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La Constitution Portugaise et la Protection Internationale des Droits de l'Homme Author(s): JORGE MIRANDA Source: Archiv des Völkerrechts, 34. Bd., 1. H., Portugal und des Völkerrecht / Portugal and Public International Law (März 1996), pp. 72-95 Published by: Mohr Siebeck GmbH & Co. KG Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40798899 . Accessed: 18/06/2014 11:44 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Mohr Siebeck GmbH & Co. KG is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Archiv des Völkerrechts. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.211 on Wed, 18 Jun 2014 11:44:32 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Portugal und des Völkerrecht / Portugal and Public International Law || La Constitution Portugaise et la Protection Internationale des Droits de l'Homme

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La Constitution Portugaise et la Protection Internationale des Droits de l'HommeAuthor(s): JORGE MIRANDASource: Archiv des Völkerrechts, 34. Bd., 1. H., Portugal und des Völkerrecht / Portugal andPublic International Law (März 1996), pp. 72-95Published by: Mohr Siebeck GmbH & Co. KGStable URL: http://www.jstor.org/stable/40798899 .

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La Constitution Portugaise et la Protection Internationale des Droits de PHomme

Dr. iur. JORGE MIRANDA Professeur aux Facultés de droit de l'Université de Lisbonne

et de l'Université Catholique Portugaise

1. La Constitution portugaise actuelle et les droits fondamentaux

I - Le processus portant à l'actuelle Constitution portugaise - celle de 19761 - eut son origine dans l'idée de droit invoquée par la Révolution du 25 avril 1974, qui mit fin au régime autoritaire et corporatif en place depuis 1926.

1 Au sujet de la Constitution de 1976, dans une perspective juridique ou para- juridique, voir les travaux assez variés de Jorge Miranda, l'introduction à As

Constituições Portuguesas, Lisbonne, 1976; A Constituição de 1976 - Formação. Estutura, Princípios fundamentais; Manual de Direito constitucional, 4 vol., Coimbra, plusieurs éditions depuis 1981; Giuseppe de Vergottini, Le origini della Seconda Repubblica Portoghese, 1977; Maurice Duverger, Avant-propos à une tra- duction française de la Constitution, 1977; Marcello Caetano, A Constituição portuguesa de 1976, in R.C.G.E., Porto Alegre 7 (17): p. 45-73, 1977, et Consti-

tuições Portuguesas, 1978, p. 123 et ss.; Estudos sobre a Constituição, ouvrage collectif, 3 vol., 1977, 1978 et 1979; Heinrich Ewald Hörster, O imposto comple- mentar e o Estado de Direito e Economia, 1977, p. 37 et ss.; Andre Thomas- Hausen, Constituição e realidade constitucional, Revista da Ordem dos Advoga- dos, 1977, pp. 471 et ss., et Verfassung und Verfassungswirklichkeit im neuen

Portugal, 1981; Mário Raposo, Nota breve sobre a Constituição portuguesa, Revista da Ordem dos Advogados, 1977, p. 775 et ss.; Gerhard Schmitt, Die

portugiesische Verfassung von 1976, Archiv des öffentlichen Rechts, 1976, p. 204 et ss.; Manuel de Lucena, O Estado da Revolução - A Constituição de 1976, 1978; Gomes Canotilho et Vital Moreira, Constituição da República Portuguesa Anotada, 1ère éd., 1978; 2e éd., 2 vol. 1984 et 1985, 3e éd., 1993, et Fundamentos da Constituição, 1991; Soares Martinez, Commentários à Constituição Portuguesa de 1976, 1978; Emídio da Veiga Domingos, Portugal Político - Análise das Insti-

tuições, 1980; Alberto Martins, O Estado de Direito e a ordem política portuguesa, Fronteira, n° 9. Janvier-Mars 1980, p. 10 et ss.; Maria Isabel ] alles, Implicações jurídico-constitucionais da adesão de Portugal às Comunidades Europeias - Al-

guns aspectos, 1980, p. 67 et ss. et 243 et ss.; Dominique Rousseau, La primauté présidentielle dans le nouveau régime portugais: mythe ou réalité, Revue du droit

public, 1980, p. 1325 et ss.; A Constituição de 1976 à luz duma reflexão cristã, ouvrage collectif, 1980; João Mota de Campos, A ordem constitucional portuguesa

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Cette idée de droit se manifesta clairement dans les proclamations et les premiers actes concrets du pouvoir révolutionnaire (la mise en liberté des prisonniers politiques, le retour des exilés, l'abolition de la censure, le congé du 1er mai, etc.) et elle devint apparente le jour-même, quand fut convoquée une Assemblée constituante qui devait être élue au suffrage universel, direct et secret.

Mais la légitimité de la révolution du 25 avril 1974 eut également pour référence la Déclaration universelle des droits de Phomme citée à plu- sieurs reprises par les organes du pouvoir révolutionnaire, et dont le règne devait contraster avec la situation dont venait de sortir le Portugal. Et si les allusions étaient assez hétérogènes, toutes reconnaissaient en elle l'inspi- ratrice ou l'élément définissant les droits fondamentaux qu'il fallait désor- mais garantir. Bien que son application ne fut pas directe ou prescriptive, c'état cependant l'idée de droit qui soutient la Déclaration qui était incorporée de la sorte.

II - II n'y a pas beaucoup de Constitutions qui accordent autant de relief et qui aient autant fait progresser les droits de l'homme que la Constitution portugaise, dont ressort:

a) de la priorité qui leur est attribuée au sein du système constitutionnel (Titre I) et d'une réglementation très développée (68 articles), avec des principes généraux communs aux grandes catégories de droits énoncés;

b) de l'étendue de leur enumeration, qui comprend une clause de non typicité, et de l'interprétation et de l'intégration des dispositions con- formément à la Déclaration universelle des droits de l'homme (article 16);

c) de la préoccupation aussi bien d'énoncer les droits, que d'en définir les contenus et d'en fixer les garanties et les conditions de mise en oeuvre;

d) du contraste entre les droits, les libertés et les garanties et les droits économiques, sociaux et culturels, lequel a des racines historiques et une signification juridique importante mais difficilement explicable du point de vue dogmatique, étant donné que parmi les droits économiques, sociaux et culturels se trouvent des droits ayant la structure des droits, des libertés et des garanties;

e) de l'inclusion parmi les droits, les libertés et les garanties non seule- ment des droits classiques, mais encore de droits nouveaux, tels que les

e o Direito comunitário, 1981, maxime p. 67 et ss.; João Baptista Machado, Parti- cipação e descentralização. Demoncratizaçõ e neutralidade na Constituição de 1976, 1982; Vieira de Andrade, Os direitos fundamentais na Constituição portu- guesa de 1976, 1983, Nos dez anos da Constituição, ouvrage collectif, 1987; Lucas Pires, Teoria da Constituição de 1976 - A transição dualista, 1988; le n° 60-61, avril-septembrc 1988, de Revista de Estudios Políticos (dont il y a une traduction portugaise: O sistema político e constitucional português, 1989); La Justice constitutionnelle au Portugal, ouvrage collectif, 1989; Etudes de Droit Constitutionnel Franco-Portugais, ouvrage collectif, 1992; Gomes Canotilho, Direito Constitucional, 6e. ed., 1993.

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garanties relatives à l'informatique (article 35), le droit d'antenne (article 40) et l'objection de conscience (article 41, n° 5);

f) de l'inclusion de la propriété au rang des droits économiques, sociaux et culturels (article 62) plutôt qu'à celui des libertés;

g) de l'apparition parmi les fondamentaux de droits des travailleurs et de leurs organisations (article 52 et ss.).

III - En faisant la distinction entre les droits, libertés et garanties et les droits économiques, sociaux et culturels, la Constitution établit du même coup la suprématie ou une plus grande importance des premiers; elle les ancre à des points sûrs et elle montre clairement qu'ils doivent être inconditionnellement respectés et qu'aucune des tâches de l'Etat ne peut se réaliser s'ils ne sont pas respectés.

Par conséquent cette plus grande importance accordée aux droits, libertés et garanties ne se limite pas à la systématisation adoptée dans la 1ère

partie de la Constitution. Elle est également évidente pour d'autres aspects tout aussi significatifs, à savoir:

a) Dans la décision affirmée dans le préambule de garantir les droits fondamentaux des citoyens2 et dans la citation, à propos de l'Etat démo-

cratique, du respect et de la garantie des droits fondamentaux et des libertés essentielles (article 2), des droits et libertés qui correspondent essentielle- ment aux droits du titre II, puisque les droits économiques, sociaux et culturels sont plus aisément associés à la décision - également inclue dans le préambule - „d'ouvrir la voie vers une société socialiste dans le respect de la volonté du peuple portugais";

b) Dans l'inclusion des „droits, des libertés et des garanties des citoyens" parmi les limites matérielles de la révision constitutionnelle, alors que, pour les droits économiques, sociaux et culturels, seuls les droits des travailleurs, des commissions de travailleurs et des associations syndicales y trouvent

place [alinéas d) et e) de l'article 290, à présent 288]; c) Dans l'établissement d'un régime des droits, des libertés et des ga-

ranties dont résulte le caractère normatif, d'obligation immédiate s'impo- sant à tous - autorités publiques et privées - des préceptes constitu- tionnels qui contiennent lesdits droits (article 18 et ss.);

d) Dans la réserve de compétence législative du Parlement en matière de droits, de libertés et de garanties (articles 167 et 168);

e) Dans la nécessité d'adaptation des normes concernant leur exercice avant la fin de la 1ère session législative (article 293, § 3).

IV - Dans ce travail, nous nous occuperons uniquement de l'incorpo- ration au droit interne, de ce qu'on nomme la „réception", de la Décla-

2 Et l'on peut encore lire dans le préambule: „. . . la Revolution a restitue aux Portugais les droits fondamentaux et les libertés essentielles. En exerçant ces droits et eu usant de ces libertés, les représentants légitimes du peuple se réunissent pour élaborer une Constitution qui réponde aux aspirations du pays . . ."

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ration universelle des droits de l'homme dans le contexte des relations entre droit international et droit interne; et, complémentairement, des réserves portugaises à l'égard de la Convention européenne des droits de l'homme.

2. La valeur juridique internationale de la Déclaration universelle des droits de l'homme

I - Comme on le sait, la valeur de la Déclaration universelle des droits de l'homme, en soi, en tant qu'acte de droit international, est très discutée.

Elle n'est assurément pas un traité ou une convention, puisqu'elle a été adoptée sous forme de résolution de l'Assemblée Générale des Nations Unies, n'engageant pas les Etats parties à la Charte (article 10 de la Charte). Ce qui reste à déterminer c'est si le contenu de la Déclaration ne peut pas être détaché de cette forme-là et placé dans une autre perspective.

Une partie de la doctrine conteste cette possibilité car elle n'attribue aux clauses de la Déclaration qu'une valeur de recommandation. Une autre, par contre, voit en elle un texte qui interprète la Charte, ce qui la ferait participer et à sa nature et à sa force juridique. Et il y a encore ceux qui voient dans les propositions de la Déclaration la traduction des principes généraux de droit international et même de jus cogens3.

La thèse selon laquelle il s'agirait d'une simple recommandation se base sur l'interprétation directe et littérale de la Charte, ainsi que sur l'expé- rience de conclusion de nombreuses conventions sur les droits de l'homme, qui, elles, disposent d'une efficacité juridique propre et ne seraient pas vraiment nécessaires si la Déclaration, pour sa part, avait cette même efficacité.

La deuxième thèse part de l'idée que tout ce qui est essentiel dans la Déclaration se trouve déjà dans la Charte des Nations Unies; la Déclara-

8 A ce sujet voir, entr'autres, Mirkine-Guetzevitch, Quelques problèmes de la mise en oeuvre de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Recueil des Cours, 1953, II, p. 302 et ss.; Louis B. Sohn, La Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, Revue de la Commission Internationale de Juristes, t. VIII, n° 2, décembre 1962, p. 24; Alfred Vcrdross, Derecho Internacional Público, 4e éd. espagnole, 1963, pp. 14, 79 et 506; Giuseppe Sperduta, Diritti umani, Enciclopedia del diritto, XII, 1964, p. 809-810; /. C. Brierly, Direito Internacional, trad., 1965, p. 297; Sigheru Oda, The Individual in International Law, Manual of Public International Law, ouvrage collectif, 1968, p. 495 et ss.; M. Diez de V r elasco, Instituciones de Derecho Internacional Público, I, 3e éd., 1976, p. 343; Vieira de Andrade, Declaração Universal dos Direitos do Hörnerne, Polis, II, p. Il et 12; Cançado Trindade, Reflexões sobre o valor jurídico das Declarações Universal e Americana dos Direitos Humanos de 1948 por ocasião do seu quadragésimo ani- versário. Revista de Informação Legislativa, n° 99, juillet-septembre 1988, p. Il et ss.; /. F. REZEK, Direito Internacional Público, 2e éd., 1991, p. 221 et ss.; André Gonçalves Pereira et Fausto de Quadros, Manual de Direito Internacional Público, 3e éd., p. 392-393.

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tion est un énoncé de principes généraux qui ne fait que développer et expliciter les références aux droit de l'homme et aux libertés fondamentales contenues dans la Charte. Si c'est un fait qu'elle ne s'impose pas, à elle seule, aux Etats membres de l'ONU, elle vient, en les rendant plus précis, renforcer les devoirs auxquels ces mêmes Etats sont soumis par force de la Charte.

Pour les adeptes de la troisième thèse, les principes contenus ou réfléchis dans les articles de la Déclaration constituent des principes généraux de droit international4 soit qu'on les considère comme de simples sources ma- térielles, soit qu'on les traite comme l'équivalent de sources formelles; et leur projection s'étend non seulement aux Etats membres, mais encore à tout autre Etat.

II - Cette dernière thèse nous paraît la meilleure, car elle se montre plus attentive aux „signes du temps", au phénomène de l'universalisation des droits de l'homme5, à la conviction toujours plus étendue (ou, du moins, proclamée) de la dignité de la personne humaine et aux allusions répétées à la Déclaration que l'on trouve dans des Constitutions, traités, lois et déci- sions des tribunaux - lesquelles parfois ne veulent rien dire, mais souvent y figurent à titre de renvoi ou de motivation6.

Et l'on ne peut pas oublier que ce fut à partir de la Déclaration Uni- verselle que les principes concernant les droits de l'homme se répandirent, commencèrent à prendre racine dans la vie juridique internationale, aussi bien au niveau des Nations Unies (à travers les Pactes de 1966, ainsi que de nombreuses déclarations et conventions ayant trait à des problèmes sectoriels) et de ses organisations spécialisées (surtout l'Organisation Inter- nationale du Travail et l'UNESCO), que dans les organisations régionales (Convention Européenne des Droits de l'Homme, de 1950; Convention Interaméricaine, de 1969; Charte Africaine, de 1981)7.

3. La Déclaration Universelle en tant que partie de la Constitution formelle portugaise

I - L'article 16, n° 2, de la Constitution établit que „les préceptes consti- tutionnels et légaux se rapportant aux droits fondamentaux doivent être

4 Ou encore des „principes généraux de droit reconnus par les nations civili- sées", comme le proclame l'article 38 du Statut de la Cour Internationale de Tustice.

5 Cf. Louis Henkin, Rights: here and there, Columbia Law Review, 1981, p. 1582-1583; l'ouvrage collectif Universalité des droits de l'homme devant un monde pluraliste, Conseil de l'Europe, 1990; Martin Kriele, L'universalità dei diritti dell'uomo, Rivista Internazionale di Filosofia del Diritto, 1992, p. 3 et ss.

6 Au sujet de l'influence de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme sur les Constitutions de plusieurs pays cf. Henc van Maarseven et Ger van Tang, Written Constitutions - A Computerized Comparative Study, 1978, p. 189.

7 Voir notre Direito Internacional Público, 1991, p. 363 et ss.

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interprétés et appliqués conformément à la Déclaration universelle des droits de l'homme".

Ce principe n'est pas une clause de „réception" matérielle. Il n'assujettit pas les articles ou propositions de la Déclaration Universelle au cadre de la Constitution; ce qu'il fait c'est conjuguer la Constitution avec la Décla- ration Universelle dans le domaine des droits fondamentaux, la faisant ainsi participer et dépendre de l'esprit de cette dernière dans un cadre d'harmonisation valorisante nécessaire. Il s'agit donc d'une clause de „ré- ception" formelle8.

La Déclaration Universelle se traduisant donc, comme nous l'avons vu, en principes généraux de droit international, ces principes seraient mis en oeuvre, en tant que tels, dans l'ordre interne, en vertu de la clause d'incor- poration du droit international général ou commun de l'article 8, § 1 de la Constitution et de la liste ouverte des droits fondamentaux de l'article 16,

L'article 16, § 2, les hisse, cependant, directement, à la catégorie de prin- cipes constitutionnels, au même titre que ceux qui sont inscrits dans le préambule de la Constitution et dans son corps, et d'autres encore que le législateur constituant n'a pas voulu ou pu expliciter. Et, de la sorte, il fait l'intégration de la Constitution positive portugaise avec „l'idéal com- mun à atteindre" ou „la conception commune" des droits et des libertés dont découlent lesdits principes; il configure la Constitution au sens formel et la Constitution au sens matériel, de façon à y faire tenir la Déclaration9.

L'article 16, § 2 a une double fonction. Tout d'abord il place les droits fondamentaux, au Portugal, dans un contexte plus étendu et plus solide que celui de l'ordre juridique positif de l'Etat; il les situe dans le contexte de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Ensuite, il va imprég- ner la Constitution des principes et des valeurs de la Déclaration, en tant

8 II est possible d'esquisser de la façon suivante la différence entre „réception" matérielle et „réception" formelle:

a) Dans la première il s'agit simplement d'occuper des zones de réglementation juridique; les normes reçues sont incorporées en tant que normes du système qui les accueille ou elles lui sont rattachées dans le même esprit qui inspire ce dernier; et leur interprétation, leur intégration et leur entrée en vigueur vont dépendre d'autres dispositions du nouveau système ou sous-système auquel, dorénavant elles appartiennent;

b) Quant à la „réception" formelle, elle suppose que l'identité des principes ou préceptes est maintenue; que ceux-ci valent par la qualité qu'ils avaient déjà; et leur interprétation, intégration et mise en application se font selon exactement les mêmes paramètres de la situation originelle.

9 Défendent une opinion inverse Gomes Canotilho et Vital Moreira, Consti- tuição ... 3e éd. cit., p. 138. Différemment, Vieira de Andrade, Os Direitos Funda- mentais . . . cit., 1983, p. 37; ou Jorge Campinos, Direito Internacional dos Direi- tos do Homem, 1984, p. 10 et ss.

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que partie essentielle de la notion de droit, à la lumière de laquelle toutes les normes constitutionnelles - et, par consequent, toutes les normes de l'ordre juridique portugais - doivent être pensées et mises en oeuvre.

Toutes les caractéristiques et les implications propres des principes posés par la Constitution s'étendent aux principes contenus dans la Déclaration (articles 207, 277, § 1, et 290, § 2)10.

II - Certains vont encore plus loin que nous et attribuent à la Décla- ration Universelle une valeur non pas constitutionnelle mais bien supra- constitutionnelle.

Afonso Queiró prétend que la Déclaration, lorsqu'elle décide de l'inter- prétation qu'il faut prendre des dispositions constitutionnelles concernant les droits fondamentaux, a force juridique supérieure à celle de la Consti- tution elle-même quand elle est interprétée sans recours à ladite Déclara- tion11. Un autre auteur, Paulo Otero, écrit que, par le biais de l'article 16, § 2, la Constitution s'auto-subordonne au niveau interprétatif, en matière de droits fondamentaux, à la Déclaration; il en résulte la valeur supra- constitutionnelle de la Déclaration dans l'ordre juridique portugais. Et, si l'interprétation conforme à la Déclaration devait être moins favorable que la simple interprétation de dispositions de la Constitution, c'est l'interpré- tation moins favorable qui aurait la primauté12.

Nous n'acceptons pas une telle thèse. D'une part, l'article 16, § 2 ne peut pas être considéré de façon isolée,

hissé au rang de disposition supérieure à toutes les autres; l'incorporation qu'il opère a lieu dans le cadre de la Constitution formelle nucléaire; et, partant, s'il s'avère qu'une disposition constitutionnelle originaire contrarie la Déclaration, il faut en conclure que, sur ce point, la „réception" n'opère pas et que cette norme constitutionnelle-là limite la portée de l'article 16, § 2.

Au demeurant, nous n'acceptons pas la possibilité de non conformité à la Constitution de dispositions constitutionnelles originaires, de dispositions issues du même pouvoir constituant qui les a toutes décrétées. Nous ad- mettons uniquement Pinconstitutionnalité de dispositions créées par voie de

!0 Cf. l'Arrêt n° 222/90 du Tribunal constitutionnel, du 20 juin 1990, Diario da República, 2e série, n° 215, du 17 septembre 1990, lequel considère la Décla- ration Universelle comme étant un élément à retenir dans la formation d'un juge- ment d'inconstitutionnalité. Cf. également l'arrêt n° 63/85, du 16 avril 1985, ibidem, 2e série, n° 133, du 12 juin 1985.

11 Lições de Direito Administrativo, polycopié, 1976, p. 325-326. 12 Declaração Universal dos JJireitos do rlomem e constituição: a ínconstitu-

cionalidade de normas constitucionais, in O Direito, 1990, p. 603 et ss., maxime 609-610 et 612.

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révision constitutionnelle, étant donné que le pouvoir de révision est, quant à lui, un pouvoir constitué, subordonné à la Constitution13.

D'autre part, il est encore plus difficile de voir comment il serait possible d'invoquer la Declaration Universelle pour empêcher l'application d'une disposition constitutionnelle qui serait plus favorable aux droits fonda- mentaux. L'article 16, § 2, sert à renforcer la consistence et à étendre la portée des droits, non pas à les diminuer ou à les restreindre. Et qu'on ne fasse pas appel, pour répliquer à ceci, à l'article 29, § 2 de la Déclaration (sur les devoirs et les restrictions à l'exercice des droits), car ce-dernier n'a pas non plus d'implications en la matière14.

III - Outre les principes inscrits dans la Déclaration Universelle, il existe d'autres principes de droit international general ou commun auxquels la Constitution se rattache et qu'il faudrait, in primis, également traiter ici: il s'agit des principes par lesquels le Portugal se régit en matière de rela- tions internationales (article 7, § 1) et les principes qui, dans le cadre de la loi interne, prévoient la punition criminelle d'actions et d'omissions (article 29, §2).

Ni les uns, ni les autres font, cependant, à la rigueur, l'objet d'un phéno- mène d'incorporation qui soit assimilable à celui qui est formulé à l'article 16, § 2.

En ce qui concerne les premiers principes précités, c'est la Constitution elle-même qui les énumère: les principes d'indépendance nationale, de respect des droits de l'homme, des droits des peuples à l'autodétermination et à l'indépendance, de l'égalité entre les Etats, de la solution pacifique des différends internationaux, de non-ingérence dans les affaires intérieures des autres Etats, de coopération avec tous les autres peuples pour l'émanci- pation et le progrès de l'humanité. Mais ce sont là déjà des principes de jus cogens.

Quant aux deuxièmes15, il s'agit de principes qui doivent être liés au droit ordinaire portugais - à la loi interne, comme il est dit à l'article 29, § 2 - et qui ont donc une force juridique infraconstitutionnelle16.

IV - II est à noter que l'article 16, § 2 de la Constitution portugaise a influencé d'autres Constitutions: du moins la Constitution espagnole de

18 V. la démonstration dans notre Manual de Direito Constitucional, II, 3e éd., p. 318 et ss.

14 Voir Manual . . ., IV, 2ème éd., p. 264 et ss. 15 Dont la source fut l'article 7, § 1, de la Convention européenne des droits de

l'homme et l'article 15, § 2, du Pacte international des droits civils et politiques. 16 Dans ce sens, semble-t-il, Sousa Brito, A lei penal e a Constituição, in: Estu-

dos sobre a Constituição, ouvrage collectif, II, 1978, p. 242. Différemment, Paulo Otero (op. cit., loc. cit., p. 607, note) parle de force normative hiérarchique égale à celle des normes constitutionnelles.

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1978 (article 10, § 2), celle de São Tomé et Prince de 1990 (article 17, § 1) et celle de Cap- Vert de 1992 (article 16, § 3). Et, peut-être, également, la Constitution roumaine de 1991 (article 20, § 1).

En ce qui concerne la disposition contenue dans la Constitution espag- nole, elle se distingue de Particle 16, § 2, portugais, en trois aspects: Io) parce qu'elle parle de libertés, semblant par là exclure les droits écono- miques, sociaux et culturels; 2°) parce qu'elle prévoit uniquement l'inter- prétation et non l'intégration; 3°) parce que, par contre, elle prévoit aussi l'interprétation conformément aux conventions internationales des droits de l'homme17.

4. L'interprétation et l'intégration conformément à la Déclaration Universelle

I - L'article 16, § 2, prescrit que les normes constitutionnelles et légales se rapportant aux droits fondamentaux doivent être interprétées conformé- ment à la Déclaration universelle. La Déclaration a, par conséquent, effet sur les normes constitutionnelles elles-mêmes, elle les modèle et leur donne un sens pouvant tenir dans le sens de la Déclaration ou s'en approchant le plus possible18.

Cette interprétation de la Constitution selon la Déclaration devient d'autant plus aisée que l'on sait que cette dernière fut (avec certaines Con- stitutions étrangères) l'une des sources déterminantes de la réglementation constitutionnelle en matière de droits fondamentaux. L'unité de la Partie I peut reposer sur la Déclaration universelle et bon nombre de ses dispositions en reproduisant leur contenu presque mot par mot.

Et plus encore: au delà de correspondances plus ou moins claires qui renforcent ce que la Constitution établit, l'on trouve même quelques articles de la Déclaration qui clarifient utilement des normes constitutionnelles, qui évitent des doutes, qui permettent de surmonter des divergences de locali- sation ou de formulation, et qui ouvrent des perspectives plus riches, appa- remment, que celles qu'offre le texte de droit interne.

C'est le cas (même après trois révisions constitutionnelles) pour: - l'article 1 de la Déclaration, quand il associe la dignité de la personne

humaine à la raison et à la conscience dont sont dotés tous les hommes;

17 A propos de l'article 10, § 2, de la Constitution espagnole, voir Silvio Basile, Los „valores superiores", los principios fundamentales y los derechos y libertades públicas, La Constitución española - Estudio Sintético, ouvrage collectif, 2e éd., Madrid, 1981 (2e réimpression, 1984), pp. 277 et 278; Enrique Alonso Garcia, La interpretación de la Constitución, Madrid, 1984, p. 398 et ss.; Fernando Rey Martinez, El artículo 10, 2 de la Constitución como tecnica interpretativa para la conformación y garantia de los derechos fundamentales, polycopié, 1987.

18 Cf. Vieira de Andrade, op. cit., p. 38.

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La Constitution Portugaise 81

- Particle 2, 1ère partie, quand il explique ques les causes de discrimi- nation énoncées le sont à titre d'exemple („notamment") et non à titre exhaustif;

- l'article 2, 2ème partie, quand il semble imposer un traitement égal des étrangers (complétant les articles 13, § 2, et 15, § 1, de la Constitution);

- l'article 7, 2ème partie, quand il confère le droit à une même protec- tion contre toute et chaque discrimination (ce qui représente un sens plus actif du principe d'égalité et doit être rapproché de la règle contenue à l'article 18, § 1, de la Constitution);

- l'article 9, quand il établit que personne ne peut être arbitrairement condamné à l'exile (principe qui soutient l'article 33, § 2,4 et 5, de la Constitution);

- l'article 16, § 1, quand il mentionne le „droit de se marier et de fonder une famille" (ce qui va renforcer le lien entre mariage et famille, lequel, quoique d'une façon beaucoup moins évidente, peut déjà s'entrevoir à l'article 36, § 1, de la Constitution);

- l'article 16, § 2, quand il établit que le mariage exige le consentement libre et plein des époux (ce qui a des conséquences sur les articles 43, 74 et 75)19.

II - Que veut dire intégration des dispositions constitutionnelles et légales par la Déclaration universelle? Cela veut-il dire que l'on peut et que l'on doit compléter les droits ou, éventuellement, les restrictions aux droits inscrits dans la Constitution par des droits ou des facultés, ou encore par des restrictions aux droits contenus dans la Déclaration? Ou cela veut-il dire que, du moment qu'est admise la possibilité de lacunes dans la Consti- tution au sens formel, il y aura uniquement lieu à une intégration, s'il est reconnu, à l'intérieur même du système constitutionnel, qu'il y existe des lacunes au sens strict, que la Constitution omet renonciation de droits qui découlent du système lui-même?

A l'appui de cette seconde interprétation on pourrait invoquer le lien qui existe, en droit, entre l'intégration et une lacune ou une situation non visée par une disposition donnée, mais qui doit être juridiquement régle- mentée dans l'esprit du système: et l'on pourrait rappeler que l'Assemblée constituante rejeta une proposition tendant à recevoir également à l'article 16, § 1, des droits qui „découlent de l'inviolabilité de la personne hu- maine"20.

19 Avant la révision constitutionnelle de 1982 il aurait encore fallu tenir compte des articles 14 (droit d'asile), 15, § 2, 1ère partie (garantie de la citoyenneté), 16, § 3 (famille) et 27, § 1 (jouissance culturelle).

20 De cet aviS) Leonor Beleza et Miguel Teixeira de Sousa, Direito de Asso- ciação e Associações, Estudos sobre a Constituição, ouvrage collectif, III, 1979, p. 175.

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Le premier sens donné au mot intégration nous semble, toutefois, plus plausible, bien que moins rigoureux: en premier lieu, du fait qu'il se con- jugue mieux avec la notion de „cadre" de droits, qui inspire l'article 16; deuxièmement, parce que, si l'article 16, § 2, place l'interprétation de la Constitution dans le cadre de la Déclaration, alors le système de protection des droits fondamentaux doit forcément s'étendre à elle, et les lacunes de la Constitution doivent être définies dans ce cadre; finalement, parce que le fait que „l'inviolabilité de la personne humaine" y soit mentionnée ou pas, n'a non seulement rien à voir avec cette question, mais, en outre, son absence est largement compensée par l'incorporation des principes généraux de la Déclaration.

La question est, au demeurant, presque académique, eu égard au texte de la Constitution, lequel va bien plus loin, aussi bien que la Déclaration Universelle, que les Pactes internationaux de 1966, en général. En effet, mis à part quelques principes de civilisation tellement incontestables, qu'il ne serait pas nécessaire que la Constitution les proclame (tels que ceux des articles 4 et 6 de la Déclaration), et un principe spécifique de droit inter- national (celui de l'article 15, § 1), il ne reste pas beaucoup de règles dont le contenu soit plus précieux que celui des normes constitutionnelles, ou qui n'y trouvent pas de correspondance. Ce ne sont que les articles 10 (dans la mesure où il s'étend à d'autres formes de procès, au delà du procès pénal), 15, § 2, 2ème partie (droit de changer de citoyenneté), 17, § 2 (dans la mesure où l'interdiction de la privation arbitraire de propriété doit porter autant sur la propriété privée, que sur la propriété communautaire et sur toute autre forme de propriété qui puisse venir à exister), 18 (la liberté de pensée), et 24 (le droit de toutes les personnes, et non seulement des travailleurs, au repos et aux loisirs). Et ce sont encore les articles 29 et 30 (devoirs et restrictions aux droits).

5. Le problème spécifique concernant l'article 29 de la Déclaration Universelle

I - La Constitution de 1976 ne contient aucune clause générale sur l'exercice des droits - soit de tout et chaque droit, soit d'une certaine catégorie de droits en particulier. La raison de ceci fut surtout une raison d'ordre historique bien connue: la crainte - fondée sur l'expérience du § 1 de l'article 8 de la Constitution de 1933 et qui était encore vivement présente en 1975 - qu'une telle clause puisse frustrer l'attribution des droits, des libertés et des garanties, en frayant un chemin permettant aux détenteurs du pouvoir de déroger, dans la pratique, aux normes constitu- tionnelles et de transformer le régime en un régime autoritaire ou même totalitaire21.

21 Cf. l'intervention de député Oliveira e Silva, Président de la 2e Commission de l'Assemblée constituante, Diario, n° 30, du 13 août 1975, p. 784.

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La Constitution Portugaise 83

Mais il y a une clause générale à Particle 29 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, où non seulement il est affirmé que l'individu a des devoirs envers la communauté, „dans laquelle seule le libre et plein déve- loppement de sa personnalité est possible" (§ 1), mais encore il est établi que, dans Pexercice de ses droits et dans la jouissance de ses libertés, „chacun n'est soumis qu'aux limitations établies par la loi et exclusivement en vue d'assurer la reconnaissance et le respect des droits et libertés d'autrui et afin de satisfaire aux justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique" (§ 2), et il est ajouté qu'en aucun cas ces droits et libertés ne pourront être exercés „contraire- ment aux buts et aux principes des Nations Unies" (§ 3)22.

Or, dans la mesure où l'article 16, § 2, de la Constitution portugaise prescrit qu'il faut interpréter les normes constitutionnelles et légales portant sur les droits fondamentaux conformément à la Déclaration universelle, il est imposible de ne pas estimer qu'une telle règle a, aujourd'hui, pleine valeur dans notre ordre juridique et qu'elle s'applique non seulement aux droits fondamentaux, mais - à plus forte raison - à tous les autres droits.

II - Contre la référence à l'article 29, § 2, deux difficultés principales peuvent être soulevées. L'une étant, immédiatement, le fait que la Consti- tution ne consacre pas de clause générale. L'autre résultant de la norme contenue à l'article 18, § 2, visant l'interdiction de restrictions aux droits fondamentaux, dès lors qu'elles ne sont pas autorisées par la Constitution23. Il semble, cependant, que ces difficultés sont susceptibles d'être surmontées.

Tout d'abord, rien n'oblige à penser que l'article 16, § 2 de la Loi Fondamentale concerne uniquement des normes portant attribution de droits, il peut également concerner des normes portant limitation de droits; et le recours à la Déclaration aux fins d'une intégration correspond exacte- ment à l'hypothèse de non-réglementation comme c'est le cas en l'espèce. Des règles sur l'exercice des droits fondamentaux sont toujours nécessaires et, si elles ne sont pas contenues dans la Constitution formelle nucléaire24, il devra y avoir intégration en conformité avec les procédures prévues, dont l'une est celle de l'article 16, § 2. Une autre chose, évidemment, est la signification attribuée à ces règles ou leur mise en évidence systématique.

22 Au sujet de l'article 29, § 2, de la Déclaration Universelle, voir Rene Marcie, Devoirs et limitations apportées aux droits, Revue de la Commission Internatio- nale des Juristes, t. IX, n° 1, 1963, p. 73 et ss.; ou Aldo Corasanti, Note in tema dei diritti fondamentali, Diritto et società, 1990, p. 203 et ss.

23 Dans ce sens, Maria Leoner Beleza et Miguel Teixeira de Sousa, op. cit. loe. cit., p. 175; Gomes Canotilho et Vital Moreira, op. cit., 1ère éd., p. 73 (et, de façon moins nette, 3e éd., p. 139); Gomes Canotilho, Direito Constitucional, précité, p. 608.

24 Cf. Manual . . ., II, précité, p. 31 et ss.

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En deuxième lieu, si, vis-à-vis (Tune Constitution positive, décrétée par l'Etat, il peut y avoir de bonnes raisons de craindre une interprétation extensive et dénaturée de la part des organes du pouvoir, par contre, par rapport à une clause contenue dans un document comme la Déclaration Universelle, de tels soucis ne doivent pas prévaloir. L'esprit de l'article 29, § 2, ne peut, à vrai dire, qu'être le même qui inspire la consécration des droits fondamentaux et c'est dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies qu'il doit être compris.

En troisième lieu, il ne nous semble pas possible, soit de retirer, soit de ne pas retirer, de l'article 18, § 2, de la Constitution un argument décisif quant à l'application de l'article 29, § 2 de la Déclaration. Et ceci parce que les restrictions que ladite norme édicté sont d'une espèce différente des limitations contenues dans la Déclaration. L'article 18, § 2 concerne cer- tains droits et va en affecter le contenu; l'article 29, § 2, porte sur des conditions générales ayant trait à tous les droits et qui en concernent l'exercice. L'article 29, § 2, ne constitue, par conséquent, pas une nouvelle source de restrictions des droits, libertés et garanties; sa place est au niveau de la réglementation (d'où la mention qui y est faite à la loi)25.

III - Etant donné que, même in claris fit interpretado26, la formule „justes exigences de la morale, de l'ordre public et du bien-être général dans une société démocratique" demande l'explication suivante:

a) Dans la mention de „justes exigences" on doit voir, avant tout, un appel à une notion de justice ou à une réflexion éthique tenant compte des préceptes de droit positif qui, au nom de la morale, de l'ordre public et du bien-être général, conduisent à des restrictions de droits, notamment des droits, libertés et garanties; on doit, donc, y voir une limite absolue aux limites.

b) Dans ladite mention transparaît, par ailleurs, l'idée de proportion- nalité sous ses trois aspects, à savoir, la nécessité, l'adéquation ou corre- spondance entre les moyens et les fins, et la rationnalité - seules sont

25 Voir dans le sens de l'admissibilité de l'article 29, § 2, Vieira de Andrade, op. cit., p. 232; Bernardo Xavier, Direito de greve, 1984, p. 93; Nuno e Sousa, A liberdade de imprensa, 1984, p. 264; Rui Medeiros, Ensaio sobre a respon- sabilidade civil do Estado por actos da função legislativa, 1992, p. 342; Et les arrêts n° 166 et n° 173 de la Commission Constitutionnelle, des 24 juillet et 18 décembre 1979, Apêndice ao Diário da República, du 3 juillet 1980; ou l'arrêt n° 6/84 du Tribunal Constitutionnel, du 18 janvier 1984, Diário da República, 2e série, n° 101, du 2 mai 1984.

26 Et parce que des formules générales comportent toujours des risques: cf. G. Vlacbos, Les structures des droit de l'homme et le problème de leur réglemen- tation en régime pluraliste, in Revue internationale de droit comparé, 1972, p. 347 et ss.

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La Constitution Portugaise 85

admises les limitations nécessaires, adéquates et proportionnées en regard des principes contenus dans la Déclaration27.

c) La „morale" doit être perçue en tant que morale sociale, morale publique (pour employer le mot que l'on trouve à Particle 209 de la Constitution, à propos des restrictions à la publicité des audiences des tribunaux)28; elle ne s'identifie pas avec une certaine morale religieuse, bien que, précisément parce qu'il s'agit d'une morale sociale, elle ne peut pas se détacher (ou se détacher entièrement) de l'influence de la religion sociologiquement dominante29. C'est dans cette perspective que l'on peut admettre des limitations à l'exercice des droits en raison du respect dû à l'intégrité morale des personnes (cf. article 25, § 1, de la Constitution) ou au motif de la bonne foi dans les relations juridiques publiques et privées80.

d) II n'est pas rare qu'au cours de l'histoire „l'ordre public" ait été invoqué en tant que concept ou précepte de combat contre la liberté. Mais l'ordre public - ensemble de conditions extérieures nécessaires au fonc- tionnement régulier des institutions et à l'exercice plein des droits des cito- yens - a un caractère instrumental, il ne se justifie pas en lui-même, il ne vaut que dans la mesure où il favorise la concrétisation de Tordre visé par l'article 28, § 2, de la Déclaration, ou de Tordre constitutionnel démo- cratique, dont il est question à l'article 19, § 2, de la Constitution31, 32, 33.

e) Le „bien-être", pour sa part, (qu'évoquent également les articles 9, alinéa d), et 81, alinéa a), de la Constitution), se montre plus difficile de

27 Souvenons-nous de la prescription de modération (ou temperança) que fai- saient les anciennes Ordenações Dortueaises.

28 Dans le même sens, au sujet de l'article 1093, § 1 alinéa c), du code civil, l'arrêt n° 128/92 du Tribunal Constitutionnel, du 1er avril 1992, Diário da Repú- blica, 2e série, n° 169, du 24 juillet 1992.

29 Cf. au sujet de ce problème face à l'article 4 de la Constitution de 1933, José H. Saraiva, Lições de Introdução ao Direito, 1962-1963, p. 410 et ss.; Miguel Galvão Teles, Direito Constitucional Português Vigente, 1971, p. 9; Mario ]. Marques Mendes, A Moral Constitucional, O Direito, 1970, p. 247 et ss.; Jorge Miranda, Ciência Política e Direito Constitucional, II, 1973, p. 116 et ss.

30 Cf., d'un avis différent, Meneses Cordeiro, Da boa fé no Direito Civil 1984, p. 1160 et ss.

31 Ou, comme nous l'avons déjà écrit ailleurs (Ordem pública, Verbo, XIV. p. 735,) il n'est valable que dans la mesure où il permet de réaliser le bien commun jugé par rapport à l'équilibre entre liberté et autorité, lequel est source de paix. Cf. Livio Paladin, Ordine pubblico, Nuovissimo Digesto Italiano, XII, 1957, p. 130 et ss.; Guido Corso, Ordine pubblico, Enciclopedia del diritto, XXX, 1980, p. 1057 et ss.; Gregorio Peces-Barba, Derechos Fundamentales, 4e éd., 1983, p. 115 et ss.

32 Cf. les types de crime contre Tordre et la tranquillité publics des articles 295 et ss. du code pénal.

33 La sécurité publique, laquelle, avec la défense de la légalité démocratique et des droits des citoyens, est Tune des finalités de la police (article 272, § 1, de la Constitution et Loi n° 20/87, du 12 juin) relève, en tout ou en partie, de l'ordre public.

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definir juridiquement. Il paraît indissociable de la qualité de vie, en tant

qu'état actuel auquel les personnes ont droit et qui peut notamment justifier les restrictions à la liberté de manifester et aux libertés économiques dans le but de garantir la sauvegarde de l'environnement, des conditions d'hy- giène, de sécurité dans le travail et de repos des personnes (cf. article 59, § 1, alinéas c) et d), de la Constitution, nouveau). Il ne peut pas être utilisé

pour sacrifier aujourd'hui des libertés publiques au nom de la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels.

f) Dans la mention de „société démocratique" - l'autre élément valorisant des limitations - il est fait directement appel à l'unité systématique de la Déclaration. Ce ne sont pas des exigences quelconques de la morale, de l'ordre public ou du bien-être qui comptent, seules comptent celles qui sont

spécifiques d'une société démocratique, d'une société fondée sur les prin- cipes de la Déclaration.

g) Les limitations surgissent, par conséquent, en fonction de la société

démocratique - les limitations aux droits, non pas les droits eux-mêmes. Et ceci implique l'inadmissibilité de toute privation, abolition ou suspension de droits quand ils sont exercés dans une perspective contraire à l'idée de société démocratique ou aux finalités de la Constitution84, 35, du fait même

que, par ailleurs, aucune disposition de la Déclaration (et, partant, l'article 29 non plus) ne peut être interprétée „comme impliquant pour un Etat, un

groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant la destruction des droits et libertés qui y sont énoncés" (article 30).

IV - Dans les grands instruments internationaux relatifs aux droits, libertés et garanties liant l'Etat portugais depuis 1978, (depuis le Pacte International relatif aux droits civils et politiques de 1966 et la Convention

Européenne des Droits de l'Homme) des restrictions à l'exercice des droits sont prévues, mais pas des clauses générales. Il s'agit des articles 12, § 3, 14, § 1, 18, § 3, alinéa b), 21 et 22, § 2, du Pacte, et des articles 6, § 1, 8, § 2, 9, § 2, 10, § 2, et 11, § 2, de la Convention, et de l'article 2 de son Protocole additionnel n° 436.

34 L'article 294 (originairement 309), ainsi que l'article 308 (devenu caduc en 1980), sont non seulement exceptionnels et transitoires, mais encore ils ne pourraient pas s'appuyer sur une quelconque idée d'abus de droits, de libertés et de garanties.

35 La suspension au motif d'abus de droits fondamentaux, qui existe dans quel- ques pays, mais pas au Portugal, ne peut pas se fonder sur l'article 29, § 2. Cf. Francisco Fernandez Segado, La Suspensión Individual del Ejercicio de Derechos Constitucionales, in: Revista de Estudios Políticos, n° 35, septiembre-octubre 1983, p. 123 et ss.

36 Au sujet de l'ordre public dans la Convention européenne, cf. S. Marcus HelmonSy Les exigences du maintien de l'ordre et leurs limites, in: Liccite en droit positif et références légales aux valeurs, p. 495 et ss.

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Ces préceptes concernent, toutefois, également, la „santé publique" et la „sécurité nationale", et l'article 10, § 2, de la Convention, „l'intégrité territoriale"; ils doivent, pourtant, se concilier avec la Déclaration Uni- verselle, étant donné qu'ils ne peuvent pas la contrarier sous peine d'incon- stitutionnalité, en vertu de l'article 16, § 2, de la Constitution37.

V - Le concept d'abus de droit, présent à l'article 334 du code civil, lié aux „limites imposées par la bonne foi, les bons usages ou les fins économiques et sociales des droits", doit plutôt être réinterprété à la lumière de l'article 29, § 2, de la Déclaration universelle38.

6. L'ouverture à de nouveaux droits fondamentaux

I - II vaut la peine de considérer avec plus d'attention la norme qui précède immédiatement le précepte concernant la Déclaration universelle - l'article 16, § 1, lequel s'oriente vers un sens matériel des droits fonda- mentaux: ceux-ci ne sont pas seulement ceux que les normes formellement inscrites dans la Constitution énoncent; ce sont ou ce peuvent être aussi des droits découlant d'autres sources, dans la perspective plus vaste de la Constitution matérielle ou du bloc constitutionnel.

On ne retrouve pas dans le texte constitutionnel une enumeration ex- haustive des droits fondamentaux. Bien au contraire, le catalogue est un catalogue ouvert, toujours prêt à être rempli ou complété par l'intermé- diaire de nouvelles facultés venant s'ajouter à celles qui s'y trouvent définies ou spécifiées à chaque moment. De là qu'on puisse désigner l'article 16, § 1, comme étant une clause ouverte ou une clause de non typicité des droits fondamentaux39.

II ne s'agit pas uniquement d'une possibilité d'intégration ou de complé- mentation du catalogue constitutionnel. Il s'agit, au delà de ça, d'une mani- festation - qui est symétrique de la règle relative au caractère restrictif des restrictions des droits, des libertés et des garanties (article 18, § 2 et 3) - d'un principe général de l'ordre juridique: le principe d'autonomie ou, plutôt, le principe de réalisation de la personne humaine découlant immé- diatement de l'affirmation de sa dignité. Et ce principe a comme homo- logue, en droit privé, le principe de la tutelle générale de la personnalité

37 Dans le même sens, Gomes Canotilho, Ordem constitucional . . ., cit., loe. cit., p. 104-105.

38 Sur l'abus de droit, voir pour tous, Castanheira Neves, Questão de facto- questão de direito ou o problema metodológico da juridieidade, 1967, p. 513 et ss.; Menezes Cordeiro, Da boa fé . . ., II, p. 661 et ss.. Cf. Antonio Rovina Viñas, El abuso de los derechos fundamentales, 1983.

39 L'article 32, § 1, et l'article 269, § 2, de leur côté, peuvent être qualifies de „clauses ouvertes spéciales".

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(article 70 du code civil), que l'on peut ou non (comme on le voudra) rapprocher du droit général à la protection de la personnalité cité parfois par la doctrine40.

II - Le 9ème amendement à la Constitution des Etats-Unis est la pre- mière et la plus importante des clauses ouvertes et il est certainement signi- ficatif qu'elle apparaisse liée à la première des Constitutions modernes, laquelle est peut-être aussi le modèle le plus réussi d'une Constitution libérale.

Il n'y a pas beaucoup d'autres Lois fondamentales, qui, dans son sillage, aient consacré des formules semblables41, bien que quelques textes récents prévoient un droit au libre développement de la personnalité42. Curieuse- ment, cependant, au Portugal, après avoir été introduite par la Constitution de 1911 (article 4), elle passerait par la Constitution autoritaire de 1933 (article 8, § 1), pour finalement se retrouver dans l'actuelle Constitution43.

Avec ou sans dispositions constitutionnelles expresses44, il est certain que, non seulement aux Etats-Unis, mais également dans d'autres pays, la juris- prudence a formé de nouveaux droits ou de nouvelles facultés ou spécifi-

40 Cf., pour tous, Rabindranath Capelo de Sousa, A Constituição e os direitos de personalidade, Estudos sobre a Constituição, ouvrage collectif, II, 1978, p. 194-195; ou Vieira de Andrade, op. cit., p. 87.

41 L'article 50 de la Constitution du Venezuela, l'article 28 de la Constitution de Guinée-Bissau, l'article 5, § 2, de la Constitution brésilienne, l'article 94 de la Constitution colombienne, l'article 16, § 1, de la Constitution de Cap-Vert. Moins nettement, l'article 2 de la Constitution italienne.

42 Ainsi l'article 2 de la Constitution allemande, l'article 43 de la Constitution du Venezuela, l'article 48 de la Constitution du Paraguay (de 1967), l'article 5 de la Constitution grecque, l'article 17 de la Constitution de l'Angola, l'article 10, § 1, de la Constitution espagnole, l'article 16 de la Constitution colombienne.

43 Et que l'on se rappelle encore la proclamation de l'article 2 de la Constitu- tion de 1822 (reprise par l'article 145, § 1, de la Charte constitutionnelle, par l'article 9 de la Constitution de 1838 et par l'article 3, § 1, de la Constitution de 1911), selon laquelle la liberté consisterait en ce que personne ne soit obligé „de faire ce que la loi n'ordonne pas, et de ne pas faire ce que la loi n'interdit pas". Presque toutes les Constitutions du XIXe siècle des autres pays contenaient des dispositions semblables.

44 Sur la „clause ouverte", voir C. Schmitt, Teoria de la Constitución, trad., 1934, p. 203 et ss.; H. Kelsen, Theory of Law and State, 1961, réimpression, p. 266-267; Floyd Abrahms, What are the rights guaranteed by the Ninth Amend- ment? American Bar Association Journal, n° 53, novembre 1967, p. 1033 et ss.; Allan-Brewer-C arias, Les garanties constitutionnelles des droits de l'homme dans les pays de l'Amérique Latine (notamment au Venezuela), Revue internationale de droit comparé, 1977, p. 34; William F. Harris, Bonding World and Polity; the Logic of American Constitutionalism, The American Political Science Review, 1982, p. 44; Tercio Sampaio Ferraz Júnior, Constituinte - Assembleia, Processo, Poder, 2e éd., 1986, p. 13 et ss.; Henrique Mota, Le principe de la „liste ouverte" en matière de droits fondamentaux, La Justice Constitutionnelle au Portugal, p. 177 et ss.

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cations de droits par delà ceux qui se trouvent dans les Constitutions écrites45.

III - La règle conserve-t-elle sa validité en ce qui concerne les droits économiques, sociaux et culturels?

On pourrait croire que non, puisque les droits sociaux demandent des interventions de PEtat qui constituent une contrainte des droits à la liberté en dehors de la Constitution (et de la loi), et non d'aures intérêts ou aspira- tions; seule une limitation croissante du pouvoir public pourrait avoir un sens, et non la stimulation d'une plus forte action de ce même pouvoir46.

Nous ne partageons pas un tel avis. Quant à nous, étant donné que nous vivons dans un Etat social de droit et non dans un Etat libéral, les droits économiques, sociaux et culturels (ou les droits qu'ils peuvent contenir) peuvent et doivent être étendus ou complétés par delà ce que la Consti- tution a proclamé à un moment historique donné - précisément à mesure que la solidarité, la promotion des personnes, la conscience de la nécessité de corriger les inégalités vont croissant et pénètrent dans la vie juridique. Et parce que ces droits (ou une grande partie d'eux) émergent en tant que droits instrumentaux par rapport aux droits, libertés et garanties, il n'y pas de raison de craindre pour la liberté; du moment qu'en aucune occasion cette ancre que constituent les droits, libertés et garanties reconnus par la Constitution n'a été jetée, plus il y aura de la solidarité, plus il y aura de la sécurité; plus nombreuses seront les conditions de liberté, plus grande sera l'adhésion à la liberté.

Un seul exemple suffit à le prouver. L'article 74, § 3, alinéa a), de la Constitution confie à l'Etat la charge de garantir l'enseignement de base universel, obligatoire et gratuit. Or, non seulement la durée de l'enseigne- ment de base s'est progressivement allongée tout au long de la période de vigueur de l'actuelle Constitution47, comme rien ne porterait à considérer contraire à la Constitution une éventuelle scolarité obligatoire dans l'en- seignement secondaire ou dans l'éducation préscolaire, si une loi ordinaire venait à l'édicter.

Au demeurant, la mise en oeuvre des droits économiques, sociaux et culturels ne dépend pas seulement de l'Etat. Elle dépend aussi de commu- nautés, de groupes, d'associations, de la capacité d'organisation des inté-

45 Voir, par exemple, quant à l'Italie et à la France, Marie-Claire Ponthoreau, La reconnaissance des droits non-écrits par les Cours Constitutionnelles italienne et française, 1994.

46 Dans ce sens, et critiquant l'article 16, § 1, Henrique Mota, op. cit, loc. cit., p. 197 et ss.; favorables à l'application aux droits économiques, sociaux et cul- turels, Gomes Canotilho et Vital Moreira, Fundamentos da Constituição, précité, 1991, p. 116-117.

47 Elle est aujourd'hui, au Portugal, de neuf ans (article 6 de la Loi n° 46/86, du 14 octobre).

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ressés eux-mêmes et de leur engagement participé dans l'action. Demander plus de droits n'est pas la même chose que d'exiger une plus grande inter- vention de l'Etat ou plus de bureaucratie. Au contraire, du moins selon la logique de la Constitution portugaise, demander de nouveaux droits écono- miques, sociaux et culturels ou des droits plus étendus équivaut à demander plus de droits de participation des personnes et des groupes sectoriels au sein de la société civile.

IV - De toute façon, le problème que nous venons ici d'effleurer est réel: quand un nouveau droit est créé ou attribué, cela ne manque jamais d'avoir des implications sur les droits déjà existants d'une personne ou d'une catégorie de personnes ou sur ceux des autres personnes; la loi ordi- naire ne doit pas prévoir l'addition de beaucoup de nouveaux droits, les- quels, à la fin, pourraient empiéter sur les droits inscrits dans la Constitu- tion; il n'est pas possible de rajouter à l'infini de nouveaux droits.

Cette question, cependant, ne surgit pas seulement à propos des droits économiques, sociaux et culturels; elle apparaît aussi dans les relations entre ces derniers et les droits, libertés et garanties, ainsi que dans les re- lations des divers droits, libertés et garanties entr'eux. Il s'agit d'une question qui relève de la thématique générale du conflit de droits et il faut le prévenir ou le résoudre, dans tous les cas, conformément aux critères généraux et en tenant compte, en dernière analyse, du fait qu'une règle légale ou de droit international conventionnel qui crée un droit contraire à un droit inscrit dans la Constitution ou qui, dans la pratique, va le renverser, ne peut pas être mise en application et doit être jugée inconstitu- tionnelle par les tribunaux.

La personnalité humaine illimitée est une chose, le catalogue illimité des droits, où cette personnalité se realise, est une autre. Aucun droit n'est absolu ou élastique à l'infini et chaque nouveau droit doit coexister avec les droits restants, sans qu'il y ait rupture de l'unité du système (au demeu- rant, une unité qui est plutôt de valeurs, qu'unité logique).

V - Rien ne s'oppose à l'admission de droits fondamentaux de nature analogue aux droits, aux libertés et aux garanties mais proclamés unique- ment par la loi ordinaire ou découlant des sources de droit international: du moment que ce sont des droits fondamentaux au sens de l'article 16, ils peuvent également l'être au sens de l'article 17.

Les droits, libertés et garanties reconnus par la loi ordinaire ou par une convention internationale participent-ils, toutefois, au statut particulière- ment solide des articles 18, 19 et 21 de la Constitution?

La réponse nous semble devoir être positive, mais de façon mitigée. D'une part, il est difficile de concevoir qu'un droit créé par la loi ne

puisse pas être aboli par une loi48 ou par un traité, bien que la suppression 48 Contre cette thèse, Henrique Mota, op. cit., p. 205 et ss. Il invoque, comme

argument de plus forte raison, une règle du „non-retour" en matière de droits

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La Constitution Portugaise 91

d'un droit reconnu par la loi exige des motifs particulièrement forts et qui ne soient pas disproportionnés par rapport à l'intérêt public invoqué pour la justifier49.

D'une autre part, cependant, aussi longtemps qu'il durera, on ne voit pas pourquoi - s'il est de nature analogue à celle des droits contenus au Titre II de la Partie I de la Constitution - le régime des droits, libertés et garanties ne devrait pas s'étendre à lui50. Pour peu exigeant que l'on soit quant au degré d'applicabilité du régime constitutionnel aux droits analo- gues ayant leur origine dans une loi ordinaire, du moins l'interdiction de restrictions injustifiées ou disproportionnées se maintiendra-t-elle toujours en tant que minimum irréductible61.

VI - Une autre question est de savoir s'il peut y avoir des règles - évi- demment de seules règles matérielles - relatives aux droits fondamentaux qui ne soient contenues que dans des lois ordinaires.

Il va de soi que c'est possible, dès lors, qu'elles non plus ne contrarient pas les normes constitutionnelles. C'est le cas, par exemple, pour la respon- sabilité criminelle des titulaires de fonctions politiques au motif de la violation de droits, de libertés et de garanties, laquelle est actuellement prévue par la loi n° 34/87, du 16 juillet 1987, au demeurant sur la base de l'article 120 de la Constitution.

Quant aux règles contenues dans des dispositions internationales, elles lient, entr'autres, l'Etat portugais, celles qui concernent les conditions de saisie par des particuliers de la Commission Européenne des Droits de l'Homme (Convention européenne) et celles qui ont trait au Comité des droits de l'homme (Pacte relatif aux droits civils et politiques et 1er Proto- cole additionnel).

VII - Loi, au sens de l'article 16, § 1, correspondant à toutes les caté- gories constitutionnelles d'actes législatifs prévues à l'article 115: ni plus ni moins. Elle ne sera obligatoirement une loi édictée par l'Assemblée de la République que lorsque la reconnaissance d'un nouveau droit entraîne des conséquences directes ou indirectes sur un quelconque des droits, des liber- tés et des garanties contenus au Titre II de la Partie I de la Constitution.

On entend par règles de droit international les normes juridiques inter- nationales liant l'Etat portugais et qui sont visées par l'article 8, notamment

sociaux, sans s'apercevoir qu'il s'agit là de droits inscrits dans la Constitution et de conférer aux normes correspondantes la possibilité de les mettre en oeuvre.

49 Ainsi, l'arrêt n° 109/85, du Tribunal constitutionnel, du 2 juillet 1985. Diario da República, 2e série, n° 208, du 10 septembre 1985; l'arrêt n° 78/86, op. cit., loc. cit.; l'arrêt n° 51/87, du 4 février 1987, ibidem, 2e série, n° 83, du 9 avril 1987.

50 Dans ce sens, Vieira de Andrade , op. cit., p. 79 et 80; et, en partie, Albino de Azevedo Soares, Lições de Direite Internacional Público, 4e éd., 1988, p. 101.

61 Arrêt n° 109/85 du Tribunal Constitutionnel, précité, loc. cit., p. 8455.

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celles de droit international conventionnel et de droit dérivé des organi- sations internationales62.

Ne peuvent, toutefois, être considérés comme des droits fondamentaux tous les droits, individuels ou institutionnels, ayant leur origine dans des lois ou des sources internationales. Seuls quelques-uns de ces droits sont admis dans cette catégorie: à savoir, uniquement ceux qui, à Pégard de leur finalité, de leur liaison avec des droits fondamentaux formels, de leur nature analogue à celle de ces derniers (cfr. à nouveau Particle 17), ou du fait qu'ils découlent immédiatement de principes constitutionnels, se trouvent au niveau de la Constitution matérielle63, 54.

VIII - Parmi ces droits fondamentaux matériels (c'est-à-dire, non- formels) de l'ordre juridique portugais actuel, qui proviennent de conven- tions internationales, il est à signaler:

- Le droit de non-soumission à des expériences médicales ou scientifiques sans le libre consentement de la personne concernée (article 7, 2ème partie, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques); les droits relatifs au régime pénitentiaire (article 10), l'interdiction de la prison pour la seule raison de dettes (article 11 et article 1er du Protocole additionnel n° 4 à la Convention Européenne des droits de l'homme), le droit de toute personne accusée à l'utilisation d'une langue qu'elle comprenne au cours de la procédure pénale (article 14, § 3, alinéas a) et b), et articles 5, § 2, et 6, § 3, alinéas a) et e), de la Convention Européenne), le droit à ce qu'une décision soit rendue dans un délai raisonnable en procédure pénale (article 6, § 1, de la Convention Européenne), le droit des parents d'assurer l'édu- cation et l'enseignement de leurs enfants conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques (article 2 du Protocole additionnel n° 1 à la Convention Européenne).

Et, à l'exemple d'autres pays, la jurisprudence constitutionnelle au Portu- gal a contribué à l'addition de nouveaux droits ou à l'extension des droits existants:

- le droit d'appel ou d'un deuxième degré de juridiction en matière pénale (arrêt n° 31/87); le droit à la recherche de la paternité (arrêt n° 99/88); le droit de s'opposer à l'utilisation de sa propre dépouille mortelle, pour des raisons éthiques, philosophiques ou religieuses (arrêt n° 130/88)56.

62 Quant au droit communautaire, Luisa Duarte, A liberdade de circulação de

pessoas e a ordem publica no Direito Comunitário, 1989, p. 134. 63 Ou, comme il était dit à l'article 4 précité de la constitution de 1911, ceux

qui „résultent de la forme de gouvernement établie par la Constitution ou des

principes qu'elle consacre**. 54 Dans ce sens, pour tous, Vieira de Andrade, op. cit., p. 87-88. 55 La doctrine continue, d'ailleurs, a proposer que soient incorpores en tant que

droits fondamentaux des droits ayant trait à la bio-médecine ou à la défense de la vie face à l'ingénierie génétique.

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7. Les réserves du Portugal à l'égard de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales

I - Peu après l'entrée en vigueur de la Constitution de 1976 et des premières élections dans ce cadre, le Portugal eut l'occasion d'adhérer au Conseil de l'Europe et de ratifier la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, ainsi que ses Proto- coles additionnels. Il devint, de ce fait, évident que son nouvel ordonnan- cement juridique constitutionnel démocratique était en parfaite cohérence avec les valeurs présidant aux ordonnancements juridiques des autres pays d'Europe occidentale.

Avec la ratification - autorisée par la Loi n° 65/78, du 23 octobre 1978 - le Portugal accepta immédiatement aussi bien la compétence de la Commission Européenne aux termes de l'article 25 de la Convention et de l'article 6, § 2 du Protocole additionnel n° 4 (lui permettant d'être saisie de recours individuels), que la juridiction obligatoire de la Cour europé- enne, de plein droit et sans qu'il y ait besoin d'une convention spéciale, aux termes de l'article 46 de la Convention et de l'article 6, § 2 dudit Protocole additionnel n° 4. Cependant, en même temps, il émit à son égard huit réserves, ce qui provoqua alors et continue de provoquer une certaine perplexité.

III - Les réserves concernaient les matières suivantes: la prison discipli- naire de militaires, l'incrimination et le jugement des agents et des respon- sables ayant appartenu à la PIDE-DGS56, la télévision, le lock-out, le service civique, les organisations relevant de l'idéologie fasciste, les expro- priations de propriétés fonciers appartenant à de grands propriétaires et entrepreneurs ou actionnaires, les enseignements public et privé.

Quoique d'autres Etats aient également ¿mis des réserves et qu'aucun d'eux n'ait soulevé des objections aux réserves du Portugal57, le nombre élevé de ces dernières donna naissance, au Portugal, à quelques équivoques et appela quelques critiques. Et comme sept des réserves se fondaient sur des normes explicites de la Constitution, il fut immédiament affirmé qu'en

56 Polícia Internacionale de Defesa do Estado-Direcção-General de Segurança, la police politique du régime d'avant 1974.

57 Cependant, au sujet des réserves au Protocole additionnel n° 4, les Gouverne- ments britannique, allemand et français écrivirent au secrétaire général du Conseil de l'Europe pour réaffirmer la position selon laquelle les principes généraux de droit international postulaient la nécessité, en cas d'expropriations de biens apparte- nant à des étrangers, d'une indemnisation juste, effective et dans les plus brefs délais. Et le secrétaire général répondit qu'il estimait que de telles déclarations ne constituaient pas des objections formelles contre la réserve émise par le Portugal et qu'il les communiquerait aux Gouvernement des Etats membres du Conseil de l'Europe. Voir les textes en question Annuaire de la Convention Européenne des droits de l'homme: 1979, 1980, p. 16 et ss.

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vertu de la Loi fondamentale les Portugais ne pouvaient pas „jouir de huit droits humains reconnus à tous les européens"58. A tort, toutefois, car six des huit réserves n'étaient pas nécessaires ou étaient inutiles ou, quand bien même on les retiendrait comme étant nécessaires, n'étaient pas imposées par la Constitution69.

Une confrontation correcte des normes constitutionnelles, même dans le texte originaire, avec la Convention montrerait que les réserves relatives au lock-out (non garanti par l'article 11 de la Convention), au service civique (admissible eu égard aux alinéas b) et d) de l'article 4, § 3, de la Convention), aux expropriations (étant donné que l'article 82, § 2, de la Constitution ne faisait qu'autoriser, il n'ordonnait pas des expropriations sans indemnisation), et à l'enseignement (car la garantie des droits des pa- rents inscrite à l'article 2 du Protocole n° 1 se retrouve avec plus de rigueur aux articles 36, § 5, et 43 de la Constitution) n'étaient pas justifiées. De même, n'étaient pas nécessaires les réserves quant à la prison discipli- naire (laquelle ne passa à être prévue dans la Constitution qu'à partir de la révision de 1982) et quant à la prohibition frappant la propriété privée de la télévision (selon l'interprétation dominante de l'article 10 de la Convention).

Les réserves relatives à l'enseignement et aux expropriations pourraient encore être jugées inconstitutionnelles au motif qu'elles impliquaient ou présupposaient des significations contraires aux normes constitutionnelles correspondantes ou des restrictions de droits fondamentaux que celles-ci n'admettent pas.

Le problème fut entièrement surmonté grâce à la récente Loi n° 12/87, du 7 avril 198760, laquelle retira six des huit réserves. Désormais ne survi- vent que les réserves concernant la prison disciplinaire des militaires (dont la raison d'être semble plutôt douteuse, compte tenu du fait que le nouvel article 27, § 3, alinéa c), de la Constitution garantit la saisie du tribunal compétent) et l'incrimination des agents et des responsables ayant appar- tenu à la PIDE-DGS (laquelle, aujourd'hui, n'a plus de portée pratique); par contre, la réserve ayant trait aux organisations relevant de l'idéologie

68 Antonio Maria Pereira, Direitos do Homem, 1979, p. 171. Cf., cependant, sur la 1ère, la 5e et la 7e réserves, pp. 178, 180, 181 et 182-183.

59 Comme nous l'avons écrit dans Direito Constitucional - Direitos, Liberdades e Garantias, polycopié, p. 394 et ss.

60 Laquelle se fonda sur le projet de loi n° 233/V, (Diario da Assembleia da República, 4e legislature, 1ère session legislative, 2e série, n° 74). Voir les rapports de la Commission pour les affaires constitutionnelles, les droits, libertés et garan- ties (ibidem, 2e session législative, 2e série, n°s 31 et 50) et le débat et vote par le plénum (ibidem, 1ère série, n°s 32 et 51, séances du 16 janvier et du 5 mars 1987, p. 1297 et 2004 et ss., respectivement).

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fasciste aurait dû être maintenue aussi longtemps qu'existera Particle 46, § 4, de la Constitution (vu que la prohibition de ce type d'organisations n'est pas une restriction au sens de l'article 11, § 2, de la Convention, mais plutôt une vraie inversion ou rupture matérielle de principes constitution- nels)".

61 Comme nous l'avons toujours prétendu.

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