Sur l’Usage Récent Des Indicateurs Bibliométriques Comme Outil d’Évaluation de La Recherche Scientifique

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  • Bulletin of sociological methodology

    100 | 2008 :October

    Ongoing Research/Recherche en cours

    Sur lusage rcent desindicateurs bibliomtriquescomme outil dvaluation de larecherche scientifiqueLAURENCE COUTROT

    p. 45-50

    Texte intgral

    Pour le meilleur et pour le pire, les grandes manuvres sont lances dans la

    recherche franaise sur le front de la bibliomtrie : celle-ci cesse dsormais dtre

    un outil rserv aux documentalistes et spcialistes de linformation. Les princes

    qui nous gouvernent sen sont empar des fins dvaluation des disciplines, des

    laboratoires, des individus. Les personnels de recherche doivent pouvoir sinformer,

    rflchir et critiquer, et, ventuellement inventer des usages de la bibliomtrie qui

    en limiterait les possibles effets pervers.

    1

    Laffaire nest pas neuve : il y a vingt ans dj, la Direction du CNRS, les activits

    de construction dindicateurs scientifiques taient la mode. En 2004, une tentative

    de classement des revues par le Dpartement SHS du CNRS avait provoqu

    quelques ractions1. Mais cette fois, laffaire est srieuse : dans le document de

    caractrisation des UMR pour la vague D de contractualisation du quadriennal,

    le facteur h figure en bonne place, aux cts de limpact moyen de la discipline,

    etc. On est pass du classement des revues celui des individus, ce qui est toute

    autre chose.

    2

    Cette courte note na videmment pas pour fonction de balayer lensemble du

    problme de la bibliomtrie. Je vais seulement tenter dapporter quelques

    informations essentielles concernant les principes et les outils de la bibliomtrie et

    de pointer quelques problmes lis son application des fins dvaluation de la

    recherche.

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    A linitiative de Go!doc , rseau de documentalistes CNRS de la rgion4

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  • parisienne (http://www.godoc.u-psud.fr/), et avec le concours du service de

    formation permanente du CNRS, une runion dinformation sur les indicateurs

    bibliomtriques a eu lieu le mardi 23 septembre 2008. Lamphithtre tait plein :

    le sujet attire les foules, ITA et CNRS de toutes disciplines. La sance tait prside

    par Rmi Barr, professeur au CNAM, ancien prsident de lOST (Observatoire des

    sciences et des techniques) et actif la DGRI au Ministre de la recherche. On

    pouvait craindre que cette sance ft uniquement un lieu de diffusion de la vulgate

    technocratique sur le sujet, cela ne sest pas vrifi : il y eut des exposs critiques et

    un vrai dbat, dautres suivront sans aucun doute.

    La sance dbute par une prsentation de lun des outils disponibles pour

    analyser les priodiques scientifiques, le Web of Science : Emergence et

    construction des outils bibliomtriques dans le Web of Science, rpertoire des outils

    et leur justification . Lexpos est fait par Guillaume Rivalle et Nicolas Espeche,

    tous deux salaris de Thomson Reuters, compagnie qui a repris lInstitute for

    Scientific Information (ISI), cr dans les annes 1950 par E. Garfield. Le Web of

    Science (WoS) et le Web of Knowledge, entre autres, cest eux. Le logiciel

    documentaire trs rpandu, Endnote , cest galement eux. Lentreprise est base

    New York et Philadelphie, cest trs amricain et cest Big Money . Ils recensent

    lheure actuelle environ 10.000 revues scientifiques (dont 1.865 pour le Social

    Science Citation Index) dans 42 langues diffrentes. Ils emploient plus de 50.000

    salaris dans le monde entier. Ces deux prsentateurs sont des commerciaux

    excellents : ils vantent les mrites de leur outil. Le site de Thomson Reuters vaut la

    visite2.

    5

    Pour faire vite, on part du principe que la publication est une trace essentielle de

    lactivit scientifique et que la notorit , le fait dtre cit, est un indicateur de

    linfluence dun auteur. Qui cite qui, qui est cit par qui et combien de fois On

    calcule ainsi un facteur dimpact dun auteur ou dun groupe dauteurs, dun

    laboratoire, dune institution, etc.

    6

    Les revues recenses sont en principe slectionnes en fonction de critres de

    srieux .

    7

    Chaque article recens fait lobjet dune indexation (par mots-cl), les noms des

    auteurs sont rpertoris par leur institution de rattachement. L, les problmes

    commencent : linstitution est celle mentionne par la revue et cette information est

    trs lacunaire, en France et en SHS en particulier. Do la volont de nautoriser que

    deux institutions de rattachement par chercheur affiche dans le projet

    Normadresse .

    8

    Les principaux outils (accessibles via le portail de lINIST pour les agents CNRS)

    sont les suivants : Search History, Analyse Research, Journal Citation report (JCR),

    Cited reference search. En outre, le RSG (Research Service Group) offre des

    traitements personnaliss, payants. Le JCR fournit un certain nombre dinformation

    sur les revues regroupes en catgories : nom du priodique, nombre darticles

    publis pour une anne donne, nombre de fois o un article a t cit (par anne

    ou cumul), liste des priodiques qui ont cit un article de ce priodique pour une

    anne de rfrence (Cited search). On peut ainsi retrouver des articles cits dans des

    revues non incorpores dans la base de donnes du WoS. Malheureusement, les

    bugs sont nombreux : on trouve ainsi dans la liste des revues qui citent ARSS (Actes

    de la recherche en sciences sociales Oeuvres compltes , et Condition Lit

    Double , sic).

    9

    Toutes ces informations permettent de dterminer le facteur dimpact du

    priodique ( Journal Impact Factor ), calcul partir du quotient : nombre de fois

    o, en 2007, les articles du priodique X publis en 2005 et 2006 sont cits dans un

    ensemble de priodiques de la catgorie, rapport au nombre darticles publis en

    2005 et 2006 dans le priodique X. Ainsi, les 77 articles de lAmerican Journal of

    Sociology publis en 2005 et 2006 sont rputs avoir t cits 257 fois en 2007, ce

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  • qui donne un facteur dimpact de 257/77= 3,338.

    On peut aussi regarder les choses sous un autre angle (Citing) et regarder dans

    quelles revues sont publis les articles cits dans les articles dun priodique donn

    pour une anne de rfrence.

    11

    Un premier coup dil cette base montre quelle analyse 96 revues sous la

    rubrique sociologie , 57 sous Sciences sociales et interdisciplinaires et que,

    pour tre prcis, il faudrait aussi considrer dautres catgories, notamment

    lanthropologie (ainsi la Revue franaise de sociologie est rpertorie dans la

    premire catgorie, mais Actes de la Recherche en sciences sociales dans la seconde).

    Limmense majorit de ces revues sont amricaines, il y a quelques grandes revues

    franaises et allemandes, mais peu ditaliennes ou despagnoles. En gros, tout ce qui

    nest pas anglophone est largement sous-reprsent et souffre de bugs vidents (les

    umlaut et autres accents aigus, c cdille, etc. sont royalement ignors).

    12

    Un second expos portait sur Indicateurs de positionnement institutionnel

    pour laide la dcision : comment les indicateurs bibliomtriques sont lheure

    actuelle utiliss pour guider la politique scientifique (G. Filiatreau, Directrice de

    lObservatoire des sciences et des techniques, OST). Il a galement t question du

    projet Normadresse , do il ressort que la politique de normalisation des

    adresses est en fait un levier pour pouvoir appliquer la bibliomtrie des fins de

    pilotage de la recherche. Chercheurs et publiants , lordre dans lequel vous

    mentionnez vos institutions de rattachement est tout sauf trivial. Par exemple,

    modifier lordre dune publication lautre, cest sexposer ne pas tre recens

    dans la base bibliomtrique.

    13

    Les deux premiers exposs de laprs-midi ont t faits par des chercheurs : Yves

    Langevin, Prsident de la section 17 du Comit national (Sciences de la Terre et

    Univers lointains) a expos comment en commission 17 les indicateurs

    bibliomtriques ont t utiliss, aux cts dautres critres, pour le concours DR2.

    14

    Deux points importants : Y. Langevin montre comment la commission a construit

    une batterie dindicateurs extrmement complexes (et non pas un simple facteur

    h brandi comme une hache) : pas moins de 14 indicateurs bibliomtriques ont t

    utiliss. Si cette batterie dindicateurs permet, en gros, de confirmer si les candidats

    se trouvent ou non dans la premire moiti du classement final, en revanche la

    corrlation avec les positions dans les premiers rangs nest pas bonne. Dautres

    indicateurs (jugements par les pairs, positions de responsabilit dans le milieu

    scientifique, etc.) sont de poids quand il sagit de dterminer les positions dans les

    premiers rangs.

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    Un dtail amusant : en section 17, toutes les revues scientifiques sont considres

    comme tant de rang A. Y. Langevin souligne que lutilisation de la bibliomtrie

    pour lvaluation pnalise les chercheurs qui ont une mobilit thmatique (puisquil

    faut plusieurs annes pour se refaire une rputation lintrieur dun groupe

    thmatique donn).

    16

    Enfin, ce systme entrane une srie deffets pervers dont luniformisation des

    pratiques scientifiques, la multiplication des publications avec trononnement des

    rsultats, etc. Comme Y. Langevin est optimiste, il prdit qu terme ce systme

    dvaluation par la bibliomtrie sautodtruira par uniformisation des pratiques.

    17

    Luc Segoufin, chercheur et membre de la commission dvaluation de lINRIA a

    montr sur un exemple prcis, comment si lon prend des bases diffrentes (Google

    scholar, Web of Science, Scopus, Citeseer, DBLP), on obtient des mesures dimpact

    diffrentes pour un mme chercheur. Cest irrfutable : tout index a un biais, le

    mode de calcul des index est dterminant, ce nest pas pertinent pour les

    valuations interdomaines. Enfin, le cot des outils payants est lourd (il semblerait

    quon ait du mal savoir le montant exact des contrats passs entre le CNRS et ses

    partenaires universitaires avec Thomson Reuters...).

    18

    L. Segoufin a repris dans son expos les grandes lignes du rapport labor par la19

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  • Notes

    commission dvaluation de lINRIA sur le sujet. Voir http://www.inria.fr/inria/

    organigramme/ce.fr.html puis cliquer sur indicateurs bibliomtriques .

    On peut y lire en conclusion : Si les indicateurs peuvent donner des tendances

    sur un nombre rduit daspects de la vie scientifique, il convient dtre trs

    circonspect dans leur usage en raison de la possibilit dinterprtations errones,

    des erreurs de mesure (souvent considrables) et des biais dont ils sont affects. Un

    usage abusif des indicateurs est facilit par la nature chiffre du rsultat qui

    introduit la possibilit dtablir dans lurgence toutes sortes de statistiques, sans se

    proccuper den analyser la qualit et le contenu, et en occultant lexamen dautres

    lments de la vie scientifique comme, par exemple, linnovation et le transfert

    intellectuel et industriel.

    20

    Suivent un certain nombre de recommandations qui invitent la plus grande

    prudence dans le maniement dinformations dont le caractre lacunaire et entach

    derreurs est constamment soulign. Dans son expos L. Segoufin conclut en

    montrant que ces indicateurs bibliomtriques peuvent ventuellement servir

    dgager le haut de la pyramide , mais que le jugement par les pairs reste loutil le

    plus sr et, paradoxalement, le moins subjectif...

    21

    Cette runion a t utile, un certain nombre dobjections ont pu tre exprimes

    librement, refltant souvent linquitude par rapport cette question : la notorit

    peut-elle tre prise pour un bon indicateur de la qualit scientifique ?

    22

    Un dernier point : il faut se garder de croire que les rticences lgard de la

    bibliomtrie comme outil dvaluation concernent les seules Sciences de lHomme

    et de la Socit. Cette runion le montrait clairement, rejoignant ainsi les rflexions

    que lon trouve dans cet excellent rapport produit par un groupe de mathmaticiens

    amricains3. Vous trouverez l un rappel des principales notions de bibliomtrie, y

    compris le mode de calcul du facteur h 4. Une lecture complmentaire nous est

    fournie par un chercheur canadien, Yves Gingras5. On y trouve un expos clair des

    principes de calcul des indicateurs, du facteur h et du classement de Shanga.

    23

    Les grandes manuvres actuelles autour de la bibliomtrie me rappellent

    trangement les querelles passes autour de la mesure de lintelligence par le

    Quotient intellectuel : mesurer rassure, mais lon ne mesure pas ce que lon

    croyait ou voulait mesurer.

    24

    En tout tat de cause, il faut se garder doublier que les articles cits sont le

    rsultat de filtrages successifs : ils ne sont que le dernier niveau, troit, dune fuse

    plusieurs tages : les chercheurs produisent dabord des communications ou des

    rapports, puis rdigent des articles, quils soumettent des revues ; une fraction

    variable de ces manuscrits arrive publication, un sur dix ou un sur vingt, parfois

    moins. Enfin, un article publi peut, par une srie de processus sociaux que lon

    connat fort mal6, parvenir tre cit. La citation est une mesure raisonnable de la

    visibilit dun rsultat scientifique. Quand bien mme lon voudrait dpartager les

    chercheurs qui travaillent de ceux qui ne travaillent pas ( supposer que cette

    expression ait un sens), le critre de citation est une mesure bien rustique. Sous des

    parures dobjectivit, cet indicateur rintroduit en fait ce quil prtendait liminer ;

    cest--dire, le jugement par les pairs.

    25

    Il est urgent pour la communaut scientifique en SHS de sinformer et dlaborer

    une rflexion collective sur le sujet : que nous le voulions ou non, pour de bonnes

    ou de mauvaises raisons, ces outils bibliomtriques sont dj utiliss. Certains de

    ces usages peuvent tre relativement raisonnables, mais ils ne sont ni neutres ni

    sans effet de retours sur les pratiques de recherche. Dautres usages de ces

    indicateurs sont illgitimes. Il reste obtenir que des outils qui ont quelque intrt

    ne soient pas utiliss en dpit du sens commun.

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  • 1 Pour une Realpolitik de la recherche au sujet de lenqute du CNRS sur les priodiquesaids par le dpartement des sciences sociales et de la socit, Actes de la recherche en sciencessociales, 2004/5, n. 155, pp.101-104.

    2 http://scientific.thomsonreuters.com/products/wos/

    3 Texte intgral : http://www.mathunion.org/fileadmin/IMU/Report/Citation Statistics.pdfRsum disponible sur http://www.sauvons larecherche.fr/ spip.php?article2004

    4 Voir Hirsch J.E. (2005), An Index to quantify an individuals scientific output, Proceedingsof the National Academy of Sciences, vol. 102, n. 46, pp. 16569-16572.

    5 Gingras Y., (2008) La fivre de lvaluation de la recherche. Du mauvais usage de fauxindicateurs. CIRST, UQAM. http://www.cirst.uqpam.ca Voir ci-dessous l Introduction dece mme rapport.

    6 Il y a vingt ans, Suzanne Cozzens la NSF Washington stait dj penche sur leproblme : Cozzens S. (1989), What do citations count? Scientometrics, vol. 15, n. 5-6, pp.437-447.

    Pour citer cet article

    Rfrence lectronique

    Laurence Coutrot , Sur lusage rcent des indicateurs bibliomtriques comme outildvaluation de la recherche scientifique , Bulletin de mthodologie sociologique,100 | 2008, [En ligne], Mis en ligne le 01 octobre 2008. URL : http://bms.revues.org/index3353.html. Consult le 05 janvier 2013.

    Auteur

    Laurence CoutrotCMH-CNRS-ENS-EHESS, [email protected]

    Droits d'auteur

    BMS

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