estpeu probable que les choses s’arrangent dans les pro-chains mois compte tenu de la situation intérieure dupays. En effet, peu d’éléments plaident en faveur d’uneamélioration rapide. Si les Chinois se montrent dés-ormais beaucoup plus entreprenants sur la question ter-ritoriale, c’est en grande partie lié au fait que la Chineest devenue la seconde puissance économique de la pla-nète et qu’elle a ainsi détrôné le Japon. En s’en prenant,

par exemple, à l’un des centres de production Panaso-nic alors qu’elle avait été la première grande société nip-pone à investir massivement en Chine à la fin des années1970, les manifestants chinois ont symboliquementmontré que leur dépendance à l’égard des investisse-ments japonais était terminée. Par ailleurs, les rapportsavec les Etats-Unis ont changé depuis l’arrivée du Partidémocrate (Minshutô) aux commandes du pays en août2009. Plusieurs sujets embarrassants (base de Futenma,

déploiement des avions Osprey jugés dan-gereux par la population japonaise) ontfragilisé les liens entre Tôkyô et Washing-ton, offrant aux voisins du Japon l’oppor-tunité de tester la réaction américaine. Lavisite du ministre américain de la DéfenseLeon Panetta a été pour le moins éclai-rante puisqu’il a répété que les Etats-Unisne prendraient pas position sur le dossiersensible des revendications territoriales.Pourtant, le différend autour des Sen-kaku est lié à une décision américaine. En1972, l’administration américaine avaitdécidé de rendre au Japon ces îles alorsmême que la Chine et Taiwan revendi-quaient respectivement depuis décem-bre 1970 et février 1971 la souverainetésur ces territoires. Enfin l’incertitude

politique dans l’archipel n’arrange rien. Elle amène denombreux responsables politiques à multiplier les décla-rations maladroites vis-à-vis des questions territoriales,contribuant ainsi à renforcer chez leurs voisins des posi-tions nationalistes tout aussi logiques vu que la Coréedu Sud est en pleine campagne électorale et que la Chineest en train de renouveler ses dirigeants. On ne voit doncpas comment les choses vont pouvoir s’arranger.

GABRIEL BERNARD

Tôkyô doit gérer un regain de tension avecses voisins. Mais jusqu’à présent, il n’a pasréussi à trouver des réponses adaptées.

DIPLOMATIE Paralysie et fragilitéà tous les étages

Manifestations anti-japonaises en

Chine à la une du Mainichi Shimbun

du 17 septembre dernier.

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Dans les zones touchées par le séisme et le tsunamidu 11 mars 2011, les efforts consentis pour re-loger la population sinistrée ont été conséquents.

En l’espace de six mois, l’ensemble des centres d’évacua-tion qui accueillaient les personnes ayant perdu leur mai-son ont été fermés, les autorités ayant terminé d’instal-ler des logements provisoires. Implantés dans des parcs,des stades ou des espaces inhabités, ces préfabriqués sou-vent petits et mal isolés alors que la région connaît deshivers rigoureux et humides ont donc été alloués à des si-nistrés encore déboussolés par la catastrophe naturelle.Si chacun des logements bénéficiait d’un équipement etd’un confort raisonnables, leur petitesse est devenue ra-pidement un problème pour des gens qui auraient bienvoulu retrouver une vie sociale ordinaire. C’est d’autantplus vrai que la région du Tôhoku est connue pour sa tra-dition orale. C’est là-bas que le grand folkloriste YANA-

GITA Kunio a recueilli les histoires et légendes que l’on seracontait pendant les longues soirées d’hiver. Le besoinde communiquer a vite été identifié par les spécialistes encharge de suivre les personnes sinistrées. Mais devant l’am-pleur des dégâts, les pouvoirs publics n’ont pas considéréque la création de lieux où la parolepourrait être échangée était une priorité.Par ailleurs, le mode de gestion bureau-cratique de la reconstruction empêchaitque le bien-être de la population soit uncritère suffisant pour envisager d’investirdes fonds publics. Comme par ailleurs les réglementationsimposent un traitement égalitaire entre les différentes zonessinistrées, il était difficile d’imaginer de bâtir des lieux derencontre et de partage adaptés aux besoins locaux. C’estainsi que des initiatives privées ont pris le relais afin derépondre à des demandes particulières. Très sensible à lanotion de bien-être, l’architecte ITÔ Toyô a été de ceuxqui se sont mobilisés pour éviter que les sinistrés se retrou-vent livrés à eux-mêmes dans leurs minuscules logementsprovisoires. “Je réfléchis depuis longtemps à la manière de

Le projet de “Maison pour tous” soutenupar Zoom Japon a obtenu le Lion d’or àVenise. Mais la tâche est loin d’être achevée.

SOLIDARITÉ Pour se sentir comme chez soicréer des espaces dans lesquels les gens se sentent bien. Don-ner le sentiment de liberté est très important à mes yeux”,nous avait-il expliqué en mars dernier. Très attaché à laville de Sendai où il a notamment construit la médiathèquequi a contribué à sa renommée internationale, ITÔ

Toyô a donc choisi de monter un projetbaptisé Maison pour tous (Minna no ie)dont le principe de base est de permettreà la population de se retrouver dans uneambiance chaleureuse de manière à se li-bérer de toutes les contraintes liées à la vie

quotidienne dans les zones de relogement provisoire. Avecle soutien de la préfecture de Kumamoto, à Kyûshû, il abénéficié d’un financement suffisant pour lancer laconstruction de la première Maison pour tous, laquelle aété inaugurée il y a tout juste un an. Cet espace ouvert avecde grandes fenêtres est devenu un lieu de rencontre pri-vilégié pour les habitants d’un lotissement de préfabriquéssitué dans un parc jouxtant une zone industrielle. En re-lation avec les résidents, l’architecte a donc élaboré un bâ-timent adapté à leurs besoins. “Des lieux comme la Mai-

En novembre 2011, les tonnes de gravats à Rikuzentakata ont été déblayées et les sinistrés ont été relogés dans des préfabriqués. Il s’agit alors d’offrir un lieu de rencontre.

Au 1er octobre, leslecteurs de Zoomont versé près de20 000 € au projet

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son pour tous sont particulièrement importants, non seu-lement pour se retrouver et se réconforter, mais aussi pourréfléchir et discuter ensemble de la nouvelle ville à re-construire”, confirme ITÔ Toyô qui, devant l’accueil ré-servé à son premier projet, a décidé de prolonger soninitiative, en associant des confrères pour que ceux-cise lancent dans la construction d’autres lieux de cegenre. L’association Kisyn no kai qu’il a fondée avecplusieurs architectes japonais de renom comme YA-MAMOTO Riken, NAITÔ Hiroshi, KUMA Kengo et SE-JIMA Kazuyo a donc décidé de bâtir une centaine deMaisons pour tous dans l’ensemble de la région frap-pée par la catastrophe du 11 mars 2011. Lorsque l’équipe de Zoom Japon a visité la première mai-son à Sendai à l’automne dernier, ses membres ont été tou-chés par l’enthousiasme qu’elle avait suscité parmi les ha-bitants et la joie manifeste qu’ils avaient à s’y retrouver.Depuis cet instant, nous avons décidé de nous associerà ce projet et de mobiliser, autant que faire se peut, noslecteurs pour qu’ils soutiennent la construction d’autresMaisons pour tous. C’est à Rikuzentakata que le secondprojet porté par ITÔ Toyô a été établi. Cette cité balnéaire,célèbre pour sa forêt de 70 000 pins en bordure de merdont un seul avait survécu au tsunami (il a finalement été

abattu le 12 septembre), a subi de gros dommages et sapopulation a payé un lourd tribut à la colère de la nature.Dès lors, l’idée de pouvoir apporter un peu de bien-êtreà tous ces gens s’est naturellement imposée dans l’espritdes animateurs de Kisyn no kai. ITÔ Toyô s’est rendu plu-sieurs fois sur place en novembre 2011 pour recueillir lestémoignages et les attentes des habitants relogés afin d’of-frir un lieu répondant aux besoins exprimés. La Fonda-

tion du Japon a retenu le projet pour qu’il représente leJapon à la Biennale de Venise. A compter de décembreet jusqu’à la fin du mois de mai, ITÔ Toyô en compagniede trois jeunes confrères — INUI Kumiko, FUJIMOTO Sou,HIRATA Akihisa — ont travaillé à la fois sur la Maisonà proposer à Rikuzentakata et conçu plusieurs projets —au total près d’une centaine — autour de l’idée “L’archi-tecture est-elle possible là où il n’y a rien ?” Pendant cettepériode de gestation, Zoom Japon a commencé à sensi-biliser ses lecteurs à ce projet et à lancer un appel aux dons.Grâce à votre générosité et celle d’autres donateurs, la mai-son de Rikuzentakata sera bientôt inaugurée. L’enthou-siasme placé dans cette aventure humaine et architectu-rale s’est donc transporté à Venise pour la Biennale quis’est ouverte fin août. Le pavillon japonais dont ITÔ Toyôavait la responsabilité et qui présentait l’opération Mai-son pour tous de Rikuzentakata a obtenu le Lion d’or. Cetrophée récompense ainsi une chaîne de solidarité. Il doitaussi la renforcer pour que d’autres Maisons pour tous voientle jour dans les zones sinistrées. Voilà pourquoi nous conti-nuons à soutenir cette initiative et nous vous invitons àsuivre la même voie, en finançant même modestementla construction de nouveaux lieux de partage.

G. B.

Au cours des mois suivants, ITÔ Toyô (qui tient la maquette) et son équipe se concertent pour déterminer le projet le plus adapté (ci-dessous). Celui-ci sortira bientôt de terre.

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L e 21 juin dernier, le Tôkyô Shimbun, quotidientokyoïte qui s’est beaucoup investi dans le débatsur l’énergie nucléaire depuis l’accident de la cen-

trale de Fukushima Dai-ichi (voir p. 8), a publié un petitarticle. Bon nombre de lecteurs peu attentifs l’ont sansdoute passé sans le lire. Pourtant il valait son pesant d’orpuisque le quotidien présentait des excuses. Il présen-tait des excuses pour ne pas avoir couvert les manifesta-tions organisées depuis plusieurs semaines autour dela résidence du Premier ministre après la décision de cedernier d’autoriser le redémarrage de deux réacteurs à lacentrale d’Ôi. Modestes dans un premier temps, ellesont très vite pris de l’ampleur sans pour autant réussirà intéresser les grands médias — presse écrite et chaînesde télévision — qui ont fait comme s’il ne se passait rienchaque vendredi en fin d’après-midi. Organisés par des

associations anti-nucléaires, ces rassemblements n’étaientpas pourtant le rendez-vous des seuls militants. Relayantl’information via Twitter et les réseaux sociaux, les mani-festations du vendredi sont très vite devenues un événe-ment auquel toutes sortes de personnes ont voulu par-ticiper pour exprimer leur désir de voirenfin le gouvernement écouter leur voix.On y croisait aussi bien des étudiants,des salarymen sortant de leur bureau,des grands-parents avec leurs petits-enfants, des mères de famille que de farouches oppo-sants à l’énergie nucléaire, le tout dans une ambiancebonne enfant mais pleine de détermination. Aussi,lorsque tous ces gens ont vu que leur mobilisation n’in-téressait pas les médias, y compris ceux qui avaient prisposition contre l’atome, leur sang n’a fait qu’un tour. Ilsont écrit. D’abord sur les réseaux sociaux pour exprimerleur colère et leur envie de résilier leur abonnement (auJapon, le taux d’abonnement aux journaux dépasse les95 %). Puis, ils ont envoyé des lettres de protestation

aux rédactions pour demander des explications. C’est àla suite de ces courriers que le Tôkyô Shimbun a réagiet publié ce court article dans lequel il tentait tant bienque mal de justifier l’injustifiable, car il lui était impos-sible de vraiment reconnaître son erreur de jugement.

Toujours est-il que cet événement illus-tre le fossé qui s’est creusé au cours des der-niers mois entre les médias et la popula-tion japonaise qui, rappelons-le, est cellequi lit le plus la presse dans le monde.

Comme dans d’autres pays développés, la consomma-tion de journaux est en baisse au Japon. Cela s’expliquepar l’avènement d’Internet et le développement d’autresloisirs qui détournent les Japonais de la lecture. Maisla confiance envers les journaux a commencé à s’erroderaprès l’accident à la centrale de Fukushima et les pre-mières manifestations qui n’ont guère motivé la presse.Il faut dire que le Japon n’est pas un pays où les défliésde rue sont bien vus. Les derniers, dignes de ce nom, onteu lieu au début des années 1960 pour protester contre

60 000 personnesdans la rue et pasun article

PRESSE Divorce à la japonaiseDepuis plusieurs mois, les rapports entreles médias et l’opinion publique se sontdétériorés. Est-ce irréversible ?

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Déçue par la façon dont les médias traitent l’information notamment sur le nucléaire, une lectrice déchire son journal dans un élan de colère (scène jouée pour Zoom Japon).

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le renouvellement du traité de sécurité nippo-américaindont la population ne voulait pas, un peu comme cescentrales nucléaires qu’elle rejette aujourd’hui. A l’époque,c’était surtout la jeunesse politisée qui battait le pavé,mais elle était très largement soutenue par l’opinion.Depuis, les manifestations de masse ont été quasi inexis-tantes, car le pays, devenu la deuxième puissance écono-mique de la planète, partageait un même idéal. Par ailleurs, il faut savoir que les questions relatives auxmanifestations sont suivies par le service politique dansles journaux. Ce service politique n’est certes pas inféodéau pouvoir politique, mais il est extrêmement prudentvis-à-vis des mouvements populaires. C’est ce quiexplique pourquoi tous les grands rassemblements orga-nisés depuis 18 mois dans l’archipel ont bénéficié d’untraitement minimal voire nul. Tout a commencé en septembre 2011, lorsque le prixNobel de littérature ÔE Kenzaburô et le journaliste indé-pendant KAMATA Satoshi ont réussi à mobiliser 60 000personnes à Tôkyô, une première depuis 1960. Lesmédias étaient présents, mais ils n’ont parlé de l’événe-ment qu’en ne lui consacrant une simple photo com-mentée en première page. L’Asahi Shimbun, deuxièmequotidien du pays pourtant proche de ÔE, a ainsi publiéune toute petite photo accompagnée de quelques lignesde légende. Seul le Japan Times, journal anglophoneindépendant, s’est fendu d’une photo sur quatre colonnes.Reste que l’attitude de la presse en a choqué plus d’un etsuscité un débat au sein même de la profession. Commeen 1960 avec le traité de sécurité nippo-américain quivalidait le principe d’une présence permanente de sol-dats américains et de leurs bases sur le territoire japo-nais, la question de la dépendance à l’égard de l’énergienucléaire est un sujet majeur ayant un impact non négli-geable sur le quotidien de la population. Aussi devantsa mobilisation populaire, certains journalistes appar-tenant aux grands médias ont commencé à soulever lanécessité d’accorder plus d’attention à ces revendica-tions. Mais il est difficile de faire bouger un dinosaure.Il ne faut pas oublier que les journaux japonais sontd’énormes machines très bureaucratisées qui ont biendu mal à réagir rapidement lorsqu’il s’agit de réformerleur fonctionnement. Il faut savoir, par exemple, quel’Asahi Shimbun, est une rédaction de 2200 journalistesavec une administration incroyablement lourde. A ladifférence d’autres secteurs de la société qui ont dû seréformer ces dernières années, la presse n’a pas jugé utilede le faire. Elle paie aujourd’hui le prix fort de cet immo-bilisme, un divorce avec l’opinion publique qui ne com-prend plus tout à fait le jeu de ces grands médias. Alorsévidemment, au regard des tirages ridicules de la pressefrançaise, la diffusion quotidienne à plusieurs millionsd’exemplaires des principaux journaux nationaux peutlaisser croire qu’ils ont encore de la marge. Mais il ne fautpas s’y tromper, la confiance perdue est difficile à recon-quérir notamment dans une période aussi compliquéeque celle qui prévaut actuellement. Et ce n’est pas unpetit article d’excuses qui suffira pour recoller les mor-ceaux. ODAIRA NAMIHEI

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C'était vraiment rageant de voir comment lesjournaux et la télévision avaient couvert desévénements comme le printemps arabe et le

mouvement Occupy Wall Street alors qu'ils ne s'inté-ressaient pas aux manifestations qui se déroulaient auJapon”, explique WATAI Takeharu. “Aussi l'écrivainHIROSE Takashi, qui est aussi un militant anti-nucléaire de longue date, a-t-il décidé de faire quelquechose en mettant sur pied un partenariat avec l’Asso-ciation japonaise des journalistes visuels dont je suismembre. J'ai été chargé de la production vidéo et Our-Planet-TV a été désignée pour diffuser le contenu surInternet. On m'a aussi demandé d'assurer les prises devue aériennes compte tenu de mon expérience dans lacouverture de conflits en Asie. Les tournages de nuitn'étaient vraiment pas évidents à réaliser, mais celaa été une expérience intéressante”, ajoute-t-il. La pre-mière sortie du groupe a eu lieu le 29 juin. Le 16 juil-let, il a couvert la grande manifestation qui a rassem-blé près de 100 000 personnes et le 29 juillet, il étaitprésent pour la manifestation autour du Parlement.Avec ses compagnons, il a le désir de poursuivre cetravail aussi longtemps que possible.WATAI Takeharu reconnaît que la gestion des pro-

TÉMOIGNAGE Watai Takeharu etle refus de l’immobilismeAvec l’écrivain HIROSE Takashi, il participe àdes opérations pour relayer l’informationconcernant les manifestations anti-nucléaires.

blèmes de logistique n'a pas été évidente. “Tout s'estdécidé brusquement. Nous n'avions que 4 ou 5 jourspour nous préparer. Il a fallu louer un hélicoptère, maiscela n'a pas été facile d'en trouver un, équipé d'un gyrosystème pour prendre des images stables”, précise-t-il. Au début, il s'est inquiété de l'aspect financier duprojet dans la mesure où deux heures de tournagecoûtent environ 500 000 yens tout compris. Maisen définitive, l'argent s'est avéré être le moindre pro-blème. “HIROSE Takashi a ouvert un compte bancaireet envoyé des messages à ses amis et connaissances pourqu'ils fassent des donations. Nous espérions récolter500 000 yens, mais au bout d'une semaine, il y avait8 millions de yens provenant en grande partie de donsfaits par des personnes anonymes”, affirme-t-il.Quand on lui dit que le projet auquel il participes'apparente à “une bataille aérienne”, le caméramansourit. “Ça me semble un peu exagéré, mais il est vraiqu'il existe une profonde défiance de l'opinion publiqueà l'égard des grands médias. Il suffit de voir commentils essaient de censurer les militants anti-nucléaires.M. HIROSE, par exemple, est engagé sur cette questiondepuis des années. Je me souviens de l'avoir vu à la télé-vision quand j'étais enfant alors qu'aujourd'hui, il estinterdit de plateau par la plupart des chaînes de télé-vision”, souligne-t-il. WATAI Takeharu estime que les grands médias onttrahi la confiance de la population. “Avant même

Les premiers clichés réalisés par l’équipe de WATAI Takeharu le 29 juin 2012 à Tôkyô.

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Fukushima, ils ont été mis en cause à plusieurs reprises,mais leur façon biaisée de couvrir l'accident nucléaireet ses conséquences a provoqué la colère des gens, carc'est un sujet crucial qui concerne tout le monde quel'on soit jeune ou vieux. Ils voulaient savoir ce qui s'estvraiment passé, mais les médias n'ont jamais apportéde réponse satisfaisante et argumentée. Le Tôkyô Shim-bun est sans doute le seul quotidien important à avoircherché la vérité depuis le début de la crise. Bien sûr,nous sommes conscients du fait que les choses ne sontpas aussi simples qu'il y paraît. La NHK a ainsi étébeaucoup critiquée, mais elle a cependant diffuséquelques unes des meilleures émissions sur la question”,nuance le journaliste.En tant que membre de la profession, il partage lescraintes et les doutes de ses collègues à l'égard del'avenir de la profession. “Nous sommes conscients quebeaucoup de personnes nous haïssent”, reconnaît-il.“Quand je me suis rendu à Fukushima, les gens vou-laient savoir à quel média j'appartenais et si j'allaisvraiment montrer ce que j'avais vu. Ça complique notretravail parce qu'il est désormais difficile d'entrer encontact avec les gens pour les interroger. Les choses sontd'autant plus difficiles que le sujet traîté est complexe.Même les journalistes qui veulent présenter la situa-tion de façon équilibrée ont bien du mal dans la mesureoù même les experts ne parviennent pas à s'entendresur de nombreux aspects de l'énergie nucléaire. Il y adonc un fort sentiment d'insécurité et il est difficile,pour nous journalistes, de dire à l'opinion de faire atten-tion à ceci ou de ne pas s'inquiéter de cela”.Tepco, qui, par le passé, a eu une grande influence dansla façon dont les grands médias ont couvert le débatsur l'énergie nucléaire, a récemment été nationali-sée. La manifestation du 29 juin a été couverte parla plupart des grands journaux. WATAI Takeharu consi-dère cela comme un nouveau point de départ. “Cela

peut néanmoins s'avérer problématique, assure-t-il. Unbrusque changement dans la façon de couvrir la ques-tion pourrait laisser croire que les médias ont mentiau public pendant 18 mois. Lorsque, au cours des pro-chaines années, nous verrons une augmentation visibledu nombre de cas de cancer et de leucémie, les gens sesouviendront de tous les articles lénifiants du passé”.Voilà pourquoi il se montre modérément optimistesur l'avenir du journalisme au Japon. “Jusqu'à il y aencore 10 ou 20 ans, il était quasiment impossiblede diffuser des images ou des informations de façonindépendante. Aujourd'hui, beaucoup de gens dispo-

sent de connaissances technologiques pour se passer desprincipales chaînes de télévision. D'après moi, il y auraun nombre croissant de personnes qui feront la mêmechose que nous avons faite au cours des mois écoulés.Cependant, le journalisme citoyen n'est pas encore tota-lement implanté au Japon. De façon évidente, il y a euun regain d'activité dans ce domaine après Fukushimaet des sites Internet comme OurPlanet-TV ont certai-nement contribué à cet essor. Mais, en comparaisonavec ce qui se passe dans d'autres pays, ce mouvementest encore balbutiant”, conclut WATAI Takeharu.

GIANNI SIMONE

WATAI Takeharu se montre modérément optimiste sur l’avenir du journalisme au Japon.

Jusqu’aux manifestations du mois de juinautour de la résidence du Premier minis-tre qu’il n’a pas jugé bon de couvrir, leTôkyô Shimbun bénéficiait depuis plu-sieurs mois d’une réputation grandis-sante parmi les habitants de la capitale.Ses prises de position en faveur d’unesortie du nucléaire ne sont pas étran-gères à ce regain de popularité. Iln’était pas rare d’entendre dans labouche de Tokyoïtes que “le seul à direla vérité est le Tôkyô Shimbun”. Il faut direqu’à la différence de ses confrères, il atraité de façon exhaustive la plupart desrassemblements anti-nucléaires qui ontété organisés depuis le printemps de2011. Cela lui a valu de gagner de nou-veaux lecteurs au moment où les autres

journaux en perdaient. Toutefois, leTôkyô Shimbun reste un quotidien mo-deste. Sa diffusion ne dépasse par les550 000 exemplaires quand le YomiuriShimbun, le premier quotidien du pays,en vend 10 millions et que l’Asahi Shim-bun, le numéro deux, en écoule près de

8 millions. Propriété du groupe Chûni-chi Shimbun, principal quotidien de larégion de Nagoya, le Tôkyô Shimbun faitfigure d’un ovni dans le paysage de lapresse japonaise, ce qui lui permet unecertaine liberté de ton que les autresjournaux ne s’autorisent pas. On la retrouve en particulier dans la ru-brique Kochira tokuhôbu [Voici la sectionspéciale] dont la notoriété ne cesse decroître depuis 18 mois. Cette sectionspéciale n’est pourtant pas toute jeune.Elle a été créée en 1968 dans le but depublier des enquêtes et des sujets queles autres sections du journal ne pou-vaient pas couvrir pour des raisons d’en-combrement ou d’orientation édito-riale. Les événements liés à l’accident

de la centrale de Fukushima Dai-ichi luiont donné une nouvelle dimension,puisqu’elle est très vite devenue un es-pace où l’on analysait de façon critiquele travail des autres médias et où l’ons’interrogeait sur les bienfaits de l’éner-gie nucléaire. L’objectif principal est desuivre les mouvements de citoyens(shimin undô) afin d’être au plus prèsdes préoccupations de la populationafin de mieux les relayer. Composéed’une douzaine de journalistes dont lesdeux tiers sont sur le terrain, la sectionspéciale du Tôkyô Shimbun constitueune espèce d’avant-garde grâce à la-quelle le quotidien reste en contactavec la réalité ou presque…

O. N.

DTôkyô Shimbun, le petit journal qui monte, qui monte…

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ÉCRYPTAGE

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octobre 2012 numéro 24 ZOOM JAPON 9

ZOOM DOSSIER

Depuis plusieurs années, la diffusion des journauxbaisse au Japon. Comment expliquez-vous ce phéno-mène ?  OHNO Hirohito : Tout d’abord, d’autres moyens de s’in-former sont apparus notamment Internet. Par ailleurs,les jeunes, en particulier les étudiants, s’abonnent de moinsen moins à la presse écrite. Cela s’explique aussi par uneméfiance grandissante à l’égard des institutions établiesdont font partie les grands médias.

Cette méfiance est apparue avant ou après les évé-ments du 11 mars 2011, en particulier à ceux liés àl’accident de Fukushima Dai-ichi ?O. H. : C’est quelque chose qui a commencé bien avantle 11 mars, mais ce qui s’est passé après cette date a sansdoute renforcé ce sentiment de méfiance.

Parmi les arguments avancés pour justifier cetteméfiance, on a souvent évoqué la dépendance desgrands médias vis-à-vis des compagnies d’électricitécomme Tepco, en particulier sur le plan publicitaire.Que répondez-vous à cela ?O. H. : Comme d’autres journaux dans le monde, les quo-tidiens japonais vivent en partie de la publicité. Mais lescompagnies d’électricité ne sont pas les seules à utiliserce support pour communiquer. Aussi le fait de publierdes encarts publicitaires de Tepco, par exemple, ne signi-fie pas que nous sommes dépendants de cette entreprise.C’est un peu facile de faire ce raccourci. Quand j’étais jeune journaliste, j’ai fait mes premièresarmes dans la préfecture de Saga, région où est implan-tée une centrale nucléaire. A l’époque, il y avait un pro-jet pour construire d’autres réacteurs. J’ai écrit de nom-breux articles contre ce projet-là. L’Asahi Shimbun pu-bliait déjà les encarts des compagnies d’électricité, maisà aucun moment, mes articles n’ont été censurés par ladirection du journal. Je vous rappelle aussi qu’à ce mo-ment-là le journal n’était pas foncièrement opposé à l’éner-gie nucléaire comme on pouvait le lire dans certains édi-toriaux. Mais cela n’empêchait pas de publier ailleurs dansle journal des articles mettant en doute le nucléaire ouremettant encause certains projets comme je l’ai moi-même fait. Donc ces accusations de collusion entre lesjournaux et les compagnies d’électricité pour des raisonsde dépendance publicitaire ne tiennent pas. Je peux direque nous sommes libres d’écrire ce que nous voulons. Resteque de nombreux journalistes ont des hésitations à l’égardde l’attitude à adopter. C’est un fait. Mais cela n’a pas em-pêché notre journal de faire paraître en juillet 2011, en-viron quatre mois après l’accident de Fukushima, un grandéditorial dans lequel nous affirmions que le Japon devaitdésormais construire un avenir sans centrales nucléaires.

Cela prouve bien que nos positions ne sont aucunementliées aux contrats publicitaires.

Malgré tout, le doute subsiste notamment depuis quecertaines manifestations importantes de l’opinionpublique contre le nucléaire n’ont pas été couvertespar la presse, y compris votre journal.O. H. : C’est vrai que la première grande manifestationcontre le nucléaire qui s’est déroulée en septembre 2011a été très mal couverte par l’Asahi Shimbun. C’est un faitet c’est un problème. En effet, cette manifestation étaitd’une ampleur rare dans un pays où l’on manifeste peu.C’était un événement exceptionnel et notre journal n’apas su saisir son importance. Par ailleurs, l’Asahi Shim-bun n’a pas non plus consacré assez d’espace aux rassem-blements qui se sont déroulés par la suite. Mais ce n’estpas parce que nous soutenions les centrales nucléaires,je vous rappelle que nous avions déjà pris position pourun Japon sans énergie nucléaire. Nous avons échoué dansnotre couverture de ces événements parce que nous

n’avons pas compris toute la portée de ces manifestations.Non seulement elles concernaient le nucléaire, mais ellesmarquaient une contestation vis-à-vis de la démocratieindirecte, c’est-à-dire du fonctionnement de la démocra-tie dans notre pays. Comme dans d’autres pays démocra-tiques, la démocratie japonaise est malade et la questionnucléaire a mis en évidence sa faiblesse. D’un côté, la ma-jorité de la population se montre inquiète voire hostileà l’égard du nucléaire alors que les hommes politiques semontrent insensibles à ces craintes. Les manifestationsétaient donc à la fois dirigées contre la politique nucléaire,

DÉBAT Le temps de la remise en questionPour OHNO Hirohito, un des principauxresponsables de la rédaction de l’AsahiShimbun, la presse a un train de retard.

mais aussi contre la démocratie actuelle. C’est un élémenttrès important à souligner. Je crois que les grands médias,y compris l’Asahi Shimbun, n’ont pas su appréhender cetaspect des choses. Les journalistes en charge de la poli-tique dans les grands journaux estiment que la décisionpolitique incombe au pouvoir, aux hommes politiquesou députés élus, en d’autres termes aux institutions de ladémocratie indirecte. C’est la raison pour laquelle ils nepeuvent pas envisager que des manifestations puissentavoir une quelconque influence sur la décision politique.Ils ne se sont donc pas intéressés à ces grands rassemble-ments et les ont traités de manière si légère. C’est un vraiproblème.Le Français Pierre Ronsavallon utilise le terme de“contre-démocratie” pour évoquer la démocratie directequi s’exprime notamment au travers de ces grandes ma-nifestations. A mon sens, nous vivons actuellement lesdébuts de cette “contre-démocratie” au Japon. Mais lesjournalistes ont apparemment eu du mal à saisir ce phé-nomène.

Peut-on dire que les grands médias, y compris votrejournal, ont pris conscience de cette “contre-démo-cratie” ? Si oui, quelles sont les conséquences de cetteprise de conscience ?O. H. : Il y a effectivement eu une prise de conscience.Nous avons ainsi publié depuis la fin de l’année dernièreplusieurs séries d’articles sous le titre de Kaosu no shinen[Le gouffre du chaos]. Elle avait justement pour thèmele mauvais fonctionnement de la démocratie et surtoutde la démocratie indirecte. Nous nous sommes interro-gés sur le mauvais fonctionnement de la démocratie au

Ancien chef du bureau européen de l’Asahi Shimbun à Londres, OHNO Hirohito a aussi été en poste à Paris avant de

devenir le directeur éditorial du second quotidien japonais.

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10 ZOOM JAPON numéro 24 octobre 2012

ZOOM DOSSIER

temps de la mondialisation. Dans tous ces articles,nous avons mis en évidence l’importance de la démocra-tie directe en tant qu’élément complémentaire de la dé-mocratie indirecte. Nous avons également publié plu-sieurs éditoriaux qui ont souligné l’importance desmanifestations au Japon. Récemment, le gouvernement japonais dirigé par le Partidémocrate a utilisé plusieurs instruments de démocra-tie directe et participative pour déterminer la future po-litique énergétique du pays. C’est une première dans l’his-toire du pays. Jamais une équipe dirigeante ne s’était ap-puyée ainsi sur la démocratie directe pour un sujet de cetteimportance. Face à cette initiative, d’autres journaux dé-fendent la démocratie indirecte, estimant que la démo-cratie directe ne peut conduire qu’au populisme et au fa-natisme. A l’Asahi Shimbun, nous essayons plutôtd’évaluer les points positifs de la démocratie directe.

Parmi les outils de la démocratie directe que les mani-festants ont beaucoup utilisé pour relayer l’informa-tion, il y a les réseaux sociaux comme Twitter ou Face-book. Comment un journal comme le vôtre s’yadapte pour se rapprocher de cette fameuse démocra-tie directe ?O. H. : Comme je le disais, il y a une méfiance qui s’estinstallée à l’égard des institutions établies. Après l’acci-dent de Fukushima, ce qui a caractérisé les médias, c’estplutôt le discrédit que le crédit. Au même titre que lesdirigeants politiques, les grands médias ont été discré-dités. Beaucoup de gens se sont alors tournés vers Face-book ou Twitter pour trouver de l’information. Noussommes responsables de cette situation. Nous devonsdonc considérer sérieusement le changement d’atti-tude à l’égard des médias, c’est une évidence. Toutefois,je n’arrive pas encore à saisir parfaitement le rôle de cesnouveaux médias.Au niveau de l’Etat-nation, je crois qu’il est indispensa-ble qu’il y ait, à plusieurs niveaux de la société, ce que j’ap-pelle des références et que celles-ci soient partagées parle plus grand nombre. Dans le passé, les grands médiasfaisaient partie de ces références. Aujourd’hui, ils ont perduce statut, mais, dans le même temps, je ne suis pascertain que les nouveaux médias soient enmesure de prendre la place jadis occupée parla presse écrite et la télévision. Ce que les nou-veaux médias procurent aux lecteurs ce n’est pasune référence, mais plutôt une préférence.Ainsi sur Internet, on recherche uniquement lesinformations qui nous plaisent ou qui vontdans notre sens. Les gens qui sont opposés au nu-cléaire se retrouvent ainsi sur certains sites rejetantcette énergie tandis que les gens qui soutiennent leprincipe des centrales se rassemblent autour de sitesfavorables à l’atome. Le débat disparaît et les nouveauxmédias ne parviennent pas à se constituer comme unenouvelle référence pour la société actuelle. Face à cette tendance, les grands médias, commel’Asahi Shimbun, cherchent à accorder plus de placeau débat public. Dans notre journal, nous ouvrons da-

vantage nos pages aux contributions extérieures. Pourrécupérer la confiance des lecteurs, nous sommes prêtsà tous les efforts. Nous avons ainsi créé des pages danslesquelles nous expliquons pourquoi nous avons pu-blié tel ou tel éditorial et tel ou tel article. Nous pu-blions donc des articles sur la situation à l’intérieur dupays, mais aussi sur nous-mêmes parce que les médiasne sont pas seulement des observateurs. Ils sont des ac-teurs au sein de la société. Je ne sais pas si cela va por-ter ses fruits et nous permettre de retrouver laconfiance des lecteurs. C’est en tout cas quelquechose que nous devions mettre en place.

C’est donc une sorte de démocratie directe que vousmettez en place dans votre journal…O. H. : Oui. Le dialogue avec les lecteurs est important.Il existe depuis longtemps au sein du journal des pagesconsacrées au courrier des lecteurs. Mais nous souhai-tons leur donner plus de relief à l’avenir, car c’est un élé-ment fondamental pour rétablir la confiance avec eux.

Quels sont les autres grands défis qui attendent l’AsahiShimbun dans les mois à venir et comment vous vouspréparez à les affronter ?O. H. : Je pense qu’il faudrait que les journalistes, enparticulier ceux chargés de la politique, prennent unpeu de distance par rapport à la matière qu’ils traitent.Ils travaillent la plupart du temps en relation directeavec ce qui se passe à Nagata-chô (quartier de Tôkyôau cœur de la vie politique). Ils devraient pouvoir écriresur la politique sans forcément s’appuyer sur ce qui sedit ou se fait à Nagata-chô. Il faut aussi écrire sur cequi se passe aussi dans la rue. C’est aussi de la politique.Voilà un défi important que nous nous devons de re-lever. Jusqu’à présent, nous avons travaillé en nous fon-dant sur un découpage de l’information en grandes ca-tégories comme la politique, l’économie, les faits di-vers, l’international, etc. Or il apparaît de plus en plusclairement que les séparations entre ces catégories s’es-tompent de plus en plus. Les journalistes doivent doncregarder au-delà de leur petit monde qui n’a plus desens lorsqu’il est pris tout seul et relativiser leur façonde penser. Voilà ce qu’il faut faire…

Une tâche difficile ?O. H. : Oui, ça l’est, mais c’est indispensable. Si jeprends l’exemple des tensions actuelles entre le Japonet la Chine, je pense qu’il est complètement inutile depublier des articles qui ne s’intéressent qu’au point devue national. Il faut considérer le problème dans sa glo-balité et le relativiser.

Les grands médias doivent donc se réformer commel’ont fait d’autres secteurs du pays au cours des vingt

dernières années ?O. H. : Oui. D’ailleurs, au sein de notre jour-

nal, de plus en plus de voix ’élèvent pour le de-mander. Il y a, je crois, une prise de conscience

qui s’est opérée. Par rapport à la question deskisha club (club de la presse implanté au niveau

de chaque institution ou grande entreprise et ré-servé à des journalistes affiliés), l’Asahi Shimbun

soutient l’idée qu’il faut les ouvrir à tous les jour-nalistes. Mais les kisha club ne sont pas un obsta-

cle en soi. Nous avons d’ailleurs créé un nouveau ser-vice composé de journalistes qui n’appartiennent à

aucun des kisha club. Nous publions de plus en plusd’enquêtes indépendantes de l’information obtenue

dans ces kisha club. C’est une évolution importante etindicative du chemin que nous devons emprunter pourréussir notre transformation.

PROPOS RECUEILLIS PAR O. N.

La rédaction de l’Asahi Shimbun compte quelque

2200 journalistes.

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A gauche, le premier numéro de l’Asahi Shimbun paru le

25 janvier 1879. A droite, l’édition du 26 septembre 2012.

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octobre2012_8***_zoom_japon 27/09/12 14:15 Page11

ZOOM CULTURE

H UMEUR par KOGA Ritsuko

Depuis mon enfance, je rêvais de me promener surles pavés éclairés par des lampadaires comme on levoit dans beaucoup de films français. Mon destinm'emmena à Paris en 1989. Il était très tôt le matin,par le hublot je regardais depuis le ciel la ville de Paris.Je me souviens qu'à ce moment-là, je m'étais écriéeintérieurement : “Mes ailes ! Voilà les lumières deParis !”, en me souvenant de la traduction japonaisedu film L'Odyssée de Charles Lindbergh. Arrivée en ville,j’ai découvert ces lampadaires parisiens dont je rêvaiset qui éclairaient l'aube urbain d'une lueur jaunecomme s'ils essayaient de ne pas déranger les habi-tants. Quel contraste lorsqu'on connaît Tôkyô où lesenseignes diffusent 24h sur 24hde violentes lumières blanches.Tout en étant consciente quec’est peut-être à cause de leursfactures d’électricité et pas force-ment pour protéger la planète,j'ai l'impression que beaucoup deFrançais sont très attentifs auxlumières à leur domicile. Leurséclairages sont réglés au minimum et ils ne les laissentjamais allumés inutilement. Je trouve ça admirable.Pourtant il m'arrive souvent d'oublier de les éteindrecar ils sont tellement faibles que je ne les vois plus allu-més au bout d'un certain temps. “Tu n'as pas éteint lalumière ! On paye pour rien !” Je n’échappe guère àce genre de remarques. C’est vrai, mais je suis certaineque les Français ont un attachement particulier àl’égard de la lumière électrique. Et de plus dans ce paysoù l'assistance électronique est rare, on installe desminuteries dans les escaliers. D'ailleurs, cela surprendbeaucoup les touristes japonais qui ne s'attendent pasà rencontrer ce système dès le 2ème étage.Grâce à ces économies d’électricité, mes yeux se sonthabitués à une luminosité plus faible et lorsque je suisretournée au Japon l'été dernier, je n'ai pas été cho-quée par les économies d'énergie liées à l'arrêt descentrales nucléaires. Tôkyô que les Japonais trouvaientsombre était à mes yeux encore bien éclairé. Je medemande si Tôkyô ressemblera à Paris en 2030 dupoint de vue de sa luminosité.

Voilà les lumières de Paris !

MUSIQUE TristesseContemporaineImaginez un trio répondant au nom de

Tristesse Contemporaine et qui n’est autre

que le nom d’un essai d’Hippolyte Fierens

Gevaert sur les grands courants moraux et

intellectuels du XIXe siècle. Imaginez

ensuite que les influences revendiquées

par cet étrange trio se retrouvent dans la

musique des

Talking Heads,

Yound Marble

Giant ou

encore des

Cure. Cela

laisse ainsi

augurer des

ambiances

emplies de

torpeur, de

vague à l’âme,

mais avant

tout d’originalité. Il s’agit du groupe

Tristesse Contemporaine, trio anglo-

norvégo-japonais. Sa particularité réside

également dans l’esprit et la manière qui

l’ont façonné. L’amitié fut le

dénominateur commun qui rassembla Léo

Hellden norvégien et ex-guitariste de Jay

Jay Johanson, Maik, londonien d’origine

jamaïcaine et enfin, Narumi la pianiste,

originaire de Tôkyô. Après un premier

“girl band” punk au Japon, elle décida de

s’installer en France, participa à différents

projets avant de fonder le trio en 2009.

Il se produira en octobre et novembre.

12/10 La Rodia à Besançon, 25/10 Festival

Ouest Park au Havre, 14/11 Festival Musiques

Volantes à Rennes, 30/11 Le Transbordeur à

Lyon et d’autres dates sur :

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CURIOSITÉ Pour le plaisirEn dépit de sa présentation un peu confuse

et une mise en page qui ne rend pas

toujours la lecture aisée, cet ouvrage de

110 pages est une

introduction originale

sur le pays du Soleil-

levant. Choisissant à la

fois d’aborder le pays

avec des thèmes

sérieux et des sujets

décalés, les deux

auteurs dressent un

portrait certes

incomplet, mais

sympathique du Japon.

La plus grande cuillère à riz du monde de

Sirisombath et Olivier Romac, Kotoji Editions, 9€

CINÉ-CLUB Un nouveaurendez-vous à VichyTandis que la troisième saison de Rendez-

vous avec le Japon démarre le 20 octobre

au cinéma La Pagode à Paris avec une

avant-première exceptionnelle (voir

p. 17), Zoom Japon a décidé de créer un

nouvel événement cinématographique.

Il aura lieu tous les deux mois au cinéma

Etoile Palace de Vichy. Sur le même

principe que celui de Paris, ce second

rendez-vous proposera des films suivis

d’un débat. La première séance aura lieu

le 9 octobre à 19h30 avec le film I Wish de

KORE-EDA Hirokazu. Une discussion aura

ensuite lieu avec Claude Leblanc, auteur

du Japon vu du train.

Centre commercial des quatre chemins

35 rue Lucas 03200 Vichy - Tél. : 04 70 30 18 90

12 ZOOM JAPON numéro 24 octobre 2012

DIALOGUE AVEC NAOMI KAWASE Mercredi 17 octobre à 20h00

Genpin.

RÉTROSPECTIVENaomi KawaSe

17.10 - 12.11.2012

Horaires + programme sur cinematheque.fr

La Cinémathèque française - Musée du cinéma 51, rue de Bercy – Paris 12e

Grands mécènes de La Cinémathèque française

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ZOOM CULTURE

Poursuivant le travail entamé avec son premierroman, Julie Otsuka évoque avec force lacondition des immigrés nippons en Amérique.

RÉFÉRENCECERTAINES N’AVAIENT JAMAIS VU LA MER de JulieOtsuka, trad. de l’anglais par Carine Chichereau,Phébus, coll. Littérature étrangère, 15 €.

S ur le bateau nous étions presque toutes vierges.Nous avions de longs cheveux noirs, de larges piedsplats et nous n’étions pas très grandes.” C’est par

ces mots que débute le nouveau roman de Julie Otsuka.La romancière américaine d’origine japonaise livre unsecond roman qui ressemble à une sorte de compterendu portant sur la vie de Japonaises qui, au début dusiècle dernier, avaient quitté l’archipel pour fuir la pau-vreté et se marier avec des compatriotes partis quelquesannées plus tôt pour faire fortune aux Etats-Unis. C’esten 1890 que l’immigration nippone vers l’Amériquedébute. Ils sont 148 candidats cette année-là. Vingt ansplus tard, ils seront plus de 150 000. Mais leur présencesuscite de nombreux problèmes. Voilà pourquoi, l’im-migration japonaise vers les Etats-Unis sera officielle-ment suspendue en 1924.Après son premier roman, Quand l’empereur était undieu, publié chez le même éditeur en 2004 qui abordaitla façon dont les ressortissants d’origine japonaise avaientété maltraités et enfermés dans des camps de concentra-tion pendant la Seconde Guerre mondiale, l’écrivainpoursuit sa quête sur ses racines. “Je me suis aussi fondéesur ce que je savais de l’histoire de ma propre famille. Mongrand-père, soupçonné d’être un espion à la solde du Japon,a été arrêté par le FBI le jour de l’attaque contre Pearl Har-bour [7 décembre 1941] et envoyé dans des camps dans leMontana, au Texas et au Nouveau Mexique. Ma mère,mon oncle ainsi que ma grand-mère ont été internés duranttrois années à Topaz, dans l’Utah. Ma famille a toujours

été très discrète sur ce qui s’est passé pendant la guerre etd’une certaine façon, l’écriture de ce roman m’a permis d’al-ler au-delà de ce silence”, nous avait-elle déclaré, en 2004,au moment de la sortie de sa première fiction “sérieuse”comme elle l’avait souligné. A l’instar de cette dernière,Certaines n’avaient jamais vu la mer a été un travail delongue haleine pour la jeune femme. “Il a fait lentementson chemin en moi”, explique-t-elle. Huit années pourlivrer un ouvrage de 140 pages qui prend le lecteur auxtripes. Pourtant, et c’est là la grande force de ce récit,l’écrivain ne tombe pas dans le pathos, optant pour unstyle épuré et une distance avec le sujet qui lui permetd’éviter d’employer un vocabulaire destiné à émouvoirle lecteur. Cela n’empêche pas l’émotion d’être présente,bien au contraire. A la manière de ces objets en céramique qui donnentl’impression d’être bruts et qui suscitent néanmoins uneimpression de beauté, le second roman de Julie Otsukane laisse pas indifférent. Dans son premier roman, elleavait déjà entamé ce travail stylistique visant à dépouil-ler le plus possible son texte de toute sensiblerie de façonà laisser au lecteur la liberté de s’approprier les per-sonnages dont la plupart n’avait pas de noms. Avec Cer-

taines n’avaient jamais vu la mer, elle ne nomme aucunedes femmes dont elle raconte le destin sur cette terreétrangère qui leur réserve de mauvaises surprises. La dif-férence fondamentale, cette fois, c’est l’omniprésencedu “nous”. “Nous ne parlions guère. Mangions peu. Nousétions douces. Nous étions bonnes. Nous ne causions jamaisde problème et les laissions faire de nous ce qu’elles vou-laient. Nous ne les embêtions pas avec nos questions. Nousne répondions ni ne nous plaignions jamais. La plupartd’entre nous étaient des filles simples de la campagnequi ne parlaient pas anglais et par conséquent en Amé-rique, nous le savions, nous n’avions pas d’autre choix quede récurer les éviers et frotter les parquets”. Ces quelquesphrases résument bien l’esprit du roman qui interpellele lecteur au plus profond de sa conscience. Il ne peutpas rester insensible devant ce rapport circonstancié surla vie de ces individus qui apparaissent un beau jourdans son quotidien et auxquels il accorde peu d’intérêtsinon un certain dédain. En définitive ces Japonaisesauraient bien pu être les Sénégalaises, les Roms ou lesTunisiennes qui nous entourent sans que nous y fas-sions attention. Et puis, un jour, elles disparaissentcomme les Japonais qui sont partis du jour au lende-main en 1942. “Les Japonais ont disparu de notre ville.Leurs maisons sont vides, murées. Leurs boîtes aux let-tres débordent. Tout ce que nous savons c’est que les Japo-nais sont là-bas quelque part, dans tel ou tel lieu, et quenous ne les reverrons sans doute jamais plus en ce basmonde”. Avec son dernier chapitre, Julie Otsuka bou-cle la boucle et nous ramène au début de Quand l’em-pereur était un dieu et du premier chapitre intitulé Ordred’évacuation n°19. La romancière a ainsi remonté letemps tout en soulignant de façon simple que la ques-tion de l’immigration n’a guère évolué depuis plus d’unsiècle dans nos sociétés. Mais elle ne donne aucuneleçon, laissant au lecteur le soin de tirer lui-même lesenseignements de son attitude vis-à-vis de l’étranger.

ODAIRA NAMIHEI

LITTÉRATURE La mémoire de nos mères

octobre 2012 numéro 24 ZOOM JAPON 13

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ZOOM CULTURE

E ntièrement auto-produit, Saudade commencedans une langueur toute brésilienne et nousentraîne peu à peu dans l’univers fermé des

immigrés sur fond de hip-hop et de bruits de mar-teaux piqueurs. Le nouveau film de TOMITA Katsuyaau titre plein de mélancolie a été présenté dans plu-sieurs festivals européens. Le long de la Nationale20, qui relie Tôkyô à la préfecture de Yamanashi, lespersonnages, aussi réels dans la vie qu’à l’écran, évo-luent dans une ville de campagne transformée encentre commercial où leurs seules alternatives de tra-vail sont les chantiers, les bars à hôtesses et lepachinko [jeu électronique qui consiste à faire glis-ser des billes de fer]. A travers le destin d’Amano, unjeune rappeur qui remplit des sacs de sable et tournesa frustration contre les immigrés, on découvre la viedes nikkei, les Nippo-Brésiliens, descendants de Japo-nais de la troisième génération. Dans le huis-clos d’une ville fantôme aux rideaux defer toujours descendus, il y a aussi les filles thaïsembauchées dans des “pubs” pour concurrencer lesbars à hôtesses made in Japan. En abordant le thèmede l’immigration féminine, TOMITA nous fait péné-trer dans le monde flottant du mizu shôbai ou “com-merce de l’eau”. Il fait ainsi un pied de nez à l’universglauque du business de la spiritualité à travers un tra-fic d’eau de source qui “désintoxique” . Pris au piègedans les zones grises d’un système où ils resteronttoujours des marginaux, les personnages vont se croi-ser sans jamais vraiment se comprendre. De la nos-talgie du pays natal à la haine de l’étranger, Saudadese savoure comme un bon morceau de hip-hop, “uncocktail où se mêlent le sang, les larmes et la sueur”.

ALISSA DESCOTES-TOYOSAKI

RENCONTRE Tomita appuie là où ça fait malAu Japon, la situation du cinéma indépendant est-elle vraiment critique ? T. K. : Oui, c’est de pire en pire. Contrairement à laFrance, il n’existe pas de subventions pour les auteursindépendants et les artistes en général. AIZAWA Toranosuke : En fait, on vous aide seule-ment si vous êtes connus !  Cela nous a obligé à nousautofinancer et cela a été très difficle.  T. K. : Mais grâce à la présentation du film à l’étran-ger, nous avons été vraiment récompensés de nos ef-forts. Je pense que les artistes doivent utiliser tous lesmoyens qu’ils ont pour se faire connaître, sans rien at-tendre de personne.  

Pouvez-vous nous parler de l’histoire des Nikkei,les Nippo-Brésiliens ? A. T. : L’émigration des Japonais au Brésil a commencéil y a environ 100 ans, sous la restauration de Meiji.A l’époque, le Japon était pauvre et c’est avec la béné-diction du gouvernement qu’environ 800 japonais sontpartis. En fait, ils se sont devoués pour la patrie et sesont exilés dans l’espoir de revenir un jour au Japon.A l’époque, le Brésil était très prospère. Ils se sont im-plantés dans la région de São Paulo et ont travaillé dansles plantations de café. Petit à petit, ils se sont mis aleur compte, ont acheté des terres et fondé des familles.Ensuite, la donne a changé et le Brésil est entré en ré-cession. Dans les années 1990, le Japon de la bulle éco-nomique avait besoin de main-d’œuvre jeune. Les Nik-kei de troisième génération ont pu revenir au Japongrâce à un visa spécial, mais ils ont été ostracisés parune société qui avait oublié l’histoire et les a traîtécomme des opportunistes.

Dans Saudade, il y a le cas de cette jeune fille nippo-thaï qui est confrontée au choix de sa nationalité,le Japon ne reconnaissant pas la double nationa-lité…

A l’occasion de la sortie attendue du filmSaudade, TOMITA Katsuya et le scénaristeAIZAWA Toranosuke racontent leur Japon.

Saudade se déroule dans votre ville natale de Yama-nashi, est-ce-qu’elle est particulière au Japon ?  TOMITA Katsuya : Non, l’histoire aurait pu se pas-ser dans n’importe quelle autre petite ville. Le décory est le même, l’histoire aussi. La vie sociale des cam-pagnes s’est organisée autour de la voiture il y a long-

temps, mais depuisle milieu des an-nées 90, avec lapression des Etats-Unis et la globali-saton, certaines loisqui jadis empê-chaient laconstruction tousazimuts ont étéabrogées. Cela aentraîné un chan-gement radicaldans le paysage ru-

ral. Les grands centres commerciaux le long desroutes se sont developpés et les quartiers autour desgares, jadis pleins de vie, se sont transformés en espacesfantômes.

Vos acteurs interprètent presque tous leur proprequotidien et vivent dans cette ville, vous vousconnaissiez tous avant le film ? T. K. : Oui, les deux personnages de Seiji et Bing sontde vieux camarades de classe. Ils continuent à travaillerdans les chantiers. Le rappeur Dengaryû qui joueAmano est aussi un “freeter”, un travailleur à temps par-tiel, tout comme AIZAWA ! Moi-même, je voulais deve-nir musicien de punk rock, mais ça n’a pas marché. Ducoup, je suis devenu camionneur. D’ailleurs je continuaisà exercer ce métier pendant le tournage de mon film,jusqu’au jour où on m’a temporairement retiré le permis.J’étais trop fatigué et je me suis fait flasher par un radar. ▶

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ZOOM CULTURE

T. K. : Non, les descendants de Japonais doiventchoisir à partir de 22 ans, ce qui les contraint à aban-donner une de leur nationalité. Le Japon est un paysinsulaire très puriste. On est Japonais ou on ne l’estpas ! Je trouve que cette manière de penser est arrié-rée et complètement puérile. Pour les non-descendantsde Japonais, c’est encore pire et très peu de gens peu-vent obtenir un visa de travail. A. T. : Oui c’est très hypocrite. Les Chinois par exem-ple n’entrent pas au Japon comme travailleurs, maiscomme “stagiaires”. Les nikkei entrent comme “des-cendants de Japonais” etc. Mais tout le monde sait quele Japon les accueille seulement parce qu’il a besoinde main-d’œuvre.

Y a-t-il beaucoup de filles originaires d’Asie du Sud-Est qui immigrent au Japon ?T. K. : Oui, il y a d’abord eu le boom philippin dansles années 1980. C’était essentiellement des filles quipouvaient entrer avec un visa “danseur-artiste”.Comme pour les nikkei, on s’est attaché à donner uneappellation neutre voire flatteuse au visa même si l’onsavait que ces filles étaient embauchées dans les barsd’hôtesses ou qu’elles finissaient dans des réseaux deprostitution. Après, il y a eu le boom des Thaïs dansles années 1990. A cette époque, la femme japonaiseoccupait une place plus grande dans la société et semontrait de plus en plus indépendante. Beaucoupd’hommes se sont alors tournés vers les filles d’Asie duSud-Est plus fragiles en apparence et plus expressivessur le plan des sentiments.

Vous évoquez aussi le pachinko dans votre film.Est-ce que ce jeu constitue un phénomène socialinquiétant à vos yeux ?T. K. : Les salles de pachinko sont implantées partout.Officiellement, elles offrent aux gagnants que des lotscomme des paquets de cigarettes, car les jeux d’argentsont interdits au Japon. Mais les habitués savent queles lots peuvent être échangés contre de l’argent dansdes boutiques annexes. Il existe donc une espèce dezone grise. A la base, le pachinko n’était qu’un jeu de

chaleur dans des voitures pendant que leur mère pas-sait la journée dans les salles de pachinko.

Le film se termine dans la violence, est-ce le refletde la société japonaise? Qu’aurait-il fallu pour ame-ner une fin différente?T. K. : La fin est inspirée d’un fait divers qui s’est dé-roulé dans la préfecture de Kanagawa [au sud de Tô-

hasard auquel les enfants pouvaient jouer et gagnerdes chocolats ou des jouets. Mais le problème se posequand le jeu devient une addiction. Le matin, des gensattendent devant l’entrée comme s’ils pointaient aubureau. Ce sont surtout des femmes au foyer qui sontdevenues des pros du pachinko. Elles sont tellementprises par le jeu qu’elles oublient tout. Il y a eu desdrames terribles, où des jeunes enfants sont morts de

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Dans vos chansons, vous abordezles thèmes du pouvoir, lamécanisation de la société. Quepensez-vous par exemple del’immigration ? TAMURA Takashi alias Dengaryû :Avant Saudade, je ne connaissaismême pas de Nikkei. Même dans lespetites villes comme Kôfu, je n’ai paseu l’occasion d’en rencontrer. C’estça la réalité des immigrés au Japon :on ne se mélange pas. On a com-mencé à sympathiser avec Dennis etles autres Nikkeimais ils sont tous re-partis chercher du travail au Brésil ouautre part au Japon. Même la Thaïest repartie. La réalité dépasse la fic-tion !

Vous avez composé une chansonqui s’intitule Route nationale 20comme dans le film de TOMITA. Est-ce un hasard ?T. T. : Oui. On s’est apercu qu’onavait pas mal de points communs.Cette route qui est devenue le pas-sage obligé des gens de la région estle symbole pour nous de la “fast-foo-disation” de la société. L’uniformisa-tion des prix et des lieux a entraînéla destruction de l’économie locale.

Lors de votre dernier concert àTôkyô, vous avez projeté des

vidéos prises lors des manifesta-tions antinucléaires organiséesdevant la résidence du Premierministre. Y avez-vous participé ?T. T. : Non, notre forme de partici-pation est plus artistique. Je penseque c’est bien de faire de l’actiondirecte, mais je crois que ça ne vapas durer. Les manifs ont atteint unpic de 300 000 personnes, ce n’étaitpas arrivé depuis 40 ans. Les orga-nisateurs essaient de faire ça sur ladurée. Mais les gens se lassent etoublient vite. On peut néanmoins

continuer à agir au niveau individuel,en parlant à ses enfants et autour desoi. Je pense que c’est là où se situela force des Japonais. Ils ont uneforce d’endurance hors du commun,et beaucoup de sang-froid. A l’étran-ger, on pense peut-être qu’on estpeu réactif après un accident pareil,mais franchement, je ne souhaitepas voir les Japonais trop s’énerver !Car si tout le peuple japonais se meten colère, ça risque de tourner aufilm d’horreur !

PROPOS RECUEILLIS PAR A. D.-T.

Dengaryû, plus vrai que nature

I NTERVIEW

TAMURA qui interprète Amano est dans le film comme dans la vie, Dengaryû,rappeur à la verve amère. Ici en concert avec son collectif Stillichimiya.

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NOS VŒUX SECRETS

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kyô]. C’est un cas isolé de violence ethnique, mais quipeut tout à fait se reproduire au Japon. Dans ce sens,Saudade est une fiction basée sur la réalité. Le film aaussi pour ambition d’apporter une vision future duJapon. Dans le film, le personnage d’Amano tombepeu a peu dans un délire de persécution à cause de sasituation de renégat et l’absence de communicationavec ceux qu’il croit être ses ennemis. Si par exemple,le groupe de rap d’Amano et celui de Dennis le Nippo-Brésilien s’étaient produits sur la même scène, je penseque le dénouement aurait été bien différent.

Quelle image avez-vous de l’immigration enFrance ?T. K. : Je garde l’image de Zidane qui donne un coupde tête en pleine finale de la Coupe du monde de foot-ball en 2006 à un joueur qui l’avait provoqué. Peut-être que cela n’avait pas de rapport direct avec son iden-tité algérienne, mais pour nous les Japonais, cet inci-dent nous a beaucoup impressionnés. Pour ma part,j’ai ressenti la profondeur d’un problème lié à la condi-tion des immigrés en France. Ici au Japon, on parle ence moment des îles de Takeshima et de Senkaku quisont revendiquées respectivement par la Corée du sudet la Chine. Il n’est pas du tout impossible que cesconflits territoriaux se transforment un jour en des pro-blèmes ethniques. 

Le film a été tourné avant la catastrophe nucléairede Fukushima, vous étiez au Japon à ce moment-là ? T. K. : Oui, nous sommes partis à Fukushima presquetout de suite. Il fallait qu’on se rende compte de la si-tuation par nous-mêmes. La zone interdite des 20 ki-lomètres était encore accessible et cela a été unénorme choc. On était très en colère. En plus, les mé-dias préféraient envoyer des pigistes ou faire des inter-views par téléphone plutôt que d’envoyer leurs jour-nalistes sur place, tout en soutenant que la populationde Fukushima ne risquait rien. Je me demande toujoursqu’est-ce que je fous encore au Japon ! (rires)

PROPOS RECUEILLIS PAR A D.-T.

W AKAMATSU Kôji, l’enfant terrible ducinéma japonais, nous expliquait aumoment de la sortie de son docu-fiction

United Red Army (Jitsuroku Rengo Sekigun: Asama sansoe no michi, 2008) qu’il était de plus en plus difficile deproduire des films de qualité et que pour parvenir à fil-mer ce qu’il lui plaisait, il en était arrivé à hypothéquerses biens. TOMITA Katsuya a quant à lui été obligé defaire des petits boulots pour financer Saudade, l’une dessorties les plus intéressantes de cet automne 2012 etl’une des productions nippones les plus fortes de ces der-nières années. Tourné en HD, ce film de plus de deuxheures est un voyage au cœur d’un Japon comme on nel’imagine guère en Europe où l’on a tendance à imagi-ner la société nippone sans aucune aspérité. Le Japonde TOMITA, c’est un univers urbain qui se déshumaniseà vitesse grand V, donnant naissance à un mal-être quis’exprime dans la musique, le rejet de l’autre et la vio-lence. On est donc bien loin de l’époque où la quasi tota-lité des Japonais estimaient appartenir à la classemoyenne. On découvre que la précarité est devenue unenorme et que les “étrangers”, en l’occurence des descen-dants de Japonais arrivés massivement dans les années1980 pour travailler dans les usines automobiles, n’ont

plus leur place. Pour interpréter les personnages de sonhistoire, TOMITA a fait appel à des comédiens dont lejeu accentue encore davantage le caractère presque docu-mentaire de cette fiction. A la différence du cinéma indé-pendant des années 1960-1970 qui avait tendance àdéformer la réalité, celui de TOMITA Katsuya cherche àla mettre en valeur qu’elle soit belle ou moche. Une sortede cinéma vérité dans lequel on sent toute la hargne d’uncinéaste talentueux et prêt à prendre des risques. C’estdonc une chance pour le public français de pouvoirvisionner ce film à compter du 31 octobre dans les sallesde l’Hexagone. Pour ceux qui souhaitent le voir en avant-première, deux possibilités s’offrent à eux : le 11 octo-bre à la Maison de la culture du Japon à Paris (19 h 30)ou le 20 octobre à La Pagode (10 h) dans le cadre duciné-club de Zoom Japon. O. N.

SORTIE Une fiction bien réelle Distribué dans les salles françaises à compterdu 31 octobre, Saudadeest un film qui exploreune face méconnue de la société nippone.

ÉVÉNEMENT Avant-première à La PagodePour débuter la troisième saison de son ciné-club Rendez-vous avec le Japon au cinéma La

Pagode, à Paris, Zoom Japon a le plaisir de vous annoncer que Saudade sera projeté en avant-

première le 20 octobre à 10 h en présence de son réalisateur TOMITA Katsuya qui viendra

présenter son film. Ne manquez pas cette occasion exceptionnelle de rencontrer l’un des

réalisateurs les plus prometteurs du cinéma japonais. Il est recommandé de réserver.

Cinéma La Pagode 57 bis rue de Babylone 75007 Paris - Réservations : 01 46 34 82 51

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Film

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octobre 2012 numéro 24 ZOOM JAPON 17

nouvelle dimension au récit que le mangaka aidé de NA-GASAKI Takashi nous a concocté.Dans un autre registre, mais tout aussi haletant, Prophecy,le manga de TSUTSUI Tetsuya édité chez l’excellent Ki-

oon. Abordant le thème de l’in-justice sociale, thématique par-ticulièrement forte dans le Japon

actuel, l’auteurnous entraînedans un jeu decache-cacheentre la police chargée de la lutte

contre la cybercriminalité et un mystérieux personnagequi utilise Internet pour annoncer des crimes horribles.Dès la lecture du premier tome sorti fin juin, on est prispar le style de TSUTSUI qui nous avait déjà offert un pe-tit bijou avec Reset publié en 2006 chez le même éditeur.ARAI Hideki est aussi un habitué des sujets en prise avecl’actualité. En témoigne Ki-itchi VS, sa nouvelle série danslaquelle il remet sur le devant de la scène son personnage

ZOOM CULTURE

Z oom Japon ne parle pas assez de manga. Ce re-proche, certains d’entre vousnous l’adressent

de temps en temps. Il est vraique nous ne consacrons pasbeaucoup de pages à l’actua-lité de la bande dessinée nip-pone, même si nous publionsrégulièrement des dossiers ori-ginaux consacrés à cette théma-tique. Reste quenous apprécionsbeaucoup cetteforme d’expression etque nous souhaitonspartager avec vous noscoups de cœur en cetterentrée 2012. Parmi les titres qui ontretenu notre attention,il y a d’abord la sérieBilly Bat de URASAWA

Naoki dont le premiertome est paru au prin-temps dernier chez PikaEdition. Cette histoire bienficelée nous entraîne dansla quête d’un dessinateur nippo-américain qui part auJapon sur les traces du personnage de chauve-souris qu’ila imaginé, mais qui existe sous la plume d’un dessinateurjaponais. Comme il avait su bien le faire avec 20th Cen-tury Boys, URASAWA joue parfaitement avec l’histoire duJapon, en y ajoutant quelques gouttes de fantastique. Lequatrième tome, qui est sorti mi-septembre, donne une

Que vous vous intéressiez ou non à la bandedessinée, voici une sélection des ouvrages lesplus intéressants du moment.

MANGA Les perles de la rentréefétiche Ki-itchi, pourfendeur des inégalités et de la cor-ruption au sein des classes dirigeantes. L’adolescent quel’on avait quitté dans la première série intitulée simple-ment Ki-itchi a grandi. Mais il reste attaché à certaines

valeurs que le Japon sembleavoir oublié. Publiée depuisle printemps chez Delcourt,elle constitue une valeursûre pour les amateurs d’his-toires réalistes.Paru au début de l’année,Les Enfants de la mer deIGARASHI Daisuke est sansdoute l’une des plus belles sor-ties de 2012 comme leconfirme le tome 2 publiéfin août. Ce récit oniriquenous entraîne dans les profon-deurs de l’océan et dans desunivers merveilleux dont onne se lasse pas. Edité chez Sar-bacane qui lui a réservé une

présentation soignée, ce manga se savoure ets’apprécie comme une œuvre d’art grâce à laqualité du trait. Une œuvre qui devraitconquérir le cœur de ceux qui considèrent en-core le manga comme un mode d’expressionde médiocre qualité.Enfin, on ne peut pas rester indifférent au tra-vail de FURUYA Usamaru, auteur de Palepoli

chez Imho. On ne parle plus de série au scénario com-plexe, mais d’un essai dans le sens artistique du terme. C’estun régal de voir l’imagination et le talent avec lesquelsl’auteur de Litchi Hikari Club explore le monde qui nousentoure, en utilisant différents registres graphiques.Un chef-d’œuvre que tout amateur de manga digne dece nom se doit de posséder dans sa bibliothèque.

GABRIEL BERNARD

18 ZOOM JAPON numéro 24 octobre 2012

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dans une atmosphère plutôt joyeuse. Pour rendre encore plusaccessible cette œuvre, les organisateurs ont invité les mu-siciens de la formation TrioInvite à accompagner en directle déroulement de ce film muet. Bien sûr, on ne peut pasimaginer de consacrer une partie de la programmation auJapon sans présenter quelques-uns des films d’animation lesplus représentatifs du talent made in Japan. L’incontour-nable MIYAZAKI Hayao bénéficie, c’est naturel, d’un hom-mage particulier. Non seulement ses réalisations plaisent auxplus jeunes, mais elles sont aussi appréciées par les parentsqui sont sensibles aux thématiques humanistes et écologiquesqu’il y aborde. Découvrir ou redécouvrir pour certains MonVoisin Totoro (Tonari no Totoro, 1988) sur grand écran auMK2 Quai de Seine le 1er novembre à 14 h 15 devrait mo-biliser les foules. D’autant plus que la séance sera précédéed’une démonstration de tambour japonais et de danse tra-ditionnelle. Les autres maîtres de l’animation japonaise nesont pas oubliés pour autant. TAKAHATA Isao, KON Sato-

ZOOM CULTURE

C ela fait déjà pratiquement un mois que l’écolea repris. A la fin du mois, les premières vacancesde l’année scolaire 2012-2013 seront là. Pour

beaucoup de parents, c’est souvent un casse-tête de trou-ver une activité, notamment quand il s’agit des plus jeunes.Aussi peut-on saluer l’initiative de la Ville de Paris quipropose du 31 octobre au 6 novembre la huitième édi-tion de Mon Premier festival dédié au jeune public à par-tir de deux ans. Cette opération cinématographique estintéressante à bien des égards. D’une part, elle met à laportée des plus jeunes un accès au cinéma grâce à une ap-proche ludique et pédagogique du 7ème Art. D’autre part,pour son rendez-vous de 2012, Mon Premier festival ac-corde une place importante à la production japonaise cequi est loin de nous déplaire. Les responsables de l’opération auraient pu se conten-ter de programmer quelques films d’animation, maisc’était oublier une de ses missions principales quiconsiste à proposer au public une ouverture sur le cinéma.

Le pari est osé, pourrontdire certains esprits cha-grins. Reste que les pro-grammateurs ont res-pecté ce cahier descharges, en assurant laprojection de Gosses deTôkyô (Umarete wamita keredo, 1932) deOZU Yasujirô au Stu-dio des Ursulines, le3 novembre à 16 h15.Ce film, dans lequel

deux frères entament une grève de lafaim pour protester contre l’attitude de leur père, se déroule

Dans le cadre de son rendez-vous annuel,Mon Premier festival met à l’honneur lecinéma japonais avec quelques petits bijoux.

ÉVÉNEMENT Le festival à ne pas manquer

shi, HARAKeiichi ou encore HOSODAMamoru seront aussià l’honneur avec certains de leurs meilleurs films. Enfin, cerises sur le gâteau, Mon Premier Festival va proje-ter des œuvres inédites signées YAMAMURAKôji et OKIURA

Hiroyuki. Le premier est d’ailleurs l’invité d’honneur de cetteprogrammation Spécial Japon. Il sera présent les 5 et 6 no-vembre au Studio des Ursulines pour la projection de La Boîteà malice à 10 h30 et au Chaplin Denfert pour Micro-his-toires à 10h15. A letter to Momo(Momo he no tegami,2012),magnifique réalisation de OKIURA, est à découvrir le 31 oc-tobre à 10 h au Cinéma des cinéastes et le 3 novembre à14 h 15 au Studio des Ursulines. Vivement les vacances !

O. N.

INFORMATIONS PRATIQUESMON PREMIER FESTIVAL du 31 octobre au6 novembre 2012. Tarif unique : 4 € la séance.Programmation sur www.monpremierfestival.org

Avec A letter to Momo, film inédit en France, OKIURA Hiroyuki va régaler les amateurs de belles histoires.

20 ZOOM JAPON numéro 24 octobre 2012

octobre2012_8***_zoom_japon 27/09/12 14:19 Page20

ZOOM NIHONGO

PIPO AU JAPON

P as facile de dessiner les choses en mouvement,surtout lorsque ce mouvement emporte ledessinateur même qui ne parvient pas à poser

son regard. Apprendre le japonais au Japon, c'est êtrede cette façon confronté à une masse en perpétuelleagitation qui vit sa langue. Le confort carcéral de lasalle de classe n'est plus de mise, avec cet enseigne-ment dont l'académisme impose par exemple den'aborder que très rarement les particularités régio-nales du japonais. Changez de classe, de professeurou même d'école, l'enseignement que vous recevrezsera toujours celui du japonais dit standard (hyôjungo)que l'on parle dans le Kantô, la région de Tôkyô. AuJapon, déplacez-vous, changez de ville, de région, vousverrez à quel point le pays peut compter de dialectes.Fiertés locales, richesse nationale, les langues régio-nales japonaises sont toujours une surprise pour levisiteur. De nombreuses provinces ont leur parler :Osaka, Kyôto, Nagoya, Fukui, Miyagi… Tous ces dia-lectes se distinguent du japonais standard princi-palement par des terminaisons et intonations par-ticulières. Le mot hana (fleur), par exemple, seprononce à Tôkyô en montant sur la deuxième syl-labe, alors qu'il faut descendre lorsque l'on est à Kyôtoou Osaka. (Cela se corse quand on sait que "nez" seprononce également hana, mais si l'oreille du néo-phyte ne suit pas, le contexte est toujours salutaire.) La surprise, c'est aussi de s'apercevoir que les syllabesde fin de phrase, comme ne ou yo, dont on a pour-tant mis un certain temps à intégrer le fonctionne-ment car sans véritable équivalent en français, onttoute une flopée de cousines dans de nombreuses

LANGUE Le japonais à lamode de chez nous

provinces, comme à Nagoya où ga ya vient réguliè-rement agrémenter les conversations :

すごい風かぜが吹

ふいとるがや。

Sugoi kaze ga fuitoru ga ya.Il y a un vent pas possible !

Ces "customisations" régionales du langage ne se limi-tent bien sûr pas aux fins de phrase, et cumulées dansune même réplique, elles rendent parfois le proposbien difficile à comprendre. Ainsi dans la campagned'Okayama :

じゃけー言いうたじゃろ。

Ja kê iuta jaro.J'te l'avais bien dit.

Qui, en japonais standard, se dirait : だから言いった

でしょう。(dakara itta deshô)Si les Japonais sont généralement fiers de ce patrimoinelinguistique, on constate toutefois que les nouvellesgénérations, par l'influence de médias toujours sou-cieux d'élargir leur audience, ne pratiquent souvent plusleur langue régionale qu'accessoirement, mêlantquelques particularités bien typiques aux tournures dujaponais standard pour en faciliter la compréhension.

PIERRE FERRAGUT

On n’a jamais fait le tour d’une langue vivante,surtout si l’on s’aventure sur le terrain deslangues régionales. Pipo n’a pas fini...

PRATIQUELE MOT DU MOIS

方言ほうげん

(hôgen) dialecte, langue régionale

方言ほうげんには、標準語

ひょうじゅんごにない美

うつくしいひびきがあります。

Hôgen ni wa, hyôjungo ni nai utsukushii hibiki gaarimasu.Les langues régionales résonnent d'une beauté quen'a pas le japonais standard.

octobre 2012 numéro 24 ZOOM JAPON 21

Institut de Langue Japonaise de S3083833410:xaffa/☎ ( )serueh81à41edlieueccA arffrgns.www

angue Japonaise de [email protected]

“ La voix du coeur ”Yoshiko UNO Peintures30 octobre -10 novembre

“ Edge of Nougat ” Kitao HiroyoDanse contemporaine 9 et 10 octobre 20h30

Lieu : Les Voûtes, 19 rue des Frigo 75013 M°Bibliothèque François Mitterrand

Cuisine japonaise Samedi

Cérémonie du thé mardi et vendredi

Ikebana lundi et samedi

天理日仏文化協会

rencontre aussi des étudiants qui se délectent de la fraî-cheur des produits proposés à des prix très abordables.Le midi, on peut manger pour 20 € d’excellents sushi etsashimi. En ajoutant 5 €, c’est un menu complet qui s’of-fre à vous (hors-d’œuvre et soupe inclus). Gage de la qua-lité de cet établissement, la présence de nombreux Japo-nais qui viennent s’y restaurer régulièrement. Il s’y rendentégalement en fin d’année pour acheter l’osechi-ryôri, cettepréparation servie au moment du Nouvel an et qui segarde très bien plusieurs jours. C’est l’occasion pourles femmes japonaises de sortir de leur cuisine pour pro-fiter de la compagnie de leur famille. Cela constitue unenouvelle preuve que NAKAHARA Keiichi se pose commeun défenseur de la tradition culinaire japonaise. Cela nel’empêche pas de s’inquiéter pour l’avenir. Il a en effetbien du mal à trouver des cuisiniers et des aides-cuisi-niers dignes de ce nom. En attendant, il rêve de créer unchashitsu, une pièce réservée à la cérémonie du thé. Si cen’est pas de l’authenticité ça ? GABRIEL BERNARD

ZOOM GOURMAND

Il ne faut pas se laisser impressionner ni par le quar-tier où il est implanté ni par le décor qu’a choisiNAKAHARA Keiichi, le chef du restaurant Shinano.

Certes, il se trouve à proximité de l’hôtel ConcordeLafayette, il est souvent fréquenté par une clientèle hup-pée et son décor rappelle certains grands restaurants clas-siques français. Mais ce restaurant n’est pas pour autantun lieu réservé aux plus nantis. Au contraire, c’est unendroit où les connaisseurs et les amateurs de bonnechère japonaise se rendent pour savourer une cuisineauthentique. Cette authenticité se retrouve déjà dans lenom : Shinano qui était auparavant le nom que portaitl’actuelle préfecture de Nagano où le cuisinier est né eta grandi. Son père, architecte, appréciant la cuisine raf-finée a décidé de fonder un restaurant à Sagamihara, ausud de Tôkyô, où le jeune Keiichi a fait ses premièresarmes. Il a ensuite suivi des cours dans la fameuse écoleTsuji, à Ôsaka, dont il est sorti diplômé et plein d’ambi-tion. Comme son père envisageant de créer un nouveaurestaurant, cette fois en dehors de l’archipel, NAKAHARA

a proposé de l’ouvrir à Paris où l’une de ses tantes travail-lait dans un grand magasin japonais de la Porte Maillot.C’est la raison pour laquelle il s’est installé dans le 17ème

arrondissement. Il ne s’agissait pas pour lui de faire preuvede snobisme, mais de réaliser la promesse faite à son pèrede créer l’une des meilleures tables japonaises de la capi-tale française. Nous étions alors en 1988. Près de 25 ansplus tard, le pari est tenu. Shinano est un temple reconnude la cuisine traditionnelle japonaise dont la qualitéest reconnue par une clientèle variée. Il n’est pas rarede croiser quelques personnalités de la politique oudes hommes d’affaires venus traiter un contrat, mais on

C’est une des tables japonaises les plusappréciées de la capitale. Malgré cela,Shinano reste abordable et délicieux.

RESTAURANT L’excellence à prixraisonnable

Le manga au service de la cuisine Comme le rappelle justement MASUI

Chihiro dans l’introduction de cet

ouvrage, “partout dans le monde - à part au

Japon, bien sûr - le mot sushi évoque la petite

boulette de riz coiffée d’une tranche de

poisson cru. Alors qu’en fait, au Japon,

n’importe quoi devient sushi dès lors qu’il est

fait avec du riz pour sushi”. C’est

suffisamment rare de lire cela que l’on

peut se dire

que Sushi

Manga est un

guide digne de

confiance pour

se lancer dans

la préparation

de cette

spécialité dont

nous sommes

de plus en plus

nombreux à

raffoler. Sa lecture confirme la bonne

impression générale qui s’en dégage

lorsqu’on le feuillette pour la première

fois. De toute évidence, en s’appuyant sur

les conseils de KARASUYAMA Masao, l’une des

pointures en matière de sushi qui exerce

au restaurant Benkay à Paris, l’auteur a

voulu mettre toutes les chances de son

côté. En misant aussi sur l’originalité qui

se traduit par le sens de lecture des

manga et par une présentation où se

mêlent dessins et photographies, MASUI

Chihiro a réussi son pari d’amener le

lecteur à se lancer dans la réalisation de

sushi. Mais il faut bien reconnaître que

c’est plus facile à lire qu’à faire.

Sushi Manga de MASUI Chihiro, illustrations de

Shûsaku Nakata , éd. Flammarion, 19,90 €.

PRATIQUES’Y RENDRE 9 rue Belidor 75017 Paris. Tél. 01 45 72 60 76 - 12h-14h (lundi-vendredi) et19h-22h30. Fermé samedi midi, dimanche et joursfériés

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22 ZOOM JAPON numéro 24 octobre 2012

octobre2012_8***_zoom_japon 27/09/12 14:20 Page22

L A RECETTE DE KEIICHI, chef de Shinano

INGRÉDIENTS (pour 2 personnes)

180 g de faux filet (2 tranches)

Ingrédients de dengaku-miso :300g de miso blanc20cl de sake200g de sucreUn peu de brandy

Ingrédients pour l'aubergineUne moitié d'aubergine Un peu de sésame blancHuile

PRÉPARATION

1 - Mélanger le miso, le sake et le sucre dans une casserole à petit feu. 2 - Quand le mélange commence àépaissir, ajouter le brandy et bien touiller. 3 - Verser la sauce refroidie sur le faux filet préalablement disposédans une boîte Tupperware et laisser reposer 2 à 3 heures dans le réfrigérateur. 4 - Ôter grossièrement la sauceprésente sur le faux filet. 5 - Cuire au four à 180° pendant 15 minutes jusqu'à ce qu’il soit grillé à la surface. Onpeut aussi choisir de le faire griller à la poêle à feu moyen. 6 - Couper la moitié de l'aubergine en deux dansle sens de la longueur puis en quatre avant de plonger les morceaux dans l’huile chaude. 7 - Une fois qu’ilssont bien frits, les disposer sur du papier absorbant. 8 - Disposer le dengaku-miso sur les morceaux d’auber-gine et parsemer de sésame pour décorer. 9 - Servir avec la viande.

ZOOM GOURMAND

Cela fait près de 1300 ans, c’est-à-dire l’époque de Nara (710-794) quele soja est devenu un des élémentsimportants de la cuisine Japonaise.Excellente source de protéines, ilentre dans la composition de nom-breux produits utilisés quasi quoti-diennement dans la préparation desrepas. Pour ne citer que les plus cou-rants, il y a le shôyu (sauce de soja),le miso (pâte de soja fermenté), le

natto (soja étuvé et fermenté), le tôfu(pâté de soja caillé) ou encore l’abu-raage (pâte de soja frit). A partir detoutes ces formes de soja, on peutpréparer des plats dont les saveursseront souvent sublimées par sa pré-sence. Pour n’évoquer que le misoqui entre dans la réalisation du platprésenté par le chef du restaurantShinano, il faut rappeler qu’il est à lafois un condiment et une base pour

les soupes ou les sauces. Il remplaceaisément le sel dans la cuisine quoti-dienne. Il est aussi utilisé commesaumure, dans la préparation dessauces et des crèmes à tartiner, ainsique pour la décoration et l'assaison-nement des plats. Rappelons aussique selon la tradition, une femmejaponaise doit savoir préparer lasoupe au miso pour pouvoir semarier !

Faux filet de bœuf au miso(Gyûniku no miso zuke)

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A u Japon, la plupart des musées les plus inté-ressants ont été créés par de riches industrielsqui ont décidé de consacrer une partie de leur

fortune à la constitution de collections d’art. Dans biendes cas, c’est la peinture occidentale qui a été privilé-giée comme en témoigne, par exemple, le musée d’artOhara à Kurashiki. Créé en 1930 par OHARA Mago-saburô qui s’était enrichi grâce au textile, ce musée dis-pose d’une impressionnante collection de peintures etde sculptures européennes. L’entrepreneur ADACHI

Zenkô est un autre représentant de cette générationd’entrepreneurs talentueux. Avec sa richesse amassée

notamment dans l’immobilier, il décide de se lancerdans la collection d’art japonais et s’intéresse notam-ment à la peinture moderne. Au fil des annnées, ilachète ce qui se fait de mieux et finit par disposer detrésors signés YOKOYAMA Taikan, SAKAKIBARA Shihô,HASHIMOTO Kanetsu ou encore UEMURA Shôen, lafine fleur de la peinture japonaise née à la fin du XIXème

siècle qui a bouleversé le monde des arts au Japon. Dis-posant de toutes ces toiles et d’autres objets de la mêmeépoque, ADACHI Zenkô décide de créer un musée danssa ville natale de Yasugi. Située dans la préfecture deShimane, à l’ouest de l’archipel, cette petite cité ne vautque par cet établissement créé en 1970 qui disposed’un autre argument : son jardin japonais. “Lorsque j’aipris la décision de construire un musée d’art, il m’estapparu qu’un jardin japonais, quintescence du sens artis-tique des Japonais, s’imposait car il correspondait le mieuxà la beauté de la peinture japonaise”, expliquait le mag-nat dans ses mémoires parues en 2007 à titre posthume. Faisant appel à l’une des plus grandes autorités enmatière de jardin, NAKANE Kinsaku, pour qu’il des-sine ce jardin divisé en six parties, ADACHI Zenkô vou-lait que le résultat soit à la hauteur des œuvres expo-

Depuis 1970, ce haut lieu de l’art japonais sedistingue aussi par un jardin exceptionnelqui attire des milliers de visiteurs.

Derrière des grandes baies vitrées, s’étale un magnifique jardin dont la beauté est louée au Japon et à l’étranger.

DÉTOUR Adachi, le Musée avec un grand M

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S’Y RENDREADACHI BIJUTSUKAN 320 Furukawa-chô, Yasugi,692-0064 - Tél. 0854-28-7111. 2200 yens.Ouvert de 9h à 17h30 (17h d’octobre à avril).Situé à une vingtaine de minutes de la gare deYasugi que l’on atteint en 2h25 au départd’Okayama, le musée est accessible par une navettegratuite (11 rotations par jour). www.adachi-museum.or.jp

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ZOOM VOYAGE

sées à l’intérieur de son musée. “J’avais été très impres-sionné par le jardin japonais du temple Unju-ji que jefréquentais quand j’étais enfant”, poursuivait-il dansson livre de souvenirs. La création du jardin est telle-ment importante à ses yeux que l’homme d’affairesparticipe lui aussi à sa conception et le fait évoluerau fil des années pour qu’il prenne sa forme actuelle.C’est d’ailleurs le point fort sur lequel les responsablesdu musée s’appuient aujourd’hui pour communiquer.Lorsqu’on arrive sur place, plusieurs panneaux indi-

quent au visiteur que le jardin a obtenu trois étoilesdans le Guide vert Michelin (peut-être ajoutera-t-onbientôt les trois “yeux” du guide Le Japon vu du trainde la collection Zoom Japon ?). Il y a surtout une stèlequi annonce fièrement que la revue américaine SukiyaLiving Magazine (The Journal of Japanese Gardening)l’a classé pour la neuvième année consécutive à la pre-mière place des jardins japonais dans le monde. Cette distinction n’est pas volée, car le jardin qui s’étendsur plus de 16 hectares est une véritable œuvre d’art

En automne, le jardin prend des tons rouges et orangés qui tranchent avec le vert de certaines essences et le blanc des graviers.

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conçue comme telle. En effet, pour son concepteurcomme pour ADACHI Zenkô, les cinq jardins (jardinpaysager sec, un jardin de mousses, un étang, un jar-din de graviers blancs, un bois de pins) sont un tableauvivant qui change avec les saisons et se contemple commeune peinture. Il n’est donc pas question de déambulerdans ce vaste espace, mais bien de l’admirer commeon le ferait d’une œuvre derrière une vitrine. La visitedu musée commence d’ailleurs par celle du jardin quiépouse les contours des bâtiments. D’immenses baies

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ZOOM VOYAGE

vitrées servent ainsi de “cadres” au jardin, lequel incarnela beauté du monde. Au fond, une cascade artificiellede 15 mètres de hauteur créée huit ans après l’ouverturedu musée laisse à penser que le jardin sera traversé parune belle eau limpide. En fait, celle-ci est figurée parle gravier blanc qui tranche avec le vert des arbres et legris des rochers qui rappellent les montagnes. La créa-tion du jardin s’est faite par petites touches. ADACHI

Zenkô rappelle dans ses mémoires qu’il venait chaquejour apporter quelques corrections pour que le jardinatteigne le niveau de perfection qu’il souhaitait. Le résultat est à la hauteur de ses ambitions. Il consti-tue une introduction de choix au reste de la collectiontrès riche. Avant de quitter le rez-de-chaussée et cemagnifique jardin, on peut faire une halte dans l’undes deux salons de thé. Au tour d’un excellent thé vertet d’une pâtisserie, on pourra encore profiter pendantquelques minutes de cet agencement minutieux des-tiné à créer un monde parfait. Inutile de se presser,d’autant que les changements de lumière à certainsmoments de la journée permettent de mettre en valeurcertains détails qu’on n’aurait pas remarqué plus tôtou plus tard. Cela dit, la visite des autres salles justi-fie qu’on finisse par abandonner le jardin. Au premierétage, on trouve ainsi l’une des plus belles sinon la plusbelle collection d’art moderne japonais. La vedette decet ensemble s’appelle YOKOYAMA Taikan. Celui quifut, en 1889, l’un des premiers diplômés de l’Ecole des

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beaux-arts de Tôkyô a joué un rôle crucial dans la redé-finition de la peinture japonaise. ADACHI Zenkô, trèssensible à la manière dont ce peintre abordait la repré-sentation des paysages, a accumulé une impression-nante collection de ses œuvres grâce à laquelle on peutvoir de quelle façon il a évolué, en introduisant notam-ment des techniques occidentales. Dans la salle qui lui

est consacrée, on retrouve son fameux Feuilles rouges(Kôyô) réalisé en 1931 à l’âge de 64 ans. Une œuvrede plus de 7 mètres de long qui traduit la maturitéde son style. D’autres artistes de la même époque sontaussi exposés. L’homme d’affaires a acheté des cen-taines d’œuvres qui sont exposées par roulement enfonction des saisons. On soulignera la présence detableaux de KAWAI Gyokudô ou encore TAKEUCHI

Seihô qui fut avec YOKOYAMA l’un des moteurs de lamodernisation de la peinture japonaise. Intéressé parle mouvement Mingei qui, au milieu des années 1920,militait en faveur d’une revalorisation de l’artisanatpopulaire, ADACHI Zenkô lui a consacré une partie deson musée où l’on peut admirer de splendides objets.La fondation Adachi continue à enrichir la déjà trèsfournie collection, en mettant notamment l’accent surla peinture contemporaine. Chaque année, elle orga-nise à l’automne une exposition des nouveaux artistesjaponais et décerne un prix dont la réputation ne cessede grandir. Cela lui permet aussi d’acquérir des œuvresde jeunes peintres très prometteurs comme MIYAKITA

Chiori. Voilà autant de bonnes raisons de se rendreà Yasugi. De là, vous pourrez vous rendre à Matsuesitué à une vingtaine de kilomètres ou à Yonago (mêmedistance) d’où il est possible de rejoindre Sakai Minato,la ville natale d’un immense artiste, le mangaka MIZUKI

Shigeru (voir Zoom Japon n°3).ODAIRA NAMIHEI

Parmi les œuvres les plus impressionnantes de YOKOYAMA Taikan, on trouve cet immense panneau de plus de 7 mètres qu’il a réalisé en 1931.

L’Assoupissement (Utatane) de MIYAKITA Chiori (2002).

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CURIOSITÉ Lego s’installe àTôkyô

Ouvert depuis le 15 juin à Odaiba, île

artificielle dans la baie de Tôkyô qui est

devenue l’un des lieux les plus branchés

de la capitale, le Legoland Discovery

Center est le premier du genre en Asie. Il

permet aux amateurs des petites briques

en plastique de découvrir à la fois des

réalisations étonnantes comme la Tour de

Tôkyô et de participer à des activités

(2000 yens). www.legolanddiscoverycenter.jp

EXPOSITION Debussy, lamusique et les arts

Le musée Bridgestone qui se trouve à

5 minutes de la sortie centrale Yaesu à la

gare de Tôkyô reprend jusqu’au 14 octobre

la très belle exposition (1500 yens) du

Musée d’Orsay consacrée à Claude Debussy,

le compositeur du tournant du XIXe siècle

qui a trouvé l'essentiel de son inspiration

dans le domaine de la poésie et des arts

visuels. A découvrir ou à revoir.

www.bridgestone-museum.gr.jp

ZOOM VOYAGE

T ANIGUCHI Jirô, AOYAMA Gôshô, MIZUKI Shi-geru. Si vous êtes amateur de manga, ces nomsvous évoqueront Quartier lointain, Détective

Conan ou encore Nononbâ. Au Japon, on sait que cestrois mangaka sont originaires de la préfecture de Tot-tori située à l’ouest de l’archipel, à proximité de la pré-fecture de Shimane qui abrite le Musée Adachi (voirpp. 24-26). Voulant profiter de la vague d’intérêt quesuscite le manga à l’intérieur et à l’extérieur de l’archipel,les responsables du tourisme organisent depuis le débutdu mois d’août et jusqu’au 25 novembre de nombreusesmanifestations destinées à mettre en valeur les œuvresde ces auteurs mondialement connus. Il y aura notam-ment du 7 au 11 novembre, le sommet international dumanga se tiendra à Yonago.

GABRIEL BERNARD

Jusqu’à la fin du mois de novembre, la préfecture se met à l’heure du manga.

À VOIR Les crayons de Tottori

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POUR EN SAVOIR PLUSKOKUSAI MANGA HAKUhttp://manga-tottori.jp

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