mass effect Tome 01 - revelation - drew karpyshyn.pdf

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  • DREW KARPYSHYN

    MASS EFFECT - Tome I

    Rvlation

    Traduit de langlais (Etats-Unis) par Cdric Degottex

  • Titre original : Mass Effect : Revelation

    Copyright 2007 EA International (Studio & Publishing) Ltd. Mass Effect, le logo MassEffect, BioWare et le logo BioWare sont des marques dposes de EA International

    (Studio & Publishing) Ltd.Tous droits rservs.

    Bragelonne 2012, pour la prsente traduction

    ISBN : 978-2-8112-0677-2 (1redition)ISBN : 978-2-8112-0776-2 (tirage unique)

    Bragelonne Milady 60-62, rue dHauteville 75010 Paris

  • PrologueEn approche dArcturus. Dsactivation du moteur SLM.Le contre-amiral de lAlliance Jon Grissom, lhomme le plus clbre de la Terre et de

    ses trois jeunes colonies, leva brivement les yeux lorsque lintercom retransmit la voixdu timonier du SSV New Delhi. Une seconde plus tard, il ressentit la dclrationcaractristique qui accompagnait le ralentissement des gnrateurs de champsgravitationnels, et le New Delhi passa de la vitesse supraluminique une allure plusadapte un univers einsteinien.

    La lueur spectrale de lespace rougissant pera depuis le minuscule hublot de sa cabine,reprenant une teinte plus commune tandis que le vaisseau perdait de la vitesse. Grissomdtestait les hublots : les astronefs de lAlliance taient automatiss du sol au plafond etne requraient pas le moindre reprage visuel. Malgr cela, tous les vaisseaux taientdots de plusieurs de ces petits hublots et dau moins une fentre principale, le plussouvent sur le pont, concession aux idaux romanesques que lhumanit avait toujoursassocis aux voyages dans lespace.

    LAlliance sefforait de prserver cette tradition : elle facilitait le recrutement. Pour leshabitants de la Terre, le vide interstellaire, vierge et encore inconnu, demeurait unesource intarissable dmerveillement et de fantasme. Lexpansion humaine danslimmensit spatiale tait synonyme daventure et de dcouverte au sein dun infini dontles innombrables mystres nattendaient que dtre dcouverts.

    La vrit, Grissom le savait, tait bien plus complexe. Il avait t parmi les premiershommes dcouvrir la froideur de cet inconnu toil. Il savait combien il taitmagnifique et terrible. Il savait, enfin, que lhumanit ntait pas encore prte affrontercertaines des ralits qui staient imposes lui Et la transmission ultrasecrte quilavait reue ce matin-l en provenance de la base de Shanxi en tait une nouvelle preuve.

    Sous bien des aspects, lhumanit ntait encore quune enfant nave et trop couve. Ilny avait l rien de surprenant : malgr une histoire pourtant millnaire, les hommes nestaient envols vers lespace et son vide glac que depuis deux sicles, et les voyagesinterstellaires ceux qui leur avaient permis enfin de se lancer la dcouverte denouveaux systmes solaires ntaient possibles que depuis dix ans. Moins de dix ans, enralit.

    En 2148, neuf ans auparavant, une quipe de mineurs avait mis au jour sur Mars lesrestes dune station de recherche extraterrestre abandonne depuis des millnaires sousla surface de la plante. Une dcouverte, considre depuis comme la plus importante denotre histoire, qui bouleversa radicalement les croyances, les aspirations et le destin deshommes.

    Pour la premire fois, lhumanit avait eu la preuve irrfutable quelle ntait pas seuledans lUnivers. Tous les mdias sans exception avaient bondi sur lvnement : quitaient ces mystrieux extraterrestres ? O se trouvaient-ils prsent ? Leur race tait-elle teinte ? Resurgiraient-ils un jour ? Quelle influence avaient-ils eue sur notre

  • volution passe ? En auraient-ils sur notre avenir ? Les premiers mois, sur les plateauxdes journaux tlviss et les nombreux rseaux parallles dinformation, philosophes,scientifiques et experts autoproclams staient prts dinterminables dbats, parfoisvirulents, quant limportance de la dcouverte.

    Les fondations de toutes les grandes religions avaient t branles, et des dizaines denouvelles croyances avaient merg du jour au lendemain, la plupart articules autour deconvictions volutionnistes interventionnistes affirmant que lhistoire humaine avait tinfluence, voire intgralement modele par les extraterrestres. Nombre de confessionsavaient tent dintgrer lexistence de ces espces nouvelles leur propre cosmogonie,quand dautres staient empresses de rcrire leur version et de redfinir leurs dogmes,voire leur foi tout entire, au vu de lincroyable dcouverte. Quelques rares opinitresavaient refus dadmettre la vrit, clamant que la dcouverte des infrastructuresmartiennes ntait quun canular destin tromper les fidles et les dtourner de lavrit. Et aujourdhui encore, prs de dix ans aprs les faits, la plupart des religionsdoutaient et sinterrogeaient, plus que jamais en qute de sens.

    Lintercom crpita une fois encore, tirant Grissom de ses penses et dtournant sonattention de linsupportable hublot. Il posa de nouveau les yeux sur le dispositif installau plafond.

    Amarrage sur Arcturus autoris. Nous arriverons dans approximativement douzeminutes.

    Le voyage de la Terre vers Arcturus, la plus grande base de lAlliance en dehors de notresystme solaire, avait dur prs de six heures. Grissom avait pass la majeure partie dutrajet les yeux rivs sur son cran plucher divers rapports et dossiers du personnel delAlliance.

    Le voyage avait t prvu de longue date dans le cadre dun vnement de relationspubliques. LAlliance souhaitait que Grissom discoure devant la premire promotion delAcadmie dArcturus, y voyant un passage de tmoin symbolique entre la lgende dupass et les porte-tendards du futur. Mais, quelques heures avant le dpart, ce fameuxmessage de Shanxi avait donn un tout autre visage lexpdition.

    Ces dix dernires annes, lhumanit avait connu un vritable ge dor : une reglorieuse aux frontires de ses rves les plus fous. Et aujourdhui, Grissom sapprtait laramener violemment une ralit bien plus amre.

    L e New Delhi arriverait bientt. Il tait temps pour lui de quitter la srnit et lasolitude de sa cabine prive. Il transfra les fichiers du personnel sur un minusculedisque de stockage optique quil glissa dans la poche de son uniforme, se dconnecta duterminal de donnes, puis se leva avec autant de vigueur que de mesure.

    Ses quartiers taient petits, exigus, et le poste auquel il effectuait ses recherches loindtre confortable. Le peu despace disponible sur les vaisseaux de lAlliance noffrait leluxe de cabines prives quaux officiers les plus haut grads. A dire vrai, durant la plupartdes missions, il ntait pas rare quon demandt aux passagers de marque de partager aveclquipage le mess, voire les dortoirs de lastronef. Mais pour la lgende vivante qutait

  • Jon Grissom, des exceptions taient envisageables. Pour lui, le capitaine avait mmegnreusement offert la mise disposition de ses propres quartiers jusqu la fin du courttrajet vers Arcturus.

    Grissom stira pour dlier les nuds qui mettaient son cou et ses paules au supplice.Lamiral balana lentement la tte de gauche droite jusqu ce quil soit rcompens parun craquement de vertbres salutaire. Il vrifia rapidement ltat de sonuniforme devoir chaque instant sauver les apparences tait lun des inconvnients dela clbrit avant de quitter la pice et de se diriger vers le pont, la proue du vaisseau.

    Divers membres dquipage interrompirent leur activit et se mirent au garde--voustandis quils approchaient de leur poste de travail. Il les salua en retour, presqueinstinctivement. Depuis huit ans quil tait devenu lun des hros de lhumanit, il avaitappris rpondre de faon quasi inconsciente ces gestes de respect et dadmiration sansavoir y prter plus dattention que cela.

    Grissom avait lesprit ailleurs, repensant quel point tout avait chang depuis ladcouverte du bunker extraterrestre sur Mars Et quoi dautre aurait-il pu pensercompte tenu du troublant rapport qui lui tait parvenu de Shanxi ?

    En plus davoir branl les fondations des religions terrestres, la rcente rvlation quelhumanit ntait pas seule dans lUnivers avait boulevers la totalit de ldificepolitique. Cependant, contrairement aux croyances qui staient gares dans un chaos deschismes et dentreprises terroristes extrmistes, la dcouverte avait, de faonsurprenante, unifi les diffrents peuples de la Terre, motivant lclosion soudaine duneidentit culturelle mondiale qui stait lentement mais srement dveloppe au cours dece dernier sicle.

    En un an peine, la charte de lAlliance humaine interstellaire la premire coalitionmondiale non exclusive avait t rdige et ratifie par les dix-huit nations majeures dela plante. Pour la premire fois de leur histoire, les habitants de la Terre avaientcommenc se considrer, par opposition aux potentielles socits extraterrestres,comme un collectif uni.

    Larme de lAlliance interstellaire une force destine protger la Terre et sescitoyens de toute menace extraterrestre avait t cre dans la foule, mobilisant lesressources humaines et matrielles de la quasi-totalit des organisations militaires de laplante.

    Daucuns avaient accus cette soudaine unification des gouvernements terrestres enune entit politique unique dtre aussi prmature que bien commode, et les rseauxdinformation staient retrouvs noys sous les thories du complot clamant que lebunker de Mars avait t dcouvert longtemps avant lannonce publique, et que lhistoirede lquipe de mineurs qui lavait excav navait t quun canular minutieusementprogramm. Selon les dtracteurs du nouvel ordre mondial, la formation de lAlliancentait que laboutissement de plusieurs annes, voire de plusieurs dcennies detractations internationales secrtes et daccords clandestins.

    Pour lopinion publique, tout cela ne refltait gure que lavis dune poigne de

  • paranoaques, la plupart des gens ayant considr cette dcouverte historique comme uncatalyseur qui allait dynamiser gouvernements et citoyens et les guider vers une renouvelle de coopration et de respect mutuel.

    Grissom tait trop blas pour se laisser aller de tels fantasmes, mais cela nelempchait pas de se demander si les politiciens nen savaient pas plus lpoque quilsavaient bien voulu ladmettre. A linstant mme, il ne pouvait sempcher de sinterroger :lappel de dtresse de Shanxi mis par les drones de communication les avait-il surprisautant que lui ou sy taient-ils attendus avant mme la formation de lAlliance ?

    lapproche du pont, il chassa de son esprit ces images de stations de rechercheextraterrestres et de complot grande chelle. Son pragmatisme lui dictait quil navaitpas se soucier des dtails de cette dcouverte et de la cration conscutive de lAlliance.Cette dernire avait jur de protger lhumanit travers la galaxie et tous, Grissom ycompris, avaient un rle jouer dans cette entreprise.

    Le capitaine Eisennhorn, commandant de bord du New Delhi, scrutait lespace au

    travers du vaste hublot construit sur le pont avant de lastronef. Un frisson lui parcourutlchine.

    Derrire la vitre, la colossale station Arcturus stait faite dsormais plus massive quele New Delhi. Grouillant autour delle telles les innombrables gouttes dun ocan dacierfilaient en tous sens les vaisseaux de lAlliance : prs de deux cents astronefs allant dudestroyer de vingt personnes au cuirass comptant son bord plusieurs centaines demembres dquipage. La lumire orange de la lointaine Arcturus, la gante rouge de typeK qui avait donn son nom la station, baignait la scne entire. Les vaisseaux eux-mmes refltaient, superbes, la lueur flamboyante du soleil, comme embrass par ses raistriomphants.

    Bien quil ait dj assist ce spectacle grandiose des dizaines de fois, Eisennhorn neput sempcher de succomber une admiration bate. Cette fresque lui rappelait chaquefois les progrs fabuleux que lhumanit avait raliss en quelques annes peine. Ladcouverte des ruines sur Mars avait lev lhumanit dans son ensemble, unifiantchacun de ses membres sous une bannire commune : les travaux acharns pour percerles mystres technologiques des ruines extraterrestres avaient en effet mobilis lesressources conjugues de ses meilleurs experts, quelles que fussent leurs origines.

    Il tait apparu immdiatement vident que les Prothens ctait ainsi quavait tbaptise lespce extraterrestre inconnue possdaient une technologie bien plusavance que lhumanit, et quils avaient disparu depuis plusieurs millnaires. La plupartdes estimations leur avaient donn plus de cinquante mille ans, en faisant une espceantrieure lespce humaine. Cela tant, les Prothens avaient bti cette station et sesinestimables trsors partir de matriaux inconnus sur Terre ltat naturel ; desmatriaux quen outre, cinquante mille annes navaient pas suffi roder.

    Cependant, le plus incroyable avait sans doute t la somme de donnes laissederrire eux par les Prothens : des millions de traoctets de connaissances, viables bien

  • que compiles dans un langage alors inconnu. Dcrypter le contenu de ces prcieuxfichiers tait donc devenu le Saint Graal de toute la communaut scientifique humaine. Ilavait fallu des mois de travail incessant aux chercheurs pour y parvenir, mais ils avaientfini par dchiffrer le langage des Prothens et staient immdiatement attels lareconstitution de linestimable puzzle.

    Ces vnements avaient bien entendu apport de leau au moulin des thoriciens ducomplot, qui clamrent que des annes auraient d tre ncessaires pour exhumer quoique ce soit dutile des ruines extraterrestres. Mais leur scepticisme stait perdudiscrtement dans le sillon davances scientifiques spectaculaires qui avaient propulslhumanit vers des sommets technologiques alors ingals.

    On aurait dit quune digue de connaissance avait cd et quune dferlante de savoirtait venue emporter la psych humaine : des recherches qui auraient auparavant mis desdcennies aboutir staient soldes par de brillantes russites en quelques mois peine.En adaptant la technologie prothenne, lhumanit tait parvenue dvelopper deschamps gravitationnels qui avaient permis ses astronefs, enfin librs du joug rpressifdu continuum espace-temps, datteindre la vitesse supraluminique. Dautres dcouvertescapitales taient ensuite survenues dans divers autres domaines : la mise au point denouvelles sources dnergie propre au rendement indit, le miracle de la terraformation,et nombre de perces cologiques et environnementales sans prcdent.

    Un an plus tard, les habitants de la Terre staient lancs la conqute de leur systmesolaire, lexplorant jusqu ses confins les plus reculs. Laccs facilit aux ressourcesdautres plantes, lunes et astrodes avait permis lhumanit dtablir de nombreusescolonies en orbite autour de ses stations spatiales, et des projets pharaoniques deterraformation avaient chang la surface strile de la Lune terrestre en environnementparfaitement habitable

    Au vu de tout cela, Eisennhorn, comme la plupart des gens, navait que faire dessceptiques qui senttaient dnoncer une suppose machination gouvernementaleorchestre de main de matre depuis plusieurs dcennies.

    Officier sur le pont ! aboya lun des membres dquipage.Lagitation provoque par le garde--vous soudain du personnel de la passerelle rvla

    au capitaine Eisennhorn quel tait lofficier en question avant mme quil ait lui-mmefait volte-face. Lamiral Jon Grissom comptait parmi ces hommes qui inspirent le respect.Grave, svre mme, il emplissait la pice de sa simple prsence.

    En voil une surprise, lcha entre ses dents Eisennhorn, qui stait dj retournpour contempler de nouveau la scne captivante au-dehors tandis que Grissom traversaitla passerelle pour venir se poster son ct. (Les deux hommes, qui se connaissaientdepuis prs de vingt ans, staient rencontrs dans le corps des marines des Etats-Unisavant mme la cration de lAlliance.) Ce nest pas toi qui te plains la moindre occasionque les hublots sont les points faibles des vaisseaux de lAlliance ?

    Si cest bon pour le moral des troupes, murmura Grissom, je peux bien glorifier unpeu lAlliance en contemplant le paysage, les yeux rveurs et embus. Comme tu le fais si

  • bien, dailleurs. Le tact est lart de dmontrer sans se faire dtester , ladmonesta Eisennhorn. Sir

    Isaac Newton. Je ne crois pas que qui que ce soit ici ou ailleurs me dteste, grommela Grissom. Je

    suis un foutu hros, tu las oubli ?Si Eisennhorn considrait Grissom comme un ami, il admettait que lhomme navait

    rien de particulirement apprciable. Dun point de vue purement professionnel, lamiralprojetait limage exemplaire de ce que devait tre un officier de lAlliance : intelligent,tenace, exigeant. Dans son travail, il arborait un air de dtermination forcene, deconfiance inbranlable et dautorit absolue qui inspirait chez ses hommes une loyaut etune dvotion sans faille. Dun point de vue personnel, en revanche, il pouvait se montreraussi lunatique que maussade, et cela navait fait quempirer depuis quil tait devenu auxyeux du monde une icne de lAlliance, un modle pour lhumanit tout entire : ceslongues annes sous les feux de la rampe avaient fait du rationnel convaincu unpessimiste cynique.

    Eisennhorn stait attendu que Grissom se montre revche durant le voyage lamiralnavait jamais apprci le genre de performances publiques auquel il allait devoir seprter , mais il fut tonn de le trouver plus sinistre encore quil lavait anticip. A telpoint, dailleurs, quil se demanda si quelque chose de plus important que son discours neproccupait pas son ancien camarade.

    Tu as plus faire ici que tadresser aux diplms, nest-ce pas ? lui glissa-t-il voixbasse.

    Tu nas pas le savoir, rpondit Grissom schement et suffisamment fort pour quecela nchappe pas au capitaine. Tu nas pas besoin de le savoir (Il se tut un instant.) Tune veux pas le savoir.

    Les deux officiers partagrent une minute de silence, se contentant dobserver lastation travers le hublot.

    Sincrement, reprit Eisennhorn, esprant dissiper lhumeur noire de lamiral, voir laflotte entire de lAlliance dfiler autour dArcturus, cest quelque chose, non ?

    Lorsquelle sera parpille dans plusieurs dizaines de systmes solaires, notre flottenaura plus grand-chose dimpressionnant, rpliqua Grissom. Nous sommes trop peunombreux, et lUnivers bien trop vaste.

    Eisennhorn admit que si quelquun au sein de lAlliance pouvait tre conscient dunetelle chose, ctait bien Grissom.

    La technologie prothenne avait catapult lhumanit plusieurs sicles en avant et luiavait permis de conqurir le Systme solaire tout entier, mais il avait fallu une dcouverteplus fantastique encore pour lui ouvrir les portes de linfini qui stendait au-del.

    En 2149, une quipe de recherche qui explorait les secteurs les plus loigns duSystme solaire saperut que Charon, un minuscule satellite orbitant autour de Pluton,navait, en ralit, rien dune lune. Il sagissait en fait dune gigantesque installation

  • prothenne : un relais cosmodsique que dix mille ans derrance dans lespace avaientemprisonn dans une coque de glace et de dbris de plusieurs centaines de kilomtresdpaisseur.

    Sur Terre, les experts navaient pas rellement t pris au dpourvu, les archivesdcouvertes sur Mars mentionnant lexistence de ces dispositifs titanesques. Pour le diresimplement, les relais cosmodsiques formaient un rseau de circulation capable detlporter un astronef dun point un autre de la galaxie, lui faisant parcourir des milliersdannes-lumire quasi instantanment. Si la thorie scientifique sous-jacente taitencore incomprhensible pour les plus grands experts humains rendant, par ailleurs, lareproduction dune telle installation impossible , ces derniers parvinrent tout de mme ractiver le dispositif en veille.

    Le relais cosmodsique tait une porte qui pouvait ouvrir sur nimporte quel autrepoint scuris de la galaxie aussi bien qu proximit mortelle dune toile ou dun trounoir. Les sondes dexploration devenant indtectables du fait de la distanceincommensurable quelles venaient de parcourir sitt le relais utilis, le seul moyen desavoir vraiment ce qui se trouvait de lautre ct du passage avait t dy envoyerdauthentiques explorateurs des individus suffisamment intrpides pour braverlinconnu et ce quil pouvait leur rserver de plus terrible.

    LAlliance avait alors tri sur le volet un effectif de femmes et dhommes courageux :autant de soldats prts risquer leur vie pour la cause, autant dindividus prts raliserle plus grand des sacrifices au nom du progrs et de la dcouverte. Et pour diriger cessoldats remarquables, lhumanit avait choisi un homme dexception la dterminationsans pareille, un homme qui ne ploierait devant rien ni personne. Un homme nomm JonGrissom.

    leur retour de lexcursion qui les avait mens de relais en relais, les membres delquipage entier, triomphants, avaient t acclams en hros. Mais ce fut Grissom, lecommandant charismatique et grave qui avait men brillamment la mission, que lesmdias avaient choisi comme porte-tendard de lAlliance. Lui qui avait propulslhumanit dans une re de dcouverte et dexpansion sans prcdent.

    Jignore ce qui se passe, mais quimporte, reprit Eisennhorn, qui esprait encorepouvoir apaiser quelque peu lamiral. Ne doute pas un seul instant que nous pourronssurvivre ce qui te tracasse. Qui aurait pu imaginer que nous parviendrions accomplirun jour autant de prouesses en si peu de temps ? Aucun de nous deux, en tout cas.

    Grissom pouffa avec nervosit. Nous naurions pas t fichus de quoi que ce soit sans les Prothens.Eisennhorn secoua la tte. Si la dcouverte et ladaptation de la technologie prothenne

    avaient ouvert lhumanit le champ de tous les possibles, ctaient les exploits depersonnes comme Grissom qui avaient chang ces possibles en autant de ralits.

    Si jai vu plus loin, cest en montant sur les paules de gants , rpliquaEisennhorn. Sir Isaac Newton, encore lui.

    Pourquoi Newton tobsde-t-il ce point ? Il est de la famille ?

  • Pour tout dire, mon grand-pre a fait des recherches gnalogiques et il se trouvequil

    Je ne suis pas sr davoir envie de le savoir, linterrompit Grissom, maussade.Ils arriveraient bientt. La station spatiale Arcturus occupait dsormais la totalit du

    hublot. La baie damarrage approchait lentement, bouche bante dans la carcasse dugant de mtal.

    Je ferais mieux dy aller, lcha Grissom avec un soupir lourd de lassitude. Ilsvoudront me voir descendre sur la coupe sitt le New Delhi arrim.

    Mnage un peu nos recrues, tu veux ? lui suggra Eisennhorn, dont lamusementapparent trahissait une certaine proccupation. Ce ne sont que des gosses.

    Je ne suis pas venu ici pour papoter avec une bande de gamins, rtorqua Grissom. Jesuis venu recruter des soldats.

    Tout juste arriv, Grissom sempressa de demander une chambre prive. Son discours

    devant lensemble de la promotion tait prvu pour 14 heures. Durant les quatre heuresqui le sparaient de son intervention, il prvoyait dorganiser des entretiens avec unepoigne de jeunes recrues.

    Si les huiles dArcturus ne sattendaient pas une telle requte, chacun fit son possiblepour quelle soit honore, et une petite pice meuble dun bureau, dun poste de travailet dune simple chaise fut mise sa disposition. Assis son bureau, Grissom tudiait unedernire fois les dossiers du personnel militaire. La concurrence pour la participation auprogramme dentranement du N7 sur Arcturus tait acharne. Chaque recrue tait triesur le volet parmi les jeunes femmes et hommes soldats les plus comptents quelAlliance avait offrir. Les quelques noms qui apparaissaient sur la liste de Grissomtaient ceux de recrues qui avaient su se distinguer du reste de llite et, mme parmi lesmeilleurs, sillustrer brillamment.

    On frappa la porte. Deux coups rapprochs, secs et assurs. Entrez, lana lamiral.La porte coulissa et le lieutenant en second David Edward Anderson, premire recrue

    de la liste de Grissom, entra dans la pice. A peine sorti de sa formation, le jeune hommestait dj dmarqu des autres jeunes officiers du N7, et il suffisait de jeter un il sondossier pour comprendre pourquoi. La liste de Grissom tait classe alphabtiquement,mais, vu les notes et les apprciations obtenues par le jeune soldat lAcadmie, il auraittrn au sommet de la liste de toute faon.

    Le lieutenant tait un homme de grande taille un mtre quatre-vingt-dix selon sondossier. vingt ans, sa musculature commenait tout juste habiter pleinement sacarrure imposante, sculptant sa large poitrine et ses paules massives. Sa peau tait dunbrun fonc, et ses cheveux noirs coups court comme lexigeait le rglement de lAlliance.Comme ctait le cas pour la plupart des citoyens de la socit multiculturelle de la fin duXXIIe sicle, se mlaient sur son visage les traits caractristiques de diverses ethnies. Si

  • ses origines africaines taient les plus manifestes, Grissom devina sans mal desascendances amrindienne et dEurope centrale.

    Anderson savana avec assurance et se posta au garde--vous devant le bureau delamiral, lui adressant un salut nergique.

    Repos, lieutenant, lui ordonna Grissom tout en lui retournant instinctivement sonsalut.

    Le jeune homme sexcuta, adoptant une posture moins stricte : mains derrire le doset jambes cartes.

    Mon amiral ? se permit-il. Autorisation de parler ?Malgr son jeune ge et le fait quil sadressait un contre-amiral, le jeune officier

    parlait avec aplomb, sans la moindre hsitation.La mine renfrogne, Grissom linvita poursuivre dun bref signe de tte. Bien que le

    dossier du lieutenant indiqut quil tait n et avait t lev Londres, son accent taitquasi imperceptible. Son idiolecte sinspirait largement du parler multiculturel propagpartout par la scolarisation lectronique, les rseaux dinformation et la dferlanteintarissable de vidos et de tubes musicaux assens au public par lindustrie mondiale dudivertissement.

    Je voulais simplement vous dire combien le fait de vous rencontrer en personne taitun honneur pour moi, mon amiral, lui rvla le jeune homme. (De toute vidence, il nyavait dans la dclaration du jeune homme ni flagornerie ni obsquiosit ; de cela, Grissomlui fut reconnaissant : le lieutenant ne faisait quexprimer sincrement son ressenti.)Lorsque je vous ai vu aux informations aprs lexpdition Charon, je navais que douzeans. Ce jour-l, jai su que je rejoindrais lAlliance un jour.

    Cest un moyen de me dire que je commence me faire vieux, mon garon ?Anderson esquissa un sourire, pensant un trait dhumour, mais le regard appuy de

    Grissom lui rendit aussitt son srieux. Non, mon amiral, rpondit-il dune voix toujours aussi assure. Je voulais juste vous

    signifier que vous tiez un modle pour nous tous.Il stait attendu quAnderson balbutie une excuse maladroite et gne, mais le

    lieutenant ne semblait pas du genre se laisser dstabiliser si facilement. Grissomgriffonna une note sur son dossier.

    Selon votre dossier, vous tes mari, lieutenant. Oui, mon amiral. Ma femme est une civile. Elle vit sur Terre. Jai t mari une civile, avoua Grissom. Nous avons une fille. Une fille que je nai

    pas vue depuis douze ans. Navr de lapprendre, mon amiral, souffla Anderson, quelque peu dcontenanc

    par cette confidence inattendue. Russir un mariage lorsquon est en service est un vritable enfer, lavertit Grissom.

    Ne pensez-vous pas que vous inquiter pour le bien-tre de votre femme qui vous attend

  • seule sur Terre rendra vos missions de six mois plus difficiles encore ? la vrit, mon amiral, je pense plutt que cela les rendra plus faciles, rpliqua

    Anderson. Cest une vraie chance de savoir quil y aura toujours quelquun pour nousattendre la maison.

    Il ny avait pas la moindre animosit dans la repartie du jeune homme, simplement uneconviction dacier qui assurait Grissom quil ne se laisserait pas intimider, mme en facedun contre-amiral. Il griffonna une autre note sur le dossier.

    Savez-vous pourquoi jai organis cet entretien, lieutenant ? lui demanda-t-il. Non, mon amiral, rpondit Anderson en secouant la tte aprs quelques secondes de

    rflexion. Il y douze jours, une flottille dexpdition a quitt notre avant-poste de Shanxi. Elle a

    emprunt le relais cosmodsique de Shanxi Thta et sest retrouve dans une rgion delespace encore inconnue. Elle comptait exactement deux navires de charge et troisfrgates. Arrivs de lautre ct, ils ont tabli un contact avec ce que nous pensons treune escadrille de patrouilleurs appartenant une espce extraterrestre. Seule une de nosfrgates est rentre au bercail.

    Ctait comme si Grissom venait denvoyer son genou la vitesse supraluminique danslentrejambe dAnderson, mais le jeune homme tiqua peine, carquillant peut-tre lesyeux une demi-seconde tout au plus.

    Les Prothens, mon amiral ? lana-t-il sans circonvolutions. Peu probable, lui avoua Grissom. Leur niveau technologique semble peu ou prou

    similaire au ntre. Comment le savons-nous, mon amiral ? Parce que les vaisseaux que Shanxi a renvoys le lendemain taient suffisamment

    puissants pour annihiler leur patrouille tout entire.Anderson retint son souffle, puis expira lentement pour se recentrer. Grissom ne lui en

    tint pas rigueur : jusquici, laplomb avec lequel le lieutenant avait ragi depuis le dbutde leur entretien lavait impressionn.

    Y a-t-il eu des reprsailles de la part des extraterrestres depuis lors, mon amiral ?Le jeune loup tait fut. Il rflchissait vite, et avait analys la situation en quelques

    secondes pour en venir directement aux questions pertinentes. Ils ont envoy des troupes en reprsailles Et ils ont pris Shanxi. Pour lheure, nous

    ne savons rien de plus : les satellites de communication nmettent plus. Nous nesommes au courant que parce que lun des ntres a russi nous envoyer un drone avantque Shanxi ne tombe entre les mains de lennemi.

    Anderson resta silencieux, se contentant dacquiescer pour signifier quil avait biensaisi la situation. Grissom trouva remarquable le fait que le jeune homme se laisse letemps de digrer, puis de traiter linformation. La situation ntait pas des moinsdstabilisantes.

  • Vous comptez nous mobiliser, nest-ce pas, mon amiral ? Ce sont aux grands pontes de prendre ce genre de dcisions, rpondit Grissom. Mon

    rle, le cas chant, se borne leur faire part de mes conseils et suggestions. Et cestexactement ce pour quoi je suis ici.

    Jai peur de ne pas comprendre, mon amiral. Il nexiste que trois choix possibles pour une arme en guerre, lieutenant : le combat,

    la retraite ou la reddition. Nous ne pouvons pas abandonner Shanxi ! Nous devons passer loffensive !

    sexclama Anderson. Sauf votre respect, mon amiral, ajouta-t-il lorsquil se rappela qui ilsadressait.

    Ce nest pas aussi simple, commenta Grissom. La situation est sans prcdent.Jamais lAlliance na affront de tels ennemis. Nous ne savons rien deux. Si cettealtercation dgnre en guerre ouverte contre ces extraterrestres, nous navons pas lamoindre ide de lissue du conflit. Qui nous dit quils nont pas une flotte mille fois plusimportante que la ntre ? Nous sommes peut-tre laube dun conflit dont lednouement sera ni plus ni moins lanantissement de lespce humaine. (Grissommarqua une pause dramatique pour appuyer son propos, laissant ses mots peser surlesprit du jeune homme.) Pensez-vous sincrement que nous devrions prendre un telrisque, lieutenant Anderson ?

    Me demandez-vous de prendre cette dcision, mon amiral ? Le haut commandement de lAlliance veut mon avis avant de se dcider. Mais ce

    nest pas moi qui serai envoy au front, lieutenant. Vous tiez commandant descouadedurant votre formation au N7 : votre opinion mintresse. Pensez-vous que nos hommessoient prts un affrontement dune telle ampleur ?

    Anderson frona les sourcils, rflchissant longuement avant de rpondre. Je crains que nous nayons pas dautre choix, mon amiral, dit-il en prenant garde

    bien choisir ses mots. Battre en retraite nest pas envisageable. Maintenant que lesextraterrestres sont au courant de notre existence, ils ne vont pas se contenter dattendre Shanxi les bras croiss. Soit nous combattons, soit nous dposons les armes.

    Et pourquoi excluez-vous la reddition ? Je doute que lhumanit parvienne se satisfaire du joug extraterrestre. Mest avis

    que notre libert vaut sans conteste les plus terribles sacrifices. Et quen est-il si nous perdons cette guerre ? insista Grissom. Nous ne parlons pas

    uniquement de ce que vous tes prt sacrifier, soldat. Si nous leur dclarons la guerre, leconflit pourrait bientt gagner la Terre. Etes-vous prt sacrifier la vie de votre femme aunom de cette sacro-sainte libert ?

    Je lignore, mon amiral, rpondit Anderson, solennel. Etes-vous prt condamnervotre fille une vie de servitude ?

    Cest ce que je voulais entendre, acquiesa Grissom dun air convaincu. Si lhumanitcompte suffisamment de soldats de votre trempe, Anderson, elle est peut-tre prte

  • affronter ce qui lattend.

  • Chapitre premierHuit ans plus tard.

    Le lieutenant David Anderson, commandant en second du SSV Hastings, roula hors de

    sa couchette au premier son de lalarme. Il se mouvait presque instinctivement,conditionn par plusieurs annes de service bord des vaisseaux de lAllianceinterstellaire. peine ses pieds avaient-ils touch le sol quil tait dj pleinement veillet alerte, son esprit analysant la situation.

    Lalarme retentit de nouveau, rsonnant travers tout lastronef-deux clats stridentsrpts inlassablement : cela signifiait que chacun devait rejoindre son poste. Au moins,ils ntaient pas sous le feu ennemi.

    Tandis quil enfilait son uniforme, Anderson passa en revue les diffrents scnariospossibles. Le patrouilleur SSV Hastings arpentait la Bordure skyllienne, une rgion isoleaux confins spatiaux du territoire de lAlliance. Son rle principal tait dy protger lesquelques dizaines de colonies humaines et davant-postes scientifiques dissmins dansle secteur. Si tous les membres dquipage taient appels leur poste, ctaitprobablement que les capteurs avaient repr un vaisseau intrus. Autre possibilit, lenavire sveillait en hte la suite de la rception dun signal de dtresse. Anderson priapour quil sagisse de sa premire hypothse.

    Enfiler un uniforme dans une pice si confine que les quartiers quil partageait avecdeux autres membres dquipage ntait pas des plus pratiques, mais il tait rompu lexercice. En moins dune minute, il tait vtu de pied en cap et se htait le long descoursives qui le mneraient sur la passerelle o le capitaine Belliard lattendait. En tantque commandant en second, il tait du devoir dAnderson de transmettre lquipage lesordres du capitaine et de sassurer que chacun y obisse.

    Lespace vital tait ce quil y avait de plus prcieux bord des vaisseaux de lAlliance,ralit qui simposait Anderson chaque fois quil croisait un quipier courant en sensinverse pour rejoindre son poste : invariablement, ses subalternes se plaquaient contre laparoi, sefforant de le laisser se faufiler comme il pouvait tout en lui adressant des salutsmaladroits. Mais malgr lexigut, tous excutaient la manuvre avec lefficacit et laprcision exemplaire qui caractrisaient les quipages de lAlliance.

    Anderson ntait plus trs loin de la passerelle lorsquil passa devant les navigateurs.L, deux officiers effectuaient de rapides calculs quils appliquaient simultanment unecarte stellaire tridimensionnelle gnre au-dessus de leur console. Ils salurent chacunleur CSD dun bref, mais respectueux signe de tte, trop concentrs sur leur tche poursencombrer dun salut formel. Anderson hocha la tte. Trs vite, il comprit que lesnavigateurs calculaient un trajet travers le relais cosmodsique le plus proche : celasignifiait que le SSV Hastings rpondait un signal de dtresse. Or, bien souvent en detelles circonstances, il tait dj trop tard.

    Au sortir de la guerre du Premier Contact, lhumanit stait rpandue trop rapidement

  • et trop loin de son systme dorigine. Au final, elle navait plus suffisamment de vaisseauxpour patrouiller dcemment une rgion de la taille de la Bordure skyllienne. Les colonsqui y vivaient, quant eux, savaient combien la menace dattaques et de raids tait relle.Bien souvent, le SSV Hastings atterrissait sur une plante pour ne plus y trouver quunecolonie il y a peu aussi petite que florissante dont les habitants taient dcims et lesbtiments rduits en cendres, ainsi quune poigne de survivants traumatiss.

    Anderson ne shabituerait probablement jamais au fait dtre le premier tmoin de cesmassacres. La guerre lui avait offert son lot dignominies, mais ce quil dcouvrait chaquefois la surface de ces mondes reculs avait quelque chose de diffrent. Jusquici, il avaitsurtout particip des affrontements spatiaux au cours desquels lennemi succombait des dizaines de milliers de kilomtres de distance. La mort avait un visage bien diffrentlorsquelle prenait la forme dun charnier de civils carboniss disperss au milieu dedcombres encore fumants.

    Contrairement ce que laissait supposer son nom, la guerre du Premier Contact navaitt quune campagne relativement courte qui navait fait que trs peu de victimes. Toutavait commenc lorsquune patrouille de lAlliance tait entre par inadvertance sur leterritoire de lEmpire turien. Si pour lhumanit il sagissait de sa premire rencontre avecune autre espce intelligente, les Turiens avaient considr lintrusion comme un actebelliqueux de la part dune civilisation agressive et inconnue. Lincomprhension etlhypersensibilit des deux parties avaient t lorigine de plusieurs escarmouchesviolentes entre patrouilleurs et claireurs. Cela tant, le conflit ne stait jamais mu enguerre totale entre les deux espces, dont les plantes respectives ne furent jamais prisespour cibles. Heureusement pour lhumanit, le nombre croissant daffrontements et ledploiement soudain de la flotte turienne attirrent rapidement lattention de lacommunaut galactique entire.

    Les humains lignoraient alors, mais les Turiens ntaient que lune des dizainesdespces indpendantes stre volontairement soumises lautorit du corpsgouvernemental connu sous le nom de Conseil de la Citadelle. Soucieux dempcher toutconflit interstellaire entre ces espces et les nouveaux arrivants humains, le Conseil taitintervenu rvlant dans le mme temps sa prsence lAlliance et stait efforc dengocier la signature dun accord de paix entre les belligrants. Moins de deux mois plustard, la guerre du Premier Contact avait officiellement pris fin.

    Six cent vingt-trois Humains avaient perdu la vie durant le conflit, la plupart durant lapremire altercation et lors de lattaque turienne sur Shanxi. Les pertes turiennes avaientt lgrement plus importantes, la flotte envoye par lAlliance pour reprendre lavant-poste stant montre particulirement impitoyable, brutale et mthodique. Pourtant, lchelle galactique, ces pertes, dun ct comme de lautre, avaient t presqueinsignifiantes. En outre, lhumanit qui venait dchapper une guerre sans nul doutedvastatrice tait devenue le plus jeune membre dune vaste socit interstellairefdrant lensemble des espces organiques intelligentes connues.

    Anderson gravit les trois marches qui menaient la passerelle. Le capitaine Belliard,pench sur un petit cran sur lequel il tudiait un flot continu de transmissions entrantes,

  • se redressa lapproche dAnderson, rendant son salut au second. Nous avons des ennuis, lieutenant, laccueillit le capitaine. A peine connects aux

    relais de communication, nous avons reu un appel de dtresse. Cest ce que je craignais, mon capitaine. Lappel vient de Sidon. Sidon ? (Anderson en avait dj entendu parler.) Nous avons une base de recherche

    sur la plante, cest bien a ? Modeste, mais oui, acquiesa Belliard. La base compte quinze officiers chargs de la

    scurit, douze chercheurs et six techniciens.Anderson frona les sourcils : lattaque tait suspecte. Les pillards prfraient sen

    prendre aux colonies sans dfense et filer avant que les renforts de lAlliance arrivent surles lieux. Une base aussi bien dfendue que Sidon tait une cible atypique. Trop. Celaressemblait fort un acte de guerre.

    Les Turiens taient les allis des Humains dsormais, tout du moins officiellement. Deplus, la Bordure skyllienne se trouvait bien trop loigne de leur territoire pour quilsprennent part aux conflits agitant le secteur. Cela tant, dautres espces sopposaient lhumanit pour la domination de la rgion. LAlliance se trouvait ainsi en comptitiondirecte avec le gouvernement butarien, mais jusquici les deux rivaux avaient russi cohabiter sans vritable violence. Anderson douta quils aient pu franchir le pas de faonaussi maladroite.

    Pour autant, il existait nombre dautres groupuscules dsireux et pleinementcapables de sen prendre un bastion de lAlliance. Certains, mme, compossdhumains : des organisations terroristes autonomes et autres factions de gurillasmultiespces brlant de sen prendre au moindre symbole du pouvoir en place. moinsquil ne sagisse de groupes paramilitaires clandestins cherchant drober un stockdarmes high-tech. Ou de mercenaires indpendants dsireux de dcrocher le jackpot

    Cela nous aiderait peut-tre de savoir ce sur quoi travaillaient les chercheurs deSidon, mon capitaine, suggra Anderson.

    La base est ultrasecrte, rpondit Belliard en secouant la tte. Impossible dobtenirne serait-ce quun plan de linstallation, alors des informations sur leur travail, autant nepas y penser.

    Anderson tiqua. Sans plan, son quipe oprerait en aveugle, tirant un trait sur toutavantage stratgique que leur aurait apport une connaissance prcise de ce quideviendrait peut-tre son prochain champ de bataille. Cette mission sannonait de plusen plus prilleuse.

    Heure darrive estime, mon capitaine ? Quarante-six minutes.Une bonne nouvelle. Enfin. Le SSV Hastings empruntait des trajectoires de patrouille

    alatoires : quil se soit trouv si proche du signal de dtresse tait une vritable chance.Un autre coup de pouce du destin, et il arriverait temps pour intervenir.

  • Je vais mobiliser lquipe dintervention au sol, mon capitaine. Toujours aussi ractif, lieutenant.Anderson fit volte-face, rpondant au compliment de son commandant dun simple :

    Oui, mon capitaine ! L e SSV Hastings filait dans le vide spatial, invisible, paillette enflamme dans les

    tnbres. Envelopp dun champ gravitationnel autognr et voyageant prs decinquante fois plus vite que la vitesse de la lumire, il ntait plus quune trane troubleet scintillante, une oscillation subtile dans la trame du continuum espace-temps.

    Le barreur ajusta lgrement la trajectoire du vaisseau et lastronef modifia sa course,fusant en direction du relais cosmodsique le plus proche, quelque cinq milliards dekilomtres. Il ne fallut pas longtemps au SSV Hastings qui filait prs de quinze millionsde kilomtres par seconde pour apercevoir sa destination.

    A dix mille kilomtres de sa cible, le timonier prit le contrle du propulseur zo etdsactiva les champs gravitationnels. Des vagues dnergie bleutes ondoyrent lasurface du vaisseau tandis quil abandonnait sa cadence supraluminique, embrasantlobscurit spatiale. Le flamboiement de lastronef fit scintiller le relais cosmodsique quisimposait peu peu lhorizon. Bien que de facture extraterrestre, le gigantesque relaisressemblait aux gyroscopes de taille bien plus modeste conus par lhumanit. En soncentre sanimait une sphre forme de deux anneaux concentriques tournoyant autourdun axe unique. Chacun des deux anneaux mesurait prs de cinq kilomtres de diamtre,et deux bras de quinze kilomtres jaillissaient de lune des deux extrmits de la picecentrale en perptuelle rotation. La structure entire tincelait, parcourue darcs dnergieincandescents.

    Au signal du vaisseau de lAlliance, le relais cosmodsique sanima, pivotant sur sonaxe alors quil salignait avec le relais auquel il tait li, des centaines dannes-lumire.L e SSV Hastings reprit de la vitesse tandis quil se dirigeait droit vers le centre de latitanesque installation extraterrestre selon un vecteur dapproche prdtermin. Lanneausitu au cur du dispositif se mit tournoyer de plus en plus rapidement, acclrantjusqu ne plus devenir quune sphre tourbillonnante et spectrale. Les arcs dnergie quijaillissaient sporadiquement de son centre se murent peu peu en une sphre de lueurpalpitante qui sintensifia tel point quil devint impossible de soutenir sa vue.

    L e SSV Hastings tait moins de cinq cents kilomtres du relais lorsque ce derniersactiva. Une dcharge dnergie noire dferla des anneaux tourbillonnants telle une lameet engloutit lastronef. Lengin miroita brivement, puis disparut comme sil avait tinstantanment dsintgr. Au mme instant, il se rematrialisa plusieurs milliersdannes-lumire de son point de dpart, surgissant du vide dans un flash de lumirebleue proximit dun nouveau relais cosmodsique.

    Le propulseur du SSV Hastings sveilla alors et, une fois la vitesse supraluminiqueatteinte, lastronef disparut dans un clair rougeoyant de chaleur et de radiation, commehapp par les tnbres spatiales. Rapidement dlaiss, le relais entama sa procdure de

  • mise en veille, et les anneaux en son centre dclrrent. Nous avons quitt le rayon daction du relais cosmodsique. Propulseur activ. Nous

    arriverons Sidon dans vingt-six minutes.Lestomac retourn par le saut au travers du relais, Anderson attendait dans la soute

    avec quatre autres membres de lquipe dintervention au sol. La voix de Belliardschappait en vain de lintercom, couverte par les rugissements des moteurs. De toutefaon, il ne lui tait pas utile de lentendre pour avoir une ide de la situation.

    Cette sensation de nause lui avait toujours paru trange. Scientifiquement, un telphnomne tait impossible : les voyages dun relais un autre taient instantans.Comme cela ne prenait pas le moindre dixime de seconde, il ny avait aucune raison pourque le corps en ressente les effets. En thorie car Anderson savait mieux quepersonne son exprience en la matire parlait pour lui que la ralit tait toutediffrente.

    Cela tant, le malaise qui lui nouait lestomac ntait peut-tre cette fois quun mauvaispressentiment quant ce que dcouvrirait son quipe une fois arrive sur Sidon. Quelsquaient pu tre les responsables de lattaque sur la base, ils taient prts affronterquinze soldats de lAlliance pour atteindre leur but. Mme en usant de llment desurprise, seule une escouade extrmement entrane et comptente aurait pu sy risquer.LAlliance aurait t plus avise denvoyer en renfort un transport de troupes pluttquune frgate tout juste capable de mobiliser une quipe au sol de cinq soldats.

    Mais voil, personne dautre ne se trouvait suffisamment prs de Sidon pour rpondreau signal de dtresse et, quand bien mme cela aurait t le cas, la plupart des vaisseauxde lAlliance taient trop imposants pour orbiter autour dun quelconque corps cleste. LeSSV Hastings, lui, tait suffisamment petit pour pntrer dans latmosphre duneplante, atterrir sa surface, puis redcoller le moment venu. Tout astronef plus grosquune frgate aurait eu dposer ses soldats au sol en usant de navettes ou duneprocdure dexpdition directe, et le temps manquait trop cruellement pour cela.

    Au moins, ils taient lourdement arms. Chaque membre du groupe dinterventionportait une armure complte quipe de gnrateurs de boucliers cintiques chargs bloc, et dun casque offrant un angle de vision de deux cent soixante-dix degrs. Chacuntransportait une demi-douzaine de grenades ainsi quun Hahne-Kedar G-912, le fusildassaut standard des soldats de lAlliance, charg de plus de quatre mille munitionsremplies de billes plus petites que des grains de sable. Tirs une vlocit suffisante, lesprojectiles quasi microscopiques infligeaient des dgts redoutables.

    Et ctait bien l que le bt blessait : quimporte le degr de sophistication destechnologies de dfense, elles avaient toujours un train de retard sur larsenal offensif.LAlliance dpensait sans compter pour assurer la protection de ses soldats : armuresdernier cri, prototypes militaires les plus rcents de boucliers cintiques Mais tout celane valait rien face un tir direct darme lourde bout portant.

    Sils survivaient cette mission, ce ne serait pas grce leur quipement. Seules deux

  • choses comptaient rellement sur le terrain : lentranement et laptitude ducommandant. La vie de chacun des membres de lescouade tait entre les mainsdAnderson, et le lieutenant percevait clairement leur malaise. Les soldats de lAlliancetaient forms lutter contre le stress physique et mental que produisait chez lhumainson instinct naturel de survie. Mais ce quil sentait ici, dans cette soute, tait bien plusque la monte dadrnaline qui envahissait les guerriers lapproche du combat.

    Il stait appliqu ne pas laisser transparatre ses propres doutes, affichant un sang-froid et une assurance inbranlables. Cela tant, les membres de son quipe taient tousassez futs pour tirer leurs propres conclusions, et ils navaient pas eu plus de mal que lui assembler chacun de leur ct les pices du puzzle : jamais de simples pillardsnauraient attaqu une base de lAlliance aussi bien dfendue.

    Anderson ne prtait que peu de crdit aux discours solennels visant exalter le moralde ses troupes aprs tout, ces soldats taient tous des professionnels , mais mmepour des soldats de lAlliance, la tension qui baignait ces dernires minutes de silencedavant mission devenait trop pesante. Qui plus est, il ne voyait pas lintrt de leurcacher la vrit.

    Restez vigilants. Chacun dentre vous, dit-il, sachant que les radios intgres auxcasques permettaient ses hommes de lentendre parfaitement malgr le vacarme desmoteurs. Mest avis quon a affaire autre chose qu une troupe desclavagistes ayantjou du lasso avant de prendre la fuite.

    Des Butariens, mon lieutenant ?La question venait de lartilleur Jill Dah. Ayant un an de plus quAnderson, elle servait

    dj lAlliance quand son lieutenant tait encore en formation Arcturus. Plus tard,pendant la guerre du Premier Contact, ils avaient servi dans la mme unit. Mesurantplus dun mtre quatre-vingt-dix, elle dominait en taille la plupart des hommes aux ctsdesquels elle avait servi. En taille et en force galement en juger par ses largespaules, les muscles dessins de ses bras et sa carrure qui, si elle navait riendinesthtique, demeurait imposante. Certains hommes lavaient surnomme Amy pour amazone , mais aucun navait jamais eu le cran de linterpeller ainsi. Et puis, quandle combat faisait rage, tous se rjouissaient sans honte de la savoir de leur ct.

    Anderson apprciait Dah, mais elle avait cette sale habitude de caresser tout le monde rebrousse-poil. Diplomatie devait tre une insulte dans son vocabulaire. La moindrede ses opinions se devait dtre articule, aux oreilles de tous qui plus est. Ctaitprobablement la raison pour laquelle elle ntait encore quun officier subalterne.Nanmoins, le lieutenant se rendit bien compte que si elle se posait la question, alors laplupart des autres devaient se la poser aussi.

    Ne tirons pas de conclusion htive, sergent. On sait ce sur quoi travaillaient les chercheurs Sidon ?Cette fois, ctait le caporal Ahmed OReilly, technicien en chef, qui avait pris la parole. Confidentiel, cest tout ce que je sais Alors prparez-vous au pire.

  • Les deux autres membres de lquipe, les soldats de deuxime classe Indigo Lee et DanShay, se passrent de tout commentaire, et le silence reprit ses droits sur la soute. Cettemission les inquitait tous, mais Anderson savait quils lui obiraient quoi quil arrive. Illeur avait sauv la mise suffisamment de fois sur le champ de bataille pour avoir gagnleur confiance.

    En approche de Sidon, crpita lintercom. Aucune rponse quelle que soit lafrquence.

    La nouvelle pourtant presque inaudible tomba comme un couperet. Si le moindrecitoyen de lAlliance avait t encore en vie, il aurait rpondu lappel du Hastings.Anderson baissa sa visire pour couvrir son visage, imit la seconde par le reste delquipe. Une minute plus tard, ils ressentirent tous les turbulences qui accompagnaientlentre du vaisseau dans latmosphre de la minuscule plante. Sur un signe de ttedAnderson, son quipe procda aux dernires vrifications de son arsenal, de sesboucliers et de ses dispositifs de communication.

    Nous avons un visuel sur la base, crachota lintercom. Il ny a aucun vaisseau au sol,et nos capteurs ne dtectent aucun astronef proximit de la plante.

    Ces enfoirs de pisse-trois-gouttes se sont dj fait la malle, jura Dah dans la radiodu casque dAnderson.

    Vu la rapidit avec laquelle le SSV Hastings avait rpondu lappel de dtresse,Anderson avait espr quils arriveraient temps pour cueillir les assaillants pendantlattaque, mais il ntait pas pour autant surpris quaucun astronef nait t dtect dansles parages. Un raid sur une base aussi bien dfendue que Sidon demandait lactioncoordonne de trois vaisseaux au moins : deux gros transports pour atterrir et lcher lestroupes dassaut la surface, et un astronef de reconnaissance plus modeste, en orbiteautour de la plante, suppos surveiller le relais cosmodsique proche et prvenir sescamarades en cas dactivit suspecte.

    Larrive du SSV Hastings navait donc pas d passer inaperue, et les troupes au sol enavaient coup sr t averties ds quil avait approch son relais de dpart lautre boutdu secteur. Lalerte anticipe avait laiss tout juste assez de temps aux vaisseaux pourdcoller, quitter latmosphre de la plante et activer leur moteur SLM avant que lesrenforts sur place narrivent. Sans nul doute possible, les astronefs impliqus danslattaque taient dj loin mais, dans leur fuite prcipite, ils avaient d abandonnerleurs hommes derrire eux.

    Quelques secondes plus tard, le vaisseau toucha terre sur la piste datterrissage de labase de Sidon, et un martlement sourd agita la soute : linterminable attente prenait fin.La porte pressurise de la soute du Hastings coulissa et la coupe se mit en place.

    Equipe dintervention au sol, annona le capitaine Belliard via lintercom, vous dejouer.

  • Chapitre 2Les officiers dartillerie Dah et Lee, les plus proches de la porte, se rurent sur la

    coupe. Larme en joue, ils fouillrent la zone du regard la recherche dventuelscombattants embusqus, tandis quAnderson, OReilly et Shay les couvraient depuis lasoute.

    Zone datterrissage dgage, annona Dah sur leur frquence radio.Une fois lquipe entire au sol, Anderson jaugea la situation. La piste datterrissage

    tait troite, tout juste assez grande pour accueillir trois frgates ou une paire de naviresde charge. Elle tait situe quelques centaines de mtres dune double porte blindemenant lintrieur de la base : un btiment rectangulaire sans tages qui semblait troppetit pour hberger les trente-trois agents assigns au projet et, plus encore, tout type delaboratoire.

    Lextrieur semblait dune banalit suspecte : hormis une demi-douzaine de caissesimposantes disposes prs des autres aires datterrissage, il ny avait l pas le moindreindice que quoi que ce soit danormal se soit jamais droul ici.

    Cest comme a quils ont lanc leur opration, songea Anderson. Cette cargaisonavait d tre tire jusquici depuis des cargos par des hommes pied. La base devaitattendre une livraison. Lorsque les assaillants ont touch terre, ils ont commenc dcharger les caisses, quelquun lintrieur du btiment avait ouvert les portes, et deuxou trois gardes de Sidon taient probablement sortis aider les prtendusmanutentionnaires avant de se faire fusiller par des soldats en planque dans les soutesdes astronefs.

    Etrange, il ny a pas un seul cadavre ici, remarqua Dah, sa remarque faisant cho auxpenses dAnderson.

    Ils ont d les traner lintrieur aprs avoir scuris laire datterrissage, estima lelieutenant, lui-mme sceptique quant lintrt dune telle manuvre.

    De quelques signes de main, il dirigea son quipe au travers de laire datterrissagedserte jusqu lentre de la base. La double porte blinde coulissante, totalement lisse,sactionnait via une simple interface murale, mais le fait quelle soit close inquitaquelque peu le lieutenant.

    Anderson menait la danse, et lorsquil saccroupit et leva le poing, les autressimmobilisrent sur-le-champ. Il leva deux doigts, convoquant OReilly. Le dos courb, lecaporal avana et se positionna au ct de son commandant, un genou terre.

    Une raison plausible au fait que ces portes soient fermes ? lui murmura lelieutenant, souponneux.

    Cest louche, admit-il. Pourquoi sennuyer sceller les portes si le but avou estdanantir la base ?

    Vrifiez-moi a, lana Anderson son technicien en chef. En douceur. Restezvigilant.

  • OReilly pressa un bouton sur son fusil dassaut et ce dernier se replia entirement surlui-mme, formant un rectangle deux fois plus petit que larme dploye. Il le rangeaensuite sur la fixation automatique sa hanche, sortit un OmniTech dune poche delautre jambe de son pantalon, rampa sur quelques mtres, puis utilisa loutil pour balayerla zone la recherche dun signai faible qui puisse trahir la prsence de circuitslectroniques suspects.

    Bien vu, mon lieutenant, marmonna-t-il lintention dAnderson aprs avoirconsult les rsultats de son analyse. Une mine de proximit a t relie la porte.

    Le caporal ajusta quelques secondes son OmniTech de faon quil mette une lgreimpulsion magntique destine brouiller les capteurs de la mine, afin de pouvoirsapprocher suffisamment prs du pige pour le dsarmer. En tout et pour tout,lopration dura un peu moins dune minute, laps de temps durant lequel Anderson neput sempcher de retenir son souffle. LorsquOReilly se retourna vers lui et lui signifiadun pouce lev que la mine avait t neutralise, il inspira enfin.

    Un hochement de tte dAnderson, et lquipe savana prs de la porte, chacun gagnantune position prtablie : Anderson et Shay se postrent dos lenceinte du btiment, depart et dautre de lentre, Dah saccroupit quelques mtres en face de la porte, tandis queLee la couvrait, lgrement dcal, fusil dassaut point vers la gueule close de la base.

    OReilly, accroupi prs dAnderson, leva le bras et entra le code daccs de linterfacemurale. La porte peine ouverte, Dah saisit une grenade flash sa ceinture et la projetadans louverture avant de rouler labri.

    Lee suivit le mouvement, et la grenade explosa, diffusant une lumire aveuglanteassortie dun lger voile de brume.

    Quelques secondes aprs la dtonation, les fusils en joue, Anderson et Shay pivotrent dcouvert en direction de lintrieur du btiment, prts abattre tout ennemi potentiel.La manuvre, classique aveuglement surprise puis nettoyage , avait t excute avecune prcision exemplaire, mais la pice situe derrire la double porte tait vide. Sanssurprise, quelques claboussures carlates peinturluraient et l le sol et les murs.

    La voie est libre, annona Anderson, invitant son quipe le rejoindre lintrieur.Lentre tait une simple salle au fond de laquelle un couloir senfonait plus

    profondment dans la base. Une petite table gisait renverse dans un coin, et plusieurschaises navaient pas non plus survcu la tourmente de lattaque. Sur le mur, un cranretransmettait limage de laire datterrissage au-dehors.

    Un poste de garde, lcha Dah, la dcouverte confirmant pour elle ce quAndersonavait compris depuis plusieurs minutes dj. Au jug, il devait y avoir quatre hommes icipour garder un il sur la piste. Ils ont d ouvrir la porte lorsque les vaisseaux ont atterri,avant de sortir aider dcharger la cargaison.

    Des tranes de sang filent le long du couloir, mon lieutenant, cria Indigo. Ils ont dtrimballer les corps plus loin lintrieur de la base.

    Anderson ne parvenait toujours pas comprendre quel intrt il pouvait y avoir

  • emporter les corps ainsi, mais au moins cela leur offrait une piste suivre. Redoublant devigilance, lquipe dintervention senfona dans la base, suivant les traces de sang et depoussire mls. La piste les guida au travers dune cantine o ils dcouvrirent dautrestables et chaises renverses, ainsi que de nombreux trous dans les murs et le plafond : detoute vidence, la pice avait t le thtre dune fusillade aussi brve quintense.

    Plus loin, ils longrent deux dortoirs distincts : la porte de lun comme de lautre avaitt enfonce et leur intrieur tait cribl de profonds impacts de balles. Une sriedimages se forma dans lesprit dAnderson : chaque nouvelle pice, les assaillantsentraient et massacraient les occupants des lieux, sempressant ensuite de traner au loinleurs cadavres.

    Lorsquils eurent atteint le fond du btiment, ils navaient pas encore trouv le moindreindice trahissant la prsence dennemis sur les lieux. En revanche, ils firent l unedcouverte tout autre laquelle aucun dentre eux ne stait attendu : lextrmit dubtiment, un ascenseur plongeait sous la surface du sol

    Pas tonnant que cette base ait lair si petite ! sexclama OReilly. Tout ce qui a untant soit peu de poids, au propre comme au figur, est enfoui sous terre ! (Il marqua unecourte pause.) Si seulement on savait ce sur quoi bossaient les blouses blanches, ajouta-t-il plus srieusement, on saurait dans quel gupier on sapprte se fourrer.

    Anderson acquiesa, mais son esprit se focalisait sur un dtail qui lui semblaitnettement plus important : selon linterface place contre le mur, lascenseur taitactuellement larrt au niveau le plus bas du complexe. Si quelquun tait descendu,puis avait fui lorsque larrive du SSV Hastings avait t annonce, lascenseur aurait dse trouver au rez-de-chausse.

    Un problme, mon lieutenant ? linterrogea Dah. Quelquun a pris lascenseur jusquen bas, rpondit-il en dsignant linterface dun

    hochement de tte, mais il nest pas remont. Vous pensez quil y a encore quelquun en bas ? demanda lartilleur, dont le ton

    trahissait lespoir dvorant que ce ft le cas.Le lieutenant acquiesa, esquissant un sourire sans joie. Et leurs vaisseaux, alors ? intervint Shay, qui peinait saisir ce qui se passait. Quel que soit le groupuscule qui a attaqu la base, il avait une bonne raison de le

    faire, expliqua Anderson. Et force est de constater que ce quil cherchait ntait pas ceniveau. Ils ont d envoyer une quipe aux tages infrieurs pour terminer le boulot, en nelaissant quune poigne dhommes ce niveau pour monter la garde. Le fait est quils nesattendaient pas ce quun patrouilleur de lAlliance soit proche au point de rpondreaussi rapidement lappel de dtresse. Lorsque leur vaisseau de reconnaissance les aprvenus quun astronef arrivait depuis le relais cosmodsique, il leur restait vingtminutes tout au plus pour dcoller et quitter le secteur. Je suis prt parier quils ne sesont jamais donn la peine de prvenir lquipe descendue au sous-sol.

    Comment ? Pourquoi donc ? Quel intrt de ne pas les prvenir ?

  • Cet ascenseur plonge probablement deux kilomtres sous la surface, intervint lecaporal OReilly afin daider le jeune loup inexpriment mieux comprendre lasituation. Visiblement, linterface de communication du niveau infrieur a tendommage lors dune fusillade : impossible denvoyer un message radio qui que cesoit l-bas dessous vu la couche de roche et de terre. Qui plus est, il doit bien falloir dixminutes lascenseur pour faire ne serait-ce quun aller simple. Sils avaient vouluprvenir leurs camarades, cela leur aurait pris prs de trente minutes : dix pour faireremonter lascenseur, dix pour que lun dentre eux descende prvenir les autres, et dix deplus pour que tout le monde remonte. Bien trop pour fuir les renforts en approche. Poureux, la meilleure carte jouer tait de foutre le camp et dabandonner leurs camarades.

    Ils ont abandonn leurs compagnons, ici ? peina articuler Shay, les yeuxcarquills.

    Cest tout ce qui fait la diffrence entre un mercenaire et un soldat, reprit Andersonavant de reporter son attention entire sur la mission. Quoi quil en soit, la donne vient dechanger : une unit ennemie rde au sous-sol, et elle ne se doute pas une seule secondequune escouade de lAlliance lattend pour la cueillir.

    On pourrait leur tendre une embuscade, proposa Dah. Ds que les portes delascenseur souvrent, on canarde et on dessoude jusquau dernier os de ces fils de pute !(Elle parlait vite, une lueur presque malsaine dans le regard.) Ils nauront pas la moindrechance de sen sortir !

    Anderson rflchit un instant puis secoua la tte. De toute vidence, ils sont l pour anantir tout ce qui se tient sur deux jambes dans

    cette foutue base. Ils nont pas la moindre intention de laisser qui que ce soit en vie. Peut-tre que quelques membres du personnel de la base respirent encore au sous-sol. Silnous reste une chance de les sauver, nous devons la saisir.

    a risque dtre sacrment dangereux, mon lieutenant, le prvint OReilly. On partdu principe quils ne savent pas que nous sommes l. Mais imaginez que par je ne saistrop quel moyen ils sen soient rendu compte : cest nous qui nous jetterons dans lagueule du loup.

    Malheureusement, cest un risque que nous devons prendre, lcha Anderson enfrappant du poing linterface dappel de lascenseur. Allez ! On file dbusquer cessalopards

    Comme un seul homme, les autres membres du groupe, OReilly compris, lchrent un Oui, mon lieutenant ! sans quivoque.

    Linterminable descente savra plus anxiogne encore que lattente dans la soute duvaisseau. Plus les minutes passaient, plus ils plongeaient dans les entrailles de la base,plus la tension montait.

    Le lieutenant entendait le vrombissement assourdi du treuil, monotone, mesurequils poursuivaient leur descente, masss dans la cage de la machine. Lair staitrchauff, tait devenu lourd, moite. Ses oreilles se bouchrent, et il perut au mmeinstant une odeur trange, inconnue, quil supposa tre un mlange de gaz sulfureux et

  • dmanations de moisissures et autres espces fongiques souterraines extraterrestres.Sous son armure, Anderson suait grosses gouttes et essuyait rgulirement dune

    main le voile de condensation qui se formait sur sa visire. Il sefforait dans le mmetemps de ne pas penser ce qui se passerait si, louverture des portes, les mercenairestaient l les attendre, les armes prtes tirer.

    Lorsquils atteignirent enfin le niveau infrieur, lennemi tait bien l mais il nauraitpu tre moins prt les recevoir. Lascenseur souvrit sur une vaste antichambre : unecaverne emplie de stalagmites, de stalactites et dpaisses colonnes de calcaire. Deslumires artificielles fixes au plafond clairaient lendroit, faisant danser partout lesreflets des riches et innombrables veines du minerai mtallique et tincelant quiparsemaient les lieux. Au fond de la caverne, un long tunnel offrait la gigantesque cavitnaturelle son unique sortie : rapidement, il formait un coude puis disparaissait dans laroche.

    La dizaine de mercenaires, armes et armures actives, accouraient du fond de lacaverne, riant et plaisantant grassement, simaginant dj rejoindre sans encombre lasurface.

    Il ne fallut quun instant Anderson pour estimer quils tenaient plus de criminels quede membres de lAlliance, et il donna aussitt lordre de tirer. Son quipe, sur le qui-viveavant mme que les portes ne souvrent, ragit la seconde et se rua hors de lascenseuren balayant la pice dune rafale de tirs de barrage. La premire dferlante de projectilescribla le groupe de mercenaires pris au dpourvu : sils navaient pas port leur armure etactiv leurs boucliers cintiques, le combat aurait dj t termin.

    Trois mercenaires seffondrrent, mais leurs protections avaient dtourn ou absorbsuffisamment de tirs pour que leurs comparses soient pargns et puissent se jeter labri derrire les rochers et les stalagmites qui jonchaient le sol de la caverne.

    Les secondes qui suivirent plongrent la grotte dans un chaos total : lquipedAnderson avana, courant de stalagmite en formation calcaire pour se mettre couvert.Ils se dispersrent rapidement afin que le feu ennemi localis ne balaie pas le groupeentier. La caverne entire rsonna des tirs saccads des fusils dassaut, le zip-zip-zip perant des balles ricochant contre les parois rocheuses, et du sifflement des ballestraantes incandescentes qui baignaient lendroit entier dune lueur spectrale tous lescinq projectiles.

    Tandis quil se ruait vers une stalagmite proche, Anderson reconnut la sensation tropfamilire de ses boucliers cintiques repoussant plusieurs tirs ennemis. Sans sesprotections, il aurait sans nul doute t tu sur-le-champ. Il scroula terre et esquivadune roulade une nouvelle salve de tirs qui poinonnrent le sol devant lui, faisant volersous sa visire et sur son visage une gerbe deau et de poussire.

    Il se remit sur pied, puis cracha les gravillons terreux tout en consultantinstinctivement ltat de ses boucliers. Plus que vingt pour cent dnergie : trop peu pourtenter une nouvelle escapade dcouvert.

    Etats des boucliers ! hurla-t-il sur leur frquence radio.

  • Les chiffres fusrent ses oreilles : Vingt ! , Vingt-cinq ! , Vingt ! , Dix ! Ses soldats taient encore en pleine sant, mais leurs boucliers en avaient pris un sacr

    coup. Leffet de surprise ne leur servirait plus rien, et ils faisaient dsormais face uneescouade prs de deux fois suprieure en nombre. Malgr tout, les combattants delAlliance taient entrans manuvrer en quipe, se couvrir les uns les autres et veiller sur chaque membre du groupe ; ils avaient confiance en leurs camarades et en leurcommandant, et Anderson savait que cela pouvait leur donner lascendant sur nimportequelle bande de mercenaires.

    Dah ! Lee ! droite ! aboya-t-il. Essayez de les prendre revers !Le lieutenant pivota sur sa droite, abandonnant la protection que lui offrait la

    stalagmite, puis tira une brve salve en direction de lennemi. Non pas quil espraitatteindre qui que ce soit avec une telle manuvre : mme assist par la technologie deciblage assist intgre aux armes feu, il tait presque impossible datteindre une ciblede la taille dun tre humain sans viser une demi-seconde au moins. Son but taitsimplement de dtourner lattention des mercenaires pour quils ne sen prennent pas Lee et Dah, qui filaient alternativement dabri en abri.

    Aprs une salve de deux secondes, il se remit couvert : mieux valait ne pas se montrertrop longtemps au mme endroit. Au mme instant, Shay jaillit de derrire un rochermassif pour couvrir son tour ses deux camarades ; il sagenouilla ensuite, laissantOReilly prendre la relve.

    Ds que le caporal se remit couvert, Anderson tendit le cou et recommena tirer.Cette fois, il jaillit du ct gauche de la stalagmite : sexposer deux fois de la mme faontait le meilleur moyen de se prendre un tir ennemi en plein visage.

    Lorsquil se replia, il entendit la voix de Dah rsonner dans son casque. En position ! Je vous couvre !Ctait son tour de se dplacer. Jy vais ! cria-t-il juste avant de se ruer le dos courb jusqu une cache naturelle de

    la caverne qui lui permettrait de rester labri du feu ennemi.En position derrire une grande colonne de calcaire, il prit peine deux secondes pour

    reprendre son souffle et se remit tirer pour couvrir Shay et OReilly, qui il ordonna dese dplacer leur tour.

    Ils rptrent lopration plusieurs reprises, Anderson les envoyant se positionner un un tandis que les autres canardaient pour obliger lennemi se dfendre. Chaque fois, lesoldat qui se dplaait changeait, ce pour mieux brouiller les pistes : limportant tait quelquipe dans son ensemble puisse avancer tout en dstabilisant ladversaire. Rester troplongtemps au mme endroit reprsentait un risque trop important que plusieurs tireursse focalisent sur la mme cible, voire pire, que lun dentre eux se dcide jouer de lagrenade. Quoi quil en soit, le mouvement gnral devait tre cohrent et orchestr avecprcision : leur survie en dpendait.

    Quimporte la fureur des combats, le lieutenant avait t form envisager chaque

  • bataille comme un jeu dchecs. Au front, tout tait affaire de tactique et de stratgie, enprotgeant ses pices tout en les positionnant de manire optimale pour lassaut.uvrant ensemble, les membres de lAlliance parvinrent avancer encore, un combattantaprs lautre, jusqu une position do ils purent prendre leurs ennemis revers, lespousser se mettre dcouvert et les coincer entre quatre feux.

    Les mercenaires se savaient lentement pris au pige, condamns, acculs quils taientpar la progression coordonne dAnderson et de ses hommes. Ce ntait quune questionde secondes avant quils ne lancent une contre-attaque suicide ou ne tentent une fuitedsespre. En loccurrence, ils optrent pour la fuite.

    Tout se droula trs vite. Presque la mme seconde, les mercenaires quittrentchacun leur cachette, cavalant reculons vers le passage situ au fond de la caverne,canardant vaguement en direction des soldats de lAlliance. Exactement ce quespraientAnderson et son quipe.

    Tandis que les mercenaires battaient en retraite, le lieutenant jaillit encore de derrirele rocher qui lui servait dabri, exposant sa tte et ses paules. Le risque tait faible : encourant reculons, toucher un croiseur avec un fusil dassaut relevait dj de lexploit,alors faire mouche sur une cible moiti moins grande quun torse humain tenait toutbonnement de limpossible. Anderson posa son arme sur la roche pour la stabiliser, visacalmement lun des mercenaires, laissa le systme de vise automatique cibler lennemi,puis pressa lentement la dtente. Le mercenaire se lana dans une petite dansepileptique lorsque le flot continu de balles pntra ses boucliers, dchiqueta son armureet laboura ses chairs.

    En tout et pour tout, la scne avait peut-tre dur quatre secondes une ternit si destireurs dlite embusqus les avaient eus en ligne de mire. Mais les mercenaires nereprsentaient plus alors la moindre menace, et Anderson avait eu tout son temps poursassurer que son tir serait fatal. Il eut mme le temps de viser une autre criminelle et delabattre son tour.

    Il ne fut pas le seul profiter de la situation : en tout, son quipe parvint liminersept des mercenaires en fuite. Seuls deux combattants russirent filer labri dupassage, empruntant le coude rocheux, puis disparaissant sous leurs yeux.

  • Chapitre 3Anderson nordonna pas tout de suite ses hommes de prendre en chasse les fuyards.

    Ne les voyant plus, la traque aurait rapidement pu tourner au jeu de massacre : chaquerecoin, virage ou embranchement du tunnel offrait aux mercenaires survivants unepossibilit dembuscade.

    Au lieu de cela, Dah, OReilly et Lee adoptrent une formation dfensive, surveillant lepassage au cas o les mercenaires reviennent pauls dventuels renforts. La seuleentre de la caverne sous surveillance, Anderson et Shay purent sans crainte examiner lescadavres.

    Ils avaient abattu dix mercenaires en tout. Dix victimes dont ils fouillaient maintenantles dpouilles : un pilogue macabre, mais ncessaire aprs chaque victoire guerrire. Lapremire tape tait de reprer tout bless reprsentant encore une menace pour lquipe,et Anderson fut soulag de constater que tous les mercenaires terre taient bel et bienmorts. Excuter les ennemis sans dfense ne comptait pas parmi les protocoles delAlliance, mais faire prisonniers dventuels survivants aurait truff la suite dunemission dj suffisamment pineuse de nouveaux problmes logistiques.

    Ltape suivante tait de dterminer pour le compte de qui ou de quelle entittravaillaient les mercenaires. Parmi les dpouilles mortelles se trouvaient cinq Butariens,trois Humains et deux Turiens ; huit hommes et deux femmes. Leur quipement mlaitarmes et pices darmures militaires et commerciales de fabricants divers. Les unitsmilitaires officiellement dclares comptaient en gnral des membres dune seule etmme espce et squipaient darmes et darmures dun mme constructeur uneconsquence invitable des contrats dexclusivit signs entre les corporations et lesdiffrents gouvernements.

    Ces combattants ntaient que des soldats de fortune appartenant lune desnombreuses organisations de mercenaires de la Bordure skyllienne qui offraient leursservices au plus offrant. La plupart de ces criminels affichaient leur allgeance en sefaisant tatouer voire scarifier lemblme de leur bande, le plus souvent sur les bras, levisage ou le cou. Dans le cas prsent, Anderson ne remarqua sur les corps que quelqueszones cutanes brles et croteuses. Malgr sa dception, cela ne le surprit pas : pour lesmissions plaant le secret en tte de liste des priorits, il ntait pas rare que lesmercenaires se fassent retirer lacide toute marque distinctive, et nen dessinent denouvelles quune fois le travail termin. Bien entendu, la procdure, simple, maisterriblement douloureuse, tait la charge du client. De toute vidence, craignant lesreprsailles de lAlliance sur leur organisation, les mercenaires engags pour attaquerSidon staient efforcs de faire disparatre le moindre dtail pouvant permettre de lesidentifier.

    LorsquAnderson et Shay eurent termin de dbarrasser les cadavres de leurs grenades,doses de mdi-gel et autres lments utiles et aisment transportables, les mercenairesen fuite navaient toujours pas lanc de contre-attaque.

  • Je nai pas limpression quils comptent pointer de nouveau le bout de leur nez parici, grogna Dali, visiblement due, aprs quAnderson se fut post son ct.

    Dans ce cas, cest nous daller les dbusquer, dcida le lieutenant en fixant unnouveau bloc dalimentation sur son gnrateur de boucliers cintiques. On ne peut passe payer le luxe de poireauter ici des heures. Il reste peut-tre des survivants un peu plusloin, et nous avons encore une chance de les sauver.

    Des survivants ou dautres mercenaires, grommela OReilly en remplaant lui aussison bloc dalimentation.

    Le caporal navait fait quarticuler ce qui leur tait venu lesprit tous. Commentpouvaient-ils tre srs quil ny avait pas une autre escouade de combattants un peu plusloin, et que les deux fuyards ne les avaient pas dj prvenus ? Cela tant, mme silsfonaient tout droit dans un pige, il ntait plus envisageable pour eux de rebrousserchemin.

    Le lieutenant laissa ses soldats quelques instants pour rajuster leur matriel puisaboya ses ordres :

    Dah, Shay, passez devant ! On est partis !Lquipe chemina prcautionneusement dans le tunnel de roche brute, adoptant la

    formation standard de lAlliance dans ce genre de situation : les deux soldats se tenaienten tte, suivis trois mtres derrire dAnderson et OReilly, Lee couvrant leurs arriresencore trois pas plus loin. Chacun larme haute et prte tirer, ils progressrent le longdu couloir naturel accident qui serpentait au cur de la roche. Lentement. Vu le dangerextrme auquel ils sexposaient, la prudence primait incontestablement sur la vitesse : unseul moment dinattention, et ils pouvaient tous y perdre la vie.

    Dix mtres devant Dah et Shay, le couloir tournait subitement sur la gauche. La jeunefemme leva la main et lquipe entire simmobilisa. Lartilleur avanaprcautionneusement jusquau virage abrupt, puis risqua un coup dil furtif, sexposantquelques diximes de seconde dventuels tirs ennemis avant de se replier. Elle leursignala de la main que la voie tait libre, et lquipe entire reprit sa progression.

    Le virage pass, le tunnel continuait sur une vingtaine de mtres jusqu une lourdeporte de scurit mtallique ferme et verrouille. Anderson sollicita OReilly dun gestede main, et le caporal approcha. Il allait devoir jouer de ses talents de technicien pourvenir bout du code de clture. Concentrs, les autres membres de lquipe sepositionnrent de faon lancer la mme procdure dirruption clair quils avaientutilise lentre de la base.

    Si ces mercenaires peuvent sceller les portes de scurit, murmura Dah sonlieutenant tandis quils attendaient quOReilly parvienne leur ouvrir la voie, cest quilsont les codes de la base. Il devait y avoir une taupe parmi le personnel du laboratoire.

    Anderson ne dit rien, mais acquiesa gravement. Lide quun membre du personnel deSidon ait pu trahir lAlliance le hrissait, mais, pour lheure, ctait lexplication la plusplausible. Les mercenaires savaient que la base allait recevoir une cargaison depuis uneautre plante, et ils possdaient les codes permettant datterrir sur Sidon sans dclencher

  • les systmes dalarme. De plus, ils connaissaient suffisamment les lieux pour nettoyerltage suprieur et se rendre lascenseur sans laisser personne leur chapper. Pourcouronner le tout, ils disposaient des codes confidentiels permettant de sceller les portesde scurit. Tout cela rendait tristement crdible lhypothse dune trahison en interne.

    La porte coulissa enfin, et lquipe passa laction : lancer de grenade flash pouraveugler les ventuels occupants des lieux, puis charge lintrieur de la pice. Vide. Lasalle, vaste et carre, mesurait quelque vingt mtres de ct. Les murs, le plafond et le sol,tous faits de mtal brillant, rvlaient quils venaient de pntrer au cur du complexescientifique.

    Tout ici semblait lisse et moderne, jurant radicalement avec la galerie minralenaturelle quils venaient de traverser. Au fond de la pice, gauche et droite, deuxcouloirs senfonaient plus profondment dans la base.

    Du sang, ici, lana OReilly. Encore bien rouge Allons-y, dcida Anderson. Lee et Shay, gardez cette pice. (Il rechignait toujours

    disperser ses hommes, mais leur mconnaissance de la base lexigeait : ils ne pouvaientprendre le risque de voir les mercenaires les contourner et fuir par lascenseur.) Dah,OReilly ! Go !

    Laissant les deux jeunes soldats garder la seule sortie quils connaissaient, Anderson etles autres sengouffrrent dans le couloir de gauche, senfonant encore un peu plus dansle complexe. Mme sils croisrent plusieurs bifurcations, Anderson refusa dparpillerdavantage ses hommes, et ils se contentrent de suivre tous trois les traces de sang. Ilspassrent devant plusieurs salles, pour la plupart de petits espaces de travail en jugerpar les bureaux et les postes informatiques qui en constituaient le mobilier. A linstar desdortoirs situs ltage suprieur, chaque pice avait t mthodiquement crible deballes : le massacre qui avait dbut en haut stait poursuivi sans relche au sous-sol. Etde la mme faon, pour une raison toujours aussi inexplicable, les mercenaires staientefforcs de dplacer les corps plutt que de les abandonner sur place.

    Ils ne dcouvrirent lorigine de la piste ensanglante que cinq minutes plus tard : unTurien gisait face contre terre au milieu dune pice, saignant abondamment la jambe.Anderson reconnut aussitt lun des deux mercenaires qui avaient fui plus tt la bataille.Il sapprocha prudemment, puis sagenouilla prs du criminel inanim, ttant son cou larecherche dun pouls. Rien.

    La pice ne possdait quune autre issue, sur le ct, condamne par une porte descurit.

    Vous pensez que son pote est l-dedans ? lana Dah en pointant la porte close dubout de son fusil dassaut.

    Peu probable, rpondit Anderson. Il devait se douter que nous suivrions les traces desang. Il a d se sparer de ce type une des intersections prcdentes, attendre quondbarque, puis cavaler vers la sortie.

    Jespre que Shay et Lee sont sur leurs gardes, marmonna Dah.

  • Les gamins ont de la ressource, la rassura Anderson. Je minquite davantage de cequi se trouve derrire cette porte.

    Elle doit mener au laboratoire de recherche principal, supposa OReilly. On va peut-tre finir par avoir des rponses nos putains de questions.

    Ils firent rouler le cadavre du Turien sur le ct inutile de prendre le risque de voirlun dentre eux trbucher sur un cadavre en cas de nouvelle fusillade , puis, sur lordredAnderson, le caporal sattela neutraliser le systme de scurit de la porte, tandis quele lieutenant et Dah se mettaient en position pour une nouvelle irruption surprise.

    Cette fois, Dah fut la premire pntrer dans la pice. Personne ne sy trouvait.Personne qui soit en vie, tout du moins.

    Putain de bordel de Dieu, lcha-t-elle, abasourdie.Anderson entra dans la pice, et un haut-le-cur le saisit aussitt la vue du spectacle

    macabre qui soffrait eux. OReilly avait raison, ils se trouvaient dsormais dans ungigantesque laboratoire domin par un norme serveur central.

    Le seul moyen dentrer ou de sortir de cette pice tait demprunter la porte quilsvenaient de passer, et comme le reste de la base, chaque pice dquipement avait tsauvagement dtruite, anantie de faon ne jamais plus pouvoir tre rpare.

    Mais ce qui avait soulev lestomac des soldats tait la trentaine de cadavres jets entas de chaque ct de lentre. Leur uniforme les identifiait tous comme des membres delAlliance. Gisaient l les gardes et les scientifiques massacrs dans le complexe entier.Lquipe dAnderson savait dsormais o taient passes les dpouilles des victimesCela dit, le lieutenant ne comprenait toujours pas pourquoi les corps avaient tentreposs ici.

    On cherche des survivants, mon lieutenant ? lana Dah sans grand espoir. Attendez, lcha Anderson en levant la main pour signifier ses coquipiers de ne

    plus bouger. Ne faites plus le moindre geste. Bon Dieu, murmura OReilly, qui venait de reprer ce quAnderson avait aperu

    avant lui.La pice entire tait barde dexplosifs : pas de mines de proximit, non,

    dinnombrables charges explosives de plusieurs kilogrammes places stratgiquementdans tout le laboratoire. Les pices du puzzle entier sagencrent subitement dans lespritdAnderson.

    Il y avait suffisamment dexplosifs dans cette pice pour rduire nant tout ce qui sytrouvait, cadavres y compris. Voil pourquoi les mercenaires avaient t si consciencieuxdans leur collecte funbre : si tout sautait, personne ne pourrait plus identifier les corps,et le tratre de Sidon pourrait se faire passer pour mort. Il naurait plus ensuite quchanger didentit puis vivre de sa prime sans jamais tre inquit par les autorits.

    Un lger bip fit prendre conscience Anderson quidentifier la taupe taitprobablement le cadet de leurs soucis.

    Une minuterie ! hurla OReilly, terrifi, dune voix criarde.

  • Cest lorsquune seconde plus tard un nouveau bip retentit que le lieutenantcompris que le mercenaire bless les avait pris au pige. Chaque seconde comptaitdsormais, et leur survie tous dpendait maintenant du prochain ordre quil allait leurdonner.

    Tandis que les bip continuaient de dfiler, Anderson analysa la situation : ladflagration allait tre surpuissante, bien plus quil nen aurait suffi pour dtruire lecomplexe souterrain tout entier. Ltage infrieur allait probablement seffondrer,condamnant lantichambre naturelle o se trouvait lascenseur. Mme sils taientsuffisamment loin de lexplosion pour y survivre, privs dair, ils toufferaient avant queles sauveteurs arrivent sur les lieux.

    OReilly tait un technicien hors pair, il pouvait dsarmer les bombes avant quellesnexplosent Si seulement, bien sr, ils trouvaient le dtonateur avant son activation, silny avait pas de systme de scurit annexe, si OReilly connaissait sur le bout des doigtsles systmes du fabricant de la machine, et si cette dernire navait pas t configurepour sactiver en cas de tentative de dsamorage

    Trop de si . Dsamorcer la bombe tant statistiquement inenvisageable, il ne leurrestait plus quune seule chose faire

    COUREZ !Rpondant sur-le-champ son ordre, ses deux compagnons virevoltrent et se rurent

    avec lui le long du couloir qui les ramnerait vers la sortie. Shay, Lee ! sgosilla Anderson sur leur frquence radio. lascenseur ! Tout de

    suite ! vos ordres, mon lieutenant ! hurla lun des deux soldats. Attendez-nous autant que possible, mais si je vous donne lordre de filer sans nous,

    pas de discussion ! Compris ?Silence. Anderson nentendait que le martlement des bottes renforces des soldats de

    lAlliance qui battaient le sol du couloir. Soldats, vous mentendez ? Si je vous dis de dgager, vous disparaissez quon soit l

    ou non ! A vos ordres, mon lieutenant, rpondit une voix rcalcitrante.Les trois combattants de lAlliance dvalaient le couloir toutes jambes, virant le

    souffle court chaque nouveau tournant, priant pour atteindre lascenseur avantlactivation du dtonateur qui menaait chaque seconde danantir le sous-sol entier. Pasle temps de guetter de potentielles embuscades : ils ne pouvaient quesprer quepersonne ne les attendrait la prochaine intersection.

    Entrant en trombe dans la salle o Anderson avait un peu plus tt ordonn Shay etLee de les attendre, la chance arrta de leur sourire : lartilleur Dah menait la course, seslongues jambes lui permettant de gagner chaque pas quelques centimtres davance ;elle devanait ses compagnons de deux mtres peine lorsquelle dboula dans la picesous une pluie de tirs darme lourde.

  • Le mercenaire survivant, un Butarien, les attendait. Il avait probablement atteint lasalle peu aprs que Shay et Lee eurent battu en retraite en direction de lascenseur.Depuis, il attendait patiemment, esprant sans doute prendre une revanche mesquineavant de mourir dans lexplosion.

    La puissance des coups de feu projeta Dah au sol, o elle seffondra lourdement avantde rebondir sur quelques mtres, propulse par son lan. Son corps tressaillit une demi-seconde, puis cessa de bouger.

    Anderson, le deuxime entrer dans la pice, chargea lennemi, son arme crachant unesalve destructrice. Ordinairement, il existait peu de choses plus suicidaires que de se ruersur un ennemi retranch quip dun fusil dassaut, mais le mercenaire, obnubil par lespectacle jubilatoire de Dah scroulant quelques pas de lui, ne regardait pas encore endirection dAnderson. Lorsquil tenta de se retourner pour fusiller le soldat enrag qui