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L'EXPÉRIENCE DU « MAÎTRE INTÉRIEUR » Christoph Theobald L'Esprit du temps | Topique 2003/4 - no 85 pages 75 à 91 ISSN 0040-9375 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-topique-2003-4-page-75.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Theobald Christoph, « L'expérience du « maître intérieur » », Topique, 2003/4 no 85, p. 75-91. DOI : 10.3917/top.085.0075 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour L'Esprit du temps. © L'Esprit du temps. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 158.162.133.144 - 09/10/2012 17h10. © L'Esprit du temps Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 158.162.133.144 - 09/10/2012 17h10. © L'Esprit du temps

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  • L'EXPRIENCE DU MATRE INTRIEUR

    Christoph Theobald

    L'Esprit du temps | Topique

    2003/4 - no 85pages 75 91

    ISSN 0040-9375

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-topique-2003-4-page-75.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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    Theobald Christoph, L'exprience du matre intrieur , Topique, 2003/4 no 85, p. 75-91. DOI : 10.3917/top.085.0075--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • On connat le diagnostic de F. Nietzsche qui voyait dans la foi chrtiennede son poque, dpossde par la Rforme de son unit dogmatique, une moralevoue se dissoudre : Le christianisme en tant que dogme a t ruin par sapropre morale ; cest ainsi que le christianisme doit maintenant aller sa ruineaussi en tant que morale nous sommes au seuil de cet vnement , prophtise-t-il dans sa Gnalogie de la morale 1. Mme si lon naccepte pas le gestephilosophique et la loi des trois tats (dogme morale dissolution) qui sous-tendent ce pronostic, on ne peut pas nier que cette vision a pour elle une certaineplausibilit au moins en Europe ; quand on ralise par exemple quel pointla prdication officielle de lglise sest progressivement dplace vers lechamp de la morale. Nietzsche est convaincu que toutes les grandes chosesprissent par elles-mmes, par un acte dautodestruction , et si le christianismea engendr lidal du vrai, celui-ci finit, aprs deux mille ans de discipline duvrai, par renoncer au mensonge par excellence quest la croyance en Dieu. notre poque, la vracit chrtienne qui survit ainsi comme morale, finira partirer la conclusion suprme, la conclusion contre elle-mme ; cela arrivera quandelle posera la question que signifie la volont de vrit ?

    En 1966, Karl Rahner, voyant pointer notre monde postmoderne et pluri-culturel qui prend en effet ses distances par rapport lasctisme du vrai ,

    Lexpriencedu matre intrieur *

    Christoph Theobald

    Topique, 2003, 85, 75-91.

    * Cet article est paru, sous le titre de Lexprience du matre intrieur. propos dutournant mystique de la foi dans la tradition chrtienne , dans thique et mystique , Revuedthique et de thologie morale. Le supplment , n 212, Paris, ditions du Cerf, Mars-avril2000, pp. 9-31.

    1. F. Nietzsche, Gnalogie de la morale, III, 27.

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    fait un tout autre diagnostic. Dans sa confrence Spiritualit autrefois et aujour-dhui, il dveloppe pour la premire fois lide que le fidle de demain devratre un mystique qui fait une exprience de Dieu, ou il ne sera plus ; il le faiten pleine connaissance du poids historique qui pse sur le terme mystique ,lequel signifie, comme il le prcise, un croire dans llment de lEsprit saint 2 .Pour Rahner, une libert vritablement humaine doit tre comprise lavenircomme moment interne de ce croire qui se manifeste dans une vie sculire,vcue avec droiture et sans rserve ; lthique fait donc partie de la mystique parce que Dieu aime le monde et le gracie sans tre son concurrent jaloux3.

    Cest prcisment lendroit o les deux pronostics de Nietzsche et deRahner se rencontrent et sopposent que je voudrais introduire lexprience dumatre intrieur , consigne par saint Augustin dans son De magistro quisorganise partir du clbre conseil de Jsus laiss ses disciples : Ne vousfaites pas appeler matre : car vous navez quun seul matre et vous tes tousfrres. La rfrence saintAugustin se justifie aisment dans ce cahier quandon considre le tournant anthropocentrique quil inaugure dans lhistoire de lamystique chrtienne. Elle simpose davantage encore quand on pense que latransformation de la relation entre matre et disciple, voire son intriorisationradicale, est ce qui dtermine simultanment la forme de lexprience mystiqueet celle dune conscience thique mise sur la voie de lautonomie.

    Lexpression augustinienne qui dloge le matre et le place lintrieur dusujet est en fait paradoxale : elle fait pressentir, comme dailleurs la consignemme de Jsus, que lexprience chrtienne dborde le paradigme traditionneldu matre et du disciple, ne se laissant pas entirement retraduire en termedenseignement ou de pdagogie. Les Lumires europennes lont pourtantessay, la suite dun Clment dAlexandrie 4 ; la clbre ouverture deLducation du genre humain (1780) de G. Ephr. Lessing en est un bon tmoin : La rvlation est au genre humain ce que lducation est lindividu.Lducation est la forme de rvlation qui est donne lindividu ; la rvlationest la forme dducation qui a t donne au genre humain et qui continue ltre. La rplique de la thologie catholique des XIXe et XXe sicles se situegrosso modo sur le mme registre ducatif : elle raffirme seulement la clturede la Rvlation, comprise comme corpus de vrits qui a t confi lgliseenseignante (mater et magistra) pour quelle instruise lhumanit. Dans lepremier cas, celui de Lessing, la rvlation continue, grce au travail de lEspritducateur dans lhistoire occidentale de lmancipation : la thologie librale

    2. K. Rahner, Frmmigkeit frher und heute, dans SchriftenVII, Benziger, Einsiedeln, Zurich,Cologne, 1966, 22.

    3. Ibid., 24sv ; Rahner ne parle pas ici d thique mais de vie sculire et de service dumonde (weltliches Leben und Dienst an der Welt).

    4. Cf. lintroduction de H.-I. Marrou au Pdagogue de Clment dAlexandrie (SC 70, 7-11) :le Pdagogue constitue le second volet dun triptyque consacr dcrire luvre du Verbe divindans la vie du chrtien ; il est prcd par le Protreptique et suivi par le Didaskalos.

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    finit par la rduire son noyau thique, justifiant ainsi le diagnostic dunNietzsche qui observe la moralisation progressive du christianisme. Dans ledeuxime cas, la rvlation est close, ne laissant lEsprit que la fonctiondassister lglise enseignante dans sa charge de rpter et de ractua-liser lorigine christique, une fois pour toutes pose : en dfendant sa formedogmatique, le catholicisme tente dchapper la ruine, annonce par lauteurde la Gnalogie de la morale.

    Mon hypothse est que nous souffrons, certes, dune opposition grandissanteentre une conception dogmatique et une interprtation moralisante de la foichrtienne, mais sans nous apercevoir quel point le style ou la forme derelation en glise ou entre chrtiens et autres croyants, supposs par ces deuxfigures, sont radicalement inadquats. Comme si nous tions frapps dunesorte de surdit sculaire, individuelle et collective, par rapport la consignede Jsus, interdisant dappeler quelquun sur terre matre , pre oudocteur . Ne faut-il pas sinterroger aujourdhui, dans le champ chrtien, surles limites du paradigme de lenseignement et du matre ? Cest prcisment ceque Rahner a fait, dans sa confrence de 1966, en dplaant le centre de gravitdu mystre chrtien de la pd-agogie vers la myst-agogie, sans abandonner,bien sr, son mtier denseignant : Nous avons besoin dune mystagogie, dit-il, qui nous initie lexprience religieuse dont tant de gens disent quils nepeuvent la dcouvrir en eux-mmes ; une mystagogie, prcise-t-il encore, quilfaut transmettre de telle manire que chacun puisse devenir son propre mysta-gogue. Il va de soi que ce tournant historique et mystique de la foi qui insistesur llment de lEsprit croire dans llment de lEsprit touche lco-nomie mme de la Rvlation et exige quon repense la fonction que noscritures donnent au Pneuma hagion.

    Je partirai donc, dans un premier temps, de lexprience augustinienne dumatre intrieur , en relisant ce texte partir du dplacement que je viensdvoquer linstant ; je reviendrai ensuite trs brivement au diagnostic dumoment prsent de la foi dans nos socits europennes, qui tait au dpart dema relecture du De magistro, avant de proposer, partir de ce point critique,quelques jalons de la mystagogie tant rclame par Rahner, il y a trente ans dj.Il sagira de dvelopper quelques critres pour reconnatre de lintrieur mmede la tradition chrtienne lauthenticit dune exprience mystique, tout enhonorant son caractre multiforme, infiniment plus diversifi en tout cas quele laissent souponner les frontires du christianisme institu.

    1 LE DE MAGISTRO DE SAINTAUGUSTIN

    Il faut un enseignant aussi expriment que saint Augustin pour penser,comme il le fait, les enjeux de son mtier : Votre charit le sait , disait-il unjour aux auditeurs de ses sermons, nous navons tous quun seul Matre et,

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    sous son autorit, nous sommes des condisciples. Nous ne sommes pas vosmatres parce que nous vous parlons du haut dune estrade ; mais le matre detous est celui qui habite en nous tous . 5 Cest l le sujet de son dialogue avecson propre fils Adodat, mort environ en 390 et prsent dans ce mmorialquAugustin lui a dress dans le De magistro, publi probablement peu aprs.

    Le texte du dialogueCe texte nest pas un dialogue sur limpossibilit du dialogue, pas plus que

    sur limpossibilit de lenseignement, mais sur leurs conditions de possibilit ,dit G. Madec, qui a mieux fait apparatre le plan de louvrage et la structurecirculaire de son argumentation6. Il montre comment lexpos trange de sathorie du signe et du langage sert Augustin pour mettre lesprit de son inter-locuteur en condition de comprendre la thse du matre intrieur : aprs avoirfait dire Adodat que le but du langage est denseigner, il lamne admettreque rien ne senseigne sans signes ; mais cest pour sappliquer ensuite luidmontrer que les signes nenseignent rien. Le langage est donc rduit samatrialit pure, pour faire ressortir, en ce point extrme dextriorit, lint-riorit et la profondeur de lesprit : Jai appris ainsi Adodat conclut-il cetentretien avec son pre par lavertissement (admonitio) de tes paroles que lesmots ne font quavertir lhomme pour apprendre, et quil y a trs peu de chancesque le langage rvle quelque chose de la pense de celui qui parle ; mais lavrit de ce qui est dit, celui-l seul nous lenseigne qui, lorsquil parlait lextrieur, nous a averti quil habite lintrieur ; et dsormais, sa grce aidant,je laimerai avec dautant plus dardeur que je ferai plus de progrs enapprenant (14, 46). Le schma de communication dAugustin est doncdemble triangulaire : il ny a de communication entre les esprits et doncenseignement que par leur union pralable (transcendantale, dirait Rahner) la Vrit, au Verbe, dont la prsence illuminatrice est constitutive de toutesprit cr.

    Sarrter l serait cependant se priver de la pointe du dialogue.Augustin est,comme Jsus lui-mme, persuad de lambigut fondamentale de la relationmatre-disciple : le seul matre de tous est au ciel (14, 46). Or, il veutcomprendre de lintrieur ce que ce prcepte de Jsus lui donne croire, endpassant la particularit de cette parole. Do son trs long dveloppementanthropologique sur le langage, qui sinspire probablement de Plotin et de

    5. Augustin, Sermo 134, 1, 1 (dans PL 38, 72sv) ; cf. aussi son Commentaire de la premireptre de Jean III, 13 o il relie le thme de lonction (Esprit) et celui du Matre intrieur : Etvous navez pas besoin quon vous enseigne, parce que son onction vous enseigne sur touteschoses (1 Jn 2, 22). Que faisons-nous donc, mes frres, en vous enseignant ? Si son onction vousenseigne sur toutes choses, nous travaillons comme en pure perte ! (...) Il y a l, mes frres, ungrand mystre mditer : le son de nos paroles frappe vos oreilles, le Matre est au-dedans (SC 75, 208-213 ; nous remercions G. Madec pour cette indication).

    6. Augustin, De magistro, dans BA 6, DDB, Paris, 1976, 33.

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  • CHRISTOPH THEOBALD LEXPRIENCE DU MATRE INTRIEUR 79

    Porphyre, pour mettre en valeur lnigme dune communication avec son filset dune transmission pourtant russie au cur mme des limites structurellesde communicabilit et de transmissibilit : peut-on enseigner lamour ardent ?

    Sans craindre trop lanachronisme, jvoque ici, en passant, la lecture faitepar le P. Beirnaert de cet autre dialogue qui se noue, dans la spiritualitignatienne, entre lexercitant et celui qui donne les Exercices, avec la conscienceaigu de quelque chose dintransmissible, qui est tout entier rpter par lesujet dans la discontinuit et la coupure davec tout ce qui est transmis 7 .

    Lacharnement, dit Beirnaert, insister (...) sur lexercice des facultsnaturelles, qui semblent ne laisser aucun espace la grce, ouvre, par sonchec mme, la place vide o le processus pourra avoir lieu, sans jamais avoirt propos comme un objectif au vouloir.

    Quelque chose danaloge se joue en effet dans la stratgie dargumentationdAugustin qui conduit Adodat au point critique dune extriorit complteentre la matrialit des mots ou des signes utiliss et les penses (les signesnenseignent rien, dit-il), rendant ainsi possible rien de plus, rien de moins la reconnaissance intrieure du vrai ; extriorit trange cependant, nos yeuxde modernes, parce quelle va jusqu sparer la pense et le sujet qui lexpose : Les matres font-ils profession de faire percevoir et retenir leurs proprespenses, et non pas les disciplines quils pensent transmettre en parlant ? Etqui est donc aussi sottement curieux quil envoie son fils lcole pourapprendre ce que le matre pense ? Mais lorsque les matres ont expos par lesmots toutes ces disciplines quils font profession denseigner, y compris cellede la vertu et de la sagesse, alors ceux que lon appelle des disciples examinenten eux-mmes si ce qui a t dit est vrai, en regardant (en intuitionnant), celava de soi, la Vrit intrieure selon leur force (interiorem illam Veritatem proviribus intuentes).Cest alors quils apprennent (14, 45). Les choses se passentcomme si la Vrit restait ici dans une extriorit ou une distance imperson-nelle, tout en, tant, bien sr, intrieure au sujet et adapte mme la mesurede ses forces.

    Le regard au-dessus de lenclosJe reviendrai la fin de mon parcours au problme spculatif qui se

    pose ici. Ajoutons pour le moment que ce rgime dextriorit du langageet des signes est li, chez Augustin, ltat de pch. Non pas que lextrieurou le sensible soient mauvais (il a bien videmment quitt le manichisme) ;mais ils sont de fait le lieu dun asservissement, dune superbe (superbia),qui a laiss comme des squelles dans la structure du langage. Ils peuventtoujours jouer le rle davertissement (admonitio) dun passage effectuer.Mais il faudra attendre que lunique vrai Matre, la Vrit incorruptible, le seul

    7. L. Beirnaert, Aux frontires de lacte analytique. La Bible, saint Ignace Freud et Lacan,Paris, Seuil, 1987, 237.

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  • 80 TOPIQUE

    matre intrieur se soit fait extrieur pour nous rappeler de lextrieur lintrieur8.

    Pour nous autres modernes, cette extriorit dualisante se dresse l, devantnous, comme un mur qui empche notre comprhension. Et pourtantAugustinlui-mme ne cesse de regarder au-dessus de lenclos dans le jardin apparemmentinaccessible du paradis (ltat ante-lapsaire, comme on disait autrefois). Auparadis, avant le pch, Dieu irriguait lhomme par une source intrieure, parlantimmdiatement son intelligence : et ainsi lme humaine ne recevait pas lesparoles de lextrieur comme une pluie tombant de nuages, mais elle taitrassasie de sa propre source, cest--dire de la vrit rpandue dans sonintrieur 9 . Vision paradisiaque, certes, mais surtout prophtique ou utopique ;Augustin le sait quand il renvoie ici la source intrieure qui jaillit pour la vieternelle dont nous parle le Christ johannique (Jn 4, 14). Mais, dans son Demagistro, prend-il toute la mesure de cette prophtie accomplie ? Il est en effetdifficile de comprendre la consigne de Jsus, de nappeler personne sur terrematre, sans se rfrer la prophtie de Jrmie : Ils ne sinstruiront plus entrecompagnons, entre frres, rptant : Apprenez connatre le Seigneur ; car ilsme connatront tous, du plus petit au plus grand (Jr 31, 3 1-34) ; texte maintesfois repris par le Nouveau Testament (et dans lptre aux Hbreux par exemple),souvent dans un contexte pneumatologique.

    Une alternative se prsente ici qui reste comme enveloppe dune indter-mination dans le discours dAugustin : selon le choix qui sera fait par lhistoire,laxe thologique se dplacera.

    Une alternativeVa-t-on se fixer sur ltat de pch qui a laiss ses squelles dans lextriorit

    du langage et qui se manifeste dans lambivalente capacit des matres de cemonde sduire leurs disciples ? On leur opposera le seul magistre vritable,celui de lglise, institu par le Christ lui-mme comme instance davertis-sement (admonitio) ? Pouss par les dbats sur la grce et dinterminablesconflits christologiques, on en viendra alors insensiblement concevoir lafonction du magisterium comme garant de lunicit du Christ 10. ce titre, ilsopposera de plus en plus tous ceux, spirituels ou mystiques, qui abolissentet accomplissent cette extriorit objective en faisant lexprience dtredevenus eux-mmes dautres Christs. Et puisque ce jeu dopposition se drouletoujours sur le plan de lextriorit objective (le forum externum, comme on diraplus tard), conteste par certains et rinvestie encore plus fermement par ledroit ecclsial, on arrivera finalement rduire lenseignement linstruction,

    8. Contra epistulam Fundamenti, 36, 41, dans BA 17, 492sv.9. Augustin, De Genesi contra manichaeos, II, 4, 5-5, 6 (dans PL 34, 198sv).10. Cf. C. Theobald, Lptre aux Hbreux dans la thologie de la foi de saint Thomas au

    Concile Vatican I, dans Ch. Reynier et B. Sesbo (d.), Comme une ancre jete vers lavenir .Regards sur lptre aux Hbreux,Mdiasvres, Paris, 1995, pp. 19-35.

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  • CHRISTOPH THEOBALD LEXPRIENCE DU MATRE INTRIEUR 81

    cest--dire une communication de vrits surnaturelles, inaccessibles laraison, par le canal de lenseignement de lglise, porte-parole de la Vritincre dun Dieu qui exige soumission plnire de notre raison cre (on aurareconnu les affirmations majeures du Concile Vatican I).

    Une autre lecture du De magistro nous reconduit vers lcriture : elle partnon de lapproche linguistique mais de la fin du texte, du prcepte de Jsus dansles synoptiques, rservant le titre de matre lUnique, et de leffacement desmatres au profit de lexprience absolument singulire du matre intrieur .La question thologique est alors celle de comprendre ce passage du Christ,docteur, en chacun, de ce Christ dont Eph 3, 16-17 (cit au dbut et la fin duDe magistro, 2 et 38) dit quil habite dans lhomme intrieur . Peut-treAugustin, soucieux de sauvegarder limpersonnelle objectivit duVerbe illumi-nateur de tout homme, narrive-t-il pas penser rellement lengendrementdune multiplicit duniques par lunique Matre. Or, cest prcisment dans ladisparition de lunique Matre, condition pour que son identit passe lamultitude, que le Nouveau Testament situe le travail du Pneuma. Ce passagesuppose bien des matres ou pdagogues et des disciples ; jamais pourtantlenseignement, et encore moins linstruction, ne peuvent assurer laccs cetteexprience qui est toujours de lordre dune rvlation : ses yeux souvrirent , il sortit du rve , crit saint Ignace dans son Rcit, tout en reconnaissant queDieu se comportait avec lui de la mme manire quun matre dcole secomporte avec un enfant : il lenseignait 11 . Le paradigme de la pdagogie oude lenseignement est comme travers et transform par celui de lilluminationou de la dcouverte partir de soi-mme et de sa propre source . Cest prci-sment ce que Rahner dsigne par le terme de mystagogie.

    Il est vident que lcriture, dans sa diversit, se situe plutt du ct decette deuxime branche de lalternative. Certes, elle ne connat pas lexpressiondu matre intrieur ; mais on y trouve lquivalent avec des diffrencesdaccents entre la thologie paulinienne et la thologie johannique, qui ont tdans la suite trop vite harmonises. La thologie paulinienne parle du Christen nous . Paradoxalement, on vrifie que le Christ habite dans laptre, quandil se communique la communaut : Puisque vous voulez la preuve, leur ditPaul, que le Christ parle en moi... prouvez vous-mmes ! Ou bien ne recon-naissez-vous pas que Jsus Christ est en vous ? (2 Co 13). partir delexprience de Damas, rvlation du Fils en Paul (Ga 1, 15s), le Pneuma sedfinit comme passage du Christ en nous : Dieu a envoy dans nos curslEsprit de son fils, qui crie : Abba Pre (Ga 4, 6). La thologie johannique,moins christocentre que celle de Paul, accentuera davantage laspect de laconnaissance et denseignement : le Paraclet, lesprit de vrit auprs de vouset en vous, vous enseignera la vrit tout entire (Jn 14, 15sv). Le lien entrelEsprit et le Christ se dtend ; celui-ci doit sen aller pour que le Paraclet

    11. Ignace de Loyola, Rcit. 25 et 27, dans crits DDB, Paris, 1991,1032sv.

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    puisse venir et prendre son profil de nouveaut et toute sa mesure dans lacommunaut du disciple bien-aim, comme on a dit rcemment. Dans cetteperspective, le pre Congar a raison dappeler le Pneuma co-instituant delglise , mme si cette expression risque daffaiblir quelque peu la forcecritique que cet Esprit doit exercer au sein de lglise.

    2 DIAGNOSTIC

    Devant cet arrire-plan de lalternative qui vient dtre expos, je voudraismaintenant revenir mon hypothse qui lie le diagnostic de Nietzsche observantla moralisation progressive du christianisme ou lactuelle redogmatisation une sorte de surdit collective propos de la consigne de Jsus interdisantdappeler quelquun sur terre matre, pre ou docteur.

    Ce que je considre comme pathologique dans le christianisme actueltient moins au contenu de lenseignement ecclsial qu sa forme, cest--dire la manire dexercer un magistre qui ne sait pas sauto-limiter pour faireconfiance au matre intrieur qui habite dj chaque fidle, voire tout trehumain. Comme je lai suggr dans la premire partie, cette absence deconfiance a des raisons doctrinales. Elle sappuie en dernire instance sur undiagnostic de la condition humaine, radicalement fragilise par le pch etsoumise de multiples matres auxquels il faudrait opposer le seul vritablemagisterium. Depuis Lon XIII, lglise met toute son nergie dnoncer ladisparition de la conscience du pch dans une socit permissive et hdoniste.Mais est-ce vraiment la passion dbride (et donc contrler) qui caractriselhomme contemporain ? Nest-il pas plutt marqu par langoisse et par unesorte de retrait face des puissances qui menacent son identit et son sens durel ? Nattend-il pas alors de lglise tout autre chose quune prdicationmorale ? Le soupon le plus grave porte donc sur la capacit de lglise prendre la mesure de lactuelle conditio humana.

    Pour donner un peu de chair ce diagnostic global, je me rfre ici auxanalyses de E. Biser (successeur de Guardini et de Rahner dans la chaire devision chrtienne du monde et philosophie de la religion Munich)12. Parmitoutes les analyses de la situation spirituelle de lEurope, cest la sienne qui meparat la plus sereine. Elle part de lrosion progressive de lespace symbo-lique de la foi (de lunivers des mystres) par le scularisme. En mme temps,cette rosion provoque, chez les croyants, une sorte de paralysie du langage lie des problmes dramatiques de communication dans lespace ecclsial et labsence de confiance foncire, que Biser appelle aussi hrsie motion-nelle . Elle installe enfin au cur de lhomme l prcisment o quelquesthologiens (comme Rahner par exemple) ont os concentrer le mystre chrtien

    12. Cf. E. Biser,Glaubensprognose. Orientierung in postskularistischer Zeit, Styria, Graz,Vienne-Cologne, 1991 (cf. notre compte rendu dans RSR 81/2 1994, pp. 290-294).

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    en appelant lexprience mystique de lautocommunication de Dieu unedifficult durable se concentrer, une faiblesse qui rend incapable de prfrerla force personnalisante du Dieu de la rsurrection des reprsentations molleset impersonnelles, comme lide de rincarnation.

    Le diagnostic de Biser nous intresse ici parce quil relie intimement cequil peroit de la condition humaine, savoir un certain espoir de trouver dansla foi racine et asile pour lexistence, et ce quil critique dans une maniredexercer la responsabilit apostolique qui frustre prcisment cette attente.Do, selon lui, une irritation gnralise, aggrave encore par ce quilappelle un schisme vertical qui dfait progressivement les liens entre la ttede lglise et sa base. La consquence en est que beaucoup de croyants, ne sesentant plus entendus ni compris, sont exposs une trivialisation de la foi, de nouveaux fondamentalismes et des phnomnes pseudo-religieux pourcombler un vide spirituel de plus en plus bant.

    Dans cette recherche pour mieux percevoir notre situation spirituelle, etquittant ici le diagnostic de Biser, je soulignerais pour ma part le caractrestructurellement incertain de nos socits modernes. La multi-appartenancedes sujets, impose par la mobilit sociale, est devenue rgle gnrale.Simultanment, ils subissent une exprience temporelle de plus en plus clate.Sajoute cela une prodigieuse pression, exerce sur les consciences, par lastandardisation des styles de vie. Lconomie les a introduits dans un rgimeimpitoyable de comparaison et de comptition, qui risque de dtruire, lalongue, nos identits humaines. Mais ce qui peut produire la mort des sujets peutaussi susciter une sorte de soubresaut : cela nous permet de souligner le caractremiraculeux de toute existence humaine. Je veux dire par l : le fait quequelquun tienne debout dans la contingence de son existence na rien de naturel et ne relve daucune vidence ; il suscite juste titre notreadmiration.

    Nous touchons l, me semble-t-il, au point critique o un tournant de lafoi est dj en train de se produire : lmergence dune conception mystiquede la foi qui exige un exercice de lenseignement entirement fond sur laconfiance faite au matre intrieur au cur de tout sujet.

    3 UN ITINRAIRE

    Nous voil au seuil de litinraire dont je voudrais indiquer quelquesjalons, me laissant guider par deux perspectives convergentes : dabord lesouhait de K. Rahner, rappel tout au dbut, dune mystagogie quil faut trans-mettre de telle manire que chacun puisse devenir son propre mystagogue ;ensuite la logique des rcits vangliques qui ne racontent pas seulementlitinraire de Jsus, mais ce quil devient en et pour ceux et celles qui croisentson chemin. Il y a l comme un double dfi sortir dune fausse objectivit,quelle soit historicisante, moralisante, cultuelle ou doctrinale. Depuis le Jsus

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    de Bultmann (1926) nous sommes en effet convaincus quon ne peut passaffronter correctement lhistoire, ces rcits vangliques en particulier,sans se laisser affecter par elle. ce respect mthodologique de ce quon aappel, en terme technique, cercle hermneutique (dj en uvre dansles textes eux-mmes) sajoute pour ma part la conviction doctrinale quilfaut aussi sortir la figure de Jsus de sa distance seigneuriale (tant mise enavant par la christologie encore rcente des titres glorieux). Cest cettecondition quaujourdhui pourra se produire une rencontre qui respecte laprogressivit des rcits : ce quil devient en et pour ceux et celles qui croisentson chemin ; cette formule qui insiste sur un passage , une passation ouun transiter fait pressentir en effet o se situe en rgime chrtien la fonctiondu Pneuma.

    GurisonAu point de dpart de cet itinraire, lexprience de gurison ; les rcits

    vangliques ne laissent aucun doute sur ce point. Les pisodes en questionnous livrent aisment leur logique : il sagit, chaque fois, de sortir de la fouleanonyme ou indiffrencie et de passer ainsi, si je puis dire, le seuil de lint-riorit, espace o le sujet est subitement confront sa propre unicitincomparable. Sans simplifier outre mesure leur richesse tonnante, toutes cesscnes nous prsentent des gurisons de la peur dtre ; elles convient le lecteur une communication de ce que Tillich a dsign par le terme de couragedtre , et qui se manifeste dans la position de celui qui dsormais se tientdebout devant lautre : gurison et unicit reconnue sidentifient dans cettenouvelle posture.

    Certes, ces expriences sont souvent greffes sur des situations dexclusionsociale ou de maladie ; elles touchent aussi les zones de la culpabilit humaine,accordant au bnficiaire la joie de la rconciliation. Mais la gurison rponden dernire instance une ncessit (Not-wendigkeit) plus fondamentale,souvent recouverte par une tradition moralisante, savoir lidentit et le pouvoirdtre des sujets. Matthieu les a admirablement fixs dans ces mtaphores,empruntes Isae et revivifies au contact de la figure de Jsus : Lui ne brisepas le roseau froiss, il nteint pas la mche qui fume encore, jusqu ce quilait conduit le droit sa victoire (Mt 12, 20).

    Peut-tre faut-il entendre dans toutes ces scnes de rencontres, la lisirede la masse humaine, lappel une dmesure proprement divine . Devenirunique face autrui, nest-ce pas proprement parler devenir commeDieu lui-mme ? La perspective de cette dmesure dintriorit pourraitfaire peur au sujet et le provoquer reculer dans lindistinction, mais, dansla rencontre, elle est subitement dcouverte comme tant sa mesure .La limite entre mesure et dmesure est en effet si incroyablementmobile quelle ne cesse de tarauder nos consciences balances commedes roseaux dans le vent. Habitus des frontires prcises, nous voudrionsfixer aussi celle-l, une fois pour toutes ; en comparant nos mesures, en

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    lgifrant sur la bonne mesure, la massification et la production de multiplesstandards et de modes de vie sur mesure faisant le reste. Jamais pourtantla dmesure de lun ne sera la mesure de lautre. La gurison consisteprcisment dans la traverse heureuse de toutes ces rsistances dralisantes ;elle est le dbut dune dcouverte de Dieu comme manifestation gracieusede sa dmesure la mesure de tant et de tant de mesures humaines, devenuestoutes, de ce fait, incomparables : et cest cette dcouverte-l que Jsus appelle foi .

    Au cur de cette premire tape, un mot cl : dynamis. Cette force, quipasse de lun lautre Jsus saperut quune force tait sortie de lui (Mc 5, 30) , indique bien la premire fonction du pneuma, la plus lmentaire, savoir la manifestation dune puissance dexister (dune foi qui transporteles montagnes, en termes bibliques). Grce un change de gestes de puissance(dynameis), qui constituent chacun en son unicit, cest une force absolumentsingulire qui merge : elle nest rien dautre que ma capacit tenir debout aubord dune dmesure ma mesure.

    galit...Quand il se produit, lvnement dune telle gurison remplit tout lespace

    exprimental dun sujet. Mais, parvenu ce point, un changement de perspectivepeut soprer, inaugurant une nouvelle tape sur litinraire mystagogique.Certes, la gurison cache dabord la personne de celui qui gurit, mme si enralit celle-ci na t possible que parce que sa prsence est la gurison. Cestce cache-cache, si je puis dire, qui fait la force des pisodes vangliques ; il ya dans cette identit entre laide apporte et celui qui lapporte comme unpassage possible qui dynamise les rcits : prouver la prsence bienfaisante delautre peut conduire au dsir de le connatre et de connatre ce qui lhabite. Onpasse ds lors de la relation asymtrique de gurison au rapport symtriquede compagnonnage ou damiti. Le quatrime vangile dit la chose avec forceet prcision : Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur reste danslignorance de ce que fait son matre (kyrios) ; je vous appelle amis (philoi),parce que tout ce que jai entendu auprs de mon Pre, je vous lai faitconnatre (Jn 15, 15).

    Lgalit ou la mutualit de lamiti, vise ici et dans le contexteplus large des discours dadieu, reste cependant menace par la violenceque les critures approchent de multiples manires. Elle est plus ou moinssubtile et peut en effet parcourir tous les registres : de la simple influencejusquau meurtre ou lhumiliation dautrui ; elle nopre pas seulement ausein de nos relations interpersonnelles mais traverse aussi nos institutions,quelles quelles soient dailleurs, au sens o elles sont la fois le champ oelle se manifeste et le moyen de la rguler. Les normes morales et leursgarants (matres, docteurs ou pres... ) tirent de cette situation histo-rique dune violence de fait leur lgitimit. Ce nest pas le lieu dentrer dansle monde complexe des thiques et danalyser la mise en place de normes,

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    voire dinstances institutionnelles13. Il suffit de signaler une alternative, dcisivepour notre sujet : si la violence exige en effet lintervention de la norme et deses reprsentants, ces derniers enseignent et imposent-ils simplement un ordreextrieur, ou sont-ils ports par lespoir que la gestion des invitables conflitspuisse faire appel lautonomie des consciences et au sens thique des groupeshumains ou socits ? Et quel prix sont-ils prts payer pour rendre crdibleleur invitation ?

    Cest ce type de question que sintressent les rcits bibliques.Aprs avoircritiqu ceux qui se disent matre , pre ou docteur , Matthieu essaie,au sein mme dune vision hirarchique des relations, de redresser la barre, enallant dans le sens oppos : Le plus grand parmi vous sera votre serviteur ;quiconque slvera sera abaiss, et quiconque sabaissera sera lev (Mt 23, 11). Il nest pas sr que ce verset ait la mme force utopique que le texte,cit plus haut, qui mane de la communaut johannique. Ayant travers tout leregistre hirarchique, celle-ci le quitte ; peut-tre parce quelle prsente lextra-ordinaire ambigut dune asymtrie renverse qui peut basculer, tout moment,en fausse humilit, ou encore parce quelle est comme attire par une tout autremtaphore : celle de lamiti qui la conduit par le Cantique des cantiques verslenclos du jardin dont il tait dj question chez Augustin.

    Pour mieux saisir la logique de cette deuxime tape, essentiellementthique, de litinraire mystagogique, je vais me servir dun texte de PhilondAlexandrie, tir de son traitDe somniis, sur les rves, magnifique commen-taire dun certain nombre de songes consigns dans le premier Testament. Cestlimage de la balance, dj prsente dans ce que je viens de dire, qui nouspermettra de nous souvenir de la premire tape et dengager peut-tre lasuivante : Tous les amis de Dieu (thophileis), crit-il, sappliquent chapperau tourbillon des affaires constamment bouleverses par lagitation des flots,pour se mettre au mouillage dans les ports calmes et srs. Ne vois-tu pas,comme il est dit dAbraham le sage, quil se tient debout en face du Seigneur(Gn 18, 22) ? En effet, quand est-il normal pour lintelligence de pouvoir se tenirdebout sans plus osciller comme sur une balance, sinon lorsquelle est en facede Dieu, regardant et regard (horosa te kai horomn) ? Car alors son quilibrevient de deux choses : de ce quelle regarde lIncomparable et de ce fait nestpas tire en sens contraire par des ralits semblables elle, et de ce quelle estregarde, parce que lme que le Matre a juge digne de Son regard, il la luepour sa seule excellence, Lui-mme14.

    Nous touchons ici la deuxime fonction du pneuma, la krisis ou lejugement, parfaitement adapt aux mtaphores du tourbillon et de la balance.

    13. La formule de P. Ricur vise de 1a vie bonne avec et pour autrui dans des insti-tutions justes (Soi-mme comme un autre, Paris, Seuil, 1990, p. 202) peut suggrer ce mondecomplexe.

    14. Philon dAlexandrie, De somniis II, dans Les uvres de Philon dAlexandrie 19, Paris,Le Cerf, 1962, 226s.

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    Le mensonge (que nous avons dj rencontr dans le diagnostic deNietzsche) rside dans lindiffrenciation de la foule ; mais, daprs les rcitsvangliques, il sinsinue aussi dans la communaut des compagnons ou amis,voire les institutions humaines par le biais de lambition hirarchique. Lejugement fait alors sortir du tourbillon chaotique, non pas en imposant un ordremoral extrieur, mais en laissant jouer la balance, jusqu ce quadviennelIncomparable qui cre le repos dans le mouvement et lgalit ou la mutualitentre uniques. Son champ privilgi est lhistoire spirituelle des individus Philon voque la figure dAbraham le sage qui se tient debout en face duSeigneur ; mais il nest pas impossible de relire litinraire de groupes, desocits entires ou de mouvements, comme par exemple lhistoire de lcu-mnisme ou des rencontres interreligieuses, sous langle dun jugementthico-spirituel : le simple fait de la rencontre, rendue possible, voire ncessairepar ltat prsent de lhumanit, remet lidentit de chacun des partenaires enjeu ; la balance recommence bouger. Pour combien de temps ? Personne nele sait ; mais on ne voit pas dautre issue que la victoire, sur une violencetoujours renaissante, par la reconnaissance dautrui pour sa seule excellence .

    Regardant, regard...Se tenir debout en face de Dieu, regardant et regard ; cette formule

    tonnante nous introduit dans la dernire tape de litinraire mystique. Leregard est en effet un thme tout fait central dans les critures quon pourraitfacilement suivre travers les rcits vangliques, jusque dans le clbre pisodedu jeune homme riche, regard avec amour par un Jsus qui ne refuse passeulement le titre BonMatre mais suggre en mme temps, dans sa rponse ses disciples, que le regard damour appartient celui qui seul est bon etqui peut tout (Mc 10, 17-31). Le thme revient aussi sous la plume de laptrePaul ; il linscrit dans un mouvement dinversion qui aura une trs grandepostrit spirituelle et thologique : prsent nous voyons dans un miroir etde faon confuse, chante-t-il dans son hymne, mais alors, ce sera face face. prsent, ma connaissance est limite, alors je connatrai comme je suis connu(1 Co 13, 12). Une partie de la tradition soulignera la distance eschatologiquequi sexprime ici : saint Anselme, par exemple, qui entame comme une plainteaprs avoir dvelopp son argument ontologique : Que tu es loign de monregard, de moi qui suis si prsent ton regard !15 Un autre courant, Nicolasde Cues par exemple dans son De visione Dei 16, insistera plutt sur la conci-dence absolue entre le regard de lhomme et le regard mme du Pre.

    Comment accder cette exprience, apparemment incommunicable, duneimmanence rciproque ? Les critures nous livrent ici la mtaphore du miroir,

    15. S. Anselme, Proslogion, XVI, dans Luvre de S. Anselme de Cantorbery I (d.M. Corbin), Paris, Le Cerf, 1986, p. 268sv.

    16. Nicolas de Cues, Le Tableau ou la vision de Dieu, V, Paris, Le Cerf, 1986, p. 39sv.

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    dj rencontre dans la premire lettre aux Corinthiens. On la trouve pour lapremire fois dans la littrature sapientielle qui comprend lnigmatique sagessede vie des humains comme miroir de Dieu : La sagesse est un reflet de lalumire ternelle, un miroir sans tche de lactivit de Dieu et une image de sabont. Comme elle est unique, elle peut tout : demeurant en elle-mme, ellerenouvelle lunivers et, au long des ges, elle passe dans les mes saintes pourformer des amis de Dieu et des prophtes (Sg 7, 26s). la hauteur du NouveauTestament, lexprience sapientielle de Dieu intgre subitement lunicit deceux qui y accdent et la communiquent ; je lai dj not. Dun ct, ceux quirencontrent la figure de Jsus sont amens reconnatre en lui lUnique, lasagesse : il est devenu pour nous sagesse de Dieu , proclame la lettre auxCorinthiens (1 Co 1, 30). En lui, ajoute Colossiens, sont cachs tous les trsorsde la sagesse et de la connaissance (Col 2, 3). Mais, de lautre ct et dunmme mouvement, seul son effacement permet laccs dune multitude lamme exprience chaque fois unique. Dans la deuxime lettre aux Corinthiens,reprenant encore une fois la mtaphore du miroir, laptre Paul conclut ainsilitinraire : Nous tous, le visage dvoil, nous refltons linstar dun miroirla gloire du Seigneur (2 Co 3, 18).

    Cest peut-tre dans ces versets que nous retrouvons, en termes bibliques,lexprience vise par Augustin quand il parle du matre intrieur . Cetteexprience sous-tendait en fait lensemble des trois tapes du parcours mystico-thique vers lautonomie intrieure : celui qui gurit devient progressivementlami et, finalement, le matre intrieur , qui nest plus ni intrieur ni extrieur,parce quil sest pour ainsi dire multipli en disparaissant, ayant form,comme dit le livre de la Sagesse, une multitude damis de Dieu et de prophtes .Que cette formation enlve progressivement toute garantie et tout appuiextrieurs ceux qui se dcouvrent ainsi debout , pour les livrer la myst-rieuse relation entre une multitude duniques, cela aussi ressort de ce quiprcde.

    Au centre de cette dernire tape se trouve une troisime fonction dupneuma, que je dsigne par le terme de rflexivit , en pensant la mtaphoredu miroir : le livret des Exercices propose au retraitant de ... rflchir en soi-mme. En se rfrant la deuxime lettre aux Corinthiens (3, 18), on pourraitparler aussi de la fonction de transfiguration (metamorphsis), tant choye,depuis Simon le thologien, par les orthodoxes. Elle suppose bien videmmentla disparition du miroir, pour que limmanence de Dieu puisse tre ralisedans lapparition dun immense rseau de relations entre uniques. Avec cettetroisime fonction, le sujet arrive vraiment au bout du parcours : il a laisstotalement advenir en lui-mme son origine, dmesure divine sa mesure.Dsormais, cette force de vie qui le constitue unique en relation avec dautresuniques le fait tenir en lui-mme, bien quil reste travaill de lintrieur par lalimite critique dune dmesure qui dborde jamais sa propre mesure. Peut-tre la difficult spculative prouve, au contact du De magistro de saintAugustin, vient-elle du fait quil maintient une extriorit ultime entre le Verbe

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  • CHRISTOPH THEOBALD LEXPRIENCE DU MATRE INTRIEUR 89

    et la pense propre des sujets, du matre et du disciple. Or, cest leffacementmme du Verbe qui les constitue, chacun, dans la singularit absolue de sapropre rflexion .

    Tout en dployant lexprience du matre intrieur, jai voulu indiquerquelques critres, permettant de reconnatre de lintrieur mme de la traditionchrtienne lauthenticit dune exprience mystique. Ltablissement de cescritres relve bien videmment de la pneumatologie. Pour ma part, jai surtoutinsist sur la fonction de lEsprit : lEsprit oprateur exerant la fonction depassage ou de passation dans ladvenir faut-il parler de lengendrement ? dune relation qui constitue chacun comme unique : chose difficile penser,comme le montrent les mandres du De magistro. Il me semble quavec lescritures et notamment les vangiles, il faut dcliner cette fonction de passagedu pneuma, en passant de lexcs ou de la dmesure dune dynamis, par unekrisis dordre thique, vers un certain type de rflexivit . Il serait tentant derduire lexprience mystique au dernier des trois moments analyss plus haut,qui pousse en effet limmanence divine jusquau bout. Or, dans une perspectivede pneumatologie chrtienne, lauthenticit du croire dans llment delesprit dpend en dernire instance de larticulation entre les trois tapesparcourues. Une exprience mystique qui quitterait le sol charnel de lacommunication pour se soustraire au travail thique de la krisis et qui ne sins-crirait pas dans la manifestation lmentaire dune puissance dexister, seraiten tout cas difficile discerner comme trace de lEsprit.

    Linsistance sur la relation ntonnera que celui qui rduit lexpriencemystique son aspect individuel. Or, partir du style ou de la forme de relationen glise ou entre chrtiens et autres croyants prsente un double avantage. Onest amen penser demble lunit originaire entre mystique et thique qui semanifeste lendroit prcis o unicit et relation sappellent mutuellement :affronte la violence et au mal, lexprience thique est dj prcde ouporte par le miracle de la rgnration dune puissance dexister et suivie ou accomplie par lpreuve de limmanence singularisante de la bont divineau sein mme du croire. Si nous souffrons, selon le diagnostic pos tout aulong de ces pages, dune opposition grandissante entre une conception dogma-tique, voire dogmatiste, de la foi chrtienne, et sa dissolution moralisante,peut-tre une renaissance pourra-t-elle venir dun dplacement du centre degravit du mystre chrtien, du paradigme de lenseignement ou du matre verscelui dune mystagogie.

    Il sensuivrait la prise de conscience, combien vanglique et si redevable litinraire de Thrse de Lisieux, que lexprience mystique au sensrigoureux du terme nest pas le privilge dune lite, mais livre tous et acces-sible bien au-del des frontires du christianisme institu. Ce serait lautreavantage de notre approche relationnelle. A-t-on dj suffisamment rflchi ce que beaucoup de ceux et celles qui, dans les vangiles synoptiques, croisent

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  • 90 TOPIQUE

    litinraire de Jsus, accdent gratuitement une existence fonde sur laconscience et un croire tout lmentaire, sans devenir ses disciples ? Noscritures inspires peuvent en effet tre lues aujourdhui comme mysta-gogie vers une exprience dhumanit quelles se refusent daccaparer oudannexer ; elles nous donnent ainsi comprendre que les vocables Esprit ou spirituel dsignent en dernire instance le geste seigneurial qui consiste laisser tre les autres qui ne partagent pas notre foi, sans renoncer pour autant lunit du genre humain et lunicit de sa destine bienheureuse en Dieu.Le fait que la puissance dexister , qui inaugure le chemin retrac plus haut,soit gre trs diffremment selon les traditions spirituelles de lhumanit, nenous empche pas de faire valoir nos critres dauthenticit, bass en dernireinstance sur lunit du versant mystique et thique de lexprience humaine ducroire condition cependant que nous ne cessions de nous laisser atteindrepar lunicit dautrui.

    Christoph THEOBALD15 rue Monsieur

    75007 Paris

    Christoph Theobald Lexprience du Matre intrieur

    Rsum : Le diagnostic de Nietzsche qui rduit le christianisme une morale voue se dissoudre semble se vrifier aujourdhui, tout du moins en Europe. En 1966, le thologienK. Rahner prconise pour le croyant le retour indispensable lexprience de Dieu, qui semanifeste dans sa vie en lclairant de lintrieur . Il lie indissociablement cette dynamique ce qui est la fois propre de lhumain et de lEsprit de Dieu et la nomme mystagogie .Au croisement de ces deux pronostics, nous pouvons situer lexprience du matreintrieur consigne par Augustin dans son De magistro. la lumire de ce trait et desvangiles, nous constatons que la transformation de la relation entre matre et disciple sedroule en trois temps : la gurison de la peur dtre succde le temps de lamiti, jusquce que la figure du matre, dsormais intriorise, ouvre le sujet sa propre unicit.Exprience mystique et conscience thique apparaissent ainsi indissociables, conduisant lecroyant sur la voie de sa propre autonomie.

    Mots-cls :Morale Exprience mystique Conscience thique Matre intrieur Mystagogie.

    Christoph Theobald Experiencing the Master Within

    Summary : Nietzsches analysis of Christianity that predicted that this moral doctrinewas sentenced to extinction seems to be coming true today, in Europe at least. In 1966,theologian K. Rahner advised all believers that they had to go back to directly experiencing

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  • CHRISTOPH THEOBALD LEXPRIENCE DU MATRE INTRIEUR 91

    God, who would then light up their lives from within. He links this process with what isboth most essentially human and most essentially part of the Spirit of God and calls itmystagogy. Between the diametrically opposed positions of Nietzsche and Rahner, wecan perhaps situate the experience of the Master Within of Saint Augustine as expressedin his work De Magistro. In the light of this treatise and the scriptures, we can see how thebond between master and disciple is transformed in three stages first the fear of being islifted, then follows a period of friendship until the figure of the master, now interiorised,opens the subject up to his own unity. The mystic experience and ethical conscience appearclosely linked here, leading the believer down the path towards his own autonomy.

    Key-words :Moral doctrine Mystic Experience Ethical Conscience MasterWithin Mystagogy.

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