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HAL Id: tel-00617368 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00617368 Submitted on 27 Aug 2011 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’interaction entre la Fédération de l’Education Nationale et sa principale minorité, le courant ” unitaire ”, 1944-1959 Laurent Frajerman To cite this version: Laurent Frajerman. L’interaction entre la Fédération de l’Education Nationale et sa principale mi- norité, le courant ” unitaire ”, 1944-1959. Histoire. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2003. Français. <tel-00617368>

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    Submitted on 27 Aug 2011

    HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

    Larchive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestine au dpt et la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publis ou non,manant des tablissements denseignement et derecherche franais ou trangers, des laboratoirespublics ou privs.

    Linteraction entre la Fdration de lEducationNationale et sa principale minorit, le courant unitaire

    , 1944-1959Laurent Frajerman

    To cite this version:Laurent Frajerman. Linteraction entre la Fdration de lEducation Nationale et sa principale mi-norit, le courant unitaire , 1944-1959. Histoire. Universit Panthon-Sorbonne - Paris I, 2003.Franais.

    https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00617368https://hal.archives-ouvertes.fr

  • Universit Paris I Panthon Sorbonne

    UFR dHistoire

    Thse pour obtenir le grade de

    Docteur en Histoire

    prsente et soutenue publiquement par

    Laurent FRAJERMAN

    Linteraction entre la Fdration de lEducation Nationale et

    sa principale minorit, le courant unitaire , 1944-1959.

    Dirige par Monsieur le Professeur Jacques Girault

    Membres du Jury : Jean-Franois Chanet, Jacques Girault, Antoine Prost, Andr Robert,

    Jean-Louis Robert

    16 dcembre 2003 TOME I

  • Remerciements

    Je voudrais tout dabord remercier mon directeur de thse, Jacques Girault, pour avoir

    accept un sujet si proche de ses proccupations, pour sa disponibilit sans failles et sa

    rigueur. En outre, je lui dois de mavoir confi les notes quil a prises aux archives du PCF.

    La frquentation des sminaires dAntoine Prost et les nombreuses occasions de lentendre

    et de discuter avec lui mont enrichi considrablement.

    Je souhaite galement exprimer ma reconnaissance envers les universitaires qui mont tant

    apport par leurs remarques : Ren Mouriaux, Jean-Louis Robert, Michel Pigenet, Danielle

    Tartakowsky, Bernard Pudal, Frank Georgi, Michel Dreyfus.

    Je songe aussi Claude Pennetier pour mavoir encourag choisir ce sujet et pour notre

    travail prosopographique. Je remercie Andr Robert pour le plaisir pris travailler avec lui sur

    le colloque sur lapoge des syndicalismes en Europe et pour avoir bien voulu confronter nos

    ides sur de nombreuses questions.

    Que mes proches sachent quel point je leur suis reconnaissant :

    Je remercie Rmi Skoutelski, mon vieux complice, pour nos nombreux changes sur la

    question, ses encouragements constants et sa relecture de ces pages.

    A Ccile Ensellem, qui je dois tant : linitiation et la formation au plaisir de la sociologie,

    la discussion passionne de toutes les hypothses, la relecture attentive et exigeante, des

    tches annexes, oh combien ingrates, et enfin le soutien conjugual

    Merci Thierry Bonzon pour la relecture de lintroduction, Laure Godineau pour ses

    conseils, Franoise Rault pour la qualit de son concours sociologique, Pascal Torr pour

    ses remarques avises.

  • Je pense aussi aux docteurs du sminaire de Jacques Girault avec qui jai discut de

    questions thoriques et du syndicalisme enseignant : Robert Hirsch, Loc Le Bars.

    Je suis redevable Georges Mouradian davoir accept de retarder le dmnagement vers

    le CARMOT de nombreux cartons des archives FEN pour que je puisse les consulter sur

    place.

    Merci aux militants de la FEN, devenue UNSA-Education, qui ont toujours prouv leur

    intrt pour lHistoire en maccueillant et en mouvrant leurs archives, si peu de temps aprs

    la scission : Jean-Paul Roux, Guy Putfin, Daniel, Martine Le Gal, Guy Le Neouannic.

    Je remercie Louis Astre, qui outre son interview, a toujours rpondu mes sollicitations.

    Merci aux militants dUnit et Action, pour mavoir accord des entretiens et aid

    dfricher ce champ : Grard Alaphilippe, Andr Drubay, Etienne Camy-Peyret, Daniel

    Renard, Alfred Sorel, Marcel Berge.

    Je pense enfin ma famille, Denis, Claude et Clou, qui a retranscrit mes entretiens.

  • Sommaire

    Tome I

    Glossaire

    Introduction

    Premier volet : 1944-1959 : La FEN et sa principale minorit : analyse

    diachronique dune interaction

    Chapitre 1 : Un enjeu mmoriel : les attitudes des syndicalistes enseignants

    durant les annes sombres

    Chapitre 2 : 1944 - 1946 : La redfinition du syndicalisme enseignant : mutation

    du courant unitaire et naissance de la FEN

    Chapitre 3 : 1947 - 1948 : Le choix dcisif de lautonomie

    Chapitre 4 : 1948 1949 : Les premiers pas de la FEN autonome face la FEN-

    CGT

    Chapitre 5 : 1950-1953 : Lchec des enseignants cgtistes dans leur lutte

    contre la FEN autonome

    Chapitre 6 : 1954 1959 : La cration du courant Bouches du Rhne et

    lactivit syndicale de la FEN

    Second volet : Analyse synchronique du modle FEN et du courant unitaire

    Partie I : Un modle pluraliste, le modle FEN

    7

    11

    45

    47

    89

    161

    233

  • Chapitre 7 : Un modle imiter : reprsentations de la FEN et relations avec

    lextrieur

    Chapitre 8 : Un modle syndical : pratiques revendicatives et identits

    professionnelles

    Chapitre 9 : Un modle organisationnel : appareils et pratiques militantes

    Tome II

    Chapitre 10 : Une spcificit du modle FEN : le jeu des tendances, pour

    canaliser le dbat interne

    Conclusion : Contribution de ltude du modle FEN la rflexion sur le

    syndicalisme

    Partie II : Le courant unitaire, une identit souple

    Chapitre 11 : Quels sont les lments structurants du courant unitaire ?

    Chapitre 12 : Des pratiques syndicales diffrentes ?

    Chapitre 13 : Un appareil dans lappareil

    Conclusion : Nature du courant unitaire : une version muscle du modle FEN

    Conclusion gnrale

    Sources

    Bibliographie

    Annexes

  • Table des matires

  • Glossaire et Abrviations

    AG : Assemble Gnrale, runion de tous les adhrents.

    ASU : LAction Syndicaliste Universitaire, journal mensuel de la FEN-CGT

    BFI : Bulletin Fdral dInformation, bulletin intrieur mensuel de la FEN-CGT

    BN : Bureau National, lu par le congrs pour le SNI et le SNES.

    CA : Commission Administrative ou Conseil dAdministration, lu par le congrs.

    CAPD : Commissions Administratives Paritaires Dpartementales, qui grent les carrires

    des instituteurs.

    CC : Comit Central, instance du PCF ou cours complmentaires, anctre du collge.

    CE : Commission Excutive, lue par le congrs. Organisme quivalent la CA.

    CCN : Comit Confdral National de la CGT, instance dcisionnelle entre deux congrs.

    CN : Conseil National, par exemple pour le SNI, runion de tous les secrtaires

    dpartementaux, instance dcisionnelle entre deux congrs.

    CNAL : Comit National dAction Laque, compos du SNI, de la FEN, de la Ligue de

    lEnseignement et de la FCPE.

    CNJ : commission nationale des jeunes du SNI.

    CNR : Conseil National de la Rsistance.

    CS : Conseil Syndical.

    EE : LEcole Emancipe, journal de la tendance Ecole Emancipe, tendance syndicaliste-

    rvolutionnaire de la FEN.

    EL : LEcole Libratrice, journal hebdomadaire du SNI.

    EP : LEnseignement Public, journal mensuel de la FEN.

    Ex-confdr : ancien membre de la CGT davant 1935, militant rformiste.

    Ex-unitaire : ancien membre de la CGTU davant 1935, militant rvolutionnaire.

    FCPE : Fdration des Conseils de Parents dElves, cre par le SNI et la Ligue de

    lEnseignement.

    FEN : Fdration de lEducation Nationale, nom de la Fdration partir de 1946, pour

    marquer son ouverture aux personnels non-enseignants du ministre de lEducation Nationale.

    FGAF : Fdration Gnrale Autonome des Fonctionnaires, cre en 1948.

    FGE : Fdration Gnrale de lEnseignement, nom de la Fdration entre 1928 et 1946.

    FGF : Fdration Gnrale des Fonctionnaires, transforme aprs en UGFF (CGT).

  • FOL : Fdration des uvres laques, section dpartementale de la Ligue de

    lEnseignement.

    FSM : Fdration Syndicale Mondiale.

    PCF : Parti Communiste Franais.

    SERP : Syndicat de lEnseignement de la Rgion Parisienne, section de la Seine de la FEN.

    SFIO : Section Franaise de lInternationale Ouvrire, parti socialiste.

    SNCM : Syndicat National des Collges Modernes, fusionne en 1948 avec le SNES.

    SNEP : Syndicat National des professeurs dEducation Physique.

    SNES : Syndicat National de lEnseignement Secondaire.

    SNET-FP CGT : Syndicat National de lEnseignement Technique Formation

    Professionnelle, syndicat des Centres dApprentissage, il reste la CGT en 1948 et quitte

    alors la FEN.

    SNET : Syndicat National de lEnseignement Technique, affili la FEN.

    SNETAA : Syndicat National de lEnseignement Technique Autonome Apprentissage,

    affili la FEN dans les Centres dApprentissage.

    SNI : Syndicat National des Instituteurs

    SPES : Syndicat des Personnels de lEnseignement Secondaire, anctre du SNES (avant

    1939), affili la CGT.

    S1 : section dtablissement du SNES, ou du SNET.

    S2 : section acadmique du SNES jusquen 1948, puis section dpartementale du SNES

    (sur le modle du SNCM).

    S3 : jusquen 1948, direction nationale du SNES, puis section acadmique du SNES.

    S4 : partir de 1948, direction nationale du SNES.

    TET : Le Travailleur de lEnseignement Technique, journal mensuel du SNET

    UD : Union Dpartementale, structure dpartementale de la CGT et de FO.

    UFOLEP : Union franaise des uvres laques dducation physique.

    UGFF : Union Gnrale des Fdrations de Fonctionnaires, affilie la CGT.

    UNEF : Union Nationale des Etudiants de France, syndicat tudiant.

    US : LUniversit Syndicaliste, journal bi-hebdomadaire, puis mensuel du SNES.

  • AVERTISSEMENT

    Dans les citations, les passages souligns, en gras, en majuscules ou en italiques

    correspondent la version originale. Si nous avons choisi de signaler limportance dun

    passage par une mise en forme spcifique (en caractres italiques), nous le prcisons en note.

    Nous nindiquons pas systmatiquement les prnoms, dans la mesure o la presse syndicale en

    fait souvent lconomie.

  • Introduction

  • Introduction

    14

    En France, la Fdration de lEducation nationale (FEN) domine le syndicalisme de

    lenseignement public jusquen 1992. Cette organisation autonome depuis la scission

    confdrale de 1948 regroupe plusieurs dizaines de syndicats nationaux, qui reprsentent les

    diverses professions, syndiques massivement la FEN. Le plus connu sappelle le Syndicat

    national des instituteurs (SNI), auquel appartient la majorit des membres de la Fdration.

    Ses structures dpartementales travaillent en liaison avec les unions dpartementales des

    confdrations ouvrires. Lidal lac soude cette organisation modre, partenaire exigeant

    du ministre de lEducation nationale. Sur le plan politique, la direction de la FEN entretient

    des rapports privilgis avec le parti socialiste.

    La FEN possde une face longtemps nglige par les commentateurs et les historiens : sa

    principale minorit, adepte dun syndicalisme combatif et anime notamment par les

    enseignants communistes. Le courant unitaire est analys de faon priphrique, au dtour

    dun paragraphe rituel, sans percevoir son apport, son dynamisme et ses ides. En un sens, on

    a tudi jusquici la majorit de la FEN, assimile abusivement lensemble du groupe, et non

    pas la FEN. Depuis 1992, la cration force et le succs de la Fdration syndicale unitaire

    (FSU) ont impos une attention nouvelle au courant unitaire qui la dirige. Deux paradoxes

    apparaissent : un courant domin depuis sa naissance dans le syndicalisme enseignant occupe

    demble une place majoritaire, et ceux quon a longtemps dsigns comme des cgtistes

    nvoquent pas publiquement la question du retour dans la Confdration. On peut percevoir

    les prmisses de ce renversement de situation dans lvolution du courant, ds les annes

    cinquante.

    Le courant unitaire reprsente un courant dides habituellement cristallis dans un

    syndicat distinct des organisations rformistes. Recueillant selon les annes entre 16,5 et

    36,5 % des mandats1, il bnficie de la masse critique ncessaire la constitution dune autre

    organisation. Dans le paysage syndical franais, il est rare que des militants dots de cette

    capacit et divergeant de la majorit sur autant de questions importantes restent leur place de

    minoritaires, carts de la gestion quotidienne. La dure de cette coexistence structure

    invitablement les comportements, ce qui pose la question de lunit du syndicalisme

    enseignant et des interactions entre ses composantes.

    Sur une aussi longue priode, la majorit de la FEN subit ncessairement linfluence de sa

    minorit, et rciproquement. Un postulat guide donc notre dmarche : la connaissance de la

    majorit senrichit dune tude par le prisme de son opposition. Lintrt de chaque tendance

    de la FEN consiste dvoiler le jeu de ses adversaires, dmystifier ses ides. Une fois

    dissips les effets des polmiques, on constate la pertinence de leur propos quand il sapplique

    1 Aux congrs de la FEN de 1953 et 1948.

  • Introduction

    15

    dsacraliser les positions adverses2. A partir de 1948, la FEN institutionnalise le dbat

    interne, en crant des procdures rigoureuses et prcises dexpression des tendances et de vote

    des syndiqus. Lhabitude enseignante dcrire et de thoriser, conjugue cette vie

    dmocratique, contraint les directions syndicales justifier leurs actes en permanence, dans un

    dialogue fcond avec les minorits. Ce dbat permanent constitue une source indispensable

    propos des reprsentations et pratiques syndicales, dont lhistorien peut faire son miel.

    Adoptant cette posture, nous avons avons mis au jour lmergence dun modle FEN,

    nomm ainsi parce que ce systme syndical rsulte dune modlisation et parce quil se donne

    en exemple, propose aux autres syndicats de limiter. Les lments du modle FEN

    apparaissent progressivement, dans la premire partie du sicle, et marquent lidentit du

    syndicalisme enseignant. Le modle, dans sa globalit et sa cohrence nouvelle, se manifeste

    dans notre priode. Les unitaires apportent leur contribution sa dfinition, que ce soit par

    leur opposition vigoureuse qui contraint la majorit prciser, durcir ses options, (entre

    1948 et 1953, quand ils saffilient la fois la FEN et la FEN-CGT), ou au contraire par

    leur contribution positive (reprable dans deux phases distinctes : la Libration et aprs

    1954, la disparition de la FEN-CGT entrinant la victoire des majoritaires). En dfinitive, le

    courant unitaire reprsente-t-il une version de ce modle FEN ou un modle alternatif ?

    Comment seffectue concrtement cette interaction ?

    La priode retenue pour notre thse commence la Libration. Cette date de dpart

    correspond une coupure majeure dans lhistoire de la France et galement dans celle du

    courant. Les unitaires, par leur participation la Rsistance, obtiennent une lgitimit

    nouvelle dans le milieu enseignant et sy implantent durablement, phnomne esquiss

    seulement avant-guerre. Leur activit durant la Rsistance est de nature autant syndicale que

    politique et militaire, son analyse sort de notre registre. La clture en 1959 sexplique par la

    problmatique retenue. Notre thse se conclut juste aprs lapoge du modle FEN :

    solidement en place, accept par le courant unitaire depuis 1954, mais remis en question par la

    politique gaulliste. A partir de 1959, le nouveau pouvoir conteste la place centrale accorde

    la FEN dans ladministration de lEducation nationale. Pour se faire entendre, les appareils

    syndicaux exprimentent alors des mthodes daction nouvelles, au dtriment des quilibres

    anciens. Toutefois, nous ne nous interdisons pas de pousser linvestigation au-del de cette

    date-butoir, lorsque cela permet dclairer des lments du modle FEN qui perdurent.

    2 Andr Robert remarque ce phnomne pour les organisations enseignantes, et nous appliquons son raisonnement aux tendances : Trois syndicats denseignants face aux rformes scolaires. Positions idologiques du SNI, du SNES et du SGEN par rapport au systme dEducation nationale entre 1968 et 1982 , Thse NR, Paris V, [Viviane Isambert-Jamati], 1989, 508 p.

  • Introduction

    16

    I- POURQUOI TUDIER LA FEN ET SA PRINCIPALE

    MINORIT ?

    Lobjet de notre thse sest construit peu peu. Le point de dpart provient dune curiosit

    pour la FEN et sa principale minorit.

    A- Une historiographie abondante

    Le syndicalisme enseignant fait lobjet de nombreuses tudes. La familiarit avec lcrit

    explique une profusion de textes militants, outre lexercice oblig des mmoires de dirigeants

    syndicaux en retraite3, qui permettent lorganisation de constituer sa mmoire collective.

    Ds les annes 1970, Robert Chramy prsente avec talent le point de vue de la direction de la

    FEN sur son histoire4. Il dcrit galement, avec Henri Aigueperse, ancien secrtaire gnral du

    SNI, la vie de ce syndicat5. Un ouvrage dirig par Paul Delanoue claire le dbut de notre

    priode et tmoigne de limportance de la Rsistance dans la mmoire du courant unitaire6.

    Les chercheurs ne sont pas en reste. En 1985, une quipe interdisciplinaire, alliant deux

    historiens (Alain Bergounioux et Jean-Paul Martin), un politiste (Ren Mouriaux) et une

    sociologue (Vronique Aubert), publie une histoire pionnire de la Fdration de lEducation

    nationale : La forteresse enseignante7. Par la suite apparaissent plusieurs ouvrages de

    synthse : quatre livres traitent de lensemble du syndicalisme enseignant du XIX au XX

    sicle. Parmi eux, signalons louvrage de Jacques Girault8. Deux manuels, crits par des

    sociologues, enrichissent les problmatiques de recherche9. Par ailleurs, la thse dEtat de

    science politique dYves Poirmeur analyse les tendances, question centrale pour la FEN10.

    3 HENRY Andr, Dame lcole, Paris, Ramsay, 1977, 221 p. 4 CHERAMY Robert, FEN, 25 ans dunit syndicale, Paris, d. de lpi, 1974, 160 p. 5 Le titre nous parat significatif : Un syndicat pas comme les autres : le SNI, Paris, Martinsart, SUDEL, 1990, 376 p. Alain Dalanon, historien et militant du Syndicat national de lenseignement de second degr, vient galement de publier un livre sur lhistoire de son syndicat : Histoire du SNES. Plus dun sicle de mrissement des annes 1840 1966/67, tome 1, Paris, IRHSES, 2003, 272 p. 6 DELANOUE Paul, Les enseignants. La lutte syndicale du Front populaire la Libration, Paris, Editions sociales, 1973, 414 p. 7 AUBERT Vronique - BERGOUNIOUX Alain - MARTIN Jean-Paul - MOURIAUX Ren, La forteresse enseignante, la Fdration de lducation Nationale, Paris, Fayard, 1985, 364 p. 8 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la socit franaise (fin XIX - XX sicle), Paris, Publications de la Sorbonne,1996, 351 p. 9 Le livre dAndr Robert apporte beaucoup sur les questions pdagogiques et didentits professionnelles : Le syndicalisme des enseignants, Paris, Documentation Franaise/CNDP, 1995, 175 p. Voir galement : GEAY Bertrand, Le syndicalisme enseignant, Paris, La Dcouverte, 1997, 123 p. 10 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats : lexemple franais,

  • Introduction

    17

    Malgr cette historiographie, aucun chercheur na encore publi dtude prcise sur la FEN

    ou un de ses syndicats dans une priode donne. Notons deux exceptions. Jacques Girault

    inclut le rsultat de ses investigations personnelles sur quelques exemples significatifs,

    analyss en profondeur, comme le Syndicat national des instituteurs la fin des annes 1930,

    le syndicalisme du technique court ou les liens avec le mutualisme. La thse de Jean-Claude

    Ruano-Borbalan propos des positions pdagogiques du SNI dmontre la valeur dune

    approche monothmatique et monographique11. La qualit de plusieurs mmoires de matrise

    confirme ce point de vue : Didier Sapojnik sest consacr au choix de lautonomie par la FEN

    et Rmi Skoutelsky lattitude de la Fdration durant la guerre dAlgrie12. Plusieurs facettes

    du syndicalisme enseignant restent encore confines dans la pnombre.

    B- Un syndicalisme puissant et original

    Si de nombreuses zones dombres restent clairer, la connaissance de ce syndicalisme

    savre nanmoins apprciable. A notre sens, lune des raisons de cet attrait provient de

    lexceptionnelle puissance des organisations enseignantes. Le taux de syndicalisation des

    enseignants, trs suprieur la moyenne des salaris franais, justifie lemploi du concept de

    sursyndicalisation enseignante : en 1954, chez les enseignants, le taux de syndicalisation

    slve 72 %13, tandis que le taux moyen chez les salaris ne dpasse pas 26 %14. La

    persistance de la force du syndicalisme enseignant mrite analyse, dautant que ses modes

    daction, marqus par son origine associative, diffrent profondment de ceux adopts par le

    syndicalisme ouvrier. Les associations professionnelles rejettent le versant politique du

    syndicalisme, les grves et les manifestations, au bnfice du lobbying et de lintgration au

    systme de pouvoir. Quen est-il pour la FEN ? Peut-on dceler un penchant pour le modle

    associatif, notamment dans ses syndicats de personnels statut lev, comme les inspecteurs ?

    La tertiarisation de lconomie franaise aboutit une augmentation de la place des

    couches moyennes salaries dans la socit, dont les formes dorganisation restent

    Thse dEtat, Amiens, [Jacques Chevallier], 1987. 11 RUANO-BORBALAN Jean-Claude, Le Syndicat National des Instituteurs face aux projets de rforme et rformes de lenseignement de 1945 1969. Essai danalyse de lidologie dune organisation projet, nouvelle Thse, Paris I, [A.Prost], 1990, 448 p. Un autre livre claire particulirement lvolution rcente du SNI et apporte une rflexion intressante : GEAY Bertrand, Profession : instituteurs. Mmoire politique et action syndicale, Paris, Seuil, 1999, 283 p. 12 SAPOJNIK Didier, Lautonomie de la Fdration de lducation Nationale lors de la scission syndicale de 1947 et son organisation, Matrise, Paris I, [J. Droz], 1972, 164 p. et SKOUTELSKY Rmi, La FEN et la guerre dAlgrie. Un syndicat lpreuve de la dcolonisation, Matrise, Paris I, [J.Girault, A.Prost], 1989, 246 p. 13 Selon les calculs de Jacques Girault : Instituteurs, professeurs, une culture syndicale, op. cit. - p. 293. 14 LABB Dominique, Syndicats et syndiqus en France depuis 1945, Paris, LHarmattan, 1996, 163 p. p. 132.

  • Introduction

    18

    mconnues15. Ltude du syndicalisme enseignant contribue donc la comprhension plus

    gnrale des relations professionnelles dans de nouvelles couches sociales. A ce titre, nous

    nous sommes interrogs au dbut de notre travail sur la pertinence de son insertion dans le

    domaine de lhistoire des intellectuels. La revue du Syndicat national de lenseignement de

    second degr (SNES) ne sintitule-t-elle pas LUniversit Syndicaliste ? Notre rponse

    ngative provient de plusieurs considrations : dune part, le terme universit est compris

    au sens napolonien, pour signifier lensemble du systme ducatif, dautre part les

    enseignants ne constituent pas proprement parler des intellectuels. La dfinition retenue en

    France ne les inclut pas, lexception des enseignants-chercheurs16. Les proccupations des

    militants de la FEN appartiennent autant la sphre des dbats dides qu celle des

    revendications concrtes. A la Libration, la plupart dentre eux exercent dans lenseignement

    primaire. Si lon ne peut qualifier les instituteurs dintellectuels, ils jouent cependant un rle

    incontestable de mdiateurs culturels, qui leur confre une certaine importance politique.

    Dans les annes 1950, on assiste lmergence dun modle FEN. Pierre Bourdieu estime

    que lappareil de mobilisation dun syndicat repose sur deux lments : dabord des

    structures objectives comme la bureaucratie de lorganisation proprement dite, les postes

    quelle offre, avec tous les profits corrlatifs, en elle-mme ou dans les administrations

    publiques, les traditions de recrutement, de formation et de slection qui la caractrisent . Il

    sappuie aussi sur des dispositions, quil sagisse de la fidlit () ou des principes

    incorpors de di-vision du monde social que les dirigeants, les permanents, ou les militants

    mettent en uvre dans leur pratique quotidienne 17. Larticulation de ces diffrents

    paramtres ncessite donc une tude, partir du constat suivant : la force de la FEN rside

    dans lharmonie entre ces lments, qui renforce sa cohsion. Loin de reprsenter une simple

    configuration ponctuelle, la FEN daprs 1949 incarne un point dquilibre, qui la transfigure

    en modle.

    Nous utilisons ce concept en raison de la conscience rflexive exprime par le syndicat.

    Les motions de congrs autonomes dfinissent certains points saillants de leur conception du

    syndicalisme. En effet, un modle suppose une laboration idologique, ce qui explique

    limportance de la motion Bonissel-Valire. N dans des circonstances fortuites fruit dun

    compromis entre lEcole Emancipe et la majorit lors de la scission de 1948 cet lment

    thorique du modle revt par la suite toute sa dimension en tant que mythe fondateur. Les

    15 LAVAU et alii, Lunivers politique des classes moyennes, Paris, Presses de la FNSP, 1983, 389 p. 16 Cf ORY Pascal - SIRINELLI Jean-Franois, Les intellectuels en France, de lAffaire Dreyfus nos jours, Paris, Colin, 1987, 263 p. De plus, le syndicat des universitaires affili la FEN, le syndicat national de lenseignement suprieur (SNESup), ne dispose pas dune grande force dattraction. 17 BOURDIEU Pierre La reprsentation politique. Elments pour une thorie du champ politique , Paris, Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n 36/37, fvrier-mars 1981 - p. 19.

  • Introduction

    19

    conditions particulires de rdaction de cette motion expliquent sa postrit ambigu : la fois

    texte de rfrence, communiqu aux confdrations et borne tmoin dun discours radical

    jamais appliqu, dautant plus utile quil permet de voiler une pratique syndicale rformiste.

    Le SNI et la FEN soffrent en exemple aux autres syndicats, en particulier avec la

    condition incluse dans leurs propositions de runification confdrale : ladoption dun

    systme de tendances identique au leur. Une illustration de cette politique provient de lappel

    Pour un mouvement syndical uni et dmocratique, initi par Denis Forestier, secrtaire gnral

    du SNI, en 1957, avec des dirigeants de FO et de la CGT. Cependant, le modle FEN ne

    relve pas que de la thorie, nous rejoignons Pierre Favre dans lide que, pour quil y ait

    modle, il faut que lorganisation des termes du modle persiste dans les discours et sincarne

    dans les pratiques. 18

    Nous caractrisons le modle FEN avec plusieurs lments. La FEN constitue un syndicat

    de masse, encadrant lcrasante majorit de la profession, sduite la fois par son rle de

    reprsentation des identits professionnelles et par une autonomie qui correspond son

    insertion dans les classes moyennes. Son assise provient galement de la fourniture de

    services aux adhrents et de ses bases multiples : mutualisme, associations diverses. La FEN

    utilise sa puissance pour imposer aux gouvernements successifs et ladministration sa

    participation la gestion du systme ducatif. La modration sur le plan de laction syndicale

    renvoie un positionnement majoritairement rformiste, la FEN dtient le statut de partenaire

    cout de la gauche non communiste. Enfin, organisation unie au moyen dune officialisation

    des tendances, elle sest forge un rle de mdiatrice intersyndicale, grce sa particularit :

    acceptant des militants communistes, elle ne peut diaboliser la CGT linstar de FO, dont elle

    reste proche. Les deux confdrations saccordent implicitement ne pas empiter sur son

    champ de syndicalisation.

    C- Lidentit de la principale minorit

    Le courant unitaire participe de loriginalit du syndicalisme enseignant, plusieurs titres.

    Dabord, on peroit gnralement mieux la prsence dun syndicalisme de ce type dans la

    classe ouvrire, point fort du PCF compter des annes 1930, que dans les couches

    moyennes. Linscription denseignants, de chercheurs dans cette mouvance surprend.

    Justement, ce courant se prsente la Libration comme le reprsentant attitr dans la FEN du

    syndicalisme pratiqu par la majorit de la CGT. Lors de la scission de 1948, il livre un

    18 FAVRE P., Le modle lniniste darticulation parti-syndicats-masses, le Parti Communiste Italien et lunit syndicale , Paris, Revue franaise de science politique, n3, juin 1975 - p. 447.

  • Introduction

    20

    combat contre lautonomie de la FEN, tellement intense quune procdure de double

    affiliation permet ses militants de rester la CGT jusquen 1954. Son identit se construit au

    dbut des annes 1950 avec la promotion de la CGT.

    Ensuite, les alas de lvolution du courant, marqu par des ruptures fortes, interrogent

    cette identit. Peut-on le prsenter comme un courant rvolutionnaire ? Jacques Girault

    remarque que les unitaires ne se caractrisent pas par lhomognit dont on veut bien les

    tiqueter. 19 Des crises internes jalonnent le parcours du courant et plusieurs composantes

    apparaissent (catholique progressiste, socialiste de gauche, communistes). Comme toute

    opposition, le courant unitaire hsite entre lobstruction au travail de la majorit et la

    participation.

    Le nom, enjeu symbolique de premier ordre, rflte cette incertitude identitaire. A la

    Libration, le courant unitaire napparat gure de manire propre. On appelle quelquefois ses

    militants ex-unitaires 20, en cho la confdration disparue en 1935, la CGTU. La

    dtrioration du climat interne de la FEN conscutive la scission contraint le courant y

    remdier. Mais ds 1951, les unitaires prsentent des listes ouvertes des militants non

    membres de la FEN-CGT et contestent en consquence le vocable cgtiste , trop restrictif.

    La vritable difficult surgit dans la priode ultrieure, lorsque le courant refuse le terme

    d ex-cgtiste , employ dessein par les majoritaires, qui lidentifie en rfrence un

    pass quil souhaite rvolu. La section des Bouches-du-Rhne, quil dirige, prsente ses

    motions dans le SNI et la FEN, mais dans le SNES, le terme consacr est liste B , du fait du

    systme de reprsentation alphabtique des listes (la majorit dpose la liste A). Au SNET, il

    adopte le nom Unit pour une Action Syndicale Efficace . Dans cette priode, aucun terme

    ne bnficie donc dun consensus suffisant chez les membres du courant pour permettre de les

    dsigner sans quivoque, quel que soit leur syndicat. Ils acceptent cet tat de fait dans la

    mesure o leurs efforts tendent la dissolution du courant. Alors quils abandonnent toute

    coordination dans lespoir dobtenir leur insertion dans la majorit, un nom incarnerait une

    identit et contrarierait cet effort.

    Le terme Unit et Action ne simpose que peu peu, partir des annes 1960,

    paralllement la constitution dune tendance structure. Le choix dune rfrence nominative

    commune tous les unitaires de la FEN reprsente un indice du raffermissement de la

    structure et de lidentit du courant. Entre 1948 et 1953, ce terme est utilis par les cgtistes

    pour dsigner leur tendance dans le SNI. Il sert mme de titre un bulletin de tendance.

    19 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la socit franaise, op. cit. p. 180. 20 AIGUEPERSE Henri - CHRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres, op. cit. - pp. 233 et 368.

  • Introduction

    21

    Depuis 1967, ce terme continue dsigner le courant21.

    Cette volution sinueuse confronte lhistorien au dfi dune prsentation simple de la vie

    du courant, sans changer de dnomination selon les poques Il est certes vain de rechercher

    une trop grande communaut de vues et de pratiques entre les militants unitaires, au risque

    dune rification. Nous estimons cependant que, au-del de son instabilit, le courant prsente

    un certain nombre de caractristiques prennes. Nous avons donc opt pour un terme

    gnrique, employ en permanence : unitaire . Parmi les avantages de cette solution, notons

    que ce nom sapparente Unit et Action et remmore les noms adopts par ces

    syndicalistes : entre 1921 et 1935, la CGT Unitaire, et depuis 1992, la Fdration Syndicale

    Unitaire. Cette dnomination ne constitue nullement un jugement de valeur, le signe dun

    attachement plus important lunit syndicale de la part du courant22. Il est le fruit dune

    reconstruction, selon une procdure consacre par Pascal Ory et Jean-Franois Sirinelli : rien

    ne soppose en histoire lusage de termes anachroniques, pour peu quils puissent tre

    rapports une ou plusieurs notions dont lpoque considre reconnaissait la cohrence,

    laccent tant alors mis sur la continuit intellectuelle de lobjet. 23

    D- Un syndicalisme qui exprime les identits professionnelles

    Une particularit de la FEN provient de sa fonction de reprsentation des identits

    professionnelles, par lintermdiaire de ses syndicats nationaux. Vronique Aubert constatait

    que lesprit de corps des instituteurs rsulte d un processus dhomognisation des

    comportements et des opinions . Les entretiens quelle ralise se structurent autour dun

    thme : lidentification la profession, identification symbolise par leffacement du je

    dans le discours au profit dun collectif, que ce soit la corporation, lcole, le

    syndicat. Elle met lhypothse dune construction syndicale de cette identit

    professionnelle24. Ce terme sentend au sens dune identit collective constamment

    retravaille et dune appropriation par les membres du groupe, qui en font un lment

    constitutif de leur identit personnelle. De nombreux chercheurs prolongent cette rflexion et

    tudient lhgmonie exerce par le SNI, son rle de lien professionnel et de producteur de

    lidologie laque, qui lui confre sa place centrale dans lordre denseignement primaire25.

    21 Notons lexception du SNESup, dans lequel le courant unitaire se nomme Action syndicale . 22 Dailleurs, Michel Dreyfus lemploie pour la priode de la Libration, alors que le terme en vogue lpoque est ex-unitaire . DREYFUS Michel, Histoire de la CGT, Bruxelles, Complexe, 1995, 407 p. 23 ORY Pascal - SIRINELLI Jean-Franois, Les intellectuels en France, op. cit. - p.11. 24 AUBERT Vronique, Systme professionnel et esprit de corps : le rle du Syndicat national des instituteurs , Paris, Pouvoirs, n 30, 1984 - pp. 81 83. 25 RUANO-BORBALAN Jean-Claude, Le SNI face aux projets de rformes de lenseignement, op. cit. p. 23.

  • Introduction

    22

    Seule Monique Hirschhorn formule une critique, jugeant lexplication de la cohsion par la

    prise en charge syndicale des identits professionnelles quelque peu tautologique , car

    ladhsion au SNI ne signifie pas ncessairement que lon partage les mmes

    reprsentations, la mme conception de lidentit professionnelle. 26

    Nous estimons toutefois que la piste des identits professionnelles reste fconde,

    condition de ne pas ngliger la base matrielle de ces reprsentations, la dfense des intrts

    des catgories enseignantes. Les syndicalistes enseignants dsignent significativement laction

    revendicative par lexpression action corporative , dmontrant leur implication dans la

    construction et la prennisation du corps. Deux directions de recherche simposent : dune

    part une analyse du processus concret de construction de ce phnomne, de la gense de cet

    esprit de corps. Entre 1944 et 1959, de nouvelles identits professionnelles mergent,

    notamment dans lducation physique et sportive, qui nous donnent loccasion de cette tude

    socio-historique. Le rle des syndicats, tel le Syndicat national des professeurs de lEducation

    Physique (SNEP), apparat dcisif pour construire des modles de rfrence de ces professions

    et obtenir leur conscration institutionnelle. Ils sollicitent lappui de la FEN dans ce but.

    Dautre part, Jacques Girault note que les instituteurs servent longtemps de modles tant est

    grande losmose entre le Syndicat et lthique profonde du mtier. 27 Dans quelle mesure cet

    exemple reste-t-il valable pour les syndicats des autres ordres denseignement ? Le SNES

    nexerce pas linfluence hgmonique du SNI et ne peut prtendre assurer lui seul la

    cohsion du corps. Une transposition arbitraire ne permettrait donc pas de comprendre les

    rapports entretenus par ces syndicats avec la profession quils reprsentent, rapports qui

    varient beaucoup.

    Les chercheurs qui travaillent sur le syndicalisme enseignant saccordent sur le postulat

    dune logique particulire28. Andr Robert considre que ce syndicalisme a pour

    caractristique propre un mlange singulier entre le modle syndical strict et un modle que

    lon dira plus prcisment professionnel. Sa rflexion tablit ce modle professionnel en

    rfrence aux mdecins et autres professions librales, qui expriment une volont dauto-

    contrle, de monopole acquis sur lexercice de son propre travail, monopole reconnu par

    lensemble de la socit, sous lautorit de ltat 29. Dans le cas de la profession enseignante,

    lauto-contrle ne dpend pas dun Conseil de lOrdre, mais du syndicalisme et de ses lus.

    Andr Robert affirme la spcificit enseignante, lie au statut de fonctionnaire, et donc un

    rapport privilgi lEtat et aussi au rapport individuel, intime , entretenu avec le savoir et

    26 HIRSCHHORN Monique, Lre des enseignants, PUF, 1993, 301 p. - p. 134. 27 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale dans la socit franaise, op. cit. - p. 161. 28 Il combine rgulation corporative et expression revendicative . Cette logique apparat assez inhabituelle dans le cadre du syndicalisme franais. GEAY Bertrand, Le syndicalisme enseignant, op. cit. - p. 32.

  • Introduction

    23

    son mode de transmission. Celui-ci dote les enseignants dun farouche esprit

    dindpendance professionnelle 30.

    Nous nous inscrivons dans cette rflexion, tout en discutant lide dune spcificit

    enseignante. Il nous semble que lanalyse de la FEN souffre dun tropisme enseignant,

    aggrav par son autonomie et le particularisme du milieu31. Certes, il parat ncessaire

    dexpliquer les nombreuses spcificits de ce syndicalisme, mais il convient galement de

    linsrer dans une ralit plus large, qui englobe la fois le syndicalisme des fonctionnaires et

    celui de certaines professions fermes. La lecture des travaux de Jeanne Siwek-Pouydesseau

    sur les fonctionnaires procure des lments de comparaison intressants et permet de

    dchiffrer lapport propre de la FEN32.

    Dans cette perspective, les thories de Denis Segrestin sur lapprhension des identits

    professionnelles par le syndicalisme ouvrier nous fournissent dautres hypothses de travail,

    qui compltent utilement les premires. Le syndicalisme ncessite le support dune conscience

    collective, qui peut revtir plusieurs formes. Selon ce sociologue, la conscience de classe ne

    constitue que lune des modalits possibles de syndicalisation dun milieu : Bien quelles

    apparaissent effectivement la plupart du temps comme des reproductions formelles dentits

    engendres par le systme de production, il sagit de communauts qui se dfinissent en soi,

    en tant que communauts de culture et daction. 33 Il affirme en consquence que la mise en

    place dun syndicalisme dopposition salariale authentique et stable dpend beaucoup plus

    directement du respect des dynamiques culturelles et professionnelles luvre parmi les

    travailleurs que de la nature de lidologie soutenant laction. Il en dduit la possibilit dun

    syndicalisme de dfense professionnelle lorsque la conscience de profession prvaut 34.

    Denis Segrestin soppose donc au schma tlologique de remplacement inluctable du

    syndicalisme de mtier par le syndicalisme de classe. Non seulement, le syndicalisme de

    mtier perdure en France, sur la base des fonctions quil remplit, cest--dire en tant

    quinstitution jouant la fois le rle de facteur dintgration sociale, de contrepoids

    lalination conomique, de ferment dunit ouvrire , mais il renat travers la dfense

    dun statut 35. La FEN sinscrit parfaitement dans cette logique, elle reprsente une

    profession statut, cloisonne, isole des autres professions par lintervention de lEtat. Denis

    29 ROBERT Andr, Le syndicalisme des enseignants, op. cit. - p. 10. 30 Ibid. - p. 9. 31 Par exemple, le rseau duvres et de mutuelles construit par les syndicalistes enseignants ne concerne pas les autres fonctionnaires. 32 SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Le Syndicalisme des fonctionnaires jusqu la guerre froide, 1848-1948, Lille, PUL, 1989, 343 p. et Les Syndicats de fonctionnaires depuis 1948, Paris, PUF, 1989, 224 p. 33 SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe : pour une sociologie de la CGT , Paris, Sociologie du Travail, n 2, 1975 - pp. 160-161. 34 SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe , op. cit. - pp. 159-160.

  • Introduction

    24

    Segrestin note que ce type de systme professionnel ferm est conu pour favoriser au

    maximum lintgration sociale des membres lintrieur du corps et, conjointement, pour

    faire de ce corps un ensemble socialement autonome, isol, se suffisant lui-mme grce

    une infrastructure daccompagnement vocation totale. 36.

    II- LINTERACTION AU CUR DE LOBJET

    Si la FEN et sa principale minorit constituent des objets dtudes en eux-mmes, dans la

    ralit, ils coexistent et se dterminent perptuellement en fonction des ractions de lautre. Le

    processus dinteraction nous intresse donc.

    A- La FEN, un exemple dunit syndicale organique

    Le rle politique des enseignants, ancrs gauche, notamment comme vivier dlecteurs et

    de cadres de la SFIO, a suscit de nombreuses analyses37. Le milieu enseignant constitue le

    seul groupe social important dans lequel le modle social-dmocrate a t opratoire, avec un

    partenariat entre le parti rformiste (la SFIO) et la direction syndicale, par-del ses discours

    rituels sur lindpendance syndicale. Alors que la guerre froide creuse un gouffre entre

    socialistes et communistes, la gauche enseignante montre son attachement lunit des partis

    de gauche et accueille favorablement les propositions en ce sens manant du PCF. Ceci

    contrarie les efforts fournis par la direction de la SFIO pour limiter les lieux de rencontre avec

    les communistes38. La FEN reprsente dsormais lune des rares organisations comprenant des

    militants des deux partis. La position des enseignants communistes acquiert un caractre

    stratgique dans les annes 1950 et 1960. Rien dtonnant ce que le PCF tente de plus en

    plus dimprimer sa marque aux choix du courant unitaire en fonction de ses impratifs

    propres.

    De nombreuses typologies du syndicalisme distinguent un syndicalisme dopposition et un

    35 SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe , op. cit. - pp. 167 et 169. 36 SEGRESTIN Denis, Le phnomne corporatiste. Essai sur lavenir des systmes professionnels ferms en France, Paris, Fayard, 1985, 283 p. - p. 27. Ce livre tudie les syndicats du Livre, de la SNCF, des dockers, des verriers... Pour lauteur, cette infrastructure daccompagnement comprend les rgimes propres de retraites et de prvoyance, les coopratives dachat et lorganisation professionnelle du logement. 37 Voir le livre prcurseur de Paul Gerbod : Les enseignants et la politique, Paris, PUF, coll. Sup. LHistorien, 1976, 162 p. Cf galement : BERGOUNIOUX Alain, GRUNBERG Grard, Le long remords du pouvoir, Le Parti socialiste franais 1905-1992, Paris, Fayard, 1992, 552 p. 38 MORIN Gilles, Le Parti socialiste SFIO et les associations, 1944-1969 , pp. 359-377 in ANDRIEU Claire, LE BEGUEC Gilles, TARTAKOWSKY Danielle [sous la direction de], Associations et champ politique. La loi de 1901 lpreuve du sicle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2001, 723 p. - pp. 361-362.

  • Introduction

    25

    syndicalisme de ngociation39. Lantagonisme entre ces deux conceptions de laction

    syndicale constitue un lment fort de maintien des courants dans la FEN. Le syndicalisme

    franais vit ce conflit de manire feutre dans la CGT davant 1914 ou ouverte aprs

    la scission confdrale de 194840. On ne peut limiter le dbat son aspect thorique (rupture

    ou non avec le systme capitaliste), aussi la notion de culture politique ou syndicale nous

    agre-t-elle. Marc Lazar la dfinit ainsi : la culture prsente un ensemble dides, de valeurs

    et de symboles, une configuration de croyances, daffectivit et de sensibilits, et une

    multitude diversifie de rgles et de pratiques dont la combinaison donne une signification au

    rel, faonne les comportements et conduit linculcation de normes sociales. 41 Souvent

    analyses sur le plan thorique, ces cultures forgent aussi des comportements, des pratiques, et

    des traditions, y compris dans la manire de concevoir une argumentation, quil convient

    dtudier.

    Sans prjuger du caractre syndical ou politique des dbats de tendance que nous

    examinerons , on peut constater que la FEN devient un terrain de confrontation entre ces

    deux cultures militantes. Ses dirigeants en ont conscience, lun deux, Kreisler, militant du

    SNES, crit en 1949 dans le journal de la FEN, LEnseignement Public, que le but des

    majoritaires consiste accepter la coexistence () de tendances qui, partout ailleurs

    travers le monde, saffirment inconciliables et antagonistes, tout en se rclamant des mmes

    principes et des mmes fins . Il conclut ainsi : En un certain sens, sil existe quelque part un

    rideau de fer, il passe aussi lintrieur de la FEN 42.

    Ce constat aboutit la question centrale de lunit du syndicalisme enseignant : cette unit

    est-elle factice, et la FEN constituerait alors un cartel, ou bien la ralit du syndicalisme

    enseignant transcende-t-elle ses lignes de dmarcation internes ? Si les courants staient

    formaliss en fdrations concurrentes, la physionomie du syndicalisme enseignant aurait-elle

    chang radicalement ? Dans loptique du cartel, le courant unitaire reprsente la version

    enseignante du syndicalisme dopposition et la majorit de la FEN celle du syndicalisme de

    ngociation. La configuration syndicale exceptionnelle de la FEN permet dtudier la

    cohabitation sur une longue priode de ces deux cultures, de percevoir leurs diffrences relles

    et leurs influences rciproques. En effet, une des principales sources de fiert de la FEN vient

    de son caractre unitaire. Dautres exemples, telle la fdration du Livre CGT, le Syndicat

    39Ainsi, Guy Caire et Thomas Lowit voquent un syndicalisme de revendication et dopposition et un syndicalisme de revendication et de contrle . In Encyclopedia Universalis, article Syndicalisme . 40 La CGT-FO allait faire sienne une certaine conception du syndicalisme qui, au del des circonstances historiques, reprsentait durablement une partie du mouvement ouvrier franais . BERGOUNIOUX Alain, La scission syndicale dans les PTT en 1946 , Paris, Le Mouvement Social, n 92, juillet-septembre 1975 - p. 3. 41 LAZAR Marc, Cultures politiques et partis politiques en France , pp. 169 190 in CEFA Daniel [sous la direction de], Cultures politiques, Paris, PUF, 2001, 525 p. - p. 171. 42 EP n 7, avril-mai 1949.

  • Introduction

    26

    national des contributions indirectes-CGT dans les annes 1950, savrent plus marginaux.

    Chaque courant sarroge lexclusivit de la prservation de lunit de la FEN en 1948. La

    majorit rappelle quelle a conu et appliqu la solution de lautonomie. Issue de la tendance

    Force Ouvrire de la CGT unie, elle nimaginait pas rester dans une CGT encore plus domine

    par les communistes et a montr un courage politique certain en les acceptant au sein de la

    FEN. On retient gnralement cette version, sans la complter par linterprtation

    concurrente : les unitaires notent que lunit rsulte de leur prsence dans la FEN, alors que

    dans les autres secteurs, les cgtistes ont construit des organisations spares. Ils ont donc

    consenti un double sacrifice : se rsigner au statut de minoritaire et terme quitter la CGT.

    Au nom de quelles motivations ?

    B- Une solution originale linvitable pluralisme interne

    Comment organiser lexpression des diffrences sans nuire son efficacit ? Ce problme

    de lunit et de la gestion des dsaccords se pose sous des formes diverses toutes les

    formations intervenant dans le champ social. Il gagne encore de limportance si on le

    considre du point de vue dun courant minoritaire, pour lequel les conditions dorganisation

    du dbat syndical et dlection des directions sont vitales. La majorit dispose toujours des

    ressources des appareils syndicaux pour se coordonner et se faire entendre. Le syndicalisme,

    recrutant sur une base professionnelle et non idologique, inclut obligatoirement des groupes

    divers en son sein : toute son histoire en fait foi. Des groupements affinitaires apparaissent

    dans la CGT ds 1909. Reconnus par la Confdration43, ils survivent leur interdiction lors

    de la runification de 1935.

    Ces groupes peuvent revtir plusieurs formes, dont la plus notoire se nomme tendance.

    Yves Poirmeur la dfinit ainsi : les tendances sont des regroupements partiels et stables

    dadhrents dun parti politique ou dun syndicat, qui dfendent des positions communes en

    souhaitant les voir adopter par lensemble. Elles sont en comptition les unes avec les autres

    pour exercer une influence sur les organes de direction, sur la formulation de sa politique, sur

    la slection de ses dirigeants et la dsignation de ses reprsentants (). En tant que groupes

    organiss et durables, elles induisent chez ceux qui sinvestissent en elles des comportements

    stables et distinctifs et apparaissent donc comme des entits sociales individualises. 44 Les

    tendances se distinguent donc des simples sensibilits par leur caractre organis, ce qui

    correspond au processus dcrit par Pierre Bourdieu : le passage de limplicite lexplicite,

    43 CHARLES Jean, A propos de la scission syndicale de 1921 , Mlanges d"histoire sociale offerts Jean Maitron, Editions ouvrires, 1976, 283 p. - pp. 62-63.

  • Introduction

    27

    de limpression subjective lexpression objective, la manifestation publique dans un

    discours ou un acte public constitue par soi un acte dinstitution et reprsente de ce fait une

    forme dofficialisation, de lgitimation 45.

    Nous considrons ncessaire de prciser la dmarcation entre courant et tendance, en

    fonction dun critre objectif : la structuration du regroupement. Les militants et les

    chercheurs ne pratiquent habituellement pas cette distinction. Dans notre conception, le terme

    tendance dsigne des groupes structurs lintrieur dune organisation, disposant par

    exemple dun fichier et dun bulletin, tandis que les formes prises par un courant sont plus

    floues, informelles, autorisant une certaine fluidit des positions des militants. Selon ces

    critres, la majorit et la principale minorit constituent des courants entre 1944 et 1959. Cette

    rgle subit une exception pour les unitaires : dans leur priode cgtiste, ils se structurent en

    tendance. Par contre, lEcole Emancipe reprsente lexemple mme dune tendance prenne.

    Elle publie un bulletin intrieur et un journal mensuel et ses militants se runissent pendant

    une semaine chaque t.

    Les dirigeants de la FEN dduisent de l histoire mme des scissions syndicales que la la

    scission se produit, lorsquune tendance na pas pu sexprimer ou a t brime 46. La FEN

    se distingue des autres syndicats franais par ladoption solitaire dun systme de tendances

    qui organise leur confrontation et garantit leur libert dexercice. Elle se range donc dans la

    catgorie des organisations qui prfrent canaliser la diversit interne par le biais de

    tendances, plutt que les refouler par des mthodes autoritaires. Depuis 1948, cette

    structuration en tendances constitue un vritable credo de la majorit, tel point que les

    statuts la mentionnent. Un consensus rgne ce propos chez les historiens : lunit de la FEN

    a t prserve au prix de la reconnaissance du droit de tendance, dans une sorte de troc entre

    autonomes et cgtistes47. Lide nous parat discutable, la fois pour des raisons

    chronologiques (on commence adopter ce systme deux ans avant la scission, dans un

    contexte trs diffrent) et parce que les unitaires ont longtemps combattu avec nergie le

    systme des tendances.

    Deux paradoxes dcoulent de ce constat : dune part, la principale minorit rcuse le

    systme des tendances, qui thoriquement lui procure le plus de garanties. Dautre part, en un

    demi-sicle, les positions des courants se sont inverses, puisque depuis la scission de 1992,

    les statuts de la FEN interdisent les tendances48, alors que la nouvelle Fdration dirige par le

    44 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats, op. cit. - pp. 35-36. 45BOURDIEU Pierre La reprsentation politique , op. cit. - p. 4. 46 Martial. EP n 5, fvrier 1960. 47 Cf par exemple MOURIAUX Ren, Le syndicalisme enseignant en France, Paris, PUF, Que sais-je ?, 1996, 126 p. - p. 36. 48Le rapport dactivit du congrs de 1993 du Syndicat des Enseignants, qui remplace le SNI, dclare : Les

  • Introduction

    28

    courant Unit et Action, la FSU, confirme leur existence. Force est alors de constater que

    lofficialisation des tendances ne constituait pas lunique perspective offerte au syndicalisme

    enseignant dans la gestion de son pluralisme. Danciens dirigeants de la FEN, Henri

    Aigueperse et Robert Chramy, constatent eux-mmes l envers du dcor , savoir le

    caractre souvent fig des dbats de congrs ou de conseils divers, chaque tendance y venant

    avec ses positions pralablement tablies et ne cherchant ni les modifier ni tenter une

    quelconque synthse. Limpression prvaut souvent dorganisations rduites une simple

    juxtaposition de courants plutt que rellement unifies. 49 Du fait de lhostilit du courant

    unitaire au systme adopt par la FEN, un riche dbat sest dvelopp sur les conditions

    dexercice de la dmocratie interne, qui peut clairer dautres situations.

    La position du courant unitaire ne manque dailleurs pas dambiguts, et varie selon les

    circonstances. Il oscille entre son intrt de courant minoritaire et sa culture hostile aux

    tendances, conformment au centralisme dmocratique du PCF et au fdralisme sans droit de

    tendance de la CGT.

    C- Nature des clivages : exclusivement idologiques ou portant sur tous

    les domaines ?

    Les clivages internes au syndicalisme proviennent-ils dune source politique ou politico-

    syndicale ? Jean-Louis Robert examine ce problme laune de la scission confdrale de

    1921 et repre, parmi ses causes, une cassure issue des pratiques militantes , entre un

    syndicalisme qui exige des militants comptents et disponibles pour les nouvelles tches

    syndicales et un syndicalisme recrutant des jeunes, plus instables qui exercent un

    militantisme dusine ou de dpt . Il constate aussi une csure entre un rformisme

    renouvel et rnov autour des perspectives dune action de lEtat dans les relations sociales

    et un sentiment rvolutionnaire 50. Sur le long terme, Georges Pruvost et Pierre Roger

    constatent que dans un syndicalisme aussi imprgn didologie que lest le syndicalisme

    franais, le pluralisme structure des oppositions radicales sur des options de socit

    essentielles , options qui traversent le sicle51. Dans cette perspective, les courants syndicaux

    se dpartagent selon des clivages politiques et syndicaux.

    Mais selon une seconde conception, qui envisage les tendances comme une source

    adhrents ont dsormais la parole la place des tendances. Il faut en user . LEnseignant, n 20, 10 avril 1993. 49 AIGUEPERSE Henri - CHRAMY Robert, Un syndicat pas comme les autres : le SNI, op. cit. - p. 368. 50 ROBERT Jean-Louis, 1921 : la scission fondatrice ? , Paris, Le Mouvement Social, n 172, juillet-septembre 1995 - pp. 105 et 108. 51 PRUVOST Georges, ROGER Pierre, Unissez-vous ! Lhistoire inacheve de lunit syndicale, Paris, VO

  • Introduction

    29

    extrieure de division du syndicalisme, laspect politique prime52. Dans le cas de la FEN, la

    majorit valide cette thorie. Pourtant, la ligne de dmarcation spare galement plusieurs

    visions de lcole et de la socit et la division politique en question ne concerne pas tous les

    partis, par exemple les radicaux. De la rponse envisage (clivages exclusivement politiques

    ou simultanment politiques et syndicaux) dpend linterprtation des divergences entre la

    majorit de la FEN et le courant unitaire. Soit elles ne servent en dfinitive qu masquer des

    enjeux partidaires et des querelles de clan, soit le courant unitaire apparat porteur dun

    vritable projet syndical, quil est capable de faire vivre concrtement, par le biais de

    pratiques diffrentes, plus combatives et moins dlgataires.

    Une reprsentation courante de lopposition entres les deux tendances principales de la

    FEN imprgne les esprits et en propose une interprtation corporative : la majorit dfendrait

    les intrts des instituteurs et le courant unitaire ceux des professeurs53. Si les tendances

    doivent composer avec les heurts entre identits professionnelles, et en jouent quelquefois, il

    convient de ne pas perdre de vue le fait quelles constituent des regroupements sur une base

    idologico-syndicale et grent en leur sein les mmes contradictions que la FEN.

    Lassimilation entre le SNES et le courant unitaire provient du blocage apparu aprs 1967,

    lorsque son changement de majorit impose aux commentateurs lvidence de linfluence du

    courant. Le courant unitaire semble alors porteur des intrts quasi exclusifs des professeurs.

    Le SNES et les autres syndicats quil dirige (SNESup, SNEP) ayant pour point commun

    dappartenir la sphre de lenseignement du second degr et de lenseignement suprieur.

    Or, ce nest pas le courant qui dfend le point de vue de ces professeurs, mais leurs syndicats.

    La nuance permet de ne pas ngliger la prsence de nombreux instituteurs dans le courant,

    quils dominent jusque dans les annes 198054. Cette ralit devient vidente depuis la

    cration de la FSU et la monte en puissance du Syndicat national unitaire des instituteurs et

    professeurs dcole (SNUIpp) lintrieur de celle-ci. La perception de lidentit du courant

    unitaire dans les annes 1950 implique donc de ne pas se concentrer sur les professeurs.

    D- Nature de linteraction entre la FEN et sa principale minorit

    Dans quelles conditions merge le modle FEN et que lui apporte la minorit ? Plusieurs

    ditions et Editions de lAtelier, 1995, 272 p. - p. 41. 52 AUBERT Vronique et alii, La forteresse enseignante, op. cit. - p. 57 53 Par exemple : COMPAGNON Batrice et THEVENIN Anne, Histoire des instituteurs et des professeurs, de 1880 nos jours, Paris, Perrin, 2001, 361 p. - p. 249. 54 Ils reprsentent alors un tiers du SNI qui compte beaucoup plus dadhrents que le SNES, si bien que les instituteurs reprsentent presque autant dlecteurs Unit et Action dans les congrs de la FEN que les professeurs.

  • Introduction

    30

    obstacles sopposent un sujet exclusivement consacr au courant unitaire : aucune tude ne

    porte sur lorganisation de la FEN en tendances, ni sur le dtail des vnements traits dans la

    priode, et lidentit fluctuante du courant limite certains moments ses productions crites. Il

    ne se dote dun bulletin rgulier qu partir de 1970. Ceci nous contraint analyser le systme

    en mme temps que lune de ses composantes, travers des sources communes. Ce mode

    opratoire a permis de tester la validit de cette proposition dYves Poirmeur :

    lappartenance des tendances un mme ensemble leur confre une identit commune, dont

    on trouve les traces et les stigmates dans leur discours, leur fonctionnement et leur

    organisation. 55

    Notre problmatique porte donc sur linteraction entre la FEN et sa principale minorit, pas

    seulement sur cette minorit en soi. En effet, le courant imprime sa marque sur le modle FEN

    par sa capacit daction autonome et son attitude. Dans sa priode constructive, la

    Libration, ses dirigeants exercent pour la premire fois des responsabilits et dmontrent leur

    comptence en jouant un rle moteur dans la reconstruction du syndicalisme enseignant. Paul

    Delanoue, responsable des structures de la Fdration, impulse sa transformation en

    Fdration de lEducation Nationale en 1946 ; en tant que secrtaire laque du SNI, il propose

    la cration de la Fdration des Conseils de Parents dElves. Le courant apporte alors un

    souffle nouveau laction syndicale, par une forte attention la jeunesse et une combinaison

    de volontarisme et de pragmatisme. Dans ses priodes les plus sectaires, il ne perd pas son

    aptitude diriger des syndicats nationaux (le SNESup, le syndicat des bibliothques) et des

    sections locales.

    Grace ce jeu de miroirs, nous esprons approfondir la connaissance de toutes les

    composantes de la FEN. Cette relation concerne deux phnomnes qui ne relvent pas du

    mme ordre : dun ct une organisation syndicale, de lautre un courant de cette organisation,

    aux prrogatives nettement plus limites. Le pronom possessif sa souligne cette

    ambigut : le courant unitaire est un sous-ensemble de la FEN, et ce titre participe sa vie.

    Pourtant, certaines occasions, les diffrences lemportent sur les points communs, et la vie

    propre du courant le fait sopposer la Fdration qui lenglobe, en sextriorisant.

    La majorit ne ressent pas le besoin de sorganiser autant que les minorits, et laisse bien

    peu despace aux opposants pour contribuer luvre commune. Le principe de

    lhomognit des excutifs (les directions importantes se composent exclusivement de

    militants majoritaires) institue une ingalit fondamentale entre militants, dont certains ne

    peuvent occuper aucune responsabilit notable. Yann Maury signale ce paradoxe propos du

    journal du SNES, direction unitaire aprs 1967 : Jamais un article de fond, un dossier, ne

    55 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats, op. cit. - p. 158.

  • Introduction

    31

    sera ralis par un minoritaire. Linformation au SNES, celle qui est srieuse ; cest celle

    que diffuse la direction Unit et Action. De fait, on peut ds lors considrer que LUniversit

    Syndicaliste nest pas un journal syndical, mais un journal de tendance. 56 La majorit de la

    FEN sidentifie lorganisation quelle dirige. Linteraction seffectue donc autant entre une

    institution, la FEN et une institution incluse, le courant unitaire, quentre des institutions de

    rang quivalent, les tendances57.

    III- LES CONTOURS DE LOBJET HISTORIQUE

    Nous avons opr une srie de choix, en fonction de notre objet et des recherches

    prexistantes. Une histoire du syndicalisme qui sappuie sur lanalyse des identits

    professionnelles doit prciser quelques donnes : le niveau pertinent didentification, les

    volutions des milieux sociaux concerns. De mme, quelles tendances tudier, quelle place

    confrer lhistoire des enseignants communistes ?

    A- Lvolution des identits professionnelles enseignantes

    Le syndicalisme sappuie sur un systme didentit, dont la source peut provenir dune

    communaut de culture, dun mtier, dun statut, du systme de production... Denis Segrestin,

    dfinit lidentit professionnelle comme le support de lintgration sociale la communaut

    de travail ; en tant que donne culturelle , cette notion nexclut aucune forme didentit

    et elle tend mme naturellement se cristalliser sur les systmes didentit sociale les plus

    proches du travailleur ou les plus mme de le protger, de le servir. 58 Dans une perspective

    comprhensive, Philippe Corcuff estime propos du syndicalisme cheminot : Lintrt

    commun un groupe dindividus nest pas considr comme naturel ou objectif, mais

    construit et objectiv. Il nexiste donc pas de sparation tranche entre, dune part, le travail

    syndical et politique de reprsentation et de mobilisation et, dautre part, les intrts

    reprsents 59.

    Il convient donc de reprer lidentit qui fait sens aux yeux des enseignants et dont la

    56 MAURY Yann, Contribution une morphogense du syndicalisme enseignant. Le SNES et ses tendances (1966-1979), Thse de 3cycle, Reims, [Chevalier], 1979, 493 p. - pp. 134-135. 57 POIRMEUR Yves, Contribution ltude des tendances dans les partis et les syndicats, op. cit. - p. 150. 58 SEGRESTIN Denis, Lidentit professionnelle dans le syndicalisme franais , conomie et Humanisme, n 245, janvier-fvrier 1979 - p. 19. 59 CORCUFF Philippe, Le catgoriel, le professionnel et la classe : usages contemporains de formes historiques , Paris, Genses, n3, fvrier 1991 - pp. 55-56.

  • Introduction

    32

    mobilisation confre une telle force aux institutions syndicales quils ont cres. Plusieurs

    dimensions identitaires embotes savrent pertinentes pour un salari du systme ducatif :

    le mtier exerc (par exemple, professeur agrg en lyce ou institutrice en cole maternelle)

    galement nomm catgorie60, la profession proprement dite (instituteur, personnel de

    direction ou professeur), le fait denseigner, le statut de fonctionnaire et enfin la condition de

    salari61.

    En dsignant la condition dinstituteur ou de professeur comme le niveau didentification

    professionnel, nous oprons un choix conforme celui de Jacques Girault : les institutions

    scolaires tant hirarchises, pendant longtemps lenseignant ne se dfinit pas avant tout

    comme un enseignant ; instituteur ou professeur, il se dit et se vit comme tel. 62 Les syndicats

    nationaux de la FEN correspondent en gnral une profession. Ils fournissent un important

    travail, par leur discours et leur existence mme, dhomognisation des diffrentes catgories

    en professions, autour de catgories centrales, en minimisant les contradictions et les forces

    centrifuges. Cet effort se justifie par le besoin de construire un espace social homogne, afin

    de renforcer laction collective et de sauto-lgitimer. Par exemple, la profession des

    professeurs se construit en rfrence lexemple du professeur agrg dune discipline dite

    noble de lyce, mais elle inclut les certifis, les professeurs de collge aprs les annes 1960 et

    mme les surveillants. La mme organisation, le SNES, syndique toutes ces catgories.

    Une identit englobe la prcdente dans une relation conflictuelle, celle denseignant. Nous

    devons admettre la prsence dune conscience minimale de points communs chez les

    instituteurs et professeurs ds cette poque. Leur sort commun dducateurs, qui transmettent

    des connaissances aux enfants et les veillent intellectuellement, transcende leur opposition.

    Comme tout mythe, celui de lenseignant tire sa force de sa part de vrit. Dailleurs, le

    syndicalisme consolide galement cette identit collective, par laction de la Fdration. Nous

    ne ngligeons pas limpact de LEnseignement Public, de lexistence de la MGEN et des

    autres associations para-scolaires, qui structurent le milieu en sadressant lensemble des

    enseignants.

    Dans son action quotidienne, le syndicalisme mobilise ces diffrents niveaux

    didentification des personnels, selon les ncessits et les circonstances. Comme Philippe

    Corcuff, nous envisageons leur articulation, les rapports quotidiens au sein du mouvement

    60 La complexit de cette premire dimension provient de sa double origine : statutaire, un certifi dispose de moins davantages quun agrg, et fonctionnelle, un professeur de lyce nexerce pas exactement le mme mtier quun professeur de collge. Sans compter les diffrences de culture entre les diffrentes disciplines (histoire, mathmatiques) 61 FRAJERMAN Laurent, Salaris, fonctionnaires, enseignants, ou professeurs et instituteurs ? Identits collectives et choix revendicatifs du courant unitaire de la FEN, 1945 1960 in GIRAULT Jacques, paratre aux Publications de la Sorbonne. 62 Le titre de son livre rflte galement cette option : GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture

  • Introduction

    33

    syndical entre le catgoriel, le professionnel et la classe comme un montage composite entre

    des ressources appartenant des formalisations diffrentes du lien social. 63

    La pdagogie occupe une position mineure dans les crits et discours syndicaux. La FEN et

    ses syndicats privilgient dun ct les services rendus aux syndiqus (cours prts lemploi

    de LEcole Libratrice) et de lautre les rformes de structure de lEducation Nationale. Les

    articles sur la pdagogie nouvelle demeurent rares, lhostilit ces ides encore plus. Ce

    tableau ne diffre pas fondamentalement pour les militants unitaires. Andr Robert divise la

    pdagogie en quatre sous-catgories, la transformation progressiste du systme ducatif , la

    relation entre cole et pouvoir , la prise en compte de la fonction de lcole dans le

    processus de diffrenciation sociale et enfin celle des caractristiques du public scolaire et

    exigences affrentes 64. Parmi elles, seule lide dune transformation du systme ducatif

    suscite des dbats importants, en lien avec la concurrence des identits professionnelles.

    J.M. Donegani et M. Sadoun remarquent ce sujet quil nest pas dexemple o il y ait

    contradiction entre les ractions des syndicats et associations denseignants aux projets

    prsents par le pouvoir et les intrts professionnels dcoulant de la position occupe dans le

    champ de lenseignement. 65 Les auteurs de La forteresse enseignante se demandent par

    ailleurs si son objectif consiste : Dfendre les matres sans repenser lcole ? 66. Les

    prises de position pdagogiques des syndicats enseignants rsultent-elles uniquement

    dintrts corporatistes ? Jean-Claude Ruano-Borbalan relativise cette ide lchelle du SNI,

    au sens o celui-ci dfend plus une vision normative et pdagogique de lEcole et de

    linstituteur que les intrts troits des instituteurs en place67. Il reste tendre ce type

    danalyse aux autres syndicats de la FEN, mme si la pdagogie ne constitue pas le cur de

    notre recherche.

    La cohabitation de ces identits professionnelles dans la FEN produit de nombreux

    conflits, fruit de leur contraste, dcel par le seul nom des syndicats. Alors que le SNI est le

    syndicat des instituteurs, le SNES se prsente comme celui dun enseignement, preuve dune

    insuffisance dhomognit du corps, qui permettrait une appellation commune, marque de

    lidentit (le professeur appartient llite du corps enseignant dans lenseignement

    secondaire, son mtier diffre de celui de ladjoint denseignement ou du surveillant). Lunit

    de la profession dans lenseignement secondaire apparat plus fragile, presque administrative,

    syndicale dans la socit franaise, op. cit. - p. 238. 63 CORCUFF Philippe, Le catgoriel, le professionnel et la classe , op. cit. - pp. 68-69. 64 Les deux dernires sont quasiment absents de nos sources. ROBERT A.D., Le syndicalisme enseignant et son discours (1968 - 1999) , MOTS, n 61, dcembre 1999, pp. 105 122 - p. 108. 65 DONEGANI J.M., SADOUN M., La rforme de lenseignement en France depuis 1945, analyse dune non-dcision , Paris, Revue franaise de science politique, dcembre 1976 - p. 1141. 66 AUBERT Vronique et alii, La forteresse enseignante, op. cit. p. 189. 67 RUANO-BORBALAN Jean-Claude, Le SNI face aux projets de rformes de lenseignement, op. cit. p. 49.

  • Introduction

    34

    en comparaison de celle de lenseignement primaire.

    Comment voluent ces deux professions dans un contexte dexplosion scolaire ? La

    massification de lenseignement secondaire mtamorphose le corps des professeurs du second

    degr. Antoine Prost repre trois paramtres : le corps a chang de taille ; il est, dans son

    ensemble, moins qualifi ; il exerce dans des conditions dgrades. En 1950, les lyces

    comptaient quelques dizaines de professeurs, qui se connaissaient tous, et chaque rentre

    napportait que quelques nouveaux, facilement intgrs. Or, lafflux de nouveaux matres

    brouille ces donnes traditionnelles ; avec cent ou deux cents professeurs, les lyces sont

    devenus des usines, o lon ne connat que ses collgues les plus proches par la classe ou par

    la discipline. 68 Un tel bouleversement induit obligatoirement des turbulences pour les

    appareils syndicaux.

    En ce qui concerne les instituteurs, lvolution moins brutale constitue nanmoins un choc,

    qui selon Vronique Aubert se traduit par la diversit des attributs sociologiques et

    statutaires . Le recrutement de nombreux auxiliaires fragilise lefficacit de la socialisation

    traditionnelle, par lintermdiaire de la formation dispense par lEcole normale. Cependant,

    la constitution dun noyau structurant , le groupe des normaliens, prserve la cohsion

    des opinions et des comportements du corps69. Les appareils intgrateurs dcrits par P

    Bacot conservent leur capacit70, malgr des coups de semonce contre lunit du corps des

    instituteurs. La cration en 1958 du Syndicat national des collges, dissidence des instituteurs

    exerant en cours complmentaires du SNI, dmontre que lvolution des identits

    professionnelles npargne personne. Elle reprsente galement lun des marqueurs de la

    mutation du modle FEN la fin des annes 1950.

    B- Une tude centre sur deux courants de la FEN

    Malgr lemploi de lexpression syndicalisme enseignant , nous centrons notre tude sur

    la FEN, syndicat qui domine largement le secteur ducatif public. Sa puissance la dispense

    dans les annes 1950 de toute concertation avec ses concurrents syndicaux. Elle varie certes

    selon les ordres denseignement, les syndicats FEN de lenseignement secondaire se

    contentant de nettes majorits lectorales. Nanmoins, les dbats importants se droulent en

    son sein. Le SGEN (CFTC puis CFDT) nouvre une brche dans le quasi-monopole exerc

    68 PROST Antoine, Histoire de lenseignement en France, 1800-1967, Paris, A. Colin, 1977, 524 p. - p. 452. 69 AUBERT Vronique, Systme professionnel et esprit de corps , op. cit. - pp. 79-80. 70 Le syndicat, lcole normale, la FCPE BACOT P., Le comportement lectoral des instituteurs , Paris, Revue franaise de science politique, n 6, dcembre 1977 - p. 914.

  • Introduction

    35

    par la FEN qu partir des annes 196071. Maurice Agulhon voque cette atmosphre propos

    de lEcole Normale Suprieure dUlm la Libration : Il ny a eu longtemps quun seul

    syndicat, le SNES. On parlait dailleurs du syndicat tout court. Je pense que la majorit des

    lves tait syndique 72. La position dominante de la FEN et de ses syndicats se maintient

    parce quelle reprsente la profession, devenue institution sociale73. Ses rapports avec les

    autres syndicats enseignants sont instructifs.

    Pourquoi ne pas se contenter de lanalyse du SNI ? Aprs tout, il domine la FEN, dont il

    reprsente lorganisation la plus puissante et la mieux structure. En 1954, 75 % des effectifs

    fdraux proviennent de ce seul syndicat74. Composante essentielle de la FEN dans cette

    priode, le SNI apparat mme plus important et plus riche quelle, au point de ngocier une

    place spcifique dans toutes les instances officielles, aux cts de sa Fdration. Etudier la

    Fdration sans le SNI aboutirait ignorer lorigine de la majorit de ses dcisions, telle que

    lautonomie. A linverse, on ne saurait arguer de cet tat de fait pour rduire ltude du

    syndicalisme enseignant celle de ce syndicat, conformment une tentation frquente. La

    cohabitation avec les syndicats dautres secteurs de lEducation nationale cre de multiples

    difficults au SNI, quil aurait pu viter en conservant son indpendance. Par consquent, il

    faut admettre que la Fdration reprsentait une valeur ajoute pour son activit. Lhistoire de

    la FEN est justement celle dune monte en puissance progressive, qui mrite analyse.

    De plus, procder de la sorte ne livrerait pas les cls de comprhension du syndicalisme des

    autres ordres denseignement. La FEN tente dlaborer une synthse des cultures qui

    cohabitent en son sein. Les diffrences touchent tous les domaines, du rapport aux syndiqus

    aux formes de structuration interne. Naturellement, une connaissance approfondie du SNI

    reste ncessaire pour ltude de la FEN, et quelquefois nous nous basons uniquement sur ce

    syndicat. Cependant, ltude des autres syndicats et de la Fdration en soi nous parat

    indispensable, pour apprhender leur interrelation. La diversit de la FEN mane donc de

    deux axes : laxe professionnel, avec les nombreux conflits entre ses syndicats, et laxe

    idologique, avec les luttes entre courants.

    Ce pluralisme interne ne se rsume pas la majorit et au courant unitaire. Une troisime

    tendance sexprime dans la FEN, la tendance syndicaliste-rvolutionnaire Ecole Emancipe

    (EE). Cette tendance participe de loriginalit de la FEN : les militants dextrme-gauche

    bnficient rarement dune position reconnue dans les syndicats. Elle mriterait une analyse

    71 Les syndicats FEN recueillent 84 % des voix aux lections paritaires enseignantes de 1953, contre 10 % au SGEN. SIWEK-POUYDESSEAU Jeanne, Les Syndicats de fonctionnaires depuis 1948, op. cit. p. 75. 72 Interview de Maurice AGULHON, le 5 janvier1999. Points de repres, n 23, fvrier 2000 - p. 42. 73 Lanalyse vaut pour les verriers : la fdration CGT, cest lunit historique du corps. SEGRESTIN Denis, Du syndicalisme de mtier au syndicalisme de classe , op. cit. - p. 168. 74 GIRAULT Jacques, Instituteurs, professeurs, une culture syndicale, op. cit. p. 294.

  • Introduction

    36

    particulire, et donc un travail en soi. Celui-ci se serait impos dans notre thse sil tait

    apparu que lEE constitue une opposition aussi importante que le courant unitaire. Or, elle

    savre marginale, recueillant 6,6 % des mandats au congrs de la FEN de 1954, ne dirigeant

    aucun syndicat national de la FEN, et trs peu de sections dpartementales. Il est donc permis

    de douter de la capacit de lEE de se transformer en un syndicat alternatif crdible et de

    mettre en uvre ses orientations de manire indpendante. Cette tendance dispose dune

    marge de manuvre limite, en regard de celle du courant unitaire.

    LEcole Emancipe entretient des relations ambigus avec la majorit rformiste. En effet,

    elle ne sinvestit pas dans les directions, dlguant cette responsabilit la majorit, tout en

    collaborant quelquefois avec elle (entre 1946 et 1949), voire en fusionnant, dans le cas du

    SNES. Elle se cantonne le plus souvent une intervention notable dans les dbats thoriques

    de la FEN. Elle justifie cette alternance de splendide isolement et dalliance avec la majorit

    par son hostilit irrmdiable au PCF et au stalinisme. Cela entrave toute relation triangulaire

    avec le courant unitaire et fige les rapports de force internes. La contribution de lEE la

    dfinition du modle FEN se limite la priode daffirmation de sa proximit avec la

    majorit, qui lui donne loccasion dinfluencer efficacement le sort de la FEN en 1948. Les

    militants EE lgitiment le choix de lautonomie sur le plan idologique et historique, ils

    rdigent lessentiel de la motion Bonissel-Valire, manifeste de lautonomie du SNI et de la

    FEN. Aussi la question de lunit maintenue, de linteraction avec la majorit nous semble-t-

    elle moins pertinente que dans le cas du courant unitaire.

    C- Une tude de la domination syndicale

    Michel Pigenet formule un constat : les problmes dorganisation ne passionnent gure

    les historiens qui, presss de passer aux choses srieuses, se satisfont souvent de brves

    prsentations aux allures de lexique. A tort. Si lon se fie aux comptes rendus de congrs et

    aux procs-verbaux des runions internes, il apparat que les militants ne tenaient pas pour

    ngligeables des questions dont ils mesuraient les enjeux pratiques et doctrinaux. 75 A

    lvidence, notre thse participe dune rflexion globale sur la vie des organisations, leur

    fonctionnement et les implications de leurs choix structurels. Le syndicalisme combine

    mouvement social et institution, et la forme quil revt influe directement sur les actions et les

    images sociales quil promeut. Les structures adoptes servent de rvlateur de la forme de

    militantisme pratique. Assigner lhistoire organisationnelle une place subalterne, loin

    75 PIGENET Michel, Le mtier ou lindustrie ? Les structures dorganisation et leurs enjeux dans le mouvement syndical franais au tournant du sicle , Paris, Cahiers dhistoire Espaces Marx, n62, 1996 - p. 26.

  • Introduction

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    derrire les dbats dides et la description des combats livrs par les organisations tudies,

    reviendrait ignorer la place stratgique quon lui accorde dans de nombreux congrs de la

    FEN. A cette occasion, les unitaires centrent leur activit et leur propagande sur le

    dpassement des tendances ; la question de la morphologie du syndicalisme enseignant ne

    relve donc pas uniquement de la tactique, mais se situe au cur des enjeux.

    Cependant notre sujet est moins consacr une tendance en soi et la vie interne du

    syndicalisme enseignant quaux reprsentations et pratiques dont ces institutions sont les

    vecteurs. Sinon, nous nous exposerions privilgier les querelles de pouvoir, voire de

    personnes, invitables dans toute aventure humaine. Elles ne mritent analyse que dans le but

    dtablir les procdures concrtes de domination en usage lintrieur du syndicalisme

    enseignant. Robert Michels a ouvert la voie dune tude des bureaucraties syndicales et

    politiques : Qui dit organisation, dit tendance loligarchie. Dans chaque organisation, quil

    sagisse dun parti, dune union de mtiers, etc., le penchant aristocratique se manifeste dune

    faon trs prononce. 76 Peut-on nuancer cette thorie ? Pour ne pas nous focaliser sur le

    sommet, nous articulerons ltude de trois niveaux : adhrents, militants et dirigeants.

    Comment fonctionnent les appareils nationaux et locaux des syndicats enseignants ?

    Ladquation entre les structures et les normes quils diffusent et celles de ladministration de

    lEducation nationale constitue lun de leurs atouts. Adeptes de la dlgation de pouvoir, ces

    bureaucraties syndicales slectionnent leurs membres et disposent de nombreuses

    prrogatives, notamment sur les carrires professionnelles des syndiqus. Mais leur puissance

    repose aussi sur leur capacit obtenir ladhsion de leur base, dmontre par exemple par des

    taux de grvistes trs importants. La FEN, soucieuse de prserver ce capital de lgitimit, ne

    propose pas dinitiatives sans senqurir de ltat desprit des syndiqus. Comment son

    appareil les consulte-t-il ? Les motivations des adhrents, leurs formes de participation la vie

    syndicale nous informent sur leur rapport lorganisation, leur capacit dintervention sur son

    orientation et ses dcisions concrtes.

    76 Dans une tude du parti social-dmocrate allemand du dbut de ce sicle : MICHELS Robert, Les partis politiques, Paris, Flammarion, 1971, 309 p. - p. 33

  • Introduction

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    D- Syndicalistes unitaires et enseignants communistes

    Llment le plus couramment retenu pour caractriser le courant unitaire est dorigine

    extra-syndicale : on le qualifie de courant communiste. Ainsi, les auteurs de La Forteresse

    Enseignante expliquent quen 1966, les enseignants communistes se regroupent dans Unit

    et Action 77. Pierre Roche consacre la FEN-CGT un tiers de sa thse sur les instituteurs

    communistes, sans prouver le besoin de justifier ce choix78. A lappui de cette ide, on

    signale ladhsion au PCF dun grand nombre danimateurs et mili