14
CLAUDE DEBUSSY la mer - images orchestre philharmonique du luxembourg emmanuel krivine

orchestre philharmonique du luxembourg emmanuel krivine · CLAUDE DEBUSSY la mer - images orchestre philharmonique du luxembourg emmanuel krivine. CLAUDE DEBUSSY La Mer - Images Orchestre

  • Upload
    others

  • View
    9

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

CLAUDE DEBUSSY la mer - images

orchestre philharmonique du luxembourg emmanuel krivine

CLAUDE DEBUSSY

La Mer - Images

Orchestre Philharmonique du Luxembourg

Emmanuel Krivine

www.timpani-records.com

Enregistrement/recording: Luxembourg, Philharmonie, February 2009Son/balance: Jeannot Mersch - Montage/editing: Antonio ScavuzzoDirection artistique & mastering/artistic supervision & mastering: Michael SeberichDirecteur de production: Stéphane TopakianCover: Georges Lacombe : « Marine bleue. Effet de vagues » © MBA Rennes, Dist. RMN/Adélaïde BeaudoinEnglish translation: John Tyler Tuttle

OPL/Timpani 2009© Timpani 2009

1C1165

La Mer Trois Esquisses symphoniques 1905 - Ed. Durand

1 - I. De l’aube à midi sur la mer [8'43]2 - II. Jeux de vagues [6'55]3 - III. Dialogue du vent et de la mer [8'19]

Images pour orchestre 1905-1912 - Ed. Durand

4 - I. Gigues [7'20] II. Iberia5 - Par les rues et par les chemins [6'40]6 - Les Parfums de la nuit [7'45]7 - Le Matin d’un jour de fête [4'35]8 - III. Rondes de printemps [7'52]

TT: 58'26

www.opl.lu

Non, contrairement à une idée reçue trop ancrée, Claude Debussy n’est pas un impressionniste en musique : ses œuvres ne sont pas des impres-sions d’après nature (La Mer fut rédigée principalement... en Bourgogne, et quant à Iberia, il n’avait jamais mis les pieds en Espagne, lorsqu’il l’écrivit), elles ne sont pas des tentatives de recréer le sujet par des artifices ou des équivalences. Non pour l’auditeur, il semble que l’objet, que le paysage se soit lui-même incarné en musique et, chose combien plus troublante, que l’auteur se soit fondu en lui. Debussy n’est ni le peintre, ni même le tableau. Il est le sujet. Il est la musique avant d’en être le musicien. Il est partout et nulle part, tantôt vent d’ouest, tantôt une égyptienne, tantôt carillon de rêve scintillant à travers les feuillages, tantôt glas sourd de la cathédrale noyée. S’effacer derrière l’objet au point de l’incarner, je ne connais qu’un mot pour cela, le plus inattendu peut-être : Debussy est un réaliste, il est l’œil, l’oreille, la narine, les plus fidèles, les plus sensibles qui furent jamais. Mais ce réalisme est aux antipodes du naturalisme, il atteint à la vérité du sujet au-delà de sa réalité immédiate : là où nous voyons le vague du brouillard, Debussy en propose une analyse spectrale englobant chacune de ses mille gout-telettes. Sa perception prodigieuse lui a permis le tout premier d’ap-préhender la structure formelle intime de l’objet et d’aller bien au-de-là de cette approximation grossière que nous intitulons forme. On a bien hâtivement qualifié d’informel un art qui parvient à identifier la forme à l’objet, supprimant ainsi un hiatus dont tous les vides souli-gnent justement l’imprécision. Mais le paradoxe, peut-être trop rare-ment souligné, c’est que les grandes structures formelles de Debussy n’en sont que plus solides, que le souci infini du détail s’intègre dans des architectures au souffle large. À leur manière, les Trois Nocturnes, La Mer et Iberia sont des modèles de symphonies cycliques dont les compositeurs « scholistes » qui en revendiquent la primauté n’ont ja-mais égalé la magistrale concentration. Autrement dit, on peut aussi les appréhender de cette façon. Mais ce qui en fait l’originalité ab-solue, c’est leur dynamique formelle, leur mouvance dans le temps

qui les rend rebelles à une analyse par définition « immobilisatrice ». Ici plus question d’architecture figée dans le temps ; il s’agit bien plutôt d’une véritable biologie sonore obéissant, comme tout être vivant, aux lois d’une croissance organique dont la logique, pour fluide et insaisis-sable qu’elle puisse apparaître à un observateur insuffisamment attentif, n’en est pas moins évidente. De ce point de vue, les descendants les plus authentiques de Debussy s’appellent Sibelius ou Martinu, qui cependant n’en ont pas davantage franchi les brisées que les symphonistes après Beethoven.

C’est ainsi que Debussy, comme tout révolutionnaire authentique et fécond, jette des ponts entre le passé — le sien —, et l’avenir — le nôtre —, à l’opposé de toute table rase et de toute terre brûlée. Son langage intègre l’héritage (tonalité, consonance) dans un ensemble neuf et plus vaste, refusant les oukases, préférant l’inclusion à l’exclusion. Sa fière affirmation d’étudiant : « je ne connais pas d’autre règle que mon bon plaisir », ne peut qu’évoquer le fameux slogan de mai 68 : « il est interdit d’interdire », mais c’est là une liberté que seul le génie, s’appuyant sur un instinct infaillible peut s’autoriser. C’est aussi la raison pour laquelle la leçon, l’exemple de Debussy demeurent perpétuellement actuels et féconds face à la faillite de tant de systèmes mort-nés. Et cela explique également que ses contemporains aient eu tant de mal à suivre son évo-lution, dont les étapes n’ont rien perdu de leur vertu subversive après un grand siècle qu’elles n’ont cessé d’ensemencer. La Mer surpris et choqua un public qui avait à peine eu le temps d’absorber Pelléas, les Images déconcertèrent ceux qui essayaient encore d’assimiler La Mer (à chaque fois, à peine trois ans d’une étape à l’autre !), et quant à l’avancée ultime, celle de Jeux, sans doute se situe-t-elle encore au-delà de nous...

Première entreprise majeure après Pelléas et Mélisande, La Mer fut mentionnée pour la première fois par le compositeur en septembre 1903, mais il n’en traça la double barre finale que le 5 mars 1905, à Eastbourne, sur la côte anglaise de la Manche. Durement accueillie à sa création le 15 octobre de la même année, elle ne s’imposa vrai-ment que lorsque Debussy lui-même, pourtant piètre chef d’orches-tre, la reprit le 19 janvier 1908, alors qu’il travaillait déjà à Iberia. Le sous-titre Trois Esquisses symphoniques est trompeur, peut-être à des-

AU-DELÀ DE L’IMPRESSIONNISMEHarry Halbreich

3

sein, car il s’agit d’un solide triptyque de quelque vingt-cinq minu-tes de durée. Si le volet central, Jeux de vagues, fait office de sche-rzo, si Dialogue du vent et de la mer est un authentique Finale rapide en forme de rondo, le premier mouvement, De l’aube à midi sur la mer, est à la fois une entrée en matière et un morceau modéré précédé d’une introduction lente. Et ici les surprises déjà nous accueillent. Fi-dèle au propos de son titre, Debussy nous offre une pièce de forme « ouverte » en constante progression, mais aussi une structure puissam-ment directionnelle. Il y a quatre volets. L’introduction lente, autour de si mineur, semble étrangère au plan tonal de l’œuvre entière, dont la to-nalité principale s’affirmera être ré bémol majeur. Cette bipolarité qui est exactement celle, paradoxale, de la Thamar de Balakirev, que Debussy devait connaître, fait également penser à la Sonate de Liszt, qui aborde elle aussi sa tonalité principale par le biais de la sixte napolitaine (ici, c’est ré majeur, relatif de si mineur, qui glisse vers ré bémol). Si nous savons que Debussy commence fréquemment hors du ton principal, le plan d’ensemble devient parfaitement logique, et le mi majeur de Jeux de vagues est suivi très naturellement du Finale en ut dièse mineur, qui regagne ensuite sa variante majeure ré bémol par simple enharmonie. Même le sourcilleux d’Indy n’eût rien retrouvé à redire à pareil plan.

Dès la troisième mesure, voici la cellule fondamentale d’un appel de rythme iambique (brève-longue), suscitant l’espace sonore, et qui ac-querra dans sa dernière partie la valeur dramatique d’un appel de détres-se au milieu des éléments déchaînés, appel provenant de vaisseaux ou de marins invisibles, car la mer évoquée ici est vide d’hommes. C’est de toute évidence une mer océane, sans doute celtique, aux fureurs vertes, aux antipodes de la suggestion méditerranéenne du titre choisi à l’ori-gine, Mer belle aux Îles sanguinaires. Très vite, la trompette avec sour-dine fait entendre le grand thème cyclique de toute l’œuvre, thème fait essentiellement de notes conjointes comme la vaste majorité des thèmes debussystes, les autres se rattachant plutôt à la gamme pentaphone, à l’exemple de la souple arabesque au rythme berceur de 6/8 succédant à l’introduction pour inaugurer le premier des deux volets centraux, les plus développés. En son milieu, saluons la prodigieuse superposition de sept rythmes différents répartis aux divers groupes d’instruments. Un point culminant sur un motif de trois notes descendantes martelées (qui conclura ce premier mouvement) s’apaise pour faire place au deuxième

volet central, inauguré par le célèbre passage pour les violoncelles di-visés à huit parties (Debussy en voudrait seize, mais ils sont rarement disponibles...), dont le thème cascade et caracole en mouvements très suggestifs avant d’être repris par la mâle allégresse des cors. Une lon-gue accalmie précède le quatrième et dernier volet, la coda, synthèse des idées précédentes, ouverte par un majestueux choral issu du thè-me cyclique, dont la progression harmonique évoque passagèrement, mais nettement, la coda de la Symphonie romantique de Bruckner, que Debussy ne pouvait pas connaître. Une rapide et éclatante progression aboutit aux trois notes martelées descendantes, terminant à l’apogée de la puissance.

Jeux de vagues est le plus complexe, le plus subtile et le plus neuf des trois morceaux. La dispersion spatiale des timbres y trouve un équivalent dans l’éclatement de la forme (non moins de quatorze sections pou-vant se ramener à un triptyque, mais dont le troisième volet est loin de constituer une reprise, même variée, du premier). Nous assistons ici à la naissance de cette prolifération organique, de cette « biologie sonore », dont Les Parfums de la nuit, volet central d’Iberia, offrira un exemple en-core plus accompli, pour aboutir au nec plus ultra de Jeux. À nouveau, Debussy débute hors du ton principal, et ce n’est qu’à l’issue d’une dou-ble introduction que s’affirment le thème principal et sa tonique, un mi « surmajeur » (avec quarte lydienne) d’une luminosité éclatante. Bientôt suit une deuxième idée, langoureuse et euphorique à la fois, oscillant entre deux dominantes (sol dièse et si), sur un fond rythmique proche d’un boléro. Se succèdent éclaboussements de gouttelettes scintillan-tes, friselis de vaguelettes lumineuses, aboutissant à un instant unique de plénitude ineffable et éphémère, neuvième de dominante soudain immobile en sa luminosité intense (c’est la section d’or exacte du mor-ceau !), mais qui se dissipe et se dissout aussitôt. La reprise du thème lan-goureux qu’on attendait est remplacée par une valse tournoyante et ca-piteuse (c’est l’ivresse chorégraphique de Fêtes et de Jeux), suivie d’une coda en dispersion fantomatique des instruments se résolvant dans la sérénité et la transparence.

Dialogue du vent et de la mer, finale spectaculaire et dramatique, brosse une fresque puissante des éléments déchaînés, d’une forme et d’un langage légèrement plus traditionnels, un rondo à trois refrains et deux couplets, qu’encadrent une introduction sourde et menaçante et

4

d’une coda violente et triomphale. On retrouve dans ce début l’appel iambique et le thème cyclique, tous deux absents des Jeux de vagues. Le thème du refrain — c’est le vent — rappelle d’assez près le thème cyclique du Quintette de César Franck, oscillant comme lui entre sixte mineure et majeure. Le premier couplet est jalonné par les appels iam-biques de détresse, soudain submergés par un fracas aveugle, paquet de mer qui engloutit tout, suivi d’une étrange accalmie, comme l’œil du cyclone. Le deuxième refrain ménage une zone de fraîcheur rappelant presque le jeune Debussy. Le deuxième couplet développe le thème cyclique, mais plus nettement articulés en triolets. Le dernier retour du refrain s’accompagne d’un rappel du choral qui couronnait le premier mouvement, puis la coda affirme longuement, au ton principal de ré bémol, la tête du thème cyclique et conclut en pleine force, le trille éclatant des cuivres coupé de timbale « sec » familier des péroraisons debussystes.

Les Images, succédant aux deux cahiers homonymes pour piano, fu-rent esquissés pour deux pianos dès 1906, mais ce premier état com-portait une Valse qui n’a rien à voir avec les Rondes de printemps qui la remplacèrent. Iberia, de loin la plus développée de ces Images, constituant un triptyque à l’intérieur du triptyque, fut achevée la pre-mière, le jour de Noël 1908, mais Debussy lui attribua le numéro 2, entre Gigues (intitulées à l’origine Gigues tristes), qui ne devait être mené à bien que le 10 octobre 1912, non sans l’assistance du fidè-le André Caplet, qui en mit au net l’orchestration, et Rondes de prin-temps, terminées le 10 mai 1909. Iberia est souvent jouée seule, comme d’ailleurs sa création séparée le 20 février 1910 sous la direction de Gabriel Pierné, sous les huées et les sifflets d’un public venant à peine de digérer La Mer. Rarement exécuté au complet, le triptyque connut sa création sous la baguette du compositeur le 26 janvier 1913, face à un public de nouveau hostile. Or la modernité insolite des Images déconcerta longtemps encore le monde musical, Maurice Ravel étant l’un de leurs plus ardents défenseurs de la première heure. C’est que Debussy avait franchi une nouvelle étape vers des harmonies plus ouver-tement dissonantes, un orchestre à l’éclat plus dur et plus dépouillé, une joie des timbres purs dans un souci croissant et très neuf de la fu-sion des paramètres sonores (avec notamment l’émancipation mélodi-

que de la percussion, qui a définitivement dépassé son rôle de simple « batterie »), et enfin un nouveau pas essentiel vers la croissance organi-que du matériau et la « biologiesonore » déjà définies. Dans Iberia no-tamment l’unité cyclique est beaucoup plus poussée que dans La Mer et affecte davantage que les seuls éléments thématiques. Enfin, la souplesse et la liberté parfois déconcertante des tempi, du rubato, des articulations et des valeurs irrationnelles témoignent d’une notion toute moderne du temps musical.

L’éclat et la puissance solaire d’Iberia ont initialement éclipsé les ri-chesses plus secrètes, mais non moins novatrices et gorgées d’imagina-tion poétique des deux autres Images. Si Gigues, évocation mélancolique de l’Écosse, se permet la citation, au hautbois d’amour, d’une mélodie authentique, si les Rondes de printemps utilisent comme élément prin-cipal le Nous n’irons pas au bois si cher à Debussy depuis ses Jardins sous la pluie, l’hispanisme si manifeste d’Iberia relève entièrement de ce « folklore imaginaire » que Bartok n’avait pas encore inventé. Or cette couleur locale dont Manuel de Falla vantait en connaisseur l’authenti-cité fut le fait d’un homme dont l’unique incursion outre-Pyrénées n’eut lieu que tout à la fin de sa vie à l’occasion d’une corrida à Saint-Sé-bastien. Mais déjà dans sa jeunesse, Debussy avait écrit à son éditeur : « quand on n’a pas de quoi se payer des voyages, il faut suppléer par l’imagination. »

Gigues est l’une des pages les plus précieuses, les plus délicates et les plus secrètes de son auteur, et le timbre pénétrant et fragile du hautbois d’amour lui prête son inimitable climat « clown triste », mélange d’iro-nie et de tendresse. André Caplet qui en paracheva la mise au net, parle d’une « âme endolorie exhalant sa plainte traînante et indolente, âme meurtrie dont la pudeur dissimule bien vite les sanglots sous le masque et la gesticulation anguleuse d’une marionnette grotesque. »

Après une brève introduction jalonnée par un motif d’appel de la flû-te, le thème principal apparaît sans aucun accompagnement, joué par le hautbois d’amour. La seconde fois, la scansion de danse s’installe dans un tempo deux fois plus rapide, mettant en route la gigue dégingandée et cahotante, mais on n’entendra plus jamais au complet la chaloupée, dont les souvenirs disjoints jalonnent le parcours de l’œuvre. Mais l’ins-trument conducteur introduira aussi une deuxième mélodie, d’origine

5

française, Dansons la gigue, tandis que les rythmes heurtés de la danse rapide évoquent le ragtime. La progression est coupée net par une ex-clamation suraiguë de petite flûte et de cymbale, suivie d’une rapide dégringolade vers le grave (l’endroit est tout proche du sommet expressif «éperdu» de Jeux), précédant une conclusion tout en douceur.

Au sfumato délicat de Gigues, que l’on retrouvera, mais ensoleillé, dans Rondes de printemps, s’oppose l’éclat dur et acéré de la lumière d’Iberia, s’affirmant dès l’attaque en sol majeur relevé de secondes et de quartes. En ses trois mouvements durant une vingtaine de minutes, Iberia est une véritable symphonie, plus serrée et plus compacte que La Mer, et dont l’unité est assurée par non moins des sept thèmes cycliques. Exaltée par Manuel de Falla dans un commentaire célèbre et enthou-siaste, la couleur locale est assurée par des moyens matériels, certes (castagnettes, tambour de basque, imitation des guitarras y bandurrias par les pizzicati dans le Finale, où Debussy précise même que les mu-siciens doivent tenir leurs violons sous le bras, ce que l’on ne fait hélas que rarement), mais aussi par des formules rythmiques (sevillana à 3/8 dans le premier mouvement, Par les rues et par les chemins, habanera dans Les Parfums de la nuit, marche dans Le Matin d’un jour de fête), voire par des clichés familiers (tétracorde dorien descendant, triolet d’or-nementation dans la mélodie initiale). Bref tous les ingrédients d’une « espagnolade » de plus, que le génie de Debussy transfigure au niveau de l’archétype, en un concentré d’Espagne plus vrai que nature, de même qu’une vraie peinture sera toujours plus proche de la vérité essentielle que la seule réalité d’une photographie. Non moins de cinq idées mélo-diques cimentent l’unité du premier mouvement, le plus développé des trois, conçu lui-même comme un triptyque à partir de son refrain aux clarinettes, arabesque en degrés conjoints, comme la plupart des autres thèmes, la quatrième idée (hautbois doublé à l’alto), traînante et nostal-gique (elle jouera un grand rôle dans Les Parfums de la nuit) assouplit le rythme en duolets, préparant la partie centrale qui abandonne le 3/8 pour un 2/4 monnayé en triolets de 12/16. son thème en escalier de tier-ces — seul élément non conjoint — possède un caractère joyeusement extraverti (aux cors), qui ne laisse guère présager sa métamorphose ca-piteuse dans Les Parfums de la nuit, bien que des accents langoureux de habañera le contrepointent de manière prémonitoire. Le brusque retour du premier thème (mais pas encore dans son ton d’origine de sol majeur)

signale une reprise variée et abrégée, aboutissant par un decrescendo à une conclusion d’une admirable nostalgie, se terminant sur la pointe des pieds en préparation au rêve qui va suivre.

Les Parfums de la nuit, qui choisissent paradoxalement le ton si lointain et matériellement si proche de fa dièse majeure (la juvénile et mécon-nue Fantaisie pour piano et orchestre suivait déjà le même plan tonal !), jamais Debussy n’en a surpassé l’acuité sensuelle presque insoutenable, la lourde et enivrante émanation libérant toutes les féeries cachées, les aspirations et les désirs que le plein jour occultait. Ravel s’en avouait « étreint jusqu’aux larmes ». Célesta et harpes évoquent les gazouillis des fontaines des patios andalous, ou mieux, des jardins de l’Alhambra de Grenade, tandis que les glissandi des cordes divisées semblent vouloir suivre à la trace d’insaisissables effluves, ou encore la souple inclinaison des ramures sous le souffle léger de la brise... La forme est complexe et mouvante, une substructure très librement ternaire étant sans cesse ca-chée par la métamorphose des thèmes du premier morceau, puis, à par-tir d’une certaine ligne de partage, par la prémonition de ceux du troisiè-me. Le brusque sursaut passionné des violons, issu du thème en escalier de tierces du premier mouvement, inaugure un « milieu » un rien plus animé, mais lorsqu’un rappel des cordes graves semble annoncer une reprise, il n’en est rien, et ce sont les éléments du Finale qui doucement se profilent. Or Debussy va unir les deux morceaux par le plus subtil des fondus-enchaînés, par des procédés de « montage » uniques pour l’époque. Il était particulièrement fier de cette transition, dont il disait à juste titre : « on ne dirait pas que c’est composé. » Cette nuit, à laquelle on ne veut pas s’arracher cède peu à peu à l’éclat matutinal du Matin d’un jour de fête, joyeuse marche se rapprochant peu à peu, ponctuée de cloches, gai cortège tout bourdonnant de trilles débouchant sur le défilé en pleine lumière des guitarras y bondurrias dans le plus grave ut majeur. Une clarinette très en dehors, truculente et quelque peu ca-naille est un avatar méconnaissable du hautbois languissant et traînard du premier mouvement. Les violons s’accordent, et voici, épisode cen-tral de ce Finale, un joyeux violoneux — ménestrel métamorphosant la dernière idée des Parfums de la nuit. Et la fête se poursuit jusqu’au retour tardif — on ne l’attendait plus — de l’appel de cors du milieu du premier mouvement, sur lequel va se dérouler la vertigineuse mais brève coda-strette, le vigoureux tétracorde descendant « ibérique » ponctué par un

6

sonore double glissando des trombones, qu’Arthur Hoérée compare très justement à un énorme accordéon.

Les Rondes de printemps, dont l’orchestre chatoyant et raffiné renonce aux cuivres, à l’exception des quatre cors, semblent se situer en Île-de-France (présence persistante de Nous n’irons plus au bois), et pourtant la partition porte en épigraphe deux vers d’une maggiolata (chanson de mai) florentine de la Renaissance : « Vive le mai, bienvenu soit le mai, avec son gonfalon sauvage. » Comparée au juvénile Printemps de 1887, lui aussi florentin car inspiré par la toile de Botticelli, la page d’ultime maturité dissimule sous sa tendresse épanouie et souriante la déchirante nostalgie de la beauté éphémère, de la jeunesse trop tôt enfuie. D’une incomparable délicatesse qui tend à faire oublier sa solidité de structure, cette musique, pour paraphraser Roland-Manuel parlant de la Sérénade de Roussel, « semble se servir moins de ses pieds que de ses ailes. » Elle évoque, suivant l’excellente image de Louis Laloy, « avec des tons plus lumineux, la grâce vaporeuse et cependant précise d’un paysage de Co-rot. » On peut distinguer sept sections, huit même en comptant à part la coda, et le ton principal de la majeur y alterne avec son « antipode » (au triton) mi bémol. Une introduction fait entendre un motif d’appel en

tendres tierces des flûtes d’une intense émotion, joie et jeunesse gon-flées de nostalgie. La majeur s’installe en un rythme à 15/8, léger et fantasque, héritier de Fêtes, voire du Scherzo du juvénile Quatuor. Si Nous n’irons plus au bois ne tarde pas à apparaître — nourrissant par la suite organiquement d’importantes séquences de la pièce — il ne sera jamais utilisé comme un thème, mais un peu comme un cantus firmus. Le thème principal, lui, viendra un peu plus tard, en allègre éclat des cordes puis surtout sous forme de variante à la flûte. Au cours de l’épi-sode lent qui suit, on trouve un exemple extraordinaire du génie de timbre chez Debussy : le « grain » de la tenue du cor sur le si, avec les colorations des batteries d’octave du célesta, des trémolos de la harpe et (à des vitesses différentes) des cordes divisées dans l’aigu. À l’issue de di-verses présentations de Nous n’irons plus au bois (en canon, en double augmentation, d’Indy ne ferait pas aussi bien !), la chanson éclate enfin au ton principal comme un allègre cortège de carnaval scandé par le tambourin, début d’une vaste gradation en crescendo accelerando sur la variante de flûte du thème principal. La coda, en preste fuite de quintes parallèles descendantes, émiette aux bois les bribes de la chanson avant le violent coup de timbale conclusif.

7

C’est en juin 2001 qu’Emmanuel Krivine monte pour la première fois au pupitre de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, dans le cadre du Festival d’Echternach, répondant à une invitation somme toute logique, lorsque l’on sait que le chef a dirigé la plupart des grands orchestres européens. Les Luxembourgeois font ainsi connaissance avec un musicien connu dans le monde pour une carrière étonnante débutée comme violoniste. Emmanuel Krivine, d’origine russe par son père, polonaise par sa mère, Premier Prix au Conservatoire de Paris, pensionnaire de la Chapelle Musicale Reine Elisabeth, entame jeune une prodigieuse carrière au violon. En 1965, la rencontre avec Karl Böhm est déterminante pour sa vocation de chef d’orchestre. Chef in-vité permanent du Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio Fran-ce de 1976 à 1983, puis Directeur musical de l’Orchestre National de Lyon de 1987 à 2000, il est alors invité par les plus grande pha-langes internationales, comme l’Orchestre Philharmonique de Berlin, le Concertgebouw d’Amsterdam, le London Symphony Orchestra, l’or-chestre de la NHK Tokyo, les orchestres de Boston, Cleveland, Philadel-phie.

Après son 1er concert avec l’OPL, l’impression est forte au Grand Du-ché de Luxembourg et dès 2002, il est nommé premier chef invité d’un orchestre à la fois jeune et chargé d’histoire. C’est en effet en 1996 qu’est créé l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg, héritier du Symphonique de RTL et dépositaire de plus de soixante ans d’une tradi-tion musicale — aux confins des mondes germaniques et francophones — où, qui plus est, l’action en faveur de la musique contemporaine a toujours été considérée comme une donnée naturelle. Cette démarche s’est perpétuée et a trouvé sa traduction dans la très riche discographie de l’OPL, avec les volumes consacrés à Ohana, Xenakis ou Malec, et qui voisinent avec de grandes réalisations qui sont autant de premiè-res, comme Cydalise et le chèvre-pied de Pierné dirigé par le premier titulaire de l’OPL, David Shallon (Cannes Classical Awards en 2002), l’opéra Polyphème de Jean Cras enregistré par son successeur Bramwell Tovey, ou les disques Ropartz et d’Indy, réalisés par Emmanuel Krivine en 2002 et 2006.

Les rapports de plus en plus étroits entre ce dernier et l’OPL, le suc-cès grandissant de leurs concerts, à Luxembourg comme à l’étranger, ont conduit l’Orchestre à lui confier la Direction musicale à partir de l’automne 2006.

EMMANUEL KRIVINE ET L’OPL

© Philippe Hurlin

8

No, contrary to a generally accepted idea that has gained too much credence, Claude Debussy is not an Impressionist in music: his works are not impressions based on nature (La Mer was written mainly... in Burgundy and, as for Iberia, he had yet to set foot in Spain when he composed it); nor are they attempts to reproduce the subject through artifice or equivalents. For the listener, it seems that the object, the lands-cape itself, is embodied in music and, something far more troubling, that the composer has merged with it. Debussy is neither the painter, nor even the painting — he is the subject; he is the music before being its composer. He is everywhere and nowhere, sometimes the west wind, sometimes an Egyptian woman, sometimes a dreamlike carillon shim-mering through the foliage, sometimes the muffled knell of the engul-fed cathedral. Fading behind the object to the point of embodying it — I know only one word for that, and it is perhaps the least expected: Debussy is a realist; he is the most faithful, the most sensitive eye, ear and nostril that ever were. But this realism is poles apart from naturalism, achieving the verity of the subject beyond its immediate rea-lity: there where we ‘see’ the bank of fog, Debussy proposes a spec-tral analysis of it, encompassing each of its thousands of droplets. His prodigious perception enabled him, the very first, to apprehend the object’s intimate formal structure and go well beyond this crude ap-proximation that we call ‘form’. His is an art that manages to iden-tify form with the object, thereby suppressing a hiatus underscored by all voids; actually, the imprecision has much too hastily been ter-med ‘informal’. But the paradox, perhaps insufficiently stressed, is that Debussy’s great formal structures are more solid, that the infinite atten-tion to detail fits into large-scaled architectures. In their own way, the three Nocturnes, La Mer and Iberia are models of the cyclic symphony of which composers from the Schola Cantorum, who proclaimed its primacy, never equalled the masterful concentration. In other words, they can also be apprehended in this way, but what accounts for their absolute originality is their formal dynamic, their sphere of influen-

ce in time, making them resistant to analysis, which is, by definition, ‘immobilising’. Here there is no longer question of an architecture frozen in time; rather it is a veritable biology in sound, obeying, like every living being, the laws of organic growth whose logic, regardless of how fluid and elusive it might appear to an insufficiently attentive obser-ver, is no less obvious. From this point of view, Debussy’s most authentic descendants were Sibelius or Martin, who, however, did not follow in his footsteps any more than did symphonists after Beethoven.

So it is that Debussy, like every authentic, creative revolutionary, built bridges between the past — his — and the future — ours —, the opposite of any tabula rasa or scorched earth policy. His language integrates heritage (tonality, consonance) into a new, vaster whole, refusing ukases and preferring inclusion to exclusion. His proud af-firmation as a student — ’I know no rule other than my own desire’

— can only bring to mind the famous May ‘68 slogan: ‘It is forbidden to forbid’. But that is a freedom that genius alone, relying on infallible instinct, can permit itself. It is also the reason why Debussy’s lesson and example remain perpetually topical and fecund in face of the failure of so many still-born systems. And it also explains why his contemporaries had such difficulty in following his evolution, the stages of which have lost none of their subversive virtue even after more than a century that they have continued to fertilise. La Mer surprised and shocked a public that had barely had the time to absorb Pelléas, whereas the Images dis-concerted those who were still trying to assimilate La Mer (each time, barely three years elapsed between one stage and the next!), and as for the ultimate advance, that of Jeux, it is doubtless still beyond us...

La Mer, the first major undertaking after Pelléas et Mélisande, was mentioned by the composer for the first time in September 1903, but he did not write the final double-bar until 5 March 1905, in Eastbour-ne, on the English Channel. Harshly received at its first performance on 15 October of the same year, the work only truly imposed itself when Debussy himself, despite being a mediocre conductor, reprised it on 19 January 1908, while he was already working on Iberia. The subtitle, Three Symphonic Sketches, is misleading — perhaps deliberately — for it is a solid triptych lasting some twenty-five minutes. Even though the central ‘panel’, Jeux de vagues, serves as a scherzo, and although Dia-

BEYOND IMPRESSIONISMHarry Halbreich

9

logue du vent et de la mer is an authentic, fast finale in rondo form, the first movement, De l’aube à midi sur la mer, is both an introduc-tion and a moderato piece preceded by a slow opening section. And here surprises await us already. Faithful to the intention of his title, De-bussy gives us an ‘open’-form piece in constant progression, as well as a powerfully directional structure. There are four sections. The slow introduction, centred on B minor, seems foreign to the tonal outline of the entire work whose main key will assert itself as D flat major. This bipolarity is exactly that, paradoxical, of Balakirev’s Tamara, which De-bussy must have known. It also brings to mind Liszt’s Sonata, it, too, ap- proaching the main key via the Neapolitan sixth (here it is D major, the relative of B minor, which slides towards D flat). Although we know that Debussy frequently begins outside the main key, the overall outline be-comes perfectly logical, and the E major of Jeux de vagues is followed quite naturally by the Finale in C sharp minor, which then gets back to its major variant, D flat, by simple enharmonics. Even the finicky d’Indy would have seen nothing wrong with an outline like that.

As of the third bar, here is the fundamental cell of a call in iambic rhythm (short-long) creating the sound space, and which, in its last part, will take on the dramatic value of a distress call in the middle of the raging elements, a call from invisible vessels or sailors, for the sea evo-ked here is devoid of men. It is clearly an ocean sea, doubtless Celtic with green furies, poles apart from the Mediterranean suggestion of the original title: Mer belle aux Îles sanguinaires (Calm Sea around the San-guinary Islands [Corsica and Sardinia]). Quite quickly, the muted trum-pet plays the great cyclic theme of the whole work, a theme essentially made up of conjunct notes like the vast majority of Debussy’s themes, the others related rather to the pentatonic scale, such as the supple ara-besque with its rocking 6/8 rhythm following the introduction to inau-gurate the first of the two central sections, which are the most develo-ped. In the middle, let us hail the prodigious superimposition of seven different rhythms spread out between the various groups of instruments. A climax on a martelé descending three-note motif (which will bring this first movement to a close) calms down to make way for the second central section, inaugurated by the famous passage for the cellos divided into eight parts (Debussy wanted sixteen, but they are rarely available...). The theme cascades and gambols about in highly evocative movements

before being taken up by the virile elation of the horns. A long period of calm precedes the fourth and final section, the coda and synthesis of the previous ideas, opening with a majestic chorale stemming from the cyclic theme whose harmonic progression fleetingly but clearly evokes the coda of Bruckner’s ‘Romantic’ Symphony, which Debussy could not have known. A rapid, dazzling progression ends up with the three des-cending martelé notes, ending at the apogee of power.

Jeux de vagues is the most complex, subtlest and newest of the three pieces. Here, the spatial dispersion of timbres finds an equivalent in the splitting up of the form (no less than 14 sections able to come back to a triptych, but of which the third section is far from constituting even a varied repeat of the first). Here, we witness the birth of this organic proliferation, this ‘biology in sound’, of which Les Parfums de la nuit, the central section of Iberia, would provide an even more accomplished example, before resulting in the nec plus ultra of Jeux. Once again, De-bussy begins outside of the main key, and it is only after a double intro-duction that the main theme and its tonic, an E ‘super-major’ (with Lydian fourth) assert themselves with dazzling luminosity. A second idea soon follows, both languid and euphoric, oscil-lating between two dominants (G sharp and B), over a rhythmic background close to a bolero. Splashes of glittering droplets are followed by slight quiverings of luminous wa-velets, resulting in a unique moment of ineffable, ephemeral plenitude, the dominant ninth suddenly immobile in its intense luminosity (this is the piece’s exact golden section!), but which immediately dissipates and dissolves. The expected repeat of the languid theme is replaced by a spinning, intoxicating waltz (this is the choreographic headiness of Fêtes and Jeux), followed by a coda in ghostly dispersion of the instruments, resolving in serenity and transparency.

Dialogue du vent et de la mer, the spectacular, dramatic finale, paints a powerful fresco of the raging elements in slightly more traditional form and language, a rondo with three refrains and two episodes, framed by a muffled, threatening introduction and a violent, triumphal coda. In this beginning, we again hear the iambic call and cyclic theme, both absent from Jeux de vagues. The theme of the refrain — it is the wind — is so-mewhat reminiscent of the cyclic theme from César Franck’s Quintet, it too wavering between minor and major sixths. The first couplet is punc-tuated by iambic distress calls, suddenly submerged by a blind roar, a

10

huge wave that engulfs all, followed by a strange calm, like the eye of the hurricane. The second refrain brings in a freshness almost recalling the young Debussy. The second episode develops the cyclic theme, but more clearly articulated in triplets. The last return of the refrain is accom-panied by a reminder of the chorale that crowned the first movement, then the coda asserts the top of the cyclic theme at length, in the main key of D flat, and concludes in full force, the brilliant trill of the brass cut by the familiar ‘dry’ timpani stroke of Debussy perorations.

Following two homonymous books for piano, Images was sketched out for two pianos beginning in 1906, but this first state included a waltz that had nothing to do with Rondes de printemps, which replaced it. Iberia, by far the most developed of these Images, constituting a trip-tych within the triptych, was finished first, on Christmas Day 1908, but Debussy put it in second position, between Gigues (originally entitled Gigues tristes, or ‘Sad Jigs’), which was not completed until 10 October 1912, with the assistance of the faithful André Caplet, who made the fair copy of the orchestration, and Rondes de printemps, finished on 10 May 1909. Iberia is often played alone and even received a separate first performance on 20 February 1910, conducted by Gabriel Pierné, booed and jeered by an audience that had barely digested La Mer. Ra-rely played complete, the triptych had its first complete performance under the composer’s direction on 26 January 1913, once again facing a hostile audience. The unusual modernity of Images long disconcerted even the musical world, Maurice Ravel being one of the most ardent defenders from the very beginning. The fact was that Debussy had clea-red a new stage towards more openly dissonant harmonies, an orchestra with a harder, more austere brilliance, a delight in pure timbres in a growing and very new concern for blending the sound parameters (with, in particular, the melodic emancipation of the percussion, which had definitively gone beyond the role of mere drums), and finally an essen-tial new step towards the previously defined organic growth of the mate-rial and ‘biology in sound’. In Iberia especially, the cyclic unity is pushed much further than in La Mer and affects more than just the thematic elements. Finally, the sometimes disconcerting flexibility and freedom of the tempi, rubato, articulations and irrational values bear witness to a thoroughly modern notion of musical time.

The brilliance and sunny power of Iberia initially overshadowed the more secret, but no less innovative, riches of the other two Images and their poetic imagination. Whereas Gigues, a melancholy evocation of Scotland, allows itself the quotation of an authentic tune, played by the oboe d’amore, and Rondes de printemps uses as the principal element ‘Nous n’irons pas au bois’, a song of which Debussy was so fond since his Jardins sous la pluie, Iberia’s obvious Hispanicism originates entirely in that ‘imaginary folklore’ that Bartók had not yet invented. However, this local colour, whose authenticity was praised by Manuel de Falla (a true connoisseur!), is the work of a man whose sole incursion beyond the Pyrenees did not occur until the very end of his life, on the occasion of a bullfight in San Sebastian. But already in his youth, Debussy had written to his publisher: ‘When you can’t afford to pay for journeys, it is necessary to substitute with the imagination’.

Gigues is one of its composer’s most precious, most delicate and most secret pieces, and the penetrating, fragile timbre of the oboe d’amo-re gives it its inimitable ‘sad clown’ atmosphere, a blend of irony and tenderness. André Caplet who completed the orchestration, speaks of ‘an aching soul uttering its drawling, indolent lament, a wounded soul whose modesty quickly conceals sobs behind the mask and the angular gesticulation of a grotesque marionette’.

After a brief introduction punctuated by a call motif of the flute, the main theme appears unaccompanied, played by the oboe d’amore. The second time, the dance scansion is established in a tempo twice as fast, setting in motion the gangling, jolting jig, but we will never hear the complete swaying again, disjunct reminiscences of which punctuate the work. But the guiding instrument will also introduce a second melody, of French origin, ‘Dansons la gigue’, whereas the jerky rhythms of the fast dance evoke ragtime. The progression is cut short by a shrill excla-mation of the piccolo and cymbal, followed by a rapid tumble towards the lower register (the spot is quite close to the ‘distraught’ expressive highpoint of Jeux), preceding a thoroughly gentle conclusion.

Contrasting with the delicate sfumato of Gigues, which will be found again — although sunnier — in Rondes de printemps, is the hard, sharp light of Iberia, asserting itself as of the attack in G major heightened by seconds and fourths. In its three movements lasting some twenty minu-tes, Iberia is a veritable symphony, tighter and more compact than La

11

Mer, and whose unity is ensured by no less than seven cyclic themes. Exalted by Manuel de Falla in a well-known, enthusiastic commentary, local colour is provided by material means, certainly (castanets, tam-bourine, imitation of guitarras y bandurrias by pizzicati in the Finale, where Debussy even specifies that the musicians are to hold their violins under their arms, which, alas, is done only rarely), as well as by rhythmic formulas (sevillana in 3/8 in the first movement, Par les rues et par les chemins, habanera in Les Parfums de la nuit, march in Le Matin d’un jour de fête), or even by familiar clichés (descending Dorian tetrachord, ornamentation triplet in the initial melody). In short, there are all the ingredients for one more espagnolade, which Debussy’s genius transfi-gures on the archetype level in a concentration of Spain truer than life, just as a real painting will always be closer to the essential truth than the sole reality of a photograph. No less than five melodic ideas cement the unity of the first movement, the most developed of the three, itself desi-gned as a triptych starting from its refrain in the clarinets, an arabesque in conjunct degrees, like most of the other themes, the fourth idea (oboe doubled by the viola), drawling and nostalgic (it will play a large role in Les Parfums de la nuit) makes the rhythm in duplets more supple, pre-paring the central part, which abandons the 3/8 for a 2/4 converted into 12/16 triplets. Its theme in steps of thirds — the sole non-conjunct ele-ment — has a joyously extroverted character (in the horns), which hardly allows for predicting its heady metamorphosis in Les Parfums de la nuit, even though languid habanera accents provide a premonitory counter-point. The abrupt return of the first theme (but not yet in its original key of G major) signals a varied, abridged repeat, leading via a decrescendo to a conclusion of admirable nostalgia, ending on tiptoe in preparation for the dream that is to follow.

Les Parfums de la nuit paradoxically chooses the key of F sharp ma-jor, so remote and materially so close (the youthful, ill-known Fantasy for piano and orchestra already followed the same tonal outline!). Ne-ver did Debussy surpass its almost unbearable sensual acuteness, the heavy, intoxicating emanation liberating all the hidden enchantments, aspirations and desires that daylight eclipsed. Ravel confessed to being ‘gripped to the point of tears’ by it. Celesta and harps evoke the babbling of fountains in Andalusian patios or, even better, in the gardens of the Al-hambra in Grenada, whereas the glissandi of the divided strings seem to

want to follow the trace of elusive fragrances, or again, the supple nod-ding of branches under the breeze’s light breath... The form is complex and shifting, a very free ternary substructure being constantly hidden by the metamorphosis of the themes from the first part then, starting from a certain division line, by the premonition of those of the third. The abrupt, impassioned leap of the violins, derived from the step theme in thirds of the first movement, inaugurates a slightly less animated ‘setting’, but when a reminder in the low strings announces a repeat, but not at all: it is the elements of the Finale that gently emerge. Yet Debussy is going to unite the two pieces by the subtlest of fade-in-fade-outs, ‘editing’ pro-cedures that were unique for the time. He was particularly proud of this transition, about which he rightly stated: ‘one would not say that it is composed’. This night, from which we do not want to tear ourselves, gradually gives way to the morning brilliance of Matin d’un jour de fête, a joyous march that gradually comes closer, punctuated by chimes, a merry cortège buzzing with trills and leading to a parade in full daylight of guitarras y bandurrias in the lowest C major. A boisterous, somewhat coarse clarinet, very much apart, is an unrecognisable avatar of the lan-guishing, straggling oboe in the first movement. The violins tune up, and here, the central episode of this Finale, is a joyful fiddler-minstrel trans-forming the last idea of Parfums de la nuit. The fête continues up to the belated — we no longer expected it — return of the horn calls from the middle of the first movement, over which unfolds the dizzying but brief coda-stretto, the vigorous descending ‘Iberian’ tetrachord punctuated by a sonorous double glissando in the trombones, which Arthur Hoérée quite accurately compared to an enormous accordion.

Rondes de printemps, in which the shimmering, refined orchestra re-nounces the brass with the exception of four horns, seems to be set in the region surrounding Paris (the persistent presence of ‘Nous n’irons plus au bois’) and yet the score bears in epigraph two verses of a Florentine mag-giolata (May song) from the Renaissance: ‘Long live the month of May, welcome be the month of May, with its wild gonfalon’. Compared with the youthful Printemps of 1887 — it, too, Florentine, having been inspi-red by Botticelli’s Primavera —, this work from late maturity conceals behind its radiant, cheerful tenderness the wrenching nostalgia for ephe-meral beauty and youth that has flown too soon. Of incomparable deli- cacy, which tends to overshadow its structural solidity, this music, to

12

paraphrase Roland-Manuel talking about Roussel’s Serenade, ‘seems to use its feet less than its wings’. And, to borrow Louis Laloys’s excellent image, it evokes ‘with the most luminous tones, the vaporous and yet precise grace of a Corot landscape’. One can make out seven sections

— even eight by counting the coda apart —, and the main key of A major alternates with its ‘antipode’ (in the tritone) of E flat. An introduction fea-tures a call motif in tender thirds played by the flutes, displaying intense emotion, joy and youth, gorged with nostalgia. A major is established in a 15/8 rhythm, light and capricious, a descendant of Fêtes or even the Scherzo of the early Quartet. Although ‘Nous n’irons plus au bois’ wastes no time in appearing — subsequently feeding organically large sequen-ces of the piece —, it will never be used as a theme but somewhat like a cantus firmus. The main theme will return a bit later, in a lively burst

of the strings then, above all, in the form of a variant on the flute. In the course of the slow episode that follows, we find an extraordinary exam-ple of Debussy’s genius when it comes to timbre: the ‘grain’ of the horn tenuto on B, with the colorations of the celesta’s octave batteries, harp tremolos and (at different speeds) strings divided in the upper register. Following the various presentations of ‘Nous n’irons plus au bois’ (in canon, in double augmentation... d’Indy would not do any better!), the song finally bursts through in the main key like a merry carnival pro-cession, with the tambourine marking the rhythm, the beginning of a vast gradation in crescendo accelerando on the flute variant of the main theme. The coda, in a nimble flight of descending parallel fifths, breaks up the snatches of the song in the woodwinds before the violent conclu-ding timpani blow.

In June 2001, Emmanuel Krivine mounted the podium of the Luxem-bourg Philharmonic Orchestra for the first time, in the framework of the Echternach Festival. This was a logical invitation, given that the Maestro had conducted most of the great European orchestras. The Luxembourg musicians were thus introduced to a musician known the world over for an amazing career, begun as a violinist. Of Russian origin on his father’s side and Polish on his mother’s, First Prize at the Paris Conserva-toire and a grant-holder of the Chapelle Musicale Reine Elisabeth (Bel-gium), Emmanuel Krivine began his prodigious career on the violin at an early age. In 1965, he met Karl Böhm, and this was a determining factor in his vocation as a conductor. Permanent guest conductor of the Nouvel Orchestre Philharmonique of Radio France from 1976 to 1983, then musical director of the Orchestre National de Lyon from 1987 to 2000, he was invited by the leading international orchestras, including the Berlin Philharmonic, Orchestra of the Concertgebouw, Amsterdam, London Symphony Orchestra, NHK Symphony Orchestra of Tokyo and the orchestras of Boston, Cleveland and Philadelphia. More recently, in France he founded the Chambre Philharmonique, an ensemble mee-

ting some of his artistic aspirations and demands. Following his first concert with the OPL, he made such a strong impression in the grand duchy of Luxembourg that, in 2002, he was appointed principal guest conductor of an orchestra that is both young and boasts a long history. The Luxembourg Philharmonic Orchestra was created in 1996, heir to the RTL Symphony and guardian of a musical tradition stretching back more than sixty years, on the borders of the Germanic and French-spea-king worlds. Moreover, the action in favour of contemporary music has always been considered a natural given. This approach has perpetuated itself and resulted in a very rich discography, with releases devoted to Ohana, Xenakis and Malec, along with major realisations that are as many premières, such as Pierné’s Cydalise et le chèvre-pied, conduc-ted by the OPL’s first director, David Shallon (Cannes Classical Awards, 2002), Jean Cras’ opera Polyphème, recorded by his successor, Bram-well Tovey, or the Ropartz and d’Indy discs made by Emmanuel Krivine in 2002 and 2006.

The increasingly close relations between the latter and the OPL, along with the growing success of their concerts both in Luxembourg and abroad, led the Orchestra to make him musical director beginning in the autumn of 2006.

EMMANUEL KRIVINE ET L’OPL