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Cet article est disponible en ligne à l’adresse : http://www.cairn.info/article.php?ID_REVUE=LING&ID_NUMPUBLIE=LING_391&ID_ARTICLE=LING_391_0151 À propos de Ferdinand de Saussure. Écrits de linguistique générale par Irina VILKOU-POUSTOVA ÏA | Presses Universitaires de France | La linguistique 2003/1 - 39 ISSN 0075-966X | ISBN 9782130536659 | pages 151 à 156 Pour citer cet article : — VILKOU-POUSTOVA ïA I., À propos de Ferdinand de Saussure. Écrits de linguistique générale, La linguistique 2003/1, 39, p. 151-156. Distribution électronique Cairn pour Presses Universitaires de France . © Presses Universitaires de France . Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Sobre Saussure y Los Escritos Rescatados

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Sobre los escritos recuperados de Ferdinand de Saussure.

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À propos de Ferdinand de Saussure. Écrits de linguistique générale

par Irina VILKOU-POUSTOVA ÏA

| Presses Universitaires de France | La linguistique2003/1 - 39ISSN 0075-966X | ISBN 9782130536659 | pages 151 à 156

Pour citer cet article : — VILKOU-POUSTOVA ïA I., À propos de Ferdinand de Saussure. Écrits de linguistique générale, La linguistique 2003/1, 39, p. 151-156.

Distribution électronique Cairn pour Presses Universitaires de France .© Presses Universitaires de France . Tous droits réservés pour tous pays.La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

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DISCUSSIONS

À proposde Ferdinand de Saussure,Écrits de linguistique générale1

par Irina VILKOU-POUSTOVAÏA

EPHE, 4eSection, Paris

La prestigieuse Bibliothèque de philosophie des éditions Gallimard nous proposeun nouvel ouvrage qui touche à la connaissance de la pensée linguistique de Fer-dinand de Saussure. Il s’agit d’un document philologique dont l’importance etl’actualité se mesurent à la valeur des textes portés à la connaissance du public.On reconnaît d’ailleurs l’érudition généreuse et la démarche inimitable deRudolf Engler, déjà auteur de la célèbre édition critique du CLG, de 1968-1974.

Le titre de l’ouvrage, Écrits de linguistique générale, renvoie à l’évidence au Coursde linguistique générale. Certes, comme le soulignent les éditeurs, la notion de lin-guistique générale n’est dépourvue ni d’ambiguïté ni de flou, mais c’est cependantà ce titre que répondent les trois cours de Saussure, professés à l’Université deGenève, entre 1906 et 1911, lesquels ont servi de base au CLG. Sans compterque tout au long des textes recueillis par les élèves, il apparaît nettement quepour Saussure une linguistique ne peut être que générale, c’est-à-dire soucieused’établir les principes et les fondements d’une réflexion générale sur le langage.

L’histoire de ces nouveaux textes de Saussure commence à être connue.En 1996, lorsque la maison de la famille de Saussure change de propriétaire, onretrouve au milieu d’un amas poussiéreux d’archives familiales, accumulées dansun pavillon nommé Orangerie, un petit manuscrit saussurien, De l’essence double dulangage. À cela s’ajoutent quelques notes préparatoires aux cours universitaires etd’autres papiers (appelés ici Nouveaux documents, Fonds BPU, 1996).

Les Écrits de linguistique générale (ELG) publiés par Bouquet et Engler propo-sent une version aménagée de ce manuscrit inconnu et de ses nouvelles notesthéoriques, ainsi qu’un nombre important de documents provenant des archivesconstituées par Rudolf Engler dans les années 1960-1970. Ces dernières figurentdans l’ouvrage avec la mention Anciens documents, édition Engler, 1968-1974.

La Linguistique, vol. 39, fasc. 1/2003

1. Texte établi et édité par Simon Bouquet et Rudolf Engler, Gallimard, 2002.2. Selon Rudolf Engler [communication personnelle], l’essentiel des Documents 1996

concerne la linguistique germanique, lituanienne et les langues classiques. Par ailleurs,l’Essence double ne représente qu’une maigre enveloppe à laquelle Engler aurait ajouté uneliasse détachée de notes, de matières disparates, perdue dans un tas de feuilles volantes.

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L’importance historiographique de ce manuscrit est grande : on a enfin uneconfirmation matérielle du projet d’un « livre » théorique que Saussure nourris-sait, livre dont on sait qu’il avait parlé aussi bien à A. Meillet (1894) qu’à son dis-ciple, L. Gautier (1911). De surcroît, le texte contribue à l’effondrement d’unmythe : celui d’un Saussure acharné à ne laisser derrière lui aucune trace écrite desa pensée, d’un Saussure féru de psychologie des profondeurs sinon de spiritisme,plongé dans le mystère des anagrammes pour n’en pas réchapper ; bref l’imaged’un génie aux limites de la folie. Ce nouveau manuscrit rétablit les faits : Saussureconstituait réellement un dossier pour un futur livre. Il n’était nullement saisi de larage de détruire toute trace écrite de son élaboration linguistique.

« DE L’ESSENCE DOUBLE DU LANGAGE » ET AUTRES

De quoi Saussure traite-t-il dans De l’essence double du langage, dossier privilégiédans les sources manuscrites ici proposées ? Sans nier la nouveauté des notes, ons’aperçoit assez vite que l’écrit reprend assez directement certains développe-ments du Cours, notamment ceux qui sont consacrés à la dualité du signe, ou auxdualités linguistiques, plus généralement. Essence double signifie donc surtout théoriede la valeur, autrement dit, rapports de valeur autant entre signifiant et signifié,dans le signe, qu’entre signes linguistiques mêmes au sein du système.

Redite ? Non point, car ce que les ELG apportent, c’est un approfondisse-ment de cette dualité essentielle et du lien qu’elle entretient avec l’objet de la lin-guistique en tant que délimitation et classification des entités (ou unités, la termino-logie saussurienne est fluctuante sur ce point) linguistiques. En effet, ce qui fait leursingularité, c’est précisément d’être doubles, c’est-à-dire ancrées à la fois dansl’idéel et dans la matière sonore. Et ce que les ELG permettent de mieux saisir,c’est l’ordre conceptuel qui préside à l’établissement de cette double essence : laconceptualisation s’amorce par une réflexion sur l’identité linguistique, pour envenir ensuite seulement à un développement de la notion d’entité : « La notiond’identité sera, dans tous les ordres, la base nécessaire, celle qui sert de baseabsolue : ce n’est que par elle et par rapport à elle qu’on arrive à déterminerensuite les entités de chaque ordre, les termes premiers que le linguiste peut légiti-mement croire avoir en face de lui » (p. 33). Enfin, une fois reconnues les entités,la pensée peut alors se tourner vers les unités linguistiques : « Tout le travail dulinguiste qui veut se rendre compte, méthodiquement, de l’objet qu’il étudierevient à l’opération extrêmement difficile et délicate de la définition de l’unité »(p. 26). En outre, le terme de valeur fait l’objet d’un commentaire particulière-ment profond et clair : « Nous n’établissons aucune différence sérieuse entre lestermes valeur, sens, signification, fonction ou emploi d’une forme, ni même avec l’idéecomme contenue d’une forme ; ces termes sont synonymes. Il faut reconnaître toute-fois que valeur exprime mieux que tout autre mot l’essence du fait, qui est aussil’essence de la langue, à savoir qu’une forme ne signifie pas, mais vaut : là est lepoint cardinal. Elle vaut, par conséquent elle implique l’existence d’autres valeurs »(p. 27).

À côté de ces éclaircissements sur la question de la valeur, le texte permetégalement d’appréhender ce que Saussure entend par objet de la linguistique.C’est là en effet le problème central de son futur « livre » qu’il formule alors ences termes : le « rôle du mot comme principal perturbateur de la science des

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mots » (p. 12). La question occupe pourtant déjà dans le CLG une place trèsimportante, laquelle s’inscrit dans une perspective au demeurant plus large :

« Il faudrait chercher sur quoi se fonde la division en mots – car le mot, malgré la dif-ficulté qu’on a à le définir, est une unité qui s’impose à l’esprit, quelque chose de centraldans le mécanisme de la langue –, mais c’est là un sujet qui remplirait à lui seul un volume.Ensuite on aurait à classer les sous-unités, puis les unités plus larges, etc. En déterminantainsi les éléments qu’elle manie, notre science remplirait sa tâche tout entière, car elleaurait ramené tous les phénomènes de son ordre à leur premier principe. On ne peut pasdire qu’on ne se soit jamais placé devant ce problème central, ni qu’on en ait comprisla portée et la difficulté ; en matière de langue on s’est toujours contenté d’opérer sur desunités mal définies. »1

Le manuscrit De l’essence double du langage procède donc de cette même quêtedes « fondements » qui hante la pensée de Saussure. Et quelle que soit l’époque,ou quelles que soient les époques2, les thèmes abordés dans le « livre » sont lesmêmes que ceux qui sont développés, sous forme plus didactique, dans le CLG.

Avec les notes préparatoires aux cours universitaires, le rapport est plusdirect encore. Celles-ci permettent parfois de lever certaines obscurités du CLG,mais surtout elles permettent de trancher diverses incertitudes épistémologiques.Ainsi, on repère maintenant sans difficulté le moment où Saussure pose pour lapremière fois la nécessité de deux linguistique, la linguistique de la langue et la lin-guistique de la parole (cf. les notes sur les Dualités (1908-1909), p. 298-299).

On comprend également mieux le rôle que la pensée de Whitney eut sur laréflexion linguistique de Saussure (cf. les notes sur Whitney, p. 299-304). Et laprésence de notes détaillées et extrêmement riches sur la linguistique géographique etsur ce que l’on connaît depuis toujours comme linguistique historique jette plus delumière sur la conception linguistique générale de Saussure.

Il serait impossible de rendre compte ici de toute la richesse théorique qu’ondécouvre dans les ELG. Toutefois, qu’il s’agisse de ce que l’on y trouve desréflexions du Maître genevois à propos de l’immense problème du point de vue, dusystème vu comme morphologie, ou encore, de la notion si vaste de grammaire ou dediscours, à chaque fois le mérite essentiel des ELG est de convier le lecteur à unretour... au CLG pour une remise en cause des présupposés exégétiques et descommodités d’interprétation. Le Saussure des Écrits nous invite à relire le Courspour y découvrir un autre Saussure que celui que l’on enseigne en classe de phi-losophie au chapitre du langage.

Souvent, en effet, le CLG est lu de manière inégale. L’Introduction et les deuxpremières Parties, qui traitent de problèmes de linguistique statique, sont lar-gement connues. Tout ce qui a trait à la sémiologie, l’arbitraire du signe, lesrelations syntagmatiques et associatives, les dichotomies langue/parole et syn-chronie/diachronie, ont fait l’objet de reprises et redites infinies. Mais le CLGcontient d’autres trésors, fort peu exploités. C’est le cas par exemple de la phono-logie, de la théorie de la syllabe, des réflexions sur l’analogie et les changements phonéti-ques, comme d’ailleurs des interrogations sur les diverses divisions de la grammaire,l’analyse de la langue par le sujet parlant, etc.

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1. Ferdinand de Saussure, CLG, p. 154.2. La date de l’Essence peut être précisée sur fond d’une lettre de Saussure à Gas-

ton, Paris, novembre 1891, à la suite des leçons inaugurales (voir plus loin) qui ontconduit Saussure à entreprendre cette nouvelle prospection. [R. Engler, communicationpersonnelle].

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Retournons aux ELG.D’abord, les problèmes théoriques du CLG y sont aussi abordés, parfois

autrement traités, ou du moins effleurés. Mais bien que dans le projet de Saus-sure, son « livre » fut certainement conçu comme un effort supplémentaire pourforger une terminologie, et par là, donner une marche logique aux opérations dulinguiste, il n’empêche que c’est dans le CLG que l’on en trouve une présentationplus complète et plus explicite. Malheureusement, ces problèmes sont le plus sou-vent ignorés.

La parution des ELG devrait donc persuader les spécialistes de revenir auCLG, notamment sur les points énumérés ci-dessus, car il ne s’agit point de thè-mes de réflexion ponctuels : Saussure en traite d’une manière régulière et lesdeux ouvrages se complètent.

Pour ne donner ici qu’un exemple, penchons-nous un instant sur la questiondes phonologies. Celles-ci sont largement déployées dans le CLG. Mais c’est auxELG que revient le mérite de développer la notion de figure vocale (p. 17,p. 21, etc.), absente du premier ouvrage. Et cette notion-là permet à Saussure dedétacher la linguistique d’un côté et la phonologie et les phonétiques, de l’autre :« Il est faux (et impraticable) d’opposer la forme et le sens. Ce qui est juste, enrevanche, c’est d’opposer la figure vocale d’une part, et la forme-sens de l’autre »(p. 17). En revanche, c’est dans le CLG, que le terme de phonème est le plus expli-citement posé. Si l’on procède donc à une comparaison régulière, les développe-ments fournis dans chaque ouvrage s’éclairent mutuellement.

SAUSSURE – ÉPISTÉMOLOGUE ET PHILOSOPHE ?

Comme le souligne la quatrième de couverture : « Le linguiste genevois appa-raît aujourd’hui, dans ses écrits originaux, à la fois comme un épistémologue de sadiscipline et comme un philosophe, soucieux de dénoncer les illusions de toutessortes dont le langage est l’occasion pour repenser les fondements de son étude. »Cette idée d’un Saussure, épistémologue et philosophe est d’ailleurs égalementdéveloppée dans la Préface des ELG. Selon les éditeurs, la pensée linguistique géné-rale de Saussure s’organise autour de trois ou plutôt de deux champs : l’épistémologieet la philosophie du langage (p. 8). Ce qu’on appelle ici « épistémologie » est à la fois« une critique de la science » (ibid.) et une « épistémologie programmatique »,cette dernière étant vue comme une « réflexion prospective » (ibid.).

Toutefois, le supposé penchant philosophique de Saussure ne semble pas tou-jours en accord avec les déclarations de Saussure lui-même. Il montrait en effetun singulier scepticisme à l’endroit des métaphysiques. Les notes mêmes del’Essence double du langage le confirment : « Nous sommes très éloignés de vouloirfaire ici de la métaphysique » (p. 83).

À cela s’ajoute :

« Dans d’autres domaines, si je ne me trompe, on peut parler des différents objetsenvisagé[s] sinon comme de choses existantes par elle[s]-mêmes du moins comme de chosesqui résument [des] choses et des entités positives quelconques <à formuler autrement> (àmoins peut-être de pousser les faits jusqu’aux limites de la métaphysique, ou de la questionde la connaissance ; ce dont nous entendons faire complètement abstraction). »1

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1. Citation qui m’a été communiquée personnellement par Rudolf Engler.

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Il ne s’agit bien évidemment pas d’affirmer que la pensée linguistique deSaussure est dépourvue de dimension philosophique. Mais de quelle philosophies’agit-il ? Les trois conférences que Saussure donna à Genève, en novem-bre 1891, à propos de la linguistique comme science historique et qui sont présen-tes dans les ELG (p. 143-173), contiennent des éléments de réflexion philoso-phique. Il s’agit là d’une réflexion philosophique particulière : elle vise àdéterminer la place de la linguistique parmi les autres sciences historiques. Est-cebien cette philosophie que les éditeurs mettent en avant ? Difficile à admettre,car ce n’est pas l’historicisme de Saussure, sujet à discussion dans l’exégèse, qu’onmet d’habitude en valeur dans sa pensée.

Reste la question de l’épistémologie de Saussure, entendue à la fois comme« critique de la science » et « réflexion prospective ». Ici, à nouveau, un retourau CLG s’impose. Car plutôt que des développements abstraits sur le thème, c’estune épistémologie en acte que l’on trouve là à l’œuvre, inséparablement associéeà l’argumentation linguistique. Elle émerge par exemple dans un schéma de raison-nement très particulier que l’on voit constamment reproduit. Quel que soit leproblème abordé, en effet, Saussure procède toujours selon le même ordre : ilcommence par poser une question, pour chercher ensuite un principe suivi d’unexemple, puis critiquer les erreurs dans les théories antérieures, afin de montrerenfin l’utilité d’une nouvelle démarche, d’un nouveau point de vue, et d’une nouvelle méthode.C’est là une sorte d’épistémologie en action.

Ce schéma se reproduit régulièrement dans la totalité du CLG, ou peu s’enfaut. On le trouve dans l’exposition de la théorie de la syllabe (p. 77-95), et le traite-ment des phénomènes de changement phonétique (p. 198-220). Ou encore dansl’interprétation de la place et du rôle de l’analogie (p. 221-237 sq.) et del’agglutination (p. 242-250), dans la mise en lumière de deux analyses, subjective etobjective (p. 251-260), de deux linguistiques diachroniques, prospective et rétrospective(p. 291-294), mais aussi dans la mise en valeur méthodologique des reconstructions(p. 299-303), etc. On est donc constamment face à une démarche, qui reliel’analyse linguistique à des réflexions critiques et programmatiques.

Dans l’intention de Saussure, il s’agissait probablement de conjuguer laréflexion épistémologique à une pratique de recherche linguistique. On peut sedemander si le fait de les dissocier ne minimise pas le caractère novateur de sadémarche, qui est d’ailleurs surtout visible dans le CLG et non pas dans les ELG,comme la quatrième de couverture de ces derniers l’annonce.

DÉFENSE ET ILLUSTRATION DES ÉDITEURS DU CLG

Dans l’édition ici proposée, un semblant de parti pris gêne à certainsmoments : il s’agit des critiques à l’adresse de Séchehaye et Bally. Ainsi, la Préfaceexplique que les notes de cours et les écrits autographes révéleraient « unepensée plus subtile, plus limpide, plus convaincante que celle du Cours. Dans lelivre de 1916, ils [deux pôles de la pensée saussurienne : ses doutes et son “com-bat contre le manque de réflexion épistémologique qui caractérise la linguis-tique”] sont comme écrasés, voire systématiquement gommés » (p. 10-11).

Rappelons que l’édition critique du Cours de T. De Mauro (1967) s’appuyaitdéjà sur les sources manuscrites et les travaux philologiques de R. Engler. Onétait donc déjà largement informé des dérapages et erreurs des premiers éditeurs.

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À noter cependant que, si le travail de Séchehaye et de Bally n’avait pas existé, iln’y aurait pas eu matière à controverse exégétique. Un cercle restreintd’admirateurs de Saussure aurait sans doute étudié l’œuvre du Maître ; ils neseraient pourtant jamais parvenus à en faire le phénomène de société que la lin-guistique saussurienne a constitué tout au long du XXe siècle.

Enfin, il est parfois peu aisé d’attribuer aux éditeurs la paternité de toutesles lectures réductrices du CLG. Aucune des erreurs des éditeurs n’a empêchéLouis Hjelmslev de lire Saussure avec le génie qu’on lui sait. Et l’absence desources manuscrites directes ne l’a pas non plus empêché de renouer avec lavérité de l’inspiration saussurienne. Assurément, le CLG reste un ouvrage souventmal lu, ou à tout le moins lu d’une manière sélective. Mais la faute n’en incombepas nécessairement à la « mauvaise » édition de Séchehaye et Bally.

CONCLUSION

À notre sentiment, la valeur épistémologique essentielle de ces documentsphilologiques est de nous faire revenir avec un autre regard et d’autres interroga-tions sur le texte même du CLG. Ce n’est d’ailleurs qu’en regard du CLG que lesELG prennent toute leur valeur. En contrastant les deux sources, on est devantune extraordinaire mine de pensée, qui risque fort d’alimenter toute la critique àvenir. Il devient en effet possible de tenter une reconstitution de l’ordre que Saus-sure aurait donné à ses idées, bien qu’aucun des deux ouvrages ne se lise, à pro-prement parler, selon un tel ordre de succession.

Pour finir, encore un mot : le texte de l’édition Gallimard n’est pas un fac-similé des manuscrits découverts : un grand nombre de passages biffés ou inache-vés n’ont pas été retenus, et les éditeurs le précisent (p. 14). Cet aménagementétait évidemment nécessaire pour une lecture profane. Pourtant, c’est l’hésitationde la démarche scientifique que l’on soustrait ainsi au regard. Gageons alorsqu’une édition future, soucieuse de rétablir ces passages biffés, enrichira encorenotre connaissance de l’héritage intellectuel du Maître genevois. Et quel’épistémologie historique y gagnera l’étude d’une pensée scientifique dans lesméandres de son déploiement.

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