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1 Mémoire de stage : La construction identitaire des formateurs en milieu pénitentiaire Directrice de mémoire : Fanny SALANE Pablo SILVA Année universitaire : 2012/2013 UNIVERSITE PARIS OUEST NANTERRE - LA DEFENSE UFR Sciences Psychologiques et Sciences de l’Education Département des Sciences de l’Education Master 2. Mention Cadres d’Intervention en Terrains Sensibles

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Mémoire de stage :

La construction identitaire des formateurs en milieu

pénitentiaire

Directrice de mémoire : Fanny SALANE

Pablo SILVA Année universitaire : 2012/2013

UNIVERSITE PARIS OUEST NANTERRE - LA DEFENSE UFR Sciences Psychologiques et Sciences de l’Education

Département des Sciences de l’Education

Master 2. Mention Cadres d’Intervention en Terrains Sensibles

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Table des matières

Remerciements...............................................................................................................................5

Glossaire.........................................................................................................................................6

Introduction : Mon parcours personnel et professionnel................................................................7

La question de départ : Quelle place, quelle reconnaissance pour les formateurs

chargés des dispositifs de formation professionnelle en milieu pénitentiaire ?.............................9

PARTIE 1 – Cadre notionnel et théorique.....................................................................................11

1- Concepts et notions en jeu

1.1 Sur le concept d'identité..............................................................................................12

1.2 La sociologie des professions : sur le concept de « profession »................................13

1.3 Identité professionnelle...............................................................................................15

1.4 La professionnalisation dans le monde de l'enseignement..........................................17

1.5 Sur le concept de formateur et la formation permanente............................................18

1.6 Les modèles d'identification : vers une typologie des formateurs..............................21

1.7 Le concept de réinsertion des détenus........................................................................23

2- La professionnalisation des formateurs et le cadre juridique de l'activité professionnelle.....25

2.1 La professionnalisation des formateurs : l'évolution du rôle des formateurs

après la loi du 16 juillet 1971...........................................................................................26

2.2 L'institution pénitentiaire en mutation : le travail de réinsertion sociale...................28

2.3 La réforme du 22 mai 1975 et la formation professionnelle

en milieu pénitentiaire......................................................................................................29

2.4 Le visage actuel de la formation professionnelle en prison.......................................33

Problématique : Comment les formateurs construisent-ils leur identité professionnelle dans le cadre

des dispositifs de formation professionnelle en milieu pénitentiaire ?........................................36

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PARTIE 2 – Données contextuelles.............................................................................................38

1- Le territoire

1.1 La ville de Bois d'Arcy...............................................................................................39

1.2 La maison d'Arrêt de Bois d'Arcy..............................................................................40

1.3 La population pénale..................................................................................................41

1.4 Mémoire de la formation professionnelle à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy..........42

1.5 L'offre de formation professionnelle à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy..................44

PARTIE 3 - Analyse du stage.......................................................................................................47

1- Déroulement du stage : positionnement du stagiaire et modes de collectes et d'analyse des donnés

1.1 Positionnement du stagiaire au sein de la structure....................................................48

1.2 Les outils de recueil de données.................................................................................50

§ Travail documentaire................................................................................50

§ Les entretiens............................................................................................51

§ Les acteurs rencontrés et les grilles d'entretiens.......................................52

§ L'observation............................................................................................54

§ L'échantillon : le parcours professionnel des formateurs, leur appartenance

institutionnelle et l'entrée dans le monde de la formation professionnelle en

milieu pénitentiaire..................................................................................55

2- Construction identitaire professionnelle chez les formateurs à la

Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy.....................................................................................................57

2.1 La place des formateurs dans l'organisation du travail

de réinsertion à la Maison d'Arrêt.....................................................................................58

2.2 Fonctions essentielles des formateurs et diverses perceptions de leur

travail en milieu pénitentiaire............................................................................................59

2.2.1 Le choix des stagiaires..............................................................................................61

2.2.2 Les divers types de rapport au public et les formes de travaux institutionnels.........65

2.2.3 Les enjeux économiques derrière la formation professionnelle

en milieu pénitentiaire..............................................................................................68

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2.2.4 La gestion pédagogique de groupes très hétérogènes..............................................70

2.2.5 La méconnaissance de leur public...........................................................................71

2.2.6 Une communication très cloisonnée : secret professionnel et secret partagé..........72

2.2.6 Sur une mission pédagogique très surveillée...........................................................74

2.3 Reconnaissance social et professionnelle chez les professionnels issus de l'immigration.....76

2.2.1 Des professionnels en manque de reconnaissance ?................................................77

Conclusion....................................................................................................................................81

Bibliographie.................................................................................................................................88

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Remerciements

Je remercie chaleureusement toutes les personnes qui ont permis de réaliser cette étude, plus

particulièrement : Fanny SALANE, Ismaël SOUGRAT, Asmita SOUGRAT, Nora SOUGRAT,

Thierry HANSSENS, Jaime MONCADA, Claude FAVERGER, Gautier SERRE, Pierre-Antoine

HARLAUX, José SILVA, Maria Isabel NARVAEZ, Juan ORDENES.

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Glossaire

BEP : Brevet d'études professionnelles

BTP : Bâtiment et travaux publics

CAP : Le certificat d'aptitude professionnelle

CAPET : Le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique

CIEP : Centre international d'études pédagogiques

CHUP : Le Chef d'unité formation professionnelle

DELF : Diplôme d'études de langue française

DILF : Diplôme initiale de langue française

DISP : Direction interrégionale des services pénitentiaires

DUT : Le diplôme universitaire de technologie

ELEEC : Électrotechnique énergie équipements communicants

FLE : Française langue étrangère

SPIP : Service de probation et d'insertion pénitentiaire

RLE : Responsable local de l'enseignement

RLFP : Responsable local de la formation professionnelle

ULE : Unité locale de l'enseignement

UPR : Unité pédagogique régionale

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Introduction

Mon parcours personnel et professionnel

« ...Bonjour Monsieur le proviseur, je m'appelle Pablo SILVA et je me permets de vous

contacter au sujet d'une demande de stage au sein de votre structure... » C’était avec ces mots que je

me suis adressé pour la première fois à monsieur Christian ROUELLAN, ancien proviseur de

l'Unité pédagogique régional de Paris (UPR) il y a 3 ans. A ce moment, j'étais un individu

complètement étranger au monde carcéral en France. La seule information que j'avais à l'époque

c'était le grand nombre de détenus qui obtiennent de certifications de langue française (DILF,

DELF, DALF) dans les différents centres de privation de liberté en France. Cela m’a beaucoup

intrigué en tant qu’agent administratif au sein du Centre international d'études pédagogiques

(CIEP), plus précisément au bureau DILF. Vu le profil social et administratif des candidats pour

lesquels a été créé ce diplôme (1 200 candidats) en France, je me demandais à quoi pouvait servir

une certification de langue pour les détenus ? C'était au cours de mon stage au sein de la maison

d'arrêt de Bois d'Arcy que petit à petit les réponses ont commencé à voir le jour. D'une part, j'étais

surpris de découvrir la forte représentation des étrangers en prison. Pour la plupart, il s'agit des

adultes entre 20 et 55 ans venus principalement d'Europe de l'Est et d'Afrique. Pour eux, avoir une

certaine maîtrise de la langue française est un moyen de survie dans ce milieu. En absence d'un

réseau familial en France, les étrangers se trouvent dans une situation de précarité importante. En

prison, rien n’est gratuit, la nourriture, la télévision, les produits d’hygiène, les cigarettes, l'alcool,

etc. Cette situation de pauvreté peut entraîner des problèmes de violence importants entre les

détenus et envers les agents de l'administration pénitentiaire (surveillants, travailleurs sociaux,

agents administratifs, etc.).

D'après ma première expérience en tant que stagiaire en prison, j'ai constaté le détournement

d'usage des dispositifs de formation de Française langue étrangère (FLE), d’alphabétisation et de

certification linguistique (DILF, DELF) d'adultes d'origine étrangère fait par l'Éducation nationale.

En l’absence de dispositifs qui puissent prendre en charge la population carcérale étrangère non-

francophone, l'utilisation des dispositifs d'enseignement de la langue française devient le seul

moyen pour faire rentrer dans le droit commun. Ces activités affichées comme « de réinsertion

sociale et professionnelle » par l'administration pénitentiaire, servent dans la pratique

principalement à faire marcher la machine carcérale. L'importance attribuée à la mission de sécurité

par l'administration pénitentiaire, les contraintes propres à ce milieu pour rentrer dans une

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dynamique scolaire ou de formation et le faible niveau de formation obtenu pendant l'incarcération

(notamment lié aux caractéristiques socio-économiques de détenus et au temps d’incarcération),

mettent en cause la valeur et l’efficacité des dispositifs de formation et de réinsertion.

Dans le cadre de ma recherche, qui portait sur la motivation de détenus étrangers qui

apprennent la langue française en milieu pénitentiaire, j'ai eu l'impression qu'il avait un certain

manque d'espoir de la part des enseignants de Française Langue Etrangère (FLE) et

d’alphabétisation concernant l'enseignement en milieu pénitentiaire. Après avoir rencontré plusieurs

professionnels chargés de l'encadrement et de l'enseignement des détenus, ils m'ont fait comprendre

que leur travail avait une dimension axée plutôt sur la sphère humanitaire, plus que de

l'enseignement proprement dit. Vu les résultats liés à la réinsertion et à la récidive, les

professionnels n'ont pas tort de se poser des questions.

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La question de départ

Quelle place, quelle reconnaissance pour les formateurs chargés des dispositifs de formation

professionnelle en milieu pénitentiaire ?

D'après les chiffres sur la récidive et la réinsertion professionnelle de la population

carcérale, les détenus ont d’énormes difficultés après leur libération pour trouver un travail ou un

logement. Une prise en charge très faible voire inexistante de la part du Service pénal d'insertion et

de probation (SPIP) et des acteurs sociaux, un manque croissant de moyens destinés aux dispositifs

d'enseignement et formation, des formations peu valorisées sur le marché du travail, un bagage

scolaire très faible et la désocialisation causée par l'incarcération sont quelques éléments qui

peuvent expliquer le faible impact de la politique de réinsertion chez la population carcérale.

L'importance attribuée par l'administration pénitentiaire à la mission sécuritaire en défaveur

de la réinsertion des détenus ainsi que les contraintes en termes judiciaires et structurels propres à ce

milieu, remettent en cause l'importance attribuée aux dispositifs de réinsertion.

Dans un milieu où la plupart des détenus font un usage « détourné » des dispositifs de

formation et de réinsertion, les problèmes d'identité professionnelle et de reconnaissance pèsent sur

le personnel chargé de l'encadrement et du suivi des détenus, notamment sur ceux qui interviennent

dans le cadre des modules destinés à la formation et la réinsertion socioprofessionnelle. À ce sujet,

Bruno MILLY signale que le choix de l'organisation de la scolarisation et de certaines pratiques

pédagogiques permettent « …incidemment d’asseoir, auprès des détenus et des personnels

pénitentiaires, une légitimité professionnelle, différente de celle des bénévoles, différente aussi de

celle des animateurs socio-culturels. Il est donc attendu des détenus qu’ils aient un projet à moyen

terme, qu’ils s’engagent dans des cursus complets et qu’ils soient « investis » (notamment par

l’assiduité) dans les formations. »1

Pour les acteurs qui interviennent de manière ponctuelle en prison (spécifiquement dans le

cadre des formations socioprofessionnelles ou dans les modules de réinsertion), la lutte pour la

reconnaissance des intervenants en milieu pénitentiaire entraîne une modification, parfois

considérable, de leurs pratiques professionnelles habituellement rencontrées à l’extérieur dans la

1 B. MILLY, La prison, école de quoi ?, revue Pouvoirs n°135 - La Prison - novembre 2010 - p.135-147

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formation pour adultes.

Dans ce contexte, et dans le cadre du M2 Cadres d'intervention en terrains sensibles (CITS),

il me semble utile d’impliquer les professionnels, plus particulièrement les formateurs, dans l’étude

sur la mission de réinsertion des détenus. Je me suis intéressé à la construction de l'identité

professionnelle des formateurs chargés de la formation professionnelle en milieu pénitentiaire. Pour

cela il fallait prendre en compte leur positionnement au sein de la structure pénitentiaire tout au long

de l'histoire ainsi que leur place attribuée actuellement.

Comme cela a été signalé par la Cour des comptes dans son rapport paru en 2010, « trop

souvent, la formation professionnelle est encore perçue comme un moyen de rémunérer certains

détenus, sans se préoccuper des perspectives offertes par la formation suivie. Les formations

générales d’initiation aux métiers du BTP, sans possibilité ultérieure de développer certaines de ces

compétences en vue d’une spécialisation professionnelle, constituent l’exemple le plus flagrant de

cette dérive « occupationnelle », qui touche également les établissements en gestion publique 2».

À cet égard, quel est le rôle des formateurs dans cette mission de réinsertion ? Quel est leur

positionnement en tant que professionnels ? Comment construisent-ils leur identité professionnelle

en contexte fermé ? Quels sont les mécanismes d'adaptations identitaires mobilisés par les

professionnels ?

2 Rapport public thématique, le service public pénitentiaire : « Prévenir la récidive, gérer la vie carcérale », 2010 p.99

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PARTIE 1 – Cadre notionnel et théorique

1- Concepts et notions en jeu Avant d'aller plus loin dans ce travail, je voudrais définir les concepts et notions sur lesquels

j’appuierai mes propos au cours de ma réflexion. Le choix bibliographique a été fait essentiellement

en fonction de chaque concept et notion abordés. C'était ainsi que j'ai voulu aborder le concept

d'identité professionnelle depuis le regard porté par la sociologie des professions en France.

Ensuite je me suis intéressé au concept de formation en m’appuyant essentiellement sur le

cadre théorique proposé par Maria VASCONCELLOS, Patrick GRAVE et Claude DUBAR. D'un

point de vue historique, il me semblait très important d'identifier l'évolution de la fonction sociale

et les enjeux de la formation permanente chez les adultes au sein de l'organisation du travail et de la

production des richesses. Après lecture des ouvrages autour de l'évolution de la formation

permanente au cours des dernières années, les changements économiques et politiques ont modifié

de manière importante les rôles de la formation d'adultes ainsi que les tâches attribués aux

formateurs. De mon point de vue, comprendre le processus de professionnalisation ainsi que le

cadre juridique qui encadre le travail des formateurs peut ouvrir des pistes d'analyse notamment à la

reconnaissance sociale et la construction identitaire d'un groupe professionnel très divers en termes

d'origine et parcours socioprofessionnel. Pour cela, la consultation bibliographique des articles de

lois, des rapports institutionnels et de documents officiels ont été une source incontournable afin de

mieux comprendre le fonctionnement des dispositifs de formation permanente ainsi que la pratique

professionnelle des formateurs en milieu pénitentiaire.

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1.1 Sur le concept d'identité

Dans une perspective sociologique, DUBAR signale l'identité comme étant un construit

social, défini par la tension permanente entre l'identité perçue par l'individu lui-même et celle qui

est attribuée par autrui et/ou par l'environnement. Ainsi, l'identité est le résultat à la fois stable et

provisoire, individuel et collectif, subjectif et objectif, biographique et structurel de divers processus

de socialisation qui, conjointement, construisent les individus et définissent les institutions3.

La construction identitaire est le résultat d'une négociation, d'un rapport de force, d'abord

entre l'individu et l'institution (autrui) et ensuite entre l'individu lui-même en lien avec sa trajectoire

sociale. Les éléments biographiques insérés dans un contexte social et des significations que

l'individu articule à l'heure de son récit, vont se traduire par une identité revendiquée par l'individu

lui-même et qui est soumis à la reconnaissance d'autrui. Pour Claude DUBAR, l'identité est le

produit de socialisations successives (1991). Pour l'auteur, le concept d'identité est le résultat d'une

transaction interne à l'individu (identité intériorisée) et externe entre lui et les institutions (identité

proposée). C'est ainsi que Claude DUBAR développe le concept de formes identitaires, en

articulant la dimension identitaire subjective revendiquée par soi et les définitions identitaires

officielles ou objectives attribuées par autrui.

Dans le processus d'attribution identitaire, l'individu est identifié à partir de catégories

sociales légitimes et relativement stables comme par exemple le lieu de résidence, la profession ou

l’origine ethnique. Ce type d'attributions externes et objectives (identité attribuée par autrui) a pour

but d'identifier le type de personne que l’on est en fonction des catégories administratives et

politiques disponibles et par les représentations et paradigmes socialement existants. Dans ce

processus les tensions identitaires entre l'individu et l'institution, les individus aboutissent par

l'étiquetage plus au moins stable dans le temps.

Dans le processus d’incorporation, l'individu assimile l'identité attribuée par autrui en la

mettant en lien avec sa trajectoire sociale (histoire de vie) qui n'est rien d'autre qu'une représentation

subjective de ce qu'il veut être. Ainsi, l'identité d'un individu peut être définie aussi bien par sa

trajectoire sociale comme individuelle (biographique), où l'acte d’appartenance à un groupe de

référence, énonce le type d'individu que l'on a choisi d'être (identité prédicative de soi), elle permet

3 DUBAR, Claude La socialisation, Paris, Collection U, 2003, p109

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de s'individualiser par rapport à une identité « administrative » affectée par défaut. Ce processus de

construction identitaire entraîne une négociation et des tensions permanentes entre l'individu et son

environnement, où l'individu est la recherche d'une mise en cohérence entre une identité sociale

« virtuelle » (attribuée par autrui) et une identité sociale « réelle » (identité pour soi).

1.2 La sociologie des professions : sur le concept de « profession »

Selon les sociologues du travail, l'importance d’enquêter sur le travail est bien plus large que

ce que l'on croit. Certains sociologues font appel à l'articulation et à la transposition de différentes

disciplines scientifiques (notamment en sciences sociales) et à la prise en compte des éléments

d'analyse comme les caractéristiques sociologiques, les effets de genre ou de génération, etc. afin de

comprendre les phénomènes sociaux dans leur complexité. En étudiant les relations

professionnelles, l'organisation du travail, l’identité et la reconnaissance des professionnels, on

pourrait comprendre des phénomènes sociaux plus complexes.

D'abord il faudra établir certains critères sur la notion de « profession » de manière à ce que

l’on puisse la différencier de celle de « métier ». D'ailleurs nous voudrons comprendre comment les

médecins ont fait reconnaître socialement et scientifiquement cette notion en France. Cela peut nous

donner des pistes sur la représentation sociale des professionnels dans la société actuelle.

Pour de nombreux auteurs, la notion de « profession » est liée à un certain savoir-faire, un

savoir-être et une responsabilité sociale. L'importance et l'utilité sociale d'une profession sont

déterminées par la place qu’elle occupe dans le système de production dans la société. D'autre part,

il existe tout un travail des professionnels, pour donner un poids scientifique ainsi qu'une

reconnaissance devant la société.

Au début du XXème siècle aux Etats-Unis, le terme de « profession » a été utilisé pour

désigner toutes sortes de travaux qui avaient un statut élevé aux yeux de la société américaine, et

donc qui avaient une certaine reconnaissance sociale (médecins, professeurs d'université,

professions juridiques, etc).

La médecine s'impose comme profession parce qu'elle bénéficie en premier lieu de résultats

scientifiques solides (en matière de bactériologie essentiellement) (…) en second lieu sous l'effet

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d'un minutieux travail de légitimation4. Ce travail de légitimation a été réalisé par la création des

institutions savantes comme les facultés, académies de médecine, sociétés locales, etc., ainsi que par

la présence intellectuelle dans différents types de publications d'ordre scientifique. La présence des

médecins aux postes à responsabilités et dans le corpus politique en France ne fait qu’augmenter

leur prestige et leur reconnaissance devant la société en général.

Dans le contexte d'après-guerre (1945), les groupes de professionnels, qui, à l'époque

n'étaient pas considérés comme tel, s'organisent en institutions semblables à celles des médecins.

Par le biais de la création d’institutions et de codes de déontologie, des psychologues, des

bibliothécaires ou encore des instituteurs cherchent à valider socialement leurs savoir-faire.

Quels sont les éléments qui peuvent définir une profession? Dans le sens anglo-saxon, le

concept de profession est conçu comme : une série d’opérations d'ordre intellectuel associée à de

grandes responsabilités. Le matériel de base est tiré des sciences et d'un savoir théorique, et il

comporte une application pratique et utile, transmissible par un enseignement formel. Les

professionnels ont tendance à s'organiser dans des associations. Un dernier élément est la

motivation altruiste de ce groupe de savants5. D'ailleurs, il existe des mécanismes d'autorégulation

et de sanction (déontologie) des pratiques professionnelles à l'intérieur même des professions. Selon

l'école américaine, seuls les médecins et les avocats peuvent être considérés comme de « vrais »

professions à la différence des travailleurs sociaux qui à l'époque n'étaient pas organisés.

Dans un sens plus large, en France le concept de profession proposé par DUBAR, TRIPIER

et BOUSSARD est articulé sous quatre types d'usages : A) La profession est une déclaration qui

s'énonce publiquement et qui comme la vocation, est liée à des croyances idéologico-religieuses. B)

La profession est le travail que l'on fait, l'emploi que l'on occupe, dès lors qu'il permet d'en vivre

grâce à un revenu. C) La profession est donc l'ensemble des personnes désignées (et se désignant)

par le même nom de métier au sens large d'activité semblable. D) La profession (en général) est une

fonction, une compétence reconnue au sein d'une organisation (…) définir les professions engage

un travail à la fois cognitif (des savoirs sur les appellations, les spécialités, les filières), affectif (des

valeurs et des préférences), et conatif (des actions pour défendre leurs intérêts, des référence à des

mouvements collectifs).6

4 M. LALLEMENT, Sociologie des relations professionnelles, Paris : la Découverte , 2008, p22 5 C. DUBAR, P. TRIPIER, V. BOUSSARD, Sociologie des professions, Collection U, 2011, Paris,2005, p.9 6 Ibidem

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1.3 Identité professionnelle

Autrefois, « l'identité de métier » était le résultat d'un processus de socialisation commun à

un groupe d'individus appartenant au même milieu familial, social et/ou économique. Au sein de

cette communauté, généralement la transmission de « manières de faire, sentir et penser7» était faite

de manière précoce. Les changements dans la société industrielle, et plus précisément en France

après les trente glorieuses, a modifié le paysage en matière de catégories professionnelles et

d'identité communautaire. La perte du monde ouvrier (la fermeture d'usines, délocalisation, manque

de reconnaissance sociale) a entraîné l'incertitude et instabilité au travail et l'impossibilité de

transmission des savoirs et des valeurs de la part d'anciens travailleurs. Ce phénomène est considéré

comme un type de crise identitaire au sein de la sociologie interactionniste8.

Concernant l'attachement des professionnels à des mouvements collectifs ou syndicats, le

processus d'individualisation surgit en période de crise économique après les Trente Glorieuses et

avec l'apparition d'une nouvelle division internationale du travail. L'individualisation s’impose en

France comme une stratégie politique d'économie néolibérale « destinée à démanteler des pans

entiers de l'économie industrielle (et) à déstructurer les bases de la culture ouvrière »9. Ainsi les

salariés se positionnent comme étant des individus singuliers, « isolés » dans une quête de

reconnaissance personnelle. Après Christian Le Bart, la notion d'individualisation, implique

« l'assignation à l'individu de la responsabilité de se construire comme singulier et différent, à l'écart

des rôles et des habitus »10.

Il me semble qu’une des grandes questions qui émerge donc quand on s’intéresse aux

professions, c’est la question identitaire du groupe professionnel et la prise de consciences de lui-

même, de son unicité, de ses caractéristiques qui réunissent ses membres. Les salariés n'ont aucun

pouvoir de négociation collectif face à leurs employeurs, car l'utilité et la reconnaissance de leur

travail dans l'entreprise sont établies et évaluées en fonction des résultats et non plus en fonction des

7 DUBAR C., « La crise des identités », Collection lien social, Paris,2000 p116 8 Op Cit p118 9 Ibidem 10 C. Le Bart, L'individualisation, Rennes, Presse Universitaire, 2008, p.267

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compétences et connaissances mobilisées par les travailleurs. Ainsi en matière d'accès au pouvoir

dans le monde du travail, les individus en retrait à l'égard de leurs collèges ou de leur groupe

professionnel expérimentent un sentiment d'impuissance lié à la perte ou au manque d'identité au

sein de leur travail. Dans ce sens, Renaud SAINSAULIEU (date) signale les diverses formes de

positionnement vis-à-vis des pairs au travail qui vont du retrait, de l'individualisme, du séparatisme,

de l'affinité sélective, de l’intégration, du compromis et de la solidarité démocratique.

Contrairement aux sociétés holistes où l'individu ne peut pas penser en dehors du collectif,

l'homme moderne est déterminé par l'évolution du modèle économique, qui cherche à rendre plus

opérationnelle et définie la place qu’il occupe dans la chaîne de la production des richesses. Ce

nouveau paradigme entraîne une perte de repères par rapport aux groupes de référence

professionnels, ainsi que des tensions à l’intérieur d'une structure liées aux besoins individuels de

satisfaction personnelle en dépit des intérêts collectifs.

Concernant au concept d'identité au travail mobilisé dans le cadre de cette recherche, il

prend en compte la mutation survenue ces dernières années au cœur de l'organisation du travail.

Insérée dans un système relationnel complexe, l'identité au travail est une construction social

qui « touche à la fois aux systèmes de représentations et aux conditions concrètes des relations aux

travail. L'identité renvoie à une sorte de séquence culturelle de l'action, à toute une expérience

sociale sous forme des modèles devenus inconscientes11».

Claude DUBAR utilise plutôt la notion de identité professionnelle en rajoutant la dimension

biographique (parcours professionnelle et trajectoire de vie) des individus, qui s’insère dans un

système de relations et de reconnaissance professionnels dans le champ du travail. A cet égard,

l'auteur dit que « les formes (identitaires) visées ne sont pas seulement relationnels (identités

d'acteurs dans un système d'action), elles sont biographiques (type de trajectoire au cours de la vie

au travail). Les identités professionnelles sont de manière socialement reconnues, pour les

individus, de s'identifier les uns et les autres, dans le champ du travail et de l'emploi 12»

Concernant à la construction identitaire chez les professionnels, Claude DUBAR identifie quatre

types d'identités. Premièrement, l'identité « hors travail » ce sont des individus qui ont un rapport

essentiellement instrumental avec le travail (salaire), car leur investissement est ailleurs (vie de

famille, vie associative, etc.). Deuxièmement, l'identité d'entreprise est celle où le salarié vise à une

mobilisation ou une carrière à l’intérieur de l'entreprise. Il s’intéresse à la vie interne de l'entreprise

11 R. SAINSAULIEU, L'identité et les relations au travail, revue Education permanente, n128, 1996, p198 12 C. DUBAR, La crise des identités : l’interprétation d'une mutation, Puf, Paris, 1991, p.95

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(gestion, organisation, productivité, etc.) en raison de son implication économique (participation par

achat d’actions) ou affectif envers de son lieu de travail. Troisièmement, l'identité catégorielle est

celle qui s'inscrit au sein d'une communauté ou d'un groupe d'appartenance professionnelle pré-

existant « qui lui fournit son identification principale (par autrui)13». Il s'agit d'une identité

collective dont l'individu adhère aux valeurs portées par la communauté professionnelle.

Finalement, l'identité de réseau ou déclassé, cette forme identitaire est particulièrement partagée

entre « les jeunes diplômés se jugeant déclassés et envisageant une mobilité externe à l'entreprise où

ils travaillent14». Les individus construisent, de manière individuelle, une nouvelle identification

(pour soi) en raison d'une rupture ou un détachement avec la communauté professionnelle.

1.4 La professionnalisation dans le monde de l'enseignement

Concernant le concept de profession dans le monde de l'enseignement, E. PARAIRAT nous

donne des pistes sur la définition de cette notion en citant G. Le Boterf. D’après eux, est

professionnel: « toute personne capable de gérer une situation professionnelle complexe ce qui

implique tout à la fois de savoir agir et réagir avec pertinence, de savoir combiner des ressources

et les mobiliser dans un contexte, de savoir transposer, de savoir apprendre et apprendre à

apprendre et de savoir engager (…) Cela implique, selon lui, non pas l'application servile d'un plan

d'action préétabli, mais l'invention, la construction ou la reconstruction d'actions ou de stratégies

susceptibles d'éclairer, de faciliter la compréhension et, dans les meilleurs des cas, de trouver des

éléments de réponse aux problèmes posés15 ».

Dans l'ouvrage De la déontologie enseignante, Eirick PARAIRAT nous signale l'existence

de quatre critères élémentaires de base ou savoirs dans la construction des professionnels de

l'enseignement:

A) Savoir agir en pertinence : C'est-à-dire, développer une intelligence qui permettra d’aller au-delà

des situations données afin d'anticiper des réponses possibles.

B) Savoir mobiliser des ressources dans un contexte déterminé : Il s'agit de mettre en place une

interaction dynamique des connaissances avec le fonctionnement cognitif et les capacités conatives.

13 Op Cit p119 14 Op Cit p126 15 E. Prairat, De la déontologie enseignante. Paris : Presses universitaires de France, 2005, p33.

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C) Savoir transposer des acquis antérieurs dans des situations nouvelles ou dans des contextes

distincts : Adaptabilité des savoirs acquis par l'expérience ou par la théorie en situations

changeantes qui ne répondent pas forcément à des logiques stables.

D) Savoir tirer parti de l'expérience personnelle : La richesse de l'expérience personnelle permet de

mettre à jour les pratiques pédagogiques voire même les contenus appris.

La possession du statut « professionnel » s'inscrit dans un monde social très riche et

complexe, où les individus font le croisement entre les savoir-faire propres à un domaine et leurs

motivations. La place des professionnels et l'efficacité de leur travail sont aussi conditionnées (d'une

certaine manière) par le « sens » dans un point vue philosophique, qui peut avoir à réaliser une

tâche donnée. Cela veut dire, pourquoi nous (les professionnels) mettons en place nos

connaissances et nos méthodes d'un univers social en particulier? Pour quelles raisons certains

professionnels sont plus à l'aise à un endroit ou auprès d'un public en particulier? A cet égard, il

me semble que les professionnels sont dans un registre de responsabilités sociales et pourtant

d'altérité.

1.5 Sur le concept de formateur et la formation permanente

Il me semble important de définir le concept de formateur car il est présent tout au long de

mon travail de recherche. Malgré l'utilisation quotidienne de ce concept, très peu de personnes

comprennent son sens profond ainsi que la nuance existante entre formateur et d'autres mots qui

appartiennent à la même famille (enseignant, professeur, éducateur, instructeur, etc.). Je suis

conscient que tout effort de définition est incomplet et réduit de manière importante la complexité

de ce concept, nonobstant après un aperçu général, j’adopterai la définition la plus opératoire en ce

qui concerne mon analyse.

La formation permanente : ses univers d'action et sa fonction sociale

Le concept de formateur prend du sens dans le cadre de la formation continue d'adultes. Elle

a été conçue comme un outil d'insertion, de réinsertion, de conversion, d'adaptation ou de promotion

professionnelle dans le marché du travail. Afin de mieux comprendre le concept de formation

permanente et sa fonction sociale, il est nécessaire de prendre en considération sa dimension

pédagogique, juridique et économique. Issue d'un besoin d'émancipation politique et

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épanouissement intellectuel des travailleurs jusqu'à la première moitié du XXeme siècle, la

formation permanente des salariés devient un système juridique à part entière après la loi du 16

juillet 1971. Ce cadre législatif est celui qui encadre pour l'essentiel la partie 6 du code du travail,

« La formation professionnelle tout au long de la vie ».

D'un point de vue historique, en France ce concept de formation est intimement lié au

processus éducatif ou d'instruction professionnelle permanente des adultes au sein des mouvements

sociaux qui permettront d'établir en 1882 le droit à l'instruction publique, sous l’esprit de

perfectionner l'espèce humaine et d'accroître la rentabilité au travail16. Le fort développement

industriel (révolution industrielle) ainsi que les courants philosophiques de l'époque (siècle de

lumières) ont aidé considérablement l'accroissement de cet idéal humaniste et démocratique

d'instruction d'adultes peu qualifiés. Conscients des enjeux politiques et économiques de la

formation d'adultes, les syndicats et les organisations politiques prennent en charge la formation

permanente des ouvriers comme un moyen d’émancipation individuel et collectif17.

Le XXeme siècle a été marqué par un grand nombre de revendications et d'initiatives

relatives à l'accès et à la démocratisation en formation professionnelle continue. Après plusieurs

efforts de la part de l'Etat dans la matière (centres pour chômeurs en 1936, l'association pour la

formation rationnelle de la main-d'oeuvre en 1946, les lois de 1959 et 1966) la loi fondatrice du 16

juillet 1971 met en avant la formation professionnelle permanente comme une priorité en matière de

promotion professionnelle et sociale. Dans le cadre de cette loi, l'éducation permanente est destinée

plus particulièrement aux jeunes ayant interrompu ou terminé leur scolarité et les couches

populaires sans qualification afin de préparer à la conversion des activités à l'intérieur ou à

l'extérieur de l'entreprise. Il s'agissait d'entretenir et perfectionner les connaissances et de favoriser

le développement personnel des individus18. « Depuis 2005, la notion d'action de formation a été

étendue à l'accompagnement, à la validation des acquis de l'expérience et au bilan de

compétences19 ».

Depuis la loi du 16 juillet 1971, il y a eu un développement considérable en matière de la

professionnalisation des formateurs ainsi que sur la de régulation de l'offre des centres de formation

permanente. Cette notion a été redéfinie par la loi du 4 mai 2004 et celle du 25 novembre 2009

16 J. ALLOUCHE-BENAYOUN, M. PARIAT, La fonction formateur, DUNOD, Paris, 2000, p.10. 17 Op Cit. p12 18 Rapport sur la formation professionnelle : le droit de savoir, 2007 www.senat.fr, en ligne consulté le 02/08/2013 19 F. GERARD, Ce que travailler dans la formation veut dire, : Encyclopédie de la formation, groupe demos,

Paris,2004 p.391.

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relatives à la formation professionnelle tout au long de la vie. Elles mettent l'accent sur le caractère

professionnalisant de la formation et sur le rôle d'accompagnateur vers l'emploi des formateurs.

Ainsi on voit apparaître une nouvelle figure chez les formateurs, plus attachée aux centres privés de

formation d'adultes qui interviennent dans les entreprises, dans le cadre de la formation des salariés.

Il existe deux grands mondes sociaux de la formation permanente, avec ses particularités et

ses enjeux : d 'une part le monde des politiques publiques de formation, caractérisé par leur

mission sociale auprès des jeunes, adultes, travailleurs, chômeurs et immigrants, illettrées ou peu

qualifiés qui veulent s'insérer ou se réinsérer de manière immédiate au marché du travail. Gérés par

l'Etat, les dispositifs de formation permanente sont mis en place par les organismes publics et

associatifs. En matière d'approche pédagogique l'accent est mis sur l'accompagnement des

« élèves » ou « stagiaires » qui rencontrent toute sorte des freins dans la recherche d'emploi. Le

discours prépondérant dans ce monde est l'intégration sociale et professionnelle par le biais de la

formation permanente.

D'autre part, le monde de la formation professionnelle au sein des grandes entreprises

est caractérisé par le besoin de performance et le développement des compétences des salariés.

Dans cet univers, on trouve essentiellement des organismes de formation privés à but lucratif. Ce

sont les entreprises qui gèrent leur propre politique de formation, en fonction de leurs intérêts et

besoins. En termes pédagogiques, le formateur joue un rôle de « coach » qui transmet

principalement des savoir-faire. Le discours dans ce monde est de pousser les salariés vers

l’amélioration de leurs capacités et compétences au sein de l'organisation du travail.

Entre ces deux mondes de la formation professionnelle, les différences se font à plusieurs

niveaux : la mission sociale, le public destinataire de la formation, l'approche pédagogique et le

réseau institutionnel. A cet égard, le rôle, la fonction et la reconnaissance des formateurs sont

conditionnés par l'appartenance à ces mondes.

Maria Vasconcellos dans ses travaux concernant la situation et la place des formateurs,

soutient la thèse, « …qu'une formation (apprentissage), plus que la transmission de connaissances et

savoir-faire, contribue à la permanence/continuité d'un groupe professionnel par les normes et les

valeurs qu'elle diffuse, la création des dispositions, d'attitudes et comportements propres à un métier

ou à une profession ayant trait à des identités collectives20 ». Ceci dit, la formation permanente est

20 M. VASCONCELLOS, Les formateurs ; l'accès au métier, actualités de la formation permanente, n 94, Paris 1988

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au cœur du phénomène de reproduction sociale d'un groupe professionnel. Pour une partie de la

population, la formation permanente cherche à revaloriser la force du travail des salariés afin d'être

plus performants au sein du système de production. Pour une autre partie de la population, il est

question de s'occuper et de former les individus (souvent les plus jeunes) qui ont quitté le système

scolaire sans aucune qualification.

La forte implication du patronat dans la formation et perfectionnement professionnel du

salariat et la signature du droit au congé individuel de formation rémunéré, vont mettre en évidence

l’interdépendance entre travail, productivité et formation continue. Dans un contexte de crise

économique, difficultés sociales et de changements des modèles et de méthodes de production,

l'accès à la formation professionnelle dans leur activité salariale reste un privilège pour ceux qui ont

compris les enjeux et la valeur économique autour de l'éducation permanente.

Malgré ces pistes d'analyse, il est très difficile de savoir ce qu’est un formateur à cause de

l’absence d'un statut, une situation ou une position précise dans l'organisation du travail. Dans cette

famille d'idées, il me semble pertinent d'étudier et analyser le concept de « formateur » comme une

représentation sociale en constante évolution, qui trouve ses origines dans un processus historique

complexe. Dans une approche interactionniste, la reconnaissance et les fonctions attribuées aux

formateurs en France sont intimement liées à leur mission sociale, politique et pédagogique.

1.6 Les modèles d'identification : vers une typologie des formateurs

Ainsi il est possible de repérer plusieurs modèles d'identification21 de formateurs d'adultes

en fonction de leur rôle social, leur statut et de leur place (objectif et subjectif) dans le processus de

formation.

a) Le modèle du « thérapeute » social ou travailleur social : Sous le rôle de « maître

compagnon »22 il est censé accompagner le demandeur de formation afin qu'il puisse s'insérer ou

réinsérer dans la vie active et sociale. Par son intervention autour d'une formation technique,

physique et morale, le formateur est responsable de tisser et/ou fortifier des liens entre l'individu et

la société. Malgré l'adoption de cette identité par certains formateurs, « Sont actuellement exclues

21 Le « modèle professionnel » est un système symbolique, abstrait qui renvoie à des activités de travail typiques de

professions proches du groupe professionnel des formateurs d’adultes. 22 op. Cit. p58

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en revanche, les actions dont l'objectif est le soin thérapeutique, le bien-être, le loisir, les prestations

d'information, l'initiation à une technique quand l'action est de trop courte durée pour permettre

l'acquisition de véritables compétences ou savoir-faire23 ». Identifié sous le modèle professionnel de

l’enseignant ou d'accompagnateur, ce type de formateur intervient « dans le monde des politiques

publiques dans la mesure où celui-ci prend principalement en charge l’insertion sociale et

professionnelle des jeunes, des demandeurs d’emploi et des primo arrivants24 ».

b) Le modèle de « l’enseignant » : Ce segment est composé par des enseignants originaires de

l'Éducation nationale, ils ont basculé vers le monde associatif ou les centres de formation d'adultes

ou les associations de manière partielle (travail alimentaire) ou à plein temps. Dans le cadre de leur

mission de formation professionnelle ou dans la réparation de l’échec scolaire, leurs compétences

pédagogiques sont très valorisées. « L'ancrage identitaire externe à la formation semble le plus

souvent lié à leur formation (de technicien ou d'un haut niveau de formation générale), porteuse

d'identité professionnelle, plus valorisé et valorisante25».

c) Le modèle du « psychologue » : Au sein de ce modèle, les formateurs adhèrent au discours

officiel de la formation professionnelle tout au long de la vie, duquel ils maîtrisent le processus de

formation dans le plan psychologique (affectif, psychosocial), pédagogique (transmission des

connaissances) et d'orientation vers la réinsertion « autonome » des individus dans la vie active

(accompagnateur social).

d) Le modèle de « l’expert » : Regroupant les cadres ou responsables de la conception, la mise en

fonctionnement et l'évaluation des dispositifs de formation professionnelle, généralement dans le

monde de grandes entreprises. Il existe trois niveaux d'expert :

d.a) L'expert en formation : Grâce à ses compétences acquises par la recherche

scientifique (ingénierie de la formation par exemple), il est capable d'orienter et de proposer

un service de consultation concernant la formation proposée aux salariés.

d.b) Le responsable de formation : Issu du terrain, ses compétences en matière de

formation permanente sont le résultat de son expérience professionnelle et du contact avec 23 Ibidem. 24 E. POTTIER « Les formateurs d'adultes un groupe professionnel segmenté en tension entre deux mondes », Thèse

de doctorat de sociologie sous la direction de C. DUBAR, Université de Versailles Saint Quentin en Yvelines UFR des Sciences Sociales et des humanités, 2005. p176

25 P. GRAVE, L'identité professionnelle des formateurs, revue Identité(s), l'individu, le groupe la société, Editions Sciences humaines, Auxerre, 2009, p222

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les différents acteurs impliqués, les difficultés dans le fonctionnement du projet et la

connaissance du public bénéficiaire du dispositif formation.

d.c) Les « techniciens de l’enseignement » : Il est responsable d'assurer un enseignement

plutôt technique et opérationnel aux salariés.

Pour conclure autour du concept de formateur, je voudrais souligner que leur rôle et leur

reconnaissance sociale doivent être compris dans un contexte de mondialisation où l'apparition des

nouvelles technologies a entraîné une redéfinition de leurs tâches et leur mission sociale au sein du

système de production. A ce sujet, il me semble important de mettre en évidence la corrélation

existant entre productivité-rentabilité attribuée à la formation professionnelle dans le cadre de la

formation permanente des adultes au sein de l'organisation du travail. Ainsi, « la genèse

institutionnelle de la formation permanente se trouve dissimulée derrière les légitimations que les

discours politiques et éducatifs tendent à lui donner ; mais c'est aussi en réponse ou en alternative, à

la crise généralisée des systèmes éducatifs traditionnels que la formation permanente s'est

définie26». Comme nous pouvons le constater, la définition des fonctions du formateur, leur statut et

leur reconnaissance sociale sont intimement liées aux conditions matérielles et symboliques de leur

exercice.

1.7 Le concept de réinsertion des détenus

Concernant la notion de réinsertion socioprofessionnelle des détenus, en 1981 l’association

« Faire », formée par des professionnels de l'enseignement et du travail social, met en place un

dispositif appelé « chantiers école » destinés à favoriser la réinsertion sociale et professionnelle des

détenus lors de leur libération. Il s’agissait d'un des premières expériences de prise en charge des

détenus avant leur sortie.

Un des événements majeurs au sujet de la réinsertion et la préparation à la sortie a été la

création de la loi du 22 juin 1987 relative au service pénitentiaire qui redéfinit le rôle du service

public pénitentiaire ainsi que la fonction de l'incarcération qui doit favoriser « la réinsertion sociale

des personnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire (…) de manière à assurer

l’individualisation des peines27». Après l'abolition du travail obligatoire en 1987, la politique

26 Op Cit. p21. 27 Loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, source www.legifrance, consulté le

17/08/2013

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pénitentiaire a laissé la place aux activités de travail, culturel, d'enseignement et formation

professionnelle. Dans ce sens, « Les activités de travail et de formation professionnelle sont prises

en compte pour l'appréciation des gages de réinsertion et de bonne conduite des condamnés (…) Au

sein des établissements pénitentiaires, toutes dispositions sont prises pour assurer une activité

professionnelle aux personnes incarcérées qui le souhaitent28».

A cet égard, un des acteurs majeurs dans la mission de réinsertion sociale et professionnelle

des détenus est le Service pénitentiaire d'insertion et probation (SPIP). Créé en 1999, ce service

« contribue à l'insertion ou à la réinsertion des personnes qui lui sont confiées par l'autorité

judiciaire, à la prévention de la récidive et à la sécurité publique dans le respect des intérêts de la

société, des droits des victimes et des droits des personnes détenues. Il est organisé de manière à

assurer l'individualisation et l'aménagement des peines des personnes condamnées29». C'est avec la

création du SPIP que la notion de « préparation à la sortie » devient une politique majeure dans la

lutte contre la récidive.

Pour la commission des droits de l'homme, cette nouvelle conception de l’incarcération, vise

à la réinsertion ou à la resocialisation des détenus en leur donnant les moyens « d'acquérir la

capacité et la volonté de mener une vie responsable, de s’affirmer dans une société libre à l’avenir

sans commettre de délit, de profiter de ses chances et de tenir compte de ses risques30».

L'ouverture de l'institution pénitentiaire et l’implication croissante de divers acteurs

institutionnels et privés depuis les années 80, en matière d'enseignement et de formation

socioprofessionnelle en milieu pénitentiaire, met en évidence le changement de conception autour

de l'incarcération. Ainsi, on s’aperçoit qu'après la loi du 22 juin 1987, le travail et l’enseignement,

sous forme d'une remise à niveau ou d'une formation qualifiante, sont les deux axes principaux dans

la politique de réinsertion socioprofessionnelle des détenus.

28 Loi du 19 décembre 1997, article 720 du code de procédure pénal, source www.legifrance.fr, consulté le 17/08/2013 29 Loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire, article 2, source www.legifrance.fr, consulté le 16/08/2013 30 L'étude sur les droits de l’homme dans la prison fait par La commission des droits de l'homme et adoptée par l’assemblée plénière du 11 mars 2004, p12

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2- La professionnalisation des formateurs et le

cadre juridique de l'activité professionnelle

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2.1 La professionnalisation des formateurs : l'évolution du rôle des formateurs après la loi du

16 juillet 1971

D'après les travaux de Serge de Witte, au cours des années 1990 la professionnalisation des

formateurs est en train de changer par l'apparition des critères comme l’efficacité et l'évaluation de

résultats en fonction des moyens mis à disposition par le centre de formation et les partenaires. Sous

forme de « service de prestation », la formation permanente devient un produit qui doit être en

accord avec la commande initiale. C’est à ce moment que les formateurs commencent à avoir une

certaine reconnaissance au sein du système de production. Dans l'article « l’évolution des métiers de

la formation au début des années 90 », Serge de Witte identifie les trois grandes fonctions des

formateurs au sein de la formation permanente :

A) La fonction politique : Le formateur au sein du lieu de travail est porteur d'un discours

et d'une posture politique cohérents afin de rentrer dans la logique de la politique de formation.

« Cette fonction politique est souvent souhaitée par les partenaires sociaux qui contribuent à lui

donner du corps et correspond assez bien au rôle de responsable de formation tel qu'il existe depuis

assez longtemps dans nombre de grandes entreprises »31.

B) La fonction de conseil : « ...ce n'est plus le pédagogique qui tente de dicter ses lois au

réel ; c'est le réel social (état de la population à laquelle on s'adresse), économique (l'urgence de

l'action), financier (le coût de tout acte, fut-il pédagogique), qui demande un traitement approprié,

des réponses nouvelles et réalistes, des solutions hardies, aussi peu dogmatiques que possible 32»

C) La fonction pédagogique : Selon Serge de WITTE, il existe une zone d'ombre dans la

sphère pédagogique au cœur de la formation permanente en raison de l'importance attribuée à la

dimension professionnalisante de la formation en dépit de la dimension pédagogique. Celui-ci

ajoute « ...tout ce qui relève de l'analyse des objectifs généraux en sous-objectifs opératoires, relève

31 S. de WITTE, « l’évolution des métiers de la formation au début des années 90 », Actualités de la formation

permanente, n° 103, Paris, 1989. 32 Ibidem

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des contraintes de toute nature (de budget, de délais, de fréquence, du niveau de la population

concernée.), de leur traduction en cahier de charges, d'un éventuel appel d'offre auprès d'organismes

prestataires de service de qualité, de la conception du dispositif de formation incluant dès ce stade

les indicateurs utiles à la conduite et à l'évaluation, de sa structure interne avec voies d'accès, de

sortie, de changement de niveau, etc., tout cela est superbement ignoré encore de bon nombre de

nos interlocuteurs..33».

Malgré la polysémie autour de la figure du formateur, Serge de WITTE soutient que la

maîtrise de la dimension didactique ainsi que l'approche pédagogique utilisée dans le cadre de la

formation, sont des aspects essentiels dans le processus de professionnalisation des formateurs.

« ...la maîtrise d'un contenu, la capacité à le travailler pour le rendre appréhendable, la connaissance

des rythmes d'apprentissage, constituent le minimum vital de tout bon didacticien qui fournit,

lui, un véritable travail qualifié, comportant une nette plus-value par rapport à l'animateur ou au

formateur non spécialisé et qui nécessite d'une véritable formation »34. Ainsi, la prestation de

« services de qualité » faits par les centres de formation, modifie de manière importante le rôle, les

tâches et la visibilité des formateurs, maintenant responsables de l'accueil, l'orientation individualisé

(voire le suivi), de l'éducation des « clients ».

L'image identificatoire des formateurs, leur rôle et leur reconnaissance dans l'organisation du

travail a évolué en fonction de changements politique et économique au cœur de l'organisation du

travail et du contexte de leur intervention. Et même si le sens profond du travail de formateur est

d'assurer la passerelle entre la formation professionnelle et l'insertion dans le monde du travail des

adultes, « La définition de ces rôles est souvent directement liée aux structures et aux dispositifs

dans lesquels ils interviennent35». L'image du formateur diffère essentiellement de celle du maître,

de l'animateur ou de l'éducateur dans sa capacité de prendre « en considération la globalité de l'acte

éducatif, dépassant le cloisonnement des différentes disciplines pour s'attacher à l'étude des

problèmes concrets, en prêtant une attention toute particulière aux problèmes relationnels, au

« vécu » des apprenants sous toutes ses dimensions affectives, sociales, culturelles (…) il est investi

d'un pouvoir de former ou d'y contribuer ; à ce titre il exerce une certaine autorité et établie un

rapport particulier au savoir36». La maîtrise du processus de formation en matière de métacognition

et le lien logique des contenus avec le monde du travail, est une de compétences qui définissent en

grande partie la fonction du formateur. En quelque sorte, le formateur est un professionnel situé au

33 Ibid. 34 Ibid. 35 Op Cit. 36 Op Cit p50

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milieu de la sphère cognitive, entre les conditions objectives des dispositifs de formation et les

besoins du marché du travail.

Les fonctions et implications de formateurs auprès des stagiaires se sont multipliées après la

loi de juillet 1990 sur la qualité et le contrôle de la formation professionnelle continue, car dans la

logique de prestation de service, il ne suffit plus de maîtriser les savoirs rattachés à chaque

discipline (dimension pédagogique). Comme nous avons constaté dans le Rapport d'étude sur

l'évolution du métier de formateur, la diversification des tâches et la polyvalence chez les

formateurs en termes de conception, de mise en marche et d'évaluation des dispositifs de formation

ainsi que la prise en charge des stagiaires, a considérablement changé la donne pour les formateurs.

De plus en plus, le service de formation doit être intégral, dès la conception du matériel

pédagogique et d'autoformation, en passant par la communication et la collaboration avec les

partenaires et acteurs sociaux, jusqu'au suivi et accompagnement des élèves vers leur insertion au

marché du travail. Partagés entre les particularités du fonctionnement de leur lieu de travail, les

logiques internes du centre de formation auquel ils sont rattachés et leur culture professionnelle,

« on observe une professionnalisation éclatée et segmentée à l'image du marché de la formation

(...) et d'un côté, des formateurs qui définissent leur rôle par rapport aux attentes des individus ou

des groupes engagés dans un processus de formation...37». Ainsi, les formateurs se trouvent divisés

entre les impératifs économiques (production et rentabilité) qui conditionnent le rôle et la place de

la formation permanente, et les réalités culturelles et l’épanouissement personnelle des salariés.

2.2- L'institution pénitentiaire en mutation : le travail de réinsertion sociale

Les premières initiatives qui visaient à la réinsertion des détenus, ont eu lieu au lendemain

de la second guerre mondiale avec la création de la « Commission Amor ». Elle a fondé les bases du

système pénitentiaire contemporain en proposant une série de mesures destinées à l’amélioration

des conditions de vie des détenus (droit au travail, la formation, occupation du temps pendant

l'incarcération etc.) ainsi que la formation du personnel pénitentiaire. Dans ce contexte, la

commission Amor considère que « La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement

et le reclassement social du détenu »38. Dans cette période, la prise en charge des détenus était

37 P. GRAVE, Formateurs et identité, Education et formation, Paris, 2002, p.37. 38 P. AMOR directeur de l’Administration Pénitentiaire nommé en 1944. Il est un des principales responsables de la réforme de l'administration pénitentiaire de nos jours. Philippe POISSON, 1946 -1947 La Réforme Pénitentiaire L’Ecole et le Centre d’Etudes Pénitentiaires, (en ligne) Document (consulté le 06 avril 2013) http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-29125199.html

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assurée par le personnel pénitentiaire, comme l'instructeur technique autour duquel gravitent

quelques acteurs secondaires comme les éducateurs et assistants sociaux39.

Dans un premier temps, la prise en charge des détenus était destinée à ceux qui ne

pressentaient pas des difficultés particulières, dans une seconde période la démocratisation de

l'enseignement et de la formation professionnelle a entraîné l’intégration d'un public porteur des

grosses difficultés d'ordre social, économique et social. Des compétences et de savoir-faire plus

spécifiques et divers doivent être mobilisés afin de réinsérer cette population. Durant les années

1950 les Ministères de la Justice et de l'Éducation nationale s'entendent pour développer la mise en

place de cours en prison. En 1963, l'éducation nationale crée les premiers postes d'instituteurs

spécialisés à temps plein, pour répondre aux obligations scolaires des mineurs incarcérés.

Parmi les activités proposées en milieu pénitentiaire, le travail pendant l'incarcération reste

le moyen privilégié par l'administration pénitentiaire vers la réinsertion. Il est reconnu comme le

droit majeur des détenus dans la constitution de 1946. Certains chercheurs et hommes politiques de

l’époque expriment leur méfiance sur la capacité de réinsertion d'un travail souvent destiné à

combler les besoins de l'administration pénitentiaire (nettoyage, restauration, travaux de rénovation)

ou des prestataires externes.

Considéré comme une politique propre à chaque lieu de détention et non pas comme une

politique d'Etat, ce processus de démocratisation de l'enseignement et de la formation en prison ne

concerne que certains établissement pour peine comme le centre école d'Oermingen et le centre de

formation professionnelle d'Ecrouvres. Dans ce sens, l'administration pénitentiaire considérée la

« formation professionnelle ne représentant plus, alors, qu'une activité parmi les autres40 ».

2.3 La réforme du 22 mai 1975 et la formation professionnelle en milieu pénitentiaire

Le caractère d'obligation nationale de la loi du 1971 concernant à la formation permanente

des adultes et les révoltes de la part de détenus en juillet 1974, ont contribué à l'entrée de la

formation professionnelle en prison. « Mais ce premier mouvement, lié à l'évolution sociale

générale en matière de formation d'adultes, a dû, pour pouvoir bénéficier aux détenus, en rencontrer

un second : celui de l'évolution de la politique de l'administration pénitentiaire traduit par la réforme

39 M. FIZE, la formation professionnelle en milieu carcéral, Déviance et société, 1981, vol.5 No 3, p247-259 (en ligne) article (consulté le 06/04/2013) 40 ibid.

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30

de 1975 41». C'est ainsi que en 1975 voit le jour la première collaboration entre le Ministère de

l'Éducation nationale et le Ministère de la justice en matière de formation permanente en prison. La

mise en place de cette réforme impliqua des modifications internes à l'administration pénitentiaire

comme l'augmentation et capacité du personnel chargé de la mission de formation et réinsertion et

la rénovation du régime de détention en adaptant les conditions matérielles et réglementaires de la

population carcérale. Les trois axes essentiels de cette réforme sont : a) l'adaptation des conditions

d'exécution des peines à l'évolution de la société moderne, b) l'accentuation des missions de

resocialisation des détenus, c) l'adaptation des personnels à ces tâches en termes de formation et

qualification nécessaire dans le cadre de cette nouvelle mission. Ainsi l'accent est mis sur la mission

« d'enseignement, de formation professionnelle, de travail et de préparation active à la libération42».

Dans un premier temps la formation professionnelle de type FPA43 a été assurée par des

professeurs et instructeurs techniques de l'administration pénitentiaire et par les formateurs de

l'Education Nationale sous la responsabilité pédagogique des Délégations académiques à la

formation continue. En 1978, le Ministère de l'Education Nationale détache un conseiller de

formation auprès de l'administration pénitentiaire.

D'après le rapport sur l'application de la réforme de 197544, les obstacles rencontrés dans la

mise en place de cette réforme ont été à plusieurs niveaux. Premièrement, le faible pourcentage des

détenus qui ont bénéficié d'une formation pendant leur incarcération (3%) en raison des lieux de

détention peu adaptés et de la durée de leur peine. Parmi la population carcérale touchée par la

réforme, ce sont surtout les condamnés à de longues peines dans les maisons centrales qui

bénéficient des dispositifs de formation professionnelle, tandis que les jeunes en maison d'arrêt

condamnés à de petites peines ont plus de difficultés au niveau social. Deuxièmement, la réforme

entraîne des modifications en matière judiciaire comme l’aménagement de peines, la libération

conditionnelle comme résultat du bon comportement du détenu. Troisièmement, le budget destiné à

la formation professionnelle en milieu pénitentiaire est considéré comme insuffisant pour le

fonctionnement des ateliers, l'achat du matériel et la préparation d'examens.

Depuis la réforme du 1975, de nombreuses lois et actions ont été mises en place dans le

cadre de la réinsertion et la préparation à la sortie des détenus. Voici un récapitulatif des initiatives 41 J.C. Meilhac « La formation dans les prisons », érès, Paris 1980, p8 42 Op Cit p20 43 Formation conduisant en 9/10 mois au certificat de formation professionnelle délivré par l'AFPA (Association pour la formation professionnelle des adultes relevant du Ministère du Travail), soit de préformations d'une durée moyenne de 3 mois (21 sections en 1979) qui ne sont sanctionnées par aucun diplôme. 44 M. Seyler, L'application de la réforme pénitentiaire de 1975, Paris, CNERP, 1978, p23

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en matière de réinsertion socioprofessionnelle de la population carcérale :

La loi du 22 juin 1987 vise à la conception, la construction et l'aménagement des nouveaux

d'établissements pénitentiaires afin lutter contre la surpopulation carcérale. Cette loi favorise « la

réinsertion sociale des personnes confiées par l'autorité judiciaire. Il (le régime pénitentiaire) est

organisé de manière à assurer l'individualisation des peines45».

Les principes fondamentaux relatifs au traitement des détenus, adoptés par assemblée

générale dans sa résolution 45/111 du 14 décembre 1990 stipulant le respect des convictions

religieuses et préceptes culturels du groupe auquel appartiennent les détenus. De même, tous les

détenus ont le droit à la culture, à l'enseignement ainsi qu'aux activités sportives bénéficiant d'un

enseignement visant au plein épanouissement de la personnalité humaine pendant l'incarcération.

L'établissement pénitentiaire doit assurer l'accès au droit commun des détenus en leur permettant de

prendre un emploi utile et rémunéré, lequel facilitera leur réintégration sur le marché du travail du

pays et leur permettra de contribuer à subvenir à leurs propres besoins financiers et à ceux de leur

famille.

La loi Perben II ou la loi du 9 mars 2004, considérée comme la plus importante réforme

depuis la refonte, en 1973, du Code pénal de 1810 ; elle ne modifie pas moins de 350 articles de

procédure, et 70 du Code pénal46. Cette loi porte sur la mission de réinsertion et sur les différentes

modalités d'aménagement de peine des détenus de la part des Services pénitentiaires d'insertion et

de probation (SPIP).

Dans l'étude sur les droits de l’homme dans la prison fait par la commission des droits de

l'homme et adoptée par l’assemblée plénière du 11 mars 2004, la mission du Service pénitentiaire

d'insertion et de probation (SPIP) est redéfinie sur trois axes :

a) La restauration du lien social comme fonction essentielle du service pénitentiaire :

« pour faire de la période d’incarcération un moment organisé autour de la restauration du lien

social, en prévision de la sortie de prison. La restauration du lien social passe par la présence d’un

référent pour le détenu dont le rôle est clairement défini et orienté vers l’insertion : travailleurs

sociaux ou conseillers d’insertion et de probation. La période d’incarcération ne doit plus être

45 Loi n° 87-432 du 22 juin 1987 relative au service public pénitentiaire, source : www.legifrance.fr, consulté le

16/08/2013 46 P. Kramer, La loi Perben II et les évolutions de la justice pénale, Études 2/2005 (Tome 402), p. 175-183.

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envisagée comme une exclusion au nom d’une sécurité à court terme47».

b) L’encadrement juridique de la mission dite de sécurité : Les mesures disciplinaires et

sécuritaires, souvent mises en avant par l'administration pénitentiaire, deviennent des contraintes

importantes dans le travail des professionnels chargés du processus de formation et réinsertion des

détenus. Dans ce sens, « Il convient de déterminer précisément les contours des notions d’ordre et

de sécurité, pour éviter que toute difficulté de fonctionnement ne soit en pratique l’occasion d’une

limitation des droits des personnes détenues48».

c) L'accès au droit : La commission des droits de l'homme, rappelle que la loi du 12 avril

2000 en fait une nouvelle mission de service public. Ainsi, la population carcérale n'a pas accès aux

circulaires et documents dont les dispositions leur sont pourtant quotidiennement opposées. Ce

manque d'information et communication à l'intérieur de l'établissement pénitentiaire « favorise le

développement de pratiques éloignées des prescriptions textuelles et l'émergence de logiques de

"favoritisme49". De même, l’article 83 de la loi contre les exclusions énonce : " les personnes

condamnées à une peine d’emprisonnement ont droit, pendant l’exécution de leur peine, à une

information sur leurs droits sociaux de nature à faciliter leur insertion ". Ce droit est souvent ignoré

par les services concernés à cause d'un manque d’effectifs ou de volonté de la part de

l'établissement pénitentiaire.

D'après le code pénal de 2010, dans l’article D573 concernant à la formation professionnelle

en milieu pénitentiaire, le « Service pénitentiaire d'insertion et de probation, avec la participation, le

cas échéant, des autres services de l'Etat, des collectivités territoriales et de tous organismes publics

ou privés, favorise l'accès aux droits et aux dispositifs d'insertion de droit commun des détenus et

personnes qui lui sont confiées par les autorités judiciaires50». De même, l'article D457 assure les

conditions matérielles dans le cadre de la formation professionnelle des détenus, en signalant que

« le détenu susceptible de profiter d'une formation professionnelle peut être transféré dans

l'établissement pénitentiaire où elle est assurée, à condition que sa situation pénale le permette51».

47 Op Cit p13 48 Op Cit p13 49 Op Cit p14 50 Code du procédure pénale 2010, article D573, source www.legifrance.fr, consulté le 17/08/2013 51 Code du procédure pénale 2010, article D457, source www.legifrance.fr, consulté le 16/08/2013

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2.4 Le visage actuel de la formation professionnelle en prison

D'après la circulaire DAP du juillet 2003, la formation professionnelle est un droit garanti

aux personnes détenues. Ces dispositifs mobilisent divers acteurs à différents niveaux ; le Ministère

de la justice, le Ministère du travail et le Fonds social européen ont en charge le pilotage et le

financement des actions de formation. Le Ministère de l'Education nationale et les divers

organismes de formation d'adultes sont responsables de la gestion et l'organisation pédagogique de

la formation professionnelle. Le Chef d'unité formation professionnelle (CHUP) est nommé au sein

de chaque Direction interrégionale des services pénitentiaires (DISP). Son rôle est de veiller à la

cohérence des actions en matière de formation dispensée dans chaque établissement et valider les

plans de formation conjointement avec le directeur interrégional. Selon le type de gestion

administrative de l'établissement (gestion publique ou gestion déléguée), le Responsable locale de

formation professionnelle (RLFP) appartient à l'administration pénitentiaire ou travaille pour le

compte du groupe privé.

Selon l'administration pénitentiaire52, en 2010 49 517 personnes détenues ont été

scolarisées. 27,5 % ont préparé les diplômes de niveau 5 (CAP-BEP, Brevet). 23 878 personnes

détenues ont bénéficié d’une action de formation professionnelle qualifiante ou diplômante. Ces

chiffres sont largement contestés par l'Observatoire international des prisons (OIP) qui signalent

qu'en 2010 elle n'a concerné que 8,6% des personnes détenus53. Les personnes détenues en

formation sont majoritairement de sexe masculin (96 %) et jeunes (plus de 60% d’entre elles ont

plus de 26 ans). Le public bénéficiaire des actions de formation professionnelle en prison éprouve

de grandes difficultés sociales et économiques (illettrisme, absence de qualification, précarité,

sanitaire, etc.). Concernant la population féminine, qui représente moins de 4 % des effectifs de la

population pénale, elle se maintient à plus de 6 % du total des personnes entrées en formation

professionnelle. Sur l'ensemble des personnes entrées en formation en 2010, 57 % des détenus ont

suivi une formation de pré-qualification ou de qualification de niveau 5.

D'après les chiffres fournis par l’administration pénitentiaire, ils montrent que sur

l’ensemble de la population carcérale ; 64 % n'a aucun diplôme ou qualification, 60 % se trouve

sans activité salariale et 30 % maîtrise difficilement la langue française. Actuellement, 152

52 L’enseignement en milieu pénitentiaire, Rapport annuel sur l’année 2011, Source : http://www.justice.gouv.fr, consulté le 20/09/2013. 53 Observatoire internationale des prisons (OIP), Guide du prisonnier, La découverte, Paris, 2012, p182

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établissements pénitentiaires proposent un dispositif de formation professionnelle, sous la

responsabilité du RLFD (appelé aussi RLFP). Ce travail de certification en prison est possible grâce

à la collaboration entre l'administration pénitentiaire et l'Éducation nationale Celui-ci est adapté aux

contraintes du milieu carcéral (sécurité, public présentant un très faible niveau de qualification,

durée parfois très courte d’incarcération) et au type d'établissement. À cet égard, le rapport annuel

de 2010 signale « Si l’objectif des dispositifs d’insertion est de rendre, en maison d’arrêt, le temps

de détention le plus « utile » possible en initiant des parcours d’insertion, en revanche, dans les

établissements pour peine, l’objectif est de donner un accès à la qualification ou à la certification

indispensable pour un retour durable vers l’emploi54 ».

À propos de la répartition des personnes détenues pour les principaux secteurs d'activité

dans les formations pré-qualifiantes et qualifiantes, sont principalement orientées vers les

formations du bâtiment et de la restauration (3079 détenus), les métiers de nettoyage et hygiène

industriel (2378 détenus), les métiers de bouche et restauration (1315 détenus) et le secteur

informatique (1411 détenus). Selon l'administration pénitentiaire, « ce sont des secteurs offrant des

possibilités importantes en terme d’insertion professionnelle 55».

Les directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP) et le Responsable local de

formation des détenus (RLFD) déterminent quelles formations professionnelles seront rémunérées.

Les fonds sont alloués essentiellement aux détenus qui suivent une formation qualifiante. Au sujet

à la rémunération destiné au stagiaire, elle est calculée sur une base de 2,26 euros par heure. Le

temps consacré par un détenu à la formation professionnelle ne peut être supérieur à 100 heures par

mois en maison d’arrêt, et à 120 heures en établissement pour peines56. Ainsi, la rémunération

mensuelle ne peut, en principe, excéder 202 euros en maison d’arrêt et 242,40 euros en

établissement pour peines. L'Observatoire international des prisons (OIP) constate une forte

diminution des heures de formation les dernières années ; « alors qu'en 2000 il était en moyenne de

191 heures de formation, il est tombé à 170 heures en 2006, puis à 144 heures en 2010. Ceci est dû

54 Formation professionnelle en milieu pénitentiaire, Rapport annuel du 2010, p9 55 Op Cit. p16 56 En principe, toute heure non effectuée est déduite de l’enveloppe mensuelle ; néanmoins, le chef d’établissement dispose d’une certaine souplesse dans l’appréciation des heures à comptabiliser, par exemple en cas de convocation au tribunal ou de parloirs. La rémunération est soumise à la même répartition sur le compte du détenu que celle d’un travail (10% pécule de libération, 10% indemnisation des parties civiles, 80% par disponible. Une indemnité compensatrice de congés payés (ICCP) est également versée en fin de stage, représentant 10% de la rémunération totale. L’attribution de cette prime est en principe subordonnée au comportement du stagiaire (assiduité, comportement...).

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à une baisse des financements dévolus à la formation professionnelle des détenus57». Les

restrictions d'ordre budgétaires ont été un sujet largement abordé par tous les acteurs rencontrés sur

le terrain comme une difficulté majeur dans la mise en fonctionnement des actions de formation et

réinsertion des détenus. Ils doivent faire face à la réduction des formations, au manque de matériel

et des outils nécessaires aux ateliers, situation qui ne touche pas de la même manière les centres

pénitentiaires de gestion délégué. Dans le rapport de la cour des comptes de juillet 2010, il est

signalé que le coût de la formation professionnelle par heure dans les établissements de gestion

déléguée est deux fois plus cher par rapport aux établissements de gestion publique (17,23 euros

contre 7,25). Malgré ce constat, le nombre des détenus bénéficiaires d'une formation professionnelle

est nettement moins importante dans les établissements de gestion déléguée (28%)58.

Caractéristiques des personnes détenues en formation professionnelle en 201059

57 Op Cit. p182 58 La formation professionnelle en milieu pénitentiaire, bilan 2010, Cour de comptes, La documentation française,

juillet 2010, p98 59 Op Cit. p12

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Problématique

Depuis la réforme de 1975, le discours officiel insiste sur la double fonction de la prison ;

d’une part, l'incarcération est un moyen de punition des individus qui représentent un danger pour la

société. D'autre part, l'incarcération a la responsabilité de prendre en charge la population pénale

dans son processus de préparation à la sortie et de réinsertion sociale des détenus par le biais de la

formation professionnelle. C’est ainsi qu'après des dernières réformes pénitentiaires un grand

nombre de professionnels, d'associations et centres de formations se sont impliqués dans cette

nouvelle mission sociale de l'administration pénitentiaire.

Le processus de « décloisonnement » au sein l'administration pénitentiaire a rassemblé un

nombre croissant des dispositifs de remise à niveau et de formations professionnelles. Ainsi,

l'implication de divers formateurs, originaires de parcours très distincts et rattachés à des

institutions et groupes professionnels divers, constitués à l’extérieur de l'établissement, pose des

questions en matière de socialisation professionnelle dans un contexte très particulier. La mission,

le rôle et les savoirs mobilisés par les agents de formation sont très divers. Auprès des détenus, les

enseignants ont tendance à réduire les exigences d'ordre théorique et les savoir-faire associés.

L’évaluation est plus faite sur leur comportement (motivation, respect des horaires, assiduité, etc.)

que sur la progression des résultats60. Très souvent le caractère « humanitaire » ou « thérapeutique »

de leur mission est mis en avant par rapport aux savoir-faire dispensés dans le cadre de la formation

professionnelle. La polysémie autour de la figure du formateur n'aide pas à clarifier le rôle et les

tâches attribués à ce groupe professionnel. D'ailleurs, si l’on prend en compte le fait que les

professionnels qui interviennent dans ce type de dispositifs n'ont pas été formés pour travailler dans

ce milieu, le discours et les pratiques s’avèrent aussi très distincts.

Concernant la réinsertion des détenus, les conditions socio-économiques des sortants, leur

manque de certification et le stigmate spécifique qui pèse sur eux réduit considérablement leur

capacité d’employabilité. Un grand nombre des détenus déclare ne pas avoir d'emploi ou une

promesse d’embauche au moment de leur libération. 25% des sortants de prison trouvent une

activité professionnelle régulière. Ainsi le taux de récidive en France (entre 60% et 70% de récidive

60 A. VAN ZANTEN, Les cultures professionnelles. Les professions et leurs sociologies, COLLOQUIUM, Editions de la maison des sciences de lhomme2003, p164

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pour les courtes et moyennes peines61) et le manque des moyens humains et économiques mobilisés

par l'Etat et les collectivités locales remettent fortement en question l’efficacité des dispositifs de

réinsertion socioprofessionnelle. De même, l'impact du travail de suivi et d'accompagnement des

détenus réalisé par les professionnels est également remis en cause.

En prenant en compte l'origine et le parcours professionnel très divers chez les formateurs, il

me semble très pertinent d'aborder la problématique identitaire chez les formateurs autour de la

définition de leur poste de travail ainsi que leur reconnaissance professionnelle dans ce

contexte : Comment les formateurs construisent leur identité professionnelle dans le cadre des

dispositifs de formation professionnelle en milieu pénitentiaire ?

61 Ministère de la Justice, http://www.justice.gouv.fr

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PARTIE 2 – Données contextuelles

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1- Le territoire

1.1- La commune de Bois d'Arcy

La ville de Bois d'Arcy est située dans le département des Yvelines (78), à neuf kilomètres à

l'ouest de Versailles (grand centre économique et administratif de la région Ile-de-France). Elle est

entourée par les communes de Fontenay-le-Fleury, de Saint-Cyr et de Trappes. Avec cette dernière,

la Verrière et Élancourt, Bois d'Arcy constitue la 11e circonscription du département. Depuis le 1er

janvier 2007, Bois d'Arcy fait partie de la communauté d’agglomération de Versailles Grand Parc,

structure intercommunale qui regroupe des villes de deux départements (Yvelines et Essonne).

Cette structure est considérée comme étant une entité publique de coopération intercommunale. La

commune de Bois d’Arcy se trouve au carrefour de deux axes autoroutiers : l'autoroute A12 et l'axe

RN12 -RN286 (à caractéristiques autoroutières), qui forment avec la voirie locale et la RN10

proche, un imposant échangeur. La route départementale 127 permet de rejoindre Fontenay-le-

Fleury et la route départementale 11 va vers le nord ; en limite sud de la commune, la route

départementale 129, ancienne RN12, relie la ville à Saint-Cyr-l'École et Guyancourt.

La commune de Bois d’Arcy compte 13 646 habitants selon le dernier recensement (2013).

Le taux de chômage des 15 à 64 ans est de 5,8 %, contre 7,5 % dans le département des Yvelines.

Le revenu net moyen déclaré par personne est de 30 585 €. Dans le département des Yvelines le

revenu net médian par ménage 3 448 euros. Les ménages sont au nombre de 5 195 (2.5 personnes

par ménage). 91,2% des ménages sont équipés d'au moins une voiture. 62,5% des habitants sont

propriétaires de leur résidence62.

D’après les travaux de Philippe COMBESSIE63, la commune de Bois d'Arcy est considérée

comme un lieu-dit « bourgeois » (au regard des prix de l'immobilier essentiellement). La ville est

composée d’une population appartenant à des catégories socioprofessionnelles moyennes ou

supérieures qui disposent d’un niveau de vie plutôt aisée. Parmi les « arcysiens » on trouve en effet

un pourcentage considérable de cadres ou de professions intellectuelles supérieures (17%), de

professions intermédiaires (22,2%) et d’employés (21%). Le nombre d'ouvriers est nettement plus

faible (8,2%). Un surveillant qui se revendique être un « Arcysien de la vieille époque » (plus de

62 Source : www.insee.fr, consulté le 09/08/2013 63 P. COMBESSIE « Prisons des villes et des campagnes. Étude d'écologie sociale », Paris, Éd. de l'Atelier-Éd.

Ouvrières,1996, p98,

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vingt ans de service), me confie dans le cadre d'une discussion informelle et détendue, que la

plupart des anciens surveillants ont dû déménager et s’éloigner des alentours de la Maison d'Arrêt à

cause de la valeur des terrains. « ...ça fait déjà quelques années que je suis parti de Bois d'Arcy...

c’est devenu trop cher pour moi et aussi pour mes collègues... ». L'augmentation du prix moyen au

mètre carré dans la commune de Bois d'Arcy peut s’expliquer par la proximité de la commune avec

celle de Versailles ainsi que par le développement de nouvelles villes comme celle de Saint-

Quentin-en-Yvelines.

C'est sur ce territoire qu'est située la Maison d'arrêt de Bois d'Arcy, au sein de laquelle j'ai

effectué mon stage de mai à juillet 2013.

1.2- La maison d'Arrêt de Bois d'Arcy

C'est en 1968 que le terrain fut remis officiellement aux autorités de l'administration

pénitentiaire pour la construction de La Maison d'Arrêt des Yvelines. Cette dernière a été mise en

fonctionnement en 1980 et compte une surface totale de 140.000 m². Elle est située au n° 5 bis de la

rue Alexandre Turpault, au nord du territoire de la commune et elle est enclavée dans la forêt

domaniale du Bois d'Arcy. Depuis 2008, elle reçoit exclusivement des adultes de sexe masculin qui

sont des prévenus et des condamnés de juridictions de première instance et d'appel de Versailles. La

Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy a une capacité théorique de 501 places. Au premier janvier 2012, la

population pénale était estimée à 846 personnes (576 condamnés et 270 prévenus). Les adultes les

plus représentés sont ceux qui ont entre 30 et 40 ans. En 2011, la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy

est un des centres pénitentiaire le plus surpeuplé de France.

La capacité opérationnelle de l'établissement est donc de 501 places en cellule (capacité

théorique) réparties en 448 cellules dans le grand et le petit quartier, 27 places dans le quartier

arrivant, 14 cellules d'isolement et 15 cellules disciplinaires. Chaque cellule individuelle mesure

9,98 m².

La plupart de la population carcérale reçue à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy est issue du

département des Yvelines (Trappes, Mantes-la-Jolie, Versailles) ou a été arrêtée ou jugée dans ce

département.

A l'origine, la structure devait être un Centre de Détention destiné aux condamnés de la

région parisienne. Cela peut expliquer le type d'architecture ; pas très adapté à la circulation des

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détenus et du personnel qui y travaille (intervenants externes, surveillants et enseignants). La

maison d’arrêt a été conçue sous forme de panoptique divisé en quatre étages. Cela permet aux

surveillants d'observer et de contrôler tous les mouvements et les déplacements des individus dans

chaque quartier. Les surveillants doivent détenir des autorisations pour ouvrir les portes

électroniques placées au milieu du grand quartier. Dans ce lieu, il existe un surveillant qui

administre les mouvements de quatre étages (rez-de-chaussée, premier, deuxième et troisième

étages). Souvent, il est mal placé pour voir les personnes qui sont au rez-de-chaussée. De ce fait, il

faut parfois longuement patienter avant l’ouverture de la porte d'accès des différents étages, par un

surveillant. Un autre surveillant s'occupe exclusivement du quatrième étage parce qu’il s’agit du

quartier des arrivants.

Seules deux personnes s’occupent de la circulation de tout un quartier. Cela implique que les

déplacements des détenus, surveillants, enseignants et intervenants prennent beaucoup de temps.

Cela ralentit le déroulement des diverses activités de la Maison d'Arrêt. Cette situation complique la

circulation des détenus que ce soit pour se rendre en cours, au travail ou en promenade.

Après avoir réfléchi et travaillé à la mise en place d'un quartier sortant (pôle d'insertion et de

préparation à la sortie), la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy a mis en place un « parcours arrivant » ; il

s'agit d'un séjour de plusieurs jours au sein d'un quartier spécifique lors de l'arrivée du détenu. Cet

accueil est pris en charge par les différents professionnels, permettant ainsi un travail individualisé

et pertinent pour faire connaître aux détenus les différentes activités proposées à l'intérieur de la

Maison d'Arrêt.

1.3 La population pénale

Au première janvier 2012, 846 détenus dont 576 condamnés et 270 prévenus étaient présents

(776 détenus en janvier 2011 dont 518 condamnés et 258 prévenus). Le nombre de condamnés ne

cesse de s'accroître. De nombreux détenus entrants arrivent en qualité de condamnés souvent avec

plusieurs peines à exécuter. De nouvelles peines sont mises à exécution quotidiennement (peines

fermés, mixtes, sursis révoqués, ou jours-amende impayés). La durée moyenne de détention est de 5

mois et 20 jours.

Le nombre d'entrants (1815) a beaucoup augmenté par rapport aux années précédents, il est

presque revenu au niveau de 2007 (1856). Il y a toujours plus d'incarcérations de condamnés, de

placements sous surveillance électronique (PSE, 238 en 2010) et de placements extérieurs (PE).

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42

Compte tenu du grand nombre de condamnés, les libertés de fin de peine ont été plus nombreuses

en 2012 (970) et le nombre de sortants a donc aussi augmenté (1745).

Les détenus les plus représentés sont les 30/40 ans. Beaucoup de condamnations sont

prononcées pour toute sorte de violences, viols sur mineurs (41 en janvier 2012) et pour délits

routiers (dans ce dernier cas, les peines varient de 3 mois à 3 ans). Il y a également beaucoup de

peine pour vols avec arme ou en bande organisée. Dans ce cas, ce sont soit l'application de petites

peines (64 en janvier 2012) ou alors des peines allant de 10 à 15 ans de réclusion criminelle (23 en

janvier 2012)64.

1.4 Mémoire de la formation professionnelle à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy

L'histoire de la formation professionnelle à la Maison d'Arrêt a commencé en avril 1999

avec l'arrivée d'un jeune majeur, qui avait entamé à l’extérieur une préparation au Brevet d’Etudes

Professionnelles (BEP), spécialité mécanique-automobile. A cette époque, un atelier de mécanique

de la Maison d'Arrêt proposait cette même formation. Le Responsable local de l'enseignement

(RLE) en collaboration avec l'Inspecteur d’Académie du Rectorat de Versailles ont convenu de faire

de la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy un centre d'examen du BEP et du CAP. Deux ans après cette

expérience, considérée comme une « réussite » par l'administration pénitentiaire, le Service local de

formation des détenus a établi un travail de coopération entre l'Education nationale et la formation

professionnelle pour installer les matières d’enseignement général (français, mathématiques,

histoire-géographie, anglais). Quelques temps après (2001) un CAP Electrotechnique est devenu

une formation diplômante, comptabilisant trois élèves. Une formation en bâtiment lui emboite le

pas, adoptant une approche axée sur le savoir-faire et l’implication concrète d’abord dans la

peinture et le revêtement. Avec la collaboration de l'Éducation nationale, qui assure la remise à

niveau, cette formation a évolué vers les quatre CCP (plomberie, peinture revêtement, électricité,

maçonnerie). Depuis leur mise en place, les formations d’électrotechnique, mécanique automobile

et bâtiment ont évolué en termes de stagiaires (12 par an). En excluant les détenus libérés, transférés

ou qui abandonnent en cours de formation, les formations professionnelles à Bois d'Arcy ont

presque 100% de réussite. Malgré les conditions très contraignantes dans lesquelles se déroule la

formation professionnelle, le taux de réussite aux examens est très élevé. L'ensemble des

professionnels, interrogés à ce sujet, signalent que leur investissement horaire hebdomadaire (21

heures) stimule, de manière importante, l'investissement des stagiaires et leur succès aux examens.

64 Rapport d'activité 2012 de de la Maison d'Arrêt de Bois d’Arcy, p17

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Une des difficultés rencontrées par les acteurs sociaux, concerne l'évolution de la formation

professionnelle en détention et l’obtention du Baccalauréat Professionnel, et ce, sans les

nombreuses semaines de stages obligatoires que les détenus ne sont pas en mesure de réaliser. Un

autre frein dans le développement des dispositifs de formation est celui du recrutement des

enseignants. D'après mes observations sur le terrain (plus précisément le jour des examens) j'ai pu

constater que une partie des matières générales (anglais, histoire-géographie entre autres) ne sont

pas dispensés à défaut d’enseignants disponibles.

L'organisation et le fonctionnement de la formation professionnelle

Dans un premier temps, les centres de formation d'adultes sont recrutés par le Ministère du

travail en fonction des appels à projet. L'organisme de formation signe un contrat avec le Ministère

du travail et mettent en place un dispositif de formation professionnelle dans les différents centres

pénitentiaires de France. Les dossiers d'appels à projets se composent de cahiers des charges, de

contenus pédagogiques (objectifs, progressions, méthodologie), du contingent nombre de stagiaires

ou encore de la rémunération des formateurs. La maison d’arrêt, après avoir eu l’accord financier du

Ministère du travail, sélectionne un dossier parmi les projets proposés par les centres de formation

en fin d’année civile. Le financement de la formation professionnelle est pris en charge par le Fond

Social Européen (FSE) et le Ministère du Travail.

Les détenus désireux d’intégrer une formation professionnelle adressent leurs motivations au

Responsable local de la formation des détenus (RLFD). A ce stade, seuls sont écartés les candidats

dont le statut pénal ou la date de fin de peine ne correspond pas avec les critères définis pour la

formation visée. Ensuite, les détenus sont convoqués aux entretiens de recrutement, où ils passent

un examen de niveau et un entretien avec le(s) formateur(s). Toutes les autres candidatures sont

étudiées en Commission de classement, instance où tous les partenaires (formateurs, responsables

des centres de formation) et fonctionnaires de l'administration pénitentiaire (Directeur de la maison

d'arrêt, directeur du grand et petit quartier, chef de détention, responsable du SPIP et RLFD)

participent à l'orientation et à la sélection des stagiaires. Les demandes de formation rejetées sont

motivées afin que le détenu soit informé des raisons du rejet de sa candidature. Celles qui n'ont pas

été retenues sont mises à l'étude pour d'autres activités telles que des remises à niveau ou travail

pénal. Les stagiaires sélectionnés doivent impérativement « déménager » au petit quartier, agora

essentiellement composée de détenus travailleurs. De même, ils s’engagent contractuellement au

suivi d’une formation professionnelle rémunérée 250 euros par mois. En 2012, le budget de la

formation professionnelle de la maison d’Arrêt de Bois d’Arcy s’élevait à 30 147.14 euros.

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La formation professionnelle de l’établissement est organisée en six modules (métiers du

bâtiment, mécanique auto, électronique, nettoyage industriel, espaces verts, commis de cuisine,

HACCP et sécurité alimentaire). Ils visent un niveau de qualification et de compétences divers.

Chaque formation est dispensée par différents organismes de formation sélectionnés sur le marché

public. Parmi les 497 demandes de formation faites en 2012 par la population carcérale, 137 ont été

prises en considération.

1.5 L'offre de formation professionnelle à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy65

Dans le cadre des dispositifs de réinsertion sociale et professionnelle en détention, la

Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires (DISP) a mis en place divers types de

dispositifs destinés à une population carcérale très hétérogène quant à sa situation judiciaire,

sociale, économique et administrative. Ces dispositifs peuvent être classés en fonction de leurs

objectifs et leur public : dispositifs de formation professionnelle, dispositifs de préparation à la

sortie et dispositifs d'enseignement et de remise à niveau.

Les dispositifs de formation professionnelle à la maison d'Arrêt sont organisés en six

modules ; parmi elles trois formations sont diplômantes : CCP Bâtiment, CAP électrotechnique et

mécanique-auto. Cela a été le résultat d’un travail partenarial avec l'Education nationale.

Voici les formations professionnelles proposées à la Maison d'Arrêt :

Ø Métiers du bâtiment (ARIES)66 : Destinée aux prévenus ou aux condamnés

définitifs avec de grandes difficultés pour la réinsertion (niveau scolaire élémentaire,

très peu d'expérience professionnelle, pas de diplômes), cette formation vise à la

découverte des savoir-faire relatifs aux métiers du bâtiment. Dans le cadre de cette

formation, les détenus peuvent bénéficier d'une remise à niveau. Au cours de cette

formation, ils ont la possibilité de préparer le titre « d’agent d'entretien du bâtiment »

avec l'obtention d'au moins un Certificat de Compétences Professionnelles (CCP) en

plâtrerie, peinture, plomberie ou électricité. Cette formation a lieu toute l'année (130

jours, 1h30 par jour) dans les ateliers de la maison d'arrêt. Coût budgétaire par

65 Les informations qui suivent ont été recueillis dans le Rapport d'activité 2012 de la maison d'arrêt de Bois d'Arcy,

auprès des centres de formation et les acteurs impliqués dans l'enseignement, la formation professionnelle et les dispositifs de préparation à la sortie des détenus.

66 Organisme de formation

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action : 18 264.38 euros.

Ø Mécanicien Maintenance de véhicules (INSTEP) : Destinée aux prévenus ou aux

condamnés définitifs qui ont une certaine expérience dans le domaine, mais qui ne

détiennent ni certificat ni diplôme. Le but de cette formation est de passer un

Certificat d'aptitude professionnelle (CAP) ou un Brevet d'études professionnelles

(BEP). Pour atteindre cet objectif, le formateur d'atelier doit assurer la coordination

avec les objectifs de l'Education nationale dans l'enseignement de mathématiques, de

français et d'histoire-géographie. Coût annuel : 3 020.64 euros.

Ø CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC) (INSTEP)

: Destinée aux prévenus ou condamnés définitifs qui maîtrisent les quatre opérations

mathématiques ainsi que lecture et écriture (niveau 5eme.), cette formation permet

aux détenus de préparer une qualification professionnelle par l'intermédiaire des

métiers de l'électricité et des automatismes. En termes pédagogiques, l'employabilité

est une des compétences mise en avant par l'organisme de formation qui place donc

le stagiaire en situation concrète, similaire au travail de chantier. Ainsi, le détenu

peut être capable de s'informer sur l’équipement, de diagnostiquer une situation et de

préparer une intervention. Coût annuel : 2 634.48 euros.

Ø Cuisine/Commis de cuisine (FORGECO) : Destinée aux détenus travaillant dans la

cuisine de production, cette formation a pour but la découverte des techniques de

base de la cuisine ainsi que l'obtention d'une certification avec la validation de leurs

compétences antérieures. Ce certificat a été validé par la Commission Paritaire

Nationale de l'Emploi et de l'Industrie Hôtelière (CPNE-IH). L'organisme de

formation propose aux stagiaires, après leur libération, la mise en relation avec des

recruteurs de la région. Coût annuel : 656.50 euros.

Ø Cuisine/Chef de partie (FORGECO) : Cette formation est destinée prioritairement

aux détenus classés et travaillant dans la cuisine de production, qui ont suivi la

formation « commis de cuisine » ou à ceux qui ont déjà une expérience

professionnelle dans ce milieu. Un des objectifs vise l'acquisition des compétences

en maîtrisant les quatre grandes fonctions : approvisionnement, organisation,

production culinaire et gestion de production. En termes pédagogiques, la formation

comprend 132 heures théoriques et 108 heures de pratiques au sein de la cuisine de la

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maison d'arrêt (détention). Coût annuel : 1 085.88 euros.

Ø Cuisine/Formation HACCP et sécurité alimentaire (FORGECO) : Il s'agit d'une

formation de trois jours destinée à l'acquisition des bases pédagogiques nécessaires

pour être opérationnels et responsables dans les domaines de la qualité et de la

sécurité alimentaire (fabrication et distribution) en conformité à la réglementation

Européenne. Coût ?

Ø Nettoyage industriel (INFREP et MCL Conseil) : Destinée aux condamnés à une

peine inférieure à un an, n'ayant pas de problèmes de santé, cette formation ne

requiert aucune compétence particulière ni niveau scolaire. Elle a pour objectif

l'acquisition des premiers gestes professionnels et la capacité à adopter un

comportement adapté au monde du travail. Les détenus qui participent à cette

formation interviennent dans différents lieux de la maison d'arrêt (salle polyvalente,

détention, douches, espaces communs, etc.). Coût annuel : 2 452.88 euros.

Ø Espaces verts (LE CHIEP) : Cette formation est destinée aux détenus en bonne

santé, qui ont une peine inférieure à un an, qui sont capables d'appliquer des

consignes simples et qui veulent éventuellement intégrer une formation qualifiante

dans ce domaine. Les aménagements paysagers (partie pratique de cette formation)

sont fait tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la maison d'arrêt.

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PARTIE 3 - Analyse du stage

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1- Déroulement du stage : positionnement du stagiaire et

modes de collectes et d'analyse des donnés

1.1 Positionnement du stagiaire au sein de la structure

J'ai réalisé mon stage à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy de mai à juillet 2013, plus

précisément dans le cadre des dispositifs de formation professionnelle au petit quartier. J'ai pu

assister, en tant qu'observateur, au déroulement de trois formations proposées à la Maison d'Arrêt :

CAP mécanique-auto, CAP électronique et le CCP plomberie. J'ai également participé, en tant que

surveillant et correcteur, aux examens d'histoire-géographie, mathématiques, français et anglais

dans le cadre du CAP. De plus, j'ai eu la possibilité de faire partie de la commission de suivi et

d'évaluation de la formation professionnelle, de participer au forum d'emploi et aux séances de

recrutement des stagiaires pour l'année scolaire 2013/2014. Après avoir obtenu l'autorisation de la

direction pour mener mon enquête, mon statut d'enseignant d'espagnol au sein de l'Unité locale de

l'enseignement m'a permis d'intégrer assez rapidement le pôle d'insertion et de préparation à la

sortie de la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy. Je me joignais essentiellement à l'équipe des

professionnels responsables de la mise en fonctionnement de la formation professionnelle.

Dans un premier temps, je souhaitais m’intéresser à la construction identitaire des

responsables des modules de préparation à la sortie, Module Projet Réaliste et Réalisable (MP2R).

Après quelques difficultés et l’impossibilité d’intégrer en tant que stagiaire l'Unité pédagogique

régionale de Paris (UPR) ou le service pénitentiaire de probation et d’insertion des Yvelines, je me

suis adressé directement à la Direction de la Maison d'Arrêt (monsieur SOLERANSKI) pour

effectuer mon stage. C'est en raison de ces difficultés que j’ai finalement orienté mon travail autour

de la construction identitaire chez les formateurs.

Malgré ma connaissance du milieu, mon statut d'enseignant et la bonne volonté de certains

fonctionnaires et professionnels, au moment de la signature de la convention de stage j'ai eu

beaucoup de mal à obtenir une prise en charge de l'administration pénitentiaire. C’est pourquoi,

après la négociation de mon stage, la direction de la Maison d'Arrêt m'a imposé des conditions très

contraignantes auxquelles j’ai dû « m'adapter ». Le choix des modules, les horaires et les acteurs à

rencontrer ont été complètement orientés par la Responsable Local de la Formation des Détenus, car

selon elle : « il y a des individus (formateurs) qui sont complètement à côté de la plaque et pour

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[mon] étude il serait plus intéressent d'aller voir les autres ». Mon intérêt pour les conditions dans

lesquelles se déroule la formation professionnelle en milieu fermé a semblé susciter la méfiance de

la direction et des responsables des dispositifs de réinsertion à la Maison d'Arrêt. L'accès au terrain

et la possibilité d'enquêter au cœur de la formation professionnelle a été particulièrement difficile

comparé à ma première intervention (année scolaire 2011/2012) au sein des dispositifs

d'enseignement à l’alphabétisation des étrangers mis en place par l'Éducation nationale avec la

coopération de l'administration pénitentiaire à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy et à la Maison

d'Arrêt des femmes à Versailles. Les normes de sécurité propres à ce milieu ainsi que l’information

classée très confidentielle concernant l'obtention du marché public et la situation pénale des

détenus, à laquelle j’ai eu accès pendant le déroulement de mon stage, ont nécessité de ma part,

beaucoup de vigilance et une grande discrétion.

Malgré les bonnes dispositions des formateurs quant au partage de leurs pratiques

professionnelles et l’explication de leur quotidien dans les ateliers, être en position d’observation ou

de recherche reste toujours une situation inconfortable et perturbante pour ceux qui sont l'objet

d'étude. Afin de minimiser ces difficultés, je mettais souvent en avant mon statut d'enseignant en

langue vivante au sein de l'Unité Locale de l'Enseignement, auprès des responsables des formations

professionnelles. Le fait d'être rattaché à l'Education nationale (CIEP, ULE) m'a beaucoup facilité

l'accès à divers types de ressources (documents officiels, responsables et directeurs des centres de

formation), qui m’auraient sans doute été inaccessibles sous le statut de « simple stagiaire ». Il me

semble important de signaler que les acteurs sociaux sont très méfiants concernant les informations

qu'ils donnent aux tiers, principalement lorsque cela concerne les détenus. La frontière entre le

secret professionnel et le secret partagé est très fine voire invisible.

L'accès à certains services des centres pénitentiaires en France dépend, dans une grande

mesure, du type de gestion administrative (public, privé ou mixte) propre à chaque établissement. Il

y a une séparation des pouvoirs entre le directeur pénitentiaire (responsable de la détention et

d'autres services selon les arrangements locaux) et le directeur de l’agence privée (responsable de la

formation socioprofessionnelle, le travail, les soins et l'entretien de l'établissement). Dans ce

contexte, l'entrée et le recueil d'information dans les services gérés par des concessionnaires privés

sont beaucoup plus difficiles que dans les services pénitentiaires gérés par des fonds publics.

Une des difficultés d'accès et de recueil des donnés est la complexité des rapports entre les

différents acteurs institutionnels (Education nationale, administration Pénitentiaire, Ministère de la

Justice). Ces différentes personnes partagent le même lieu de travail mais avec des missions et des

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degrés de responsabilité très variés. D'une part, la communication et le partage des informations

considérées comme « secrètes » entre les professionnels des différents services, sont des questions

très délicates qui peuvent éventuellement créer des tensions entre les professionnels. Ainsi, la

« monopolisation » de certains dossiers (notamment des détenus) est légitimée par la formation et la

mission des professionnels. D'autre part, le travail partenarial à l’intérieur de cette structure,

implique une adaptation importante de la part des professionnels aux contraintes propres au milieu

pénitentiaire. Malgré des logiques de fonctionnement et des méthodes distinctes, les acteurs sociaux

présents sur le terrain sont censés adhérer à des discours et à des pratiques similaires.

1.2 Les outils de recueil de données

Travail documentaire

Ma recherche documentaire a été divisée en deux temps forts. Dans un premier temps, je

suis allé chercher des informations concernant les divers dispositifs d'enseignement, de formation

professionnelle et de préparation à la sortie destinés aux détenus. Il s'agissait de mieux comprendre

le discours et le positionnement actuel de l'administration pénitentiaire à propos de la réinsertion

des détenus. Ainsi, j'ai eu une meilleure visibilité des dispositifs de formation qui existent en

détention, du réseaux partenarial avec l'Education Nationale, des centres de formation d'adultes et

enfin, des logiques de fonctionnement des actions de réinsertion à l'échelle national, régional et

départementale. Dans un deuxième temps, je me suis penché sur la question de la formation

permanente en France, son rôle social au cours des dernières années et l'évolution autour de la

figure des formateurs en France après la loi de 1971. Il s'agissait de connaître le cadre juridique

dans lequel s’inscrit la formation professionnelle, comment elle a été mise en place en milieu

pénitentiaire et les enjeux relatifs à la formation permanente des adultes.

Au moment où j'ai rencontré les formateurs dans les ateliers, j'ai essayé de compléter grâce à

ce qu’ils me disaient, les informations que je ne trouvais pas dans les ouvrages, les articles ou les

sites Internet. Bien que j’aie des connaissances sur le milieu pénitentiaire en matière d'enseignement

et des dispositifs de réinsertion, la formation professionnelle était un domaine avec lequel je n'étais

pas familiarisé. Par l’intermédiaire du stage, j'ai pu établir des contacts avec les professionnels

responsables de la gestion et de la mise en place de la formation professionnelle à la Maison

d'Arrêt. J’ai également pu avoir accès aux documents officielles et internes à la maison d’arrêt

(rapport d'activité, fiche de poste des responsables, supports pédagogiques, fiche de renseignement

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des dispositifs de formation, bilans des stagiaires, notes de service). C'est en croisant ces différentes

sources (lectures, échanges avec les professionnels) que j’ai pu saisir et interpréter les différentes

informations que j’ai obtenues.

L'accès à ce type de documents, aux ateliers, aux lieux où se déroulent la formation

professionnelle et les contacts avec les acteurs concernés, n'ont pas été faciles. J'ai dû mobiliser des

documents officiels concernant le règlement intérieur et le fonctionnement de la formation

professionnelle en détention (lois, articles du code de la procédure pénale, circulaires, etc.) J’ai dû

faire cette année, un très important travail d'accès au terrain et aux sources documentaires.

Les entretiens

Compte tenu de la méfiance de l'administration pénitentiaire et, dans une certaine mesure, de

celle des centres de formation, la plupart des informations recueillies au cours de mon stage l’ont

été par l’intermédiaire de « la parole » des acteurs sociaux au travers des entretiens et des rencontres

en dehors des heures de travail (pause déjeuner, discussions au bureau des formateurs, etc.).

Pendant cette démarche, j'ai porté une attention particulière aux expressions employées, aux mots

qui reviennent le plus souvent et qui étaient porteurs d'une charge symbolique importante : « Le

langage propre au groupe étudié est pour commencer un bon moyen de repérer ses frontières67». La

prise en compte du langage indigène68 utilisé par les divers acteurs sociaux dans un contexte de

travail pourrait m'ouvrir des pistes d'analyse sur la manière dont ces acteurs définissent leur

situation de travail. En contexte carcéral, le sens et l'importance attribués à certaines

« caractéristiques indicatives »69 sont le résultat d'une représentation sociale partagée (de manière

consciente ou inconsciente) par ces individus. Ces derniers orientent leur comportement dans le

cadre de ces convections discursives socialement acceptées ou valorisées par un groupe

d'appartenance commune. Quels sont « les mots clés » ou les expressions utilisés par les différents

acteurs au sujet des dispositifs, de leur intervention et du public ? Quels sont les significations

profondes de ce langage ? Est-il partagé pour tous ?

Dans ce contexte, l'entretien est devenu une méthode incontournable pour recueillir des

données. Si un des objectifs de cette recherche est de comprendre comment les formateurs

redéfinissent leurs identités professionnelles dans le cadre de leurs fonctions à la Maison d'Arrêt, il

67 C. AVRIL, M. CARTIER, D. SERRE, « Enquêter au travail », La Découverte, Paris 2010, p47 68 Système de catégories linguistiques employées dans un contexte bien précis. L'utilisation des expressions indigènes

marque l'appartenance commune au groupe professionnel. 69 A. Coulon, L'ethnométhodologie, puf, 1987, Paris, p.27

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est capital d’accéder au sens subjectif et intersubjectif70 qu’ils donnent à leurs interventions auprès

des détenus. Cela doit se faire en analysant la manière dont ils décrivent leur action, le sens qu'ils

attribuent à leur travail et la manière dont ils mettent en discours leurs actions et représentations.

Les acteurs rencontrés et les grilles d'entretiens

J'ai mené onze entretiens semi-directifs entre juin et septembre 2013 avec divers acteurs

impliqués dans la formation professionnelle à la Maison d'Arrêt. Chacun d'entre eux m'a donné des

informations différentes, en fonction de son poste et de sa connaissance des dispositifs. Les trames

d'entretiens ont été réalisées en fonction de chaque acteur social et du type d'information qu’ils

pouvaient me donner. D'après mon expérience, il ne m’a pas semblé pertinent de faire des trames

d'entretiens trop structurées et rigides, car je me suis rendu compte que ce type de grille n’étaient

pas adaptée à tout le monde et à toutes les situations. Les questions plus ouvertes donnaient la

possibilité aux professionnels rencontrés de préciser des choses qui leur semblaient importantes, de

revenir sur leurs propos ou d’approfondir des éléments qu’ils avaient signalés auparavant. Chaque

« séance » a duré plus au moins une heure et s’est déroulée au « mess » après le déjeuner ou dans un

café après les horaires du travail.

J'ai rencontré trois formateurs du CAP électronique, un formateur du CAP mécanique-auto

et un formateur du CCP plomberie. La rencontre avec les formateurs était indispensable pour

travailler autour de mon sujet de recherche. Comme je l'ai déjà dit, le choix des formateurs

interrogés m'a été totalement imposé par la RLFD, puisque selon elle « les mauvais formateurs

n'avaient rien de très clairs à me dire au sujet des formations d'adultes ». Quelques temps après, j'ai

compris que les formations que je pouvais approcher au cours de mon stage faisaient « la fierté » de

la Maison d'Arrêt puisqu’elles sont les seules formations professionnelles diplômantes à l'échelle

régionale, voire nationale. D’après ce que j'ai entendu des discussions informelles entre collègues,

les autres formations sont dans un état plutôt embryonnaire, voire ne fonctionnent pas du tout. La

grille d'entretien destinée aux formateurs a porté essentiellement sur : présentation personnelle et

histoire de leur parcours professionnel ; description de leur situation de travail ; relation partenariale

et système de relations dans le cadre de la formation professionnelle ; regard porté sur leur mission

et sur l'institution pénitentiaire ; regard porté sur la population carcérale ; ce qu’ils savent du régime

contractuel et juridique qui encadre leur action et enfin, expérience professionnelle en milieu

pénitentiaire. Chaque entretien a été différent selon la manière dont ils abordaient la question de la

70 B. MILLY, « Soigner en prison », Puf, Paris, 2001, p62

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formation, mais en général, les formateurs étaient assez collaboratifs et ils me répondaient le plus

clairement possible. Néanmoins, certains d'entre eux ont refusé de répondre à certaines questions

qu'ils considéraient « trop intimes » ou peu pertinentes (parcours professionnel, certains éléments

biographiques, les conditions d'emploi).

Je me suis également entretenu avec la Responsable locale de la formation de détenus. Cette

dernière m'a donné des informations concernant l'organisation et le fonctionnement interne de la

formation professionnelle à Bois d'Arcy. Elle m'a donné beaucoup de pistes d'analyse à propos du

travail partenarial avec les centres de formation ainsi que sur les critères de sélection et de

recrutement des formateurs. Malgré sa courte expérience au poste qu’elle occupe actuellement, son

parcours professionnel (ancienne éducatrice), lui permet d'avoir un point de vue assez critique sur la

dimension pédagogique du travail des formateurs. Les thèmes abordés au cours de notre entretien

ont été : description de son poste ; caractéristiques voire particularités de la formation

professionnelle à Bois d'Arcy ; organisation de la formation professionnelle au niveau régional et

local ; conditions objectives ou matérielles dans lesquelles se déroule la formation professionnelle

et le travail partenarial avec les différents services à l'intérieur et à l’extérieur de la structure.

Lors de mes premières explorations sur le terrain, j'ai eu l'occasion de rencontrer la

responsable du Service pénitentiaire de probation et d'insertion à Bois d'Arcy. Elle a eu la

gentillesse de me recevoir dans son bureau et de m'expliquer l'organisation et le fonctionnement des

dispositifs de formation professionnelle et de préparation à la sortie.

L’une des personnes incontournables que je devais rencontrer était le Responsable locale de

l'enseignement (RLE) à la Maison d'Arrêt. Il est l’un des principaux acteurs ayant participé à la

mise en place de la formation professionnelle. C’est lui qui a effectué les démarches pour faire de la

formation professionnelle une formation diplômante. En tant que responsable de l'Unité locale de

l'enseignement (ULE), il coordonne le travail partenarial entre l'Education Nationale et la formation

professionnelle, cela veut dire, assurer une remise à niveau dans les matières générales

(mathématiques, histoire géographie, française) et organiser les examens du CAP. Lors de

l’entretien, les questions abordées avec le RLE ont porté plus particulièrement sur l'histoire de la

formation professionnelle à la Maison d'Arrêt ; le travail partenarial à l’intérieur et à l’extérieur de

la structure ; le pilotage des dispositifs de formation et enfin, les critères de recrutement des

stagiaires et des formateurs.

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Afin d'avoir une vision plus large sur le rôle de la formation professionnelle chez les

détenus, je me suis adressé également au Pôle emploi du département des Yvelines, plus

précisément auprès du conseiller pénitentiaires de Pôle emploi à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy.

Sa mission consiste à aider certains détenus en fin de peine à se réinsérer professionnellement. Il

m'a paru particulièrement intéressant de connaître l'impact et la pertinence, au niveau de la

réinsertion de la population carcérale, de la formation professionnelle proposé en détention. Je suis

également allé voir les responsables pédagogiques des centres de formation (INSTEP, ARIES) afin

de me renseigner autour de la gestion et de la mise en fonctionnement des formations

professionnelles ainsi que des critères de recrutement des formateurs.

L'observation

Durant mon stage, j'ai pu observer les pratiques professionnelles ainsi que les

comportements et le positionnement des formateurs au sein de la structure et notamment, dans le

cadre de leurs fonctions. Suivant les conseils d’H. Peretz, j’ai essayé de me positionner comme

« témoin des comportements sociaux d'individus ou de groupes dans les lieux mêmes de leurs

activités ou de leurs résidences sans en modifier le déroulement ordinaire71». Les diverses actions

et instances auxquelles j'ai participé (cours de formation, examens, commission de suivi, entretiens

de recrutement des stagiaires) m'ont permis d’observer et d’analyser les interactions entre les

formateurs et les différents acteurs et services impliqués dans le processus de formation

professionnelle des détenus. Je me suis fait un carnet de bord où j'ai organisé les informations de la

manière suivante :

a) Observations des dispositifs de formation (historique, réseaux institutionnels, actions

mises en place, contraintes dans la mise en fonctionnement des dispositifs).

b) Les différents groupes d'individus par catégorie professionnelles et par appartenance

institutionnelle.

c) Les conditions matérielles dans lesquelles les dispositifs ont été mis en place en milieu

pénitentiaire (caractéristiques architecturales et d’aménagement des lieux).

d) Le point de vue et les ressentis des professionnels, des formateurs et des stagiaires.

e) La situation subjective et objective de l’observation.

71 H. PERETZ, « Les méthodes en sociologie, l'observation », La Découverte, Paris, 2004, p.14

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L'observation des pratiques professionnelles des formateurs a donc été faite à l'aide des

grilles d’observations qui me permettaient d'analyser également les discours et les non-dits

(comportements, regards). De cette manière, j’ai pu évaluer l'intensité et la fréquence de certains

comportements chez les formateurs en prenant en compte leur âge, leur expérience professionnelle,

leur sexe, et leur domaine d'enseignement.

Afin de mieux identifier les pratiques professionnelles des formateurs, l'observation directe

et les entretiens m’ont semblé être des outils incontournables pour le recueil des données. En effet,

l'observation sur le terrain d'étude vise à exploiter l'écart possible entre le discours et la pratique des

professionnels. C'est pourquoi la confrontation entre pratique et discours s’avère être un outil très

précieux pour la récolte d'informations sur la construction identitaire des formateurs en milieu

pénitentiaire.

L'échantillon : le parcours professionnel des formateurs, leur appartenance institutionnelle et

l'entrée dans le monde de la formation professionnelle en milieu pénitentiaire

Comme cela a été signalé dans l'article 94 de la loi du 24 novembre 2009 en ce qui concerne

l'entrée dans le monde de la formation permanente tout au long de la vie, « Il n'est pas nécessaire de

justifier d'une qualification professionnelle particulière pour devenir formateur ou ouvrir un

organisme de formation professionnelle continue. Cependant, toute personne qui propose des

prestations de formation professionnelle continue doit justifier des titres et qualités des personnels

d'enseignement et d'encadrement qu'elle emploie, et de la relation entre ces titres et qualités et les

prestations réalisées dans le champ de la formation professionnelle72».

Le public cible de cette étude est très hétérogène. Il est composé d’un groupe de cinq

formateurs ayant différents parcours professionnels et différentes appartenances institutionnelles.

Leurs entrées en détention ne se sont pas non plus effectuées de la même manière. Dans ce sens, il

me paraît très intéressant de mieux comprendre la convergence des dispositions professionnelles

chez les formateurs dans un espace de travail commun.

L'entrée dans le monde de la formation d'adultes à la Maison d'Arrêt des formateurs que j'ai

72 Source : www.legifrance.fr, consulté le 22/08/2013

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eu l'occasion de rencontrer s’est faite essentiellement de deux façons : soit par le biais d'un réseau

de proximité (familial, professionnel) ou alors par la logique de reconversion et/ou de reclassement

professionnel suite à une maladie liée au travail. Bien que les formateurs appartiennent à un groupe

professionnel très segmenté, leurs missions et leurs pratiques pédagogiques sont largement

conditionnées par le lieu d'exercice, le public bénéficiaire et le réseau institutionnel dans lequel elles

s'inscrivent.

Il ne s'agit en aucun cas de faire une typologie quelconque des formateurs en milieu

pénitentiaire, mais plutôt d'essayer de comprendre sous quelles conditions les formateurs

construisent ou définissent leurs identités professionnelles dans ce contexte. Dans le cadre de cette

étude, j'ai voulu tirer des ficelles qui me permettront de mieux comprendre le positionnement des

formateurs au sein des dispositifs de la formation professionnelle tout au long de la vie, plus

particulièrement dans le cadre de leurs missions de réinsertion professionnelle des détenus à la

Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy.

Etudier la construction identitaire chez les formateurs revient aussi à étudier la pertinence,

l'impact et les conditions de la mise en place des dispositifs de formation professionnelle en prison.

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2- Construction identitaire professionnelle chez les formateurs

de la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy

Les formateurs sont issus d'un parcours professionnel très hétérogène. Pour une partie

d'entre eux, leur travail en prison a été le résultat d’une reconversion professionnelle en raison de

l’impossibilité physique d'exercer une autre activité professionnelle. Pour les autres, leurs

interventions (à temps partiel) auprès les détenus demeurent un « travail alimentaire », mais qui

prend souvent dans leurs discours la forme d'un « travail humanitaire ». Entre leur appartenance

institutionnelle, le manque d'expérience en milieu carcéral et l'importance attribuée aux mesures de

sécurité par l'administration pénitentiaire, les formateurs se confrontent à une série de difficultés et

de contraintes d'ordre sécuritaire qui rendent leur mission particulièrement contraignante.

Ainsi, les formateurs doivent s'adapter, à tout moment, aux conditions de mise en place de la

formation professionnelle en milieu carcéral. L'absence partielle de marges de manœuvre et le

manque d'informations quant à la situation sociale, pénale, ou encore psychologique de leur public,

rendent encore plus difficile leur mission de réinsertion professionnelle. Comment construisent-ils

alors leur identité professionnelle en milieu pénitentiaire ?

Afin de mieux comprendre la place et le positionnement des formateurs à l’intérieur de

l'institution pénitentiaire, plus particulièrement au sein des dispositifs de réinsertion professionnelle

de la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy, je décrirai, dans un premier temps, l'histoire et le

fonctionnement interne de la formation professionnelle. Ensuite, j’aborderai la situation de travail

chez les formateurs dans l'établissement. Il s'agit de situer, dans le contexte carcéral, les actions de

formation professionnelle destinées aux détenus, en l’insérant dans un système d’interactions

complexes entre les divers partenaires impliqués dans la mission de réinsertion professionnelle en

milieu pénitentiaire.

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2.1 La place des formateurs dans l'organisation du travail de réinsertion à la Maison d'Arrêt

La situation de travail des formateurs en France est encadrée par la loi du 5 mai 2004relative

à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. D'après cette loi, la

formation professionnelle vise essentiellement à « favoriser l'insertion ou la réinsertion

professionnelle des travailleurs, de permettre leur maintien dans l'emploi, de favoriser le

développement de leur compétences et l'accès aux différents niveaux de la qualification

professionnelle, de contribuer au développement économique et culturel et à leur promotion

sociale73». Dans ce sens, le formateur est considéré comme un agent d'insertion et de réinsertion

professionnelle ainsi que de promotion sociale.

Le directeur d'établissement est chargé de nommer le Responsable Local de Formation

Professionnelle (RLFP) après concertation avec le directeur du Service de probation et d'insertion

pénitentiaire (SPIP) et en informe le directeur régional. Le directeur d'établissement préside la

commission locale de formation où sont étudiées les questions relatives à la formation

professionnelle des personnes détenues. Le RLFP est placé sous l'autorité hiérarchique du chef

d'établissement. Le temps affecté à cette fonction est lié à la taille de l'établissement et à

l'importance du dispositif développé. A la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy, dont la capacité

opérationnelle est supérieure à 400 détenus, le Responsable local de formation professionnelle se

voit proposer un contrat à temps plein ainsi qu’un adjoint pour l’épauler.

La mission du RLFP se compose de deux niveaux ; d'une part, il est responsable de

l'élaboration et la mise en œuvre du plan local de formation professionnelle, ce qui se traduit

par « la réalisation du document présentant le plan local de formation prévisionnel (actions, sources

de financement, budgets de fonctionnement prévisionnel et d'équipement) en tenant compte des

objectifs quantitatifs et qualitatifs émis par le directeur du SPIP ainsi que le chef

d'établissement74 ». Afin d'y parvenir, ils travaillent en concertation avec le référent formation du

SPIP (analyse des besoins et articulation avec les actions socio-éducatives existantes), le

responsable local de l'enseignement (complémentarité avec l'enseignement), le responsable du

73Loi du 5 mai 2004relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. Source : www.legifrance.fr, consulté le 12/09/2013 74 Circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire. Bulletin officielle du Ministère de la justice n 91, 31

juillet 2003. Source : http://www.justice.gouv.fr. Consulté le 09/09/2013

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travail (mise en place de l'alternance formation-travail). Chacun des professionnels participe de

manière active à la mise en œuvre du plan local de formation professionnelle en mettant à

disposition leurs compétences et le personnel dont ils ont la charge.

D'autre part, le RLFP est responsable de la gestion administrative relative à la formation

professionnelle en détention. Il est responsable de la distribution et l'utilisation des crédits délégués

par la Direction Régionale des Services Pénitentiaires (DRSP) aux établissements pour les actions

de formation, les crédits de fonctionnement ou encore l'équipement. Il est chargé de la transmission

des informations à l'attaché du référent de formation du SPIP ou encore aux organismes de

formation agréés tels que l’INSTEP, ou ARIES. Ces organismes partagent des données telles que la

rémunération des stagiaires, le détail des tableaux de bord d'évaluation des actions de formation

professionnelle.

La formation professionnelle diplômante en milieu pénitentiaire a été possible grâce au

travail partenarial et transversal du Ministère de la Justice et celui de l'Education nationale. La

formation et l’enseignement en détention sont organisés, animés et coordonnés par l'Unité

pédagogique régionale (UPR) qui s’assure de la cohérence des projets dans les différentes Unités

locales de l'enseignement (ULE). Elle est également responsable de l’établissement et de la mise en

œuvre du projet de l'UPR dans l'ensemble des centres pénitentiaires en France. La formation

proposée à la population carcérale peut être pré-qualifiante ou même diplômante. Les UPR, par le

biais des Unités locales d'enseignement (ULE) existantes dans grand nombre des centres

pénitentiaires, assure l'enseignement des matières générales ainsi que la passation des examens de

l'Éducation nationale. Chaque ULE est gérée par le Responsable Local de l’Enseignement (RLE), et

intègre l’ensemble des moyens mis à sa disposition par l’Education Nationale. Le rôle de ce dernier

est de coordonner l'ensemble des moyens d'enseignement mis à sa disposition par l’Unité

Pédagogique Régionale ainsi que d'élaborer le projet d'enseignement. Le Responsable Local de

l’Enseignement participe aussi à la coordination des activités « d'enseignement avec celles du

service pénitentiaire d'insertion et de probation (de l'accueil à la préparation de la sortie), de la

formation professionnelle, du travail, des bibliothèques, des activités sportives, culturelles,

associatives et les activités d'enseignement assurées par des intervenants extérieurs ».75

Les formations professionnelles sont principalement axées sur les secteurs des services et du

bâtiment pour les formations pré-qualifiantes et qualifiantes. Elles sont dispensées sous formes de

stages modulaires, de formations à distance ou personnalisées. La construction du plan local de

75 Circulaire d'orientation relative à l'enseignement en milieu pénitentiaire. Source :www.education.gouv.fr, consulté le

14/09/2013

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formation professionnelle est faite en fonction du contexte local et départemental, et de

l'identification des besoins repérés dans la population carcérale. « Le choix des filières, la nature des

actions, leur mode d'organisation pédagogique et administrative procèdent d'une analyse préalable

des besoins et de la situation des personnes détenues, des caractéristiques de l'établissement

pénitentiaire, de l'offre de formation professionnelle, d'enseignement et d'emploi existant au plan

local76».

La formation professionnelle est encadrée par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009. A

l'égard de cette dernière, la mission et le rôle des formateurs dans le processus de réinsertion

professionnelle des détenus sont axés essentiellement sur la transmission de savoirs techniques et

pratiques nécessaires dans le cadre de la réinsertion professionnelle des détenus.

Suite à mon expérience sur le terrain, j'ai pu constater que la mission des formateurs (tâches,

rôles) est beaucoup plus complexe que la seule transmission de savoirs. Les particularités de la

population carcérale, les contraintes propres à l'univers carcéral et le manque de moyens humains

chargés de la prise en charge des détenus (agents d'insertion SPIP, travailleurs sociaux, etc.),

entraîne une diversification des tâches des formateurs.

2.2 Fonctions essentielles des formateurs et diverses perceptions de leur travail en milieu

pénitentiaire

La fonction principale du formateur, selon la fiche du poste, est d'assurer sur le plan

théorique et pratique les cours dans le cadre de la formation professionnelle des détenus. Il

collabore avec des professionnels et acteurs sociaux, les formateurs participent de manière active au

processus de formation et de réinsertion professionnelle des adultes incarcérés. Dans ce sens la

mission des formateurs s’insère dans un contexte très complexe où les contraintes d'ordre

sécuritaire, financier, matériel et bureaucratique conditionnent dans une grande mesure les objectifs

et le déroulement des dispositifs de formation. Les réductions budgétaires décidées par la Direction

inter-régionale des services pénitentiaires (DISP) et du Ministère de la Justice impactent davantage

le suivi des stagiaires à l’extérieur de l’établissement. Les formateurs sont appelés à s'impliquer

autrement au sein des dispositifs de formation professionnelle. D’ailleurs, la mission des formateurs

76 Bulletin officiel di Ministère de la Justice, Circulaires de la direction de l'administration pénitentiaire

Signalisation des circulaires du 1er juillet au 30 septembre 2003, source ; http://www.justice.gouv.fr, consulté le 01/09/2013

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auprès des adultes incarcérés peut aller au-delà de la simple transmission de savoirs théoriques et

techniques, car ils sont également censés « participer de manière active à la réinsertion

professionnelle 77» d'une population qui rencontre des freins importants dans leur réinsertion sociale

et professionnelle lors de leur libération. Le travail des formateurs en milieu pénitentiaire implique

un grand nombre de tâches annexes liées à l'harmonisation des groupes d'élèves très hétérogènes. Il

s’agit d’organiser et d’adapter des dispositifs de formation aux contraintes sécuritaires, ou encore de

l’orientation voire la prise en charge de détenus après leur libération.

Afin d’appréhender la question identitaire chez les formateurs en milieu pénitentiaire, il

serait intéressant d'étudier la situation de travail telle qu'elle s’impose aux formateurs sur le terrain.

Il me semble pertinent de m’axer sur la prise en compte de la marge de manœuvre des formateurs

dans l’appropriation de leur poste de travail, autrement dit, comment la formation professionnelle

est comprise et mise en fonctionnement sur le terrain.

2.2.1 Le choix des stagiaires

Le choix des stagiaires est le résultat d'un processus de négociation entre les formateurs et

l'ensemble des acteurs de l'administration pénitentiaire impliqués dans la réinsertion sociale et

professionnelle des détenus. Comme je l'ai signalé auparavant, la Commission d'orientation et de

classement est l'instance responsable d'examiner les candidatures des personnes détenues

notamment au regard de leur situation pénale ; elle apprécie l'opportunité de l'accès aux stages et

décide l'inscription des personnes détenues dans l'action de formation professionnelle. Cette

instance est d'une importance vitale pour les détenus et pour les formateurs. D'une part, pour

l'avenir et la réinsertion des détenus. D'autre part, le choix du public détermine de manière

importante leurs conditions de travail. Les formateurs négocient, jusqu’au rapport de force, au sein

de la Commission d'orientation et de classement, et ce, avec les services et acteurs engagés dans le

domaine de la réinsertion des détenus. Malgré les résultats satisfaisants aux épreuves de sélection et

l'avis favorable du formateur lors des entretiens de recrutement, un candidat peut être écarté ; ou au

contraire : « ...on peut se faire imposer un stagiaire par la commission, même si tu ne veux pas de

lui...c'est dans la commission de classement que tout se passe». La négociation lors de la

commission de classement entre les formateurs et le reste des partenaires, m'a permis de voir

jusqu'à quel point les arguments d'ordre sécuritaire et pénal peuvent être plus importants lors de la

sélection des stagiaires. Cela m'a fait découvrir également le manque de contrôle des formateurs au

77 Entretien avec le Responsable local de la formation professionnelle à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy

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sujet du choix de leur public.

Pour la Commission d'orientation et de classement, il existe trois critères essentiels lors de

l'étude de chaque demande de formation. Il s’agit de la situation pénale, disciplinaire et

pédagogique. La Commission étudie en premier lieu l’adaptation des projets professionnels. Elle

s’assure de la faisabilité du projet en tenant compte de la durée de la formation demandée et celle de

l’incarcération. Seuls les condamnés qui purgent leur peine dans l'établissement et qui ne seront pas

transférés ou libérés avant la fin de la formation, peuvent bénéficier d'une formation. Ce type

d'informations est transmis par le RLFD et le SPIP. Ensuite il s'agit d'étudier la stabilité

psychologique du détenu ainsi que son comportement en détention. A cet égard, ce sont les

responsables de la détention qui peuvent être sources d’informations quant aux détenus et à la vie en

détention. Ceux dont le comportement aura été jugé instable, agressif ou irrespectueux envers

l’équipe encadrante ou encore un autre codétenu se confrontera à une interdiction de suivre une

quelconque formation. Finalement, les formateurs délibèrent et annoncent les candidatures retenues.

Consultés à propos des critères de sélection des stagiaires lors des entretiens de recrutement,

les formateurs insistaient très souvent sur l'importance de « la motivation » qui passe par la

détermination d’objectifs ; « la curiosité » exprimée à travers un certain questionnement et la

nécessité d'avoir un certain niveau intellectuel78. Ce discours pédagogique autour de l'implication

des stagiaires au sein de la formation professionnelle permet aux formateurs de sélectionner « ceux

qui veulent vraiment se réinsérer et ceux qui viennent juste pour avoir une remise de peine ou tout

simplement pour déménager au petit quartier...79 ».

Dans ce contexte, l'expression « avoir envie de se réinsérer » est déterminante dans l'accès

aux dispositifs de réinsertion. Chez les formateurs et le personnel pénitentiaire, le concept de

réinsertion est conçu comme « l'acquisition des habitudes nécessaires dans la vie professionnelle»,

observables par le respect de normes en détention (assiduité aux cours, se lever tôt le matin, respect

de l'ensemble des acteurs sociaux en détention, etc.). Le rôle des formateurs dans ce processus de

réinsertion porte également sur la mise en situation professionnelle et la transmission de certains

« savoir-être, très nécessaires dans le monde du travail ».

78 Les formateurs consultés à ce sujet, font référence plus particulièrement au niveau scolaire et à la capacité de

s'exprimer correctement 79 Entretien avec un des formateurs du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC)

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Lors de la Commission d'orientation et de classement, chaque acteur apporte des éléments

qui visent à étudier la situation judiciaire du détenu, ses possibilités de réussir la formation et de se

réinsérer professionnellement après sa libération. Cet espace multi professionnel permet de mettre

en évidence les divergences quant à la population pénale et leurs possibilités de réinsertion. Alors

que les surveillants portent un regard très méfiant et cloisonné sur le comportement du détenu en

détention, les formateurs ont tendance à se projeter dans le devenir du détenu et de ce fait, à penser

leur mission à long terme.

D'après mes observations sur le terrain, malgré la double mission de sécurité et de

réinsertion chez les surveillants, l'accès aux dispositifs de droit commun est considéré comme un

« privilège » pour certains détenus. Par conséquence l'accès aux dispositifs de formation

professionnelle a tendance à devenir une façon d'avoir un certain contrôle sur le comportement des

détenus. Cette contradiction entre la mission de sécurité et celle de réinsertion au sein du corpus des

surveillants, a été largement mise en lumière par de nombreux travaux et rapports autour du rôle des

surveillants dans la réinsertion de la population carcérale et l’importance attribuée aux mesures

d'ordre sécuritaire par l'administration pénitentiaire. À cet égard, Dominique LHUILIER et Nadia

AYMARD signalent : « Cette hiérarchisation des missions octroyées serait une tentative de

dégagement de la contradiction perçue entre elles deux. Un mode de réponse aussi à cette mission

de réinsertion prescrite secondairement et à l'absence des moyens donnés pour permettre sa

réalisation 80». Par contre chez les formateurs, l'accès à la formation est conçu comme un droit

fondé sur des critères d'ordre pédagogique (niveau d'études, envie d'apprendre, etc.) et aussi sur la

motivation première chez les détenus pour la formation (« ...il me semble qu'il vient juste pour les

RPS81»).

Dans le cadre du processus de réinsertion en détention, tous les détenus qui participent à la

formation professionnelle ou aux ateliers de travail, sont regroupés au sein du petit quartier

(« quartier des travailleurs »), afin de faciliter les déplacements et l'accès aux ateliers. Au sein de

ce quartier les tensions entre les détenus et les surveillants sont beaucoup moins fréquentes que dans

les autres espaces de détention. A l’autre extrémité de l'établissement on trouve le grand quartier,

également qualifié « la jungle » par les détenus en raison du niveau de violence qui existe entre les

détenus et le personnel pénitentiaire. C'est un espace caractérisé par la surpopulation carcérale et

une ambiance de vie assez hostile entre les détenus et le personnel pénitentiaire. De manière

80 D. LHUILIER et N. AYMARD, L'univers pénitentiaire. Du côté des surveillants de prison, Sociologie clinique, Desclée de brouwer, Paris 1997, p42 81 Remise de peines supplémentaires

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générale, une des motivations majeures chez les détenus quant à la formation professionnelle, c’est

le transfert au petit quartier en vue d’améliorer leur conditions de détention ou d’y trouver une

sécurité après avoir été menacés par les autres détenus. Conscients de ce détournement d'usage des

dispositifs de formation professionnelle, par les détenus et parfois par l'administration pénitentiaire,

les formateurs cherchent à identifier les détenus dont la motivation n’est pas en rapport avec la

formation. Cela a un impact sur la définition de leur poste de travail, car être formateur implique de

« jouer un rôle central dans la réinsertion des détenus, essentiellement dans la transmission des

savoirs appliqués dans la vie active et non pas de faire de l'occupationnel, de l'animation ou de la

discipline auprès de douze bonshommes 82».

La détention porte une vision plutôt pessimiste sur l'action éducative et de réinsertion envers

les détenus. Ils ne veulent pas « faire des cadeaux 83» aux détenus qui ont un comportement

agressif, et méprisant envers leur groupe professionnel. L'accès aux dispositifs de droit commun en

détention est parfois utilisé comme un instrument de pouvoir sur les détenus. De leur côté, les

formateurs cherchent à harmoniser les groupes de stagiaires en se basant sur des critères

pédagogiques plutôt liés au niveau (scolaire ou expérience professionnelle) et des critères de

motivation. Chaque groupe professionnel met en avant des arguments liés à leur formation initiale

et aux difficultés particulières dans le cadre de leur mission au sein de l'établissement.

Dans ce rapport de forces entre les groupes professionnels très distincts, le RLFD et les

agents d'insertion (SPIP), le débat porte sur des éléments d’information objectifs, à savoir la

situation pénale du détenu. Dans ce sens, ce sont les arguments d'ordre juridique (longueur des

peines, demandes de transfert, etc.) qui vont déterminer, dans une grande mesure la sélection des

stagiaires. Animés par la légitimité de leur mission liée à la réinsertion, la lutte contre la récidive et

la préparation à la sortie, la direction, le RLFD et le SPIP vont se montrer plutôt optimistes face à la

possibilité de réinsertion attribuée à la formation professionnelle d'un détenu, particulièrement jeune

et sans qualifications. Face à cette situation, il peut arriver « d’imposer » un stagiaire aux

formateurs sous prétexte « que c'est important pour lui (le détenu) ».

Afin d'assurer l'harmonisation du groupe (à partir des arguments d'ordre pédagogique) et

d'élargir leurs marges de manœuvre en ce qui concerne la sélection des stagiaires, les formateurs

essaient de conserver « les bons élèves » au sein de la formation, en développant un certain

attachement vis-à-vis des détenus les plus « motivés ». Cet attachement, peut s’établir au-delà de la

82 Entretien avec le formateur du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC) 83 Au sujet de l'accès aux dispositifs de formation professionnelle

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dimension purement pédagogique ou d'accompagnement vers la réinsertion professionnelle. Le

formateur joue également un rôle dans l'orientation morale (semblable à la figure du grand frère

dans la cité) avec un accompagnement plus approfondi dans les démarches de recherche d'emploi et

des formations complémentaires à l’extérieur ou à l'intérieur de la Maison d'Arrêt. Dans ce cas, les

formateurs peuvent intercéder auprès des autres formateurs et le RLFD afin qu'ils prennent en

considération la nouvelle demande de formation du stagiaire ou de leur « chouchou ». Cette

expression indigène est employée de manière très ironique par le RLFD lorsqu'un formateur fait

preuve d'un engagement particulier envers un des stagiaires. L'utilisation de cette expression,

cherche d'une part à invalider les arguments des formateurs sur « la complémentarité des formations

professionnelles » dans lequel un stagiaire peut éventuellement faire plusieurs formations

diplômantes ; d'autre part, le mot « chouchou » invite à influencer le débat auprès des partenaires et

des acteurs sociaux, en rappelant qu'il s’agit bien des détenus qui purgent leur peine et non pas des

« simples élèves » comme on trouve à l'extérieur.

2.2.2 Les divers types de rapport au public et les formes de travaux institutionnels

L'implication (en temps, en énergie) des divers acteurs sociaux exerçant dans le milieu

pénitentiaire ainsi que leur perception autour du public au sein de la formation professionnelle sont

largement conditionnées par leur place dans l'organisation du travail. L'utilisation de diverses

expressions indigènes comme, « stagiaire », « détenu », « public bénéficiaire », « adultes en

formation » ou « élèves », rend compte de la perception distincte du même public ainsi que des

rapports de forces entres les groupes professionnels. Cela veut dire que selon les groupes

professionnels, on n’utilise pas les mêmes termes pour désigner le public destinataire. Les différents

interactions et représentations quant au public bénéficiaire met en lumière les rôles que les acteurs

sociaux investissent afin de parvenir aux objectifs contenus dans le cadre de leurs fonctions.

La représentation du public varie en fonction de la mission assignée aux groupes

professionnels et au type du travail institutionnel fait auprès d'un public donné. Dans ce contexte, la

polysémie utilisée à propos du public destinataire oblige une classification à partir de deux critères :

l’appartenance aux réseaux de socialisation traditionnels (famille, école, travail) et la situation

socio-économique. D'après les travaux de Robert CASTEL84 autour des publics du champ social, on

peut identifier dans une perspective dynamique trois zones de turbulence sociale : zone

84 I. ASTIER, Sociologie du social et de l'intervention sociale, collection universitaire de poche, Maison d’édition, Armand Colin, Paris, 2009, p.79

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d’intégration (concerne les individus qui disposent de l'assurance d'un travail et peuvent compter sur

des supports de relations solides), zone de vulnérabilité (associée à la précarité du travail comme les

tâches saisonnières ou intermittentes et à la fragilité relationnelle) et la zone de désaffiliation

(caractérisée par l'absence de travail et l'isolement social). Malgré la difficulté d'établir des

frontières rigides entre les trois zones de turbulence, la dimension économique (accès au travail) et

la cohésion sociale (participation dans les espaces de socialisation), semblent conditionner

l'appartenance à une zone ou une autre.

Insérées au cœur du processus de précarisation, accentué par l'enfermement, il est

particulièrement difficile d'organiser et coordonner les actions de prise en charge en raison de la

diversité du public destinataire. Dans ce sens, les acteurs sociaux présents sur le terrain ont de

grosses difficultés dans la mise en place des dispositifs pouvant répondre aux besoins du public. En

plus de l’hétérogénéité de la population carcérale, il s'ajoute la diversité des représentations

produites par les dispositions professionnelles des acteurs sociaux, c'est-à-dire les diverses façons

d'agir, de penser et de percevoir le public bénéficiaire. Cette disposition professionnelle est le

résultat de leur formation et de leur place dans la division du travail au sein de la Maison d'Arrêt.

Les formateurs préfèrent utiliser, de manière volontaire, l'expression « stagiaire » pour

designer leur public. Cette façon d'identifier les détenus implique un rapport plus « académique »,

ce qui permet d'établir une dynamique plus « scolaire » au sein de la formation professionnelle.

Cela permet également de décrire et de définir leur activité professionnelle en signalant aux autres

acteurs sociaux leur rôle et leur fonction dans l'institution.

Malgré l’existence de plusieurs caractéristiques symboliques qui pèsent sur le public

destinataire de la formation professionnelle, celle qui revient le plus souvent parmi les

professionnels est celle du « détenu ». Cette représentation symbolique est employée par

l'administration pénitentiaire (direction, SPIP, RLFD) comme une façon de rappeler aux partenaires

sociaux (Éducation nationale, formateurs, organismes de formation) les particularités du public et

l'importance des mesures de sécurité.

Comme cela a été signalé par Ervin GOFFMAN au sujet des « adaptations primaires »,

l'utilisation des classifications à propos de la population carcérale, permet d'assigner un rôle bien

déterminé, afin de devenir un membre « normal », « programmé » ou incorporé85 à l'institution. Il

85 E. GOFFMAN, Asiles, Les éditions de minuit, Paris, 1998, p245

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s'agit de produire des catégories symboliques à propos du public destinataire, afin de les comparer,

les identifier, les classer et de prévoir leur comportement. Cette catégorisation permet également de

justifier les actions disciplinaires envers les détenus dans le cadre de la réinsertion professionnelle.

Les catégories symboliques mobilisées par les acteurs sociaux à l'égard des détenus, sont des

constructions produites par l'institution carcérale. Elles permettent de définir le type de travail et de

donner du sens à l'activité de réinsertion menée par les acteurs. C'est ainsi qu'en agissant « pour »

ou « sur » les détenus, les professionnels cherchent d'une part à représenter d'une manière

valorisante leur travail et d'autre part à avoir un certain contrôle sur le comportement d'un public.

Dans ce logique, chez certains professionnels, l'accès aux dispositifs de formation

professionnelle pourrais être considéré comme un droit relatif au comportement et au profil du

détenu, et donc un outil de discipline et contrôle de la population carcérale ?

L’ensemble des formes de prise en charge de la population carcérale par les acteurs sociaux

permet de décrire leur situation de travail et la présenter de la manière la plus avantageuse possible.

En ce qui concerne la « division moral du travail »86, chacun des professionnels représentent de

manière assez différente le public destinataire de la formation ainsi que le rôle social de leur

intervention. Alors que les formateurs ont pour mission « de donner une nouvelle chance à une

population qui a des grosses difficultés pour se réinsérer dans la vie professionnelle87 », la

détention (l'ensemble des surveillants) est plutôt méfiante quant à l’efficacité des dispositifs de

formation destinés à « une population qui est habituée à amasser des grosses quantités d'argent en

très peu de temps ». Tandis que les formateurs insistent sur la dimension « humaniste » et noble de

leur travail en mettant l'accent sur la motivation et le potentiel de chaque stagiaire, les surveillants

s’appuient sur l'histoire pénale des détenus, leur comportement en détention et le taux de récidive de

la population pénale.

Comme cela a été signalé par Everett HUGHES « Choisir pour un travail la désignation la

plus favorable implique un public. Et l'une des choses les plus importantes pour un homme est son

public, ou le choix qu'il peut faire entre les divers publics auxquels il peut prétendre, et par lesquels

il cherchera à être reconnu88 ». Dans ce sens, les stagiaires identifiés comme « motivés » ou

« curieux » par les formateurs, sont ceux qui se placent dans une perspective de poursuite des études

à l’extérieur ou qui pensent déjà à leur réinsertion dans la vie active. L'interaction et

l'investissement de ce type de public mobilisent des compétences diverses et variées chez les

86 E. HUGHES, Le regard sociologique, Éditions EHESS, Paris, 1996, p63 87 Formateur du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC)

88 Op. Cit. p76

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formateurs. Il s'agit des individus qui enrichissent les tâches attribuées au travail des formateurs,

toujours orientées par l’impératif de leur « mission pédagogique ». Cette catégorie de stagiaires est

constamment mise en avant par le formateurs et par le RLFD lors des réunions de suivi et dans la

commission de classement, comme une manière de modéliser la figure du « bon stagiaire » et/ou du

« bon détenu ». La « motivation » exprimée par cette catégorie de stagiaire est souvent conditionnée

par leur possibilité de réinsertion dans le marché du travail, liées parfois à l'âge (jeunes adultes, 20-

35), la durée de leur peine, leur réseau social et/ou familial et leur casier judiciaire.

Tandis que le rôle social des formateurs et des acteurs sociaux auprès des stagiaires

« motivés » est la coopération et l’accompagnement dans leurs démarches, avec les stagiaires plus

âgés et qui ont des longues peines le rapport de travail institutionnel est plutôt basé sur une

reconstruction psychologique. Selon les consignes de l'administration pénitentiaire, il s'agit de

prendre en charge89 les détenus les plus « réinserables » dans le marche du travail, cependant cela

ne concerne pas forcément ceux qui en ont le plus besoin.

Dans certains cas les formateurs ont tendance à élargir leurs fonctions au sein de la

formation professionnelle (de manière officieuse) en adoptant le modèle identitaire du

« psychologue » au sein de la formation. Ce modèle consiste à s'investir dans le plan psychologique

(affectif, psychosocial) et d'orientation vers la réinsertion des stagiaires dans la vie active, qui

consiste à établir une relation d'accompagnateur social. Ce positionnement de la part des formateurs

permet d'enrichir leur intervention très marquée par la stricte transmission de savoir, et d'avoir une

perspective plus large à propos de l’efficacité de leur intervention auprès de la population carcérale.

Au cours des entretiens, les formateurs mettent souvent en avant une espèce « d'accompagnement

vers la réinsertion » vis-à-vis d’une partie des stagiaires (les plus « motivés » selon eux). Cela

consiste à garder le contact avec ces derniers après leur libération (par téléphone, mail, etc.), ceci

afin d'orienter les détenus dans la recherche d'emploi. Il faut rappeler que ce type d'interactions

entre stagiaires/formateur hors établissements est interdit par l'administration pénitentiaire pour des

raisons de sécurité. Ces « adaptations secondaires » à caractère officieux représentent pour les

formateurs « le moyen de s'écarter du rôle et du personnage que l’institution lui assigne tout

naturellement90». C'est à partir de cette relation d'accompagnateur social ou de conseilleur d'emploi

dans les démarches de réinsertion professionnelle des stagiaires, que les formateurs redéfinissent

leur poste de travail ainsi que la mission de réinsertion en détention par ce qu'il devrait être.

89 Chez les formateurs et les agents de SPIP, il s'agit de mettre en place un travail d'accompagnement et de suivi plus

« poussé », par rapport aux autres détenus. 90 Op Cit p245

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2.2.3 Les enjeux économiques derrière la formation professionnelle en milieu pénitentiaire

Au cours de mes observations, j'ai pu constater une hiérarchisation entre les différentes

formations professionnelles en fonction du type de qualification et ou compétences développées

(diplômante ou pas), le niveau du diplôme (CAP, CCP , BEP) et le public destinataire. L'expression

« petites formation » (espaces verts, nettoyage industrielle, bâtiment) utilisée par le RLFD, met en

évidence la valeur relative attribuée à chaque formation. Ces « petites formations » ont une durée

de trois à 6 mois, elles sont destinées essentiellement aux détenus qui sont en fin de peine, sans

expérience professionnelle et avec un bagage scolaire très faible. Étant donné les caractéristiques

sociologiques de cette population, la mission des formateurs au sein de la formation consiste au

développement des compétences élémentaires dans la vie professionnelle.

D’un point de vue financier et humain, chaque formation n'a pas la même valeur, celles qui

ont un niveau plus élevé (BEP) ont plus de visibilité car d'une part elles mobilisent divers acteurs

sociaux à l'intérieur comme à l’extérieur de la Maison d'Arrêt. D'autre part, ces types de formations

sont mises en avant par les divers professionnels comme un « vrai » travail de réinsertion

professionnelle qui offrent de nombreux débouchés, contrairement aux dispositifs de préparation à

la sortie91. Cette hiérarchie symbolique a tendance à présenter d'une manière plus valorisante la

prise en charge des « détenus » ainsi que la mission de réinsertion. Cela met en lumière également

les divers enjeux financiers et politiques derrière chaque module de formation professionnelle.

Concernant les identités proposées par le contexte de travail à la Maison d'Arrêt de Bois

d'Arcy, la formation professionnelle a une faible importance dans le plan économique. Comme cela

a été signalé auparavant, le budget destiné aux établissements de gestion déléguée est deux fois

supérieur par rapport aux établissements de gestion publique (17,23 euros contre 7,25 euros).

Comme le révèle l'Observatoire international des prisons « les fonds sont absorbés par la logistique

et les salaires des personnels, et, en définitive le taux de formation professionnelle n'est pas plus

important qu'en gestion public92». Ce manque de reconnaissance sur le plan économique a un

impact considérable chez les formateurs en termes d'implication dans la mission de réinsertion et

d’appropriation de leur poste de travail. Plus précisément, les formateurs du CAP ELEEC

s'impliquent de façon partielle (un jour par semaine) au sein de la formation professionnelle en

91 Dans le cadre de l'entretien réalisé le 12/09/2013, le RLE à la Maison d'Arrêt de Bois d'Acry fait référence

notamment aux dispositifs MP2R et Réinsertion mis en place par le SPIP et les centres de formation d'adultes RD Formation et FAIRE.

92 OIP, Op Cit p183

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raison de leur faible reconnaissance salariale en comparaison de leur travail dans un lycée

professionnel en région parisienne. Ainsi les formateurs basculent entre un «travail alimentaire » et

leur activité professionnelle principale, où ils peuvent bénéficier d'une meilleure reconnaissance

statutaire et salariale.

Dans ce sens, ils ne peuvent pas se permettre de s'investir pleinement dans la formation

professionnelle en détention en raison de leur rémunération, qui est inférieure à celle qu'ils

perçoivent au lycée professionnel. Selon le discours tenu par les formateurs du CAP

électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC), leur intervention

extraprofessionnelle (une fois par semaine) au sein de la formation est assimilée à une « mission

humanitaire » envers une population socialement très démunie.

Les formateurs qui s'investissent à temps plein dans la formation professionnelle en

détention (bâtiment et mécanique-automobile) jonglent entre un discours qui met en avant leur

mission sociale (au sens large) et leur mission de réinsertion professionnelle telle que définie par

l'administration pénitentiaire, c'est-à-dire assurer la passerelle entre la formation et le monde du

travail. L'arrivé de ce groupe de formateurs dans le monde de la formation des adultes en détention

a été le résultat d'une reconversion professionnelle suite à l'incapacité physique de travailler dans

leur domaine. Leur travail à la Maison d'Arrêt est alors leur seule source de revenu.

Ceci dit, le positionnement des formateurs dans l'organisation du travail à la Maison d'Arrêt

est marqué par le rôle social qu'ils investissent. Ils essaient de trouver leur place au sein des

dispositifs de formation et du discours de l'administration pénitentiaire.

2.2.4 La gestion pédagogique de groupes très hétérogènes

Comme cela a été signalé par les formateurs, la constitution des groupes de travail est un des

défis majeurs dans le cadre de leur mission. En termes pédagogiques, la difficulté porte

essentiellement sur les différences d'âge et de parcours scolaire et/ou professionnel. Malgré

l'utilisation d'un test psychométrique lors des entretiens de recrutement, la sélection des stagiaires

chez les formateurs est faite essentiellement sur « cohérence du projet professionnel93», ensuite sur

« la motivation » de réinsertion des détenus. Un autre critère, utilisé par certains formateurs comme

permettant d'harmoniser les groupes de stagiaires, porte sur les notions de base acquises lors d'une

93 Expression utilisée par l'administration pénitentiaire pour designer la cohérence entre la durée de la formation

demandée et le temps d'incarcération.

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certaine expérience professionnelle.

Concilier un public tellement divers en termes d'âge, d'expérience professionnelle, de

compétences d'ordre intellectuel (pour ceux qui ont arrêté l'école il y a longtemps) ainsi que de

rythme de vie propre à chaque stagiaire en détention (parloir, avocat, etc.) paraît très complexe.

Dans ce contexte, les formateurs doivent faire preuve de multiples compétences afin d'individualiser

la progression pédagogique des stagiaires. Cette forme de travail individuel imposé par les

conditions de l'enseignement en détention, est vécue comme une source de difficultés majeures par

certains formateurs, par rapport à la progression pédagogique et la cohésion du groupe. Il faut

également signaler que chaque formation a ses propres logiques internes de fonctionnement.

Dans le cas de la formation CAP ELEEC, les stagiaires ont des cabines individuelles

attribuées à chacun tout au long de l'année. La présence de trois formateurs qui interviennent une

fois par semaine (donc un par jour en raison de leur travail dans le même lycée professionnel en

région parisien) et la possibilité d'un espace de travail individuel par stagiaire, facilite énormément

la gestion disciplinaire et pédagogique du groupe. Cela permet également aux formateurs

d'identifier la progression et l'appropriation des connaissances techniques du stagiaire.

Les formations de mécanique-automobile et bâtiment, quant à elles, sont gérés par deux

formateurs embauchés à temps plein en raison de leur reconversion professionnelle. Selon eux, ces

formations représentent une difficulté particulière concernant à l'harmonisation des groupes de

stagiaires qui ont des compétences très hétérogènes. Contrairement à la formation ELEEC, les

stagiaires sont organisées en petits groupes de travail de manière coopérative sur le même

« chantier ». Dans ce contexte, il est plus difficile de gérer l’hétérogénéité du groupe-classe, le

progrès des apprentissages des stagiaires et les tensions entre les détenus.

A cela il faut ajouter les entrées et sorties permanentes des détenus au sein de la formation

en raison de la décision de mise en liberté ou de transfèrement du juge. Dans ce sens, un des

formateurs ELEEC me signale : « des nouveaux stagiaires peuvent arriver à tout moment..parfois

on se fait avoir, parce que tu sais pas qu'il (le détenu) a fait un dossier de transfert dans une autre

prison...après un mois tu apprends que il doit être libéré ou transféré...parfois le juge ne prend pas

en compte la formation...94 ». Cette situation met en lumière le non-respect des articles de lois qui

encadrent la formation professionnelle afin de remplir le nombre de places au sein de la formation

94 Formateur du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC)

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professionnelle au détriment de la progression pédagogique prévue par les formateurs. Cela se

traduit par une difficulté supplémentaire chez les formateurs si on prend en considération qu'ils sont

évalués en fonction du nombre des stagiaires ayant obtenu leur diplôme. Lors des entretiens de

recrutement, j'ai pu constater que la notion de « cohérence du projet professionnel» prend de plus en

plus une place prépondérante par rapport aux critères dits pédagogiques dans la sélection des

stagiaires.

2.2.5 La méconnaissance de leur public

Un des critères qui permet d'évaluer la mission attribuée aux formateurs est le taux de

réussite aux examens. Pour atteindre cet objectif, le choix du public est capital. Toutes les pratiques

professionnelles chez les formateurs sont orientées vers la réussite des examens. Lors des entretiens

de recrutement, les questions des formateurs tournent souvent autour de la situation pénale des

détenus, leurs expériences ou compétences préalables dans le domaine en question et leur

« motivation » pour la formation. « On est obligé de leur faire confiance pendant l'entretien de

recrutement... par rapport à leurs motivations et leur expérience professionnelle, mais il faut

toujours avoir en tête que parfois leur seule motivation est de déménager au petit quartier... parfois

tu croises des mythos... ». La seule source d'information que les formateurs peuvent avoir sur la

durée de la détention, le délit et le comportement en détention les détenus provient du RLFD.

Malgré les divers paramètres à gérer lors des entretiens de recrutement, les formateurs

ignorent une grosse partie des informations concernant la situation pénale et le parcours

professionnel de leur public. Ces informations sont tenues au secret professionnel par le personnel

pénitentiaire concerné. Les formateurs cherchent à obtenir le plus d'informations sur leur public, le

but étant d'élargir leur marge de manœuvre lors du recrutement des stagiaires, et d’atteindre plus

facilement les objectifs prédéfinis par l'administration pénitentiaire. C'est lors de la commission de

classement que les formateurs peuvent avoir un peu plus d'informations sur les détenus (notamment

sur leurs parcours de vie et leur casier judiciaire) ; cependant une grande partie de ces informations

échappe à leur connaissance. De ce fait, le manque d'informations sur leur public se présente

comme une difficulté majeure dans leur mission. A cet égard, le formateur du CAP mécanique-auto

signale « ...tu sais jamais sur qui tu va tomber. Si jamais il y a un pointeur (violeur) dans ton

groupe, les autres détenus ils vont lui faire la misère... l'ambiance ça va être tendu dans l'atelier...

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j'ai déjà vu des bagarres à cause de ça dans l'atelier... ».

2.2.6 Une communication très cloisonnée : secret professionnel et secret partagé

La formation professionnelle en détention, rentre dans le cadre de la réinsertion comme un

moyen de lutte contre la récidive. Dans ce sens, il existe beaucoup d'acteurs impliqués dans cette

mission (les agents d'insertion, les responsables des modules de préparation à la sortie, travailleurs

sociaux, les enseignants, la conseiller du Pôle Emploi entre autres) qui partagent différents types

d'informations relatives à la situation pénale des détenus et les dispositifs de formation. Nonobstant,

d'après les formateurs, la communication et la coordination entre eux et les divers services sont très

réduites, voire inexistantes. Dans le cadre de leurs fonctions, les formateurs signalent leur envie de

« ... communiquer plus avec les autres services de la Maison d'Arrêt, mais ils ont tellement du

travail... mais il faudra développer tout ça...95».

L’organisation et la hiérarchie du travail au sein de la Maison d'Arrêt, impliquent une forte

centralisation d'information par un nombre très réduit de professionnels. Il peut y avoir des

antagonismes et des rapports de forces très marqués entres les divers acteurs sociaux concernant la

légitimité des professionnels dans l'accès, l’utilisation et la diffusion d'un certain type

d'informations classées comme « secrètes » ou « sensibles » par la détention. Au sujet du « secret

coupable », Everett HUGHES signale qu'il s'agit d'une caractéristique fondamentale dans la division

sociale et morale du travail : « La plupart des métiers reposent sur une transaction explicite ou

implicite entre chacun de leurs membres et ceux avec lesquels ils travaillent, et entre le groupe

professionnel et la société à propos des informations recueillies au cours du travail, de leur rétention

ou de leur divulgation96».

Ces tensions entre les divers acteurs sociaux ont leurs origines dans les dispositions

professionnelles distinctes et dans le rôle dont ils sont investis au sein de leur mission de

réinsertion. Chaque acteur est impliqué de manière très différente dans cette mission et gère une

information particulière à son rôle et statut professionnel. Autrement dit, chaque acteur possède le

droit ou la licence pour accomplir certaines tâches pour lesquelles ils ont été formés avec des

compétentes reconnues par l'institution. La situation du travail concernant à la diversité

sociologique du public (en termes d’appartenance aux zones de turbulence sociale) et l'absence des

95 Formateur du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC) 96 E. HUGHES, Op Cit. p101

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acteurs sociaux suffisant sur le terrain97 obligent à élargir les « frontières professionnelles » et à

redéfinir les niveaux d'intervention par le personnel pénitentiaire auprès des détenus en formation.

Lors de l'entretien avec la responsable du SPIP à la Maison d'Arrêt, quant à l'échange de

communication entre les différents services de la Maison d'Arrêt et les partenaires impliqués dans la

réinsertion des détenus, elle me confiait « il y a pas mal d’informations qu’on ne peut pas donner

comme ça aux partenaires, car cela fait partie du secret professionnel ». Il faudra souligner qu’en

raison de leur contact avec les juges d'application des peines, les agents du SPIP appartiennent au

groupe professionnel qui détient le plus d'informations sur les détenus en ce qui concerne leur

situation pénale, les demandes de transfert et les aménagements de peines. La légitimité dans

l'obtention et la manipulation des informations considérées comme « sensibles » est relative à

l'appartenance institutionnelle des acteurs sociaux et d'autre part, à la licence que certains acteurs

disposent dans le cadre de leurs fonctions. La détention d'informations concernant les détenus peut

être vue comme une façon de délimiter un espace de compétences professionnelles et ainsi garder

un certain contrôle sur leur activité. Ces informations peuvent être utilisées par exemple lors de la

sélection des détenus qui bénéficieront d'une formation professionnelle, ou à l’occasion d’un

rajustement budgétaire. Pour les formateurs, la seule source d'information sur leur public provient

du RLFD et de la commission de classement, instance où se joue un véritable rapport de force entre

les formateurs et le reste des acteurs impliqués.

Un acteur clé dans la communication entre les formateurs et les autres services à la Maison

d'Arrêt est le RLFD. Il est considéré comme un « interlocuteur privilégié » selon les formateurs

dans la transmission d'information concernant la formation professionnelle et les détenus. Le RLFD

est la seule source d'information et de communication entre les formateurs et les différents services

dans la Maison d'Arrêt. Le RLFD est investi, en raison de sa place dans l'organisation du travail

dans l'administration pénitentiaire, d'une certaine liberté d’autorité intellectuelle et morale sur toutes

les actions qui touchent la formation professionnelle des détenus. Le mandat que l'administration

pénitentiaire lui confère, lui donne surtout la capacité d'intervenir, de contrôler et de modifier (s’il

est nécessaire) la totalité des pratiques professionnelles chez les formateurs, autant dans la

dimension pédagogique que sur la gestion du matériel. Cette capacité d'intervention lui est

essentiellement attribuée en raison de sa place occupée au sein de l'institution et non pas par son

expérience dans la gestion des dispositifs de formation professionnelle en prison.

97 Les travailleurs sociaux et les conseillers d'insertion à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy expriment un sentiment de de désespoir par rapport à la surcharge de travail (entre 80 et 120 détenus à suivre) dans le cadre de la prise en charge des détenus dans le cadre de la préparation à la sortie.

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Si les formateurs sont appelés à participer de manière active dans le processus de réinsertion

de leurs stagiaires, ils sont souvent mis à la marge d’un grand nombre d'informations et de décisions

qui concernent directement ou indirectement leur pratique professionnelle, comme par exemple le

choix de leurs stagiaires. Le caractère très ponctuel de leur mission pédagogique (traduit par la

réussite des stagiaires aux examens) et leur appartenance institutionnelle (Éducation nationale,

organisme de formation) accentuent leur « isolement » à l'intérieur de la structure.

2.2.6 Sur une mission pédagogique très surveillée

Le travail des formateurs est encadré par un grand nombre de normes d'ordre sécuritaire qui

déterminent, dans une grande mesure, la dimension pédagogique de leur travail. Il appartient

d'abord à l'administration pénitentiaire d'évaluer le respect des règles sécuritaires tout en adaptant

les objectifs de la formation professionnelle aux conditions matérielles de l'établissement. Mis à

part les articles de lois, les notes de service et d'autres documents qui contrôlent l'activité des

formateurs, il existe d'autres instances qui permettent d'encadrer l'activité professionnelle des

formateurs : les commissions de suivi (organisées trois fois sur l'année scolaire), la commission de

classement et la réunion de bilan annuel (organisées à la fin de l'année scolaire). Ces différentes

instances ont pour but de contrôler le type de détenus qui bénéficieront d'un dispositif de formation,

la pratique pédagogique et disciplinaire et la gestion de consommables. Les formateurs doivent

rendre compte de leur comportement et des progrès des stagiaires, justifier leurs choix

méthodologiques et l'utilisation des matériels.

En plus des nombreuses normes qui insistent sur la mission de transmission de savoir chez

les formateurs, ils doivent faire preuve de polyvalence dans la gestion et mise en fonctionnement du

dispositifs de formation afin de contourner les difficultés qu'ils rencontrent dans leur quotidien (les

contraintes horaires, le manque et la gestion du matériel, budget réduit, le mouvement constant au

sein de la détention, les difficultés d'apprentissage et les différences de niveau du public adulte,

etc.). Faire face aux conditions difficiles de la formation fait partie également de leur travail. À cet

égard, le formateur du CCP bâtiment m'explique les diverses « astuces » qu'il doit mettre en place

afin d'adapter le budget qui lui est attribué avec les normes exigées par le rectorat de Versailles :

« on essaie de recycler et de réutiliser le maximum du matériel afin d'être à jour avec les normes

sécuritaires et matérielles requises par les examinateurs, mais parfois c'est juste impossible de

réutiliser autant de fois le même matériel...et parfois on a pas assez d’outils pour tous les

stagiaires, du coup chaqu’un doit attendre son tour...c'est pas facile à gérer, mais bon on se

débrouille quand même ».

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Le Responsable local de la formation des détenus me confie qu'au moment du recrutement

des formateurs à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy, le formateur doit passer un entretien avec le

RLFD et le gradé responsable de la détention afin d'évaluer ses compétences au niveau

pédagogique, théorique et professionnel, et son adaptabilité au poste. Chaque formation

professionnelle proposée aux détenus comporte des objectifs différents, par rapport au niveau

scolaire pré-requis, la durée, la situation pénale lors de l'inscription et les compétences acquises au

cours de la formation. De cette manière, les spécificités autour de la mission du formateur sont

conditionnées par les objectifs et les modalités de fonctionnement de la formation. Les formations

de courte durée comme espace vert, bâtiment ou nettoyage industriel sont destinées essentiellement

aux détenus (les plus jeunes) dont les peines sont proches de la libération. Le parcours scolaire ou

professionnel de ce public est presque inexistant. Dans ce contexte, la mission des formateurs porte

strictement sur la préparation des stagiaires à une insertion très rapide au monde du travail.

Contrairement aux formations qualifiantes comme le CAP électronique et mécanique-auto, où la

dimension pédagogique ou d'enseignement est mise en avant par les acteurs sociaux, en raison du

contenu du programme d'étude (matières d'enseignement général).

L'accent mis sur la dimension pédagogique dans la mission des formateurs à la Maison

d'Arrêt est intimement lié au parcours professionnel du RLFD et plus particulièrement à son

expérience professionnelle en tant qu’agent administratif dans le domaine de l'enseignement au sein

de l'Education nationale (Académie de Versailles) et du Ministère de la justice (direction territoriale

de la Protection judiciaire de la jeunesse). Comme elle m'a confié dans notre entretien ; « ...lors de

l'entretien avec le formateur ça m'est déjà arrivée de refuser un formateur parce que j'ai estimé

qu'il n'avait pas les compétences théoriques ou pédagogiques ». La mission des formateurs en

détention est de « créer une synergie au sein d'un groupe (…) ça suffit pas de donner un diplôme et

répartir... on est dans la réinsertion professionnelle... il faut mettre en situation professionnelle les

stagiaires».

Les conditions de travail très contraignantes de formateurs limitent, de manière importante,

toutes marges de manœuvre au sein de la formation professionnelle. Sur le plan pédagogique, les

formateurs doivent écarter tous les éléments (savoirs faire et savoirs être) qui ne rentrent pas dans le

cadre de la formation ou la réinsertion professionnelle des stagiaires.

2.3 Reconnaissance social et professionnelle chez les professionnels issus de l'immigration

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Dans cette dernière partie je voudrais mettre en lumière les liens entre la construction

identitaire au travail chez les formateurs en prison et leur parcours professionnel. Étant données les

difficultés rencontrées auprès des formateurs dans le recueil de données d'ordre biographique, je

souhaiterais exploiter et croiser des éléments concernant les parcours professionnels des formateurs,

leur entrée dans le monde de la formation d'adultes en prison, et leur origine socioculturelle

(formateurs issus de l'immigration, pratiques religieuses). Il s'agit d'étudier les ressemblances d'un

groupe professionnel qui en termes de statut, parcours professionnel et reconnaissance semble être

assez distinct. Je pense que ces éléments peuvent me donner des pistes d'analyse très pertinentes sur

le positionnement des formateurs, leur place en milieu pénitentiaire et leur processus de

construction identitaire dans ce groupe professionnel.

Une fois sur le terrain, le Responsable local de l'enseignement m'a posé un bon nombre de

questions par rapport au déroulement de mon stage ; si j'avais des difficultés particulières d'accès

aux ateliers et sur les acteurs que j'avais rencontrés jusqu'à ce jour. A cet égard il me demandait ;

« Tu as déjà rencontré les formateurs ? Lequel ? L’algérien, le marocain ou le tunisien ? ». Lors de

mon entrée dans « les ateliers98», je commençai à me familiariser très doucement avec l’intitulé et la

fonction des divers acteurs sociaux. Je lui explique que j'avais parlé avec le plus âgé d'entre eux,

mais j'ignorais leur pays d'origine. Il m’amène à l'atelier d’ELEEC afin de rencontrer un des

formateurs et lui expliquer quelle était ma mission au cours des mois qui suivaient99. Après la visite,

le RLE me racontait l'histoire de la formation professionnelle à la Maison d'Arrêt, son organisation

et les liens avec l'Éducation nationale. Au cours de notre entretien il me signale qu'un critère

important lors du recrutement des enseignants et formateurs est « la diversité culturelle du

personnel », car « ça peut montrer l'exemple aux détenus... des gens (professionnels) qui n'ont

jamais braqué ou de leur vie et qui s'en sortent quand même». Immédiatement je me suis senti

concerné par ce critère de sélection qui atteint un certain nombre d’enseignants ou formateurs en

prison. Dans quelle mesure une partie des intervenants en milieu pénitentiaire a été choisie pour leur

origine socioculturelle et non pour leurs compétences professionnelles ? Dans cette famille d'idées,

travailler c'est « être » avant de « faire » pour les professionnels issus de l'immigration.

98 Appellation indigène qui désigne les locaux situés au petit quartier destinés à la formation professionnelle. 99 Il faut souligner que dans le cadre de ma mission en tant que chercheur il faut être « présenté » par un professionnel

qui soit reconnu professionnellement par l'ensemble des acteurs sociaux. Le respect de la hiérarchie, la méfiance et le respect des mesures de sécurité sont des barrières à surmonter et contourner à tout moment. Je voudrais préciser également que dans un première temps je me présentai comme étant « stagiaire d'un Master II en Sciences de l'éducation à Nanterre », mais je me suis rendu compte assez vite que cet positionnement m’empêchait d'avoir un rapport plus « professionnel » avec l'ensemble des acteurs sociaux. C'était ainsi que je me suis investi du rôle de « chercheur en milieu pénitentiaire, rattaché à l'Education nationale » statut qui me permettait d'avoir accès aux informations plus intéressantes et pertinentes dans le cadre de mes fonctions.

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Afin de mieux comprendre la problématique autour de la reconnaissance professionnelle au

sein du processus de construction identitaire au travail chez les formateurs, il a fallu trouver des

sources bibliographiques faisant état de recherches faites à ce sujet. Malheureusement, malgré le

nombre d’ouvrages et d'articles autour de la question identitaire chez les formateurs, je me suis

aperçu du défaut des travaux scientifiques à propos des liens possibles entre la construction

identitaire au sein de ce groupe professionnel et leur histoire migratoire. Dans la bibliographie

consacrée à la construction identitaire chez les formateurs, on parle très souvent des rôles investis et

des stratégies mobilisées pour atteindre les objectifs définis par niveau de qualification et par

univers de formation professionnelle, mais la dimension socioculturelle et l'appartenance au groupe

issue de l'immigration ne paraît pas être très abordée. La question que l’on peut se poser est :

sommes-nous face à un sujet sensible, voire « tabou » lorsqu’il s’agit d’étudier l’identification des

professionnels comme appartenant à un groupe social avec des pratiques de socialisation

différents ? Il serait intéressant de mieux connaître l'importance de l'histoire migratoire au sein des

dynamiques professionnelles chez les formateurs, plus particulièrement ceux issus de l'immigration

maghrébine.

2.2.1 Des professionnels en manque de reconnaissance ?

Lors de mon intervention auprès des formateurs, j'ai rencontré beaucoup des difficultés à

aborder la dimension du parcours professionnel. Parfois cela se présentait comme un sujet trop

personnel (voire sensible) pour être traité dans ce contexte devant un inconnu. Particulièrement chez

les formateurs les plus diplômés (niveau BAC+5), il me semblait que leur histoire professionnelle

pouvait être résumée en deux lignes ; « je suis prof d'électrotechnique dans un lycée pro en région

parisienne…j'ai fait une formation, j'ai passé le concours100... voilà...et ça fait presque treize ans

que j'enseigne en prison...et… voilà quoi...101 ». Le silence qui s'imposait entre moi et mon

interlocuteur, me faisait comprendre que je n'aurais pas plus d'information sur ce sujet. Après

quelques secondes d'hésitation, je reprenais des questions autour de la situation de travail chez les

formateurs en détention. Au fur et à mesure, j'ai constaté que l'utilisation des discours institutionnels

par les formateurs, qui faisait allusion à des nouvelles pratiques pédagogiques dans la formation

professionnelle et à leur mission dans la réinsertion des détenus, me renvoyait très souvent aux

textes juridiques qui encadrent les fonctions des formateurs en détention. Il s'agissait d'un

mécanisme de reproduction d'un discours officiel.

100 Le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement technique (CAPET) 101Entretien avec le formateur « référent » au sein de la formation CAP électrotechnique énergie équipement

communicants (ELEEC)

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La réticence exprimée par les formateurs à propos de leur parcours professionnel, cachée

derrière des discours certes très bien huilés, mettait en évidence un certain mal-être de la part des

professionnels issus de l’immigration, plus précisément d'origine maghrébine. Concernant leur

arrivée dans le monde de la formation professionnelle en milieu pénitentiaire, un des formateurs m'a

permis d’appréhender la question identitaire à partir d'un autre point de vue que je n'avais pas prévu

avant mon entrée sur le terrain d’enquête ; « quand j'étais en DUT102 il fallait faire un stage de deux

mois et je me suis rendu compte qu'en fait, parce que je suis d'origine maghrébine, on avait des

problèmes pour trouver un stage... tous ceux de la promo qui devaient faire un stage (une dizaine

une quinzaine) sont partis en Angleterre ils n'ont pas de problème, parce qu'en Angleterre il n'y a

pas de problème à ce niveau, mais comme je n'étais pas bon en anglais j'ai cherché un stage en

France... et j'ai eu des soucis pour trouver un stage dans le privé. À l'issue de ça je me suis dit que

ça va être dur de trouver un boulot après103 »

BEAUD et PIALOUX emploient le concept de « personnalité sociale humiliée104» pour

désigner les individus appartenant au groupe social victime de toute sorte de discriminations

(positive ou négative) et, par conséquent, fragilisés par rapport à leurs pairs non-immigrés. Les

individus définissent leur « personnalité sociale » en fonction de l'univers mental du groupe social

d'appartenance, à travers un processus long qui opère dans le cadre d'un contexte et sur la base

d’actions spécifiques. Selon les auteurs, pour les jeunes porteurs de l’attache identitaire « issus de

l'immigration maghrébine », l'entrée dans le monde du travail n'est pas garantie, notamment en

raison du mépris de leurs diplômes ou de leurs qualifications lors des entretiens d'embauche. Pour

une autre partie de ce groupe social, le phénomène du déclassement socioprofessionnel les oblige à

s'investir de manière plus importante dans leur formation initiale et à faire preuve d’efficacité,

polyvalence et adaptabilité au travail afin d'avoir une situation professionnelle stable et un salaire

suffisant. La faible reconnaissance sociale dont est victime ce groupe peut entraîner une précarité

statutaire dans l'organisation du travail.

Les propos des formateurs, très souvent saturés des discours institutionnels concernant leur

place et leur positionnement au sein de la structure, mettaient en lumière l'utilisation d'un

mécanisme d'auto effacement au travail, en assimilant leur rôle et leur mission telle qu'elle a été

définie par l'institution pénitentiaire. Cela implique de faire comme tout le monde, de se fondre dans

102 Le diplôme universitaire de technologie (DUT) 103 Entretien avec un des formateurs du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC) 104 S. BEAUD et M. PIALOUX, Violences urbaines, violences sociales ; genèse des nouvelles classes dangereuses,

Hachette, Paris, 2003, p92

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la masse des professionnels, d'effacer leurs particularités, surtout les plus visibles et/ou les plus

dérangeantes dans le monde du travail.

Eliane LE DANTEC, dans son étude sur la précarisation des jeunes travailleurs d'origine

maghrébine, utilise le concept de « salariable précarisé » afin d'identifier le travailleur prolétaire

moderne dont le travail est encadré par le statut d'emploi salarié, le faisant accéder à une sécurité de

vie précaire105. Au sein de la figure du « salariable précarisé », les individus ont différentes façons

d’appréhender l'activité salariale. D'une part, le travail est conçu comme une source de

subordination qui cherche à normaliser le travailleur ainsi que le produit de son travail. Les

pratiques d'encadrement et de contrôle de leur travail finissent par produire une entité capable de

s’effacer afin de rentrer dans les critères de production. D'autre part, les espaces de socialisation

gratifiants et valorisants obtenues au travail, grâce aux caractéristiques du travail ou de la

population destinataire, paraissent compenser les contraintes ultérieures liées à la figure de

« salariable précarisé ».

L'insécurité dans l'accès à l'emploi pour cette population ainsi que les difficultés d'être

reconnu par ses compétences professionnelles et non pas identitaires, mobilise différentes stratégies

qui cherchent à atteindre un certain niveau d'autonomie au travail et en même temps une sécurité

nécessaire afin de subvenir à ses besoins. Les propos recueillis concernant la difficulté d'entrer dans

la vie professionnelle, mettent en évidence les effets douloureux de cette expérience en articulant un

discours, parfois contradictoire, entre le désir de contrôle de l'activité professionnelle et de sécurité

salariale. Dans ce sens, un des formateurs me signale ; « si je devais travailler en entreprise il

faudra que ce soit moi le patron, donc je me suis dirigé dans l'enseignement ». Cela veut dire que

leur choix pour « le plus beau métier du monde106 » a été conditionné, dans un certains sens, par la

place attribuée à ce groupe social « issu de l'immigration maghrébine » au sein de la division du

travail ? Concernant « la division morale du travail », existent-ils des professions statutairement

faiblement reconnus qui ont affaire avec une population socialement peu reconnue ?

Malheureusement, le manque de recherches à ce sujet et l'absence des informations

biographiques recueillis sur le terrain, plus précisément celles qui concernent le parcours

professionnel des formateurs, m’empêchent de répondre de manière pertinente à des questions qui 105 E. Le DANTEC, « Entre des attentes de l'ordre commun et des expériences de la discrimination à propos de

l'identification au travail des jeunes issus de l'immigration maghrébine », ouvrage collectif coordonné par J.Y. CAUSER, J.P. DURAND, W. GASPARINI, Les identités au travail ; analyses et controverses, Collection le travail en débats, Toulouse 2009, p296

106 En allusion au métier de l'enseignement. Entretien avec un des formateurs du CAP électrotechnique énergie équipements communicants (ELEEC)

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semblent importantes et qui mériteraient d’être creusées ultérieurement.

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Conclusion

Autour des dispositifs de réinsertion et de formation professionnelle en milieu pénitentiaire

Depuis les années soixante-dix, l'institution pénitentiaire est impliquée dans un processus de

changement concernant sa mission sociale et les objectifs poursuivies par l’incarcération. D'après

son discours, le travail institutionnel, dans le cadre de lutte contre la récidive, vise à prendre en

charge la population pénale afin de développer son autonomie dans le processus de réinsertion

socioprofessionnelle. Dans l’intention d'atteindre ses objectifs et de toucher le plus grand nombre de

détenus, l'institution pénitentiaire a engagé divers partenaires et acteurs sociaux de manière à

assurer la prise en charge d'une population qui rencontre de nombreux freins dans sa réinsertion

socioprofessionnelle après la libération. La mise en place des dispositifs de certification, de

préparation à la sortie et de formation professionnelle en milieu pénitentiaire au cours des années

quatre-vingt-dix, est le résultat d'un processus de transformation institutionnelle.

Ces dispositifs destinés à la réinsertion des détenus vont rencontrer diverses difficultés dans

leur mise en place. D'une part, les réductions budgétaires qui ont affecté de manière importante les

établissements pénitentiaires de gestion publique ces dernières années, ont affaiblie de manière

importante le fonctionnement des dispositifs de réinsertion et plus précisément celle de la formation

professionnelle. Cette difficulté d'ordre financière a eu un impact direct sur le nombre de places

destinées aux stagiaires, sur les salaires des formateurs (situation qui rend particulièrement difficile

le recrutement des formateurs) et sur l'équipement des ateliers de formation et l’achat des

consommables. Dans ce contexte, l'importance attribuée à la « cohérence du projet professionnel »

par l'administration pénitentiaire, cherche à donner accès à la formation professionnelle aux détenus

qui sont en mesurer de « réussir les examens » et pas forcément à ceux qui en ont le plus besoin ou

envie de se réinsérer, de manière à justifier l'investissement économique auprès des instances de

financement de la formation professionnelle en prison.

D'autre part, il existe des difficultés dans la communication et la transmission des

informations entre les divers partenaires en raison des dispositions professionnelles très divergentes

et leur appartenance institutionnelle. Lors de la commission de classement, j'ai pu constater la

polysémie existante autour des concepts de « réinsertion », « détenu/stagiaire », « savoir-être au

travail » ou « formation professionnelle », ce qui entraîne un positionnement particulier chez les

professionnels au sein des dispositifs de formation.

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Dans ce sens, j'ai pu également constater des tensions entre les divers professionnels et les

acteurs sociaux à cause des dispositions professionnelles distinctes, la redéfinition permanente de

l'activité professionnelle chez le personnel de l'administration pénitentiaire et les conditions

matérielles précaires dans la mise en fonctionnement des dispositifs de formation professionnelle,

liées au manque des effectifs nécessaires (agents d'insertion, enseignants, formateurs) pour répondre

aux besoins de la population carcérale. Le désir de réformer l'institution pénitentiaire s'est traduit

par la coexistence des vieilles pratiques institutionnelles d'ordre sécuritaire et celles qui sont liées à

la réinsertion, la préparation à la sortie et la lutte contre la récidive. Les professionnels impliqués

dans la mission de réinsertion des détenus, jonglent au quotidien entre deux discours institutionnels

très distincts.

Dans ce contexte, l'accès de la population carcérale aux dispositifs de droit commun, plus

précisément ceux d'enseignement et de formation professionnelle, dépendent en grande partie du

respect et de l'assimilation des normes sécuritaires qui cherchent à valider les pratiques de contrôle

sur les détenus. Il s'agit d'un détournement de l'usage des dispositifs de formation professionnelle

dans le sens où l'accès à ce type de dispositifs est souvent considéré par l'administration

pénitentiaire comme un privilège et non pas comme un droit. Mise à part « la cohérence du projet

professionnelle », les détenus qui veulent intégrer ce type de dispositifs doivent faire preuve de

respect et de soumission face aux normes imposées par l'institution pénitentiaire. Cette modalité de

travail institutionnel « sur » la population carcérale, est souvent utilisée comme un instrument

d’assujettissement, dans l’intention de faciliter la somatisation des normes sécuritaires.

Autour du processus de construction identitaire des formateurs

Le processus de construction identitaire chez les formateurs en milieu pénitentiaire,peut être

compris par une double lecture. D'une part par les identités proposées par l'institution pénitentiaire

et l'identité assumée par les formateurs dans le cadre de ses fonctions (identité pour autrui).

D'autre part, ce processus peut être appréhendé par des éléments d'ordre biographiques ainsi que par

le positionnement professionnel des formateurs (identité professionnelle héritée, dans le présent et

dans l'avenir) au sein de la division du travail (identité pour soi).

Au sujet de l'identité proposée aux formateurs dans le contexte de travail, l'institution

pénitentiaire et les organismes de formation ont tendance à accorder une faible reconnaissance

statutaire et salariale malgré la complexité de leur mission. Les formateurs signalent que la

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difficulté de leur mission repose essentiellement sur le manque de marge de manœuvre concernant

le choix des stagiaires, l'harmonisation des groupes très divers (âge, expérience professionnelle) et

la méconnaissance de leur public (casier judiciaire, état psychologique, rapport avec les autres

détenus). En raison de la faible reconnaissance professionnelle et économique attribuée aux

formateurs à la maison d'Arrêt de Bois d'Arcy, une partie des formateurs (formation ELEEC) ne

peuvent s'investir que de manière partielle au poste de travail. Pour les autres formateurs (BTP et

mécanique-automobile), leur investissement à temps plein est une sorte d'imposition en raison de

leur incapacité physique d'occuper un poste plus approprié à leur formation initiale.

Concernant l’identité assumée par les formateurs, elle est construite à partir de leur

positionnement au sein de l'institution pénitentiaire, c’est à dire la manière dont ils ont compris leur

mission en détention et comment elle est adaptée dans ce contexte. D'après les discours repérés sur

le terrain et à partir de mes observations concernant le rapport entretenu avec le public destinataire,

les formateurs s'investissent principalement dans le rôle de transmission de savoirs et savoir-être

dans le monde du travail. Dans le même temps, ils ont tendance à se positionner également comme

des accompagnateurs vers l'emploi ou comme des agents de réinsertion tant à l’intérieur qu’à

l'extérieur de l'établissement. Ce positionnement est conditionné par la manière dont est compris le

travail de formation professionnelle auprès des détenus (réinsertion, accompagnement vers

l'emploi), où les formateurs sont responsables d'assurer un certain nombre de savoirs techniques

afin de tisser et/ou fortifier des liens entre l'individu et la société, plus particulièrement dans le

monde du travail. Le manque de personnel chargé de la réinsertion des détenus, l'absence de suivi

des détenus à l’extérieur et le manque de reconnaissance vis-à-vis de la mission des formateurs

(axée essentiellement sur la transmission de savoirs techniques) entraîne un certain désir d'élargir

ses fonctions professionnelles dans le cadre de la formation professionnelle.

Le compromis entre ces deux dimensions (identité pour autrui) met en évidence la faible

reconnaissance professionnelle des formateurs par l'administration pénitentiaire à propos du rôle

assigné de formation professionnelle des détenus. Dans ce sens, la mise en discours des formateurs

est un agencement entre la transmission de savoirs techniques et le modèle du « thérapeute » social

ou travailleur social. L'articulation de ces deux discours vise à obtenir une reconnaissance plus large

que celle qu'ils peuvent avoir en détention. Ce positionnement s'inscrit dans un rapport conflictuel

entre les professionnels de l'administration pénitentiaire et les formateurs, où chacun d'entre eux est

dans une lutte permanente dans la définition de leur espace de travail. Dans ce contexte, les

formateurs de la maison d'arrêt de Bois d'Arcy représente un groupe professionnel en manque de

reconnaissance professionnelle, surveillé en permanence et avec une marge de manœuvre très

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réduite.

Au sujet de l'identité pour soi, l'absence des données biographiques significatives et

détaillées autour du parcours professionnel des formateurs, m’empêche de faire des typologies des

formateurs en milieu pénitentiaire. Malgré cela, des éléments tels que le choix du métier et l'entrée

en détention me donnent des pistes sur l'identité professionnelle investie au sein de la formation

professionnelle, et plus particulièrement sur leur positionnement professionnel (dans le présent et

l'avenir) au sein du processus de réinsertion de la population carcérale. L’identité visée par ceux

pour qui la formation en prison a été le résultat d'une reconversion professionnelle, aspirent à

conserver leur emploi, pas forcément en prison, mais dans la formation professionnelle d'adultes.

Pour les autres formateurs, leur investissement est perçu comme « une mission humanitaire », un

travail militant envers un public qui rencontre des fortes difficultés dans l'accès au monde du

travail.

L'adoption d'un modèle d'identification identitaire chez les formateurs est conditionné par

leur place au sein de l'organisation du travail très hiérarchisée dont les conditions contraignantes

limitent et contrôlent toute sorte de marge de manoeuvre de leur activité. Leur rôle, leur mission et

la manière dont ils parviennent à s’approprier leur poste de travail, n'est que le résultat de la volonté

politique de classement social fait par l'administration pénitentiaire.

Selon l'administration pénitentiaire, la formation professionnelle en milieu pénitentiaire est

pourvue d'une dimension technique et morale (savoir-faire et savoir-être) capable de donner les

outils nécessaires dans la réinsertion professionnelle des détenus. Mais, les conditions précaires

dans la mise en fonctionnement des dispositifs de réinsertion à la Maison d'Arrêt de Bois d'Arcy,

mettent en évidence la faible importance attribuée à la mission de réinsertion des détenus. A l'heure

actuelle, la réinsertion socioprofessionnelle de la population carcérale nécessite de manière urgente

la mobilisation des moyens financiers et humains de la part de l'État afin d'assurer un accès

démocratique aux dispositifs de droit commun. D'ailleurs, il faudrait développer un travail

partenarial solide entre l'administration pénitentiaire, les organismes de formation et les missions

locales afin d'assurer le suivi des détenus après leur libération.

Après mon expérience académique et professionnelle en milieu pénitentiaire, je conçois la

prison comme un instrument de pouvoir, un outil de contrôle entre groupes sociaux en lutte en

raison d’intérêts divergents. À cet égard, le nouveau rôle social de l'institution pénitentiaire cherche

essentiellement à élargir ses compétences dans le champ social, tout en légitimant les pratiques de

contrôle, de répression, de surveillance et d'enfermement envers une population bien identifiée.

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Cela veut dire, une population potentiellement dangereuse en raison de son éloignement des réseaux

de socialisation traditionnels (famille, école, travail).

Étant donné les contradictions constatées sur le terrain entre les objectifs et les conditions

matérielles des dispositifs de réinsertion ; Est-ce que le travail social fait auprès des détenus cherche

plutôt à valider les pratiques d'enfermement, de répression, surveillance et d’assujettissement d'une

population éloignée des réseaux des socialisation traditionnels ? De même, est-ce que le rôle social

de « réinsertion » de la prison cherche à élargir ses compétences dans le champ du travail social ?

Le sujet autour de la pertinence et l’efficacité du travail institutionnel fait par

l'administration pénitentiaire est loin d'être terminé.

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Thèse

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mondes, Thèse de doctorat de sociologie sous la direction de C. DUBAR, Université de Versailles

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Sitographie

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www.justice.gouv.fr

www.education.gouv.fr,

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Résumé

Depuis les années soixente-dix l'administration pénitentiaire est dans un processus de réforme dans

lequel un grand nombre de professionnels, d'associations et centres de formations se sont impliqués

dans la mission de réinsertion socioprofessionnelle. Dans le cadre de cette recherche, je me suis

intéressé à la construction de l'identité professionnelle des formateurs chargés de la formation

professionnelle en milieu pénitentiaire. Il ne s'agit en aucun cas de faire une typologie quelconque

des formateurs en milieu pénitentiaire, mais plutôt d'essayer de comprendre sous quelles conditions

les formateurs construisent ou définissent leurs identités professionnelles dans ce contexte. Il s'agit

de tirer des ficelles qui permettront de mieux comprendre le positionnement des formateurs au sein

des dispositifs de la formation professionnelle tout au long de la vie, plus particulièrement dans le

cadre de leurs missions de réinsertion professionnelle des détenus à la Maison d'Arrêt de Bois

d'Arcy.

À cet égard, quel est le rôle des formateurs dans cette mission de réinsertion ? Quel est leur

positionnement en tant que professionnels ? Comment construisent-ils leur identité professionnelle

en contexte fermé ? Quels sont les mécanismes d'adaptations identitaires mobilisés par les

professionnels ?

Summary

Since the early seventies, the penitentiary administration is proceeding to a reform in order to

improve the socio-professional reintegration. A large number of professional, associations and

training centers are involved in this mission. My aim in this research was to understand how trainers

are building their professional identity in a prison environment. This research is not about the

typology of trainers in prison, but on conditions that develop or define a professional identity in a

specific context. This report will give a better understanding on trainers’ position into “the

professonial training throughout life”, especially in their duties for the reintegration of inmates in

the House of correction in Bois d’Arcy.

In this regard, what is the role of trainers in a mission of rehabilitation? What kind of position they

get as professionals? How they build their professional identity in a isolated environment? What are

mechanisms used by profesionals to adapt their identity?

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