58
UNIVERSITE DE PARIS IV SORBONNE ANNEE 1996-1997 BENOIT DE BAECQUE 5, RUE DAVIOUD 75016 PARIS LA LITTERATURE DE L’ANTIQUITE DANS LES FLEURS DU MAL DIRECTEUR DE RECHERCHE : M. ANDRE GUYAUX

RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

UNIVERSITE DE PARIS IV – SORBONNE

ANNEE 1996-1997

BENOIT DE BAECQUE 5, RUE DAVIOUD

75016 PARIS

LA LITTERATURE

DE L’A NTIQUITE

DANS

LES FLEURS DU MAL

DIRECTEUR DE RECHERCHE : M. ANDRE GUYAUX

Page 2: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 2 -

Le bon ordre, qui aplanit les aspérités, met fin à l’avidité, détruit l’excès, dessèche les fleurs du mal.

Solon (fragment)

Si, par la lecture de bons livres, je me suis imprimé quelques traits en la fan-taisie, qui après, venant à exposer mes petites conceptions selon les occa-sions qui m’en sont données, me coulent beaucoup plus facilement en la plume qu’ils ne me reviennent en la mémoire, doit-on pour cette raison les appeler pièces rapportées ?

Joachim du Bellay, Seconde préface de L’Olive

Mon berceau s’adossait à la bibliothèque, Babel sombre, où roman, science, fabliau, Tout, la cendre latine et la poussière grecque, Se mêlaient. J’étais haut comme un in-folio. Deux voix me parlaient. L’une, insidieuse et ferme, Disait : « La Terre est un gâteau plein de douceur ; Je puis (et ton plaisir serait alors sans terme !) Te faire un appétit d’une égale grosseur. » Et l’autre : « Viens ! oh ! viens voyager dans les rêves, Au-delà du possible, au-delà du connu ! » Et celle-là chantait comme le vent des grèves, Fantôme vagissant, on ne sait d’où venu, Qui caresse l’oreille et cependant l’effraie.

Baudelaire, La Voix, v. 1-13

Page 3: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 3 -

INTRODUCTION Dès son plus jeune âge – en témoignent les nombreux vo-lumes latins de la bibliothèque qu’il a héritée de son père – Bau-delaire fut très marqué par ses lectures des classiques de l’Antiquité. Excellent latiniste, il obtint de nombreux prix et ac-cessits en version et composition poétique. Cette culture ne l’a jamais quitté ; tout au long des Fleurs du mal, les allusions foi-sonnent, parfois seulement dues à une volonté esthétique1 (autant fondamentale que formelle), souvent plus profondes, plus inhé-rentes à la pensée même qui motive le poème.

Environ un tiers2 des poèmes des Fleurs du mal contien-nent une allusion explicite à l’Antiquité. Cependant, il faut bien différencier les mythologismes, nécessaires à la richesse de l’évocation ou même parfois de la rime, qui n’ont fondamentale-ment rien d’antique, des véritables références aux auteurs latins et grecs. Ces références sont, pour la plupart, assez implicites, et il est difficile de donner une liste exhaustive de leur occurrence dans l’oeuvre de Baudelaire. On peut cependant tenter de les ras-sembler en deux groupes : le premier n’étant constitué que d’allusions incidentes, justifiées quoique ponctuelles, à des au-teurs que Baudelaire a sûrement beaucoup fréquentés, mais dont il n’a que des réminiscences, conscientes ou non. Le second, plus important, se compose d’allusions dominantes, d’auteurs dont la philosophie et la sensibilité l’ont marqué davantage, et dont la présence fréquemment implicite colore le fondement de la poésie baudelairienne.

« On peut faire des Romains et des Grecs romantiques, quand on l'est soi-même », disait l’auteur du Salon de 18463. Pourtant, l’opinion de Baudelaire à cet égard a constamment changé au cours de sa vie. Au début, c’est en lisant les oeuvres de Chateaubriand, Hugo, Sainte-Beuve, Gautier, qu’il se rend

1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil se plaît à dorer les statues » en 1857 devient « Dont Phoebus se plaisait à dorer les statues » en 1861. 2 Selon Charles Hérisson, dans son article « L'imagerie antique dans Les Fleurs du mal ». 3 Cité par Charles Hérisson, art. cit.

Page 4: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 4 -

compte de l’influence de l’Antiquité sur leur inspiration ; il s’oriente donc dans cette voie et s’enthousiasme pour les études classiques. Jusqu’en 1845, il trouve dans la juxtaposition du mo-derne à l’antique un argument à sa conception du monde. Puis il revient sur cette idée, à partir de 1846 : il critique âprement le phénomène de mode du néo-paganisme. Devant une gravure de Daumier, représentant une scène de la guerre de Troie, que Bau-delaire est allé contempler avec son ami Théodore de Banville, ce dernier se met à pleurer ; et Baudelaire de s’écrier : « Mais qui nous délivrera des Grecs et des Latins4 ? » Entre 1850 et 1860 toutefois, il semble que le poète ait trouvé la valeur symbolique et synthétique de la mythologie et de la littérature qui s’y at-tache ; en témoignent des pièces comme Le Cygne et Femmes damnées. Il se forge sa propre opinion des auteurs qui l’inspirent, et revêt leur message d’une aura de mystère, de merveille, de plénitude qui parfois, n’est pas authentique. C’est le cas de Pla-ton, de Sappho, par exemple, symboles pour lui d’une certaine morale et d’une certaine philosophie, qu’il adapte à son propre univers bien plus que l’inverse ; peut-on parler d’infidélité ? On ne peut connaître un auteur autrement que par l’interprétation qu’on a de son oeuvre ; caractère proprement romantique que Baudelaire appliquera, entre autres, à sa lecture de Virgile, le poète qui l'a le plus marqué.

En dernier lieu, il a semblé judicieux de regrouper l’étude de deux poèmes dont l’inspiration antique est plus profonde et probablement plus calculée par Baudelaire : Le Cygne et Femmes damnées. Le premier a, bien sûr, déjà été très commenté, mais tout n’a pas été vu, ni expliqué; quant au second, il n’a fait l’objet, dans cette optique, que d’un petit article dont la perspec-tive peut être approfondie. Il ne s’agit pas véritablement d’un ex-posé concernant chaque fois l’ensemble du poème, mais seulement d’une analyse de l’intertextualité entre certains pas-sages. Il apparaît ainsi que la lecture du texte classique complète sensiblement le message du texte moderne : sans le restreindre en l’explicitant, elle élargit l’horizon de la lecture.

4 Cité par Marino Barchiesi dans « Antiquité et modernité dans l’expérience de Baude-laire... ».

Page 5: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 5 -

INFLUENCES INCIDENTES L’influence d’auteurs comme Eschyle, Sophocle, Lucrèce, Juvénal, et même Stace, demeure ponctuelle, souvent sans véri-table lien avec la pensée baudelairienne ; généralement, Baude-laire réutilise le discours de ces auteurs en l’extrapolant. Rien de comparable, bien sûr, avec l’ascendant qu’ont sur lui Virgile, Ho-race, Ovide ou dans une moindre mesure, Sappho et Platon. On ne peut savoir tout ce qu’avait lu Baudelaire, ce qu’il avait rete-nu, quelles étaient les influences qu’il ressentait consciemment ; il ne nous renseigne pas beaucoup lui-même, et ce n’est qu’au re-gard des textes, grâce à leur comparaison, que certaines déduc-tions sont possibles – peut-être ne sont-elles pas vérifiables, et mêmes parfois sont-elles contestables, mais la question qu’elles posent reste essentielle : c’est le principe de toute intertextualité.

Page 6: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 6 -

I – ESCHYLE – PROMETHEE ENCHAINE En adaptant les Suspiria de Thomas De Quincey5, Baude-laire trouve, en note, ce vers d’Eschyle (Prométhée enchaîné, v. 89-90 6) : (...) ποντιων τε κυµατων ανηριθµον γελασµα (...) ([...] et l’immense rire des flots déchaînés 7 [...]) A-t-il alors été vérifier le contexte du vers chez Eschyle, fait-il seulement confiance à son souvenir ? Le « plagiat » dont il s’accuse dans son projet de préface aux Fleurs du mal8 concerne uniquement le vers 8 du poème Obsession (« Je l'entends dans le rire énorme de la mer »). Cependant, il semble que le thème des quatre premiers vers du monologue de Prométhée, dont est ex-traite la citation qui nous occupe, se retrouve en filigrane dans tout le poème de Baudelaire.

Ô Éther divin, souffles au vif envol, sources des fleuves, immense rire des flots déchaînés, terre immensément ma-ternelle ! Et l’oeil du soleil qui voit tout, je l’invoque aus-si9.

Dans le prologue de la tragédie, le Pouvoir, assisté d’un

Héphaïstos très réticent, fait enchaîner Prométhée à un rocher au-dessus de la mer. Ce dernier en effet, contrecarrant le dessein des dieux, a offert le feu aux hommes ; aussi Zeus le condamne-t-il à une peine éternelle. Au début de son monologue, Prométhée adresse une invocation aux éléments de la création : air (« Éther divin, souffles... »), eau (« sources, [...] flots déchaînés... »), terre (« terre immensément maternelle ! »). Le feu (« source de feu qui brille pour les hommes », v. 110) est présenté à part, comme mo- 5 Comme le mentionne l’édition Pichois. 6 Pour la référence des textes latins et grecs, voir Bibliographie. 7 Les traductions proposées sont toujours personnelles, sauf mention contraire. 8 Projet de préface aux Fleurs du mal. 9 Prométhée enchaîné, v. 88-91 (Traduction Jean Grosjean pour la Bibliothèque de la Pléiade)

Page 7: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 7 -

tif de la peine infligée par Zeus. De même Baudelaire, dans Ob-session, évoque la terre (v. 1 « Grands bois, vous m'effrayez comme des cathédrales »), l’eau (v. 5 « Je te hais, Océan ! tes bonds et tes tumultes »), et l’air (v. 11 « Car je cherche le vide, et le noir, et le nu ! » ou v. 12 « Mais les ténèbres sont elles-mêmes des toiles »). On peut rapprocher également « l’oeil du soleil qui voit tout » d’Eschyle des « étoiles » si pénibles à Baudelaire, car chargées d’un « langage connu ». L’Obsession du poète mo-derne, qui veut sortir à tout prix de son univers, échapper au spleen, ressemble à la plainte de Prométhée (Ibid. v. 97-99 : « Hélas, hélas ! c’est de douleurs présentes et à venir / que je me lamente ; jusqu’où faut-il qu’aille ma peine / pour que son terme paraisse enfin ?10 ») .

Dans un article11, Antoine Fongaro défend l’idée, en ce qui concerne Les Litanies de Satan, d’une fusion Satan – Prométhée, où Satan, comme le demi-dieu grec, serait un bienfaiteur de l’humanité. Il rapproche pour cela les vers 19-20 et 22-23 du poème (« Toi qui sais en quels coins des terres envieuses / Le Dieu jaloux cacha les pierres précieuses, (...) / Toi dont l’oeil clair connaît les profonds arsenaux / Où dort enseveli le peuple des métaux ») d’un extrait du Prométhée enchaîné (v. 500-503 : «[...] ενερθε δε χθονος / κεκρυµµεν ανθρωποισιν ωφεληµα−τα, / χαλπον, σιδηρον, αργυρον, χρυσον τε, τις / φησειεν αν παροιθεν εξευρειν εµου; » [« (...) et de même les trésors que la terre cache aux hommes, bronze, fer, or et argent, quel autre les leur a donc révélés avant moi ? »]). L’allusion est lointaine (on peut associer « le peuple des métaux » de Baudelaire aux « bronze, fer, or et argent » d’Eschyle, comme les mots « terre » et « χθονος » ou « cacha » et « κεκρυµµεν »). Sans doute Bau-delaire compare-t-il seulement les « trésors » souterrains d’Héphaïstos, le dieu forgeron, aux « trésors » des Enfers. L’image des richesses de la terre est en effet un topos de l’Antiquité et n’est déjà pas très originale chez Eschyle.

10 Traduction Jean Grosjean. 11 Quelques images dans Les Fleurs du mal.

Page 8: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 8 -

II – SOPHOCLE – ANTIGONE

Ces réminiscences n’ont jamais été montrées par la cri-tique, car Baudelaire n’a jamais vraiment parlé de Sophocle comme d’un auteur l’ayant marqué. Tout d’abord, on peut sans mal rapprocher le vers 2 de « Une nuit que j’étais près d’une affreuse Juive » :

Comme au long d'un cadavre un cadavre étendu (...) de l’Antigone de Sophocle, vers 1240, tiré du passage où le Mes-sager vient rapporter à Eurydice qu’Hémon s’est suicidé près du cadavre de sa fiancée :

Κειται δε νεκρος περι νεκρω (...) (Il [Hémon] est étendu, cadavre auprès d'un cadavre...)

Dans Hymne à la Beauté (v. 19-20 : « L'amoureux pante-lant incliné sur sa belle / A l’air d’un moribond caressant son tombeau. »), la ressemblance est également frappante avec le même vers de Sophocle ; le tableau semble plus fidèle, comme le contexte. Il s’agit ici d’un des poncifs baudelairiens ; la jeunesse et la beauté sont directement confrontées à la mort, car c’est le seul moyen pour elles de prendre conscience d’elles-mêmes.

Et comme Hémon se lamente près du corps d’Antigone avant de mettre fin à ses jours (Antigone, v. 1219-1225 : « A ces ordres du maître affolé, nous regardons et, au fond du tombeau, nous les apercevons, elle, pendue par le cou, qu'enserre un lacet fait de son linon épais, et lui, collé à elle, l'étreignant à pleins bras et pleurant sur la perte d'une épouse désormais aux enfers, sur les forfaits paternels, sur ses noces douloureuses12 ! »), « l'amoureux » de Baudelaire pleure sur sa jeunesse autant que « sur sa belle ». C’est la même idée qui rappelle à nouveau Sophocle dans Remords posthume. 12 Traduction Paul Mazon pour la Collection Budé.

Page 9: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 9 -

On a assez souvent dit que ce texte datait d’une époque où Baudelaire était très inspiré par les auteurs de la Renaissance, qu’il s’adressait à Jeanne, et que les premiers mots (« Lorsque tu dormiras... ») renvoyaient directement au célèbre sonnet de Ron-sard : « Quand vous serez bien vieille... ». Cependant, l’image d’Antigone marchant vers son tom-beau, et ses mots éplorés, mais résignés (Antigone, v. 891-892) :

Ω τυµβος, ω νυµφειον, ω κατασκαφης οικησις αιειφρουρος (...) (Ô tombeau, ô alcôve, ô demeure souterraine pour toujours ma prison...)

font penser aux vers 3 et 4 du poème de Baudelaire (« Et lorsque tu n'auras pour alcôve et manoir / Qu’un caveau pluvieux et qu’une fosse creuse »).

Le poète parle comme si la « belle ténébreuse » n’était pas vraiment morte, couchée dans son tombeau : elle dort, et « la pierre » écrase sa volonté ; de même, Créon, qui avait d’abord prévu de faire lapider le coupable de l’enterrement de Polynice, décide finalement de faire enterrer Antigone vivante dans un ca-veau (Antigone, v. 773-780 : « Je (...) l'enfermerai toute vive au fond d'un souterrain creusé dans le rocher (...), il lui faudra bien reconnaître que c’est peine fort inutile que de garder tout son res-pect pour les Enfers.13 ») Et la seule chose qui reste à Jeanne, comme à Antigone, c’est ce « remords » d’avoir gâché sa jeu-nesse et sa vie, la première « de n’avoir pas connu ce que pleu-rent les morts » (v. 13), la seconde d’avoir écouté la justice des dieux.

13 Traduction Paul Mazon.

Page 10: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 10 -

III – LUCRECE – DE RERUM NATURA

Les allusions au De rerum natura sont relativement fré-quentes dans Les Fleurs du mal. Il ne s’agit en général que d’images amenant à une idée14 plus abstraite. En voici quelques-unes, sans prétention d’exhaustivité. Dans Élévation Baudelaire se souvient du poème de Lu-crèce (livre II, v. 8-9) avec une certaine précision :

Sed nil dulcius est bene quam munita tenere edita doctrina sapientum templa serena (...) (Mais rien n’est plus doux que de tenir solidement les do-maines fortifiés par la science des sages, régions se-reines...)

Cette image est rendue dans les vers 15-16 du poème moderne :

Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse S'élancer vers les champs lumineux et sereins (...)

Le rapprochement a été signalé sans être commenté15. Les « tem-pla » latins ne désignent pas des « temples » ; ici le terme garde son sens premier. Le templum à Rome désigne en effet la région du ciel où l’on observe les présages demandés aux dieux. Le prêtre chargé de l’augure délimite cette région dans l’espace à l’aide d’un bâton ; le cas échéant, la projection verticale au sol du templum permet de tracer une forme rectangulaire sur laquelle on construit parfois les murs d’un temple. Le mot employé par Lu-crèce a donc bien ici une valeur religieuse, mais beaucoup plus figurative qu’on peut au premier abord le penser ; les « templa serena » sont les espaces « sereins » du ciel, c’est-à-dire les ré-gions où les dieux montrent aux mortels des signes favorables 14 Voir p. 33 sqq. 15 L’allusion à Lucrèce a été relevée par Robert D. Cottrell dans « Baudelaire's Élévation and the Ptolemaic System ».

Page 11: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 11 -

(en l’occurrence, des passages d’oiseaux). Baudelaire utilise la même image aérienne. Les vers 3 à 6 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : Alors l’homme et la femme en leur agilité Jouissaient sans mensonge et sans anxiété, Et, le ciel amoureux leur caressant l’échine, Exerçaient la santé de leur noble machine.

paraissent également rappeler un passage de Lucrèce :

Et Venus in siluis iungebat corpora amantum ;

conciliabat enim uel mutua quamque cupido, uel uiolenta uiri uis atque impensa libido uel pretium, glandes atque arbita uel pira lecta16.

(Et Vénus unissait dans les bois le corps des amants ; soit qu’un désir réciproque les rapproche, soit la violente puis-sante de l’homme et sa débordante convoitise, soit des pré-sents, glands, arbouses ou poire choisie.)

L’image de l’âge d’or décrit par Baudelaire correspond à celle que Lucrèce donne des temps « primitifs ». Sans doute le poème moderne tout entier (et particulièrement ces quatre vers) fait-il implicitement référence au livre V du De rerum natura, où l’auteur raconte l’essor de la civilisation. Une autre allusion probable au poème latin n’a jamais été soulignée : Lucrèce, pour expliquer les syndromes de la peste, dans le livre VI consacré, entre autres, aux maladies mortelles (qu’il veut démythifier, en les débarrassant de la connotation sa-crée qu’on leur donne encore à l’époque – le « mal divin »), re-late la peste d’Athènes, en s’inspirant de Thucydide. Les vers 1154-1155 :

16 De rerum natura, livre V, v. 962-965.

Page 12: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 12 -

Spiritus ore foras taetrum uoluebat odorem, rancida quo perolent proiecta cadauera ritu.

(Le souffle de la bouche exhalait une odeur immonde, tout comme les cadavres en décomposition abandonnés sur le sol répandent une infecte puanteur.)

ont pu inspirer Une charogne (v. 3-4 : « Au détour d'un sentier une charogne infâme / Sur un lit semé de cailloux », v. 8 : « Son ventre plein d'exhalaisons », v. 15 : « La puanteur était si forte... »), dont le ton est empreint de ce réalisme cher à beau-coup d’auteurs antiques, depuis les fameuses descriptions d’Homère. On peut d’ailleurs, comme le dit Alain Michel dans son article « Baudelaire et l'Antiquité »17, entendre parfois dans la voix du poète les accents de l’εµφασις (expressivité) de Lu-cain, par exemple. Baudelaire semblait bien connaître un mor-ceau du livre VI de La Pharsale, où Erichto, magicienne thessalienne, se livre à de terrifiants rites magiques et ressuscite l’esprit d’un mort dans son cadavre, pour lui demander le sort de Pompée dans la guerre civile qui l’oppose à César. Aucune marque de véritable intertextualité n’a été relevée cependant avec Lucain.

17 Voir Bibliographie.

Page 13: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 13 -

IV – STACE – SILVES Baudelaire accorde à Stace une mention dans un de ses projets de préface aux Fleurs du mal18 ; mais son aveu de « pla-giat » concerne seulement le refrain du poème L’Invitation au voyage (v. 13-14) :

Là, tout n’est qu'ordre et beauté, Luxe, calme et volupté.

Pax secura locis, et desidis otia uitae, et nunquam turbata quies, somnique peracti19. (Là, règnent une paix sereine et les loisirs oisifs de la vie ; le repos n’y est jamais troublé, ni le sommeil interrompu.)

On trouve cependant dans ce poème, que Stace dédie à sa femme (Ad Claudiam uxorem), beaucoup de détails qui rappel-lent également L’Invitation au voyage (v. 81-82 « Has ego te sedes (...) transferre laboro » [Quant à moi voici l'endroit (...) où je m'efforce de te conduire] ; v. 110 « uenies, carissima co-niunx » [tu viendras, épouse très chérie] ; etc.). Baudelaire semble s’être véritablement imprégné de l’atmosphère qui règne dans le poème de Stace ; il prend avec l’être aimé le même ton protecteur (« Mon enfant, ma soeur » v. 1), et c’est la même « in-vitation », dans les deux cas, vers un lieu de loisir et de calme.

On n’a jamais vu qu’on pouvait rapprocher d’autres vers

de Stace, tirés du même poème, des premiers vers de Correspon-dances (v. 1-2) et du premier quatrain de La Vie antérieure :

La Nature est un temple où de vivants piliers Laissent parfois sortir de vivantes paroles (...)

18 « Note sur les plagiats. – Thomas Gray. Edgar Poe (2 passages). Longfellow (2 passag-es). Stace. Virgile (tout le morceau d'Andromaque). Eschyle. Victor Hugo. » Projet de pré-face aux Fleurs du mal. 19 Silves, livre III, chapitre V, v. 85-86.

Page 14: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 14 -

J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques.

Quid nunc magnificas species cultusque locorum templaque et innumeris spatia interstincta columnis20 (...) (Et que dire à présent des spectacles splendides et de l'or-nement de ces lieux, des temples et des places où s'espa-cent d'innombrables piliers...) L’image des « portiques » (vraisemblablement aussi em-

pruntée à Virgile, voir infra) et de leurs « piliers » dans La Vie antérieure, comme celle des « vivants piliers » de Correspon-dances, rappelle les « templa » et leurs « columnis » de Stace ; la scansion des vers latins d’autre part, montre une quasi-totale dis-cordance entre le tempo de l’hexamètre (l’ictus métrique, auto-matiquement placé sur la première syllabe de chaque pied) et l’accent des mots (selon la règle d’accentuation latine, sur la pé-nultième longue ou l’antépénultième) ; cette discordance force la diction et la rend plus solennelle, plus grave. On remarque la même solennité dans les vers de Baudelaire. C’est donc tout un esprit, toute une atmosphère, que le poète moderne va chercher dans le texte antique.

20 Silves, livre III, chapitre V, v. 89-90.

Page 15: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 15 -

V – JUVENAL – SATIRE VI La traduction des vers 115 à 132 de la VIème Satire de Ju-vénal, consacrée aux femmes, valut à Baudelaire un prix à Louis-le-Grand. Ce passage, qui raconte la débauche de Messaline, se prostituant la nuit sous le nom de Lycisca (de lyciscus, « chien-loup », dont l’étymologie peut justifier en français le mot « lice(s) », utilisé dans le prologue aux Fleurs du mal [Au Lec-teur, v. 29 : « Mais parmi les chacals, les panthères, les lices »]), avec une perruque blonde, a donné au poète moderne le titre de Sed non satiata21 (« ...et lassata uiris, necdum satiata reces-sit... » [...elle se retire, fatiguée par les hommes, mais non point rassasiée...]). Les manuscrits donnent bien « necdum » et jamais « sed non », qui est une expression non classique, sans doute dé-libérément employée par Baudelaire par souci de clarté. Il s’inspire chez Juvénal d’une certaine nostalgie de l’âge d’or, d’un dégoût de la décadence et d’une expressivité acerbe et pleine d’ironie ; il compare ainsi la modernité de son époque à la décadence romaine de la fin du premier siècle après J.C. La Muse malade, « J’aime le souvenir... » ou La Lune offensée, écrits très tôt par Baudelaire (entre 1840 et 1850), expriment toujours ce même regret du passé, ce désir de rapprocher le « sang chrétien » des « sons nombreux des syllabes antiques » (La Muse malade, v. 11-12) ; l’Antiquité est effectivement le repère premier de Bau-delaire, qui trouve en elle un point de fuite et d’appui ; dans La Lune offensée, par exemple, on sent encore cet esprit nostalgique derrière l’image de la lune (v. 4 : « Ma vieille Cynthia, lampe de nos repaires » [Cynthia peut être le nom couramment donné à la lune dans Shakespeare, Keats, Shelley22, ou celui de la jeune femme à laquelle Properce23 s’adresse dans ses élégies]).

21 Comme le mentionne l’édition Pichois. 22 Note de l’édition Crépet-Blin. 23 Philip R. Berk le souligne dans son article « Echos from Juvenal in Baudelaire's La Lune offensée ».

Page 16: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 16 -

INFLUENCES DOMINANTES

Certains auteurs de l’Antiquité ont plus profondément marqué Baudelaire que d’autres. Au-delà de l’Enéide, des Méta-morphoses, des Épodes par exemple, c’est la présence de Virgile, d’Ovide ou d’Horace qu’on remarque dans certains passages des Fleurs du mal. D’ailleurs, on s’accorde à dire que Sappho ou Pla-ton ont presque autant inspiré le poète que les auteurs latins ; ce-pendant, il n’est pas sûr que Baudelaire ait eu de leurs écrits une connaissance directe (surtout en ce qui concerne Sappho, dont très peu de textes sont connus, encore à l’heure actuelle). Mais leur pensée est là, leur sensibilité, leur univers, et ces trois as-pects réunis justifient à eux seuls les allusions étudiées ci-dessous.

Page 17: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 17 -

I – HOMERE

Le souffle d’Homère est présent dans Les Fleurs du mal, mais on ne le remarque textuellement qu’à travers une ou deux allusions seulement à des expressions typiques de l’épopée. Il est malaisé alors de faire la différence entre la voix d’Homère et celle de Virgile.

Baudelaire pratique en effet une lecture romantique des oeuvres épiques ; et s’il est certain que la majorité des allusions de ce style vient de l’Enéide, on peut cependant relever une ou deux expressions tout aussi bien attribuables à Homère.

La première se trouve dans La Musique (v. 7 : « J'escalade le dos des flots amoncelés »). On peut penser à un vers de l’ Iliade24 (« Αργειοι φευξονται επ ευρεα νϖτα θαλασσης » [Les Argiens fuiront sur le large dos de la mer]), comme à un vers de l’Enéide25 (livre I, v. 110 : « dorsum immane mari sum-mo » [le dos énorme au sommet des flots]). L’expression utilisée par Virgile est de toute façon homérique ; la personnification de la mer est en effet l’un des topoi de l’épopée classique.

Une autre expression typique du lexique d’Homère (la fa-meuse « aurore aux doigts de rose » [ροδοδακτυλος Ηως]), se retrouve également sous-entendue dans un vers du Crépuscule du matin (v. 25 : « L'aurore grelottante en robe rose et verte »). L’ Iliade et l’Odyssée font partie intégrante d’une tradition qui alimente la littérature occidentale depuis l’Antiquité ; Baude-laire, indirectement, a donc certainement reçu l’influence d’Homère, comme il a reçu celle de Sappho, ou de Platon.

24 Ainsi que le mentionne l’édition Crépet-Blin (Iliade, chant II, v. 159). 25 Cette allusion n’a jamais été relevée.

Page 18: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 18 -

II – SAPPHO

Quand de tant de couronnes, toi, près de moi, tu pa-rais (ton front) de violettes, de roses et de safran, et tressais des colliers autour de ton cou délicat, que tu composais à partir d’(adorables) fleurs, quand de tant de parfums pré-cieux ... et princiers (flacons) ... tu enduisais (tes cheveux) ... quand couchée sur un lit moelleux ... tendre (et entre mes bras) ... tu calmais (ta) soif26 ...

Ce fragment de Sappho rappelle l’atmosphère de bien des poèmes de Baudelaire, pleins de tendresse et de mystère, comme La Chevelure, ou évidemment, les pièces dites « saphiques ». Bien qu’il soit ardu de comparer précisément ces textes aux quelques vers de Sappho qui nous sont parvenues – le rappro-chement manquerait de rigueur – on ne peut que croire à l’influence du mythe saphique sur l’auteur des Fleurs du mal27. Cependant, l’étude du « saphisme » de Baudelaire reste aléatoire et subjective ; sans doute était-il plus marqué par la légende que par l’oeuvre elle-même (ou le peu qu’on en connaissait alors). Il ne s’agit donc pas d’une influence littéraire, mais d’une influence culturelle, d’une tradition. A l’heure actuelle, il est encore difficile, voire impossible, de faire la distinction entre la poétesse Sappho et la légende qui l’entoure. Jusqu’à la fin du XIXème siècle, on ne connaissait d’elle que deux poèmes d’amour, une courte strophe évoquant la lune et les étoiles, un fragment d’un poème dit « éolien » consa-cré à la douleur de l’absence, et quelques maigres fragments d’épithalames. On sait cependant que Sappho fut considérée comme l’un des plus grands auteurs de l’Antiquité, dont même Cicéron, qui pourtant condamnait sévèrement le lyrisme, admirait les qualités.

26 Sappho, Poèmes et fragments, livre V, pièce LXIII, v. 12-23. Traduction de Philippe Brunet. 27 Freeman G. Henry le souligne dans son article « Le message humaniste des Fleurs du mal ».

Page 19: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 19 -

Aujourd’hui, grâce à de nombreuses recherches sur des papyri et des morceaux de manuscrits (par chance rescapés des autodafés du IVème ou du XIème siècle), on a réussi à reconsti-tuer quelques très beaux passages de son oeuvre, qui permettent de mieux comprendre le trouble et le respect qu’elle a toujours suscités. On ne peut pas dire que Baudelaire ait véritablement « ci-té » Sappho dans Les Fleurs du mal ; cependant, il paraît évident qu’il était fasciné par la personnalité de « la mâle Sappho28 » (Lesbos, v. 56) telle qu’on se l’est longtemps imaginée, et par ce qu’elle avait de passionné et de triste ; des textes comme Lesbos, Femmes damnées (Delphine et Hippolyte), Le Léthé, A celle qui est trop gaie, Les Bijoux, cinq pièces que la morale moderne condamnait encore au XIXème siècle, montrent à quel point la sensualité, l’expressivité saphiques dérangeaient les esprits, au-tant qu’elles les envoûtaient. Rien là toutefois de vraiment litté-raire, puisqu’on ne peut établir aucun rapport d’intertextualité entre Sappho et Baudelaire. Ce dernier puise dans le mythe, pas dans la réalité – qui demeure inconnue.

28 Cette expression est courante dans l’Antiquité. Voir Horace, Épîtres, I, XIX, v. 28 : « mascula Sappho ».

Page 20: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 20 -

III – PLATON Dans Le Platonisme de Baudelaire29, Marc Eigeldinger donne une analyse profonde des raisons pour lesquelles on peut croire que Baudelaire fut influencé par la philosophie de l’auteur du Gorgias. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que le poète moderne n’avait peut-être pas lu Platon, et qu’il n’avait de lui qu’une connaissance indirecte, parfois – souvent ? – erronée. Baudelaire lit Emerson, et Emerson parle de Platon. Il lit Swe-denborg, et la pensée de ce dernier s’inspire en droite ligne de celle du philosophe grec. La doctrine de la synesthésie, par exemple, ne vient pas de Platon comme celle des correspon-dances verticales (que Platon appelle les correspondances de « participation ») entre le ciel et la terre ; l’opinion baudelai-rienne sur le Beau et le Bon ne rejoint que très imparfaitement celle de Platon ; de même que celle de « l’âme et (du) monde », dont parle Eigeldinger. La comparaison des conceptions que l’un et l’autre avaient de l’amour / vertu est effectivement intéres-sante, même si la pensée baudelairienne, sur ce point, n’a certai-nement pas besoin de la pensée platonicienne pour exister.

Après tout, on ne peut s’empêcher de penser, à l’instar de Proust, que Baudelaire n’avait sans doute pas vraiment lu Pla-ton30, et qu’il n’avait de sa philosophie que des notions très sim-plifiées par la morale chrétienne. La question du platonisme de Baudelaire reste en fait sans véritable réponse. Pierre-Maxime Schuhl, dans son article « Baudelaire, Bergson, Plotin et la scène du balcon »31, déclare remarquer dans les vers 9-10 de Recueillement : (...)Vois se pencher les défuntes Années, Sur les balcons du ciel en robes surannées (...) un souvenir de Platon d’une part (Théétète 175d) : 29 Voir Bibliographie. 30 Contre Sainte-Beuve. 31 Voir Bibliographie.

Page 21: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 21 -

(...) ειλιγγιων απο υψηλου κρεµασθεις, και βλεπων µετεωρος ανωθεν υπο αηθειας (...) ([...] il est pris de vertige, de cette hauteur suspendu ; son regard tombe du ciel vers les profondeurs [...])

et de Plotin d’autre part (Quatrième Ennéade, livre III, ch. 15) : Ιασι δε εκκυψασαι του νοητου εις ουρανον (...) (Donc les âmes sortent du monde intelligible dans le ciel...)

Ces références sont contestables. Il n’y a en effet pas beaucoup de rapport entre le geste des « Années », qui se penchent sur leurs souvenirs, et celui que décrit Plotin, qui est le mécanisme de la transmigration des âmes, le mouvement, ici donc, d’une ascen-sion. La citation de Platon pourrait, coupée de son contexte, pré-senter quelques analogies. Pourtant, si Baudelaire a effectivement lu le Théétète, il paraît assez incongru qu’aucune autre image ne lui en soit restée ; que dire, par exemple, de la définition que fait Socrate du sensualisme de Protagoras, ou celle du mobilisme universel ? De telles idées n’auraient certainement pas manqué de l’inspirer, si l’on en croit Marc Eigeldinger, en tout cas plus profondément que ce que les quelques deux vers cités par Pierre-Maxime Schuhl laissent entendre. Nous n’avons donc aucune marque tangible de l’influence de Platon sur Baudelaire, si ce n’est une assez relative adéquation spirituelle, peut-être elle-même indirectement liée à quelques lectures de philosophes néo-platoniciens ou modernes. Il n’est en effet pas de philosophie moderne qui, d’une manière ou d’une autre, ne fasse plus ou moins volontairement référence à l’oeuvre de Platon.

Page 22: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 22 -

IV – VIRGILE La récurrence et la précision des allusions à l’Enéide mon-trent que Baudelaire connaît si bien l’oeuvre du poète latin qu’il ne peut s’en détacher totalement, et qu’au-delà du simple souve-nir des mots, il va chercher dans l’épopée une atmosphère, un dé-cor nécessaires à son univers. Le spleen baudelairien s’inspire de la mélancolie, de la musique, du spectacle des mots virgiliens. Le plus souvent, les références qu’utilise Baudelaire con-cernent l’évocation d’un espace : précision géographique, effet de lumières et de couleurs, mise en scène d’éléments visuels. Une ou deux fois, comme nous le verrons, elles sont rattachées à la description d’un personnage qui symbolise un concept. Voici en premier lieu, les principales allusions que l’auteur des Fleurs du mal fait à l’univers visuel de l’Enéide. Elles n’ont, semble-t-il (sauf mention contraire), jamais été relevées par la critique. Elles sont souvent liées à la mer ; il s’agit là en effet d’un des principaux topoi de l’épopée classique. Le voyage sur la mer – celui d’Ulysse comme celui d’Enée – est l’argument fondamen-tal de la quête épique ; car l’élément liquide représente le mystère de l’« inconnu » si cher à Baudelaire, l’inconscient, l’ombre, le danger, mais aussi le salut. D’un point de vue psychanalytique, la mer est entre autres le symbole de la maternité ; ce qui, au vu des relations que le poète entretint toute sa vie avec sa mère, ne peut laisser indifférent. L’Homme et la mer par exemple, peut être in-terprété dans ce sens. On a déjà étudié l’équivoque de l’expression utilisée dans La Musique (v. 7 : « J'escalade le dos des flots amoncelés ») ; le « dorsum immane » de Virgile (Enéide, livre I, v. 110) ne désigne pas, comme dans le texte de Baudelaire, le sommet des « flots », mais les écueils qui s’y cachent, sous les vagues ; Enée en effet est pris avec son équipage dans une terrible tempête – qui n’est pas sans rappeler celles que subit Ulysse dans l’Odyssée – an-nonçant implicitement la difficile entreprise du héros, pleine de

Page 23: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 23 -

tumultes et d’angoisses. Cependant, on peut trouver un rapport entre « la nuit » qui « voile » (v. 8) « le dos des flots amoncelés » dans La Musique et l’eau qui dissimule les rochers dans l’Enéide (« saxa [latentia] uocant Itali mediis quae in fluctibus Aras » v. 109 [ces rochers (dissimulés) au milieu des flots que les Italiens appellent des Autels]). Au vers 118 du même livre, on relève une autre expression aimée de Baudelaire, qu’il utilise aussi dans La Musique (v. 12) : « in gurgite uasto » (dans l’immense gouffre). C’est dans ce « gouffre » en effet que nagent les hommes resca-pés du naufrage.

Le « gemitum ingentem pelagi pulsataque saxa » de l’ Enéide (livre III, v. 555, « l’énorme gémissement de la mer et les rochers qu’elle heurte ») est un autre exemple de souvenir virgilien qu’on peut comparer au vers 8 d’Obsession (« Je l'en-tends dans le rire énorme de la mer »). Si Baudelaire avoue de bonne foi avoir plagié Eschyle, on ne peut que voir dans l’expression latine un topos épique : la voix de la mer. Serait-ce pousser trop loin l’interprétation que de rapprocher les « saxa » virgiliens de dents peut-être implicitement évoquées par le « rire » d’Eschyle ?...

Une illustration de l’influence de la mise en scène virgi-lienne est visible au vers 1 de La Vie antérieure, texte où l’on a déjà décelé l’empreinte de Stace32 :

J’ai longtemps habité sous de vastes portiques (...)

L’expression « sous de vastes portiques » rejoint celle employée par Virgile, dans un passage fort bien connu de Baudelaire, puisqu’il s’en est inspiré pour Le Cygne33 :

(...) illos porticibus rex accipiebat in amplis34 (...) (le roi les accueillait sous de vastes portiques)

On n’insistera pas sur l’évidente corrélation entre l’imparfait vir-gilien et l’adverbe duratif « longtemps » choisi par Baudelaire. 32 Voir p. 14. 33 Voir p. 36 sqq. 34 Enéide, livre III, v. 353.

Page 24: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 24 -

D’autre part, le « rex » (qui désigne Hélénus) pourrait être, dans La Vie antérieure, le poète lui-même ; c’est ce qui explique le passage de la troisième personne : « accipiebat », à la première : « j’ai longtemps habité ».

Autre allusion visuelle à Virgile, le « jour noir », au vers 4 du Spleen (« Quand le ciel... ») :

Il nous verse un jour noir plus triste que les nuits

ressemble à l’« atra dies » de l’Enéide35 : (...) abstulit atra dies et funere mersit acerbo.

(...un jour noir l'a [Pallas] enlevé et l'a plongé dans une âpre tristesse.)

Pallas, qui vient de mourir au combat, est le jeune homme que son père Evandre a confié à Enée, pour qu’il l’assiste dans la ter-rible bataille contre les Latins. La couleur noire qualifie souvent la mer, le ciel, et même le soleil dans l’épopée (comme dans Les Fleurs du mal le « soleil sans chaleur » ou le « soleil de glace » de De profundis clamaui [v. 5 et 10], le « soleil » qui se « cou[vre] d’une crêpe » dans Le possédé [v. 1], ou qui « s’est noyé » dans Harmonie du soir [v. 12], etc.) ; « noir » est d’ailleurs l’un des adjectifs de couleur les plus fréquents dans Les Fleurs du mal.

L’édition Pichois36 mentionne le fait que dans le vers 11 de Sed non satiata (« Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois »), on relève une précision géographique probablement tirée de l’Enéide :

(...) et nouies Styx interfusa coercet 37. (...et les replis du Styx [les] enserrent neuf fois.)

qui rappelle aussi un vers des Amours d’Ovide 38.

35 Livre XI, v. 28. 36 Voir Bibliographie. 37 Enéide, livre VI, v. 439. 38 Amours, livre III, chapitre VII, v. 25-26, voir infra.

Page 25: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 25 -

Hormis les évocations, étudiées plus loin39, d’Andromaque dans Le Cygne et celle, moins explicite, des Troyennes dans Femmes damnées, Baudelaire fait allusion à un autre personnage de l’Enéide : le cyclope Polyphème.

(...) monstrum horrendum, informe, ingens, cui lumen [ademptum40 (...) (monstre effrayant, affreux, énorme, à qui la lumière fut ravie)

C’est dans le vers 22 de l’Hymne à la Beauté (« Ô Beauté ! monstre énorme, effrayant, ingénu ! ») que le poète choisit de ré-adapter ce vers ; le parallélisme est très visible en effet. Peut-être la forme du mot ingens (« énorme ») a-t-elle même suggéré le choix du mot « ingénu »? Les références à Virgile, explicites ou non, qui foisonnent tout au long du recueil montrent à quel point Baudelaire a été marqué par la lecture de l’Enéide (la sémantique de la tristesse et du désenchantement est très présente dans le poème latin, à tra-vers la mise en scène spectaculaire que l’auteur donne aux aven-tures de son héros) ; l’univers de l’épopée latine se retrouve en filigrane derrière celui des Fleurs du mal; le « Spleen » repré-sente la quête déçue d’un « Idéal » inaccessible : il est profondé-ment virgilien.

39 Voir p. 32 sqq. 40 Enéide, livre III, v. 658. Cette allusion a été relevée par George W. Henning dans son article « Baudelaire and "monstrum horrendum, informe, ingens" ».

Page 26: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 26 -

V – HORACE Baudelaire trouve chez Horace, au-delà d’un modèle poé-tique de l’ascèse formelle, de « l’art pour l’art », comme le dit Alain Michel dans La Parole et la beauté41, une certaine forme d’optimisme, une sorte d’Invitation au voyage vers l’inconnu, vers l’avenir. Le poète des Odes est en effet l’un des premiers à Rome à se pencher sur la question du temps, du devenir senti-mental, de l’expression lyrique ; malgré sa légèreté, sa mesure, sa délicatesse, on devine une certaine gravité dans ses propos ; c’est de cet aspect sous-jacent que s’inspire le plus Baudelaire. Cependant les références à Horace dans Les Fleurs du mal n’ont jamais été remarquées. Les allusions au temps qui passe, par exemple, sont très nombreuses dans l’oeuvre latine. L’Ode la plus fameuse, la onzième du premier livre, a, me semble-t-il, in-directement inspiré le Remords posthume de Baudelaire. (...) dum loquimur, fugerit inuida aetas : carpe diem, quam minimum credula postero42.

(...tandis que nous parlons, fuit le temps jaloux : cueille le jour, sans te fier le moins du monde au lendemain.)

Les poètes de la Pléiade ont souvent été chercher une matière dans ces quelques vers ; ne serait-ce qu’à travers eux, Baudelaire s’est rapproché d’Horace.

Dans le vers 19 de L’Horloge (« Le jour décroît ; la nuit augmente ; souviens-toi ! »), le poète se souvient d’un vers tiré des Odes (livre II, ode XVIII, v. 15), l’autre des Épodes (épode XVIII, v. 25) :

(...) traditur dies die (...) (...le jour est chassé par le jour...) (...) urget diem nox et dies noctem (...)

41 Voir Bibliographie. 42 Odes, livre I, ode XI, v. 7-8.

Page 27: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 27 -

(...la nuit presse le jour et le jour la nuit...) Cette image est courante pour désigner le flux du temps. On la relève déjà chez Catulle, dans le Carmen LXI par exemple (v. 109, 119, 199, etc. : « (...) sed abit dies (...) » [...mais le jour s'en va...]), puis chez Ovide, dans Les Métamorphoses, livre XV, v. 179 (« Ipsa quoque assiduo labuntur tempora motu [...] » [Le temps lui-même glisse d’un mouvement continu (...)]), etc. Le dernier quatrain du poème qui ferme le recueil des Fleurs du mal en 1861, Le Voyage (v. 141-144) :

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte ! Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ? Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !

rappelle aussi deux vers d’une Ode d’Horace (livre I, ode VII, v. 31-32) : (...) nunc uino pellite curas ; cras ingens iterabimus aequor.

(...chassez les soucis par le vin ; demain nous repartirons sur l’immense plaine des eaux.)

Ces mots sont prononcés par Teucer, fils de Télamon (le roi de Salamine), demi-frère d’Ajax, qui fut chassé par son père à son retour de la guerre de Troie parce qu’il n’avait pas pu empêcher le suicide d’Ajax ; ici, il exhorte ses compagnons à reprendre courage avant le départ pour l’exil43. On peut comparer des termes comme « uino » et « poison », « [pellere] curas » et « [ré-conforter] » ; d’autre part, le « voyage » auquel invite Baudelaire n’a pas de destination précise, à l’instar de l’exil de Teucer ; l’« ingens (...) aequor » évoque d’ailleurs une étendue plate et sans limite, une sorte d’horizon. D’autres expressions horaciennes se retrouvent chez Bau-delaire, sous la forme d’allusions plus ou moins lointaines ; par 43 Voir Baudelaire, Le Voyage, v. 137-138 : « Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre ! / Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons ! »

Page 28: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 28 -

exemple, la comparaison utilisée à deux reprises dans les Odes (livre I, ode XVIII, v. 16 : « perlucidior uitro » [plus clair que le verre] et livre III, ode XIII, v. 1 : « splendidior uitro » [plus lim-pide que le verre]), a peut-être influencé le premier vers du Son-net d’automne (« Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal »). De même pour le vers 96 de la cinquième Epode (la malé-diction solennelle qu’un enfant, victime d’un terrible sacrifice, profère à l’égard de ses bourreaux) : (...) pauore somnos auferam (...)

(je chasserai le sommeil par l'effroi) On peut le rapprocher des vers 13-14 du Revenant ; comme l’enfant d’Horace, le poète promet de revenir, une fois mort, han-ter sa maîtresse (« Sur ta vie et sur ta jeunesse, / Moi, je veux régner par l’effroi. ») L’image de La Fontaine de sang (surtout au v. 8 : « Et par-tout colorant en rouge la nature. ») est peut-être inspirée de celle de la fontaine de Bandusie, teinte du sang d’un chevreau (Odes, livre III, ode XIII, v. 6-8) :

Frustra : nam gelidos inficiet tibi rubo sanguine riuos lasciui suboles gregis. (Vainement, car il colorera de sang rouge tes flots glacés, ce rejeton d'un troupeau folâtre.)

Baudelaire, comme Horace, prône le travail du vers et sa densité ; il aime les poèmes courts, parfaits comme des vases ci-selés ; sans doute toutes les références au poète latin ne sont elles, en majeure partie, dues qu’à des souvenirs d’études anté-rieures des textes, néanmoins l’extrapolation est-elle toujours possible, vu les points communs que possèdent les deux auteurs.

Page 29: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 29 -

VI – OVIDE Dans le livre III de l’Art d’aimer, Ovide décrit quels sont les moyens par lesquels s’exerce artificiellement la séduction : le soin de la personne, c’est-à-dire sa coiffure, son habillement, son maquillage, sa voix, l’expression sereine de son visage ; avant l’heure, le poète dresse un portrait du dandy. Ovide est pour l’auteur des Fleurs du mal le poète de la mode, de l’amour, celui aussi qui a le mieux raconté la mythologie dans Les Métamor-phoses. C’est en cela, semble-t-il, que Baudelaire l’admire, et qu’il va chercher en lui une certaine forme d’inspiration.

Comme le souligne l’édition Pichois, le vers 11 de Sed non

satiata (« Je ne suis pas le Styx pour t'embrasser neuf fois ») fait référence aux Amours d’Ovide (livre III, chapitre VII, v.25-26) :

Exigere a nobis angusta nocte Corinnam et memini numeros sustinuisse nouem...

(Je me souviens que, dans une courte nuit, Corinne me demanda neuf fois de remplir mon rôle et que j'y réussis.)

Trois légendes par ailleurs, racontées dans Les Métamor-phoses, ont visiblement inspiré Baudelaire. Les deux premières références sont mentionnées dans l’édition Pichois.

La première se trouve dans Alchimie de la douleur (v. 9 : « Par toi je change l’or en fer ») et fait, de façon très sous-entendue, référence à l’histoire de Midas (Les Métamorphoses, livre XI, surtout v. 102-103 : « Effice, quicquid / corpore conti-gero, fuluum uertatur in aurum » [Fais que tout ce que mon corps aura touché se transforme en or fauve]). Dans ce cas toutefois, rien n’indique avec certitude que c’est au texte d’Ovide que pen-sait précisément Baudelaire. La seconde, dans La Prière d’un païen (v. 4 : « Diua ! supplicem exaudi ! »), est tirée du passage consacré à Polyphème et Galatée (Les Métamorphoses, livre III, v. 855-856 : « Tantum miserere, precesque / supplicis exaudi » [Prends seulement pitié,

Page 30: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 30 -

et écoute les prières d'un suppliant]). Mais le contexte du texte moderne n’a pas beaucoup de rapport avec l’histoire racontée par Ovide. La troisième n’a jamais été mentionnée ; elle concerne la légende d’Icare (Les Plaintes d’un Icare, v. 14-16 : « Je n'aurai pas l'honneur sublime / De donner mon nom à l'abîme / Qui me servira de tombeau. »), et les vers 230 et 234-235 du livre VIII des Métamorphoses (« quae nomen traxit ab illo » [qui de lui (Icare) tire son nom] ; « Deuouit suas artes corpusque sepulchro / condidit ; et tellus a nomine dicta sepulti » [Il (Dédale) maudit son art et enferma dans un tombeau le corps de son fils ; la terre où celui-ci fut enseveli en a gardé le nom]). Mais là encore, L’histoire d’Icare est suffisamment célèbre pour que Baudelaire n’ait pas eu besoin du texte latin. En dernier lieu, quatre poèmes des Fleurs du mal, L’Ennemi (v. 12 : « Ô douleur ! ô douleur ! Le Temps mange la vie »), L’Irréparable (v. 36 : « L'Irréparable ronge avec sa dent maudite »), L’Horloge (v. 7-8 : « Chaque instant te dévore un morceau du délice / A chaque homme accordé pour toute sa sai-son »), et L’Avertisseur (v. 7 et 10 : « La Dent dit : "Pense à ton devoir !" », « La Dent dit : "Vivras-tu ce soir ?" »), semblent s’inspirer du même passage des Métamorphoses44 (livre XV, v. 234-236) : Tempus edax rerum tuque, inuidiosa uetustas omnia destruitis uitiaque dentibus aeui paulatim lenta consumitis omnia morte.

(Ô temps vorace, et toi, vieillesse jalouse, vous détruisez tout, et les dégâts causés par les dents de l’âge consument tout peu à peu, par une mort lente.)

Cet extrait est tiré du chapitre consacré à Pythagore, à qui, semble-t-il, « Ovide prête (...) de tels accents qu’on ne peut se dé-

44 L’allusion à Ovide a déjà été relevée dans L’Irréparable, L’Horloge et L’Avertisseur, comme le mentionne l’édition Pichois.

Page 31: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 31 -

fendre de voir en lui un véritable adepte de la doctrine pythagori-cienne remise en honneur par Nigidius Figulus45».

Le concept de la fuite du temps n’est pas original dans l’Antiquité, mais la « dent » d’Ovide est une nouvelle preuve que Baudelaire connaissait bien Les Métamorphoses, et qu’il s’en est beaucoup inspiré46.

45 Citation de la note 1 de la page 124, dans le troisième volume de la collection Budé. 46 Voir aussi plus loin les allusions relevées dans Le Cygne et Femmes damnées.

Page 32: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 32 -

ÉTUDE DE DEUX POEMES Le Cygne et Femmes damnées sont deux des textes les plus influencés par la littérature antique. Bien sûr, le « morceau d'An-dromaque » et « l'homme d'Ovide » ont déjà suscité maints commentaires. Et pourtant tout n’a pas été dit.

Les références étudiées ici sont sans conteste de véritables outils littéraires, et non plus de simples réminiscences dont l’interprétation reste fragile ; c’est plus qu’un souvenir de l’ Enéide qu’on retrouve dans l’évocation d’Andromaque : c’est tout un symbole, toute une émotion voulue et créée par Baude-laire, qui ressuscite de son propre souffle la beauté d’autrefois.

Aussi est-ce pour ajouter quelques éléments à la critique que cette double étude a semblé nécessaire. Elle permet une compréhension plus profonde de la raison pour laquelle Baude-laire ranime souvent dans ses vers la lumière des « jeux latins et des voluptés grecques ».

Page 33: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 33 -

I – LE CYGNE Dans un de ses projets de préface aux Fleurs du mal47, Baudelaire avoue s’être à trois reprises inspiré étroitement d’auteurs de l’Antiquité. La mention de Virgile concerne Le Cygne qui, du fait de l’allusion qui s’y trouve à la rencontre d’Enée et d’Andromaque, est vraisemblablement la pièce la plus explicitement virgilienne. Le poème exprime, au-delà de son sens premier, une des idées essentielles de la pensée baudelairienne : l’homme veut à tout prix s’émanciper, s’évader d’un passé qui lui pèse, abandonner sa mélancolie, et ne trouve dans l’exil qu’il s’impose que la nostalgie (représentée par la figure d’Andromaque) ou la soif (« Eau, quand donc pleuvras-tu ? quand tonneras-tu, foudre ? » v. 23). Le « cygne » a beau sortir « de sa cage » (v. 17), il n’échappe pas à lui-même. Cependant, le poète moderne n’a pas seulement évoqué l’ Enéide dans son texte. Comme l’ont déjà remarqué certains cri-tiques, on trouve dans le geste du cygne une réminiscence d’Ovide48 (Les Métamorphoses livre I, v. 84-85) et peut-être aus-si d’Aristophane49 (La Paix, v. 56-58) – quoique cette dernière soit plus contestable. Les allusions à l’Antiquité sont néanmoins bien plus nombreuses qu’on ne l’a cru d’un premier abord, en se limitant à ce que laissait entendre Baudelaire ; peut-être ce der-nier n’avait-il pas conscience, en effet, qu’en écrivant ses vers, il ne « plagiait » (le terme est rude) pas davantage Virgile que Lu-crèce (De rerum natura, livre I, v. 62-65) ou encore Ovide (Les Métamorphoses, livre I, v. 730-733) ?

47 Voir note 18. 48 Note de l’édition Pichois. 49 Henri Coulet en fait l’objet d’un article (« Une réminiscence d’Aristophane chez Baude-laire ? »).

Page 34: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 34 -

I. 1 – L’évocation d’Andromaque Dans un premier temps, nous mettrons donc brièvement en relation les vers de Baudelaire consacrés à Andromaque, avec trois passages de l’Enéide. (...) ante urbem in luco falsi Simoentis ad undam libabat cineri Andromache manisque uocabat Hectoreum ad tumulum, uiridi quem caespite inanem et gemitas, causam lacrimis sacrauerat aras. 50

(...devant la ville, dans un bois sacré, près de l'onde d'un Simoïs menteur, Andromaque versait une libation à la cendre, et appelait les Mânes près du tombeau d'Hector, vide, hélas ! qu’elle avait saintement paré de gazon vert, avec deux autels où retrouver ses larmes.)

Heu ! quis te casus deiectam coniuge tanto excipit, aut quae digna satis fortuna reuisit, Hectoris Andromache ? Pyrrhin conubia seruas ? 51

(Hélas, d'un tel époux tombée, quel destin t’est-il échu ? ou quelle assez digne fortune est revenue te visiter, Andro-maque, femme d'Hector ? Demeures-tu l'épouse de Pyr-rhus ?)

(...) me famulo famulamque Heleno transmisit habendam52.

(...il m'a passée, moi la servante qu’il possédait, à son ser-viteur Hélénus.)

Baudelaire reprend des expressions virgiliennes où se re-trouve la même émotion. Mais seulement, l’évocation d’Andromaque ne prend toute sa force que par la connaissance du texte antique ; peut-être est-ce la raison pour laquelle Baude-laire tenait tant à mentionner dans sa préface son aveu de « pla-giat ».

50 Enéide, livre III, v. 302-305. 51 Ibid., livre III, v. 317-319. 52 Ibid., livre III, v. 329.

Page 35: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 35 -

Le contraste entre l’image d’Andromaque et le décor pari-sien ressemble à l’incongruité de la reproduction miniature de Troie à Buthrote, en Epire; par ailleurs, nous ne nous étendrons pas sur l’emprunt des termes « falsi Simoentis ad undam » / « ce Simoïs menteur », « ad tumulum (...) inanem » / « d'un tombeau vide », « deiectam coniuge tanto » / « d'un tel époux tombée », etc., qui a déjà prêté sujet à maintes études.

Cependant, il est intéressant de montrer que s’il ne s’agit pas à proprement parler d’un « plagiat », au sens moderne du terme (qui n’est pas celui qu’on lui donnait au XIXème) – puisque Baudelaire adapte tout à fait librement le tableau virgi-lien à son propos – le ton en revanche est comparable, ainsi que (la scansion du latin le montre), le rythme du vers. On pourra pour cela rapprocher deux groupes de vers séparément : Les vers 302-305 de Virgile inspirent les vers 1-4 de Bau-delaire (« ...Ce petit fleuve, / Pauvre et triste miroir où jadis res-plendit / L’immense majesté de vos douleurs de veuve, / Ce Simoïs menteur... ») et 39 (« Auprès d'un tombeau vide en ex-tase courbée »). Là encore, la métrique latine explique beaucoup de choses : le mot « falsi » (v. 302) est encadré par deux césures, comme le mot « menteur », placé à la fin du premier hémistiche, est mis en valeur ; la juxtaposition paradoxale de « tombeau vide » et « en extase courbée » rappelle l’opposition plus nette encore dans le vers 304 de Virgile entre « Hectoreum » et « ina-nem » ; l’effet sonore chez Baudelaire avec « de vos douleurs de veuve » (allitération en [v]), qui souligne le mot « douleurs », ressemble au renforcement métrique du mot « lacrimis » chez Virgile (v. 305), là encore entre deux césures. Les vers 317-319 inspirent les premiers mots du poème moderne (« Andromaque, je pense à vous !... »), et les vers 37 et 40 (« Andromaque, des bras d'un grand époux tombée, (...) Veuve d'Hector, hélas ! et femme d'Hélénus ! »). La gradation du rythme, dans les vers virgiliens, jointe à la concordance entre l’ictus métrique (temps fort imposé par l’hexamètre dactylique, sur la première syllabe de chaque pied) et l’accent propre des mots (la diction poétique ressemble ainsi à la diction courante de la prose), accroît l’émotion et l’emphase ; ce semblant de familia-rité, Baudelaire le rend dans l’expression « je pense à vous ! ».

Page 36: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 36 -

De même en ce qui concerne l’utilisation chez Virgile d’un ex-clamatif (« Heu ! ») avant la double interrogation d’Enée (exac-tement parallèle, ne serait l’interversion Pyrrhus / Hélénus, à la double exclamation de Baudelaire). Enfin, le vers 38 du Cygne (« Vil bétail, sous la main du superbe Pyrrhus ») renvoie au vers 329 de l’Enéide, où l’allitération en [m] souligne le dégoût d’Andromaque ; chez Baudelaire, c’est le parallélisme de construction entre les deux vers 37 et 38 (« Andromaque... » / « Vil bétail... » ; « des bras d'un grand époux tombée » / « sous la main du superbe Pyr-rhus ») qui rend le même effet.

Quant à la fin du vers 4 : « qui par vos pleurs grandit »,

elle rappelle deux passages célèbres des Métamorphoses. (...) fletibus auget aquas53(...)

(...il [Inachus, père d'Io] grandit les eaux de ses pleurs...) (...) lacrimis quoque flumina dicunt / increuisse suis54(...)

(...on dit aussi que les fleuves grandirent de leurs propres larmes [devant le chagrin de la mort d’Orphée]...) Il faut du moins garder à l’esprit que l’analogie entre les

larmes versées et le fleuve (ou la mer) est courante dans l’Antiquité ; Baudelaire d’ailleurs semble apprécier l’image, puisqu’il la réutilise dans Les Petites Vieilles (v. 48 « Toutes auraient pu faire un fleuve avec leurs pleurs ! ») On peut trouver la même métaphore chez Sophocle, dans Antigone (« τεγγει θ υπ οφρυσι παγκλαυτοις δειραδας » v. 830-831 [et ce sont des rochers qu'inondent les larmes de ses yeux55]), où Niobé est décrite pétrifiée dans son chagrin (Apollon et Artémis ont sauvagement tué ses enfants), un ruisseau de larmes coulant de ses yeux comme un fleuve d’une source; Ovide raconte lui aussi, intégralement, l’histoire de Niobé dans Les Métamor-

53 Les Métamorphoses, livre I, v. 584. 54 Ibid., livre XI, v. 47-48. Cette allusion est la seule de toutes celles concernant l’évocation d’Andromaque, qui n’ait jamais été notée par la critique. 55 Traduction Paul Mazon.

Page 37: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 37 -

phoses. Là encore, ce souvenir est-il volontaire, ou n’est-il que la réutilisation inconsciente d’un topos de la littérature antique ?

Les réminiscences du passage de Virgile ou du « fletibus auget aquas » d’Ovide ont toutefois déjà suffisamment fait cou-ler d’encre ; le geste du cygne, en revanche, qui tend son « cou » vers le ciel, n’a pas encore été efficacement étudié.

I. 2 – Le geste du cygne Partout l’homme subit la terreur du mystère, Et ne regarde en haut qu’avec un oeil tremblant.

Le Couvercle, v. 7-8 Cette image, apparemment chère à Baudelaire, rappelle étrangement un passage de Lucrèce que l’on peut également rat-tacher au geste du cygne : la révolte du premier homme à s’être redressé contre la « terreur » (religio : « crainte respectueuse ») qu’inspire la religion : Epicure. Trois textes méritent ici d’être comparés, dont deux pour la première fois : un extrait du De rerum natura :

(...) humane ante oculos foede cum uita iaceret in terris oppressa graui sub religione

quae caput a caeli regionibus ostendebat horribili super aspectu mortalibus instans primum Graius homo mortalis tollere contra est oculos ausus, primusque obsistere contra56 (...) (...alors qu'aux yeux de tous l'humanité traînait sur terre une vie abjecte, écrasée sous le poids d’une religion dont le visage, se montrant du haut des régions célestes, menaçait les mortels de son aspect horrible, le premier un Grec [Epicure], un homme, osa lever ses yeux mortels contre elle, et contre elle se dresser...)

56 De rerum natura, livre I, v. 62-65 (Traduction Alfred Ernout).

Page 38: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 38 -

et deux des Métamorphoses :

Os homini sublime dedit, caelumque tueri Iussit et rectos ad sidera tollere uultus57(...)

(Il a donné à l’homme un visage supérieur, et lui a ordonné de contempler le ciel, de lever les yeux et de les porter vers les astres...)

Procubuit genibus resupinosque ardua collo,

quos potuit solos, tollens ad sidera uultus, et gemitu et lacrimis et luctisono mugitu cum Ioue uisa queri est finemque orare malorum58 (...)

(Elle tombe à genoux [Io changée en génisse par Junon ja-louse] ; le cou renversé en arrière, elle dresse la tête et le-vant sa face vers le ciel – c’était tout ce qu’elle pouvait lever – par ses gémissements, par ses larmes et par de la-mentables mugissements elle semble se plaindre à Jupiter et lui demande la fin de ses maux...)

Au regard de ces citations, l’hypothèse d’une allusion à La Paix d’Aristophane (v. 56-58 « Du matin au soir, les yeux au ciel, avec une bouche grande comme ça, il prend Zeus à partie en disant : "Zeus, quels sont donc tes desseins ?(...)" » Aristophane, Théâtre complet59) paraît moins plausible ; peut-être est-ce tout de même la trace d’un vague souvenir de version grecque, mais le ton et le sujet des deux textes paraissent tellement éloignés qu’il ne semble pas très intéressant de s’y attarder. En revanche, on peut remarquer que Baudelaire utilise la même image du cygne qui « traîn(e) » par terre ses ailes, que Lu-crèce de l’humanité qui « traîn(e) sur terre une vie abjecte » (« cum uita iaceret / in terris oppressa »), ou qu’Ovide qui peint Io « tomb(ant) à genoux » (« procubuit genibus »). Cependant, si l’homme de Lucrèce, au contraire de l’homme d’Ovide, semble avoir été initialement créé pour vivre de façon animale, le nez

57 Les Métamorphoses, livre I, v. 84-85 (Allusion relevée dans l’édition Pichois). 58 Ibid., livre I, v. 730-733 (Traduction Georges Lafaye). 59 Traduction de Victor-Henry Debidour pour Folio. Cette comparaison est étudiée par Hen-ri Coulet, art. cit.

Page 39: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 39 -

dans la boue, Epicure, comme le cygne, se redresse pour toiser le ciel et lui adresser sa menace. L’individu doit se mettre debout, exhiber sa puissance, pour se retourner contre le divin (à l’instar de Satan contre Jésus, voir Le Reniement de saint Pierre, Les Li-tanies de Satan...), pour montrer sa liberté ; le cygne n’est pas encore libre, même en dehors de sa cage, mais il avait besoin d’en sortir pour tendre « son cou convulsif » vers Dieu. Le paral-lélisme entre ces trois passages et l’oeuvre moderne est évident : de même que le cygne invoque la divinité, l’homme de Lucrèce la défie, et Io, changée en génisse, l’implore à son secours. Le contact est établi, dans les trois cas, avec le divin. « L’homme d'Ovide » dont parle Baudelaire, est fait pour « observer » le ciel.

D’autre part, l’allusion au second extrait des Métamor-phoses, comme à celui du texte de Lucrèce, ajoute un élément nouveau à l’explication du poème de Baudelaire : le paradoxe que crée la comparaison entre le « reproche » du cygne, la simple supplique d’Io, et la menace d’Epicure, explicite le « mythe étrange et fatal » du Cygne ; il est « étrange », tout d’abord, car le cygne est humanisé (« ce malheureux », « comme l'homme d'Ovide ») alors qu’il reste malgré tout animal (« cou convul-sif »), de même qu’Io est « animalisée » (« ardua collo », « gemi-tu », « mugitu ») bien qu’elle ait encore des caractéristiques humaines (« uultus », « lacrimis », « orare »...). Il est « fatal », ensuite, parce qu’un cygne ne chante que devant la mort ; en l’occurrence, il ne s’agit peut-être pas de sa propre mort, mais de celle de Dieu. Epicure, en défiant le divin, est le premier en effet à en nier la toute-puissance ; comme lui, le cygne envoie au ciel ses « reproches », mélange d’insatiable désir (« tête avide ») et de violent rejet (« cou convulsif »). La divinité omnipotente qu’on blâme ou qu’on menace perd logiquement son pouvoir ; on ne peut se rebeller contre l’absolu. Or Lucrèce nie l’absolu de cette religion « lourde » (« graui ») et à « l'horrible aspect » (« horribi-li aspectu »), comme Baudelaire remet en question la vertu du Bien chrétien, donc la vertu de Dieu.

Le cygne, comme Io chez Ovide, cherche à s’émanciper du fatum imposé par le divin ; il s’est « évadé de sa cage », mais n’est pas encore vraiment libre : sa cage, maintenant, c’est le

Page 40: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 40 -

« ciel ironique et cruellement bleu », sous lequel il ne peut, comme Andromaque, que regretter son pays natal ; le cygne est comme ces aveugles (Les Aveugles, v. 5-7), qui lancent vaine-ment leur regard vers le ciel :

Leurs yeux, d'où la divine étincelle est partie, Comme s’ils regardaient au loin, restent levés Au ciel (...) Après tout, le message du Cygne demeure très virgilien ;

car c’est le thème de fond de l’Enéide : Enée s’exile pour une terre promise, inconnue, sur laquelle on lui a promis le bonheur ; vaincu, il quitte Troie et perd tout ; il affronte la mer, les tem-pêtes, les hommes, les dieux ; son voyage ressemble à celui au-quel nous invite Baudelaire, et l’exil virgilien provoque le même sentiment que la perte de l’Idéal baudelairien : c’est le Spleen qu’éprouvent Andromaque, le cygne, les « captifs », les « vain-cus », et « bien d'autres encor ! ».

Page 41: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 41 -

II – FEMMES DAMNEES Ce poème, comme Le Cygne, mérite une étude particulière, du fait de la récurrence d’allusions précises à trois auteurs latins : Catulle, Virgile, et Ovide. Pier Paolo Trompeo, dans son article « Da Virgilio a Bau-delaire60 », constate le premier, au sein du vers 2 du poème, un souvenir de l’Enéide (livre V, v. 613-615). Pourtant, l’empreinte antique présente dans cette pièce ne se limite pas au seul deu-xième vers du premier quatrain ; en outre, elle n’est pas unique-ment virgilienne : dans les Carmina catulliens ou Les Métamorphoses d’Ovide, des ressemblances troublantes sont à noter, qui n’ont encore jamais été signalées.

Les quatre premiers vers de Femmes damnées sont visi-blement influencés à la fois par deux textes des Carmina, un pas-sage de l’Enéide et deux souvenirs des Métamorphoses. Ovide semble également inspirer le vers 9 du poème moderne.

Comme un bétail pensif sur le sable couchées,

Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers, Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées Ont de douces langueurs et des frissons amers.

(v. 1-4) D'autres, comme des soeurs, marchent lentes ou graves (...)

(v. 9)

II. 1 – Catulle Ibi maria uasta uisens lacrimentibus oculis61 (...)

(Là, contemplant la mer immense avec des larmes plein les yeux...)

60 La Cultura, septembre 1933, article cité par l’édition Pichois. 61 Carmen LXIII, v. 48.

Page 42: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 42 -

Desertam in sola miseram se cernat harena62 (...) (Elle se voit seule, misérable, sur le sable désert...)

Quem procul ex alga maestis Minois ocellis, saxea ut effigies bacchantis, prospicit, eheu ! prospicit et magnis curarum fluctuat undis63 (...)

(Et de loin, depuis les algues, avec ses yeux tristes de fille de Minos, semblable à la statue de pierre d’une bacchante, elle (le) contemple, hélas ! le contemple et flotte sur des mers de soucis...) Le Carmen LXIII de Catulle, dont est tiré le premier ex-

trait qui nous intéresse, raconte l’histoire d’Attis, ce jeune berger phrygien aimé de Cybèle, qui, ayant trahi le voeu de chasteté qu’il a fait à la déesse, est par elle frappé de folie ; perdant alors tout contrôle de lui-même, il se châtre (tout au long du passage, le poète utilise indistinctement le féminin ou le masculin). Au début du très célèbre Carmen LXIV, Catulle décrit une toile re-présentant l’abandon d’Ariane par Thésée sur les rives de Dia, en Crète, où elle l’a aidé à vaincre le Minotaure ; seule, abandonnée sur la plage, elle regarde s’éloigner le héros.

Le vocabulaire employé par Catulle évoque la contempla-tion affligée d’un spectacle pénible (« visens lacrimentibus ocu-lis », « miseram se cernat », « maestis ocellis / ... prospicit, eheu ! / prospicit... »), mais suggère également un sentiment de solitude ( « Desertam in sola... harena », « Quem procul ex al-ga... »). De plus, la scansion des vers 57 et 60 du Carmen LXIV montre que des termes comme « miseram », « maestis », qui dé-peignent la tristesse, sont mis en valeur par le rythme (deux longues) et l’encadrement des césures. Le rythme berçant du texte baudelairien, presque monotone, des deux premiers vers (4/2, 4/2), ainsi que l’image des « mains » qui se « cherch(ent) » et des « pieds » qui se « rapproch(ent) » comme pour se protéger, enfin l’emploi de termes comme « langueurs » ou « frissons amers » donnent, à l’instar des vers catulliens, une impression fortement mélancolique. 62 Carmen LXIV, v. 57. 63 Ibid., v. 60-63.

Page 43: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 43 -

Les deux cas traitent d’une marginalité : chez Baudelaire l’homosexualité est « damnée » par le christianisme et chez Ca-tulle l’asexualité est le fruit d’une hybris. Cette marginalité en-gendre la solitude et la tristesse. Or, que contemplent les « femmes » de Baudelaire, que pleure Attis, si ce n’est justement, leur propre solitude, à travers « l'horizon des mers » ? Ariane de-vient une mer de « soucis » dans « magnis curarum fluctuat un-dis » ; elle « flotte sur (leurs) immenses flots ». De même, chez Baudelaire, le mouvement des « pieds » et des « mains », ainsi que le rythme du vers 3 (3/3, 3/3) et le chiasme du vers 4 (« douces langueurs » / « frissons amers »), semble rappeler le roulement régulier de la mer. En second lieu, l’oxymore du « bé-tail pensif », fort originale dans le texte moderne n’est pas sans rappeler le paradoxe non moins étrange de « saxea effigies bac-chantis » (« une statue de pierre de bacchante ») ; en effet, les bacchantes étaient les prêtresses de Bacchus, célèbres pour leurs chants, leurs danses endiablées et leur allure sauvage.

II. 2 – Virgile

At procul in sola secretae Troades acta amissum Anchisen flebant, cunctaeque profundum pontum aspectabant flentes64.

(Et de loin les Troyennes à l’écart sur une plage solitaire pleurent la perte d’Anchise, et toutes ensemble en pleurant elles contemplent la mer profonde.) La comparaison entre Virgile et Baudelaire n’est donc pas

nouvelle. Mais elle ne se limite certainement pas au vers 2 de Femmes damnées. Elle englobe tout le premier quatrain. On peut étudier les rapports entre les deux textes de deux manières diffé-rentes qui somme toute, se complètent.

D’abord, d’un point de vue rythmique et phonique, la scansion montre que les hexamètres virgiliens, à part le premier pied du vers 613, sont holospondaïques, c’est-à-dire exclusive-

64 Enéide, livre V, v. 613-616.

Page 44: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 44 -

ment composées de syllabes longues dans les quatre premiers pieds de chaque vers; la régularité de leur cadence est conjuguée à une discordance quasiment systématique entre l’ictus métrique et l’accent spontané du mot ; cette discordance force à une dic-tion moins naturelle, plus travaillée, plus solennelle, puisque le lecteur ne peut prononcer les mots comme il a l’habitude de le faire ; cela donne au texte une impression de lenteur, de profonde tristesse – mais une tristesse grave, presque religieuse. Les cé-sures soulignent des termes comme « secretae » (v. 613), « fle-bant » (v. 614), « flentes » (v. 615), qui renchérissent la sémantique de la solitude et du chagrin. Les alexandrins de Bau-delaire sont également homorythmiques, sans ponctuation à l’intérieur du vers. La cadence 4/2, 4/2 (hormis au vers 3, cons-truit suivant un schéma parallèle : « Et leurs pieds... » / « ...et leurs mains... ») met en valeur les mots « pensif » et « couchées » au vers 1, « leurs yeux » et « des mers » au vers 2, « langueurs » et « amers » au vers 4. Cette « douce langueur » dont parle le poète ici rappelle sans doute la gravité, la régularité respectueuse qui transparaissent implicitement dans les hexamètres de Virgile. Les vers 3 et 4 dans Femmes damnées ont une structure symé-trique, en écho : « Et leurs pieds » / « et leurs mains » ; « Ont de douces langueurs et des frissons amers » (avec dans ce dernier cas, nous l’avons dit, une construction en chiasme qui appuie sur l’opposition) ; comme chez Virgile : « amissum Anchisen fle-bant » / « pontum adspectabant flentes » (l’écho « flebant » / « flentes », fait passer de l’indicatif au participe, glissement que Baudelaire rappelle peut-être dans « Elles tournent leurs yeux » / « Et leurs pieds se cherchant » ; dans les deux cas, ce procédé évoque l’aspect continu et prolongé de l’action, et souligne en-core la tristesse).

Le mot « pensif » au vers 1 n’est pas sans rapport avec le « secretae » que Virgile place à la césure au vers 613 ; c’est chaque fois une mise à l’écart, intellectuelle (les « femmes » de Baudelaire sont perdues dans leur pensée) ou physique (les Troyennes s’isolent sur la plage). Il est à noter que la métaphore dont use Baudelaire pour caractériser les Femmes damnées, celle du « bétail », est peut-être un écho de Don Juan aux enfers, v. 7 (« Et, comme un grand troupeau de victimes offertes »), poème

Page 45: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 45 -

qu’on peut ici comparer au livre VI de l’Enéide (« inops inhuma-taque turba » [v. 325] « foule misérable et sans sépulture »). En outre l’idée, si ce n’est d’un attroupement, au moins d’une réu-nion, n’est pas totalement absente des vers 613-615 du livre V : les Troyennes se sont retirées (« secretae ») au loin (« procul ») pour pleurer ensemble (« cunctae »), comme les Femmes dam-nées qui unissent leurs « pieds » et leurs « mains ». Dans les deux cas, elles sont sur une plage (« acta » chez Virgile, « sur le sable » chez Baudelaire), comme chez Catulle. Comme chez lui, elles sont coupées du monde. D’ailleurs on peut comparer ce pas-sage de l’Enéide à celui du Carmen LXIV : « in sola harena » / « in sola acta », « At procul » / « Quem procul »... Virgile se se-rait-il inspiré de Catulle ?...

L’humilité se perçoit dans l’attitude des Troyennes comme dans celle des Femmes damnées ; les premières s’isolent délibérément pour pleurer, alors que les larmes du deuil avaient à l’époque une valeur symbolique, voire religieuse, qu’on ne ca-chait pas ; mais ici, leurs pleurs ne sont pas uniquement ceux d’un deuil. Les Troyennes appréhendent les longues traversées à venir (« Heu tot uada fessis / et tantum superesse maris ! » [Ibid. v. 615-616] « Hélas ! tant de bas-fonds, tant de mer à surmonter, pour nous [qui sommes] fatiguées ! »), de même que les Femmes damnées regardent « l'horizon », c’est-à-dire sans doute, au-delà de leur solitude, l’avenir. Elles ont, dans le premier vers, la posi-tion « couchée » d’un troupeau qui se repose, leurs « mains » se « rapproch(ent) » comme pour une prière...

Cependant, un point fondamental éloigne les deux textes : dans l’Enéide, le regard des Troyennes est vertical (« profundum pontum »), alors qu’il est horizontal dans Femmes damnées (« l'horizon des mers »). Si les « femmes » de Baudelaire con-templent leur avenir, subissent la mélancolie qu’apporte leur « damnation », et sont partagées entre « langueurs » (douleur ?) et « frissons » (plaisir ?), les Troyennes consomment leur chagrin à l’égard d’un être irrémédiablement perdu, Anchise, et contem-plent les profondeurs de la mer comme pour regarder aux Enfers.

Page 46: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 46 -

II. 3 – Ovide

Parsque boum fuluis genua inclinarat harenis latarumque iacens campos spectabat aquarum ; pars gradibus tardis illuc errabat et illuc65 (...)

(Une partie des boeufs avaient plié leurs genoux sur le sable fauve, et couchés à terre, regardaient l'étendue des mers ; d'autres, d'un pas lent, erraient çà et là...)

(...) fretumque prospicit66 (...)

(...et (Alcyone) contemple la mer...) Peut-être Baudelaire pensait-il à Virgile en écrivant le mot

« bétail », mais c’est très certainement au poète des Métamor-phoses qu’il fait surtout allusion ; le troupeau de Pélée s’est éten-du sur le « sable fauve » et, « fatigué » (« fessos iuuencos », v. 352), il « contemple l'étendue des eaux ». Le mot « campos » chez Ovide trouve un écho dans « l'horizon » baudelairien ; le campus désigne en effet une plaine (« la plaine des eaux »), une étendue, délimitée ou non dans l’espace. Le pluriel poétique « campos aquarum » est le même que celui « des mers » dans le poème moderne. « Vers l'horizon » est mis en valeur par le rythme 4/2 du vers, comme le terme « campos » par la double cé-sure trihémimère / penthémimère dans le texte latin. La position « couchée » (« latarumque iacens ») du bétail est également im-portante (chez Catulle comme chez Virgile en effet, les femmes sont debout et non couchées), comme son regard sur « l'hori-zon », sans doute dénué d’expression chez Ovide, celui d’un « bétail pensif » chez Baudelaire.

Alcyone, dont Ovide raconte l’histoire à la fin du livre XI, est une jeune femme éplorée par la perte de son mari, qui s’est abîmé en mer. Debout sur le rivage où elle se lamente, elle con-temple, elle aussi, les flots et voit revenir le cadavre de l’être qu’elle a aimé. Ce thème est fréquent dans l’Antiquité, et surtout à Rome, chez des poètes comme Catulle, Virgile, Ovide, Horace ;

65 Les Métamorphoses, livre XI, v. 355-357. 66 Ibid., livre XI, v. 715.

Page 47: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 47 -

on voit souvent l’être abandonné pleurer l’absent au bord de l’eau ; pour l’Andromaque de l’Enéide, c’est le Simoïs, pour Di-don, peut-être le Styx « qui entoure neuf fois les Enfers » ; pour Alcyone, Ariane, l’océan. Sans dire que Baudelaire s’est préci-sément inspiré de ce passage-ci des Métamorphoses, il semble évident qu’avec cette image, il repeint consciemment un tableau cher aux Anciens.

Enfin, le vers 9 de Femmes damnées est sans doute une réminiscence du vers 357 du onzième livre des Métamorphoses ; le « gradibus tardis » (« à pas lents ») influence l’expression « lentes et graves » ; dans les deux cas, il s’agit d’une errance (« errabat » / « marchent (...) A-travers les rochers... ») sans but. Le souvenir d’Ovide n’apporte toutefois pas le sentiment de pro-fonde mélancolie qui transparaît dans le texte de Virgile comme dans celui de Catulle ; Baudelaire s’imprègne du style ovidien (de la répétition, par exemple, de la particule coordonnante –que [« Et leurs pieds... », « et leurs mains... », « et des frissons... »]), comme il s’est imprégné du style de Virgile ; mais l’esprit des Métamorphoses, bien qu’Ovide soit considéré comme le poète de l’exil, n’a pas autant marqué Baudelaire que l’esprit de l’Enéide.

La mélancolie virgilienne a manifestement beaucoup ali-

menté le concept du spleen baudelairien. Sans doute Baudelaire possédait-il un souvenir très précis, dû à des travaux scolaires, de ces passages des Carmina et des Métamorphoses ; c’est l’Enéide cependant qui l’a le plus marqué, indéniablement, si l’on en juge par les fréquentes allusions qu’il y fait tout au long des Fleurs du mal. Le poète moderne adapte les vers latins à sa pensée, en en conservant la substance. Le rythme se retrouve, ou la structure en écho ; cependant, Baudelaire procède davantage implicitement (il ne dit pas que les Femmes damnées pleurent, mais on le devine), presque par pudeur ; il développe des aspects que les auteurs la-tins laissaient de côté (le mouvement des mains évoquant la prière, par exemple). Il extrapole également le tableau antique en utilisant le présent là où les auteurs latins ont choisi le passé... Peut-être en somme tous ces textes se complètent-ils, et faut-il connaître les anciens pour comprendre le moderne.

Page 48: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 48 -

CONCLUSION Le poète solitaire du Cygne, en se promenant dans Paris, constate que la ville a changé. Un sentiment profond de solitude et de regret monte alors en lui, qui résume assez bien la pensée la plus moderne de Baudelaire : depuis 1850, si le paganisme est revenu à la mode, le monde semble malgré tout oublier le véri-table héritage de son passé ; Paris change, comme si l’essor de l’industrialisation, de l’architecture contemporaine lui donnait un nouveau visage. C’est cette façade, ce masque superficiels que déplore le poète. En cela, le message du Cygne dépasse le simple cadre philosophique et spirituel, et devient politique.

Baudelaire, à l’instar d’Andromaque, n’oublie pas son pas-sé. Cependant, son regard sur l’Antiquité, nourri des souvenirs littéraires qu’il porte en lui depuis l’enfance, n’a rien du néo-paganisme de l’époque. Il trouve dans la littérature antique et dans sa mythologie une valeur synthétique et symbolique qui convient à son discours ; car il oppose ainsi le moderne à l’antique, et satisfait à sa conception du beau, résultat selon lui de la rencontre d’un élément universel et d’un élément circonstan-ciel67. La mémoire de Virgile, à travers celle d’Andromaque, se superpose au paysage moderne de Paris et lui donne une dimen-sion universelle : « tout devient allégorie ».

Baudelaire cherche un ailleurs ; c’est l’ultime invitation du recueil de 1861 : « Au fond de l'Inconnu pour trouver du nou-veau68 ! » ; mais il lui faut se souvenir du passé pour plonger dans le futur ; c’est le goût du lointain, du retour aux sources qui l’anime ; comme il oppose l’urbain à l’exotique, il oppose le chrétien au païen, le moderne à l’antique. Il désire ainsi faire sor-tir son univers de son cadre, et les références aux auteurs de l’Antiquité sont autant de marques de sa volonté d’évasion.

67 « Le beau est fait d'un élément éternel, invariable, dont la quantité est excessivement dif-ficile à déterminer, et d'un élément relatif, circonstanciel, qui sera, si l’on veut, tour à tour ou tout ensemble, l’époque, la mode, la morale, la passion. Sans ce second élément (...), le premier élément serait indigestible... » Le Peintre de la vie moderne. 68 Le Voyage, v. 144.

Page 49: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 49 -

Ces références sont bien plus nombreuses qu’on ne le croit, quoique Baudelaire paraisse puiser moins directement dans les textes antiques que d’autres auteurs contemporains ; cepen-dant, la lecture et l’étude de certaines oeuvres latines ou grecques qui l’ont profondément marqué lui inspirent souvent, comme on l’a vu, quelques réminiscences (conscientes ou non). Aussi doit-on bien faire la différence entre les auteurs qui furent pour lui de véritables sources d’inspiration, tant d’un point de vue du fond que de la forme, et ceux dont, au contraire, l’oeuvre n’est qu’incidemment représentée au sein des Fleurs du mal. Il ne faut pas croire que l’importance d’un auteur pour Baudelaire se me-sure au nombre d’allusions qu’il fait à ses textes ; quelle matière aurait-il eue, en effet, pour citer Sappho, quand on ne connaissait d’elle que quelques fragments ? Et pourtant la poétesse de Les-bos, et en tout cas, ce qu’elle incarnait à l’époque (la pureté, la tendresse, l’idéalisation qui alimentent la révolte spirituelle et la recherche de l’infini), a profondément troublé le poète moderne, mais il n’y a rien là qui relève de l’intertextualité.

Sa fascination pour le monde des Anciens ne découle pas seulement du fait que, selon lui, la beauté antique se trouve en dehors de toute morale, et que ce qui est vulgaire dans la moder-nité ne l’est plus transposé deux mille ans en arrière ; mais elle s’explique aussi par la richesse intellectuelle et spirituelle qu’il trouve chez les auteurs latins et grecs. C’est ce qui le distingue des romantiques, ou des parnassiens ; aucune allusion n’est ja-mais gratuite ; le « beau » dépasse la seule « forme » : il va plus loin. Pour lui, la forma latine, le καλλος grec, sont autant figura-tives que philosophiques. Il n’y a dans son regard sur la littéra-ture classique ni préciosité ni néo-paganisme. Car même le dandysme est pour lui une sorte de rhétorique, de révolte ; nulle-ment une vulgaire coquetterie. Baudelaire va chercher le plus loin possible l’inspiration la plus pure et la plus belle ; d’une part, il veut constamment élargir les limites trop finies de son univers, d’autre part il adapte l’Antiquité à sa propre conception du monde : en s’abreuvant à la source, il en « extrait la quintes-sence », en retire la boue – et la transforme en or 69.

69 Projet d’épilogue pour l’édition de 1861, II, v. 33-34.

Page 50: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 50 -

INDEX DES ALLUSIONS A LA LITTERATURE DE

L’A NTIQUITE DANS LES FLEURS DU MAL

HOMERE - La Musique (v.7) / Iliade (chant II, v. 159) - Crépuscule du matin (v. 25) / « aurore aux doigts de rose » ESCHYLE - Obsession (v. 8) / Prométhée enchaîné (v. 89-90) - Litanies de Satan (v.19-20 et 22-23) / Prométhée enchaîné (v. [500-503) SOPHOCLE - « Une nuit que j’étais... » (v.2) / Antigone (v. 1240) - Remords posthume / Antigone (v. 773-780 et 891-892) CATULLE - Femmes damnées (v.1-2) / Carmina LXIII (v. 48) et LXIV (v. [57 et 60-63) LUCRECE - Élévation (v.16) / De rerum natura (livre II, v. 8) - « J’aime le souvenir... » (v.3-6) / Ibid. (livre V, v. 962-965) - Une charogne (v. 3-4, 8 et 15) / Ibid. (livre VI, v. 1154) - Le Cygne (v. 25-28) / Ibid. (livre I, v. 62-65) VIRGILE - La Vie antérieure (v. 1) / Enéide (livre III, v. 353) - Hymne à la Beauté (v. 22) / Ibid. (livre III, v. 658) - Sed non satiata (v. 11) / Ibid. (livre VI, v. 439) - La Musique (v. 7) / Ibid. (livre I, v. 110) (v. 12) / Ibid. (livre I, v. 118) - Spleen « Quand le ciel... » (v. 4) / Ibid. (livre XI, v. 28) - Obsession (v. 8) / Ibid. (livre III, v. 555) - Le Cygne (v. 1) / Ibid. (livre III, v. 317-319)

Page 51: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 51 -

(v. 4) / Ibid. (v. 302) (v. 38) / Ibid. (v. 329) (v. 39) / Ibid. (v. 302-305)

- Femmes damnées (v. 1-4) / Ibid. (livre V, v. 613-616) HORACE - Remords posthume / Odes (livre I, ode XI, v. 7-8) - Le Revenant (v. 12-14) / Epode V (v. 89-98) - Sonnet d’automne (v. 1) / Odes (livre I, ode XVIII, v. 16 et livre [III, ode XIII, v. 1) - L’Horloge (v.19) / Odes (livre II, ode XVIII, v. 15 et Epode [XVIII, v. 25) - La Fontaine de sang (v. 8) / Odes (livre III, ode XIII, v. 1-8) - Lesbos (v. 56) / Épîtres (livre I, épître XIX, v. 28) - Le Voyage (v. 141-144) / Odes (livre I, ode VII, v. 31-32) OVIDE - L’Ennemi (v.12), L’Irréparable (v.36), L’Horloge (v.7-8) et L’Avertisseur (v.7 et 10) / Les Métamorphoses (livre XV, v.234-236) - Sed non satiata (v.11) / Amours (livre III, chapitre VII, v.25-26) - Le Cygne (v.25-28) / Les Métamorphoses (livre I, v.84-85, 730-733)

(v. 4) / Ibid. (v. 584 et livre XI, v. 47-48) - Femmes damnées (v.1-4 et 9) / Ibid. (livre XI, v.355-357 et 715) - La Prière d’un païen (v. 4) / Ibid. (livre XIII, v. 855-856) - Les Plaintes d’un Icare (v.14) / Ibid.(livre VIII, v.230, 234-235) STACE - Correspondances (v. 1-2) et La Vie antérieure (v.1-4) / Silves [(livre III, chapitre V, v. 89-90) - L’Invitation au voyage (v.13-14) / Ibid. (v. 85-86) JUVENAL - Sed non satiata (Titre) / Satire VI (v. 115-132)

Page 52: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 52 -

INDEX DES NOMS

PROPRES DE L’A NTIQUITE DANS

LES FLEURS DU MAL

Personnes, personnages

NOM PAGE70

Alecto 167 Andromaque 85, 86, 194

Antinoüs 98 Antiope 158 Bacchus 114, 175 Borée 15 Charon 19 Circé 129

Cybèle 11, 18 Danaïdes 71 Electre 134 Eschyle 22 Erinnyes 154 Hector 86 Hercule 13, 52 Homère 129

Icare 143 Mercure 77 Midas 77 Muse 14, 15, 43 Ovide 77, 86 Pan 15

Phoebus 11, 15 Proserpine 28

Phénix 88

70 Pagination de l’édition Pichois.

Platon 150 Pomone 99 Pylade 134 Pyrrhus 86 Sappho 150, 152 Saturne 137

Satyresses 140 Sisina 60, 61

Sisyphe 17 Sirène 25 Sirius 25 Titans 22 Thalie 90 Vénus 99, 118, 119,

150, 152 Vestale 90 Virgile 85, 86

Lieux

Cythère 117, 119, 141 Enfers 19 Icarie 130 Lerne 71 Lesbos 150, 152 Léthé 61, 74, 155-

156 Leucade 151

Minturnes 14 Pactole 106 Palmyre 9 Paphos 150 Rome 74, 177 Styx 28, 79

Page 53: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

BIBLIOGRAPHIE Bibliographie baudelairienne

YOSHIO ABE, « Baudelaire et la mythologie », French Studies (Londres), No25, janvier 1971, p. 281-294 MARINO BARCHIESI, « Antiquité et modernité dans l’expérience de Baudelaire », Formation et survie des mythes (Colloque de Nanterre du 19-20 avril 1974), n°67, Les Belles Lettres, p. 42-50 BAUDELAIRE Œuvres complètes – éd. Claude Pichois, Bibliothèque de la Pléiade, t. I (1975) et t. II (1976) – Robert Laffont, Collection Bouquins, 1980

Correspondance complète éd. Jean Ziegler et Claude Pichois, Bibliothèque de la Pléiade, 1973, 2 t.

Les Fleurs du mal – éd. Antoine Adam, Garnier, 1959 – éd. Georges Blin et Claude Pichois, José Corti, 1968 – éd. Jacques Dupont, G.F., 1991 – éd. Antoine Compagnon, L’Ecole des Lettres, 1993

PHILIP R. BERK, « Echoes from Juvenal in Baudelaire's La Lune offensée », Romance Notes (Chapel Hill, Caroline du Nord), No16, automne 1974, p. 73-82 GIUSEPPE BERNADELLI, « Le Cygne : Baudelaire tra Virgilio e Chateaubriand », Aevum, N.50, 1976, p. 625-633 ROBERT BRASILLACH, Anthologie de la poésie grecque, Le Livre de poche, 1950

Page 54: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 54 -

RICHARD D. E. BURTON, « The Context of Baudelaire's Le Cygne », Durham Modern Language Series, No1, 1980, p. 61-62 ROBERT D. COTTRELL, « Baudelaire's Élévation and the Ptol-emaic system », Romance Notes (Chapel Hill, Caroline du Nord), No15, Spring 1974, p. 426-429. HENRI COULET, « Une réminiscence d’Aristophane chez Baudelaire ? », Revue d’Histoire littéraire de la France (Sceaux), n°57, 1957, p. 586-587 JACQUELINE DANGEL, Histoire de la langue latine, P.U.F., collection « Que sais-je ? », 1995 MARC EIGELDINGER, Le Platonisme de Baudelaire, Neuchâ-tel, La Baconnière, 1951 ANTOINE FONGARO, Quelques images dans Les Fleurs du mal, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 1988 JEAN-CHARLES GATEAU, Abécédaire critique : Flaubert, Baudelaire..., Genève, Droz, 1987 JEAN-CHARLES GATEAU, « Clytemnestre sous le texte L'Idéal », Courrier du centre international d’études poé-tiques, n°110, novembre-décembre 1955, p. 3-8 TIMOTHY HAMPTON, « Virgil, Baudelaire and Mallarmé at the Sign of the Swan : Poetic Translation and Historical Allego-ry », The Romanic Review (New York), No73, novembre 1982, p. 438-451 GEORGE W. HENNING, « Baudelaire and "monstrum horren-dum, informe, ingens" », Modern Language Notes, No50, no-vembre 1935, p. 445

Page 55: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 55 -

FREEMAN G. HENRY, « Baudelaire and the Plato Controver-sy », Romance Notes (Chapel Hill, Caroline du Nord), No16, Autumn 1974, p. 87-90 FREEMAN G. HENRY, Le Message humaniste des Fleurs du mal, A. G. Nizet, 1984 CHARLES HERISSON, « L'imagerie antique des Fleurs du mal », Annales de la faculté des lettres et sciences humaines de Nice (actes du colloque de mai 1967), été-automne 1968, p. 99-112 ALAIN MICHEL, « Baudelaire et l'Antiquité », Dix études sur Baudelaire, éd. Martine Bercot et André Guyaux, Champion, 1993, p. 189-199 ALAIN MICHEL, La Parole et la Beauté, Albin Michel, 1994 LOWRY NELSON JR., « Baudelaire and Virgil, a reading of Le Cygne », Comparative Literature Studies (Eugene, Oregon), No13, hiver 1961, p. 332-345 HENK NUITEN, Bibliographie des exégèses des Fleurs du mal, Amsterdam, Rodopi, 1983 HENRI PEYRE, Bibliographie critique de l’hellénisme en France de 1843 à 1870, New Haven, Yale University Press, 1932 PROUST, Contre Sainte-Beuve, éd. P. Clarac et Y. Sandre, Bi-bliothèque de la Pléiade, 1971, p. 627 SUZANNE SAÏD & MONIQUE TREDE-BOULMER, La littérature grecque d’Homère à Aristote, P.U.F., collection « Que sais-je ? », 1990

Page 56: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 56 -

SAINTE-BEUVE, « Cahier de notes grecques », Studies in Comparative Literature, (Chapel Hill, Caroline du Nord), No12, 1955 PIERRE-MASSIM SCHUHL, « Baudelaire, Bergson, Plotin et la scène du balcon », Mélanges de philosophie, de littérature et d’histoire anciennes offerts à Pierre Boyance (Palais Farnese), collection de l’Ecole française de Rome, N.22, 1980, p. 691-693 INGRID STROMINGER, « From Aeschylus’s dream to Baude-laire's Rêverie : Orestes Evoked », Chimères, n°12, Autumn 1978, p. 34-47

Bibliographie gréco-latine

ARISTOPHANE, Théâtre complet, traduction Victor-Henry De-bidour, Folio classique, 1965 SAPPHO, Poèmes et fragments, traduction Philippe Brunet, Bibliothèque l’Âge d’Homme, 1991 ESCHYLE, Tragiques grecs, traduction Jean Grosjean, Biblio-thèque de la Pléiade, 1967 SOPHOCLE, Tragédies, traduction Paul Mazon, Folio clas-sique, 1962

Dans la Collection Guillaume Budé (Les Belles Lettres) HOMERE

Iliade, traduction Paul Mazon, 1992 Odyssée, traduction Victor Bérard, 1989

ESCHYLE, Prométhée enchaîné, traduction Paul Mazon, 1984 SOPHOCLE, Antigone, traduction Paul Mazon, 1994

Page 57: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 57 -

PLATON, Théétète, traduction Auguste Diès, 1976 PLOTIN, Quatrième Ennéade, traduction Émile Bréhier, 1964 CATULLE , Carmina, traduction Georges Lafaye, 1970 HORACE

Odes et Épodes, traduction François Villeneuve, 1991 Épîtres, Id., 1989

JUVENAL , Satires, trad. P. de Cabriolle et F. Villeneuve, 1983 LUCAIN, La Pharsale, traduction A. Bourgery et Max Pon-chont, 1929 LUCRECE, De rerum natura, traduction Alfred Ernout, 1985 OVIDE

Les Métamorphoses, traduction Georges Lafaye, 1980 Art d’aimer, traduction Henri Bornecque, 1967 Les Amours, Id., 1989

STACE, Sylves, traduction H. J. Izaac, 1992 VIRGILE, Enéide, traduction Jacques Perret, 1992

Usuels

BAILLY , Dictionnaire grec-français (1894), éd. revue par L. Séchan et P. Chantraine, Hachette, 1950 (47ème édition) GAFFIOT, Dictionnaire latin-français, Hachette, 1934 MORISSET & THEVENOT, Les Lettres latines, Magnard, 1950

Page 58: RUE DAVIOUD PARIS - Freeanamnesis.free.fr/LA LITTERATURE DE L'ANTIQUITE... · 1 Ainsi, cette variante du vers 2 de « J’aime le souvenir de ces époques nues » : « Dont le soleil

- 58 -

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ............................................................................................ 3 INFLUENCES INCIDENTES .......................................................................... 5

I – ESCHYLE – PROMETHEE ENCHAINE ........................................................ 6 II – SOPHOCLE – ANTIGONE ........................................................................ 8 III – LUCRECE – DE RERUM NATURA .......................................................... 10 IV – STACE – SILVES ................................................................................. 13 V – JUVENAL – SATIRE VI ......................................................................... 15

INFLUENCES DOMINANTES ...................................................................... 16

I – HOMÈRE .............................................................................................. 17 II – SAPPHO .............................................................................................. 18 III – PLATON ............................................................................................ 20 IV – VIRGILE ............................................................................................ 22 V – HORACE ............................................................................................. 26 VI – OVIDE ............................................................................................... 29

ÉTUDE DE DEUX POEMES ......................................................................... 32

I – LE CYGNE ............................................................................................ 33 I. 1 – L’évocation d’Andromaque ............................................................... 34 I. 2 – Le geste du cygne ............................................................................ 37

II – FEMMES DAMNEES .............................................................................. 41 II. 1 – Catulle .......................................................................................... 41 II. 2 – Virgile .......................................................................................... 43 II. 3 – Ovide ........................................................................................... 46

CONCLUSION ............................................................................................. 48 INDEX DES ALLUSIONS A LA LITTERATURE DE L’A NTIQUITE ........... 50 INDEX DES NOMS PROPRES DE L'ANTIQUITE........................................ 52 BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................... 53 TABLE DES MATIERES .............................................................................. 58