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JACQUES STERNBERG

Lettre ouverte aux Terriens

JACQUES STERNBERG

Let t re ouver te

aux Ter r iens

ALBIN MICHEL

La collection « Lettre ouverte » est animée par Jean-Pierre Dorian

@ Editions Albin Michel, 1974. 22, rue Huyghens, 75014 Paris

ISBN 2-226-00126-3

L a C r é a t i o n fu t le p r e m i e r a c t e d e s abo t age .

E . M . CIORAN

D i e u n ' a p a s m a l r éus s i l a n a t u r e , m a i s il a r a t é l ' h o m m e .

Ju l e s RENARD

J u g e r les h o m m e s ? Oui . Si l ' o n es t c r o q u e - m o r t . A u poids .

F e r n a n d DIVOIRE

A c h a q u e s iècle s a messe . Celui -c i , q u ' a t t e n d - i l p o u r ins t i tue r u n e g r a n - d iose c é r é m o n i e d u d é g o û t ?

H e n r i MICHAUX

L ' h u m a n i t é es t u n p e r s o n n a g e h u - mor i s t i que .

NOVALIS

AVANT-PROPOS

Cette lettre ouverte n'a que peu de rapports avec une lettre d'amour.

Autant avouer, au contraire, que je l'ai voulue har- gneuse, injuste, injurieuse, sectaire, arbitraire, donc déli- bérément partiale.

Mais sincère aussi, puisque le ton de cette lettre me coûtera cher en lecteurs. Je suis conscient que, pour plaire et séduire, il faut flatter l'homme, le rassurer, le sécuriser, le déodorer, l'adorer. Me voilà loin du compte. Les comp- tes s'en ressentiront. On me reprochera aussi, c'est certain, de ne jamais me mettre personnellement en cause dans cette lettre ouverte. On croira que je me considère comme l'exception, le seul Terrien exemplaire. Rien de plus faux. Je pense le plus grand mal de moi puisque je suis né, comme les autres, sur cette planète. Mais, en effet, je ne parle pas de mon nombril dans cette histoire. Ce n'est pas une autobiographie.

On me dira sans nul doute : « Comment peut-on pré- tendre juger en vrac le genre humain, le Terrien au jugé alors qu'il y a des milliards de Terriens, souvent dissem- blables, diversifiés, contrastés ? » C'est vrai. Et dans la masse grouillante des terreux terrés dans leur connerie, leur folie ou leur inertie, il y a des exceptions, des êtres

d'exception. Mais si peu qu'en parler m'a paru assez inutile. Ce n'est pas parce qu'il est revenu des camps de la mort un déporté sur vingt mille que l'on a pu consi- dérer ces antichambres de l'enfer comme des colonies de vacances ou des homes de repos.

Enfin, certains esprits ivres de sociologie, de statistiques et de futorologie, se feront un plaisir de repérer dans cet ouvrage des erreurs de chiffres, des jugements sans preuves mathématiques à l'appui, des affirmations non confirmées par la vulgarisation. C'est non seulement possible, mais certain. En effet, je ne connais rien aux chiffres ni aux statistiques et, de plus, je ne les crois jamais sur parole. Les chiffres officiels peuvent parfaitement être faux et truqués quand cela arrange les intérêts des responsables. Ils risquent donc d'être encore plus faux que mes affirma- tions. De plus, quand ils sont vraiment dérangeants, on les cache tout simplement. Et il y en a beaucoup d'assez dérangeants.

De toute façon, l'erreur est humaine, on fa assez dit. Mais que l'humain soit une erreur, cela on le dit moins volontiers. C'est ce que j'ai tenté de dire. Rien d'autre.

Théoriquement, l'homme est un être humain. Pratique- ment, c'est un tuyau percé aux deux extrémités.

Mécaniquement, c'est un corps lourd qui roule d'un gouffre de temps à un autre.

Biologiquement, c'est un squelette habillé. Poétiquement, c'est un héros au sourire si doux. Commercialement, c'est un morceau de steak de plus de

cinquante kilos avec beaucoup d'abattis et de déchets. Chimiquement, c'est un mélange d'eau, de sang et d'air. Temporellement, c'est une horloge faite pour s'arrêter

un jour. Financièrement, c'est un compte à rebours qui rêve

d'être un compte en banque. Culinairement, c'est un mets de choix qui se mange lui-

même. Historiquement, c'est un cadavre de bourreau ou de

victime. Sentimentalement, c'est une fleur des charniers qui

pousse dans les poubelles. Théâtralement, c'est l'interprète monocorde d'un mono-

logue sans intérêt. Géométriquement, c'est un composé de plusieurs cylin-

dres surmontés d'une sphère.

Mathématiquement, c'est une soustraction finale qui se prend pour une addition.

Démocratiquement, c'est un contribuable durement mis à contribution.

Industriellement, c'est une machine à faire tourner les machines.

Sidéralement, c'est une chiure de mouche perdue invisi- ble dans les galaxies.

Publicitairement, c'est la plus noble conquête du dé- tergent.

Religieusement, c'est le haut-parleur de l'invisible et de l'inexistant.

Politiquement, c'est une girouette qui indique d'où vient la parole.

Scientifiquement, c'est la preuve par neuf de la mort. Chronologiquement, c'est un grand singe qui tente de

se faire un avenir. Musicalement, c'est une chaîne Hi-Fi qui ne retransmet

que des sons inutiles ou discordants. Superlativement, c'est un être pensant. Géologiquement, c'est un futur fossile. Originellement, c'est une larve qui a réussi à se faire

un nom.

Dramatiquement, c'est un petit rien qui veut être un tout.

Cumulativement, c'est un mort encore en vie. Juridiquement, c'est un coupable laissé en liberté dans

sa prison personnelle. Abstraitement, c'est une entité qui se croit une idée. Esthétiquement, c'est une flagrante faute de goût.

Il n'y a guère de lieux où il ne soit pas passionnant d'étudier le Terrien et ses réactions. Dans une banque, au café, dans une salle de théâtre, sur une plage, au hasard de la rue, n'importe où. Mais un des lieux où il découvre le mieux sa fatuité et sa bêtise, c'est le zoo. Il les met à nu avec d'autant plus d'évidence qu'il se déplace en toute décontraction dans ce jardin de dis- traction où il se rend souvent en compagnie de sa couvée matrimoniale, ce qui lui donne l'occasion de dévider des leçons de choses dont l'écoute attentive ne manque jamais d'intérêt. D'individu à individu, que l'on en observe cent ou dix mille, les réactions devant les animaux incar- cérés sont toujours les mêmes et elles n'ont guère dû varier avec les siècles. Cela va de l'étonnement à la crainte

sournoise, de la stupeur à la répulsion, du rire gras à la familiarité déplacée, de la moquerie au franc dégoût. Chaque animal étant doté de son étiquette immuable qui suscite invariablement les mêmes réactions clefs : les

reptiles révulsent, les grands fauves en imposent, les oiseaux de proie inquiètent, les oiseaux de parade émer- veillent, les singes font rire, les éléphants amusent, les antilopes attendrissent et les sauriens déconcertent. Tous déclenchent une enfilade de remarques éculées, comme

marquées au sceau d'une fatalité atavique : celle de la banalité. Comme on aimerait savoir ce que pensent le tigre, le gorille ou l'aigle royal de cette bande de simples d'es- prit qui grimacent de l'autre côté de leur prison. A quoi riment exactement les réactions de ces badauds ? Pourquoi ces soupirs d'étonnement, de frayeur ou de dégoût devant des animaux pas toujours tellement étranges ni surtout tellement répugnants ? Pourquoi n'ont-ils pas les mêmes sursauts en entrant dans une banque, un bureau de poste ou n'importe quel magasin ? Ils trouvent l'hippopotame obèse et abruti, mais l'est-il plus que beaucoup de com- merçantes confites dans leur graisse ? Pas particulièrement, non. Le babouin est-il vraiment plus grimaçant qu'un chef de parti s'évertuant à gaver son troupeau de sor- nettes ? Le python est-il plus apathique et plus repu que la caissière d'un charcutier ? Non, vraiment non. Le tama- noir est-il plus inquiétant que la plupart des hommes poli- tiques ? Plus insolite, certes, plus inquiétant, non. Le kangourou est-il plus ridicule que l'automobiliste bloqué dans un encombrement, accroché d'un doigt à son volant et de l'autre à la narine droite de son nez ? Le loup, même affamé, est-il plus férocement rapace que le moindre employé de la perception ? Encore non, bien sûr. Non, mais le Terrien qui vit dans les régions tempérées, espèce carnivore et parfois herbivore, généralement bureaucrati- que, est une créature fort satisfaite de sa personne, convaincue d'être modelée cousue divin à l'image de Dieu, sinon un peu mieux, et s'il se bute à un être qui est diffé- rent de lui, il le voit automatiquement inférieur, difforme, ridicule et indigne de vivre. Et s'il fait globuler ses pau- vres cellules pour tenter d'imaginer des créatures extra- terrestres non humaines, c'est presque toujours pour en arriver à jeter dans l'espace des méduses dotées de crocs baveurs, des pieuvres à plumes, des homards ailés et hébétés ou des araignées géantes. Bref, ce qu'il peut

imaginer de plus répugnant et de plus effrayant, toujours des puzzles d'animaux, comme le pâté d'alouette. Sans même se rendre compte qu'aucun cerveau de créateur n'a jamais pu imaginer quelque chose de plus effrayant que l'homme lui-même, le simple Terrien.

En réalité, ce qui manque dans les zoos européens, c ' est une grande galerie de cages où seraient enfermés les hommes qui se différencient des Blancs : des pygmées, quelques superbes géants de l'Urundi, un ou deux derniers des Mohicans, plusieurs Esquimaux, quelques Indiens d 'Amazonie, une famille de Sumatra. Les Blancs pour- raient les reluquer en poussant des cris poussifs comme ceux que leur inspirent les animaux. Ils pourraient s'en donner à cœur joie, se moquer, s'effrayer, s'étonner, se révulser. Bref, comme devant les animaux, cracher leur racisme instinctif devant tout ce qui ne ressemble pas exactement à leur image de marque : ce morne tuyau livide auquel sont rattachés quatre membres jamais bien proportionnés, toujours attachés trop haut ou trop bas, et généralement trop gras ou trop gringalets. Admirable fatuité ! Il faut vraiment que le Blanc soit privé de toute lucidité pour être aussi passionnément amoureux de son image, alors que, le plus souvent, il porte sa gueule et son corps comme une effrayante condamnation à perpétuité. Inutile de penser à fonder un musée des monstres de tous les jours pour donner à l'homme à réfléchir, les monstres quotidiens sont là dans les rues, les boutiques, les bistrots, les écrans, les bureaux, et personne ne fait attention à eux. Et pourtant, inutile de se leurrer : les quatre-vingt-dix pour cent des gens qui portent haut et fier leur prétention sont aussi ratés que des essais pour rien, pas loin d'être monstrueux. Difformes. De corps, presque toujours ; de visage, généralement. Et l'expression de ces visages ne rachète rien, bien au contraire, le plus souvent. On s'est tellement bien habitué à cette hideur générale qu'on ne

la remarque plus. Mais elle existe et elle n'appartient qu'à l'homme, exclusivement. A-t-on déjà vu des chats aussi mal foutus que la plupart des humains ? Des tigres aussi gras, des oiseaux aussi grotesques, des singes aussi fluets ? Et sur les milliards de balourds qui peuplent cette planète, on peut compter sur les doigts les êtres humains qui ont la grâce, la souplesse, l'aisance que la plupart des animaux ont tout naturellement. On me dira que les hommes ne passent pas leur temps à s'ébattre dans la savane ou à voltiger d'un arbre à un autre et qu'on les force à vivre de boîte en boîte, de leur caisse à roulettes dans leur bureau, de ce tiroir commercial dans leur tiroir habitable. Comment être en forme dans ces conditions ? Mais il reste quand même nos sportifs professionnels, l'élite humaine, le plus beau fleuron de notre race, ceux-là mêmes qui font l'admiration et l'idolâtrie de tous les tordus avachis, passionnés des stades et des records. C'est vrai que, parfois, certains athlètes poussent à l'admiration. Et ils accomplissent des prouesses qui laissent rêveurs, surtout que ces prouesses deviennent de plus en plus spec- taculaires au gré des années. Inutile cependant de se laisser aller dans les eaux molles du sentimentalisme. Ainsi, l'autre jour, écroulé devant une image télé, je regardais des champions du patin à glace fignoler leurs arabesques. Certains évoluaient avec une telle virtuosité, un tel oubli des lois de la pesanteur qu'ils me fascinaient. Jusqu'au moment où, l'exhibition terminée, on nous montra ces phénomènes en gros plan. Des visages d'abru- tis, à peu près aussi expressifs que des ballons de football, butés, mal dégrossis, primates, assez effrayants en fin de compte. Du rêve ailé, on revenait à la lourde réalité. Je compris en un seul coup d'œil : ces virtuoses ne sont pas des êtres humains, ce sont simplement des patins. Comme d'autres sont des skis, des ballons, des perches, des disques, des mollets, des bras, des javelots ou des voiles.

De toute façon, cette force physique, cette souplesse, cette aisance peuvent en imposer parce que justement le Terrien est né pataud, pesant, amorphe. Sur ce plan encore, l'animal lui donne une sévère leçon. Quand on regarde un singe voler dans son élément d'un arbre à un autre, on ne peut que s'esclaffer devant les exploits mala- droits de nos Tarzan ou de nos trapézistes professionnels.

champions olympiques ne pèsent pas lourd, sur le Plan de la vitesse, à côté d'une gazelle, d'une panthère ou même d'une autruche. A-t-on déjà vu un homme se casser la gueule du haut d'un cinquième étage pour retomber au rez-de-chaussée sur ses pattes comme un chat ? Evidem- ment non. En revanche, et ceci compense sans doute cela, l' homme a des affinités certaines avec les animaux les plus suspects. Il est proche du castor par son besoin imbécile de bricoler. Il est aussi malin que le rat quand il s'agit de trouver sa nourriture. Il a le goût du sang qui le met en appétit, comme le requin. Il est social, militariste, discipliné, comme la fourmi qui est, sur beaucoup de Points, son véritable sosie mental. Tout cela n'est pas très grave, me fera-t-on remarquer, du moment qu'on a la santé. Mais sur ce plan-là également, la nature s'est foutue de la gueule de l'homo sapiens ; elle en a fait un homo fragilens qui vit moins longtemps que la carpe, le perroquet, l'éléphant ou la tortue. Il est vrai que l' homme se rattrape en possédant une âme. Ah oui ? S'il en a une, ça doit être celle du scorpion. La vérité est Probablement plus cruelle : l'homme n'a pas une « âme »

rien que ce mot qui sonne tellement mou qu'il paraît preuve sonore de son irréalité — pas plus que le

cloporte, la colombe ou l'otarie, mais on lui a fait croire qu'il en a une pour le consoler de sa fragilité atavique, de son délai ridiculement bref de vie, de ses enfers per- sonnels. Pour l'aider à tenir le coup, pour gonfler bien à bloc le petit ballon qu'il a dans le ventre et qui, s'il

n'est pas gonflé, le pousse à ne pas construire la société et à faire des bêtises asociales qui coûtent cher et ne rapportent rien à personne. Grand bien lui fasse s'il arrive à y croire.

« L'homme est un animal arrivé », disait Remy de Gourmont. Arrivé à quoi ? On pourrait se le demander. A se prendre pour le roi des animaux peut-être. C'est un titre comme un autre, surtout quand on admet que les rois ont presque toujours été des dégénérés.

Dégénéré, il faut bien l'avouer, le Terrien l'est souvent et s'il est arrivé à quelque chose, c'est surtout à un certain stade de laideur et de difformité naturelle qui lui va comme un gant puisque, non seulement il l'accepte avec indul- gence chez les autres, mais il l'assume personnellement avec infiniment de désinvolture et même de fatuité. Prouesse qu'il conviendrait de saluer au passage si elle ne témoignait pas simplement d'une formidable dose d'in- conscience doublée d'un bel aveuglement. Sans aller jusque sur les plages populeuses, un dimanche au cœur du mois d'août, pour juger au poids, en gros et au détail, la qualité avariée de la viande humaine, il suffit de faire les couloirs d'un train et de regarder les voyageurs installés dans les compartiments pour avoir un panorama édifiant de l'hu- manité moyenne. Immobiles derrière des vitres, disponi- bles, parqués en attente, les Terriens sont là à peu près dans le même climat que des animaux de zoo enfermés dans des cages de verre. Quand on longe cet aquarium de cauchemar et que l'on se donne la peine de jeter un regard attentif et lucide à chaque spécimen, on ressent une sorte de vertige après le premier wagon et une réelle nausée quand on arrive au bout du train. Que de gueules maussades, de trognes de kermesse, de faces abruties, de faciès hébétés, de têtes foraines, que de masques grotes- ques pour un seul visage à peu près humain, éveillé, admis- sible. Que de regards éteints, vicelards, hargneux, fourbes,

malsains, mesquins, avinés ou morts pour un seul regard à vif, fait de lucidité, de chaleur et de lumière. Que de Corps bouffés par la grisaille ou la graisse, la cellulite ou la sclérose, pour un seul corps normal, harmonieux, sain, équilibré. E t la même expérience peut être répétée dans beaucoup de lieux publics, dans un restaurant très fré- quenté, dans une brasserie à terrasse et verrière où les consommateurs aiment bien s'exposer au regard des ba- dauds, sans doute convaincus de valoir le coup d'œil, d'atti- rer l'admiration, de représenter ce que l'on fait de mieux habillé, de plus avantageux, de mieux constitué. Ce ne sont d'ailleurs pas à des animaux qu'ils ressemblent, comme on le prétend couramment, mais bien plus à des objets : des porte-manteaux, des ballots de linge, des sacs de blé, des barriques, des fils de fer tordu, des réverbères, des bouteilles, des pots à tabac, et ainsi de suite. On pourrait alléguer qu'il est facile de critiquer le Terrien quand il est au repos, inactif, entre deux actes et que c'est dans l'action et le travail, sa plus réelle activité, qu'il se révèle, gagne en force, santé et plastique. Parlons-en. Force est de recon- naître qu'un humain en train de poinçonner des billets, de trier des lettres, de timbrer des enveloppes, de signer du courrier, de compter de la monnaie, de remplir des fiches ou de plier des circulaires dégage une sauvage beauté et une force tranquille. Soit, il est facile de tourner le travail du bureaucrate en dérision, il paraît toujours ridicule et ne durcit que rarement les muscles. Mais le travail si sain et si viril du maçon ou du paysan, du ter- rassier ou du déménageur doit avoir sa poésie et il risque de donner des Terriens particulièrement réussis. Pure illu- sion, grave erreur. Les travailleurs de force, sous-payés comme ils le sont, pensent surtout à en faire le moins pos- sible avec le plus de sieste possible arrosée de rouge au soleil et, comme leurs gestes sont exclusivement fonction- nels, ils ne développent que certains muscles au détriment

Impr imé en France

L E T T R E O U V E R T E A U X T E R R I E N S

Si déjà on ne choisit pas ses parents, comment faire pour choisir sa planète natale ? Jacques Sternberg a toujours eu le plus grand mal à assumer sa panique d'être réellement né sur cette planète concentrationnaire, la Terre, d'y être coincé à tout jamais.

Incrédule, il accepte son sort, aussi secrètement terrorisé qu'un enfant jeté tout seul dans un paysage nocturne où tout lui paraîtrait nocif. Mais il ne comprend pas — et ne cherche pas à comprendre. Des esprits autrement plus compétents que le sien, dit-il, ont abouti par l'intelligence et le raisonnement au mysticisme échevelé ou à l'aberration mentale. Alors, il s'en tient simplement aux strictes limites de sa lucidité personnelle, et adresse aux Terriens une Lettre ouverte qu'ils auront du mal à prendre pour une lettre d'amour.

Qu'elle soit hargneuse, injuste, injurieuse, arbitraire, atrabi- laire, inutile de le nier ! Mais sincère aussi... Jacques Sternberg tente de prendre des raccourcis pour aller au cœur des choses, sans chercher à les orner de guirlandes. Il tente également de garder la distance, l'étonnement, l'effroi, le dégoût et la colère. S'il devait croire à une devise, il adopterait : Avoir l'œil martien et le conserver en toute circonstance.

« J'assiste terrifié à la diminution de ma haine des hommes, dernier lien qui m'unissait à eux », a écrit superbement E.M. Cioran. Manifestement, Jacques Sternberg n'en est pas là. Et c'est avec tout son talent de pamphlétaire qu'il nous le dit.

Dans la même collection ont paru des œuvres de :

Jules Romains/Maurice Garçon/Robert Escarpit/Albert Simonin/ Salvador Dali / André Maurois / Paul Vialar / André Soubiran / Jean Cau/Jean Grandmougin/Roland Dorgelès/Philippe Bouvard/ Françoise Parturier / Paul Guth / Jean-François Revel / Gilbert Cesbron / Georges Elgozy / Alfred Fabre-Luce / Pierre Démeron / Jacques Laurent/Pierre de Boisdeffre/Jean Fougère/Jean Fourastié/ Robert Soupault/Roger Ikor/Denis de Rougemont/Louis Pauwels/ Jean Lartéguy / Gaston Bouthoul / Henri Modiano / Jacques Soustelle / R.-L. Bruckberger / Robert Lafont / Christine Amothy/ Yvan Audouard.