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Institut d’Etudes Politiques de Paris ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO Programme doctoral Relations Internationales Centre d’Etudes et de Recherches Internationales (CERI) Doctorat de Science politique L’INTEGRATION REGIONALE ET SON INFLUENCE SUR LA STRUCTURE, LA SECURITE ET LA STABILITE D’ETATS FAIBLES L’exemple de quatre Etats centrafricains ANGELA MEYER Thèse dirigée par Monsieur le Professeur BERTRAND BADIE Monsieur le Professeur INGFRID SCHÜTZ-MÜLLER Soutenue le 13 décembre 2006

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  • Institut dEtudes Politiques de Paris ECOLE DOCTORALE DE SCIENCES PO

    Programme doctoral Relations Internationales

    Centre dEtudes et de Recherches Internationales (CERI)

    Doctorat de Science politique

    LINTEGRATION REGIONALE ET SON INFLUENCE SUR LA

    STRUCTURE, LA SECURITE ET LA STABILITE DETATS FAIBLES

    Lexemple de quatre Etats centrafricains

    ANGELA MEYER

    Thse dirige par Monsieur le Professeur BERTRAND BADIE

    Monsieur le Professeur INGFRID SCHTZ-MLLER

    Soutenue le 13 dcembre 2006

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    RESUME : Au Cameroun, au Gabon, en RCA et au Tchad, la stabilit se voit surtout menace par le fait que ces Etats ne sont pas suffisamment capables garantir la scurit de leurs populations. Ceci est entre autre mettre en rapport avec la nouvelle conception largie de la scurit. Face lampleur de certains dfis ou leur nature transnationale, lEtat prsente un acteur non appropri pour rpondre lensemble des besoins scuritaires de ses ressortissants. Cette tude vise montrer que le rgionalisme pourrait permettre une approche adquate pour parer aux menaces de dstabilisation. En Afrique centrale, il se pose cependant le problme que malgr leur relance dans les annes 1990, les processus de rgionalisation nont toujours pas permis de dgager les capacits ncessaires pour une approche efficace des dfis contemporains. Ceci peut non seulement sexpliquer par lorientation conomique mais surtout aussi par la structure intergouvernementale des deux organisations rgionales, la CEMAC et la CEEAC. En accordant une place prdominante aux reprsentants des Etats, ces processus ne semblent pas avoir t adapts au nouveau contexte international et aborder les questions pertinentes pour la scurit humaine. En se fondant sur une analyse des thories du rgionalisme et en faisant appel lexemple de la SADC et de la CEDEAO, cette tude cherche montrer quune ouverture des structures rgionales aux acteurs non-tatiques pourra constituer une voie pour rendre le rgionalisme plus performant sur le plan scuritaire et renforcer son effet sur la stabilit. Ainsi serait-il possible denvisager le passage de ltat de coopration une logique dintgration rgionale.

    TITRE EN ANGLAIS: Regional Integration and its impact on structure, security and stability of weak states. The case of four central African states. MOTS-CLES: Intgration rgionale Rgionalisme Rgionalisation Afrique centrale Cameroun Gabon Rpublique centrafricaine Tchad Etats faibles CEMAC CEEAC Scurit Scurit humaine Stabilit. KEY WORDS : Regional Integration Regionalism Regionalisation Central Africa Cameroon Gabon Central African Republic Chad Weak States CEMAC CEEAC Security Human Security Stability. INTITULE ET ADRESSE DU LABORATOIRE OU LA THESE A ETE PREPAREE: Centre dEtudes et de Recherche Internationales (CERI) 56, rue Jacob 75006 Paris

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    REMERCIEMENTS

    Cette thse a t encadre par un contrat de co-tutelle et a t dirige conjointement

    lInstitut dEtudes Politiques de Paris et lUniversitt Wien, Vienne en Autriche. Elle est

    en mme temps le fruit dun profond travail de recherche qui a t men, non seulement en

    Europe, en France et en Autriche, mais surtout en Afrique, dans le cadre de deux sjours de

    terrain, dont lun au Cameroun et lautre dans la capitale de la Rpublique centrafricaine,

    Bangui.

    Je profite de cette occasion, pour exprimer ma grande reconnaissance aux personnes qui

    mont accompagne au cours de mon tude.

    A mes deux directeurs de recherche

    Monsieur le Professeur Bertrand Badie, pour le grand intrt quil a prt ds le dbut

    mes recherches, pour les conseils, les pistes de rflexion et les encouragements quil ma

    toujours donns, pour sa disponibilit constante, et pour son soutien dans la prparation de

    mes sjours de terrain.

    Monsieur le Professeur Ingfrid Schtz-Mller, pour son soutien pendant cette thse, mais

    aussi tout au long de mon parcours acadmique, pour son intrt pour mes recherches, et pour

    avoir t toujours disponible lorsque javais besoin de son conseil.

    A toutes les personnes qui mont aide pendant mes sjours en Afrique, et en particulier

    Monsieur le Professeur Luc Sindjoun, Universit Yaound II, pour son aide dans la

    prparation de mon sjour au Cameroun, pour les possibilits quil ma offertes pour mener

    bien mes recherches, et pour son invitation la confrence de lAAPS.

    M. Jean-Claude Esmieu, Ambassadeur, Chef de la Dlgation de la Commission

    Europenne en Rpublique centrafricaine, qui ma accueillie la Dlgation, qui a port

    beaucoup dintrt mes recherches et ma aid dans lorganisation de mes activits de

    recherche Bangui.

    Mme Fiona Ramsey, Chef de la Section Intgration rgionale la Dlgation europenne en

    Rpublique centrafricaine, pour le temps quelle a consacr la discussion avec moi et pour

    ses rponses mes questions.

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    Mlle Laurianne Comard, Charge de Programme la Dlgation europenne en Rpublique

    centrafricaine, pour son accueil chaleureux et son hospitalit Bangui, pour son aide dans

    mes recherches et les multiples discussions que jai menes avec elle.

    A ma famille et mes amis

    Mes parents, Hans-Friedrich et Ursula Meyer, et ma sur Alexa qui ont toujours t l

    pour moi et qui mont permis de mener bien lensemble de mes tudes, non seulement grce

    leur soutien financier mais surtout lappui quils mont toujours apport.

    Mes amis, Amandine Gnanguenon et Mathieu Lafon, qui ont sacrifi beaucoup de temps

    la correction et aux discussions avec moi.

    Et Gregor Giersch, qui ma encourage, ds le dbut, dans mon projet, qui a toujours montr

    beaucoup dintrt et de comprhension pour mes recherches et qui a toujours t pour moi

    dun grand soutien quand jen avais besoin.

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    TABLE DES MATIERES

    REMERCIEMENTS 3 TABLE DES MATIERES 5 LISTE DES DOCUMENTS DE LANNEXE 11 LISTE DES ABREVIATIONS 13

    INTRODUCTION 15

    INTRODUCTION 16 1. PROBLEMATIQUE ET FORMULATION DE LA QUESTION DE RECHERCHE ET DE LA THESE CENTRALE : DE LA NECESSITE DADAPTER LE CHAMP THEORIQUE AU

    NOUVEAU CONTEXTE DE SECURITE 16 2. OPERATIONNALISATION, APPROCHE METHODOLOGIQUE ET OBJECTIF 35 3. ANNONCE DE PLAN 46

    PREMIERE PARTIE 49

    PREMIERE PARTIE: PROBLEMES DE STABILITE, DEFICITS DE SECURITE ET

    LIMPUISSANCE DES ETATS 50 1. CHAPITRE : UNE STABILITE MENACEE : ETUDE ET APERU DES QUATRE ETATS

    CENTRAFRICAINS 52 1.1. Le Gabon : la fin de l Emirat subsaharien ? 53 1.1.1 Le dclin dune conomie couronne de prosprit 54 1.1.2. Une socit de taille rduite mais de plus en plus fragmente 56 1.1.3. Une dmocratisation manque : la persistance de traits no- patrimoniaux dans la vie politique gabonaise 61 1.2. Le Cameroun : un microcosme en dsquilibre 65 1.2.1. Une politique dquilibre ethnique de moins en moins applicable 67 1.2.2. Les rpercussions de la crise : une rsolution coteuse 71 1.2.3. La proximit de zones de conflits 77 1.3. La Rpublique centrafricaine : une cendrillon dsenchante 79 1.3.1. Le syndrome de la dpendance 79 1.3.2. La scurit et la stabilit de la Rpublique centrafricaine menaces sur trois fronts 84 1.3.2.1. Le problme de lentretien des forces armes 84 1.3.2.2. La situation prcaire de la population 89 1.3.2.3. La Centrafrique et le risque de dstabilisation par la guerre et les armes 92

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    1.4. Le Tchad : la fin des annes de poudre et de sang ? 97 1.4.1. Entre dmocratisation et fragmentation sociale 99 1.4.2. Terminer la guerre 102 1.4.3. Le Tchad face la hantise du ptrole ? 106 2. CHAPITRE : LA STABILIT : UNE QUESTION DE SCURIT 111 2.1. Bilan et synthse : la problmatique de lEtat faible 111 2.2. La stabilit tatique : analyse et conception dun modle explicatif 115 2.2.1. Du rle de lEtat en tant que garant scuritaire 115 2.2.2. De la scurit la stabilit dun systme politique 120 2.2.3. La stabilit 122 3. CHAPITRE : LES DEFICITS DES ETATS CENTRAFRICAINS EN TANT QUACTEURS SECURITAIRES : MISE EN LUMIERE, RAISONS, CONSEQUENCES 125 3.1. Une nouvelle mise en lumire de la faiblesse des Etats 125 3.1.1. Les annes quatre-vingt-dix et la libralisation des instruments de dnonciation 125 3.1.2. Une inscurit interne croissante qui atteint aussi les institutions tatiques 128 3.1.3. LEtat, producteur dinscurit 128 3.2. Les activits politico-scuritaires insuffisantes : une approche explicative 132 3.2.1. La raison dtre des Etats centrafricains : du problme de transposer Hobbes 133 3.2.2. Les structures politiques : entre manque de capacits, clientlisme et no-paternalisme 136 3.2.3. La redfinition du concept de scurit 139 3.3. Les stratgies ractives : les socits face un Etat, faible garant scuritaire 145 3.3.1. La stratgie solitaire et les risques de leffritement anomique des liens sociaux 145 3.3.2. Le dtournement vers des sources scuritaires tierces : dfi ou dcharge ? 152 3.4. Bilan 162

    DEUXIEME PARTIE 166

    DEUXIEME PARTIE: LA CONSTRUCTION REGIONALE EN AFRIQUE

    CENTRALE, REPONSE AUX DEFIS SECURITAIRES 167 1. CHAPITRE : LE RISQUE DE DESTABILISATION : COMMENT REPONDRE ? 170 1.1 Du renforcement des structures tatiques grce une rgulation exogne 170 1.1.1. La Communaut internationale et le problme des Etats faibles 170 1.1.2. Loption du renforcement structurel 171 1.1.3. Intervention et Capacity-building : tournant ou continuit ? 174 1.2. Le renforcement des structures une solution douteuse 179 1.3. Quelle approche lEtat faible et la scurit humaine ? 183 2. CHAPITRE : POURQUOI LE REGIONALISME : INTRODUCTION DUNE REPONSE ENVISAGEABLE 187

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    2.1. Clarifications conceptuelles 187 2.1.1. Rgionalisme et Rgionalisation une diffrentiation souvent ambigu ou nglige 187 2.1.2. La rgion une maison mi-chemin entre lEtat-nation et un monde qui nest pas prt en devenir un 190 2.2. La rgion en tant que structure dordre 197 2.3. Lapproche rgionale, une solution aux problmes relvs ? 201 2.3.1. La question de la raison- dtre 201 2.3.2. La question des moyens : disponibilit et emploi 202 2.3.3. Llargissement du concept de scurit 204 3. CHAPITRE : LE REGIONALISME CENTRAFRICAIN 206 3.1. La CEMAC et la CEEAC 206 3.1.1. Historique 206 3.1.2. Les deux organismes : une prsentation brve 212 3.1.2.1. La Communaut Economique et Montaire de lAfrique Centrale (CEMAC) 212 3.1.2.2. La Communaut Economique des Etats de lAfrique Centrale (CEEAC) 218 3.1.3. Bilan du fonctionnement 224 3.1.3.1. Un intergouvernementalisme prdominant, une approche supranationale hsitante et le problme du manque de volont 225 3.1.3.2. Une capacit de contrle et de sanction peu importante 229 3.1.3.3. La dpendance sur le plan financier 231 3.1.3.4. Un engagement limit des Etats qui peut surprendre 234 3.2. Le rgionalisme en Afrique centrale et la scurit : lexemple de la FOMUC 236 3.2.1. De la MISAB la MINURCA : une chronologie 237 3.2.2. La FOMUC aujourdhui 243 3.2.3. La contribution de la FOMUC la scurit et la stabilit 245 3.3. Les faiblesses de la CEMAC et de la CEEAC dans la consolidation de la scurit et de la stabilit 254 3.3.1. Une mise en rapport avec le potentiel du rgionalisme 255 3.3.1.1. La question de la raison dtre 255 3.3.1.2. Le Rgionalisme en Afrique centrale : vers un partage de moyens et defforts ? 257 3.3.1.3. Le rgionalisme en Afrique centrale face au nouveau concept de scurit 259 3.3.2. Bilan 262

    TROISIEME PARTIE 267

    TROISIEME PARTIE : LA FONCTION SECURITAIRE DU REGIONALISME ENTRE

    THEORIES CLASSIQUES ET NEO-REGIONALISME 268 1. CHAPITRE : LES THEORIES CLASSIQUES 271

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    1.1. Promouvoir la scurit par la voie rgionale : une conception ancienne 271 1.2. Le potentiel politico- scuritaire du rgionalisme selon les thories classiques 273 1.2.1. Le Fonctionnalisme 273 1.2.2. Le No-Fonctionnalisme 278 1.2.3. Le Transactionnalisme et les communauts de scurit 282 1.3. Mise en rapport des thories avec le cas des Etats africains 285 1.3.1. La faiblesse de la capacit dagir et la menace de linstabilit interne 288 1.3.2. Des changes intrargionales faibles et une influence trangre considrable 290 1.3.3. Une volont insuffisante du ct des Etats 292 1.3.4. La question du transfert de droits souverains 294 1.3.5. La question des acteurs impliqus 296 1.4. Bilan 298 2. CHAPITRE : LES NOUVELLES APPROCHES DU REGIONALISME 300 2.1. Un nouveau contexte international, de nouvelles approches thoriques 300 2.1.1. Un ordre mondial incertain 300 2.1.2. La mise en question de lapplicabilit des thories classiques 304 2.1.2.1. La critique des diffrents courants existants 304 2.1.2.2. Vers un renouvellement analytique du rgionalisme 309 2.2. Le rgionalisme et sa pertinence pour la scurit : une approche par le New Regionalism 315 2.2.1. La scurit et sa dimension subjective 315 2.2.2. La pertinence du rgional pour la consolidation de la scurit 322 2.2.3. Les difficults dappliquer le New Regionalism Approach au cas du rgionalisme formel en Afrique centrale 328 3. CHAPITRE : LA REDECOUVERTE DES RESEAUX SOCIAUX 336 3.1. La rgionalisation par le bas : approches dun phnomne 336 3.1.1. Une approche chronologique 336 3.1.2. Une approche sectorielle 341 3.2. Le rgionalisme informel en Afrique centrale 344 3.2.1. Les marchs transfrontaliers camerounais et les zones dchanges commerciaux 345 3.2.2. La dimension criminelle des mouvements rgionaux par le bas : effets transtatiques des conflits en Afrique centrale 351 3.2.3. Les faibles tentatives de coopration au niveau des socits civiles lexemple des mouvements lgard de la construction de loloduc tchado-camerounais 354 3.3. La pertinence de la coopration rgionale transtatique pour la scurit 358 3.3.1. Les mouvements rgionaux informels- une menace pour la scurit 358 3.3.2. Les avantages par rapport aux processus intergouvernementaux 364 3.3.3. Les dynamiques informelles : quelle contribution relle la scurit ? 367 3.4. Bilan 371

  • 9

    QUATRIEME PARTIE 375

    QUATRIEME PARTIE : LE REGIONALISME CENTRAFRICAIN ENTRE POTENTIEL ET

    REEL : DISCUSSION DUNE RECOMPOSITION DU RAPPORT ENTRE DIMENSION

    FORMELLE ET DIMENSION INFORMELLE POUR UNE MEILLEURE CONTRIBUTION A

    LA SECURITE 376 1. CHAPITRE :LE REGIONALISME CENTRAFRICAIN ENTRE POTENTIEL ET REEL 379 1.1. Le rgionalisme et son potentiel sur le plan scuritaire 379 1.1.1. Les avantages dune approche rgionale par rapport lunilatralisme 379 1.1.2. Le potentiel du rgionalisme centrafricain : une mise en application 381 1.2. Les contributions relles du rgionalisme centrafricain: quelle pertinence face aux menaces de dstabilisation des Etats ? 385 1.2.1. La question de la rceptivit et de la responsivit 385 1.2.2. Limpact du rgionalisme sur les trois facteurs de dstabilisation 386 1.3. Bilan et rflexions sur une solution possible 389 1.3.1. La pertinence de lapproche par le bas 389 1.3.1.1. Des contraintes une contribution forte sur le plan scuritaire 389 1.3.1.2. Une contribution effective ambigu 392 1.3.2. La pertinence dune nouvelle mise en rapport des deux approches pour accder un rgionalisme plus performant dans son ensemble 394 1.3.3. Le rapport actuel entre les deux dimensions : une relation fonde sur une logique de substitution 398 2. CHAPITRE : LAPPROCHE PAR LE MODELE DE LA GOUVERNANCE A NIVEAUX MULTIPLES 404 2.1. Lapproche de la gouvernance niveaux multiples 404 2.1.1. Brve prsentation 404 2.1.2. La dimension descriptive de lapproche 405 2.1.3. La valeur analytique de lapproche de la multi-level governance 408 2.1.3.1. Trois raisons pour expliquer le transfert de pouvoir 409 2.1.3.2. Les canaux dimplication directe et le contournement de la dimension tatique 410 2.1.4. Applicabilit au cas centrafricain 413 2.1.4.1. De lide du transfert du pouvoir aux autres niveaux par les Etats 413 2.1.4.2. De lide de limplication directe 414 2.2. La pertinence de cette approche et son applicabilit au cas centrafricain 416 2.2.1. La perception unitaire de la rgion 416 2.2.1.1. Les avantages dune perception unitaire 416 2.2.1.2. Les faiblesses des processus de dcentralisation en Afrique centrale 418 2.2.2. Loption dune intgration plus importante de la socit civile 420

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    2.2.2.1. Une socit civile dynamique, mais en manque de structures et dorientation 421 2.2.2.2. La problmatique de la dichotomie entre Etat et socit 421 2.2.2.3. Les menaces de dsintgration au niveau territorial 427 3. CHAPITRE : LA CEDEAO ET LA SADC: DES MODELES A SUIVRE ? 431 3.1. La CEDEAO et la SADC : deux organisations particulirement dynamiques 432 3.1.1. LAfrique de lOuest, lAfrique australe et lAfrique centrale, entre divergences et similitudes 432 3.1.2. LA SADC 435 3.1.3. La CEDEAO 439 3.2. Quelle contribution la scurit ? 445 3.3. Anticiper et rsoudre les facteurs de blocage 449 3.4. Bilan 452

    CONCLUSION ET SYNTHESE DES RESULTATS 460

    CONCLUSION ET SYNTHESE DES RESULTATS 461 COMPTE RENDU DES REFLEXIONS 461 LA REGIONALISATION, UN PROCESSUS DINTEGRATION 471

    ANNEXE 477

    BIBLIOGRAPHIE 514

  • 11

    LISTE DES DOCUMENTS DE LANNEXE

    CARTE 1: LE CONTINENT AFRICAIN

    CARTE 2: LE CAMEROUN, LE GABON, LA CENTRAFRIQUE ET LE TCHAD

    CARTE 3: LE GABON

    CARTE 4: LE CAMEROUN

    CARTE 5: LA CENTRAFRIQUE

    CARTE 6: LE TCHAD

    CARTE 7: LA ZONE CEMAC

    CARTE 8: LA ZONE CEEAC

    CARTE 9: LA ZONE SADC

    CARTE 10: LA ZONE CEDEAO

    CARTE 11: APPARTENANCES REGIONALES

    CARTE 12 : LES PRINCIPAUX MARCHES FRONTALIERS EN 1995

    REPERE HISTORIQUE 1: LA REPUBLIQUE DU GABON

    REPERE HISTORIQUE 2: LA REPUBLIQUE DU CAMEROUN

    REPERE HISTORIQUE 3: LA REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE

    REPERE HISTORIQUE 4: LE TCHAD

    TABLEAU 1: INDICATEURS GEOGRAPHIQUES ET DEMOGRAPHIQUES

    TABLEAU 2: INDICATEURS POLITIQUES

    TABLEAU 3 : INDICATEURS SOCIO-ECONOMIQUES

    FICHE RECAPITULATIVE 1: LA CEMAC

    FICHE RECAPITULATIVE 2: LA CEEAC

    FICHE RECAPITULATIVE 3: LES MISSIONS DE PAIX, DPLOYES EN REPUBLIQUE CENTRAFRICAINE DEPUIS JANVIER 1997

  • 12

    ORGANIGRAMME 1: LA CEMAC

    ORGANIGRAMME 2: LA CEEAC

    ORGANIGRAMME 4: LA CEDEAO

    TRAITE INSTITUANT LA CEMAC

    LISTE DES ENTRETIENS MENES

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    LISTE DES ABREVIATIONS

    AEF Fdration de lAfrique Equatoriale Franaise ALS Arme pour la Libration du Soudan BDEAC Banque de Dveloppement Economique de lAfrique Centrale BEAC Banque des Etats de lAfrique centrale BIT Bureau International du Travail BONUCA Bureau des Nations Unies en Centrafrique BRI Bataillon Rapide dIntervention BVMAC Bourse des Valeurs mobilires communes CBLT Commission du bassin du Lac Tchad CCI Contribution Communautaire dIntgration (CEEAC) CDS Commission pour le Dfense et la Scurit CEA Communaut Economique Africaine CEDEAO Communaut Economique des Etats de lAfrique de lOuest CEEAC Communaut Economique des Etats de lAfrique centrale CEMAC Communaut Economique et Montaire des Etats de lAfrique centrale CEPGL Communaut Economique des Pays des Grands Lacs CIISE Commission Internationale de lIntervention et de la Souverainet des

    Etats CGSL Confdration gabonaise des syndicats libres COBAC Commission Bancaire de lAfrique Centrale COPAX Conseil de Paix et de Scurit de lAfrique Centrale DGSN Dlgation Gnrale la Sret Nationale ECOMOG ECOWAS Monitoring Group FOMAC Force Multinationale de lAfrique Centrale FOMUC Force Multinationale de la CEMAC FOSCAO Forum de la Socit Civile de lAfrique de lOuest GATT General Agreement on Tariffs and Trade/ Accord gnral sur les tarifs

    douaniers et le commerce GPIG Groupement Polyvalent dIntervention de la Gendarmerie IAK Institut fr Afrika-Kunde (Institut de recherche sur lAfrique,

    Universitt Hamburg) ISDSC Inter-State Defence and Security Committee ISPDC Inter-State Politics and Diplomacy Committee MARAC Mcanisme dAlerte Rapide de lAfrique Centrale MESAN Mouvement pour lEvolution Sociale de lAfrique Noire MINURCA Mission des Nations Unies en Rpublique Centrafricaine MISAB Mission interafricaine de surveillance des Accords de Bangui MLC Mouvement de Libration du Congo NPF Clause de la nation la plus favorise OCDE Organisation de Copration et de Dveloppement conomique OMC Organisation Mondiale du Commerce OMS Organisation Mondiale de la Sant ONG Organisation non gouvernementale ONU Organisation des Nations Unies OPEP Organisation des Pays Producteurs et Exportateurs de Ptrole OPDS Organe pour les questions de Politique, de Dfense et de Scurit

  • 14

    OTAN Organisation du Trait de lAtlantique nord OUA Organisation de lUnit africaine PDG Parti Dmocratique Gabonais PGP Parti Gabonais du Progrs PMA Pays les moins avancs PNUD Programme des Nations Unies pour le Dveloppement PPA Parit du Pouvoir dAchat PSC Private Security Companies RCA Rpublique centrafricaine RECAMP Renforcement des Capacits africaines de Maintien de la Paix REPAC Rseau des Parlementaires de lAfrique centrale RDC Rpublique Dmocratique du Congo RDPC Rassemblement Dmocratique du Peuple Camerounais SADC Southern African Development Community SADCC Southern African Development Coordination Conference SADC CNGO Conseil des organisations non gouvernementales de la SADC SDF Social Democratic Front S.E.E.N.A Syndicat de lEducation Nationale SIPRI Stockholm International Peace Research Institute SWP Stiftung Wissenschaft und Politik/ Fondation Science et Politique TCI/P Taxe Communautaire dIntgration (CEMAC) UA Union Africaine UDE Union Douanire Equatoriale UDEAC Union Douanire des Etats de lAfrique centrale UEAC Union Economique de lAfrique centrale UMAC Union Montaire de lAfrique centrale UNDAF United Nations Development Assistance Framework UNDP Union Nationale pour la Dmocratie et le Progrs UNESCO United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization UPG Union du peuple gabonais

  • 15

    INTRODUCTION

  • 16

    INTRODUCTION

    1. PROBLEMATIQUE ET FORMULATION DE LA QUESTION DE RECHERCHE ET DE LA THESE CENTRALE : DE LA NECESSITE DADAPTER LE CHAMP

    THEORIQUE AU NOUVEAU CONTEXTE DE SECURITE

    Lanne 1998 a t marque, en Afrique centrale, par deux vnements importants.

    Lt de cette anne-l, la dcision du Prsident congolais, Laurent-Dsir Kabila, de

    rompre avec ses anciens allis qui lavaient soutenu lors de son coup dEtat un an auparavant,

    et de limoger les ministres dorigine tutsie, ainsi que dexpulser les effectifs rwandais de

    larme nationale, provoqua une rbellion des soldats banyamulenge. Soutenue par les

    gouvernements rwandais, ougandais et burundais, cette insurrection allait, peu aprs,

    dgnrer en un conflit sans prcdent.

    Le mois daot 1998 marque ainsi le dbut de la guerre en Rpublique dmocratique du

    Congo qui, en raison du support que recevaient les factions belligrantes de la part des Etats

    voisins, ou encore de limplication plus directe de ces derniers dans le conflit, est souvent

    appel la premire guerre africaine .

    Six mois auparavant, en fvrier 1998, les Chefs dEtat de la rgion staient runis dans la

    capitale gabonaise, Libreville, pour dcider, lors de la deuxime runion exceptionnelle de la

    Communaut conomique des Etats de lAfrique centrale (CEEAC), la relance de

    lorganisation, aprs une priode dinactivit de six ans. Alors que cet immobilisme peut

    prcisment tre expliqu par la situation dinstabilit et dinscurit que connaissait alors une

    grande partie des Etats centrafricains1, la reprise des activits communautaires exprime la

    volont des membres dorienter leur coopration davantage sur la rsolution commune des

    conflits et des tensions, en vue de recrer des conditions favorables au dveloppement de la

    rgion. Dans cette perspective, le mandat de lorganisation subit alors un largissement

    considrable, afin de lui permettre daborder aussi, part ses objectifs conomiques, des

    questions scuritaires.

    A premire vue, ces deux vnements peuvent certes paratre divergents, voire reflter

    deux visions antinomiques de lavenir de la rgion.

    1 Pour viter dventuelles confusions, ladjectif centrafricain sera employ, au cours de cette tude, dans un sens rgional (pour dsigner lAfrique centrale) et non pas national (par rapport la RCA)

  • 17

    Lclatement de la guerre au Congo et, plus gnralement, lintensification des tensions et

    des conflits lchelle rgionale manifestent le manque de capacits de ces Etats maintenir

    lordre lintrieur de leurs frontires et garantir le bien-tre et la prosprit de leurs

    ressortissants. Dans cette perspective, ces phnomnes donnent une image plutt pessimiste

    du dveloppement futur de lAfrique centrale. Notamment, la rapidit avec laquelle

    laggravation de la crise et lamplification du conflit au Congo ont eu lieu, peut conduire

    poser la question de savoir comment dautres pays de la rgion sauront viter un sort

    comparable.

    Le renouveau du rgionalisme, savoir le fait que des acteurs recommencent tablir des

    liens plus troits entre eux, intensifier leurs interactions, leur communication et leur

    coopration, par-del des frontires nationales, et mettent en uvre des activits et des

    politiques communes, afin datteindre un objectif commun, prsente, en revanche, un scnario

    plus optimiste. 2

    Cette reprise de lactivit rgionale en Afrique centrale ne se manifeste pas uniquement par la

    relance de la CEEAC en fvrier 1998, mais aussi par la cration, en 1994, de la Communaut

    conomique et montaire de lAfrique centrale (CEMAC), qui reprit, partir de 1999,

    officiellement les fonctions de lUnion douanire des Etats de lAfrique centrale (UDEAC).

    Cette volution indique ainsi une certaine volont des Etats de runir dsormais leurs efforts

    pour promouvoir le dveloppement et la stabilit de la rgion et de prendre ensemble en main

    leur avenir.

    LAfrique centrale et la nouvelle conception de la scurit

    Aussi diffrents que ces deux vnements peuvent ainsi paratre, le point commun qui

    semble toutefois les relier est leur rapport la nouvelle conception de la scurit, telle quelle

    a merg depuis la fin de la guerre froide. En effet, les deux faits expriment, chacun dune

    faon diffrente, le tournant que les rflexions sur le concept et la pratique de scurit ont pris

    au cours de la dernire quinzaine dannes.

    Un lment essentiel, qui distingue le conflit en RDC de la majorit des guerres qui ont eu

    lieu auparavant, notamment dans lre bipolaire, et qui, pour cette raison, sont souvent

    2 Tout au long de cette tude, nous adoptons une approche internationaliste des concepts de rgion, rgionalisme et rgionalisation. Nous entendons par rgionalisme le fait que des acteurs issus de cadre nationaux diffrents intensifient les relations et les contacts entre eux, en franchissant les frontires nationales. Le concept de rgionalisme se rfre la dimension thorique et conceptuelle de ce phnomne, tandis que la notion de rgionalisation se rapporte la dimension pratique et dsigne ainsi le processus mme, ainsi que les activits et les dynamiques qui y sont lies. Pour une discussion dtaille de ces concepts, voir le chapitre 2 de la deuxime partie de cette tude.

  • 18

    qualifies de guerres classiques , est que la dimension intergouvernementale est de moins

    en moins vidente et apparente. Autrement dit, malgr la qualification du conflit de guerre

    africaine et lintervention, plutt latente, de quelques Etats voisins, une confrontation

    directe, opposant le Congo un autre Etat, na jamais eu lieu ; la stabilit du pays ne sest

    donc pas en premier lieu vue menace par une attaque lance par un gouvernement hostile.

    Bien au contraire, la dstabilisation progressive de la RDC a bien plus t lie des facteurs

    endognes. Elle a notamment t le rsultat dactivits belligrantes de factions civiles,

    opposes au rgime et cherchant fragiliser systmatiquement lordre interne.3

    Dans cette optique, la guerre classique entre Etats ennemis semble, ici, avoir t remplace

    par un conflit de factions internes non-tatiques qui, soit se sont opposes lEtat et son

    arme nationale, soit ont fait la guerre entre elles, tout en dirigeant la violence largement

    contre la socit civile. Sous ces conditions, la faiblesse de lEtat sest donc moins manifeste

    par son infriorit en matire darmes, mais bien plus sous forme de son incapacit remplir

    suffisamment ses fonctions de garant de lordre et de la scurit internes.

    Dans ce contexte, la relance du rgionalisme centrafricain peut paratre comme une

    raction face au fait que lEtat ne semble donc plus tre un acteur adquat pour faire face,

    seul, ce nouveau type de dfi.

    La dcision des Chefs dEtat et de gouvernement de reprendre et dintensifier leurs

    activits rgionales reflterait, dans ces conditions, une certaine prise de conscience, savoir

    que dans les circonstances actuelles, la consolidation de la scurit nest plus cense passer

    par la voie de lopposition et de la confrontation, mais bien plus par celle de la coopration

    internationale. La multiplication des tensions dans la rgion, et notamment le conflit des

    Grands Lacs ont mis en vidence le ct transnational et rgional de la scurit. Linscurit

    dans un Etat peut facilement avoir des rpercussions nuisibles au niveau rgional, au point o

    elle peut prsenter un frein la coopration et au dveloppement rgionaux, comme la

    dailleurs montr lexemple de la CEEAC. Elle peut, en outre, faire preuve dun effet de

    contagion et menacer la situation des pays voisins. En plus, ces menaces ne demandent plus

    forcment une rponse nationale militaire, mais requirent souvent bien plus une approche

    3 Notons, toutefois, que les guerres civiles ne sont pas un phnomne nouveau sur le continent africain. LAngola, le Mozambique ou encore le Zimbabwe ont, par exemple, connu des tensions internes pendant les annes de la guerre froide. Force est, toutefois, de reconnatre que ces conflits ont par contre tout de mme fait preuve dune certaine dimension intertatique. Les factions ayant t soutenues par les grandes puissances, la confrontation bipolaire sest, en quelque sorte, projete sur ces conflits. Alors que, dans la guerre des Grands Lacs, les pays voisins de la RDC, notamment le Rwanda et lOuganda ont galement apport leur soutien aux diffrents groupes arms, il serait, nanmoins, faux de dire que ce conflit les aurait opposs entre eux. Autrement dit, le but recherch par ces Etats na pas t de saffaiblir mutuellement, mais plutt de tirer un profit maximal de la situation de conflit au Congo.

  • 19

    plus vaste et plus complexe, qui risque de dpasser les capacits que peut dployer un Etat

    seul.

    Dans cette mesure, ces deux vnements refltent la nouvelle conception post-bipolaire de

    la scurit et manifestent ainsi la pertinence de celle-ci pour la rgion de lAfrique centrale.

    La fin de la guerre froide et lvolution des relations internationales, ainsi induite, ont en effet

    permis une remise en question de lapproche scuritaire, telle quelle avait prvalue jusqu la

    fin des annes quatre-vingt-dix. La confrontation Est-Ouest et le risque latent de guerres

    internationales avaient favoris une approche sous un angle essentiellement national et

    militaire. La scurit avait ainsi t lie la dfense et la protection du territoire national

    contre toute incursion par un autre Etat. Par consquent, les tudes de scurit staient plus

    ou moins confondues avec les tudes stratgiques.4

    Lattnuation du risque de conflits internationaux et la baisse effective du nombre de guerres

    intertatiques dans le monde depuis 1989 ont par contre conduit dpasser cette approche

    restreinte et accder une conception plus large et plus ouverte de la scurit.5 Lvolution

    du contexte international a en effet encourag llaboration de nouveaux concepts, tels que

    celui de la Scurit humaine ou de la Scurit globale, ainsi que de revenir sur dautres, qui

    avaient dj t dvelopps auparavant, en vue de proposer une dfinition de la scurit plus

    adapte aux nouvelles circonstances.6 Les menaces ntant plus, en premier lieu, lies aux

    ambitions stratgiques dautres Etats, il sagissait de prendre davantage en considration les

    facteurs endognes, qui risquent de compromettre la stabilit. Par consquent, il a t question

    daccorder plus dimportance aux menaces et aux dfis scuritaires qui, jusqu prsent,

    avaient largement t relgus au second plan par les questions stratgiques. Ceci a

    notamment permis de mettre dsormais plus au centre les proccupations et les besoins des

    individus qui, jusqualors, avaient largement t assimils aux priorits scuritaires des Etats.

    La nouvelle attention accorde lindividu conduit par consquent concevoir la scurit de

    plus en plus comme la satisfaction des besoins de celui-ci et la garantie de son bien-tre. Dans 4 Dans une telle optique, Stephen WALT lie les tudes de scurit essentiellement au phnomne de la guerre. Ainsi, les dfinit-il comme the study of the threat, use and control of military force Voir : Stephen WALT. The Renaissance of Security Studies. International Studies Quarterly, 1991, vol. 35, n2, pp. 211 239 (p. 212) Voir, cet gard, aussi : Alex MACLEOD. Les tudes de scurit : du constructivisme dominant au constructivisme critique. In : Cultures & Conflits, 02/2004, n54, pp. 13-51. 5 Selon le STOCKHOLM INTERNATIONAL PEACE RESEARCH INSTITUTE (SIPRI), en somme, seulement trois guerres intertatiques auraient t menes dans la priode entre 1990 et 2000, savoir celles entre lIrak et le Kowet, entre lInde et le Pakistan et entre lEthiopie et lErythre. STOCKHOLM INTERNATIONAL PEACE RESEARCH INSTITUTE. SIPRI Yearbook 2000, Armaments, Disarmament and International Security. Oxford 2000. 6 Le concept de la Scurit humaine a t propos en 1994 par le Programme des Nations unies pour le Dveloppement dans son rapport annuel. Nous reviendrons plus en dtails sur ce concept dans le chapitre 3.2.3. de la premire partie de cette tude.

  • 20

    ce contexte, les dfis qui sont dsormais mis au centre et dont lapproche parat effectivement

    pertinente pour le maintien de la stabilit et de lquilibre internes, notamment en Afrique

    centrale, comme sur le continent entier, proviennent donc en premier lieu de facteurs, tels que

    la croissance de la pauvret, la dgradation de lenvironnement, la violation des liberts et des

    droits fondamentaux, ou encore dautres aspects qui peuvent compromettre les conditions de

    vie.

    Au regard de cette nouvelle conception de la scurit, il semble ncessaire de reposer la

    question dune approche approprie, ce qui, en loccurrence, mne reconsidrer le rle de

    lEtat dans les tudes de scurit. Dans la plupart des thories classiques, il stait en effet vu

    attribu une position centrale, la fois en tant que principale unit de rfrence, et comme

    premier garant scuritaire. Dans les nouvelles circonstances, induites par la fin de la guerre

    froide et le nouveau contexte international, une telle prdominance de lEtat ne semble

    toutefois plus vritablement justifie et adapte.

    Premirement, la souverainet ne prsente plus le premier bien protger. Par consquent,

    ce nest donc plus la survie de lEtat qui se voit menace, mais bien plus celle de ltre

    humain.

    Cette nouvelle concentration sur lindividu conduit largir le concept et augmente en

    mme temps les attentes normatives vis--vis de lEtat. En effet, si, suivant la conception

    traditionnelle de la scurit, lEtat prsente le premier garant scuritaire pour sa population, la

    nouvelle attention attribue des menaces, autres que militaires, tend considrablement le

    champ de domaines dans lequel lEtat devrait agir pour satisfaire les besoins scuritaires de

    ses ressortissants.

    A ceci sajoute que la nature transnationale de la scurit, et notamment le fait que certains

    dfis ne se trouvent plus forcment lis un contexte national prcis, mais peuvent

    transgresser les frontires nationales, demandent lEtat une approche qui risque de dpasser

    les capacits quil serait en mesure de dployer.

    Finalement, au regard de la dimension globale quelle prsente dans ces conditions, la

    scurit parat de plus en plus comme une valeur et un bien communs. Une conception de

    lEtat en tant que premier agent scuritaire parat alors peu adapte et justifie.

    En considration de cette rvision conceptuelle de la scurit, et notamment de la

    vulnrabilit que la rgion de lAfrique centrale prsente face ces nouvelles menaces, il se

    pose ds lors la question dune rponse ce nouveau scnario dinscurit. Comment viter

    que dautres Etats de cette zone qui prsentent dores et dj quelques symptmes de faiblesse

  • 21

    et de dysfonctionnement ne subissent un destin comparable celui de la Rpublique

    dmocratique du Congo ou encore du Rwanda et du Burundi ? Comment aborder les risques

    actuels en matire de scurit et de stabilit, alors quune approche unilatrale parat de moins

    en moins approprie ?

    A la recherche dune approche adapte la nouvelle conception scuritaire

    La reconceptualisation de la scurit cre un certain dsaccord, voire une rupture avec les

    tudes traditionnelles de scurit. En effet, les thories, les approches et les modles, labors

    dans le contexte de la confrontation Est-Ouest pour expliquer les modes de rgulation et de

    recherche de la scurit, au sein du systme international comme au niveau rgional, ne

    semblent plus vraiment adapts pour analyser la situation actuelle.

    Les thories du Ralisme et du No-Ralisme avaient essay dexpliquer comment, dans

    le systme international bipolaire, la scurit et la paix pouvaient tout de mme tre atteintes

    et, du moins temporairement, maintenues, malgr la confrontation permanente des deux blocs

    et le risque latent dun conflit. 7 Une synthse des ides principales, avances par les diffrents

    courants considrs comme appartenant lcole raliste, permet de donner un aperu gnral

    de cette approche et de mettre en relief sa conception de la scurit.8

    Cette conception repose, tout dabord, sur trois postulats.

    Les auteurs ralistes adoptent, premirement, une vision anarchique des relations

    internationales, ce qui les amne concevoir le systme international sous forme dune

    juxtaposition dEtats. Il nexisterait, par consquent, aucune autorit subordonne aux Etats

    qui pourrait coordonner les interactions de ceux-ci.

    Dans un tel systme international dsordonn, chaque Etat chercherait donc amliorer sa

    position et augmenter sa relative supriorit en matire de puissance, par rapport aux autres.

    De ces deux prsupposs dcoule, par consquent, quaucun Etat nest en mesure de prdire

    les intentions des autres. En revanche, il doit prsumer, tout instant, que lautre serait en

    train de renforcer ses capacits militaires et chercherait ainsi laffaiblir et le dominer. Une

    telle mfiance, mutuelle et permanente, mne ce que les relations internationales se

    7 Nous nous servirons par la suite des parenthses pour mieux mettre en vidence la diffrence entre, dune part les doctrines de lEcole raliste en gnral, qui se retrouvent aussi dans le courant no-raliste (que nous dsignerons alors de (no-) ralistes) et, dautre part, les ides propres au No-Ralisme (pour lesquelles nous nemploierons alors pas de parenthses). 8 Pour lanalyse du Ralisme et du No-Ralisme, voir: Dario BATTISTELLA. Thories des relations internationales. Paris: Presses de Sciences Po, 2003, 511 p. (notamment les chapitres 4, Le paradigme raliste, et 14, La scurit); et Heinz GRTNER. Modelle europischer Sicherheit. Wie entscheidet sterreich? Wien: Braumller, 1997, 158 p. ; ainsi que les ouvrages cits.

  • 22

    droulent constamment lombre de la guerre .9 Toute tentative dun Etat daugmenter sa

    puissance militaire signifie, par consquent, toujours une menace potentielle pour la scurit

    nationale des autres. Elle demande de chacun une raction approprie et la poursuite dun

    gain relatif par rapport ladversaire.10

    Une telle situation mne, dans un premier temps, un cercle vicieux. Etant donn que

    chaque mesure dun Etat, visant renforcer ses capacits militaires est perue par un autre

    comme une menace potentielle pour sa scurit nationale, elle donne lieu une rponse

    immdiate de celui-ci et lincite augmenter, de mme, ses propres forces. Ainsi dmarre une

    spirale action-raction , qui risque de conduire une course aux armements sans fin, ou

    ce que les (no-) ralistes appellent un dilemme de la scurit : la poursuite de la scurit

    de lun prsente donc une menace pour celle de lautre.

    Dans ces conditions, la scurit se prsente en premier lieu comme une question nationale.

    Elle dpend ds lors de la capacit de lEtat faire face aux menaces provenant des autres

    Etats et dfendre sa souverainet, son territoire et ses frontires contre toute sorte

    dingrence externe. Il se cre, par consquent, un climat de lutte et de comptition

    internationales, dans lequel un tat de scurit perptuelle semble inaccessible.

    Si le systme fait toutefois preuve dune certaine stabilit interne, cette situation peut

    principalement tre explique par une logique de dissuasion, qui serait cense se dvelopper

    au cours du temps. Lincertitude et la mfiance continuelles, propres au systme anarchique,

    forceraient chaque Etat se tenir prt, tout instant, une attaque ventuelle par une autre

    nation. Il aurait donc intrt ce que stablisse un certain quilibre entre les forces dont

    dispose son adversaire, et les siennes. Mme dans le cas dune offensive impliquant lusage

    darmes de destruction massive, il devrait ainsi toujours tre en mesure de rpondre par une

    riposte quivalente. Si une telle logique menait dabord une considrable course aux

    armements, elle serait cense conduire, progressivement, une politique concerte de gestion

    darmements. In fine, elle aboutirait un dialogue permanent entre les adversaires, qui

    chercheraient alors atteindre une situation o leurs capacits militaires se correspondent plus

    ou moins mutuellement, et o il ny aurait donc pas de supriorit de lun sur lautre. Une

    9 Kenneth WALTZ forge cet gard le concept de self-help-system , du systme dautoprservation pour exprimer que tout Etat ne peut que compter sur lui pour garantir sa scurit. Kenneth WALTZ. Theory of International Politics. Reading, MA : Addison-Wesley, 1979, 251 p. 10 Venons rapidement la diffrence qui existe entre lcole raliste et lcole no-raliste. Alors que toutes deux considrent lEtat comme lacteur central, les auteurs no-ralistes, tels que Kenneth WALTZ, avaient surtout mis laccent sur la position de celui-ci au sein du systme international. Ce faisant, ils avaient essay dexpliquer les activits dun dirigeant politique comme tant influences par et comme rpondant au comportement des autres Chefs dEtat. Les Ralistes avaient prt moins attention ce facteur dinfluence externe des ambitions de pouvoir des Etats.

  • 23

    telle situation de certitude dissuaderait tout Etat de recourir lusage de la force car il saurait

    alors que lautre serait toujours en mesure de rpondre. Elle permettrait ainsi de maintenir

    lquilibre, une fois celui-ci tabli.

    En ce sens, le fait que les annes de la guerre froide naient effectivement connu aucun

    conflit ouvert entre les deux superpuissances serait, principalement expliquer par ce que les

    relations entre celles-ci se seraient finalement caractrises par un rapport de force et de

    contre-force.11

    Considrant les mutations du contexte international et de la rvision conceptuelle de la

    scurit de laprs-guerre froide, qui sen est suivie, lapplication de cette approche pour

    expliquer la scurit semble quelque peu inadapte dans les circonstances actuelles. Si, certes,

    elle se voit en premier lieu remise en question par le fait que le principal danger prsuppos

    par ces auteurs la guerre internationale semble aujourdhui de moins en moins probable et

    menaant, la pertinence du (No-) Ralisme pour aborder la scurit, et notamment la

    situation en Afrique centrale, peut paratre discutable encore pour bien dautres raisons.

    Premirement, ces modles semblent inapplicables un cas o la menace ne provient pas

    de la puissance des Etats mais bien au contraire de leur faiblesse. Si, dans la conception (no-)

    raliste, ce fut prcisment laugmentation de son pouvoir par un Etat qui mettait en danger la

    scurit des autres, la situation actuelle montre bien que cest plutt une capacit dagir

    limite qui pose problme. Aujourdhui, le danger mane plus du fait quun Etat ne soit plus

    en mesure de maintenir lordre dans son territoire et fasse donc preuve de faiblesse ainsi que

    de dficiences dans son fonctionnement.

    A ceci sajoute, deuximement, que la conception statocentrique du systme mondial et la

    concentration sur lEtat, comme principale unit de rfrence, semblent incompatibles avec

    llargissement que le concept de scurit vient de subir depuis la fin de la guerre froide.

    Effectivement, une telle approche restreint le champ dacteurs scuritaires et ne concorde, par

    consquent, pas avec la nouvelle prise en compte de lindividu en tant quobjet de rfrence.

    Dans les tudes scuritaires classiques, ltre humain avait seulement t considr dans son

    rle de citoyen, et ses besoins en matire de scurit avaient, de ce fait, t assimils la

    protection du territoire national contre les incursions hostiles. Une telle approche limite ne

    concide cependant plus avec la nouvelle attention donne aujourdhui la dimension

    individuelle de la scurit.

    11Tout au long de la guerre froide, un tel quilibre des forces tait, en large mesure, rendu possible par le principe de la dissuasion nuclaire. En cas dune attaque nuclaire par une des deux puissances, lautre tait toujours en mesure de riposter par un contre-coup, notamment grce au stationnement de missiles intercontinentaux sur des sous-marins, hors du territoire national.

  • 24

    Troisimement, la ncessit de prendre davantage en compte lindividu ainsi que ses

    besoins et proccupations sur le plan de la scurit, afin daccder une image plus complte

    de la scurit, conduit la mise en relief de menaces qui ne correspondent plus la dfinition

    soutenue par les auteurs (no-) ralistes, vu quelles ne touchent plus directement la survie de

    lEtat concern. En outre, elles demandent une approche autre que laugmentation des

    capacits militaires nationales.

    Enfin, la similitude de ces menaces, notamment lchelle rgionale, ainsi que la

    possibilit de leur extension transnationale mettent en doute la logique de la confrontation et

    rendent dautant plus pertinente une approche fonde sur la coopration et la solidarit.

    En raison de cette incompatibilit de la doctrine (no-) raliste avec la rvision

    conceptuelle et llargissement de la notion de scurit, ces approches ne permettent plus

    danalyser la nouvelle situation scuritaire. Pour cette raison, elles ne donnent plus de rponse

    adquate comment aborder les nouvelles menaces.

    Dans cette perspective, il parat donc ncessaire de chercher adapter le champ thorique

    au nouveau contexte de scurit.

    En vue du dernier lment mentionn ci-dessus, savoir la similitude des nouvelles menaces

    et leur capacit transgresser les frontires nationales, il semble interessant de rechercher un

    lien entre lapproche du rgionalisme et les tudes de scurit, et dessayer de mettre

    davantage en vidence la pertinence de lapproche rgionale dans le contexte scuritaire

    actuel. La question qui se pose alors est celle de savoir comment ce lien pourrait bien se

    prsenter. Comment et sous quelle forme le rgionalisme pourrait donc constituer une

    approche approprie la solution durable et effective des problmes scuritaires actuels ?

    La coopration et le rgionalisme et leur pertinence sur le plan de la scurit : une approche

    adapte au contexte actuel ?

    Loption dalliance, une chelle rgionale et des fins scuritaires, se retrouve par

    ailleurs aussi dans lapproche no-raliste. Effectivement, cette ide nest pas incompatible

    avec les principes fondamentaux du No-Ralisme.

    Les raisons qui incitent des Etats renoncer une approche unilatrale et consentir entrer

    dans un rapport dalliance avec dautres peuvent, selon les auteurs (no-) ralistes, tre

    diverses.

    Loption de lalliance comme stratgie politique pour maintenir une situation de stabilit

    trouve une premire expression dans le concept de lquilibre des pouvoirs, de la balance of

    power . Selon ce principe, pour prserver lquilibre qui serait cens stablir

  • 25

    progressivement entre les puissances, un Etat aurait intrt sallier une nation plus faible,

    si celle-ci se voyait menace par une autre. Une telle opposition ingale tant susceptible de

    mener un conflit et donc de provoquer la dstabilisation du systme, le soutien apport par

    un Etat tiers la partie faible, conduirait relativiser ce danger, tout en permettant, en mme

    temps, dempcher quaucune nation ne puisse simposer en tant quhgmon.

    La balance of powers prsente donc, selon les (no-) ralistes un instrument de

    pacification dans un systme anarchique car elle conduit une certaine auto-rgulation des

    intrts gostes entre des acteurs souverains. 12

    En ce sens, lintrt premier des alliances serait par consquent de recomposer le systme des

    Etats, en vue de rtablir le rapport de force entre eux.

    En se rfrant au principe des gains relatifs, Joseph Grieco voyait, en outre, une explication

    de lalliance dans la peur dun Etat quun autre, grce la coopration internationale, puisse

    avoir plus davantages que lui. La dcision de lun dtablir des relations plus troites avec

    dautres serait ainsi susceptible dencourager des Etats qui, jusquici, avaient privilgi

    lunilatralisme, se lancer galement dans la coopration. Une telle volution des relations

    internationales ne changerait toutefois rien leur nature anarchique et justifierait toujours le

    principe dautoprservation, propre au No-Ralisme. En effet, lintrt recherch resterait,

    bel et bien, la maximisation du pouvoir national, notamment par rapport aux autres Etats.13

    Selon Kenneth Waltz, ce serait plutt lexistence dune puissance hostile qui pousse un

    groupe dEtats tablir entre eux des relations suivant une logique de coopration et faire

    front uni contre cet ennemi commun.14

    Une approche comparable est finalement propose par Stephen Walt. Lauteur, en

    sappuyant sur le concept de la balance of power , forgea la notion du balance of

    threat , de lquilibre des menaces, pour expliquer les motivations dun Etat consentir la

    coopration internationale. Dans une telle logique, les alliances intergouvernementales se

    fonderaient donc, en premier lieu, sur des intrts collectifs ngatifs. Leur cration rpondrait

    lexistence dune menace commune, face laquelle il sagirait de runir les forces.15

    Tous ces modles explicatifs ont en commun le fait quils comprennent la coopration

    entre des Etats principalement comme un phnomne phmre. Si la cration dune alliance

    intertatique est bel et bien motive par un objectif trs concret, et prsente pour un Etat un

    avantage significatif par rapport une approche unilatrale, il ne sagit toujours que dune

    12 Charles-Philippe DAVID/ Jean-Jacques ROCHE. Thories de la scurit. Paris: Montchrestien, 2002, 160 p. (p. 48) 13 Joseph M. GRIECO. Anarchy and the Limits of Cooperation: A Realist Critique of the Newest Liberal Institutionalism. In: International Organization, Summer 1998, vol. 42, n 3, pp. 489 - 501 14 Kenneth N. WALTZ. Theory of International Politics. Reading, MA : Addison-Wesley, 1979, 251 p. 15 Stephen WALT. The Origins of Alliances, Ithaca, NY: Cornell University Press, 1987, 321 p.

  • 26

    agrgation temporaire des puissances.16 Elle est cense prendre fin, au moment o la raison

    principale qui lexpliquait nest plus vraiment vidente. 17 Ainsi, Kenneth Waltz dfinissait-il

    des unions dEtats comme groups that may now and then form ou encore relations that

    form and dissolve .18

    Une telle conception, qui ne ferait du rgionalisme quune apparence passagre, ne semble

    pourtant pas pertinente pour rpondre la question de savoir comment une approche

    rgionale des menaces actuelles pourrait bien contribuer consolider la scurit et la stabilit

    en Afrique centrale. En effet, le problme qui se pose, en loccurrence, est que les Etats

    narrivent plus remplir certaines de leurs fonctions rgaliennes et se montrent, par

    consquent, impuissants vis--vis des nouveaux dfis. Etant donn que ceux-ci ne se

    prsentent pas forcment comme des phnomnes momentans mais souvent, telles que la

    croissance de la pauvret ou la dgradation environnementale, bien plus durables, renforcer

    les structures rgionales devrait donc permettre de compenser ces lacunes plus long terme.

    Une approche diffrente pour expliquer la pertinence de la coopration, notamment en

    matire de scurit, est prsente par les auteurs regroups dans le courant institutionnaliste.19 20

    Alors quelles reprennent certes quelques-uns des principes fondamentaux du (No-)

    Ralisme, cest prcisment dans la question de la dure que se distinguent, entre autre, ces

    approches de la doctrine raliste.

    En partant dune conception anarchique du monde, comparable celle des ralistes, les

    institutionnalistes voient le rle de la coopration essentiellement en ce quelle conduise

    rduire les incertitudes, et donc la mfiance entre les Etats. Dans cette optique, le

    rgionalisme peut tre peru comme rsultant plus ou moins directement du dilemme de

    16 Charles-Philippe DAVID/ Jean-Jacques ROCHE. Thories de la scurit. Paris: Montchrestien, 2002, 160 p. 17 Pour cette raison, John MEARSHEIMER et Kenneth WALTZ taient tous les deux de lavis, au dbut des annes quatre-vingt-dix, que la fin de la guerre froide provoquerait la fin de lOTAN. Voir : John J. MEARSHEIMER. Back to the Future : Instability in Europe after the Cold War. In : International Security, summer 1990, vol. 15, n1, pp. 50 66 ; ainsi que Kenneth N. WALTZ. The Emerging Structure of International Politics. In : International Security, fall 1993, vol. 18, n2, pp. 44 79 18 Kenneth N. WALTZ. Theory of International Politics. Reading, MA : Addison-Wesley, 1979, 251 p. (pp. 98) 19 Il est intressant noter que lInstitutionnalisme ne se voit souvent pas trait comme une cole de pense part, mais comme un courant du Libralisme. Par consquent, il est souvent prsent comme Libralisme institutionnel ou encore Institutionnalisme libral . Voir par exemple : Timothy DUNNE. Liberalism. In: John BAYLIS/ Steve SMITH (ed.). The Globalization of World Politics: An Introduction to International Relations. Oxford: Oxford University Press, 2001, 600p. (pp. 164 -171) 20 Pour lanalyse de lInstitutionnalisme, voir: Dario BATTISTELLA. Thories des relations internationales. Paris: Presses de Sciences Po, 2003, 511 p. (notamment les chapitres 5, La vision librale, 6, La perspective transnationaliste, et 14, La scurit); et Heinz GRTNER. Modelle europischer Sicherheit. Wie entscheidet sterreich? Wien: Braumller, 1997, 158 p. ; ainsi que les ouvrages cits.

  • 27

    scurit quavaient suppos les auteurs ralistes. La confrontation permanente et la lutte de

    pouvoir ne menant qu une situation dincertitude constante, les Etats seraient censs

    chercher une voie approprie pour rduire linscurit ainsi produite. Ceci les conduirait

    envisager ltablissement de structures institutionnelles et la mise en place de rgles et de

    normes communes, afin de rguler davantage leur coexistence et leurs interactions. Une telle

    volution des relations internationales de lunilatralisme vers la formation dun systme

    dalliances stables ne serait toutefois possible tant que la nouvelle situation permette aux Etats

    de tirer plus davantages de la coopration que dune approche unilatrale. En dautres termes,

    la dcision dtablir des structures communautaires et de respecter dsormais un certain

    nombre de principes et de rgles rpond, en premier lieu, lintrt national de chaque Etat.

    Si cette circonstance peut de nouveau faire paratre la coopration comme un phnomne

    passager, qui disparat au moment o cet avantage nest plus donn, les institutionnalistes

    supposent nanmoins que les institutions, tablies pour faciliter les interactions entre les Etats,

    feraient preuve, tt ou tard, dune certaine dynamique propre. Qui plus est, ils se

    dvelopperaient des valeurs normatives qui empcheraient les Etats de se retirer de lalliance,

    si celle-ci ne produisait plus assez deffets bnfiques, et qui les inciteraient, au contraire,

    sinvestir davantage pour recrer des circonstances plus avantageuses.

    En supposant donc que des institutions internationales peuvent influencer, dune manire

    essentielle, le comportement des Etats et intervenir dans leurs prises de dcisions, les

    institutionnalistes dpassent donc la vision limite et rigide des (no-) ralistes, qui avaient

    prsum que la cration dalliances et dunions ne feraient que reflter, voire recomposer les

    rapports de force existants. Si, dans la logique institutionnaliste, elles sont galement le fruit

    dintrts nationaux, ces institutions peuvent toutefois encourager les Etats relativiser, voire

    relguer leurs priorits nationales au profit de la coopration. Ainsi, les intrts nationaux se

    verraient-ils progressivement remplacs par un intrt commun. Les gains absolus prendraient

    ainsi de limportance par rapport aux gains relatifs.

    Par consquent, selon Robert Keohane, les institutions internationales se dfiniraient comme

    persistent and connected sets of rules (formal and informal) that prescribe behavioral roles,

    constrain activity, and shape expectations. 21

    Si ces thories mettent alors en avant le lien positif qui existerait entre, dune part la

    coopration, ou encore le rgionalisme, et, de lautre la scurit et la stabilit, la faiblesse qui

    remet certainement en question la pertinence de leur approche pour analyser le rle stabilisant

    21 Robert O. KEOHANE. International Institutions and State Power: Essays in International Relations Theory, Boulder/ San Francisco/ London, 1989, 270p.

  • 28

    du rgionalisme en Afrique centrale, rside de nouveau dans leur vision statocentrique du

    monde. En effet, linstar des auteurs du Ralisme et du No-Ralisme, les institutionnalistes,

    comme par exemple Robert Keohane ou Andrew Moravcsik, font de lEtat la principale unit

    danalyse et ne donnent quun rle secondaire aux acteurs non-tatiques. En adoptant certes

    une approche plus ouverte que les (no-) ralistes et en concevant les institutions qui se

    creraient dans le cadre de la rgionalisation, comme des organes faisant preuve dune

    dynamique propre, relativement importante, Keohane, tout comme Joseph Nye soulignent

    tout de mme que celles-ci restent plus ou moins dpendantes des Etats, qui les ont tablies.

    Dans cette optique, ces institutions demeuraient toujours le produit de ceux-ci, mme si elles

    arrivaient exercer une certaine influence sur leur comportement.

    Une observation comparable peut tre faite en ce qui concerne le rle que les

    institutionnalistes donnent lindividu. Alors que quelques auteurs essayent effectivement de

    mettre davantage en valeur la place de celui-ci dans les relations internationales, et

    notamment dans le contexte rgional, ce nest toujours que par lintermdiaire de lEtat quil

    apparat sur la scne internationale. Ainsi, Andrew Moravcsik conoit-il lEtat comme le

    reprsentant direct de ses citoyens sur le plan international.22

    Mme si les institutionnalistes proposent donc une certaine relativisation de lapproche

    statocentrique et rigide des auteurs ralistes, force est toutefois de reconnatre quaussi pour

    eux, les Etats continuent jouer un rle primordial. Mme si une place plus importante que

    dans les modles ralistes est donne lindividu, celui-ci reste toutefois toujours au second

    plan et narrive sexprimer que par lintermdiaire de son gouvernement.

    Au regard de lapplicabilit de ces thories au cas prcis de lAfrique centrale, pour expliquer

    et rpondre la situation scuritaire actuelle, il se pose notamment le problme quel degr

    ces rgimes reprsentent rellement les intrts de leurs ressortissants. Autrement dit, si, dans

    la conception de Moravcsik, le comportement des Etats au niveau international ou rgional

    reflte essentiellement lopinion publique, cest bien llite politique que revient le rle de

    dlgu direct. Or, dans le cas de la plupart des pays africains, il peut souvent paratre

    discutable sil y a vraiment concordance entre la position dfendue par les Chefs dEtat et les

    intrts de son peuple.23

    22 Voir cet gard: Andrew MORAVCSIK. Taking Preferences Seriously. A Liberal Theory of International Politics. In: International Organization, Fall 1997, vol. 51, n4, pp. 513 553 23 J. F. Clark note cet gard notamment quen Afrique, le concept dintrt national ne ferait, gnralement, pas vraiment sens, au point o les dirigeants politiques se laisseraient plus souvent guider par leurs intrts personnels que par celui de la collectivit. Voir: J.F. CLARK. Realism, Neo-realism and Africas International Relations in the Post-Cold-War Era. In: Kevin DUNN/ Timothy M. SHAW. Africas Challenge to International Relations Theory, Basingstoke: Palgrave, 2001, 242 p. (pp. 85 102)

  • 29

    Ce maintien de lapproche statocentrique pose galement problme, en ce qui concerne la

    dfinition de la stabilit et de la scurit, que la coopration serait cense permettre. En effet,

    les auteurs institutionnalistes peroivent la motivation premire dacteurs tatiques consentir

    tablir entre eux des rapports fonds sur une logique de coopration, en ce que ceci leur

    permettrait de rduire lincertitude et ainsi la mfiance qui, jusqu prsent, avaient marqu

    les relations internationales. Il serait donc question, par la voie de lalliance et de la

    coopration, de rapprocher les Etats davantage et de diminuer ainsi le risque de tensions et de

    conflits entre eux. Il sagit ainsi, comme dans le cas des thories ralistes, dune conception

    traditionnelle de la scurit qui ne semble plus rellement approprie, en vue des menaces et

    des dfis daujourdhui. Ceux-ci ne faisant plus forcment preuve dune dimension nationale

    ou intertatique, il parat discutable si la consolidation de la scurit peut alors passer, plus ou

    moins uniquement, par lamlioration des relations entre un groupe dEtats.

    A ceci sajoute que lEtat ne semble plus reprsenter lacteur le plus appropri pour faire face

    aux dfis actuels, tant donn le caractre transnational de ceux-ci ou encore leur envergure.

    La question qui se pose alors, en loccurrence, serait de savoir si une alliance, ne faisant en

    fait que prsenter un concert institutionnalis dEtats, ne risque pas de reprendre les structures

    tatiques, sans vraiment arriver dvelopper des capacits dpassant celles que pourrait

    dployer un Etat isol. En dautres termes, face au caractre de plus en plus global de la

    scurit et sa dconnexion du contexte national, une approche rgionale, toujours

    essentiellement centre sur les Etats, est-elle encore approprie et justifie ?

    Lintgration : un lien logique entre le rgionalisme et la scurit

    Le problme qui ressort des rflexions qui viennent dtre faites est, que le lien apparent

    qui, selon ces deux ensembles thoriques, semble relier la scurit et le rgionalisme est le

    phnomne de la guerre intertatique. En effet, la scurit correspond, dans les thories

    ralistes et no-ralistes, tout comme dans lapproche institutionnaliste, un tat dabsence de

    guerre ; une situation o un Etat na donc pas craindre une attaque par une autre nation. La

    pertinence scuritaire du rgionalisme repose, dans ces conditions, en ce que celui-ci conduise

    rapprocher les Etats et rguler leurs rapports, grce, notamment, ltablissement de

    normes et daccords. Ce sont alors surtout lchange dinformations et laugmentation de la

    transparence entre les acteurs qui aideraient rduire, par consquent, la probabilit dune

    confrontation violente.

    Dans le contexte scuritaire contemporain, et notamment en ce qui concerne lAfrique

    centrale, le risque dun conflit international est, de toute faon, assez faible. Pour cette raison,

  • 30

    cette corrlation entre la scurit et le rgionalisme, voire leffet stabilisant du rgionalisme,

    ainsi mis en vidence, paraissent peu pertinents pour la rsolution du problme de comment

    rpondre au risque de dstabilisation latent dans la rgion centrafricaine.

    Pour cette raison, nous voulons montrer quil est possible de dgager un autre

    dnominateur commun entre la scurit et le rgionalisme qui semble plus adapt notre cas

    dtude. Il sagit du concept de lintgration.

    Jusqu prsent, la notion dintgration na trouv que peu dapplication dans les relations

    internationales, si ce nest dans sa dimension conomique, pour faire rfrence aux accords de

    coopration tablis entre des Etats.

    Dans une logique durkheimienne, le concept exprime lide de fusion, dabsorption ou encore

    dassimilation de plusieurs units dans un tout. Il est, en loccurrence, troitement li la

    notion dinterdpendance. Dans cette perspective, dans son uvre majeure, De la division du

    travail social, le sociologue Emile Durkheim montre ainsi que lindustrialisation et le passage

    de la communaut traditionnelle la socit industrielle ne mnent pas, forcment, un

    effritement des liens sociaux.24 Bien au contraire, lentre de lindividu dans le processus de

    production industrielle et la spcialisation de chacun dans une tche prcise conduisent

    dgager une certaine complmentarit entre les capacits individuelles au sein de la socit.

    Cest alors prcisment sur cette logique de complmentarit que se fonde un nouveau rapport

    dinterdpendance, voire de solidarit, entre les individus.

    Selon cette logique, on peut donc dire que linterdpendance entre des acteurs, la fois,

    exige et promeut leur intgration dans un nouvel ensemble. Leur fusion progressive conduit,

    progressivement, ltablissement dun nouveau modle dordre social, qui remplace

    lancien, dans lequel ils avaient principalement agi seuls.

    Dans le contexte qui a prvalu jusquau dbut des annes quatre-vingt-dix, lapplication

    dun tel concept aux relations internationales semblait incompatible avec la conception des

    Etats sous forme dacteurs souverains et indpendants. Les relations intertatiques se

    limitaient ainsi, comme nous venons dailleurs de le voir ci-dessus, des rapports de

    coopration qui sexprimaient principalement par le biais de politiques et dactivits

    communes, ou encore par ladoption de normes et de rgles rgissant leur coexistence.

    24 Emile DURKHEIM. De la division du travail social. Paris : Puf, 2004 (1re parution : 1893), 416 p.

  • 31

    Le nouveau contexte international, et notamment la nouvelle faon de concevoir la

    scurit, peuvent cependant expliquer la pertinence dune introduction du concept de

    lintgration aussi dans les tudes de relations internationales.

    En effet, la scurit, dans sa nouvelle conception largie, permet de dgager une certaine

    logique dinterdpendance qui, dsormais, existe entre les acteurs et qui exprime lintensit

    selon laquelle la conduite des uns affecte celle des autres .25

    Loin dopposer les Etats, la scurit est aujourdhui bien au contraire cense constituer un

    lment qui tend runir les acteurs concerns. En perdant sa dimension clairement

    intergouvernementale, elle ne correspond plus un jeu somme nulle, o les intrts de lun

    tendent compromettre ceux de lautre.

    La nouvelle mise au centre de proccupations, relatives au bien-tre et des conditions de

    vie sres, qui ne concernent plus un Etat prcis mais lhumanit dans son ensemble, permet,

    bien plus, de dgager la dimension dinterdpendance qui, dsormais, caractrise la scurit.

    Cette interdpendance se manifeste sur trois plans.

    Elle relve, premirement, de la similitude des menaces scuritaires. La pauvret, les

    ingalits sociales ou encore la malnutrition, prsentent des dfis qui, gnralement, touchent

    les individus partout dans le monde de la mme faon, sans forcment manifester une

    dimension nationale vidente. Cette circonstance peut alors mener se poser la question de

    savoir quel point une approche unilatrale semble alors encore approprie, ou est-ce quau

    contraire, la recherche concerte dune solution ne paratrait pas plus adquate.

    Linterdpendance scuritaire se traduit, ensuite, aussi par le biais de la nature

    transnationale de certaines menaces. Plus lis un Etat prcis et capables de transgresser les

    frontires nationales, des problmes, tels que ceux lis aux pidmies ou aux catastrophes

    naturelles, ne se laissent plus rellement aborder uniquement au niveau national. Le fait que la

    source du danger peut se situer au-del des frontires nationales de lEtat, dont les

    ressortissants se trouvent menacs, et donc en dehors de la marge de manuvre de celui-ci,

    peut, aussi ici, mener poser la question de lefficacit dune politique scuritaire nationale.

    En revanche, cette circonstance met aussi en vidence la pertinence dune approche base sur

    des mesures collectives de lensemble des acteurs concerns.

    Finalement, au regard de dfis, tels que ceux qui se prsentent sur le plan environnemental

    ou sous forme de pandmies, il est possible de constater que la scurit se mondiale. Elle se

    transforme dune question dabord nationale en une valeur, voire un bien commun, dont la

    25 Bertrand BADIE. Ladieu au gladiateur? La mondialisation et le renouveau des relations internationales. In: Relations Internationales, hiver 2005, n124, pp. 95 106 (p.97)

  • 32

    protection ne peut plus tre assure par un Etat seul. Cette circonstance ncessite, par

    consquent, de repenser la question de la responsabilit.

    Le rgionalisme comprend, per definitionem, une dimension dintgration, voire

    dinterdpendance. En effet, lintensification de la coopration, ladoption de normes et la

    mise en place de politiques et dactivits communes lient les acteurs concerns

    progressivement et de plus en plus les uns aux autres. Ainsi se cre un rapport bas sur une

    logique dinterdpendance.

    Jusqu prsent, lintgration rgionale sest toutefois limite, en gnral, au domaine

    conomique. Elle sest exprime par la mise en place de structures, permettant un groupe

    dEtats de favoriser et de libraliser les changes commerciaux entre eux et dharmoniser

    leurs politiques conomiques et montaires. Le but ainsi recherch, a t celui dtablir,

    terme, un espace conomique commun. Lintgration conomique rgionale traduit, dans ce

    sens, la volont de ces Etats de remplacer progressivement leurs conomies nationales par une

    conomie commune, intgre ; de fusionner, en quelque sorte, leurs activits et leurs intrts

    conomiques. Elle exprime ainsi la capacit dun systme rgional dpasser le stade de

    coopration et dchanges entre acteurs souverains et faire preuve dune dimension de

    supranationalit.26

    Au regard de lvolution qui a actuellement lieu sur le plan de lconomie internationale,

    lintgration conomique peut, dans une large mesure, prsenter une raction des acteurs

    internationaux la mondialisation. Elle rpond notamment leur faiblesse en tant quacteur

    singulier, sur le march global. Constituant des structures dorganisation peu adaptes au

    nouveau contexte, les conomies nationales disparaissent au fur et mesure que se dveloppe

    un cadre conomique communautaire ; les marchs nationaux tant progressivement

    remplacs par un march commun. Par consquent, lEtat cde la majorit de ses fonctions,

    ainsi que son indpendance et son autonomie en matire conomique, la nouvelle union, ou

    plus prcisment, des institutions communautaires. Il assume ainsi le fait que ces dernires

    seront plus appropries pour prendre, sa place, les dcisions essentielles afin de promouvoir

    le dveloppement de la rgion et daffronter les nouveaux dfis, provoqus par la

    globalisation. Dans cette perspective, lintgration rpond donc la ncessit de redistribuer

    les fonctions et les comptences entre les acteurs internationaux et de recomposer les

    26 Le concept de supranationalisme traduit labandon volontaire, par des acteurs jusque-l indpendants, dune partie de leurs droits souverains, et la dlgation de ces derniers des institutions communes. Voir : Heinz FASSMANN. Regionalismus, Fderalismus, Supranationalismus. Begriffe und Konzepte. In : Forum Politische Bildung (ed.). Regionalismus Fderalismus Supranationalismus. Informationen zur Politischen Bildung. N 18. Wien : Studienverlag, 2001, 94 p. (pp. 5 - 10)

  • 33

    structures internationales, afin de mieux les adapter au nouvel environnement et aux

    circonstances nouvelles.

    Le fait que cette logique dintgration ne sest vue applique, jusquici, que sur le plan

    conomique, et non pas aussi dans le domaine politique, voire scuritaire, peut, en premier

    lieu, sexpliquer, par la rticence des Etats perdre une partie importante de leur souverainet

    et accepter une nouvelle rpartition des pouvoirs et des comptences. Ce manque de volont

    se fonde, de nouveau, sur la conception traditionnelle de la scurit.

    En effet, dans sa conception classique, la scurit est mise en rapport avec la protection et le

    maintien de la souverainet nationale. Lide de la mise en place de nouvelles structures, en

    vue, non seulement dinfluencer et de recomposer les relations entre les acteurs, mais aussi de

    mener, progressivement, lintgration, voire la fusion de ceux-ci dans un nouvel ordre, se

    trouve, ainsi, forcment, en contradiction avec lobjectif premier des Etats de dfendre leurs

    droits souverains.

    Par consquent, dans le domaine politique, le rgionalisme se limite, dans une large mesure,

    toujours la coopration intertatique. Pour quelques Etats, elle prsente mme une voie

    approprie pour assurer davantage leur survie.27

    En raison de la nouvelle conception de la scurit, ce lien perd nanmoins sa signification,

    la scurit ne dpendant plus, en premier lieu, de la souverainet nationale. Par contre, il

    devient de plus en plus vident que linscurit provient, aujourdhui, en large mesure du

    manque de capacit des Etats rpondre suffisamment aux dfis et aux menaces actuels, et

    satisfaire les besoins scuritaires de leurs ressortissants.

    Il se cre donc un dsaccord entre la dfinition actuelle de la scurit et le choix dun garant

    scuritaire appropri.

    Cette circonstance peut expliquer la pertinence, voire le besoin dintgration aussi sur le

    plan politique. En effet, si lEtat fait preuve de faiblesse et dimpuissance dans son rle de

    garant de la scurit, la solution ne se trouve pas uniquement dans une intensification de la

    coopration intergouvernementale. Elle repose surtout sur une nouvelle rpartition du pouvoir

    et une dlgation des fonctions, que lEtat narrive plus remplir seul, des acteurs et des

    institutions plus appropris. A linstar de lintgration conomique, ceci serait cens

    dboucher sur une meilleure adaptation des structures au nouveau contexte international, et,

    27 Notons par exemple que la cration de lOrganisation de lUnit Africaine (OUA) rpondait, en premier lieu, la volont des jeunes Etats africains de protger ensemble leur indpendance, justement acquise, et de garantir le respect mutuel de leur souverainet. Voir cet gard la Charte de lorganisation, notamment larticle 1er.

  • 34

    progressivement, lmergence dun nouvel ordre politique international, plus adquat aux

    circonstances et aux dfis actuels que ne lest, en ce moment, lordre statocentrique.

    Toutefois, la nouvelle importance donne lindividu en tant que rfrent scuritaire,

    ncessite que lintgration ne se limite pas une nouvelle rpartition des fonctions et du

    pouvoir entre les Etats et des acteurs vocation supranationale. Elle doit, bien plus, aussi

    conduire une prise en compte plus forte des acteurs non-tatiques, dans les questions de

    scurit.

    La pertinence dune forme de coopration rgionale, suivant une logique dintgration,

    pour une meilleure approche des problmes scuritaires et une consolidation durable de la

    stabilit en Afrique centrale ne se fonde pas uniquement sur la nature des menaces et des dfis

    que connat actuellement la rgion. Elle peut surtout sexpliquer par la relance du processus

    de rgionalisation et la reprise des activits rgionales au cours des dernires annes.

    Notamment lextension de la coopration dans le domaine scuritaire depuis la rforme de la

    CEEAC pourrait tre vue comme le signe dune certaine volont de ces Etats de ne pas limiter

    lobjectif dintgration aux questions conomiques, montaires et commerciales, mais de le

    poursuivre galement dans le domaine de la scurit. Une impression comparable peut aussi

    natre au regard de la dclaration des Chefs dEtat, runis dans le cadre de la CEMAC, de

    donner une impulsion nouvelle et dcisive au processus d'intgration en Afrique

    Centrale.28

    Ces rflexions nous mnent, ainsi, nous poser la question suivante :

    Le rgionalisme, tel quil est en train de rmerger en Afrique centrale, prsente-t-il une

    approche approprie pour rpondre aux problmes de scurit actuels et pour ainsi faire face

    la menace de dstabilisation latente que connat la rgion prsent?

    En considration de la persistance de dficits scuritaires, ainsi que de la menace de

    dstabilisation toujours provoque par certains dfis, il parat toutefois ncessaire daborder

    aussi la question de savoir pour quelles raisons, malgr sa relance voil maintenant quelques

    annes, le rgionalisme en Afrique centrale ne fait toujours preuve que dun effet stabilisant

    aussi faible. Et comment ce problme pourrait-il tre rsolu ?

    28 Prambule du Trait instituant la Communaut Economique et Montaire de lAfrique Centrale, NDjamena, le 16 mars 1994.

  • 35

    Pour rpondre ces questions, nous allons, au cours de cette tude, approfondir la thse

    selon laquelle la rsolution des problmes et des dficits de scurit, ainsi que la consolidation

    de la stabilit ncessitent, en Afrique centrale, une nouvelle conception des structures

    politiques. LEtat-nation ne prsentant plus un acteur appropri pour rpondre aux menaces et

    proccupations actuelles, la satisfaction des besoins scuritaires exige un nouveau mode

    dorganisation politique, ntant plus orient sur lEtat comme principal acteur.

    Nous allons, dans cette perspective, chercher montrer que la rgionalisation pourrait

    constituer une approche adapte au contexte et aux problmes de scurit actuels, et cense

    contribuer la stabilit de la rgion, condition quelle arrive dpasser le stade de

    coopration intergouvernementale. En considration des circonstances scuritaires actuelles,

    la pertinence du rgionalisme en matire de scurit et de stabilit dpend donc de la question

    de savoir si lintensification des interactions, tout comme la mise en uvre dactivits et de

    politiques communes, lchelle rgionale, permettront de conduire une nouvelle rpartition

    des fonctions et des comptences, un largissement du champ des acteurs et ainsi,

    lmergence dun nouvel ordre politique, adapt aux exigences poses par le contexte actuel.

    2. OPERATIONNALISATION, APPROCHE METHODOLOGIQUE ET OBJECTIF

    Oprationnalisation de la question de recherche

    Lobjectif de cette tude est donc danalyser si et sous quelle forme la rgionalisation peut

    constituer un moyen pour compenser les lacunes que manifestent, actuellement, en Afrique

    centrale, les Etats dans leur fonction de garant scuritaire. A quel point peut-elle avoir un

    impact positif en matire de stabilit et contribuer rduire le risque dune dstabilisation

    ultrieure de la rgion ?

    Plus prcisment, il sagit donc dune part, de mettre en vidence dans quelle mesure la

    rgionalisation peut constituer une voie approprie pour garantir la scurit, alors que les

    activits de lEtat savrent insuffisantes. A quel degr peut-elle enrayer les risques de

    dstabilisation que cette faiblesse tatique est susceptible de provoquer ? Dautre part, il est

    question de chercher expliquer pourquoi, jusqu prsent, dans le cas centrafricain, les effets

    stabilisateurs des processus rgionaux ont t assez faibles.

    Pour rpondre cet objectif, nous avons dcid de nous concentrer, dans un premier temps,

    sur un groupe de quatre pays centrafricains, savoir le Cameroun, le Gabon, la Rpublique

    centrafricaine et le Tchad. Dans chacun de ces cas, il est question danalyser quel degr et

    pour quelles raisons, lEtat narrive pas satisfaire les attentes normatives de sa population en

    matire de scurit. Comment ces carences sont-elles susceptibles de menacer, terme,

  • 36

    lquilibre et la cohsion internes ? Et quel point est-il possible, lheure actuelle, de relever

    des facteurs qui pourraient indiquer quune baisse progressive du niveau de stabilit

    sannonce dj ?

    Par ltude des processus de rgionalisation qui ont actuellement lieu en Afrique centrale,

    nous entendons, dans un deuxime temps, mettre en rapport les activits et politiques, qui sont

    menes au niveau rgional, avec les problmes dgags dans les quatre Etats. Il sagit donc

    danalyser quel degr lavance de ces processus pourrait conduire une certaine

    relativisation des facteurs, qui sont susceptibles de mener, tt ou tard, la dstabilisation de

    ces pays et de la rgion. En mme temps, ce rapprochement des activits rgionales et des

    indices dune dstabilisation potentielle permet de dgager les principales causes qui peuvent

    expliquer pourquoi leffet stabilisateur du rgionalisme reste, pour le moment, assez faible.

    Un recours aux thories et aux modles, labors pour expliquer le lien entre le

    rgionalisme et la scurit, ainsi quune comparaison avec des processus de rgionalisation

    africains o leffet stabilisateur semble plus vident, permet finalement de discuter des voies

    par lesquelles, en Afrique centrale, le rgionalisme pourrait malgr tout, conduire

    lmergence de structures appropries pour consolider la scurit et la stabilit dans la rgion.

    Notre tude ne se limite toutefois pas la dimension formelle du rgionalisme

    centrafricain, cest--dire aux deux organisations rgionales, que sont la CEMAC et la

    CEEAC. Nous entendons, bien plus, adopter une approche transnationaliste du rgionalisme,

    et dans cette intention, inclure aussi les formes de rgionalisation dites informelles ou par le

    bas dans notre analyse. Il sagit, pour ces dernires, de mouvements et dactivits

    transfrontaliers qui, la diffrence des premiers, ne trouvent pas leurs origines auprs des

    Etats, mais impliquent directement les acteurs non-tatiques.

    Le choix de lapproche mthodologique

    La prsentation de la stratgie doprationnalisation de notre question de recherche peut

    soulever plusieurs questions

    Une premire peut se rapporter notre dcision de commencer notre tude par la partie

    empirique et lanalyse des Etats choisis, ainsi que des processus de rgionalisation entams en

    Afrique centrale, et de ne nous intresser quultrieurement aux thories traitant du rapport

    entre la rgionalisation et la scurit.

    Ce choix peut, avant tout, sexpliquer par le contexte de gense de la plupart de ces

    courants thoriques. Ces approches, cherchant expliquer comment la rgionalisation peut

    avoir un effet positif en matire de scurit et de stabilit, ont, pour la majorit, t

  • 37

    dveloppes dans une priode marque, dune part par la guerre froide, et dautre part par le

    processus de construction europenne. Pour cette raison, le No-Fonctionnalisme, ou encore

    le modle des communauts de scurit de Karl Deutsch, sappuient sur une approche

    classique de la scurit. La principale menace que la rgionalisation serait cense contrer,

    correspond par consquent au danger dune guerre intertatique.

    En mme temps, ces thories ont largement t influences par la construction europenne qui

    reprsentait lpoque le processus de rgionalisation le plus marquant. Dans cette

    perspective, elles cherchent en premier lieu analyser les effets dune intensification de la

    coopration entre des pays, faisant preuve dune situation interne plus ou moins stable, et ne

    prennent pas en considration le cas dEtats, dont les institutions manifestent de graves

    dficiences au niveau de leur fonctionnement.

    Quant aux thories contemporaines, telles que celles dveloppes dans les courants de

    pense de la Nouvelle conomie politique internationale/ New World Order, et du Nouveau

    Rgionalisme/ New Regionalism, elles visent, en premier lieu, expliquer la rmergence du

    phnomne de la rgionalisation dans le contexte prcis dune conomie globalise, et ne

    traitent la question de la scurit que dune faon secondaire.

    Pour ces raisons, le but essentiel dune analyse de ces thories nest pas celui de poser la

    question de leur applicabilit au cas dtude choisi. Il sagit bien plus de discuter comment,

    malgr leur orientation sur un contexte diffrent, ces approches permettent quand mme de

    tirer des conclusions sur une meilleure mise en valeur, en Afrique centrale, de la potentialit

    du rgionalisme en matire de scurit.

    Si nous avons, deuximement, opt pour axer notre tude autour de quatre Etats prcis et

    de commencer notre analyse sur les effets du rgionalisme, par une mise en relief des

    principaux risques et menaces de dstabilisation que connaissent actuellement ces pays, cette

    dcision peut tre explique par plusieurs ra