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La science, si prodigieusement habile `a peser les astres les plus lointains et `a comprendre jusqu’aux mondes que nos sens ne per¸ coivent plus, ´ echoue `a calculer cette part d’innommable ou d’indicible qui devrait nous importer plus que tout autre 1 . Transition de Phase : Physique et Math´ ematique 2 Charles-Edouard Pfister Section de Math´ ematiques, EPFL 1. Introduction La relation physique-math´ ematique est profonde et ne se r´ esume pas ` a une simple question d’´ ecriture ` a l’aide de symboles math´ ematiques. Si les math´ ematiques ont toujours eu un rˆole de premier plan dans la m´ ecanique des corps c´ elestes, ce n’est que vers la fin du XVI e et au d´ ebut du XVII e que les math´ ematiques vont jouer un ole essentiel 3 , lorsque la physique d’Aristote est mise de cˆ ot´ e et que la m´ ecanique eleste et la m´ ecanique sublunaire (qui traite des ph´ enom` enes qui ont lieu sur la terre) sont unifi´ ees 4 . Le but de cette le¸con n’est cependant pas de traiter cette relation physique-math´ ematique d’un point de vue fondamental, ni d’en expliquer sa sp´ ecificit´ e 5 . Ces questions ont ´ et´ etudi´ ees maintes fois, sous des aspects et points de vue tr` es divers, entre autres dans [IREM], [L-L] et [DG] ; voir aussi [Bo]. J’aborderai, ` a travers un exemple, un autre aspect, moins fondamental mais eanmoins tr` es remarquable, de cette relation physique-math´ ematique : des concepts math´ ematiques introduits pour les besoins sp´ ecifiques de l’approfondissement d’un domaine de la physique peuvent parfois devenir ´ egalement des concepts importants dans d’autres branches des math´ ematiques qui n’ont a priori aucune relation directe avec les questions de physique ´ etudi´ ees. Le domaine que j’ai choisi est celui de la physique statistique classique de l’´ equilibre. 1. Philippe Jaccottet, El´ ements d’un songe, Gallimard, pp. 127-128 (1961). 2. Version augment´ ee de ma le¸con d’honneur du 22 octobre 2013. 3. Dans son livre Il Saggiatore [Cha] G. Galil´ ee (1564-1642, math´ ematicien, physicien et astronome) ´ ecrit : Je crois, en outre, d´ eceler chez Sarsi la ferme conviction qu’en philosophie il est ecessaire de s’appuyer sur l’opinion d’un auteur c´ el` ebre et que notre pens´ ee, si elle n’´ epouse pas le discours d’un autre, doit rester inf´ econde et st´ erile. Peut-ˆ etre croit-il que la philosophie est l’oeuvre de la fantaisie d’un homme, comme L’Iliade et le Roland furieux, o` u la v´ erit´ e de ce qui y est ´ ecrit est la chose la moins importante. Il n’en est pas ainsi, Signor Sarsi. La philosophie est ´ ecrite dans cet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais on ne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord `a en comprendre la langue et ` a connaˆ ıtre les caract` eres avec lesquels il est ´ ecrit. Il est ´ ecrit dans la langue math´ ematique et ses caract` eres sont des triangles, des cercles et autres figures g´ eom´ etriques, sans le moyen desquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot. Sans eux c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur. 4. Le changement capital, qui a eu lieu ` a la fin du XVI e et au d´ ebut du XVII e si` ecle, est l’unification de ces deux m´ ecaniques. J. Kepler (1571-1630, astronome allemand) utilise dans son ´ etude du syst` eme solaire, qui est bas´ ee sur le mod` ele de N. Copernic (1473-1543, chanoine, m´ edecin et astronome polonais) des concepts de la m´ ecanique sublunaire et peut franchir une ´ etape d´ ecisive en introduisant pour les plan` etes des trajectoires qui ne sont pas des cercles, ce qui ´ etait en esaccord avec les id´ ees de Copernic et de l’astronomie en g´ en´ eral (le chapitre IV du livre de Copernic [Co], Des R´ evolutions des Orbes C´ elestes, s’intitule Que le mouvement des corps c´ elestes est uniforme et circulaire, perp´ etuel, ou compos´ e de [mouvements] circulaires). D’un autre cˆ ot´ e Galil´ ee s’inspire des id´ ees de la m´ ecanique des corps c´ elestes dans sa th´ eorie du mouvement, ce qui le conduira ` a reformuler compl` etement la notion de mouvement avec la loi de l’inertie et celle de la chute des corps. (voir [Fi]). 5. La physique se distingue d’autres domaines des sciences, comme les sciences du vivant.

Transition de Phase : Physique et Mathématique 2

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Page 1: Transition de Phase : Physique et Mathématique 2

La science, si prodigieusement habile a peser les astres les plus lointains et a comprendre

jusqu’aux mondes que nos sens ne percoivent plus, echoue a calculer cette part d’innommable ou

d’indicible qui devrait nous importer plus que tout autre 1.

Transition de Phase : Physique et Mathematique 2

Charles-Edouard PfisterSection de Mathematiques, EPFL

1. Introduction

La relation physique-mathematique est profonde et ne se resume pas a unesimple question d’ecriture a l’aide de symboles mathematiques. Si les mathematiquesont toujours eu un role de premier plan dans la mecanique des corps celestes, ce n’estque vers la fin du XVIe et au debut du XVIIe que les mathematiques vont jouer unrole essentiel 3, lorsque la physique d’Aristote est mise de cote et que la mecaniqueceleste et la mecanique sublunaire (qui traite des phenomenes qui ont lieu sur laterre) sont unifiees 4. Le but de cette lecon n’est cependant pas de traiter cetterelation physique-mathematique d’un point de vue fondamental, ni d’en expliquersa specificite 5. Ces questions ont ete etudiees maintes fois, sous des aspects et pointsde vue tres divers, entre autres dans [IREM], [L-L] et [DG] ; voir aussi [Bo].

J’aborderai, a travers un exemple, un autre aspect, moins fondamental maisneanmoins tres remarquable, de cette relation physique-mathematique : des conceptsmathematiques introduits pour les besoins specifiques de l’approfondissement d’undomaine de la physique peuvent parfois devenir egalement des concepts importantsdans d’autres branches des mathematiques qui n’ont a priori aucune relation directeavec les questions de physique etudiees. Le domaine que j’ai choisi est celui de laphysique statistique classique de l’equilibre.

1. Philippe Jaccottet, Elements d’un songe, Gallimard, pp. 127-128 (1961).2. Version augmentee de ma lecon d’honneur du 22 octobre 2013.3. Dans son livre Il Saggiatore [Cha] G. Galilee (1564-1642, mathematicien, physicien et

astronome) ecrit : Je crois, en outre, deceler chez Sarsi la ferme conviction qu’en philosophie il estnecessaire de s’appuyer sur l’opinion d’un auteur celebre et que notre pensee, si elle n’epouse pas lediscours d’un autre, doit rester infeconde et sterile. Peut-etre croit-il que la philosophie est l’oeuvrede la fantaisie d’un homme, comme L’Iliade et le Roland furieux, ou la verite de ce qui y est ecritest la chose la moins importante. Il n’en est pas ainsi, Signor Sarsi. La philosophie est ecrite danscet immense livre qui se tient toujours ouvert devant nos yeux, je veux dire l’Univers, mais onne peut le comprendre si l’on ne s’applique d’abord a en comprendre la langue et a connaıtre lescaracteres avec lesquels il est ecrit. Il est ecrit dans la langue mathematique et ses caracteres sontdes triangles, des cercles et autres figures geometriques, sans le moyen desquels il est humainementimpossible d’en comprendre un mot. Sans eux c’est une errance vaine dans un labyrinthe obscur.

4. Le changement capital, qui a eu lieu a la fin du XVIe et au debut du XVIIe siecle, estl’unification de ces deux mecaniques. J. Kepler (1571-1630, astronome allemand) utilise dans sonetude du systeme solaire, qui est basee sur le modele de N. Copernic (1473-1543, chanoine, medecinet astronome polonais) des concepts de la mecanique sublunaire et peut franchir une etape decisiveen introduisant pour les planetes des trajectoires qui ne sont pas des cercles, ce qui etait endesaccord avec les idees de Copernic et de l’astronomie en general (le chapitre IV du livre deCopernic [Co], Des Revolutions des Orbes Celestes, s’intitule Que le mouvement des corps celestesest uniforme et circulaire, perpetuel, ou compose de [mouvements] circulaires). D’un autre coteGalilee s’inspire des idees de la mecanique des corps celestes dans sa theorie du mouvement, ce quile conduira a reformuler completement la notion de mouvement avec la loi de l’inertie et celle dela chute des corps. (voir [Fi]).

5. La physique se distingue d’autres domaines des sciences, comme les sciences du vivant.

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C’est un fait familier que l’eau peut se trouver dans trois etats differents, ap-peles en physique phases, qui sont l’etat gazeux (la vapeur), l’etat liquide et l’etatsolide (la glace), et que l’eau peut passer d’un etat a un autre, par exemple du gaz auliquide, ce que l’on nomme la liquefaction ou condensation. Ce phenomene est appeletransition de phase en physique et a ete un theme majeur de la physique du XXe

siecle. L’approfondissement de son etude mathematique en mecanique statistique, apartir du milieu des annees 1960, debut des annees 1970, a conduit a un ensemblede resultats que l’on a parfois regroupe sous le nom de mecanique statistique ri-goureuse d’apres le titre d’une monographie de Ruelle 6, parue en 1969, StatisticalMechanics. Rigorous Results [Ru3]. A la meme epoque, en etudiant les mesures inva-riantes pour les systemes d’Anosov, Sinai 7 et Bowen 8 ont remarque des similitudesavec certains problemes de mecanique statistique. Sinai, voir les papiers fondateurs[S1], a ainsi introduit la notion de mesure de Gibbs et des idees developpees enmecanique statistique de l’equilibre dans l’etude des systemes d’Anosov. Une partiede la theorie generale de la mecanique statistique a ete reecrite par Ruelle pourune classe particuliere de systemes dynamiques [Ru4]. C’est l’origine du formalismethermodynamique, qui a ete fortement marque par les travaux de Bowen et Ruelle(voir [Bow2] et [Ru5]).

Je commencerai par enoncer un resultat de base du formalisme thermodyna-mique en systemes dynamiques. Considerons un espace metrique compact (X, d),l’intervalle [0, 1] avec sa distance naturelle, et une application continue T : X → X,

T (x) :=

{2x si 0 ≤ x ≤ 1

2

2− 2x si 12≤ x ≤ 1.

Figure 1. La transformation T : [0, 1] → [0, 1] et les trois premierspoints x0, x1, x2 d’un itineraire.

Le couple (X,T ) definit un systeme dynamique 9. On peut se representer un pointx ∈ [0, 1] comme la position d’un marcheur, qui, a chaque seconde, se deplace selonune loi fixee par l’application T . Si au temps initial le marcheur se trouve en x0,

6. D. Ruelle (1935) physicien mathematicien francais d’origine belge.7. Ya.G. Sinai (1935) mathematicien russe.8. R. Bowen (1947-1978) mathematicien americain.9. Cet exemple de systeme dynamique est un systeme a un degre de liberte : un seul nombre

reel suffit a determiner l’etat du systeme en un instant donne.

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apres une seconde il se trouve en x1 = T (x0), apres deux secondes en x2 = T (x1)et ainsi de suite. L’itineraire du marcheur est la suite de ses positions au cours dutemps, x0, x1 = T (x0), x2 = T (x1), x3 = T (x2) . . .. Le systeme est deterministe carun itineraire est univoquement determine par son point initial. Considerons aussiune fonction continue f : X → R. Une operation naturelle est l’evaluation de cettefonction le long d’un itineraire x0, x1, . . . xn−1,

(Snf)(x0) := f(x0) + f(x1) + · · ·+ f(xn−1) .

Soit ε > 0 une quantite reelle et n un nombre entier. Un sous-ensemble fini 10 E deX est (n, ε)-separe, si quels que soient x, y ∈ E, x 6= y,

∃i , 0 ≤ i ≤ n− 1 , tel que d(T i(x), T i(y)) > ε .

E represente par exemple les positions initiales de plusieurs marcheurs. Pour deuxmarcheurs quelconques de E, il existe un temps i inferieur ou egal a n− 1, tel quepour ce temps i, ces deux marcheurs sont a une distance d’au moins ε l’un de l’autre,i.e. au temps i on peut les distinguer avec une precision finie. On definit

Z(n, ε) = sup{∑x∈E

e(Snf)(x)∣∣∣E (n, ε)-separe

}et

P (T, f) := limε↓0

(lim supn→∞

1

nlogZ(n, ε)

).

Theoreme 1.1 (Walters [Wa1]). Soit M(X,T ) l’ensemble des mesures de probabiliteT -invariantes et hµ(T ) l’entropie metrique de µ ∈M(X,T ). Alors

P (T, f) = sup{hµ(T ) +

∫f dµ

∣∣∣µ ∈M(X,T )}.

Le lien entre ce theoreme et le phenomene de condensation de l’eau n’est pasevident. La majeure partie de cette lecon est une exposition, en suivant un fil histo-rique, de quelques etapes essentielles qui ont conduit de l’observation experimentaledu phenomene de condensation a sa comprehension theorique en physique. A la finde l’expose on etablit le lien entre le theoreme 1.1 et le phenomene de condensation,et on revient a la � conjecture de Mayer � (voir section 5) concernant les isothermesau point de transition de phase.

2. Le phenomene de condensation

Le phenomene de condensation du CO2 a ete etudie experimentalement endetail par Andrews 11, et ses resultats ont ete rapportes dans sa Bakerian Lectureintitulee On the Continuity of the Gaseous and Liquid States [An]. Andrews a montreque cette transition ne peut avoir lieu que dans des conditions physiques determinees.Au-dessus d’une temperature critique il n’y a plus de distinction entre le gaz etle liquide 12 et la condensation ne peut pas avoir lieu. C’est dans ce papier [An]qu’Andrews a introduit la terminologie point critique et temperature critique. Un

10. On montre que si E ⊂ X est (n, ε)-separe, alors la cardinalite de E est necessairementfinie, lorsque X est compact.

11. T. Andrews (1813-1885) chimiste et physicien irlandais.12. Ce fait a ete observe entre autres par le physicien francais C. Cagniard de Latour (1777-

1859) en 1822, et discute par le physicien et chimiste anglais M. Faraday (1791-1867) en 1826 et1845, ainsi que le chimiste russe D. Mendeleev (1834-1907) en 1861. Voir [Go].

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des aspects importants de son travail est la determination experimentale precise desisothermes du CO2 pour des temperatures au-dessus et au-dessous de la temperaturecritique, ainsi que pour la temperature critique.

Figure 2. Pour tous les volumes entre VL et VG la pression est lameme, p = p∗. VG est le volume d’une mole de CO2 a l’etat gazeux etVL est le volume d’une mole de CO2 a l’etat liquide. V ′ = 1

3VL + 2

3VG.

Concentrons la discussion sur une isotherme au-dessous de la temperaturecritique mesuree par Andrews a 30.98oC. On enferme 44 grammes de CO2 (une mole)dans un cylindre a piston mobile. On peut donc varier le volume V du cylindre et onchoisit une temperature fixe T = 21, 5oC. On etudie la relation entre la pression etle volume du cylindre pour cette temperature donnee. On peut reporter les resultatssur un graphe qui definit une isotherme du fluide 13 (voir figure 2). Chaque point dugraphe represente un etat (d’equilibre thermodynamique) du fluide.

Figure 3. Pour T donne les deux phases du CO2 coexistent si p = p∗.Pour V = V ′, VL < V ′ < VG, les deux phases coexistent.

En suivant l’isotherme de droite a gauche, on passe successivement par lespoints A,B,F et G. Au point A le CO2 est un gaz et il reste dans cet etat jusqu’aupoint B ou V = VG ; de A a B la pression augmente pour atteindre p = p∗ (p∗ ' 60atm) lorsque V = VG. Au point F , pour la meme valeur de la pression p∗ et pour

13. C’est une isotherme car la temperature est constante.

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V = VL, le CO2 est un liquide. Si le volume diminue encore, le CO2 reste dans laphase liquide et la pression augmente de nouveau. Pour ces valeurs particulieres dela temperature et de la pression, T = 21, 5oC et p = p∗, le CO2 se trouve dans deuxetats differents qui se distinguent par leurs densites 14, ρG pour le gaz et ρL > ρGpour le liquide.

Pour le point du segment horizontal FB de l’isotherme caracterise par le vo-lume V ′ = 1

3VL + 2

3VG de la figure 2 on observe experimentalement la coexistence

des deux phases, 23

mole de gaz et de 13

mole de liquide, et leur separation spa-tiale comme indique sur la figure 3. Il y a discontinuite de la densite du fluide : onn’observe pas de situation ou le CO2 serait dans un etat homogene qui aurait unedensite ρ telle que ρG < ρ < ρL. Du point B jusqu’au point F la condensation a lieuprogressivement ; en B on a seulement du gaz et en F tout le gaz a ete liquefie.

3. XVIIe et XVIIIe siecles, l’hypothese atomique

Voici comment Tommaso Cornelio (1614-1684, medecin, mathematicien et phi-losophe italien du royaume de Naples) expliquait les differents etats de l’eau en se ba-sant sur l’hypothese atomique qui affirme que la matiere est formee d’atomes se mou-vant dans le vide, et dont l’origine remonte au moins a Leucyppe 15 et Democrite 16.

Les particules de l’eau [. . .] doivent etre concues comme etant allongees etarrondies. Lorsqu’elles sont agitees et dissoutes lentement, de telle sorte qu’ellespuissent s’infiltrer, elles se presentent sous la forme d’un liquide ; si elles se rai-dissent [par effet du froid], elles forment la glace. Enfin, si elles se mettent a tour-ner rapidement en s’eloignant de plus en plus les unes des autres, c’est la vapeur quiapparaıt [F].

Cette hypothese atomique ne s’est imposee que lentement depuis la fin duXVIe, debut du XVIIe, date ou elle a ete remise en lumiere 17. Malgre des avanceesimportantes, en particulier dues aux chimistes 18, ce n’est qu’a la fin du XIXe, debutdu XXe, siecle qu’elle a ete pleinement acceptee en physique. Jusqu’au XXe siecle iln’y a pas d’experiences qui mettent en evidence directement l’existence des atomesou des molecules (voir a ce sujet Les atomes de J. Perrin [Pe], ainsi qu’un rapportde Maxwell sur les molecules [M2] et [Bo]). D’autre part, les deux principes de lathermodynamique sont enonces independamment de l’hypothese atomique.

On sait maintenant qu’un fluide est forme d’un grand nombre de particules 19

(6.02 × 1023 particules dans une mole de fluide) qui se meuvent dans le vide. Cesparticules ne sont pas immobiles mais possedent des vitesses d’autant plus grandesque la temperature est plus elevee. Au niveau macroscopique, a l’equilibre thermo-dynamique, chaque phase du fluide est homogene et caracterisee par un nombre

14. Masse volumique, rapport masse/volume.15. Leucyppe (460-370 av. J.C.) est un philosophe presocratique et le maıtre de Democrite.16. Democrite (460-370 av. J.C.) est un philosophe presocratique.17. L’hypothese atomique s’oppose a une explication basee sur la physique d’Aristote (384-322

av. J.C., disciple de Platon ∼ 428-348 av. J.C.), qui affirmait que toute chose sur Terre (le mondesublunaire) etait formee a partir de quatre elements, le feu, l’eau, l’air et la terre ainsi que quatreproprietes, humide et son contraire sec, chaud et son contraire froid. Cette physique qualitative etnon quantitative est basee sur la logique developpee par Aristote.

18. Le tableau de Mendeleıev (1834-1907, chimiste russe) est publie en 1869.19. J’emploie pour cette lecon le terme particule indifferemment pour atome et molecule.

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restreint de grandeurs physiques, la temperature, le volume specifique et la pression.Ces grandeurs ne sont pas attribuees a une particule isolee, mais concernent l’etatphysique de toute la collection des particules (plus de 1023 particules) constituant lefluide ; par exemple la temperature est une mesure de l’agitation de ces particules.Tout autre est la description du fluide si on l’observe a l’echelle microscopique, i.e. aune echelle ou l’on distingue les particules (voir figure 4). Pour cela il faut examinerle fluide avec un microscope qui permet d’obtenir un agrandissement d’environ unmilliard de fois. L’etat du fluide a cette echelle et a un instant donne est specifieen donnant toutes les positions et toutes les vitesses des particules, qui sont desgrandeurs physiques attachees a chaque particule individuellement 20.

Figure 4. Fluide agrandi un milliard de fois. A gauche la phasegazeuse et a droite la phase liquide en un point de transition de phase.

L’explication de Cornelio est purement qualitative. Il ne deduit pas, a partirde l’hypothese atomique, que la condensation a lieu pour des valeurs precises de latemperature et de la pression, ni qu’il y a coexistence des phases liquide et gazeuse.A la fin du XVIIe siecle un tournant essentiel a lieu : la publication de l’oeuvre monu-mentale de Newton 21, les Philosophiae Naturalis Principia Mathematica (1686). Laphysique dite classique que l’on enseigne aujourd’hui est fondee sur ce texte majeur.Voici comment s’exprime Newton dans la preface des Principia [N] :

... toute la difficulte de la Philosophie paraıt consister a trouver les forcesqu’emploie la nature, par les Phenomenes du mouvement que nous connaissons, eta demontrer ensuite, par la, les autres Phenomenes 22. [...] Il serait a desirer que lesautres Phenomenes que nous presente la nature, pussent se deriver aussi heureuse-ment des principes mecaniques : plusieurs raisons me portent a soupconner qu’ilsdependent tous de quelques forces dont les causes sont inconnues, et par lesquellesles particules des corps sont poussees les unes vers les autres, et s’unissent en figuresregulieres ou sont repoussees et se fuient mutuellement ; et c’est l’ignorance ou l’ona ete jusqu’ici de ces forces, qui a empeche les Philosophes de tenter l’explicationde la nature avec succes. J’espere que les principes que j’ai poses dans cet Ouvragepourront etre de quelque utilite a cette maniere de philosopher, ou a quelque autreplus veritable, si je n’ai pas touche au but.

20. Un tel systeme est classe parmi les systeme a “une infinite” de degres de libertes.21. Isaac Newton (1643-1727) philosophe, mathematicien, physicien et alchimiste anglais.22. Dans les Principia, apres avoir determine la force de gravitation, Newton deduit a partir

de celle-ci les mouvements des planetes, des cometes, de la lune et de la mer.

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Le contraste entre l’explication qualitative de Cornelio et les Principia, traite dephysique mathematique avec definitions, theoremes et demonstrations, est immense.Dans cette preface Newton exprime une position mecaniste et reductioniste, quiconsiste a expliquer un phenomene physique a partir de la connaissance des forces 23

qui agissent entre les particules. C’est l’approche generalement adoptee depuis enphysique. Dans notre cas cela revient a poser la question suivante : peut-on expliquerle phenomene macroscopique de condensation, non seulement qualitativement maisaussi quantitativement, si l’on connaıt les interactions entre les particules au niveaumicroscopique ?

4. XIXe siecle, l’equation de van der Waals

La loi des gaz parfaits de Boyle 24 et de Mariotte 25 est une des lois que l’onapprend dans un premier cours de chimie ou de thermodynamique :

pV = RT .

V est le volume du gaz pour une mole et R est la constante des gaz parfaits 26. Onobtient immediatement l’equation d’une isotherme, pV = const. : plus le volumediminue, plus la pression augmente. Il n’y a pas de phenomene de condensation.Cela est facile a comprendre puisque l’on peut deduire cette loi a partir du fait quele gaz est forme de particules qui n’interagissent pas entre elles.

En 1873 van der Waals 27 defend sa these de doctorat 28 a l’universite de Leiden,dont le titre en anglais est : On the Continuity of the Gaseous and Liquid States([W1] et [Ro]). C’est le meme titre que celui de l’article [An] d’Andrews. Maxwell 29

a ecrit une longue revue de ce travail dans Nature [M3]. Meme s’il n’est pas d’accordavec van der Waals sur certains points, apres avoir resume l’etat du sujet, il continuesa critique ainsi ([M3] p.409) :

M. Van der Waals, in entering on this very difficult inquiry, has shewn hisappreciation of its importance in the present state of science ; many of his investiga-tions are conducted in an extremely original and clear manner ; and he is continuallythrowing out new and suggestive ideas ; so that there can be no doubt that his namewill soon be among the foremost in molecular science.

23. Newton n’explique pas la cause de la gravitation : [...] je considere ces forcesmathematiquement et non physiquement ; ainsi le Lecteur doit bien se garder de croire que j’aievoulu designer par ces mots une espece d’action, de cause ou de raison physique, et lorsque jedis que les centres attirent, lorsque je parle de leurs forces, il ne doit pas penser que j’aie vouluattribuer aucune force reelle a ces centres que je considere comme des points mathematiques [N]p.51-52.

24. R. Boyle (1627-1691) chimiste et physicien irlandais.25. E. Mariotte (1620-1684) botaniste et physicien francais.26. R = kBNA, kB la constante de Boltzmann et NA le nombre d’Avogadro, NA ' 6.02×1023.27. J.D. Van der Waals (1837-1923) est un physicien neerlandais.28. Van der Waals n’a pas appris le latin a l’ecole et c’est pourquoi il n’a jamais pu s’immatri-

culer comme etudiant a l’universite. Grace a un changement de legislation il a pu soutenir sa theseen 1873. Quatre ans plus tard il a ete nomme professeur de physique a l’universite d’Amsterdam([Ro] p.11). Sa these a ete traduite en allemand (1881), anglais (1890) et francais (1894). Elle aete republiee en anglais dans [Ro].

29. J.C. Maxwell (1831-1879, physicien et mathematicien ecossais) est l’un des scientifiques lesplus influents du XIXe siecle, connu pour ses travaux fondamentaux en electricite et magnetismeainsi qu’en theorie cinetique des gaz.

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Van der Waals etait convaincu de l’hypothese atomique. Pour lui les moleculesne sont pas une abstraction. Dans sa these il ecrit ceci ([Ro] p.160.) :

In the first place, molecules must be considered not as mere point of mass,but as aggregates built up of atoms just as larger masses of matter are built up ofmolecules.

De meme, a la fin de son discours pour la remise du prix Nobel en 1910 [W2] :

...in all my studies I was quite convinced of the real existence of molecules, thatI never regarded them as a figment of my imagination, nor even as mere centres offorce effects. I considered them to be the actual bodies, thus what we term “body”in daily speech ought better to be called “pseudo body”. It is an aggregate of bodiesand empty space. We do not know the nature of a molecule consisting of a singlechemical atom. It would be premature to seek to answer this question but to admitthis ignorance in no way impairs the belief in its real existence.

Van der Waals est interesse en premier lieu a la pression interne qui resultedes forces d’attractions des molecules entre elles et qui sont a l’origine de la cohesiondes molecules dans l’etat liquide. A partir d’une analyse de la pression interne et detravaux de Clausius 30 sur la theorie cinetique des gaz, il obtient sa fameuse equationd’etat

(p+

a

V 2

)(V − b) = RT .

Figure 5. Une isotherme de l’equation de van der Waals. Entre p−et p+ une droite horizontale passant par p coupe l’isotherme en troispoints P1, P2 et P3.

Dans cette equation V est le volume pour une mole de substance. Le terme a/V 2

donne la pression interne du gaz due aux forces attractives entre les molecules etla constante b est directement liee au fait que les molecules ont une etendue spa-tiale intrinseque. Le fait remarquable de cette equation est qu’elle predit l’existence

30. R. Clausius (1822-1888) physicien et mathematicien allemand. C’est un des fondateursde la thermodynamique ; en particulier il formule le second principe de la thermodynamique etintroduit la notion d’entropie.

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d’un point critique 31. Par contre, en dessous de la temperature critique Tc les iso-thermes ont l’allure indiquee sur la figure 5 et ne reproduisent pas les isothermesexperimentales d’Andrews (figure 2). Une isotherme comme celle de la figure 5avait ete conjecturee deux ans auparavant en 1871 par Thomson 32 dans un travailspeculatif concernant les resultats experimentaux d’Andrews [T].

Pour bien comprendre l’interpretation des isothermes obtenues par van derWaals il faut revenir aux resultats experimentaux d’Andrews [An] et reporter surl’isotherme de la figure 2 uniquement les points ou le CO2 est dans une phase pure.Le volume 33, en fonction de la pression, presente a la transition de phase une discon-tinuite, qui est manifeste sur la figure 6. Thomson suggere qu’il est possible que l’on

Figure 6. Les parties de l’isotherme experimentale d’Andrews ou lesysteme se trouve dans une phase pure.

puisse retablir theoriquement la continuite 34 et propose une isotherme comme sur lafigure 5. Dans son livre sur la theorie de la chaleur [M1], publie egalement en 1871,i.e. avant la these de van der Waals, Maxwell discute en detail l’experience d’An-drews ainsi que les idees recentes de Thomson. Cependant, le probleme theoriqueprincipal non resolu est la determination de l’unique valeur p∗ de la pression pourlaquelle la transition gaz-liquide, observee experimentalement par Andrews, a lieu.En 1871, ni Maxwell, ni Thomson, ne savent comment aborder cette question. Dememe, l’equation d’etat de van der Waals ne permet pas de determiner la valeur dela pression p∗. Par contre les idees conjecturales mises en avant par Thomson sontconfortees par leur accord qualitatif avec les isothermes de l’equation de van derWaals. Van der Waals connaıt les references [T] et [M1] et il apprecie le travail de

31. L’equation de van der Waals contient deux parametres a et b. Les relations entre a et b etles caracteristiques du point critique sont les suivantes :

VC = 3b TC =8a

27bRPC =

a

27b2.

a =27R2T 2

C

64PCb =

RTc8PC

.

32. James Thomson (1822-1892), physicien et ingenieur anglais, frere aıne de Lord Kelvin(William Thomson (1824-1907)).

33. La quantite de matiere dans l’experience d’Andrews est fixe.34. Dans [T] Thomson ecrit : ...although there is a practical breach of continuity in crossing

the line of boiling-points from liquid to gas or from gas to liquid, there may exist, in the nature ofthings, a theoretical continuity across this breach having some real and true significance.

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Thomson (voir [Ro] p.195 et suivantes). Il reprend les idees de Thomson concernantl’interpretation des isothermes.

Dans une lettre a Tait 35, datee du 28 decembre 1874, Maxwell enonce sa regledes aires pour la determination de p∗ et la justifie en quelques mots ([H] p.155-156) :

· · · the horizontal line representing mixed liquid and vapour cuts off equal areasabove & below the curve. Do this by Carnots cycle. That I did not do it in my bookshows my invicible stupidity.

Desormais, dans pratiquement tous les livres de thermodynamique ou de mecaniquestatistique, l’isotherme de l’equation de van der Waals est completee comme sur lafigure 7 et la justification donnee est celle de Maxwell. L’interpretation de l’isothermeest simplement celle suggeree par Thomson et Maxwell : les points sur l’isothermeentre F et E, respectivement B et C, representent des etats metastables 36.

Figure 7. Regle de Maxwell pour determiner p∗ : les aires a1 et a2

sont egales.

Par contre les points situes entre E et C ne peuvent pas representer des etatsobservables directement car ils sont instables puisque la pression augmente avec levolume. Cette partie EDC de l’isotherme est en general qualifiee de non physique, ensuivant essentiellement Maxwell, conclusion qui est cependant rejetee par Thomsonet van der Waals. Thomson suggere que de tels etats peuvent apparaıtre a l’interfaceentre le liquide et le gaz 37. Il est important de souligner que cette partie instablede l’isotherme joue un role essentiel dans la theorie des interfaces et de la tensionsuperficielle de van der Waals. Il en est de meme dans la theorie de Cahn-Hilliard[CH] en 1958, qui reprend les idees de van der Waals.

35. P.G. Tait (1831-1901) physicien et mathematicien ecossais.36. Entre F et E le liquide est “surchauffe” et entre B et C le gaz est “sous-refroidi” ou

“sursature”. Dans le travail speculatif [T] de Thomson il n’y a pas d’argumentation theoriqueelaboree. De plus, l’equation de van der Waals ne permet pas de distinguer un point entre B etC, representant un etat metastable d’apres Thomson, et le point B ou le systeme est dans un etatthermodynamique d’equilibre lorsque la transition de phase a lieu.

37. Dans son livre sur la theorie de la chaleur, [M1] p.127, Maxwell ecrit : the portion ofthe isothermal curve EDC, can never be realised in a homogeneous mass, for the substance isthen in an essentially unstable condition, since the pressure increases with the volume. We cannot,therefore, expect any experimental evidence of the existence of this part of the curve, unless, as Prof.J. Thomson suggests, this state of things may exist in some part of the thin superficial stratum oftransition from a liquid to its own gas, in which the phenomena of capillarity take place.

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5. XXe siecle, Mayer et la mecanique statistique

Dans la deuxieme moitie du XIXe siecle prend naissance une nouvelle branchede la physique, la mecanique statistique, dont les principaux acteurs sont Max-well, Boltzmann 38 et Gibbs 39. Cette branche utilise des concepts de la theorie desprobabilites afin d’obtenir la thermodynamique 40 a partir de la description au ni-veau microscopique, en termes de positions et vitesses des particules et des forcesd’interactions entre les particules. C’est tout a fait remarquable que l’on obtienne ladescription macroscopique d’un systeme, en termes de quelques grandeurs physiquescomme la pression et la temperature, lorsque celui-ci est a l’equilibre thermodyna-mique, sans devoir considerer explicitement les equations du mouvement des parti-cules au niveau microscopique. La formule principale de la mecanique statistique estcelle donnant la fonction de partition 41 (ecrite ici dans une version discrete, pour unvolume V donne et un nombre de particules N fixe),

Z(N, V ) =∑

etats microscopiques ω

e−βE(ω) , β = (kBT )−1 , (?)

ou T est la temperature absolue et kB la constante de Boltzmann. A partir deZ(N, V ) on peut calculer l’energie libre qui decrit le comportement thermodyna-mique du systeme. Au debut du XXe siecle les principes de base de la mecaniquestatistique sont etablis et exposes dans une monographie importante de Gibbs [Gi].Conceptuellement c’est un progres considerable, car on a maintenant a dispositionune methode generale pour aborder des questions telles que celle formulee a la fin dela section 3 : grace a la formule (?) on peut passer d’une description microscopique(membre de droite de (?)) a une description macroscopique (membre de gauche),lorsque le phenomene etudie est decrit par la thermodynamique de l’equilibre.

Progressivement les transitions de phase sont etudiees dans le cadre de lamecanique statistique. Pratiquement, concernant le probleme de condensation, lesprogres sont moins spectaculaires, car il n’est pas possible en general de calculer lafonction de partition Z(N, V ). La plupart des travaux concernent des situations oula densite des particules est faible et pour lesquelles on peut utiliser des methodes

38. L. Boltzmann (1844-1906) physicien autrichien.39. J.W. Gibbs (1839-1903) physicien et mathematicien americain.40. La thermodynamique est la branche de la physique qui decrit comment l’energie se trans-

forme lors de processus macroscopiques en enoncant deux principes fondamentaux. Elle etablitaussi les conditions physiques pour avoir des transitions de phase. L’etymologie du mot “thermo-dynamique” provient de thermo-, du grec θερµoς (thermos) “chaud”, et de dynamique, du grecδυναµικoς (dunamikos) “fort, puissant”. Un memoire important a l’origine de cette branche de laphysique est celui de Sadi Carnot (1796-1832, physicien et ingenieur francais) sur les machines avapeur et qui s’intitule Reflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres adevelopper cette puissance. (1824). Ce memoire explique comment on peut obtenir de la puissanceou du travail a partir de la chaleur.

41. En allemand la terminologie est plus explicite, Zustandssumme. La sommation dans laformule (?) est sur tous les etats microscopiques ω compatibles avec les conditions macroscopiquesdu systeme et E(ω) est l’energie associee a l’etat ω. Il y a une version de (?) ou la somme estremplacee par une integrale. En mecanique quantique on a une formule similaire ou la somme estremplacee par une trace. Une autre formule fondamentale est celle de Boltzmann,

S = kB lnW ,

qui exprime l’entropie S d’un systeme a l’equilibre thermodynamique a partir du nombre d’etatsmicroscopiques W associes a l’etat macroscopique du systeme.

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perturbatives pour evaluer la fonction de partition. Un exemple est le developpementdu viriel, qui exprime la pression en fonction du volume specifique, v = V/N , V etantle volume occupe par N particules,

p

kBT=

1

v+∑i≥2

bi(T )

vi.

Qualitativement, la theorie de van der Waals reste insurpassable pendant de nom-breuses annees. Il est difficile en quelques mots de rendre justice a tous les progresaccomplis par de nombreux auteurs pendant une periode de plus de trente ans.Cependant le travail de Mayer 42 [Ma], ainsi que ceux qui suivent a partir de 1937,constituent incontestablement un tournant dans notre comprehension du phenomenede condensation. L’importance des travaux de Mayer est d’avoir oriente differemmentla recherche theorique plus d’un demi-siecle apres la these de van der Waals.

Dans son travail de 1937 [Ma] Mayer part de la formule (?), lorsque le fluide estun gaz de faible densite, a basse temperature. Ses principales conclusions 43 concer-nant les isothermes du fluide sont :

a) il existe une valeur determinee VG telle que la fonction V 7→ p(V ), V > VG,donne l’isotherme de la phase gazeuse ;

b) pour V < VG la pression reste constante, et par consequent la condensationa lieu pour cette valeur p∗ de la pression.

Consequences principales de cette analyse : 1) on peut determiner 44 la pression p∗

pour laquelle la condensation a lieu a partir de la formule (?) ; 2) on n’obtient pasa partir de la formule (?) un prolongement de l’isotherme de la phase gazeuse, quicorrespondrait a des etats metastables du gaz sursature.

Figure 8. Une isotherme obtenue par Mayer lorsqu’il y a condensa-tion pour la pression p∗.

Le travail de Mayer [Ma] n’est pas un travail de mathematique, mais il a attiretout de suite l’attention. Born 45 et Fuchs 46 ecrivent un article [BF], qui simplifie

42. J.E. Mayer (1904-1983) est un chimiste americain.43. Le modele des gouttelettes, qui sera propose par plusieurs auteurs juste apres le papier de

Mayer [Ma], est un modele-jouet qui permet la mise en oeuvre concrete des idees de Mayer [Fis].44. Sans connaıtre l’isotherme complete, ce qui est necessaire pour la construction de Maxwell.45. M. Born (1882-1970) physicien allemand, prix Nobel de physique en 1954.46. K. Fuchs (1911-1988) physicien theoricien allemand. Il a fourni des informations nucleaires

a l’URSS et a ete condamne comme espion en 1950.

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et clarifie certains aspects du travail de Mayer. Born donne un compte-rendu [B]de leur papier a la conference d’Amsterdam de novembre 1937 en l’honneur ducentieme anniversaire de la naissance de van der Waals. Dans l’introduction de sacommunication il s’exprime ainsi 47 :

I consider this work as a most important contribution to the development of vander Waals theory, which ought to be reported at this meeting, in spite of the fact thatMayer’s methods are rather difficult to understand and his results not completelysatisfactory. [...] In principle, the methods of statistical mechanics should lead toa definite formula [for the isotherms] if the law of force between the molecules isgiven. [...] The work of Mayer is an attempt to solve the general problem of vander Waals rigorously from the standpoint of classical statistics for any law of centralforce between the molecules, and if he has not fully succeeded yet, I consider it as agreat step in advance.

D’autres travaux suivront rapidement 48. Lors du congres d’Amsterdam undebat 49 tres anime pendant la session consacree a la transition gaz-liquide eut lieu,afin de savoir si a partir de la fonction de partition on pouvait calculer en prin-cipe une isotherme associee au phenomene de condensation. En effet, contrairementa la theorie de van der Waals, Mayer n’obtenait pas la partie de l’isotherme cor-respondant a la phase liquide. Le debat ne permis pas de trancher la question.Sommerfeld 50, figure importante de la physique du debut du XXe siecle, pensaitque l’on ne pouvait pas decrire la coexistence de plusieurs phases uniquement a par-tir de la fonction de partition 51. Kramers 52, qui etait le president de cette seance,exposa un point de vue contraire et expliqua l’importance de prendre la limite ther-modynamique, c’est-a-dire la limite ou le nombre de particules du systeme tend versl’infini 53, pour le calcul de l’isotherme 54.

Un aspect interessant et tres important, que je laisse ici de cote, est le role del’etude de modeles simplifies, pour lesquels on peut obtenir des resultats mathema-tiques. Le plus celebre d’entre eux est le modele d’Ising 55. En raison de la difficultea calculer la fonction de partition sans faire des approximations incontrolables, lesresultats mathematiques obtenus ont joue un role decisif dans la comprehensiontheorique des transitions de phase [Dr]. S’il ne fallait citer qu’un seul travail de ce

47. Voir aussi [BF] p.391.48. These de Kahn (1938) [K], Kahn et Uhlenbeck (1938) [KU] par exemple.49. Concernant ce debat voir [Dr] et [BF].50. A. Sommerfeld (1868-1951) physicien theoricien allemand.51. Voir egalement a ce sujet l’introduction de [DB].52. H.A. Kramers (1894-1952) physicien theoricien neerlandais.53. Dans notre cas cela signifie que N →∞ et V →∞, mais V/N = v reste fixe ; on etudie la

pression comme fonction de v.54. Lors de ce debat Kramers proposa de voter sur la question si l’on pouvait expliquer le

phenomene de condensation uniquement a partir de la fonction de partition. Le vote fut sansconclusion veritable [Dr] p.31. En 1937 la notion de limite thermodynamique etait nouvelle ; sonrole (voir reference note 57) n’etait pas encore bien compris dans la communaute des physiciens.

55. Modele d’Ising est la terminologie usuelle. E. Ising (1900-1998), eleve de W. Lenz (1888-1957), a resolu le modele propose par Lenz dans le cas unidimensionnel [Is]. Ce modele a eterapidement supplante par celui d’Heisenberg (Heisenberg-Dirac dans l’ancienne litterature) quitient compte des effets quantiques essentiels pour expliquer le magnetisme. Le modele d’Ising estcependant reste comme un modele theorique, avec plusieurs interpretations differentes : celle d’ungaz sur reseau ou d’un alliage de deux composants. Il deviendra un modele essentiel en physiquestatistique apres le travail d’Onsager [O].

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type, c’est evidemment celui de Lars Onsager 56 [O], donnant la solution du modeled’Ising en dimension deux, qui vient a l’esprit. En mecanique statistique un modelen’est pas necessairement etudie parce qu’il modelise une situation specifique concretede la physique, mais parce qu’il permet d’approfondir la comprehension qualitatived’une idee ou d’un phenomene physique.

A partir du debut des annees 1950, les questions soulevees au congres d’Am-sterdam ne sont plus d’actualite. Il y a en gros un consensus sur les points suivants,a l’exception du point 4 :

1) le point de transition de phase, ou a lieu la condensation, correspond a unesingularite de la pression 57, et il est necessaire de prendre la limite thermodyna-mique ;

2) la fonction de partition suffit pour obtenir une isotherme ; dans la limitethermodynamique on peut obtenir les trois parties (analytiques) de l’isotherme ;

3) la theorie de van der Waals, et d’une maniere generale les theories dites duchamp moyen, ne sont que des theories approximatives ; elles ne sont pas correctesau voisinage du point critique 58 ;

4) a partir de la fonction de partition, dans la limite thermodynamique, on ob-tient seulement les etats d’equilibre thermodynamique et non les etats metastables.

Figure 9. Isothermes au point de condensation. Les parties traitilleescorrespondent a d’hypothetiques prolongements analytiques des iso-thermes representant les phases pures liquide et gazeuse.

Il n’y a pas de consensus par contre pour le point 4). Le fait que la pres-sion a une singularite au point de condensation (par rapport au potentiel chimique)n’exclut pas le prolongement analytique de l’isotherme V 7→ p(V ), V ≥ VG, corres-pondant au gaz, pour des valeurs V inferieures a VG. Dans la litterature on trouve

56. L. Onsager (1903-1976) est un chimiste et physicien theoricien norvegien. Il a recu le prixNobel de chimie en 1968.

57. La pression est ici consideree comme fonction du potentiel chimique. La pression est non-analytique pour la valeur du potentiel chimique a la transition de phase. (Voir C.N. Yang, T.D.Lee, Statistical Theory of State and Phase Transition I, Phys. Rev. 87, 404-409 (1952).)

58. La theorie des phenomenes critiques vient plus tard, au debut des annees 1970 avec lanotion de classe d’universalite. On sait cependant deja que les theories de champ moyen ne decriventpas le voisinage du point critique correctement ; les exposants critiques de ces theories ne sont niceux que l’on observe experimentalement, ni ceux que l’on peut calculer dans le modele d’Ising.

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des travaux etayant l’idee qu’un tel prolongement est possible 59 et que les points dece prolongement representent des etats metastables. Les travaux de Mayer, et ceuxsur le modele des gouttelettes (voir note 43), suggerent au contraire la conjecture 60 :

� Conjecture de Mayer � : la partie de l’isotherme correspondant au gaz est donneepar la fonction analytique, V 7→ p(V ), V > VG ; en VG cette fonction ne peut pasetre prolongee analytiquement pour des valeurs de V inferieures a VG.

6. Mecanique statistique rigoureuse

Dans les annees 1960 on a commence a etudier systematiquement en physiquemathematique 61 les problemes de base de la mecanique statistique en relation avecles transitions de phase, afin d’obtenir sous une forme mathematiquement rigoureuseles principaux resultats de la mecanique statistique enonces a la fin du paragrapheprecedent. Au depart la communaute des physiciens mathematiciens travaillant surces questions etait relativement petite et concentree principalement en Europe 62.C’est a cette epoque que le travail precurseur de Peierls [P] de 1936 sur l’existenced’une transition de phase 63 dans le modele d’Ising a ete redecouvert et a ete unesource d’inspiration feconde. La monographie de Ruelle, Statistical Mechanics [Ru3],qui a eu un enorme impact sur le domaine, contient une grande partie des resultatsde cette direction nouvelle de recherche en physique mathematique jusqu’en 1968-69.La particularite de cette demarche est avant tout de comprendre la mecanique sta-tistique, plutot que de resoudre un probleme particulier. Dans cette periode initialeon etudie des questions de base comme l’existence de la limite thermodynamique,on reexamine le developpement du viriel, le developpement de Mayer, les equationsde Kirkwood, l’existence de transition de phases dans des modeles. Un accomplisse-ment remarquable de cette periode est la derivation des isothermes de la theorie devan der Waals-Maxwell a partir des principes de base de la mecanique statistiquedans la limite de Kac 64. Cette periode est marquee par un foisonnement d’idees etde diverses methodes mathematiques et par beaucoup de creativite. Il est tout afait remarquable que les resultats obtenus ont eu une influence importante dans denombreux autres domaines 65.

59. L’argumentation, lorsqu’elle est donnee, revient en general a prendre, plus ou moins expli-citement, une limite de champ moyen. La theorie de van der Waals est un exemple de theorie dechamp moyen.

60. La terminologie � conjecture de Mayer � est due a M.E. Fisher (1931, physicien, chimisteet mathematicien anglais). Il a formule cette conjecture en 1962 et l’a analysee en detail dans [Fis].Voir aussi [A].

61. Le domaine a la mode en physique mathematique au debut des annees 1960 etait la theoriequantique des champs.

62. Cette direction de recherche en physique mathematique etait tres presente dans le Labo-ratoire de Physique Theorique de l’EPFL situe alors a l’Avenue de l’Eglise Anglaise (Ch. Gruber,H. Kunz, P.-A. Martin).

63. Au debut de [P] Peierls ecrit : The Ising model is therefore now only of mathematicalinterest. Since, however, the problem of Ising’s model in more than one dimension has led to agood deal of controversy ...., it may be worth while to give its solution.

64. C’est la limite ou les interactions ont une portee infiniment longue et sont infiniment faibles[vK], [KUH] et [LP].

65. En plus des domaines consideres aux paragraphes suivants, on peut citer la theorieconstructive des champs euclidiens, des problemes d’optimisation (via l’etude des etats fondamen-taux en prenant la limite de la temperature vers zero), le traitement d’images digitales. Recemment,certaines idees de la theorie de champ moyen ont fait leur apparition dans la theorie des jeux.

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Une des questions considerees pendant ces annees est celle de la caracterisationmathematique des etats d’equilibre dans la limite thermodynamique 66. En mecani-que statistique quantique c’est la notion d’etat KMS 67 [HHW] qui a emerge et qui estune notion importante de la theorie des algebres d’operateurs. Dans le cas classique,deux notions, qui ne sont pas equivalentes, ont ete proposees : d’une part la mesurede probabilite de Gibbs par Dobrushin 68 [Do] et par Lanford 69 et Ruelle [LR], d’autrepart la mesure d’equilibre qui est caracterisee par un principe variationnel (Ruelle[Ru2], voir section 7). La definition des mesures de Gibbs est rapidement devenueune notion standard en theorie des probabilites ; la mecanique statistique mathe-matique (dans le cas classique) est maintenant principalement developpee dans lecadre de la theorie des probabilites, et en constitue un chapitre important. C’estun aboutissement, somme toute assez naturel. Vingt ans apres la monographie deRuelle [Ru3], la plupart des resultats obtenus pendant cette periode sont exposesdans le traite de Georgii, Gibbs Measures and Phase Transitions [G], qui est un livreecrit par un probabiliste, pour les probabilistes. Comme le titre l’indique, les themesde ce livre sont directement empruntes a la physique.

Un autre apport de l’etude mathematique de la mecanique statistique, que jementionne ici seulement en passant, est une nouvelle maniere d’aborder la theoriedes grandes deviations 70. Lanford a montre dans son cours Entropy and EquilibriumStates in Classical Statistical Mechanics (1971) [L], qui reprend et amplifie des ideesde Ruelle [Ru1], comment les estimations des grandes deviations pour l’exempleclassique des variables aleatoires independantes de Bernoulli peuvent etre obtenuesen considerant ces variables aleatoires comme un modele de mecanique statistique eten calculant l’entropie thermodynamique de ce modele. Ces idees ont eu rapidementune influence significative sur le sujet 71.

7. Principe variationnel

Une premiere version du theoreme 1.1 est due a Ruelle [Ru4]. Le theoreme 1.1est la version pour les systemes dynamiques du principe variationnel de la mecaniquestatistique qui definit les etats d’equilibre. Le supremum peut etre pris sur les me-sures ergodiques seulement 72. Une mesure ergodique µ qui realise le supremum,solution du principe variationnel, est un etat d’equilibre 73, car cette mesure decrit

66. Pour une exposition complete voir [Isr].67. Pour les physiciens R. Kubo (1920-1995), P.C. Martin (1931) et J. Schwinger (1918-1994),

prix Nobel de physique en 1965.68. R.L. Dobrushin (1929-1995) mathematicien russe.69. O. Lanford (1940-2013), mathematicien americain.70. R.A. Minlos (1931, mathematicien russe) traite dans son cours Lectures on Statistical

Physics [Mi] les fondements de la physique statistique du point de vue des mathematiques, et meten evidence l’importance de la theorie des grandes deviations pour justifier l’interpretation desvaleurs moyennes calculees en mecanique statistique comme valeurs mesurees experimentalement.

71. R.R. Bahadur, S.L. Zabel, Large deviations of the sample mean in general vector spaces[BZ] et R. Azencott, Grandes deviations et applications [Az]. Ces travaux considerent des variablesaleatoires independantes dans des espaces vectoriels topologiques. Une exposition recente de latheorie dans le cas des variables aleatoires independantes est donnee dans la monographie de R.Cerf [Ce]. Pour le cas des variables aleatoires dependantes, traite dans l’esprit de la mecaniquestatistique, voir [LPS] et [Pf].

72. Si l’entropie est semi-continue superieurement en µ, il y a toujours au moins une mesureergodique realisant le supremum.

73. Cette terminologie est etendue a toute mesure non ergodique qui realise le supremum.

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les proprietes d’une phase pure (gaz, liquide) d’un systeme a l’equilibre thermody-namique en mecanique statistique. La fonction P (T, f) est appelee en systeme dyna-mique pression topologique ; cette terminologie rappelle l’origine de sa definition. Lacorrespondance entre systemes dynamiques et mecanique statistique est la suivante :

X ↔ espace des configurations Γ

action de T sur X ↔ action des translations (spatiales) sur Γ

µ ∈M(X,T )↔ µ mesure de probabilite sur Γ, invariante par translation

Z(n, ε)↔ fonction de partition Z(N, V )∫fdµ↔ energie d’interaction dans l’etat µ (par unite de volume)

n→∞ et ε→ 0↔ limite thermodynamique.

On parle de transition de phase lorsqu’il y a plusieurs etats d’equilibre. L’interpreta-tion en ces termes de l’experience d’Andrews est la suivante (figures 2 et 6) : La phaseliquide au point F et la phase gazeuse au point B sont decrites par deux mesuresergodiques, solutions du principe variationnel ; par contre il n’existe pas de mesureergodique µ, solution du principe variationnel, qui decrirait un etat d’equilibre ther-modynamique du fluide ayant une densite ρ, ρG < ρ < ρL, ou ρL est la densite duliquide en F et ρG la densite du gaz en B.

Le cas sans interaction du theoreme 1.1, f ≡ 0, est interessant (contrairement ala situation equivalente en mecanique statistique) : la pression topologique est alorsl’entropie topologique [AKM], qui est une mesure de la complexite du systeme dyna-mique (X,T ). Le theoreme 1.1 est une extension naturelle du principe variationnelqui relie l’entropie topologique et l’entropie metrique 74,

htop(T ) = sup{hµ(T ) |µ ∈M(X,T )

}.

Un resultat du meme type, obtenu en collaboration avec W. Sullivan en 2007,concerne l’analyse multifractale des moyennes ergodiques ; il s’agit de calculer l’en-tropie topologique 75 des ensembles de niveau

Ka :={x0 ∈ X : lim

n

1

n(Snf)(x0) = a

}, a ∈ R .

Sous des conditions appropriees 76 pour le systeme dynamique (X,T ), l’entropietopologique de Ka est egalement donnee par un principe variationnel [PS] :

htop(T,Ka) = sup{hµ(T )

∣∣∣µ ∈M(X,T ) et

∫f dµ = a

}.

74. Ce principe variationnel a ete etabli, sans reference a la mecanique statistique, par Dina-burg en 1968, et en toute generalite par Goodman en 1970 (voir [Wa2]).

75. Voir [Bow1] ; si E ⊂ X, la definition de htop(T,E) est semblable a celle de la dimensionde Hausdorff, mais en faisant intervenir explicitement la dynamique (via la metrique definissantles boules des recouvrements). Lorsque E = X on obtient l’entropie topologique definie par Adler,Konheim et McAndrew dans [AKM], htop(T,X) = htop(T ).

76. Il suffit que pour chaque µ ∈ M(X,T ), htop(T,Gµ) = hµ(T ), ou Gµ est l’ensemble despoints generiques de µ. L’essentiel du travail [PS] est de caracteriser les systemes dynamiquespour lesquels cette condition est verifiee. Par exemple tous les β-shifts verifient la conditionhtop(T,Gµ) = hµ(T ). Sous des hypotheses differentes ce resultat avait ete obtenu d’une autremaniere par Takens et Verbitskiy [TV].

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8. Conjecture de Mayer et conclusion

La � conjecture de Mayer � (section 5) concerne l’absence de prolongementanalytique des isothermes au point d’une transition de phase de premier ordre.On ne sait pas la demontrer pour un fluide au point de condensation, mais ellea ete etudiee dans des modeles plus simples, discrets, principalement le modeled’Ising. Plusieurs travaux (contradictoires) ont ete publies a ce sujet, et ce n’estqu’en 1984 qu’Isakov, dans un travail remarquable de physique mathematique [I],a montre qu’il n’y a pas de prolongement analytique des isothermes du modeled’Ising au point de transition de phase, a basse temperature. En 2003 ce resultata ete considerablement etendu par Sacha Friedli dans sa these de doctorat [Fr] atout point de la variete de coexistence de deux phases, pour n’importe quel modeleque l’on peut analyser par la theorie de Pirogov-Sinai 77. Cette theorie, voir [S2],compte parmi les chapitres principaux de physique mathematique en mecaniquestatistique. Elle permet d’etablir mathematiquement, a partir du diagramme desetats fondamentaux, le diagramme des phases a basse temperature pour une grandeclasse de modeles discrets.

La figure 10 est un exemple d’un diagramme des phases d’un systeme avec troisphases distinctes. Au point b ∈ γ12 il y a une transition de phase du premier ordreavec coexistence des phases 1 et 2. Si la temperature T est suffisamment basse,on montre qu’une isotherme le long du chemin de a1 a a2, en partant de a1, estanalytique jusqu’au point de coexistence b, mais ne possede pas de prolongementanalytique au-dela de b. (Il en est de meme si l’on part de a2.)

Figure 10. Diagramme des phases a temperature T fixee d’unmodele a trois phases 1, 2, 3 avec deux parametres µ1 et µ2 (poten-tiels chimiques). Les courbes γ12, γ23 et γ13 delimitent les regions oule systeme se trouve dans une phase pure 1, 2 ou 3. La courbe γij estla variete de coexistence des phases i et j. Ces varietes se rejoignentau point Q ou les trois phases 1, 2 et 3 coexistent.

Dans sa these Friedli etudie aussi la version du modele d’Ising avec potentielsde Kac de portee finie γ−1, γ ∈ (0, γ0). Pour une temperature suffisamment basse,fixe et independante de γ, il montre l’absence de prolongement analytique au point detransition de phase, quelle que soit la portee du potentiel. Par contre on peut modifier

77. S.A. Pirogov, Y.G. Sinai, Phase Diagrams of Classical Lattice Systems, Teor. Mat. Fiz.25, 358 (1975) and 26, 61 (1976).

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les modeles, en excluant une classe appropriee de configurations microscopiques, detelle sorte que 1) la pression du modele modifie est aussi proche que l’on veut decelle du modele original pourvu que γ soit suffisamment petit ; 2) il y a prolongementanalytique des isothermes au point de transition des modeles modifies.

Ces resultats mettent fortement en doute l’existence des parties traitillees dela figure 9 et la possibilite d’obtenir les etats metastables 78, du point de vue dela thermodynamique, par prolongement analytique. L’analyse mathematique tresfine de Friedli est en accord avec celle que l’on peut faire de facon rudimentaire enutilisant le modele des gouttelettes.

L’apport de l’etude mathematique des transitions de phases, non seulement enphysique statistique, mais de facon tout a fait inattendue a la theorie des systemesdynamiques, est indeniable. Cependant, du point de vue de la physique mathematique,le programme de Newton enonce dans la preface des Principia reste largement inac-cessible. Par exemple, on ne sait pas construire un modele simple pour un fluide, endonnant les interactions entre les particules, et demontrer, uniquement a partir desprincipes de base de la mecanique statistique, que les isothermes sont comme cellesde la figure 11 dans le voisinage du point critique, sans mentionner le probleme del’existence de la phase solide !

Figure 11. Isothermes pour un fluide simple. Le point P est le point critique.

Je remercie chaleureusement Daniel Ueltschi pour plusieurs discussions et sug-gestions, en particulier concernant les notes 41 et 55, qui m’ont ete tres utiles lorsde la preparation de la version finale de ce texte.

78. La difference principale entre un etat metastable et un etat d’equilibre thermodynamiqueest l’instabilite dynamique. Depuis le travail pionnier [PL] en physique mathematique de O. Pen-rose (1929, physicien theoricien anglais) et J.L. Lebowitz, (1930, physicien mathematicien), de tresgrands progres ont ete accomplis dans la comprehension de l’instabilite dynamique (voir [OV]).Cependant il existe des substances dans des etats metastables qui perdurent pendant des mil-lions d’annees ; une theorie complete des etats metastables doit aussi decrire cet aspect statique.Concretement, la notion meme d’equilibre thermodynamique est une notion difficile a definir. Dans[Fe], p.1, R. Feynman (1978-1988, physicien americain, prix Nobel de physique en 1965) introduitcette notion ainsi : If a system is very weakly coupled to a heat bath at a given “temperature,” ifthe coupling is indefinite or not known precisely, if the coupling has been on for a long time, andif all the “fast” things have happened and all the “slow” things not, the system is said to be inthermal equilibrium. Pour la physique des etats metastables, voir [D] ; le chapitre 2 est consacre ala description thermodynamique de ces etats.

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