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HAL Id: hal-01526634 https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01526634 Submitted on 23 Oct 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Les relations entre familles populaires et école Françoise Lorcerie, Delphine Cavallo To cite this version: Françoise Lorcerie, Delphine Cavallo. Les relations entre familles populaires et école. Les cahiers millénaires 3, Communauté urbaine. Direction de la prospective et du dialogue public. Lyon, 2002, Éducation et mode de vie, 3 (24), pp.5-24. hal-01526634

Les relations entre familles populaires et école

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HAL Id: hal-01526634https://hal-amu.archives-ouvertes.fr/hal-01526634

Submitted on 23 Oct 2017

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Les relations entre familles populaires et écoleFrançoise Lorcerie, Delphine Cavallo

To cite this version:Françoise Lorcerie, Delphine Cavallo. Les relations entre familles populaires et école. Les cahiersmillénaires 3, Communauté urbaine. Direction de la prospective et du dialogue public. Lyon, 2002,Éducation et mode de vie, 3 (24), pp.5-24. �hal-01526634�

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Dans ce contexte général, si les familles populairesprésentent des particularités, c’est essentiellementdans les modalités selon lesquelles elles viventd’une part cet investissement scolaire, et d’autrepart cette frustration. En ce qui concerne leurinvestissement, son originalité est d’être largementméconnu des agents scolaires et de l’opinionpublique, et de ne pas s’exprimer publiquement,ou dans des formes reconnues par l’institution.L’explication de sens commun est que si les famillespopulaires ne viennent pas d’elles-mêmes à l’école,c’est parce que les cultures populaires, les culturesfamiliales, sont éloignées de l’école. La réalité estplus complexe. Quant à la frustration de ces famillesvis-à-vis de l’école, elle est d’autant plus intensequ’elles ne disposent pas des mêmes ressourcesque les familles mieux pourvues, ressources qui leurpermettraient de favoriser plus sûrement la scolaritéde leurs enfants.Nous présenterons successivement, en exposant lesrésultats des principaux travaux français, lesapproches du rapport des familles populaires àl’école qui travaillent avec le concept de culture - culture populaire ou culture familiale, opposées àculture scolaire (1ère partie), puis les approchesqui postulent que les relations des familles àl’école se déploient au sein de systèmesd’interactions qui englobent tous les prota-gonistes de ces relations,- au minimum parents,agents scolaires, et enfants (2ème partie). Dans unetroisième partie, nous passerons très brièvement enrevue les réponses que les pouvoirs publics ontapportées à ces questions.

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* Chargée de recherche au CNRS (en sciences politiques), à l’institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman(IREMAM) à Aix-en-Provence.** Doctorante en sciences politiques (IEP d’Aix-en-Provence, université d’Aix-Marseille) à l’IREMAM.

Une représentation courante, notamment parmi lesagents scolaires, voudrait que le rapport des famillespopulaires à l’école soit problématique, qu’il soitmarqué par leur insuffisance culturelle, en tout casqu’il soit bien distinct de celui des familles perçuescomme « ordinaires », celles de la classe moyennequi en représentent le modèle idéal et légitime. Une approche empirique des rapports entrefamilles populaires et école voit autre chose : ellemet d’abord en évidence que l’ensemble desfamilles, quelle que soit leur origine sociale,présente aujourd’hui en France dans son rapport àl’école deux grands traits généraux, l’investissementet la frustration.Pour une part, ces traits ne sont pas spécifiques à laFrance. Ils ne font que résumer le rapport dedépendance des familles vis-à-vis de l’éducationscolaire dans les sociétés modernes, et le fait queles familles sont condamnées à s’en remettre àd’autres pour la réussite de leurs projets scolaires :aux agents scolaires certes, mais aussi aux enfantseux-mêmes, puisque l’activité d’apprentissage estune activité cognitive, interne, « personnelle » endernier ressort, échappant en partie à l’actiondirecte d’autrui (de Singly, 1993).Il est possible cependant que la dimension de lafrustration soit plus vive en France qu’alentour, enraison du manque de régulation des rapports entrefamilles et école. Les formes instituées dereprésentation des parents aux différents conseilsne remplissent qu’imparfaitement le rôle d’espacesde dialogue mutuel, et les autres types de rencontreentre parents et enseignants ne laissent guère auxparents qu’un rôle passif.

Introduction : où est le problème?

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par Françoise Lorcerie*(dir.) et Delphine Cavallo**

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Les représentations communément partagées desrelations des familles populaires à l’écoleméconnaissent leur investissement dans la scolaritéde leurs enfants et la marche générale de l’école.Ces familles passent pour « éloignées », peuintéressées par les activités scolaires de leursenfants. Il faut s’interroger sur l’universalité de cesreprésentations. En effet, ce que montrent de façon

récurrente les enquêtes sociologiques conduitesauprès des familles, la plupart du temps à leurdomicile, est au contraire un fort investissement, etce depuis au moins vingt ans (de Queiroz, 1981),mais un investissement qui s’appuie sur desressources sociales et familiales différentes de cellesdes familles de classe moyenne.

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Le rapport à l’école des familles populaires : une affaire de culture?

Un éloignement physique de l’Institution

C’est un constat : les familles populaires viennentpeu à l’école, aux niveaux où elles sont d’abordattendues quotidiennement (préélémentaire etélémentaire), puis elles fuient les « invitations » etne viennent, et encore pas toujours, qu’aux « convocations » (secondaire). Pourquoi ?

L’explication par la différence culturelle :explication savante ou explication de sens commun ?Ce constat a d’abord ouvert la voie à un ensemblede travaux s’inscrivant dans la lignée d’une critiquestructurale de la société. On recherche les causesde la distance entre les familles populaires etl’école parmi des facteurs macro-sociologiques etexternes à l’école, mais mis en œuvre au cours duprocessus de scolarisation. Ce qui est mis en avantcomme causalité est un écart culturel entre famillespopulaires et institution scolaire, écart qui se traduitpar des ethos (des façons d’être) différents, trèsinégalement valorisés par l’école.Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ontproposé les premiers une analyse de ce qui fait laspécificité des rapports sociaux des famillespopulaires à l’école, à travers leur théorie de lareproduction (voir encadré). L’école, expliquent-ils,tend statistiquement à reproduire la hiérarchiesociale en ce qu’elle valorise implicitement lecapital culturel de la classe dominante et,concomitamment, dévalorise celui des classespopulaires, dominées. Cette domination estefficace parce que les mécanismes de dominationne sont pas perçus par ceux sur lesquels ilsagissent, la domination opère par une « violencesymbolique » : notamment en amenant les dominés

à adhérer à l’ordre scolaire dominant (Bourdieu,Passeron, 1970). Ainsi, selon la théorie de la reproduction, si l’écoleest légitime même aux yeux de ces parents dont lesenfants ont de fortes probabilités d’échouer, c’estqu’elle incarne le rapport de domination en lemasquant par l’idéologie méritocratique égalitaire.Cette idéologie s’incarne dans la procédure duclassement scolaire, qui prétend reposer sur uneévaluation objective des capacités des élèves, alorsqu’elle mobilise des implicites culturels qui sontceux de la classe dominante. En sachant imposercette idéologie à tous, notamment aux famillespopulaires, l’école rend improbable la réussitescolaire de leurs enfants parce qu’elle cache la vraienature des compétences qu’elle requiert.Cette idéologie est largement partagée par lesagents scolaires, aussi. Mais on constate en outreque, loin de dénier la différence culturelle, ils sontsouvent enclins à la naturaliser, à l’absolutiser, enimputant la difficulté scolaire des élèves de milieupopulaire, lorsqu’elle survient, aux caractéristiquesde leur milieu. Lors des enquêtes réalisées auprèsd’eux, ils établissent un diagnostic de famillesconstitutivement éloignées de l’école : elles sontvues comme démissionnaires, inaptes à suivre leursenfants, incompétentes linguistiquement etpédagogiquement, incapables de gérer correc-tement le temps de travail, d’organiser desconditions de travail convenables et de favoriserl’autodiscipline de leur enfant …, autant de constatspeu informés qui virent aisément au jugement devaleur (« ils n’envoient leurs enfants que pour lesallocations, pour s’en débarrasser », …), et quiéludent la question même de l’effet que produit la

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violence de ces représentations sur les parents etles enfants. Les difficultés scolaires semblent alorstrouver leur origine et leur explication exclu-sivement dans un milieu familial déficient ouperturbant (cette vision des choses est parfoisnommée « approche défectologique »).Kathryn Anderson-Levitt a par exemple étudié lesregistres mobilisés par des enseignants français duprimaire pour expliquer l’échec scolaire de leursélèves. Ils varient, note-t-elle, en fonction del’origine sociale des parents. Considérées commenécessairement liées à des problèmes familiaux, lesdifficultés des enfants sont liées aux attributsnégatifs des groupes. La catégorie « immigrés » estainsi associée à une distance et une différence,culturelle et linguistique, variable selon les groupesethniques (maghrébins, les plus stigmatisés,asiatiques, africains, portugais). La pauvreté estperçue comme allant de pair avec des problèmessociaux, tels que l’alcoolisme, et des problèmespsychologiques et relationnels (violence, divorce,…). Le poids supposé de chacun de ces attributsdans l’échec scolaire est d’autant plus importantqu’il s’agit de parents de milieu populaire : leursdifférences deviennent des déficiences et desdéfaillances éducatives. Poser le problème desdifficultés vécues à l’école revient ainsi à évacuertoute remise en cause de l’école, de l’enseignant etde l’enfant, et à produire des stigmates naturalisésdont la portée explicative semble relever del’évidence (Anderson-Levitt, 1989 ; observationsanalogues dans Thin, 1998).Davantage que pour les parents « français », lavision dominante des « immigrés » emprunte auregistre de l’incompétence, où les déficiences sontcensées s’accumuler pour rendre les relations àl’école forcément hors normes. Ainsi Jean-PaulPayet a pu mettre en évidence des processus de « production propre d’ethnicité par l’institutionscolaire » (Payet, 1992). Les situations de face-à-facemettent en lumière la « prégnance et lapermanence de l’ethnicité comme catégorie dudiscours et de la pratique des acteurs du mondescolaire » à travers la connivence ou le soupçonqu’ils établissent avec les parents. Supposant lareconnaissance d’un partage de points de vue,donc la différenciation d’avec l’« autre », l’immigré,la connivence est mise en discours et en pratiquepar les agents scolaires avec les parents « français ».Par contre, les interactions avec les parentsimmigrés, la plupart du temps maghrébins, se fontsur le mode du soupçon, c’est-à-dire que sontprésupposées une distance culturelle et une

distinction idéologique rendant la communicationplus rigide, moins compréhensive, et productricede malentendus lors de la rencontre, lesquelsmalentendus nourrissent en retour la définitiond’identités ethniques et l’ethnicisation des relationsscolaires. Les mêmes actions ne sont donc pasinterprétées de la même manière selon qu’ellesproviennent d’enfants « français » ou d’enfants issusde l’immigration, et les parents immigrés voientleurs compétences parentales plus souventdisqualifiées.

Le constat : peur et honte, évitement du contact directLa littérature décrit bien quelques cas de famillesperdues, qui n’intègrent pas la scolarité de leursenfants dans leur projet familial plus large. C’est ceque suggère Abdelmalek Sayad, pour unegénération antérieure d’immigrés algériens, sur labase du témoignage d’une jeune fille, Zahoua, 23ans à l’époque (Sayad, 1979). L’élève / le jeune setrouve alors balloté entre deux universd’appartenance contradictoires et qui refusent dereconnaître mutuellement leurs normes.Cependant, ce type de situation apparaîtexceptionnel. Les parents d’origine populaire, ycompris lorsqu’ils sont immigrés, souscriventlargement aux principes de l’école (la méritocratieen particulier), de plus ils perçoivent son utilitésociale (elle conditionne de plus en plus l’accès à unmétier), ils tentent donc d’agir conformément à cequ’ils pensent être l’attente de l’institution. Mais ilsressentent aussi leur non-maîtrise de ces attentes etdes significations des pratiques scolaires. Cela lesamène souvent à rester à distance de l’institution, etpeut induire des malentendus qui les enfermentdans leur position de dominés. Par exemple, il n’estpas rare que les familles populaires accordentbeaucoup d’importance au respect formel desrègles de fonctionnement de l’institution, croyantque cela constitue une garantie de progrès scolaire.Ce faisant, elles se méprennent sur les priorités del’école, qui placent au premier rang la qualité del’apprentissage (Glasman, 1992).En tout état de cause, lorsque les familles neviennent pas à l’école, c’est très rarement fauted’intérêt pour la réussite de leurs enfants, c’est plussouvent pour les protéger et se protéger. Laviolence symbolique opère par la pénétration dansles familles populaires des normes dominantes, desorte qu’elles perçoivent et ressentent leur indignitéculturelle : la conscience de ne pas parler commeles enseignants, de ne pas savoir maîtriser ce qui se

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transmet à l’école, le sentiment de ne pas savoir s’yprendre pour servir (tout du moins ne pas desservir)les intérêts de leur enfant lors des rencontres avecles agents scolaires, sont autant de repoussoirsintériorisés à l’entrée en relation avec les agentsscolaires.Pris entre la légitimité sociale et éducative d’uneécole qui s’impose à leurs enfants et à laquelle ilsessaient de se conformer, et le sentiment de leurincompétence en matière pédagogique, lesparents évitent le contact direct avec l’école.Destinées à contrôler l’image de soi et à cacher despratiques, un langage, des manières d’être vécuscomme non conformes aux attentes scolaires etpouvant desservir leurs enfants, ces stratégiesd’évitement se révèlent perdantes dans la mesureoù elles sont interprétées par les agents scolairescomme des signes de désintérêt ou de démission.Le malentendu est là : la distance physique traduiten fait pour ces familles une extrême sensibilité à ceque représente l’école en tant qu’institutionconditionnant l’accès des enfants (et de la famille) àune identité sociale valorisée.La question des relations avec l’école constitue ainsiune mise en cause permanente de leur positionsociale et de leur autorité parentale : elle entretientune auto-représentation des parents en termes demanque et de déficience. Derrière la mise à distancede l’école se cache un mélange de honte face à leur « incompétence » et de « désorientation » (deQueiroz) face à l’enjeu que représente la scolaritéde leurs enfants, dont le pendant est une confiance(ou une délégation) obligée aux agents scolairespour tout ce qui concerne cette scolarité (contenus,pédagogie et évaluation, orientation).Le sentiment de leur indignité conduit certainesfamilles à s’effacer devant les agents scolaires et àdévelopper une conception de la répartition desstatuts et rôles respectifs de l’école et des famillesfondée sur une séparation stricte. Jean-Manuel deQueiroz a montré au début des années 1980, queles familles populaires considérées par l’institutioncomme « indifférentes » à la scolarité de leursenfants développent en fait une représentationbien distincte de la place de chacune de ces deuxinstitutions quant à la socialisation des enfants :elles s’en remettent aux enseignants pour ce qui

concerne le contenu des enseignements et lapédagogie, se jugeant inaptes et incapables d’yintervenir, et exercent leur suivi par un contrôleformel des notes et une discipline (de Queiroz,1981). Ce faisant, ce qui apparaît comme undésintérêt relève paradoxalement d’une tentativede conformation aux exigences de l’école : « Pources parents, aller à l’école pour discuter desquestions scolaires n’a pas de sens : lefonctionnement de l’école ne relève pas de leursprérogatives, pas davantage que les méthodespédagogiques, et ils se sentent incompétents àaider leurs enfants dans leur scolarité » (Thin, 1998).C’est donc bien d’une identité sociale et culturelleperçue comme dévalorisée qu’il est question ausein de ces relations. L’école, seule institution àlaquelle il est impossible de se soustraire, prendsens dans une expérience sociale globaled’infériorisation (de Queiroz, 1981). Toute remarquenégative touchant l’enfant-élève, toute demandede participation financière non symbolique auxactivités scolaires, peuvent alors être perçuescomme une atteinte à l’honneur et à l’identitéfamiliale, comme une réactivation de lastigmatisation sociale. La mise à distance de l’école,l’évitement des contacts avec les enseignants,représentants d’une classe sociale disqualifiante etpeu accessible, relèvent de ce fait d’une défense del’identité sociale et familiale.Cependant, nous le verrons plus loin, ceteffacement des parents devant les agents scolairespeut se doubler d’une véritable mobilisation,notamment par l’appel à des personnes tierces plusfamilières de l’univers scolaire, en particulier auxaînés qui constituent alors le relais de parents quiles considèrent comme plus aptes qu’eux àdialoguer et négocier avec les enseignants (le casest bien décrit en particulier pour les famillesimmigrées). Les aînés sont ainsi le visage plus « présentable » d’une famille qu’on craint de voirdesservir l’enfant parce que stigmatisée commedéficiente, - les parents sachant très bien que lesenseignants opèrent un amalgame entre enfants etparents (enfant en difficulté signifie famille « àproblème », famille en difficulté signifie enfantpotentiellement en échec).

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« La Reproduction. Eléments pour une théorie du système d’enseignement » (1970)Le livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron est le premier en France à avoir abordé l’école et avecun tel écho, non comme un lieu hors de la société et préservé, mais comme un espace social central.Remettant en cause les analyses de la culture des classes populaires en termes de « déficit » ou de « handicap », ils dénoncent l’ethnocentrisme de classe et mettent en lumière l’existence de plusieursmodèles culturels, dont aucun n’est supérieur a priori. Mais les compétences qu’exige l’école et lapédagogie qu’elle met en œuvre, loin de répondre à un principe de neutralité et à l’exigence d’égalitédes chances qu’elle s’assigne, relèvent d’une culture particulière, celle de la classe dominante. école etfamilles, envisagées comme deux instances de socialisation des enfants, sont mises en confrontation lorsde la scolarisation de ces derniers, chacune étant porteuse de normes culturelles spécifiques (pratiqueslangagières, organisation temporelle et spatiale, relation à l’autorité, discipline). La réussite scolaireimplique l’intériorisation des formes culturelles de la classe dominante, que l’école sanctionne maisn’assure pas elle-même. Ainsi, l’école contribue à la reproduction des rapports sociaux de classe.Cette analyse a été critiquée essentiellement pour son aspect fonctionnaliste qui laisse peu de place auxcontradictions et marges de manœuvre des acteurs, donc permet mal de rendre compte des changements,d’une part, et des exceptions statistiques, d’autre part. D’un point de vue opératoire, elle donne peu declés pour décrire la manière dont la violence symbolique opère, concrètement, au cours des interactionsscolaires de tous les jours. Néanmoins, elle a connu des prolongements qui l’ont affinée (les premierstravaux de Bernard Lahire, ou encore les recherches de Sylvain Broccolichi, par exemple) et elle demeureun cadre de lecture au fondement de la sociologie de l’éducation française, qui a irrévocablement mis enlumière la dimension sociale de l’école.

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Mais pas un éloignement subjectif : inquiétude et ambition des familles

Nous l’avons vu, éloignement physique ne signifiepas éloignement subjectif de l’école. A l’enquête, lavision d’altérité projetée sur les familles populairesapparaît fantasmatique : on ne peut pas dire que lesfamilles populaires entretiennent un rapportd’éloignement ni d’indifférence, encore moinsd’hostilité avec l’école en tant qu’institution. Lesenquêtes autorisent à dégager deux grandes lignesde force : la réalité des attentes envers l’école, et ladiversité des dispositions familiales pour lessatisfaire.

Les attentes des familles populaires vis-à-vis de l’écoleParce qu’elle est devenue et demeure le principalvecteur de mobilité sociale, l’école en tantqu’institution bénéficie d’une forte légitimité parmiles familles populaires. Elle est reconnue à la foisdans sa fonction cognitive (dispenser desconnaissances) et dans sa fonction sociale (pourvoirune formation professionnelle), toutes deux liées.L’école continue de représenter, plus encore peut-être que pour les autres classes sociales, le moyen

exclusif d’ascension sociale. Ce qui est en jeus’inscrit dans une histoire et un projet familialintimes, la sortie d’une situation précaire voire larevanche sur un échec scolaire personnel. Laréussite signifie l’élargissement des possibles ;l’échec, l’exclusion des emplois stables et le risqued’une « carrière négative ». Nombre de chercheursont rencontré des parents qui dévalorisent leurpropre situation professionnelle afin de motiverl’investissement scolaire de leurs enfants. Ce qu’ilssignifient par là est à la fois le souvenir douloureuxde leur propre scolarité interrompue ou ratée, et lavolonté de voir leurs enfants « s’en sortir » mieuxqu’eux.L’insertion de la scolarité des enfants dans l’histoirefamiliale prend une dimension supplémentairelorsqu’il s’agit de familles immigrées. L’espoir depromotion sociale est au cœur du projet migratoire,l’école en constitue la seule ressource possiblepour les enfants, leur scolarité peut même luidonner une justification a posteriori (Zéroulou,1988 ; Zehraoui, 1998). Elle viendra égalementcompenser et réparer le déclassement subi à

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l’occasion de l’immigration, tout du moins l’échecdu premier projet migratoire (qui visait le retouravec honneur). La force de l’attente de réussite estalors à la mesure de la « double disqualificationsociale » vécue par ces parents (immigrés etanalphabètes), ce qui les conduirait à opposerrelativement plus de résistance que les autres famillespopulaires à des propositions d’orientation vers desfilières courtes, et au verdict scolaire de manièregénérale (Zirotti, 1997 ; Beaud et Pialoux, 1999).En tout cas, les attentes des familles populaires vis-à-vis de l’école mêlent espoir et réalisme, rêved’une réussite par des études longues et sens del’utilité immédiate des filières courtes. L’intério-risation du « destin statistique » contribue à réduireles ambitions par auto-limitation, alors que l’accès àune filière longue, bien que désirable de manièreabsolue, paraît aléatoire. Non seulementl’orientation au lycée ne garantit pas unequalification professionnelle clairement identifiée,mais sa réussite dépend de facteurs nonmaîtrisables tels que l’investissement durable del’enfant, le bon choix d’orientation ultérieur, desmoyens financiers à long terme, ... La sacralisationdes diplômes, notamment le bac, est contre-balancée par une tendance à ajuster les objectifs enfonction du parcours scolaire de chaque enfant etdes contraintes objectives. Marie Duru-Bellat,étudiant les vœux d’orientation en fin de collègeprésentés par les familles et les décisionseffectivement prises par les conseils de classe,montre que non seulement les parents de milieupopulaire pratiquent une auto-sélection enadaptant plus que les autres leurs demandes auniveau et à l’âge de l’enfant, mais aussi que lesconseils de classe se montrent finalement plusexigeants en termes de niveau avec ces enfants,entérinant de fait le biais social incorporé dans lesdemandes et présent dans les représentations desagents scolaires (Duru-Bellat et Van Zanten, 1999).Ce qui transparaît est une relation particulière àl’école où l’approche instrumentale domine deprime abord. Il est attendu qu’elle fournisse à termeune formation professionnelle qualifiante endispensant des savoirs directement utiles : la fin doitrenvoyer à une efficacité sociale, les moyens ymener (Léger et Tripier, 1987). La logique prédo-minante ici est à rapprocher de la culture ouvrièredu travail, qui suppose un savoir applicable etidentifiable en tant que tel. C’est cette culture quiconstitue la référence des jugements sur lespratiques scolaires. Elle motive l’importanceaccordée à l’acquisition de savoirs fondamentaux(lire, écrire, compter pour pouvoir « se débrouiller »dans la vie quotidienne), et inversement l’incompré-

hension vis-à-vis d’activités scolaires abstraites ouludiques dont l’utilité pratique et le « sérieux » sontmis en cause. Le sens pédagogique des sorties seramal perçu : elles ne répondent pas à l’exigence detransmission de connaissances spécifiées et utiles(Thin, 1998).Mais l’attente des parents d’origine populaire ne selimite pas à cette conception instrumentale del’école : celle-ci est aussi vue comme chargée detransmettre un ordre moral fait de valeurs, dediscipline, de repères dans le monde social.Éducation signifie pour eux aussi socialisation,domaine dans lequel ils ont leur mot à dire : lelaxisme qu’ils imputent à certains enseignants est àcomprendre comme un refus du flottement deshiérarchies, notamment sociales et générationnelles.Signe qu’elles reconnaissent l’importance del’école, les familles populaires font généralementpreuve de conformisme dans leurs pratiques demobilisation autour de la scolarité de leurs enfants.Elles ont le souci de faire tout ce qu’il faut pour laréussite de leurs enfants, de recourir à l’ensembledes aides et appuis qu’elles peuvent atteindre : unindicateur fort en est les dépenses qu’elleseffectuent pour l’école, dépenses de matériel, devêtements, de livres et même d’ordinateur, souventtrès lourdes pour le budget familial mais faites pourmettre toutes les chances de leur côté (enquêteINSEE). Ce faisant, elles essaient de se conformer àce que sont les pratiques requises par l’école etincarnées par la classe moyenne, qui apparaissentcomme gages de réussite.

Les ressources d’une mobilisationfamiliale « à distance » (Terrail, 1997)autour de la scolarité des enfantsMême lorsque l’histoire scolaire des parents a ététrès courte, ce qui n’est pas toujours le cas, lesfamilles populaires peuvent réussir à accompagnerla scolarité de leurs enfants. Les travauxsociologiques sur le rapport à l’école des famillespopulaires se sont employés à dégager, dans lesitinéraires familiaux, dans l’organisation de l’exis-tence familiale, dans les techniques d’encadrementdes devoirs, etc., les caractéristiques qui font decertaines familles des familles « réussissantes »scolairement, à l’inverse d’autres.Les premières ressources d’une scolarité sont, danstous les milieux, le capital scolaire et culturel familial(pour parler comme Bourdieu), lequel résulte de latrajectoire scolaire et socio-professionnelle desparents, ainsi que des aînés de la fratrie. La duréede la scolarité des parents, mais aussi la façon dontelle a été vécue, le souvenir qu’elle a laissé, leurinsertion professionnelle, voire leurs activités

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sociales, un militantisme, constituent autant depotentialités. En milieu populaire, les ressources encapital scolaire et culturel sont moindres qu’ailleurs.De plus, ces ressources doivent trouver lesconditions de leur transmission à l’enfant scolarisé :apparaissent décisives à l’enquête à la fois ladisponibilité en temps de la personne porteuse ducapital scolaire, et la qualité d’une relation chargéed’affects et exempte de conflictualité. Les variablesexplicatives de la réussite scolaire en milieupopulaire sont davantage le niveau d’étude et lacatégorie professionnelle de la mère que ceux dupère : celui-ci est moins présent et la répartitionsexuée des rôles au sein du couple ne lui assignegénéralement pas le suivi scolaire quotidien.D’autres ressources relèvent de dispositionsculturelles plus subtiles et plus difficiles à capterstatistiquement, mais décelées par les enquêtes deterrain. De fait, les familles populaires sontbeaucoup plus diverses dans leur potentiel scolaireque le stéréotype de l’écart culturel ne le laisseraitcroire. Au-delà de critères socio-économiques etculturels considérés comme objectifs etrelativement statiques, on trouve une combinaisonsouvent singulière à chaque famille (liée à sonhistoire) de pratiques, de normes et de valeurs quidévoile, au sein d’un même groupe socio-économique, des « cultures » familiales variées etinégalement propres à soutenir la scolarité desenfants. Ces combinaisons singulières définissentdes environnements pratiques et cognitifs quidisposent plus ou moins les enfants à affronter lesexigences de l’école, et donnent ou non une placeà la scolarité de l’enfant dans l’histoire familiale. Lescritères pertinents apparaissent les suivants : lerecours familial à l’écrit (qui ne nécessite pas unescolarité longue des parents), la gestion du temps,la gestion du budget, l’ordre moral domestique(valorisation de la bonne conduite, morale del’effort), l’exercice de l’autorité en famille et lesmodes familiaux d’investissement pédagogique(Lahire, 1995). Si l’on suit cette analyse, c’est moinsla position sociale que l’ordre domestiqueparticulier (la « structure de l’existence familiale »)qui confère aux familles une culture permettant ounon l’accompagnement de la scolarité des enfants(aussi Dubreuil, 1999).Plusieurs auteurs s’intéressent à la façon spécifiquedont sont accomplis dans la famille des gestestypiquement scolaires, tels que la réalisation desdevoirs et l’apprentissage des leçons : tableréservée au travail des enfants après l’école,disponibilité et attention totale de la mère, mêmeanalphabète, lors du temps qui y est consacré, … Siles conditions de ce suivi ne sont pas celles que les

agents scolaires considèrent comme les plusfavorables (il n’y a pas nécessairement de bureaupour chaque enfant, la maîtrise pédagogique de lamère est parfois très limitée, il n’y a guère deressources pédagogiques complémentaires, …), onconstate qu’en milieu populaire aussi, l’écoleimpose son propre rythme et ses exigences à lafamille. Il a ainsi été observé, à l’encontre dudésintérêt imputé aux parents, que les élèvesd’école élémentaire issus de familles populairespassent en moyenne plus de temps à leurs devoirstous les soirs que les enfants de cadres (de Queiroz,1995, citant Cléopâtre Montandon).Les parents qui exercent un « suivi distant » de lascolarité de leurs enfants sont souvent ceux qui seconsidèrent comme les moins aptes à les aider,voire comme nuisibles car trop incompétents. A l’autre extrême, on peut trouver des formes de « sur-scolarisation ». Pour ces parents, souvent plusscolarisés que les autres, participer de manièredirecte aux apprentissages des enfants passe par lecontrôle des notes, et par l’allongement du tempsconsacré aux devoirs, considéré comme gaged’efficacité : refaire les exercices tant qu’ils sont faux,soigner la présentation, donner des exercicessupplémentaires pour s’assurer par la répétition quela leçon est comprise, cahiers de vacances. Lesreprésentations du monde du travail (travail, effort,…) sont ainsi utilisées comme mode d’interprétationde la scolarité des enfants. L’incitation, de même,passe par le registre de la récompense (cadeaux,loisirs) ou de la sanction (privation de sorties et dejeux, voire correction physique), qui constitue unmoyen d’intervention tout extérieur et formel, quine permet pas l’appropriation par l’enfant de sapropre scolarité. La disposition personnelle autravail, l’apprentissage de l’autonomie dans lagestion du temps des devoirs, l’entraînement des « manières d’apprendre », thèmes chers auxenseignants, ne sont pas les objectifs sur lesquelsles parents orientent d’eux-mêmes leur contrôle dela scolarité (Thin, 1998). Un autre signe de cettefaçon d’investir l’école à distance est l’accumulationd’outils pédagogiques coûteux, mais peu utilisés :les dictionnaires, encyclopédies et autres livres sonttrop beaux pour être laissés en permanence à laportée des enfants, ils deviennent un « patrimoineculturel mort », qui ne transmet rien (Lahire, 1995).À cet égard, l’histoire familiale constitue uneressource dont l’effet apparaît complexe : parceque l’histoire scolaire de l’enfant prend sens dansun projet familial et lui donne sens, la mise encomparaison tacite ou non avec le parcours scolaireet professionnel des parents est toujours présente.Dans une société où la scolarité distribue les statuts

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symboliques et sociaux, le modèle parental estsouvent utilisé en milieu populaire comme contre-exemple, comme ce qu’il ne faut pas faire si l’onveut réussir. L’expérience scolaire de l’enfant estainsi inscrite dans l’histoire singulière de la famille,qui permet à l’enfant de trouver un sens quin’engage pas que lui à des contraintes et desapprentissages quotidiens ; mais permet aussi auxparents d’adapter leur suivi à un désir porté surl’avenir de leur enfant (Zéroulou, 1988).Au total, la notion de culture populaire estdéconstruite par l’enquête empirique portant sur lafaçon dont les familles populaires vivent et gèrent lascolarité de leurs enfants. Notons que les prévisionsgénérales de la théorie de la reproduction ne sontpas vérifiées au sens où le verdict scolaire est loind’être toujours accepté comme normal etinéluctable. L’approche en termes de culture

familiale est elle-même peu satisfaisante, sauf àtrouver autant de cultures que de familles. Pourrépondre à la question des relations entre école etfamilles populaires, nous avons besoin de dépasserles approches macro-sociales statiques à l’aided’une approche dynamique, qui permette decomprendre l’investissement ou le non-investis-sement scolaire des familles, le succès ou l’insuccèsde leurs vœux de fortune scolaire, commeprocessus complexe et cumulatif, qui tient dans unegrande mesure aux opportunités rencontrées etexploitées au bon moment. Tout en se maintenantà distance de l’école, les familles cherchent, dansleur très grande majorité, à tirer parti des ressourcesqui leur sont accessibles. Or, en quartier populaire,ces ressources sont structurellement rares et defaible valeur scolaire.

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« Tableaux de familles » (1995)

Dans cet ouvrage, Bernard Lahire tente de saisir les différences internes au milieu populaire qui peuventexpliquer les variations dans les résultats scolaires d’enfants qui pourtant présentent des facteurs objectifs(socio-économique, profession et niveau scolaire des parents) semblables et a priori défavorables. Il s’agitpour lui de réinterroger les notions de capital culturel et de transmission en déplaçant le regard versl’observation micro-sociologique, au sein des relations familiales. Son étude porte sur 27 enfants de milieusocio-économique proche, élèves de CE2 séparés en deux groupes : ceux qui sont en réussite (moyennesupérieure à 6 à l’évaluation d’entrée en CE2) et ceux qui sont en échec (moyenne inférieure à 4,5).Sa thèse est que l’enfant se trouve inséré dans une configuration familiale faite de relationsd’interdépendance qui produisent un processus de socialisation particulier. L’enfant se constitue, constitueses schèmes mentaux, cognitifs et comportementaux, ses dispositions sociales, en relation avec une familledont la structure de coexistence produit des dissonances ou des consonances avec l’univers scolaire et sesrègles du jeu. Cela l’amène à dégager des modalités effectives de transmission d’un capital culturel, toutdu moins d’une disposition à affronter positivement les exigences scolaires : un investissement familialpositif autour de la scolarité (c’est-à-dire à la fois la valorisation de l’expérience scolaire et l’absence desurinvestissement potentiellement conflictuel), une forme d’exercice de l’autorité au sein de la famillerendant possibles l’intériorisation des normes, une transmission des dispositions scolaires (organisation,ordre, relation à l’écrit, auto-discipline) chargée d’affects positifs, etc. Chaque configuration familialeparticulière produit une relation différenciée à la scolarité à travers la mise en œuvre complexe del’ensemble de ces modalités. La possession par l’un des membres de la famille d’un capital scolaire negarantit en rien sa transmission automatique et n’est pas un pré-requis de la réussite.

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Le rapport à l’école des familles populaires : une affaire d’interaction et de structure d’interaction

Opacité des fonctionnements scolaires

Nous nous interrogerons dans cette partie sur lessystèmes de relations au sein desquels se construitla scolarité des enfants. Renonçant à chercherunilatéralement du côté des cultures familiales lesfacteurs explicatifs des relations qu’entretiennentles familles avec l’école, une série de travauxtentent de situer ces relations dans les systèmesd’interactions plus ou moins stables, au seindesquels elles se déroulent. Les travaux menés avecle concept de culture conduisent à ce type derecadrage lorsqu’on les examine de près : un traittel que la distance à l’égard de l’école, qui passepour culturel, ne s’explique pas (ou pasexclusivement) par la culture populaire, il résulteaussi, nous l’avons noté, de la distance queconservent les agents scolaires à l’égard desparents, et de l’anticipation par ceux-ci des risquesliés aux situations de communication ménagées parl’école, entre autres. La configuration sociale dans laquelle se construit lascolarité des enfants comprend au minimum troispôles d’acteurs en interaction : les membres dugroupe familial, notamment la mère, ainsi que lesagents scolaires, en place éminente, et l’enfant-

élève, entouré de ses camarades (Montandon,Perrenoud, 1987). Leurs relations sont contex-tualisées par le cadre résidentiel et le cadre scolaireconcret auquel les familles ont affaire. Quelles sont,dans ces systèmes contextualisés, les opportunitésqui répondent aux attentes scolaires des familles,ou les contraintes qui limitent le succès de leurambition ? Pour les familles, particulièrement pourcelles issues de milieu populaire et vivant dans desquartiers composés pour l’essentiel d’habitatssociaux et excentrés, les opportunités se révèlentlimitées au regard des contraintes posées à leuraction : de ce hiatus naît un sentiment plus ou moinsvif de frustration.Au titre des contraintes liées au système desinterdépendances scolaires, on notera la rareté desinformations disponibles sur les pratiques concrètesde scolarisation, et la distance des agents scolairesà l’égard des familles (et plus globalement à l’égarddes quartiers populaires urbains et de leursociabilité). Les familles répondent à ces conditionspar la mobilisation de diverses stratégies d’action,plus ou moins efficaces scolairement.

Plus que la distance socio-culturelle, ce sontjustement les limites posées par l’institutionscolaire, tant par ses fonctions cognitives etpédagogiques que par son fonctionnementadministratif, souvent opaques pour les parents desmilieux populaires, et maintenus tels, qui induisentla frustration des familles.

Méconnaissance des savoirs scolaires etdes formes pédagogiques modernesL’évolution continuelle du contenu des program-mes, le changement des façons d’enseignercertains savoirs (la lecture, ou la résolution desdivisions par exemple), des pratiquespédagogiques moins autoritaires (le recours à laméthode Freinet par exemple), constituent autantde facteurs de désorientation de parents auxquelsune scolarité souvent courte a tout de même laissé

la certitude de posséder certains savoirs.L’expérience d’une école fondée sur un moded’apprentissage relevant plus de la répétition et del’inculcation que d’une appropriation personnelledes savoirs et des manières d’apprendre, renddifficile la compréhension du nouveau modèlepédagogique. Non seulement on n’enseigne plusles mêmes choses, mais l’école propose desactivités dont la lisibilité pédagogique est faible.Ainsi en est-il des sorties et autres activités qui, pourles enseignants, contiennent une dimensionclairement cognitive, mais qui sont perçues par lesparents comme des jeux inutiles, au mieux commeun moment de détente. La méconnaissance desobjectifs de ces activités, que les enseignantsexpliquent peu, nourrit l’incompréhension de ce quise passe à l’intérieur de l’école. Les parents demilieu populaire n’ont pas dans leur répertoire de

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« catégorie combinatoire entre le travail et le jeu »,observe Jean-Paul Payet (1998). Pour eux,l’apprentissage est corrélé au travail, non auxactivités ludiques, et ses résultats doivent êtremesurables, donc notés. Payet parle à ce propos d’« incompréhension stratégique ».

Des agents scolaires distants dansl’ensembleLa distance des agents scolaires vis-à-vis desparents ne permet pas de remédier à cetteméconnaissance, voire contribue à l’aggraver enmaintenant le flou des exigences, alors que lesrencontres avec les parents devraient être le moyenprivilégié de la pallier. En réalité, ces rencontressont rares, souvent provoquées par les difficultés del’enfant, et se déroulent alors pour les parents sousle signe du danger : danger symbolique, celui d’êtredisqualifiés et stigmatisés en tant que parents, etdanger pratique, celui de nuire à l’enfant en sedévoilant tel qu’on est. Dans ces conditions, lesentiment premier lors de ces rencontres est celuide la méfiance.Plusieurs travaux s’attachent spécifiquement àl’étude des situations de face à face que peuventavoir à vivre les parents avec les agents scolaires(enseignants et personnel administratif). Cessituations mettent en confrontation des personnesdont nous avons vu que l’écart socio-culturelintériorisé est grand, qui nourrissent un soupçonréciproque. Cet écart explique en partie pourquoiles relations ont tendance à être moins fréquentesavec les professeurs de collège et lycée qu’avec lesinstituteurs, qui sont plus accessibles et dontl’enseignement reste à la portée de la majorité desparents. Surtout, les rencontres ont toujours lieudans l’espace familier d’un seul des acteurs, l’acteurscolaire, où prévalent des normes et des pratiquesqui impriment à la relation un caractère dissymé-trique marqué. Ce sont alors davantage les parentsqui s’exposent, qui prennent le risque de se mettreen position de faiblesse et de ne pas être entendus :« alors que le contact professionnel-public se situe,dans les quartiers "riches" (…), dans le domaine del’information, il se situe, dans les quartiers"pauvres", dans le domaine du contrôle » (Payet,1994).Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que laproportion de parents ne participant jamais àaucune rencontre à l’école soit plus forte parmi lesouvriers que chez les cadres, pour les mères ayanteffectué une scolarité courte que pour celles ayantun niveau universitaire (Montandon, 1991). Les

parents ont par contre moins de réticence àprovoquer des échanges lors de rencontresfortuites avec les enseignants hors les murs del’école, c’est-à-dire devant l’établissement ou lorsd’activités ordinaires partagées (courses, …). Maisce type de rencontre est relativement rare enFrance (comparativement à un pays comme laGrande-Bretagne), les enseignants habitant rare-ment dans les quartiers populaires des villes, auplus près de leurs établissements d’exercice.Dans une étude de 1992, Agnès Henriot-vanZanten a effectué une série d’observations desituations d’interaction et d’entretiens auprès deparents d’origines diverses d’un secteur sociale-ment hétérogène, portant sur la participationindividuelle et collective des familles au fonction-nement des établissements du second degré (ils’agit de collèges). Elle montre que la majorité desparents exprime une méfiance vis-à-vis desstructures de concertation et des associations deParents d’Elèves (APE), méfiance accrue lorsqu’ils’agit de parents issus d’un milieu populaire et derencontres où la dimension individuelle estdominante. Par ailleurs, si 80% des famillesparticipent aux réunions collectives de rentrée, lesparents des classes populaires et/ou immigrés ensont moins satisfaits que les autres et regrettent lemanque d’information sur la vie scolaire générale,ce qui peut vouloir dire à la fois une incom-préhension partielle du contenu des échanges maisaussi et surtout le manque de sources d’informationtierces en permettant une maîtrise pleine. Cesrencontres annuelles, pourtant fortement fréquen-tées, ne répondent donc pas aux attentes desparents les moins informés et contribuentparadoxalement à maintenir une distance entre cesderniers et ce qui se passe dans l’école. Le mécontentement est encore plus fort, et le tauxde fréquentation plus faible, lorsqu’il s’agit desrencontres individuelles parents / professeursorganisées (réglementairement) par groupe declasse dans l’établissement : « (…) la façon dontelles sont organisées semblent pour une majoritédes parents refléter le mépris des enseignants et,plus généralement, de l’institution scolaire à leur égard » (A. Henriot-van Zanten, 1992). Cesrencontres soumettent les parents au regard et auxjugements conjoints des enseignants et des autresparents, et ne leur laissent pas le temps des’exprimer sur la scolarité de leur propre enfant.Elles sont parfois perçues comme un moyen de « sedébarrasser » des parents, de les décourager d’yassister.

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Autre modalité de rencontre, les contactsindividuels entre parents et enseignants initiés parl’un des deux acteurs. L’étude d’Agnès Henriot-vanZanten montre à nouveau que ce sont les parentsouvriers qui pratiquent le moins ce type de contact,et que les parents immigrés sont parmi ceux quiévitent le plus ces face-à-face individuels. De fait, laprise de contact pour ce genre de rencontre estsouvent le fait des enseignants ou du personnel del’établissement, elle est alors vécue par les parentscomme une convocation. Point aggravant, ellesrépondent, ou sont anticipées par les parentscomme répondant à l’existence d’un « problème »,scolaire ou comportemental, de leur enfant, ellessont donc associées à un moment désagréable àvivre. L’inégalité de la rencontre est renforcée par lasituation d’urgence, la construction d’une véritablecoopération entre acteurs n’est plus possible. « Lesinteractions avec les parents sont potentiellementconflictuelles, elles produisent souvent incom-préhensions et malentendus », résume Jean-PaulPayet (1994). Se présenter à l’école revient alors à s’exposer à desinterrogations portant sur la vie familiale, lesrelations avec les enfants, les difficultés profes-sionnelles, autant de facteurs auxquels lesenseignants sont enclins à attribuer les difficultésdes élèves mais qui sont aussi des intrusions dansl’intimité et ont des effets stigmatisants. Les parentsse trouvent désignés responsables d’une difficultéqui pourtant les déroute et les inquiète, tout en nese voyant pas offrir la possibilité d’agir sur le fond.La dimension linguistique constitue un facteursupplémentaire de dissymétrie : au-delà d’unepossible incompréhension mutuelle réactivantl’écart culturel, c’est de la capacité à se faireentendre que l’on doute. Les parents considèrentparfois qu’ils ne seront de toute façon pas écoutésparce qu’ils ne sont pas dignes de l’être aux yeuxdes enseignants (Thin, 1998). Les situationsd’interactions voient alors des parents gênés, mal à

l’aise, en position de justification vis-à-vis d’agentsscolaires qui pensent engager une réflexionconjointe sur les difficultés de l’enfant. De tellesrencontres sont productrices de malentendus pourchacun des interlocuteurs dont l’attente vis-à-vis dela rencontre ne correspond pas à ce qui s’y déroule.L’observation de rencontres dans le cadre desprocédures d’orientation des élèves à l’issue de laTroisième aboutit à des résultats semblables. Lesparents sont associés à ces procédures depuis1989. Malgré le principe de la coopération, quisuppose une coconstruction du devenir de l’enfant,ces situations « sont particulièrement exposées à latentation d’invalidation du point de vue familial » :la complexification des enjeux et des filièresd’orientation dépossède de fait les parents de toutecapacité de lecture et d’action sur ces choixd’orientation. L’établissement d’un « diagnostic »concurrent à celui des parents sur les capacités del’enfant provoque des situations de conflit avec lesenseignants (Payet, 1994).Au total, la distance entre parents et enseignantsest autant révélée que produite par les raressituations de face-à-face. Il apparaît qu’elle tientfortement aux représentations sociales croisées desuns et des autres, qui véhiculent des imputationsd’altérité. Autant que la complexification desexigences de l’école, ces situations contribuent ànourrir la frustration des parents, le sentiment de nepas avoir toutes les cartes en main pour assurer unebonne scolarité à leurs enfants. On peut s’attendreà ce qu’intervienne ici un effet établissement : uneécole, un collège, un lycée professionnel oùauraient été instaurées des pratiques régulières derencontre et d’échange avec les parents auraitmoins de risques de produire ce type d’anticipation,qui concourt en retour à développer les pratiquesd’évitement. Des travaux comparatifs sur la based’expérimentations à grande échelle existent pourla Grande-Bretagne, pas encore pour la France(Mortimore, 1988).

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Dans ces conditions, les parents ont tendance àdéployer des stratégies pour maximiser lesopportunités qu’ils ont à leur disposition dans leurfamille, leur réseau amical et leur environnement,afin d’agir sur le destin scolaire de leur enfant.L’hypothèse qui se dessine est que les familles seconduisent plutôt en acteurs rationnels, mobilisantautant qu’elles le peuvent les ressources qu’ellesvoient à leur disposition. Leurs logiques d’action nesont pas différentes, a priori, des familles de classemoyenne, c’est leurs informations et leurs moyensd’action qui le sont.

Stratégies de mobilisation individuelleLa première de ces stratégies est le suivi familial dutravail scolaire, qui passe toujours par la vérificationpériodique des résultats (des notes), souvent par lecontrôle des leçons et des devoirs écrits et, quandcela est possible, par une aide directe. Même si lesparents ne disposent pas des compétencesrequises pour un suivi efficace du travail proprementdit, les discussions et conversations autour de lascolarité participent elles aussi de la mobilisationparentale (Terrail, 1997). Comme nous l’avons vu,les modalités du suivi divergent, du « suivi distant »au « sur-investissement » (D. Thin, 1998), et ellessont souvent considérées comme non conformespar les agents scolaires. Mais elles répondent à laperception qu’ont les familles des objectifs del’école et de leur propre position vis-à-vis descompétences qu’elle exige.Autre stratégie, l’appel à des aides externes. Lesenquêtes montrent la récurrence des sollicitationsadressées aux aînés scolarisés, aux collatéraux, voireaux amis ou collègues de travail, mais aussi, dansune certaine mesure à des ressources comme lescours particuliers ou l’accompagnement scolaire,pour lesquels nous n’avons pas de chiffres fiablesmais des indications sérieuses relevées par lesenquêtes (par exemple Glasman, 2001, Terrail,1997). À défaut d’évaluation précise des effets deces dispositifs, on peut citer un résultat en creux :une étude longitudinale des carrières scolaires desélèves qui se sont déscolarisés avant 16 ans montreque ce qui distingue ces élèves d’autres élèves aussifaibles qu’eux et de même milieu mais qui ont pus’accrocher dans leurs études, c’est que les élèvesqui ont fini par se déscolariser n’avaient bénéficiéd’aucun accompagnement scolaire ni dans leurfamille ni dans le milieu associatif (Broccolichi &Larguèze, 1997).

Qui sont les parents qui font usage de ces formules,et pourquoi ? À partir d’une étude effectuée auprèsde 35 parents d’un quartier d’une ville moyenne dela région Rhône-Alpes, Dominique Glasman montreque le recours, alternatif ou complémentaire, àl’étude (assurée par des agents scolaires au sein del’établissement), à l’accompagnement scolaire (gérépar des associations généralement hors de l’espacescolaire), voire aux cours particuliers, résulte d’unestratégie d’usage et d’articulation des dispositifsproposés en fonction d’un critère central, le « soucides devoirs » (Glasman, 2001). Répondant àl’objectif de réussite mais aussi de recherche deprotection et de soutien extérieurs, pour assurer unsuivi efficace, régulier et déconflictualisé desenfants, cette préoccupation se traduit par uneévaluation comparative des aides possibles à l’aunede la quantité et de la qualité des devoirs effectués,le poids relatif de chacun des critères dépendant dela relation des parents eux-mêmes à la scolarité. Nombre d’études ont par ailleurs révélé l’ampleurdes pratiques d’évitement des établissementsscolaires publics d’un secteur, en particulier lorsqu’ils’agit d’un quartier populaire. Une premièremodalité est l’inscription dans un établissementpublic hors du secteur par un jeu sur la domiciliationde l’élève, ou sur les options dans le cas dusecondaire, … qui provoque des migrationsd’élèves difficilement saisissables et maîtrisablespar l’administration elle-même (Léger & Tripier,1988, Broccolichi, 1998). Une autre modalité, quis’est beaucoup développée dernièrement, est lerecours aux établissements du secteur privé, dont ila été montré qu’il concerne au total quelque 50%des familles de France au moins une fois au coursde la scolarité de leurs enfants, et qu’il tend à sedémocratiser (Langouët & Léger, 1997).Ce changement des attitudes parentales vis-à-visde l’école, analysé ailleurs en termes de « choix » etde « consommation » (Ballion, 1991), correspond àune fuite d’établissements perçus négativement.Sylvain Broccolichi met en lumière, à la source de l’évitement, des « inégalités cumulatives » :mauvaise réputation, concentration sociologiquede publics dits défavorisés elle-même accentuéepar les stratégies d’évitement, rotation forte dupersonnel éducatif qui accroît l’instabilité. Lesmotivations des parents relèvent à la fois et dans lemême temps d’une volonté de maximiser leschances scolaires de leurs enfants et du soucid’assurer leur éducation et leur sécurité. Partagées

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Stratégies parentales en situation

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à des degrés divers par l’ensemble des parents, cesmotivations se traduisent moins souvent chez lesfamilles populaires par une pratique effective dechoix, non par absence de volonté ou de consciencede l’existence d’un marché scolaire, mais parlimitation des ressources d’information et desmoyens financiers. « Les différences entre parents demilieux sociaux différents se situent largement auniveau du savoir sur les espaces scolaires et dupouvoir d’y accéder dans de bonnes conditions, etpas seulement au niveau du vouloir. », écrit SylvainBroccolichi (1998). Les critères mis en jeu par lesfamilles populaires, l’efficacité et le sérieux del’établissement et de ses agents, sont ainsi prochesde ceux des classes moyennes, et se traduisent pardes pratiques cohérentes avec leurs objectifs dans lalimite des contraintes cognitives et pratiques quipeuvent être sévères.Enfin, certaines enquêtes ont pu mettre en lumièreune véritable résistance au verdict scolaire commemode d’action des parents sur la scolarité desenfants. Elle est d’autant plus forte chez les famillesimmigrées, pour qui l’école est la seule ressourcepossible de mobilité sociale. Cette résistance setraduit par une contestation active des décisions desconseils de classe, mais aussi parfois par unevéritable pression sur les agents scolaires au momentdes décisions d’orientation, pour infléchir lediagnostic et ses conséquences souvent définitives.Une étude récente sur l’aire de Sochaux-Montbéliardrelève également des tensions à ce sujet au sein descouches populaires qui se trouvent en rapport devoisinage résidentiel : la pugnacité des famillesd’origine maghrébine est perçue par les familles « françaises » comme une mésalliance avec lesenseignants, qui sape le système méritocratiqueauquel adhèrent les « anciens » ouvriers locaux. Cestensions apparaissent en fait comme sur-déterminéespar l’ethnicité (Beaud & Pialoux, 1999).Un dernier point au titre des stratégies individuelles :il ne s’agit pas de stratégies statiques, elless’alimentent des histoires individuelles et familialesen train de se faire. Ainsi l’enfant scolarisé peut-il êtrepar lui-même une ressource de la mobilisationfamiliale en matière de scolarité : la propension desfilles à investir dans l’école, quels qu’en soient lesrésultats, aide les parents à entrer en rapport avecl’école en offrant aux rencontres un contexte plusgratifiant. Par sa propre mobilisation sur sa scolarité,l’élève peut contribuer à élargir l’espace desressources familiales en y intégrant la connaissance(voire la reconnaissance) mutuelles de ses parents etenseignants.

Conduites de résignationLa résignation des parents à l’échec scolaire de leurenfant est rarement le fait d’une indifférence. Certescertains parents ont intériorisé leur incompétencescolaire, mais cette intériorisation est moins unecaractéristique statutaire qu’un trait produit lors dela mise en rapport avec des agents scolaires et uneinstitution stigmatisants. Elle est réactivée etrappelée par les relations, même à distance,entretenues avec l’école (mots sur le cahier,commentaires sur les bulletins de notes, …). Dansce cas, le suivi scolaire peut finir par se limiter àquelques échéances, sans que les parents nerecherchent de solutions alternatives, moins parmanque de volonté que par conscience de leurrareté.Les conduites de résignation sont la plupart dutemps des conduites « par défaut », faute d’avoirtrouvé des opportunités, des ressources (en savoirscolaire, en information, en argent, en moyens detransport, etc.) qui auraient permis d’agir et dechoisir conformément à la logique de maximisationdes chances. Par manque d’opportunités deressources, à la fois internes à la famille (pas deproche scolarisé mobilisable par exemple) etexternes, dans le quartier et les relations amicales(pas de sources d’information et d’explication surles exigences pédagogiques, pas d’information surles possibilités de déjouer la carte scolaire, etc.), lesfamilles font alors l’expérience de leur impuissanceet s’ajustent subjectivement au destin scolaire, sansplus essayer d’y résister.

Stratégies de mobilisation collective de type Voice (protestation) ou Loyalty(partenariat)Passant en revue les latitudes qui s’offrent auxusagers ou aux clients d’une quelconqueorganisation (entreprise ou service public) pourréagir aux dysfonctionnements qui affectent leursintérêts, l’économiste Albert Hirschman identifietrois possibilités typiques : la solution d’exit (s’enaller voir ailleurs), la solution de voice (protestationindividuelle ou collective), et la solution de loyalty(rechercher, en partenariat avec les agents del’organisation, une base d’entente qui soit plussatisfaisante pour tout le monde). Cette théorie estaujourd’hui considérée comme classique(Hirschman, 1995). Si on l’applique à l’écolefrançaise, on remarque que la solution d’exit, dansl’une ou l’autre de ses variantes (déjouer lasectorisation en restant dans le public, passer untemps dans le privé, etc.), est celle qui prévaut

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lorsqu’un usager n’est pas content ou pas sûr d’êtrecontent du service offert. Les parents de milieupopulaire connaissent souvent cette solution etspéculent sur son intérêt, à défaut de pouvoir lamettre en œuvre autant qu’ils le souhaiteraient. Lespouvoirs publics l’intègrent également dans leurpolitique au sens large, puisqu’ils la favorisentfinancièrement (système du conventionnementpublic des établissements privés), et adminis-trativement (atténuation de la sectorisation,diffusion d’informations officielles relatives auxperformances des établissements de toutescatégories).En revanche, les solutions de voice et de loyaltysont improbables dans la configuration institu-tionnelle française actuelle. Celle-ci demeure trèspeu participative, les réunions parents-professeurs,les conseils de classe, d’école et d’établissementsont tout sauf des espaces de discussion où lesparents pourraient mettre sur la table les problèmesqu’ils ressentent. Quant au partenariat, il n’a guèredépassé le stade des discours d’intention (Lorcerie,1994, 1997).Aucun dispositif ne permet aujourd’hui la prise deparole collective des parents, quels qu’ils soient, àl’échelon local de l’institution. Certes les Asso-ciations de Parents d’Elèves (APE) existent, maiselles se voient rarement attribuer un rôle autre quesymbolique dans la marche et les décisions del’école et ne peuvent guère prendre d’elles-mêmesle rôle de porte-voix sans mettre en crise le collectif.De par la logique institutionnelle, en effet, les APEsont subordonnées à l’institution (Dutercq, 1995) et« déterritorialisées », détachées du quartier. Ellesn’entrent pas dans le champ des politiques de laville. En raison de ces contraintes, elles sontexposées à perdre leurs membres, et ceux quirestent finissent par être semblables à des agentsde l’institution. En témoigne la composition desinstances dirigeantes des APE, là où elles existent.En milieu populaire, il n’est pas rare qu’ellescomprennent une forte proportion d’agentsscolaires ou de catégories socio-professionnellesplus favorisées. Ou encore des membres « maison »,sollicités individuellement par les établissements. « La position ambiguë de ces représentants desparents au sein des établissements les conduitpresque inévitablement à prendre des distancesréelles et symboliques par rapport aux parents demilieu populaire et aux parents étrangers, ce quirenforce considérablement la distance initiale »remarque Agnès Henriot-van Zanten (1992). Leursreprésentants ont des familles populaires la même

image « défectologique » que les agents scolaires.Ce qui aggrave pour les familles populaires lesentiment que les APE ne sont pas représentativeset ne les comprennent pas (Barthélemy, 1998). Cesont des associations self-service, pense-t-on.Mais la participation des parents aux structures dedécision en tant que délégués n’est pas gratifiantenon plus. Participer aux conseils de classe revient àprendre le risque de voir son enfant, donc soi-même, évalué et jugé « en public », ce qui expliquele caractère senti parfois comme inutile ou humiliantde cette représentation des parents. En outre, lesdélégués voient les attributions qui leur sontconcédées en pratique par les agents scolaires seréduire jusqu’à ne plus leur reconnaître que ladéfense du cas particulier de leur enfant. Enfin, ilssont parfois pris à partie par les parents qu’ils sontcensés représenter, - tout comme les déléguésélèves sont guettés par leurs propres mandants... -.On comprend que les défections soientnombreuses. Les raisons matérielles (comme lemanque de temps) pèsent moins lourd dans cesdéfections des parents qui ont accepté des’engager en début d’année, que le peu de créditaccordé à leur présence et à leurs opinions, et lapropension des agents scolaires à donner à cesréunions un caractère de confrontation (portant surle droit des parents à intervenir dans les décisions)plus que de coopération. Les relations directes avecla direction, dans le bureau du directeur ou du chefd’établissement, sont à tout prendre une voie plussûre de se faire entendre. Avec l’exit, c’est donc uneforme individuelle et cachée (non publique) devoice qui prévaut en France comme mode derégulation des rapports entre familles et école, qu’ils’agisse des familles populaires ou des autres.Le dispositif d’association réglementaire desparents via leurs délégués produit ainsi par sonapplication même sa délégitimation et la défectiondes premiers concernés.Aucun dispositif ne prévoit non plus l’expression duloyalisme, c’est-à-dire la recherche ensemble(parents, enseignants, jeunes et éventuellementautres acteurs sociaux concernés), sur la durée, desolutions dans le cadre institutionnel existant. Lanotion de « communauté éducative », inscrite dansla loi, dont sont membres tous les acteurs d’unétablissement et la collectivité humaine qui formeson public, montre que cette idée est légitime. Maiselle n’a pas reçu de décret d’application. Lapolitique des zones d’éducation prioritaires, lors desa relance en 1990 en couplage avec la politique dela ville, avait promu le thème du partenariat des

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parents. L’« Université du citoyen », expériencelancée à Marseille au début des années 1990, avaitrelayé cette orientation en instaurant expérimen-talement un cadre pédagogique destiné à favoriserun partenariat de type « civique » entre des groupesde parents et certaines écoles de ZEP. Elle aconstitué un exemple relativement abouti demobilisation des acteurs, d’implication desinstitutions, et de durée (deux ans sur cette action).Ses limites, elle les a trouvées justement dans « lemode d’articulation du cadre expérimental ainsiétabli avec le cadre institutionnel normal » (Lorcerie,1997). Le moment venu, les écoles n’ont pas ouvertaux parents ainsi formés l’espace de débat et decoopération qu’ils espéraient.« Vos enfants ont beaucoup de problèmes. Faites-nous confiance. Il n’y a rien à faire ». Tel est en

substance le discours que les parents ont entendudans la bouche des quelques instituteurs qui étaientvenu les rencontrer durant deux jours, au final del’Université du citoyen de Marseille. Ce discours ditcrûment ce que les parents de milieu populaireentendent ordinairement par divers canaux,verbaux et non verbaux. En l’absence d’instancesde participation, leur déception et leur ambitionfrustrée les poussent à recourir à des stratégiesindividuelles d’utilisation des brèches laissées parl’institution : développement des recours contre lesdécisions d’orientation prises en conseil par lesenseignants, pratiques de choix d’établissement etde contournement de la carte scolaire, - autant depalliatifs sous forme d’exit ou de jeu personnel à lanon reconnaissance de fait de l’intérêt à agir qu’ontles parents à l’école.

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L’action publique en difficultéAu terme de ce parcours à travers la problématiquedu rapport des familles populaires à l’école, peut-être faut-il revenir un instant au pourquoi de laquestion. Pourquoi pose-t-on aujourd’hui de façonrécurrente la question du rapport des familles àl’école ? Parce qu’on soupçonne que ce rapport ades effets sur la réussite scolaire. Or l’échec scolaire(ou la mise en difficulté des jeunes devant desapprentissages qui relèvent de la scolaritécommune) est devenu, pour une société démo-cratique avancée telle que la nôtre, un problème dejustice, autrement dit un problème politique. Notresystème socio-politique affirme le principe du droitde tous à une scolarité normale. La loi d’orientationdu 10 juillet 1989 sur l’Education nationale lestipule. Ce principe pose au système scolaire,désormais conçu comme un service public auservice du public, de nombreuses questions dontbeaucoup sortent des limites du présent rapport.C’est lui aussi qui amène à poser à nouveaux frais laquestion du rapport des parents à l’école et del’école aux parents. Comment faire en sorte que cerapport contribue à la réussite scolaire, ou au moinsne lui nuise pas ? Telle est, peut-on penser, laquestion politique qui se trouve à la source d’unecommande publique telle que celle qui nous a étéadressée.La réponse que fournissent les travaux sociolo-giques est double. Ceux qui travaillent avec le concept de culture posentla question en termes de continuité/discontinuité

des caractéristiques du milieu familial et du milieuscolaire, considérés comme deux espaces réglés pardes normes sanctionnées : normes de langage, degestion du corps, de gestion du rapport aux adultes,etc., espaces entre lesquels évoluent les enfants.Certes, l’école introduit par fonction un décalageculturel par rapport aux espaces familiaux, mais lesusages du langage, du corps, du rapport à l’autre,etc. qui y prévalent sont plus ou moins en continuitéavec l’espace familial, le codage psychosocial del’expérience qui s’y développe (l’usage systéma-tique de la réflexivité) est plus ou moins amorcé parl’expérience en famille. Lorsque la culture familialen’est pas en continuité à cet égard avec la culturescolaire, on peut s’attendre à ce que l’enfant soitgêné dans ses apprentissages scolaires. C’estsouvent le cas, par hypothèse, lorsque l’enfant vientd’une famille populaire : telle est en gros la positionde Bourdieu en France. Les travaux empiriquesamènent à nuancer cet a priori sans l’infirmer. Lesfaçons d’être familiales en milieu populaire sont plusdiverses que ne le prédit une représentationdéfectologique des cultures populaires, on voit àl’enquête que certaines organisations familialesfavorisent la réussite scolaire, d’autres l’entravent.Un autre groupe de travaux construit le problèmeen termes de structures d’interaction, c’est-à-direde complémentarité des rôles et de coordination (etnon plus de continuité culturelle) entre les parents,les agents scolaires et les enfants ou les jeunes, ainsique d’autres acteurs sociaux le cas échéant

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(accompagnement scolaire…). Cette coordinationne repose pas exclusivement sur les contacts directsentre acteurs sociaux, elle peut se faire à distance,l’enfant servant de go-between comme dit PhilippePerrenoud (Montandon & Perrenoud, 1987). Maiselle a toujours à la fois une dimension pratique etune dimension symbolique : elle mobilise lesreprésentations réciproques que construisent lesuns sur les autres, principalement les parents et lesagents scolaires. On voit à l’enquête que lesinteractions parents-enseignants sont sensiblementdégradées en milieu populaire, contribuant à la « désorientation des parents » devant l’école, queles agents scolaires ont couramment desreprésentations négatives des compétenceséducatives des parents, tout en ne les connaissantpas, et que les écoles et établissements nedisposent pas de façon réglementaire de structuresd’interaction permettant aux parents de faireentendre des demandes ni de faire des propositions(voir par exemple dans Bourgain, 1991, la relationd’une tentative vaine faite par des parents d’élèvesen Seine-St-Denis). Ces deux courants interpellent l’action publique

d’une façon bien différente. D’un point de vuenormatif, ils débouchent sur la préconisation d’un « rapprochement » entre école et familles. Mais, pourl’approche par la culture, le rapprochement visera àchanger les façons d’être des familles « éloignées »de la culture scolaire, il pourra déboucher sur desactions d’« éducation familiale ». Pour l’approcheinteractionniste, le rapprochement visera à trouverles voies d’une bonne relation entre les acteurssociaux concernés, donc d’une relation intersub-jective moins chargée de préventions (de « malentendus », comme on dit souvent) entreparents et agents scolaires, mieux orientée vers larecherche de modes d’accompagnement coor-donnés des apprentissages scolaires, par consé-quent mieux institutionnalisée. La première voie d’action n’est pas du ressort del’Education nationale. La seconde l’est-elledavantage ? Elle a donné lieu à des initiatives çà etlà, toujours précaires. En réalité, au niveau dublocage structurel que montrent les enquêtes, laquestion est du ressort du Parlement. C’est aussi bienle sens que semble prendre le débat public cesderniers temps (Dubet, 1997 ; Meirieu, 2000)

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La nécessité de refonder les relations parents-enseignants

Philippe Meirieu a récemment associé son nom àcette demande : il y a « absence d’un "pacteéducatif" entre les différents partenaires, d’uneconception commune du "bien commun éducatif",d’une véritable "institution" capable d’articulerintérêts particuliers et intérêt général » (Meirieu,2000). Il faut repenser le contrat scolaire, la chartefondamentale qui lie la nation et l’école. En l’absence de réponse claire et originale,l’opinion publique s’énerve dans une dispute stérilesur deux modèles considérés comme opposés, lemodèle « républicain » et le modèle « libéral ». Lemodèle « républicain », récurrent dans les discoursdes personnels scolaires, constitue le principed’organisation de l’administration de l’EducationNationale et justifie le maintien à distance desparents au nom de l’autonomie de l’institution vis-à-vis de la société ; le modèle « libéral », promu à lafois par l’enseignement privé et par certains mou-vements d’innovation scolaire, est au fondementphilosophique des processus d’autonomisation desétablissements et de centration de la pédagogie etde la « communauté éducative » sur l’élève. Dans lepremier modèle, les parents sont considérés

comme des assujettis à l’obligation scolaire, dans lesecond ils sont considérés, selon les cas, comme lesclients ou comme les usagers d’un service (Lorcerie,1994). Ces deux réponses ne peuvent être tenues poursatisfaisantes, la première parce qu’elle maintientune situation de statu quo en idéalisant une écolequi n’a jamais réellement existé, et ne tient quegrâce à la soupape que constitue la possibilité desstratégies d’évitement, la seconde parce qu’elle negarantit en rien la définition cohérente d’un projetéducatif. L’éducation, poursuit Meirieu, est un bienpublic spécifique, elle ne peut se satisfaire desréponses usuelles faites dans le domaine desservices publics. Et de préconiser la formulationd’un « pacte scolaire » faisant droit aux reven-dications des différents protagonistes de l’école enmême temps qu’il garantirait « l’adhésion à desrègles collectives de fonctionnement ». Il impli-querait une refonte législative de l’organisationscolaire, associant les parents à l’école sur une basecitoyenne et non plus en tant que parents d’élèvesde l’établissement (à l’instar de ce qui se fait danscertains systèmes scolaires à l’étranger).

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Face au diagnostic récurrent de la distance et dumalentendu entre école et familles populaires, lespouvoirs publics ont mis en avant depuis dix ansquelques grands principes : principe du droit àl’information des parents concernant la scolarité deleur enfant, principe de la coordination parents-enseignants au moment de l’orientation, principede partenariat des parents vis-à-vis des agentsscolaires dans un effort commun pour favoriser laréussite, principe de médiation en cas de barrièrelinguistique et culturelle, et dernièrement principedu soutien à la parentalité. Les deux premiers principes ont reçu une formelégislative et réglementaire. Ils sont mis en œuvredans les conditions que nous avons évoquées : s’ilsn’ont pas résolu le « malentendu », si même ils ontparfois augmenté la conflictualité, les tensions entreparents et enseignants, ils ont néanmoins effec-tivement augmenté le pouvoir des parents, prisindividuellement, sur la scolarité de leurs enfants.Les principes de partenariat et de médiation, quantà eux, concernent les parents pris collectivement.Maître-mot de la politique des zones d’éducationprioritaire depuis ses débuts en 1982 et surtoutdepuis la relance de 1990, le partenariat est affirmécomme principe général de collaboration de l’écoleavec les parents, dans une logique de « commu-nauté éducative ». Cette logique est en principerenforcée dans le cadre des ZEP, où elle s’enrichit enoutre grâce à la coopération des différents acteurs(publics ou privés) intervenant dans les quartiersconcernés (Bourgarel, 1991). En réalité, ce principen’ayant pas connu de traduction réglementaireprécise, il ne pouvait servir de levier à unchangement en dehors d’une forte volonté interneaux écoles. Or, dans le même temps, le label ZEP etla prime de « sujétion spéciale » accordée à tous lesagents scolaires travaillant dans des écoles classéesen ZEP, tendaient à naturaliser aux yeux des agentsscolaires la « difficulté » du quartier, de son public,jouant par là-même en renforcement de lacatégorisation sociale (Rochex, 1999). Dès lors, le partenariat a souvent fonctionné commemodèle évaluatif du « bon comportement » desparents, c’est-à-dire de ceux qui acceptent de sesoumettre aux demandes de l’école, et aux règles

tacites des rencontres. Les autres parents sontrestés perçus comme déficients et les actions lesvisant ont eu typiquement pour objectif de lesrapprocher de l’école, voire de les convertir àl’intérêt général, au prix d’une stigmatisation socialeet ethnique et d’une réactivation de la théorie duhandicap socio-culturel. Dominique Glasmanmontre ainsi que le vocable de « familles », présentdans nombre d’actions menées selon une optiquepartenariale en ZEP, ne relève pas d’une extensiondu terme « parents » mais au contraire del’énonciation par l’institution d’une différence destatut entre des parents reconnus « professionnels »qui savent quel est leur rôle éducatif, et des famillesformant un groupe étranger à l’école qu’il convientd’éduquer à ses normes (Glasman, 1992). Au total,en l’absence de cadre normatif définissant desdispositifs capables de garantir la réciprocité del’échange, seule la bonne volonté et la motivationd’agents scolaires et de groupes de parentssouvent pré-organisés a pu donner lieu à desactions intéressantes mais ponctuelles et limitées(Ehrlich, 1992 ; Leroy, 1995).La médiation répond, dans une logique proche decelle du partenariat, à la volonté de rapprocherparents et école en instituant cette fois un espacetiers de rencontre (ou une compétence tierce). Lesactions développées dans ce cadre se traduisentsouvent par une impulsion venant de l’école, et latentation est grande alors pour elle d’imposer sapropre normativité, « fortement asymétrique,fonctionnellement et symboliquement » (Lorcerie,1994). Le médiateur (la médiatrice plus souvent) a pour fonction de rétablir la communication et la compréhension entre parents et école, entraduisant les messages et attentes de l’un dans laculture de l’autre (culture sociale ou ethnique), et enassurant la mise en connexion de leurs langages.Outre le danger de stigmatisation présentégalement dans ce type de dispositif, la pratiquerévèle que l’objectif de conversion des familles aumodèle éducatif légitimé par l’école prend le passur celui de transformation réciproque desreprésentations et des attitudes, transformantsouvent les médiateurs en relais de l’institutionscolaire auprès des familles (Joffres, 1994).

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En attendant, quelles actions ?

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Alors que les travaux sociologiques s’accordent pourbattre en brèche l’idée d’une démission des famillespopulaires vis-à-vis de la scolarité de leurs enfants,que certains de ces travaux parviennent à démontrerl’étendue des stratégies utilisées par ces famillespour remédier à leur manque de ressources, et qued’autres enfin suggèrent que les difficultés naissentdavantage d’une relation à trois (école/parent/enfant-élève) problématique que d’une déficience socio-culturelle familiale transformée en « handicapéducatif congénital », la mise en pratique et parfoismême la conception des politiques destinées àrefonder les relations parents/écoles reproduit

paradoxalement souvent ces mêmes idées fausses. Certes les représentations partagées par les agentsscolaires, leur manque de formation au travail avec cepublic et à l’écoute, ne favorisent pas l’instaurationd’une véritable coopération régulée entre école etfamilles. Le ministère de l’Education Nationale apréconisé l’instauration d’un « partenariat » au sensplein du terme, entre écoles et familles. Ce quimanque pour le moins à cette politique est unedécision instituant une structure d’interactioncapable de mettre parents et enseignants, chacundans son rôle, sur un pied d’égalité au sein dupartenariat.

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« Relations école-familles populaires et réussite au CP » (1992)

Gérard Chauveau et Eliane Rogovas-Chauveau ont tenté de déceler les effets des malentendus entreécole et familles populaires sur les processus d’apprentissage de l’enfant à travers une recherche-actionmenée auprès d’élèves de CP en difficulté et de leurs parents, issus de milieu populaire, et d’enseignants.Faisant l’hypothèse que l’échec scolaire est associé à l’échec de l’interaction (relationnelle et cognitive)entre famille et école, et que ces interactions ont aussi des effets cognitifs chez l’enfant, ils parviennent àmontrer les conséquences sur la scolarité de l’élève de l’ensemble des malentendus et contresenspartagés. Les enfants se trouvent au milieu d’incompréhensions. L’énonciation par les parents etl’enseignante de normes et d’attentes socio-pédagogiques contradictoires ou mal comprises, déroutentles enfants voire provoquent des blocages dans ce qui constitue leur rôle d’élèves, et des troubles dansles conduites d’apprentissage. Par la mise en place d’une « dynamique socio-cognitive positive entrel’école et les familles », où le rôle des chercheurs en tant que médiateurs est primordial, ils sont parvenusà mettre en lumière aux yeux des parents et de l’enseignante les malentendus réciproques et à modifierle regard qu’ils portaient l’un sur l’autre par l’explicitation de leurs attentes respectives. De la sorte, l’enfantparvient à donner un sens cohérent à la situation d’apprentissage scolaire et à sa relation d’élève avecl’enseignant, ce qui conditionne le développement de ses compétences

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