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UvA-DARE is a service provided by the library of the University of Amsterdam (http://dare.uva.nl) UvA-DARE (Digital Academic Repository) Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard) Doude van Troostwijk, C.H. Link to publication Citation for published version (APA): Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard). Straatsburg: in eigen beheer. General rights It is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s), other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons). Disclaimer/Complaints regulations If you believe that digital publication of certain material infringes any of your rights or (privacy) interests, please let the Library know, stating your reasons. In case of a legitimate complaint, the Library will make the material inaccessible and/or remove it from the website. Please Ask the Library: https://uba.uva.nl/en/contact, or a letter to: Library of the University of Amsterdam, Secretariat, Singel 425, 1012 WP Amsterdam, The Netherlands. You will be contacted as soon as possible. Download date: 21 Apr 2020

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UvA-DARE (Digital Academic Repository)

Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard)

Doude van Troostwijk, C.H.

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Citation for published version (APA):Doude van Troostwijk, C. H. (2003). Trouvaille. Anamneses de la critique (Kant, Freud, Lyotard). Straatsburg: ineigen beheer.

General rightsIt is not permitted to download or to forward/distribute the text or part of it without the consent of the author(s) and/or copyright holder(s),other than for strictly personal, individual use, unless the work is under an open content license (like Creative Commons).

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Chapitr ee 3

Au-delaa de La can

LeLe travail du rêve ne pense pas

LeLe trope et la trouvaille

Laa trouvaille concerne la rencontre avec ce qui fait chercher. C'est par FF anamnese qu'on y parvient (san s jamais être en état d'y arriver). La trouvaille see distingue de Finvention et de la découverte, dont elle est la presupposition. Ellee se distingue également de tous ces 'tropes', qui font 1*essence de la rhétorique.. Barthes traduit 'trope' par « conversion », Foppose aux 'figures' -quii ne sont que des ornements1 - et en fait une partie de Velectio. « Uelectio impliquee que, dans Ie langage, [...] le locuteur peut substituer un signifiant a un autre,, il peut même dans cette substitution produire un sens second (connotation).. »2 Les 'tropes' sont, comme Finvention rhétorique, moins 'créatifs'' que Fon ne les pense être. « Tout existe déja, il faut seulement le retrouverr » : Vinventio concerne la découverte de sujets a traiter, et elle est une notionn « plus extractive que creative ».3 Les 'tropes', étant 'conversions', restent ainsii entièrement dans Fordre discursif de la signification.

Laa trouvaille n'est done pas 'trope', mais elle y ressemble tout de même.. Dans un premier temps par son 'effet de conversion' - elle motive la recherchee -, dans un deuxième temps par la creation de sens nouveaux, qui violentt Fordre du discours aussi bien qu'ils s'insèrent comme nouvelles significations.. Le 'trou' de Ia trouvaille est le tropè, conversion 'avant' les tropess discernés par la tradition des rhéteurs et des linguistes.

Danss sa conception (post-)structuraliste de la psychanalyse, Lacan a postuléé une analogie entre processus inconscients et figures tropiques, a savoir entree ce que Freud appelle d'un cöté le déplacement et la condensation, et de FF autre la metonymie et la métaphore. Les deux tropes, dans leur usage par Lacan,, sont pertinents pour la question de la trouvaille. La métaphore est, pour Lacan,, poétique, c'est-a-dire qu'elle a pour effet la production d'un signifié, d'unee « étincelle créatrice », è partir de la substitution d'un signifiant par un

11 Ceci a rencontre de, par exemple, Reboul qui identifie 'trope' è 'figur e de sens'. Olivier Reboul LaLa rhétorique. Paris: PUF, 1993 (1984X pp. 42-51. 22 Roland Barthes 'L'ancienne rhétorique. Aide-memoire', in: idem L 'overture sémiologique.Parissémiologique.Paris : Seuil, 1985, p. 156. 33 Ibid, p. 125. Pour le développement de Vinventio dans 1'histoire de la rhétorique, cf. André dellaa Santa Une culture de I'imagination. Ou finvention en rhétorique. Genève: Patino, 1986.

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autre.. C'est 1'effet rhétorique de sens, dont Lacan souligne, nonobstant Panalyse d'Eco,, P aspect inventif. Parce que la signification métaphorique s'insère dans le langagee bien structure, langage du sujet conscient, elle ne coincide pas avec notree trouvaille. Elle en est néanmoins un indice après coup. Ce qui fait chercher,, est pour Lacan « le manque de 1'être », installé dans la relation entre sujett et objet. Le processus métonymique a pour effet d'installer ce manque, commee coupure entre sujet et objet.4 La metonymie lacannienne s'approche donee de la trouvaille, en ce qu'elle s'érige sur Pabsence de 1'être, sur un 'trou ' d'' « ek-sistence ».5 La metonymie transfère la rencontre avec cette absence de la presencee au niveau langagier oü les signifiants s'accumulent pour former le systèmee structural.

Danss ce qui suit, nous commencerons par une presentation des processus primairess freudiens (les travaux de rêve) et de la lecture critiqu e qu'en fait Lyotard .. Lyotard souligne que pour Freud, 1'essentiel du rêve n'est pas la TraumgedankeTraumgedanke mais la Traumarbeit (DF, 240). Le rêve {Trauminhalt\ dit-il , n'estt pas un texte, ni une parole codifiee par la censure pour oblitérer un autre texte,, le message du désir {Traumgedanke) qui serait trop violent pour être manifestéé a la conscience du sujet. « Le désir ne parle pas, il violente Pordre de laa parole » (DF, 239). Par conséquent il n'y a pas d'interpretatio n réussie et definitive.. Le rêve est 1'ceuvre, 1'effet d'un travail du désir, et e'est en ceci qu'i l ressemblee a Tart. Dans le rêve, Ie désir construit en prenant, en toute liberté, discourss et figures comme matériau. Pour Lyotard, le rêve n'est qu'une autre expressionn du 'fantasme originaire' , consciencieusement décrit par Laplanche et Pontaliss dans un texte auquel nous attribuons une tres grande influence sur les reflexionss lyotardiennes.

Ensuite,, nous allons reconstruire un argument qui aurait pu forcer Lacan aa la double correction du signe tel que Ferdinand de Saussure 1'avait concu, a savoirr è la separation du signifiant et du signifié, ensuite a Pautonomisation du signifiantt pur, et è sa mise en priorit é par rapport au signifié.7 Cela implique aussii une priorit é de la metonymie sur la métaphore. Nous voulons montrer comment,, dans une certaine mesure, Pabsence d'origine, impliquée dans le fantasmee originaire, est présente dans la pensee lacannienne sous la forme du signifiantt pur, signifiant 'apostrophe'. La metonymie implique le signifiant irrécupérable,, archi-signifiant dont on ne peut même pas dire sans hesitation qu'i ll soit signifiant. Nous allons renforcer, pour ainsi dire, le moment du

44 'I/instance de la lettre dans 1'inconscient', in : Écrits l Paris: Editions du Seuil (Poche), 1966, p.. 274. ** Television. Paris: Editions du Seuil, 1974, p. 16. 66 Livre écrit après leur rupture avec Lacan. Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis Fantasme originaire,originaire, fantasmes des origines, origines du fantasme. Paris: Hachette, 1998 (1964), pp. 7-9. 77 Alain Juranville Lacan et la Philosophie. Paris: Quadrige/ Presses Universitaires de France, 19%% (1984), pp. 47-53,120-140, 377-388.

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manquee du reel dans la metonymie, moment que Lacan lui-même élaborait dans Iee séminaire sur Féthique de la psychanalyse sous Ie nom de 'La Chose' (Das Ding)} Ding)} Enfin,, en ce faisant, nous voulons mettre en avant la relation ambigue de Lyotardd a Lacan, a qui il reproche de soumettre 1'inconscient è Pordre symboliquee et de réduire Ie figural au discursif, mais a qui il doit également la notionn de la 'chose', notion récurrente dans ses écrits postérieurs au Différend. D'unn cöté Lyotard critique Lacan pour son 'nihilisme' - Ie manque et Ie Grand Signifïantt fonctionnent comme conditions transcendantales et font négliger la forcee libidinale -, d'un autre cöté il instituera Ie libidinal sur la 'chose' comme instancee de surabondance, d'excès. C'est exactement ce double aspect de la 'Chose',, manque et surabondance, qui en fait Tobjet' (un objet impossible) de laa trouvaille : manque qui donne, trouvaille qui fait chercher.

LeLe rêve et ses quatre travaux

Lee choix du titre 'Le travail du rêve ne pense pas' de Pun des chapitres de Discours,Discours, figure est programmatique des influences freudiennes de Lyotard a Pépoque.. II fait reference a un passage dans la Traumdeutung de Freud. « Die eigentlichee Traumarbeit ist nicht etwa nachlassiger, inkorrekter, vergesslicher, unvollstandigerr als das wahre Denken; sie ist etwas davon qualitativ völlig verschiedeness und darum zunachst nicht mit ihm vergleichbar ».9 Le travail de rêvee se distingue radicalement de la pensee logique. C'est un fait connu, pour Freudd le rêve est le produit d'un conflit psychique. C'est la raison pour laquelle le rêvee peut être source d'enseignement sur la névrose, qui, elle aussi, est le produit d'unn tel conflit. II s'agit du conflit entre Pinconscient et le conscient, ou mieux, entree Ie processus primaire (primar Vorgange) et le processus secondaire {secondar{secondar Vorgöngè), dans lequel le rêve se présente comme compromis. Malgré leurr opposition claire, Freud utilise le terme 'penser' aussi bien pour le premier que pourr le second. La conscience pense, Pinconscient le fait aussi. La question se posee néanmoins de savoir si ces deux formes de pensee sont comparables et compatibles;; la réponse a dormer est ambigue et paradoxale: oui et non è la fois.

Laa pensee consciente a lieu dans des formes bien établies, comme celles quee Kant, par rapport è qui Freud se positionne régulièrement10, avait appelées les

88 Jacques Lacan L 'éthique de la psychanalyse. Le séminaire, livre VIL Paris : Editions du Seuil, 1986,, pp. 55-86,121-136,139-152. 99 Sigmund Freud Die Traumdeutung. Frankfur t am Main : Fischer Taschenbuch Verlag, 1996 (1900),, p. 499.

Parr exemple, dans les Neue Fotge der Vorlesungen zur Einfuhrung in die Psychoanalyse, on lit : «« Es gibt im Es nicht, was man der Negation gleichstellen könnte, auch nimmt man mit Uberraschungg die Ausnahme von dem Satz der Philosophen wahr, dafi Raum und Zeit notwendigee Formen unserer seelischen Akte seien ». (Sigmund Freud Neue Folge der

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AnschauungsformenAnschauungsformen du temps et de Pespace, et que Freud nomrae temporalité secondairee (compare EL, 61). Ceci mis a part, la pensee consciente respecte les loiss de !a logique aristotélicienne, a savoir la triade de la loi d'identité, de non-contradictionn et du tiers-exclu. Cette formalit é intuitiv e et cette logique discursive nee valent pas pour la 'pensee mconsciente', qui pour cette raison est a placer entre parentheses.. L'inconscient se trouve au-dela du conscient, avant toute determinationn formelle ou catégorielle des contenus de la conscience. L'inconscient,, qui est done par definition Pindéfïnissable, dok être approché de manieree negative. Sa 'pensee' se caractérise par sa difference de la pensee consciente.. Néanmoins, en employant Ie terme de 'pensee' dans les deux cas, Freudd suggère un lien entre les deux niveaux psychiques. Les extremes se touchent enn ce que Pon vient de designer comme leur 'conflit' , terme qui indique a Ia fois la relationn et la separation. Dans leur difference, c'est, dans les termes de Freud, la censuree qui determine leur rapport. Censure de quelque chose dont Papparition danss la conscience serait désastreuse. Ainsi, pour Freud, la 'pensee' dans l'inconscientt consiste en un désir de Pintolérable, articulé dans la double defense duu complexe oedipien.

L'inconscientt peut done être approché a partir de la conscience, c'est-a-diree a partir d'indications ou de signes qui dévoilent Ie fait qu'i l y ait eu censure. Parmii des signes comme Ie lapsus, Ie symptöme névrotique ou Ie Witz, se trouvent less rêves. Le rêve est pour Freud la voie royale a l'inconscient. En étant signe, il faitt partie de la pensee consciente ou préconsciente. « Der Traum ist ihm Grunde nichtss anderes als eine besondere Form unseres Denkens, die durch die Bedingungenn des Schlafzustandes ermöglicht wird. »n Ce qui signale l'inconscientt est done articulé comme pensee, mais il Pest dans des conditions psychiquess spécifiques, celles du sommeil. Dans le sommeil, la censure doit faire sonn travail sans Paide directe de la conscience et de sa pensee. Ces 'pensees' de Pinconscience,, c*est-a-dire les désirs, sont aptes a contourner plus aisément la censure.. Dans le rêve, le désir mconscient se realise, en prenant le materiel de la viee consciente comme elements pour batir son histoire. II est « ein verkleidete Erfullun gg eines verdrangten Wunsches ».12

Danss la terminologie freudienne cela se traduit par une série d'expressions:: le Traumgedanke, le Trawninhalt et la Traumdeutung. La série correspondd a la topique tripartit e de la psyche: inconscient - préconscient -conscientt En premier lieu, le contenu du rêve {Trauminhalt) est le rêve comme representationn narrative et figurative, en deuxième lieu, on a le 'déguisement' de la 'pensee'' de rêve (Traumgedanke), déguisement dans le but d'éluder la censure. En

VorlesungenVorlesungen zur Einjuhrung in die Psychoanalyse, in : Studienausgabe, Band 1. Frankfur t am Main:: Fischer, 1969, p. 511. Comparer encore a 1'interpretation que Freud donne du doublet kantienn du ciel étoilé et de la loi morale, interpretation en termes de YÜber-ich et de la divinit é paternellee (ibid., pp. 500, 591). "" Freud Traumdeutung, p. 499 note. 122 Ibid

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dernierr lieu, 1'interpretation du rêve (Trawndeutung) se comprend comme la traductionn de ces pensees dans Ie vocabulaire de la conscience. Traduction en principee impossible, mais qui est dirigée par 1'ideal de la reconstruction ou de la 'retrouvaille ** de la pensee 'originaire* du rêve. Dans cet ordre triparti , il faut savoir conserverr une juste mesure. On ne peut introduire , sans problèmes, des contenus oniriquess dans Ie discours conscient: une interpretation est nécessaire pour pouvoirr les traiter comme des arguments discursifs, 1'interpretation implique nécessairementt une trahison. D'autre part, il serait naif de vouloir identifier le contenuu du rêve avec sa 'pensee'. Le rêve est déja en soi une forme retravaillée de laa 'pensee inconsciente'. Comme la Trawndeutung 'traduit ' le contenu en une significationn discursive et comprehensible, le 'travai l du rêve' (Traumarbeit) 'traduit '' la 'pensee' inconsciente en contenu représentatif du rêve. II est essentiel dee souligner la difference entre ces deux processus, puisqu'elle pose la question de savoirr dans quelle mesure travail de rêve et interpretation du rêve se réduisent Tun aa I'autre . Peut-on rendre justice a ce qu'est le travail de rêve par 1'interpretation discursivee ? Est-ce que la 'pensee' du rêve se manifeste jamais a la conscience ? Ouu bien y aura-t-il toujours hétérogénéité entre les deux operations, une hétérogénéitéé dont la consequence est que toute interpretation est faillible , destinée aa 1'infinit e de Feffort ? L'interpretatio n est-elle la voie adequate pour arriver a son propree ideal ?13

Lee chapitre 'L e travail du rêve ne pense pas' dans Discours, figure trait e dee cette problématique. Dans son 'différend' avec Lacan (Pér, 29), Lyotard prend laa defense de 1'hétérogénéité du travail de rêve et de son interpretation.14 Il en a trouvéé un point d'appui chez Freud lui-même. « (Die eigentliche Traumarbeit] denkt,, rechnet, urteil t überhaupt nicht, sondern sie beschrankt sich darauf umzuformen.. »15 Le travail de rêve n'est pas une pensee, ni une interpretation, il estt un processus de transformation, dans lequel Freud a discerné quatre types de transformation. .

Danss la première, la Verdichtungsarbeit (condensation) il s'agit de 'comprimer '' les contenus oniriques. Cette condensation est comme un entonnoir, quii permet de concentrer dans un petit volume un (vaste) éparpillement de pensees inconscientes.. Par rapport au contenu d'un rêve, 1'interpretation qui est idealiter -maiss seulement idealiter - le dépliage de la pensee 'originelle' , prend beaucoup pluss de temps et de place. Ainsi, il est clair « dafi man eigentlich niemals sicher ist, einenn Traum vollstandig gedeutet zu haben; selbst wenn die AuflÖsung befriedigendd und lückenlos erscheint, bleibt es doch immer möglich, dafi sich noch

133 Ricceur articule le problème comme celui du rapport entre énergétique et herméneutique. (De {'interpretation.{'interpretation. Essai sur Freud. Paris: Editions du Seuil, 1965, pp. 99-125.) 144 Malgré sa critique, Lyotard s'adaptah régulièrement au vocabulaire lacanien. (Par exemple: DMF,, 119,121, 135; DP, 116,126-127,210-211.) 155 Freud Trawndeutung, p. 499

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einn anderer Sinn durch denselben Traum kund gibt. Die Verdichtungsquote ist also -- strenggenommen - unbestimmbar ».

Ensuite,, une deuxième transformation correspond a 1'opération de déplacementt (Verschiebungsarbeit): Ie rapport du centre a la marge est renversé.« Wass in den Traumgedanken offenbar der wesentliche Inhalt ist, braucht im Traum garr nicht vertreten zu sein. Der Traum ist gleichsam anders zentriert, sein Inhalt umm andere Elementen als Mittelpunk t geordnet als die Traumgedanken. »' Les 'pensees** de rêve sont apparemment décontextualisées et rattachées a d'autres noyaux.. Ce qui paraït central dans Ie rêve, peut ne pas Fêtre au niveau de la 'pensee'' de rêve. Le rêve peut même répéter des elements, leur accordant ainsi a tortt de T importance. Il s'agit selon le paradigme thermodynamique de Freud, d'un déplacementt des intensités, des energies, d'une surdétermination de certains elementss au détriment des autres. Pour Freud Popération de déplacement a priorit é surr celle de condensation, comme peut 1'expliquer le bel exemple que donne Lyotardd dans Discours, figure (DF, 247). Disons que le texte 'revolution d'octobre'' est la 'pensee' du rêve. En soulignant quelques elements dans ce textes parr le déplacement, la distributio n singuliere et la concentration des intensités, la 'pensee'' recoit son rythme particulier : 'revolution d'octobre' (DF, 247-248). Lors duu déplacement les elements surcharges se mettront sur le devant de la scène, puis dee 1'opération de condensation résultera : 'révon d'or' . Lyotard souligne ici que le déplacementt a lieu dans un espace bidimensionnel, tandis que la condensation exigee 1'épaisseur et la dimension tri-dimensionnelle.

Laa troisième operation onirique est tres importante pour 1'argumentation anti-lacannienee de Lyotard dans Discours, figure. Il s'agit de ce que Freud appelle RücksichtRücksicht auf Darstellbarkeit. Lyotard la traduit par « egards pour la figurabilhé »» ; Lacan en revanche, et de maniere significative, la traduit comme « égard aux moyenss de la mise en scène » (DF, 248). Pour Lacan, la mise en scène obéit aux loiss de 1'écriture, c'est-a-dire qu'elle est de 1'ordre des signifïants.18 Le principe concemeraitt la mise en figure de la 'pensee' inconsciente, de maniere telle qu'elle puissee trouver sa place dans le rêve. A 1'entrée du rêve, le Traumarbeit trait e la 'pensee'' pour lui trouver une image, une scène. Lyotard s'oppose a cette interpretationn lacanniene. Entre la pensee du rêve et le travail du rêve, il y a

166 Ibid, p. 285 177 Ibid., p. 309-310 "" « Qu'est-cc que distingue [Verschiebung et Verdichtung] de leur homologue functions dans le discours?? - Rien, sinon une condition imposée au materiel signifiant, dite Rücksicht auf DarstellbarkeitDarstellbarkeit qu'il faut traduire par : 'égard aux moyens de la mise en scène (la traduction par : rolee de la possibility de figuration étant ici par trop approximative). Mais cette condition constitue unee limitation qui s'exerce a 1'intérieur du système de 1'écriture, loin qu'elle le dissolve en une semiologiee figurative oü il rejoindrait les phénomènes de 1'expression naturelle. [...] Disons que lee rêve est semblable è ce jeu de salon oü Ton doit, sur la sellette, donner a deviner aux spectateurss un énoncé connu ou sa variante par le seul moyen d'une mise en scène muette. [...] Lee travail du rêve suit les lois du signifiant. » Jacques Lacan 'L'instance de la lettre dans l'inconscient',, in : Éerits l. Paris: Editions du Seuil (Poche), 1966, p. 269-270.

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hétérogénéité.. Le travail du rêve trait e les mots de cette pensee comme on trait e dess choses. « Le travail n'est pas une interpretation de la pensee de rêve, un discourss sur un discours; pas davantage une transcription, discours a partir d'un discours;; il est sa transformation » (DF, 241). Lyotard affirm e que, si pour Lacan, lee signiüant est tout, son inconscient est voué a la perte de tout ce qui est reference ouu figure. En ceci Lacan reste métaphysicien, reste « le dernier grand philosophe francaiss » (RP, 44): « Faire de 1'inconscient un discours, c'est omettre Ténergétique.. C'est faire complice de toute la ration occidentale, qui tue Tart en mêmee temps que le rêve. On ne rompt pas du tout avec la métaphysique en mettant duu langage partout, au contraire, on 1'accomplit; on accomplit la repression du sensiblee et de la jouissance »(DF, 14).19

Enfin,, c'est 1'opération de la sekundare Bearbeitung qui, issue de la pensee réveilléee (wache Denken), s'ajoute a la forme et au contenu du rêve. « Wir haben einenn einwandfreien Beweis dafur, daÖ nicht alles, was der Traum enthalt, aus den Traumgedankenn stammt, sondern dafi eine psychische Funktion, die von unserem wachenn denken nicht zu unterscheiden ist, Beitrage zum Trauminhalt e liefern kann.»200 Il s'agit par exemple de la censure qui vient s'installer dans le rêve pour encoree le corriger de Pintérieur. C'est comme si, dit Freud, la censure, après un momentt d'absence, introduisait la pensee réveillée dans le rêve dans le but de neutraliserr son contenu trop menacant.

HétérogénéitéHétérogénéité du travail de rêve contre l 'hegemonie du symbolique

Suitee aux quatre operations oniriques, la réponse a la question posée ci-dessus est simple.. Non, en principe 1'interpretation du rêve n'a pas de fin. L'hétérogénéité entree le contenu du rêve, resultant du travail du rêve, et sa pensee latente en est la cause.. Freud en tir e la consequence thérapeutique en introduisant le terme

199 En effet, Lyotard risque de faire ici la faute 'classique', comme par exemple celle du lapsus de Mooijj 'L'inconscient est un langage' (Het onbewuste is een taal; Antotne Mooij Taal en verlangen.verlangen. Lacans theorie van de psychoanalyse. Meppel: Boom, 1983 (1975), 119). Lacan ne dit pass que l'inconscient est langage, mais qu'i l est structure comme un langage. L'accent est d'ailleur ss a mettre plutöt sur Funité de sens (par la position du sujet) que sur 1'opposition entre langagee et figure. Selon Lyotard, le 'figuraT travailïe le langage de 1'intérieur . « Can we think withoutt the subject ? [...] Even the considerable contribution that psychoanalysis, especially in its Lacaniann form, has been able to contribute to the elaboration of this question does not seem to us philosopherss to be sufficient [...] In (reintroducing the capitalized Other, Lacanian thought reconnectss with a certain idea of the unity of 'sense'. Obviously, I am well aware that it is a unity off sense of the singular unconscious, and that this sense remains a problem concerning the communicabilityy of the different unconscious governed by the grands A which are in principl e heterogeneouss each from the others. Nevertheless, the properly theoretical aspect of Lacanian thoughtt (at the beginning, at least) seems to me to resort more to a very profound and very subtle renewall of Platonic thought as a way of taking serious consideration of the crisis of the subject afterr Kant. » Lyotard dans un interview avec G. van den Abbeele, in : Diacritics (vol. 14, no 3), Baltimore:: The Johns Hopkins Univesity Press, fall 1984, pp.294-295.) 200 Freud Traumdeutung, p. 483

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DurcharbeitungDurcharbeitung (perlaboration) qui a une grande valeur pour Lyotard (Compare a L'Inh ,, 35,39; MPhil , 99-100). La perlaboration est, plus que la remémoration des souvenirss refoulés et la repetition dans Ie transfert, la phase decisive d'une cure. Ellee permet d'accepter Ie refoulé de maniere telle que ce dernier n'incit e plus a la repetitionn involontaire. Le terme est ambigu et difficilement définissable. Perlaborerr indique le processus interminable de reprendre le passé refoulé dans le butt de Foublier. Mais quand sait-on Pavoir terminé ? Pour Lyotard, Pinfinit é de 1'interpretationn trouve sa justification dans Pinadéquation entre contenu et 'pensee' dee rêve. La constatation de Freud que Pessentiel du rêve est a trouver dans le travaill du rêve, Lyotard la voit comme obstacle insurmontable pour 1'interprétation .. L'interpretatio n vise a verbaliser ce qui, selon ropération de RücksichtRücksicht auf Darstellbarkeit, est essentiellement figurale. Et comment sait-on avoirr trouvé dans 1'interprétation les bonnes manières de renverser les operations dee déplacement et de condensation ? N'est-il pas vrai que la 'pensee' de rêve, traitéee par le travail du rêve, se retir e dans un passé pour toujours perdu ? Et, inversement,, n'est-il pas vrai que la pensee du rêve ne s'est jamais montrée dans unn état 'pur ' ou originel ?

Or,, le conflit entre lui et Lacan, comme Lyotard Pesquissait dans Discours,Discours, figure, portait exactement sur Phégémonie de 1'interprétation, c'est-a-diree sur Phégémonie du théorique ou, en termes lacaniens, du symbolique. Dans PeregrinationsPeregrinations Lyotard se souvient de sa resistance a Lacan, a Pépoque encore mall articulée. Nous Ie citons amplement, puis que cette resistance révèle clairementt Penjeu de la pensee lyotardienne et la direction que va prendre son propree usage de Freud.

[Maa resistance] ne vise pas le 'grand A' du schema lacanien. Au contraire, lee concept A permet de bien fonder, je crois, la difference entre désir et demande,, entre ce que Lacan nomme le reel qui relève de Pordre du désir ouu du ca, et Pimaginaire qu'i l renvoie a Péconomie du Moi et de sa demande.. L'irritatio n que j'éprouvais a la lecture de Freud par Lacan me venaitt du symbolique. Ce troisième nom couvre le 'reste', Pensemble du champp du langage, la connaissance. De cette distribution , il résulte que toutt savoir se constitue dans la seule forme théorique et que cette forme est èè concevoir comme réseau ou une structure depositions signifiantes. De cee fait, les autres modalités de Pexpression (de phrase) ne peuvent qu'être rejetéess a Pimaginaire, au leurre. En particulier , les formes, les divers modess d'organisation des 'données' en étendue et en durée, les rythmes sonores,, la correspondance des timbres, les rythmes des couleurs et des valeurss lumineuses, la compositions des lignes, des surfaces et des volumes,, Pécriture enfin comme art, - il faudrait penser tout cela comme

211 Laplanche ; Pontalis, 305

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issuu d'un inconscient occupé a satisfaire la demande et è tromper Ie désir (Pér,, 29-30).

Lyotardd defend ce qui est essentiel dans les processus inconscients, sentiments, forces,, 'timbres' , figures et formes, contre Ie symbolique et Ie concept22 II ne s'agitt pas ici d'une critiqu e de Lyotard sur Ie symbolique, entendu comme 1'herméneutique.. Lyotard ne reproche pas a Lacan de prétendre réduire Ie rêve a sa significationn complete. Il s'oppose a la hiërarchie impliquée par Lacan au détrimentt de F imaginaire et du fantasme. « Plus Ie fantasme pénètre dans Ie préconscient,, écrit Antoine Vergote en se declarant 'entièrement d'accord avec la penetrantee analyse et la demonstration convaincante' de Lyotard en Discours, figure,figure, plus il s'organise évidemment en une sequence articulée par les lois du II an gage. Plus il est proprement fantasme, moins il a une structure langagière. Ce quee dit Freud du rêve vaut du fantasme : sa manifestation la plus proche possible estt visuelle. »23 Lyotard prend Ie parti de 1'imaginaire et du fantasmatique qui restentt présent dans Pordre symbolique sans y être réductibles. Cette presence 'différentielle '' dans 1'ordre oppositionnel, s'intitul e sous sa plume, 'flgurale' . Pourr pouvoir juger de la resistance de Lyotard, il faut prendre en consideration qu'ellee s'érige sur Ie fond de la formule souvent citée de Lacan : « 1'inconscient est structuree comme un langage ».24 Il ne nous faut pas nous méprendre sur cette expression,, et faire dire a Lacan : « 1'inconscient est un langage ». Dans ce cas, Lacann aurait naïvement reduit 1'inconscient au conscient. Non, la formule est a prendree a la lettre, si Ton veut comprendre pourquoi elle a incite è une telle resistancee de la part de Lyotard. Elle dit d'abord que Ie langage est structure et que, similairement,, 1'inconscient aussi est structure. Ensuite elle presuppose que ces deuxx structures relèvent de signifiants qui ne sont qu'arbitrairemen t lies aux signifies.. Et enfin, elle dit que la correspondance est a comprendre de telle maniere quee Verschiebung et Verdichtung soient a considérer comme les pendants inconscientss des procédures langagières de la metonymie et de la métaphore. Avantt de revenir sur cette problématique, étudions d'abord les problèmes impliquéss par la caractérisation saussurienne du signe comme arbitraire .

222 Le primat du symbolique trouve sa source dans la lecture d'Hégel par Kojève. Phillipe van Hautee Psychoanalyse en filosofie. Het imaginaire en het symbolische in het werl van Jacques Lacan.Lacan. Leuven: Uitgeverij Peeters, 1989, pp. 48-52. Le primat reside dans 1'analogie entre l'Autr e (instancee de 'lalangue') et 1'inconscient structure comme une langue (Mooij , o.c, p. 120). Lacan expliquee clairement: « Il n'y a d'inconscient que chez 1'être parlant » et « la condition de 1'inconscient,, c'est Ie langage » (Television. Paris: Editions du Seuil, 1974, p.15). L'inconscient, conditionnéé par le langage, est la coupure qui installe une béance, un « trou » dit Lacan, entre le sujett et le reel (Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Le séminaire, Ihrre XI. Paris:: Editions du Seuil, 1973, pp. 32-33). 233 Antoine Vergote La psychanalyse al'épreuve de la sublimation. Paris. Cerfj 1997, p. 133. 244 Comparer a 'L'inconscient freudien et le nötre', in: Jacques Lacan Les quatre concepts fondamentauxfondamentaux de la psychanalyse. Le séminaire, livre XI. Paris : Editions du Seuil, 1973, pp. 25-36. .

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SaussureSaussure et l'arbitraire du signe

Danss ses Cours de linguistique générale, Ferdinand de Saussure introdui t Ie termee 'signifiant ' et explique comment fonctionne Ie signe dans Fusage quotidien.. Prenons Ie terme 'cheval'. Le mot, croit-on souvent, réfère simplementt a une chose correspondante, a 1'animal existant dans le monde. « Cettee conception est critiquabl e a bien des egards. Elle suppose des idees toutes faitess préexistant aux mots; elle ne nous dit pas si le nom est de nature vocale ouu psychique [...]; elle laisse supposer que le lien qui unit un nom a une chose estt une operation simple, ce qui est bien loin d'etre vrai. »25 De Saussure continuee en constatant que le signe linguistique est ainsi défïni comme un rapprochementt entre deux termes.26 Et il ajoute que ce processus linguistique se déroulee dans 1'esprit humain. « Les deux termes impliqués dans le signe linguistiquee sont tous deux psychiques. [...] Insistons sur ce point. Le signe linguistiquee unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique.. »27 Cette image acoustique est, dans une certaine mesure, materiell le : material it é qui n'est pas a prendre dans un sens physique comme étenduee dans le monde extérieur, mais comme I'empreinte de ce monde dans 1'appareill psychique. L'image acoustique est une « representation, un témoignagee de nos sens ».28 Mais elle n'est plus le sensible comme tel; elle en estt une sorte d'abstraction psychique, une dématérialisation de Pextériorité. Cee que Ton appel le couramment 'signe', est une image acoustique que Ton pensee faire reference a une autre chose. Autrement dit, une 'chose' est signe si sonn empreinte dans 1'appareil psychique va de pair avec un concept, sa signification.. Pour garder le lien avec 1'usage ordinair e Saussure propose « de conserverr le mot signe pour designer le total, et de remplacer concept et image acoustiqueacoustique respectivement par signifié et signifiant ».30

L'argumentationn de Saussure, fondement du structuralisme auquel s'opposee Lyotard, se trouve dans ce qu'i l appelle son premier principe, le principe dee l'arbitraire . « Le Hen unissant le signifiant au signifié est arbitrair e ». Le lien entree signifiant et signifié est complètement arbitrair e et contingent. Un langage

255 Ferdinand de Saussure Cours de linguistique générale. Edition critique par Rudolf Engler. Tomee 1. Wiesbaden : Otto Harrassowitz, 1989, p. 97. 266 Ce qui entre parentheses est discutable: déja dans son propre exemple de Saussure suggère trois elements:: chose, mot et idee. Une comparable division tripartite se trouve a la base de la sémiotiquee de Peirce, qui distingue respectivement denotation, signe et interprétant. 277 Saussure, o.c, p. 98. 28/Wrf.,p.98. . 299 Une materialisation qui s'insere dans la problématique de la difference sensorielle, traitée ci-dessouss dans le chapitre 10. 300 Saussure,o.c, p. 99. 311 Ibid, p. 100.

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inconmii est comme un flux des sons. Si Ton ne reconnait pas les unites signifïcatives,, la sensation des pulsions sonores perd sa fonction communicationnelle.. Il en est de même pour Ie concept. Les idees ne sont pas préexistantes.. La pensee est « chaotique par sa nature » et dépend pour sa realisationn de Particulation par et dans des supports signifiants. « Il n'y a done ni materialisationn des pensees, ni spiritualisation des sons, mais il s'agit de ce fait en quelquee sorte mystérieux, que la 'pensée-son' implique des divisions et que la languee élabore ses unites en se constituant entre deux masses amorphes. »32

Remarquonss que, pour étudier la langue, on doit 1'approcher comme un systèmee de signes, Ie signe étant une combinaison des deux aspects. Si Ton essaiee de rechercher 1'un des deux séparément, on ne se retrouve qu'avec des supportss non-significatifs. La recherche linguistique ne peut être qu'une recherchee abstraite : on ne peut réfléchir sur Ie signe que comme 5'il se laissait diviserr en deux parties. Ce qui revient a dire que la linguistique est par nature unee science pure ou, peut-être, 'transcendantale', en ce qu'elle trait e des conditionss de possibilité de la signification. « La langue est comparable a une feuillee de papier : la pensee est Ie recto et Ie son Ie verso ; on ne peut découper Iee recto sans découper en même temps Ie verso ; de même dans la langue, on ne sauraitt isoler ni Ie son de la pensee, ni la pensee du son ; on n'y arriverai t que parr une abstraction dont Ie résultat serait de faire de la psychologie pure ou de la phonologiee pure. »33 Saussure compare encore Ie signe a une combinaison chimique.. Le déliement des composants d'une substance résulte inévitablement danss un changement de nature de cette dernière.34

Enn raison du caractère recto-verso du signe, on ne le peut determiner quee de Pextérieur, done négativement. Les signes ne sont des signes que par les positionss différentes qu'il s occupent dans un réseau consistant en d'autres signes.. Être signe équivaut a être un element d'une structure. C'est des relations entree ces elements que le signe tir e sa determination, c'est-a-dire sa 'valeur' . En effet,, la valeur structurale « est constituée uniquement par des rapports et des differencess avec les au tres termes de la langue ».35 Lyotard, dans son traitement dee la theorie saussurienne, souligne que la signification comme valeur « n'a de senss qu'autant que le langage renvoie a un système clos (la langue) qui ne doit rienn a son objet et, justement du fait de cette extériorité, peut parier de lui» (DF,

322 Ibid., p. 156. 3333 Ibid, p. 157. 344 Saussure lui-même insiste néanmoins sur Pinséparabilité de ces deux elements, quant è Papprochee factuelle du langage. « L'entité linguistique n'existe que par Passociation du signifiantt et du signifié ; des qu'on ne retient qu'un de ces elements, elle s'évanouit [On pourrait comparerr cette unite a deux faces avec] un compose chimique, Peau par exemple ; c'est une combinaisonn d'hydrogène et d'oxygène ; pris a part, chacun de ces elements n'a aucune des propriétéss de Peau » (Ibid., pp. 144-145). ** ssIbid,p.Ibid,p. 163.

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251).. Renferme sur lui-même, Ie système est découpage de la réalité a laquelle ill réfere.

Maiss en raison de cette valorisation, il est possible de montrer Ie caractèree fondamentalement arbitrair e du signe. Un signe peut avoir une toute autree signification que son homonyme, tout dépend de sa place dans une structuree ou un système, dans la langue ou dans le contexte linguistique. Un systèmee ou une structure est un inventaire des elements qui sont determines par leurr relation a 1'ensemble ou a la totalité.36 Pour de Saussure, la difference fondamentale,, dont nait la signification, n'était autre que le complément de Parbitraire .. « Puisqu'il n'y a point d'image vocale qui réponde plus qu'une autree a ce qu'elle est chargée de dire, il est évident, même a priori, que jamais unn fragment de langue ne pourra être fondé, en dernière analyse, sur autre chose quee sur sa non-coïncidence avec le reste. Arbitraire et differentiel sont deux qualitéss correlatives ».37 Un système significatif consiste en des signes qui deviennentt signes seulement a cause de leur place dans le système. Ainsi, seulementt indirectement par le biais de la comparaison systématique, peut-on comprendree que le rapport entre signifiant et signiflé est ouvert.

CritiqueCritique de la décormexion impliquée par le signe saussurien

Pourr Lyotard, le tableau que Ton vient d'esquisser en grandes lignes est inacceptable.. II s'oppose a Parbitrair e qui va de pair, énigmatiquement, avec Pinséparabilitéé de Punité signifiant-signifié. La critiqu e de Lyotard concerne la procéduree que Pon pourrait nommer procédure d'une première * décormexion* qui consistee en une purificatio n et une 'dévisualisation' du signe. L'image-acoustique, commee le dit de Saussure, est une empreinte psychique d'une extériorité. En étant psychique,, de Saussure suggère sa pureté et c'est pour cette raison qu'on vient de nommerr sa prétendue 'matérialité' une 'matérialit é dans une certaine mesure'. L'imagee acoustique reduit le son a Pintériorit é dans le but de le faire disparaïtre souss sa fonction significative. Cette fonction est tout a fait dépendante de la place structurall du signe, ou Popposition determine sa signification. Que le lien unissantt le signifiant et le signiflé soit arbitraire , cela implique que le signe n'est jamaiss naturel, pas même le signe onomatopee, mais qu'i l est en revanche toujours dirigéé par les conventions et les modes de communication culturellement et historiquementt determines.38 Décormexion done de Pexistence réelle des choses et

366 Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov Dictiormaire encyclopêdique des sciences du langage. Paris:: Seuil 1979 (1972), p. 32. Comparer a Jacques Lacan Les psychoses. Le séminaire, livre III. Pariss : Seuil, 1981, p. 207. 377 Saussure, o.c., p. 163. 388 Une reference a la vocation de Discours, figure se fait aisément. D'une part de Saussure exclut Iaa matérialité physique du signe en s'appuyant sur la demande de la communicabilité conventionnellementt réglée du signe, comme il avait déja marginalise la matérialité de la parole

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dee la formalit é des signes par une sorte de 'dialectique', une neutralisation de differencee par 1' opposition (DF, 103-104).

Danss Discours, figure, Lyotard s'oppose a une telle reduction de 1'extériorit éé et de Ia matérialité du signe par la semiologie et la dialectique-structuraliste.. Il Ie fait sur trois niveaux. D'abord, il y a Ie 'dia-déictique'. Dans Ie langage,, il y a de petits mots comme Mei', 'la' , 'maintenant' 'je' ou 'ca' qui pointentt vers 1'extériorité du langage et qui agissent comme des signes commémoratifss du reel perdu. Les signes déictiques ne peuvent relever entièrementt de la structure pour leurs significations. On peut imaginer Ie langage commee un écran sur lequel au moyen de la structure sémiologique est projeté Ie mondee des signes, mais dans lequel se trouve également de petits trous, que seraientt ces déictiques. C'est a travers ces trous que 1'on garde, en étant enveloppé danss Ie langage, Ie sens de 1'extériorité et de référentialité du discours.

Ensuitee se pose Ie problème de la 'dévisualisation' (plus précisément de la reductionn de la difference sensorielle). Ayant décrit la signalisation interne au langage,, de Saussure aborde 1'expérience d'autres systèmes significatifs. En nommantt Ie signe 'image-acoustique', son point de depart est la presupposition quee Ie mot, exprimé dans 1'intériorit é psychique, est la base de la signification. Commentt comprendre alors des systèmes visuels et autres ? Des lettres sur papier parr exemple ? De Saussure répond qu'une distinction entre les systèmes n'a pas vraimentt de raison d'etre. L'oreille , et analogiquement aussi 1'oreille intérieure, est Iee sens du temps. Les signes acoustiques se présentent dans une succession temporelle.. D'une maniere similaire, les lettres placées sur une ligne sont a lir e danss un ordre successif. La lecture est ainsi 'dévisualisée', même dans la vision dee Saussure lui-même. « Par opposition aux signifiants visuels (signaux maritimes,, etc.) qui peuvent offri r des complications simultanées sur plusieurs dimensions,, les signifiants acoustiques ne disposent que de la ligne du temps ; leurss elements se présentent Pun après 1'autre ; ils forment une chaine. Ce caractèree apparalt immédiatement dès qu'on les représente par l'écritur e et qu'onn substitue la ligne spatiale des signes graphiques a la succession dans Ie temps.. »39 C'est Ie signe acoustique comme mot langagier qui doit, selon De

danss son exposé du processus de parier (Saussure,o.c., pp. 28 ff.). Le thème de la resistance contree la demande de communicabilité aisée est un fil rouge dans 1'oeuvre de Lyotard. D'autre part Lyotardd s'oppose aux consequences, tirées par de Saussure de son rejet des signes naturels, resultantt de F occupation du physique, au moment oü il dit: « On peut done dire que les signes entièrementt arbitraires réalisent mieux que les autres 1'idéal du procédé sémiologique ; c'est pourquoii la langue le plus complexe et le plus répandu des systèmes d'expression, est aussi le pluss caractéristique de tous ; en ce sens la linguistique peut devenir le patron general de toute semiologie,, bien que la langue ne soit qu'un système particulier » (Saussure, o.c, p. 101). Cest exactementt ce que Lyotard reproche aux sémiologues modernes, parmi lesquels Barthes et Greimas,, ainsi qu'a Lacan, sans néanmoins noter qu'ils ne font rien d'autre que suivre le conseil donnéé par de Saussure (DF, 251, note 30). 399 Saussure, o.c, p. 103. (Cf. JoCl Dor Introduction a la lecture de Lacan. 1. L'inconscient structurestructure comme un langage. Paris: Editions Denoël, 1985, pp. 35 ff.).

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Saussuree ginder toute recherche en semiologie, même si les objets sont autres qu'auditifs .. (Comparer encore a la section 'la valeur linguistique considérée danss son aspect materiel', oü, loin de ce que Ie titr e fait deviner, Pintonation sonoree et Pécriture sont réduites aux valeurs systémiques.) La ligne représente la temporalité.. Ainsi les lettres, dans la conception saussurienne, ne sont pas a voir danss leur presence simultanée, dans leur spatialité, mais elles sont a écouter et è entendre.. Pour être significatives, les lettres et les mots lus, doivent eux-aussi être réduitess aux images acoustiques.

Lyotardd critiqu e un tel contournement du problème phénoménologique. Lir ee n'est pas seulement et simplement écouter. Le corps est impliqué dans la lecture.. Les majuscules N et Z par exemple consiste en principe en trois lignes, coordonnéess de maniere identique (DF, 212). Dans la lecture leur difference est claire,, puis qu'i l me faut tourner la tête pour percevoir leur ressemblance. Il n'y a donee pas seulement 1'indication sémantique de déixis qui dans le langage avance Pextériorité,, il y a encore une indication phénoménologique qui porte directement surr le corps et son rapport aux choses.

Ett enfin, il y a Pindication 'psycho-figurale' dont nous ne pouvons discuterr qu'après la presentation du structuralisme lacanien.

LeLe signifiantpur et la co-implicatiort signe-système

Lee structuralisme lacanien peut être concu sous le signe d'une double déconnexion.. Chez de Saussure nous avons rencontre ce que Pon peut nommer la premièree déconnexion: la chose réelle est traduit e dans Pintériorit é psychique commee image-acoustique pour y fonctionner dans la signification. Lacan y ajoute unee deuxième déconnexion, celle entre signifiant et signifié. Il reprend le principe dee Parbitrair e de Saussure, pour le radicaliser dans son intériorité . Il invente Palgorithmee S/s, è lire, selon Partiele 'L'instance de la lettre dans Pinconscient* dontt on vient de citer, comme « Pincidence du signifiant sur le signifié ». Les deuxx faces du signe sont liées, mais aussi séparées, par la barre, symbole du principee de signe arbitrair e et tribu t de Lacan au fondateur de la linguistique. Lacann suggère même que P innovation principale de Saussure soit la conception purementt différentielle du langage. « La linguistique, avec Saussure et le Cercle dee Prague, s'institue d'une coupure qui est la barre posée entre le signifiant et le signifié,, pour qu'y prévale la difference dont le signifiant se constitue absolument,, mais aussi bien effectivement s'ordonne d'une autonomie qui n'a rienn a envier aux effets de cristal; pour le système du phoneme par exemple qui enn est le premier succes de découverte ».42 Simultanément, la formule exprime un

400 Lacan, Ecrits 1, p. 273. 411 Ibid., p. 254. 422 Jacques Lacan 'Radiophonie', in: Scilicet 3. Paris: Editions du Seuil, juin 1970, p. 55.

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ordree hiérarchique dans lequel Ie signifiant a priorit é sur Ie signifié. « La thématiquee de cette science [linguistique] est dès lors en effet suspendue a Ia positionn primordial e du signifiant et du signifié, comme d'ordres distincts et séparéss initialement par une barrière résistante a la signification. »43 Ceci n'empêchee pas que Ie signifiant ne soit rien sans structure, c'est-a-dire sans « un groupee d'éléments formant un ensemble co-variant. [...] La notion de structure ett celle du signifiant apparaissent inseparables ».44 Lacan fait done ce qui était a éviterr dans Tapproche de Saussure : il sépare signifiant et signifié en donnant priorit éé au premier. Cette separation et renversement du rapport signifiant-signifié sontt nécessités par la co-implication du signe et de sa place structural dans Ie système,, proposée par de Saussure, comme nous voulons montrer ci-dessous.

Lee principe du rapport arbitrair e avait pour fonction, dans la theorie de Saussure, d'empêcherr toute naturalisation du rapport signifiant - signifié. Les differences structuraless et nonn pas les differences internes au signe déterminaient la valeur et la significationn des signifiants. Signifiant et signifié étaient hétérogènes, puisque toutee source commune les auraient rendus substantiellement apparentés et naturels. D'autr ee part, les deux faces étaient è prendre comme un rectoverso : la separation auraitt impliqué la perte de leur caractère spécifique. L'unit é du signe était done unee unité dans la difference sans possibilité de separation. L'êtr e du signe résidait danss Ie clivage surmonté. On a vu également que Saussure a fait des efforts pour supprimerr les caractéristiques matérielles du signe. Une première étape était la distinctionn entre la sensation actuelle, qui est donnée par le monde extérieur, et 1'intériorisatio nn psychique de cette sensation comme une empreinte, 1'image acoustique.. La deuxième étape était la 'découverte' que la reconnaissance des imagess acoustiques comme des unites sign ificatives ne se faisait pas sans recourss aux concepts qui lui sont indissociablement liées. Puisque le signe est unee unité indémontrable, la determination de ses composantes, signifiant et signifié,, devait être attribuée aux differences qui I'entourent, et non pas aux differencee internes. Or, de Saussure a 'besoin* de la structure, pour la raison que lee caractère arbitrair e ne se conclut pas sur le signe en-soi, mais seulement sur sa comparaisonn avec d'autres signes dans un champ systématique.

Chezz de Saussure, il y a done un rapport de 'complication' entre signe et systèmee (structure), comme il y en a entre signifiant et signifié. En raison de la co-implicationn entre signifiant et signifié, la determination definitive des elements de cee rapport n'est pas possible. On ne peut rien dire sur le signifiant sans prendre en considerationn son signifié et inversement. Le signifiant en soi est impensable. Et parr conséquent, le signifié pur Test également. De Saussure a dü prendre de biais dess rapports dialectiques et systémiques, pour pouvoir générer des valeurs significatives.. Mais sur quoi débauche-t-on, si le rapport signe-système, lui aussi,

433 Lacan, Ecrits ], p. 254. 444 Jacques Lacan Les Psychoses, pp. 207-208.

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estt co-implication ? Le même effet de blocage qui frustrai t la determination du signee a la base de ses composantes seules, joue son r51e dans le rapport signe-système.. Comment la determination de la valeur d'un signe sur la base de sa positionn dans le système est-elle possible, si ce système n'est qu'un ensemble des signessignes ? N'a-t-on pas affaire a une petitio principii, si Ton suit de Saussure qui considèree la signification d'un signe comme Peffet structural des rapports des signess ? Comment définir une chose en termes d'une autre, si cette dernière ne peutt être définiee qu'avec les termes de la première ?

Less relations de co-implication ne peuvent rien éclaircir, sauf si elles s'ouvrentt a la difference radicale. Un système pensé comme Pensemble des differencess entre des signes, qui sont différents seulement quant a la relation et laa determination de leurs composantes internes, presuppose déja ce que dont on lee croyait capable, a savoir la determination du signifiant et du signifié comme deuxx cötés d'une même valeur systématique. Autrement dit, pour pouvoir penserr les differences dans le système comme les facteurs determinants des elementss du système, on a besoin d'une difference extérieure aux elements. Si lee système consistant par definition en des signes, a 1'ambition d'accomplir sa tachee de determination des signes, il doit s'ouvrir a des elements qui ne sont pas encoree des signes, mais sont néanmoins aptes a le devenir. L'ouvertur e entraine donee la déconstruction de la definition co-implicative du signe et du système. Unn système est un réseau de signes uniquement, un réseau qui admet toutefois dess non-signes qui ne sont pas constituants quant a la definition du système, maiss qui conditionnent la realisation de sa fonction determinative.

C'estt pour cette raison qu'au niveau logique la these de 1'indissociabilitéé des deux aspects du signe ne couvre pas toute la problématique.. L'indissociabilit é évoque la découverte des differences constitutivess du système, et ainsi provoque indirectement, la nécessité d'un elementt qui n'est pas encore signe, mais dont on peut être sür qu'i l est apte è le devenir.. Ce qui peut devenir signe au moyen de sa place dans le système des signes,, possède in potentia (pour utiliser une expression téléologique) les caractéristiquess du signe et a les trait s qui le rend susceptible a être influence parr les differences avec les signes aux alentours. Cela rend plausible de vouloir ouvrirr le système a des elements qui, en fait, ne sont pas encore des elements, mais quii sont des candidate a le devenir par determination différentielle.

C'estt en effet la voie suivie par Lacan. Une voie consistant en trois étapes: dissociationn de 1'ordre du signifiant et du signifié, primauté du signifiant, determinationn du signifiant dans sa fonction génétique du signe et du système. Cettee voie implique une certaine déconstruction de la definition co-implicative duu signe et du système significatif. Pour 'savoir' que le système consiste par definitionn en signes, on a besoin de 1'exception, de ce qui n'est pas pris dans la chaïnee signifiante. C'est le signe qui ne 1'est pas encore, le signifiant comme tel,

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signifantt pur qui « ne signifie rien ». Lacan déconnecte 1'unité du signe saussurien:: il y a des signes qui n'exigent pas (encore) une relation du signifiantt et du signifie. Il faut qu'i l existe un signifiant indépendant dont a pu découlerr la série de signes ou des signifiants qui forment Ie système significatif. Lacann préféré Ie terme signifiant pour déflnir Ie système. « Le signifiant peut s'étendree a beaucoup des elements du domaine du signe. Mais le signifiant est unn signe qui ne renvoie pas a un objet, même a Pétat de trace, bien que la trace enn annonce pourtant le caractère essentiel. Il est lui aussi Ie signe d'une absence. Maiss en tant qu'i l fait partie du langage, le signifiant est un signe qui renvoie a unn autre signe, qui est comme tel structure pour signifier I'absence d'un autre signe,, en d'autres termes pour s'opposer a lui dans un couple. »46 En ayant remplii de signifiants le système, Lacan a besoin de faire une exception pour une fonctionn du signifiant a la limit e du système et qui est a prendre comme 'archi-signifiants',, comme source et commencement.

Selonn Lacan, la barre qui He et sépare signifiant et signifie est « une barrièr ee résistante a la signification », faisant obstruction a la naturalisation de la signification,, c'est-a-dire a la connexion immediate du signifiant et du signifie. La barree suspend Parrivée du signifie. Lacan compte alors avec un signifiant nu, dépourvuu de sens et signifiant tout de même. « C'est la ce qui rend possible une étudee exacte des liaisons propres au signifiant et de Pampleur de leur fonction dans laa genese du signifie »47, car il existe une region de signifiants 'autarcique', indépendantee des signifies. Le signifiant est place dans Pordre de Pinconscient, et lee signifie dans la conscience du sujet. A la difference de Saussure, Phétérogénéité n'estt done pas seulement logique, en ce qu'elle est présupposée au caractère arbitrair ee du signe, elle est aussi ontologique, et même génétique (« séparés initialement»). .

Lacann etend ensuite le 'princip e du Parbitrair e du signe', formule par de Saussure,, en disant que « cette distinction primordial e [entre signifie et signifiant]] va bien au-dela du debat concernant Parbitrair e du signe ». 48 Le signifiantt a priorit é sur le signifie. Pour le théoricien, la tache est dès lors de comprendree la production des signifies, c*est-a-dire la signification. Nous allons voirr que ce signifiant 'avant la lettre' correspond, dans notre interpretation, è ce quii dans la fameuse formule de la performativit é métonymique et métaphorique estt indiqué comme ce qui fait 'apostrophe'. Bref: pour comprendre le signe danss son fonctionnement, il faut s'occuper encore de la perspective génétique, c'est-a-diree qu'i l faut répondre a la question de savoir comment les significationss sont nées.

455 Lacan, Les Psychoses, pp. 207 ff. 4646 Ibid, p. 188. 477 Lacan, o.c., p. 254 488 Lacan, o.c, p. 254.

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PerspectivePerspective génétique sur les signifiants et sur les signifies

Laa perspective génétique suppose une conception dynamique du système structural .. En tirant les consequences logiques de la co-implication, a savoir de 1'inséparabilitéé de 1'unité du signe (signifiant-signifié) et du rapport signe-système, nouss avons voulu rendre plausible la radicalisation du principe de rapport arbitrair e parr Lacan, radicalisation qui consiste en la separation du signifiant et du signifié, et enn Ie renversement de la priorit é entre les deux.

Celaa pose d'abord Ie problème du signifiant pur : signifiant sans signifié, nii contexte structural. Un tel signifiant retombe au niveau de la chose indéterminée.. Aussi Lacan de conclure que la 'chose' s'apprête a devenir 'signifiant' .. Ensuite, la structure des signifiants doit être pensee comme étant généréee sur la base du 'signifiant avant la lettre', sur ce « signifiant d'un manque danss 1'Autr e ». Lacoue-Labarthe et Nancy expliquent : « 1'Autr e est en effet Ie garant,, c'est-a-dire la condition de possibilité de la parole, parce qu'i l est antérieurement,, quelque chose comme Ie signifiant originair e d'oü se trame la combinaisonn signifiante. Mais c'est a condition de n'être rien par lui-même, - et rienn au point de ne pas admettre a son tour un Autre, qui serait 1'Autr e de 1'Autre, Dieu,, si Ton veut, ou un symbole 0. Il est au contraire Ie signifiant du manque mêmee d'un tel symbole (et de Dieu ?), a partir duquel s'articuler la chaïne des signifiants.. [...] C'est de la, done, que 1'opération [de signifiance] tir e sa possibilité ett qu'ainsi se fonde la logique du signifiant, c'est-a-dire a la fois son autonomie et sonn fonctionnement paradoxalement 'centre' sur un trou, sur un manque. » La genesee du signifiant et de la structure vont de pair, autrement dit Ie trou du 'signifiant-chose'' porte la possibilité de la structure, en la précédant logiquement. C'estt ainsi qu'enfin, Ia question de la genese du signifié, la signification, se pose.

Pourr penser Ie dynamisme sémiologique, Lacan s'appuiera sur les analyses linguistiquess de Roman Jakobson. Jakobson discerne deux axes linguistiques: horizontalementt celui de la temporalité successive, verticalement celui de la simultanéité.. Prenons un exemple. Les phrases « Demain je vais ...» ou « Nonobstantt les idees que ...» sont des propositions interrompues qui, malgré cela, nee sont pas dépourvues de sens. Mais ce sens, nous sentons qu'i l vient au moment oüü nous retenons subitement notre souffle. On Ie sent arriver comme d'un coup. En étantt débuts de phrases, elles anticipent un rythme, une syntaxe et une fin. Or, cette experiencee montre comment la signification est suspendue en cours de 1'expression.. Elle n'arriv e qu'au moment oü 1'organisation syntaxique est terminée.. La signification vient après-coup, comme une sorte de remuneration de 1'attentee ou comme raccomplissement (toujours faillible ) des signifiants. Et ce qui

499 Phillippe Lacoue-Labarthe et Jean-Luc Nancy Le titre de la lettre. Une lecture de Lacan. Paris: Editionss Galilee, 1990 (1973), pp. 69-70.

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vautt pour la syiitaxe, vaut aussi, en principe, pour Ie signe. Il est auestion, comme Iee dit Lacan, d'un « glissement du signifié sous Ie signifiant ». La liaison du signifïantt et du signifié est moins 'simultanée' que ce que de Saussure veut faire croire. .

Less exemples montrent les deux axes linguistiques, discernés par Jakobson,, auxquels enchaine la theorie de Lacan.51 Une phrase est une connexion dee signifiants dans Ie temps. L'axe horizontal est nommé syntagme. Mais la significationn se constitue seulement au moment oü, a la fin de renchainement, tous less elements de la phrase sont pour ainsi dire 'co-presents'. (A comparer a ce que ditt Lyotard, dans Le Différend, concernant 1'enchainement 'phrastique'.) C'est commee si, pour un instant, la diachronie se rassemblait en simultanéité. L'enchatnementt en soi ne donne pas la signification de la phrase. On a encore besoinn de la synthese syntaxique - « syntagmatique », dit-Lyotar d (DF, 255) - qui rendd possible une sorte de vision de 1'ensemble de la phrase selon Pordre combinatoire.. L'axe syntagmatique concerne 1'enchainement et la question de savoirr comment, dans une syntaxe grammaticale, peuvent être combines des elementss linguistiques. L'un après 1'autre, ils se touchent mutuellement et leur rapportt est 'contigu'. L'axe paradigmatique décrit 1'inventaire des elements possibless qui peuvent être choisis dans la construction d'un énoncé. II s'agit de selectionn des termes et aussi de leur possible substitution. Le rapport entre les elementss optionnels est dirigé par le principee de similarit é ou de dissimilarité (cf. la listee dressée par Lyotard ; DF, 252). Bref:

[Auu syntagme et au paradigme correspond] une double operation dans 1'actee de parole que Jakobson propose de se représenter sommairement de laa facon suivante: le locuteur sélectionne chaque terme proféré parmi tous ceuxx qui lui sont lies par des rapports paradigmatiques de substituabiltté ; ett il combine les termes sélectionnés conformément aux contrainte de concatenationn (rapports syntagmatiques) qui régissent renchainement de chaquee terme employé a son contexte dans la ligne de la parole (DF, 251).

Selonn Jakobson, contiguïté syntagmatique et similarit é paradigmatique sont égalementt les principes de base pour les deux operations rhétoriques de la metonymiee et de la métaphore. La metonymie désigne un mot qui en remplace un autree sur Ia base de leur contiguïté : 'prendre une bière', c'est prendre le verre dans lequell se trouve la bière. La métaphore remplace un autre mot sur la base d'une certainee ressemblance: 'le roi soleil' mérite son nom parce qu'i l est rayonnant. Jakobsonn les prend comme des processus fondamentaux du langage, et non

500 Lacan, 'Instance de la lettre', p. 260. 511 Roman Jakobson 'Deux aspects du langage et deux typess d'aphasies' in : Essais de linguistique générale.générale. Les fondations du langage. Paris : Les Editions de Minuit, 1963, pp. 43-67; Lacan 'L'instancee de la lettre', pp. 251, 263 ; idem Les Psychoses, pp. 248 ff.

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seulementt comme des elements de la technique rhétorique. Il les applique aussi è d'autress systèmes que Ie langage, a Tart et au rêve.

Laa difference facilite pour Lacan la conception de la production de la structuree et de la signification. Cela pose la question de savoir lequel des deux processuss a priorité . Dans Fexpression « 1'inconscient est structure comme un langagee », Ie 'langage' est a prendre comme 1'ensemble des signifiants, qui dans leurss rapports divers font signification. Puisqu'il n'y a pas de signification sans structure,, et pas de structure sans rapport entre signifiants, pour Lacan, Ie signiftant aa priorit é sur Ie signifié. Conséquemment, c'est eet axe linguistique qui a priorit é danss Fanalyse du langage, qui sait expliquer la possibilité de la structure. C'est donee 1'axe syntagmatique de la metonymie, c'est-a-dire de concatenation des signifiants. .

FonctionFonction génétique de la metonymie : Ie trope de I 'apostrophe

L'exemplee métonymique que donne Lacan est celui du synechdoque, selon lui une formee de metonymie, que Ton peut définir comme Ie fait de prendre une partie pourr designer un tout. Lacan cite Pexemple de Quintilien : « trente voiles » pour indiquerr la flotte. La voile étant contigue au navire, elle peut indiquer Ie dernier de manieree métonymique. « [...] La connexion du navire et de la voile n'est pas ailleurss que dans Ie signifiant, et c'est dans Ie mot a mot de cette connexion que s'appuiee la metonymie. »52 La voile cache Ie bateau, maïs plus que cela, la voile doitt cacher aussi Ie referent 'voile' , la chose réelle, pour pouvoir représenter Ie bateau.. Le langage pose la chose a distance, fait coupure dans Ie reel. D'oü Finquiétudee qui surgit. Pour indiquer une chose (navire), il nous faut utiliser une autree chose (voile) qui doit se désister de sa propre signification.

Danss son séminaire, Lacan donne encore deux autres exemples. Un petit enfant,, un garcon, appelle sa mère « ma grosse fill e pleine de fesses et de muscless ».53 Ce dont il s'agit ne relève de la métaphore. L'enfant n'a aucune intentionn d'exprimer avec des mots une signification, autre que celle qu'il s ont. L'expressionn ne signifié pas par exemple : « j e t'aime pour ta figure feminine ». Non,, ce qui se passé ici est un effort de tirer une chose réelle dans 1'ordre du signifiant.. « La metonymie est aussi sensible dans tel passage de 1'oeuvre de Tolstoï,, oü chaque fois qu'i l s'agit de 1'approche d'une femme, vous voyez surgirr a sa place, procédé métonymique de haut style, une ombre de mouche, unee tache sur la lèvre supérieure, etc. D'une facon générale, la metonymie animee ce style de creation qu'on appelle, par opposition au style symbolique et auu langage poétique le style dit réaliste. »

522 Lacan 'L'instance de la lettre', p. 263. 533 Lacan Les Psychoses, p. 260. 5454 Ibid

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Selonn Lacan la metonymie concerne aussi F invention du nom. « [La metonymie]] concerne la substitution è quelque chose qu'i l s'agit de nommer -nouss sommes en effet au niveau du nom. On nomme une chose par une autre quii en est Ie contenant, ou la partie, ou qui est en connexion avec. »5S Rappelons quee dans Pun des rares passages oü il parte de la psychologie - passage déja cité -,, de Saussure avance la problématique de la nomination. « Le signe linguistiquee unit non une chose et un nom, mais un concept et une image acoustique.. Cette dernière n'est pas le son materiel, chose purement physique, maiss 1'empreinte psychique de ce son, la representation que nous en donne le témoignagee de nos sens. »56 De Saussure évite ainsi le problème de la nomination,, en remplacant le nom par la notion de '1'empreinte sonore'. Strategiee d'intériorisation . Mais nommer, selon Lacan, c'est produir e des imagess acoustiques, c'est-a-dire des signifiants. La metonymie est la fonction dee nommer la chose, d'inventer ou de trouver des signifiants pour la chose.

Laa problématique de cette exigence fonctionnelle devient claire : qu'est-cee qu'est exactement que trouver un signifiant pour une chose ? N'est-il pas vrai quee la chose en tant que telle ne se représente jamais adéquatement dans 1'ordre dess signifiants ? Que done tout au début de 1'ordre des signifiants se 'trouv e un trou' ,, la coupure comme dit Lacan, un manque nécessaire de la chose ? D'oü la definitionn de la metonymie, qui est Pinstallation d'une structure horizontale, géréee par le principe de connexion, mais orientée et provoquée par une perte originair ee du réel. Le manque, le trou, explique 1'« inquietude » que provoque la definitionn de la metonymie et a laquelle Lacan fait allusion,57 et dans la metonymie,, il s'agit d'un manque originair e qui rend la relation entre signifiant ett la chose profondément incertaine.58 Au début de la chaïne des signifiants se trouvee un manque d'objet. C'est, dans le discours clinique, 'la mere' comme la chosee (La Chose) désirée qui ne peut trouver de place dans 1'ordre des signifiants. C'estt le 'manque-a-être',«la condition d'existence du sujet séparé du complément

555 Lacan Ibid, p. 250. 566 De Saussure, o.c., p. 98. 577 Lacan 'L'instancc de la lettre' , p. 263. 588 « 11 y a une autre forme de defense que celle que provoque une tendance ou une signification interdite.. C'est la defense qui consiste a ne pas s'approcher de 1'endroit oü il n'y a pas de réponse aa la question. On est plus tranquill e comme 9a et, somme toute, c'est la caractéristique des gens normauxx » (Les Psychoses, p. 227). Cela est différent pour les psychotiques. « La psychose consistee en un trou, un manque au niveau du signifiant»(Ibid). « Un minimum de sensibilité que notree métier nous donne, nous fait toucher du doigt quelque chose qui se retrouve toujours dans cee qui s'appelle la pré-psychose, a savoir Ie sentiment que le sujet est arriv e au bord du trou. C'est aa prendre au pied de la lettre. Il ne s'agit pas de comprendre ce qui se passé la oü nous ne sommes pas.. Il ne s'agit pas de phénoménologje. Il s'agit de concevoir, non pas d'imaginer, ce qui se passee pour un sujet quand la question lui vient de 14 oü il n'y a pas de signifiant, quand c'est le trou,, le manque qui se fait sentir comme tel.»(o.c, p. 228).

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maternell ».59 Cette chose matemelle est nécessairement perdue è 1'entrée du langage. .

Enn raison de son rapport au pré-signifiant, la metonymie a priorit é sur la métaphore,, procédé qui se déroule dans Ie langage déja installé. La metonymie n'estt pas seulement difference du signifié60, elle explique également la manifestationn du signifiant comme venant du rien. Dans la metonymie la structure s'installéé sur la base de ce qui n'en fait pas encore partie, Ie 'trou ' du signifiant sur Iee seuil, signifiant qui ne Test pas encore. Ainsi la trouvaill e que nous voulons fairee dans ralgorithm e fameux de Lacan, est celle de ce trou signifiant dont émanee la chaïne des signifiants.61 Il est connu, Lacan donne comme formule de laa structure métonymique : /(S....S') S » S (-) s. Ce qui se prononce ainsi: La fonctionfonction (ou Vejfet) qui a Venchainement d'un Signifiant a un Signifiant-apostrophe,apostrophe, pour (sur) ce Signifiant même est congruente a Vérection de la barrièrebarrière entre ce Signifiant et son signifié.62 Traduit dans les termes de Pexemplee de Quintilien : « Pour la 'voile' , 1'effet de renchaïnement de 'voile' a 'bateau'' consiste dans la perte de son signifié de 'voile' ». Notons qu'i l s'agit dess signifiants et qu'i l faut done lir e les mots comme des sons acoustiques, et nonn pas selon leur signification sémantique.

Nouss proposons, comme nous 1'avons déja mentionné, de prononcer S', nonn pas comme 'premier Signifiant' comme on Ie fait normalement, mais littéralementt comme 'signifiant-apostrophe'. Ce Signifiant-apostrophe est Ie premierr a ouvrir la série des signifiants. Il est sur Ie bord, hesitant entre 'choseté'' et signifiant. Il n'est pas encore signifiant complet; parce qu'i l n'est

599 Jean-Baptiste Fages Comprendre Jacques Lacan. Paris : Dunod, 1997, p. 120. Cf. Francois Balmès,, Francois Ce que Lacan dit de l'être (1953-1960). Paris : PUF, 1999, pp. 114-123. 600 Van Haute Psychoanalyse en filosofie, p. 99. 611 La question de la genese des signifiants n'est pas sur 1'avant-scène chez Lacan. « L'apparition d'unee nouvelle structure dans les relations entre les signifiants de base, la creation d'un nouveau termee dans Pordre du signifiant, ont un caractère ravageant. Cela n'est pas notre affaire. Nous n'avonss pas a nous intéresser a l'apparition d'un signifiant, car c'est un phénomène que nous ne rencontronss jamais professionnellement Par contre, nous avons affaire a des sujets chez qui nous touchonss du doigt, a 1'evidence, quelque chose qui a lieu au niveau de la relation oedipienne, un noyauu irréductible [....]. N'est-H pas concevable, chez les sujets immédiatement accessibles que sontt les psychotiques, de considérer les consequences du manque essentiel d'un signifiant ? » (Lacan,, o.c, pp. 226-227.) "" Cette paraphrase se base sur Ia légende suivante:

ff 1 Symbole mathématique pour la fonction concernant reffectivité _SS Le premier signifiant réussi —— La connexion horizontale . S'' A prendre au pied de la lettre comme: Signifiant -apostrophe ww Signe de congruence . JJ Signifié de S . -- Barre séparant Signifiant et signifié et qui fait barrière a la signification (S/s)

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pass encore determine par son insertion dans une difference avec d'autres signifiants.. L'apostrophe comme symbole indique dans l'écritur e la suppression d'unee voyelle. Dans la rhétorique classique, le terme indique le moment oü 1'orateurr se détourne du grand public pour se concentrer sur un individu particulier. 633 Le signifiant-apostrophe est celui qui est présent sans avoir une voix,, présent dans son absence, puisque aucun signiflant métonymique pourrait lee remplacer adéquatement. Perte de 1'objet désiré, Chose ou mere, il occupe danss la série la place du 'trou' , oü cet ensemble de signifiants constituant la structuree trouve son origine.

Origin ee perdue depuis toujours et pour toujours, cette origine se fait sentirr en permanence dans le caractère arbitrair e du signe. La generation de la structuree par la connexion métonymique restera toujours insuffisante par rapport aa ce manque d'origine. On a beau ajouter signiflant sur signiflant, on ne le retrouveraa jamais. II est la source dynamique de la signifiance. « [La structure métonymiquee indique] que c'est la connexion du signiflant au signiflant, qui permett 1'élision par quoi le signiflant installe le manque de Pêtre dans la relationn de 1'objet, en ce servant de la valeur de renvoi de la signification pour Pinvestirr du désir vivant ce manque qu'i l supporte. »64 Apostropher n'est pas seulementt détourner le signiflant originair e oblitéré a jamais, c'est aussi mettre en evidencee le signiflant errant, introuvable et sans situation fixe, signiflant qui 'interpelle'' constamment la oü 1'ordre de la signification semble s' installer confortablementt Le Signifiant-apostrophe, qui résiste a rentrer dans la série, provoquee le désir dans son infinit e : ƒ( Soo ... S3, S2, SI - S')S » Soo ... S3, S2 ,S11 (-) s oo...s5, s4, s3, s2, si. « Dans le registre du désir, le sujet soumis au refoulementt doit, pour manifester son désir, passer te biais de la demande oü le désirr se perd dans les chatnes signiflantes : 1'objet du désir étant irrémédiablementt perdu, le sujet en est reduit a le poursuivre d'objet substitutif enn objet substitutif a travers la suite indéfinie des signifiants qui les symbolisent danss le registre du langage et qui s'enchainent les uns aux autres a partir de 1'objett perdu symbolise par S', selon le processus de la metonymie oü S de déploiee en une chaïne indéfinie SI, S2, S3 etc., dont chaque element perd son senss (-)sl,(-)s2, (-)s3 etc., dans ce processus de métonymisation du désir. »65 Le signifiant-apostrophee ne doit pas être compris comme un donné bien déflni ou mêmee localisable. La permanence du désir nous apprend que dans un certain senss tout signiflant est aussi signifiant-apostrophe, puisque tout signiflant est manquéé quant è sa relation au reel.

633 Liddel & Scott Greek-English Lexico».Oxford : Clarendon Press, 19%, p. 221. 6464 Lacan 'LMnstance de la lettre' , p. 274. Le désir correspond au manque-a-être, qui, transcrit sur lee plan de la langue, s'intitul e demande. Cf. Jean-Baptise Fages, o.c, pp.31-36,118. ".Sylvainn Auroux Les Notions Philosophiques. Dictionnaire. Tome 2. Paris: PUF, 1990, p. 1615.

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FonctionFonction génétique de la metaphor e: « Vétincette créatrice »

Parallèlementt a la generation des signifiants, c'est-a-dire a la mise en série de remplacantss pour « Ie trou du reel », Lacan considère la métaphore comme 1'autree volet du diptyque de la structure langagière et inconsciente. Sur un niveauu plus élevé que Ia metonymie, c'est Ie processus métaphorique qui est responsablee de la genese des signifies. Sa formule s'écrit comme: ƒ ( S7S) S « SS (+) s. Ce qui s'articule comme suit: 'la fonction (ou 1'effet) de la substitution d'unn signifiant au signifiant-apostrophe pour (sur) ce signifiant est congruent au franchissementfranchissement de la barre par Ie signifiant et a 1'ajout d'un signifié'. Il faut prendree Ie mot 'substitution' au pied de lettre: sous Ie signifiant-apostrophe vientt se poser un autre signifiant, qui Ie porte de telle maniere qu'i l recoit sa signification.. Le premier signifiant se place en dessous du signifiant-apostrophe, quii reste présent et incite a Pinvention du signifié. « [...] C'est dans Ia substitutionn du signifiant au signifiant que se produit un effet de signification quii est de poésie ou de creation, autrement dit d'avènement de la signification enn question. Le signe + place entre ( ) manifestant ici le franchissement de la barree et la valeur constituante de ce franchissement pour Pémergence de la signification.. »66 Le franchissement de la barre est une maniere de décrire le processuss de 'transfert' , « un mode de déplacement oü Pinconscient s'exprime ett se déguise è travers le materiel fourni par les restes préconscients de la veille ».677 Le signifiant inconscient ne peut entrer dans la region de la (pré)conscience quee par 1'effet métaphorique, c'est-a-dire que comme porteur d'un signifié.

C'estt également ici que la question du sujet se pose. Avec 1'avènement duu signifié, apparaissent la conscience et le sujet connaissant. Le 'j e pense' étantt condition de Pactualité du 'j e suis', le signe complet, combinaison du signifiantt et du signifié, est nécessaire pour ce penser qui ne fonde peut être pas laa phénoménalité du sujet (du 'cogito' - res cogitans - ne découle pas

6666 Lacan 'L'lnstance de la lettre', p. 274. 677 Laplanche, Pontalis, o.c., p. 493. A comparer a Lacan sur le transfert: « Ce n'est pas dans les EcritsEcrits techniques, et a propos des relations réelles, peu importe, imaginaires, voire symboliques, avecc le sujet [...] C'est dans la septième partie, Psychologie des processus du rêve, de la TraumdeutungTraumdeutung que Freud nous montre comment la parole, a savoir la transmission du désir, peut see faire reconnaitre a travers n'importe quoi, pourvu que ce n'importe-quoi soit organise en systèmee symbolique. C'est la la source du caractère pendant longtemps indéchiffrable du rêve. [...]] Qu*est-ce que Freud appelle Übertragung ? C'est dit-il, le phénomène constitué par le fait, que,, pour un certain désir refoulé par le sujet, il n'y a pas de traduction directe possible. Ce désir duu sujet est interdit è son mode de discours, et ne peut se faire reconnaitre. Pourquoi ? C'est qu'il yy a parmi les elements du refoulement quelque chose qui participe de 1'ineffable. [Dans le contextee de V Übertragung Freud] nous parle des Tagesreste, des restes diumes, qui sont, dit-il, dés-investiss du point de vue du désir. Ce sont dans le rêve des formes errantes qui, pour le sujet, sontt devenus de moindre importance - et se sont vidées de leur sens. C'est done un materiel signifiant.. Le materiel signifiant [... ] est constitué de formes qui sont déchues de leur sens propre ett reprises dans une organisation nouvelle a travers laquelle un sens autre trouve a s'exprimer. C'estt exactement cela que Freud appelle Übertragung. » (Lacan Les écrits techniques de Freud, p.. 373)

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logiquementt Fobjet pensant - cogitatum -, comme Ie font remarquer les critiquess de Descartes), mais qu'indiqu e sans doute son actualité : « 'cogito ergo sum*,, ubi cogito, ibi sum*».68 La question est de savoir ce que signifie 'penser' (cogitare)(cogitare) et si j'a i raison de croire que si j e pense a mon sujet, Ie 'moi' de ce sujett est Ie même que Ie 'je' qui Ie pense.

Or,, Lacan se réfëre a la caractérisation par Freud de 1'inconscient 'pensant',, caractérisation dans Ie marge de laquelle nous venons de noter quelquess questions. Il n'y a, selon Lacan, aucune raison de ne pas croire Freud ett de ne pas prendre Ie processus primair e (qui se montre comme travail du rêve)) pour une pensee. Les deux processus de déplacement et de condensation équivalentt les structures opérationnelles dans Ie langage, celles de la metonymie ett celle de ma métaphore. « Freud désigne [comme pensee] les elements en jeu danss 1'inconscient; c'est-a-dire dans les mécanismes signifiants que je viens d'y reconnaïtre.. »69 Or, la revolution copernicienne qu'est, dans la modernité la penseee de Freud, subvertit 1'évidence cartésienne de telle maniere qu'i l faill e dir ee : « j e pense oü je ne suis pas, done je suis oü je ne pense pas », autrement dit ,, «je ne suis pas la oü je suis Ie jouet de ma pensee ; j e pense a ce que je suis, laa oü j e ne pense pas penser ».70 Dans 1'inconscient, Ie sujet ne peut pas se situer,, puisqu'il s'agit du jeu des signifiants. L'inconscient n'est consistant que danss 1'immédiat; la conscience par contre, croyant pouvoir figer Pêtre du sujet danss la pensee, ne peut que l'attraper dans la pensee, sous Ie signifie et après coup,coup, dans 1'effet de la substitution métaphorique du signifïant-apostrophe. Or, laa vérité rreudienne, selon Lacan, consiste dans la découverte de 1'excentricité fondamentalee et radicale de soi a soi-même.71

LaLa rhétorique du rêve: déplacement et condensation

Lee mot 'désir' , lié au processus métonymique, et la demande ou la question de laa signification de sujet, donnée avec la métaphore,72 nous renvoient au début de notree chapitre, qui a commence par la presentation de la problématique de rr interpretation du rêve dans son rapport au travail du rêve. Selon une lecture rassurantee de Freud, le rêve serait Pexpression et parfois même la réponse d'un désirr inconscient.73 Ce désir serait detectable et determinable par 1'interpretation

688 Lacan, 'L'instance de la lettre', p. 275. 699 Ibid., p. 276. 700 Ibid, p. 277. 711 Ibid, p. 284. 722 Ibid, p. 289. 733 Ainsi la critique de Pagel sur la lecture herméneutique-phénoménologique par Ricoeur, qu'elle contrastee avec ranti-cartésianisme de Lacan. (Gerda Pagel Lacan: Einföhrender Überblick über

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profondee qui saurait contemner la censure. Le travail de rêve, dans cette simplification,, signifie: 'construction du compromis onirique comme satisfactionn d'un désir, bien circonscrit' . Le rêve satisfait un désir, qui, dans la réalité,, ne peut être satisfait. Or, une telle simplification reduit le désir a une listee de demandes bien formulées et interprétables comme un texte. La 'pensee' duu rêve ne serait pas en principe construite d'une autre matière que la pensee consciente.. L'interpretatio n correcte du rêve serait possible et serait achevée au momentt oü Pinterprétateur aurait mis en lumière la 'pensee' inconsciente dans

saa totalité. Onn se souvient que, pour Freud, le travail de rêve est 1'essence du rêve.

Cettee essence est respectée par Lacan, qui, a la suite de Jakobson, relie les deux premièress caractéristiques, déplacement et condensation, aux processus linguistiques,, respectivement a la metonymie et a la métaphore. Ce qui est nomméé 'métaphore' correspond au processus primair e de condensation, c'est-a-diree de substitution. Ce qui est intitule, sur le plan linguistique, 'metonymie', c'est-a-diree la relation entre des elements signifiants sur la base de la contiguïté des termes,, est, sur le plan psychique de 1'inconscient, le déplacement, décrit par Freud danss le septième chapitre de la Traumdeutung. L'interpretatio n est interminable, maiss elle est possible puisque le rêve obéit aux exigences structurelles du langage.. C'est dans ce sens que Lacan peut dire que 1'inconscient est structure commee un langage. De 1'ordre des signifiants, la structure primair e est donnée parr la formule métonymique ; la structure métaphorique relève de la barre, de la frontièrefrontière qui sépare inconscient et conscience. Aussi nous est-il montré commentt 1'ordre des signifiants fait 1'effort de se fermer aux choses, alors que laa structure métaphorique dessine 1'événement de 1'ouverture creative du systèmee signifiant vers le signifie.

Or,, Lyotard s'oppose a une telle interpretation qui invite a appliquer des categoriess linguistiques, comme la metonymie et la métaphore, a un domaine, le rêve,, qui est tout autre par principe. « Il faudra convenir que le 'langage' de 1'inconscientt n'a pas son modèle dans le discours articulé, lequel se dit dans une languee [...]; mais plutöt que le rêve est le comble du discours désarticulé, déconstruit,, dont aussi aucun langage, même normal, n'est vraiment exempt » (DF,, 253). La critiqu e porte sur 1'usage que fait Lacan des idees jakobsonniennes. .

D'abord,, ce que Lacan appelle métaphore est a ranger sous la categorie duu paradigme chez Jakobson. Autrement dit, elle est affaire non pas de créativitéé (étincelle créatrice), mais de substitution selective qui se fonde sur 1'usagee courant du langage et done de la langue. La rhétorique n'appartient pas

eineneinen sekwierigen Denker und Erörterung einiger Kritiken und Kontraversen, in: Taureck, Bernardd H.F. Psychoanalyse und Philosophie. Lacan in der Diskussion. Frankfort am Main: Fischerr Taschenbuch Verlag, 1992, pp. 34-35.)

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auu structuralisme: Lacan prend la métaphore comme une figure de style (commee un trope), tandis qu'elle est pour Jakobson une affaire de pure valeur systématique.. Or, dit Lyotard, « la vraie métaphore, Ie trope, commence avec 1'excess dans 1'écart, avec la transgression du champ des substituables recus par 1'usagee » (DF, 254-255). Pour penser la métaphore comme il Ie pretend, Lacan devraitt quitter Ie raisonnement structuraliste, devrait se vouer plutöt au surrealisme,, è 1'effectivité figurale qui allègue un sens inattendu, par exemple danss récritur e automatique, a la presentation simultanée de deux images ou motss qui 'normalement' n'ont rien a faire 1'un avec 1'autre.

Enn su it e, la confusion dont Lyotard considère Lacan coupable est celle entree 'signification' et 'sens'. Cette difference fait reference évidemment a celle dee Frege qui discemait Sinn et Bedeutung (DF, 105-117). La signification tient èè la valeur systémique; Ie sens est, dans 1'usage lyotardien du terme, non seulementt 'désignatif (comme chez Frege), mais il tient également a un effet singulierr et événementiel sur Ie corps ou la sensibilité, d'une force libidinal e qui see manifeste dans Ie sentiment (DF, 84).75 Pour de Saussure, la signification est unee affaire de transparence de par 1'indissociabilité du signifiant et du signifié, transparencee qui résulte de 1' identification du signifié et de la valeur systématique.. C'est pour cela qu'i l faut se demander, selon Lyotard, si Ie signe saussurienn est _effectivement un 'signe', c'est-a-dire - dans Ie sens de Peirce -unee chose qui remplace une autre en 1'oblitérant; il est selon lui plutöt une fonctionn structurale qui fait que Ie signifié l'emporte sur Ie signifiant. Lacan, en retournantt cette hiërarchie et en dissociant signifiant et signifié, réintrodui t une épaisseur,, une plasticité, réinstalle Ie signe dans son opacité; ainsi, dans la métaphore,, il y a obliteration d'un signifiant par un autre (DF, 73-84). « La faconn dont J. Lacan comprend la métaphore renvoie au sens, non a la significationn » (DF, 257). Si Lacan avait vraiment pris au sérieux 1'analogie entree condensation freud ienne et métaphore, il aurait découvert que pour Freud laa condensation est un evenement topographique, obéissant aux « contraintes de lieuu » (DF, 258), de plus, qu'i l ne s'agit pas de linguistique, comme Freud Ie montree en posant que Ie travail de rêve trait e des mots comme des choses, que « laa condensation est pour Freud une transformation 'destitutive' du discours » (DF,, 259). Le travail de rêve n'est pas de l'ordr e de la linguistique, il ne relève pass des structures et des significations mais des figures et des sens ; il déconstruitt la transparence des elements discursifs et les restitue en signes opaques. .

744 Gottlob Frege *On sense and meaning* in : Translations from the philosophical writings of GottlobGottlob Frege. Oxford: Blackwell, 1980 (1952), pp. 56-85. 755 Dans Economie libidinale, Lyotard nomine cet aspect du signe 'signe-tenseur' pour 1'opposer auu signe sémiotique (EL, 57-115).

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Figure-matriceFigure-matrice etfantasme originaire

Cettee these a des consequences pour Ie role de la censure. « Le désir, écrit Lyotard ,, ne travaill e pas un texte donné en clair, pour le travestir; il ne laisse pass entrer le texte, il le devance, s'y loge, et nous n'avons jamais que du texte travaille,, mixte de lisible et de visible. [...] Il faut supposer une situation princepss oü le refoulement et le retour du refoulé se constituent ensemble. Laplanchee et Pontalis y voient justement le fantasme. [...] Le travail de rêve n'estt pas un langage ; il est 1'effet sur le langage de la force qu'exerce le figural (commee image ou comme forme). Cette force transgresse la loi: elle empêche d'entendre,, elle fait voir : telle elle 1'ambivalence de la censure. Mais ce mixte estt princeps, on ne le trouve pas seulement dans Pordre du rêve, mais dans celui duu fantasme 'originaire ' : discours et figure a la fois, parole perdue dans un scénographiee hallucinatoire, violence initial e » (DF, 270). C'est done dans la perspectivee du fantasme originair e que Lyotard critiqu e ce qu'i l prend pour une reductionn structuraliste de 1'inconscient et pour 1'hégémonie du symbolisme.

Auu cours des années, Freud a quitte son hypothese étiologique des névrosess selon laquelle tout problème psychique correspond a un traumatisme réellementt vécu, aux scènes originates. Le fantasme originair e qui s'installe rétroactivementt a remplacé 1'hypothèse de la scène, sans que cela exclue pour Freudd que ses fantasmes soient individuels. Dans leurs formations particulières, il ss concernent tous des questions d'origine: origine du sujet (fantasmes de scèness originaires), de la sexualité (fantasmes de seduction infantile), de la differencee sexuelle (fantasmes de castration).76 Ce que Lyotard appelle 'figur e matrice',, une sorte de pseudarchè (DF, 328), correspond è la condition des fantasmess originaires. « La matrice n'est pas un langage, pas une structure de langue,, pas un arbre de discours. [...] Elle engendre des formes et des images, ett c'est seulement de ces formes et images, qui sont produits, que le discours se mett éventuellement a parier » (DF, 327). C'est le désir qui, dirigé par cette matrice,, crée des mondes figuratifs - dans le rêve -, non pas pour transmettre un messagee crypte, mais pour donner expression a lui-même.

766 Idem Vocabulaire de la psychanalyse. Paris: Quadrige / Presses Universitaires de France, 1997 (1967),p.. 159. t . . t .... 777 Kaja Silverman a tort de reprocher a Lyotard - selon elle un « art theoretician » - « to pit tne unconsciouss against the preconscious in ways which admit of no communication between them ». Saa critique se fonde sur une lecture trop superficielle de Discours, figure. « In Discours, figure, Lyotardd associates the unconscious with figural representation, end the preconscious with languagee [...]. However, whereas we stressed that all signification must be understood as a compromisee between the two, Lyotard argues that figural representation is sharply antagonistic to language.. The latter is on the side of censorship and repression, while the former is on the side of desiree and transgression. » Tout dépend de ce qu'on entend par le mot 'communication . Silvermann 1'équivaut au « compromise », réinstallant ainsi 1'opposition classique entre vision et langage.. Elle n'est pas assez philosophique et kantienne pour comprendre la force déconstructrice quee Lyotard attribue précisément a la connivence de la figure et du discours (Fiscours, diguré). Ellee manque de voir le role que, pour lui, joue la difference (au lieu de 1'opposition) et retombe

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Dee la figure-matrice émane la poussée libidinale, « fïgurale » dit Lyotard, d'oü Iee fantasme (ou Ie rêve) re9oit ses caractéristiques: transgression des régies syntaxiquess et sémantiques, images surréelles, simultanéité des formes hétérogènes,, polysemie des affects, pulsions polymorphes (cf. DF, 327-328). Le figurall est le terme par lequel Lyotard indique la presence des processus primairess dans 1'ordre secondaire. Parce que, selon Freud, Pinconscient ne connaïtt pas de negation, ni de temporalité chronologique, la matrice fait son travaill 'illogiquement' et partout Elle se révèle dans des formations construites dee Thétérogène et de discontinu ; elle est « omnitemporelle » (DF, 337). S'éloignantt de Lacan, Lyotard oppose matrice et structure.

Cettee atemporalité de la matrice fantasmatique, pas plus que la discontinuïtédiscontinuïté des poussées de pulsion, ne doit donner prétexte a la confondree avec une structure. Matric e et structure ont pour propriétés communess d'etre invisibles et synchroniques. Mais ces deux trait s procèdentt a leur tour de qualités absolument contraires : Pinvisibüité de laa structure est celle du système, qui est un être virtuel , mais intelligible ;; son intelligibilit é se marque précisément dans 1'observation dee régies formelles, régies logiques définissant les propriétés d'un systèmee en general, régies internes de transformation. [...] La négatité y remplitt une fonction essentielle. [...] Si la matrice est invisible, ce n'est pass parce qu'elle relève de 1*intelligible, c'est parce qu'elle reside dans unn espace qui est encore au-dela de 1'intelligible, est en ruptur e radicale avecc la régie de 1'opposition, est entièrement sous la coupe de la difference.difference. [...] Cette propriété de Fespace inconscient, qui est aussi cellee du corps libidinal , d'avoir plusieurs lieux en un lieu, de bloquer ensemblee ce qui n'est pas compossible, est le secret du figural: transgressionn des intervalles constitutif du discours, transgression des distancess constitutives de la representation (DF, 338-339).

Lee fantasme relève done, selon Lyotard, de la matrice fïgurale qui fonctionne commee pseudarchè : elle est archè dans la mesure oü elle est présentée dans la theoriee lyotardienne comme la source dans laquelle F imaginaire trouve son origine;; elle est pseudo parce qu'elle n'est pas représentable (invisible) et qu'ellee n'existe que dans ses effets de violation. En effet, on ne peut parier de la

danss une interpretation qui prend la figure-matrice et le figural , pour des termes indiquant la representationn visuelle. Pour Lyotard les processus primaires ne peuvent travailler que sur et dans 1'ordree secondaire, 1'ordre non seulement du langage mais aussi bien de la representation esthétiquee (dans le sens de Kant: figure-image, figure-forme). D'ailleur s sa critiqu e que Lacan conflueraitt Pinconscient et la pré-conscience est, elle-aussi, discutable, parce qu'elle ne tient pas comptee du rólc violent et libidina l que joue 'L a Chose' dans le manque qui instaure 1'ordre du signifïantt (Kaja Silverman The subject of semiotics. New York / Oxford: Oxford University Press, 1983,, pp. 88 et 288 note 3).

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matricee que sous une forme elle-même métaphorique et fantasmatique. La figure-matricefigure-matrice est le fantasme originair e de la philosophic lyotardienne. Elle est aa la fois le résultat (fantasme) et ce qui donne a fantasmer (origine) ; le « fantasmee originair e » determine la matrice comme une source, comme « 1'originee du fantasme », tandis que la 'matrice* n'est qu'un des « fantasmes des originess » possibles.

Nouss pensons que c'est a cette consequence radicale qu'est parvenu Lyotarddanss son livr e nietzschéen Economie libidinale. Lyotard lui-même caractérisee ce livr e « méchant » comme Pexpression d'une « désespérance hagardee » (Per, 33). Le fantasme matriciel est ici celui d'une 'bande libidinale' (bandee de Moebius) consistant en une 'barr e tournoyante'.79 Dans son experiencee philosophico-littéraire, Lyotard nous demande de nous imaginer le corpss humain ouvert et mis a plat de telle maniere que toute difference entre intériorit éé et extériorité soit annulée. Un tel corps serait la déconstruction definitiv ee de la métaphysique classique, qui se fonde sur des dualités telles que surface-profondeur,, intériorité-extériorité , signifiant-signifié etc. Il serait la déconstructionn de ce que Lyotard appelle la mise en scène de la métaphysique, dee son caractère de representation. La philosophie métaphysique, se basant sur laa distanciation et Popposition, représente 1'être comme une structure pensable auu lieu de se glisser en lui pour 1'experimenter. Il faudrait le penser, avance-t-il, commee une surface bidimensionnelle, sans profondeur, done recto sans verso. Penserr 1'être comme surface mono-latérale, 9a serait le penser affirmativement. Enn 1861, le mathématicien Moebius avait découvert et décrit une telle geometrie mono-latéralee a 1'aide d'un cercle, fait d'une bande retournée une fois sur elle-même,, effectuant ainsi une torsion. « Intuitivement tout se passé comme si cette bandee présentait deux faces. Pourtant il s'agit bien d'une surface a une seule facee (unilaterale) et a un seul bord. Il sufïit de parcourir cette bande a partir de n'import ee quel point pour s'apercevoir que Ton parcourt la surface tout entiere sanss franchir aucun bord. »80 L'effet d'une telle structure est la désorientation. Sanss recours a une troisième dimension, il est en effet impossible de saisir

788 A comparer au titre de Laplanche et Pontalis, o.c. 799 C'est done encore Lacan qui est 1'esprit contre lequel il se révolte. De cela en témoigne peut-êtree la métaphore de la bande de Mcebius, que Lyotard a pu emprunter au psychanalyste 1'ayant introduitee dans son séminaire (inédit) du 16 mai 1962 comme métaphore de 1'ambivalence du fonctionnementt psychique. En témoigne également 1'image dont Lyotard fait usage, celle d'une « barree ». Cf. Joel Dor Introduction a la lecture de Lacan. La structure du sujet. Paris: Editions Denoël,, 1992, pp. 129-138. Nous accentuons la continuité entre DF et EL, oü Lawrence Schehr veutt souligner plutöt la discontinuité (Lawrence R. Schehr. 'Lyotards Godpiece', in : Robert Harvey;; Lawrence R. Schehr Jean-Francois Lyotard: Time and Judgment. New Haven and London:: Yale University Press, 2001, pp. 62-76. Nous ne croyons done pas, comme suggère Pierree Billouet dans son étude sur le paganisme lyotardien, que la négativité de la figure en 1970 doitt être distinguée de sa positivité en 1974. La figure et le figural est ce qui surmonte cette oppositionn (Pierre Billouet Paganisme et postmodernité : J.-Fr. Lyotard. Paris : Ellipses, 1999, p. 56). . 800 Dor, o.c, p. 130.

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1'objett dans son ensemble et de s'orienter par rapport a lui. La bande de Moebius nee présente plus de difference entre ici et la-bas, entre 1'en-dessus et Pen-dessous.811 Elle demanderait un troisième point, « point de survol » dirai t Merleau-Ponty,, a 1'extériorit é de la monoface, grace auquel s'orienter. Les differencess ne sont plus localisables, ni ne peuvent être stabilisées en oppositionss bien déterminées. Autrementt dit, la barre du structuralisme lacanien perdrait sa fonction de separationn sur la 'monoface'. Lyotard se 1'imagine comme une « barre tournoyantee » (EL, 21-26). C'est par sa vitesse que Ie mouvement permanent de laa barre 'produit ' 1'impression d'une surface, qu'i l peut produir e même, en dernièree instance, des ordres d'opposition. De temps en temps, la barre reduit sa vitessee et se manifeste comme frontière, separation, principe d'opposition entre signifiantt et signifé, difference et structure. Or, Ie signe construit par cette experiencee surréaliste, Lyotard Ie nomme 'signe-tenseur' : la barre ne formant pass simplement 1'instance de separation mais plutöt celle de confusion des niveaux. .

LyotardLyotard lacanien

Enn contrastant structure et matrice, Lyotard vise a critiquer ce qu'i l appelle Ie 'nihilisme'' (ou la métaphysique) lacannien (RP, 175 ff.). Lacan n'aurait porté attentionn qu'au manque de 1'être, un manque par lequel il n'aurait pu engendrer Iee désir que comme la recherche inachevable de ce qui manque. Or, ce manque absolu,, ce grand « Zéro » (EL, passim), ferait de la theorie lacannien un nihilisme,, mais, il faut bien noter, un nihilisme qui resterait en tout tributair e de laa métaphysique classique.82 La tension du désir qui en résulte serait tout è fait déterminéee par la Grand Signifiant, instance de 1'ordre structurale de la signification,, instance de la Loi. Peut importe si 1'on appelle 'Dieu' ou 'Signifiant* ,, Lacan et Augustin seraient tous deux métaphysiciens, parce qu'il s auraientt tous deux installé Ie principe de la signification et du sens en dehors du pensable,, installé justement comme instance neutre et inébranlable, comme conditionn ou logos absolu.83 La sémiotique est un nihilisme (EL, 64) :« [ . . .] il n'yy a que des écarts, et s'il y a sens, c'est qu'i l y a signe, et s'il y a signe, c'est

811 Quant & la thématique de 1'orientation (dans 1'espace et dans la pensee), voir ci-dessous les chapitress 8 et 12. 822 Traitant du concept 'postmoderne' chez Lyotard, Denise Souche-Dagues oublie de mentionner cee nihilisme du Grand Zéro dans son : Nihilismes. Paris: PUF, 19%. 833 Cette interpretation n'est pas partagée par Lacoue-Labarthe et Nancy, qui considèrent Ie Signifiant-purr précisément comme Ie manque pur, 'manque-en-soi', et done même comme Ie manquee du symbole 0 ou de Dieu. Pour Lacan, il n'y a pas quetque chose qui manque dans Ie manque,, c'est Ie manque manquant en tant que tel, 1'être étant en tant que manquant, disons : 'tro pp de presence pour toute representation'.

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qu'i ll y écart [...] et extreme précision du système ou structure, et lè-dessus, éventuellement,, quand on a Tame religieuse comme Freud et Lacan, on produit 1'imagee d'un grand signifiant, tout è fait absent a jamais, dont la seule presence estt d'absentification, de réserve et de relève des termes qui en font des signes -substitutss les uns des autres -, 1'image d'un grand zéro qui tient disjoints ces termess [...]» (EL, 58).

Onn peut se demander si cette critiqu e est pertinente dans tous ses aspects. Dans saa 'Radiophonie' (1970), Lacan a brièvement réagi a Lyotard (dont Ie chapitre commentéé ici était apparu déja séparément comme article dans la Revue d'Esthétiqued'Esthétique en 1968). « Un professeur évidemment induit par mes propositions (qu'i ll croit d'ailleur s contrer, alors qu'i l s'en appuie [...], sans nul doute a plaisir)) a écrit des choses a retenir. »M Avec ce professeur, il se declare d'accord,, de sa maniere particuliere. Il souligne par exemple que la métaphore obtientt un effet de sens et non de signification85. Et, ce qui est plus pertinent, quee la critiqu e de Lyotard concerne Ie refoulement et Ie retour du signifiant dans 1'ordree des signifies. La aussi, la métaphore joue son röle. L'effet de sens se produitt dans Pactualité, est a prendre comme Ie retour du signifiant qui fait signee de 1'impossible, du reel, qui est la limit e du symbolique qui ne travaill e qu'aprèsqu'après coup et rétroactivement. Et c'est en ceci que, en effet, Ie rêve est métonymique,, concatenation des signifiants.

Parr Ie travail du rêve, pris sous 1'aspect de déplacement et done pris danss sa fonction métonymique, Ie rêve est généré comme une série de signifiants.. Vu que la série se base sur une perte irrécupérable par principe, la notionn de censure n'est pas a prendre d'une maniere secondaire. Ainsi la censuree ne vient pas après Ie désir, comme une intervention politique qui a pour butt d'arrêter une certaine volonté de réaliser Ie défendu. La censure est plus fondamentale.. Elle s'installe avec la perte originair e de 1'objet comme « Ie refoulementt originair e » découvert tardivement par Freud et, il faut Ie dire a sa defense,, par Lacan.86 Censure et signifiant-apostrophe vont de pair. L'effet de cettee censure primair e sur la série de signifiants est désastreux. Selon 1'algorithmee de la metonymie, elle équivaut a 1'installation de la barre séparant signifiantt et signifié, barre qui fait obstruction a la signification, qui fait que signifiantt et signifié soient a jamais 'out of joint' , que leur rapport soit incertain ett instable. C'est pour cette raison que Ie rêve, ensemble des signifiants, ne peut pass trouver sa signification definitive. Il y a toujours un exces des signifiants parr rapports aux signifies. « Il n'y a pas de langue existante, pour laquelle se posee la question de son insuffisance a couvrir Ie champ du signifié, étant un

844 Jacques Lacan Radiophonie in: Scilicet. Paris: Editions du Seuil, 1970, p. 69. 855 Ibid.t 68. 866 Lacan Television, p. 48.

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effett de son existence de langue qu'elle y répond è tous les besoins. »w Le rêve estt Pexpression d'une oscillation entre le désir de la chose perdue et la recherchee infïnie des remplacants provisoires. Trouvaille done.

Laa metonymie et la métaphore concernent le rapport de Pordre symboliquee au reel par le biais de 1' imaginaire. La signification est un processus dee rencontre entre au moins deux signifiants. Ce rapport est concevable comme la differencee du signifié et comme une concatenation des signifiants (metonymie); il estt également concevable comme la creation du signifié et comme la substitution d'unn signifiant par un autre (métaphore). Le rapport signifïant-signifïé presuppose donee le signifiant-apostrophe qui est indispensable a la signification, mais qui n'entree pas dans le jeu et trouve sur le seuil entre non-sens et sens, entre Pêtre nu et 1'êtree signifié, entre le reel et le symbolique, plus précisément: entre le réel et 1'ordree de signifiants comme signifiants (1'imaginaire). La schématisation suivantee s'impose88:

Metonymiee | Métaphorisation ChoseChose:: réel SignifiantSignifiant:: imaginaire SignifiéSignifié :

symbolique e

Isoléé dans Pêtre, le signifiant en est un element qui fait signe du fait que le sujet et lee réel se manquent 1'un et 1'autre, signe de separation. Ce trou du réel est 'La Chose'' du séminaire sur L 'éthique de psychanalyse, 'objet' introuvable du désir quii se trouve au-dela de 1'ordre des signifiants, au-dela done du sens et de signification:: presence immediate mais, pour le sujet, absolue dans le sens de absolvere.absolvere. « Das Ding est originellement ce que nous appellerons le hors-signifié. C'estt en fonction de eet hors-signifié, et d'un rapport pathétique a lui, que le sujet conservee sa distance, et se constitue dans un mode de rapport, d'affect primaire, antérieurr a tout refoulement »89 Elle est 'chaos', est le sublime ou plutöt YUngeheuerYUngeheuer dont la rencontre impliquerait la destruction du sujet puisqu'elle le « hors-signifiéé ». Cliniquement, 'La Chose' est a identifier au corps maternel, presencee fermée pour le désir par la defense de Pinceste, instance de Ia Loi (mais nouss passons grossièrement sur eet aspect 'éthique').90

877 Lacan 'L'instance de la lettre', p. 254. 888 Pour une explication sommaire de la division, voir Gilbert Diatkine Jacques Lacan. Paris : PUF,, 1997 et Antoine Mooij 'De Trias van Lacan: het imaginaire, symbolische en reële'. Amsterdam// Meppel: Boom, 1996, pp. 27-41. Ce rapport correspond d'ailleurs a celui entre ce quee Lacan appelle le 'Moi ideal', objet imaginaire a fonction de remplacer le signifiant perdu (le manquee de Pêtre) et '1'idéal du Moi', objet symbolique, constitue sous la loi et le nom du Père, a fonctionn de couvrir la perte par la signification (question de Pêtre). 899 Lacan L 'éthique de la psychanalyse, pp. 67-68. 9090 Ibid, pp. 82-83. Dans Ie suivant, nous nous appuyons sur: Mikkel Borch-Jacobsen Lacan. Le maitremaitre absolu. Paris : Flammarion 1995 (1990), pp. 269-262 (le chapitre 'Les atours du trou'); Philippee van Haute Tegen de aanpassing. Jacques Lacans 'ondermijning' van het subject.

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Cettee 'Chose' est 'Autre', elle est 'présente' dans 1'autre personne, expliquee Freud, comme ce qui échappe, dans la communication, a ma comprehension:: tous ces traits particuliere, actuels et affectifs que Ton ne peut reproduiree mais qui sont tout de même determinants pour la relation. De ces singularités,, Ie sujet retient tout de même des 'traces mnésiques' (Erinnerungsspure)(Erinnerungsspure) affectives, des signifiants qui provoquent des significations, seulementt s'ils se mettent en structure différentielle.91 Le désir suit la loi de 1'incestee pour tenir a distance 'La Chose', et il le fait par la construction des objets fantasmatiquess dont la qualité n'est jamais adequate pour remplir le manque mais quii concretised le désir. La perte de 'La Chose' (de la mère) et done de la jouissancee absolue est compensée par un fantasme qui tourne autour de certains objets,, Lacan les appelle 'objet a\ Ces objets sont comme des « trou-bouchons »; n'importee quel objet peut fonctionner comme bouchon. Or le rapport du sujet a 'la Chose'' lacanienne n'est autre qu'une analogie indirecte a la matrice figurale (et a laa bande libidinale) lyotardienne : matrice et mère ont ceci en commun qu'elles donnentt a fantasmer.

Chose,Chose, objet a etfiguralité comme le 'trop' du manque

Danss leur difference, 1'imaginaire et le symbolique travaillent ensemble dans le but dee tenir a 1'écart le reel de 'La Chose' oü ils puisent tout de même leur existence. Danss 1'imaginaire et le symbolique tout peut être remplacant de tout, il y règne la loii (capitaliste) de 1'échangeabilité totale. D'oü 1'ambiguïté fondamentale chez Lacann : 'La Chose' est défendue mais pour se défendre contre elle il faut inventer dess fantasmes et un système dans lequel le sujet ne s'attache jamais d'une maniere absoluee a une chose, oü tout est échangeable. C'est la même loi qui prescrit d'une partt qu'il y a 'La Chose' défendue et d'autre part que 'rien' n'est défendu. Pour tenirr a 1'écart 1'absolu, il faut mettre tout en circulation et done tout relativiser.

C'estt par le remplacement métonymique, du au retrait du signifiant, que 1'ordree de 1'imaginaire s'ouvre et que 1'enfant essaie de couvrir la plaie du manque parr « I'objet petit a », 'bouchon' provisoire et insuffisant pour remplir le trou du reel.933 Ces deux notions, 'manque' et 'retrait de signifiant', sont centrales dans la thesee lacanienne. La metonymie est 'responsable' de la perte qu'elle indique. « [C'est]] la structure métonymique, indiquant que c'est la connexion du signifiant au

Nijmegen:: SUN, 2000, pp. 119-144; Ëiiek, Slavoj Schuins beziend. Jacques Lacan geïntroduceerdgeïntroduceerd vanuit de populaire cultuur. Amsterdam: Boom, 1996(1991), pp. 17-70. *'' Phillipe van Haute 'Dood en sublimatie in Lacans interpretatie van Antigone'. Amsterdam/ Meppel:: Boom, 1996, pp. 126-129. .. 922 Paul Moyaert 'Lacan over de naastenliefde: de verhouding tot het Ding in de ander die mijn naastee is'. Amsterdam/ Meppel: Boom, 1996, p. 91; cf. Idem Ethiek en Sublimatie. Over De ethiekk van de psychoanalyse van Jacques Lacan. Nijmegen: SUN, 1994. 933 Lacan explique Tobjet petit a a 1'aide de la bobine dans le jeu enfantin {Fort-Da) et comme le regardd : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Le séminaire, livre XI. Paris: Editionss du Seuil, 1973, pp. 71-75, 79-135.

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signifiant,, qui permet 1'élision par quoi Ie signifiant installe le manque de 1'être danss Ia relation d'objet [...] ».M Par elle, Ie désir de l'objet inconnu et inconnaissablee s'installe. (Et cela par opposition au 'besoin' qui est un 'désir' physiquee d'un objet determine, et è la 'demande' qui est un 'désir', dans Ie langage,, de la presence d'autrui , 'désir' d'amour.) Tout objet désiré, une chose matériellee ou une autre personne, cache en lui une reference impossible a 'La Chose'. .

Orr 1'objet a, 1'indice du retrait du signifiant, est corporel a 1'origine: unee 'partie ' isolée du corps (oeil, voix, faeces, sein etc.) qui fonctionne, dans le fantasme,, comme un 'talon d'Achille' , comme le passage infime liant paradoxalementt le sujet a 'La Chose' insupportable. II n'existe pas phénoménologiquement,, il est tout au contraire ce qui résiste a la phénoménologisation,, signe de 1'impossible totalisation. C'est ici que la correspondancee entre Lyotard et Lacan se manifeste. Pour Lacan, le fantasme n'estt point reffor t d'annuler le désir, le fantasme qui cercle autour de 1'objet petitt a est par contre la maniere dont le désir s'exprime et se constitue. La fantaisiee et 1'imagination sont des scenarios de la realisation du désir dans le senss qu'elles le mettent en scène dans 1'objet. Le sujet apprend a désirer au moyenn de ses fantasmes qui font d'un objet quelconque un objet-cause de son désir.. L'objet a n'existe que dans la perspective spécifique et fantasmatique du sujett désirant, perspective en transgressant sa bonne forme.95 Quant a cela, il est èè comparer a Foeuvre artistique. L'objet a est dans Pexpérience du désir Findice quii rappelle que le manque et la coupure sont irréparables. Il devient problématiquee (névrotique) lorsque le sujet le prend comme objet de la 'demande'' et qu'i l essaie de Fintégrer, de le figer comme pont de liaison, commee solution total i san te du problème du manque de 1'être.

Or,, l'objet a est ce qui destabilise précisément les deux ordres, de Fimaginairee et du symbolique, le 'surplus' par rapport a la chaine des signifiants,, le 'trop ' qui loge dans le manque: 'a-phénoménal' (au-dela du principee de réalité)96 et 'para-phénoménal' (dans le sens oü la sémiotique parle duu 'para-linguistique') , signe de Findescriptible, nceud d'une intensité impensablee mais dont la violence est concrètement sensible. Il est, dirai t Lyotard ,, l'objet d'un fantasme dans lequel Fomniprésence du figural s'est insérée.. Objet sans qualité, hors-signifiant et hors-signifié, nous dirons qu'i l est 'trou-bouchon'' sans 'valeur' , trouvaill e qui ouvre Ia plaie aussi bien qu'elle la couvre. .

9494 Lacan 'L'instance de la lettre' , p. 274. 955 Phillipe van Haute Psychoanalyse en filosofie. Het imaginaire en het symbolische in het werk vanvan Jacques Lacan. Leuven: Uitgeverij Peeters, 1989, pp. 141-142. 966 Sur ce point, la distinction Chose - objet (signifiable) de Lacan est tout proche de celle, kantiennee entre Ding-an-sich et phénomène. Cf. Juranville, o.c, pp.216-217; Antoine Mooij 'Kantt en Lacan'. Boom, 1996,110-120.

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Ainsi,, 'la Chose' lacanienne n'est pas seulement manque et 'grand Zéro' du structuralisme,, elle est également surabondance, exces et surplus. C'est ce que Lyotard ,, après Le Dijférend et Economie libidinale, découvre, et c'est pourquoi ill fait régulièrement reference a elle sous des formes différentes : 1'ame est 1'otagee de la chose intraitabl e (MP, 164), le sentiment sublime est la jouissance duu réel (LAS, 75), le reel est en exces sur toute demande 'imaginaire' (ibid, 158),, réécrire (la modernité) concerne 1'anamnese de la Chose (L'Inh. , 42), le réell est le fait du désir et non un fait de reference d'un discours cognitif (LE, 78),, Paffect inconscient du refoulement originair e est 1'affaire de 'L a Chose' (ibid.),(ibid.), la 'Chose' n'attend pas qu'on la destine, elle insiste depuis le dehors oü ellee existe (ibid., 154), tout peintre est en proie a la chose, a la presence, a la couleurr (QP, 19) : « la chose brüle d'etre signifiée, c'est la joie d'inventer, les retrouvailless » (BS, 36). Probablement Lyotard est-il plus lacanien qu'i l ne le croitt lui-même, 'la Chose' étant le fond qui le fait chercher.

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