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Vingtième Siècle, revue d'histoire Les origines du répertoire d'action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne Charles Tilly Abstract Origins of the contemporary collective-action répertoire in France and Great Britain, Charles Tilly. Eight examples of various types of conflict from 1682 to 1982 divide into two relatively distinct repertoires of collective action. The first, localized and oriented largely to local powerholders, lasted until the 19th century. The other, more national and autonomous, came to predominate in Great Britain around 1832 and in France around 1848. Compared to the 19th, the 20th century produced few changes in the repertoire ; with respect to organization and action even the « new social movements » occurring since 1968 do not constitute a large innovation. The forms of collective action result from a cumulative historical process. Citer ce document / Cite this document : Tilly Charles. Les origines du répertoire d'action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne. In: Vingtième Siècle, revue d'histoire, n°4, octobre 1984. pp. 89-108; http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1984_num_4_1_1719 Document généré le 05/05/2016

Les origines du répertoire d'action collective

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Page 1: Les origines du répertoire d'action collective

Vingtième Siècle, revue d'histoire

Les origines du répertoire d'action collective contemporaine enFrance et en Grande-BretagneCharles Tilly

AbstractOrigins of the contemporary collective-action répertoire in France and Great Britain, Charles Tilly.Eight examples of various types of conflict from 1682 to 1982 divide into two relatively distinct repertoires of collective action.The first, localized and oriented largely to local powerholders, lasted until the 19th century. The other, more national andautonomous, came to predominate in Great Britain around 1832 and in France around 1848. Compared to the 19th, the 20thcentury produced few changes in the repertoire ; with respect to organization and action even the « new social movements »occurring since 1968 do not constitute a large innovation. The forms of collective action result from a cumulative historicalprocess.

Citer ce document / Cite this document :

Tilly Charles. Les origines du répertoire d'action collective contemporaine en France et en Grande-Bretagne. In: Vingtième

Siècle, revue d'histoire, n°4, octobre 1984. pp. 89-108;

http://www.persee.fr/doc/xxs_0294-1759_1984_num_4_1_1719

Document généré le 05/05/2016

Page 2: Les origines du répertoire d'action collective

ARTICLES

LES ORIGINES DU REPERTOIRE

DE L'ACTION COLLECTIVE

CONTEMPORAINE

EN FRANCE ET EN GRANDE-BRETAGNE

Charles Tilly

Le mouvement social, cet art de la défense des intérêts et de la promotion des ambitions collectives, est un processus cumulatif, pluriséculaire, nous dit Charles Tilly. De 1682 à 1982, le cours des émotions et des désordres, des cris et des cortèges de la violence sociale, s'ordonnance autour d'un terme qui provoquera sans doute bien des débats, un mot de musique et de théâtre : le répertoire, métaphore plus que concept, choix délibéré des acteurs, panoplie et modèle expérimenté avec ardeur. Il aboutit à une conclusion qui surprendra : de prises d'otages en attentats, de sit-in en grèves sur le tas, l'action collective de notre temps, qui se veut parfois si tristement originale, est fille du 19e siècle. L'action des groupes sociaux ainsi modélisée et harmonisée deviendrait-elle prévisible pour cause d'enracinement et de passéisme ? Les fanfares, on le sait, préfèrent les vieux airs.

O NOMS ET RÉCITS DU DÉSORDRE

Les mots que l'on emploie habituellement pour nommer la rupture de l'ordre social — trouble, émeute, révolte, violence et, naturellement, désordre — voilent des transformations profondes. Ce sont des étiquettes de répression, des paroles infamantes que ne prononcent presque jamais

les acteurs eux-mêmes. Certes, ce vocabulaire de la condamnation évolue quelque peu : au 17e siècle, les Grands n'avaient-ils pas l'habitude de parler d'émotions et de séditions du peuple ? Ce langage-là a disparu. Mais l'évolution des actions ainsi désignées va plus vite et plus loin que le langage. Si la plupart des épithètes autoritaires du 17e siècle sont aujourd'hui toujours reconnaissables, les formes d'action collective populaire de cette époque sont aujourd'hui enfouies sous la poussière des archives.

Quelques historiens, il est vrai, ont su récupérer nombre de récits des formes anciennes de conflit et de résistance : Yves-Marie Bercé a dressé l'inventaire des révoltes d'Ancien Régime en France, John Brewer a dépeint la bruyante vie politique de l'Angleterre du 18e siècle. Pourtant, si ces représentations du passé fixent l'action collective dans son contexte, elles en négligent les grandes transformations au fil du temps. Les schémas dont on dispose pour interpréter ces transformations, en revanche, prennent d'ordinaire l'action collective comme l'expression directe des changements de structure et de conscience, sans histoire ou logique propre à elle- même. Ainsi nous manque-t-il toujours une analyse des transformations des formes d'action populaire. Cet article voudrait esquisser cette analyse.

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ARTICLES

Isolons de l'histoire française quelques minces tranches séparées les unes des autres par un siècle. Coupons en 1682, en 1782, en 1882 et en 1982, pour comprendre combien le présent se distingue à cet égard du passé. Prenons seulement deux événements par an pour toute la France : il ne s'agit pas d'un échantillon comparable de

siècle en siècle, mais plutôt d'un sondage exploratoire.

En Languedoc au 17e siècle, c'est surtout de la récolte de blé que l'on tire l'argent qui acquitte les impôts, règle les loyers et solde les achats des ménages. Même les pauvres de la campagne qui ont un peu de terrain inclinent à vendre leur blé et mangent du maïs. A l'été de 1682, la récolte de blé déçoit beaucoup. Néanmoins, Colbert et Louis XIV, à court d'argent comme toujours pour financer de la guerre, décident cette année-là de rétablir la cosse à Narbonne. En principe, le roi a le droit de prélever un boisseau sur quarante — donc 2,5 pour cent du prix — chaque fois qu'une personne étrangère à la ville vend des grains au détail dans l'enceinte urbaine. Voilà le droit de cosse. En 1682, cependant, cet impôt reste lettre morte depuis un siècle ; tout un réseau de paysans et de petits marchands de la campagne participent à l'approvisionnement de la ville sans songer à l'acquitter.

Cette année donc, l'administration afferme ce droit désuet contre argent avancé par un fermier qui prélèvera lui aussi sa part. Mais au mois d'août, le fermier commence à exiger ses 2,5 pour cent. Selon le rapport de l'intendant d'Aguesseau qui arrive à Paris le 1 6 août :

« II y a eu un petit mouvement à Narbonne à l'occasion de la levée du droit de cosse ordonnée par un arrest du Conseil, plusieurs femmes s'étant attroupées avec le menu peuple, et ayant jette quelques pierres contre les commis. Mais les Consuls et principaux

habitants y étant accourus ont fait cesser le désordre, et ont bien fait leur devoir, en sorte que tout y est calme et tranquille présentement et que le droit continue de s'y lever avec quelques précautions de la part des Consuls qui se tiennent aux bureaux, et ont doublé la garde suivant les ordres que je leur ay donnés. Je fais cependant faire les procédures nécessaires pour pouvoir châtier quelques-uns de ces séditieux » (Archives nationales (AN), G7 296).

Les pauvres gens de Narbonne crient contre un impôt injuste, pendant que les marchands se plaignent d'entrave au commerce. La municipalité engage une négociation avec le roi. Six ans plus tard, en 1688, elle parvient à racheter le droit détesté.

Le 28 septembre 1682, le faubourg Saint-Marcel à Paris est agité à l'annonce d'une rixe. Le garçon d'un marchand de vin a reçu un coup d'épée, et le coup semble mortel. Le garçon, comme son maître, est protestant : si l'Edit de Nantes s'applique toujours en principe, de fait la chasse aux Réformés s'ouvre. Un vicaire de Saint-Médard accourt, subodorant une conversion éclatante de dernière heure. Mais il n'arrive pas à confesser le garçon mourant : une foule de sept à huit cents personnes s'assemble devant la maison du blessé. Ces gens commencent à jeter des pierres contre la façade, à frapper les portes et les fenêtres à coups de bâtons et de règles, à forcer une entrée. « Ce sont des huguenots et parpaillots, » déclarent-ils, « qu'il faut assommer, même mettre le feu aux portes, s'ils ne nous rendent le blessé ». Un commissaire et ses sergents réussissent enfin à disperser le rassemblement. Quant au sinistré, il s'obstine, et meurt, protestant, le jour suivant (Clément, 1866, p. 270-271, voir la bibliographie en fin d'article).

Un siècle plus tard, le 20 août 1782, le subdélégué de Castres, Jean Fez, s'ache-

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mine vers Lacaune au moment du tirage au sort de la milice. Une brigade de la maréchaussée l'escorte. Il arrive muni d'une ordonnance de l'intendant qui interdit le pacage des chèvres aux bois communaux, car les chèvres des pauvres, selon les autorités du lieu, sont en train de dévaster le bois de Lacaune : le maire et les consuls ont demandé l'application de l'ordonnance. Auprès du bois, la compagnie rencontre le sieur Lacaux. Aux dires du subdélégué, Lacaux est

« habitant de la ville de la Caune, qui d'une espèce de ton d'autorité avoit dit audit Sieur de Gardric, maire, " N'allés pas là où vous allés, restés icy. Ou allés vous ? " Ayant malgré cela continué notre marche vers ledit bois, en suivant un chemin creux, ledit Sieur Lacaux, avec une multitude de femmes et d'enfants auxquels, suivant ce qui nous a été certifié, il disoit, "Je ne vous abandonnerai pas, misérables. Suives moy ", et auxquels il avoit fait ramasser de grosses pierres dans leur tablier, auroient été également dans la même partie dudit bois, en suivant sur une hauteur un sentier, ou chemin de pied, dominant sur nous. Quoique nous allassions aussi vite qu'il étoit possible aux chevaux d'aller, nous avons vu tomber sur nous, et sur ceux qui nous assistoient, une grelle de pierres que les dites femmes nous jettoient en vomissant contre nous toutes sortes de sottises. Ayant échapé aux suites funestes de cette révolte, nous avons continué d'aller vers ledit bois, mais comme il nous avoit paru de loin que lesdites chèvres étoient dans une autre partie dudit bois, nous aurions pris le chemin pour nous y rendre et nous aurions trouvé desdites femmes qui tendoient vers ladite partie du bois où nous voulions aller. Et comme nous étions près de ces femmes, du nombre desquelles etoient la nommée Bartheze et la nommée Davie, s'empressèrent de vouloir ramasser de pierres pour nous en jetter, nous aurions piqué notre cheval pour en prendre le devant, et le dessus du terrain afin qu'elles n'eussent pas l'avantage, et ayant voulu les pourchasser et les faire descendre dans le vallon, ayant donné quelques

coups de fouet à deux femmes qui étoient le plus près de nous, le Sieur Lacau se seroit adressé à nous en nous vomissant des injures » (AN, H1 1102).

Au retour vers la ville, la petite troupe du subdélégué est prise dans une autre embuscade : là, les femmes sont accompagnées de deux hommes armés de gros bâtons. Trouvant un chemin détourné, le parti entre à la Caune sans subir l'accueil que Lacaux et ses collaboratrices leur préparent à la porte principale.

Le subdélégué et les consuls tirent la leçon de la journée : ce sont les maris de ces femmes dévergondées qui cachent les chèvres quelque part. Le lendemain, les officiers visitent les maisons des familles possédant des chèvres. Comme les pâturages habituels des chèvres, elles sont vides. Echec. Ecoutant le rapport de son subdélégué, l'intendant abandonne aux Eaux et forêts la police des chèvres aux bois.

A la même époque, près de Lille, des paysans travaillent à la moisson. Dans cette région, la coutume veut que les personnes extérieures au ménage, qui aident à la récolte, aient droit de picorée : emporter la vingt-cinquième gerbe. Cette fois, nous dit un historien du 19e siècle, les pauvres de Cysoing, Louvil et autres villages

«n'attendaient plus l'invitation du propriétaire. La foule se précipitait sur un champ mûr ou non. On y faisait la moisson, et chacun emportait sa picorée, de telle sorte que les malheureux cultivateurs se trouvaient dépouillés. En 1783, on établit en permanence la maréchaussée dans les trois faubourgs de Wazemmes, pour s'opposer à l'exercice de prétendu doit qui n'était plus que la faculté du pillage» (Derode, 1975, p. 355-356).

Evidemment, une autre lecture de l'événement est possible : les propriétaires veulent se défaire d'un droit qui devient incom-

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ARTICLES

mode et cher ; mais les pauvres refusent cette atteinte à leurs revenus.

Un siècle plus tard, nous voici à Bordeaux. Un dimanche soir, le 23 juillet 1882, une centaine de charpentiers porteurs de bâtons s'assemblent dans le quartier louche de la ville. Ils s'approchent d'un débit de boisson de la rue Lambert, cassent la vitrine, font 100 francs de dégâts à l'intérieur. Tout ceci « sur le prétexte qu'un des leurs avait été maltraité des souteneurs ». Huit agents et soldats accourent, s'opposent à une foule de quelques 400 personnes, et après 45 minutes de lutte chassent les charpentiers vengeurs (Le Temps, 26 juillet 1882, p. 3).

A Arles, au mois d'octobre, un tout autre conflit se déroule. Des légitimistes ont lancé une campagne de banquets. Ils reviennent souvent des banlieues où s'est tenu le banquet en cortège, drapeaux déployés. Le 9 octobre, un de ces cortèges rentre en ville. Voici le récit, que Le Temps emprunte au Petit Marseillais :

« A l'arrivée des légitimistes, la foule s'est mise à pousser des cris, à les huer et à les siffler. Les légitimistes se sont repliés en bon ordre du côté de la place du Forum, où ils se sont réfugiés dans le café Brusque, estaminet légitimiste de l'endroit. D'autres avaient disparu par des ruelles détournées et s'étaient dirigés vers la gare. Bientôt la place du Forum a été envahie par la foule, qui a recommencé à huer les manifestants ; la police et la gendarmerie ont dû intervenir. Vers sept heures et demie, un orateur républicain a harangué la foule, qui a applaudi à plusieurs reprises le cri de : " Vive la République ! " On a ensuite entonné la Marseillaise. En d'autres endroits, on en venait aux gros mots ; quelques coups de poing ont même été échangés. L'effervescence croissant d'instant en instant, la force publique a été obligée de protéger les légitimistes et de les accompagner jusqu'à la gare. Ils sont partis par le train de huit heures et demie » (Le Temps, 1 1 octobre 1882, p. 3).

Le Figaro publie une version légèrement différente, mais l'essentiel demeure : à manifestation légitimiste nombreuse et déterminée, contre-manifestation républicaine nombreuse et déterminée.

Enfin, 1982. Cette fois, prenons deux événements parisiens. Le dimanche 20 juin, la CGT et le PC organisent un cortège de la gare Montparnasse à la Bastille : la Marche de la paix, par un beau jour ensoleillé. Selon la couleur politique de l'observateur, 20 000 à 50 000 personnes y participent. La plupart défilent en groupes bien identifiés, syndicalement et régionalement (CGT du Rhône, etc.). Plusieurs portent des panneaux ou des banderoles ornés de slogans (« A bas les marchands de guerre», etc.). Beaucoup scandent des mots d'ordre ou chantent des airs de ralliement. Bien que la grande majorité des manifestants viennent de la CGT ou du PC, l'on voit parfois surgir bannières, slogans, chants et couplets des Palestiniens, des Iraniens ou d'autres groupes politiques.

Participants et spectateurs pour la plupart sont à la fête : le temps est superbe, le service d'ordre débonnaire. Pourtant, quand la tête du cortège débouche au Pont de Sully et aborde la rive droite de l'île Saint-Louis, une jeune femme se met à suivre le premier rang en vélo. Pédalant au ralenti, elle tient un ballon sur lequel on lit : « Brejnev vous remercie ». Lorsqu'elle s'approche un peu trop près du cortège, un homme, porteur de médailles de guerre et qui paraît avoir la soixantaine, bouscule la femme et l'écarté du défilé. Quelques incidents de cette espèce seront la seule « violence » de cette journée.

Six semaines plus tard, le 9 août 1982, une autre violence déferle non loin du Pont de Sully. Peu après midi, deux hommes descendent la rue des Rosiers, s'arrêtent au restaurant Goldenberg, et tirent des rafales

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d'armes automatiques à l'intérieur de la salle. Ils sortent, s'engagent dans la rue en tirant, et disparaissent. Derrière eux : six morts et vingt-deux blessés. Le président Mitterrand assiste le soir même au service d'une synagogue voisine. Les jours suivants, plusieurs cérémonies auxquelles participent nombre de personnalités officielles commémorent les morts et condamnent les assassins. Mais les tueurs restent en liberté.

O QUE DISENT CES CONFLITS FRANÇAIS ?

Ces huits incidents, de 1682 à 1982, ne peuvent évidemment pas constituer un échantillon représentatif des conflits ou de l'action collective sur quatre siècles. Aucun inventaire pour la France du 17e siècle, par exemple, ne saurait passer sous silence les grandes révoltes rurales et urbaines, et surtout la Fronde. Une recension des conflits du 18e siècle devrait intégrer les innombrables rixes de compagnons et les saisies de grains, sans parler même de la révolution de 1789. Pourrait-on parler de l'action collective du 19e siècle sans accorder un coup d'œil aux grèves et aux soulèvements ouvriers ? Au 20e siècle, les occupations d'usines, les grandes réunions, les blocages de route par des cultivateurs devraient avoir évidemment leur place.

Néanmoins, se sont succédé devant nous pour chaque siècle deux des conflits caractéristiques, choisis parmi ceux qui comportèrent au moins un peu de violence et une utilisation de la force directe contre des personnes ou des objets. En son temps, chacun de ces événements fut qualifié de désordre, émotion, sédition, émeute, etc. Tous, à l'exception de l'attentat du restaurant Goldenberg, comportent un élément d'action collective populaire. Avec beaucoup de prudence, l'on peut tirer d'une comparaison de ces événements une

mière idée de la mutation de l'action collective populaire en France, du 17e siècle à nos jours.

Comme les formes et les enjeux de l'action collective se sont transformés en trois cents ans ! Les conflits de la cosse à Narbonne et des protestants de Paris nous montrent deux thèmes majeurs du 17e siècle : la résistance aux tentatives royales d'extorquer les moyens de la guerre à un peuple peu disposé à les céder, la bataille entre communautés rivales. Les luttes autour des chèvres et des travaux de la moisson décrivent comment propriétaires et officiers du 18e siècle s'entendaient à supprimer les droits des sans-terre et à affirmer la domination du marché, du travail salarié et de la propriété bourgeoise. Au 19e siècle, avec l'attaque au café et la manifestation légitimiste, les associations ouvrières, politiques, et celles qui défendent d'autres intérêts deviennent les acteurs principaux de la vie publique. Au 20e siècle, la marche de la paix et le massacre du restaurant révèlent une moins nette transformation qu'aux étapes précédentes : le défilé a pris de l'ampleur, la tuerie antisémite dépend vraisemblablement d'un réseau international d'assassins patentés. Mais et les formes et les thèmes ont des antécédents. Défilé, manifestation, terrorisme comme moyens d'action ont apparu en fait au 19e siècle.

Les huit événements ont en commun une violence. Mais l'étendue, le caractère et le rôle moteur de celle-ci varient de l'un à l'autre. L'année 1982 nous offre le contraste extrême : un défilé où toute atteinte aux personnes et aux objets irait à l'encontre du but recherché, un attentat dont le sens fondamental est de destruction. Dans les autres cas, la violence apparaît plutôt comme le sous-produit d'actions et d'interactions qui manifestent une volonté d'agir en fonction d'intérêts

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contradictoires, mais qui n'ont pas de fondement violent. Ainsi, les grouper sous la rubrique « violence » obscurcit leur caractère, et les dénominations « trouble », « désordre », etc. ne sont pas plus claires. La caractéristique commune de ces événements, c'est en fait d'appartenir aux moyens établis que certains groupes utilisaient afin d'avancer ou de défendre leurs intérêts. De la résistance fiscale du 17e siècle au défilé-manifestation du 20e, se dessine l'évolution d'un répertoire d'action collective.

O DES CONFLITS BRITANNIQUES DE 1981

A cet égard, la France n'est pas un cas unique. La Grande-Bretagne, par exemple, a vécu également une importante transformation de son répertoire dominant d'action collective du 17e au 20e siècle. Essayons de saisir le sens de cette transformation par d'autres moyens que ceux qui nous ont fait découvrir l'expérience de la France. Partons des conflits dramatiques dans des villes britanniques comme Liverpool, Manchester et Londres, à l'été 1981.

Dans le secteur de Brixton à Londres, où vivent de nombreux originaires des Caraïbes, des noirs affrontent la police dans les rues à deux reprises au cours de l'été. Au moins de juillet, Southall (district de l'Ouest de Londres à fort peuplement indien) suit Brixton avec ses propres batailles de rues. Toxteth (Liverpool) et Moss Side (Manchester) voient à leur tour des affrontements violents entre des jeunes gens et la police ; mais dans ces cas-là une forte proportion de blancs indigènes participent à l'action. Après des face-à-face de groupes nombreux, ces conflits débouchent souvent sur des effractions et des pillages de magasins.

Bien que l'aspect racial de ces conflits

choque beaucoup de britanniques bien- pensants, et que la presse emploie des épithètes tels qu'« émeute » et « trouble », leur description rappelle à maints égards le passé. Elle évoque en particulier l'effort continu des autorités au 20e siècle pour assurer un contrôle policier sur les quartiers et les villages ouvriers — ou irlandais, ou anglais — et le refus obstiné des habitants de subir ce contrôle. Ces conflits rappellent également nombre d'épisodes où l'Irlande servit de champ d'essai pour des expérimentations policières réimportées ensuite en Grande-Bretagne.

Cette confrontation entre agents et civils a donc d'amples précédents historiques. A noter qu'au mois d'août 1981, la revue New Society a publié une série d'articles intitulée « Les émeutes en perspective », qui souligne la continuité entre les conflits de 1981 et ceux du passé. Dans le premier article, Jerry White raconte 1919: «En mai-juin, luttes raciales aux ports. En juillet, émeutes de militaires attendant leur démobilisation, ou récemment libérés. En août, pillages massifs à Liverpool après la grève manquée du syndicat de policiers. En juillet et août, batailles rangées entre de jeunes londoniens et la police, avec des blessés» (White, 1981, p. 260). Toutes ces actions, d'ailleurs, eurent elles-mêmes des antécédents bien connus au 20e siècle.

Ce retour à 1919 appelle deux remarques. En usant des vocables d'« émeute » et de « trouble », les observateurs adoptent la perspective habituelle des autorités, mélangent des formes d'action qui ont des caractères divers et dissimulent ainsi la ressemblance entre les versions violentes ou paisibles des mêmes pratiques. Ensuite, le répertoire du 19e siècle n'exclut ni la violence ni l'action directe, bien que ni l'une ni l'autre n'ait été au cœur de son fonctionnement. Parfois, la violence consista en une attaque directe de la

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personne ou des biens d'un ennemi, parfois elle sortait des marges d'une manifestation ou d'une grève jusqu'alors non violente, parfois elle résultait d'une lutte entre groupes rivaux dont l'un cherchait à entraver l'action de l'autre. Le plus souvent, néanmoins, la violence naquit d'un affrontement direct entre les membres d'un groupe qui prétendaient pousser l'avantage et des forces d'ordre qui cherchèrent à mater leur action. Presque toujours, la violence elle-même servait surtout à mettre en relief des pratiques de caractère fondamentalement non violent : réunion, cortège, etc.

S'il s'agissait d'établir les continuités entre les conflits de 1981 et ceux du passé, on pourrait sans peine pousser la recherche au-delà de 1919. En prenant le thème répétitif du refus civil du contrôle policier, l'on pourrait remonter, par exemple, jusqu'à la création de la police métropolitaine à Londres, en 1829, et d'autres polices en province dans ies années suivantes. Les affrontements raciaux récents dans les villes ont des antécédents : quand la police était combattue dans les quartiers irlandais des villes industrielles britanniques du 19e siècle.

Là, l'action première ne fut pas d'ordinaire une manifestation ou une grève : les gens employèrent plutôt de vénérables pratiques qui avaient si bien servi contre de vieux intrus comme les fermiers d'impôts et les troupes hébergées, les rassemblements, menaces, moqueries, lapidations, blocus et harcèlements. Cette pratique défensive du 19e siècle elle-même n'est pas inédite. Elle est clairement visible dans les blocages de grains, les charivaris, les bris de machines et autres violences caractéristiques des conflits au 18e siècle. Très peu de ces actions survécurent aux trente premières années du 19e siècle, à l'exception de pratiques de défense d'un espace contre de

puissants étrangers. Elle survécut, et prit place au cœur d'un répertoire renouvelé et original.

O LES RÉPERTOIRES D'ACTION COLLECTIVE

En France comme en Grande-Bretagne, un répertoire distinctif se forma donc au cours du 19e siècle, dans les transformations que l'on sait de l'organisation de l'économie et de l'Etat. D'un côté, la concentration du capital et sa séparation de plus en plus nette du travail. De l'autre, le début de la participation directe du peuple à la vie politique nationale, avec, dans le même temps, une croissance et une centralisation de l'Etat. Le nouveau répertoire mit donc l'accent sur les mêmes actions que promouvaient les luttes du capital et du travail et les luttes électorales : la mobilisation du nombre et de la volonté au nom d'exigences explicites de pression sur le pouvoir ou sur les puissants. Au cours des manifestations, des grèves, des réunions publiques, des mouvements sociaux et d'autres formes d'action semblables, obtiennent le plus souvent satisfaction les groupes qui savent produire le multiple le plus élevé de trois facteurs : le nombre des participants, la volonté d'agir, la netteté du programme mobilisateur.

Le nouveau répertoire fonctionne sur deux cercles entrecroisés : l'un défini par le déploiement de la coercition, l'autre par le déploiement du capital. Il se meut toujours dans cet espace.

N'est-ce pas là le déroulement de tout répertoire ? Non, hier comme aujourd'hui, des peuples ont organisé leurs répertoires d'action collective autour des parades de force létale, des liens avec leurs patrons puissants, des garanties sur des textes sacrés. Une fois franchie une frontière, au surplus, cette mobilisation du nombre et de la volonté au nom d'un programme perd de

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son poids : ses effets jouent presque exclusivement à l'intérieur d'un Etat national. Nos illusions et nos espoirs, au contraire, résultent aujourd'hui, me semble-t-il, d'une confusion entre l'effet direct putatif d'une action sur une puissance extérieure et l'influence de cette même action sur le comportement de l'Etat sur le territoire duquel l'événement se déroule. Il s'agit d'un répertoire qui s'est constitué dans le cadre de la vie politique nationale des Etats de l'Europe de l'Ouest et de ses expansions extra-européennes. C'est essentiellement dans ces pays que ce répertoire reste en vigueur.

La politique électorale nationale et la concentration du capital ont-elles créé le répertoire ? Voilà une question difficile. Un autre lien est également concevable : les luttes qui créèrent une représentation directe au niveau national des citoyens ordinaires, les débuts d'une organisation nationale des travailleurs, cristallisèrent les formes du répertoire et lui donnèrent une certaine légitimité. Car nombre de groupes, à intérêt et pouvoir très divers, eurent un intérêt évident à protéger et à pérenniser des moyens d'action entrés au répertoire. La mise à disposition du répertoire pour les enjeux électoraux rendit plus aisée son extension à des fins non électorales, étendant ainsi son usage à une gamme plus large de prétendants. Par rapport aux autres pratiques que des groupes eussent pu, en principe, adopter, celles du nouveau répertoire eurent l'avantage de communiquer un message clair, et d'attirer une répression moins sévère.

Tout avantage de ce type impose des coûts. Le nouveau répertoire gêna nécessairement certains types d'acteurs : ceux pour lesquels le petit nombre ou le secret était essentiel, ceux qui se préoccupèrent surtout de leur droit à l'existence plutôt que de l'exercice du pouvoir national, etc.

Là où l'objet de l'indignation d'un groupe fut local et visible de surplus, réunions, défilés, manifestations et autres actions constituèrent des moyens plutôt mal adaptés par comparaison avec des moyens plus anciens de punition populaire : charivari, blocage, etc. Des luttes incessantes entre les prétendants, leurs revendications, et les autorités, émergèrent des règles plus ou moins explicites et très fortes : on sut quand un rassemblement devenait une réunion licite ; dans quelles conditions la police avait droit d'entrée à une réunion ; qui pouvait défiler où, et ainsi de suite. Les définitions et les règles, en tant que produits politiques, eurent tendance à défavoriser les groupes qui manquèrent d'alliés puissants. Mais, somme toute, la structure ainsi bâtie à la fois encouragea et contint l'action collective populaire.

Il faut toutefois nuancer ce tableau plutôt monotone. D'abord, il serait exagéré de parler d'un répertoire uniforme. Si des répertoires nationaux d'action collective parurent en France et Grande- Bretagne, chaque couple (les groupes auteurs d'exigence et les objets de leurs exigences) élabore par la lutte et le marchandage sa propre version de ce répertoire. Ainsi, par exemple, les groupes dont la sphère d'action resta plutôt locale gardèrent-ils une plus grande part de l'ancien répertoire : les jeunesses continuèrent à faire charivari, pendant que les gens de métier organisèrent toujours ce que les Anglais appellèrent des turnouts, ces espèces de grève au cours desquelles les ouvriers défilaient d'atelier en atelier par tout le territoire d'une communauté en appelant les ouvriers de chaque atelier à se joindre à eux, pour enfin se réunir sur un espace public aux marges de la communauté, discuter de leurs revendications et envoyer une délégation aux patrons.

En outre, dans la multiplicité et la

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REPERTOIRE DE L'ACTION COLLECTIVE

complexité des répertoires, trop mettre l'accent sur la concentration du capital et sur la politique électorale néglige nécessairement nombre de causes particulières de la transformation. Quand la Grande- Bretagne façonna le mouvement social national comme moyen d'action collective, par exemple, les innovations de leaders tels que John Wilkes, William Cobbett et Francis Place contribuèrent sûrement à définir les caractères spécifiques que prit ce mouvement social.

Poussons donc un peu la comparaison entre le répertoire du 18e et celui du 19e siècle. Faisons-le en étant pleinement conscient que : a) le répertoire « 18e » s'est constitué avant ce siècle et dura jusqu'au 19e siècle, tandis que le répertoire «19e» est encore joué aujourd'hui ; b) la dichotomie suggère une coupure nette qui nie la réalité historique.

Somme toute, le répertoire plus ancien comporta :

1. l'utilisation fréquente et temporaire par des gens ordinaires des moyens d'action normaux des autorités, soit en dérision soit délibérément ; la saisie des prérogatives du pouvoir au nom de la communauté locale ;

2. l'apparition fréquente de participants qui se manifestent comme membres de corps et de communautés constitués plutôt que comme représentants d'intérêts spécialisés ;

3. la tendance à s'adresser à des patrons puissants pour obtenir le redressement des torts, et surtout pour devenir des interlocuteurs des autorités extérieures ;

4. l'utilisation de fêtes et d'assemblées publiques autorisées pour la présentation des doléances et des exigences ;

5. l'adoption répétée d'un symbolisme riche de la rébellion, en forme d'effigies, de mimes et d'objets rituels ;

6. la concentration de l'action sur les demeures de malfaiteurs et sur les lieux des méfaits plus que sur les sièges et les symboles de la puissance publique.

En deux mots, un répertoire localisé et patronné. Concrètement, il comprit des pratiques comme les blocages et les saisies de grains, les invasions collectives de champs et de forêts clos, la destruction de barrières et de haies, le bris de machines, les charivaris, les sérénades, les turnouts., les expulsions d'agents fiscaux et autres étrangers haïs, les cortèges festifs ou parodiques, les rixes entre jeunesses de villages rivaux, l'invasion, le saccage et la destruction de maisons privées, les illuminations forcées, les rassemblements autour de personnes honnies, procédures et procès populaires. Voici, avec quelques autres, les manifestations constitutives du répertoire que le 18e siècle légua au 19e.

Le répertoire suivant, avec lequel nous vivons toujours, repose sur d'autres bases. Par rapport au précédent, il se caractérise par :

1. l'utilisation de moyens d'action plutôt autonomes, différents de ceux dont font usage les autorités ;

2. l'apparition fréquente d'intérêts définis comme tels, dans un cadre associatif ou quasi associatif (« Coalition pour la Justice», « Citoyens Unis Contre», etc.) ;

3. les défis directs aux concurrents ou aux autorités, surtout nationales, et à leurs représentants, plutôt que des appels à des patrons puissants ;

4. la tenue délibérée d'assemblées pour l'élaboration de programmes ;

5. la présentation publique de programmes ; des slogans, l'exhibition d'insignes d'appartenance et de solidarité ;

6. une préférence pour l'action en espace public.

Rappelons qu'il s'agit de différences de degré, et non de nature. Ces traits

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définissent toutefois une tendance à l'action nationale et autonome. Les exemples concrets abondent : grèves d'entreprise, manifestations, réunions électorales, meetings, cortèges de pétition, insurrections organisées et invasions d'assemblées législatives. Parfois, plusieurs de ces pratiques se combinent en ce défi continu que nous nommons « mouvement social » ou «politique». Parfois, également, elles se cristallisent en cette série d'appels au suffrage que nous appelons « campagnes électorales ». Tels sont les traits principaux du répertoire du 19e et du 20e siècle.

L'on peut schématiser le contraste entre les deux répertoires sous la forme d'un diagramme à deux dimensions. Il met en rapport quelques-unes des manifestations caractéristiques de chaque répertoire avec la portée ordinaire de leur action et leur

rapport habituel avec les tenants du pouvoir.

Il en ressort que : a) les actions au sein de chaque répertoire occupent des positions diverses dans leur portée et leur rapport aux autorités ; b) les deux répertoires s'entremêlent quelque peu ; c) néanmoins, un mouvement net dans les deux sens — vers l'action autonome de portée nationale — s'est opéré avec le changement de répertoire.

Soyons lucide. Le concept de répertoire est bien simplificateur. Il crédite le conflit de régularité, d'ordre et de choix délibéré, là ou l'on a souvent envie de ne voir que la colère. Ce modèle risque d'exclure la rage, l'ivresse, la spontanéité et le simple plaisir de cogner sur la tête de l'ennemi. Il laisse peu de place aux variations de temps, de lieu, et de groupe social ; il suggère des

LOCALE PORTÉE DE L'ACTION -► NATIONALE

PATRONNÉ

I 2

AUTONOME

: fête illumination forcée

charivari blocage, saisie de grains

invasion de champs et de forêts

coalition, turnout

>

18e SIÈCLE /

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réunion publique grève d'entreprise

manifestation mouvement social

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REPERTOIRE DE L'ACTION COLLECTIVE

transitions nettes, rapides et complètes d'un ensemble restreint de moyens d'action à un autre. Il néglige d'autres variables comme la légalité et l'illégalité, la profondeur et l'extension de la violence, etc. Tout ceci paraît irréaliste.

Cette présentation ordonne cependant l'action collective, s'oppose au désordre suggéré par le vocabulaire d'émeute, rassemblement, trouble, etc. Elle veut, de surplus, attirer l'attention sur le changement, profond et plutôt rapide, des moyens d'action collective, qui s'est opéré en Grande-Bretagne à l'époque de la première réforme électorale, et dans la plupart des autres pays européens pendant les quatre-vingts années suivantes. Nous pourrions dater les transitions, grosso modo, vers 1848 pour la France, vers 1870 pour l'Allemagne et l'Italie du Nord, vers 1914 pour le Midi italien. Les dates et l'amplitude des transitions sont discutables, mais il n'y a guère de doute : les peuples de ces pays, et d'autres encore, ont assimilé un nouveau répertoire avant la première guerre mondiale. En ce sens-là, la violence et l'action collective dépendirent d'un ordre sous-jacent.

Rien, pourtant, n'exige qu'une action collective qui obéit à des règles soit toujours calme et non sanglante : les règles du football ne protègent pas toujours des accrocs sur le terrain. De plus, un renouvellement des moyens d'action n'interdit pas une reprise éventuelle des moyens dépassés. Des « outrages » d'action directe se manifestèrent toujours chez les ouvriers de Sheffield et Manchester dans les années 1860 ; mais ces attaques contre les personnes des jaunes et les propriétés des patrons, qui accompagnaient régulièrement des turnouts locaux, parurent plus scandaleuses et quelque peu passéistes.

Dans son acception la plus faible, l'idée de répertoire est simplement une

phore qui nous rappelle que des pratiques comme le turnout se répètent, deviennent reconnaissables pour des observateurs et les participants, et se façonnent une histoire en partie indépendante. Dans son acception la plus forte, l'idée de répertoire établit l'hypothèse d'un choix délibéré chez ceux qui revendiquent, entre des modes d'action bien définis, les possibilités de choix et les choix eux-mêmes changeant essentiellement en fonction des conséquences des choix précédents. Dans son acception moyenne, l'idée de répertoire présente un modèle où l'expérience accumulée d'acteurs s'entrecroise avec les stratégies d'autorités, en rendant un ensemble de moyens d'action limités plus pratique, plus attractif, et plus fréquent que beaucoup d'autres moyens qui pourraient, en principe, servir les mêmes intérêts. C'est cette acception moyenne qui entre en jeu ici.

O FRANCE CONTRE GRANDE-BRETAGNE

La comparaison des changements en France et Grande-Bretagne au cours du 19e siècle éclaire le processus qui transforme les répertoires. Au tout début du siècle, les deux pays étaient à peu près à égalité pour la création de nouveaux répertoires. La Grande-Bretagne a lancé une série d'innovations — de John Wilkes à Lord George Gordon et aux radicaux de Londres, en passant par les Dissenters et les tisserands de Spitalfields — qui ont failli établir le mouvement social national tel que nous le connaissons : le défi soutenu aux autorités nationales, au nom d'un intérêt non représenté dans le système politique, avec des personnes qui manifestent ensemble leur nombre, leur volonté, et leur programme. Les Français, eux, ont déjà fait une révolution qui, du moins pendant deux ou trois ans, leur a appris les réunions

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publiques, les défilés organisés et les manifestations, dont les formes sont reprises au 19e siècle.

Trente ou quarante ans plus tard, le contraste s'est fait plus net. Dans le cadre de ses divers régimes répressifs, la France est revenue en général à une version réduite de son répertoire d'Ancien Régime. Les gens ordinaires qui partageaient un grief ou un espoir avaient tendance à agir, même s'ils n'évitaient pas totalement l'action collective, en organisant une cérémonie satirique, en simulant des contrôles et des sanctions des autorités, en lançant une coalition ouvrière, en profitant d'une fête ou d'un rite public pour exprimer leurs demandes. La révolution de Juillet rompit la continuité pendant quelques mois : une répression plus faible, la mobilisation de la garde nationale, encouragèrent un retour à des formes d'action militaire de la première révolution. Sous Louis-Philippe, cercles et clubs bourgeois, compagnonnages et sociétés de secours mutuels, groupements politiques de conspirateurs agirent entre la clandestinité et la semi-publicité. Parfois ils entrèrent en scène avec une réunion publique, un meeting électoral, une manifestation, une insurrection manquée ou un banquet civique. Coalitions, et même grèves d'établissements se multiplièrent.

Toutefois, les principales innovations dans l'expression politique en France entre 1815 et la révolution de 1848 dérivèrent plutôt des formes anciennes et établies aux frontières de la toleration officielle : défilé à l'occasion des obsèques d'un personnage public ou d'une victime de la répression, adaptation du charivari de la défense de la moralité privée à l'attaque contre une personnalité politique, et ainsi de suite. La plupart du temps, les conflits collectifs prirent les formes du 1 8e siècle : blocages et saisies de grains, attaques et expulsions d'agents fiscaux, invasion de champs et

forêts clos, cris, chants et port de symboles séditieux au cours des fêtes publiques. Ce n'est qu'au printemps de 1848 que la passion de s'assembler, de défiler et de délibérer fit pencher l'action collective vers le répertoire qui domine depuis lors.

En 1848, la Grande-Bretagne, elle, a déjà connu dix années de réunions et de défilés chartistes. Vingt ans ont passé depuis la dernière campagne pour l'émancipation politique des catholiques, seize ans depuis la grande mobilisation pour la Réforme. Les grèves ont succédé aux grèves. Le meeting public, la réunion électorale, la manifestation sont reconnus comme des moyens politiques nationaux. On pourrait sans aucun doute trouver la trace de résidus du 18e siècle dans la résistance à la nouvelle police municipale, l'usage par des grévistes du charivari à l'encontre d'ouvriers trop peu coopératifs, le port d'effigies pendant les défilés de protestation, les rixes entre candidats politiques concurrents. Mais d'autres formes authentiques du 18e siècle, notamment la destruction de demeures de malfaiteurs, le bris de machines, les invasions de champs clos, les attaques aux barrières, et le blocage ou la saisie de grains, sont tombées en désuétude.

Certes, chacun de ses changements a une histoire particulière. La fin des enclosures sanctionnée par le Parlement, la chute du prix des grains et un ravitaillement plus efficace ont raréfié les occasions d'intervention de force sur le marché ; l'annulation des Combination Acts en 1824 a facilité l'accès des ouvriers aux moyens d'action légaux et publics ; une génération d'ouvriers a grandi au milieu des machines sur les lieux de travail. Tous ces changements, et d'autres encore, ont influé sur la nature de l'action collective de divers groupes et sur leur capacité d'action.

Nous devons également prendre garde à

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REPERTOIRE DE L'ACTION COLLECTIVE

ne pas mélanger les moyens d'action «traditionnels», «rétrogrades» et «18e siècle » à l'intérieur d'une catégorie floue de la «résistance à l'innovation». Comme le dit John Stevenson :

« II importe de reconnaître que (ces moyens) furent déjà en place au 17e siècle et même plus tôt, et qu'ils se maintinrent à l'ère industrielle : si on les considère parfois comme des formes de protestation « pré-industrielles » ou d'expression communale, ils se retrouvent dans le luddisme, la révolte de « Captain Swing », les troubles autour de la Poor Law, les réactions contre les hôpitaux pour le traitement du choléra, contre la police professionnelle, et contre les Irlandais immigrés. Même dans l'Angleterre victorienne et edwardienne, on trouve des exemples très reconnaissables de la résistance populaire à l'innovation, comme les réactions à l'innoculation obligatoire pendant les années 1970, les attaques contre l'Armée du salut dans les années 80, et les actions de foules nationalistes pendant la guerre des Boers et la première guerre mondiale» (Stevenson, 1979, p. 310).

Bref, ce n'est pas leur emploi souvent défensif qui distingue les formes du 18e siècle de celles du 19e. Malgré l'association entre certains moyens d'action collective et certains enjeux de l'action, il faut séparer la forme en soi des circonstances dans lesquelles elle apparaît fréquemment. Voilà, en fait, la raison pour laquelle il faut introduire ce terme inhabituel de répertoire.

O DÉCISIF 19e SIÈCLE

A travers toutes ces nuances, percent des divergences assez importantes entre les expériences britanniques et françaises. Après une série irrégulière d'innovations à partir de la guerre de Sept ans, le taux de transformation des moyens principaux d'action collective en Grande-Bretagne s'accéléra après Waterloo, et culmina au

temps de la Réforme. Avant 1840, à bien des égards, au répertoire du 18e siècle a déjà succédé une version du répertoire qu'utilisent les Anglais, les Gallois et les Ecossais aujourd'hui. En France, même transition, mais beaucoup plus tard. Malgré les innovations précoces de la Révolution, la mutation rapide, profonde et durable du répertoire français ne commença pas avant 1840. De plus, cette mutation s'arrêta pendant la répression des premières années du Second Empire pour n'achever son cycle que dans les années 1860. Néanmoins, le moment crucial de la transition intervint pendant les mois révolutionnaires de 1848. Les années 1832 pour la Grande- Bretagne, 1848 pour la France marquent la consolidation du répertoire du 19e siècle.

Ces années-là ont des caractères communs. Des deux côtés de la Manche, elles conduisirent à une expansion numérique décisive du corps électoral, à l'affirmation du principe que les personnes, plutôt que les corporations, ont accès à la représentation nationale. La loi britannique de Réforme (1832) n'établit pas, loin de là, le suffrage universel. Mais son extension du droit de vote à la plupart des bourgeois et à plusieurs maîtres ouvriers, sur critère fiscal, définit une limite générale au-dessus de laquelle presque tout homme put participer. Elle fit ainsi virer le débat vers la seule question du seuil électoral. En éliminant les circonscriptions « pourries » et en établissant des circonscriptions dans les centres plus urbains à population croissante, la loi ratifia la conception radicale de la représentation proportionnelle au nombre de personnes à représenter.

En France, le droit de vote eut un cheminement sinueux avant 1848 : suffrage masculin quasi total de divers types de cens pendant les régimes révolutionnaires, un électorat très restreint à cause du cens élevé

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sous la Restauration, critères moins sévères après la révolution de Juillet. Dans l'enthousiasme révolutionnaire du printemps de 1848, cependant, la France accéda au suffrage universel masculin à peu d'exceptions près. Si Louis-Napoléon arriva à réduire les effectifs du corps électoral en manipulant les règles d'inscription et en élargissant l'interprétation des raisons d'exclusion, il n'osa pas attaquer directement le principe du suffrage universel masculin. Mieux encore, il utilisa le plébiscite pour confirmer la légitimité de son régime. Les régimes suivants n'attaquèrent pas davantage ce principe consacré : même la République, qui craint tant les révoltes populaires après la Commune, n'osa pas le faire.

Avec l'extension du suffrage dans chaque pays, fut partiellement protégé le droit de faire campagne, d'organiser, de se réunir pour le choix, le soutien, ou la propagande des candidats. Dans les deux pays, mais surtout en Grande-Bretagne, les non- électeurs avaient depuis longtemps saisi l'occasion des élections pour s'assembler, montrer leurs préférences politiques, saluer, huer, et se battre pour soutenir leur camp. Le suffrage élargi étendit la protection de ces activités, tout en multipliant les stimulants pour la constitution d'organisations politiques durables qui mobiliseraient des votes.

La garantie de l'activité électorale, de plus, favorisa le développement des activités et des organisations quasi électorales, demi-électorales, même pseudoélectorales. Dès lors que des partis protégés avaient acquis les droits de s'assembler et d'exprimer des opinions, il devint plus difficile aux gouvernements visés de circonscrire ces droits de manière arbitraire. L'importance croissante des élections nationales, à son tour, renforça l'influence des groupes qui purent rassembler beaucoup de partisans disciplinés : grâce à eux,

le suffrage conquit à la fois la puissance du nombre et la force de la discipline. Ce nombre et cette discipline, assortis d'un programme défini, devinrent les clefs de la réussite des grèves, manifestations, réunions, campagnes de pétition, et autres formes d'action collective nouvelles. Ainsi, l'affirmation de la politique nationale électorale favorisa l'installation du répertoire du 19e siècle.

L'influence toutefois fut réciproque. En France et en Grande-Bretagne, des citoyens exclus du suffrage utilisèrent les nouveaux moyens d'action collective pour avancer leur revendication de l'extension du droit de vote et de garantie d'élections libres et efficaces. Loin d'être un sous- produit mécanique de la politique électorale, le nouveau répertoire eut des effets cumulatifs à travers une série d'innovations et de transferts historiquement spécifiques. En Grande-Bretagne, par exemple, la réussite en 1829 de Daniel O'Connell et ses alliés pour l'émancipation catholique, sur la base d'une Catholic Association massive, fut un modèle et un précédent pour les organisateurs des Political Unions qui réclamèrent la réforme à partir de 1830. En France, la tolérance relative dont jouirent les sociétés ouvrières de secours mutuel sous la Monarchie de Juillet fut un encouragement à la création de syndicats et d'associations clandestins.

Dans les deux pays, la manifestation comme moyen d'action distinct prit son essor au cours d'une série de modifications plus ou moins stratégiques de moyens d'action plus anciens mieux tolérés : par exemple, le stratagème de Wilkes et Gordon qui consista à transformer l'envoi d'une deputation avec pétition en démonstration publique de soutien populaire et massif pour leurs causes. Dans les deux pays, la création du mouvement social comme art de conduire des affaires collec-

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tives résulta d'un processus cumulatif au cours duquel furent tirées les leçons des succès et des échecs des acteurs du même pays, mais qui négligèrent parfois l'observation attentive des précédents dans d'autres pays.

Nos hypothèses se réduisent, en fin de compte, à l'idée que la nationalisation du pouvoir et de la politique, du 18e au 19e siècle, stimula dans l'action collective des innovations qui augmentèrent la lisibilité du programme d'un groupe ou d'un autre, tandis que l'expansion de la politique nationale électorale créait un milieu favorable à la protection et à la réussite de ces innovations. Les mêmes processus affaiblirent l'efficacité du répertoire du 18e siècle, qui mettait l'accent sur le patronage et dont le champ était surtout local. Les formes du 18e siècle perdirent rapidement de l'importance, même si elles ne disparurent jamais totalement. Après la frénésie de mutation dans l'action collective autour de 1832 en Grande-Bretagne et de 1848 en France, l'innovation se ralentit.

Depuis 1968, plusieurs observateurs ont au contraire soutenu que des formes nouvelles, voire « post-industrielles », d'action collective étaient en train de s'installer. Alain Touraine, par exemple, déclare que :

« Tandis que les anciens acteurs sociaux sont devenus des forces politiques, des appareils d'Etat ou des discours doctrinaires, de nouvelles poussées se font sentir, mais qui ne se définissent pas encore ou qui refusent de se définir par des rapports sociaux : refus de la société industrielle devenue écrasante, retour aux grands équilibres perdus, angoisse de la crise, peur de la catastrophe, libérations de tous ordres affirmant des identités, mais sans définir clairement leurs adversaires, critiques libérales ou libertaires de l'Etat. Ainsi d'un côté l'Etat et de l'autre le désir de libération. Au lieu d'un combat social, le cri déchirant d'un aveugle emprisonné» (Touraine, 1978, p. 9-10).

Dans le conflit industriel, Pierre Dubois distingue de son côté deux formes de radicalisme : les attaques directes et explosives contre le patronat, l'exercice coordonné des droits ouvriers. Le renouveau du radicalisme explosif dans les années 1970, suggère-t-il, fut temporaire, tandis que le radicalisme coordonné « est une forme entièrement nouvelle qui a des chances d'être poursuivie» (Dubois, 1978, p. 11). Lui servent d'exemple les occupations d'usines, en particulier l'opposition à la fermeture de l'établissement Lip, et le sabotage délibéré et coordonné de la production.

Vus de près, cependant, presque tous les cas cités mettent en œuvre des moyens d'action qui ont déjà leur histoire. La seule nouveauté, c'est l'émergence de groupes différents ou de programmes différents. Dans les conflits industriels, la grève domine toujours le répertoire, mais les ouvriers à col blanc et les employés de l'Etat ou des industries à technologie avancée s'y insèrent de façon de plus en plus sérieuse, tandis que certains groupes d'ouvriers exigent de participer aux décisions concernant la production et l'investissement. Les demandes d'autonomie régionale, les revendications sexuelles, l'exigence de la liberté d'avoir un mode de vie distinct se font plus insistantes depuis la seconde guerre mondiale : pourtant, les demandeurs posent ces questions en organisant des manifestations et des défilés, bref en usant de pratiques typiques du répertoire du 19e siècle.

On pourrait, à la rigueur, penser que les grèves avec occupation, les piquets de masse, la guérilla urbaine, le détournement d'avions, la prise d'otages, l'occupation de bâtiment publics, les mouvements de squatters, le sit-in et quelques autres formes sont de vraies additions au répertoire. La saisie d'une personne, d'un bien

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ou d'un espace, en vue d'un chantage avec quelque autorité, prétend être une innovation du 20e siècle. Peut-être même les mouvements de squatters, les occupations d'usines et le sit-in américain — qui ressemblent beaucoup à la prise d'espace ou d'otages — devraient-ils être cités eux-aussi. Mais on pourrait insister aussi sur le fait que les moyens de communication de masse ont reproduit les formes du 19e siècle. Se demander aussi, face à l'immense pouvoir des firmes et des Etats, si les faibles efforts de manifestants ou d'ouvriers ont encore un poids quelconque sur l'exercice réel du pouvoir. Il faudrait à coup sûr nuancer mon analyse par une analyse parallèle de la technologie de la répression. N'excluons pas davantage l'hypothèse selon laquelle l'efficacité du répertoire par rapport aux intérêts et aux aspirations des gens ordinaires serait devenue depuis longtemps moins forte. On devra enfin scruter l'avenir, et s'interroger sur l'apparition possible de nouvelles formes, voire de nouveaux répertoires.

Toutefois, me semble-t-il, notre monde est toujours empli de gens qui agissent ensemble dans des formes qui étaient presque inconcevables au 18e siècle, et qui prirent leur allure actuelle au siècle dernier.

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des sources et des citations du texte. Je tiens à remercier la National Science Foundation pour son soutien financier aux recherches sur l'action collective en France et en Grande- Bretagne, dont cet article propose une synthèse provisoire.

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