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VOLUME XXXII:1 – PRINTEMPS 2004 Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent Jean-Luc Gaspard UFR de psychologie, Université Toulouse II, France Michel Lapeyre UFR de psychologie, Université Toulouse II, France Thierry Broussolle UFR de psychologie, Université Toulouse II, France Maryline Gouinaud Psychologue clinicienne, Université Toulouse II, France

Violence et position subjectiveLa violence en milieu scolaire Rédactrice invitée: Maryse Paquin Université d’Ottawa 1 Liminaire Violence en milieu scolaire: une problématique

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VOLUME XXXII:1 – PRINTEMPS 2004

Violence et positionsubjective :

quand les élèves nousenseignent

Jean-Luc GaspardUFR de psychologie, Université Toulouse II, France

Michel LapeyreUFR de psychologie, Université Toulouse II, France

Thierry BroussolleUFR de psychologie, Université Toulouse II, France

Maryline GouinaudPsychologue clinicienne, Université Toulouse II, France

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La violenceen milieu scolaireRédactrice invitée :Maryse PaquinUniversité d’Ottawa

1 LiminaireViolence en milieu scolaire : une problématique qui concerne l’école, la famille et la communauté, voire la société

15 La violence à l’école primaire : les auteurs et les victimes

38 Le déficit d’attention / hyperactivité (TDA/H) et les comportements violents des jeunes en milieu scolaire : l’état de la question

54 Évaluation d’un projet de promotion de la paix

69 La prévention de la violence en milieu scolaire au Québec : réflexions sur larecherche et le développement de pratiques efficaces

87 Les causes et la prévention de la violence en milieu scolaire haïtien : ce qu’en pensent les directions d’écoles

102 La prévention de la violence et de l’agressivité chez les jeunes en milieufamilial : le programme interactif «Être parents aujourd’hui »

126 Relation aux parents et violences scolaires

138 La place du père dans la socialisation des jeunes de quartiers populaires

158 Entre violence et incivilité : effets et limites d’une intervention basée sur la communauté d’apprentissage

172 Relations famille-école et l’ajustement du comportement socioscolaire de l’enfant à l’éducation préscolaire

201 Comportements violents chez l’enfant en Ontario : problématique de la suspension scolaire externe, perception des parents et alternative possible

224 Origine culturelle et sociale de la violence à l’école : les dimensions culturelles des relations et des conduites agressives pendant l’enfance

245 Montée de la violence scolaire ou montée de l’individualisme?

262 De la déscolarisation aux violences anti-scolaires : l’éclairage de l’approchebiographique

276 Trois profils-types de jeunes affichant des problèmes de comportementsérieux

312 Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

327 Approche psycho-éducative de la déviance scolaire

VOLUME XXXII:1 – PRINTEMPS 2004

Revue scientifique virtuelle publiée parl’Association canadienne d’éducationde langue française dont la mission estd’inspirer et de soutenir le développe-ment et l’action des institutions éduca-tives francophones du Canada.

Directrice de la publicationChantal Lainey, ACELF

Présidente du comité de rédactionMariette Théberge,

Université d’Ottawa

Comité de rédactionGérald C. Boudreau,

Université Sainte-AnneLucie DeBlois,

Université LavalSimone Leblanc-Rainville,

Université de MonctonPaul Ruest,

Collège universitaire de Saint-BonifaceMariette Théberge,

Université d’Ottawa

Secrétaire général de L’ACELFRichard Lacombe

Conception graphique et montageClaude Baillargeon pour Opossum

Les textes signés n’engagent que la responsabilité de leurs auteures et auteurs, lesquels en assumentégalement la révision linguistique.

De plus, afin d’attester leur recevabilité,au regard des exigences du milieu universitaire, tous les textes sont

arbitrés, c’est-à-dire soumis à des pairs,selon une procédure déjà convenue.

La revue Éducation et francophonieest publiée deux fois l’an grâce à l’appui financier du ministère du

Patrimoine canadien.

268, Marie-de-l’IncarnationQuébec (Québec) G1N 3G4Téléphone : (418) 681-4661Télécopieur : (418) 681-3389

Courriel : [email protected]

Dépôt légalBibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

ISSN 0849-1089

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

Jean-Luc GaspardUFR de psychologie, Université Toulouse II, France

Michel LapeyreUFR de psychologie, Université Toulouse II, France

Thierry BroussolleUFR de psychologie, Université Toulouse II, France

Maryline GouinaudPsychologue clinicienne, Université Toulouse II, France

RESUME

Une recherche financée par le Programme ECOS-Nord sur le thème de la vio-

lence a été réalisée conjointement par l’Equipe de Recherches Cliniques de

l’Université Toulouse II (France) et par l’équipe Sintoma y Lazo Social de l’Université

Antioquia de Medellin (Colombie). Dans une orientation clinique et en référence à la

psychanalyse, cette étude porte sur les expériences de violence, les rapports et la

prise de position vis à vis de celle-ci d’une population d’élèves de cycle III (8-12 ans)

d’écoles primaires situées dans des quartiers défavorisés. Sont présentés ici les résul-

tats de la recherche française effectuée en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Ceux-ci

permettent de mettre en exergue l’état des différents liens sociaux (éducatif, poli-

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tique, religieux, etc.), d’en déduire les enjeux pour notre société contemporaine, de tirer

leçon d’une incontournable modification des pratiques éducatives au sein de l’école.

Sur ce dernier point, il convient de noter que seul un ensemble cohérent d’actions de

sensibilisation et de prévention vis-à-vis des diverses formes de violence, se décli-

nant sur l’ensemble de la scolarité, pourrait permettre à chaque jeune de s’engager

sur les voies de l’éthique et de la responsabilité citoyenne.

ABSTRACT

Violence and the subjective position: When students teach usJean-Luc GASPARD, Michel, LAPEYRE, Thierry BROUSSOLLE, Maryline GOUINAUD,

University of TOULOUSE II (France)

In a clinical orientation and in reference to psychoanalysis, this study deals with

the experiences of violence in a population of cycle III students (8-12 years old) in

elementary schools located in low-income neighbourhoods, as well as their relation-

ship with violence and how they face it. The article presents the results of French

research done in the priority education zone (PEZ). It allows us to highlight the state

of different social relationships (educational, political, religious, etc.), and deduct the

stakes for our contemporary society, using the lesson that emerges to suggest an

imperative modification of educational practices. On this last point, it is useful to

note that only a coherent series of sensitizing and preventive measures taken to deal

with different forms of violence, and applied to the whole educational process, could

allow all children to engage in becoming ethical and responsible citizens.

RESUMEN

Violencia y posición subjetiva: Cuando los alumnos nos enseñanJean-Luc GASPARD, Michel, LAPEYRE, Thierry BROUSSOLLE, Maryline GOUINAUD,

Universidad de TOULOUSE II (Francia)

En el cuadro de un enfoque clínico y con referencia al psicoanálisis, este estudio

aborda las experiencias de violencia, las relaciones y la toma de posiciones frente a ésta

entre un grupo de alumnos de tercer ciclo (8-12 anos) en escuelas primarias situadas

en barrios pobres. Se presentan los resultados de una investigación francesa realizada

en una zona de educación prioritaria (ZEP). Nos permite evidenciar el estado de los

diversos planos sociales (educativo, político, religioso, etc.), de deducir los retos para

la sociedad contemporánea, de aprender la modificación de las practicas educativas

en el seno de la escuela. Sobre este último punto, es importante apuntar que sólo un

conjunto coherente de acciones de sensibilización y de prevención de las diversas

formas de violencia, que se conjuguen con el conjunto de la escolaridad, permitirá

que cada joven acceda al camino de la ética y de la responsabilidad ciudadana.

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

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Introduction

Le terme de « violence » renvoie à une telle multiplicité et diversité de formes

qu’il maintient une équivoque, en réalité, inéliminable. En effet, si brute (voire bru-

tale), si traumatisante que se présente la violence comme fait d’expérience, celle-ci

est indissociable d’une interprétation : laquelle met en jeu la dimension du sens,

avec son corrélat de non sens; laquelle en même temps implique le sujet1, avec ses

déterminations, son histoire, ses accidents, ses failles et ses « choix » ainsi que l’en-

semble des moyens dont il peut se soutenir pour la traiter. Ainsi la violence, dans

l’éprouvé et le ressenti, comme au niveau du repérage et de la dénomination, est à la

fois absolue et relative : elle dépend de l’existence d’une énonciation qui la reconnaît

tout en la dénonçant comme telle, parce qu’elle excède tout ce que le sujet pourrait

en dire. Dans nombre de situations, la violence serait donc l’expression « sauvage »

d’une singularité plus on moins déniée. Elle pourrait être définie comme « l’irruption

d’un déplaisir qui porte atteinte au sujet dans sa dimension désirante, son intégrité,

son identité ou sa dignité ».

En référence à la psychanalyse, la violence se distingue ainsi du symptôme. En

effet, la définition du symptôme ne se réduit pas à la seule version psychopatho-

logique (répétition d’un déplaisir qui relèverait d’un savoir insu). C’est aussi une

solution, la solution singulière qui permet à chaque sujet d’introduire dans le lien

social la part d’altérité irréductible dont il est porteur (même s’il méconnaît ou ignore

ce qu’elle est) et qu’il se doit d’assumer. Pour aller plus loin, cette part d’altérité irré-

ductible est en même temps ce qui apparaît au sujet comme le plus étranger, soit en

tant que « savoir insu » (l’inconscient), soit en tant que part traumatique « impossible

à subjectiver ». Et c’est pourtant cette part que le sujet doit traiter pour la rendre tolé-

rable par les autres. Mais pour que le symptôme, cette « formation de compromis »,

puisse trouver à s’inscrire dans le social, encore faut-il que chaque lien (familial, sco-

laire, social, etc.) ne vienne pas s’échouer sur le roc de la particularité subjective et

surtout que la part la plus particulière de l’être du sujet ne se trouve déniée ou dis-

soute par le lien. En effet, si pour chacun la violence est à situer comme pôle opposé

du symptôme, elle est aussi structurellement liée aux modalités et caractéristiques

du lien (familial, scolaire, social, etc.) dans lequel le sujet est appelé à trouver logis.

De manière plus générale, la violence peut ainsi être ramenée à un accident du lien

social, lorsque le sujet se trouve contraint à être noyé dans la généralité (anonymat,

stigmatisation, etc.), à fondre sa singularité dans diverses formes de regroupement

(la masse, le groupe, le clan, la race, etc.,), ou à s’en trouver stigmatisé (ségrégation,

déréliction, enfermement, exclusion, etc.).

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

1. Dans le champ de la psychanalyse, la catégorie de sujet est rapportée à l’inconscient et renvoie à l’usage que tout individu est amené à faire de ses déterminations (génétiques, physiques, familiales, sociales,économiques, etc.), de sa dépendance à leur égard : usage qui n’est ni dicté, ni prescrit, ni prévisible, ni programmable. En d’autres termes, il s’agit pour chacun, et c’est ce qui constitue son statut et sa dignité desujet, de répondre à ces déterminations, de faire valoir cette réponse dans le monde, dans le lien social, auregard des autres et enfin si possible d’en faire savoir, don, œuvre, engagement, création, etc.

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C’est du reste cette approche que nous retrouvons dans trois références freu-

diennes essentielles : « Malaise dans la civilisation » (1930), « Pourquoi la guerre? »

(1932), « L’homme Moïse et le monothéisme » (1939). Pour ce corps de doctrine, la vio-

lence s’impose comme limite, limite inhérente à chaque discours2 (mythique, reli-

gieux, politique, éducatif, etc.) et limite rencontrée par chaque discours : « Ce n’est

que dans un espace structuré et contraint par le discours - ses prescriptions et ses pros-

criptions - que certaines formes d’exercice de la force - contre la nature, l’autre (le sem-

blable, le voisin, l’étranger, la femme ou l’enfant) ou soi-même - peuvent apparaître et

fonctionner comme violence. » (Askofaré et Sauret, 2002, 242). Autrement dit, la vio-

lence peut aussi bien être un obstacle au lien social qu’un stimulant pour son déve-

loppement. Nous défendons l’hypothèse que la violence peut intervenir dans plu-

sieurs cas et à plusieurs niveaux : quand le lien social dans son ensemble se dégrade

ou quand l’une de ses formes (discours mythique, religieux, politique, éducatif, etc.)

tend à prédominer sur les autres et à s’imposer par la force; comme protestation,

révolte, ou comme attaque, critique, vis-à-vis du lien social ou d’un discours; comme

production ou renouvellement du lien social ou d’un discours (création ou introduc-

tion, modification ou changement, réforme ou révolution).

C’est cette problématique générale que nous avons tenu à mettre à l’épreuve

dans le cadre d’une recherche auprès d’une population d’élèves d’écoles primaires,

en prenant acte du fait que, par delà leurs témoignages sur ce qu’il en est pour eux de

la violence, de leur expérience de la violence dans et hors du champ de l’école, « la

psychologie individuelle est aussi, d’emblée et simultanément, une psychologie sociale »

(Freud, 1921, 123). En effet, si le langage doit être considéré comme au fondement de

la subjectivité, si le sujet n’est pas pensable en dehors de son rapport à l’Autre (social,

familial, scolaire, etc.), il paraît extrêmement hasardeux de dissocier ce qui relèverait

du sujet et ce qui relèverait du rapport aux autres, distinguo parfois marqué des

termes « d’intra-psychique » et « d’inter-subjectif».

Modalités de recherche et méthodologie

Durant l’année scolaire 1998-1999, une étude préliminaire du CeRF-IUFM

(Toulouse) portant sur « les comportements de harcèlement et de brimades dans les

écoles primaires » a été réalisée auprès de l’ensemble des élèves d’une école primaire

située en ZEP (zone d’éducation prioritaire), quartier difficile qui connaîtra une

émeute extrêmement grave (suite au décès d’un jeune – blessé par la balle d’un

policier – dans des conditions qui feront la une des quotidiens régionaux et natio-

naux). En référence à une orientation de recherche développée dans les universités

nord-américaines, européennes (Norvège, Grande-Bretagne) et australes (Australie,

Japon), cette étude s’appuyait sur la notion de « bullying », défini comme une vio-

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

2. La catégorie de «discours» renvoie aux travaux du philosophe Michel Foucault. Dans une orientation freudienne, nous tenons comme équivalentes les catégories de « lien social » et de « discours », le discoursétant à entendre comme un « lien social fondé sur le langage», plus précisément comme une substitution duDroit (religieux, politique, éducatif, etc.) à la force.

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lence d’attitudes exercée pour un ou plusieurs auteurs à l’encontre d’élèves plus

faibles ou jugés comme tels. Ces élèves font l’objet d’atteintes physiques et/ou

morales (harcèlement, mises à l’écart du groupe, brimades répétées) portant préju-

dice à la communication et à la relation entre pairs. A partir d’un questionnaire com-

posé de sous-échelles validées, il s’agissait de chercher les liens entre violences d’at-

titudes et rapport aux apprentissages chez des élèves de cycle III pour étayer une

réflexion au sein des équipes pédagogiques sur les problèmes d’incivilités dans le

cadre scolaire ainsi qu’à la sortie des écoles (recherche action). La passation de l’au-

toquestionnaire3 du CeRF- IUFM devait permettre d’évaluer les éléments des

sphères psycho-affective et comportementale. Il se composait d’une centaine de

questions regroupées autour de trois thématiques :

• l’image de soi (dépressivité, plaintes somatiques, satisfaction scolaire, etc.)

• les conduites à risques (racket, conduites violentes, absentéisme, etc.)

• le contexte relationnel particulier et les incidences indexées aux situations de

violence d’attitudes et de harcèlement.

Sur le terrain, les répercutions ont été importantes : cette action permettant de

lancer dans l’établissement concerné une réflexion d’équipe pour améliorer les con-

ditions d’exercice pédagogique et de vie des élèves (Brandibas et al., 2000)4. A sa

suite, l’administration scolaire donnera son accord pour qu’une recherche intitulée

« Violence ressentie et violence exprimée : Etude sur les comportements de harcèlement

et de brimade en milieu scolaire » puisse concerner l’ensemble des écoles de la cir-

conscription, soit 1335 élèves. Tirant expérience de l’étude préliminaire, un accord

général s’est dégagé pour que, dans un second temps, les élèves volontaires puissent

bénéficier d’un espace de parole sur le thème général de la violence5. Cette proposi-

tion a reçu un large écho auprès des élèves. Ainsi, sur l’ensemble des questionnaires

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

3. Adapté aux élèves de cycle III (CE2, CM1, CM2) des écoles primaires, ce questionnaire est composé comme suit :

- Le Peer Relations Questionnaire de Rigby et Slee (1995), Université de Flinders (Australie), traduction deBrandibas, Jeunier, Gaspard et Morcillo, 1999. Il permet de repérer et de qualifier le comportement de Bullying,notamment avec une échelle de victimisation et une échelle évaluant la tendance à être auteur de brimadesvis-à-vis de ses pairs.

- L’échelle de la dépression et le questionnaire sur l’absentéisme, utilisés en France dans l’enquêtenationale sur les adolescents par l’INSERM en collaboration avec le Ministère de l’Education nationale (Choquetet Ledoux, 1994).

L’auto-questionnaire est anonyme (sauf pour les élèves souhaitant rencontrer un membre de l’équipe ERC). La passation collective dure 45 minutes environ pour les élèves du primaire. Ceux-ci sont informés (lecture successive et explicitée des questions) par des aide-éducateurs (en présence d’un personnel de santé, assis-tante sociale scolaire ou psychologue scolaire). Aucun membre de l’équipe pédagogique ou du personneladministratif n’est présent lors de la passation. Cette précaution permet de rassurer les élèves quant à la confidentialité de leurs réponses. La sincérité des réponses est encouragée par les consignes présentes dans le questionnaire.

4. Parallèlement, une autre recherche portant sur un échantillon de 507 élèves des collèges belges (région de Mons) et français (banlieue de Toulouse) a été lancée conjointement en France par l’équipe du CeRF-IUFM(Toulouse) et, en Belgique, par celle de l’INAS (Université Mons-Hainault). Elle devait permettre de valider surun public scolaire de collège la méthodologie adoptée (Brandibas et al., 1999).

5. Concrètement, la possibilité de rencontrer, dans le cadre d’un entretien clinique, l’un des chercheurs psycho-logues se trouvait notifiée en fin de chaque autoquestionnaire.

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dépouillés, plus de 300 d’entre eux ont souhaité cette rencontre6. L’Equipe de Recher-

ches Cliniques de l’université Toulouse II (ERC) a pris en charge, avec sa métho-

dologie propre, le recueil et le dépouillement de ces entretiens. Parallèlement, cette

dernière étude, financée par le programme ECOS-Nord, a trouvé un débouché inter-

national en Colombie dans le cadre de l’Equipe Sintoma y Lazo social de l’université

Antioquia de Medellin auprès d’élèves de même âge dans un quartier soumis à la loi

de gangs et d’une milice.

Les entretiens cliniques semi-directifs auprès des élèves volontaires visaient à

aborder leurs rapports avec les expériences de violence rencontrées dans et hors du

milieu scolaire. La grille d’entretien prévue à cet effet présentait des items suscepti-

bles de fournir des indices (directs au indirects) en relation avec les hypothèses de

l’équipe de recherche : caractéristiques et impact du lien social, attitudes de l’élève

vis-à-vis de l’école, ses initiatives et interventions éventuelles en regard de la violence

perçue ou rencontrée. La grille comportait cinq points : les raisons de la demande

d’entretien, la présentation du sujet par lui même, la mention des faits de violence (à

l’intérieur et/ou à l’extérieur de l’école), le rapport à l’école et au savoir, la définition

que donne l’élève de la violence. Les entretiens semi directifs (enregistrés sur cas-

settes audio), menés dans une orientation clinique, tenaient aussi compte de l’atti-

tude de l’enfant vis-vis de la situation d’entretien, du type de relation établie avec

l’interviewer, de l’usage qu’il en faisait. Il s’agissait de ne pas faire obstacle au trans-

fert ni à son maniement et, néanmoins, d’introduire les thématiques de la grille, sans

contrevenir à l’éthique exigée par la rencontre.

A partir des enregistrements retranscrits, deux types d’analyses ont été effec-

tuées : une analyse de contenu aboutissant à des vignettes cliniques et, pour une

minorité, à des constructions de cas, un traitement automatique et informatisé de

l’ensemble des entretiens (logiciel ALCESTE) :

• Les vignettes cliniques consistent en un travail de réduction et de contraction

des énoncés recueillis lors des entretiens. Par exemple : la prise de position

affichée ou trahie par l’enfant; son rapport déclaré ou manifesté vis-à-vis de la

violence; les phénomènes et la dynamique du transfert; le mode de discours

dominant lors de l’entretien. L’objectif dans la réalisation de ces vignettes est de

permettre un recueil de la diversité des réponses individuelles et de contribuer

à élaborer une théorie générale sans gommer la singularité des cas (nous pro-

poserons un exemple de vignette clinique en Annexe).

• Les constructions de cas n’ont concerné qu’un nombre restreint d’élèves, notam-

ment ceux qui parvenaient au cours de l’entretien à faire état de leurs symp-

tômes. Outre l’importance que leur confère leur rareté, elles présentent un

intérêt évident, puisqu’elles s’appuient sur des fragments de savoir fournis par

des enfants capables d’élaborer sur eux-mêmes et d’affirmer leur prise de posi-

tion. Certains en effet ont su et pu pousser la situation d’entretien jusqu’à ce

317volume XXXII:1, printemps 2004 www.acelf.ca

Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

6. Certes, le refus de certains parents contactés comme le changement d’avis de certains élèves (dû vraisem-blablement à un effet de groupe lors de la passation collective ou à une incompréhension de la consigne) ontdiminué le nombre d’entretiens prévus. Fin 2002, la recherche effectuée en France a permis la retranscriptionintégrale et l’analyse de 116 entretiens.

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point : à la fois du fait de la conduite de celui-ci par l’interviewer, du fait du

transfert instauré, et du fait de leur propre engagement. C’est dans ces quelques

cas qu’ont pu être dégagées des traces de l’activité fantasmatique et, parfois, le

témoignage de la mise en cause de celle-ci.

Si les vignettes cliniques fournissent des données relatives aux phénomènes de

la violence vécue et reconnue comme telle par les enfants (leur nature, leur nombre,

leur diversité, les conceptions à se faire selon eux des origines ou des remèdes), les

constructions de cas, quant à elles, concernent davantage le registre de l’énonciation

comme de l’inconscient. Elles nous enseignent plus précisément sur les causes que

les sujets sont amenés à se faire pour adopter et tenir telle ou telle position vis-à-vis

de la violence, mais aussi dans la vie, à l’égard des autres (les pairs, les adultes), voire

envers la société.

Parallèlement, l’ensemble des entretiens ont été soumis à une Analyse informa-

tisée de discours. Dans cette voie, nous avons retenu, pour effectuer cette analyse

sémiotique, le traitement informatique des données textuelles ALCESTE (Analyse des

Lexèmes Cooccurrents dans les Enoncés Simples d’un Texte)7. Notre intérêt pour cette

méthode d’analyse est à la fois d’ordre théorique et technique puisque celle-ci a été

conçue, d’une part en référence à la structure tridimensionnelle de toute énonciation

(référence aux champs du symbolique, de l’imaginaire et du réel) et, d’autre part, en

reconnaissant l’importance du cycle de la répétition (oscillations signifiantes par

lesquelles passe et repasse chaque énonciation). Tout indique, en effet, que le tres-

sage de sens qu’autorise tout engagement dans l’acte de parole relève d’une ronde à

trois pas en référence à l’alternance de trois postures possibles de l’énonciateur :

celle de témoin (fibre imaginaire), celle d’acteur (fibre du réel) et celle de patient

(fibre du symbolique). Comme le souligne fort justement Reinert (2000) : « Il y a trois

énonciateurs liés aux trois postures précédentes : celui qui croit dire quelque chose,

celui qui sait qu’il rate l’essentiel de ce dire et celui qui sent bien que, de toute façon,

ce qu’il dit a depuis toujours été dit et donc que c’est un Autre qui parle à travers lui ».

A cet effet, deux niveaux essentiels de structuration du discours sont pris en

compte par la méthode ALCESTE : le mouvement propre de l’énonciation à partir

d’un découpage formel des énoncés en unités de contexte (u.c) mettant en exergue

des éléments du répertoire et, d’autre part, les caractéristiques situationnelles et les

accidents dans la production discursive (répétitions, silences, rires, etc.). Le corpus

est présenté sous la forme d’un tableau avec en lignes, les énoncés simples8 (ou

unités de contexte élémentaires) et en colonnes, les formes réduites (ou lexèmes). Une

classification hiérarchique descendante permet de distinguer certaines classes d’u-

nités de contexte en regard d’une distribution différenciée du lexique utilisé. Par l’at-

318volume XXXII:1, printemps 2004 www.acelf.ca

Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

7. Pour une présentation détaillée de cette méthode d’analyse sémiotique conçue comme une techniqueabductive (construction d’hypothèses) de traitement de données textuelles, nous renvoyons notamment auxarticles suivants : Reinert (1986, 1990).

8. Le classement des énoncés (ou unités de contexte) d’un corpus s’effectue statistiquement en prenant appuisur les lexèmes (ou formes réduites) qui entrent dans la composition des énoncés. Le découpage préalable dutexte en unités de contexte (délimitation du segment) vise à souligner le mouvement même du procèsd’énonciation tandis que la ponctuation (coupure entre deux segments) modélise l’absence transitoire du sujet.

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tention portée aux caractéristiques et co-occurrences lexicales, aux répétitions de

séquences comme aux divers marqueurs situationnels et connecteurs logiques, ce

traitement statistique peut alors dégager une « cartographie » du discours (Reinert,

1998) qui suit les traces du sujet de l’énonciation pour en révéler ses mondes lexicaux

(Reinert, 1993; 1997)9. L’usage de la méthode ALCESTE permet donc de souligner

que, dans tout procès d’énonciation, le sujet ne fait donc que rater l’objet visé par ses

énoncés. Autrement dit, nous échouons sans cesse à atteindre par l’énonciation ce

que nous cherchons à dire, d’une part par impossibilité de pouvoir Tout dire de ce qui

nous voulons dire et d’autre part, ne pouvant mesurer ce que l’autre entend et reçoit

de ce que nous venons de dire. Par ce double constat, la méthode ALCESTE nous

détourne ainsi de la confusion classique entre intention de signification et univocité

du procès de communication (logique binaire de type émetteur – récepteur), comme

celle entre « énoncé » et « énonciation » telle qu’elle transparaît dans d’autres tech-

niques d’analyse du discours (Ghiglione et Blanchet, 1991)10. C’est, du reste, ce qui

fait toute la pertinence de cette méthode dans le champ de la recherche clinique

(Noël-Jorand et al., 1997; Capdevielle, 1997; Zapata, 2001).

Présentation des résultats

Les analyses effectuées sur les entretiens dépouillés en France comme en

Colombie, à l’aide d’une mise en série et d’une comparaison des analyses de contenu

et de l’analyse informatisée, nous autorisent à proposer une typologie de positions

subjectives par rapport à la violence :

Catégorie 1 : Ceux qui dénient la violence

Catégorie 2 : Ceux qui vont armés à l’école

Catégorie 3 : Ceux qui restent en marge

Catégorie 4 : Les enfants dans la norme

Catégorie 5 : Les questionneurs

Catégorie 6 : Ceux qui s’interrogent sur eux-mêmes

Catégorie 7 : Les responsables

Catégorie 1 : Ceux qui dénient la violenceLa première position est celle des enfants, rares en France et nombreux en

Colombie, qui vivant au milieu de bandes, dans un environnement et un quotidien

de violence, éprouvent de la difficulté à en parler, soit par peur, soit par impossibilité

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9. L’inscription des unités de contexte en lignes dans le tableau de données renvoie à la fibre du réel. Le relevéen colonnes des mots pleins permet de modéliser le sens dans sa fibre imaginaire. La représentation statis-tique formelle obtenue par le tableau (lignes et colonnes) rend compte dans sa distribution du parcours dusujet dans l’énonciation (fibre du symbolique).

10. Ces auteurs présentent une méthode informatisée d’analyse de contenu appelée Analyse propositionnelledu Discours (A.P.D) mais s’inscrivent « dans une perspective psychosociale qui privilégie le parleurdans ses buts, ses stratégies, eu égard à ses savoirs, compétences et représentations de tous ordres »(1991, 54), omettant - selon nous - de prendre en compte ce qu’il en est du sujet de l’inconscient (lapsus,accidents d’énonciation, oublis de mots, etc.).

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à se la représenter. Pour eux, « il n’y a pas de violence » ou ils la banalisent, car ils ne

peuvent rien en élaborer. Leur position ou absence de position est marquée par une

certaine impuissance et une logique de « survie ».

Catégorie 2 : Ceux qui vont armés à l’écoleLes enfants de cette deuxième catégorie vivent l’enceinte scolaire soit, comme

un terrain d’affirmation et de leadership où il faut impressionner les pairs, soit

comme le lieu « de toutes les menaces » que celles-ci soient réelles ou imaginaires

(risque de racket, de bullying). En France, l’arme semble tenir plus souvent du

« fétiche » (jouet, compas, petit canif, etc.). La violence reste inscrite dans sa logique

binaire : « lui ou moi » et dans l’affrontement rivalitaire.

Catégorie 3 : Ceux qui restent en marge Ces élèves, malgré leur désir de témoigner, mettent à mal la situation d’entretien

et de rencontre, troublent l’échange, voire font obstacle au lien selon deux modalités

principales : l’inhibition ou l’expression de toute-puissance. Certains semblent téta-

nisés par l’enjeu et l’impact émotionnel attaché à une prise de parole sur la question

de la violence. D’autres paraissent devoir présentifier par leurs comportements

quelque expression brute de celle-ci, quitte à compromettre la tenue de l’entretien,

parfois à l’interrompre brutalement, en provoquant le rupture des semblants de la

conversation (jeu des questions-réponses, politesse, etc.).

Catégorie 4 : Les enfants dans la normeLes enfants de cette catégorie sont soumis aux figures de pouvoir et d’autorité

dominantes. Ils se réfèrent à la loi et à ses agents, en France (école, police, état) et aux

imagos paternelles tyranniques, en Colombie (milice, guérilla, paramilitaires, ban-

des). Dans la nostalgie infantile du père, ils en appellent à un Autre qui serait sus-

ceptible de répondre. Ces élèves se présentent comme bien installés dans le lien

social, intégrés dans un ordre et un système : ce sont des « petits œdipiens presque

parfaits ». Ils sont en fait en phase avec les discours dominants et les discours de la

domination. Ils font référence exclusivement à l’exercice du pouvoir et à l’utilisation

du savoir pour empêcher ou réprimer la violence. Leurs explications tournent sou-

vent court, outre le fait qu’ils ne s’y impliquent guère. Le maintien de la relation au

père paraît être leur préoccupation essentielle, au principe de leur témoignage

comme de leur position subjective.

Catégorie 5 : Les questionneursCes élèves semblent prendre la violence comme une énigme plus ou moins

indéchiffrable. Elle les pousse à s’interroger, mais aussi à retourner le question-

nement à l’envoyeur, à l’autre, à l’interviewer. Ordinairement, ils ne remettent pas en

cause la situation d’entretien, mais ils apostrophent souvent explicitement, l’inter-

view, l’interviewer et les questions posées : parfois d’ailleurs en renversant les rôles,

parfois en résistant quelque peu, parfois en se butant carrément, enfin quelques fois

en mettant eux-mêmes un terme logique (une conclusion) à la rencontre. Dans cette

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

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hystérisation du discours, il y a une interpellation de l’Autre (à l’occasion violente et

virulente), mais qui n’engage pas encore véritablement le sujet. Ce qui domine, c’est

la protestation et la révolte contre l’impuissance et la démission de l’Autre face à la

violence.

Catégorie 6 : Ceux qui s’interrogent sur eux-mêmesLes enfants de cette catégorie ne sont pas des protestataires, des révoltés se con-

tentant d’interpeller l’Autre et de dénoncer son impuissance ou sa démission réelles

ou supposées. Ils sont au fait du défaut de l’Autre, voire de son manque (ils se sont

mis au parfum, s’ils ne sont pas déjà tout à fait avertis et avisés). Ils se sont faits à la

nécessité d’y pallier par eux-mêmes, d’y mettre du leur de toutes les manières. Ce

sont des demandeurs appliqués, ils vont jusqu’à faire état spontanément de leurs

symptômes (ce qui n’est, comme on le sait, ni fréquent, ni spontané, ni aisé, de la

part d’un enfant). Ils sont à mi-chemin entre une certaine résignation et une vérita-

ble acceptation. S’ils incriminent la violence aux défaillances de l’institution et de

l’autorité, ils se montrent prêts à élaborer et à participer à une recherche de solutions

dans le cadre scolaire. Selon eux, il faut user tous les recours pour que chacun s’y

mette, y mette du sien pour se confronter à la violence. De même, il s’agit de faire face

si nécessaire à l’autre (même menaçant ou violent) et de se lier si possible à lui par la

parole. C’est parmi ces enfants qu’on trouve ceux qui s’interrogent sur les relations à

l’autre sexe et sur l’amour.

Catégorie 7 : Les responsablesBeaucoup plus rares, presque des exceptions, et plus étonnants encore sont les

quelques enfants de cette dernière catégorie. Ils mettent explicitement en cause non

pas la parole elle-même mais son emploi et ses modes d’emploi comme étant sans

garantie, puisqu’ils savent qu’elle peut être un instrument d’agression et d’exclusion.

Du coup, ils s’interrogent sur la responsabilité du sujet comme tel quand il prend la

parole. Ou bien, sans dénier l’utilité et sans récuser l’usage du discours, ils sont assez

au fait et assez proches de leur propre solitude pour mesurer que le lien social et le

collectif ne peuvent être effectifs et efficaces sans la décision de chacun de ceux qui

s’en emparent et s’y engagent. Pour eux, on n’arrête pas la violence tant que chacun

ne reconnaît pas la sienne propre jusqu’à s’expliquer avec elle, sur elle et y faire face

comme si ces enfants avaient déjà, ne serait-ce qu’en guise d’intuition et à titre

d’ébauche, l’idée d’une logique collective.

Liens cliniques

La mise en perspective de ce travail de dépouillement et d’analyse permet de

poser un premier ensemble de conclusions, depuis les plus triviales jusqu’aux plus

paradoxales, concernant l’articulation du sujet et du social, de l’individuel et du col-

lectif. Elles ont trait à la logique qui sous-tend le rapport de chacun à la violence avec

ses impasses, ses issues, ses solutions, ses moments de mutation. Tout d’abord, l’ex-

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

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périence de la violence chez les enfants, que celle-ci soit à l’intérieur de l’école ou

dans le quartier, est une occasion propice, on s’en doute, de faire appel à l’Autre

(social, scolaire, familial, parental, etc.), comme à son autorité et à son pouvoir. Dans

le même mouvement, nombre d’enfants n’hésitent pas à remettre en cause aussi

bien les failles inévitables de l’Autre (et de ses avatars), que les fautes éventuelles de

ses représentants. Certes, les dominantes d’adresse à l’Autre diffèrent entre la

Colombie et la France, là où la famille, l’école et l’Etat n’ont ni la même place ni la

même importance. Mais, l’enfant tend à exagérer - dans une sorte d’incantation pour

qu’il se manifeste - son adresse à l’Autre, là où celui-ci brille par son absence ou ses

carences (exemple de l’Etat en Colombie). Sur l’autre plan, la remise en cause de

l’Autre varie en fonction des formes et figures de ce dernier. Quand elle se produit,

l’accusation se porte là où la faillite de l’Autre est la plus patente, mais (et c’est une

précieuse indication) à la mesure même de ses prétentions et de sa prégnance. Dans

notre échantillon français, par exemple, certaines familles et parents s’attirent les

foudres et les reproches que leur vaut leur trop de présence.

Le deuxième point concerne l’école. Présentée comme un espace et un temps

de contrainte, de contention, l’école est aussi reconnue comme le lieu avec sa propre

temporalité d’élaboration et de transmission. Pouvoir et Savoir, en tant que tels, sont

généralement considérés comme les mieux à même de traiter la violence. L’école est

ainsi comprise entre exercice du pouvoir (visée de domination) et, dans une

dynamique du lien social, logique collective. Elle se présente pour une majorité

d’élèves comme intermédiaire (sorte de formation de compromis) entre institution

(l’autorité et la hiérarchie, l’instruction et l’éducation) et association (les pairs et la

coopération, l’échange d’informations et de connaissances).

Ainsi, trois éléments déterminant dans les étapes nécessaires à la subjectivation

de la violence, à son traitement sont mis en exergue par cette recherche : le type

d’Autre (parental, familial, scolaire, social) et le mode de rapport à lui, le poids res-

pectif de fonctions antagonistes de l’école (pouvoir – savoir), la modalité de prise de

position du sujet vis à vis de la violence.

Dernier aspect enfin, la relation, dont attestent les témoignages des élèves les

plus au clair et les moins mal à l’aise avec la violence, entre la reconnaissance, l’as-

somption par le sujet de sa propre violence et le savoir y faire avec la violence dont il

est capable et susceptible de faire montre tant dans la relation à l’autre, dans ses pra-

tiques et actes que dans son effort pour en faire un savoir transmissible. Et comme

illustration la plus immédiate, on relève, à titre de constante, que le témoignage de

l’enfant sur la violence, dans le cadre de l’interview, apparaît d’emblée ou se révèle à

l’usage, comme une amorce de traitement de la violence. En effet, il y a un rapport

très net entre la vivacité, voire la pugnacité de l’engagement de l’enfant dans sa prise

de parole, l’effort qui est le sien pour s’expliquer avec et sur la violence, et ce qu’il fait

ou pas, là comme ailleurs, de sa violence, voire de celle qu’un autre peut lui opposer,

déjà dans et par l’énonciation elle-même.

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Violence et position subjective : quand les élèves nous enseignent

Il y a un rapporttrès net entre la viva-

cité, voire la pugnacitéde l’engagement de

l’enfant dans sa prisede parole, l’effort qui

est le sien pour s’expli-quer avec et sur la vio-lence, et ce qu’il fait oupas, là comme ailleurs,

de sa violence, voirede celle qu’un autre

peut lui opposer, déjàdans et par l’énoncia-

tion elle-même.

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Conclusion

La recherche que nous sommes en passe de conclure permet de déboucher sur

trois perspectives essentielles :

La violence dépend de l’état des différents liens sociaux mais aussi des décisions

des sujets, toujours impliqués, d’une manière ou d’une autre, dans celle-ci, mais plus

ou moins engagés dans le fait d’y et d’en répondre. En effet, quel que soit le rapport

à l’Autre qui a été ménagé à l’enfant, le sujet est responsable de la position qui s’en

déduit et qu’il se doit d’assumer. Mais, sur un plan plus général, la violence, dans le

champ social et scolaire, renvoie aussi à l’état de la fonction d’autorité qui prévaut et

domine dans le groupe, l’institution, la communauté, la société. D’où cette interro-

gation : est-il possible d’inventer et de développer une forme et un exercice de l’au-

torité qui soient tels que les sujets ne soient pas tentés de lui substituer un pouvoir

« autoritaire » (qui force et fausse l’autorité parce qu’il ne fait pas autorité) mais qu’ils

soient plutôt poussés à y chercher et y trouver une limite du pouvoir et une chance

de limitation de ses abus?

Deuxième perspective : notre étude fait apparaître, en France comme en

Colombie, que la norme dominante (les P.O.P.P., « petits oedipiens presque parfaits »)

est moins un aboutissement, un terme, un achèvement, qu’une sorte de carrefour.

Pour une société donnée, ce sera le reste de la population et la manière dont il pèsera

ou non, qui donne une idée de l’orientation globale présente et des directions à venir

du lien social : soit vers un Autre appelé à devenir d’autant plus tyrannique qu’il sera

et restera en faillite ou défaillant; soit vers un Autre amené à s’effacer peu à peu pour

laisser au sujet sa place et sa responsabilité, à charge pour ce dernier de s’en saisir ou

de s’abstenir. C’est dire que rien n’est joué d’avance, de même que rien n’est jamais

acquis.

D’où – ce sera notre dernière proposition – l’importance pour l’avenir de nos

démocraties modernes d’un nécessaire développement, au sein de l’école, des prati-

ques d’expression citoyenne (telles que médiation scolaire, parlements d’enfants,

petits conseils, etc.). Ainsi, seul un ensemble cohérent (et non dépendant du seul

degré de mobilisation et de motivation des divers intervenants scolaires) d’actions de

sensibilisation et de prévention vis-à-vis des diverses formes de violence (harcèle-

ment, incivilités, maltraitance, abus sexuels, etc.) peut permettre à chaque élève de

s’engager sur les voies de l’éthique et de la responsabilité. Quitte, pour ce faire, à ce

que l’institution lui laisse le temps et l’accompagne dans la modification, voire la rec-

tification d’une position subjective par trop attachée à l’Infantile.

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AnnexeExemple de vignette clinique

« L’otage de la honte »NOKTARIA ( 9 ans) - CAS N° 47 – Catégorie 4

Noktaria demande à la psychologue si elle n’a pas peur lorsqu’elle voit des

enfants, « parce que moi, quand je vois des enfants, j’ai honte ». Elle a honte parce

qu’ils lui disent des « trucs » méchants. Elle est otage de la violence sous la forme de

la honte. Quand elle a honte, elle ne parle pas. Elle nous parle beaucoup de bagarres

à l’école et nous dit quelque chose de son fantasme : elle a peur d’être prise en otage.

Elle nous livre encore une formule surprenante en décrivant une scène de bagarre:

« je me suis frappée par ». Elle a peur de la mort : « je me dis parfois dans ma tête com-

ment ça se fait qu’on va être mort, on va être enterré plein de gens autour de nous ». La

violence l’entoure, elle y est immergée au quotidien. Elle est en plein dans le champ

social sans médiation : si on la frappe, elle frappe. Sa crainte, c’est que la violence

autour d’elle l’enterre, la prenne en otage. Pour elle, tout est violence et la seule régu-

lation possible, c’est l’école. On a ici affaire à un déficit du lien social et l’école est

alors comme territoire le seul lieu possible de contention et de défense : à l’intérieur

on est protégé. Elle appelle à la contrainte, à l’ordre. C’est un sujet oedipien modèle,

en pleine « crise » autour de la question de la violence, sans aucun symptôme. Face à

la violence, elle répond par le fantasme: elle est soit enlevée soit battue. Avec

Noktaria, nous restons dans l’évènement, dans un énoncé des faits de violence dont

elle reste l’otage. C’est assez inquiétant pour le lien social : elle est dans un discours

défait qui ne tient que par la force.

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