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Un topo sur les topos Alain Connes May 18, 2019 Abstract Je retrace 1 quelques étapes dans la démarche intellectuelle qui a conduit Alexan- dre Grothendieck, à partir d’une “emmerdante rédaction" qu’il devait faire sur l’algèbre homologique, à découvrir et mettre au point la notion de topos. Je cite de longs passages de “Récoltes et Semailles" qui éclairent la notion de topos. J’essaie d’expliquer en quel sens cette notion a une portée considérable grâce en particulier aux nuances qu’elle introduit entre le vrai et le faux. Je donne à la fin de mon exposé, et pour en assurer l’originalité, un exemple d’un paysage mathématique insolite, celui de la caractéristique 1, qui se dévoile naturellement en suivant cette “naïveté du petit enfant" que Grothendieck chérissait. Le point de départ est sa présentation des catégories additives décrite par Pierre Gabriel en 1962, ainsi que le besoin de ne jamais rajouter d’axiome artificiel. Le point d’arrivée est le “Site Arithmétique" qui joue un rôle essentiel dans nos travaux en collaboration avec C. Consani, et qui m’a convaincu de la pertinence du concept de topos. Contents 1 Introduction 1 2 Deuxième thèse 2 3 Le Tohoku 3 4 Tous les chevaux du roi 5 5 Topos 6 6 Nouveau paradigme 8 1 Conférence du 7 novembre 2017, dans le cadre du séminaire “Lectures grothendieckiennes” de l’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide et Laurent Lafforgue pour ses critiques pertinentes d’une version préliminaire de ce texte et pour m’avoir signalé la référence [22]. 1

Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

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Page 1: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Un topo sur les topos

Alain Connes

May 18 2019

Abstract

Je retrace1 quelques eacutetapes dans la deacutemarche intellectuelle qui a conduit Alexan-dre Grothendieck agrave partir drsquoune ldquoemmerdante reacutedaction qursquoil devait faire surlrsquoalgegravebre homologique agrave deacutecouvrir et mettre au point la notion de topos Je cite delongs passages de ldquoReacutecoltes et Semailles qui eacuteclairent la notion de topos Jrsquoessaiedrsquoexpliquer en quel sens cette notion a une porteacutee consideacuterable gracircce en particulieraux nuances qursquoelle introduit entre le vrai et le faux Je donne agrave la fin de monexposeacute et pour en assurer lrsquooriginaliteacute un exemple drsquoun paysage matheacutematiqueinsolite celui de la caracteacuteristique 1 qui se deacutevoile naturellement en suivant cetteldquonaiumlveteacute du petit enfant que Grothendieck cheacuterissait Le point de deacutepart est sapreacutesentation des cateacutegories additives deacutecrite par Pierre Gabriel en 1962 ainsi quele besoin de ne jamais rajouter drsquoaxiome artificiel Le point drsquoarriveacutee est le ldquoSiteArithmeacutetique qui joue un rocircle essentiel dans nos travaux en collaboration avec CConsani et qui mrsquoa convaincu de la pertinence du concept de topos

Contents

1 Introduction 1

2 Deuxiegraveme thegravese 2

3 Le Tohoku 3

4 Tous les chevaux du roi 5

5 Topos 6

6 Nouveau paradigme 8

1Confeacuterence du 7 novembre 2017 dans le cadre du seacuteminaire ldquoLectures grothendieckiennesrdquo delrsquoENS (organisateur du seacuteminaire Freacutedeacuteric Jaeumlck (ENS) transcription Denise Vella-Chemla) Je remercieDenise Vella-Chemla pour son aide et Laurent Lafforgue pour ses critiques pertinentes drsquoune versionpreacuteliminaire de ce texte et pour mrsquoavoir signaleacute la reacutefeacuterence [22]

1

7 Une meacutetaphore 11

8 Veacuteriteacute dans un topos 1281 Agrave deux pas de la veacuteriteacute 1482 La veacuteriteacute chez les carquois 16

9 Cribles 17

10 Points drsquoun topos 19

11 Eacuteloge de la lenteur 22

12 Le monde de la caracteacuteristique 1 24

13 Le site arithmeacutetique 27

1 Introduction

Pour me conformer agrave lrsquoesprit de ce seacuteminaire ldquoGrothendieck avant tout je vais es-sayer de mrsquoeffacer le plus possible devant lui2 et de retracer de maniegravere hypotheacutetiquebien entendu le parcours qui lrsquoa ameneacute aux topos Et surtout je vais essayer de vousdonner une meacutetaphore eacuteclairante pour ce que crsquoest qursquoun topos et vous expliquer ceqursquoil y a drsquoextraordinaire dans cette deacutecouverte drsquoun point de vue philosophique ausens ougrave donner un topos introduit des nuances consideacuterables dans la notion de veacuteriteacuteJrsquoessaierai drsquoexpliquer cela par des exemples rien de tel qursquoun bon exemple pour com-prendre de quoi il srsquoagit Je vais vous donner un exemple drsquoun topos qui permet deformuler ecirctre agrave 3 pas de la veacuteriteacute ou agrave 5 pas de la veacuteriteacute etc Mais lrsquoessentiel serade laisser la parole agrave Grothendieck Il a donneacute cent heures de confeacuterences agrave Buffaloen 1973 qui ont eacuteteacute enregistreacutees en audio Au tout deacutebut (que nous eacutecouterons) ilexplique comment il va faire son cours sur les topos Il srsquoest exprimeacute sur les toposdans ldquoReacutecoltes et semailles [23] et son texte que nous citerons abondamment en cequi concerne les topos donne de maniegravere non technique de nombreuses clefs pourcomprendre lrsquooriginaliteacute et lrsquointeacuterecirct de cette deacutecouverteNous verrons agrave la fin de cet exposeacute un exemple ougrave la meacutethode de penseacutee chegravere agraveGrothendieck qui consiste agrave ne pas se satisfaire quand on rajoute une condition arti-ficielle pour se simplifier la vie nous permettra drsquoacceacuteder naturellement au ldquomondede la caracteacuteristique 1 Nous deacutecrirons briegravevement ce monde et montrerons qursquoildeacutebouche en particulier sur le site arithmeacutetique un topos semi-anneleacute que nous avonsrencontreacute dans nos travaux avec C Consani rencontre qui mrsquoa converti au concept detopos

2sauf dans les deux derniegraveres sections

2

2 Deuxiegraveme thegravese

Figure 1 Thegravese Grothendieck

Figure 2 Deacutetails premiegravere page

La premiegravere image que je vous montre crsquoest une image que je dois agrave Charles Alunni quimrsquoa envoyeacute un courriel un jour en me disant qursquoil aurait bien voulu avoir la deuxiegravemethegravese de Grothendieck Agrave lrsquoeacutepoque quand on passait une thegravese quand jrsquoai passeacute mathegravese par exemple on deacutefendait toujours une deuxiegraveme thegravese Cette deuxiegraveme thegravesenrsquoeacutetait pas eacutecrite On devait la deacutefendre oralement devant le jury le sujet nous eacutetait im-poseacute et eacutetait par deacutefinition eacuteloigneacute de notre sujet de thegravese Dans le cas de Grothendieckil a fait sa thegravese sur les produits tensoriels topologiques et les espaces nucleacuteaires avecses contributions fondamentales agrave lrsquoanalyse fonctionnelle Ce qui est amusant crsquoest

3

qursquoon peut penser que ce qui a fait bifurquer Grothendieck premier pas sur le cheminqui eacuteventuellement lrsquoa ameneacute agrave lrsquoideacutee du topos crsquoest sa deuxiegraveme thegravese En effet ladeuxiegraveme thegravese de Grothendieck (crsquoest eacutecrit sur la premiegravere page voir figure 2) avaitpour sujet la theacuteorie des faisceaux

Drsquoailleurs sur cette page si vous regardez bien vous allez trouver qursquoil srsquoest glisseacute uneerreur En effet il y a 3 examinateurs il y a Henri Cartan Laurent Schwartz et puis ily a un troisiegraveme examinateur qui srsquoappelle Georges Choquet Intrigueacute jrsquoai chercheacute surwikipedia pour voir srsquoil nrsquoy avait pas un matheacutematicien appeleacute Georges Choquet Jrsquoaitrouveacute un eccleacutesiastique du nom de Georges Choquet qui est mort pendant la deux-iegraveme guerre mondiale Il faut se rendre agrave lrsquoeacutevidence crsquoest bien une erreur et crsquoest bienGustave Choquet neacute le 1 mars 1915 qui eacutetait examinateur de Grothendieck dont lathegravese a eacuteteacute soutenue le 28 Feacutevrier 1953

3 Le Tohoku

En 1955 Grothendieck srsquointeacuteressait bien sucircr aux faisceaux qui sont une deacutecouvertecruciale de Jean Leray avec celle des suites spectrales Les eacutechanges de lettres [6] en-tre Jean-Pierre Serre et Grothendieck sont tregraves instructifs et jrsquoai choisi un passage ougravelrsquoon voit apparaicirctre lrsquoarticle fameux qursquoon appelle familiegraverement ldquoLe Tohoku Cetarticle est paru dans un journal qui srsquoappelle le Tohoku Mathematical Journal maislrsquoarticle lui mecircme en fait on lrsquoappelle Tohoku Voici (Figure 3) un extrait drsquoune lettrede Grothendieck agrave J P Serre

Figure 3 Passage drsquoune lettre de A Grothendieck agrave J P Serre

4

(voir [6]) ougrave il mentionne son article comme une emmerdante reacutedaction Cet extraitdonne drsquoailleurs un aperccedilu de la meacutethode que Grothendieck utilise tout le temps quandil travaille Il va au fond des choses et nrsquoheacutesite jamais devant une tacircche que nrsquoimportequel matheacutematicien consideacutererait comme eacutetant sans inteacuterecirct reacutebarbative nrsquoallant rienlui rapporterDans le Tohoku Grothendieck introduit les cateacutegories abeacuteliennes et deacuteveloppe leursproprieacuteteacutes geacuteneacuterales puis il met au point lrsquoalgegravebre homologique dans ce cadre3 Cet as-pect de son article est bien situeacute historiquement dans la ligne des travaux de S MacLane(voir [27]) et par exemple du livre de Cartan-Eilenberg (voir [4]) sur lrsquoalgegravebre ho-mologique La raison pour laquelle je reconnais un signe avant-coureur des topos danscet article crsquoest agrave cause drsquoun exemple de cateacutegorie abeacutelienne que donne Grothendieck(voir sect16 dans [21]) Lrsquoexemple de la cateacutegorie abeacutelienne des modules sur un anneauest le sujet du livre de Cartan-Eilenberg Lrsquoexemple des faisceaux de groupes abeacutelienssur un espace topologique est central bien entendu lagrave encore pas de surprise puisquecrsquoeacutetait pour unifier ces deux exemples qursquoil avait fait son travail de geacuteneacuteralisationMais il avait en tecircte un troisiegraveme exemple crsquoest ce qursquoil appelait les cateacutegories de dia-grammes Avant de srsquointeacuteresser agrave lrsquoaspect additif Grothendieck deacutefinit la cateacutegorie desfoncteurs drsquoune petite cateacutegorie agrave valeurs dans une cateacutegorie quelconque Il srsquointeacuteresseen particulier agrave celle des groupes abeacuteliens et aux diagrammes de groupes abeacuteliens etmontre qursquoils forment encore une cateacutegorie abeacutelienne En fait on reconnait lagrave les deuxpiliers de la notion de topos Pourvu que lrsquoon ait lrsquoideacutee ndash que Grothendieck a eue ndashde ne pas se limiter aux faisceaux de groupes abeacuteliens mais de passer aux faisceauxdrsquoensembles on deacutecouvrira que la cateacutegorie C des foncteurs4 drsquoune petite cateacutegorie Cvers la cateacutegorie des ensembles est drsquoune richesse insoupccedilonneacutee Il est trompeur delrsquoenvisager comme discregravete et pour srsquoen convaincre il suffit de prendre lrsquoexemple desensembles simpliciaux il srsquoagit bien lagrave drsquoune cateacutegorie de diagrammes mais qui estlrsquoun des modegraveles pour la theacuteorie de lrsquohomotopie5

4 Tous les chevaux du roi

Eacutecoutons la voix6 de Grothendieck au deacutebut de ses confeacuterences agrave Buffalo en 1973

ldquoA topos is just what could be considered being the main object of study of topology And sothe theory of topoi is I mean a generalization of classical general topology itrsquos what I reallylike to consider So as background it requires to have some familiarity with handling topolog-ical spaces and continuous maps homeomorphisms and such things and on the other handfamiliarity with the language of categories and thatrsquos about all So later we will give some

3Il mets en particulier au point les axiomes qui permettent drsquoassurer lrsquoexistence de suffisammentdrsquoobjets injectifs ce qui joue un rocircle essentiel pour les faisceaux de groupes abeacuteliens sur un espacetopologique quelconque

4contravariants par convention5On consultera avec profit la lettre de Grothendieck agrave Thomason du 2 Avril 1991 accessible en cli-

quant ici6Il suffit de cliquer dessus pour lrsquoeacutecouter

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explanations motivation for introducing something more general than topological spaces andgive examples but in order to understand the notion of the topos and its relevance to generaltopology one will require some familiarity with the language of sheaves on a topological spaceNow I guess that this notion is not that familiar to everybody therefore I think I will have togive a rather sound introduction to sheaves on topological spaces I will not assume anythingknown about this notion I will start by a review of standard sheaf theory on topological spaces rdquo

Il srsquoengage alors avec cette incroyable patience agrave laquelle il faut qursquoon srsquohabitue agraveexpliquer tous les deacutetails agrave aller jusqursquoau bout de tous les deacutetails de la theacuteorie desfaisceaux Cette patience est une qualiteacute absolument essentielle dans sa deacutemarcheMaintenant je vais vous lire du Grothendieck puisque le principe du seacuteminaire est desrsquoeffacer devant lui Voilagrave ce qursquoil dit dans Reacutecoltes et Semailles [23] sur le passage auxtopos

Le point de vue et le langage des faisceaux introduit par Leray nous a ameneacutes agrave regarder lesldquoespacesrdquo et ldquovarieacuteteacutesrdquo en tous genres dans une lumiegravere nouvelle Ils ne touchaient pas pour-tant agrave la notion mecircme drsquoespace se contentant de nous faire appreacutehender plus finement avecdes yeux nouveaux ces traditionnels ldquoespacesrdquo deacutejagrave familiers agrave tous Or il srsquoest aveacutereacute que cettenotion drsquoespace est inadeacutequate pour rendre compte des ldquoinvariants topologiquesrdquo les plus es-sentiels qui expriment la ldquoformerdquo des varieacuteteacutes algeacutebriques ldquoabstraitesrdquo (comme celles auxquellessrsquoappliquent les conjectures de Weil) voire celle des ldquoscheacutemasrdquo geacuteneacuteraux (geacuteneacuteralisant les an-ciennes varieacuteteacutes)Pour les ldquoeacutepousaillesrdquo attendues ldquodu nombre et de la grandeurrdquo crsquoeacutetait comme un lit deacutecideacute-ment eacutetriqueacute ougrave lrsquoun seulement des futurs conjoints (agrave savoir lrsquoeacutepouseacutee) pouvait agrave la rigueurtrouver agrave se nicher tant bien que mal mais jamais les deux agrave la fois Le ldquoprincipe nouveaurdquo quirestait agrave trouver pour consommer les eacutepousailles promises par des feacutees propices ce nrsquoeacutetait autreaussi que ce ldquolitrdquo spacieux qui manquait aux futurs eacutepoux sans que personne jusque-lagrave srsquoensoit seulement aperccedilu Ce ldquolit agrave deux placesrdquo est apparu (comme par un coup de baguettemagique ) avec lrsquoideacutee du topos Cette ideacutee englobe dans une intuition topologique communeaussi bien les traditionnels espaces (topologiques) incarnant le monde de la grandeur continueque les (soi-disant) ldquoespacesrdquo (ou ldquovarieacuteteacutesrdquo) des geacuteomegravetres algeacutebristes abstraits impeacutenitentsainsi que drsquoinnombrables autres types de structures qui jusque-lagrave avaient sembleacute riveacutees irreacutemeacute-diablement au ldquomonde arithmeacutetiquerdquo des agreacutegats ldquodiscontinusrdquo ou ldquodiscretsrdquoCrsquoest le point de vue des faisceaux qui a eacuteteacute le guide silencieux et sucircr la clef efficace (et nulle-ment secregravete) me menant sans atermoiements ni deacutetours vers la chambre nuptiale au vaste litconjugal Un lit si vaste en effet (telle une vaste et paisible riviegravere tregraves profonde ) que

ldquotous les chevaux du roiy pourraient boire ensemble rdquo

ndash comme nous le dit un vieil air que sucircrement tu as ducirc chanter toi aussi ou au moins entendrechanter Et celui qui a eacuteteacute le premier agrave le chanter a mieux senti la beauteacute secregravete et la forcepaisible du topos qursquoaucun de mes savants eacutelegraveves et amis drsquoantan

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5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

7

en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

8

Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

9

Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 2: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

7 Une meacutetaphore 11

8 Veacuteriteacute dans un topos 1281 Agrave deux pas de la veacuteriteacute 1482 La veacuteriteacute chez les carquois 16

9 Cribles 17

10 Points drsquoun topos 19

11 Eacuteloge de la lenteur 22

12 Le monde de la caracteacuteristique 1 24

13 Le site arithmeacutetique 27

1 Introduction

Pour me conformer agrave lrsquoesprit de ce seacuteminaire ldquoGrothendieck avant tout je vais es-sayer de mrsquoeffacer le plus possible devant lui2 et de retracer de maniegravere hypotheacutetiquebien entendu le parcours qui lrsquoa ameneacute aux topos Et surtout je vais essayer de vousdonner une meacutetaphore eacuteclairante pour ce que crsquoest qursquoun topos et vous expliquer ceqursquoil y a drsquoextraordinaire dans cette deacutecouverte drsquoun point de vue philosophique ausens ougrave donner un topos introduit des nuances consideacuterables dans la notion de veacuteriteacuteJrsquoessaierai drsquoexpliquer cela par des exemples rien de tel qursquoun bon exemple pour com-prendre de quoi il srsquoagit Je vais vous donner un exemple drsquoun topos qui permet deformuler ecirctre agrave 3 pas de la veacuteriteacute ou agrave 5 pas de la veacuteriteacute etc Mais lrsquoessentiel serade laisser la parole agrave Grothendieck Il a donneacute cent heures de confeacuterences agrave Buffaloen 1973 qui ont eacuteteacute enregistreacutees en audio Au tout deacutebut (que nous eacutecouterons) ilexplique comment il va faire son cours sur les topos Il srsquoest exprimeacute sur les toposdans ldquoReacutecoltes et semailles [23] et son texte que nous citerons abondamment en cequi concerne les topos donne de maniegravere non technique de nombreuses clefs pourcomprendre lrsquooriginaliteacute et lrsquointeacuterecirct de cette deacutecouverteNous verrons agrave la fin de cet exposeacute un exemple ougrave la meacutethode de penseacutee chegravere agraveGrothendieck qui consiste agrave ne pas se satisfaire quand on rajoute une condition arti-ficielle pour se simplifier la vie nous permettra drsquoacceacuteder naturellement au ldquomondede la caracteacuteristique 1 Nous deacutecrirons briegravevement ce monde et montrerons qursquoildeacutebouche en particulier sur le site arithmeacutetique un topos semi-anneleacute que nous avonsrencontreacute dans nos travaux avec C Consani rencontre qui mrsquoa converti au concept detopos

2sauf dans les deux derniegraveres sections

2

2 Deuxiegraveme thegravese

Figure 1 Thegravese Grothendieck

Figure 2 Deacutetails premiegravere page

La premiegravere image que je vous montre crsquoest une image que je dois agrave Charles Alunni quimrsquoa envoyeacute un courriel un jour en me disant qursquoil aurait bien voulu avoir la deuxiegravemethegravese de Grothendieck Agrave lrsquoeacutepoque quand on passait une thegravese quand jrsquoai passeacute mathegravese par exemple on deacutefendait toujours une deuxiegraveme thegravese Cette deuxiegraveme thegravesenrsquoeacutetait pas eacutecrite On devait la deacutefendre oralement devant le jury le sujet nous eacutetait im-poseacute et eacutetait par deacutefinition eacuteloigneacute de notre sujet de thegravese Dans le cas de Grothendieckil a fait sa thegravese sur les produits tensoriels topologiques et les espaces nucleacuteaires avecses contributions fondamentales agrave lrsquoanalyse fonctionnelle Ce qui est amusant crsquoest

3

qursquoon peut penser que ce qui a fait bifurquer Grothendieck premier pas sur le cheminqui eacuteventuellement lrsquoa ameneacute agrave lrsquoideacutee du topos crsquoest sa deuxiegraveme thegravese En effet ladeuxiegraveme thegravese de Grothendieck (crsquoest eacutecrit sur la premiegravere page voir figure 2) avaitpour sujet la theacuteorie des faisceaux

Drsquoailleurs sur cette page si vous regardez bien vous allez trouver qursquoil srsquoest glisseacute uneerreur En effet il y a 3 examinateurs il y a Henri Cartan Laurent Schwartz et puis ily a un troisiegraveme examinateur qui srsquoappelle Georges Choquet Intrigueacute jrsquoai chercheacute surwikipedia pour voir srsquoil nrsquoy avait pas un matheacutematicien appeleacute Georges Choquet Jrsquoaitrouveacute un eccleacutesiastique du nom de Georges Choquet qui est mort pendant la deux-iegraveme guerre mondiale Il faut se rendre agrave lrsquoeacutevidence crsquoest bien une erreur et crsquoest bienGustave Choquet neacute le 1 mars 1915 qui eacutetait examinateur de Grothendieck dont lathegravese a eacuteteacute soutenue le 28 Feacutevrier 1953

3 Le Tohoku

En 1955 Grothendieck srsquointeacuteressait bien sucircr aux faisceaux qui sont une deacutecouvertecruciale de Jean Leray avec celle des suites spectrales Les eacutechanges de lettres [6] en-tre Jean-Pierre Serre et Grothendieck sont tregraves instructifs et jrsquoai choisi un passage ougravelrsquoon voit apparaicirctre lrsquoarticle fameux qursquoon appelle familiegraverement ldquoLe Tohoku Cetarticle est paru dans un journal qui srsquoappelle le Tohoku Mathematical Journal maislrsquoarticle lui mecircme en fait on lrsquoappelle Tohoku Voici (Figure 3) un extrait drsquoune lettrede Grothendieck agrave J P Serre

Figure 3 Passage drsquoune lettre de A Grothendieck agrave J P Serre

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(voir [6]) ougrave il mentionne son article comme une emmerdante reacutedaction Cet extraitdonne drsquoailleurs un aperccedilu de la meacutethode que Grothendieck utilise tout le temps quandil travaille Il va au fond des choses et nrsquoheacutesite jamais devant une tacircche que nrsquoimportequel matheacutematicien consideacutererait comme eacutetant sans inteacuterecirct reacutebarbative nrsquoallant rienlui rapporterDans le Tohoku Grothendieck introduit les cateacutegories abeacuteliennes et deacuteveloppe leursproprieacuteteacutes geacuteneacuterales puis il met au point lrsquoalgegravebre homologique dans ce cadre3 Cet as-pect de son article est bien situeacute historiquement dans la ligne des travaux de S MacLane(voir [27]) et par exemple du livre de Cartan-Eilenberg (voir [4]) sur lrsquoalgegravebre ho-mologique La raison pour laquelle je reconnais un signe avant-coureur des topos danscet article crsquoest agrave cause drsquoun exemple de cateacutegorie abeacutelienne que donne Grothendieck(voir sect16 dans [21]) Lrsquoexemple de la cateacutegorie abeacutelienne des modules sur un anneauest le sujet du livre de Cartan-Eilenberg Lrsquoexemple des faisceaux de groupes abeacutelienssur un espace topologique est central bien entendu lagrave encore pas de surprise puisquecrsquoeacutetait pour unifier ces deux exemples qursquoil avait fait son travail de geacuteneacuteralisationMais il avait en tecircte un troisiegraveme exemple crsquoest ce qursquoil appelait les cateacutegories de dia-grammes Avant de srsquointeacuteresser agrave lrsquoaspect additif Grothendieck deacutefinit la cateacutegorie desfoncteurs drsquoune petite cateacutegorie agrave valeurs dans une cateacutegorie quelconque Il srsquointeacuteresseen particulier agrave celle des groupes abeacuteliens et aux diagrammes de groupes abeacuteliens etmontre qursquoils forment encore une cateacutegorie abeacutelienne En fait on reconnait lagrave les deuxpiliers de la notion de topos Pourvu que lrsquoon ait lrsquoideacutee ndash que Grothendieck a eue ndashde ne pas se limiter aux faisceaux de groupes abeacuteliens mais de passer aux faisceauxdrsquoensembles on deacutecouvrira que la cateacutegorie C des foncteurs4 drsquoune petite cateacutegorie Cvers la cateacutegorie des ensembles est drsquoune richesse insoupccedilonneacutee Il est trompeur delrsquoenvisager comme discregravete et pour srsquoen convaincre il suffit de prendre lrsquoexemple desensembles simpliciaux il srsquoagit bien lagrave drsquoune cateacutegorie de diagrammes mais qui estlrsquoun des modegraveles pour la theacuteorie de lrsquohomotopie5

4 Tous les chevaux du roi

Eacutecoutons la voix6 de Grothendieck au deacutebut de ses confeacuterences agrave Buffalo en 1973

ldquoA topos is just what could be considered being the main object of study of topology And sothe theory of topoi is I mean a generalization of classical general topology itrsquos what I reallylike to consider So as background it requires to have some familiarity with handling topolog-ical spaces and continuous maps homeomorphisms and such things and on the other handfamiliarity with the language of categories and thatrsquos about all So later we will give some

3Il mets en particulier au point les axiomes qui permettent drsquoassurer lrsquoexistence de suffisammentdrsquoobjets injectifs ce qui joue un rocircle essentiel pour les faisceaux de groupes abeacuteliens sur un espacetopologique quelconque

4contravariants par convention5On consultera avec profit la lettre de Grothendieck agrave Thomason du 2 Avril 1991 accessible en cli-

quant ici6Il suffit de cliquer dessus pour lrsquoeacutecouter

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explanations motivation for introducing something more general than topological spaces andgive examples but in order to understand the notion of the topos and its relevance to generaltopology one will require some familiarity with the language of sheaves on a topological spaceNow I guess that this notion is not that familiar to everybody therefore I think I will have togive a rather sound introduction to sheaves on topological spaces I will not assume anythingknown about this notion I will start by a review of standard sheaf theory on topological spaces rdquo

Il srsquoengage alors avec cette incroyable patience agrave laquelle il faut qursquoon srsquohabitue agraveexpliquer tous les deacutetails agrave aller jusqursquoau bout de tous les deacutetails de la theacuteorie desfaisceaux Cette patience est une qualiteacute absolument essentielle dans sa deacutemarcheMaintenant je vais vous lire du Grothendieck puisque le principe du seacuteminaire est desrsquoeffacer devant lui Voilagrave ce qursquoil dit dans Reacutecoltes et Semailles [23] sur le passage auxtopos

Le point de vue et le langage des faisceaux introduit par Leray nous a ameneacutes agrave regarder lesldquoespacesrdquo et ldquovarieacuteteacutesrdquo en tous genres dans une lumiegravere nouvelle Ils ne touchaient pas pour-tant agrave la notion mecircme drsquoespace se contentant de nous faire appreacutehender plus finement avecdes yeux nouveaux ces traditionnels ldquoespacesrdquo deacutejagrave familiers agrave tous Or il srsquoest aveacutereacute que cettenotion drsquoespace est inadeacutequate pour rendre compte des ldquoinvariants topologiquesrdquo les plus es-sentiels qui expriment la ldquoformerdquo des varieacuteteacutes algeacutebriques ldquoabstraitesrdquo (comme celles auxquellessrsquoappliquent les conjectures de Weil) voire celle des ldquoscheacutemasrdquo geacuteneacuteraux (geacuteneacuteralisant les an-ciennes varieacuteteacutes)Pour les ldquoeacutepousaillesrdquo attendues ldquodu nombre et de la grandeurrdquo crsquoeacutetait comme un lit deacutecideacute-ment eacutetriqueacute ougrave lrsquoun seulement des futurs conjoints (agrave savoir lrsquoeacutepouseacutee) pouvait agrave la rigueurtrouver agrave se nicher tant bien que mal mais jamais les deux agrave la fois Le ldquoprincipe nouveaurdquo quirestait agrave trouver pour consommer les eacutepousailles promises par des feacutees propices ce nrsquoeacutetait autreaussi que ce ldquolitrdquo spacieux qui manquait aux futurs eacutepoux sans que personne jusque-lagrave srsquoensoit seulement aperccedilu Ce ldquolit agrave deux placesrdquo est apparu (comme par un coup de baguettemagique ) avec lrsquoideacutee du topos Cette ideacutee englobe dans une intuition topologique communeaussi bien les traditionnels espaces (topologiques) incarnant le monde de la grandeur continueque les (soi-disant) ldquoespacesrdquo (ou ldquovarieacuteteacutesrdquo) des geacuteomegravetres algeacutebristes abstraits impeacutenitentsainsi que drsquoinnombrables autres types de structures qui jusque-lagrave avaient sembleacute riveacutees irreacutemeacute-diablement au ldquomonde arithmeacutetiquerdquo des agreacutegats ldquodiscontinusrdquo ou ldquodiscretsrdquoCrsquoest le point de vue des faisceaux qui a eacuteteacute le guide silencieux et sucircr la clef efficace (et nulle-ment secregravete) me menant sans atermoiements ni deacutetours vers la chambre nuptiale au vaste litconjugal Un lit si vaste en effet (telle une vaste et paisible riviegravere tregraves profonde ) que

ldquotous les chevaux du roiy pourraient boire ensemble rdquo

ndash comme nous le dit un vieil air que sucircrement tu as ducirc chanter toi aussi ou au moins entendrechanter Et celui qui a eacuteteacute le premier agrave le chanter a mieux senti la beauteacute secregravete et la forcepaisible du topos qursquoaucun de mes savants eacutelegraveves et amis drsquoantan

6

5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

7

en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

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Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 3: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

2 Deuxiegraveme thegravese

Figure 1 Thegravese Grothendieck

Figure 2 Deacutetails premiegravere page

La premiegravere image que je vous montre crsquoest une image que je dois agrave Charles Alunni quimrsquoa envoyeacute un courriel un jour en me disant qursquoil aurait bien voulu avoir la deuxiegravemethegravese de Grothendieck Agrave lrsquoeacutepoque quand on passait une thegravese quand jrsquoai passeacute mathegravese par exemple on deacutefendait toujours une deuxiegraveme thegravese Cette deuxiegraveme thegravesenrsquoeacutetait pas eacutecrite On devait la deacutefendre oralement devant le jury le sujet nous eacutetait im-poseacute et eacutetait par deacutefinition eacuteloigneacute de notre sujet de thegravese Dans le cas de Grothendieckil a fait sa thegravese sur les produits tensoriels topologiques et les espaces nucleacuteaires avecses contributions fondamentales agrave lrsquoanalyse fonctionnelle Ce qui est amusant crsquoest

3

qursquoon peut penser que ce qui a fait bifurquer Grothendieck premier pas sur le cheminqui eacuteventuellement lrsquoa ameneacute agrave lrsquoideacutee du topos crsquoest sa deuxiegraveme thegravese En effet ladeuxiegraveme thegravese de Grothendieck (crsquoest eacutecrit sur la premiegravere page voir figure 2) avaitpour sujet la theacuteorie des faisceaux

Drsquoailleurs sur cette page si vous regardez bien vous allez trouver qursquoil srsquoest glisseacute uneerreur En effet il y a 3 examinateurs il y a Henri Cartan Laurent Schwartz et puis ily a un troisiegraveme examinateur qui srsquoappelle Georges Choquet Intrigueacute jrsquoai chercheacute surwikipedia pour voir srsquoil nrsquoy avait pas un matheacutematicien appeleacute Georges Choquet Jrsquoaitrouveacute un eccleacutesiastique du nom de Georges Choquet qui est mort pendant la deux-iegraveme guerre mondiale Il faut se rendre agrave lrsquoeacutevidence crsquoest bien une erreur et crsquoest bienGustave Choquet neacute le 1 mars 1915 qui eacutetait examinateur de Grothendieck dont lathegravese a eacuteteacute soutenue le 28 Feacutevrier 1953

3 Le Tohoku

En 1955 Grothendieck srsquointeacuteressait bien sucircr aux faisceaux qui sont une deacutecouvertecruciale de Jean Leray avec celle des suites spectrales Les eacutechanges de lettres [6] en-tre Jean-Pierre Serre et Grothendieck sont tregraves instructifs et jrsquoai choisi un passage ougravelrsquoon voit apparaicirctre lrsquoarticle fameux qursquoon appelle familiegraverement ldquoLe Tohoku Cetarticle est paru dans un journal qui srsquoappelle le Tohoku Mathematical Journal maislrsquoarticle lui mecircme en fait on lrsquoappelle Tohoku Voici (Figure 3) un extrait drsquoune lettrede Grothendieck agrave J P Serre

Figure 3 Passage drsquoune lettre de A Grothendieck agrave J P Serre

4

(voir [6]) ougrave il mentionne son article comme une emmerdante reacutedaction Cet extraitdonne drsquoailleurs un aperccedilu de la meacutethode que Grothendieck utilise tout le temps quandil travaille Il va au fond des choses et nrsquoheacutesite jamais devant une tacircche que nrsquoimportequel matheacutematicien consideacutererait comme eacutetant sans inteacuterecirct reacutebarbative nrsquoallant rienlui rapporterDans le Tohoku Grothendieck introduit les cateacutegories abeacuteliennes et deacuteveloppe leursproprieacuteteacutes geacuteneacuterales puis il met au point lrsquoalgegravebre homologique dans ce cadre3 Cet as-pect de son article est bien situeacute historiquement dans la ligne des travaux de S MacLane(voir [27]) et par exemple du livre de Cartan-Eilenberg (voir [4]) sur lrsquoalgegravebre ho-mologique La raison pour laquelle je reconnais un signe avant-coureur des topos danscet article crsquoest agrave cause drsquoun exemple de cateacutegorie abeacutelienne que donne Grothendieck(voir sect16 dans [21]) Lrsquoexemple de la cateacutegorie abeacutelienne des modules sur un anneauest le sujet du livre de Cartan-Eilenberg Lrsquoexemple des faisceaux de groupes abeacutelienssur un espace topologique est central bien entendu lagrave encore pas de surprise puisquecrsquoeacutetait pour unifier ces deux exemples qursquoil avait fait son travail de geacuteneacuteralisationMais il avait en tecircte un troisiegraveme exemple crsquoest ce qursquoil appelait les cateacutegories de dia-grammes Avant de srsquointeacuteresser agrave lrsquoaspect additif Grothendieck deacutefinit la cateacutegorie desfoncteurs drsquoune petite cateacutegorie agrave valeurs dans une cateacutegorie quelconque Il srsquointeacuteresseen particulier agrave celle des groupes abeacuteliens et aux diagrammes de groupes abeacuteliens etmontre qursquoils forment encore une cateacutegorie abeacutelienne En fait on reconnait lagrave les deuxpiliers de la notion de topos Pourvu que lrsquoon ait lrsquoideacutee ndash que Grothendieck a eue ndashde ne pas se limiter aux faisceaux de groupes abeacuteliens mais de passer aux faisceauxdrsquoensembles on deacutecouvrira que la cateacutegorie C des foncteurs4 drsquoune petite cateacutegorie Cvers la cateacutegorie des ensembles est drsquoune richesse insoupccedilonneacutee Il est trompeur delrsquoenvisager comme discregravete et pour srsquoen convaincre il suffit de prendre lrsquoexemple desensembles simpliciaux il srsquoagit bien lagrave drsquoune cateacutegorie de diagrammes mais qui estlrsquoun des modegraveles pour la theacuteorie de lrsquohomotopie5

4 Tous les chevaux du roi

Eacutecoutons la voix6 de Grothendieck au deacutebut de ses confeacuterences agrave Buffalo en 1973

ldquoA topos is just what could be considered being the main object of study of topology And sothe theory of topoi is I mean a generalization of classical general topology itrsquos what I reallylike to consider So as background it requires to have some familiarity with handling topolog-ical spaces and continuous maps homeomorphisms and such things and on the other handfamiliarity with the language of categories and thatrsquos about all So later we will give some

3Il mets en particulier au point les axiomes qui permettent drsquoassurer lrsquoexistence de suffisammentdrsquoobjets injectifs ce qui joue un rocircle essentiel pour les faisceaux de groupes abeacuteliens sur un espacetopologique quelconque

4contravariants par convention5On consultera avec profit la lettre de Grothendieck agrave Thomason du 2 Avril 1991 accessible en cli-

quant ici6Il suffit de cliquer dessus pour lrsquoeacutecouter

5

explanations motivation for introducing something more general than topological spaces andgive examples but in order to understand the notion of the topos and its relevance to generaltopology one will require some familiarity with the language of sheaves on a topological spaceNow I guess that this notion is not that familiar to everybody therefore I think I will have togive a rather sound introduction to sheaves on topological spaces I will not assume anythingknown about this notion I will start by a review of standard sheaf theory on topological spaces rdquo

Il srsquoengage alors avec cette incroyable patience agrave laquelle il faut qursquoon srsquohabitue agraveexpliquer tous les deacutetails agrave aller jusqursquoau bout de tous les deacutetails de la theacuteorie desfaisceaux Cette patience est une qualiteacute absolument essentielle dans sa deacutemarcheMaintenant je vais vous lire du Grothendieck puisque le principe du seacuteminaire est desrsquoeffacer devant lui Voilagrave ce qursquoil dit dans Reacutecoltes et Semailles [23] sur le passage auxtopos

Le point de vue et le langage des faisceaux introduit par Leray nous a ameneacutes agrave regarder lesldquoespacesrdquo et ldquovarieacuteteacutesrdquo en tous genres dans une lumiegravere nouvelle Ils ne touchaient pas pour-tant agrave la notion mecircme drsquoespace se contentant de nous faire appreacutehender plus finement avecdes yeux nouveaux ces traditionnels ldquoespacesrdquo deacutejagrave familiers agrave tous Or il srsquoest aveacutereacute que cettenotion drsquoespace est inadeacutequate pour rendre compte des ldquoinvariants topologiquesrdquo les plus es-sentiels qui expriment la ldquoformerdquo des varieacuteteacutes algeacutebriques ldquoabstraitesrdquo (comme celles auxquellessrsquoappliquent les conjectures de Weil) voire celle des ldquoscheacutemasrdquo geacuteneacuteraux (geacuteneacuteralisant les an-ciennes varieacuteteacutes)Pour les ldquoeacutepousaillesrdquo attendues ldquodu nombre et de la grandeurrdquo crsquoeacutetait comme un lit deacutecideacute-ment eacutetriqueacute ougrave lrsquoun seulement des futurs conjoints (agrave savoir lrsquoeacutepouseacutee) pouvait agrave la rigueurtrouver agrave se nicher tant bien que mal mais jamais les deux agrave la fois Le ldquoprincipe nouveaurdquo quirestait agrave trouver pour consommer les eacutepousailles promises par des feacutees propices ce nrsquoeacutetait autreaussi que ce ldquolitrdquo spacieux qui manquait aux futurs eacutepoux sans que personne jusque-lagrave srsquoensoit seulement aperccedilu Ce ldquolit agrave deux placesrdquo est apparu (comme par un coup de baguettemagique ) avec lrsquoideacutee du topos Cette ideacutee englobe dans une intuition topologique communeaussi bien les traditionnels espaces (topologiques) incarnant le monde de la grandeur continueque les (soi-disant) ldquoespacesrdquo (ou ldquovarieacuteteacutesrdquo) des geacuteomegravetres algeacutebristes abstraits impeacutenitentsainsi que drsquoinnombrables autres types de structures qui jusque-lagrave avaient sembleacute riveacutees irreacutemeacute-diablement au ldquomonde arithmeacutetiquerdquo des agreacutegats ldquodiscontinusrdquo ou ldquodiscretsrdquoCrsquoest le point de vue des faisceaux qui a eacuteteacute le guide silencieux et sucircr la clef efficace (et nulle-ment secregravete) me menant sans atermoiements ni deacutetours vers la chambre nuptiale au vaste litconjugal Un lit si vaste en effet (telle une vaste et paisible riviegravere tregraves profonde ) que

ldquotous les chevaux du roiy pourraient boire ensemble rdquo

ndash comme nous le dit un vieil air que sucircrement tu as ducirc chanter toi aussi ou au moins entendrechanter Et celui qui a eacuteteacute le premier agrave le chanter a mieux senti la beauteacute secregravete et la forcepaisible du topos qursquoaucun de mes savants eacutelegraveves et amis drsquoantan

6

5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

7

en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

8

Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

13

ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

15

des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

16

On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 4: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

qursquoon peut penser que ce qui a fait bifurquer Grothendieck premier pas sur le cheminqui eacuteventuellement lrsquoa ameneacute agrave lrsquoideacutee du topos crsquoest sa deuxiegraveme thegravese En effet ladeuxiegraveme thegravese de Grothendieck (crsquoest eacutecrit sur la premiegravere page voir figure 2) avaitpour sujet la theacuteorie des faisceaux

Drsquoailleurs sur cette page si vous regardez bien vous allez trouver qursquoil srsquoest glisseacute uneerreur En effet il y a 3 examinateurs il y a Henri Cartan Laurent Schwartz et puis ily a un troisiegraveme examinateur qui srsquoappelle Georges Choquet Intrigueacute jrsquoai chercheacute surwikipedia pour voir srsquoil nrsquoy avait pas un matheacutematicien appeleacute Georges Choquet Jrsquoaitrouveacute un eccleacutesiastique du nom de Georges Choquet qui est mort pendant la deux-iegraveme guerre mondiale Il faut se rendre agrave lrsquoeacutevidence crsquoest bien une erreur et crsquoest bienGustave Choquet neacute le 1 mars 1915 qui eacutetait examinateur de Grothendieck dont lathegravese a eacuteteacute soutenue le 28 Feacutevrier 1953

3 Le Tohoku

En 1955 Grothendieck srsquointeacuteressait bien sucircr aux faisceaux qui sont une deacutecouvertecruciale de Jean Leray avec celle des suites spectrales Les eacutechanges de lettres [6] en-tre Jean-Pierre Serre et Grothendieck sont tregraves instructifs et jrsquoai choisi un passage ougravelrsquoon voit apparaicirctre lrsquoarticle fameux qursquoon appelle familiegraverement ldquoLe Tohoku Cetarticle est paru dans un journal qui srsquoappelle le Tohoku Mathematical Journal maislrsquoarticle lui mecircme en fait on lrsquoappelle Tohoku Voici (Figure 3) un extrait drsquoune lettrede Grothendieck agrave J P Serre

Figure 3 Passage drsquoune lettre de A Grothendieck agrave J P Serre

4

(voir [6]) ougrave il mentionne son article comme une emmerdante reacutedaction Cet extraitdonne drsquoailleurs un aperccedilu de la meacutethode que Grothendieck utilise tout le temps quandil travaille Il va au fond des choses et nrsquoheacutesite jamais devant une tacircche que nrsquoimportequel matheacutematicien consideacutererait comme eacutetant sans inteacuterecirct reacutebarbative nrsquoallant rienlui rapporterDans le Tohoku Grothendieck introduit les cateacutegories abeacuteliennes et deacuteveloppe leursproprieacuteteacutes geacuteneacuterales puis il met au point lrsquoalgegravebre homologique dans ce cadre3 Cet as-pect de son article est bien situeacute historiquement dans la ligne des travaux de S MacLane(voir [27]) et par exemple du livre de Cartan-Eilenberg (voir [4]) sur lrsquoalgegravebre ho-mologique La raison pour laquelle je reconnais un signe avant-coureur des topos danscet article crsquoest agrave cause drsquoun exemple de cateacutegorie abeacutelienne que donne Grothendieck(voir sect16 dans [21]) Lrsquoexemple de la cateacutegorie abeacutelienne des modules sur un anneauest le sujet du livre de Cartan-Eilenberg Lrsquoexemple des faisceaux de groupes abeacutelienssur un espace topologique est central bien entendu lagrave encore pas de surprise puisquecrsquoeacutetait pour unifier ces deux exemples qursquoil avait fait son travail de geacuteneacuteralisationMais il avait en tecircte un troisiegraveme exemple crsquoest ce qursquoil appelait les cateacutegories de dia-grammes Avant de srsquointeacuteresser agrave lrsquoaspect additif Grothendieck deacutefinit la cateacutegorie desfoncteurs drsquoune petite cateacutegorie agrave valeurs dans une cateacutegorie quelconque Il srsquointeacuteresseen particulier agrave celle des groupes abeacuteliens et aux diagrammes de groupes abeacuteliens etmontre qursquoils forment encore une cateacutegorie abeacutelienne En fait on reconnait lagrave les deuxpiliers de la notion de topos Pourvu que lrsquoon ait lrsquoideacutee ndash que Grothendieck a eue ndashde ne pas se limiter aux faisceaux de groupes abeacuteliens mais de passer aux faisceauxdrsquoensembles on deacutecouvrira que la cateacutegorie C des foncteurs4 drsquoune petite cateacutegorie Cvers la cateacutegorie des ensembles est drsquoune richesse insoupccedilonneacutee Il est trompeur delrsquoenvisager comme discregravete et pour srsquoen convaincre il suffit de prendre lrsquoexemple desensembles simpliciaux il srsquoagit bien lagrave drsquoune cateacutegorie de diagrammes mais qui estlrsquoun des modegraveles pour la theacuteorie de lrsquohomotopie5

4 Tous les chevaux du roi

Eacutecoutons la voix6 de Grothendieck au deacutebut de ses confeacuterences agrave Buffalo en 1973

ldquoA topos is just what could be considered being the main object of study of topology And sothe theory of topoi is I mean a generalization of classical general topology itrsquos what I reallylike to consider So as background it requires to have some familiarity with handling topolog-ical spaces and continuous maps homeomorphisms and such things and on the other handfamiliarity with the language of categories and thatrsquos about all So later we will give some

3Il mets en particulier au point les axiomes qui permettent drsquoassurer lrsquoexistence de suffisammentdrsquoobjets injectifs ce qui joue un rocircle essentiel pour les faisceaux de groupes abeacuteliens sur un espacetopologique quelconque

4contravariants par convention5On consultera avec profit la lettre de Grothendieck agrave Thomason du 2 Avril 1991 accessible en cli-

quant ici6Il suffit de cliquer dessus pour lrsquoeacutecouter

5

explanations motivation for introducing something more general than topological spaces andgive examples but in order to understand the notion of the topos and its relevance to generaltopology one will require some familiarity with the language of sheaves on a topological spaceNow I guess that this notion is not that familiar to everybody therefore I think I will have togive a rather sound introduction to sheaves on topological spaces I will not assume anythingknown about this notion I will start by a review of standard sheaf theory on topological spaces rdquo

Il srsquoengage alors avec cette incroyable patience agrave laquelle il faut qursquoon srsquohabitue agraveexpliquer tous les deacutetails agrave aller jusqursquoau bout de tous les deacutetails de la theacuteorie desfaisceaux Cette patience est une qualiteacute absolument essentielle dans sa deacutemarcheMaintenant je vais vous lire du Grothendieck puisque le principe du seacuteminaire est desrsquoeffacer devant lui Voilagrave ce qursquoil dit dans Reacutecoltes et Semailles [23] sur le passage auxtopos

Le point de vue et le langage des faisceaux introduit par Leray nous a ameneacutes agrave regarder lesldquoespacesrdquo et ldquovarieacuteteacutesrdquo en tous genres dans une lumiegravere nouvelle Ils ne touchaient pas pour-tant agrave la notion mecircme drsquoespace se contentant de nous faire appreacutehender plus finement avecdes yeux nouveaux ces traditionnels ldquoespacesrdquo deacutejagrave familiers agrave tous Or il srsquoest aveacutereacute que cettenotion drsquoespace est inadeacutequate pour rendre compte des ldquoinvariants topologiquesrdquo les plus es-sentiels qui expriment la ldquoformerdquo des varieacuteteacutes algeacutebriques ldquoabstraitesrdquo (comme celles auxquellessrsquoappliquent les conjectures de Weil) voire celle des ldquoscheacutemasrdquo geacuteneacuteraux (geacuteneacuteralisant les an-ciennes varieacuteteacutes)Pour les ldquoeacutepousaillesrdquo attendues ldquodu nombre et de la grandeurrdquo crsquoeacutetait comme un lit deacutecideacute-ment eacutetriqueacute ougrave lrsquoun seulement des futurs conjoints (agrave savoir lrsquoeacutepouseacutee) pouvait agrave la rigueurtrouver agrave se nicher tant bien que mal mais jamais les deux agrave la fois Le ldquoprincipe nouveaurdquo quirestait agrave trouver pour consommer les eacutepousailles promises par des feacutees propices ce nrsquoeacutetait autreaussi que ce ldquolitrdquo spacieux qui manquait aux futurs eacutepoux sans que personne jusque-lagrave srsquoensoit seulement aperccedilu Ce ldquolit agrave deux placesrdquo est apparu (comme par un coup de baguettemagique ) avec lrsquoideacutee du topos Cette ideacutee englobe dans une intuition topologique communeaussi bien les traditionnels espaces (topologiques) incarnant le monde de la grandeur continueque les (soi-disant) ldquoespacesrdquo (ou ldquovarieacuteteacutesrdquo) des geacuteomegravetres algeacutebristes abstraits impeacutenitentsainsi que drsquoinnombrables autres types de structures qui jusque-lagrave avaient sembleacute riveacutees irreacutemeacute-diablement au ldquomonde arithmeacutetiquerdquo des agreacutegats ldquodiscontinusrdquo ou ldquodiscretsrdquoCrsquoest le point de vue des faisceaux qui a eacuteteacute le guide silencieux et sucircr la clef efficace (et nulle-ment secregravete) me menant sans atermoiements ni deacutetours vers la chambre nuptiale au vaste litconjugal Un lit si vaste en effet (telle une vaste et paisible riviegravere tregraves profonde ) que

ldquotous les chevaux du roiy pourraient boire ensemble rdquo

ndash comme nous le dit un vieil air que sucircrement tu as ducirc chanter toi aussi ou au moins entendrechanter Et celui qui a eacuteteacute le premier agrave le chanter a mieux senti la beauteacute secregravete et la forcepaisible du topos qursquoaucun de mes savants eacutelegraveves et amis drsquoantan

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5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

7

en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

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Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

13

ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

15

des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

16

On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 5: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

(voir [6]) ougrave il mentionne son article comme une emmerdante reacutedaction Cet extraitdonne drsquoailleurs un aperccedilu de la meacutethode que Grothendieck utilise tout le temps quandil travaille Il va au fond des choses et nrsquoheacutesite jamais devant une tacircche que nrsquoimportequel matheacutematicien consideacutererait comme eacutetant sans inteacuterecirct reacutebarbative nrsquoallant rienlui rapporterDans le Tohoku Grothendieck introduit les cateacutegories abeacuteliennes et deacuteveloppe leursproprieacuteteacutes geacuteneacuterales puis il met au point lrsquoalgegravebre homologique dans ce cadre3 Cet as-pect de son article est bien situeacute historiquement dans la ligne des travaux de S MacLane(voir [27]) et par exemple du livre de Cartan-Eilenberg (voir [4]) sur lrsquoalgegravebre ho-mologique La raison pour laquelle je reconnais un signe avant-coureur des topos danscet article crsquoest agrave cause drsquoun exemple de cateacutegorie abeacutelienne que donne Grothendieck(voir sect16 dans [21]) Lrsquoexemple de la cateacutegorie abeacutelienne des modules sur un anneauest le sujet du livre de Cartan-Eilenberg Lrsquoexemple des faisceaux de groupes abeacutelienssur un espace topologique est central bien entendu lagrave encore pas de surprise puisquecrsquoeacutetait pour unifier ces deux exemples qursquoil avait fait son travail de geacuteneacuteralisationMais il avait en tecircte un troisiegraveme exemple crsquoest ce qursquoil appelait les cateacutegories de dia-grammes Avant de srsquointeacuteresser agrave lrsquoaspect additif Grothendieck deacutefinit la cateacutegorie desfoncteurs drsquoune petite cateacutegorie agrave valeurs dans une cateacutegorie quelconque Il srsquointeacuteresseen particulier agrave celle des groupes abeacuteliens et aux diagrammes de groupes abeacuteliens etmontre qursquoils forment encore une cateacutegorie abeacutelienne En fait on reconnait lagrave les deuxpiliers de la notion de topos Pourvu que lrsquoon ait lrsquoideacutee ndash que Grothendieck a eue ndashde ne pas se limiter aux faisceaux de groupes abeacuteliens mais de passer aux faisceauxdrsquoensembles on deacutecouvrira que la cateacutegorie C des foncteurs4 drsquoune petite cateacutegorie Cvers la cateacutegorie des ensembles est drsquoune richesse insoupccedilonneacutee Il est trompeur delrsquoenvisager comme discregravete et pour srsquoen convaincre il suffit de prendre lrsquoexemple desensembles simpliciaux il srsquoagit bien lagrave drsquoune cateacutegorie de diagrammes mais qui estlrsquoun des modegraveles pour la theacuteorie de lrsquohomotopie5

4 Tous les chevaux du roi

Eacutecoutons la voix6 de Grothendieck au deacutebut de ses confeacuterences agrave Buffalo en 1973

ldquoA topos is just what could be considered being the main object of study of topology And sothe theory of topoi is I mean a generalization of classical general topology itrsquos what I reallylike to consider So as background it requires to have some familiarity with handling topolog-ical spaces and continuous maps homeomorphisms and such things and on the other handfamiliarity with the language of categories and thatrsquos about all So later we will give some

3Il mets en particulier au point les axiomes qui permettent drsquoassurer lrsquoexistence de suffisammentdrsquoobjets injectifs ce qui joue un rocircle essentiel pour les faisceaux de groupes abeacuteliens sur un espacetopologique quelconque

4contravariants par convention5On consultera avec profit la lettre de Grothendieck agrave Thomason du 2 Avril 1991 accessible en cli-

quant ici6Il suffit de cliquer dessus pour lrsquoeacutecouter

5

explanations motivation for introducing something more general than topological spaces andgive examples but in order to understand the notion of the topos and its relevance to generaltopology one will require some familiarity with the language of sheaves on a topological spaceNow I guess that this notion is not that familiar to everybody therefore I think I will have togive a rather sound introduction to sheaves on topological spaces I will not assume anythingknown about this notion I will start by a review of standard sheaf theory on topological spaces rdquo

Il srsquoengage alors avec cette incroyable patience agrave laquelle il faut qursquoon srsquohabitue agraveexpliquer tous les deacutetails agrave aller jusqursquoau bout de tous les deacutetails de la theacuteorie desfaisceaux Cette patience est une qualiteacute absolument essentielle dans sa deacutemarcheMaintenant je vais vous lire du Grothendieck puisque le principe du seacuteminaire est desrsquoeffacer devant lui Voilagrave ce qursquoil dit dans Reacutecoltes et Semailles [23] sur le passage auxtopos

Le point de vue et le langage des faisceaux introduit par Leray nous a ameneacutes agrave regarder lesldquoespacesrdquo et ldquovarieacuteteacutesrdquo en tous genres dans une lumiegravere nouvelle Ils ne touchaient pas pour-tant agrave la notion mecircme drsquoespace se contentant de nous faire appreacutehender plus finement avecdes yeux nouveaux ces traditionnels ldquoespacesrdquo deacutejagrave familiers agrave tous Or il srsquoest aveacutereacute que cettenotion drsquoespace est inadeacutequate pour rendre compte des ldquoinvariants topologiquesrdquo les plus es-sentiels qui expriment la ldquoformerdquo des varieacuteteacutes algeacutebriques ldquoabstraitesrdquo (comme celles auxquellessrsquoappliquent les conjectures de Weil) voire celle des ldquoscheacutemasrdquo geacuteneacuteraux (geacuteneacuteralisant les an-ciennes varieacuteteacutes)Pour les ldquoeacutepousaillesrdquo attendues ldquodu nombre et de la grandeurrdquo crsquoeacutetait comme un lit deacutecideacute-ment eacutetriqueacute ougrave lrsquoun seulement des futurs conjoints (agrave savoir lrsquoeacutepouseacutee) pouvait agrave la rigueurtrouver agrave se nicher tant bien que mal mais jamais les deux agrave la fois Le ldquoprincipe nouveaurdquo quirestait agrave trouver pour consommer les eacutepousailles promises par des feacutees propices ce nrsquoeacutetait autreaussi que ce ldquolitrdquo spacieux qui manquait aux futurs eacutepoux sans que personne jusque-lagrave srsquoensoit seulement aperccedilu Ce ldquolit agrave deux placesrdquo est apparu (comme par un coup de baguettemagique ) avec lrsquoideacutee du topos Cette ideacutee englobe dans une intuition topologique communeaussi bien les traditionnels espaces (topologiques) incarnant le monde de la grandeur continueque les (soi-disant) ldquoespacesrdquo (ou ldquovarieacuteteacutesrdquo) des geacuteomegravetres algeacutebristes abstraits impeacutenitentsainsi que drsquoinnombrables autres types de structures qui jusque-lagrave avaient sembleacute riveacutees irreacutemeacute-diablement au ldquomonde arithmeacutetiquerdquo des agreacutegats ldquodiscontinusrdquo ou ldquodiscretsrdquoCrsquoest le point de vue des faisceaux qui a eacuteteacute le guide silencieux et sucircr la clef efficace (et nulle-ment secregravete) me menant sans atermoiements ni deacutetours vers la chambre nuptiale au vaste litconjugal Un lit si vaste en effet (telle une vaste et paisible riviegravere tregraves profonde ) que

ldquotous les chevaux du roiy pourraient boire ensemble rdquo

ndash comme nous le dit un vieil air que sucircrement tu as ducirc chanter toi aussi ou au moins entendrechanter Et celui qui a eacuteteacute le premier agrave le chanter a mieux senti la beauteacute secregravete et la forcepaisible du topos qursquoaucun de mes savants eacutelegraveves et amis drsquoantan

6

5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

7

en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

8

Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 6: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

explanations motivation for introducing something more general than topological spaces andgive examples but in order to understand the notion of the topos and its relevance to generaltopology one will require some familiarity with the language of sheaves on a topological spaceNow I guess that this notion is not that familiar to everybody therefore I think I will have togive a rather sound introduction to sheaves on topological spaces I will not assume anythingknown about this notion I will start by a review of standard sheaf theory on topological spaces rdquo

Il srsquoengage alors avec cette incroyable patience agrave laquelle il faut qursquoon srsquohabitue agraveexpliquer tous les deacutetails agrave aller jusqursquoau bout de tous les deacutetails de la theacuteorie desfaisceaux Cette patience est une qualiteacute absolument essentielle dans sa deacutemarcheMaintenant je vais vous lire du Grothendieck puisque le principe du seacuteminaire est desrsquoeffacer devant lui Voilagrave ce qursquoil dit dans Reacutecoltes et Semailles [23] sur le passage auxtopos

Le point de vue et le langage des faisceaux introduit par Leray nous a ameneacutes agrave regarder lesldquoespacesrdquo et ldquovarieacuteteacutesrdquo en tous genres dans une lumiegravere nouvelle Ils ne touchaient pas pour-tant agrave la notion mecircme drsquoespace se contentant de nous faire appreacutehender plus finement avecdes yeux nouveaux ces traditionnels ldquoespacesrdquo deacutejagrave familiers agrave tous Or il srsquoest aveacutereacute que cettenotion drsquoespace est inadeacutequate pour rendre compte des ldquoinvariants topologiquesrdquo les plus es-sentiels qui expriment la ldquoformerdquo des varieacuteteacutes algeacutebriques ldquoabstraitesrdquo (comme celles auxquellessrsquoappliquent les conjectures de Weil) voire celle des ldquoscheacutemasrdquo geacuteneacuteraux (geacuteneacuteralisant les an-ciennes varieacuteteacutes)Pour les ldquoeacutepousaillesrdquo attendues ldquodu nombre et de la grandeurrdquo crsquoeacutetait comme un lit deacutecideacute-ment eacutetriqueacute ougrave lrsquoun seulement des futurs conjoints (agrave savoir lrsquoeacutepouseacutee) pouvait agrave la rigueurtrouver agrave se nicher tant bien que mal mais jamais les deux agrave la fois Le ldquoprincipe nouveaurdquo quirestait agrave trouver pour consommer les eacutepousailles promises par des feacutees propices ce nrsquoeacutetait autreaussi que ce ldquolitrdquo spacieux qui manquait aux futurs eacutepoux sans que personne jusque-lagrave srsquoensoit seulement aperccedilu Ce ldquolit agrave deux placesrdquo est apparu (comme par un coup de baguettemagique ) avec lrsquoideacutee du topos Cette ideacutee englobe dans une intuition topologique communeaussi bien les traditionnels espaces (topologiques) incarnant le monde de la grandeur continueque les (soi-disant) ldquoespacesrdquo (ou ldquovarieacuteteacutesrdquo) des geacuteomegravetres algeacutebristes abstraits impeacutenitentsainsi que drsquoinnombrables autres types de structures qui jusque-lagrave avaient sembleacute riveacutees irreacutemeacute-diablement au ldquomonde arithmeacutetiquerdquo des agreacutegats ldquodiscontinusrdquo ou ldquodiscretsrdquoCrsquoest le point de vue des faisceaux qui a eacuteteacute le guide silencieux et sucircr la clef efficace (et nulle-ment secregravete) me menant sans atermoiements ni deacutetours vers la chambre nuptiale au vaste litconjugal Un lit si vaste en effet (telle une vaste et paisible riviegravere tregraves profonde ) que

ldquotous les chevaux du roiy pourraient boire ensemble rdquo

ndash comme nous le dit un vieil air que sucircrement tu as ducirc chanter toi aussi ou au moins entendrechanter Et celui qui a eacuteteacute le premier agrave le chanter a mieux senti la beauteacute secregravete et la forcepaisible du topos qursquoaucun de mes savants eacutelegraveves et amis drsquoantan

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5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

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en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

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Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 7: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

5 Topos

Toujours dans Reacutecoltes et Semailles ( [23]) Grothendieck donne alors une descriptionconceptuelle de la notion de topos

La clef a eacuteteacute la mecircme tant dans lrsquoapproche initiale et provisoire (via la notion tregraves commodemais non intrinsegraveque du ldquositerdquo) que dans celle du topos Crsquoest lrsquoideacutee du topos que je voudraisessayer agrave preacutesent de deacutecrire Consideacuterons lrsquoensemble formeacute de tous les faisceaux sur un espace(topologique) donneacute ou si on veut cet arsenal prodigieux formeacute de tous ces ldquomegravetresrdquo servantagrave lrsquoarpenter7()Nous consideacuterons cet ldquoensemblerdquo ou ldquoarsenalrdquo comme muni de sa structure la plus eacutevidentelaquelle y apparaicirct si on peut dire ldquoagrave vue de nezrdquo agrave savoir une structure dite de ldquocateacutegorierdquo(Que le lecteur non matheacutematicien ne se trouble pas de ne pas connaicirctre le sens technique de ceterme Il nrsquoen aura nul besoin pour la suite) Crsquoest cette sorte de ldquosuperstructure drsquoarpentagerdquoappeleacutee ldquocateacutegorie des faisceauxrdquo (sur lrsquoespace envisageacute) qui sera doreacutenavant consideacutereacutee commeldquoincarnantrdquo ce qui est le plus essentiel agrave lrsquoespaceCrsquoest bien lagrave chose licite (pour le ldquobon sens matheacutematiquerdquo) car il se trouve qursquoon peut ldquorecon-stituerrdquo de toutes piegraveces un espace topologique8() en termes de cette ldquocateacutegorie de faisceauxrdquo(ou de cet arsenal drsquoarpentage) associeacutee (De le veacuterifier est un simple exercice ndash une fois la ques-tion poseacutee certes ) Il nrsquoen faut pas plus pour ecirctre assureacute que (srsquoil nous convient pour uneraison ou une autre) nous pouvons deacutesormais ldquooublierrdquo lrsquoespace initial pour ne plus reteniret ne nous servir que de la ldquocateacutegorierdquo (ou de lrsquoldquoarsenalrdquo) associeacutee laquelle sera consideacutereacuteecomme lrsquoincarnation la plus adeacutequate de la ldquostructure topologiquerdquo (ou ldquospatialerdquo) qursquoil srsquoagitdrsquoexprimerComme si souvent en matheacutematique nous avons reacuteussi ici (gracircce agrave lrsquoideacutee cruciale de ldquofaisceaurdquoou de ldquomegravetre cohomologiquerdquo) agrave exprimer une certaine notion (celle drsquoldquoespacerdquo en lrsquooccurence)en termes drsquoune autre (celle de ldquocateacutegorierdquo) Agrave chaque fois la deacutecouverte drsquoune telle traductiondrsquoune notion (exprimant un certain type de situations) en termes drsquoune autre (correspondant agraveun autre type de situations) enrichit notre compreacutehension et de lrsquoune et de lrsquoautre notion parla confluence inattendue des intuitions speacutecifiques qui se rapportent soit agrave lrsquoune soit agrave lrsquoautreAinsi une situation de nature ldquotopologiquerdquo (incarneacutee par un espace donneacute) se trouve icitraduite par une situation de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (incarneacutee par une ldquocateacutegorierdquo) ou si onveut le ldquocontinurdquo incarneacute par lrsquoespace se trouve ldquotraduitrdquo ou ldquoexprimeacuterdquo par la structure decateacutegorie de nature ldquoalgeacutebriquerdquo (et jusque-lagrave perccedilue comme eacutetant de nature essentiellementldquodiscontinuerdquo ou ldquodiscregraveterdquo)Mais ici il y a plus La premiegravere de ces notions celle drsquoespace nous eacutetait apparue comme unenotion en quelque sorte ldquomaximalerdquo ndash une notion si geacuteneacuterale deacutejagrave qursquoon imagine mal comment

7() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave vrai dire il srsquoagit ici des faisceaux drsquoensembles et non desfaisceaux abeacuteliens introduits par Leray comme coefficients les plus geacuteneacuteraux pour former des ldquogroupesde cohomologierdquo Je crois drsquoailleurs ecirctre le premier agrave avoir travailleacute systeacutematiquement avec les faisceauxdrsquoensembles (agrave partir de 1955 dans mon article ldquoA general theory of fibre spaces with structure sheafrdquoagrave lrsquoUniversiteacute de Kansas)

8() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Agrave strictement parler ceci nrsquoest vrai que pour des espaces ditsldquosobresrdquo Ceux-ci comprennent cependant la quasi-totaliteacute des espaces qursquoon rencontre communeacutementet notamment tous les espaces ldquoseacutepareacutesrdquo chers aux analystes

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en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

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Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 8: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

en trouver encore une extension qui reste ldquoraisonnablerdquo Par contre il se trouve que de lrsquoautrecocircteacute du miroir9() ces ldquocateacutegoriesrdquo (ou ldquoarsenauxrdquo) sur lesquels on tombe en partant drsquoespacestopologiques sont de nature tregraves particuliegravereElles jouissent en effet drsquoun ensemble de proprieacuteteacutes fortement typeacutees10() qui les font srsquoapparenteragrave des sortes de ldquopastichesrdquo de la plus simple imaginable drsquoentre elles ndash celle qursquoon obtient enpartant drsquoun espace reacuteduit agrave un seul pointCeci dit un ldquoespace nouveau stylerdquo (ou topos) geacuteneacuteralisant les espaces topologiques tradition-nels sera deacutecrit tout simplement comme une ldquocateacutegorierdquo qui sans provenir forceacutement drsquounespace ordinaire possegravede neacuteanmoins toutes ces bonnes proprieacuteteacutes (explicitement deacutesigneacutees unefois pour toutes bien sucircr) drsquoune telle ldquocateacutegorie de faisceauxrdquoVoici donc lrsquoideacutee nouvelle Son apparition peut ecirctre vue comme une conseacutequence de cette obser-vation quasiment enfantine agrave vrai dire que ce qui compte vraiment dans un espace topologiquece ne sont nullement ses ldquopointsrdquo ou ses sous-ensembles de points11() et les relations de prox-imiteacute etc entre ceux-ci mais que ce sont les faisceaux sur cet espace et la cateacutegorie qursquoilsforment Je nrsquoai fait en somme que mener vers sa conseacutequence ultime lrsquoideacutee initiale de Leray ndashet ceci fait franchir le pas

6 Nouveau paradigme

Comme lrsquoideacutee mecircme des faisceaux (due agrave Leray) ou celle des scheacutemas comme toute ldquograndeideacuteerdquo qui vient bousculer une vision inveacuteteacutereacutee des choses celle des topos a de quoi deacuteconcerterpar son caractegravere de naturel drsquoldquoeacutevidencerdquo par sa simpliciteacute (agrave la limite dirait-on du naiumlf ou dusimpliste voire du ldquobeacutebecircterdquo) ndash par cette qualiteacute particuliegravere qui nous fait nous eacutecrier si souvent ldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquo drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieux avec en plus peut-ecirctre ce sous entendudu ldquofarfelurdquo du ldquopas seacuterieuxrdquo qursquoon reacuteserve souvent agrave tout ce qui deacuteroute par un excegraves desimpliciteacute impreacutevue Agrave ce qui vient nous rappeler peut-ecirctre les jours depuis longtemps enfouiset renieacutes de notre enfance La notion de scheacutema constitue un vaste eacutelargissement de la notion de ldquovarieacuteteacute algeacutebriquerdquo etagrave ce titre elle a renouveleacute de fond en comble la geacuteomeacutetrie algeacutebrique leacutegueacutee par mes devanciersCelle de topos constitue une extension insoupccedilonneacutee pour mieux dire une meacutetamorphose dela notion drsquoespace Par lagrave elle porte la promesse drsquoun renouvellement semblable de la topolo-gie et au-delagrave de celle-ci de la geacuteomeacutetrie Degraves agrave preacutesent drsquoailleurs elle a joueacute un rocircle crucialdans lrsquoessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle (surtout agrave travers les thegravemes cohomologiques ℓ-adique etcristallin qui en sont issus et agrave travers eux dans la deacutemonstration des conjectures de Weil)

9() Le ldquomiroirrdquo dont il est question ici comme dans Alice au pays des merveilles est celui qui donnecomme ldquoimagerdquo drsquoun espace placeacute devant lui la ldquocateacutegorierdquo associeacutee consideacutereacutee comme une sorte deldquodoublerdquo de lrsquoespace ldquode lrsquoautre cocircteacute du miroirrdquo

10() (Agrave lrsquointention du matheacutematicien) Il srsquoagit ici surtout de proprieacuteteacutes que jrsquoai introduites en theacuteoriedes cateacutegories sous le nom de ldquoproprieacuteteacutes drsquoexactituderdquo (en mecircme temps que la notion cateacutegoriquemoderne de ldquolimitesrdquo inductives et projectives geacuteneacuterales) Voir ldquoSur quelques points drsquoalgegravebre ho-mologiquerdquo Tohoku Math Journal 1957 (pp 119-221)

11() Ainsi on peut construire des topos tregraves ldquogrosrdquo qui nrsquoont qursquoun seul ldquopointrdquo ou mecircme pas deldquopointsrdquo du tout

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Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

13

ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

15

des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

16

On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 9: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Comme sa sœur aicircneacutee (et quasi-jumelle) elle possegravede les deux caractegraveres compleacutementaires es-sentiels pour toute geacuteneacuteralisation fertile que voiciPrimo la nouvelle notion nrsquoest pas trop vaste en ce sens que dans les nouveaux ldquoespacesrdquo(appeleacutes plutocirct ldquotoposrdquo pour ne pas indisposer des oreilles deacutelicates12()) les intuitions et lesconstructions ldquogeacuteomeacutetriquesrdquo les plus essentielles13() familiegraveres pour les bons vieux espacesdrsquoantan peuvent se transposer de faccedilon plus ou moins eacutevidente Autrement dit on dispose pourles nouveaux objets de toute la riche gamme des images et associations mentales des notions etde certaines au moins des techniques qui preacuteceacutedemment restaient restreintes aux objets ancienstyleEt secundo la nouvelle notion est en mecircme temps assez vaste pour englober une foule de situ-ations qui jusque-lagrave nrsquoeacutetaient pas consideacutereacutees comme donnant lieu agrave des intuitions de natureldquotopologico-geacuteomeacutetriquerdquo ndash aux intuitions justement qursquoon avait reacuteserveacutees par le passeacute auxseuls espaces topologiques ordinaires (et pour cause )La chose cruciale ici dans lrsquooptique des conjectures de Weil crsquoest que la nouvelle notion estassez vaste en effet pour nous permettre drsquoassocier agrave tout ldquoscheacutemardquo un tel ldquoespace geacuteneacuteraliseacuterdquoou ldquotoposrdquo (appeleacute le ldquotopos eacutetalerdquo du scheacutema envisageacute) Certains ldquoinvariants cohomologiquesrdquode ce topos (tout ce qursquoil y a de ldquobeacutebecirctesrdquo ) semblaient alors avoir une bonne chance de fournirldquoce dont on avait besoinrdquo pour donner tout leur sens agrave ces conjectures et (qui sait ) de fournirpeut-ecirctre les moyens de les deacutemontrerCrsquoest dans ces pages que je suis en train drsquoeacutecrire que pour la premiegravere fois dans ma vie dematheacutematicien je prends le loisir drsquoeacutevoquer (ne serait-ce qursquoagrave moi-mecircme) lrsquoensemble des maicirctre-thegravemes et des grandes ideacutees directrices dans mon œuvre matheacutematique Cela mrsquoamegravene agrave mieuxappreacutecier la place et la porteacutee de chacun de ces thegravemes et des ldquopoints de vuerdquo qursquoils incarnentdans la grande vision geacuteomeacutetrique qui les unit et dont ils sont issus Crsquoest par ce travail que sontapparues en pleine lumiegravere les deux ideacutees novatrices neacutevralgiques dans le premier et puissantessor de la geacuteomeacutetrie nouvelle lrsquoideacutee des scheacutemas et celle des toposCrsquoest la deuxiegraveme de ces ideacutees celle des topos qui agrave preacutesent mrsquoapparaicirct comme la plus profondedes deux Si drsquoaventure vers la fin des anneacutees cinquante je nrsquoavais pas retrousseacute mes manchespour deacutevelopper obstineacutement jour apregraves jour tout au long de douze longues anneacutees un ldquooutilscheacutematiquerdquo drsquoune deacutelicatesse et drsquoune puissance parfaites ndash il me semblerait quasiment im-pensable pourtant que dans les dix ou vingt ans deacutejagrave qui ont suivi drsquoautres que moi auraientpu agrave la longue srsquoempecirccher drsquointroduire agrave la fin des fins (fucirct-ce agrave leur corps deacutefendant ) la no-tion qui visiblement srsquoimposait et de dresser tant bien que mal tout au moins quelques veacutetustesbaraquements en ldquopreacutefabrdquo agrave deacutefaut des spacieuses et confortables demeures que jrsquoai eu agrave cœurdrsquoassembler pierre par pierre et de monter de mes mains

12() Le nom ldquotoposrdquo a eacuteteacute choisi (en association avec celui de ldquotopologierdquo ou ldquotopologiquerdquo)pour suggeacuterer qursquoil srsquoagit de ldquolrsquoobjet par excellencerdquo auquel srsquoapplique lrsquointuition topologique Par leriche nuage drsquoimages mentales que ce nom suscite il faut le consideacuterer comme eacutetant plus ou moinslrsquoeacutequivalent du terme ldquoespacerdquo (topologique) avec simplement une insistance plus grande sur la speacuteci-ficiteacute ldquotopologiquerdquo de la notion (Ainsi il y a des ldquoespaces vectorielsrdquo mais pas de ldquotopos vectorielsrdquojusqursquoagrave nouvel ordre ) Il srsquoimpose de garder les deux expressions conjointement chacune avec sa speacute-cificiteacute propre

13() Parmi ces ldquoconstructionsrdquo il y a notamment celle de tous les ldquoinvariants topologiquesrdquo familiersy compris les invariants cohomologiques Pour ces derniers jrsquoavais fait tout ce qursquoil fallait dans lrsquoarticledeacutejagrave citeacute (ldquoTohokurdquo 1955) pour pouvoir leur donner un sens pour tout ldquotoposrdquo

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Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

11

On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

13

ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 10: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Information amp inscription wwwihesfr

Alexander Grothendieck

Organisateurs O CARAMELLO (laureacuteate drsquoune bourse laquoLrsquoOreacuteal-Unesco pour les Femmes et la Scienceraquo qui finance ce colloque)

P CARTIER A CONNES S DUGOWSON A KHELIF

Mathieu ANEL (CNRS-Univ Paris-Diderot)Luca BARBIERI-VIALE (Univ degli Studi di Milano)Jean BEacuteNABOU (Universiteacute Paris 13)Denis-Charles CISINSKI (Univ Paul Sabatier Toulouse)Caterina CONSANI (Johns Hopkins Univ Baltimore)Thierry COQUAND (Univ Goumlteborg)Simon HENRY (Radboud University Nijmegen)Andreacute JOYAL (Universiteacute du Quebec Montreacuteal)Mike PREST (Univ of Manchester)Urs SCHREIBER (Eduard Čech Institute for Algebra Geometry and Physics Prague)Bertrand TOEumlN (Univ de Montpellier 2)Michel VAQUIEacute (Univ Paul Sabatier Toulouse)Carlos SIMPSON (Univ de Nice-Sophia-Antipolis)

25-27 novembre Exposeacutes par

23-27 novembre 2015Centre de confeacuterences Marilyn et James Simons

Topos agrave lIHEacuteS

23-24 novembre Cours drsquointroduction par Olivia CARAMELLO et Andreacute JOYAL

Figure 4 Poster ldquoTopos agrave lrsquoIHES 201510

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

11

On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 11: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Par contre je ne vois personne drsquoautre sur la scegravene matheacutematique au cours des trois deacutecennieseacutecouleacutees qui aurait pu avoir cette naiumlveteacute ou cette innocence de faire (agrave ma place) cet autrepas crucial entre tous introduisant lrsquoideacutee si enfantine des topos (ou ne serait-ce que celle desldquositesrdquo) Et agrave supposer mecircme cette ideacutee-lagrave deacutejagrave gracieusement fournie et avec elle la timidepromesse qursquoelle semblait receler ndash je ne vois personne drsquoautre que ce soit parmi mes amisdrsquoantan ou parmi mes eacutelegraveves qui aurait eu le souffle et surtout la foi pour mener agrave terme cettehumble ideacutee (si deacuterisoire en apparence alors que le but semblait infiniment lointain ) depuisses premiers deacutebuts balbutiants jusqursquoagrave la pleine maturiteacute de la ldquomaicirctrise de la cohomologieeacutetalerdquo en quoi elle a fini par srsquoincarner entre mes mains au cours des anneacutees qui ont suivi14()Oui la riviegravere est profonde et vastes et paisibles sont les eaux de mon enfance dans un royaumeque jrsquoai cru quitter il y a longtemps Tous les chevaux du roi y pourraient boire ensemble agravelrsquoaise et tout leur soucircl sans les eacutepuiser Elles viennent des glaciers ardentes comme ces neigeslointaines et elles ont la douceur de la glaise des plaines Je viens de parler drsquoun de ces chevauxqursquoun enfant avait ameneacute boire et qui a bu son content longuement Et jrsquoen ai vu un autrevenant boire un moment sur les traces du mecircme gamin si ccedila se trouve ndash mais lagrave ccedila nrsquoa pastraicircneacute Quelqursquoun a ducirc le chasser Et crsquoest tout autant direJe vois pourtant des troupeaux innombrables de chevaux assoiffeacutes qui errent dans la plaine ndashet pas plus tard que ce matin mecircme leurs hennissements mrsquoont tireacute du lit agrave une heure induemoi qui vais sur mes soixante ans et qui aime la tranquilliteacute Il nrsquoy a rien eu agrave faire il a falluque je me legraveve Ccedila me fait peine de les voir agrave lrsquoeacutetat de rosses efflanqueacutees alors que la bonneeau pourtant ne manque pas ni les verts pacircturages Mais on dirait qursquoun sortilegravege malveillanta eacuteteacute jeteacute sur cette contreacutee que jrsquoavais connue accueillante et a condamneacute lrsquoaccegraves agrave ces eauxgeacuteneacutereuses Ou peut-ecirctre est-ce un coup monteacute par les maquignons du pays pour faire tomberles prix qui sait Ou crsquoest un pays peut-ecirctre ougrave il nrsquoy a plus drsquoenfants pour mener boire leschevaux et ougrave les chevaux ont soif faute drsquoun gamin qui retrouve le chemin qui megravene agrave lariviegravere

7 Une meacutetaphore

Voici une meacutetaphore qui je lrsquoespegravere vous aidera agrave acqueacuterir une image mentale de ceque crsquoest qursquoun topos15

14() (Agrave lrsquointention du lecteur matheacutematicien) Quand je parle de ldquomener agrave terme cette humble ideacuteerdquoil srsquoagit de lrsquoideacutee de la cohomologie eacutetale comme approche vers les conjectures de Weil Crsquoest inspireacute parce propos que jrsquoavais deacutecouvert la notion de site en 1958 et que cette notion (ou la notion tregraves voisine detopos) et le formalisme cohomologique eacutetale ont eacuteteacute deacuteveloppeacutes entre 1962 et 1966 sous mon impulsion(avec lrsquoassistance de quelques collaborateurs dont il sera question en temps et lieu)

Quand je parle de ldquosoufflerdquo et de ldquofoirdquo il srsquoagit lagrave des qualiteacutes de nature ldquonon-techniquerdquo et qui icimrsquoapparaissent bien comme les qualiteacutes essentielles Agrave un autre niveau je pourrais y ajouter aussi ceque jrsquoappellerais le ldquoflair cohomologiquerdquo crsquoest-agrave-dire le genre de flair qui srsquoeacutetait deacuteveloppeacute en moi pourlrsquoeacutedification des theacuteories cohomologiques Jrsquoavais cru le communiquer agrave mes eacutelegraveves cohomologistesAvec un recul de dix-sept ans apregraves mon deacutepart du monde matheacutematique je constate qursquoil ne srsquoestconserveacute en aucun drsquoeux

15Cette meacutetaphore est directement relieacutee au point de vue deacuteveloppeacute par Lawvere et Tierney surlrsquoaxiomatisation de la theacuteorie des ensembles (voir [28])

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On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 12: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

On avait lrsquohabitude comme le dit Grothendieck de mettre lrsquoespace agrave eacutetudier sur ledevant de la scegravene On deacutecrivait un espace topologique X comme un ensemble depoints muni drsquoune notion de proximiteacute qui est donneacutee par la classe des sous-ensemblesouverts (ie les sous-ensembles V pour lesquels il suffit drsquoecirctre assez proche drsquoun despoints de V pour ecirctre dans V) Ce que fait Grothendieck crsquoest drsquoopeacuterer un changementradical de point de vue Lrsquoespace X nrsquooccupe plus le devant de la scegravene Grothendiecklui fait jouer le rocircle de Deus ex machina qui nrsquoest pas preacutesent qui reste dans lescoulissesLes acteurs sur la scegravene sont les mecircmes que dans les matheacutematiques ordinaires ce sontles ensembles munis de leurs structures familiegraveres groupes anneaux etc etc mais ilspossegravedent une variabiliteacute nouvelle qui est due au topos et qui caracteacuterise celui-ci Ilsdeacutependent drsquoun aleacuteaAinsi lorsque lrsquoon travaille dans un topos tout se passe comme si on manipulait desensembles ordinaires sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers exclucomme la situation deacutepend drsquoun aleacutea on ne peut plus raisonner par lrsquoabsurde il sepeut qursquoune proprieacuteteacute soit vraie pour certaines valeurs de lrsquoaleacutea sans ecirctre vraie pourtoutes Heureusement ceci nrsquoempecircche nullement drsquoappliquer tout raisonnement con-structif qui nrsquoutilise pas la regravegle du tiers exclu Quand on travaille dans un topos onpeut faire toutes les manipulations usuelles on peut parler de groupes abeacuteliens onpeut parler drsquoalgegravebres etcQuand le topos est celui des faisceaux drsquoensembles sur un espace topologique cesconstructions usuelles vous donnent les faisceaux de groupes abeacuteliens les faisceauxdrsquoalgegravebres etc On dispose donc drsquoun outil conceptuel tregraves efficace qui consiste agravesavoir lorsqursquoon travaille dans un topos que tout se passe comme si on manipulaitdes ensembles ordinaires pourvu que lrsquoon ne fasse que des raisonnements constructifsEn fait quand on eacutetudie les fibreacutes vectoriels sur un espace on prend vite lrsquohabitude depenser agrave un fibreacute comme agrave un espace vectoriel variable mais il srsquoagit lagrave drsquoune variabiliteacutetregraves contrainte Dans le cas des faisceaux drsquoensembles et plus geacuteneacuteralement des toposon a la bonne notion de variabiliteacute celle dans laquelle toutes les opeacuterations usuellesde la theacuteorie des ensembles restent possibles

8 Veacuteriteacute dans un topos

Sauf que lrsquoon ne peut plus appliquer la regravegle du tiers-exclus Donc ce qui apparaicirctcrsquoest qursquoon ne peut plus affirmer que ou bien la proposition p est vraie ou bien laproposition non p est vraie on nrsquoa plus la regravegle du tiers-exclus On va tregraves vite voirun exemple concret drsquoun topos pour lequel la notion de veacuteriteacute devient plus subtileque le simple vrai ou faux que nous utilisons familiegraverement En fait lrsquoon est souventmecircme dans la vie courante confronteacutes agrave des situations comme des discussions qui im-pliquent un jugement ldquox est-il meilleur matheacutematicien que y ou quand on assisteagrave une discussion politique et pour lesquelles la simple alternative ldquox a raison ou tortrdquo est bien trop simpliste On nrsquoa pas lrsquooutil conceptuel qursquoil faut pour juger en tenantcompte des subtiliteacutes du contexte Jrsquoai trouveacute parmi les reacuteponses de Grothendieck auxnombreuses questions qui ont suivi son exposeacute au CERN en 1972 une description par-

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faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 13: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

faite de ce manque de subtiliteacute dans la dichotomie usuelle ldquovraindashfaux Voici ce que ditGrothendieck dans sa reacuteponse

A propos de votre image de lrsquohomme ange et deacutemon je ne crois pas agrave cette dichotomie du bienet du mal Je ne partage pas cette faccedilon de voir il y a plutocirct un meacutelange complexe de deuxprincipes opposeacutes Si vous le permettez je vais faire une petite digression philosophique con-cernant le mode de penseacutee matheacutematique et son influence sur la penseacutee geacuteneacuterale Une chosemrsquoavait deacutejagrave frappeacute avant drsquoen arriver agrave une critique drsquoensemble de la science depuis preacutes dedeux ans crsquoest la grossieacutereteacute disons du mode de raisonnement matheacutematique quand on leconfronte avec les pheacutenomeacutenes de la vie avec les pheacutenomeacutenes naturels Les modeacuteles que nousfournit la matheacutematique y compris les modeacuteles logiques sont une sorte de lit de Procuse pourla reacutealiteacute Une chose toute particulieacutere aux matheacutematiques crsquoest que chaque proposition si lrsquoonmet agrave part les subtiliteacutes logiques est ou bien vraie ou bien fausse il nrsquoy a pas de milieu entre lesdeux la dichotomie est totale En fait cela ne correspond absolument pas agrave la nature des chosesDans la nature dans la vie il nrsquoy a pas de propositions qui soient absolument vraies ou absol-ument fausses Il y a mecircme lieu souvent pour bien appreacutehender la reacutealiteacute de prendre en lignede compte des aspects en apparence contradictoires en tout cas des aspects compleacutementaires ettous les deux sont importants Drsquoun point de vue plus eacuteleacutementaire aucune porte nrsquoest jamaisentieacuterement fermeacutee ou entieacuterement ouverte ccedila nrsquoa pas de sens Cette dichotomie qui provientpeut-ecirctre de la matheacutematique de la logique aristoteacutelicienne a vraiment impreacutegneacute le mode depenseacutee y compris dans la vie de tous les jours et dans nrsquoimporte quel deacutebat drsquoideacutees ou mecircme devie personnelle Crsquoest une chose que jrsquoai souvent remarqueacutee en discutant avec des personnesque ce soit en priveacute ou en public En geacuteneacuteral les personnes voient deux alternatives extrecircmeset ne voient pas de milieu entre les deux Si mon interlocuteur a choisi une certaine alternativeet que jrsquoaie une vision qui se situe au-delagrave de celle qursquoil consideacutere comme bonne tout aussitocirctil mrsquoaccusera drsquoavoir choisi lrsquoalternative extrecircme opposeacutee parce qursquoil ne voit pas le milieu

Je vais essayer de vous montrer agrave quel point lrsquoideacutee du topos due bien entendue agraveGrothendieck permet preacuteciseacutement de formaliser la notion de veacuteriteacute de maniegravere beau-coup plus subtile Donc on va illustrer cela par des exemples On va utiliser des toposqui sont autres que les topos qui proviennent drsquoun espace topologique et qui ont unenature extrecircmement simple ce sont les topos qui consistent agrave prendre une petite cateacute-gorie C et agrave prendre simplement la cateacutegorie C de tous les foncteurs contravariants de Cvers la cateacutegorie des ensembles Donc lagrave on ne fait pas de distinction entre faisceaux etpreacute-faisceaux On prend tous les preacute-faisceaux On dit que ce sont tous des faisceauxDonc agrave une petite cateacutegorie C on associe un topos C qui est en quelque sorte son dualqui est formeacute de tous les foncteurs contravariants de cette petite cateacutegorie C vers lacateacutegorie des ensembles et cette classe de topos est suffisamment riche pour illustrerles nuances sur la notion de veacuteriteacutePour deacutefinir la notion de veacuteriteacute dans un topos et voir en quel sens cette notion est dif-feacuterente dans un topos de la simple alternative ldquovrai-faux de la theacuteorie des ensembleson commence par se placer dans cette theacuteorie et on essaye de classifier les sous-objetsdrsquoun objet ie les sous-ensembles drsquoun ensemble Cela deacutefinit un foncteur X 983041rarr P(X)qui agrave un ensemble X associe tous ses sous-ensembles Crsquoest un foncteur contravari-

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ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 14: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

ant parce que si f est une application de X dans Y on peut prendre lrsquoimage inversefminus1(B) des sous-ensembles de Y donc P est un foncteur contravariant de la cateacutegoriedes ensembles vers la cateacutegorie des ensembles On peut alors poser la question ldquoCefoncteur est-il repreacutesentable rdquo Crsquoest agrave dire peut-on trouver un ensemble Ω de tellesorte que P soit eacutequivalent au foncteur contravariant X 983041rarr Hom(X Ω) La reacuteponseest ldquooui il est repreacutesentable agrave cause drsquoune notion que nous connaissons bien crsquoestqursquoagrave un sous-ensemble A sub X on associe sa fonction caracteacuteristique 1A(x) qui vaut1 si x est dans A et 0 si x nrsquoest pas dans A Dans la theacuteorie des ensembles il y a unobjet privileacutegieacute Ω qui est lrsquoobjet Ω = 0 1 et le foncteur X 983041rarr P(X) est le mecircme queX 983041rarr Hom(X Ω) De plus les opeacuterations logiques drsquointersection de reacuteunion (et depassage au compleacutementaire) se traduisent simplement sur lrsquoobjet Ω par les opeacuterations

0 or x = x or 0 = x forallx 1 or 1 = 1 0 and x = x and 0 = 0 forallx 1 and 1 = 1

Dans un topos geacuteneacuteral on peut alors poser la mecircme question celle de repreacutesenter lefoncteur contravariant du topos vers la theacuteorie des ensembles qui associe agrave un ob-jet lrsquoensemble de ses sous-objets On montre qursquoil existe un objet privileacutegieacute Ω et un

morphisme 1 vraiminusrarr Ω de lrsquoobjet final 1 vers Ω qui classifie les sous-objets dans le topos

Y

ι

983555983555

f983587983587 1

vrai

983555983555X h 983587983587Ω

au sens ougrave le diagramme ci-dessus donne le sous-objet Y de X comme un produit fibreacuteDe plus cet objet Ω est muni naturellement drsquoune structure drsquoalgegravebre de Heyting (voirlrsquoexposeacute [5] de P Cartier au seacuteminaire Bourbaki pour approfondir lrsquoaperccedilu ci-dessusainsi que [28] IV 8) dans le topos et cette structure correspond aux opeacuterations logiquessur les sous-objets mentionneacutees plus haut dans le cas du topos des ensembles De plusJ Benabou a mis au point (voir [2]) un langage interne qui permet drsquoutiliser les termesdu langage de la theacuteorie usuelle des ensembles pour raisonner dans un topos donneacute

81 Agrave deux pas de la veacuteriteacute

Passons agrave un exemple Prenons un topos qui est un tout petit peu plus compliqueacute quecelui des ensembles Soit C la cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et qui a pour mor-phismes les puissances τn n ge 0 drsquoun seul endomorphisme τ Qursquoest-ce qursquoun objetdu topos C ie un foncteur contravariant de C vers la cateacutegorie des ensembles Crsquoestsimplement un ensemble muni drsquoune application T de X dans X Crsquoest tout On a unensemble X car la cateacutegorie C nrsquoa qursquoun objet Et il suffit de connaicirctre la transformationT de de X dans X qui correspond au morphisme τ Ainsi les objets du topos C sont lesensembles munis drsquoune transformation Les morphismes de lrsquoobjet (X T) vers lrsquoobjet(Y S) sont les applications f de X dans Y qui respectent la transformation crsquoest agrave dire

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qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

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des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 15: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

qui veacuterifient f (Tx) = S f (x) On a donc une cateacutegorie et cette cateacutegorie est un toposcar elle est le dual de la petite cateacutegorie CCherchons Ω pour ce topos C ie cherchons agrave classifier les sous-objets drsquoun objetEssayons drsquoabord de classifier les sous-objets drsquoun objet en utilisant le Ω = 0 1qui marchait pour la cateacutegorie des ensembles On essaye la fonction caracteacuteristiquecomme on faisait tout agrave lrsquoheure Apregraves tout si je prends un objet (X T) et un sous-objet crsquoest un sous-ensemble Y sub X qui est stable par lrsquoapplication ie TY sub Y et ilest donc deacutetermineacute par sa fonction caracteacuteristique Donc je vais consideacuterer la fonctioncarateacuteristique 1Y pour commencer Pourquoi est-ce que je ne peux pas donner la valeur0 sur le compleacutementaire Eh bien parce qursquoil peut y avoir des points du compleacutemen-taire de Y qui vont finir par atterrir dans lrsquoensemble Y le compleacutementaire nrsquoest pas engeacuteneacuteral invariant par T Il peut tregraves bien se produire qursquoun point x isin Y du compleacute-mentaire veacuterifie Tx isin Y Alors comment faire Pour tout eacuteleacutement x de X il va existerun plus petit entier n tel que Tn(x) isin Y donc on va associer agrave x cet entier n(x) et onlui donne la valeur n(x) = infin bien sucircr si on arrive jamais dans le sous-ensemble iesi Tn(x) isin Y pour tout n

1 pas

2 pas

Vrai

Faux

Figure 5 A deux pas

Donc on comprend que le classifiant des sous-objets dans le topos C nrsquoest autre quelrsquoensemble infini Ω = 0 1 2 3 infin muni de la transformation qui remplace npar n minus 1 si n gt 0 mais laisse fixe n = 0 Donc vous voyez que pour ce topos lanotion de veacuteriteacute qui pour la theacuteorie des ensembles eacutetait simplement ldquovrai ou fauxest donneacutee par la figure 5 avec la transformation qui consiste agrave faire un pas vers laveacuteriteacute Alors qursquoest-ce que ccedila veut dire Eh bien ccedila veut dire qursquoon a un exemple fortsimple drsquoun topos qui permet de formaliser lrsquoexpression ldquoecirctre agrave trois pas de la veacuteriteacuteet drsquoexprimer avec preacutecision toutes sortes de subtiliteacutes Bien entendu ce topos lagrave vasrsquoappliquer agrave des situations relativement simples dans lesquelles on peut estimer lenombre de pas drsquoeacutetapes qursquoil reste agrave effectuer pour atteindre la vraie compreacutehensiondrsquoun pheacutenomegravene

Jrsquoespegravere que cet exemple vous donnera agrave reacutefleacutechir sur les faiblesses de notre formationlogique qui reste bien primitive Mon recircve est qursquoil existe des philosophes qui con-naissant les maths comprennent les topos de lrsquointeacuterieur et soient capables de donner

15

des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

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On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 16: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

des modegraveles qui seraient utiles pour beaucoup mieux appreacutecier les subtiliteacutes de la no-tion de veacuteriteacute Donc je voulais absolument vous donner cet exemple pour que vousle gardiez en tecircte et que vous essayiez de construire drsquoautres exemples semblables Jevais vous en donner un autre encore plus simple car ce sera le dual drsquoune petite cateacute-gorie dont les objets et les morphismes forment un ensemble fini Nous verrons quemecircme dans les constructions finies il y a une richesse combinatoire surprenante

En fait en geacuteneacuteral pour le topos C donneacute par tous les foncteurs contravariants drsquounepetite cateacutegorie C vers la cateacutegorie des ensembles on construit le classifiant des sous-objets Ω agrave partir des cribles Un crible sur un objet X drsquoune cateacutegorie C est la donneacuteedrsquoune famille C(X) de morphismes dont le codomaine est X et qui est stable par com-position agrave droite Quels sont les cribles dans lrsquoexemple de tout agrave lrsquoheure On avaitun seul objet les morphismes eacutetaient les puissances de τ il y avait Id τ τ2 Doncdans cet exemple un crible est toujours de la forme

C = τn | n ge m

ougrave m est un entier qui peut ecirctre +infin (cas dans lequel le crible est vide ce qui corre-spond agrave la valeur ldquofaux) et peut aussi ecirctre nul (ce qui correspond agrave la valeur ldquovrai)

82 La veacuteriteacute chez les carquois

Un autre exemple tregraves simple drsquoun topos dans lequel la notion de veacuteriteacute devient plussubtile que le simple ldquovrai faux est lrsquoexemple du topos des carquois Plus preacuteciseacute-ment16 consideacuterons la petite cateacutegorie C qui admet pour objets les deux ensemblesfinis 0 et 0 1 et pour morphismes les applications ensemblistesSoit C le topos des foncteurs contravariants de C vers les ensembles Un objet de C estla donneacutee de deux ensembles un ensemble S = F(0) de sommets et un ensembleA = F(0 1) drsquoarecirctes avec deux applications part j A rarr S qui associent agrave une arecircte sasource et son but ainsi qursquoune application s S rarr A qui agrave un sommet associe lrsquoarecirctedeacutegeacuteneacutereacutee qui lui correspond Il srsquoagit donc essentiellement drsquoun graphe orienteacute Onveacuterifie que lrsquoon obtient le mecircme topos en prenant le dual de la petite cateacutegorie qui a unseul objet et dont les morphismes forment le monoiumlde M qui a trois eacuteleacutements 1 m0 m1avec la table de multiplication

m jx = m j forall j isin 0 1

On peut alors deacuteterminer lrsquoobjet Ω agrave partir des cribles de ce monoiumlde M Le classifiantdes sous-objets est construit agrave partir de lrsquoensemble J des ideacuteaux agrave droite de M et delrsquoaction agrave droite de M sur J deacutefinie par

Jm = n isin M | mn isin J forallJ isin J m isin M

16Dans la deacutefinition usuelle des carquois on nrsquoinclut pas les arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees mais cette inclusionnous simplifiera la tacircche

16

On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

17

deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 17: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

On obtient que J contient cinq eacuteleacutements

J = empty m0 m1 m0 m1M

et que lrsquoaction agrave droite Tj de m j isin M fixe empty et M (qui sont des arecirctes deacutegeacuteneacutereacutees iedes sommets) alors que Tjm j = M et Tim j = empty pour i ∕= j Ainsi lrsquoensemble V dessommets est formeacute des deux eacuteleacutements empty et M et les arecirctes non deacutegeacuteneacutereacutees sont cellesde la Figure 6 La raison pour renommer les sommets empty comme ldquoFaux et M commeldquoVrai et les arecirctes comme ci-dessous vient de la construction du morphisme classifiantassocieacute agrave un sous-objet Gprime drsquoun objet G Plus preacuteciseacutement le morphisme classifiant fest obtenu comme suit comme application de 983171 983041rarr f (983171) de G vers Ω

1 983171 isin Gprime rArr f (983171) = Vrai

2 983171 isin Gprime part j983171 isin Gprime rArr f (983171) = Faux

3 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Correction

4 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Erreur

5 983171 isin Gprime part0983171 isin Gprime part1983171 isin Gprime rArr f (983171) = Verification

VraiFauxCorrection

VeacuterificationErreur

Figure 6 La veacuteriteacute chez les carquois

Nous laissons au lecteur le soin drsquoidentifier les opeacuterations de lrsquoalgegravebre de Heytingsur Ω Ces lois sont internes au topos mais deviennent des opeacuterations ensemblistesusuelles quand on les envisage du point de vue drsquoun point du topos Le topos ci-dessus a deux points et les foncteurs drsquoimage reacuteciproque associeacutes sont les foncteursqui donnent lrsquoensemble des sommets et lrsquoensemble des arecirctes Du point de vue desarecirctes on veacuterifiera par exemple lrsquoeacutegaliteacute erreur or correction = veacuterification

9 Cribles

Jrsquoai eacuteteacute longtemps intrigueacute par lrsquoideacutee que Grothendieck avait utiliseacute le nom de ldquocribledans la theacuteorie des topos en connaissance de cause ie en sachant que ce terme avait

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deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 18: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

deacutejagrave eacuteteacute utiliseacute par les theacuteoriciens des nombres chez lesquels on trouve par exemple uncrible bien connu qui est le crible drsquoEratosthegravene Jrsquoai fini par comprendre pourquoi lecrible drsquoEratosthegravene est un crible au sens de Grothendieck La reacuteponse provient drsquountopos qui joue un rocircle important dans nos travaux avec C Consani (voir [10 11] etla Section 13 ci-dessous) Ce topos 983142Ntimes est tregraves semblable agrave celui des ensembles munidrsquoune seule transformation mais cette fois crsquoest un peu plus compliqueacute quand-mecircmeparce que au lieu drsquoavoir une seule transformation on a une action du monoiumlde Ntimes

des entiers multiplicatifs Crsquoest-agrave-dire que pour chaque entier on a une transforma-tion et quand on fait le produit de deux entiers les morphismes se composent Alorscrsquoest tregraves amusant de voir le crible drsquoEratosthegravene comme un crible au sens intuitif quenous avons deacuteveloppeacute plus haut Le crible drsquoEratosthegravene consiste agrave tamiser drsquoabordtous les nombres pairs sauf le premier drsquoentre eux qui est 2 Ils sont tous passeacutes dansles trous sauf le premier nombre pair Ensuite parmi les nombres impairs on tamisetous les multiples de 3 sauf 3 lui-mecircme Puis tous les multiples de 5 sauf 5 Prenonsla petite cateacutegorie qui nrsquoa qursquoun seul objet et dont les morphismes forment le monoiumldemultiplicatif Ntimes des entiers On veacuterifie que les entiers qui passent dans les trous danschacune des eacutetapes forment un crible Par exemple lrsquoensemble de tous les entiers pairssauf 2 forme un crible Γ(2) de mecircme tous les multiples de 3 sauf 3 forment un cribleΓ(3) et ainsi de suite Par construction une reacuteunion quelconque de cribles est encore uncrible et crsquoest le cas bien entendu en avanccedilant pas agrave pas parmi les nombres qui ne sontpas passeacutes dans les trous Ceux qui restent sont les nombres premiers Cela montre agravequel point la notion de veacuteriteacute est subtile pour ce topos 983142Ntimes

Une fois appreacutecieacutee la notion de crible on va passer briegravevement agrave celle de topologiede Grothendieck On peut alors comprendre la notion geacuteneacuterale de ldquosite qui per-met de construire tous les topos La possibiliteacute de deacutefinir ce qursquoest une topologie deGrothendieck sur le dual de nrsquoimporte quelle petite cateacutegorie C a joueacute dans mon casun rocircle clef dans mon appreacuteciation de la notion de topos Avant ce tournant crucial jereacutesistais agrave la preacutesentation drsquoun topos sous la forme ldquoOn prend une petite cateacutegorie onsuppose qursquoelle est stable par produit fibreacuterdquo A ce moment-lagrave mon oreille se fermait etje pensais agrave autre chose Ce qui me deacuterangeait dans cette preacutesentation et dans la de-scription des recouvrements ouverts crsquoest que je me retrouvais coinceacute dans lrsquointuitiontopologique usuelle quand on dit que la cateacutegorie a des produits fibreacutes on pense agravedeux ouverts et agrave leur intersection Et agrave partir de lagrave on peut bien sucircr geacuteneacuteraliser maison nrsquoa pas lrsquoimpression drsquoacqueacuterir une intuition nouvelle par rapport agrave la topologieusuelle on a mecircme lrsquoimpression de compliquer singuliegraverement les choses en se pri-vant des points En effet en geacuteneacuteral pour un espace topologique X il ne suffit pasde connaicirctre la petite cateacutegorie formeacutee des ouverts avec un morphisme unique de Vdans W si V sub W pour deacuteterminer lrsquoespace il faut aussi donner les recouvrementsouverts ie les familles Vj drsquoouverts dont la reacuteunion est X Prenons par exemple latopologie usuelle de lrsquointervalle [0 1] et la base deacutenombrable des intervalles ouvertsdrsquoextreacutemiteacutes rationnelles Vue comme sous-cateacutegorie pleine de celle des ouverts crsquoestune petite cateacutegorie C stable par produit fibreacute (il est donneacute par lrsquointersection des inter-valles ouverts) Soit alors X lrsquoensemble des nombres rationnels dans lrsquointervalle [0 1]

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Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 19: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Cet ensemble est dense dans [0 1] et lrsquoapplication qui associe agrave un intervalle ouvert Vde [0 1] lrsquointersection X cap V est injective Ainsi la cateacutegorie ne change pas quand onpasse de [0 1] agrave X Qursquoest-ce qui va changer Pourquoi est-ce que si je prends le toposqui est donneacute par les rationnels avec ces ouverts-lagrave jrsquoobtiens quelque-chose de diffeacuterentdu topos qui est donneacute par lrsquointervalle [0 1] avec ses ouverts ordinaires Ils se ressem-blent ils ont lrsquoair drsquoecirctre les mecircmes Si vous cherchez vous allez trouver qursquoen fait il ya beaucoup plus de recouvrements ouverts pour X qursquoil nrsquoy en a pour lrsquointervalle [0 1]des nombres reacuteels Typiquement prenez une suite croissante drsquointervalles rationnelsIn (resp Jn) dont la reacuteunion est lrsquointervalle [0 a) avec a irrationnel (resp (a 1]) Lafamille formeacutee des In et des Jn est un recouvrement ouvert de X ie au niveau rationnel cupIn cup cupJn = X mais ce nrsquoest pas un recouvrement au niveau reacuteel car a nrsquoest pas dansla reacuteunion Donc on voit qursquoil y a beaucoup moins de recouvrements ouverts pour lesreacuteels qursquoil nrsquoy en a pour les rationnels Quand on pense topologiquement on penseainsi mais comme je le disais on reste sur lrsquoimpression de compliquer les choses ense passant des points

Ce qui pour moi a eacuteteacute crucial crsquoest le moment ougrave jrsquoai compris que deacutejagrave dans SGA4Grothendieck avait reacuteussi agrave deacutefinir les sites sans aucune hypothegravese sur la petite cateacutegorieon nrsquoa absolument pas besoin de supposer quoi que ce soit sur la petite cateacutegorie etlrsquoavantage crsquoest que lorsqursquoon fait ccedila on acquiegravere une intuition totalement diffeacuterentede la vielle intuition topologique Vous savez en matheacutematiques lrsquoune des difficulteacutesquand on est devant un problegraveme crsquoest drsquoarriver agrave penser juste Et penser juste ccedilaa lrsquoair idiot mais une fois qursquoon arrive agrave regarder un paysage matheacutematique avecle bon point de vue bien des difficulteacutes srsquoeacutevanouissent Et ici traiter le cas geacuteneacuteral(sans produits fibreacutes) conduit agrave penser juste Alors qursquoest-ce que crsquoest qursquoune topolo-gie de Grothendieck dans le cas geacuteneacuteral Crsquoest une collection de cribles on donne pourchaque objet une collection de cribles et on a des conditions de compatibiliteacute Nousnrsquoallons pas nous preacuteoccuper du deacutetail des axiomes mais de lrsquointuition qursquoil faut avoirderriegravere Quand on pense au niveau des topos on pense diffeacuteremment on ne penseplus au recouvrement ouvert mais agrave la classe des ouverts qui sont suffisamment petitspour ecirctre contenus dans un des ouverts du recouvrement Passer au crible cela revientagrave seacutelectionner les objets qui passent dans les trous Et avec ce point de vue-lagrave les ax-iomes des cribles deviennent eacutevidents

10 Points drsquoun topos

Il y a une notion essentielle dans les topos crsquoest la notion de morphisme geacuteomeacutetriqueElle a pour cas particulier la notion de point drsquoun topos ie un point est simplementun morphisme geacuteomeacutetrique du point ie du topos des ensembles vers le topos con-sideacutereacute Pour comprendre ce que crsquoest qursquoun morphisme geacuteomeacutetrique crsquoest-agrave-dire unmorphisme drsquoun topos vers un autre topos il faut avoir une certaine familiariteacute avecles faisceaux sur un espace Pourquoi Parce que le cas des topos associeacutes aux espacestopologiques donne la marche agrave suivre pour deacutefinir les morphismes geacuteomeacutetriques En

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fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 20: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

fait lorsqursquoon a une application continue f drsquoun espace X vers un espace Y il se faitqursquoil y a deux maniegraveres de relier les faisceaux sur X avec les faisceaux sur Y Il y en aune qui est tautologique presque triviale et qui consiste agrave prendre un faisceau O surX et agrave lrsquoenvoyer en avant vers un faisceau flowast(O) sur Y Crsquoest trivial parce qursquoil voussuffit quand vous prenez un ouvert sur Y de prendre son image inverse et de regarderles sections du faisceau sur X sur cet ouvert sur lrsquoimage inverse Cela donne un fais-ceau cette deacutefinition va de soi Mais il y a une autre maniegravere de relier les faisceaux deX et les faisceaux de Y qui va dans lrsquoautre sens crsquoest-agrave-dire qui envoie un faisceau surY vers un faisceau sur X et celle-lagrave est beaucoup plus inteacuteressante et moins trivialeElle est visuellement eacutevidente si on pense agrave un faisceau comme un espace eacutetaleacute surlrsquoespace de base et crsquoest en particulier le cas pour les faisceaux drsquoensembles mais lagraveougrave elle est vraiment inteacuteressante crsquoest que cette application qui va dans lrsquoautre sensa une proprieacuteteacute totalement inattendue Drsquoabord elle est adjointe agrave gauche de lrsquoautreCela se veacuterifie ce nrsquoest pas surprenant on aurait pu la deacutefinir ainsi Donc elle estadjointe agrave gauche de celle qui va en avant tregraves bien Mais elle a une proprieacuteteacute addi-tionnelle crsquoest qursquoelle est exacte agrave gauche crsquoest-agrave-dire qursquoelle commute avec les limitesfinies Crsquoest une proprieacuteteacute remarquable et pour vous en convaincre on va prendreun exemple Tant que vous nrsquoecirctes pas frappeacute par un exemple vous ne comprendrezpas Lrsquoexemple crsquoest celui des ensembles simpliciaux On part de la petite cateacutegorie∆ dont les objets sont les ensembles finis [n] = 0 1 n totalement ordonneacuteset dont les morphismes sont les applications non deacutecroissantes Cette cateacutegorie joueun rocircle important pour la raison suivante en topologie dans les anneacutees 1930 srsquoestdeacuteveloppeacutee la notion de complexe simplicial On triangule un espace et on encodela triangulation en donnant lrsquoensemble X des sommets et la classe C heacutereacuteditaire dessous-ensembles de X qui forment les sommets drsquoun simplexe de la triangulation Crsquoestce qursquoon appelle un complexe simplicial Mais cette approche ne marche pas tregraves bienpour les produits drsquoespaces car le produit de deux simplexes nrsquoest pas un simplexe par exemple le produit de deux intervalles est un carreacute qui nrsquoest pas un simplexeOn pourrait alors penser qursquoil faut rajouter les produits de simplexes mais ce ne seraitpas penser juste Il suffit en fait de mieux comprendre la reacutealisation geacuteomeacutetrique drsquouncomplexe simplicial au niveau conceptuel Trianguler le carreacute implique le choix drsquounordre entre les sommets de lrsquointervalle et en geacuteneacuteral le choix drsquoun ordre sur lrsquoensembleX des sommets drsquoun complexe simplicial donne un ensemble simplicial celui qui agravelrsquoentier n associe lrsquoensemble des applications non-deacutecroissantes de 0 n vers Xdont lrsquoimage est dans C Crsquoest un objet du topos ∆ le topos becircbecircte des foncteurs con-travariants de la cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles Un theacuteoregraveme que lrsquoonpeut deacutemontrer comme cas particulier de la deacutetermination des points drsquoun topos dualdrsquoune petite cateacutegorie dit que les points de ce topos sont exactement les intervallescrsquoest-agrave-dire les ensembles totalement ordonneacutes posseacutedant un plus petit eacuteleacutement et unplus grand eacuteleacutement Quand on a un point drsquoun topos on a un foncteur drsquoimage inversequi ici est un foncteur de la cateacutegorie des ensembles simpliciaux vers la cateacutegorie desensembles Et si lrsquoon prend le point associeacute agrave lrsquoensemble totalement ordonneacute qui estlrsquointervalle [0 1] ce foncteur est le foncteur de reacutealisation geacuteomeacutetrique Il faut bienentendu tenir compte de la topologie heacuteriteacutee en utilisant la topologie usuelle (associeacutee

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agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 21: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

agrave lrsquoordre) de lrsquointervalle [0 1] ce qui nrsquoest pas difficile Cela donne exactement la reacuteali-sation geacuteomeacutetrique du complexe simplicial et celle-ci acquiegravere un sens beaucoup plusgeacuteneacuteral

Alors maintenant merveille ce foncteur drsquoimage inverse preacuteserve les limites finieset en particulier preacuteserve les produits Et donc quand on prend le produit ponctuelde deux ensembles simpliciaux [n] 983041rarr Xn et [n] 983041rarr Yn crsquoest-agrave-dire le foncteur con-travariant [n] 983041rarr Xn times Yn de la petite cateacutegorie ∆ vers la cateacutegorie des ensembles lareacutealisation geacuteomeacutetrique du produit est eacutegale au produit des reacutealisations geacuteomeacutetriquesLa topologie suit sans difficulteacute Crsquoest un theacuteoregraveme de John Milnor Mais ce qursquoil fautbien voir crsquoest que la notion de topos comprend ce reacutesultat de maniegravere conceptuelleet le geacuteneacuteralise de maniegravere remarquable cela reste vrai pour tout point drsquoun topos Le foncteur correspondant drsquoimage inverse preacuteserve non seulement les colimites arbi-traires mais aussi les limites finies il preacuteserve en particulier les produits

Et crsquoest pourquoi quand on prend un point drsquoun topos le foncteur drsquoimage inversequi lui est associeacute (et qui geacuteneacuteralise le proceacutedeacute de reacutealisation geacuteomeacutetrique) nous donneun point de vue ensembliste en respectant les proprieacuteteacutes naturelles Dans la meacutetaphorede la Section 7 cela revient agrave choisir une valeur de lrsquoaleacutea et quand on a fait ce choix onretourne dans la theacuteorie classique des ensembles Crsquoest agrave dire que le foncteur va trans-former un groupe abeacutelien dans le topos en un vrai groupe abeacutelien il va transformertoutes les notions eacuteleacutementaires qursquoon peut avoir en leur incarnation usuelle en theacuteoriedes ensemblesPour finir cette section il y a un aspect crucial des topos sur lequel je ne vais pasmrsquoattarder mais qui est extrecircmement important crsquoest celui des topos classifiants17Crsquoest-agrave-dire qursquoun peu comme il y a un espace classifiant pour les fibreacutes il y a untopos classifiant pour des notions logiques et lrsquoon obtient ainsi une source incroyabledrsquoexemples de topos inteacuteressants et un lien vraiment fructueux avec la logique Et undes exemples qui mrsquoa convaincu crsquoest lrsquoexemple du topos qui classifie les intervallesOn deacutefinit abstraitement une theacuteorie logique qui correspond aux intervalles (on penseagrave un ensemble totalement ordonneacute mais il ne faut pas parler drsquoensemble) eh bien onsrsquoaperccediloit que cette notion a un topos classifiant et que ce topos classifiant crsquoest ex-actement le dual de la cateacutegorie ∆ Ce topos est donc naturel et ne doit rien au choixquelque peu arbitraire de la petite cateacutegorie ∆ que lrsquoon retrouve agrave posteacuteriori pour desraisons conceptuelles (voir [3])

17Je vous renvoie agrave la confeacuterence drsquoOlivia Caramello dans cette seacuterie elle a fait des contributionsessentielles agrave ce sujet et a deacuteveloppeacute un programme remarquable ceci malgreacute lrsquohostiliteacute agrave laquelle ellesrsquoest heurteacute par son originaliteacute sa creacuteativiteacute et sa vision agrave long terme

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11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

26

Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 22: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

11 Eacuteloge de la lenteur

Il eacutetait important de parler des topos jrsquoy tenais beaucoup Mais il est eacutegalement im-portant drsquoessayer drsquoappreacutecier la maniegravere de travailler de Grothendieck cela peut nousecirctre tregraves utile Je pense que lrsquoon a besoin de corriger les mauvaises habitudes dansnotre comportement Par exemple quand on assiste de nos jours agrave un laiumlus de mathsou de physique on srsquoaperccediloit qursquoil y a un tiers des auditeurs qui ont leur ordinateurouvert devant eux et qui font leurs courriels ou qui font autre chose et ne meacuteritent pasdrsquoecirctre lagrave Crsquoest une eacutevolution deacutesastreuse parce que je pense que ces gens lagrave croientgagner du temps alors que la qualiteacute de leur concentration pour comprendre lrsquoorateurest proche de zeacutero Je pense toujours agrave la photo des anneacutees 60 (Figure 7) qui montreGrothendieck donnant un exposeacute agrave lrsquoIHES et agrave la qualiteacute drsquoeacutecoute de son auditoireCe qui frappe le plus crsquoest le temps dont il semblait disposer On a lrsquoimpression qursquoildisposait drsquoun temps infini qursquoil nrsquoeacutetait pas constamment deacuterangeacute La geacuteneacuteration Ycapable de faire 3 choses agrave la fois croit gagner du temps mais ccedila nrsquoest pas vrai On a unbesoin crucial dans notre civilisation de lrsquointernet de srsquoisoler de pouvoir penser lente-ment et de prendre le temps de se peacuteneacutetrer de notions nouvelles drsquoecirctre sucircr des raison-nements de tout veacuterifier deux fois trois fois sans avoir peur de perdre son temps

Figure 7 Grothendieck agrave lrsquoIHES

Crsquoest une question de tempo et je voulais que vous vous rendiez compte en eacutecoutantparler Grothendieck de cette lenteur fondamentale qui quand on la ressent au pre-mier degreacute peut sembler irritante Crsquoest la lenteur de la tortue mais dans la fable crsquoestelle qui lrsquoemporte Donc voilagrave ce que dit Grothendieck

ldquoQuand je suis curieux drsquoune chose matheacutematique ou autre je lrsquointerroge Je lrsquointerroge sansme soucier si ma question est peut-ecirctre stupide ou si elle va paraicirctre telle sans qursquoelle soit agrave tout

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prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

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agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 23: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

prix mucircrement peseacutee Souvent la question prend la forme drsquoune affirmation - une affirmationqui en veacuteriteacute est un coup de sonde Jrsquoy crois plus ou moins agrave mon affirmation ccedila deacutepend biensucircr du point ougrave jrsquoen suis dans la compreacutehension des choses que je suis en train de regarderSouvent surtout au deacutebut drsquoune recherche lrsquoaffirmation est carreacutement fausse - encore fallait-illa faire pour pouvoir srsquoen convaincre Souvent il suffisait de lrsquoeacutecrirerdquo

Une autre qualiteacute de Grothendieck crsquoest qursquoil est capable drsquoeacutecrire une ideacutee qui nrsquoestpas encore mucircre Il est capable de se mettre directement agrave eacutecrire crsquoest remarquable

ldquoSouvent il suffisait de lrsquoeacutecrire pour que ccedila saute aux yeux que crsquoest faux alors qursquoavant delrsquoeacutecrire il y avait un flou comme un malaise au lieu de cette eacutevidence Ca permet maintenantde revenir agrave la charge avec cette ignorance en moins avec une question-affirmation peut-ecirctreun peu moins ldquoagrave cocircteacute de la plaquerdquo Plus souvent encore lrsquoaffirmation prise au pied de la lettresrsquoavegravere fausse mais lrsquointuition qui maladroitement encore a essayeacute de srsquoexprimer agrave travers elleest juste tout en restant flouerdquo

Je mrsquoarrecircte une seconde en ce qui concerne lrsquoeacutecriture jrsquoavoue preacutefeacuterer eacutecrire au crayonagrave papier plutocirct que drsquoutiliser lrsquoordinateur Quand on utilise lrsquoordinateur on risquede se laisser parasiter par des idioties comme se poser des questions de LaTex ce quiest complegravetement ridicule car agrave ce stade chercher lrsquoldquoapparence nrsquoa aucun sens on aenvie de laisser le crayon en liberteacute sur la feuille de papier Crsquoest important je penseMais laissons parler Grothendieck

ldquoCette intuition peu agrave peu va se deacutecanter drsquoune gangue toute aussi informe drsquoabord drsquoideacuteesfausses ou inadeacutequates elle va sortir peu agrave peu des limbes de lrsquoincompris qui ne demande qursquoagraveecirctre compris de lrsquoinconnu qui ne demande qursquoagrave se laisser connaicirctre pour prendre une forme quinrsquoest qursquoagrave elle affiner et aviver ses contours au fur et agrave mesure que les questions que je pose agraveces choses devant moi se font plus preacutecises ou plus pertinentes pour les cerner de plus en pluspregraves Mais il arrive aussi que par cette deacutemarche les coups de sonde reacutepeacuteteacutes convergent versune certaine image de la situationrdquo

Cela veut dire qursquoon est en train de construire une image mentale

ldquosortant des brumes avec des traits assez marqueacutes pour entraicircner un deacutebut de conviction quecette image-lagrave exprime bien la reacutealiteacute - alors qursquoil nrsquoen est rien pourtant quand cette imageest entacheacutee drsquoune erreur de taille de nature agrave la fausser profondeacutement Le travail parfois la-borieux qui conduit au deacutepistage drsquoune telle ideacutee fausse agrave partir des premiers ldquodeacutecollagesrdquoconstateacutes entre lrsquoimage obtenue et certains faits patents ou entre cette image et drsquoautres quiavaient eacutegalement notre confiancerdquo

Il faut dire lagrave que crsquoest tregraves bien dans ces cas-lagrave de prendre un peu de recul de faireautre chose et Pierre Cartier me disait que Grothendieck avait souvent 100 fers au feuQuand on voit que les choses ont tendance agrave foirer un petit peu il vaut mieux prendredu champ parce qursquoen fait quand on est visceacuteralement attacheacute agrave une ideacutee on a du mal

23

agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

24

Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

25

Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

26

Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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[24] R Meyer On a representation of the idele class group related to primes and zeros ofL-functions Duke Math J 127 n 3 (2005) 519ndash595

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[26] G Litvinov Tropical Mathematics Idempotent Analysis Classical Mechanics and Ge-ometry Spectral theory and geometric analysis 159ndash186 Contemp Math 535Amer Math Soc Providence RI 2011

[27] S Mac Lane Duality for groups Bull Amer Math Soc 56 (1950) 485ndash516

[28] S Mac Lane I Moerdijk Sheaves in geometry and logic A first introduction to topostheory Corrected reprint of the 1992 edition Universitext Springer-Verlag NewYork 1994

31

Page 24: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

agrave accepter qursquoelle soit fausse

ldquoCe travail est souvent marqueacute par une tension croissante au fur et agrave mesure qursquoon approchedu noeud de la contradiction qui de vague drsquoabord se fait de plus en plus criante - jusqursquoau mo-ment ougrave enfin elle eacuteclate avec la deacutecouverte de lrsquoerreur et lrsquoeacutecroulement drsquoune certaine visiondes choses survenant comme un soulagement immense comme une libeacuteration La deacutecouvertede lrsquoerreur est un des moments cruciaux un moment creacuteateur entre tous dans tout travail dedeacutecouverte qursquoil srsquoagisse drsquoun travail matheacutematique ou drsquoun travail de deacutecouverte de soi Crsquoestun moment ougrave notre connaissance de la chose sondeacutee soudain se renouvellerdquo

Et voilagrave maintenant un des paragraphes les plus magnifiques que je connaisse

ldquoCraindre lrsquoerreur et craindre la veacuteriteacute est une seule et mecircme chose Celui qui craint de setromper est impuissant agrave deacutecouvrir Crsquoest quand nous craignons de nous tromper que lrsquoerreurqui est en nous se fait immuable comme un roc Car dans notre peur nous nous accrochons agrave ceque nous avons deacutecreacuteteacute ldquovrairdquo un jour ou agrave ce qui depuis toujours nous a eacuteteacute preacutesenteacute commetel Quand nous sommes mucircs non par la peur de voir srsquoeacutevanouir une illusoire seacutecuriteacute maispar une soif de connaicirctre alors lrsquoerreur comme la souffrance ou la tristesse nous traverse sansse figer jamais et la trace de son passage est une connaissance renouveleacuteerdquo

Si un jour vous nrsquoavez pas le moral relisez ce texte Crsquoest une espegravece de talisman

12 Le monde de la caracteacuteristique 1

Dans le Tohoku Grothendieck donne la deacutefinition drsquoune cateacutegorie additive en deman-dant la donneacutee sur les morphismes entre deux objets drsquoune structure de groupe abeacutelienMais il srsquoest rendu compte ensuite (voir par exemple [22]) que cette structure suppleacute-mentaire est en fait uniquement deacutetermineacutee et deacutecoule drsquoune hypothegravese naturelle surla cateacutegorie Ce reacutesultat remonte en fait agrave lrsquoarticle [27] de S MacLane18 La cateacutegoriedoit posseacuteder un ldquo0 crsquoest agrave dire un eacuteleacutement agrave la fois initial et final et de plus des pro-duits et coproduits On demande alors simplement que lrsquounique morphisme natureldu coproduit vers le produit (de deux objets) soit toujours un isomorphisme Les con-ditions correspondantes sur la cateacutegorie sont noteacutees CAd1 CAd2 CAd3 dans le textede P Gabriel [17] reproduit dans la Figure 8Lrsquoopeacuteration de somme des morphismes est alors automatiquement deacutefinie et lrsquoon voitqursquoil ne srsquoagit pas drsquoune donneacutee suppleacutementaire ce qui est bien satisfaisant (mais bienentendu cette preacutesentation ne change rien en pratique)

Ensuite quand on deacutefinit une cateacutegorie additive on doit ajouter une condition suppleacute-mentaire car lrsquoopeacuteration de somme deacutefinit un monoiumlde commutatif mais ce nrsquoest pasun groupe en geacuteneacuteral

18Je remercie Bruno Kan pour me lrsquoavoir signaleacute

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Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

26

Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

References

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[22] A Grothendieck Introduction au Langage Fonctoriel Faculteacute des Sciences drsquoAlgerSeacuteminaire 1965-1966

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[28] S Mac Lane I Moerdijk Sheaves in geometry and logic A first introduction to topostheory Corrected reprint of the 1992 edition Universitext Springer-Verlag NewYork 1994

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Page 25: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Figure 8 Texte de Gabriel [17] deacutecrivant lrsquoapproche de Grothendieck

La raison pour laquelle je mrsquoappesantis sur ce point que lrsquoon pourrait neacutegliger enle consideacuterant comme purement estheacutetique est la suivante Si lrsquoon pousse au boutle caractegravere artificiel de lrsquoaxiome CAd4 dans la deacutefinition des cateacutegories additives onobtient que sans cet axiome les endomorphismes End(M) drsquoun objet M de la cateacutegorieforment alors un semi-anneauCette structure matheacutematique heacuterite donc de ses lettres de noblesse elle devient na-turelle et nrsquoa nul besoin drsquoune autre justification pour que lrsquoon srsquoy inteacuteresse en lamettant sur le mecircme plan que la notion drsquoanneau Les Lemmes 3 et 4 du texte deGabriel [17] reproduits dans la Figure 9 donnent les conditions pour qursquoun ensemblemuni de deux lois x + y et x y soit un semi-anneau la seule proprieacuteteacute des anneauxqui nrsquoest plus demandeacutee est lrsquoexistence drsquoun inverse pour la loi drsquoaddition

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Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

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Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

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qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

References

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29

[5] Cartier Pierre Logique cateacutegories et faisceaux [drsquoapregraves F Lawvere et M Tierney[Myles Tierney]] (French) Seacuteminaire Bourbaki 30e anneacutee (197778) Exp No 513pp 123ndash146

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[20] J Golan Semi-rings and their applications Updated and expanded version of Thetheory of semi-rings with applications to mathematics and theoretical computerscience [Longman Sci Tech Harlow 1992 Kluwer Academic Publishers Dor-drecht 1999

30

[21] A Grothendieck Sur quelques points drsquoalgegravebre homologique (French) Tohoku MathJ (2) 9 1957 119ndash221

[22] A Grothendieck Introduction au Langage Fonctoriel Faculteacute des Sciences drsquoAlgerSeacuteminaire 1965-1966

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[25] M V Fedoriuk V P Maslov Semiclassical approximation in quantum mechanicsTranslated from the Russian by J Niederle and J Tolar Mathematical Physics andApplied Mathematics 7 Contemporary Mathematics 5 D Reidel Publishing CoDordrecht-Boston Mass 1981

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[27] S Mac Lane Duality for groups Bull Amer Math Soc 56 (1950) 485ndash516

[28] S Mac Lane I Moerdijk Sheaves in geometry and logic A first introduction to topostheory Corrected reprint of the 1992 edition Universitext Springer-Verlag NewYork 1994

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Page 26: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Figure 9 Axiome CAd4

Agrave ma connaissance Grothendieck a adopteacute CAd4 sans franchir le pas si naturel de sonpoint de vue (et de celui du petit enfant) qui consiste agrave consideacuterer plus geacuteneacuteralementles cateacutegories ldquosemi-additives ie celles qui satisfont CAd1 CAd2 CAd3 mais pasCAd4 Ce que lrsquoon deacutecouvre quand on passe des anneaux aux semi-anneaux (et bienentendu des corps aux semi-corps) crsquoest une nuance subtile deacutejagrave dans la classificationdes objets finis Le lecteur srsquoen convaincra en cherchant par lui-mecircme agrave deacutemontrerlrsquoassertion suivante sans en chercher la deacutemonstration dans les livres19 ou sur internet

Assertion 121 Il existe un seul semi-corps fini (commutatif ou non) qui nrsquoest pas un corps

Ainsi le passage aux semi-corps rajoute un nouveau personnage parmi les corps deGalois Un corps de Galois est de caracteacuteristique p ougrave p est un nombre premier Lenouveau personnage B = 0 1 est de caracteacuteristique 1 ie on a x + x = x pour tout20

x isin B Comment ne pas entendre une petite voix dire drsquoun ton mi-deacuteccedilu mi-envieuxldquoOh ce nrsquoest que ccedila rdquoOn sait que le groupe multiplicatif drsquoun corps fini est un groupe cyclique on peut sedemander si il existe un corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordre infiniLa reacuteponse est non pour les corps mais oui pour les semi-corps

Assertion 122 Il existe un seul semi-corps dont le groupe multiplicatif soit cyclique drsquoordreinfini

19Voir [20]20Cette regravegle remplace la regravegle px = 0 de la caracteacuteristique p eacutecrite trop brutalement en caracteacuteristique

1 celle-ci serait stupide

26

Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

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tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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[11] A Connes C Consani Geometry of the Arithmetic Site Adv Math 291 (2016) 274ndash329

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[13] A Connes C Consani Geometry of the scaling site Selecta Math (NS) 23 (2017)no 3 1803ndash1850

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Page 27: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

Il est de caracteacuteristique 1 (ie il contientB) crsquoest la reacuteunion qZcup 0 muni de lrsquoldquoaddition

qn + qm = qs s = max(n m)

Il srsquoagit agrave nouveau pour le lecteur de faire la deacutemonstration de lrsquoassertion 122 en exer-cice ainsi que pour la suivante

Assertion 123 Soit K un semi-corps de caracteacuteristique 1 alors pour tout entier n gt 0lrsquoapplication x 983041rarr xn est un endomorphisme injectif de K dans K

Ces endomorphismes Frn jouent le rocircle du Frobenius dans le monde de la caracteacuteris-tique 1 Ainsi alors qursquoen caracteacuteristique p gt 1 on a un seul Frobenius x 983041rarr xp et sespuissances lorsqursquoon travaille en caracteacuteristique 1 on a un analogue Frn pour chaqueentier positif n et ils veacuterifient la regravegle Frn Frm = Frnm pour tous n m Dans le cas ougrave ilssont aussi surjectifs on en deacuteduit une action du groupe multiplicatif Qlowast

+ et cette actionse prolonge naturellement en une action du groupe multiplicatif Rlowast

+ pour le semi-corpsRmax+ qui joue un rocircle essentiel dans la theacuteorie de lrsquooptimisation en geacuteomeacutetrie tropi-

cale ainsi que dans lrsquoeacutecole russe drsquoanalyse semi-classique21 Lrsquoune des deacutecouvertes lesplus convaincantes dans ce domaine est due agrave Maslov Kolokolstov et Litvinov [26]Ils montrent que la transformation de Legendre qui joue un rocircle fondamental dans laphysique nrsquoest autre que la transformation de Fourier dans le cadre de lrsquoanalyse idem-potente De plus lrsquoalgegravebre de caracteacuteristique 1 est le bon cadre pour deacutevelopper lathermodynamique (il serait profitable de srsquoatteler agrave la tacircche de la reacuteeacutecrire en utilisantRmax+ ) ainsi que tout ce qui concerne le passage agrave la limite semi-classique Par exemple

alors qursquoun trait caracteacuteristique du monde quantique est la variabiliteacute qui provient duchoix arbitraire dans la reacuteduction du paquet drsquoondes drsquoun eacuteleacutement du spectre drsquounopeacuterateur cette variabiliteacute disparait dans la limite classiquendashinterpreacuteteacutee comme le pas-sage en caracteacuteristique 1 en utilisant les passages agrave la limite

lim983171rarr0

983059x

1983171 + y

1983171

983060983171= maxx y sum eminus

S jh sim eminus

inf S jh quand h rarr 0

ndashet le reacutesultat de R Cuninghame-Green qui montre qursquoun opeacuterateur geacuteneacuterique en car-acteacuteristique 1 a un spectre reacuteduit agrave un seul eacuteleacutement

13 Le site arithmeacutetique

Lrsquounique semi-corps caracteacuteriseacute dans lrsquoassertion 122 srsquoappelle le semi-corps des entierstropicaux et est noteacute Zmax = (Z cup minusinfin max+) en reacutefeacuterence aux exposants dans

21Historiquement avant les utilisations de Rmax+ dans lrsquoanalyse idempotente et la geacuteomeacutetrie tropicale

les travaux de R CuninghamendashGreen agrave Birmingham ont eacutetabli dans les anneacutees 50 la theacuteorie spectraledes matrices irreacuteductibles agrave coefficients dans Rmax

+ (voir [16]) Le groupe INRIA a deacuteveloppeacute une util-isation systeacutematique du semi-corps Rmax

+ au deacutebut des anneacutees 80 dans le cadre de ses travaux sur lamodeacutelisation des systegravemes agrave eacuteveacutenements discrets Nous nous reacutefeacuterons agrave [18 19] pour une histoire plusdeacutetailleacutee du sujet et pour une preuve accablante de sa pertinence en matheacutematiques qui remonte agrave destravaux de Jacobi au dix-neuviegraveme siegravecle

27

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

References

[1] M Artin A Grothendieck J-L Verdier eds (1972) SGA4 LNM 269-270-305Berlin New York Springer-Verlag

[2] J Benabou Cateacutegories et logiques faibles Journeacutees sur les cateacutegories Oberwolfach1973

[3] O Caramello Theories sites toposes Relating and studying mathematical theoriesthrough topos-theoretic lsquobridgesrsquo Oxford University Press Oxford 2018

[4] Cartan Henri Eilenberg Samuel Homological algebra Princeton University PressPrinceton N J 1956 xv+390

29

[5] Cartier Pierre Logique cateacutegories et faisceaux [drsquoapregraves F Lawvere et M Tierney[Myles Tierney]] (French) Seacuteminaire Bourbaki 30e anneacutee (197778) Exp No 513pp 123ndash146

[6] P Colmez J P Serre Correspondance Grothendieck-Serre Socieacuteteacute Matheacutematique deFrance (2001)

[7] A Connes Trace formula in noncommutative geometry and the zeros of the Riemannzeta function Selecta Math (NS) 5(1) 1999 29ndash106

[8] A Connes C Consani Schemes over F1 and zeta functions Compositio Mathemat-ica 146 (6) (2010) 1383ndash1415

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[10] A Connes C Consani The Arithmetic Site Comptes Rendus Matheacutematiques SerI 352 (2014) 971ndash975

[11] A Connes C Consani Geometry of the Arithmetic Site Adv Math 291 (2016) 274ndash329

[12] A Connes C Consani The scaling site C R Math Acad Sci Paris 354 (2016) no1 1ndash6

[13] A Connes C Consani Geometry of the scaling site Selecta Math (NS) 23 (2017)no 3 1803ndash1850

[14] A Connes An essay on the Riemann hypothesis Open problems in mathematicsSpringer 2016

[15] J Dixmier On some Clowast-algebras considered by Glimm J Functional Analysis 1(1967) 182ndash203

[16] R Cuninghame-Green Minimax algebra Lecture Notes in Economics and Mathe-matical Systems Volume 166 Springer 1979

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[18] S Gaubert Methods and applications of (max +) linear algebra STACS 97 (Lubek)Lecture Notes in Comput Sci vol 1200 Springer Berlin (1997) 261ndash282

[19] S Gaubert Two lectures on the max-plus algebra Proceedings of the 26th SpringSchool of Theoretical Computer Science (1998) 83ndash147

[20] J Golan Semi-rings and their applications Updated and expanded version of Thetheory of semi-rings with applications to mathematics and theoretical computerscience [Longman Sci Tech Harlow 1992 Kluwer Academic Publishers Dor-drecht 1999

30

[21] A Grothendieck Sur quelques points drsquoalgegravebre homologique (French) Tohoku MathJ (2) 9 1957 119ndash221

[22] A Grothendieck Introduction au Langage Fonctoriel Faculteacute des Sciences drsquoAlgerSeacuteminaire 1965-1966

[23] A Grothendieck Reacutecoltes et Semailles Non publieacute VoirwikipediaorgwikiReacutecoltesndashetndashSemailles

[24] R Meyer On a representation of the idele class group related to primes and zeros ofL-functions Duke Math J 127 n 3 (2005) 519ndash595

[25] M V Fedoriuk V P Maslov Semiclassical approximation in quantum mechanicsTranslated from the Russian by J Niederle and J Tolar Mathematical Physics andApplied Mathematics 7 Contemporary Mathematics 5 D Reidel Publishing CoDordrecht-Boston Mass 1981

[26] G Litvinov Tropical Mathematics Idempotent Analysis Classical Mechanics and Ge-ometry Spectral theory and geometric analysis 159ndash186 Contemp Math 535Amer Math Soc Providence RI 2011

[27] S Mac Lane Duality for groups Bull Amer Math Soc 56 (1950) 485ndash516

[28] S Mac Lane I Moerdijk Sheaves in geometry and logic A first introduction to topostheory Corrected reprint of the 1992 edition Universitext Springer-Verlag NewYork 1994

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Page 28: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

qn Il est doteacute de lrsquoopeacuteration n or m = sup(n m) qui joue le rocircle de lrsquoaddition et delrsquoaddition n m 983041rarr n + m qui joue le rocircle de la multiplication Les opeacuterations sur Z sonteacutetendues agrave Zmax par les regravegles

n orminusinfin = minusinfin or n = n foralln isin Z n minusinfin = minusinfin+ n = minusinfin foralln isin Z

Les Frobenius en caracteacuteristique 1 de lrsquoassertion 123 dotent le semi-anneau Zmax drsquouneaction canonique du monoiumlde multiplicatif Ntimes des entiers positifs non-nuls Elle estdonneacutee concregravetement par les endomorphismes Frk isin End(Zmax)

Ntimes rarr End(Zmax) k 983041rarr Frk(n) = kn (1)

On note 983142Ntimes le topos des ensembles doteacutes drsquoune action de Ntimes Il est le dual de la petitecateacutegorie ayant un seul objet lowast dont les endomorphismes forment le semigroupe Ntimes

Definition 131 Le Site Arithmeacutetique est le topos 983142Ntimes muni du faisceau structurel O =Zmax consideacutereacute comme un semi-anneau dans le topos

Cette structure geacuteomeacutetrique tregraves simple de topos (semi)anneleacute a les proprieacuteteacutes requi-ses pour que lorsque lrsquoon prend ses points sur le semi-corps Rmax

+ munis de lrsquoactionnaturelle du ldquogroupe de Galois

AutB(Rmax+ ) = Rlowast

+ Frλ(x) = xλ

on retrouve lrsquoespace non-commutatif que jrsquoavais introduit dans [7] et qui permet [8]par la formule de traces de [7 24] drsquoobtenir la distribution N(u) de comptage sous-jacente agrave la geacuteomeacutetrie des nombres premiers En particulier avec C Consani nousavons montreacute dans nos travaux [8] que la fonction zecircta de type Hasse-Weil associeacutee agraveN(u) est la fonction zecircta de Riemann complegravete

Theorem 132 Lrsquoensemble des points du site arithmeacutetique sur Rmax+ srsquoidentifie au quotient de

lrsquoespace de classes drsquoadegraveles QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowast Lrsquoaction des automorphismes deFrobenius Frλ de Rmax

+ sur ces points correspond agrave lrsquoaction du groupe des classes drsquoidegraveles surle quotient de QtimesAQ par lrsquoaction de Zlowast

Pour calculer la distribution N(u) qui ldquocompte le nombre de points fixes de lrsquoaction duflot de Frobenius sur les points de (983142NtimesZmax) sur Rmax

+ on deacutefinit lrsquoaction ϑuξ(x) =ξ(uminus1x) du groupe des classes drsquoidegraveles G = GL1(AQ)GL1(Q) sur les fonctions agravevaleurs complexes sur lrsquoespace des classes drsquoadegraveles QtimesAQ et on utilise la versiondistributionnelle de la formule des traces de [7 24] sous la forme

Trdistr

983061983133

Gh(u)ϑ(u)dlowastu

983062= sum

visinΣQ

983133 prime

Qtimesv

h(uminus1)

|1 minus u| dlowastu (2)

Le site des freacutequences est obtenu agrave partir du site arithmeacutetique (983142NtimesZmax) de [1011] parextension des scalaires du semicorps booleacuteen B au semi-corps tropical Rmax

+ Crsquoest en

28

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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[15] J Dixmier On some Clowast-algebras considered by Glimm J Functional Analysis 1(1967) 182ndash203

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[19] S Gaubert Two lectures on the max-plus algebra Proceedings of the 26th SpringSchool of Theoretical Computer Science (1998) 83ndash147

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[21] A Grothendieck Sur quelques points drsquoalgegravebre homologique (French) Tohoku MathJ (2) 9 1957 119ndash221

[22] A Grothendieck Introduction au Langage Fonctoriel Faculteacute des Sciences drsquoAlgerSeacuteminaire 1965-1966

[23] A Grothendieck Reacutecoltes et Semailles Non publieacute VoirwikipediaorgwikiReacutecoltesndashetndashSemailles

[24] R Meyer On a representation of the idele class group related to primes and zeros ofL-functions Duke Math J 127 n 3 (2005) 519ndash595

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Page 29: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

tant que topos le produit semi-direct [0 infin)⋊Ntimes de la demi-droite Euclidienne [0 infin)par lrsquoaction du semi-groupe Ntimes des entiers positifs par multiplication Ses points sim-plement cette fois en tant que points drsquoun topos sont les mecircmes que ceux du sitearithmeacutetique deacutefinis sur Rmax

+ et forment le quotient QtimesAQ de Q par lrsquoaction de Zlowastdu Theacuteoregraveme 132 Ce que lrsquoon gagne en deacutecrivant ce mecircme espace comme les pointsdu site des freacutequences crsquoest un faisceau structurel qui srsquoobtient canoniquement agrave partirde celui du site arithmeacutetique Le faisceau structurel du site des freacutequences est donneacutepar les fonctions convexes affines par morceaux et il donne au site des freacutequences lastructure drsquoune courbe tropicale dans le topos 983142Ntimes La restriction de cette structure auxorbites peacuteriodiques donne pour chaque nombre premier p un analogue Cp = Rlowast

+pZ

drsquoune courbe elliptique ClowastqZ Les fonctions rationnelles les diviseurs et le problegravemede Riemann-Roch ont un sens et le degreacute drsquoun diviseur prend toute valeur reacuteelleNous deacuteterminons dans [12 13] le quotient du groupe des diviseurs par le sous-groupe des diviseurs principaux et montrons que crsquoest le produit Rtimes Z((p minus 1)Z)A chaque diviseur D est associeacute un problegraveme de Riemann-Roch dont lrsquoespace des so-lutions est noteacute H0(D) Nous deacutefinissons la dimension continue dim(H0(D)) isin R+

de ce Rmax+ -module comme limite des dimensions topologiques normaliseacutees Nous

montrons la formule de Riemann-Roch pour Cp Les dimensions agrave valeurs reacuteelles im-pliqueacutees dans la formule de Riemann-Roch viennent de la densiteacute dans R du sous-groupe Hp sub Q des fractions ayant pour deacutenominateur une puissance de p et de ladeacutefinition des dimensions comme limites quand n rarr infin des dimensions normaliseacuteespminusndim(H0(D)pn

) Crsquoest lrsquoanalogue en caracteacuteristique 1 de la dimension continue detype II pour les modules sur les Clowast-algegravebres [15]Le prochain objectif est celui de deacutevelopper une theacuteorie de (co)homologie de Weilapproprieacutee pour donner lrsquointerpreacutetation de la distribution N(u) du site arithmeacutetique(983142NtimesZmax) en termes de lrsquoaction du Frobenius sur cette (co)homologie puis de deacutemon-trer un theacuteoregraveme de Riemann-Roch sur le carreacute du site arithmeacutetique et de lrsquoappliqueraux diviseurs associeacutes aux combinaisons lineacuteaires des correspondances de Frobeniuscomme esquisseacute dans [14]

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Page 30: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

[5] Cartier Pierre Logique cateacutegories et faisceaux [drsquoapregraves F Lawvere et M Tierney[Myles Tierney]] (French) Seacuteminaire Bourbaki 30e anneacutee (197778) Exp No 513pp 123ndash146

[6] P Colmez J P Serre Correspondance Grothendieck-Serre Socieacuteteacute Matheacutematique deFrance (2001)

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[10] A Connes C Consani The Arithmetic Site Comptes Rendus Matheacutematiques SerI 352 (2014) 971ndash975

[11] A Connes C Consani Geometry of the Arithmetic Site Adv Math 291 (2016) 274ndash329

[12] A Connes C Consani The scaling site C R Math Acad Sci Paris 354 (2016) no1 1ndash6

[13] A Connes C Consani Geometry of the scaling site Selecta Math (NS) 23 (2017)no 3 1803ndash1850

[14] A Connes An essay on the Riemann hypothesis Open problems in mathematicsSpringer 2016

[15] J Dixmier On some Clowast-algebras considered by Glimm J Functional Analysis 1(1967) 182ndash203

[16] R Cuninghame-Green Minimax algebra Lecture Notes in Economics and Mathe-matical Systems Volume 166 Springer 1979

[17] Gabriel Pierre Des cateacutegories abeacuteliennes (French) Bull Soc Math France 90 1962323ndash448

[18] S Gaubert Methods and applications of (max +) linear algebra STACS 97 (Lubek)Lecture Notes in Comput Sci vol 1200 Springer Berlin (1997) 261ndash282

[19] S Gaubert Two lectures on the max-plus algebra Proceedings of the 26th SpringSchool of Theoretical Computer Science (1998) 83ndash147

[20] J Golan Semi-rings and their applications Updated and expanded version of Thetheory of semi-rings with applications to mathematics and theoretical computerscience [Longman Sci Tech Harlow 1992 Kluwer Academic Publishers Dor-drecht 1999

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[21] A Grothendieck Sur quelques points drsquoalgegravebre homologique (French) Tohoku MathJ (2) 9 1957 119ndash221

[22] A Grothendieck Introduction au Langage Fonctoriel Faculteacute des Sciences drsquoAlgerSeacuteminaire 1965-1966

[23] A Grothendieck Reacutecoltes et Semailles Non publieacute VoirwikipediaorgwikiReacutecoltesndashetndashSemailles

[24] R Meyer On a representation of the idele class group related to primes and zeros ofL-functions Duke Math J 127 n 3 (2005) 519ndash595

[25] M V Fedoriuk V P Maslov Semiclassical approximation in quantum mechanicsTranslated from the Russian by J Niederle and J Tolar Mathematical Physics andApplied Mathematics 7 Contemporary Mathematics 5 D Reidel Publishing CoDordrecht-Boston Mass 1981

[26] G Litvinov Tropical Mathematics Idempotent Analysis Classical Mechanics and Ge-ometry Spectral theory and geometric analysis 159ndash186 Contemp Math 535Amer Math Soc Providence RI 2011

[27] S Mac Lane Duality for groups Bull Amer Math Soc 56 (1950) 485ndash516

[28] S Mac Lane I Moerdijk Sheaves in geometry and logic A first introduction to topostheory Corrected reprint of the 1992 edition Universitext Springer-Verlag NewYork 1994

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Page 31: Un topo sur les topos - Alain Connesl’ENS. (organisateur du séminaire : Frédéric Jaëck (ENS), transcription : Denise Vella-Chemla). Je remercie Denise Vella-Chemla pour son aide

[21] A Grothendieck Sur quelques points drsquoalgegravebre homologique (French) Tohoku MathJ (2) 9 1957 119ndash221

[22] A Grothendieck Introduction au Langage Fonctoriel Faculteacute des Sciences drsquoAlgerSeacuteminaire 1965-1966

[23] A Grothendieck Reacutecoltes et Semailles Non publieacute VoirwikipediaorgwikiReacutecoltesndashetndashSemailles

[24] R Meyer On a representation of the idele class group related to primes and zeros ofL-functions Duke Math J 127 n 3 (2005) 519ndash595

[25] M V Fedoriuk V P Maslov Semiclassical approximation in quantum mechanicsTranslated from the Russian by J Niederle and J Tolar Mathematical Physics andApplied Mathematics 7 Contemporary Mathematics 5 D Reidel Publishing CoDordrecht-Boston Mass 1981

[26] G Litvinov Tropical Mathematics Idempotent Analysis Classical Mechanics and Ge-ometry Spectral theory and geometric analysis 159ndash186 Contemp Math 535Amer Math Soc Providence RI 2011

[27] S Mac Lane Duality for groups Bull Amer Math Soc 56 (1950) 485ndash516

[28] S Mac Lane I Moerdijk Sheaves in geometry and logic A first introduction to topostheory Corrected reprint of the 1992 edition Universitext Springer-Verlag NewYork 1994

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