Michel Paty - La Tradition Mathématique Arabe 1987

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RÉSUMÉ: De l'histoire des mathématiques arabes, nous ne savions jusqu'à présent, tout compte fait, qu'assez peu de choses. C'est une histoire morcelée, lacunaire, voire difformée par des présupposés idéologiques comme celui que la science est occidentale. Au mieux considérait-on la transmission par les mathématiciens arabes de l'héritage grec et, ici ou là, quelques précurseurs tardivement retrouvés. Des travaux, depuis une quinzaine d'années, nous donnent une image plus objective, fondée dans les faits (documents retrouvés et analysés) et dans l'étude rigoureuse de ce champ de rationalité. C'est une véritable tradition mathématique arabe qui se présente ainsi à nos yeux, depuis l'invention de l'algèbre jusqu'à ses renouvellements à la rencontre de l'arithmétique et de la géométrie, dont les mathématiciens de la Renaissance européenne ont été tributaires. On ana­ lyse ici les recherches récemment publiées de R.Rashed, philosophe et historien des mathématiques arabes.

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  • 5/9/2018 Michel Paty - La Tradition Mathmatique Arabe 1987

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    Archives de Philosophie 50, 1987, 199-217.

    LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABEpar Michel PATY

    RESUME: De l'histoire des mathematiques arabes, nous ne savions jusqu'dpresent, tout compte fait, qu'assez peu de choses. C'est une histoire mor-celee, lacunaire, voire dejormee par des presupposes ideologiques commecelui que la science est occidentale. Au mieux considerait-on la transmis-sion par les mathematiciens arabes de l'heritage grec et, ici ou ld, quelquesprecurseurs tardivement retrouves. Des travaux, depuis une quinzained'annees, nous donnent une image plus objective, fondee dans les faits(documents retrouves et analyses) et dans l'etude rigoureuse de ce champde rationalite. C'est une veritable tradition mathematique arabe qui sepresente ainsi a nos yeux, depuis l'invention de l'algebrejusqu'a ses renou-vel lements a la rencontre de l 'ari thmetique et de la geometric. dont lesmathematiciens de fa Renaissance europeenne ont ere tributaires. On ana-lyse ici les recherches recemment publiees de R. Rashed, phi losophe ethistorien des mathematiques arabes.

    SUMMARY: The history of Arabic mathematics wasformerly little known.It was considered as being mostly a handl ing down of the Greek inheri-tance. Recent research has shown that there has been a genuine Arabictradi tion in mathematics , from the invention of algebra to its renewaltowards arithmetic and geometry upon which Renaissance mathematiciansin Europe have been dependent. New research by R. Rashed is analysed.

    Vingt annees de recherches sur l'histoire des mathematiques,notamment arabes, ont abouti a la publication recente par RoshdiRashed, philosophe et historien des sciences, chercheur au CNRS, deplusieurs volumes dont l 'importance s'avere considerable, quant a leurcontenu sur les mathernatiques arabes e t la revelation de textes perdusjusqu'ici de l'alexandrin Diophante, mais egalement quant a larnethodologie qui s 'y trouve mise en pratique! 2. Nous consacrons les

    I. Roshdi RASHED, Entre arithmetique et algebre. Recherches sur l'histoire desmathematiques arabes. Les Bel les Lett res, Par is, 1984, 324 p. Voi r ega lement l areference plus recente a la note ? J . .2. DIOPHANTE, Les Arithmetiques, tome III (Livre IV, Des cartes et des cubes), et

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    tome IV (Livres V, VI, VII), traduits du grec en arabe par Qusta ibn Liiqa deBaalbek ; texte etabli et traduit en francais par R. Rashed, Les Belles Lettres, Paris,1984: t. III, I-CCVI + 162p.; t. IV, CXXXIV + 197 p. (La pagination en chifTresromains correspond a la presentation, a la t ranscr ipt ion et aux commenta ires deR. Rashed; celie en chifTresarabes au texte de Diophante, dans sa version arabe etdans la traduction francaise),3. Outre les themes abordes dans eet article, les travaux de R. Rashed portent surla philosophie et l 'histoire des sciences en general: mathematique et societe chezCondorcet, la mathematisation des doctrines informes, etc.4. Entre arithmetique et algebre, op. cit ., introduction.

    employee, I'autre it I 'ideologie de la science occidentale. Laissons pourI'instant la derniere de cote; I'au tre trouve son contre-exemple avec lestravaux de Roshdi Rashed, et Entre ari thmetique et algebre constitueprecisement une importante percee vers une meil leure comprehensionde l'apport des savants arabes au progres des rnathematiques.L'historien des sciences, pour R. Rashed, doit prendre pour guideune interrogation theorique, seule susceptible de degager sous lamultiplicite des noms, des ecrits, et des faits, les axes latents souslesquels s'est develop pee la rationalite - ou plutot les ratlonalites>-mathernatique elle-meme , et cette interrogation constitue en fait unemethode heuristique de decouverte. C'est elle qui a conduit I'auteur itexhumer des textes inconnus et it devoi ler des courants theor iquesignores jusqu'alors, enfouis dans l'empir ie , jusqu'a identifier lesprincipales s tructures des mathernatiques arabes. Cel les-ci se si tuent itla jonction entre algebre et arithmetique d'une part, entre algebre etgeometric d 'autre part: jonction qui est celle d'une dynamique d'alleret retour entre les termes de chacun de ces couples.Le volume paru 1est consacre au premier ensemble, et il est passion-nant de suivre le fil de cette logique des raisons, patiemment devoileeaux travers des faits memes par Ie travail de l'auteur. Comme leschapitres du livre sont aut ant de travaux pub l ies au cours d'unedouzaine d'annees (notamment dans les Archive for History of ExactSciences) et que l'ordre chronologique de publication differe de celui,logique, de presentation des chapitres, on peut pour ainsi direaccompagner les recherches de l 'auteur dans ce devoilement progress ifqui n'etait pas evident au depart: au terme, avec l'ouvrage qui nous estpresente, les diverses etudes, soit du commencement et des recommen-cements de l'algebre, soit de l'analyse numerique, soit des equationsnumeriques, soit de la theorie des nombres et de I'analyse combina-toire, convergent avec une coherence proprement e to nn an te - et tota-lement convaincante - vers une comprehension tres neuve de cettestructure des rnathernatiques arabes qui etait restee jusqu'icitotalement inapercue, Ce qui apparait, c'est en efTet que tous leschamps mentionnes se determinent autour d'une dialectique entrealgebre et arithrnetique, qui appart ient en propre aux mathernaticiensarabes, qui correspond it une tradition dans leur espace intellec tuel, etqui aboutit it renouveler de maniere decis ive l'heri tage des mathemati-ques grecques, les Livres d'Euclide et les Arithmetiques de Diophante.

    pages qui suivent it l'analyse de ce qui appara it desormais comme uneQ?uvre, avec ce que le terme comporte de systematique et de globalcomme aboutissement, celui d'un travail - qui fut certainement debenedictin - , d 'une recherche pour suivie dans une direct ion clairementmarquee et dont les resultats enrichissent desorrnais substantiellementun domaine peu ou mal connu de l'histoire des sciences'.

    HISTOIRE DES SCIENCES, ERUDITION ET METHODOWGIE

    L'histoire des mathematiques arabes est une partie fort mal connuede l 'histoire des mathematiques, De ce continent englouti ernergeaientjusqu'ici quelques faits, quelques noms, quelques elements banalises ( lemot algebre, les chifJres arabes ...), dissemines, sans que I'on sacheexactement ce qui avait ete apporte de nouveau et d'original, hors lasimple transmission du savoir heri te des grecs, t raduit , por te ainsi it laconnaissance de l'Occident. A cette meconnaissance, plusieurs raisons.Tout d'abord, la difficulte de faire un choix dans des sources hete-rogenes, de discerner ce qui est important, innovation et decouverte degrande por tee, et ce qui est banal ou mediocre. Les meil leurs his torienss 'y laissent prendre, peut-etre parce qu' ils ne s' interrogent pas vraiment sur I'ordre des raisons des propositions ou des resultats interes-sants ; et qu'ils s'en tiennent it une concept ion purement erudi te, tradi-tionnelle, de I 'histoire des sciences ou I'ordre his torique se resume itl'ordre chronologique des auteurs , lequel, comme les donnees histo-r iques sont tres lacunaires, reste voue it etre part iel et precaire 4 . IImanque, en par ticulier , entre des auteurs si tues it des epoques differen-tes, toute la chaine des intermediaires. En somme, Ie continent n'estpas vraiment (ou du moins totalement) englouti, mais on ne sa it pas ytrouver son chemin. Considerons par ailleurs son extension, dans l'es-pace et dans le temps. II est impossible it qui s'occupe des sc iencesarabes de se limiter it une region ou un pays, et il doit en outretravai ller dans la diachronie, car il s 'agi t d'au moins sept s iecles d'act i-vite mathematique, Les deux autres raisons de notre meconnaissancedes mathernatiques arabes t iennent l 'une it la methode habituellement

    LA NAISSANCE DE L'ALGEBRE ET LA FORMATION D'UNE TRADITIONALGEBRIQUE

    C'est au debut du neuvierne siec le que nait l'a lgebre, avec l'ouvragede al-Kwarizmi (av. 800-847) in titule Le livre concis du calcul de

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    202 M. PATY LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABE 203l'algebre et d'al-muqdbala : pour la premiere fois dans I'histoire,l'algebre apparait comme une discipline autonome, et en possession deson nom . Encore ne suffisait-il pas de Ie dire, il fallait le montrer. Ala difference d'autres historiens, R. Rashed se pose le problerne de lapensee algebrique d'al-Kwarizrni : que represente exactement l'algebre,comme definitions, comme problemes abordes, comme formalisat ion,comme applications pratiques'. L'on se trouve, des ce texte, devantune veritable pensee de l'algebre, nouvelle par rapport aux ecrits ante-rieurs: l'algebre s'y presente en effet comme une theorie de porteegenerale, relative aussi bien aux nombres qu'aux grandeurs geometri-ques, et generale aussi quant a ses operations (l'unite de l'algebre), tresdifferente de la tradition arithmetique, R. Rashed montre comment,dans la pen see d'al-Kwarizmi, Ie cal cui algebrique devient autonome,deja gros de ses developpements ulterieurs, et en particulier del'arithmetisation de l'algebre. Ce premier expose d'algebre despolynomes ne se presente en effet aucunement comme une successionde problernes a resoudre, comme c'etait le cas auparavant, mais il part des termes primitifs dont les combinaisons doivent donner tousles prototypes possibles, lesquels vont desorrnais explicitementconstituer le veritable objet d'etude s ; et la notion d'equation estconsideree, des son apparition, pour elle-rneme, de maniere gene-rique , deliberernent appelee a designer une classe infinie de pro-blemes , Un deuxieme stade de generalite est caracterise par l'intro-duction de la notion de forme normale d'une equation (p.ex.:x2 + p X = q, etc...). Par ail leurs, le programme que se fixait al-Kwariz-~i eta~t de ramener. tous les problernes traites en algebre a des equa-tions a une seule mconnue et a coefficients rationnels positifs dusecond degre au plus. Davantage qu'a la generalite de l'etre mathema-tique - l'inconnue - dont s'occupe l'algebre, cette nouvelle disciplinerecoit, dans l'oeuvre d'al-Kwarizmi, son unite surtout de la generalitede ses operations, dont la systematisation, des lors rendue possible,sera le fait de ses successeurs, par l'ari thmetisat ion de l 'algebre. Ainsis'eclaire , peut conclure l'historien, l'irreductibilite de Ia contributiond'al-Kwarizrni, qui renvoie a la nouveaute du type de rationalitemathernatique elle-meme .Nous avons deja, avec ce premier echantillon, une idee de lamethode de R. Rashed en histoire des sciences. Cette analyse de laforme theorique du nouveau savoir, rigoureusement menee, est d'uneimportance bien plus fondamentale que les enquetes sur les sources de

    la pensee de ce matbematicien, A en~~etes dont les conclu~i?ns s~~ttoutes controversees : elle apparait d ail leurs comme la condition preli-minaire de toute recherche des sources. La genese de l'algebre ne peuten effet etre comprise que connaissant la forme de la pen see algebriquechez son premier auteur recon~u. Toute enqu~te q~i orr;:ttra!t. deconsiderer cette forme releverait surtout de 1exercice d erudition.Comme l'ecrit I 'auteur, au lieu de se demander ce qu'al-Kwarizrni apu lire, ilvaut mieux, nous semble-t-il, chercher pourquoi il a pense cequ'aucun de ses predecesseurs n'avait pu concevoir. C'est toutl'interet de ce travail, rigoureux du point de vue de la recherchehistorique, de montrer par l'exemple que cette derniere ne prend toutson sens qu'a la lumiere de l'etude epistemologique, et cette recherchevaut ainsi tout autant par ses analyses proprement mathernatiques quepar sa portee methodologique. C'est un trait que ~ous r~trouvons d~n~les autres chapitres du livre, lequel, de cette maruere, suinte pour amsidire, a chaque page, de philosophie".Des l'epoque d'al-Kwarizmi commence a prendre corps une tradi-t ion qui developpe Ie calcul algebrique, la theorie des equations, I 'ana-lyse indeterminee - et ceci avant que ne soient traduites en arabe lesArithmetiques de Diophante. Un siecle et demi plus tard se produit unrenouvellement - veritable recommencement - de cette algebre desor-mais developpee et enrichie, grace a l'arithmetique. C'est en effetl 'ar ithmetisation de l 'algebre, c 'est-a-dire I 'application des operationsde I'arithmetique (addition, soustraction, multiplication, division,extraction de racines), jusque-la restreinte aux seuls nombres, auxexpressions algebriques et en particulier aux polynomes, qui s 'effectueavec al-Karaji (deb. 10" siecle-deb. 11" siecle) et ses successeurs,notamment al-Samaw'al (mort vers 1180). II s'agit d'operer sur lesinconnues au moyen de tous les instruments arithmetiques, cornmel'arithmeticien opere sur les connues , selon l'expression d'al-Samaw'al.Ces developpements s'appuient sur l'algebre d'al-Kwarizmi et sur latraduction des Arithmetiques de Diophante. Al-Karaji etudie demaniere systematique les exposants algebriques, applique les opera-tions de I'arithmetique aux expressions algebriques, et les etend auxtermes et aux expressions algebriques irrat ionnels. Ces derniers etaientconsideres depuis Euclide comme des concepts et proprietes geometri-ques, et non comme des nombres, et c'est la generalisation operee par

    . 5. L'etude sur al-Kwarizrni, qui figure en tete de l'ouvrage, est une des plusrecentes de l'auteur : R. RASHED, L 'i dee de l 'a lgeb re selon a l-Kwar izm i , Funda-menta scientiae 4, 1983,87-100. Ce texte avait ete redige, et traduit en russe, pour lacelebration du 1200e anniversaire d'al-Kwarizmi par l'Academie des s ciences deI'U.R.S.S.

    6. Le chapitre 1, sur Les commencements de l 'a lgebre , comporte, out re l 'e tudesur al-Kwarizmi, les etudes suivantes : Al-Karaji , in C . Gill ispi e (ed. ), Dictionaryof scientific biography, Scribner's sons, New-York, vol. 7, 1973, p. 240-246 ; Recommencements de l'algebre aux XIe et XIIe siecles , in J.E. Murdoch andE.D. Sylla (eds.), Cultural context of medieval learning, Reidel, Dordrecht, 1975,p. 33-60 ; L'induction mathernat ique : a l-Kara ji , a l-Samaw'al , Archive for historyof exact sciences 9, 1972, 1-21.

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    204 M. PATY LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABE 205I'algebre, laquelle se rapportait aussi bien aux segments qu'aux nom-bres, qui permit a Al-Karaji de sauter I'obstacle de la difficulteconceptuel le, en se concentrant sur la structure algebrique, Ce qui s'ef-fectuait par la, c'etait une veritable reinterpretation des Elementsd'Euciide, valides desormais non seulement pour la geometrie maispour toutes les grandeurs, et portes des lors dans Ie domaine de latheorie des nombres.On doit egalement a Al-Karaji la premiere preuve par inductionmathematique (si une relation, vraie pour Ie n-ieme terme d'une suiteI'est pour I~ terme n + 1, et si elle est vraie pour Ie premier terme, alorselle est vraie pour tous les termes), Ie calcul du binome (a + b)" etendu

    a n quelconque superieur a 2, des theorernes sur la theorie desnombres, et des calculs sur des equations a plusieurs inconnuesjusqu'aux termes quadratiques. Les successeurs d'Al-Karaji etendirentses considerations sur les puissances algebriques, et purent ainsi pro-poser une theorie de la divisibilite des polynornes et de I'extraction dela racine carree d'un polynome a ceefficients rationnels. C'est aveccette t radit ion, souligne R. Rashed, que se constitue l'algebre despolynomes et que l'on parvient a une meilleure connaissance de las tructure algebrique des nombres reels I).Tout en obtenant ces resultats par I'extension proposee du domained'application des operations arithmetiques, les algebr istes arithmeti -ciens rendaient possible un autre recommencement de l 'algebre i qui

    voyait celle-ci non plus liee a l'arithmetique mais rattachee ~ lageometrie, par l'etude systematique des equations cubiques dont ils'agissait des lors de faire la theorie, Certains problemes du troisiernedegre avaient ete poses par I'astronomie (voir l'ceuvre d'al-Binini,973-1048), et il s'agissait de donner de l'ensemble de ces problemesune traduction algebrique, Ces developpernents feront I'objet d'unautre ouvrage de R. Rashed, qui sera Ie pendant de Entre arithmetiqueet algebre, et qui s'intitulera sans doute Entre algebre et geometrie',Mais cet autre recommencement n'est pas independant du premier, etI'on retrouve dans les deux Ie nom d'al-Tusi (12" siecle), par exemple,qui saisit et exprime I'importance du discriminant dans la discussiondes equations cubiques, et chez qui I'on rencontre, non nommee maispresente, la notion de derivee qui fait part ie integrante de la resolut iondes equations algebriques et numeriques,

    cien grec alexandrin Diophante, Les Aruhmetiques. Cet interrnede, s 'ilnous eloigne pour quelques instants de I'histoire du developpement desmathernatiques arabes et rompt provisoirement Ie fil de la comprehen-sion de leur structure, nous est cependant suggere par la logiquepropre it la demarche de I'auteur.Diophante vecut probablement entre Ie 2" et Ie 3" siecle apres I.CB.La tradition manuscrite grecque lui attribuait un ouvrage sur les pro-blernes arithmetiques, dont six livres avaient ete transmis par-del a lessiecles sur les treize annonces par I'auteur dans Ie preambule de sonpremier livre. II semble que les Arithmetiques de Diophante n'aientpas eu d'influence sur les mathernatiques hellenistiques, et ce n'est enfait qu'avec les mathematiciens arabes, quelque temps apres l'ceuvreevoquee plus haut de al-Kwarizrni, que les Arithmetiques ont ete lues,traduites et cornmentees, par l'ecole des algebristes, On savait depuislongtemps qu'il existait une traduction arabe des Arithmetiques faitepar Qusta ibn Luqa de Baalbek dans la seconde moitie du 9" siecle,comprenant sept des treize livres de I'ouvrage du mathematiciensalexandrin. L'historien des sciences F. Woepke remarqua au siecledernier que al-Karaji, it la fin du 10" s iecle, avait resume les troispremiers livres de cette traduction, qui correspondaient aux troispremiers livres du texte grec que l'on connaissait.R. Rashed, au cours de la recherche qu'il menait sur l'ecole desalgebristes arabes et notamment sur al-Karaji, fut amene a decouvrirquatre des sept livres de la traduction arabe demeuree jusque-lainconnue hormis ces resumes: ces livres sont les quatre derniers de latraduction arabe, et s'inserent, dans la sequence de l'ceuvre deDiophante, juste apres les trois premiers livres legues par la traditiongrecque. Mais laissons la parole a I' inventeur, qui evoque sobrement sadecouverte dans une note de bas de page de son introduction it l'edi-tion et traduction critique: C'est pour comprendre Ie developpernentde l'a lgebre arithmetique du x" au XII" siecle, et notamment l'eeuvred'al-Karaji, et de son ecole, que j'ai ete amene it rechercher la versionarabe des Arithmetiques de Diophante. Apres cinq ans d'effortsinfructueux, mes investigations ont abouti, au debut de 1971, mais itune autre decouverte que celie escomptee car en fait je n'etais initiale-ment en quete que de la traduction arabe des six livres grecs edites parTannery, ou du moins cinq d'entre eux. Or, Ie hasard a voulu que jetrouve quatre nouveaux livres, perdus en grec, et n'a mis sur monchemin aucun des six autres? I).Par les methodes de I'historiographie, R. Rashed a pu identifier Ietexte, son auteur, Ibn Liiqa, grand erudit qui effectua de nombreuses

    LA TRADUCTION EN ARABE DES ARITHMETIQUES DE DIOPHANTE

    lei s'impose, dans notre lecture de Entre arithmetique et algebre, uninterrnede relatif it la traduction en arabe de l'ouvrage du mathemati-7. Cet ouvrage est annonce dans l 'int roduct ion de Entre arithmetique et algebre.

    8. R. RASHED, Diophante d'Alexandrie , Encyclopaedia Universalis, vol. 6,1984, p.235-238.9. Voir r ef . de la note 2 , tome 3, introduc tion, note 63, p. UX-LX.

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    206 M. PATYt raduct ions scient if iques et qui traduisi t Les Arithmetiques de Dio-phante probablement au cours des annees 870. Cette traduction est laseule (on ne signale nulle part une autre version eventuelle) et il semblepar ail leurs qu' ibn Liiqa I'a etabl ie it par ti r d'un manuscrit grec unique.Cette decouverte, on I'aura compris, s'inscrit dans la logique d'unerecherche puisqu'il s'agissait, pour son auteur, de determiner lapresence et Ie role de I'ouvrage de Diophante dans les mathernatiquesarabes!".Traduites et utilisees par les premiers algebristes arabes, lesArithmetiques de Diophante ont done tres vite trouve leur place dansles travaux sur I'analyse indeterminee (nous avons vu leur influencesur l'ecole de al-Karaji). Les mathernaticiens arabes les lisaient demaniere a lgebrique, et ce tte lecture a d'ailleurs la isse des traces dansI'emploi de certains termes de la traduction arabe, par ailleursd'excellente quali te, ou des denominat ions de grandeurs geornetr iqueset de nombres se trouvent parfois interchangees, Cette interpretation seretrouve chez les mathematiciens du 16e s iecle (Bombel li , Stevin) etp lus tard encore . Une autre in terpretation (celie de mathernaticienscontemporains) trouve dans les Arithmetiques les elements de lageometrie algebrique, et voit en elles I'origine de ce qui s'est appeledepuis l'analyse diophantienne en theorie des nombres. Pour R.Rashed - analyse de texte et raisonnement rigoureux it I'appui - lesArithmetiques de Diophante sont essentiellement un ouvraged'arithmetique, visant it edifier une theorie arithrnetique dont lese lements constitu tifs soient les nombres, consideres comme plura lited'uni tes, et les part ies fract ionnaires comme fract ions de grandeurs! ' .II e~t vrai que Diophante elargit ces elements it des especes ,relatives aux nombres, qui representent les puissances (il les c lasse en

    10. Voir R . RASHED, Les travaux perdus de Diophante , Revue d'histoire dessciences XXVII (2), 1974,3-30; XXVIII (2), 1975,97-122. Signe de vitalite et d 'im-por tance de la decouverte, e lle a deja e te p il lee e t deformee, comme I' auteur nousI 'apprend avec discretion en note dans son Introduction aux Arithmetiques (vol. 3,n?tc:63, p. LXI) Par aill~~rs, l'histoire de.slivres du texte grec et leur mise au point ontdu etre revues a la lumiere de ces donnees nouvelles: c 'est l 'ceuvre de Andre Allard.La publication complete des Iivres connus de Diophante comprendra, outre les deuxvolumesmentionnes portant sur les chapitres retrouves dans leur traduction arabe unpremier volume d'introduction generale par Andre Allard et Roshdi Rashed' un tomeII comprenant les trois premiers livres des A rithmetiques dans leur texte grec et leurnouvelle traduction en francais par A. Allard; etdes tomes faisant suite aux tomes IIIet IV du texte arabe, comprenant les livres desorrnais numerotes VIII et IX(l'ancienne numerotation de l'edition de Tannery les designait comme les livres IV etV du texte grec), ainsi que Ielivre X sur les triangles rectangles numeriques (anciennenumerotation : VI du texte grec) : tous egalement presentes et traduits par A. Allard.La connaissance des livres en arabe, qui ne se recoupent pas avec les livres connus engrec, a cependant permis d'arneliorer la reconstitution du texte des livres grecs. Onconnait encore de Diophante un chapitre d'un ouvrage sur les Nombres polygones.II. Diophante d'Alexandrie , op. cit.

    LA TRADITION MATHEMA TIQUE ARABE 207lineaire, carree ou multiple de 2, cubique o~ multiple ~~ 3), e~ ~esespeces s'engendrent par composi tin. Les puissances q~ I~ c?nslderedans ses problemes sont d?nc mult~ples de 2 o_u.de 3 (d ou. I abs~ncedans les problemes abordes par Diophante, ou intervient jusqu a laneuvierne puissance, de la puissance 7): Le propos de !'a~t~ur desArithmetiques est de combiner ces especes entre elles a I.aide de~operations de l'arithmetique, la ~olution de chaque p,r~bleme poseetant la reduction des expressions a une seule espece, a I aide des seulsnombres rationnels positifs: jamais les nombres irrationnels alge-briques ne sont consi~eres e~ eux-memes: L:opera~io? sur I~s especes(substitution, e liminatlOn, deplacement) equivaut a I emploi de tech-niques algebriques : d'ou leur influence, I.eu~ transcnptl~n et. ~eurfecondite dans l'algebre recernment constJtuee des mathernaticiensarabes du w e siecle.D'un autre cote, Ie langage de la geometric algebrique permet, siI'on transcrit en ses termes les problemes poses par Diophante et leurresolution, de mieux saisir l'unite des Arithmetiques qui semblent itpremiere vue trai ter de problemes specifiques, sans l ien entre eux quantit leurs methodes de resolution, en faisant percevoir la nature authen-tiquement arithmetique de la demarche de Diophante, e t ( ...) entrevoirun algorithme qui aura it e te applique par Ie mathematicien alexandrin( . .. ) 12 .II est done utile, selon R. Rashed, pour lire Diophante aujourd'hui,d'operer ces deux transcriptions - dans Ie langage de l'algebre et danscelui de la geometric algebrique -, en etant bien conscient de cequ'elles ne se trouvent pas dans Ie texte des Arithmetique~, maisresultent d'une interpretation a posteriori. C'est it un tel travail - denature veritablement mathematique - que s'est livre R. Rashed.mousfournissant ainsi, outre Ie texte litteral de Diophante - en arabe et enfrancais -, ses lectures modernes qui, d'une certaine facon, en eclai-rent la logique et la fecondite ",

    L'INVENTION DES FRACTIONS DECIMALES ET LA RESOLUTION DESEQUALITIONS NUMERIQUESRevenons maintenant it Entre arithmetique et algebre. Un chapitreimportant de l'histoire des mathematiques arabes apparait en pleinelumiere it par ti r des developpernents sur la tradition d'al-Kwarizmi it

    al-Karaji et al-Samaw'al remis justement en perspective par cet12. Les Arithmetiques, ed. Rashed, op. cit., vol. 3, preface, p. VII. Je ne peux entrerici dans Ie detail de cette question, qui exigerait de trop longs developpements. Voir Ievol. 3, chap. 1,ou R. Rashed degage Ie moyen mathematique de cette transcription.13. Cette transcription est donnee dans Ie chapitre 2, vol. 3, et dans Ie chapitre 3,vol. 4.

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    208 M. PATYouvrage : c'est celui de I'extrac tion de la racine n-ieme et de l'inven-tion des fractions decimales 14. R. Rashed nous offre a son propos uneexcellente lecon de philo sophie des sciences, sur Ie theme d'unedecouverte et de son oubli relatif. Des historiens des sciences aussiavertis que G. Sarton et D. Struik rapportaient au flamand Stevin(1548-1620) I'invention des fractions decimales ; puis I'on decouvritI'reuvre d'a l-Kashi, mathematicien arabe du 15e s iecle (mort en 1429) ,ou elles apparaissaient, avant Stevin. On conclut it une inventionisolee, en suite oubliee, puisque l'on ne voyait pas de filiation entreal-Kashi et Stevin. Or, ce pour quoi I'erudition seule est aveugle,l'enquete epistemologique permet de le comprendre. ( Aussiimportantes que les condi tions de possibi li tes d'une invention concep-tuelle , remarque R. Rashed en presentant Ie resulta t de sa recherche,((sont ses propres possibi li tes d'application (qui) lui conferent sa ver i-table real ite historique .Qu'en est- il au sujet des fractions decimales ?C'est prec isement I'examen des conditions de possibilite de ces frac-tions decimales, au confluent du mouvement d'arithmetisation del'algebre et de celui de son renouvellement vers une theorie desnombres, qui a conduit I'auteur it la decouverte de documents inedi ts ,datant des 11e et 12e siecles, dans lesquels on trouve l'expose des frac-tions decimales, la methode dite de Ruffini-Horner et la formulegenerale d'approximation de la racine irrationnelle. II etait des lorspossible d'ecr ire une nouvelle histoire des fractions decimales,C'est chez les mathematiciens de cette periode que l'invention desfractions decimales a pris corps. L'examen des travaux des mathemati-ciens de l'ecole d'al-Karaji montrait qu'ils possedaient ( tous lesmoyens theoriques necessaires it leur conception ,et, de fait , i l s'averaque le Traite d'arithmethique (1172) de I'algebriste al-Samaw'al,

    appartenant a cet te ecole, contenait l' expose mentionne des fractionsdecimales, Celui-ci s'inscrivait dans un ensemble de precedes et demeth~des appliques de I'algebre it des problemes d'arithmetique,constituant ce qu'on appeUe I'analyse numerique, La theorie desfractions decimales fa it su ite, dans ce traite, aux chapitres consacresaux problernes d'approximation de la racine n-ieme d'un nombre. IIs'agissait d 'obtenir une approximation des nombres reels algebriques,chacun etant defini comme une racine de l'equation x" =Q. Cetteapproximation consistait it parvenir it la connaissance du nombre(reel) au moyen d'une suite de nombres connus (rationnels), enramenant l'ecar t entre la racine n-ieme irrat ionnelle et cet te suite it unequantite aussi petite que l'on veut. Ce faisant, le mathematicien14. Entre arithmetique et algebre, op. cit., chapitre 2, L'analyse numerique , Cechapitre reprend I'article suivant : L'extraction de la racine n-ieme et I'invention desfractions decimales (xr-xn- siecles)., Archive/or History 0/ Exact Sciences 18 (3)1978, 191-243. '

    LA TRADITION MATHEMA TIQUE ARABE 209obtenait une representation decimale des fractions, en sorte que (~latheorie des fractions decimales s'offre aUSSI comme la Sol~tlontechnique du probleme a la fois theorique et technique de l 'approxima-tion .Cette reuvre est en realite celle de toute une ecole et non d'un savantisole ; et l'ceuvre d'al-Kashi, au 15e siecle, est tout simplementI'abo~t issement de cet te t radit ion. CeUe-ci est pas see a 1'0ccident bienavant al-Kashi (un manuscrit byzantin recemment decouvert entemoigne), mais avec une per te relative d'information. Ainsi le mystered'un precurseur i sole est-i l dissipe, et I' image de l 'algebre arabe telleque la presente I'his toriographie tradit ionnelle doit -elle etre radicale-ment modifiee.Une rectification semblable s'impose a propos de la resolution desequations numeriques'", qui avait ete generalement rapportee a Viete,mais dont il etait apparu, au 1ge siecle, qu 'elle se trouvait deja chezdes auteurs arabes, et notamment chez al-Kashi mentionne plus haut.Or, l'ouvrage de ce dernier, e le de Taruhmetique; n'est en rea lite queI'aboutissement d'une intense activ ite e tendue sur plusieurs siecles enarithmetique et en algebre, et marquee en particulier par les eeuvres deal-Hayyam (1048-1131, mathematicien et poete , celebre notammentpour ses poemes les Roubayat) et de al-Tusi en algebre et en geometr icalgebrique. Les instruments techniques necessaires it la resolution desequations algebriques etaient precisement ceux que nous avonsrnentionnes, y compris I'ebauche d'etude des courbes par l'algebre envue de tra iter des problemes d 'approximation. C'est a insi que al-Tus!etait deja en possession d'une methode a laquelle se rattache celle deViete ; son texte , tres resume, indique qu'il s'agissait probablementd'un enseignement oral. Exhume par R. Rashed, il const itue une piecea convic tion incontestable et son inventeur peut conciure, au termede son analyse: ( ainsi restituee a son contexte - l'algebre - laresolution des equations numeriques revelera mieux Ie sens qui n'ajamais cesse d 'etre Ie sien : remedier it l'absence d'une solution alge-brique, explicitement par radicaux, des equations de degre superieur adeux.LA THEORIE DES NOMBRESD'autres parties importantes de I'histoire des mathematiques,egalement liees it ce contexte de renouvellement de l 'algebre et de mou-

    vement dialectique qui la ramene it I 'arithrnetique, concernent la theo-

    15. Chapitre 3 : Equations numeriques , comport ant I'article : Resolution desequations numeriques et algebre : Saraf-al-Din al-Tusi, Viete , Archive/or History 0/Exact Sciences 12 (3), 1974, 244-290.

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    21 0 M. PATY LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABE 211rie des nombres!", Celle-ci connait un developpement decisif a part irde l'algebre dont nous avons vu precedemment comment elle avait etefondee, et de l'ouvrage de Diophante traduit quelque temps apres(curieusement, sous le titre L'Art de l 'a lgebre, alors qu'il s'agit desArithmetiques : mais ce choix lui-rneme est significatif). L'analyse ditediophantienne se developpe des le dixieme siecle et un theoremedernontre par Lagrange en 1771 et connu sous le nom de theoreme deWilson, qui se trouve deja chez Leibniz, remonte en realite beau coupplus haut : on le rencontre, explicitement enonce, chez Ibn al-Haytham(965-1040). R. Rashed produit dans son livre Ie texte arabe et sa tra-duction en francais. Le theoreme dit de Wilson stipule que, si unnombre entier n superieur a 1 est premier, Ie produit de tous lesnombres qui Ie precedent plus un (c'est-a-dire (n-l) !+ 1) est egale-ment multiple de n (plus precisernent : ce nombre est congruent a 1modulo n). Nous avons deja evoque plus haut les developpements del 'analyse combinatoire, dont il est interessant de savoir qu'ils sont liesa des travaux des savants arabes dans des champs differents, comme lalinguistique : al -Karaji et al -Samaw'al avaient deja construit , pour lescoefficients du binome, le t riangle de Pascal. D'autres resultatsimportants en theorie des nombres, que I'on a longtemps attribues auxmathematiciens du 17" siecle, se trouvaient obtenus des avant Ietreizieme siecle, grace encore a l'application des concepts et desmoyens de l'algebre au domaine traditionnel - euclidien - de latheorie des nombres . Thabit ibn Qurra (836-901) avait elabore unetheorie des nombres ami abIes et s'etait interesse a la factorisat ion ennombres premiers et a la combinatoire de ces elements (on appelleamiables deux nombres tels que la somme des diviseurs propres de I'un- non compris ce nombre lui-rneme - est egale a l'autre), Certains deces resultat s ont pu passer a l 'Occident (on sait que Fibonacci (1170,ap. 1240), par exemple, etait en relations directes avec les mathemati-ques arabes). D'autres ont ete retrouves independarnment de latradition arabe: par exemple le theorerne d'al-Baghdadi (mort en1037) sur les nombres premiers et les nombres parfaits a ete retrouvepar Descartes et par Fermat! 7.

    16. Chapitre IV : Theorie des nombres et analyse combina to ire , comport an t : L'ana lyse d iophant ienne au x ' s iecle : I'exemple d'al-Khazin , Revue d'Histoire desSciences XXXII (3) , 1979, 193-222; Ibn al-Haytham et Ie theorerne de Wilson ,Archive for History of Exact Sciences 22 (4), 1980, 305-321; Algebre etlinguistique: l'analyse combinatoire dans la science arabe , in R.S. Cohen (ed.),Boston Studies in the Philosophy of Sciences, Reidel, Dordrecht, 1973, p. 383-399 ; Nombres amiables, parties aliquotes et nombres figures aux XIII' et XIVe siecles ,Article for History of Exact Sciences 28 (2), 1983 , 107-147 .17. Un nombre parfait est un nombre entier tel que la somme de ses diviseurspropres (ou parties aliquotes) est egale it ce nombre.

    ENTRE ALGEBRE ET Gl\:OMETRIE : "L'ffiUVRE D'AL-TDsi ET L'APPARITION DE LA DERIVEE.Avant de conelure, revenons quelqu~s ~ns~a?t~ sur }e.pro~leme ?esrelations entre algebre et geometri~ ,qUi n a et7 jusqu ICIqu evoqu~ e~ui est annonce dans Entre arithmetique :t algebre cor:nme un trayall a~enir. Nous avons vu comment, en etudlant I~ question .d~ la resolu-tion des equations numeriques, R, Rashed avait rencon~re I.reuvre m~1

    connue d'al- Tiisi; il laissait entendre. q~e ,cette condt~filbfiu~:o~renaitI ce dans une ceuvre algebrique dont II etait encore I CI e e mesu-~e: exactement l'importance en rai~on de I'absen~e d'etudes et dedonnees bio-bibliographiques, mais egalement e? I a~s~n~~ ~e docu-ments indiscutables". Le Traite .~es eq~ations d al -Tusl n etal! c~nnu'a' travers un manuscrit recopie tardivement en Inde au 18 siecle,qu dificati It" es Surtoutqui pouvait avoir ete altere par des mo I cations u .eneur " ,de multiples erreurs de transcription, et ,des suppressions faites ~~r uncopiste anonyme, rendaient sa lecture, I~certame et tres ~~due" a"cesdifficultes s'ajoutait celie de l'obscunte pr?pre au Traite lui-rneme,etant donne la complexite du sujet et I'extreme lourdeur de la langueordinaire pour en rendre compte, puisqu'il ne s'agit pas d'aut~e ch~seque d'une etude algebrique systematique des courbes ~ll~?t jusqu autroisieme degre. R. Rashed pouvait cependant pressentir I Importanceconsiderable d 'une ceuvre qui partic ipait d 'un autre renou.vellement del'algebre par sa rencontre avec la geometric, ~t notait ~ue, poural-Tiisi, comme pour son predecesseur al-Khayy~m d~nt I re?~r~ estmieux connue'", la figure geornetrique ne joue qu un role auxlh~lre ,qu' il pense fonction et etudie les courbes, au ,moy~n de leur~ equa-tions 20. Ce pressentiment s'accompagnal t d une l~terrogatlO~ surl 'etonnante apparition, pour la determination des .racm,es d'une equa-tion algebrique, de la derivee (non nommee mars pre~~nte. dans s~forme de derivee d 'un polynome de degre n), et de son utlitsatlOn syste-matique, ,Notre attente a cet egard vient d'etre tout recernment ~omble~ ~vecla parutiorr" des (Euvres mathematiqu~s de Sharaf-al pm-al-TusI, e~deux forts volumes, presentees, traduites et analysees par RoshdiRashed":18. Entre arithmetique et algebre, op, cit., p . 147-193 ( l' art icl e corr espondant date

    de 1974). , , , . , d . F W k a19. Le Traite d'algebre de al-Khayyam avait ete edite et tra uit par . oep ~ usiec le dern ie r (Pa ri s, 1851). Voi r l 'edi tion p lus recente su i:vante : L'ceuvre algebnqued'al-Khayyam, editee et traduite par R. Rashed et A. Djebbar, Alep, 1981.20. Entre arithmetique et algebre, op. cit ., p. 192.21. A l' automne 1986. Ce paragraphe sur al- Tiisi a ete ajoute sur epreuves au restede l'article. . .. Xl'"22. SHARAF-AL-DIN-AL-TDsi, tEuvres mathematiques. Algebre et geomen:zeau 1steele. Texte etabli et traduit par Roshdi Rashed, Les Belles Lettres, Pans, 1986, 2

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    21 2 M. PATY LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABE 21 3Le projet d'al-Khayyam, de fonder une theorie des equationsau-del a des formes particulieres - projet qui rend compte de la struc-ture orig inale de son Traite d'algebre -, etait pense comme isole dans

    I'histoire des mathematiques arabes alors que, comme Ie montraitnotre auteur des 1974, il avait inaugure une tradition dont al-Tusi estIe representant eminent. Mais ce dernier n'etait connu que par sonastrolabe lineaire, et son ceuvre mathematique n 'avait pas e te etudiee .Sa vie elle-meme n'a ete I'objet d'aucun ecrit connu, et I'on saitseulement de lui qu'il est ne a Tiis, dans Ie nord de l'Iran, vers la fin dupremier tiers du xrr' siecle, et qu'it a enseigne notamment a Damas,Alep et Mossoul vers 1180. Desormais, avec les publications de ses(Euvres jusqu'ici negligees, il occupe dans I'histoire des mathematiquesune place importante et, avec al-Khayyarn, comb Ie I'intervalle quisepare les Coniques d'Apollonius et la Geometrie de Descartes. R.Ras~ed s'est interesse au Traite des equations des 1970; a la copietardive conservee a Londres, il a pu adjoindre un exemplaire manuscr itanterieur de cinq siecles, qu'il a decouvert dans la bibliotheque dePatna, en Inde, et analyse par les methodes historiographiques : lacomparaison minutieuse et erudite des manuscrits confirrne que Iecontenu du Traite des equations remonte bien a l'epoque d'al-Tiisi etI'historien a pu etablir un texte fiable a partir de la copie du xnr' siecleen s'aidant, pour les parties deteriorees ou absentes, de la copie duXVIII~, laquelle avait eu la premiere pour modele.

    Etablir les faits, etudier les structures theoriques qui les sous-te~dent 23, cette methode, appliquee deja aux Arithmetiques deDiophante, R. Rashed la met egalement en pratique a propos deI'ceuvre d'al-Tusi= ; de sorte que nous disposons ainsi d'un textes.crupuleusement etabl i, accompagne de substant iels exposes explica-tifs, I'un sur la resolution nurnerique des equations et la methodeproposee par al-Ti is i (celIe dite de Ruffini-Horner), qui met en evidencela dem~rche propre a I'au teur, I'au tre comme transcription en langagesymbohque moderne du Tralte et commentaire qui suit Ie texte pas apas.L'aspect Ie plus frappant de I'ouvrage d'al- Tiisi est la cesure entreses deux parties, dont la premiere suit Ie projet de Khayyam et la

    seconde, rencontrant des problemes inedi ts a resoudre, s'en ecarte pourvols. (Vol I: i-cxci : preface, introduction et presentation en francais ; 1-129, textef rancais : 1 -129 en regard , tex te arabe; i -xxvi , p reface et int roduction en arabeVol II : i-cxlii, transcription et commentaire; 1-44, texte francais ; 1-144 en regard:texte arabe; 145-165, notes complementaires et index.)23. R. RASHED,Introduction, in AL-TDsf,(Euvres mathematiques, op. cit., vol. I ,p.IX.

    , 24. L 'ouvrage compor te , out .re . I'~d it ion cri tique du Traite des equations,I Opuscule sur les asymptotes (qui precise un chapitre du Traite) inedit jusqu'ici, et unautr~ ,texte ~o~rt, l 'Epl~e s.ur fa construction d'un probleme geometrique : soi t latotahte des ecnts mathematiques connus d'al-TiisL

    aboutir a definir un nouvel objet mathematique, a une nouvellephenornenologie de I'objet_ Il_1athe~at ique, a ,savoir l 'etude loca~e e~analytique . Khayyarn et Tusl se preo~cupent d u~e dou_?le ~raductlOn , Un probleme geometr ique etant pose, ,on le.ram~ne g~ace a s~ t~aduc.-tion algebrique a l'etude et a la resol~tlOn d u?e eq~atlo~ alge?f1qu~ aune inconnue ; d'autre part, on ramene la resolution dune equationalgebrique - notamment du tr?i~i~me degre -, a l'~ide d'une trad~c-tion, c'est-a-dire par l'intermediaire de courbes, a. ~a con~tructl~ngeornetrique. 25Le Traite se preoccupe, dan~ la premiere? par tl :, apr~savoir defini les proprietes des courbes cornques dont II va etre. faitusage , de resoudre , par la construction geometrique de l~urs racme~,vingt equations de degre inferieur ou egal a t~~IS, apr~~. l.es aVOIrc lassees suivant l'existence ou non de racines positives ; deja innovantpar rapport a al-Khayyam, Tiisi met ~n,evidence Ie role du. ~iscrimi-nant etudie la continuite et la convexite des courbes, en utilisant lesprop~ietes d'intersection des cour?~s du se~ond degre, .et ~nt~?dui t lestransformations affines. La deuxieme partie, consacree a 1etude decinq equations du troisieme degre qui admettent des cas imp~s-sibles , manifeste rapidement une rupture par rapport au projetinitial: en mettant les equations sous la forme f(x) = c, a l-Tiisi estamene a definir I'analyse locale au voisinage d 'un point, par l'e tude desmaxima, et a I'introduction effective (mais muette) de la derivee, itl'occasion de l 'uti lisation des transformations affines (X =x - a, X =x + a) et du calcul des fonctions f(X) correspond antes comparees itf(x). De fait, Tiisi a decouvert, pour la recherche des maxima, lamethode retrouvee plus tard par Fermat pour les maxima et lesminima.La lecture du texte se heurte aux obscurites dues a I'absence delangage symbolique, qui explique peut-etre par ailleurs que lesrecherches en ce domaine se soient epuisees jusqu'au renouvellementdu xvrr' siecle, Le travail de R. Rashed n'en apparait que plusimportant, pour etre parvenu it surmonter la dif ficulte et it nous propo-ser une ceuvre presque transparente. Une tel le exhumation d'une ceuvreaussi considerable est appelee a marquer une date dans l'histoire desmathematiques.LA SCIENCE CLASSIQUE EST MEDITERRANEENNELes travaux de Roshdi Rashed apportent, on le voit, des donnees

    propres it renouveler de rnaniere assez radicale notre connaissance del'h isto ire des mathernatiques arabes, Par leur contenu, tout d'abord,qui montre, avec les arguments difficilement refutables des faitsproduits et analyses avec une rigueur sans concession, l'originalite25. R. RASHED,in AL-TOsI,op. cit., p. XIV.

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    21 4 M. PATYpropre des problernes abordes par les mathematiciens arabes et deleurs solutions. Loin de se reduire , comme les historiens occidentauxI'ont trop souvent considere, it des gloses secondaires sur la traductiondes ouvrages des grecs que les arabes se seraient contentes detransmettre, ces problernes constituent un champ de rationalitecaracterise par une logique et une coherence qui lui sont specifiques :invention veritable de l'a lgebre, puis extension et renouvellement decelle-ci par son arithmetisation et, dans une autre direction, par sageometrisation, puis mouvements en retour sur l'arithmetique et latheorie des nombres ainsi que leurs applications numeriques, Nousvoyons lit se developper une pen see mathematique nouvelle et originale(qui permettra d'expliquer certains miracles des mathernatiques dela Renaissance et du 17e siecle), pensee qui fut non pas celled'individus isoles, mais bien celle d'ecoles de mathematiciens qui deve-lopperent, a travers I'espace de la culture de l'Islam (de I'lran itl 'Espagne) et it travers une longue periode de temps (sept siecles), uneveritable tradition.Outre ce contenu proprement mathematique, d'autant plus riches/qu'il est eclairant, en nous faisant voir les raisons de telle decouverte

    ou de tel developpement, un des enseignements majeurs des recherchesde R. Rashed est de nature methodologique, comme nous I'avons sou-ligne a diverses reprises. L'erudition en la matiere ne suffit pas et doitse soumettre au guide theorique de I'analyse conceptuelle. Le champconcerne possede sa rationalite propre, et I'on ne peut ici qu'invoquerune certaine cloture episternologique de ce champ, telle que l'activiteintellectuelle ne s'y dissout aucunement dans l'exteriorite des circons-tances cul turelles et sociales. On mesure des lors ce qu'est une his toirereelle, comme faits retrouves, independarnment de toute opinion, voirede toute ideologie.Faute de voir analyser avec la rigueur conceptuelle requise les textesdisponibles et les problemes traites, les faits les plus importants eux-

    memes n'avaient pu, dans bien des cas, etre decouverts, et I'on secontentait, pour I'histoire des sciences arabes, en I'absence d'une vuerationnelle, de schemas directement t ributaires d'une conception ideo-logique de la science occidentale I). Or, en histoire comme ailleursrien ne remplace les faits; mais ceux-ci - et moins encore les plussignificatifs d'entre eux - ne se presentent jamais it l'etat brut et lesesprits non avertis passent it cote. II est hautement instructif pour I 'his-toire des sciences que la clarte jetee sur les mathernatiques arabescomme champ de rational ite provienne d'une recherche historique - etmathernatique - qui ne se donne pas pour empirique, ou simplementerudite, mais pour epistemologique, Cette conception a par ailleursune fecondite heuristique de la nature la plus directe, puisque ce sontdes faits les plus depoui lles d'interpretation, en I'occurence des textesnouveaux, jusqu'alors perdus au ignores, que la demarche de I'auteur

    LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABE 215lui a permis de decouvrir : de la traduction .a~abe des li~res p~r~us dumathernaticien alexandrin Diophante au traite des fractions decirnalesd'al-Samaw'al et it la methode de resolution des equations algebriquesde al- Tusi, Mieux que tout developpement philosophique, de telsresultats sont prop res it etayer la pertinence de la dialectisation de lamethode regressive en histoire des sciences proposee par I'auteurdans son introduction.C'est tout un eclairage qui est ainsi porte, different, non seulementsur Ie domaine des mathematiques arabes, mais sur une part impor-tante de I'histoire traditionnelle des mathematiques classiques })elles-memes. La fausse question des precurseurs isoles se voit dissoute(dans Ie cas d'al-Kashi par exemple) : la transmission ~'une traditionbien constituee it l'Occident ne s'est bien entendu pas faite sans pertesni alterations, mais ce n'est de toute facon en rien diminuer I'impor-

    tance des grands mathematiciens europeens des 16e et 17e siecles quede rattacher leurs travaux it l 'heritage de cette tradition. Par la-meme,c'est toute une conception de la periodisation en his to ire des sciencesqui demande it etre modifiee.D'une maniere generale, la nouvelle connaissance ainsi permise dece veri table continent retrouve pour I'histoire des sciences que sont lessciences arabes - qu'on ne peut plus aborder comme une serie d'ilotssepares les uns des autres et ou il reste certainement beaucoup it inven-torier dans les mathernatiques et bien entendu dans les autresdomaines -, cette nouvelle connaissance appelle une critique de lanotion traditionnellement recue de science occidentale I). R. Rashednous propose precisement, en appendice it son livre Entre arithmetiqueet algebre, une analyse de cette notion qui a constitue, par son identifi -cation it celle de science classique, un veritable blocage pour touterecherche objective dans Ie domaine considere'". La force de sonanalyse est de s'etayer sur Ie contenu substantiel des recherches quenous venons de rapporter, montrant ce qu'est I'histoire reelle, commefaits retrouves et compris, en dehors de toute ideologie se masquantsous les pretentions de la simple erudition.Un certain ethnocentrisme nous a longtemps fait croire que lascience classique etait seulement europeenne et ne tenait ses originesque de la science et de la philosophie grecques, tout ce qui n'etait pasoccidental jouant en quelque sorte un role de figurant sur la scene del'histoire des sciences - et cette conception prevaut encore Ie plussouvent malgre les travaux de Joseph Needham sur la science chinoiseet de ceux sur les sciences arabes. S'il y a des apports, pense-t-on, ilsne sont que des supplements techniques qui ne modifient nullement laconfiguration intellectuelle ou l 'esprit des sciences europeennes I).26. Appendice, La notion de science occidentale , paru dans E.G. Forbes (ed.),

    Human Implications of scientific advance, Edinburgh, 1978, p.45-54.

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    21 6 M. PATY LA TRADITION MATHEMATIQUE ARABE 21 7L'idee d'une science classique, europeenne et occidentale, de-veloppee notamment par Fontenelle, d'Alembert, Condorcet, servaitalors it . fixer une etape dans Ie progres universel de I'humanite dans sonensemble. Limitee et deforrnante certes, cette conception n'avait pas Iecaractere etroit, exclusif et rigide qu'elle devait acquerir au 19" siecle,en se parant de pretention scientifique. Elle ne sous-tendait pas unepretendue superiorite occidentale, mais etait seulement appelee it . se

    subsumer dans I'histoiregenerale de l'humanite, La citation suivante del'abbe Bossut la resume assez bien: Les progres que les nations occi-dentales de l 'Europe ont fait dans les sciences, depuis le XVI" sieclejusqu'a nos jours, effacent tellement ceux des autres peuples" .Mais, comme l'explique R. Rashed, ainsi formulee au XVIII" siecle,la notion de science occidentale changera de nature et d'extension autournant du XIX siecle , avec l'essor de I'orientalisme et de I'ecolephilologique allemande, Iaquelle va discrediter les sciences de l'Orientau nom d'une conception pretendument scientifique des langues et deleurs caracteristiques propres. Ces conceptions, representees par lesnoms de F. von Schlegel et Max Muller, se voient relayees en Francepar H. Taine et E.Renan, pour lesquels c'est la notion de race quiconstitue Ie support de l'historiographie (race etant entendue parRenan au sens de mentalite et de langue), et qui croyaient pouvoirpretendre ainsi scientifiquement que c'est en raison de la structure deleur langue que les semites - au contraire des indo-europeens - nepouvaient avoir ni philosophie ni science. La science arabe, pourRenan, etait un reflet de celle des aryens (la Perse, l'Inde, la Grece),Des historiens des sciences aussi avertis que Paul Tannery, PierreDuhem ou Gaston Milhaud ont ete influences par cette representationqui, pour etre oubliee aujourd'hui, n'en a pas moins laisse des tracesdurables, bien perceptibles sinon encore dominantes de nos jours, dontcelle d'une science arabe - ou,plus generalernent, non-occidentale -qui serait incapable de visee ou de pensee theorique, et ne serait que lascience d'artisans preoccupes seulement de dominer les regles de leurart - d'ou sa relegation au domaine des recettes empiriques et dessimples methodes de calcul.Dans les deux directions, de la preoccupation theorique et de l'expe-rimentation - la deuxieme deborde bien sur Ie cadre des travaux icievoques" -, les faits desormais bien etablis de I'histoire des sciencesnotamment arabes font justice de telles presuppositions. La science

    ciassique est en verite issue d'origines diverses et heterogenes . Ceserait la restreindre et fausser I'histoire de son de~~l~ppement que de laconsiderer comme europeenne )}: elle est en vente;, et ce me s~T?bleetre une forte lecon des travaux que nous venons d evoquer, mediter-raneenne. Elle est, disons-Iepour conclure avec I'auteur, Ie pro~~i: deI Mediterranee en tant que foyer d'echanges de toutes les civilisa-t~ons au centre et it . la peripherie de l'Ancien Mende" ,Michel PATYC.N.R.S., equipe REHSEIS(Recherches episternologiques et historiquessur les sciences exacteset les institutions scientifiques), Paris

    27. Abbe Bossut, Discours preliminaire II l 'Encyc!opedie methodique, cit e parR. RASHED, Entre arithmetique e t algebre, op. cit., p. 304.28. Voir cependant sur l'optique geometrique et les modeles experimentauxR. R~SHED, (( .Optique geometri9-ue et doctrine optique chez Ibn al-Haytham,, ;Archl.veJor Hi sto ry o j Exact SCIences 6 (4), 1970,271-298; (( Lurniere et vision:l' ~pphcati on des ma thernati ques dans l'opt ique d' Ibn al -Hay tham , in Roemer et lavitesse de la l umiere (ouvrage co lle cti f) , Vri n, Par is, 1978, pp. 19 -44.

    29. Voir en outre, du merne auteur, les contributions aux deux ouvrages suivants :Jean ITARD, Essais d'histoire des mathematiques, r euni s et i nt rodu it s par R. Rashed,Blanchard, Paris 1984 (cet ouvrage, dont chaque chapitre est precede d'un commen-taire, reunit les travaux particulierernent precieux de Jean Itard, dissemines da~s demulti pl es r evues d 'ac ces sou ven t d if fi cil e, et qui permett ent , i nci demmen t, de res it uerdans leur developpemen t his tor ique d ive rs concepts mathemati ques rencon tr es dansles travaux analyses ici) ; Emile NOI!L (dir. ), Le malin des mathematiciens, e ntre -l iens sur l 'h istoire des mathematiques, avec M. CAVEING, J . DHOMBRES, G. BAV-lOVAN, G. MAZARS, J .C. MARTZLOFF, R. RASHED. Prance-Cul ture/Bel ln, Pa ri s1985, 192 p.