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No Job Name · produit une théorie du combat de haute intensité, non une théorie de la ... et l’interprétation qu’en a donnée Clausewitz. Les deux tiers du livre sont

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MILITARY POWER – EXPLAINING VICTORY AND DEFEAT IN MODERN BATTLEStephen Biddle

Princeton, Princeton University Press, 2004, 338 pages

THE UTILITY OF FORCE – THE ART OF WAR IN THE MODERN WORLDGeneral Sir Rupert Smith

Londres, Allen Lane, 2005, 428 pages

Comme les événements internationaux le montrent depuis bientôt cinqans, non seulement la problématique de la guerre n’a pas disparu avec lafin de l’antagonisme Est-Ouest, mais elle a subi de profondes mutationsqui, ajoutées aux effets de mode, si prégnants dans le débat stratégique,obscurcissent la compréhension du phénomène conflictuel et de sesévolutions récentes. Ces deux ouvrages ambitieux tentent d’apporter unéclairage durable sur les raisons essentielles du succès, ou de l’échec,militaire et stratégique.

Military Power part d’une constatation simple : alors même qu’ellesservent de fondement à une large part du corpus théorique en relationsinternationales et à des politiques concrètes comme les doctrines dedissuasion, les estimations classiques de la puissance militaire, générale-ment fondées sur le nombre ou l’avantage technologique, ne sont passatisfaisantes. Elles ne permettent ni de prédire, même grossièrement,l’issue d’un affrontement envisagé, ni de comprendre les résultats passés.Fréquemment utilisée par les historiens, les économistes et les polito-logues, l’explication « quantitative », même dans ses versions les plussophistiquées – par exemple les modèles de recherche opérationnelledérivés des équations de Lanchester –, s’applique davantage à des guerresprises dans leur totalité qu’à des campagnes ou à des opérations. La thèsede la prépondérance numérique a ainsi été maintes fois démentie empi-riquement. Si l’explication par la technologie semble pleinement fairejustice au facteur qualitatif, elle ne rend pas compte de résultats histo-riques dissemblables dans des conditions comparables (égalité ou inéga-lité technologique des belligérants). Au lieu de ces deux interprétationscourantes, Stephen Biddle propose sa propre théorie, fondée sur leconcept de force employment que l’on peut traduire par « conditionsd’emploi des forces », et qui rassemble la « doctrine et les tactiques [quiinforment] l’utilisation du matériel ». Depuis 1914, l’engagement estcaractérisé par l’augmentation sans précédent de la puissance de feu, etdonc de la létalité du champ de bataille. L’adaptation aux conditions de laguerre moderne passe ainsi, au niveau tactique, par le camouflage, ladispersion, les feux de neutralisation, la manœuvre de petites unitésindépendantes et la décentralisation concomitante du commandement,tandis qu’elle exige au niveau opératif une concentration relative, la

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profondeur des dispositifs et l’existence de réserves importantes, enattaque comme en défense. Ce « système moderne réduit les effets de latechnologie et préserve ses utilisateurs de l’entière létalité des armesadverses ». Il n’est toutefois pas facile à maîtriser et creuse le fossémilitaire entre les États qui y parviennent et les autres.

Focalisée comme elle l’est sur les niveaux tactique et opératif comme surles conflits de moyenne et de haute intensité, cette théorie exclut explici-tement les guerres de guérilla, les armes de destruction massive (ADM), lebombardement stratégique ou encore la guerre navale. En outre, et commele reconnaît Stephen Biddle, la puissance militaire ne « garantit » pas à elleseule l’issue des guerres. Toutefois, et justement parce qu’il est centré surune problématique spécifique, le modèle des conditions d’utilisation desforces rend compte des pertes, de la durée des engagements et du terrainconquis ou cédé de façon plus adéquate que la supériorité numérique outechnologique, qui sont au mieux des variables dépendantes. Ce modèles’appuie d’ailleurs sur une méthodologie riche et complète, qui inclutl’analyse de cas historiques (l’opération « Michael » ouvrant en 1918 laseconde bataille de la Marne, l’opération « Goodwood » menée par lesAlliés devant Caen en 1944, et enfin « Desert Storm »), la modélisationmathématique et statistique d’une série beaucoup plus longue d’affronte-ments historiques et une simulation informatique, reposant sur deslogiciels développés au Pentagone, tournée vers des engagements hypo-thétiques – sans oublier un impressionnant appareil critique.

Outre un intérêt intellectuel indéniable, qui restaure dans son originalitél’importance trop souvent négligée du niveau militaire et cherche à lecomprendre dans toute sa complexité, le travail réalisé par Stephen Biddlea de notables implications stratégiques et politiques. L’auteur montre lagrande continuité qui a prévalu en matière de combat moderne, et permeten cela de remettre en perspective la « découverte », en 1991, de lapuissance aérienne : le rôle prééminent de l’aviation tactique était bienconnu depuis, au moins, le débarquement des Alliés en Normandie. En cesens, sa critique des théories se réclamant de la Révolution dans lesaffaires militaires (RMA) est judicieuse à maints égards et fait valoir quel’augmentation, même considérable, de la puissance de feu et du traite-ment de l’information ne représentent que l’accélération de tendancespréexistantes – une différence de degré et non de nature par rapport auxdéterminants du combat au XXe siècle. Pour autant, les contre-argumentsqu’il oppose à la théorie de l’équilibre attaque-défense paraissent plusformels qu’historiquement fondés. Ce qui précède le XXe siècle est exclusans autre forme de procès et l’analyse de la « transformation militaire »,pour pertinente qu’elle soit à court terme, n’épuise pas le sujet. Enfin etsurtout, comme l’a remarqué Lawrence Freedman, Stephen Biddle a

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produit une théorie du combat de haute intensité, non une théorie de laguerre, arguant du fait que cette dimension est appelée à demeurerdéterminante.

C’est précisément ce que conteste le général Rupert Smith, dont on saitquelles hautes responsabilités il a exercées pendant la guerre du Golfe, enBosnie et pendant l’opération « Force alliée ». Se plaçant à un niveauproprement stratégique, l’auteur de The Utility of Force entend montrer quela « guerre au milieu du peuple » (war amongst the people) a supplanté lagrande guerre industrielle, et que ce changement de paradigme estlargement à l’origine des difficultés rencontrées par les puissances occi-dentales dans leurs interventions récentes. En dépit de l’absence de noteset de références, l’ouvrage témoigne à l’évidence d’un remarquablebagage historique et théorique, qu’il s’agisse de la description de la culturestratégique américaine ou des pages résumant la rupture napoléonienneet l’interprétation qu’en a donnée Clausewitz. Les deux tiers du livre sontainsi consacrés à une réinterprétation magistrale de l’histoire militaireoccidentale, de la Révolution française à la fin de la guerre froide, cethéritage permettant de comprendre l’émergence du paradigme actuel. Àpartir de la trinité clausewitzienne, qui voulait que le gouvernementmobilise le peuple pour permettre à l’armée de remporter l’épreuve deforce (trial of strength) et donc l’affrontement des volontés (clash of wills),l’Occident en est venu, avec la guerre de Sécession et les deux guerresmondiales, à attaquer directement le peuple, la guerre industrielle culmi-nant en guerre totale. Comme l’ont montré les armes nucléaires et laguerre froide – qui ne fut pas une guerre mais une longue confrontationcomprenant quelques conflits ouverts mais périphériques –, la grandeguerre a épuisé son utilité, tout en suscitant son « antithèse » : la guerrerévolutionnaire. Dérivée de la guérilla, cette dernière lui ajoute unedimension, en retournant en faiblesse politique la force militaire del’adversaire, en détruisant la capacité de contrôle des administrations et enpoussant le gouvernement à saper sa propre légitimité. Il s’agit désormaisde prévaloir dans le choc des volontés pour gagner l’épreuve de force. Ceretournement désarmant a confronté les forces occidentales à un impos-sible dilemme : adopter une stratégie de contre-terreur, d’autant plusimproductive qu’elle est rapidement inacceptable en démocratie, ouessayer, sans succès, de faire rentrer la contre-insurrection dans le lit deProcuste de la guerre industrielle – rares en sont, en effet, les exemplesréussis, et l’auteur d’expliquer longuement les méthodes adoptées par lesBritanniques en Malaisie ou en Irlande du Nord.

Le paradigme actuel de la guerre au cœur des populations prolonge toutesces tendances : la séquence confrontation permanente/conflit intermittentne relève que ponctuellement d’un traitement militaire, puisqu’il ne s’agit

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plus de gagner l’épreuve de force afin de prévaloir dans le choc desvolontés (équation napoléonienne), mais à l’inverse « d’établir les condi-tions dans lesquelles l’objectif politique peut être réalisé [mais] pard’autres moyens et selon d’autres méthodes », bref de « créer un espaceconceptuel pour la diplomatie, les incitations économiques, les pressionspolitiques et autres mesures [susceptibles] de mener à l’objectif politiquevisé, la stabilité et si possible la démocratie ». Parce que le succès militairene résout pas le problème et donc n’amène pas la victoire, les conflits sontconduits pour des objectifs « sub-stratégiques » et importent moins que laconfrontation politique.

Outre cette thèse centrale, stimulante et provocatrice, l’ouvrage est émailléde développements historiques et de réflexions remarquables, qu’ils’agisse de l’absence fréquente de direction politique pendant l’opération« Force alliée », des pressions médiatiques et de la tentation qui s’ensuit dedéployer des forces sans savoir comment les employer, ou encore de lanécessaire réorganisation en profondeur des dispositifs militaires occiden-taux. Si le pessimisme relatif de l’ouvrage fait parfois penser aux thèses deMartin van Creveld, Rupert Smith défend toutefois une conceptionclausewitzienne de la guerre, dans laquelle le primat de la dimensionpolitique s’observe sur l’ensemble du spectre, des coalitions multinatio-nales jusqu’au seigneur de guerre africain, primat qui favorise aujourd’huiacteurs supranationaux et infranationaux. Les premiers cherchent àdiffuser les risques et à renforcer leur légitimité grâce aux coalitions, lesseconds à éviter les responsabilités politiques et les vulnérabilités militai-res qui vont de pair avec le statut étatique.

Si l’on excepte quelques énoncés contestables (la guerre de Corée,abusivement présentée comme war amongst the people) et un chapitre sur laBosnie étrangement décevant, la seule faiblesse de l’ouvrage est de n’avoirpas repris la distinction clausewitzienne entre guerre limitée et guerretotale, et de confondre la guerre industrielle interétatique avec cettedernière. Deux conséquences s’ensuivent. Tout d’abord, parce qu’il rejettele terme et la notion même d’asymétrie, le général Smith oublie quelquepeu que des conflits aux enjeux illimités peuvent être livrés avec desmoyens rudimentaires. En second lieu, il écarte un peu vite l’éventualitéd’une guerre industrielle, par exemple en Asie, sans apercevoir que lespostures asymétriques d’aujourd’hui, pourraient ne pas durer dès lors quela dissémination des technologies et la prolifération des ADM – dont il nedit rien – rendraient à nouveau possible un affrontement direct, et donc unretour à la « grande guerre ».

Bien qu’ils ne s’enferment pas dans une opposition simpliste entre Mars etVénus, ces deux ouvrages sont néanmoins révélateurs des différences

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entre les approches européenne et américaine, voire entre les culturesstratégiques, et soulignent leurs qualités et leurs défauts respectifs. Si ledébat entre l’horizon de la grande guerre et la réalité des confrontationsactuelles reste ouvert, la lecture de ces deux livres débouche sur quelquespoints essentiels : l’obligation de prendre au sérieux la dimension militaire– pas seulement comme faire-valoir diplomatique –, la nécessité detoujours garder à l’esprit la dimension politique, dominante en stratégie,et enfin le caractère indispensable de la réflexion et du débat stratégiques.Ces deux ouvrages devraient être lus non seulement par tout officier enpartance pour des opérations complexes en Afghanistan, en Irak ou enCôte-d’Ivoire, mais aussi – c’est là sans doute une pieuse espérance –, parceux qui prennent la décision d’utiliser la force, souvent sans savoircomment l’employer ni lui donner sa pleine utilité.

Étienne de Durand

Responsable des Études de sécurité à l’Ifri

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RELATIONS INTERNATIONALES

PREEMPTION. A KNIFE THAT CUTS BOTHWAYSAlan M. Dershowitz, New York,W.W. Norton, 2006, 348 pages

À coup sûr, la thèse que défendAlan Dershowitz suscite laréflexion. En septembre 2002,rappelle-t-il, le président des États-Unis a défini une nouvelle doctrinequi repose sur la préemption.Était-ce l’annonce d’une ère nou-velle dans les relations internatio-nales ? Et si c’est le cas, quelles ensont les conséquences pour nossociétés ?

Certes, la langue anglaise dis-tingue prévention et préemption,étant entendu que la premièresignale un danger relativementlointain contre lequel il faut pren-dre d’indispensables précautions,tandis que la seconde met en reliefune menace immédiate et impliqueune réaction non moins immé-diate. Mais l’histoire, contempo-raine ou non, nous offre de nom-breux recours au principe deprécaution, qu’il s’agisse de mettreà l’écart les criminels potentiels, derésister à une éventuelle épidémieou de combattre un ennemi avantmême qu’il ait eu le temps oul’occasion d’attaquer. Dans toute lamesure du possible, nous tentonsde deviner l’avenir pour conjurerles maux qu’il pourrait receler.

Il n’empêche que les États ontchoisi la voie de la dissuasion plu-tôt que celle de la prévention ou dela préemption. Ce fut la base des

relations internationales à l’époquede la guerre froide. Elle repose surla conviction que les décideursagissent rationnellement et que lesforces en présence ont atteint unéquilibre à peu près stable. Tout achangé lorsque l’on est entré dansl’ère de l’asymétrie et du terro-risme. De ce point de vue, les guer-res que l’État d’Israël a menéesdonnent des exemples significatifs.La guerre de 1948, ce sont les voi-sins arabes qui l’imposent auxIsraéliens. Celle de 1956 s’inspiredu principe de prévention. Laguerre des Six Jours est évidem-ment une guerre préemptive. En1973, Israël ne peut, par crainte dela désapprobation internationale,déclencher une nouvelle guerrepréemptive et subit le choc del’attaque égyptienne et de sacontrepartie syrienne. La destruc-tion du réacteur nucléaire Osiraken 1981 répond à la volonté deprévenir une frappe nucléaire queSaddam Hussein aurait décidée lemoment venu. L’invasion duLiban, l’année suivante, a eu pourbut d’écarter un danger présentqui devait s’accentuer. Bref, la dis-suasion n’a plus cours. Israël estacculé, par sa géographie, à la pré-vention ou à la préemption.

Les États-Unis parviennent à lamême conclusion pour des raisonsdifférentes. Les terroristes frappentsans discrimination. Ils ne crai-gnent pas les représailles et semoquent de la dissuasion. Ilsrecourent à tous les moyens qu’ilsparviennent à maîtriser. Dans cesconditions, une nation démocra-tique, gouvernée par des élus res-ponsables de la sécurité de leurs

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compatriotes, ne doit-elle pas seprotéger en prenant les devants ?Riposter après l’attaque que l’onsait inévitable, ce serait accepterque des milliers, voire des millions,d’hommes et de femmes meurentinutilement. Dans ces conditions,la démocratie court le risque derenoncer à ses valeurs fondamen-tales pour assurer sa sécurité. Elleglisse dans l’illégalité, met surécoute des citoyens honnêtes etrespectueux de la loi, poursuit desindividus sous prétexte qu’ils ontdes origines suspectes, des com-portements inhabituels, des rela-tions douteuses. Elle disposeaujourd’hui de tous les apports dela science et de la technologie, cequi la rend d’autant plus redou-table. Bref, la préemption menaceles libertés civiles et les droits del’homme, tout comme elle porteatteinte au droit international.

Et pourtant, elle est devenue indis-pensable. C’est pourquoi AlanDershowitz consacre une soixan-taine de pages à recommanderl’élaboration d’une jurisprudence.Il réclame que des règles définis-sent les cas où un État démocrati-que peut recourir à la préemption,que l’on réfléchisse aux erreursd’appréciation, qu’un organismeneutre prenne en charge ce dossieret que naisse un code de bonneconduite. Il ajoute que cette juris-prudence ne surgira pas du jour aulendemain. Il faudra du temps,beaucoup de temps, pour qu’ellesoit construite et adoptée.

N’en doutons pas, ce nouvel ordremondial serait le bienvenu. Il intro-duirait un peu de bon sens dans un

monde qui en manque de plus enplus. Il éviterait de regrettablesméprises et de tragiques surprises.Reste à savoir si l’exigence d’undroit de la préemption ne res-semble pas à un vœu pieux. Cha-que État tient à défendre sa souve-raineté et sa sécurité, même s’ilfaut outrepasser les règles juri-diques. Mais le plus grave estailleurs. Les agresseurs n’ontaucun respect pour les principes.Ils estiment que leur force résidedans la violation des règles les plusélémentaires et les plus respectées.Ils contraignent presque toujoursles démocraties à violer leurs prin-cipes fondamentaux. Conclusioninévitable et pessimiste : la pré-emption est bien un couteau à dou-ble tranchant.

André Kaspi

NOT QUITE THE DIPLOMAT : HOME TRUTHSABOUT WORLD AFFAIRSChris Patten, Londres, Allen Lane,2005, 324 pages

Relever les défis, c’est le lot quoti-dien de l’homme que beaucoup deBritanniques considèrent commeun excellent Premier ministre enpuissance qui n’est jamais devenul’hôte du 10 Downing Street.Ancien ministre de Margaret That-cher et de John Major (1986-1992),principal architecte de la victoiresurprise des Tories aux législativesde 1992, dernier gouverneur deHong-Kong, président de la com-mission sur la Police en Irlande duNord (1998-1999 : « le job le plusdifficile de ma vie »), commissaireeuropéen aux Relations extérieures

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(1999-2004), Chris Patten estdevenu, en 2005, Lord Patten ofBarnes, membre de la Chambrehaute britannique.

Les Britanniques se méfient desintellectuels – surtout quand ilssont hommes politiques. Patten,qui en est un, a été élu Chancellorde l’Université d’Oxford en 2004.Ses réflexions livrent, de façon sub-tilement indiscrète (d’où le titre del’édition britannique1) son pointde vue sur la Grande-Bretagne,l’Union européenne, les États-Uniset le monde depuis la fin de laguerre froide. On y trouve pléthorede notes incisives, d’observationsinédites, d’anecdotes, de vignettescinglantes (« Jacques Chirac est aulangage du corps ce que Shakes-peare est au langage tout court »,p. 116), de révélations et de sagesprescriptions pour l’avenir. Che-min faisant, on croise Thomasd’Aquin et Mustafa Kemal Ata-türk, Bertolt Brecht et Ludwig vanBeethoven, Périclès et Pie XII,Alexis de Tocqueville et Thucy-dide, Cromwell et Confucius,Emmanuel Kant et Henry Kissin-ger, Ghandi et Mikhaïl Gorbatchev,etc. Toute sa vie, Patten fut unconservateur fidèle. Mais unconservateur du centre gauche,membre on ne peut plus classiquede l’establishment britannique. Ilest aussi un Européen convaincu etun catholique pratiquant quidéfend, comme ministre del’Irlande du Nord, la politique dela Grande-Bretagne, obligé de

côtoyer un parti unioniste apte à« arracher la défaite de la bouchede la victoire » (p. 13). Ami desÉtats-Unis, il cherche surtout, àdire leur fait aux néo-conser-vateurs qui illustrent si bien le motd’Edmund Burke : « un grandEmpire et de petits esprits vontmal ensemble » (p. 239). Profondé-ment opposé à la politique – sur-tout, mais pas seulement – ira-kienne de George W. Bush, Pattenn’arrive pourtant pas à trouver leprésident désagréable, ce qui estloin d’être le cas pour le vice-président, sa véritable bête noire :« il est plus facile en politique dedétester la personne en mêmetemps que ses idées, ce qui merendait plus à l’aise en présence deDick Cheney » (p. 231).

La différence entre conservateurset travaillistes ? Les premiers sont« sages mais à l’esprit lent », lesseconds « habiles mais sots »2

(p. 56-57). Malheureusement, latraditionnelle sagesse conserva-trice est morte à Bruges en septem-bre 1988 quand Margaret Thatchera « détruit, d’un seul coup, le rap-port traditionnel de la Grande-Bretagne et de l’Europe » (p. 72).Dès lors, estime-t-il, le parti conser-vateur est – et reste – « hanté parun cauchemar » : la perte de lasouveraineté dans le « super-État »fédéral. N’ayant jamais compris ladistinction entre souveraineté defacto et souveraineté de jure, lesconservateurs seraient incapablesde comprendre la complexité – etle potentiel – du rapport euro-

1. Cousins and Strangers : America, Britain andEurope in the New Century, New York, Holt, 2005pour l’édition américaine. 2. « Wise but slow-witted », « clever but silly ».

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britannique, et sont désormaisdans l’incapacité « de comprendrele sens de l’histoire » (p. 84).

Tony Blair, très au fait de cettedistinction, a nommé Patten àBruxelles. Reconnaissant unmalaise populaire croissant surl’Europe, il en voit une racine fon-damentale dans l’absence de dis-cours positif sur l’Union de la partdes dirigeants européens. Sil’Europe n’est plus que le boucémissaire de politiciens de droiteou de gauche, elle est vouée àl’échec. Pour Patten, il faut priori-tairement construire une identitéeuropéenne : « c’est le défi des pro-chaines années, plus grand, plusimportant et bien plus difficile quede disserter sur les compétences oude poser des bornes constitution-nelles. » (p. 149). Il est dommagequ’un jeu mesquin ait exclu la can-didature de Patten au poste deprésident de la Commission. Pat-ten l’a appris dans son bureaubruxellois par Pierre de Boissieu :« J’ai un message pour vous del’Élysée : ils pensent que vous êtesfort bien, mais inacceptable commeprésident » (p. 25). La Grande-Bretagne n’étant ni dans l’euro nidans Schengen, elle s’était appa-remment exclue du noyau dur. CeBritannique-là, au Berlaymont3,aurait non seulement plaidé avecéloquence la cause de l’Europe,mais il aurait durement marchandéavec une Administration Bushcherchant des alliés pour surnagerdans une situation qu’elle a elle-même créée. Patten croit en l’Amé-

rique, mais en une Amérique quiretournerait à ses racines tocque-villiennes, une Amérique quel’Europe, selon lui, peut aider àredevenir « une éducation aumonde », dans un XXIe siècle qui nesera pas le siècle américain mais« le siècle de l’humanité » (p. 307).

Dans ce livre de bon sens et vision-naire, Patten se montre justementinclassable sur l’échiquier poli-tique. Sur la Grande-Bretagne(« caniche » ou partenaire ?), surl’Europe, les États-Unis, l’Islam, laRussie, la Chine et sur notre avenir,ses réflexions sont aussi juteusesque judicieuses, séduisantes et pré-monitoires. Un livre à savourer...lentement. Dans le Who’s Who, lesloisirs de l’auteur sont « la lectureet le tennis ». Il est d’autres défis àrelever pour cet homme d’Étatinclassable – outre celui de dirigerune Université, fût-elle lameilleure d’Europe...

Jolyon Howorth

AMERICA’S NEW ALLIES. CENTRAL-EASTERN EUROPE AND THETRANSATLANTIC LINKJanusz Bugajski et Ilona Teleki,Washington, D.C., The CSISPress, 2006, 124 pages

Dans le prolongement de leurs tra-vaux antérieurs qui sont considé-rés comme des références auxÉtats-Unis, Janusz Bugajski etIlona Teleki publient ici le fruitd’un programme de recherchequ’ils ont dirigé. Dans la lignée desprogrammes sur l’Europe de l’Estdéveloppés depuis plusieursannées par le Center for Strategic

3. Siège de la Commission européenne à Bruxel-les

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and International Studies (CSIS),l’ouvrage reflète une vision parti-culière de la Russie qui apparaîtcomme un facteur essentiel dans laconstruction de la politique étran-gère des pays d’Europe centrale.

L’ouvrage s’organise autour detrois parties retraçant les étapesd’un partenariat liant les États-Unis et les nouveaux pays mem-bres. Pour les États-Unis, les paysd’Europe centrale et orientale sontdes modèles d’une transformationpolitique et économique réussie,dont l’expérience peut être trans-posée à d’autres pays, dans le Cau-case, en Asie centrale et au Moyen-Orient.

L’image qu’ont les pays d’Europecentrale et orientale des États-Uniss’est forgée dans la guerre froide etl’immédiat après-guerre froide.Washington perçoit alors les paysde la région comme le principalrempart contre le communisme,l’expansionnisme soviétique ou lemaintien de l’influence russe. Dufait de leur politique critique àl’égard des régimes communistes,les États-Unis sont d’abord deve-nus, pour les pays de l’Est, le lea-der de la communauté démocrati-que qui les a soutenus dans laphase de transition démocratique.Pour les nouveaux membres del’Organisation du traité de l’Atlan-tique Nord (OTAN) et de l’Unioneuropéenne (UE), les États-Unisrestent le garant inconditionnel dela sécurité européenne. Leur sou-tien a été essentiel dans le proces-sus de l’élargissement lui-même.C’est la raison pour laquelle lamise en place d’un partenariat

stratégique avec les États-Unis aété vue comme aussi importanteque l’intégration dans les struc-tures euro-atlantiques. La politiqueétrangère des États-Unis est perçuecomme réaliste (les Balkans) etconstructive, en particulier àl’égard de la Russie. La présenceaméricaine en Europe paraît êtreune garantie contre les pressionsde Moscou, qui tente de rétablirson ancienne influence. Dans lemême temps, la politique de l’UE àl’égard de la Russie est souventvue par les nouveaux membrescomme incohérente et inadaptée,laissant Moscou se servir de sesrelations privilégiées avec certainspays, comme la France ou l’Alle-magne, pour diviser l’UE et affai-blir les liens euroatlantiques. Pourles auteurs, l’affaiblissement desliens transatlantiques est dû nonseulement à la disparition del’Union des républiques socialistessoviétiques (URSS) mais aussi à lapolitique de certains pays euro-péens, qui souhaitent réduirel’influence américaine sur le VieuxContinent.

L’ouvrage s’achève sur une sériede recommandations destinées auxdécideurs politiques aux États-Unis et en Europe centrale. Lesauteurs insistent sur le fait quepour préserver une influence enEurope, les États-Unis doivent sedoter d’une politique cohérente àl’égard des nouveaux membres etde l’Europe dans son ensemble. Ilsmettent en particulier en garde lesdécideurs américains contre l’illu-sion de liens éternels et inaltéra-bles. La politique de plus en plusunilatérale des États-Unis et la

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désillusion de certains pays,comme la Pologne, face aux aléasde la reconstruction en Irak pour-raient changer la donne...

Krzysztof Soloch

ÉCONOMIE

LA QUESTION POLITIQUE EN ÉCONOMIEINTERNATIONALEPierre Berthaud et GérardKébadjian (dir.)Paris, Éditions La Découverte,2006, 320 pages

L’ouvrage présenté par Pierre Ber-thaud et Gérard Kébadjian rassem-ble des contributions courtes,d’une dizaine de pages, qui toutesvisent à « soumettre l’économieinternationale à la question poli-tique pour parvenir à des réponsesqui complètent celles des écono-mistes se situant dans une perspec-tive d’économie pure ». Au-delàdu débat convenu entre néo-libéraux et néo-keynésiens, l’« éco-nomie politique internationale »(ÉPI), reconnue comme disciplinespécifique dans le monde anglo-saxon mais peu présente en France,cherche à « replacer les phéno-mènes économiques dans unespace à trois dimensions : le sys-tème des États, le système de mar-ché et les institutions ».

Dans son introduction, GérardKébadjian – qui a récemment

publié Europe et globalisation1, danslequel il applique les apports del’ÉPI à la régionalisation en Europe– rappelle les bases théoriques decette discipline, souvent présentéecomme une « sous-discipline desrelations internationales » et pourlaquelle il réclame une réappro-priation des économistes. Il identi-fie un courant dominant, qui rap-proche aujourd’hui réalisme etlibéralisme, alors que l’entrée deséconomistes en ÉPI se traduiraitpar le développement d’une « nou-velle économie politique ».

Dans la première partie, Pierre Ber-thaud rappelle que François Per-roux demeure l’économiste qui a leplus fait en France pour construireune problématique intégrant l’éco-nomie et le pouvoir, jusqu’à pro-duire une théorie de la domination.Plus tard, la théorie de la régula-tion s’est plutôt orientée vers uneanalyse du politique en référenceaux institutions. Les contributionsqui suivent analysent les limitesdes approches traditionnelles de lamondialisation en économie inter-nationale et la mondialisation,l’économie politique du protec-tionnisme et les travaux assimila-bles à l’ÉPI en Europe continenta-le, avant de conclure sur untableau de « l’économie politiqueinternationale hétérodoxe ».

Les articles de la deuxième partieappliquent les catégories de l’ÉPI àl’Organisation mondiale du com-merce (OMC), aux échanges agri-coles internationaux, aux stratégies

1. G. Kébabdjian, Europe et globalisation, Paris,L’Harmattan, 2006.

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de change monétaire, au systèmemonétaire international, aux liensentre régimes monétaires et finan-ciers internationaux et crises éco-nomiques et financières, avant deconclure par une analyse de l’his-toire des processus de globalisa-tion.

La troisième partie interroge l’idéeselon laquelle la mondialisationéconomique atténuerait la conflic-tualité des relations internationa-les. Les uns voient plutôt un dépla-cement des conflictualités vers desdomaines économiques (d’où lanotion de géoéconomie). Un articlesur le G7 comme club hégémo-nique suit l’hypothèse d’un re-groupement de puissances (théoriedu « k groupe », où k représente lenombre d’États jouant un rôle deleader), qui se substituerait àl’hégémonie solitaire des États-Unis de l’après-guerre. Puis lesconcepts de l’ÉPI (en particulier lanotion de régime) sont appliquésau processus de Kyoto, et plusgénéralement aux « biens publicsmondiaux ». L’objectif d’un « dé-senclavement de l’économie de ladéfense » complète la propositiond’un « régime international dedéfense ».

L’introduction de la quatrième par-tie, sur l’État et la régulation inter-nationale, passe en revue les gran-des questions débattues sur cethème en ÉPI : la définition desfonctions étatiques et leur intégra-tion dans l’analyse économique ; laquestion de l’autorité des États, deleur souveraineté et des rapportsde pouvoir entre États inégaux et,dans une inspiration néo-

gramscienne, celle des conditionspermettant à une autorité non éta-tique (notamment aux entreprisestransnationales) de s’instituer dansle champ politique ; les débats surles dimensions supra-étatiques :bonne gouvernance et valeurs,finalité des régionalismes. Si lesarticles ne peuvent couvrir toutesles questions, ils en reprennentbeaucoup, notamment à traverscelles du régionalisme, de la recher-che de l’espace optimal, des paysdits « tard venus au développe-ment », des firmes internationaleset de leur « régime international » ;et enfin de la « compensation » dutravail salarié lors des ouvertureséconomiques. Le livre se clôt parun article sur l’historicité de l’État-nation au regard de la mondialisa-tion.

Les ouvrages comportant de nom-breux articles courent souvent lerisque de l’hétérogénéité. Tout aucontraire, leur rapprochementdégage ici le sentiment, sinond’une « École », du moins derecherches convergentes, se répon-dant dans un dialogue non dogma-tique ; et les responsables, par leurprésentation générale et celles desparties, ont largement remplil’objectif de donner au lecteur unevue générale de l’ÉPI, disciplinequi vise à donner toute sa place à laquestion politique dans l’analyseéconomique.

André Brigot

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RELIGION

L’ISLAMISME À L’HEURE D’AL-QAÏDA.RÉISLAMISATION, MODERNISATION,RADICALISATIONSFrançois BurgatParis, Éditions La Découverte,2005, 214 pages

L’ancien directeur du Centre fran-çais d’études yéménites, FrançoisBurgat, livre une analyse de l’isla-misme contemporain qui s’inscritdans la droite ligne de ses travaux,tel l’ouvrage paru en 1988, L’Isla-misme au Maghreb : la voix du Sud,ou encore celui publié en 1995,L’Islamisme en face. Aujourd’huidirecteur de recherches à l’Institutde recherches et d’études sur lemonde arabe et musulman(IREMAM-CNRS), expert de l’isla-misme politique, il s’attache, dansce nouvel ouvrage, à déconstruireune partie de l’analyse occidentaledu phénomène.

Pour ce faire, il lie la productiondes textes de l’islam radical auxcontextes historiques, sociaux,politiques ou économiques qui ontnourri la radicalisation doctrinaleet guerrière de la « génération BenLaden ».

Fort de son expérience de18 années sur le terrain et de sapraxis de politologue, l’auteurdéfait fil à fil l’écheveau de l’amal-game entre terrorisme et isla-misme. Il découpe ainsi l’isla-misme en trois grands momentshistoriques : un premier, lié à lalutte contre la colonisation ; undeuxième, né de la résistance aux

régimes autoritaires qui se sontinstallés dans le monde arabeaprès l’indépendance ; enfin untroisième, contemporain de la findu monde bipolaire, où la domina-tion politique, économique et mili-taire des États-Unis est vécuecomme une nouvelle période colo-niale. Ainsi François Burgatexamine-t-il différents cas de figuregéographiques ou historiques, etprésente-t-il les parcours d’acteursdu monde musulman dont les che-minements sont, contrairement àce qui est souvent décrit, loind’être linéaires. Il rappelle combienl’islam est peu monolithique ; com-bien, aussi, certains mouvementssalafistes ont pu, à différentsmoments de leur histoire, collabo-rer avec les régimes en place avantde s’inscrire dans une oppositionsouterraine.

Cet ouvrage remet en lumière unesuccession d’événements qu’il nefaudrait pas lire avec la seule cléreligieuse mais plutôt analysercomme l’expression d’une opposi-tion politique – violente – contrel’Occident.

Judith Cahen

HISTOIRE

TSAHAL. NOUVELLE HISTOIRE DE L’ARMÉEISRAÉLIENNEPierre RazouxParis, Perrin, 2006, 618 pages

Après avoir consacré un ouvrage àla guerre des Six Jours et un autre à

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la guerre du Kippour, PierreRazoux confirme son statut de spé-cialiste des questions stratégiquesproche-orientales en publiant unnouvel opus imposant, entière-ment dédié à l’armée israélienne,Tsahal. Plusieurs années de travailont été nécessaires pour produirece livre très riche – un des pluscomplets sur ce sujet en français –qui retrace avec une précisiond’orfèvre l’histoire des forcesarmées israéliennes.

Une des spécificités de cet ouvrageest de remonter aux sources loin-taines de Tsahal, bien avant la créa-tion de l’État d’Israël. Un chapitreest ainsi consacré aux temps bi-bliques et à l’époque romaine !Mais rapidement, Pierre Razouxentraîne le lecteur au XXe siècle etrappelle les dissensions qui existè-rent entre groupes armés comme laHaganah, l’Irgoun et le Léhi aumoment de la lutte contre les Bri-tanniques. Puis vient la déclarationd’indépendance du 14 mai 1948,immédiatement suivie de la pre-mière guerre israélo-arabe. C’estau cours de ce conflit qu’est crééeen bonne et due forme la TsvaHaganah Le’Israel – littéralement« force de défense d’Israël » – dontl’acronyme Tsahal est devenu célè-bre dans le monde entier. Cettecélébrité, l’armée israélienne l’aacquise au fil des victoires, notam-ment lors de la guerre éclair de1967. Une véritable mythologies’est développée autour de l’arméeisraélienne. Deux mythes récur-rents, celui de l’invincibilité etcelui de la « pureté des armes »,ont été sérieusement ébranlés àpartir de la campagne militaire au

Liban, au début des années 1980.Pierre Razoux n’élude pas lesmoments les moins glorieux del’histoire militaire israélienne, àl’instar des massacres de Sabra etChatila. C’est sans doute pourquoile qualificatif de « nouvelle his-toire » figure en sous-titre del’ouvrage, en référence aux « nou-veaux historiens » qui, suivant lavoie tracée par Benny Morris, ontremis en cause les mythes fonda-teurs de l’identité collective israé-lienne.

Les chapitres sur la première et laseconde Intifada sont remarqua-blement traités. Après avoir triom-phé dans les affrontements clas-siques contre les armées arabes,Tsahal s’est retrouvée en difficultéquand il s’est agi de combattre lesPalestiniens dans une configura-tion asymétrique. L’armée israé-lienne a ainsi subi plus de pertespendant la seconde Intifada (plusde 1 000 morts) que pendant laguerre des Six Jours (800 morts). Lenombre des blessés (6 000) n’estcertes pas aussi élevé que pendantla guerre du Kippour (8 000), maisil prouve quand même que l’Inti-fada Al-Aqsa a été un conflit trèsdur.

Plus qu’une simple force dedéfense, Tsahal est une institutioncentrale de la société israélienne.Elle a produit quelques-uns desdirigeants les plus charismatiquesde l’État hébreu, à l’instar deYitzhak Rabin ou d’Ariel Sharon.Elle est devenue, pour reprendrel’expression de Pierre Razoux,« une armée postmoderne, tour àtour outil de défense, d’intégra-

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tion, de conquête, de développe-ment industriel, voire, parfois, derépression ».

Connaître l’histoire de Tsahal, c’estcomprendre un peu mieux lasociété israélienne. Ce n’est làqu’un des arguments qui devraientinciter tous ceux qui s’intéressentau Proche-Orient à lire attentive-ment l’excellent ouvrage de PierreRazoux.

Marc Hecker

SÉCURITÉ

THE MITROKHIN ARCHIVE II – THE KGBAND THE WORLDChristopher Andrew et VasiliMitrokhinLondres, Allen Lane, 2005,678 pages

Le premier volume de cet ouvrageavait fait sensation. Produit à par-tir des dossiers recopiés par unarchiviste du KGB, puis exfiltrésvers l’Ouest, The Sword and theShield contenait toutes sortesd’éclairages inédits sur les opéra-tions de renseignement soviétiquesen Occident. Sa publication avaitété un vrai succès éditorial et avaitentraîné l’identification publiquede plusieurs agents amenés, à telou tel moment de la guerre froide,à travailler pour Moscou. Elle avaitaussi permis de valider, a posteriori,les mises en garde dénonçant ledouble jeu politico-diplomatiquedu Kremlin. Ce second volumeexplore les pénétrations réalisées

dans le Tiers-Monde. Vasili Mitro-khin étant décédé en 2004, Christo-pher Andrew, éminent historien deCambridge, a mené le travail derédaction.

Comme c’était déjà le cas dans sonprécédent ouvrage, il s’est appli-qué à contextualiser les élémentsfragmentaires recueillis par sonco-auteur, puis filtrés par les ser-vices britanniques et américains.Les puristes s’en plaindront. Maisles notes publiées sous forme bruteauraient sans doute présenté unfaible attrait immédiat. Le princi-pal mérite du texte vient de ce qu’ilnous emmène au cœur des machi-nations bureaucratiques. On ydécouvre les financements clan-destins attribués à SalvadorAllende, candidat à la présidencechilienne. On y trouve aussi unedescription détaillée des opéra-tions de désinformation menées enInde, afin d’alimenter la paranoïad’Indira Gandhi et de discréditerles États-Unis. Plus généralement,on obtient toutes sortes d’aperçussur les manœuvres d’infiltrationmenées en Amérique latine, enAsie, en Afrique ou dans le mondearabe.

Quel bilan en tirer ? D’abord, ondoit souligner les attaches privilé-giées liant le KGB au Politburo. Lacentrale soviétique n’opérait pasen solo ; elle s’appliquait à conver-tir les impulsions du leadershippolitique en initiatives concrètes ;elle pouvait même cuisiner les rap-ports officiels pour emporterl’adhésion de ses maîtres, ceux-ciconsidérant l’Europe occidentalecomme leur objectif prioritaire ;

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mais au final l’idée dominante étaitbel et bien de gagner la confronta-tion Est-Ouest en marquant despoints décisifs dans le Tiers-Monde. Ensuite, on doit faire étatdes déconvenues répétées subiespar les fonctionnaires soviétiques.Quantité de personnages appro-chés puis financés par le KGB sem-blent avoir réagi en opportunistes,conservant une marge d’autono-mie appréciable par rapport auxsuggestions de leurs officiers-traitants (cf. Fidel Castro). De nom-breuses opérations de désinforma-tion, coûteuses à concevoir, àmettre en place, à masquer, sem-blent n’avoir eu aucun impact tan-gible. Les manœuvres de consoli-dation politique menées auprès deplusieurs puissances alliées maischancelantes se sont soldées pardes fiascos retentissants (cf. le coupdéclenché en Afghanistan, fin1979).

Ces constatations, reprises etamplifiées dans la conclusion dutexte, semblent importantes. Sansminimiser le potentiel de nuisancedes services spéciaux, sans nierleur rôle dans l’établissement decanaux de négociation parallèles,elles invitent à s’interroger sur lesretombées de leurs stratégies pré-férentielles. Les interventions clan-destines de l’État secret deman-dent à être dosées avec rigueur.Efficaces au niveau micro, lorsqu’ils’agit de cultiver tel ou tel contactou de discréditer telle ou telle cibleindividuelle, elles semblent nette-ment plus aléatoires au niveaumacro, dans les rapports d’État àÉtat, de bloc à bloc, de civilisationà civilisation. Sur le long terme, les

partenariats commerciaux et cultu-rels construits sur la bonne foiparaissent plus productifs.

Jérôme Marchand

EUROPE

LE BONHEUR DU VOYAGE : ÉTHIQUE,ACTION, PROJETS POUR RELANCERL’EUROPEPhilippe HerzogParis, Éditions Le Manuscrit, 2006,96 pages

En ces temps d’incertitudes euro-péennes, c’est un petit essai stimu-lant que nous livre PhilippeHerzog, président de Confronta-tions Europe. Dans ce premierouvrage d’une nouvelle collectionintitulée « L’Europe aprèsl’Europe », l’auteur nous offre uneperspective résolument euro-péenne et, même s’il se défend deprôner un « État supranational », iltourne le dos à bien des acquis de« l’État-nation » et n’hésite pas àles pourfendre. Pour remédier auxdéséquilibres induits par le capita-lisme financier mondialisé et réfor-mer la dualité croissante du mar-ché du travail et du régime social,l’ancien économiste marxiste nevoit de salut que dans le dévelop-pement de l’Europe. Il ne ménaged’ailleurs pas ses critiques del’État-nation (« la nation doit chan-ger », l’État providence est menacé,l’élitisme républicain est dépassé,etc.) et invite les pays membres,tout particulièrement la France, à

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un véritable « examen de cons-cience » pour penser et agir euro-péen.

En bon économiste, PhilippeHerzog consacre une partie essen-tielle de son propos à la « stratégiede Lisbonne » (lancée en 2000, etqui n’a pour le moment pas donnéde brillants résultats). Il plaidepour une mobilité et une formationà l’échelle européenne, une poli-tique européenne de soutien à larecherche et aux petites et moyen-nes entreprises (PME), y comprispar des partenariats public-privé,des formes de capital social et par-tenarial pour les entreprises euro-péennes, un cadre européen pourles services publics (dans la conti-nuité de ses travaux au Parlementeuropéen), une politique macro-économique pour l’Eurozone, unaccroissement du budget euro-péen, etc.

Pour refonder la Communauté, sesvaleurs et ses objectifs, l’auteurprend le parti d’une « grandeEurope continentale », qui pourraits’ouvrir à la Turquie et même àl’Ukraine ou la Moldavie. S’il necroit ni à l’« Europe puissance » niaux « noyaux durs », il tient à laConstitution et préconise d’enadopter au moins les première etdeuxième parties (fondements ins-titutionnels et Charte des droitsfondamentaux). Il va plus loin –recommandant des référendumseuropéens (et non plus nationaux)sur des sujets d’intérêt commun –et se montre, sans doute à raison,réticent envers une Commissionpolitiquement orientée (que défen-

dent certains partisans de l’intégra-tion politique).

Mais là où Philippe Herzog semontre le plus audacieux (et on nes’en étonnera pas de la part duresponsable d’un think tank euro-péen actif et reconnu, en Francecomme à Bruxelles), c’est dans sonplaidoyer ardent pour la sociétécivile, pour la « participation » (quidoit même primer la « représenta-tion »), pour une politique généra-lisée d’éducation et d’informationsur l’Europe dans l’entreprise,dans les régions, à l’école, etc. Il y aquelque chose de lyrique, et mêmed’utopique (dimensions quel’auteur revendique d’ailleurs)dans cette valorisation du « désird’altérité », dans cette apologie dela mobilité y compris avec les paysdu Sud, dans cet idéal d’un citoyeneuropéen actif et participatif.

L’auteur défend une utopie, uneespérance, bref un « voyage » quivaut plus pour lui-même que parsa destination. Il se soucie peu descontraintes, et c’est sans doute làune faiblesse. Quoi que l’on puissedire de la remise en cause bienréelle de l’État-nation par la mon-dialisation, il ne sera pas facile des’accorder entre nations euro-péennes sur une nouvelle régula-tion du capitalisme financier, surune harmonisation fiscale (quel’auteur lui-même aborde d’ailleurstrès prudemment), sur une politi-que macro-économique plus volon-taire, sur un accroissement du bud-get européen, sur le rapport àl’immigration ou les frontières défi-nitives de l’Europe. On aurait aiméque la piste des « coopérations ren-

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forcées », brièvement évoquée, soitapprofondie. Mais il est vrai quequand on part en voyage, c’est sou-vent pour oublier les tracas et lesdifficultés de la vie réelle.

Maxime Lefebvre

EUROPE ET MONDIALISATION, EUROPAUND DIE GLOBALISIERUNGWolfgang Graf Vitzthum, CatherinePrieto et Rostane Mehdi (dir.)Presses universitaires d’Aix-Marseille, 2006, 386 pages

On oublie trop que la mondialisa-tion ne concerne pas seulement leséchanges et les investissements, ausein d’« économies adossées à desÉtats-nations ». Comme le rappelleSerge Schweitzer dans un articlesur « Le concept de mondialisationdans l’histoire de la pensée écono-mique », il s’agit de réseaux d’inter-dépendances et « aujourd’hui,peut-être surtout, des échanges dessavoirs et connaissances qui entraî-nent un partage et une mutualisa-tion des avancées scientifiques,accélérant de façon cruciale lavitesse de diffusion des innova-tions » (p. 18). Hans von Mangoldt,évoquant « Les États et le principede la démocratie face aux défis dela mondialisation », vient nuancerce propos, en précisant que la mon-dialisation est limitée aux Étatsmembres de l’Organisation de coo-pération et de développement éco-nomiques (OCDE) et cantonnée audomaine économique, laissant lesÉtats assurer leur « fonction éta-tique primaire de garantie » enmatière de sécurité intérieure etextérieure, face au « monde des

acteurs transnationaux » qui seraithors-la-loi. Entre l’État-nation et lamondialisation, l’Europe trouvedifficilement sa place, et il est signi-ficatif que des doutes se fassentjour dans la contribution de JeanVergès sur « L’identité de l’Unioneuropéenne, valeurs universelles,construction régionale » : « UneUnion européenne sans frontières,sans valeurs communes et sansénergie propre, qui ne serait qu’unsystème régional de protection desdroits de l’homme, pourrait-elleréellement apporter le moindreconcours à la promotion desvaleurs démocratiques dans lemonde ? »

À défaut des États, l’Europe peut-elle maîtriser la mondialisation etcontribuer à l’émergence d’un« nouvel ordre international »,conforme à ses valeurs et à sesintérêts ? Deux visions appa-raissent chez les universitaires alle-mands. D’un côté, Martin Net-tesheim décrit la transformationdu droit international public en« droit communautaire », dans laligne des réflexions sur le constitu-tionnalisme international, rejoi-gnant la pensée d’un René-JeanDupuy sur la « communauté inter-nationale », comme le rappelle Oli-vier Tholozan (« Pensée juridiqueeuropéenne et mondialisme huma-niste messianique : le cas exem-plaire de René-Jean Dupuy »).Alors que le droit de la coordina-tion s’adressait aux seuls États etque le droit de la coopération avaitvu naître les organisations interna-tionales, ce nouveau droit « com-munautaire » aurait en chargel’avenir de l’humanité. Le droit

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international ne serait plus seule-ment le garant de la répartition descompétences entre les sujets dedroit, mais le gardien de valeurscommunes, assimilées à des nor-mes impératives de jus cogens.Wolfgang Graf Vitzthum préconise,lui, une conception minimaliste dudroit international, soulignant lesdangers de fragmentation idéologi-que, et critiquant ceux « qui sont entrain de scier la poutre centrale del’édifice juridique commun, qui estl’égalité souveraine des États ».Face à la remise en cause d’un droituniversel « laïque », une concep-tion modeste du droit internationals’imposerait, autour des élémentsde base du multilatéralisme onu-sien comme le respect de l’égalitédes États, l’interdiction du recoursà la force ou la protection des droitsde l’homme. Mais pour les deuxauteurs allemands, les droits del’homme sont le noyau irréductiblede tout ordre international dignede ce nom.

Là encore l’Europe se trouve priseen tenaille entre des visions contra-dictoires de l’ordre international etpeut difficilement faire entendrel’attachement au droit au milieu despassions déchaînées. Pourtant, lacontribution de Rostane Mehdi sur« Le dialogue interculturel, facteurde relance d’un partenariat entrel’Union européenne et son voisi-nage méditerranéen » montre bienles atouts de l’Europe. De même,l’Europe du droit avance, comme lerappellent plusieurs auteurs. EtEmmanuel Putman dans un articleparticulièrement stimulant, évoque« L’élaboration de règles transnatio-nales de procédure » à travers la

coopération de l’American Law Ins-titute et d’UNIDROIT, le vieil orga-nisme de codification du droit inter-national privé. D’autres exemplesnous rappellent que le diable estdans les détails. C’est le cas du textede Harm Peter Westermann sur« L’européanisation du droit dessociétés » ou de la remarquableétude d’Antoine Leca sur « La mon-dialisation et le commerce desmédicaments : l’exemple de lacirculation des produits pharma-ceutiques dans la Communautéeuropéenne », qui souligne l’inco-hérence entre réglementationdouanière et nomenclature phar-maceutique, qui fait les beaux joursdu contentieux communautaire.La modestie semble encoreaujourd’hui de mise, à travers cessolidarités concrètes que préconi-saient Jean Monnet et Robert Schu-man. C’est sans doute la meilleureleçon de ce colloque franco-allemand, plaçant le droit au cœurde la mondialisation.

Emmanuel Decaux

MOYEN-ORIENT

LE PARADOXE IRANIENClaire TréanParis, Robert Laffont, 2006,267 pages

Le livre de Claire Tréan, écrit àl’issue d’un séjour de plusieursmois dans le pays, apporte untémoignage vécu de l’Iran des pro-fondeurs : il vient à son heure. On

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connaît mal ce régime, uniquedans le monde, où un pouvoir reli-gieux règne depuis près de trenteans. Son mode de fonctionnementreste foncièrement opaque, la par-tie visible et accessible – le prési-dent et le gouvernement – nereprésentant que la partie émergée,et subordonnée, d’un pouvoir quireste entre les mains du GuideSuprême, Ali Khameneï, et des ins-titutions qui lui sont directementrattachées. Après les ouvertures etavancées du président réforma-teur, Mohammad Khatami, l’élec-tion de Mahmoud Ahmadinejadapparaît comme un retour enarrière.

Comme le montre bien ClaireTréan, l’Iran est un pays complexe :elle apporte des vues originales surce régime « multiple et ambigu »pour reprendre sa propre expres-sion. Elle donne les raisons profon-des de l’élection de ce président,premier laïc depuis l’instaurationde la République islamique, élu àl’issue d’un scrutin disputé. Sonélection apparaît à la fois commeun « vote contre les mollahs » et unrejet de l’affairisme et de la corrup-tion incarnés par le candidat donnéfavori, tout au moins dans les paysoccidentaux, Hachémi Rasfand-jani. Elle peut s’interpréter égale-ment comme un signe de l’arrivéeau pouvoir de la génération desPasdarans, ces gardiens de laRévolution aujourd’hui quinqua-génaires qui ont eu un rôle majeurdans le renversement du Shah etdans la guerre contre l’Irak. Ils ontainsi acquis une légitimité qui a étéconfirmée par les urnes.

Le livre donne également des vuesnouvelles sur les rouages du pou-voir et les équilibres subtils entreles différentes fonctions ou institu-tions. Il décrit bien l’influence desbassadji, cette milice « mobilisée »en faveur de la défense et promo-tion des valeurs islamiques. Le rôledes associations, telles que les isar-garans, « vouées à la diffusion del’héritage révolutionnaire » ou despuissantes et riches fondations, tel-les Astan Qods ou la Fondation desdéshérités, est souligné. Celles-cisont des acteurs majeurs du jeupolitique comme de la vie écono-mique. Le régime dispose ainsi derelais efficaces qui quadrillent leterritoire et la population.

Malgré un mécontentement évi-dent de la population, en particu-lier chez les jeunes, le régime, parses différents réseaux, tient le pays.L’espoir d’un regime change, sou-haité ouvertement par le gouver-nement américain, semble quelquepeu illusoire. Il apparaît égalementque le président n’est qu’un acteurparmi d’autres – et sans doute pasle plus important – dans le proces-sus de décision. La continuité de lapolitique iranienne, malgré desruptures, retient l’attention. Lechangement apporté par le nou-veau président consiste essentielle-ment en une rhétorique agressive,qui avait disparu du langagepublic mais qui est bien accueilliepar une partie de la population.

Enfin, on lira avec intérêt les pagesconsacrées par Claire Tréan à lafierté nationale, « socle commun detoutes les mentalités iraniennes »,et au sentiment d’appartenir à une

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grande civilisation. La fascinationqu’exercent les États-Unis mériteaussi d’être méditée. Les senti-ments de la population sont à leurégard ambivalents. « La plupartdes Iraniens pensent que la rupturedes relations avec les États-Unis estla cause de tous leurs problèmesmais ils souhaitent qu’elles soientrétablies sur une base équitable,d’égal à égal, dans le respect. »

Leur sentiment de supériorités’exerce d’abord à l’égard des voi-sins arabes, ennemis héréditaires :« le sentiment anti-arabe en effetest quasiment une composante del’identité iranienne ». Pour re-prendre les propos d’un interlocu-teur de Claire Tréan, « il n’y ad’antisémitisme largement répan-du en Iran qu’au sens étymologi-que du terme, et il vise bien davan-tage les Arabes que les Juifs ». Lesdéclarations provocatrices du pré-sident seraient ainsi en décalageavec l’opinion iranienne. Dans lalutte séculaire contre le mondearabe, et plus spécialement contrele voisin immédiat qu’est l’Irak,l’effondrement du régime de Sad-dam Hussein, grâce à l’interven-tion américaine, paraît être uneopportunité historique. La Répu-blique islamique l’exploite très lar-gement, comme en témoigne soninfluence largement relayée par lesmouvements chiites religieux quidominent le gouvernement deBagdad.

Cette analyse qui porte pourl’essentiel sur la situation inté-rieure, mais évoque également lecontentieux nucléaire, permetd’expliquer ce que la politique

extérieure de l’Iran peut avoir dedéroutant. À cet égard, on ne sau-rait trop recommander la lecturede cet ouvrage à ceux qui suiventet commentent un feuilletonnucléaire qui n’est pas prêt des’achever.

Denis Bauchard

RUSSIE-NEI

UZNYJ FLANG SNG. CENTRAL’NAÂ AZIÂ-KASPIJ-KAVKAZ : ENERGETIKA I POLITIKA(« LE FLANC SUD DE LA CEI. ASIECENTRALE-CASPIENNE-CAUCASE :ÉNERGIE ET POLITIQUE »)A. Malgin, M. Narinskij (dir.)Moscou, Navona, 2005,454 pages

La trentaine de contributions decet ouvrage couvre un vastechamp géographique (Asie cen-trale, Caspienne et Caucase) et thé-matique (économie, sécurité etculture politique des États de cesrégions ; politique russe à leurégard ; actions régionales desÉtats-Unis, de l’UE et de la Chine,ainsi que des pays voisins commela Turquie et l’Iran ; rôle des hydro-carbures).

Une première série de réflexionsconcerne l’analyse de la politiquerusse à l’égard des pays du flancsud de la Communauté des Étatsindépendants (CEI), source demenaces pour sa sécurité (trafic dedrogues, islamisme radical, migra-tions clandestines, terrorismes,

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conflits séparatistes ou pauvreté dela population). Cet état de fait suffità rendre impossible un scénario dedésengagement complet de Mos-cou. Plusieurs contributions discu-tent le caractère « néo-impérial »de cette présence, tentant derépondre aux clichés occidentauxen la matière (V. Degoev). Sansavoir les moyens économiques desubventionner les économies desÉtats en question et d’y assurer lastabilité sociale et politique, la Rus-sie mènerait une politique pragma-tique et désidéologisée en cher-chant à se tenir à distance desaffaires intérieures de ces pays(G. Vardania, I. Zviaguelskaya,D. Malycheva).

La deuxième série de réflexionsporte sur l’appréciation des politi-ques occidentales dans ces régions,qui connaissent une incontestableintensification : bases militairesaméricaines, politique de voisi-nage de l’Union européenne (UE)étendue au Caucase, nominationd’un représentant spécial del’Organisation du traité de l’Atlan-tique Nord (OTAN) pour le Cau-case et l’Asie centrale et d’unreprésentant de l’UE pour le Cau-case du Sud. Le jugement desexperts russes sur ces décisions estd’autant plus sévère qu’ils ont ten-dance à y voir une politique occi-dentale plutôt que des politiquesspécifiques. Le point focal est iciune mise en garde contre les dan-gers des pressions extérieures enfaveur d’une démocratisation for-cée de sociétés traditionnelles,voire archaïques, par le biais desrévolutions « de couleur » : les pro-testations sociales risquent

d’entraîner une profonde déstabili-sation, qui pourrait être exploitéepar des éléments extrémistes(I. Zviaguelskaya). Ce risqueconduit à privilégier un change-ment progressif par le haut, afind’éviter les conflits de « deuxièmegénération » dans la région(A. Bogatourov). Concernant lesconflits séparatistes au Caucase, nil’OTAN ni l’UE n’ont, pour lesauteurs, d’expérience significativeen matière de règlement de conflitrespectant les intérêts de toutes lesparties. Or, le gel des conflits sépa-ratistes, que l’Occident reproche àla Russie, n’est rien d’autre que ledébut d’une stabilisation, un pre-mier pas vers le règlement(A. Skakov). Dans ces conditions,le meilleur scénario pourrait être lestatu quo, moins fragile qu’on ne lepense (G. Vardania, S. Lousianin,L. Vardomski).

Enfin, la troisième série deréflexions porte sur le rôle deshydrocarbures dans ces régions,nœud de tensions et d’alliancescomplexes entre pays producteurs,importateurs et de transit. La crois-sance rapide des livraisons annuel-les de la Caspienne, qui dépasse depeu celle de la Russie, pourraitlaisser croire qu’elle représente uneréelle alternative aux approvision-nements russes sur les marchéséloignés (V. Fradkova). Or, pour lesexperts russes, l’impression esttrompeuse. D’une part les réservesde la Caspienne auraient été volon-tairement surévaluées par les Étatsproducteurs pour attirer les inves-tissements et le soutien politiqueoccidental. De l’autre, la Russiecontinue à contrôler une grande

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partie des routes de transit. Ensomme, les réserves de la Cas-pienne ne permettraient pas debouleverser la structure des impor-tations pétrolières : c’est un« trompe-l’œil » pour une Europequi cherche à réduire sa dépen-dance à l’égard de la Russie(A. Oleïnov). En revanche, lepétrole pourrait servir d’élémentintégrateur à un bloc pétrolier danscette partie de la CEI, qui devien-drait alors un acteur comparable àl’Organisation des pays exporta-teurs de pétrole (OPEP) sur le mar-ché mondial. En matière de gaz,Gazprom a conclu des accordspour 25 ans avec le Turkménistan,l’Ouzbékistan, le Kirghizstan et leTadjikistan : il ne manquerait quela volonté politique pour qu’unealliance régionale gazière voie lejour. Au final, cet ouvrage proposeune lecture très géopolitique eténergico-centrée des évolutionsrégionales. Caspienne et Asie cen-trale sont avant tout vues commedes zones de lutte d’influence. Ence sens, ce livre est révélateur desambitions d’une Russie qui n’anullement renoncé à un rôle depremier plan dans ces régions.

Tatiana Kastouéva-Jean

PARMI LES LIVRES ET REVUESREÇUS

B. Badie (dir.), Sorties de conflit etobstacles à la paix, Cahiers du centred’études en sciences sociales de ladéfense, no 17, second semestre2005.

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