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OFFICE o'E LA RECHERCHE SCIENTIFIQUE ET TECHNIQUE OUTR"È-MER
REPUBliQUE FEDERALE
DU CAMEROUN
lES VillAGES PIONNIERSde l'Opération. Yabassi - Bafang
ASPECTS SOCIOLOGIQUES
DE L'EMIGRATION BAMILEKE
EN ZONE DE FORET
dans le département du Nkam (Cameroun)
J. C. BARBIER
1
LES VILLAGES PIONNIERS DE L'OPERATION YABASSI - BAFANG------------------------------------------------------------------------------------------------------------
ASPECTS SOCIOLOGIQUES DE L'EMIGRATION BAMILEKE
EN ZONE DE FORET - DANS LE DEPARTEMENT DU NKAM
( CAMEROUN )
par Jean-Claude BARBIER
O.R.S.T.O.M. - YAOUNDE - Novembre 1971------------------------------------------------------------------------------------
COPYRIGHT ORSTOM NOVEMBRE 1971
1
PRESENTATION GENERALE
Les plateaux de l'ouest du Cameroun, au nord de laforêt tropicale, entre la vall~e du Mbam et le Nig~ria, ontét~ peuI'l~s du 17° au 19°s par des populations originairesdu N-E class~es par les linguistes comme semi-bantou, ap-pelées "bamilék~" par les administrateurs français et
"grassfield"par leurs collègues anglais. Ces populationsp~~sentent des structures sociales inspir~es du modèleTIKAR : chefferies de taille variable dont le pouvoir estcentralis~ sur la personne du mfo et dont la diff~renciationsociale est structurée en soci~t~s coutumières ; les li-gnages sont de faible extension et l'habitat ~stdispers~.La population dite bamil~k~, qui occupe les plateaux de lar~gion OUEST du Cameroun Occidental, connaît de très fortesdensit~s d~mographiques, d'où une ~migration importante quia colonisé le Mungo depuis les ann~es 1910 et les autresabords immédiats du plateau (R~gion de Foumbot, Rive Gauchedu Noun, district de Makén~né). Depuis 1965, l'OpérationYABASSI-LAFANG a ouvert, par une route à travers le départe-~ent du Nkam et l'impl~ntation de colons, un nouvel axe àl'~migration bamil~ké dans l'arrondissement de NKONDJOK,en zone de forêt et sur un plateau dont l'altitude variede 400 à 600 m entre le Nkam et la Makornb~.
Si la soci~té bamil~k~ est relativement bien connuedans ses structures traditionnelles, l'étude de son évolution
2ctuelle reste encore à un niveau très descriptif. Les barni-iék~ ont la r~putation d'être "dynamiques" : sur le plateaules femmes travaillent avec soin les champs de cultures vi-vrières et les hommes entretiennent,surtout depuis 1950, desplantations de café arabica et robusta et adhèrent aux coopé-ratives de l'UCCAO ; lararet~ des terres provoque la des-cente du plateau,du surplus démographique,à la recherche d'une
-plantation pe~sonnelle ou d'un emploi de manoeuvre dans les gran-
des plantations de type europ~en de la ~gion de Foumbot,du Mun-go et du Sud du Cameroun Occidental,par ailleurs le commerce
2
investit tous les centres urbains et ou administratifs dusud-Cameroun. Une bourgeoisie d'affaires bamiléké est en-train de naître. Ce "dynamisme" bamiléké est souvent expli-qué par des concepts pré-scientifiques faisant appel à la
notion vague de "mentalité", concept aristotélicien parexcellence pour reprendre l'expression du psychosociologueKURT LEWIN, c'est-à-dire expliquant les attitudes socialesd'un individu ou d'un groupe par une qualité innée possédéepar cet individu ou ce groupe.
Nous pensons qu'une étude sociologique de l'émigra-tion bamiléké peut aider à mieux comprendre les rapportssociaux qui sous-tendent et expliquent ce comportement "dyna-
mique". Dans une première phase de notre étude nous avonschoisi les villages pionniers de l'Opération YABASSI-BAFANG1200 pionniers y sont déjà installés, répartis en 14 villa-ges, soit une population totale de 2 500 immigrés qui s'ajou-tent aux 11 360 autochtones, de l'arrondissement de Nkondjok,dont 3 275 dans la partie de l'arrondissement directementconcernée par la première phase de l'Opération. Cette Opéra-tion, financée par le budget national du Cameroun et le Fondd'Aide et de Coopération (F.A.C.), est gérée par un orga-nisme français d'intervention: la Société Centrale pourl'Equipement du Territoire - Coopération (SCET-COOP) sousla tutelle du Ministère du Plan. Depuis 1970, la gestionest assurée par une société de développement(l), la SODENKAM(Société de Développement du NKAM).
Le périmètre de mise en valeur a une superficietotale de 120 000 ha. La partie concernée par la premièrephase de l'Opération,c'est-à-dire les cantons MBANG etBANDEM Rive-Gauche,représente, environ 53 800 ha ; maiscompte tenu du relief mouvementé de la région où les pentessont souvent très fortes ,et œl'occupation de l'espace parles populations autochtones, la superficie pouvant être at-tribuée aux pionniers est plus réduite. En 1971 les terroirsdes villages de colonisation couvrent 14 350 ha. Dans une------------------------------------------------------------~~-
(1) loi 68/LF/9 du 11 Juin 1968 sur les Sociétés de développe-ment.
LES PLATEAUX o E L'OUEST
ET DU C.AMEROUN OCCIDEN'TAL
d'~prè~ IRCAM - Atlas-
J .C . BAR8iER - ORSTOM- 1911
limites administra~ivesdes dépar~ements bamilékQe.tdu Cameroun Ocçidente1.
® 5/P de NkOndjoK
1/2 000 000
[=:J moins de 300 "'~ de 300 ~ ~OO "'- de 900 à 1S00m.. plllS de
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3
seconde phase, l'Opération doit franchir la Makombé par un
axe Bindjen - Houng en direction de l'Est vers Ndikinimékioù des espaces forestiers sont entièrement disponibles.
Nous avons effectué 4 missions sur le terrain, dansl'arrondissement de NKONDJOK : 3 missions entre le 19 octobre :1 ()-
et le 25 janvier 1971 t et la dernière du 5 juillet au 5 septem--bre 1971. Nous avons surtout fréquenté les 3 premiers villa-ges pionniers implantés en 1966 (Njingan, Ngoman et Ndok-Samba) ainsi que le village Malé près de Nkondjok. 'Du côtéautochtone, nous avons choisi le village de NKOKBANG-MATIN.
4
REMERCIEMENTS
Notre étude présente doit beaucoup à M. le Professeur
BALANDIER, notre Directeur d'Etudes, qui nous a conseillé desituer notre approche de la société bamiléké sous le thème'~radition et modernité" (thème qui regroupe les travaux de
plusieurs chercheurs de la section de Sociologie de l'ORSTOM)et dont la lecture du livre récent "Sens et puissance" (1)
nous a été particulièrement opportune pour resituer nos vil-lages pionniers dans un temps historique nécessaire à la dé-couverte du sens profond de cette expérience de colonisation
qui se révèle,à l'analyse,significatif de l'évolution actuellede la société bamiléké. Elle doit aussi beaucoup à M. G.ALTHABE (2) dont les cours, suivis en 1960-70, nous invitèrentà une réflexion sociolo~ique de l'actualité et en particuliersur les nouvelles communautés en voie de constitution dans lemilieu rural africain, au niveau idéologique. Nous remercions
aussi les autres chercheurs africanistes, sociologues etgéographes, qui assurèrent notre formation dans le cadre d'unséminaire de l'EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes) : Mlle
Claudine VIDAL, MM. Jean-Paul GILG et Marc VERNIERE. Noustenons aussi à remercier M. le Professeur SAUTTER venu nousvisiter sur notre terrain.
Affecté au Cameroun en septembre 1970, nous avonsbénéficié des travaux antérieurs des sociologues de l'ORSTOM
qui travaillent depuis 1965 sur les populations du Nord-Cameroun. Nos conversations avec J.Y. MARTIN (3) que ce soit
(1) G. BALANDIER - op. cit.(2) G. ALTHABE - Oppression et libération danal'imaginaire -
ed. Maspéro 1970 -
(3)J.Y. I~TIN - Les MATAK~~ du Cameroun - Essai sur la Dynruni-gue d'une société pré-industrielle.ORsrOM Yaoundé - '971 . ,Soci~l~gie de l'Enseignement - ORSTOK -Yaoundé1971.
5
à propos des Matakam dont le comportement de rejet de la mo-dernité introduite par le pouvoir colonial est en continuité
avec leur histoire, qui est un refus actif des dominationsextérieures (Kanem Bornou, Mandara, et plus récemment lesFoulbé) ou à propos de la stratégie moderne des Foulbé quiutilisent les structures de l'Etat pour renforcer leur con-trôle de l'espace; nous ont aidé dans notre approche de la
dynamique bamiléké. De même, Guy PONTIE,a propos des Gui-ziga (l),nous a donné un parfait exemple de modification desrapports sociaux à l'intérieur d'une ethnie qui se manifestepar un mouvement migratoire d'une grande ampleur. Notre tra-vail rejoint par ailleurs celui de Samuel NDOUMBE MANGA surles opérations de développement en milieu rural dont la pre-
mière étude a porté sur la plantation de thé de NDU au Came-roun Occidental (2) et qui commence une étude sociologique
de la plaine de NDOP, à la limite nord du pays bamiléké.
Nous avons bénéficié aussi d'un apport important des
géographes de l'ORSTOM. L'Atlas Régional de J. CHAMPAUD (3)peut être considéré comme l'introduction la plus complète etla plus actuelle aux populations des plateaux de l'Ouest-Cameroun. Nous nous sommes initié en compa~nie de J. TISSANDIERà l'étude des centres urbains secondaires lors d'une enquêteinter-disciplinaire. (4) sur le complexe agro-industriel su-crier de MBANDJOK (Haute Sanaga). Les périmètres d'accueildu Nord-Cameroun ont pu nous servir de comparaison pour lesproblèmes de colonisation de "terres neuves" grâce à l'étudede J. BOUTRAIS sur Mokyo (5). Nous trouvons aussi dans les
,
(1) G. PONTIE - Les Guizi a du Cameroun Septentrional - L'or-ganisation trad1 10nne le et es formes de la contestationORSTOM- PARIS - 1970.
(2) Samuel NDOUMBE MANGA - Contribution au dévelo~pement de lathéiculture dans le Grassfield - étude socio-economique cl"
complexe agro-industriel tfiêicole de NDU - ORSTOM - 1970( 3) J •CHAMPAun - op. cit •(4) en cours de rédaction.
(5) J. BOUTRAIS - Aspects géographiques de l'installation desmontagnards en pla1ne,au Nord-Cameroun - ORsToM - 1969.
6
enquêtes d'A. FRANQUEVILLE d'importants éléments sur les mou-vements migratoires dans la région de Yaoundé (1).
Enfin nous tenons à remercier les services adminis-
tratifs et techniques du Centre ORSTOM de Yaoundé qui nous ontassuré d'excellentes conditions de travail.
Notre enquête sur le terrain a bénéficié du concours
de l'administration locale : M. le Préfet de Nkam nous ahébergé à Yabassi lors du dépouillement des archives dépar-tementaleset M. Jean H. BANGA, Sous~préfet de Nkondjok nous
a accueilli avec sympathie à chacune de nos missions.
L'accueil des dirigeants de l'Opération • ~1. PUESCH,Directeur Général, HENAULT, Directeur technique, EOG, Direc-
teur Administratif, MACAIRE, Ingénieur agronome, et deschefs de service; ainsi que l'intérêt porté à notre étudepar M. MOMO Grégoire, actuel député de la Ménoua et qui con-
tinue depuis. le lancement de l'Opération à assumer le rôlede ~esponsable administratif et politique des Pionniers;
furent indispensables à la réalisation de notre enquête. Celle-ci fut considérée comme opportune au moment même où,après5 ans d~existence,l'Opérationprépare une seconde phase deconsolidation et d'extension. Bien que notre réflexion socio-logique déborde le cadre strict de la zone pionnière, et quenous soyons conscient de ne pas avoir traité dans la pré-
sente étude tous les problèmes posés aux principaux acteursde cette Opération, nous espérons cependant que notre ~on
tribut ion aidera à resituer celle-ci dans le développement
de toute une région: l'arrondissement de Nkondjok, c'est-à-
--------------------------------------------------------~--~-
(1) A. FRANQUEVILLE - Le paysage urbain de Yaoundé.Les Cahiers d'Outre-Mer nO 82" - avrll-juin 1968 p.113-154.
- Les immigrés du quartier de la"Brique-terie"à Yaoundé (colloque de Bordeaux 1970) ORSTOM 1970.Etudes de Géographie urbaine aU,Cameroun.
7
dire toute la partie nord du Nkam, et à envisager l'évolutionà plus long terme de la société pionnière.
Nous conservons un excellent souvenir de nos séjours
dans les villages pionniers. Hébergé chez eux nous avons pu
constater par nous même le confort de leur habitat moderne, etla qualité des repas que leurs femmes nous préparèrent. Leur
participation à notre enquête fut très directe et c'était bien
souvent eux qui nous invitaient à visiter leur plantation.Certains nous firent part de leurs projets. Nous avons été
introduit dans la société autochtone par M. Jean DIHANG, étu-
diant en linguistique à l'Université Fédérale du Cameroun à
Yaoundé, et M. DIHANG NDOP Paul chef du canton Mbang nous ma-
nifesta toujours son amitié. Il en fut de même pour le chef du
village Nkokbang-Matin. Nous remercions aussi les chefs des
autres cantons de l'arrondissement qui participèrent active-ment à notre enquête historique : cantons MBIAM, BAKWA, MOYA et
TONGa.
Ont collaboré à cette enquête MM. Gré~oire SOTCHOUA,
Aide-Technique de Sociologie, Benoît MBALLA, Aide-Technique de
Géographie, Victor NTOKE, habitant à Nkokbang Matin, et Michel
KAMENI, étudiant à Bafang.
8
PLA N
PRESENTATION GENERALE ..........................................Page
1
RE.MERCIEMENTS •••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••••• 4
INTRODUCTION
PLAN .......................................... ., ................................................................
8
9
1ère PARTIE : L'EMIGRATION BAMILEKE PRE-COLONIAl~ ........... 321- L'occupation de la partie septentrionale du plateau
Bamiléké .. ilIl • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 362- Dynamismes sociaux et peuplement de la partie méridionale
du plateau .3- L'émigration Bamiléké en zone de forêt ................
6076
2èrne PARTIE : DYNAMISMES SOCIAUX DES VILLAGES PIONNIERS 118
1- Recrutement et installation des pionniers ••••••••••.••• 1232- Caractéristiques de la population pionnière et pro-
cessus de différenciation sociale ••..•..••••••••••..• 1593- Mode d'organisation sociale des villages pionniers ••.• 191
3èrne PARTIE : COLONISATION AGRICOLE ET DEVELOPPEMENT REGIONAL 221
...........................................
1- Les caractéristiques de l'exploitation agricolepionnière, et le projet pionnier ••••..••..••••••••.••••
2- Effets secondaires de l'Opération sur les sociétésautochtones
227
254
BIBLIOGRAPHIE
"1 ;t~ t',~ -- --...........................................................
CONCLUSION
RbAN
.....................................................................................................
290
299
301
9
l N T R 0 DUC T ION
A - La société bamiléké est connue dans ses principales structures
traditionnelles, du moins celles des grandes chefferies de l~partie septentrionale, de Bandjoun à Dschang. Lorsque les Al-
lemands abordèrent le plateau bamiléké vers 1903 (1), ils dé-couvrirent une mosaique de chefferies de taille très variable(les plus petites ne dépassant pas 1 000 habitants et les plus
grandes, telle Bandjoun, atteignant 30 000 habitants). La pé-
nétration allemande utilisa les rivalités politiques entre
chefferies et favorisa les unités guerrières comme BALI et BANAqui jouaient un rôle important dans la traite des esclaves.Lors de la mise en place des structures administratives, le
pouvoir colonial comprit très tôt tout le bénéfice qu'il pou-
vait tirer de la hiérarchie sociale bamiléké et de la disci-pline des sociétés coutumières pour l'encadrement des popula-
tions. Il mit à contribution les sociétés de quartier (manjoc);
le chef (mfo) et ses principaux notables (nkêm), pour la col-
lecte de l'impôt, les recensements administratifs, les vacci-nations, le recrutement de la main-d'oeuvre pour les chantiers.
Le pouvoir colonial faisait ainsi l'économie d'une structureadministrative artificielle, comme le fut la création des chef-
feries supérieures dans les sociétés segmentaires, sans pour
cela prendre le risque de renforcer un pouvoir traditionnel
ayant déjà atteint un fort degré de centralisation et capablede devenir un pôle de résistance, ou du moins d'autonomi~àl'exemple des lamidats peumdu Nord-Cameroun et-du SultanBamoun (2).
----------------------.--------~---------------------------------
(1) le~ plateaux ont été parcourus pour la première fois en1889 par le Dr. ZINTGRAFF dans la ré~ion de BALI
(2) Le Sultan Bamoun NJOYA fut déposé en 1923 par l'administra-tion française.
r
10
Il n'est donc pas étonnant que la littérature socio-
logique hérite en premier lieu des généalogies dynastiques
et du recensement complet des sociétés coutumières et des
titres de notabilité, renseignements glanés lors des tournées
administratives dans plusieurs chefferies. Dans un article
publié en 1949, R. DELAROZIERE coordonna ces diverses données
en rappelant l'aspect collectif de son travail (1) et les
motivations qui animèrent les chefs des circonscriptions
administratives :"ce travail n'a pas été fait dans un esprit,
ni dans un but purement scientifiques. Les observateurs qui
sont cités sont des administrateurs, qui se sont attachés à
l'étude des faits, dont la connaissance pouvait les aider,
immédiatement, dans leur travail: d'où l'importance donnée
aux questions politiques et sociales ••• " (2)
La politique économique coloniale ori~nta aussi
l'observation sociologique en termes d'analyse structuraliste.
Le plateau bamiléké, du fait de ses conditions naturelles favo-
rables (climat tempéré par l'altitude et salubre J nombreux
sols volcaniques ••• ) et de l'"acharnement" de ses agricul-teurs, (3) est capable d'approvisionner les centres administra-
tifs et urbains environnants en produits vivriers (Foumban,
Douala, Nkongsamba ••• ). Voulant préserver cette fonction,
l'administration coloniale freina le développement des cultures
industrielles sur le plateau même, et seuls les chefs et no-
tables reçurent l'autorisation d'ouvrir une plantation de café
arabica (4). Jusqu'en 1950, c'est surtout dans l'environnement
(4)
R. DELAROZIERE - Les institutions politiques et socialesdes populations dites Bamiléké - Etudes CamerounaisesnO 25-26-27-28, 1949. L'auteur précise "Il s'agit du tra-vail d'une équipe d'Administrateurs qui se sont succédé ••• "p.b
R. DELAROZIERE, op.cit. p.7.
Pierre GOUROU - L'AFRIQUE - Paris 1970 - éd. Hachette -qualifie l'agriculture bamilék~ "d'acharnée", mais lui re-fuse cependant le caractère d'intensivité. p. 178.
Cette culture exige par ailleurs un entretien soigné etune vulgarisation trop rapide aurait pu favoriser le dé-veloppement des parasitoses.
~Si
CARTE ADMINISTRATIVE
DES OEPARTEMENTS 6AMILEKE
Les Chefferies
d'après J.CHAMPAUOAtlas R'gionalOuest ~ -
~c~elle: 1/500 000
" r:ongoli~ 6anclcMmlka.
3 Bab"9 'JiU..4 8àoutcha·Uittlllll
S fon!llu1nkorft
, ~"7 e,buiai
3.C.8A~8IE~ - ORSTOM - 197~ -
11
du plateau que s'étendit l'agriculture de plantation, princi-
palement le Mungo et la région de Foumbot. Par ailleurs, le
pays bamiléké restait un réservoir de main d'oeuvre auquel
l'administration avait recours pour les travaux d'intérêtpublic et le développement du port de Douala. Cette politique
malthusienne ne prit fin que tardivement, vers les années 50,
provoquant alors un développement si brutal de café qu'il fut
désordonné et que J.L. DONGMO n'hésite pas à qualifier de "fir:v,
de la caféiculture" et de "phase capitaliste" (1).
On comprend que J. HURAULT(2) ait pu rêaliscr une des-cription aussi minutieuse et complète de cette agriculture tra-
ditionnelle bamiléké qui a su transformer un plateau fores-
tier en terroir entièrement exploité (vallées de palmiers rél.-
phia, cultures vivrières en bas de pente, petit élevage sur
les sommets) et aboutissant à un aspect bocager (habitat dis-
persé, reboisement par un système de haies).
Même la richesse culturelle de la civilisation bami-
léké incite à une contemplation du passé. Ne possède-t-elle pas"les plus belles maisons d'Afrique" ? pour reprendre l'expres-
sion de Pierre GOUROU (3). Les artisans au service de la chef-
ferie s'employaient par la sculpture des lintaux de portes, descadres de fenêtre, des piliers qui soutiennent le débordement
(1) Jean-Louis DONGMO - La chefferie de Bafou - Juin 1969 -Lille. Le café arabica-fut~ntroauit-en1925 dans la chef-ferie de Bafou et dans la plupart des autres chefferies duplateau. La station de Dschang était chargée de la luttephytosanitaire. L'auteur situe "la période contrôlée dela caféiculture" de 1928 à 1950. (P.140).
(2) J. HURAULT - Notes sur la structure sociale des Bamiléké -ronéotypé - 1956.
- La structure sociale des Bamiléké. 1962. ed.Mouton.
- ESSài de synthèse du système social des Bami-léké.in Africa (Londres) vol.XL p.1-24. jan-V'I'ër 1970.
- L'organisation du terroir dans les groupementsbamiléké. in Etudes Rurales nO 37-38-39p. 232-256--,1970.
(3) P. GOUROU. op.cit.p. 179.
12
du toit, des sièges etc. à traduire la puissance du mfo et
de ses grands notables. Nous ne pouvons qu'être reconnaissant
à R. LECOQ (1) d'avoir photographié cette civilisation quelques
années avant les troubles de la décennie 1955-65 qui ravagèrent
la plupart des chefferies.
B - Cependant, le pouvoir colonial constata bientôt le dysfonc-tionnement de ces structures traditionnelles. Par là, la so-
ciété bamiléké fut perçue comme problématique. La rareté des
terres augmentait avec la croissance démographique et les non-héritiers devaient de plus en plus émigrer ; la suppression
officielle du régime matrimonial du Nkap (2) dans une économie
en voie de monétarisation croissante augmenta la fréquence des
mariages dotaux et s'accompagna d'une inflation de la dot;
l'appui administratif accordé aux mfo dispensa ces derniers
de réunir les grandes sociétés coutumières. Le système bamilé-ké se bloquait alors, à son niveau le plus élevé, dans sa ges-
tion de la rareté (3)
- le mfo en tant que propriétaire de la terre ne pouvEit plus
assumer son rôle de distributeur foncier vis à vis des nou-velles générations.
- la fin de la traite des esclaves (hommes vendus, femmes ma-
riées sous le régime Nkap) et l'interdiction du Nkap, dimi-
nuaient le rôle du mfo en tant que distributeur de femmes,
et par là-même sa capacité à resserrer les liens sociaux c~t~
tour de lui en termes de parenté et de clientèle.
(1) R. LECOQ - Les Bamiléké. Une civilisation africaine. 1953.Présence Africalne.
(2) "Les trafics et les abus qu'il a recouverts et qui furentvigoureusement dénoncés dès 1927 et 1928 le firent déclarerillégal". C. TARDITS - Les Bamiléké de l'Ouest-Cameroun -1960 - ed.Berger Levrault, Paris. p.22.Nous expliquerons plus en détail le régime du Nkap ; disonsdès maintenant qu'il offre l'avantage de pouvoir obtenirune femme sans compensation immédiate à la personne dona-trice, mais celle-ci décidera à son profit du régime ma-trimonial des enfants filles qui naîtront de c~tte union.
(3) "le débat social porte, en définitive, sur la rareté etl'inégalité, et il oriente a.insi .les pratiq.ues socialesles plus décisives" (G. BALANDIER, Sens et Puissance, p.61)1971 - PUF - PARIS.
13
- l'affaiblissement des sociétés coutumièr~s freinait les pos-
sibilités d'ascension sociale à l'intérieur même de la chef-ferie, et les réunions étaient vidées de leur contenu politi-que, c'est-à-dire de la consultation des notables par le mfo
avant la prise de décisions importantes.
Dans une optique fonctionnaliste, l'émigration peut
être considérée comme un moyen de débloquer temporairement lasociété bamiléké.
- Le Mungo et la reglon de Foumbot présentaient des terres ri-ches et peu exploitées et l'administration encouragea cette
expansion en organisant la colonisation de la Rive Gauche duNoun à partir de 1928.
- le travail salarié à Douala ou dans une plantation permetl'accumulation d'un capital, qui, fructifié éventuellementpar le commerce, donne droit à l'accès aux femmes par la dot.
- quant au prestige social du planteur ou du commerçant quiréussit, il présente le double avantage d'intégrer l'indi-
vidu dans la vie moderne et d'autre part d'être facilementconvertible en termes trad.itionnels, l'émigré étant rarementen situation de rupture avec son milieu d'origine: il yrevient en cas d'héritage et participe aux cotisations pour
l'aménagement de la chefferie; sa présence aux funéraillesest impérative.
Les évênements de 1955-65 où sous l'impulsion del'U.P.C. le Mungo et le Pays Bamiléké entrèrent en conflit ouvert
avec le pouvoir colonial, puis le nouveau gouvernement came-rounais (1), confirmèrent l'éclatement des structures sociales
(1) Les informations les plus complètes sur cette phase de ladécolonisation se trouvent dans G. CHAFFARD. Les carnetssecrets de la Décolonisation. 1967. Paris - éd. calmann -Lévy. 2 vol. et LE VINE (J.T.)- The Cameroons from man-dats to independance. University of California Press.Bartely and Los Angeles 1964 XI. édité en français sousle titre: Le Cameroun 1970 - ed. internationales - 2 vol.
14
traditionnelles. Le terme de jacquerie est utilisé pour carac-
tériser cette révolte contre les structures de la chefferie
considérée comme représentante du pouvoir colonial au niveau
local du fait d'une longue collaboration:
" Elle a les caractéristiques d'une jacquerie, en cesens qu'elle est dirigée contre les chefs qui ontabusé de leur autorité durant la colonisation etdes opportunités de l'économie coloniale pendantune longue suite d'années. C'est aux notables que"l'esprit d'entreprise" et l'expansionnisme bami-léké ont d'abord apporté profit. La rebellion, quia surtout visé les "collaborateurs" de la colonisa-tion, opéra en synchronie avec les manifestationsles plus violentes du nationalisme camerounais leplus radical. C'est donc à la fois une révoltepaysanne, visant les autorités "compromises", etune revendication nationalitaire qui s'allie à l'ac-tion la plus révolutionnaire". G. BALANDIER (1).
C - Une analyse de la société bamiléké pourrait donc être conduite
à partir d'un exposé des structures traditionnelles et de la
remise en cause de celle-ci par un facteur interne : la sur-
population, due à l'augmentation de la population et au dé-
veloppement de la caféiculture ; et un facteur externe :
l'idéologie upéciste et le processus de décolonisation. L'étude
des regroupements actuels, oü la dégradation du systême boc~vr0est particuliêrement nette,se situe dans cette optique(2). Be-
pendant une telle analyse reste centrée sur les structures
traditionnelles rencontrées par la colonisation et dont l'obser-
vateur constate l'usure à l'épreuve du temps et les changements
profonds dus aux variations du contexte extérieur. Or cette
analyse à partir de structures sociales déjà constituées, bienque nécessaire, n'en reste pas moins insuffisante.
Constatons d'abord que la description minutieuse desstructures sociales se heurte à la três grande diversité qui
rêgne en Pays Bamiléké. La formation du bocage est un phéno-
----------------------_._~-~---------------------~--------------
(i) G. BALANDIER - Sens et Puissance - 1971 - PUF-PARIS- p.210
(2) J.L. DONGMO, op.cit., apporte à ce sujet des renseignementspertinents sur l'évolution actuelle de l'agriculture bami-léké.
- 15
mène récent et la partie méridionale du plateau (Ndé, Haut-
Nkam), dont l'économie est centrée sur l'exploitation du pal-mier à huile (élaeis), ne l'a sans doute jamais connue.Lesgrandes chefferies comme Bandjoun, Bafoussam, Baleng, Baham
résistèrent à l'épreuve des évènements des années 1955-65, etleur élite traditionnelle a entamé un processus d'adaptationremarquable dans le contexte politique moderne. Les petites
chefferies par contre sont nombreuses à ne plus être opérantes
dans le contexte actuel et à ne plus pouvoir offrir à leursmembres des statuts sociaux traditionnels valorisés. R.BRAIN(1)
opposa les Bangwa de Nweh-Mundani area council (arrondisse-ment de Fontem au Cameroun Occidental (2) aux bamiléké de
l'Est à propos du régime matrimonial du Nkap. Cette diversitéest encore plus évidente si on inclut le pays bamiléké dansune aire culturelle plus vaste qui couvre l'ensemble des pla-
teaux de Bana à Nkambé et de Bali à Ngambé. Cette civilisationorganisée en chefferies dont plusieurs évoluaient en royaumes(les Bamoun réussirent, les Nso, Bali et Bandjoun essayèrent)
s'est formée à partir d'éléments migrants dont la plupart ve-
naient du N-E après avoir traversé l'aire Tikar (3). Ces élé-ments, au cours de leur migration,utilisèrent le modèle tikardans leur dynamique de reconstruction sociale, et aboutirentà la constitution de chefferies centralisées en la personne dumfo et fortement hièrarchisées par un système de sociétés cou-
tumières et de titres de notabilité. Les autochtones trouvéssur place et les populations de forêt qui occupaient le rebordméridional du plateau furent totalement assimilés. Seuls lephénomène récent d'une surpopulation,et· l'émigration qui endécoule, caractérisent nettement l'actuel pays bamiléké, mais
---------------------------------------------------------------(1)
(2)
Robert BRAIN - Ban~wa (Western Bamiléké) Marriage wards -in. Africa vol. XX IV nO 1 pp. 11-23. .Le Cameroun Occidental correspond à la zone sous mandatanglais "Southern Cameroons", et qui était rattachée àl'administration du Nigéria avant de décider la réunifi-cation avec le Cameroun anciennement sous tutelle fran-çaise, le 1er octobre 1961.La plaine Tikar est formée par la haute vallée du Mbam.La plupart des populations des plateaux se disent origi-naires de Ndobo et de Rifum, situés près du Bankim actuel.
16
ce dernier n'est nullement une entité ethnique distincte etl'appellation "bamiléké" utilisée par les Allemands lorsqu'ils
arrivèrent dans la région de Dschang est une dénomination pu-rement administrative qui aujourd'hui donne l'occasion d'un
exercice d'exégèse (1). Les administrateurs anglais,quant àeux,employèrent le terme "grassfield" pour désiftner les po-pulations des plateaux.
Si la lecture de la société bamiléké en termesde
structures traditionnelles, qui craquent car bloquées, peut
rendre compte des causes du départ du migrant, elle ne permet
pas,par contre,de suivre ce dernier dans sa zone d'accueilet introduit par là une discontinuité historique. Une com-paraison trop directe entre zone de départ et zone d'immigra-tion ne semble pas devoir être féconde car les deux termessont trop éloignés: le milieu urbain de Douala n'a pas deréciproque,l'agriculteur bamiléké descend de son plateau pour
ouvrir une plantation en forêt dans le Mungo ou le Nkam, ouen savane de Koupara à Makénéné, il ne cherche pas à repro-
duire le système agricole traditionnel en l'adaptant aux nou-velles conditions écologiques, mais devient essentiellement
planteur; par ailleurs il est évident que les zones d'immigra-tion bamiléké ne peuvent plus se structurer en chefferies.
(1) Selon le R.P. STOLL, cité par I. DUGAST (Inventaire ethni-que du Sud-Cameroun - Mémoire IFAN p. 115) le terme bamilé-ké seralt "un monstre de corruption ayant autant de fautesque de syllabes" qui aurait transformé le mot du parler deDschang : mba-liku, c'est-à-dire les habitants originairesdu trou de terre (ou les habitants de vallée).J.L. DONGMO donne comme point de rlépart de terme Lekeo quin'est connu que des Bafou et de leurs proches voisins,notamment les Baleveng, pour désigner le territoire de lachefferie Bafou(9ans doute le nom que portait Bafou lors-qu'elle était encore dépendante de Baleveng). Le mot Bami-léké serait alors une déformation de "Mbo Lekeo" : lesgens de Lekeo, (J.L. DONGMO op.cit. p. 39).E. GHOMSI (Les Traditions d'origine des Bamiléké - doc.ronéotypé - 1971) remarque que les documents allemandssituent les Barn Léké dans la rép,ion de Dschang. L'inter-prète qui accompagnait des llemands a sans doute vouludésigner ainsi les diverses populations établies dans lacuvette de Dschang.
C A ~ T E E 'T M N 1 ç U E
AlPART'TION GE04RAP"IQUE DES POPULATIONS &AI"\I LEKE
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Abamil é.ké :
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17
D - Notre étude portant sur les zones d'immifration bami-
léké nous proposerons volontiers un autre mode de lecture,qui
peut être complémentaire u premier. L'émigration bamiléké
dont nous avons déjà vu les principales causes dans le bloca-
ge ~u système de gestion de la rareté (terres, femmes, pouvoir
politique) libère une dynamique des agents sociaux individuels,
les pou~se à l'innovation, à l'élaboration de nouveaux statuts
sociaux dans une société en voie de décolonisation et qui
s'annonce nouvelle. Par là, la société Bamiléké manifeste une
puissante créativité interne : " La relation des agents so-
ciaux à la société - dans les multiples situations où ils in-
terviennent - manifeste de même la création continue à laquelle
celle-ci se trouve soumise." (1) G. BALANDIER.
En fait, les structures traditionnelles n'ont jamais
étouffé totalement l'initiative individuelle. Ceci est valable
à des degrés divers pour toute société, mais la société bami-léké, plus que d'autres, offre des chances de promotion indi-
viduelle. J. HURAULT a su dégager cette straté~ie permise etencouragée par le système social :
- L'usufruit de la terre dure tant que la lignée du bénéfici-
aire de s'éteint pas, et il est indivisible car un seul fils
est héritier. La répartition des terres par le mfo assure
donc une autonomie économique à tous les individus et se fait
sans discrimination. Avant le rush sur les terres encore dis-
ponibles lors de "la fièvre de la caféiculture", la réparti-
tion des terres ne fondait pas une différenciation sociale
le notable ne possédait pas une superficie beaucoup plus
grande que celle dont disposait un simple habitant de sonquartier."Rien dans l'attribution des terres ni dans le sys-
tème économique ne conduit à placer systématiquement unecatégorie d'habitants dans la dépendance d'une autre"(2).
----------~------------------~---~-----------------------~._----
(1) G. BALANDIER - Sens et Puissance - op. cit. p. 59(2) J. HURAULT - Article in Africa - op. cit. p. 4
18
- le mariage sous le reglme du nkap permettait l'agrandissement
de sa lignée et l'entretien d'une clientèle le donateur (ta
nkap) (ta = père, nkap • argent) bénéficiant en échange dela femme donnée sans dot, du droit matrimonial sur les enfants
filles issues de l'union. Une stratégie de capitalisation
humaine pouvait ainsi s'exercer sur plusieurs générations.
Le mfo et ses grands notables opéraient ainsi, mais aussi
tout individu qui avait des descendants féminins. A Bandjoun
80 %des mariages se faisaient sous ce régime.
- l'entrée dans les grandes sociétés coutumières, l'obtention
d'un titre de notabilité, et plus ~énéralement l'héritage,
s'acquièrent autant par le mérite que par la naissance. L'hé-
ritier est en général l'iiné, mais si ce dernier ne répond
pas à l'attente du père et le déçoit dans son comportement,
il peut être écarté au profit d'un cadet. Les fils de chefs
sont soumis aux mêmes conditions: l'attribution du titre de
sop, l'entrée dans les grandes sociétés coutumières, ne sont
pas automatiques et le fils du Chef doit faire preuve de cou-
rage et de sagesse. Un homme libre ou un serviteur peut en-
trer dans la parenté du Chef en recevant de sa part une femme
et un titre. "La dignité ••. accordée n'est pas chose figée,
appelée à se transmettre d'âge en âge sans modification. Aux
yeux des Bamiléké, le titre est peu de chose. La considéra-
tion qui s'y attache dépend dans une large mesure de la person-
nalité du détenteur, de son activité, de sa richesse, de sa
place effective dans la vie du groupement. Nous touchons ici
à un aspect essentiel de la société Bamiléké, l'importance
attachée à la mobilité sociale et à la promotion personnel-
le" (1).
- Un processus de se~entation de ligna~e s'effectue après la
2ème génération pour les descendants non-héritiers. Ces der-
niers deviennent automatiquement chef de lignée potentielle.
L'individu n'a donc ni le soutien, ni non plus contrôle d'unlignage important car les unités familiales restent toujours
de taille restreinte.
(1) J. HURAULT - Article in AFRICA - op. cit. p. 5
•8ato'Ut'iBerl:oua•
J.C.8~RalER - ORSTOM - ~971 -
•5angmé'lima
émigration urbaine
~chel1e:1/ 5 000 000
Zone de dépal't
émig~ation rurale
centre ~rbain où le Teeens~~entn~ donne pas la répartiti~ne.tnnique
2-lrnm = 100 hab.1 cm2 '" 10 000nab .
'EMIGRATION
d'après C~rtt ORSTOM ~Localis8tiondeç g~oupes humiins" -feuille sud -
Sect.de G~ogr6P~~eYaounël' -an pré-par'3 tion -
po::" •l"
[J
L
'
ri., .....-
~ •.,·1., •1.;;-.: :::1~~~j
19
J. HURAULT conclut: "la mobilité sociale constitue la rai-son d'être, et si l'on peut dire le moteur de l'ensemble du
système d'institutions des Bamiléké" (1).
Mieux, les structures traditionnelles ba~iléké ren-
contrées par les allemands au début du XXa étaient le pro-
duit d'initiatives individuelles. Rares furent les groupes de
migrants déjà constitués en chefferie antérieurement à leur
montée sur le plateau, rares aussi les groupes familiaux im-
portants qui auraient pu conserver une certaine autonomie
clanique comme pour les ethnies du Nord-Cameroun issues égale-
ment de longs et complexes mouvements migratoires (2). Le jeu
social s'établit essentiellement entre familles restreintes,
très hétérogènes dans leur origine, voire de simples in-
dividus par exemple chasseurs et commerçants ; ou bien un
groupe de partisans fait scission par rapport à .sa cheffe-
rie d'origine à la suited~onflits de succession. Dans lesvillages pionniers de l'Opér~tion Yabassi-Bafang nous avons
pu observer, à l'état naissant, des processus de reconstruc-
tion sociale en zone d'immigration récente, où l'initiative
individuelle est particulièrement opérante, et n'est pas sans
rappeler les rapports SOCÜ?'lX qui s'établirent lors du peu-
plement du plateau bamiléké.
La lecture que nous proposons rétablit une continuité
dans l'histoire bamiléké, situe le mouvement mi~ratoire com~e
situation fondamentale on s'élaborêrent les modes d'agence-
ments sociaux entre migrants. L'émigration du XXa réactualise
sur des thêmesmodernes le modêle culturel Tikar qui fut uti-
lisé par toutes les populations des plateaux dans leur proces-
(1) J. HURAULT ~ Article in AFRICA - op. cit. p. 6, à ce sujetl'auteur remarque que "la notion de promotion personnelle,dans le cadre de société de notables, n'est pas particu-liêre aux Bamiléké : elle se rencontre dans une aire cul-turelle assez vaste du Cameroun Occidental et du Nigéria,et notamment chez les Ibo."
(2) J. HURAULT dans son article : Quelques aspects de la struc-ture sociale des montagnards Kirdi du Nord-Cameroun.Bull. de l'IFAN - Janvier 1958).montre comment les divers clans qui constituent un villagese partagent des différents pouvoirs politico-religieux.
20
sus de reconstruction sociale au terme de leurs migrations,
les migrants bamiléké du XXo réutilisent un matériel histori-
que qui s'est avéré efficace dans la mobilité spatiale d'une
partie importante de la population camerounaise(1).
L'accent mis sur l'importance des stratégies indivi-
duelles permet de comprendre la très grande sensibilité de la
société bamiléké au processus de décolonisation. Les évène-
ments de 1955-65 ne s'expliquent pas seulement par une crise
sociale des chefferies, mais aussi par la participation, des
éléments les plus ambitieux, non-intégrés économiquement (ni
planteur ni commerçant) et socialement (ni notable. tradition-
nel ), à une course au pouvoir déclenchée par l'éventualité
d'un retrait du pouvoir colonial. Sentant la gestation d'une
nouvelle société dont le pouvoir est à prendre, les individus
cherchent activement à se situer dans des rôles sociaux va-
lorisés et portant la promesse d'une promotion future. Ce pou-
voir était nouveau et situé à un niveau national. L'UPC of-
frait le moyen d'y accéder. Le cadre de la chefferie n'était
plus suffisant pour satisfaire les ambitions, nota~~ent les
petites chefferies dont la hiérarchie ne pouvait rivaliser
de prestige avec les statuts,modernes en cours d'élaboration.
La proximité de l'Indépendance provoqua cette explosion de la
société bamiléké, qui n'est pas tant une désintégration des
structures traditionnelles qu'une participation active à la
course au nouveau pouvoir. Les troubles en pays bamiléké ne
sont pas des signes d'une décadence interne, mais la crise
est née de l'irruption de l'horizon national comme donnée nou-
velle, elle témoigne plus de la ~i~ueur de la civilisation
bamiléké que de la vieillesse de ses institutions. Dans cette
course au pouvoir le pays bamiléké fut profondément divisé :
les mfo des plus grandes chefferies cherchaient à se donnerune dimension nationale, par exemple comme déput~, et entraf-
naient derrière'eux toute une clientèle; l'agitation upéciste
ne réussit pas à se transformer en révblut·ion populaire, la
------~-~-~----------------------------------------------------
(1) la population bamiléké dépasse sans doute les -900.000 hab.et 28 % de la population camerounaise vit sur les plateauxde l'ouest dont la superficie n'atteint pas 7 %du terri-
. toire national (cf. J. CHAMPAUD ~ Atlas Régional Ouest 2ORSTOM 1971 - p.4).
21
répression permit à d'autres Bamiléké de faire carrière soit
dans l'Armée, soit dans les Gardes Civiques; des ralliements
spectaculaires au nouveau régime du Président Ahidjo eurent
lieu.
L'insertion au niveau national des éléments bamiléké
les plus dynamiques s'est également réalisée au niveau écono-
mique et d'une façon plus réaliste que l'aventure upéciste.
Planteur, commerçant, artisan, transporteur, ou constructeur
immobilier, le Bamiléké s'assure une base économique qui lui
permet l' ac_cès au milieu urbain et aux biens de consommation
moderne. Cette puissance économique d'une bourgeoisie nais-
sante est d'ailleurs convertible en pouvoir politique par l'in-
termédiaire d'un réseau de clientèle. La civilisation bamiléké
n'a pas souffert comme tant d'autres sociétés Rfricaines,
d'une incompatibilité avec "l'introduction d'un système éco-
nomique exclusivement fondé sur la recherche d'un profit per-sonne l ••• " ( 1) •
"Dès avant le choc des idées modernes, lè système Bamilé-ké avait précisément élaboré la notion d'une promo-tïon individuelle, et la mobilité sociale était saraison d'être. Sous les influences nouvelles, l'idéeque l'on se faisait de la réussite sociale a changé;la richesse est désormais matérialisée par des objetsmanufacturés et non plus comme jadis par des trou-peaux de chèvres ; mais les structures ne sont paspour autant détruites ; elles peuvent en tout cas,et c'est là le point essentiel, accueillir ces chan-gements sans se trouver placées en face d'une con-tradiction interne." (1) J. HURAULT.
E - Un tel mode de lecture privilégie l'observation des
pratiques des agents sociaux, ·c'est-à-dire des formes de
praxis qui se manifestent dans les diverses circonstances oa setrouvent engagés les agents sociaux·' (2). G. BALANDIER rappelle
que la démarche scientifique procède des faits observés, des
pratiques concrètes, et non du discours officiel des institu-
tions : "elle tente~ à partir de ces dernières (des pratiques
-----------~------------------~----------------------~-~_...._-_.__.(1) J. HURAULT - article in Africa - op. cit. p. 23.52) G. BALANDIER - Sens et Puissance - op. cit. p. 59.
22
sociales) d vappréhender les systèmes soci aux dans leur conti-
nuelle formation et transformation, de déterminer leur marge
dVincertitude" (1), marge d'incertitude car tout système a
un caractère approximatif (2). Les agents sociaux vont utiliser
cette marge d' incerti tuàe dans la recherche d'une stratégie :.
optimale "se déterminant par rapport aux stratégies possibles" (3)
du système, et vont essayer de IVélargir par la manipulation qui
ne respecte quVen apparence les normes et les règles. CVest, fi-
nalement, la prédominance dVun type de pratique sociale qui
caractérisera la société globale, et G. BALANDIER propose 4 typespouvant opérer dans un système social : la conformité (cvest-à-
dire IVacceptation passive du système établi), la stratégie (qui
est une acceptation active et calculée où les agents sociaux
utilisent au maximum les possibilités du système à leur avanta-
ge), la manipulation, la contestation qui vise à ébaucher une
contre-société au sein même de la société officielle. A cela,
IVauteur ajoute les pratiques définies par rapport à un système
social à venir: la révolution dont il faut provoquer l'irrup-
tion. On pourrait aussi distinguer le comportement des agents
sociaux orientés par la référence à un autre groupe auquel ils
cherchent à s'intégrer par assimilation (4).
Ces pratiques, surtout si elles prédominent dans les
types stratégie et manipulation con~e cela semble être le cas
pour la société B~niléké (après la phase contestatrice de la
décennie 1955-65) assurent au système social une vitalité in-
---------~--------~-------~--------------------------------------
G. BALM~DIER - Sens et Puissance - op. cit. p. 59Les normes ne peuvent pas en effet prévoir tous les compor-tements des individus, ceux-ci disposent souvent de plu-sieurs registres pour atteindre un même but, les élémentsdtun système ne 'sont pas tous homogènes chronologiquement,etc.
idem. p. 66.la théorie du groupe de référence développée par R. ~ERTONdans "éléments de théorie et de méthodesociolo i ue" 1965(deuxieme edition - Paris, ed. PLON - pp. 202-294 proposesur ce sujet des concepts élaborés en psychologie socialeet en micro-sociologie mais utilisables, à notre avis) pT':~des sociétés globales.
23
terme et une capacité d'adaptation aux medifications de l'envi-
ronnement c'est essentiellement par l'étude des ces pratiques.que nous pouvons entrevoir les nouveaux modes d'agencements
sociaux suite au remaniement général de la société qui a ac-
compagné le processus de décolonisation. Une telle étude exife
une sociologie rigoureuse lI acquise sur le terrain de la diver-
sité, de la complexité, du continuel devenir des sociétés
humaines"(l), capable de déceler, au delà des structures po-
litico-administravives actuelles et de l'idéologie liée à la
construction nationale, les nouvelles communautés en gestation
dans l'Afrique moderne. Les zones d'immigration tant rurales
qu'urbaines constituent en cela des laboratoires de choix.
De son côté, la méthodologie pour une meilleure ap-
préhension des mouvements Migratoires conduit à enregistrer la
pratique sociale de l'individu dans toute sa mobilité spatiale,
c'est-à-dire les étapes successives du migrant et non seulement
son groupe d'appartenance actuel et sa résidence antérieure.
li Tout démontre que eeule la connaissance, non frac-tionnaire mais complète, des parcours individuels,peut permettre d'apprécier les phénomènes globauxeux-mêmes. Un déplacement individuel ••• fait partiede toute une chaîne de déplacements, s'intègre àune vie qui seule lui donne un sens. Faire préciserpar une personne recensée la raison de son dernierchangement de domicile, à supposer que l'on puisseobtenir une réponse valable, ne permettrait pas desaisir toute la portée géo-démographique du phéno-mène." (Ph. HAERINGER) (2).
L'observation longitudinale s'impose donc et parmi les
méthodes possibles, la bio~raphie est celle qui respecte le plus
la complexité du mouvement migratoire et qui permet de déborder
les seules préoccupations démographiques :
(1) G. BALANDIER - préface au Colloque de l'Association Inter-nationale des sociologues de lancue française sur la So-ciolo ie de la "construction natJ.onale" dans les NouveauxEtats. J.n Revue de l'InstJ.tut de SocJ.ologJ.e 19 7 2 3 •p. 126.-
(2) Ph. HAERINGER - L'observation rétrospective appliquée àl'étude des migrations afrJ.caJ.nes - Cah. ORsToM, vol. V,nO 2 - 1968 -
24
Il On est en fait naturellement conduit à envisagerparallèlement à l'histoire des déplacements d'unhorr~e, son évolution professionnelle et faniiliale,voire sociale. Cela pour une raison simple: lefait brut de migrer n'est pas une fin en soi. Onémigre pour échapper à telle situation ou pour at-teindre à telles conditions de vie. Si l'on veutdonc définir un type de migration, sans même allerjusqu'à l'expliquer, on est contraint de regarderen deçà et au-delà des déplacements eux-mêmes, etdonc de considérer la situation originelle et lesséjours. Cela revient à regarder le cheminementd'un migrant non comme une suite de déplacementsmais con~e une suite d'étapes de périodes, s'accom-pagnant ou non d'une évolution aux divers points devue professionnels, familiaux ou sociaux.
Ainsi s'unissent en une même recherche deuxobjectifs complémentaires, l'un que l'on pourraitqualifier de géo-démographique, l'autre étant decaractère sociologique. Leur complémentarité esttelle qu'on peut les résumer en un seul thème:l'étude de l'insertion des population migrantesdans le milieu qui les accueille ••• Cette insertionpeut être envisagée globalement, le milieu d'accueilétant compris conwe l'ensemble des régions parcou-rues, ou au contraire à chaque étape, région, villeou village, et particulièrement au bout du circuitlorsqu'il y a installation définitive ou de longuedurée ll (1).
Nous verrons comment le pionnier de l'Opération Yabassi-Bafang qui accepte la vie austère dans une zone de forêt, àl'écart des grands axes de circulation, vi"t - consciemment ounon - un projet dont l'aboutissement est un statut, dans la so-ciété mnderne, garanti par une base économique solidement éta-blie : la plantation. Ce projet conduit le migrant dans un mi-lieu rural qui devient étroitement complémentaire au milieuurbain, haut-lieu de la modernité, et c'est finalement au ni-veau de toute une région - celle de Douala et de son arrièrepays, y compris le plateau Bamiléké - que le pionnier entraînele sociologue à sa suite.
F - Nous avons choisi, pour des raisons pratiques (2), deCOInmencer notre étude de l'émigration bamiléké par une enquête
----------------------------------------------------------------Ph. HAERINGER, op. cit. p. 15.Cette région nous fut conseillée par J. CHA1œAUD, GéographeORSTOt:, dont nous avons déjà ci té le travail sur la RégionOuest, et C. TARDITS qui fut un des premiers sociologues àprésenter la civilisation Bamiléké. Les B~liiléké de l'Ouest-Cameroun 1960 - ed. BERGER - LEVRAULT.
",.~......-----~------------------ ..~~ .CARTE
, .• :~~fl........
ADMINIS-rRATIVE
-----,---- IMtric\
les Dépar\:em~nl:sBamiléké
A- Barnboutos
B- Ménoua.
C- \.1aut-Nkartl
D- Mif.i
E- .Nd~
If /z. 000 000
~amfrou~ Oçci~."t&l
2.-' Réi'io~ Li ttor~·ï.' "
J- Il Ce-ntre-Sud
4- ., Ouest
5- " Nord
I.G.N. ~9"
j .C. 8 A~8iE R - OR5TOM. ~'1:1
25
sur les villages pionniers de l'Opération Yabassi-Bafang dans
la sous-préfecture de Nkondjok (1) : milieu d'immigration où
les relations avec les autochtones n'ont pas connu les vicis-
situdes d'une histoire récente particulièrement violente comme
dans le Mungo à cause des conflits fonciers ; zone géographi-
quement bien délimitée: le plateau de Nkondjok entre le Nkam
et la Makombé ; population immigrante restant encore de taille
réduite : 14 villages pionniers, 2 500 habitants. Cette socié-
té pionnière s'est révélée à l'analyse d'une grande fécondité
au bout de 5 ans d'existence (les premiers villages ont été
implantés en 1966) les communautés d'immigrés font preuve
d'une vitalité sociale exemplaire qui attira notre attention
lors de notre premier séjour sur le terrain (octobre 1970).
Le caractère récent de cette immigration,le fait aussi
que les pionniers se trouvent d'emblée, au lendemain de leur
recrutement, dans une situation de groupe "primaire" pouvant
se définir en termespsycho-sociologiques comme un face à face,
groupe de composition hétérogène où les membres ne se connais-
saient pas en général avant d'amorcer leur expérience commune,
enfin la quasi absence d'une matérialisation préétablie de la
vie sociale (construction du village, mise en valeur des lots,
institutions sociales etc ••• ), autorisent à considérer cette
zone comme un laboratoire idéal pour observer la dynamique de
reconstruction sociale entre émigrés bamiléké.
Visant l'accès à la vie moderne par le moyen d'une
plantation, puis du commerce et de la scolarisation des en-
fants, les nouveaux migrants n'en utilisent pas moins certains
modes d'agencements sociaux qui opérèrent lors du peuplement
des plateaux de l'Ouest: formation d'une clientèle par leséléments les plus dynamiques qui utilisent ainsi leur richesse
----~-~-----------------------------------------------~---'----~-'(1) Nkondjok p,euts'éc-rireaussi Nkondjock. Nous choisissons
l'orthographe des cai:'tes IGN qui respecte la prononciatior:.réelle avec plus de simplici~é.
26
économique, compétition pour le pouvoir, prestige social lié
à la réussite économique, etc ••• En cela les pionniers sont
les héritiers directs d'une civilisation qui a su traverser
l'histoire coloniale sans geler son dynamisme interne et dont
les crises mêmestémoignent de sa participation active à l'his-
toire du Cameroun. Plus généralement, nous formulons l'hypothè-
se que la créativité sociale des immigrés utilise des matériaux
culturels, renouant ainsi avec l'histoire de la formation de
leur entité ethnique qui leur lègue des modes d'agencements
sociaux, et établissant une continuité historique sous le cou-vert de structures modernes.Npus rappellerons dans une première
partie les dynamismes sociaux qui opérèrent lors du peuplement
du plateau bamiléké. Dans l'état actuel de notre étude, notre
analyse restera sur ce point provisoire en l'absence d'une
enquête historique directe (1).
G - Souhaitant augmenter ses chances de promotion indivi-
duelle par l'émigration, le Bamiléké choisit de préférence un
environnement favorable, par exemple le Mungo ou un centre
urbain où il est assuré de trouver un membre de sa famille.(Il peut ainsi circuler dans tout le Sud-Cameroun où chaque
centre urbain est investi par des commerçants bamiléké. L'émi-
gration spontanée en milieu rural utilise les axes routiers
importants, le planteur pouv.ant espérer ainsi devenir commer-
çant : la route vers Bafia et Yaoundé qui traverse le district
de Makénéné, la route Tombel-Kumba ; la colonisation du Mungo
en reste le modèle type. Il fallait donc une intervention ex-térieure suffisamment puissante pour ouvrir un nouvel axe de
colonisation en pleine forêt, dans une région restée jusqu'à
présent marginale : le département du Nkam. Le Gouvernement
Camerounais, et tout particulièrement le Président AHIDJO,
comprirent dès 1963 les perspectives à long terme de ce projet
et lancèrent l'Opération en 1965 de Bafang vers Yabassi. Celle-
(1) Nous n'avons pu seulement enquêter jusqu'à pré~ent que sur lespopulations Batongtpu et Bakwa qui constituent le frontméridional du peuplement bamiléké à l'époque précoloniale.Batongtou et Bakwa descendirent du plateau pour entrerdans la forêt afin de participer activement au commerce detraite des esclaves et de l'huile au 19ème siècle.
27
ci fut d'abord un chantier routier où le génie militaire fit
ses preuves : 85 km de route nouvelle de Fopouanga à Toumbas-
sala, et élargissement des routes existantes entre Bafang et
Fopouanga, et entre Toumbassala et Yabassi. En 1968 la routeatteignait Nkondjok et franchissait le Nkam par un pont à
Tombassala en 1970. Le département du Nkam était enfin déser-clavé par un axe routier qui le traverse du nord au sud. Un
pont à Yabassi sur le Wouri est prévu et il mettrait la zone
de mise en valeur en relation directe avec Douala. 53.800 ha
devenaient accessibles entre le Nkam et la Makombé et 57.800
autres hectares selon un ~xe Badjen-Houng dans une phase ulté-
rieure.
Cette Opération répond à plusieurs besoins urgents
- Elle est née d'abord d'un impératif militaire. Le Nord du
Nkam au relief tourmenté, couvert de forêt, et à l'écart de
toute voie de communication, servait de refuge pour les ma-quisards ; descentres de formation et d'entra1nement y
avaient été installés et le passage par le Nkam pour aller
du plateau bamiléké au Mungo évitait les contrôles. La cons-
truction d'une route était prioritaire pour achever la paci-
fication de la zone.
- Le souci de rentabiliser les lourds investissements routiers
fit penser à l'émigration bamiléké qui éprouvait des diffi-
cultés à se poursuivre dans le Mungo à cause des conflits
fenciers • C'est ainsi que ce mouvement migratoire se trouva
mls au service de la mise en valeur du département du Nkam.
- Les gardes civiques, milice formée dès 1960 pour lutter contreles maquisards, qui avaient achevé les principales tâches de
pacification, posaient un problème de reconversion. Ils for-mèrent le premier contingent de pionniers avec des civils du
Haut~Nkam, véritable "fer de lance" de l'Opération.
A long terme, l'Opération vise. ~ augmenter la produc·'
tion des cultures industrielles exportables. (café robusta,cacao), quantitativement en ouvrant, à l'immip;ration les vastes
étendues forestières du Nkam.lle per.imètre total de mise en'.".
.'
28
valeur est d'environ 120.000 ha) (1), et qualitativement par
un encadrement agricole (1 moniteur agricole par village )
soit en moyenne 1 pour 78 pionniers) et sélection de plants
dans deux pépinières et une ferme expérimentale (C.A.T. =Centre d'Appui Technique). Ce but officiel de l'Opération
coincide d'ailleurs avec le projet du pionnier qui désire
avant tout devenir planteur. Nous verrons que cette optique
caractérise l'agriculture pionnière.
Aujourd'hui nous pouvons constater que cette reglonn'est pas seulement une simple extension des aires cacaoyère
et caféière du Cameroun en superficie, mais qu'elle est devenue
aussi un axe de développement inducteur d'effets secondaires
sur l'environnement et capable d'amorcer un processus cumula-tif. En plus de l'intervention extérieure qui a été énergique,
3 facteurs humains ont facilité ce passage d'une zone de co-lonisation en axe de développement.
- L'économie pionnière oentr~e sur les plantations, se diver-
sifie par des activités complémentaires : exercice des ac-
tivités professionnelles antérieures, ouverture de bars ou
de commerces etc ••• Le plein rendement des plantations s'ac-
compagnera sans nul doute d'un essor important de ces ac-tivités tertiaires.
- La population autochtone (les Mbang) bien que devant cÉderaux immigrés la partie de son patrimoine foncier non exploi-
tée, selon les termes de la loi de 1963 portant~éation
du Patrimoine Collectif National, bénéficie néanmoins ducontexte créé par l'Opération. L'exode rural vers le Mungoet Douala en est freiné et des retours au pays ont lieu.
L'économie Mbang est centrée comme dans tout le pays bassa,
sur l'exploitation du palmier à huile, mais la populationr~bang se différencie d' autres populations bassa ,comme par
exemple celle de Mom étudiée par J. CHAMPAUD (2), par son
ouverture à l'agriculture de plantation.
(1) dont près de la moitié entre le Nkam et la Makombé.
(2) J. CHAMPAUD - Mom (Cameroun) ou le refus de l'agriculturede plantation - in Etudes Rurales 1970 nO 37-38-39 p.299-311.
29
- Les populations Diboum, Bakwa et Batonf1;tout s'introduisen~
elles aussi dans la zone d'influence de l'Opération. Restant
dans une région encore enclavée car aucun pont ne franchit
la Makombé, vivant dans des regroupements â la suite des
troubles, ces populations ont tendance de plus en plus à
immigrer dans la zone mê~e de l'Opération: de nombreux em-
ployés de la SODENKAM sont originaires de ces reglons voi-
sines, et la croissance du centre de NKONDJOK leur est due
en partie, notamment pour les quartiers Est. Les anciennes
plantations â l'est de la Makombé sont peu â peu abandonnées
au profit d'une mise en valeur entre la Makombé et NKONDJOK.
Ces populations Diboum, Bakwa et Baton~tou représentent un
potentiel démographique non négligeable. Les recensements de
1966-67 (1) donnaient les chiffres suivants :
population Diboum
Bakwa, Batongtou
4 164 hab. soit une densité de 21,4 hab.
2 563" "" " " 9,6 "
Ces densités sont plus élevées que la densité moyenne de l'ar-
rondissement de Nkondjok (d = 7,1) et du département du Nkam(d = 5,7).
Le Nkam avait bien besoin d'une telle renaissance.
Principal axe de pénétration des produits de traite à l'époque
précoloniale,elle connut son apogée sous l'administration al-
lemande avant la construction du chemin de fer Bonabéri-Nkongsa~
ba de 1903 â 1911 qui amorça la mise en valeur du Mungo par
l'immigration bamiléké. Yabassi, port de traite situé sur le
Wouri â la rupture de charge, périclita malgré son rôle admi-
nistratif et le Nkam dans son ensemble connutl'exode rural:
--------------------------_~_.------------------------------------
(1) A. FRANQUEVILLE - Dictionnaire des villages du Nkam - 1970 -ORSTOM.
30 -
Tabl. l - EVOLUTION DE LA POPULATION DU NKAM
sources recensements administratifs
----------~-----------------------------------------
ANNEES POPULATION: l I~D~Cîoo: DENSITE :.. - .. ._22_~ . ~.. . .1934
1938
19391961
1966/67
...
56.000
51 00048 000
40 400
36 150
100
9186
7265
8,9
8,5
7,66,45,72
Tabl. 2 - EVOLUTION DE LA POPULATION MBANG
sources recensements administratifs
: INDICE : DENSITE:1936 = 100 :POPULATION
.: ANNEES1
:-------------------------:--~--------:---------~--:
: 1936.: 1966
5 7703 750
100
65
6,4
4,17
Seules les populations du Wouri qui approvisionnent
DOUALA en poissons et produits vivriers, et les populations
DIBOUM et BAKWA aux confins du plateau bamiléké avec lequel
elles continuent un fructueux commerce local d'huile, présen-tent des densités plus élevées.
Depuis 1965, l'arrondissement de NKONDJOK connaît
donn des transformations économiques (développement rapide des
plantations pionnières et autochtones) et démographiques (l~m
migration bamiléké, déplacement des populations autochtones
le long de l'axe routier, croissance du centre de Nkondjok).
L'Opération-c'est-à-dire une intervention extérieure - en est
la principale cause mais elle n'a pu atteindre de tels résul-
tats que _par le dynamisme social des populations concernées,notamment les pionniers, et la compatibiliiÉentre ses buts et
les projets de ces populations. En cela, elle s'inté~re par-
faitement à l'évolution actuelle de la société bamiléké dans
31
ses rapports avec l'environnement moderne. Si l'Opération con-
tinue, nous pouvons entrevoir un second Mungo en gestation,
dont les conditions naturelles moins favorables seront com-
pensées par une aide extérieure. L'action planifiée se révèle
dans ce cas efficace : ouvrir une région au développement en
créant une infrastructure indispensable et favoriser les dyna-
mismes sociaux existants ou potentiels.
PREMIERE
32
PARTIE-:-:-:-:-:-:-:-:-:-
L'EMIGRATION BAMILEKE PRE-COLONIALE-:-:-:-=-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-:-=-:-
PREMIERE PARTIE
33
L'EMIGRATION BAMILEKE PRE-COLONIALE
Chapitre 1 - L'Occupation de la partie septentrionale du plateau Bamiléké:
A - Origir.9 des Bamiléké
B - La pression Bamoun et l'épopée Tchamba
C - Le commerce de l'ivoireD - Essai chronologique de l'occupation du plateau
1 - Groupe A2 - Groupe B
3 - Groupe C
Chapitre 2 - Dynamismes sociaux et peuplement de la partie m~ridionale du
plateau :
A - Description chronologique de l'occupation de l'espace
B - Dynamismes sociaux constitutifs des chefferiesC - Originalité de la face sud du Pays Bamiléké.
Chapitre 3 - La pénétration Bamiléké en zOne de forêt au 1110 si~cle
A - Esquisse historique des chefferies
1 - Mbiam2 - Basubjan
3 - Moya4 - Bakwa et Milombi5 - Tongo6 - Songo7 - Bakakan8 - les Bandem.
B - Dimension économique des chefferies Bamiléké en forêt
1 - des petites chefferies2 - la traite des esclaves3 - le commerce de l'huile de palme4 - l'impérialisme des ~randes chefferies
du rebord du plateau.
34
La partie septentrionale du Nkam (pays Diboum, Bakwaet Batongtou) apparaît comme étroitement liée par son histoire
économique et politique aux chefferies du rebord du plateauBamiléké de Bana à Bandoumga. Celles-ci sont en effet directe-
~ent concernées par l'écono~ie de traite des esclaves, puisde l'huile de palme, qui se développe à partir de la côte, parl'intermédiaire de la tribu "courtière" (1) des Douala. De làl'originalité de ces chefferies par rapport aux ?,randes chef-feries Bamiléké du nord qu~ jusqu'à présent, ont monopolisél'attention des chercheurs par leur antériorité et leur presti-ge (2).
Dérivées des premières chefferies installées sur leplateau, les chefferies du sud, orientées par l'économie detraite, disposant d'un milieu écologique différent, ont jouéun rôle actif Sur le plan économiqu~ préfigurant ainsi l'ir-ruption Bamiléké au XXo a.à ce niveau:avant même la périodecoloniale, le dynamisme Bamiléké se traduisait déjà en termesd'émigration et d'activités économiques. Nous entendons ana-'lyser ce dynamisme pré-colonial afin de rejeter l'hypothèsequi date cette dimension économique au début de l'ère colo-niale en introduisant une discontinuité dans l'histoire Bami- .
1éké. Nous pensons au contraire que si le contexte colonial aélargi les possibilités d'activités économiques, celles-cin'étaient cependant pas absentes des préoccupations Bamiléképré-coloniales. Et c'est par une analyse du peuplement du pla-teau du XVIlo au ':XIl.° siècle et de-la pénétration.. en f.orêt,("es
Bakwa et Batongtou au XIXo siècle que nous pouvons espérer S,.·ls~r
la charge dynamique de la tradition bamiléké.Notre étude sur~ce
(1) L'expression est de H. BRUNSCHWIG - L'Avènement de l'Afri-que Noire - du XIXo à nos jours - ed. A. COLIN - 1963.
(2) BANDJOUN a été étudiée par R.P. ALBERT (BANDJOUN. Montréal1943 - ed. de l'Arbre) et HURAULT, BAFOU par J.L. DONGMO(op.cit.), BANGANGTE par Joseph NKWENGA (Histoire de lachefferie de Bangangté - in ABBIA, 9-10, Juin-août 1965,p. 91), BALENG bénéficie d'une enquête sociologique encours de Mlle J. BLUMMER de l'Université de Bâle, BATIE ecBAGAM ont été étudi~ par J. HURAULT, BANGWA au CamerounOccidental par R. BRAIN (oP. cit.). Notons aussi les nom-breuses monographies laissées par les administrateurs,nota~~ent A. RAYNAUD.
35
point sera encore provisoire et nous prévoyons en 1972 une en-
quête historique dans les chefferies Méridionales qui ont joué
un rôle prédominant au XIXo s.1 BANA~BAZOU,BlJrDOUMGAetc. etUne telle étude nous autorisera à établir ce lien entre XIXo
XXo's. qui constituait le maillon manquant des analyses fai~
tes jusqu'à présent sur le pays Bamiléké.
36
CHA PIT REl-:-:-:-:-:-:-:-:-=-
L'OCCUPATION DE LA PARTIE SEPTENTRIONALE DU PLATEAU BAMILEKE
La partie méridionale du plateau Bamiléké s'est pCci-'
plée et organisée à partir des chefferies du nord, premièresinstallées sur le plateau. Baleng, Bamendou, Fomopea semblentavoir joué notamment un véritable rôle de pôle d'émigrationà l'intérieur du plateau. La carte ci-jointe, que nous pré-sentons! titre provisoire, indique une direction N-S, des
mouvements migratoires, qui se dessin~ à travers la com-plexité des déplacements. Cette orientation présente d'ail-leurs un changement pap rapport à l'axe NE SW
ou E-W qui amena les premiers Bamiléké surIe plateau. En de-
hors de ces constatations d'ordre général,le tableau dans sondétail est discutable. D'une 'part parce que les études his-toriques sont restées à l'état de monographies juxtapos§es (1)et la synthèse de DELAROZIERE ne concerne que la région de
Bafoussam (2), d'autre part parce que l'élément fondateurn'est pas toujours représentatif du mouvement migratoiredans sa complexité :
- l'élément fondateur a souvent joué le rôle de catalyseur
d'autres éléments hétéro~ènes préexistant à son arrivée etd'émigrés provenant de plusieurs chefferies voisines. Iln!est donc pas forcément représentatif de la population
(1) âHOMSI Emmanuel, professeur d'histoire à l'Ecole NormaleSupérieure de Yaoundé, essaie actuellement de regroupertoutes ces monographies -Les traditions d'origine des Bamiléké - 109 p. doc. provi-soire ronéotypé.
Mme I. DUGAST présente une carte dans son "inventaireethnique du sud Cameroun". (op. cit.) P. 117 "schéma duPeuplement Bamiléké".Ces deux documents utilisent les données des administra-teurs.
(2) R. DELAROZIERE op. cit.
37
constitutive de la chefferie. Il peut être un élément
"étranger" qui a été choisi comme mfo au terme d'une
stratégie pleine de ruse : tel le cas du chasseur qui
distribue ses produits de chasse afin de se créer une
clientèle qui lui permettra ensuite de s'imposer comme
nouveau chef. L'élément fondateur peut donc se réduire
à l'extrême à une famille élémentaire, voire à un
homme seul. Il ne cherchera pas, comme chez les montagnards
Kirdi du Nord-Cameroun, à établir son pouvoir en termesclaniques.
- Par ailleurs les généalogies relevées sont l'affirmation
par la dynastie règnante de son pouvoir actuel. Les généa-
logies établies ont donc pu subir des manipulations histo-
riques selon les besoin~ du pouvoir établi. D'autre part,
l'importance de la filiation matrilinéaire (1) introduit
un langage de parenté à la suite des relations matrimonia-
les entre les chefferies: des chefferies se disent,"fil-
les" ou "soeurs" lorsqu'elles situent leur origine par
rapport à une autre chefferie "mère". Mais ces termessont sujets l une très grande extensibilité qui en fait
un argument utilisable dans le jeu d'alliances politiques
établi entre les nombreuses chefferies Bamiléké.
Les traditions orales donnant l'origine de la cheffe-
rie, les relations de parenté avec les autres chefferies, les
généalogies des dynasties, doivent donc faire l'objet d'unexamen critique sévère qui tienne compte des sources et d'une
confrontation avec l'histoire des chefferies voisines.
A partîrdes matériaux existants et suite aux diffi-cultés d'interprétation que nous venons de souligner, il est
difficile de dater la fondation des chefferies. Un fait cepen-
(1) la mère du mfo reçoit le titre de ma-mfo (mètre du chef),de même que la première femme épousée après ·l'investiture.Les alliances politiques entre chefferies se traduisentsouvent par l'établissement de liens matrimoniaux. Au ni-veau culturel, l'individu peut sacrifier utilement à samère, la mère de sa mère et ainsi de suite jusqu'à laplus ancienne aieule connue en ligne maternelle, de mêmeau père de sa mère (d'après J. HURAULT). .
L'OCCUPATiON DU PLATEAU BAMILEKEd'après R. DEL A ROZ 1 E R E
( Subdivjsio~ àe Bafoussam)
mél t' 5- j u -: 1\ 1 '3 4 9
- C. SOïCHOU,A ;... OR5TOt-1 - ',l97~';"
-premi~res ~heFferies con9tituées
ch.,t"feries "fi 11
38
dant est certain: l'antériorité des chefferies du nord. Ladate des premières immigrations en pays bamiléké peut donc
nous aider à situer dans le temps les mouvements de popula-
tion ultérieurs.
A. ORIGINE DES BAMILEKE
Plusieurs chefferies, dans leurs traditions orales se
réfèrent à NDOB et à d'autres villages de l'actuel pays Tikar.D'autres se réfèrent à des villages actuellement Bamoun
qu'elles dis~nt avoir fondés au cours de leur migration (1).
Les bamiléké apparaissent comme des populations re-
foulées par la pression d'autres populations. Selon R. DELA-ROZIERE les difficultés pour franchir le Noun (2), l'escar-
pement du rebord du plateau, la forêt qu~à cette époqu~introduisait une discontinuité écologique par rapport à lasavane du Haut-Mbam, constituaient une barrière que seule
un besoin vital de survie pouvait inciter à franchir !
Baleng, qui fut sans doute la première arrivée, choisit unsite élevé faisant ainsi preuve d'un réflexe de réfugié.
Les premiers administrateurs français qui se pen-
chèrent sur ce problème de l'ori?ine des Bamiléké, établirent
un lien entre la direction N-E - S-W du mouvement migratoireet la pression-foulbé (3). Cependant cette référence se fai-
(1) l. DUGAST dans son Inventaire ethnique du Sud-Camerounprésente une carte des chefferies autochtones antérieu-res·à l'invasion Bamoun (P. 125).
(2) Le Noun ne peut être franchi qu'à quelques endroits pré-cis : par exemple les gu~de Balessing et de Bqngang-Fondji.
(3) c'est l'hypothèse que suggère R. DELAROZIERE (op.cit.) :"l'avance des Baroun, re foulés eux -mêmes par les foulbé"obligea les Bamiléké à monter sur le plateau dont les re-
bords étaient inhospitaliers." Cette hypothèse sera re-prise par • TARDITS ce qui l'oblige à donner une date re-lativement-tardive de l'o·ccupation du plateau: "D'aprèsles récits de caractère historique recuei~lis dans leschefferies, les Bamiléké auraient progressivement occupécette région au cours du XVIIIOs. et du XIXos.,vraisemblable-ment chassés d'un habitat situé au nord ou au nord-ouest.On peut imaginer que ce mouvement a été en partie suscitépar les invasions peuls" p.9 op. cit.
39
sait en l'absence de matériaux historiques précis. Depuis,
les travaux de P.F. LACROIX et de ELDRIDGE MOHAMMADOU (1)
autorisent une mise au point sur la question.
En effet, la pression foulbé au sud de la vallée
de la Bénoué et plus particulièrement sur le Haut-Mbam.n'est
apparue que tardivement, au début du XIro siècle.
A la veille de la Guer~e Sainte, des établissements
peuls, parfois organlses autour d'un ardo puissan~ s'étaient
implantés au sud de la Bénoué : ainsi le Bouba Njidda de Rey
et les Peu~de la vallée du FARO qui lon~e la bordure orien-
tale des Monts Alantika (Bundang, Tchamba). Lorsque Modibo
Adama reçut l'investiture de Shéhou Ousmanou Emir de Sokoto
en 1809, il transmit la bannière blanche de la jihad aux ardo
les plus puissants qui devinrent alors lamibé sous son auto-
rité d'Emir. Le nord de la Bénoué fut conquis rapidement de
1815 à 1820, mais la progression foulbé en direction du sud
se heurta au plateau de l'Adamaoua, que P.F. LACROIX appelle
du terme foulbé "hosséré" :
(1) ELDRIDGE MOHAMADOU ~ Pour une histoire du Cameroun Centralles traditions historiques des Vouté - in ABBIA nO 16, p.59-127 --- L'histoire des lamidats foulbé de Tchamba et Tibati - inAbbla nO 6 - aoUt 1964 -- Traditions d'origine des peuples du Centre et de l'Ouestdu Cameroun: bamiléké! bamoun, bamenda-banso,tikar,mboum.-Yaoundé, Centre Fédéra Linguistlque et Culturel, 1971 -- Les Feroobe du Diamaré - Maroua et Petté - t.l - Lestradltions hlstoriques des -Peuls de l'Adamaoua - 1970.P.F. LACROIX - Matériaux pour servir à l'histoire des Peu~de l'ADAMAOUA - in Etudes Camerounaises nO 37-38 - 1952 -. -- .
Nous trouvons dans le dernier ouvrage d'Eldrige Moham-madou (Traditions d'origine des peuples du Centre et del'Ouest du Cameroun - p. 241) une note pertinente qui cri-tique également ce lien, qui a été trop souvent affirmé,entre les mouvements migratoires bamiléké et la pressionfoulbé. Cet ouvrage apporte de nombreux éléments sur lespopulations dont nous parlons dans ce chapitre, et seuleune lecture tardive nous a empêché d'utiliser avec profit.ces matériaux réunis par l'auteur. Cependant nous citeronsabondamment ses écrits antérieurs.
J.C . 8~R8tER - ORsrOM - 1~71 é~'he 11 e: 1/ 2. 000 000
..--~---
~oo ftI.t~ Ptus
..- -----eXpanSion 8amounau XIX·s.
~...................o..\._,
it.inél".h1't suiv'ipal"( les Tehl)"'ba
1 82,0-] 84-0 )
~ 'ilhiie 9n qu ê te .Peu 1
( f :i n X'J l 11,0 e t: XI X• Ci )
raids pe1Jls(milieu du XIX·s.)
~~
~
BOR N 0
o
,., . MOUVf.ME..TS M1GRATOIRE.S';~"
~~mSS!ON$ SUI tEs PLATEAUXDE. .L'OUEST
40
" Contrairement au Nord de l'Actamaouà, on les Peulsétaient déjà établis avant la fondation de l'Empirede Sokoto et on leurs conquêtes s'effectuèrent pos-térieurement à leur installation,l'Hosséré n'avaitjusqu'alors pas été pénétré par les Fulbé et, danscette région, reconnaissance et soumission du pays,s'effectuèrent de pair. Le rebord nord du plateaune présentant guère de voies d'accès, l'invasionne put s'effectuer que par la vallée du Déo etcelle du Faro à l'Ouest."(l~
Le plateau de l'Adamaoua fut conquis en l'espace de
20 ans, de 1820 à 1840 et aboutit à la création de nouveauxlamidats : LARO, BANYO, TIGNERE, TIBATI et NGAOUNDERE.
En remontant la vallée du Faro, Ardo Njoddi de Boun-dang parvint jusqu'à Ngaoundéré ou il triompha définitivementdes Mboum grâce à l'appui de Boubba Njidda de Rey et de HammanSambo, lamido de Tchamba. En 1825, Hamman Sambo, de son côté,pénétrait le plateau au-delà du ~assif de Mana (2) et arrivaitdans la région de Tignère. En 1830, Tibati était pris, et lesFoulbé avaient directement accès à la Haute vallée du Mbam.Par ailleurs,. des Foulbé de Bundang choisirent le Déo (affluentdu Faro) pour pénétrer le plateau. Ils seront à Koncha en1835, puis leur chef Hamoun Dandi prendra Banyo contre lesVouté (3).
La pression Foulbé ne put donc s'exercer directement
sur le Haut-Mbam qu'à partir de 1830 pour le lamidat de Tibati,et de 1835 pour le lamidat de Banyo. Par ailleurs, cette péné-tration ne s'accompagna pas, comme au nord de la Bénoué, de dé-placement massif d~ populations en dehors de l'épopée TCHAMBA
de Gawolbé dont nous parlerons plus loin et qui semble avoir
été le seul déplacement notable. En effet, la plupart des
autochtones furent assimilés - sauf quelques groupes réfrac-
taires tels les Niam-Niam de Galim qui se réfugièrent dans des
massifs montagneux. Certains lamidats, comme celui de Tibati,
. .-----------------------------------------------~------ ---------
(1) P.F. LACROIX - p. 28 - op.cit.(2) Massif occupé par les Mboum à l'ouest de la haute vallée
du Faro et qui avait été conquis par les Foulbé de Tchambaavant 1825, lors d'une première expédition.
(3) Ces données historiques que nous utilisons sont tirées desarticles de ELDRIDGE Mohammadou précédemment cités qui ap-portent une lumière indispensable sur cette région qui jouaun rôle central dans les mouvements de population de l'Ouestet du Centre Cameroun.
41
leur accordèrent même une place importante dans leurs struc-tures politiques (1). Avant la Guerre Sainte, la pénétration
foulbé était, dans l'ensemble, "pacifique", c'est-à-dire qu'
après quelques heurts locaux inévitables, le statu quo
s'établissait et s'accompagnait d'échanges matrimoniaux et
économiques (les Fbulbé apportaient la viande et le sel).
C'était notamment le cas à Tchamba, et Moddibo Hé, ardo de ce
groupe, fit la sourde oreille à l'appel de Moddibo Adama.
Hamman Sambo, son neveu, prit alors la relève en usurpant lepouvoir.
Lorsque la pression foulbé s'exerça sur le Haut-Mba~
elle se heurta à des populations Tikar, Bamoun et Vouté, déjà
en place et qui résistèrent efficacement. Les raids foulbé ne
semblent pas avoir atteint le plateau bamiléké
Les Foulbé prendront Banyo et Yoko aux Vouté et en1848, ils descendront jusque chez les Bafia. Les Tikar prochesde Yoko furent repoussés (Ina, Mbeng-Mbeng, Ngambé et Kongfurent conquis entre 1831 et 1842) mais l'équilibre se fit au-tour de Ngambé et lorsque les Allemands arrivèrent en 1889, ilssurprirent le Lamido de Tibati occupé depuis 8 ans au siègede Ngambé ! (2) Les Bamoun, protégés par les Tikar, à l'ouestdu Mbam et sur un plateau, bénéficiaient en outre d'armes àfeu plus nombreuses que les Foulbé. ELDRIDGE Mohammadou sup-pose qu'entre 1831 et 1842 "les Foulbé de Tibati sont par-venus jusqu'à Mbonga en pays Tikar, et qu'ils ont J franchi leMbam à la hauteur de Njipouta", mais c'est surtout à partir deBanyo que les Foulbé purent lancer des raids contre les Bamoun.Cependant, la deuxième moitié du XIXos. voit les rivalités dedévelopper entre les lamidats de l'Adamaoua et la pressionFoulbé se relâchera. L'islamisation du royaume Bamoun est ré-cente et date du XXosiècle.
(1) ELDRIDGE Mohammadou - Histoire des lamidats foulbé deTchamba et Tibati - op. cit.
(2) Les chefferies Tikar s'étaient puissamment proté~ées contreles Foulbé. C. HAGEGE - Esquisse Linguistique du Tikar(Cameroun) Paris 1969 - tibralrle c. KLINCHSIECK (Blblio-thèque de la SELAF nO 11) signale que Bankim s'était en-touré de tranchées précédées de trous énormes où étaientdressées des pointes de flèches empoisonnées dissimuléessous des feuilles mortes. Derrière ces fortifications,une pluie de flèches accueillait les assaillants. LesTikar savaient aussi prendre l'initiative car Ngambé futreprise plusieurs fois.
42
Une pression foulbé à partir du Ni~éria dans une di-
rection NW-SE, au niveau du Haut-Mbam,se révèl~ elle aussi,tardive. L'axe montagneux d'origine volcanique qui court del'île Fernando Po, aux Monts du Mandara (en passant par le
Mont Cameroun, le Manemgouba, les Bamboutos, les MontsAlan~tika) présente effectivement un rétrécissement et un seuil au
niveau de Haut-Mbam : le plateau de Mambila qui sépare lesvallées du Mbam et de la Donga et où passe l'actuelle frontière
entre le Nigéria et le Cameroun. Au XIXo s. ~ pression Foulbé. s' exerç.a sur la vallée de la Donp-a et en 1§51' on évaluait10000 Peu~et 5 000 Haoussa sur le plateau. C'est à partir de
1900 que les populations Mambila commencèrent à descendredans 'la, plaine Tikar à