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Revue française de pédagogie

Le professeur et le sauvageon [Violence à l'école, incivilité etpostmodernité]Violence à l'école, incivilité et postmodernitéMr Eric Debarbieux

Abstract

Violence at school reactivates the debate about civilization decline and the idea of the little savage, not completely human and lacking reason. This discourse sometimes becomes an expression of nationalism, opposing civilization to barbarism. Ethnicist explanation of school violence is a consequence of it. The identity crisis revealed by violence is nurtured by social exclusion and the postmodern mutation of educational ideology. Maybe the solution - a renewed identity - is to be found in limited action rather than in never ending search for metasocial values or inefficient narratives.

Résumé

La violence en milieu scolaire est l'occasion d'un discours de décadence qui réactive la vieille catégorie anthropologique de «

l'enfant-sauvage », infra-humain et de peu de raison. Ce discours de la décadence prend parfois un tour nationalitaire, en opposant barbarie et civilisation. L'explication ethnicisante de la violence scolaire en est une conséquence. La crise identitaire que révèle la violence se nourrit de l'exclusion sociale et de la mutation postmoderne de l'idéologie éducative. Peut-être la solution réside- t-elle dans une action modeste plutôt que dans la recherche éperdue de valeurs métasociales ou de grands récits peu efficaces pour assurer la refondation de l'identité en souffrance.

Citer ce document Cite this document :

Debarbieux Eric. Le professeur et le sauvageon [Violence à l'école, incivilité et postmodernité]. In: Revue française de

pédagogie, volume 123, 1998. La violence à l'école : approches européennes. pp. 7-19.

doi : 10.3406/rfp.1998.1123

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L e professeur e t le sauvageon

Violence à l école, incivilité

et postmodernité

ric D e b o r b i e u x

La violenceen milieuscolaire estl'occasiond'un discoursde décadencequi réactivela vieilleatégorieanthropologiquede « l'enfant-sauvage», infra-humainet de peu deraison.Ce discoursde laécadenceprendparfoisun tournationalitaire,en opposantbarbarie etcivilisation.L'explicationethnicisantee la violencescolaireen est une conséquence.La criseidentitairequerévèlela violencese nourritde'exclusionsocialeet de la mutationpostmodernede l'idéologieéducative.Peut-êtrela solutionréside--elledans une action modesteplutôtquedans la rechercheéperduede valeursmétasocialesou derands récitspeuefficacespour assurerla refondationde l'identitéen souffrance.

a violenceà l'école- et la violencedes enfantset des jeunesen général- est un sujet

d'inquiétudepour bien des démocratieslibéralesoccidentales.En Suèdeou en Angleterre,enHollandeou au Québecde vastes programmesd'actionsont misen placepour tenterde laprévenir,sinonde l'éradiquer.En France,le débatprendun tour plusvif,et particulièrementidentitairetant la Républiqueet son Écoleentretiennentdes rapports passionnels.Dansla presse, dansles discoursofficiels parfois,dans les sallesdesprofesseurssouvent,resurgitle thèmed'unebrutaledégradationdes mœurséducatives,l'idéed un manqueépouvantabledans la transmissiondes «valeurs» qui ensauvage l'enfance etmenacecultureet paixsociale.Lavoieest étroiteentre une possibleexagérationdes faits et une

sous-estimationde ceux-ci, entre unecompréhensionnaïvepour les agresseurs,qui est oublides victimes,et une rigiditéautoritaire,vengeresseet répressive.

Dansles vastes enquêtesde terrainque nousavonsmenéesces dernièresannées(Debarbieux,1996),nous avonsété sans cesseconfrontésàces pressionsidéologiques,à ces contradictionsressentiespar les enseignants, commepar leursélèves,et plus largementpar l'ensemble denosinterlocuteurs.Sansrevenir surces enquêtes,etsur leurconstructionméthodologique,le but quenous nousproposons danscet article est dedécrireet de comprendreles implicationsde cesouciau sujetde la violence scolairepour notredémocratieet notre imagede l enfant.Pourcela

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nous tenterons de montrerque le « retour del'enfant-sauvage» est retour d'un archaïsmeanthropologiquequi situe l'enfancecommeâgede sauvagerieet de déraison,exposantl humanitéau risquede la décadence.L enfant serait«àrisques», situé entre sauvagerieet dressage,natureet culture,progrès et régression.C'est la

culture quiserait menacéeà travers l'agressioncontre l'École,et la refondationdes valeursseraitla seule manièrede préserveren même tempsl'enfanceinnocenteet la démocratierépublicaine.Ce républicanismeuniversalisteprendparfoisuntournationalitaire (Lorcerie,1996),en pointantlesracinesde la violencevers les parents d'élèves,particulièrementissus del imm igration,etl explication«ethnique» et culturalistede la violencefait son chemin. Nous nousefforcerons d'encomprendre le surgissement à travers uneréflexionglobalesur lacrisede l'idéologieduprogrès,liéeà la fois à l'aggravationdu dualismesocio-économiqueet au fractionnementpostmodernedu senset des normes.C'estdirequedanscet articlenotreréflexionsera autantd anthropologiephilosophiquequede sociologie.

LE DANGERD'ENFANCE

Lessociétésantiqueset anciennesse sonttoujoursméfiéesde l'enfance,car ellesse méfiaientde la nouveauté.Nulleidéologiedu progrès pourcroireque l enfantétaitun espoirde viemeilleure,au contraire.Ce qui dominedans les croyancespopulaires,commedans biendes textes littérairesou philosophiques,c'est le sentimentque leshommesdu passéétaientmeilleurs,plusforts, etquele mieuxà faireétaitde leurressemblerdansune chaînesansdiscontinuité. Lemythefondateurest le mythe de l'âge d or, qui trouveune de

sesplus vieillesexpressionslittérairesdans la

Cosmogonied'Hésiodepourquil histoirehumainen'est que la longue successiond'âgesdéliquescents,au risquede voirdisparaîtredansles fracasguerriersl'humanitéentière.Laressemblancesanschangementde l enfant àses parents et auxancêtresest une preuvede maintenancedel humain.Touteanormalitéchezl enfant,comme dansla nature,est considéréecommele signed'unterribledanger: elleest la manifestationde la Terreirritée, la preuve de la chute vers la bestialité(Delcourt,1986,79).La naissancemaléfiqueestcelle «d'enfants qui ne sont pas semblablesà

leurs parents» (Hésiode,Travaux,243),c'est-à-dired'enfantsqui«ne sontpas conformesà leurgenre», qui ne sont pas capablesde se tenirdebout,car lastationdroiteest le propredel'humanité(Gallien,Deusapartium,III,2).L'éducationest considéréed'abord comme un dressage,commeunemanièred'érigerl humainen l'homme(Tassin,1986,11),commeune correctiondu trop-pleinenfantinde natureet d'animalité(1).D'oùlafondationd'une pédagogiedu redressement,quidomineralargement l histoirede l'éducationoccidentalejusqu'auXIXesiècle,malgrédes périodesde relatif apaisement,malgréla contradictionapportéeparcertainsmédecinsou certainsphilosophes,malgré l apparitionprogressived'unepensée plus optimiste,autour du culte de« l'Enfant-Jésus» (Morel,1997).C'estque,struc-turellementdans les sociétés traditionnelles,« pendant le temps de leur croissance,avantd'avoir sautéle pas, les jeunesoccupentuneposition liminale, incertaineet équivoque»(Vernant,1986).On peut d'ailleurs penserquel'idéed'une naturalitéde la violenceenfantine,figéedansle cadred'uneagressivitéinnée,plongeses racines dans la définitionoccidentaledel'hommeet des relationsqu'il entretientavecsadescendance.Danscette conceptionjouecettecatégoriemajeurede langueet de penséequ'est« l'âgede raison», quidécided unpartageradicalconsistant«à séparernettementl'enfanceconsidéréecommeun en deçàde la raison,du restedel'humanité del'homme»(Joly, 1982).Endéfinissantl'hommecomme«animalraisonnable», laphilosophieoccidentaledéterminela coupureinauguralede l'humanismeentre laraisonet sonautre, une folienative quibestialisel enfant(2),pasencorede raison (3).La Bibleavait étéprécisesur ce point(Proverbes,28,15): «Lafolieest liéeau cœur de l enfantet c'est la vergede ladisciplinequi l enchassera». Contrele messageévan-géliquedu «En vérité,je vousle dis, si vous ne

changezpas et ne devenezpas comme lespetitsenfants,vousn'entrerezpasdansle royaumedesdeux»(Mathieu,18, I),Saint-Augustin,qui eutlaplus profonde influencesur l'éducationduredressement(Giolitto,1986),affirme: «Si on laissaitl instinctl empor terchezl enfant,il deviendraitàcoupsûr un grandcriminel».

En tout cas, cequi importele plus dans lessociétéstraditionnelles,et en particulierrurales,c'est la continuité,contre l innovation,et c'estéminemmentvrai de l'éducation.Ce contrôlede

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l innovationne s'opèrecependantpas par lesseuls parents,loin de là. La transmissionpar lepeer-group est certainement aussi importante,sinonplus,quela correctionpaternelleet lasocialisationjuvéniles'effectuelargementsousla formed'uneco-éducationoù alternentunegrandelibertéet une brutalitéassumée,laissantune partimportanteaux rituelsd initiationqui permettaientlepassageà l'âge adulte. À vrai dire, et jusqu'audébut de ce siècle dans les campagnesfrançaises,commeen milieuouvrier(Crubellier,1979,Weber,1983), domineun modeéducatiflargementbasé sur la brutalitécorrectriceet sur l'agonis-tiqueentre pairs,commeclef de la normalisation.Le célèbreromande LouisPergaud,La Guerredes Boutons,resteune métaphoreindépasséedecette ancienne socialite : liberté et combatsrituels,duretédes mœurset exaltationdesvaleursviriles,expériencesrisquéeset collectives,correctionmanuellelorsqueles codesqui fondentlesrapports sociauxsont dépasséspar le châtimentexcessif, hybristique,du Bancale,le traître del histoire.En abandonnantce modèle ancien,notre idéologieéducativea changéen profondeurnotrerapport à l enfant,et à la violence.

répondrepuis se substituerle thèmedel innocenceenfantineet de la bonté native.Si auXVIesiècleRabelais proposeune visionplusoptimistede la naturehumaine,il ne s'en agit pasmoinsd'un idéal aristocratiquede lettrés«naturellement» assoiffésde savoir,éruditspar goût,retirésdans l'abbaye deThélème: « les genslibèreset bien nés ont par nature un instinctetaiguillonqui les poussentà falctsvertueuxetretirésdu vice» (Gargantua,I, 57).L'influencerévolutionnairede Rousseausur les représentationsdel enfantpeut certes être célébrée,il n'en est pasmoinsvrai que,dans son Emile,il n'hésitepas àécrire: «Le pauvren'a pas besoind'éducation,cellede son étatest forcée,il ne sauraiten avoird'autre». Les Lumières,si souvent invoquéescommeMèresfondatricesde l'égalité universalisteet républicaine,ne sont guère tendres pour lesenfantsdu peuple,ainsi de Voltaire quiremercieLaChalotaispoursonEssaid'éducationnationale(1763): «Je vousremerciede proscrire l'étudechez les laboureurs.Moi quicultivela terre, jevous présente requêtepouravoirdes manœuvreset non des clercs tonsurés» (4). L enfant-roi?Peut-être,maispas n importequelsenfants (5).

LESIÈCLEDEL'ENFANT

En 1900, lorsque la suédoiseEllenKey ouvrenotre siècle pédagogiquepar son ouvrageLesièclede l enfant,elleanticipelargementun sièclequi verra promulguerune Conventioninternationaledes droitsde l enfant.Maiselle entérineaussi une évolutionpluriséculaireoù s'estlentementcristallisé ce qu'Arièsa appelé naguère« la découvertede l enfant» (Ariès,1960).Onsaitbien ce que la thèse d'Ariès a d'excessif,enmésestimantpar exemplel'importancede l enfantau Moyen-âge(Alexandre-Bidon,1991). Ouencore,en utilisantson modèle,d'autreshistoriensont pu montrercomment l'empire romainavaitconnuluiaussisa «découvertede l enfant»,et l'âgeclassiquecommeles tempsmodernesnesont pas aussi originauxqu'Arièsles a pensés(Néraudeau,1984).Il est pourtantindéniable que,dans la modernité,l enfantest progressivementdevenu une valeur fondamentale,tout d'aborddans les classesaiséesde la société,puis danslesclassesmoyennesquiferontun triompheà « lacausedes enfants», pour reprendrele titre d'unouvragecélèbre.Au thèmede la sauvagerieva

L'enfantau centreest d'abordun modèlede labourgeoisiemalthusienne, et les valeurs dela famillepuerocentréene se diffuserontquetrèsprogressivementet tardivementà l'ensembledesclassessociales.Moins d'enfants, mieuxd enfants,c'est toute une sociétéqui se mettra àrêverde l enfantet de la douceurdu foyer. Quelécart,parexempleentre lacélèbreapostrophedeSaint-Augustin{Citéde Dieu,XXI,14): «Quidoncne reculeraitd'horreur et ne choisiraitla mortsion lui offrait le choix entre mouriret redevenirenfant? » et cette déclaration d'EllenKey: « Tantque le père et la mère ne courberontpas leurfrontdanslapoussièredevantla grandeurdel enfant; tant qu'ils ne verrontpas que le mot«enfant»n'est qu'une autre expression pourl'idée deMajesté; tantqu'ilsne sentirontpasquec'est l'avenir quisousla formede l'enfantsommeilledans leurs bras; que c'est l'Histoire quijoueà leurspieds[... ] C'estseulementquandlepère verradansson enfantle filsde roi qu'ildoitservir entoute humilitéavec le meilleurde sesforces,que l enfantsera en possessionde tousses droits». Lavaleurde l enfantest ainsi liée àune conceptionprogressistede l'histoire.L'enfantest roi, car il est le meilleurespoirde l'idéologiedu progrès. Il ne s'agit plusde maintenirune tra-

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dition,maisd'innover.C'est sansdouted'ailleurspour cela que le rêve de l enfantnaturellementbon est un rêvede classesmoyennes,fortementmotivéespar la mobilitésociale,et qu'il seraremisen causeen mêmetemps que les chancesde mobilité diminueront(6).Bienentendu,dans lapratiquecommedans les mentalités le modèleancien coexisteavec ce nouveau modèleet letableaude l'idéologiede l'enfance auxXIXeet XXesièclesest extraordinairementdifficileà brosser:la restaurationdes Humanitésclassiques(7)alliéeà une disciplinescolairerigoureusesembleredirele respectdes Ancienscontreles Modernes,dansune querellequia encoreses thuriférairesacadémiques.L'enfantdevientpourtantl enfantchoyé,protégé, au sein d'une famillerestreinteoù lasocialisationmutuellepar le groupede pairsestconsidéréecomme nocive.

Ce qui nousparaîtessentielest le climatchaleureux,l affection quientourentidéalementl enfant.Ledéveloppement«postmoderne» (Shorter,1977) d'autres modèles familiauxne remetd'ailleurspas en causece dogme: mêmedans«la familleà la carte» (Lipovetsky,1992)lamaxime reste« Droitsdes enfants,devoirsdesparents». L'idéalde non-violence- avec toutesles fragilitésconcrètesd'un idéal - imposedenouvellesnormesà l'éducation: la modernitéenprivilégiant l affectiona dévaloriséla violenceéducative,celledes parents et celledes enfantsdans le groupede pairs. L'usagede la forceenéducationest devenuun des répulsifssociauxlesmieuxpartagés,et le châtimentcorporelcorrectifest sérieusementmis en question.La mise enscènetrès médiatiséedes enfants battus ou desviolences sexuellescontre mineursjoue le rôlecathartiquequejouaientles Tragédiesantiques:elles montrentce qu'il ne faut pas faire,paradigmesépouvantablesqui visent à détournerdel'inadmissible social.Notresiècle a vu aboutirl'idéal des élites du XIXesiècle, qui resserrentl enfantdans une famillequi le protège et dansune école qui prolonge l'action de la famille.L irruptionde la violencedans les écolesestatteinte au sacré,crainted'un renouveaudesauvagerie.Si l on a peur pour ses enfants,on aaussi à nouveaupeur des enfants. Retourdesclassesdangereuses,retourde l'enfant-sauvage,nouvellepeurd'une dégénérescencede l humainen l enfantsont peut-êtreà traversle prismede la«violenceà l'école» de nouveauxalimentspournotreidéologieéducative.

LEDISCOURSDELADÉCADENCE

C'est au tournantde notre décennie, commenous l'avonsmontrépar ailleurs,que le sujetdela violencedes enfantsà l'écoleest devenuenFrance un sujet majeur (Debarbieux,1997).Lediscoursde la décadences'enest alorsalimenté.

En analysant thématiquement(8) une revuedepressed'environ150articlesparusentre1992et1996(mars)(9),nousavonspu montrerquedominaitl'impressiond'unemontéegénéralede laviolence,mêmesi le thèmede la «banlieue» est luiaussitrès présent.Ce dernierthèmeest souventcooccurrentavecle thèmede la généralisationdela violence scolaire,mais par imprégnationousurtoutinvasiondes bas-quartiersversles écolesordinaires.

Un thèmeest fréquent,celui de la sauvagerie,portéparun lexiquede guerreurbaineou tribale:« la loide la jungle» (LesCahiersPédagogiques,1991),ou cette introductiond'un articledu Point(1993),« l'engrenageinsécurité- délinquancesurfondde tensionsculturelleset racialesrongelesbanlieues.Unphénomènesi profondet si graveque tout l'équilibredu pays est en cause: ilfabrique unejeunesseviolenteencoremarginale,mais suffisammentnombreusepour constituerunélément de déstabilisationsociale». Les crimescommispar des mineursamènentplus

fréquemmentdes généralisations« philosophiques», surla «barbarieenfantine», locutionqui formetitrepour un articled'André Comte-Sponvilledansl'Événementdu Jeudidu 2 décembre1993.Pource philosophe,« la violencedes enfantsn'estpasune aberration,une monstruosité,une exception:elle est la règle de la nature,de la vie,de lapulsion,donton ne sort quepar une autrerègle,quiest de douceuret de respect. Maiscelle-ci n'estjamaisdonnéeà lanaissance. C'estculturecontrenature: civilisationcontrebarbarie...sansquoiil

n y a que la bête humaine,qui est la pire detoutes».La violenceest le fait des «vandales» (Sud-

Ouest),des «desperados» (l'Événement)ou des«enragés» (France-Soir),toutau moinsdes «fou-teurs de merde» (Le NouvelObservateur)«quis'en prennentà «nos» enfants», mêlant ainsil imaginairede l enfant-roi,victime,et de l enfantdes classesdangereuses,agresseur.Entémoignentdes titres commecelui-ci, extrait d'unerevue à destination des parents d'élèves(Aquitaine,1996): «Guerredes blousons: La

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délinquanceà l'Écoleseraitmontéed uncran.Desbandesviendraientracketterà la sortiedescollègeset lycées.Querisquentvraimentnos enfantset comments'en défendre? « . Lareprésentationdominantesembleêtre celle d'une montéeirrépressiblede la violencescolaire,liéeauxbanlieuespopulaires,maisplussûrementà unesociétéqui,

globalementne sait plus éduquerses enfants.Cette représentationse nourritde faits diversterribles.Mêmelorsquele fait diversn'est pasprésent,l'impressionest que toute écoleestmenacée.Un articlede Sud-Ouestrelatela concertationvouluepar le Ministre,dans tous lesétablissementsscolairesde France,telle qu'elle a étémenée dansune écoled'unebanlieuetrèsprivilégiéede Bordeaux: «Violenceà l'École: le poidsdu silence. Laréflexionorganiséehierau collègeFrançoisMauriacn'a pas donné lieuà un débat

animé.Un établissementpeut-êtreprivilégié,maispas à l abride la violence». Cette représentationtranscendeles clivagespolitiques.Certes, Revel,dans un deséditoriauxauvitrioldont il a le secret,n'hésitepas à diredans Le Pointque la violencescolairene peut être imputée auxseulsdéterminantssocio-économiques,mais qu il faut plutôtcomprendre qu'ilest plus facile «de piller, devioler,de tuer» qued'étudieret que «les élèvesne s'en priventpas». Mais Les CahiersPédagogiques,revuepédagogiquede gauche, n'hésitepas à titrer sur « la violencedevenuerègle» ou àexaminer«les violencesordinairesdansune écolede campagnesanshistoires».

Le discoursde la décadences'emparesurtoutd'unesupposéeinsuffisanceparentale,et lediscoursdominantest une mise en accusation desparents,du manquede re-pères,commeun jeude mots pseudo-savanttend à le faire accroire.Dansnos enquêtes,nousavonssouventrelevé,avecd'autres(Payet,1992et 1995, Dubet,1997)

que les adultesdes établissementssontintarissablessur le sujet de la «mauvaiseéducation»,sinonde la non-éducation,reçuepar les enfants.Lesanathèmescontrela famillesontextrêmementdurs,nousen pourrionsnoircirdespages.« On ades famillesdéfavorisées,qui sont très démunieset quien définitiven'ont aucunregardvis-à-visdel'école.Sur90 famillesy a 80 famillesquisefoutentcomplètementdu rapport de l'élèveavecl'école,qui nesaventrien de ce quipeut sepasser(10)«. Lethèmede ladémission parentaleest

le plusfréquent,celuiquifait l unanimitédans lesclivagespolitiqueset idéologiques.Démissionou

absence des pères, monoparentalité,laxismeéducatif, enfantsqui traînentjusqu'àdes heuresinduesdans les rues,enfants battus,parentsbattus: tout est jeté pêle-mêlecommevéritéd'évidencepar des enseignantsqui n'habitentpas lesquartiers.A causede leursparents, « les élèvesont tous les droitsmaisne connaissentpas

l'applicationdu motdevoir», « toutest devenulaxisteau seinde la famille,regardezla placedesenfantsau sein de la famille,mêmequandon chercheàavoirune bonneéducation». Dans l'enquêteparquestionnaireque nousavons menéeauprèsde617 enseignantsnousavonsdemandéà ceux-cis'ils estimaientque la famille« jouait son rôle»mieuxqu'auparavant,pareillementou moinsbien.Plus de 70 ont répondumoinsbien,et aucunmieux.L'opinionde ces enseignantsn'ad'ailleursrien d'original,si l onen croitun sondageréalisé

en février1996pour l'hebdomadaireLa Vie,l opinionpubliquerendant responsabledes violencesscolairesune mauvaiseéducationfamiliale.

L'ENFANT«DE»SAUVAGES

Le thèmede la sauvagerierenaissantehésiteentrela sauvagerienativedesenfants,homologueau vieuxschemeanthropologiquede « l enfant-

sauvage», et le thème de « l enfantdesauvages», qui ethnicise,voireracialisela violencescolaire.Ainside cette Unedu quotidiend'extrêmedroitePrésent(1991): «Cen'estpasparceque ce sont des jeunes,c'est parce qu'ilssontrestés des sauvages». Lors d un entretienavecun professeurde collège,dans une zoneparticulièrementsensibledu Sud-Estde la France,celui-ci, décrivant les graves difficultésqu'il avaitconnues aveccertains de ses élèves «gitans»nous disait : «ces enfantssont naturellement

agressifs». La naturalisationethniquede laviolencescolairese nourritsouventdu thèmedel'invasionde l'écolepar des élémentsextérieurs,dont on sait pourtantà quel pointles intrusionssont extrêmement limitées(moinsde 10 descas probablement). L'explication«ethnique» dela violence estdevenueplus fréquente, s'asso-ciant fréquemmentd'ailleursau thèmede l affairedu «voileislamique» (Lorcerie,1996,Debarbieuxet Tichit, 1997a,1997b, Barrèreet Martucceli,1997).Paradoxalementdes faits de culturesont

utiliséscommedes faitsde nature,et cettenaturalisationde la violenceest désignationethnique.

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À la croyanceau «handicapsocioculturel», quiavaitgauchiles thèsespourtantnon fatalistesdeBourdieu(11), succèdeune croyance en un« handicapsocio-violent» qui s'associeparfoisavec une croyanceen l'ethnoviolence.Pour enrendrecompteet sans reprendre l'ensemble denostravauxet des preuvesquenousavons

accumuléessur le sujet, nous retranscrironsici unepartiedes observationsque nous avons faitesdans un lieu prestigieux de la République,l'Académiedes SciencesMoraleset Politiques,dépendant del Institutde France.

Aucoursd'uneséanceconsacréeà des «auditions» sur laviolenceà l'écoleet aprèsl interventiondu proviseurd'un lycée de la banlieueparisienne,qui décrivaitla situationde sonétablissementscolaire, le débat s'engage entrecelui-ciet un public restreintmais prestigieux,constituéd'académicienset d'hommes politiques.Quelques « morceaux choisis» se passentpresquede commentaires:

Un historien: «C'estquandmême l'Islam quiest en cause, les gens qui les encadrent, lesAfghans[...].Est-ceun problèmesocial,ou est-ceautre chose? Est-ceque ça n'est pas uneinvasion? Les grandes invasions ont commencécommeça,par desgensquivenaientcommeserviteurs»

Un autre historien: « Oui, ça a commencécommecela à la chute de l'empireromain[... ]C'estune immigrationde peuplementmaintenant,contrairementà ce quiétaitau XIXesiècle»

Une inspectricegénérale : «On pense auxtroupes d'enfantssauvages,d'enfants-loupsquierraientle couteauà lamaindansles campagnesrusses».

Et enfin, le proviseurconcerné: «Je suis unadministrateurcivilauxaffairesindigènes».

Quelleplusterribleillustrationdu discoursde ladécadencepourrions-nousproposer? Touts'entrelace: la bestialité férocedu loup,la chutedel'empireromain,et le colonialisme,l immigréet lenon-civilisé,le choc des cultures et l'Islam.Onpeut se rappeler cette délibérationdu conseilrégionalde Haute-Normandie adoptantle lundi15décembre1997une motiond'urgencesuite à desincidentsdansun collèged'Évreuxet demandant«des mesuresconcernantles fauteursde troublepouvant aller jusqu'àl'exclusiondéfinitivedesétablissements,l'expulsiondu territoirefrançais

s'ils sont étrangers,la suppressiondes aidessocialeset familiales». Nousne soupçonnonspaspour autantune dériveraciste généraliséedansl'école,maisvoulonspointerà quelpoint lacriseidentitaireest forte, s'alimentantd'une imaged'invasionmenaçante,sinonpar des hordesbar-baresquesdu moinspar la délinquance,et par

desculturesétrangères,non laïques.Ainside cetitre d unquotidien(LaCroix,1996): « tesenseignantsminéspar la violence scolaire.Laforteressecontaminée» (l'expressionest égalementutilisée dans Le Point, en 1993). FrançoiseLorcerie(1996)a montrécommentles tenants dela laïcitédite « républicaine» ou «à la française»rencontrentune audienceconsidérabledansl opinionpubliqueet chez les enseignants,contreceux d'une laïcité plus ouverte ou tolérante,quellesquesoient leursbasesthéoriquesdésormaisbien

posées.Laviolence scolaireest

devenueun élément dece débat, permettantladramatisationdu discoursde la forteresseassiégée,et le discourssécuritairese pare des voilesdes«valeurs» laïques.

VIOLENCE,INCIVILITÉ,POSTMODERNITÉ

Ainsischématiquementdécrit,ce discoursde la

décadencepourraitêtre traité par un méprispoliqui le catégoriseraitsousle genredu « fantasmed'insécurité». Un halo imaginairese créeraitautour de quelquesfaits divers,dont lararetén'est plusguèreà prouver(Chesnais,1981).Sansl'ombred un doute, la violenceà l'écoleestl'occasiond'une lutte idéologiqueamalgamantdevieuxarchaïsmes,en les transformantprofondémentdansune perspectiveallophobe,démocratiquementdangereuse.Allons plusloin: voirlaviolencescolaireen Franceà travers le prismedu

crimede sang, c'est confondredes pathologiesindividuellesexceptionnellesavecune pathologiesociale,c'est confondrefaits diversetfonctionnementssociaux.Toutesles statistiqueset laplupartdes travauxscientifiquesmontrentla relativeraretédes crimeset délits gravesen milieuscolaire,mêmes'il convientde noteruneaugmentationlimitéedes agressionscontre les personnes,qu'il resteencoreà mieuxmesurer.Lemodèledu« fantasme d'insécurité» est cependantinsuffisant: d'unepartcar il oubliele pointde vuedesvictimes: ce n'est pas parce qu'unevictimeeststatistiquement rare qu'elle n'a pas d'impor-

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tance (12), d'autre part car, comme l'a biendémontréSébastianRoche(1993,1994,1996),ilne prendpas en comptel'augmentationimpressionnantede la petitedélinquanceet desincivilités.L'ensembledes microvictimationsliées à lamontéeconsidérablede la petitedélinquanceetde ce que les criminologuesnommentlesincivilitésexpliquel'insécurité ressentie par lespersonnesdontla viequotidiennese dégradeeffectivement,alors même qu'ellesn ont pas étévictimes directementde crimeset délits.Latensionsocialese nourritd'une impressionglobalede désordre,de la difficultédu maintiende l ordreen communquiassureaussile maintiende lapersonnedans ses interactionssociales.Il n'en vapasautrementà l'école.

La violenceest causeet conséquenced'unedésorganisationde l ordre, introductiond'unchaos,pertede sens, de compréhension.Pour lephilosopheEric Weil,à l'hommeseulse révèlelaviolence« parcequ'ilest seulà chercherun sens,à inventer,à créer un sens à sa vie et à sonmonde,un sens à sa viedans un mondeorganiséet compréhensible,un monde organisé etcompréhensiblepar référenceà sa vie,commeunpays du sensde sa vie» (Weil,ed. 1987).Laviolenceest opacitédu monde,désorganisationdescroyancesqui me permettentde dirigerma vie,d'en être maître.Abolissantles limitesidentitaires,elle est crise de sens. La violenceest« l intrusionde l'inattendusoussa forme laplusradicale», disait Hannah Arendt (Arendt,ed.1989,p. 106).Cet inattendupeut surgircar leslimitesquinousprotégeaientsontabolies(13).Laviolenceest suppression,abolition,destructionde la limitequi borneet donne sens et socleàl êtrequ'onviolente,commeà celui quiviolente.D'oùla grande importancede la notiond incivilité: elleest, elleaussi,type idéalde la violence,par le sentimentde désorganisationqui la sous-

tend,par la perte de sensqu'elleconnote,désorganisantl'organisationidentitairedes individusquien pâtissent.

L incivilitéscolaireest la preuvede ladésorganisationdu monde scolaire.Elleest le meilleursignede cette crisede sensquis'est emparée denotre système d'enseignement,et plus loin del'ensemble des pratiques éducatives.Commed'autres (Dubet, 1994, Ballion, 1997, Peralva,1997), nousvoyonsdansla massifcationet dansla prolongationdes études, qui se sont opéréesdansun contextede chômagemassifdes jeunes,

des causesde cette crisede sens. Mêmesi lasurmobilisationest le plus souvent la règle(Chariot,1997),le douteest fort quantauxcapacitésde l'écoleà tenir ses promessesd intégrationsociale,lorsquel insertionprofessionnelleesttrès problématique.Ilest bienpossiblequel incivilitéde certainsjeunessoitune incivilitéréactive,l'expressiond'un amourdéçu pour une écoleincapable detenir ses promessesd'insertion,etquine peut protégerde ce qu'onnommeexclusion,et qui est inclusiondans un destin sur lesmargespourde largespartsde la populationdessociétés dualisées.Ceci dit, il faut bien prêterattentionau fait que les agresseurs,quelles quesoient leurs excuses, ne sont pas «sympathiques» : c'est contre le procheque s'exercelaviolence,dans une véritableloi de proximité.Lefonctionnementviolentn'a rien d'un romantismerévolutionnaire. La «violence antiscolaire»,comme celledu racket,ne s'exerce pascommeun droit justicier. Elle est au contraire une«conservationde la violence» (Bourdieu,1997),qui vise les plusdémuniset parfoisles alliés.C'est vrai massivementdes élèves dépouillés.C'estvraiaussides professeursdanslesétablissementsdifficiles.Le professeuragressédans uncollège«sensible» a un immensemérite: il estlà, dans la faillede l'exclusion,et qu'il se fasseagresser n'est pas le signe d'une vengeancesocialeefficace. Qu'ya-t-ilde choquantà ce quela remiseen causede son travailluisoitintolérable? Qu'ilsoit de classemoyenne,et que cefaisant il tente malgré tout d'être un imparfaitpont socialest certes pleinde contradictions,est-cetellementcritiquable?

Ce quimeurtavec« l'exclusion» c'estl idéologiedu progrès,un de ces «grands récits» quiavaientfondéla modernité,dans ceque Lyotardnomme une « positivitéillusoire,englobanteetrassurante». Parmi

cesgrandsrécits,il en est un

quifondaitl'idéologie del'écolede la Républiqueet quia pour sujet « l'humanitécomme hérosdela liberté» (Lyotard,1979).L'idéed'un progrèscontinupar la science,et par une sciencedispenséepar les maîtresd'école,enracinel imaginairemagistraldansune missionde miseen routedu «peuple» sur la voie du progrès et de laliberté.Ce grand récit est désormaisdéligitimé,ou du moinsson efficacitélourdementamoindriechezceuxqui enseignent commechezceuxquiapprennent.Quoide plus significatifà cet égardque la disparitiondu titre du principaljournal

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syndicalde l ex«SyndicatNationaldes Instituteurs»,L'Écolelibératrice? Unautresignede cette pertede confiance,quiest aussiperte de confianceenl enfant,est le caractèrepresque exsangue deseffectifs des mouvementspédagogiques,alorsmêmequel intérêtde certainespédagogies(et enparticulierla PédagogieFreinet)commesolutionalternativeest souventréaffirmépar lesformateursdes IUFM.

La fin du grandrécit a certes des causessocioéconomiquesimmédiates, maisellecorrespondaussià un nouvelétat des sociétésdémocratiquescontemporaines,qui voientdisparaîtrelacroyanceaux mythiquesGrandssoirs, ets unifierles valeursentre incluset exclus (Touraine,1991)dans un changementde paradigmesocial,marquépar l'adhésionenthousiasteà laconsommationde masse,ce queLyotarddésignecomme«conditionpostmoderne».À quoiintègreen effet« l'école intégratricede la République»? Il nes'agit plus de préparercollectivementlerenversementd'uneclasseexploitante,d'émanciperle« peuple», de faire« l'écoledu peuple», selonletitre d'un ouvragede CélestinFreinet.Inclusetexcluspossèdentles mêmesvaleurs, les mêmesaspirationsquine peuvent pluss'accommoderdugrand récit des lendemains qui chantent(Lipovetsky,1991): ils exigent la légitimitédesplaisirs immédiatsdans la sphère privée des

satisfactionsmatérielleset intimes. L immigré, s ilen reste,n'est plusintégréaux luttesduprolétariat,ses enfantsont intégré les valeursde lasociété d'abondance,dont les refletsparfoistroplointainsnourrissent les frustrations.Il ne s'agitplus de faire progresserl'humanitéau nomd'unpari utopiquedont le pragmatismesceptiqueetpostmétaphysique(Habermas,1993)ne peut pluss'arranger.Aucœurdes notionsde civilisationetde progrès(Pons,1995)se trouvel'idéeque lasciencemoderneva permettre laréalisationdu

bonheur humain.Or l histoirea démenticetespoir,quis'est révéléillusionde peu d'avenir. Lascienceet la technique,la puissanceéconomiqueet la production des biens de consommationn entraînentpas automatiquement justice égali-taire, fraternité et liberté. L effondrementdel'idéologiedu progrèsest effondrementdu socleidentitairesur lequel l'école masquaitnaguèredes pratiquesde reproductionsocialesansdouteplusfortequ'actuellement.

La conditionpostmoderneest l'occasiond'uneffondrementsupplémentairede cequi permettait

et légitimait lacoercitionscolaireet éducative,sur laquelled'aprèsDurkheim(1902)repose latransmission normatived'une sociétédonnée.Depuisdes années,une nouvellevisiondel enfants'est imposée.Ellea exacerbéune tendancede fond de la famillemoderne(Shorter,1975),àsavoirle privilègeaccordéà un contrataffectifausein de la famille,amour du couple parental,amourpourles enfants,replisur lasphèreprivée.L'idéologierépressiveen éducationa étéabandonnée.Ce quiprimedansla logiquepost-moraliste,comme le note encore Lipovetsky(1992),c'est le repli des obligationssur le réseaurestreint(14),là où les relationssontprincipalementaffectives.Le « lienémotionnel»avecl enfantestun sentimentde base pour latransmissiondesvaleursdont la moindren'est pas ledéveloppementde l enfant dans son individualité.Cemodèlede classesmoyennes,directement issudu tryptique« Monsieur,Madameet Bébé»de labourgeoisiedu XIXesièclea forgénotre habituséducatif,causantune souffranceréelle lorsqu'ilest remisen cause.Dans la violence«antiscolaire», dans la remiseen causede l'enseignant,celui-cipeut bien amalgamersous le terme de« violence» des faits totalementhétérogènes.Onpeut biendénoncercet amalgame,qui fait de laviolence scolaireun conceptimpossible,il n'enreste pasmoinsquela souffrance,elle,est réelle.Touchantà l'habitus,à cet «appris parcorps»,selonla belleexpressionde Bourdieu(1997),elletoucheà l identitépersonnelle.Il n y a pas quelesélèvesà être «postmodernes» (Finkielkraut1987),les enseignantsle sont aussi et leur souffranceest déchirementdu personnagepublicet de lapersonneprivée. Toute remiseen questiondel ordreest interprétéecommele signed'un désa-mour,et laissel'enseignantet l enfantsansprotection.De l'amourà lahaine,ilest possiblequ'iln y aitqu'unpas,et la psychanalysepourraitbienavoirencorequelque choseà diresur cela.Maisl on préfèreaimer,et punirn'est plus «naturel»en éducation, c'est une pratique honteuse,cachée,un travail«sale» (Payet,1997),que leséducateurs laisseraientvolontiers à d'autres.Ainside ce groupede professeursde collègequenousavonsanimé,pour quile « rêve»étaitd'êtreaimé par des élèvesqui les écouteraientsansqu'ilsaientà les punir,ce quidevraitêtrela tâchede « l administration». L'ordre éducatifest assuréimaginairementau moinspar la douceur,dans lafamillepostmoderne, maisce modèlepeut-ilréellementfonctionnerdans la sphère publique,et

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une logiquenon-coercitivepeut-ellesuffisammentlégitimerl ordrescolairedans une périodeoù lapeur du chômageoblitèrel'espoirdessatisfactionspersonnellesà veniravecle diplôme? Est-ce là le signe le plus net de la décadence,nefaut-ilpas restaurerordre enpublicet valeursparle retourà d'anciennespratiques? Lepasest vite

franchi, qui accusepêle-mêleperte du sensciviqueet conséquencesd'un pseudo-laxismemétaphoriquementdésignécomme soixante-hui-tard. Latentationd'un retourà l ordremoralpourraitbien enêtre une conséquence.

RESTAURERLESVALEURS

La fortune rencontrée par la notion«d inc ivilité»est un indicateurde ce discoursdel'ordre.Sadiffusionest un belexemplede reprisede conceptsscientifiquesdans lesreprésentationssociales,comparableà ce que Moscoviciavaitétudiédansles annéessoixanteà propos dela pénétrationdes concepts dela psychanalysedans le grand public (Moscovici,1961). Ceconceptest un conceptde la criminologieaméricaine,quiveut attirerl attentionsur l'importanceque revêtentdans la constructionde ladélinquanceles petites atteintesà la sécurité, lesmicrovictimationsqui en s'additionnantpeuvententraînerun quartierentier, ou pourquoipas unétablissementscolaire,dans des dérives plusclairementviolentes.Letermeest doncun termetechnique,ce n'est pas un conceptéthique. Lanotiond incivilité permetla miseen placedestratégiespréventivesplus efficaces, elle permetausside mieuxsaisirla constructiondu sentimentd'insécurité,en écoutantmieuxlesvictimes.

Cependant, le risque de cette notion aux

contoursflousest de la surestimeren lagénéralisant,confondant touteremiseen causede l ordreavecune sorte deprédélinquance.L'usagecourantdu conceptd incivilitépeut largementserviràjustifierune excessiverépression.Surtout,l interprétationcausalede l incivilitécontemporaineestl'occasiond'une transformationde la notionversla «non-civilisation», dans la perception d'unrisquede pertetotale du lien social.Ce qui estfrappant est « l'ethnicisation» du phénomène,c'est-à-dire,du côtédes représentationssociales,

la croyancequecette violenceest liéeàl appartenance«ethnique» (15),au moins«culturelle»,

sinonraciale,des élèves,et du côté de certainsélèves nous avons pu montrer la constructionréactionnelled'unedélinquancesur bases«ethniques »c'est-à-direun bricolageidentitaireoùl'expérience scolairese construitde plusen plusen termes de «Eux» et de «Nous», « amis» et«ennemis».Lesreprésentationsde la violence

scolaires'ancrentdans un débat « barbarie» contre«civilisation». Pourlutter contre la«barbarie» lerecoursà larépression,à laseulerépression,estune tentationconstante,quimetà mall'idéologieéducativeactuelle.

Le rapportdes enseignantsà la violenceestsocialementet culturellementmarqué; la mutationéducativepostmodernedes classesmoyennesapourcorollairesle refusde la brutalitérituelleetun malaisedevant la logiquecoercitive.Ce n'estpas queles punitionssoient plusrares,et nousavons au contrairemontré que les pratiquesrépressives restaient extrêmementfréquentes,voiretendaientà se propagerdans biendesétablissementsscolaires(Debarbieux,1998).Maisceuxqui sontpunissontceuxqui n ontpasincorporéle modèled'acculturationdominantdans lessociétéslibérales,et dont Foucaulta pu montrerqu'ellesétaient de nouvellestechniquesdepouvoir(Rorty,1993, 99)pardes types de contraintedont les sociétésplus anciennesn'avaient pasrêvé.Cette sorte de « totalitarismedoux» qu'estl enfermementaffectiffamilial aeu pourconséquencele refusde la brutalitépopulairetraditionnelle.Labande, le groupede pairssontconsidéréscomme de graves dangers parcequ'ilsremettentaussi en question ce soubassementidéologique.Cettevaleurfondamentalede ladouceuren éducationa doncson histoire,et c'est unehistoirede classe.Faut-ilpour autant regretterletemps de la brutalité? Pour choquanteque soitcettequestion,il y a là un débat importantpour laphilosophiede l'éducation, commepour lapratique,qui peut d'abordse résumer par une descritiquesde fondles plussouventadressées àla«postmodernité» familiale.

La nouvellefamille,marquéepar l'hédonismeconsuméristeserait incapable de socialiserpardifficultéspsychologiqueset socialesd intériorisationde la loi, lorsquele principede plaisirne seheurtepassuffisammentau principede réalité.Decette critiqueprocèdentles pamphletsde Milneret Finkielkraut,aussibienque les nostalgies

fréquentessur la « morale» républicaine.Mêmechezles penseurs du « postisme» - c'est-à-direde

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l'abandondes grandes justificationsmétaphysiques- qui refusentde considérer commedécadentesles mutationspostmodernes,il y a surcepoint une difficulté importante.Ainsi pourHabermas,un des traits de la penséedepuisKantet le XIXesiècleest la tentativede répondreau«besoind'un équivalenttenantlieude puissance

d'unification que représentait la religion»(Habermas,1988),et pour lui« la religionesttoujoursirremplaçabledans le rapportnormalisantavec le non-quotidiendans la vie quotidienne»(Habermas, 1993,60),mêmesi la tâchede laphilosophieseraitd offrir quelquecimentsocialquiremplacerala religion.Demême, malgrésesdivergencesavecHabermas,Rortybute sur cet écueilde la socialisation-normalisation.Il ne peut nousdit-il « imaginerde culturequi socialiseraitlesjeunesde manièreà douteren permanencede leur

mode de socialisation(Rorty, 1993,123).PourRorty, dans une culturelibérale,la rhétoriquepublique,c'est-à-dire« la rhétoriquedanslaquelleles jeunessont socialisés»(id., 128)est encoremétaphysique.À l ironieprivéedu philosophe,quisait bien qu'aucuneillusionmétahistoriqueetaxiologiquen'est encorede mise, correspondraitla nécessitépubliqued'une espoir libéral,quipourraitbienêtre considérécommeun nouveaugrandrécit au sens lyotardien.A poussercettelogiquejusqu'aubout,nousarriverionsà ceparadoxeconsidérabledans l'idéologie éducativecontemporaine: socialiser,c'est mentirconsciemmentauxenfants.Quoiqu'ensoitsa défense,il ya chezRortyun élitisme certain: seulsle «poètefort », l ironiste,sinonl'hommepolitiquequipenseque ses promessesn'engagent queceuxqui lescroientselon un motcélèbre,sauraientse passerde grand récit. Pour l'hommeordinaireet pourl enfant(et cette associationest infantilisante)ilfaudra bien« raconterdes histoiresquicompensentles sacrificesprésents» (/d.,127).

En réalité,il y a ici un dernier«grandrécit», quiseraitl'achèvementsocratiqueet aristocratiquedela philosophiecommefin de toute illusionmétaphysique.Vouloirréserverle récitauxenfants,auxgens ordinaires,à ceux que Sansotdésignedubeaunomde «gensde peu», procèdeencoreduvieuxprésupposéanthropologiquede « l'âge deraison». Prônerla renonciationauxvaleurstotalisantespour le seul être fort - dont pourRortyNietzcheest le parangon- procèded'un

impérialismeculturelqui interdiraità la communautédecréer elle-mêmedu sens, en situation,dans

goisse des mutations sociales. C'estcetteangoissequel'enseignant-qui-souffreappellesouventviolence.Eneffet,le refuspostmodernede ladouleur et la déligitimationdes grands récitsaccentuentdifféremmentla définitionde celle-ci:sansgrandrécits,sansvaleurs fondéesa priorietcommunémentpartagées,ou au moinsdans des

incarnationsnon-universellesde l universel,quifixe la limiteprotectricesi ce n'est l'enseignant,avecsesfragilitéspersonnelles,sansla protectiond'une idéologieréellementpartagée? Dansl'expériencecontemporainede la violencese jouelechoix fondamentalde nos démocraties: ou larechercheéperdued'unevaleurmétasocialepar lacrispation identitaireau nom de valeurstotalisantes,la fuite versdes gourousou destotalitarismesnostalgiqueset néophobes,ou au contrairel affrontementincertainavec l infondéquotidien,

l inventionrenouveléedu liensocial.

CONCLUSION: ÉLOGEDE L'ACTIONMODESTE

La violencescolairea de nombreusescauses.Aucune«cause»n'est en elle-mêmeparfaitementexplicative.Nousn'avonsvouluattirer l attentionque sur un aspectdu problème: la montéedusoucipour laviolenceà l'écolecoïncideavecun

véritableeffondrementde l'idéologiequi la faisaittenir, qui l instituaiten luipermettantd instituerelle-mêmeles enfants.Lesgrandsrécitscollectifsne fonctionnent plus,et les démocratiesse saventimparfaites,sans pour autant que d'autresmodèlesalternatifssoient réellementrépandus.Lafindes illusionscoïncidedans lesdémocratieslibéralesavecun scepticisme généraliséà l'égarddes messianismeshistoriques.Les petits récitsdu bonheurindividuelssonteux-mêmesremisencause,dans l'angoissed'un avenirillisibleou au

contrairetropprévisiblepourde largespartsde lapopulationdes «exclus». Le mythedu progrèsqui avaitfondél'écoleest une histoireà laquellenotresociétéa du mal à croire,y comprischezceuxqui la transmettaient.Uneconséquencedecet effondrementidéologiqueet identitaireest laremiseen caused'une représentationde l enfantcommeporteurd un espoir socialet personnel.L enfant,mêmes ilest aimé,peut-êtresurtouts ilest aiméredevientà risques: le protéger,ycompriscontre lui-même,devient une hantise.S'en

protéger devientun vrai souci. La deuxièmeconséquencede cet effondrementidéologique

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pourraitêtre la recherchedésespéréed'uneidentitéde rechange,par désignation ethnicisanteetrejetante des «Autres», afin de savoir qui«Nous»sommes(Poutignat-Streiff-Fenart,1996),dans une illusionidentitaireculturaliste (Bayart,1996): le Civilisé contrele Barbare,la Républiquecontre l'Islam. Les pratiquesde ségrégation

internedans les établissements(Payet,1995)seconjuguant avec des pratiques répressivescibléessur certaines populations,dans l'école(Debarbieux,1998) et hors de l'école (Body-Gendrot,1997), nous paraissent procéder decette logiqueidentitaire.

Le fractionnementdu sens et la perte desillusionsn ont pas à être lus de manièredésespérante: dans le déchirementdu mythegisentaussila prisede consciencedes profondesinégalitésde nossociétés,et les possibilitésde remiseencaused unsystèmeinjuste.C'estuneleçonderéalisme.Nousaurionsen France,me semble-t-il,intérêtà accepter le pragmatisme.Le monde estdésenchanté,et alors? À laquêteéperdueetinterminabled un sens absolu del'écolepeutcorrespondreune fuitedans le laisser-fairedésocialisantou une répressionaccrueet allophobe.Cetappelàla refondationpeut aussi être appelvers un étatillusoirementfort, commesi la Providencede l étatn étaitpas elleaussi largementun grandrécit.Cesont là des dangersréels. Pourtantle pire n estjamaissûr, et le longtravailde terrain,quia nourrices quelques pages, nous semble indiquerquelquesvoies. Aucunefatalitén existedans leszonesde plusgrande injustice,et nousavonspumontrerquedes écolesy réussissaientà créerdetels «effets-établissements» qu'elleséchappaientlargementau délitementdu monde scolaire.Pourtantcesétablissementsn avaientpas toujoursdevasteset spectaculairesplansd action, n étaientpas toujourspris dans un maelstromde mesures

incapablesdansleurgénéralité deplierle réelversplus de justice. Ces établissements,dont nousavons publiéplusieurs monographies,ont descaractéristiquescommunesdont la pluscertaineétait la cohérenceinternedes équipeséducatives,

permettant enmême temps une implicationplusforte des parents d'élèves.Les établissementsquiau contraireréussissentle moinsbienétaientdesétablissementsdéchirés,où l ordreen communnepouvaitêtre assuré, et où le discourscontrelesparents était le plusnégatif.Aucunplan général,aussi utile et importantpuisse-t-ilêtre, ne peut

assurer la civilitéau quotidien. Le pragmatismeaplutôtcommeconséquencel'élaborationet laréalisationde programmeslocauxbienciblés,quitententde véritablementmobiliserles habitantsetl'ensemblede la communautééducative.Encorefaut-ilne pasconsidérerparents,et parfoisélèves,commedes barbares.À ce titre là, nous aurionstout intérêtà étudier commentdans la dynamiquelocaliséed'expériencesétrangères la diminutionréelledes délitset des incivilités apu se produire.«Ensemblecelafait la différence» (Body-Gendrot,

1996).Lutter contre l incivilitén'est pas luttercontreune «mauvaiseéducation»,c'estconsidérerd'abordque l implicationde tous,des équipesetdes habitants,est légitimeet nécessaire.Lesoucipour laviolenceà l'écolea permisde franchirunpremierpas, par lacréationde comitésd environnementsocial.Maisce premierpas estcontradictoire: la placedes habitantset celle des élèvesyest restreinte,beaucoupde ces comités sontaffairesde « spécialistes del ordre»oudu contrôlesocial,en internecommeen externe.Ils peuventn êtreque l'occasiond'une illusoiredéchargeversd'autres instances,et en particulierla police,dontle rôlede maintienrépressifde l ordreest tropsollicité.Unedeuxièmeavancéenoussemblenécessaire,elleest hasardeuse,maisc'estsansdoutelaseulealternativeà une régressionmal répressive:il convientdésormaisd ouvrir ànouveaula penséepédagogiqueà une réflexionsanshypocrisiesur lerôlede la punitionen éducation,sursa manièrededire ledroit.Sanscela,commec'est le casactuellement,la punitionsera le faitdu Prince,et le cycleinfernaltransgression-répression-dépressioncontinueraà être laconséquence descontradictionsdela postmodernitééducative.

ÉricDebarbieuxUniversitéBordeauxII

NOTES

(1)Pourundéveloppementpluscomplet decesreflexions,cf.Debarbieux(1996,pp.15-33), quicolligeunensembledetextestémoignantde cettepédagogie«pedoplegique»,etlabibliographieyafferant.

(2)Parex. Platon(Lois,808d seq.), «Detoutesles bêtessauvages{thenon),c estl'enfantquiestleplusduràmanier[...]C estunebête rusée,laplusinsolente de toutes,aussidoit-onla lierdemultiples brides)».

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(3)LaBruyère(LesCaractèresdel Homme,1688): «L enfance...untempsoularaisonn estpasencore,oùl onnevitqueparinstinct, àlamanièredesanimaux.. »ouBossuet {Discourssurl histoireuniverselle): «L enfanceestvied unebête».

(4)Surce refusde l'instructiondupeuplevoirparexempleGrosperrm(1984).

(5)Cecidit,on trouveradansles Mémoiresde MadeleineBens-Freinet(1996)un magnifiqueexemplede ce quepourraitêtrel'enfant-roidespedagogiesnouvelles,lorsqu ellerévèlequeFreinetavait renvoyéde sonécoleprivéeles enfantsde la banlieueparisienne,déjàunpeuagitesen... 1937,sousprétextequece n étaientpasde «vraisprolétaires»,car ilsn avaientpaslesensdutravail.

(6)Sur l ascensionet la chutedes classesmoyennes,cf.Bachman(C.) Leguennec(N.) (1996)

(7)àcetégardl enseignementdulatinparlelycéenapoléonien- alorsqu'iln'était plusenseignedepuis desdécennies(enparticuliersousl influencedesfrèresignorantins)- restelesigned uneméfiancepourl'enfantde classepopulaireContrele «Françaisde leursrécréations» Dupanloup(Secondelettresurlacirculairede MonsieurleMinistredel'Instructionpubliquerelativeà l enseignementsecondaire,1973)préconisela «plushauteet généreuseexpression»dulatindeVirgileetde Ciceron.

(8)Notetechnique: cetteanalysea été réaliséeà l aidedulogicielSphinxLexica.Ellepostcode150titresd articles,sous-titreset introductionsentête(analyse lexicaleetanalysethématique).C estun travailprovisoireexploratoirequenous comptonsaméliorerdans lesprochainsmoisenyincluantlestendancesrécentes.

(9)Lesjournauxetrevuessuivantesontété utilisésÉvénementduJeudi,Figaro,Express,Nouvel Observateur,LePoint,LeMonde,Liberation,Sud-Ouest,L Humanité,LeMonde del éducation,Le Parisien,FranceSoir Quelquesautresarticles serontcitesdansLaCroix,LaVie,Le Canardenchaîne,Present,MatchoulapressespécialiséeetcNousavonsrealiseunéquilibre«droite»- «gauche»satisfaisant.

(10)Lesparolescitéesiciproviennentoud'entretiens collectifsrealisesavecdesenseignants,oudeleursréponsesàunequestionouverted un questionnairequenousleuravonspropose.

(11)VoirBourdieu(1997)quiexpliquecommentsanotiond ha-bitus«déchire» laisseouvertedespossibilitésde prisedeconscienceet decréativitésociale.

(12)Horenstein(1997)a démontréquelararetéelle-mêmerendaitplusdifficilelavictimation.Ainsilesprofesseursagressesdanslesétablissementsaisesoùlavictimationestbeaucoupplusrareont-ilsdessuivispost-traumatiquesbeaucoupplusdifficilesquepourleurscollèguesd établissementsplussensibles.

(13)Nous suggérionsailleurs(Debarbieux, 1994)de rapportercettesérieauvieuxmodèlegrecaphrosyne-mama-hybris,pri-vation-possession-transgressionquidansl epopeehomériqueoulatragédieexpliquela«crisederage»etlechâtimentfinaldu hérosquiperdseslimites(lephren)ets ensauvage.

(14)Bienqu'ilnefaillepasmésestimerlestendancesuniver-silantes decertains mouvementssociaux,dontlemouvementhip-hopestunebelleillustration(Bazin,1994).

(15)Cf.aussilegrandarticledeLorceneF.,«Laïcité1996LaRépubliquea l épreuvede l'immigration»,RevueFrançaisedePédagogie,n°117.

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