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HAL Id: tel-02060142 https://hal.parisnanterre.fr//tel-02060142 Submitted on 8 Mar 2019 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. L’effcacité des garanties personnelles Manuella Bourassin To cite this version: Manuella Bourassin. L’effcacité des garanties personnelles. Droit. Université Paris X - Nanterre, 2004. Français. tel-02060142

L'efficacité des garanties personnelles

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Submitted on 8 Mar 2019

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L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

L’efficacité des garanties personnellesManuella Bourassin

To cite this version:Manuella Bourassin. L’efficacité des garanties personnelles. Droit. Université Paris X - Nanterre,2004. Français. �tel-02060142�

Page 2: L'efficacité des garanties personnelles

UNIVERSITE PARIS X- NANTERRE

U.F.R. de Droit et de Sciences politiques

L’EFFICACITE DES GARANTIES PERSONNELLES

Thèse de doctorat Mention Droit

Présentée et soutenue publiquement le 26 novembre 2004 par

Manuella BOURASSIN

Sous la direction de

Madame Marie-Noëlle JOBARD-BACHELLIER, Professeur à l’Université Paris X- Nanterre

Membres du jury

Monsieur Laurent Aynès, Professeur à l’Université Paris I- Panthéon Sorbonne

Monsieur Alain Bénabent, Professeur à l’Université Paris X- Nanterre

Madame Marie-Noëlle Jobard-Bachellier, Professeur à l’Université Paris X- Nanterre

Monsieur Dominique Legeais, Professeur à l’Université Paris V-René Descartes

Monsieur Philippe Théry, Professeur à l’Université Paris II-Assas

Page 3: L'efficacité des garanties personnelles

INTRODUCTION

1. La crise des garanties personnelles. Les garanties personnelles

traversent une nouvelle crise1. Nul ne conteste, en effet, que le cautionnement a

perdu de sa superbe2. Depuis une vingtaine d’années, juges et législateur en

réduisent la simplicité, la souplesse, la clarté et la prévisibilité. Les lois protégeant

des catégories particulières de cautions se multiplient, sans aucune cohérence. Le

protectionnisme assorti d’un formalisme tatillon est désormais fréquent. La

1 Les garanties personnelles et, plus généralement, tous les mécanismes de garantie,

connaissent une évolution cyclique. Les périodes de sécurité pour les créanciers sont suivies

de périodes de crise, pendant lesquelles les garanties ne remplissent qu’imparfaitement leur

rôle de protection des intérêts financiers des bénéficiaires.

Sur cette alternance, qui explique que les garanties personnelles et les sûretés réelles soient

tour à tour préférées par les créanciers, cf. Ch. MOULY, Les causes d’extinction du

cautionnement, Litec, 1979, préf. M. CABRILLAC, n°8 ; Y. CHARTIER, L’évolution du

droit des sûretés, Rapport de synthèse, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 150 et

s. ; J. GILISSEN, Esquisse d’une histoire comparée des sûretés personnelles, Essai de

synthèse général, Recueils de la société Jean Bodin, Bruxelles, t. XXVIII, Les sûretés

personnelles, 1ère partie, 1974, p. 5 et s. ; Ch. MOULY, Les sûretés personnelles

traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI, 1984, p. 131, 132,

158 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°17

Sur la crise actuelle du droit des garanties personnelles, cf. notamment P. CROCQ,

L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec,

1998, p. 317 et s. ; D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges

M. Vasseur, Banque Editeur, 2000, p. 87 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège

d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au

cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et

sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°3 ; J. FRANÇOIS, n°3 et 4 2 En ce sens, cf. notamment D. GRIMAUD, Le caractère accessoire du cautionnement,

PUAM, 2001, préf. D. LEGEAIS ; Ph. SIMLER, Le cautionnement, Litec, 1982, n°4 ;

L. AYNES, Les garanties du financement, Defrénois 1986, article 33779, p. 913 ; L. AYNES,

Rapport français sur les sûretés personnelles, in Travaux de l’association H. Capitant, « Les

garanties de financement », journées portugaises, t. 47, 1996, LGDJ, p. 377 ; J.-J. DAIGRE,

Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de la liberté, JCP

1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 5 ; Ph. DELEBECQUE, Le cautionnement

et le Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004, p. 226 et s. ;

D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,

2000, p. 87 ; D. LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 797 et s. ; C. SAINT-ALARY HOUIN,

Sûretés et procédures collectives : morceaux choisis, Rapport de synthèse, in Journée

nationale organisée par le CRAJEFE, LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 42 ; Ph. SIMLER,

Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990, I, 3427 ; J. TERRAY, Le

cautionnement : une institution en danger, JCP 1987, I, 3295 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

CHABAS, n°6-4 ; Ph. SIMLER, n°4 ; Ph. THERY, n° 8

Page 4: L'efficacité des garanties personnelles

jurisprudence se livre également à un travail de rééquilibrage au profit des cautions

en conférant à la mention manuscrite une portée inattendue, en dévoyant le principe

d’interprétation stricte du cautionnement, en instrumentalisant la règle de

l’accessoire, en empêchant la transmission de l’obligation de couverture aux

héritiers de la caution ou encore en découvrant des obligations à la charge des

créanciers.

Les garanties personnelles utilisées comme substituts du cautionnement ne

connaissent pas un sort plus enviable3. En effet, la jurisprudence limite les attraits

des mécanismes qui reposent sur la même technique que le cautionnement (la

division du risque d’impayé par une extension du droit de gage général), sans être

spécialement réglementés en tant que garanties personnelles. Pour éviter que ne se

creuse un fossé entre le cautionnement, très encadré, et les nouvelles garanties

personnelles, relevant essentiellement de la liberté contractuelle, les juges portent

atteinte à l’autonomie normative de ces garanties innomées. Ils requalifient celles-ci

en cautionnement ou leur appliquent les mêmes règles qu’à ce dernier, afin que les

protections déjà octroyées aux cautions ne restent pas lettre morte.

Le droit en vigueur fragilise donc les garanties personnelles. Il les entoure

d’un halo d’incertitudes, alors qu’il devrait conforter leur prévisibilité, pour qu’elles

puissent accroître la sécurité patrimoniale des créanciers et rendre plus sûr l’octroi

de crédit.

2. L’objectif de la réflexion : la réforme globale du droit des garanties

personnelles. Les imperfections du droit des garanties personnelles sont telles

aujourd'hui que des changements sont réclamés d’une seule voix par la doctrine4 et

annoncés depuis peu au plus haut niveau de l’Etat5. Si un consensus existe ainsi sur

la nécessité d’apporter des modifications au droit en vigueur, la question des

solutions à déployer reste entière.

3 En ce sens, cf. notamment P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés, JCP

1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 3 ; J.-L. COURTIER, La garantie à

première demande : attention messieurs les bénéficiaires, LPA 24 juin 1994, n°75, p. 4 et s. ;

D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,

2000, p. 87 ; Ch. MEYER, Les lettres d’intention, Droit des Sociétés 2000, p. 6 et s. ; B.

MONASSIER, Lettre d’intention : présentation, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 46 et s. 4 En ce sens, cf. notamment Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit

des sûretés, th. Paris II, 2003, sous la direction de M. GRIMALDI, n°476, 965 ; D.

LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,

2000, p. 96 ; D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y.

Guyon, Dalloz, 2003, p. 669 et 670 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un

nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement

introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP

2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du

cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3 et s., n°2 ; D. LEGEAIS, n°5, 24 ; H., L. et J.

MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53 5 Lors des commémorations du bicentenaire du Code civil, le Chef de l’Etat a demandé que

l’on réécrive le droit des sûretés dans les cinq ans. Un groupe de travail avait d’ailleurs été

mis en place, à cette fin, dès juillet 2003, à l’initiative de la Direction des affaires civiles et du

Ministère de la Justice. Sur l’état d’avancement de ce groupe de travail, cf. L. AYNES, Droit

des sûretés : où en est la réforme ?, Droit et patrimoine 2004, n°130, p. 6 et s.

Page 5: L'efficacité des garanties personnelles

Des améliorations ont certes été suggérées à propos de certaines dispositions du

cautionnement6 ou à propos de certaines garanties personnelles innomées, comme la

garantie autonome7, la lettre d'intention8, l’engagement du codébiteur solidaire9, la

délégation imparfaite10, la promesse de porte fort11, la stipulation pour autrui12 ou

encore le constitut13, mais aucune réforme d’ensemble n’a encore été proposée.

6 Ph. SIMLER (Codifier ou recodifier le droit des sûretés personnelles ?, in Le Code civil

1804-2004. Livre du Bicentenaire, éd. Dalloz-Juris-Classeur 2004, p. 373 et s.), favorable à

un « toilettage des textes du Code civil relatifs au cautionnement » (« la trame générale du

dispositif constitué par les articles 2011 à 2043 du Code civil est éprouvée et mérite d’être

préservée »), a ainsi proposé une réécriture de l’actuel Titre XIV du Code civil, réduisant le

nombre des articles de 33 à 25. 7 Une garantie autonome est un engagement de payer une certaine somme, pris en

considération d’un contrat de base, et à titre de garantie de son exécution, mais constitutif

d’une obligation indépendante du contrat garanti et caractérisé par l’inopposabilité des

exceptions tirées de ce contrat.

Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de garantie autonome, cf. notamment

P. ANCEL, Les sûretés personnelles non accessoires en droit comparé, th. Dijon, 1981 ;

A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE 8 La lettre d'intention (ou de confort, de patronage) est un document par lequel un tiers

exprime à un créancier, en des termes variables et généralement imprécis, son intention de

soutenir son débiteur afin de lui permettre de remplir ses engagements. L’hypothèse type est

celle d’une société-mère qui adresse un tel document à la banque créancière, ou future

créancière, de sa filiale, lui promettant de « faire tout le nécessaire » ou « tout son possible »

pour que celle-ci soit en mesure de remplir les engagements par elle contractés envers la

banque.

Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de lettre d'intention, cf. notamment

X. BARRE, La lettre d'intention technique contractuelle et pratique bancaire, Economica,

1995, préf. Ch. Gavalda 9 La solidarité passive est une garantie personnelle, car les codébiteurs solidaires étant tous

tenus à l’égard du créancier pour la totalité de la dette, celui-ci n’a pas à diviser ses

poursuites. Chaque codébiteur est garant des autres pour la partie qui excède sa part dans la

dette commune.

L’article 1216 du Code civil vise l’hypothèse du codébiteur solidaire non intéressé à la dette.

Dans ses rapports avec les codébiteurs intéressés, le codébiteur solidaire adjoint est, aux

termes mêmes de l’article 1216, traité comme une caution, alors qu’il est un débiteur principal

aux yeux du créancier.

Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de solidarité passive, cf. notamment

Ph. BRIAND, Eléments d’une théorie de la cotitularité des obligations, th. Nantes, 1999, sous

la direction de F. COLLART DUTILLEUL ; M. MIGNOT, Les obligations solidaires et les

obligations in solidum en droit privé français, th. Université de Bourgogne, 2000, sous la

direction de E. LOQUIN ; M. OURY-BRULE, L’engagement du codébiteur solidaire non

intéressé à la dette. Article 1216 du Code civil, LGDJ, 2002, préf. C. FERRY 10 La délégation imparfaite (simple, sans novation) peut servir de garantie personnelle, car elle

consiste en l’engagement d’un nouveau débiteur, le délégué, sans extinction de l’obligation du

débiteur primitif, le délégant. Elle augmente la sécurité patrimoniale du créancier, le

délégataire, en lui donnant un second débiteur.

Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de délégation imparfaite, cf. notamment

M. BILLIAU, La délégation de créance, LGDJ, 1989 ; J. FRANÇOIS, Les opérations

triangulaires attributives (stipulation pour autrui et délégation de créance), th. dactyl. Paris

II, 1994 ; Ch. LACHIEZE, Le régime des exceptions dans les opérations juridiques à trois

personnes en droit civil, th. Bordeaux IV, 1996, sous la direction de J. HAUSER

Page 6: L'efficacité des garanties personnelles

Une réforme globale est pourtant nécessaire pour sortir de la crise. En effet,

les défauts du droit du cautionnement sont désormais trop profonds pour pouvoir

être jugulés par des modifications ponctuelles. Comme en attestent les lois du 29

juillet 1998 et du 1er août 200314, les réformes ponctuelles ne font qu’accroître les

faiblesses du cautionnement. Une réforme d’ensemble du droit du cautionnement est

donc indispensable pour renforcer la sécurité de cette sûreté, mais elle ne saurait

suffire pour supprimer toutes les lacunes du droit positif. La raison en est que, si le

législateur s’obstine à ne réglementer que le cautionnement, la pratique continuera à

chercher des substituts, mais les juges continueront aussi à fixer, au coup par coup,

les règles applicables à ces garanties personnelles innomées, dans le souci de limiter

le contournement qu’elles opèrent. Les garanties personnelles autres que le

cautionnement demeureront donc marquées par l’incertitude si le législateur ne

procède pas à une réforme globale.

Quelle structure et quel contenu devrait présenter cette réforme d’ensemble

du droit des garanties personnelles pour que règne la sécurité en cette matière ?

C’est à cette question que l’étude de l’efficacité des garanties personnelles

se donne pour but de répondre.

11 La promesse de porte fort, régie par l’article 1120 du Code civil, n’a, au premier abord, rien

d’une garantie, puisqu’il s’agit d’une « technique permettant de conclure un acte auquel une

personne devrait être partie, alors qu’elle n’est pas actuellement en mesure de donner son

consentement, moyennant l’engagement pris par une autre personne, le porte-fort, de

rapporter la ratification de la première » (Ph. SIMLER, n°36). Elle peut pourtant constituer

un véritable substitut du cautionnement, car l’article 1120 n’impose pas que la promesse ait

nécessairement pour objet une ratification (l’article 1120 vise, en effet, « celui qui s’est porté

fort ou qui a promis de faire ratifier »). Le « fait » promis par le porte-fort peut être aussi

l’exécution d’un engagement pris par un tiers. Alors, si le tiers refuse de tenir cet engagement,

le porte-fort devra indemniser le créancier et il jouera le rôle d’un garant. 12 Une stipulation pour autrui peut constituer une garantie personnelle lorsque le promettant

(garant) est déjà débiteur du stipulant (débiteur principal). Le stipulant exige alors de son

débiteur (garant / promettant) qu’il se libère entre les mains de l’un de ses propres créanciers

(tiers bénéficiaire). Celui-ci acquiert un droit direct de créance contre le promettant / garant.

La Cour de cassation (Civ., 6, 8, 22 février et 27 mars 1888 : DP 1888, I, 193) a précisé que le

droit du tiers bénéficiaire naît directement au moment où le promettant s’oblige et par le fait

même de la promesse. Ce droit naît par le seul effet de l’accord de volontés entre le stipulant /

débiteur principal et le promettant / garant. L’acceptation du tiers bénéficiaire n’est pas une

condition de l’acquisition de son droit contre le garant. Son seul effet est de rendre la

stipulation irrévocable.

Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de stipulation pour autrui, cf.

J. FRANÇOIS, th. préc. 13 Le constitut est l’engagement autonome de payer la dette d’autrui souscrit par le

« constituant », qui s’oblige à payer, non la dette même du débiteur principal, mais une dette

d’un même montant. Le quantum de la dette du constituant est emprunté à celui de

l’obligation garantie, mais le constituant ne peut soulever les exceptions nées de cette

obligation.

Sur l’évolution souhaitable du droit positif en matière de constitut, cf. F. JACOB, Le constitut

ou l’engagement autonome de payer la dette d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf.

Ph. SIMLER 14 Loi n°98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions. Loi n°2003-721 du

1er août 2003 pour l’initiative économique.

Page 7: L'efficacité des garanties personnelles

3. L’espace de réflexion. La problématique retenue dicte le champ de cette

étude à deux égards. D’une part, l’objectif de reconstruction du droit des garanties

personnelles influence le choix des garanties personnelles à étudier. En effet, seules

méritent d’être analysées les garanties personnelles à l’égard desquelles la crise est

la plus manifeste et les demandes de réforme les plus vives, c'est-à-dire les garanties

personnelles instituées à l’initiative des créanciers et non intégralement régies par la

loi. L’étude portera donc sur les garanties personnelles strictement conventionnelles,

que sont le cautionnement et les contrats non spécialement réglementés en tant que

garanties personnelles, auxquels les créanciers recourent pour éviter la politique

légale et jurisprudentielle de protection de la caution15. En revanche, ne seront pas

analysées à la lumière du droit positif et ne seront pas concernées par les

propositions de réforme, tant les garanties personnelles légales16, que les garanties

personnelles conventionnelles ayant pour fait générateur une loi ou une décision

judiciaire17. D’autre part, le souci de réformer le droit des garanties personnelles

oriente le choix des règles à étudier. Comme une réforme ne peut être source de

progrès que si elle remédie aux imperfections du droit positif, sans remettre en cause

les règles donnant satisfaction, il convient, avant de proposer des modifications du

droit existant, d’étudier précisément celui-ci, en vue de distinguer ce qui doit être

15 Pour une présentation sommaire de ces garanties personnelles conventionnelles servant de

substituts au cautionnement, cf. supra n°2 16 Les garanties personnelles légales confèrent à un créancier déterminé par la loi un droit de

gage général contre un tiers au contrat de crédit principal, en garantie de l’exécution de celui-

ci, sans qu’aucun contrat ne soit conclu, ni entre le créancier et le garant, ni entre le créancier

et le débiteur, ni entre le débiteur et le garant. Peuvent recevoir cette qualification les actions

directes, la saisie-attribution, les différentes hypothèses de solidarité légale (notamment la

solidarité des époux de l’article 220 du Code civil, la solidarité des partenaires liés par un

Pacs de l’article 515-4 alinéa 2 du Code civil, la solidarité des associés d’une société en nom

collectif de l’article L. 221-1 alinéa 1er du Code de commerce, la solidarité cambiaire de

l’article L. 511-44 du Code de commerce), les obligations d’adhésion ou de cotisation à un

fonds de garantie (comme le fonds de garantie contre les accidents de circulation et de chasse

ou le fonds de garantie des dépôts, mécanismes de garantie des titres et des cautions) ou

encore la responsabilité légale du fait d’autrui (notamment celle des articles 1384, 1386-8 et

1792-4 du Code civil). 17 Les garanties personnelles conventionnelles ayant pour fait générateur une loi ou une

décision judiciaire reposent sur la conclusion d’un contrat entre le créancier et le garant, mais

leur constitution résulte, soit d’une obligation légale, soit d’une décision de justice, et non

d’un accord entre le créancier et le débiteur.

De nombreux textes imposent ainsi la conclusion d’un cautionnement. Tel est notamment le

cas, dans le Code civil, des articles 601 (à l’égard de l’usufruitier), 807 (à l’égard de l’héritier

bénéficiaire), 1653 (à l’égard du vendeur) et 1799-1 alinéa 3 (à l’égard du maître d’ouvrage).

Le Code de commerce (articles L. 511-33 et L. 511-34 en matière de lettre de change), le

Code du travail (article L. 124-8 relatif aux entreprises de travail temporaire), le Code de la

construction et de l’habitation (au sujet des garanties de bonne fin) et les textes non codifiés

relatifs aux garanties financières professionnelles en fournissent d’autres illustrations.

De nombreux textes confèrent également aux juges le pouvoir d’exiger d’un débiteur la

constitution d’un cautionnement (par exemple, l’article 277 du Code civil à l’égard de l’époux

débiteur d’une prestation compensatoire, les articles 517 et suivants du nouveau Code de

procédure civile relatifs à l’exécution provisoire des jugements).

Page 8: L'efficacité des garanties personnelles

conservé de ce qui doit être réformé18. Même s’il ne fait aucun doute que les

garanties personnelles traversent une crise, une analyse détaillée des règles légales et

jurisprudentielles applicables, tant au cautionnement, qu’aux nouvelles garanties

personnelles, doit ainsi nécessairement précéder l’exposé de la réforme d’ensemble

préconisée. Cette étude des garanties personnelles, de lege lata, sera uniquement

opérée au regard du droit interne français19.

Dans le cadre des réflexions de lege ferenda, le droit communautaire jouera

en outre un rôle prépondérant20. Dans la mesure où la proposition de directive du 11

septembre 2002 relative au crédit aux consommateurs21 réglemente dans le détail les

engagements souscrits par les garants personnes physiques dans un but étranger à

leur activité commerciale ou professionnelle, il paraît en effet nécessaire de

développer une réforme du droit des garanties personnelles qui soit compatible avec

les nouvelles exigences communautaires22.

18 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, Un domaine à explorer pour le chercheur : les démarches

de l’investigation juridique, in L’avenir du droit, Mélanges F. Terré, Dalloz, 1999, p. 167 et

s. ; R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 273 et s. 19 Les principales décisions judiciaires relatives au cautionnement, à la garantie autonome, à

la lettre d'intention, à la solidarité passive, à la solidarité adjointe, au constitut, à la délégation

imparfaite, à la promesse de porte fort et aux garanties personnelles légales font l’objet d’un

index.

Compte tenu du fait qu’ « ils sont en toute hypothèse peu appropriés aux garanties de droit

interne » (Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°215) et qu’ils connaissent de ce fait un

succès pratique très limité, les modèles de garantie proposés par la Chambre de Commerce

internationale et par la commission des Nations-Unies pour le commerce international ne

feront pas l’objet d’une analyse exhaustive. Il n’y sera fait référence que ponctuellement. Pour

des études approfondies de ces règles, cf. H. CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et

garantie, in Pratique des contrats internationaux, 1997 ; S. PIEDELIEVRE, Remarques sur

les règles uniformes de la Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur

demande, RTD com. 1993, p. 615 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Le projet de convention de la

commission des Nations-Unies pour le commerce international sur les garanties

indépendantes et les lettres de crédit stand-by, RTD com. 1996, p. 633 et s. ; Ph. SIMLER,

Règles uniformes de la Chambre de Commerce Internationale, relatives aux garanties sur

demande, LPA 13 mai 1992, n°58, p. 25 ; Ph. SIMLER, n°868 et s. 20 Le rapprochement des législations des Etats membres de l’Union européenne opéré par la

proposition de directive du 11 septembre 2002, au sujet du crédit aux consommateurs et du

« contrat de sûreté », dispense de se livrer à une étude de droit comparé pour pouvoir

envisager l’efficacité des garanties personnelles de lege ferenda. 21 Proposition de directive du 11 septembre 2002 relative à l’harmonisation des dispositions

législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de crédit aux

consommateurs. COM/2002/0443 final - COD 2002/0222 ; Journal officiel n° C 331 E du

31/12/2002 p. 0200 – 0248. Ce texte, ainsi que ses aménagements postérieurs, figurent sur le

site http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=176090 22 Il n’est pas prématuré de développer une réforme globale du droit des garanties

personnelles, qui intègre les nouvelles règles communautaires, même si celles-ci ne sont

encore que des propositions examinées par le Parlement européen, car il y a de fortes chances

pour que la plupart des dispositions relatives au « contrat de sûreté » ne subissent aucune

modification. En effet, alors que nombre de règles intéressant le contrat de crédit aux

consommateurs ont déjà été vivement dénoncées, notamment par le Sénat, la Communauté

européenne des Coopératives de consommateurs, le MEDEF, et l’Association française des

Sociétés Financières (sur ces critiques, cf. infra n°746), les dispositions concernant le

« contrat de sûreté » ont, au contraire, été globalement bien accueillies. Seule l’application de

Page 9: L'efficacité des garanties personnelles

4. L’ « outil » de réflexion : l’efficacité. Pour pouvoir proposer une

réforme du droit des garanties personnelles, à même de supprimer les lacunes du

droit en vigueur, aussi bien que d’anticiper les transformations imposées par la

Commission européenne, il est primordial de choisir un angle d’analyse des

garanties personnelles qui facilite cette reconstruction. L’efficacité est, à cet égard,

l’ « outil » le plus approprié.

Cette affirmation peut surprendre, car l’efficacité n’est pas une notion

juridique. Le terme efficacité ne figure pas dans les dictionnaires juridiques de

référence. Il est certes fréquemment employé par la doctrine, mais sans être assorti

d’un contenu juridique précis. Pour être en vogue, le terme efficacité n’en reste donc

pas moins empreint d’obscurité. Dans ces conditions, son caractère adéquat pour

étudier un mécanisme juridique et le droit qui lui est applicable peut paraître

douteux.

L’affirmation selon laquelle l’efficacité est l’angle d’analyse des

garanties personnelles le plus approprié peut en outre déranger, car l’efficacité n’est

pas un critère d’évaluation du droit prisé par les juristes. Depuis Kelsen, une partie

importante de la doctrine apprécie le droit sous l’angle de sa validité et de sa

légitimité, et elle se désintéresse, pour l’essentiel, des effets concrets des normes.

L’évaluation du droit à travers le prisme de l’efficacité est abandonnée aux

sociologues et surtout aux économistes. L’efficacité est tenue à l’écart de la sphère

juridique, car elle est suspectée d’être incompatible, non seulement avec les modes

d’appréciation traditionnels du droit, mais aussi avec des valeurs juridiques

fondamentales. L’efficacité, comme instrument d’évaluation des mécanismes

juridiques et des règles de droit, est donc considérée comme dangereuse.

L’efficacité n’étant pas une notion juridique et son utilisation en tant que

critère d’appréciation du droit faisant ainsi l’objet de préventions, il est

indispensable d’expliquer pourquoi elle constitue un « outil » de réflexion

particulièrement adéquat en matière de garanties personnelles. Il s’agit de démontrer

que l’analyse des garanties personnelles sous l’angle de l’efficacité permet de

proposer une réforme du droit en vigueur, qui rompe avec l’insécurité actuelle et

s’accorde avec les nouvelles contraintes communautaires.

5. Plan de l’introduction. Pour mener à bien cette démonstration, il est

tout d’abord nécessaire de préciser en quoi consiste l’efficacité des garanties

personnelles (§1). Il importe ensuite de dissiper les craintes entourant l’évaluation

du droit à travers le prisme de l’efficacité et de mettre en exergue, au contraire, les

implications réelles d’une telle évaluation en matière de garanties personnelles (§2).

Il convient, enfin, de présenter les principales caractéristiques de la reconstruction

du droit des garanties personnelles à laquelle conduit la recherche de l’efficacité

(§3).

la future directive aux « contrats de sûreté » conclus par acte authentique est sérieusement

critiquée et pourrait, de ce fait, être finalement écartée. Les propositions de réforme doivent

tenir compte de cette évolution probable du texte communautaire. C’est pourquoi, seront

distingués le régime des garanties personnelles souscrites sous seing privé et celui des

garanties personnelles conclues devant notaire (cf. infra n°912 à 932).

Page 10: L'efficacité des garanties personnelles

§1 : LA DEFINITION DE L’EFFICACITE

6. L’efficacité : une notion faussement polysémique. En apparence,

l’efficacité est une notion polysémique, puisque trois sens lui sont communément

attribués : la production d’un effet, l’accomplissement d’un but précis, et la

productivité23.

En réalité, l’équivoque peut aisément être dissipée, car deux de ces

définitions se rapportent, plus exactement, à des notions voisines : la réalisation d’un

effet caractérise l’effectivité24 ; le rendement est, quant à lui, synonyme

d’efficience25.

7. L’efficacité : qualité d’une chose ou d’une action qui produit l’effet

attendu. L’efficacité n’a donc finalement qu’une seule signification :

l’accomplissement d’une attente. A partir des éléments composant cette définition

usuelle de l’efficacité, des définitions plus précises, concernant des actions ou objets

déterminés, peuvent être élaborées.

Une fois présentés les éléments constitutifs de la notion d’efficacité (A), il sera ainsi

possible de préciser en quoi consiste l’efficacité des garanties personnelles (B).

A/ LES ELEMENTS CONSTITUTIFS DE LA NOTION D’EFFICACITE

La notion d’efficacité s’articule autour de trois éléments : une attente, un effet et une

relation d’adéquation entre les deux.

8. Une attente objective ou subjective. L’attente est une espérance posée

par une conscience, un effet recherché26. Quelle que soit la chose ou l’action qui la

génère, l’attente peut présenter un caractère objectif ou subjectif.

23 Le Grand Larousse Universel : Efficace : « se dit d’un produit, d’une méthode, qui produit

l’effet attendu, ou de quelqu’un qui remplit bien sa tâche, se dit de son action, de ses paroles

qui atteignent leur but, qui aboutissent à des résultats utiles » ; Le Robert, Dictionnaire de la

langue française : Efficace : « 1. qui produit l’effet qu’on en attend. 2. Capacité de produire le

maximum de résultats avec le minimum d’effets, de dépense ».

Cette polysémie s’explique par le fait que l’étymologie latine du terme « efficacité » est elle-

même équivoque. En effet, efficax, efficacis signifie, d’une part, agissant, qui réalise et,

d’autre part, qui produit de l’effet, qui réussit. 24 Le Petit Larousse : Effectif : « qui existe réellement, qui se traduit en action » ;

M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions,

critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, p. 4 et s. : « un phénomène est effectif

lorsqu’il existe, qu’il est actualisé (c'est-à-dire en acte), qu’il a quitté le simple état de forme,

de puissance, de virtualité ». 25 Le Petit Larousse : Efficience : « capacité de rendement, performance » ; L. AMIEL-

COSME, L’efficience des nullités, Droit et Patrimoine 2000, n°83, p. 89 et s. : « la notion

d’ « efficience » se dédouble : l’efficience, c’est d’abord « la faculté de produire un effet » et,

ensuite, cet effet est « un effet utile ». Est ainsi appréciée l’efficacité d’une mesure ou sa

capacité de rendement, sa performance ». 26 Le terme attente sera employé dans ce sens général et non dans le sens juridique particulier

attaché à la théorie des attentes légitimes ou raisonnables. Sur cette théorie, cf. notamment

J. CALAIS-AULOY, L’attente légitime. Une nouvelle source de droit subjectif ?, Mélanges

Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 171 et s. ; J. CARBONNIER, Introduction, in L’évolution

Page 11: L'efficacité des garanties personnelles

L’attente objective est celle que toutes les personnes placées dans une même

situation partagent, en raison des caractéristiques essentielles, de ce qu’il est naturel

d’attendre de l’objet utilisé ou de la démarche entreprise.

L’attente subjective, quant à elle, est celle qu’une personne déterminée

développe, du fait de la spécificité de sa situation. Nourrir une attente subjective

revient à assigner un but particulier à l’objet ou à l’action envisagé.

9. Un effet réalisé. Concernant l’effet, il s’agit de celui produit par les

moyens ou actions mis en œuvre. Ceux-ci quittent le simple état de virtualité, pour

être actualisés. L’effet n’est plus seulement recherché, il est réalisé. L’effectivité

précède nécessairement l’efficacité.

L’effet pris en compte pour définir l’efficacité est, en outre, uniquement celui

produit par l’objet ou l’acte ayant engendré l’attente. Le référent doit être le même

au stade de l’attente et à celui du résultat.

10. Une adéquation. Le dernier élément constitutif de la notion d’efficacité

est la relation existant entre l’effet recherché et l’effet réalisé. L’efficacité repose sur

une comparaison entre l’effet attendu d’un objet ou d’une action et le résultat

réellement produit par ceux-ci, et elle se reconnaît à l’équivalence parfaite entre ces

deux éléments.

Une chose ou une action, quelle qu’elle soit, ne peut être déclarée efficace

qu’après avoir produit des effets et seulement si ces effets sont conformes aux

attentes qu’elle a créées.

Comme les attentes peuvent être de nature objective ou subjective, deux

relations d’adéquation sont susceptibles d’exister et, par conséquent, deux types

d’efficacité peuvent se cumuler.

11. L’efficacité objective : réalisation d’une fonction. L’efficacité peut

tout d’abord être envisagée in abstracto. C’est le devenir de l’attente objective qui

est alors examiné. L’attente objective, partagée par toute personne ayant recours à

un objet déterminé, procède de la fonction de celui-ci.

La fonction d’un objet correspond à ce pour quoi il est conçu, à ce pour

quoi il y est normalement recouru. Autrement dit, c’est « ce qu’on ne peut faire que

par lui, ou ce qu’on fait le mieux avec lui »27.

contemporaine du droit des contrats, Journées R. Savatier, 24-25 octobre 1985, PUF, 1985,

p. 29 et s ; J. CARBONNIER, Les obligations, PUF, 2000, n°21 27 PLATON, La République, I/ 351 e – 352 e et I/ 352 e – 353 e : « - Et dis-moi : le cheval te

paraît-il avoir une fonction ? - Oui. - Or, poserais-tu comme fonction du cheval, ou de

n’importe quel autre sujet, ce qu’on ne peut faire que par lui, ou ce qu’on fait le mieux avec

lui ? - Je ne comprends pas, dit-il. - Expliquons-nous : vois-tu par autre chose que par les

yeux ? - Certes non. - Et entends-tu par autre chose que par les oreilles ? -Nullement. - Nous

pouvons par conséquent dire justement que ce sont là les fonctions de ces organes. - Sans

doute. - Mais quoi ! ne pourrais-tu pas tailler un sarment de vigne avec un couteau, un

tranchet, et beaucoup d’autres instruments ? - Pourquoi pas ? - Mais avec aucun, je pense,

aussi bien qu’avec une serpette qui est faite pour cela. - C’est vrai. - Donc, ne poserons-nous

pas que c’est là sa fonction ? - Nous le poserons certainement. »

Page 12: L'efficacité des garanties personnelles

L’efficacité définie au regard de l’attente objective, que l’on peut qualifier

d’efficacité objective ou in abstracto, se caractérise donc par la réalisation d’une

fonction.

12. L’efficacité subjective : réalisation d’une finalité. L’efficacité peut

également être appréciée in concreto. Il s’agit alors de s’intéresser aux attentes

subjectives. Ces attentes propres à chaque individu utilisant un objet donné précisent

la fonction de celui-ci ou, au contraire, s’en éloignent.

Par opposition à la fonction, qui présente un caractère objectif, le but

particulier assigné à un objet par une personne déterminée, peut être qualifié de

finalité28.

Dans ces conditions, l’efficacité définie à la lumière des attentes

subjectives, c'est-à-dire l’efficacité subjective ou in concreto, se caractérise par la

réalisation d’une finalité.

13. Pour définir plus précisément l’efficacité objective ou subjective d’un

objet particulier, il suffit d’expliciter les éléments constitutifs de la notion

d’efficacité au regard des caractéristiques de cet objet. C’est ainsi en

approfondissant les attentes et les effets créés par les garanties personnelles qu’il est

possible de déterminer ce que recouvre leur efficacité.

B/ LES DEFINITIONS DE L’EFFICACITE DES GARANTIES PERSONNELLES

14. L’efficacité des garanties personnelles peut être envisagée in abstracto

ou in concreto, selon que l’on s’attache à l’attente partagée par tous les bénéficiaires

ou aux effets spécifiquement recherchés par certains créanciers. Il convient donc de

définir, d’une part, l’efficacité objective des garanties personnelles (1) et, d’autre

part, leur efficacité subjective (2).

1. La définition de l’efficacité objective des garanties personnelles

15. La fonction des garanties personnelles. Toutes les garanties

personnelles, quels que soient leur nature, leur contenu, les parties au contrat et les

caractéristiques de l’opération principale, ont pour raison d’être d’accroître la

sécurité patrimoniale du bénéficiaire, d’augmenter les chances d’un dénouement

satisfactoire, pour celui-ci, de l’opération de crédit. Les garanties personnelles sont

conçues pour protéger les intérêts financiers des créanciers et elles font naître chez

ces derniers une même attente, objective, celle d’éviter une perte pécuniaire.

16. L’efficacité objective des contrats unilatéraux réside dans la

protection des intérêts du créancier. Si les garanties personnelles ont donc pour

fonction de protéger les intérêts des seuls bénéficiaires et si elles font naître une

attente objective uniquement en la personne des créanciers, c’est parce qu’elles

présentent un caractère unilatéral. 28 Alors que les termes fonction, finalité, but, fin, vocation, objet, objectif ou encore raison

d’être sont le plus souvent employés comme des synonymes, nous définissons différemment

la fonction et la finalité, afin d’accentuer le clivage entre les attentes objectives et les attentes

subjectives et, par conséquent, la distinction entre l’efficacité in abstracto et l’efficacité in

concreto. Sur l’utilité de cette distinction en matière de garanties personnelles, cf. infra n°30

Page 13: L'efficacité des garanties personnelles

Dès lors qu’un contrat oblige une personne envers une autre, sans qu’il n’y ait,

de la part de cette dernière, d’engagement réciproque, la fonction de ce contrat ne

peut être tournée que vers l’unique créancier. Comme l’efficacité objective consiste

en la réalisation d’une fonction, il est logique d’en déduire que l’efficacité objective

des contrats unilatéraux, dont font partie les garanties personnelles, réside dans la

protection des intérêts du créancier.

17. L’efficacité objective des contrats synallagmatiques réside dans

l’échange le plus fructueux. Lorsqu’un contrat engendre des obligations

réciproques et interdépendantes, la situation est toute autre. En effet, dans la mesure

où chacune des parties est débitrice d’une obligation essentielle, qui fait naître chez

son cocontractant une attente objective, le contrat ne peut pas avoir pour fonction de

protéger l’unique créancier. Le contrat synallagmatique a pour raison d’être de créer

ou de transmettre des richesses pour chacune des parties, et son efficacité objective

réside dans l’échange le plus fructueux.

Les travaux de la Law and Economics portant sur les contrats

synallagmatiques29 retiennent cette définition de l’efficacité30, également appelée

« Pareto optimalité »31, et suggèrent, sur ce fondement, des solutions à la fois

meilleures ou aussi bonnes pour toutes les parties et strictement préférées par au

moins l’une d’elles32.

29 L’analyse économique du droit des contrats et l’analyse économique des contrats

n’envisagent que les contrats créateurs de richesses pour chacune des parties. Ainsi, l’une des

théories majeures de l’analyse économique du droit des contrats, la théorie de la violation

efficace, est uniquement développée dans le cadre des contrats synallagmatiques (cf.

B. RUDDEN et Ph. JUILHARD, La théorie de la violation efficace, RIDC 4-1986, p. 1015 et

s.). L’analyse économique des contrats ne s’intéresse également qu’aux contrats dans lesquels

deux parties (« le principal » est la partie qui propose le contrat ; « l’agent » est la partie qui

ne peut qu’accepter ou rejeter la proposition du principal) envisagent un échange et, plus

particulièrement, aux contrats synallagmatiques d’adhésion.

Pour une présentation générale de l’analyse économique des contrats et de l’analyse

économique du droit des contrats, cf. P. GARELLO, Les économistes et le contrat, Mélanges

Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 37 et s. 30 En dehors de l’analyse économique du droit des contrats et de l’analyse économique des

contrats, d’autres définitions de l’efficacité sont présentes dans les travaux de la Law and

economics. Dans une perspective utilitariste, certains retiennent que l’efficacité se caractérise

par le bonheur maximum pour le plus grand nombre. Au regard du critère de justice de Rawls,

d’autres subordonnent l’efficacité à un bonheur identique pour tous. D’autres encore adoptent

le critère de Kaldor-Hicks, qui a pour vocation d’évaluer les changements juridiques : un

changement est efficace, si l’amélioration qu’il apporte à la situation d’au moins un individu

compense les pertes subies par un autre. Sur ces différentes approches de l’efficacité, cf. T.

KIRAT, Economie du droit, éd. La découverte, 1999 , spéc. p. 69 ; B. LEMENNICIER,

Economie du droit, Cujas, 1991, spéc. p. 27 31 La « Pareto optimalité » est l’échange le plus fructueux, c'est-à-dire qu’« il est impossible

de réaliser une réallocation de ressources telle que le sort d’une personne s’améliore sans

que celui d’une autre personne s’en trouve détérioré » (E. MACKAAY, La règle juridique

observée par le prisme de l’économiste. Une histoire stylisée du mouvement de l’analyse

économique du droit, Rev. Intern. Dr. Eco 1986, t.1, p. 52). 32 Pour des exemples de solutions tendant vers la « Pareto efficience » cf. T. KIRAT, op. cit.,

p. 69 ; B. LEMENNICIER, op. cit., p. 27 ; J.-Y. CHEROT, Trois thèses de l’analyse

économique du droit, RRJ 1987-2, p. 443 et s. ; P. GARELLO, art. préc., p. 37 et s.

Page 14: L'efficacité des garanties personnelles

18. L’influence limitée de l’analyse économique du droit sur le contrat

de garantie personnelle. Comme les garanties personnelles présentent un caractère

unilatéral, leur efficacité objective ne doit pas être définie comme l’échange optimal

entre les contractants. En conséquence, les solutions proposées par l’analyse

économique du droit des contrats pour parvenir à la « Pareto optimalité » des

contrats synallagmatiques ne doivent pas être transposées en matière de garanties

personnelles. Si une étude portant sur l’efficacité de l’opération de crédit pourrait

très certainement s’inspirer des travaux de la Law and Economics, en raison de

l’échange réalisé par l’opération envisagée dans sa globalité, une étude portant sur

l’efficacité des seules garanties personnelles ne saurait, au contraire, être

profondément influencée par les thèses de l’analyse économique du droit.

19. L’origine de la protection des intérêts du créancier. Pour expliquer en

quoi consiste l’efficacité objective des garanties personnelles, il ne suffit pas

d’exclure la définition parétienne de l’efficacité et de mettre en avant, au contraire,

la protection des intérêts financiers des bénéficiaires. Il est en plus nécessaire

d’indiquer quelle est l’origine de l’augmentation de sécurité des créanciers. Pour

cela, des précisions doivent être apportées sur le deuxième élément constitutif de

l’efficacité, c'est-à-dire sur les effets des garanties personnelles.

20. Les effets produits par les garanties personnelles elles-mêmes.

L’extinction de la dette principale, sans que le créancier ne souffre d’un impayé,

n’est pas nécessairement synonyme d’efficacité de la garantie personnelle

constituée. Celle-ci peut ne jouer aucun rôle dans la protection des intérêts

pécuniaires du créancier.

L’extinction de la dette principale peut notamment s’expliquer par la

solvabilité du débiteur, au jour de l’exigibilité de sa dette. Divers procédés peuvent

rendre plus sûre cette solvabilité. En font partie le droit de regard du créancier sur le

patrimoine et les activités du débiteur et les sûretés négatives, comme la clause

interdisant de souscrire de nouveaux engagements. En cas de paiement du débiteur,

la protection des intérêts du créancier provient de ces techniques de préservation du

droit de gage général, et non de la garantie personnelle constituée. Si l’on peut en

déduire que ces techniques sont efficaces, il est en revanche impossible de se

prononcer sur l’efficacité de la garantie personnelle, puisqu’en l’absence d’effets

engendrés par celle-ci, il manque l’un des éléments constitutifs de la notion

d’efficacité.

Comme la réduction du risque d’impayé n’est donc pas l’apanage des

garanties personnelles, la définition de leur efficacité objective ne doit pas viser la

protection des intérêts financiers des créanciers, sans en préciser l’origine. Cette

définition doit, au contraire, faire référence aux effets produits par les garanties

personnelles elles-mêmes.

21. Les effets de la constitution ou de la réalisation de la garantie

personnelle. Plus précisément, les effets à prendre en compte pour définir

l’efficacité in abstracto des garanties personnelles sont, non seulement les effets de

leur réalisation, mais aussi les effets de leur seule constitution.

L’accomplissement de la fonction des garanties personnelles peut résulter

de l’appel du garant. L’attente objective des bénéficiaires est en effet satisfaite

Page 15: L'efficacité des garanties personnelles

lorsque la réalisation de la garantie se traduit par le paiement du garant, emportant

l’extinction de la dette principale.

Les intérêts patrimoniaux du créancier peuvent également être protégés,

sans que le garant ne soit sollicité. Indépendamment de leur mise en œuvre, les

garanties personnelles peuvent effectivement produire un résultat conforme à leur

fonction. Tel est le cas lorsque leur seule existence conduit à l’extinction de la dette

principale, non pas, par hypothèse, par le garant, mais par un tiers au contrat de

garantie, qui peut être le débiteur principal lui-même ou encore un tiers cessionnaire

de la créance garantie.

22. Définition de l’efficacité objective des garanties personnelles. A la

lumière des précisions apportées sur la fonction et sur les effets des garanties

personnelles, il apparaît qu’une garantie personnelle, quelle qu’elle soit, est efficace,

in abstracto, lorsque sa constitution ou sa mise en œuvre ont pour effet de

concrétiser sa fonction, c'est-à-dire de protéger les intérêts financiers du créancier.

L’efficacité objective des garanties personnelles réside ainsi dans le paiement du

créancier, grâce à la réalisation ou à la seule constitution de la garantie.

23. L’efficacité des garanties personnelles peut recevoir une autre définition

si l’on s’attache, non plus à l’attente objective des créanciers, mais aux effets

spécifiquement recherchés par les bénéficiaires en fonction des particularités de leur

situation. Il s’agit alors de définir l’efficacité subjective des garanties personnelles.

2. La définition de l’efficacité subjective des garanties personnelles

24. Les deux niveaux d’attentes subjectives. Avant même la constitution

de la garantie personnelle, chaque créancier nourrit des attentes qui lui sont propres.

Ces premières attentes naissent lors de l’octroi de crédit, effectif ou seulement

envisagé. Des attentes sont ensuite produites par la garantie personnelle

effectivement conclue. Elles correspondent à la finalité assignée à la garantie

constituée.

25. Les attentes subjectives nées lors de l’octroi de crédit au débiteur.

Les attentes subjectives initiales diffèrent d’une opération contractuelle à une autre.

Les facteurs de variation sont nombreux. Certains se rapportent au contrat principal.

Les attentes subjectives initiales dépendent ainsi du domaine, de la nature, du

montant ou encore de la durée de l’opération de crédit. D’autres facteurs de variation

concernent le débiteur et, plus précisément, sa qualité, sa solvabilité, sa bonne foi et

les relations qu’il entretient avec le créancier. Les attentes subjectives naissant lors

de l’octroi de crédit varient encore en fonction de la situation du créancier. Sa

situation financière, mais aussi sa qualité et ses précédentes expériences en matière

d’octroi de crédit et de garantie ont une incidence sur les choix afférents à la

garantie personnelle à constituer. Enfin, les premières attentes subjectives sont

influencées par des facteurs extérieurs à l’opération contractuelle, tels que la

conjoncture économique et le droit en vigueur.

Quel que soit le contexte qui les inspire, les attentes subjectives initiales

précisent l’attente objective, puisqu’elles ont pour objet les conditions particulières

de protection, sur lesquelles compte le créancier, avant même la constitution de la

garantie personnelle. Les attentes nées lors de l’octroi de crédit au débiteur portent,

Page 16: L'efficacité des garanties personnelles

tant sur les modalités, que sur le coût de la protection des intérêts économiques du

créancier.

Les modalités de protection sont de deux ordres. Elles ont trait, d’une part,

à ce que le créancier attend de son cocontractant (qualité et solvabilité du futur

garant, nature et étendue de sa dette, modalités du paiement). Les modalités de

protection se rapportent, d’autre part, à ce que le créancier est prêt à assumer comme

contraintes pour gagner en sécurité patrimoniale (forme et durée de la constitution et

de la réalisation de la garantie, obligations à remplir au bénéfice du futur garant).

Le coût de la protection est également l’objet d’attentes spécifiques, avant

la conclusion du contrat de garantie. Si tout créancier espère qu’il lui en coûtera le

moins possible, en argent comme en temps, chacun nourrit des attentes plus précises

concernant le montant des dépenses à effectuer. Le ratio coût / avantages

supportable est ainsi variable d’un créancier à un autre.

26. La finalité assignée à la garantie personnelle constituée. Lors de la

conclusion de la garantie personnelle, chaque créancier nourrit de nouveau des

attentes particulières. Au vu de la nature et du contenu du contrat conclu, le

bénéficiaire espère, en effet, que la garantie personnelle protégera ses intérêts

pécuniaires selon certaines modalités33 et pour un certain prix.

Le bénéficiaire assigne alors une finalité particulière à la garantie mise en

place. Si toutes les garanties personnelles ont pour fonction d’augmenter les chances

d’extinction de la dette principale, chaque garantie personnelle effectivement

constituée se voit ainsi conférer, par son bénéficiaire, une finalité plus précise, qui

présente un caractère subjectif, et regroupe toutes les attentes générées par la

garantie personnelle elle-même.

27. Définition de l’efficacité subjective des garanties personnelles. La

définition de l’efficacité subjective des garanties personnelles repose sur les deux

niveaux d’attentes spécifiques à chaque créancier, ainsi que sur les effets produits

par la garantie34.

L’efficacité subjective des garanties personnelles consiste ainsi en un

double rapport d’adéquation : d’une part, une adéquation entre les attentes nées de

l’octroi de crédit et la finalité assignée à la garantie personnelle effectivement

conclue ; d’autre part, une adéquation entre cette finalité et les effets produits par la

constitution ou la réalisation de la garantie.

28. La « crise d’efficacité » des garanties personnelles. Au regard des

définitions de l’efficacité des garanties personnelles, il apparaît que la crise que

traversent ces mécanismes correspond à un manque d’efficacité. Quelques exemples

suffisent à s’en convaincre.

Les moyens de défense offerts à la caution par le législateur et par les juges, en

ce qu’ils empêchent, totalement ou partiellement, l’extinction de la dette principale

grâce à la réalisation de la garantie, compromettent l’efficacité objective du

cautionnement. 33 Ces modalités sont de même ordre que celles envisagées dans le cadre des attentes initiales. 34 Les effets pris en compte pour définir l’efficacité subjective des garanties personnelles étant

les mêmes que ceux envisagés dans le cadre de l’efficacité objective (cf. supra n°20, 21), il

n’est pas utile de leur consacrer de nouveaux développements.

Page 17: L'efficacité des garanties personnelles

Les obscurités et incohérences législatives, que les dernières réformes du

cautionnement ont multipliées, rendent quant à elles nécessaire l’interprétation

jurisprudentielle et compromettent, ce faisant, la réalisation des attentes subjectives

que le créancier avait pu nourrir en conférant une certaine signification aux textes en

vigueur.

Les requalifications des garanties personnelles innomées en cautionnement

entravent également l’efficacité subjective, puisqu’elles s’opposent à ce que la

réalisation de la garantie soit en adéquation avec les attentes subjectives initiales du

créancier.

29. Le caractère adéquat de l’efficacité comme instrument d’analyse des

garanties personnelles. En analysant les garanties personnelles sous l’angle de

l’efficacité, il est donc aisé de distinguer, au sein du droit positif, ce qui conforte la

sécurité des créanciers, de ce qui, au contraire, entrave leurs attentes. Le critère de

l’efficacité permet ainsi de prendre la mesure de la crise actuelle et d’en isoler les

causes.

Dès lors que les qualités et les imperfections du droit existant sont précisément

identifiées, il est possible d’envisager une réforme qui soit réellement constitutive

d’un progrès. Si la structure et le contenu de cette réforme étaient inspirés par

l’objectif de protection des intérêts des créanciers, le critère de l’efficacité pourrait

également permettre de sortir les garanties personnelles de la crise qu’elles

connaissent aujourd'hui.

30. La nécessaire mise en lumière des conditions juridiques de

l’efficacité des garanties personnelles. Pour que l’étude des garanties personnelles

à travers le prisme de l’efficacité présente ces avantages, l’efficacité objective et

l’efficacité subjective de ces garanties doivent être cernées de manière plus précise

qu’elles ne l’ont été jusqu’à présent. En effet, pour pouvoir, non seulement évaluer

dans le détail l’efficacité actuelle des garanties personnelles, mais aussi orienter leur

réforme, il ne suffit pas de connaître les éléments constitutifs de la notion

d’efficacité, ni les définitions de l’efficacité des garanties personnelles. Il est en plus

nécessaire de savoir quelles sont les conditions à réunir pour que ces garanties

puissent être efficaces, aussi bien in abstracto, qu’in concreto.

Il convient ainsi de mettre en avant les conditions juridiques de l’efficacité

des garanties personnelles, afin d’obtenir une grille d’analyse très détaillée de ces

mécanismes et du droit qui leur est applicable (1ère Partie), et d’évaluer par la suite,

au regard de cette grille, l’efficacité des garanties personnelles de lege lata (2ème

Partie).

Comme l’appréciation du droit positif des garanties personnelles, à la

lumière des conditions juridiques de leur efficacité, constitue un passage obligé pour

pouvoir envisager l’efficacité des garanties personnelles de lege ferenda (3ème

Partie), il est utile de fournir dès à présent des explications sur l’évaluation de

l’efficacité.

§2 : L’EVALUATION DE L’EFFICACITE

31. L’évaluation de l’efficacité actuelle des garanties personnelles exige une

appréciation de l’efficacité du droit qui leur est applicable. Or, l’évaluation du droit

Page 18: L'efficacité des garanties personnelles

sous l’angle de l’efficacité fait l’objet de sérieuses critiques. Il paraît donc important,

après avoir précisé la notion d’efficacité du droit (A), d’exposer les implications

réelles d’une telle évaluation dans le domaine des garanties personnelles (B).

A/ LA NOTION D’EFFICACITE DU DROIT

32. L’efficacité du droit dans un système formaliste. Dans la tradition

kantienne, l’analyse des normes repose sur une exigence de conformité, située au

plan de la valeur intrinsèque, et non à celui des faits empiriques. Kelsen a repris

cette approche pour soutenir que le critère principal de validité d’une règle juridique

est son mode d’édiction et non son application effective. La validité du droit dépend

ainsi du respect des normes supérieures, et au sommet, de la « norme

fondamentale »35. Dans ce système formaliste, la notion d’efficacité n’a aucune

autonomie par rapport à celle de validité, puisque l’efficacité est la pure et simple

expression de la hiérarchie des normes. Les sources du droit et les rapports organisés

entre elles sont à ce point prépondérants que l’effet des règles édictées est indifférent

à la normativité sur laquelle repose le droit.

33. L’efficacité du droit dans un système pragmatique. Dès qu’il est

admis que la réalisation du droit s’effectue aussi bien dans les faits que dans l’idée,

les effets du droit acquièrent, au contraire, une importance considérable, et

l’efficacité se détache alors nettement de la validité.

Dans un système pragmatique, l’efficacité du droit réside ainsi dans la

conformité des effets des règles légales et jurisprudentielles aux objectifs qu’elles

poursuivent. Elle se caractérise par l’« aptitude réelle des normes à réaliser leur

but »36.

Comme la notion d’efficacité du droit repose sur les résultats concrets des

normes et que l’effectivité du droit intéresse également les effets des règles, il

convient de préciser ce qui distingue ces notions voisines37.

35 H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’Etat, éd. Bruylant LGDJ, coll. La pensée

juridique, 1997, p. 164 à 166 36 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la direction de

A.-J. ARNAUD, LGDJ, 1993, V° Efficacité, par R. BETTINI. Dans le même sens, cf. J.-F.

PERRIN, Qu’est-ce que l’effectivité d’une norme ? Pour une théorie de la connaissance

juridique, Droz, Genève, 1979, p. 91 et s. : « degré de réalisation de l’objectif » ; M.-A.

FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit,

Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 : «Aptitude d’une règle à produire

les effets pour l’obtention desquels on l’a adoptée, et plus largement encore l’aptitude d’un

système à faire advenir les phénomènes qui lui sont bénéfiques » ; A. JEAMMAUD et

E. SERVERIN, Evaluer le droit, D. 1992, chron., p. 263 et s., n°8 ; F. RANGEON, Réflexions

sur l’effectivité du droit, in Les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches

administratives et politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 126 et s : « caractère d’un acte ou

d’une décision qui produit l’effet recherché par son auteur». 37 Les notions d’efficacité et d’effectivité du droit sont très souvent employées l’une pour

l’autre. Ainsi, dans le Vocabulaire juridique dirigé par G. CORNU (PUF, Quadrige, 3e éd.,

2002, p. 331), le terme efficacité n’est pas recensé. Par contre, celui d’effectivité est défini

comme « le caractère d’une règle qui produit l’effet voulu, qui est appliqué réellement ». Si la

seconde proposition de cette définition caractérise l’effectivité, la première se rapporte plutôt

à l’efficacité. Dans la traduction de l’ouvrage de référence de KELSEN (Théorie générale du

Page 19: L'efficacité des garanties personnelles

34. Définition de l’effectivité du droit. Même si, comme l’a démontré le

Doyen Carbonnier, l’effectivité du droit s’exprime différemment selon la nature de

la loi38, elle désigne toujours le respect des normes, la conformité de la conduite

humaine aux normes juridiques39. Le comportement des sujets de droit est au cœur

de la notion d’effectivité du droit. C’est toujours de l’écart entre la règle et la

pratique sociale (représentations et actions individuelles), que dépend le jugement

porté sur l’effectivité du droit40. L’effectivité du droit se définit donc comme « le

degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le

droit »41.

35. Définition de l’efficacité du droit. Alors que l’effectivité du droit se

reconnaît à sa mise en œuvre (pour les lois impératives), ou au moins à sa réception

droit et de l’Etat, éd. Bruylant LGDJ, coll. La pensée juridique, 1997), par B. LAROCHE, les

développements consacrés à la distinction entre la validité et l’efficacité du droit concernent,

en réalité, la distinction entre la validité et l’effectivité du droit. La confusion entre les deux

notions est même présente, selon nous, dans des travaux consacrant d’amples développements

à leur distinction (cf. F. RANGEON, ibid.). 38 Selon le Doyen Carbonnier (Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, Année

sociologique, 1957-1958, in Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ,

9e éd., 1998, p. 141 à 144), à l’égard des lois supplétives, qui ne formulent que des

propositions, « l’applicabilité importe plus que l’application. Elle est à elle seule effectivité ».

L’inapplication n’est donc pas ici synonyme d’ineffectivité.

Il en va de même dans le cadre des lois permissives, c'est-à-dire des lois reconnaissant des

droits et des libertés aux individus. En effet, « on ne saurait pousser la notion d’effectivité,

pour les lois permissives, jusqu’à cette conséquence que tout ce qui est permis devrait être

effectivement pratiqué. L’effectivité de la loi qui consacre une liberté d’agir se situe non dans

l’action, mais dans la liberté même, c'est-à-dire dans le pouvoir de choisir l’inaction aussi

bien que l’action (…). C’est comme une fenêtre ouverte : même si l’on n’a pas la tentation de

s’évader, on respire mieux » (J. CARBONNIER, ibid., p. 143).

Finalement, ce n’est qu’en présence de lois impératives, qui ne laissent aucune place à la

volonté des individus, que l’effectivité exige l’application de la loi. Plus précisément,

l’effectivité suppose un comportement positif, une décision, quand l’ordre inscrit dans la loi

est positif ou, au contraire, une abstention, une absence de décision, quand l’ordre de la loi est

négatif. L’ineffectivité s’exprime alors par une violation, et pas seulement par une

inapplication. Certes, la sanction de la transgression rétablit, d’une certaine manière,

l’effectivité de la loi. Mais « l’effectivité est de médiocre qualité puisque son retour atteste

que le comportement ordonné par la loi n’a pas été effectivement suivi dans un premier

temps » (M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de concurrence :

notions, critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, n° 6). 39 En ce sens, cf. H. KELSEN, op. cit., p. 90 40 En ce sens, cf. J.-F. PERRIN, th. préc., p. 91 et s. ; N. SAUPHANOR, L’influence du droit

de la consommation sur le système juridique, LGDJ, 2000, préf. J. GHESTIN, n°17 ;

Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, dirigé par A.-J. ARNAUD,

LGDJ, 1993, V° Effectivité, par P. LASCOUMES ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’intérêt pour

le système juridique de l’analyse économique du droit, Cycle de conférences « Droit,

Economie, Justice », 2004 ; A. JEAMMAUD et E. SERVERIN, art. préc., n°8 ;

P. LASCOUMES et E. SERVERIN, Théories et pratiques de l’effectivité du Droit, Droit et

société 1986, p. 101, 104 ; F. RANGEON, art. préc., p. 126 41 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, dirigé par A.-J.

ARNAUD, LGDJ, 1993, V° Effectivité, par P. LASCOUMES

Page 20: L'efficacité des garanties personnelles

par les sujets de droit (pour les lois supplétives ou permissives), l’efficacité du droit

se caractérise par l’adéquation entre l’objectif poursuivi, d’une part, et les effets que

les normes produisent, d’autre part. Ce qui est au cœur de la notion d’efficacité du

droit, c’est le but poursuivi. C’est du degré d’accomplissement de l’objectif au

service duquel le droit est instrumentalisé que dépend le jugement porté sur

l’efficacité du droit42. L’inefficacité s’exprime par le fait que le droit « n’atteint pas

la cible qui lui était désignée »43. A l’inverse, l’efficacité du droit se manifeste par le

caractère adéquat de son contenu pour atteindre un résultat déterminé44.

L’efficacité du droit, ainsi définie, peut être mesurée. La question se pose

de savoir quelles sont les implications de cette évaluation.

B/ L’EVALUATION DE L’EFFICACITE

DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES

36. Le caractère adéquat de l’efficacité comme critère d’évaluation du

droit des garanties personnelles. Une fois présentées les conditions juridiques de

l’efficacité des garanties personnelles (1ère Partie), le droit positif sera analysé au

regard de ces conditions, afin de déterminer dans quelle mesure son contenu est en

adéquation avec l’objectif d’efficacité des garanties personnelles. L’efficacité du

droit en vigueur lui-même fera donc l’objet d’une évaluation (2ème Partie).

Si l’efficacité est ainsi choisie comme critère d’appréciation du droit des

garanties personnelles, c’est parce que, l’efficacité du droit se caractérisant par

l’aptitude des normes à réaliser l’objectif qui leur est assigné, son évaluation peut

permettre de découvrir quelles sont les règles qui sont conformes à l’objectif

d’efficacité des garanties personnelles et quelles sont celles, au contraire, qui

compromettent la réalisation des attentes objectives et subjectives des créanciers.

Autrement dit, grâce à l’évaluation du droit positif des garanties personnelles à

travers le prisme de l’efficacité, le constat de crise initialement formulé pourra être

consolidé, l’étendue et les raisons de la crise pourront être mises au jour, et les

propositions de réforme auront donc d’autant plus de chances de pouvoir remédier à

cette crise. Le choix en faveur de l’efficacité est ainsi dicté par l’objectif de la

réflexion.

37. L’efficacité, comme critère d’évaluation du droit, ne phagocyte pas

les autres modes d’appréciation. L’évaluation de l’efficacité du droit n’exclut

nullement d’autres modes d’appréciation, notamment ceux auxquels les juristes sont

particulièrement familiers, à savoir la validité et la légitimité. Il est excessif de

42 En ce sens, cf. P. LASCOUMES et E. SERVERIN, art. préc., p. 104 43 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, ibid., p. 119. Ces auteurs relèvent deux manifestations

de l’inefficacité du droit. En premier lieu, la législation n’a pas atteint l’objectif qu’on lui

avait assigné. En second lieu, elle a produit d’autres résultats que ceux attendus. Cette

seconde manifestation de l’inefficacité du droit, ayant trait aux effets pervers, ne nous semble

pas distincte de la première. Elle en constitue plutôt une modalité. 44 En ce sens, cf. C. OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et

efficacité des sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous la direction d’Y. LEQUETTE,

n°3 ; J.-F. PERRIN, th. préc., p. 91 et s. ; Dictionnaire encyclopédique de théorie et de

sociologie du droit, sous la direction de A.-J. ARNAUD, LGDJ, 1993, v° Efficacité ;

F. RANGEON, art. préc.

Page 21: L'efficacité des garanties personnelles

prétendre que l’analyse des normes à l’aune de l’efficacité bouleverse les modes

d’appréciation traditionnels du droit et manifeste même « une dissolution du

normativisme positiviste »45, c'est-à-dire une remise en cause de l’approche

kelsenienne du droit.

En effet, l’efficacité du droit intéresse essentiellement les résultats concrets des

normes, et elle s’exprime par la réalisation des fins assignées aux règles de droit. La

validité du droit, quant à elle, est relative à la source des règles, et elle se caractérise

par le respect de « la norme fondamentale ». Validité et efficacité du droit ne

concernant pas les mêmes aspects du droit, il n’y a aucune raison de considérer que

l’une puisse phagocyter l’autre. Validité et efficacité du droit n’ayant pas le même

champ, le questionnement du droit en termes d’efficacité n’est pas en mesure de

remettre en cause l’appréciation kelsenienne de la validité du droit.

Il en va de même à l’égard de l’appréciation de la légitimité du droit. Pour

Kelsen, le principe de légitimité signifie que les normes « demeurent valides tant

qu’elles ne perdent pas leur validité selon le procédé déterminé par l’ordre

juridique »46. La légitimité du droit dépend ainsi de sa validité formelle. Comme la

validité et l’efficacité intéressent des aspects distincts des normes, la légitimité du

droit ne risque pas non plus d’être affectée par l’évaluation de l’efficacité du droit.

Si l’on quitte la théorie kelsenienne, et que l’on s’attache à la légitimité du

droit définie par référence à un droit idéal, à des valeurs telles que la justice, la

cohérence et la complétude, il semble encore excessif de considérer que l’efficacité

du droit puisse devenir « la condition et la caution de sa légitimité »47. Il ne s’agit

pas de nier que l’efficacité du droit participe de sa légitimité, mais seulement de

relativiser le rôle joué par l’efficacité dans l’appréciation de la légitimité du droit.

Cette légitimité repose sur de multiples critères et l’efficacité n’est que l’un d’eux48.

L’approche du droit en termes d’efficacité n’implique donc pas de substituer le

critère d’efficacité à tout autre instrument d’appréciation.

L’évaluation de l’efficacité du droit des garanties personnelles n’a ainsi

aucune prétention à l’exclusivité. Elle ne rend pas inutiles d’autres formes

d’évaluation. Si le droit des garanties personnelles ne sera étudié qu’à travers le

prisme de l’efficacité, ce n’est donc pas parce que cet angle d’analyse est en toute

hypothèse le plus approprié, mais seulement parce qu’il est spécialement adapté

lorsqu’il est question d’apporter des améliorations au droit existant.

38. La nécessaire mise en lumière des raisons de l’efficacité et de

l’inefficacité des garanties personnelles de lege lata. L’évaluation de l’efficacité

du droit positif met au jour les règles satisfaisantes ou, au contraire, les lacunes du

45 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, art. préc, p. 121. Dans le même sens, cf.

N. SAUPHANOR, th. préc., n°14 et 15 46 H. KELSEN, op. cit., p. 171 47 J. CHEVALLIER, Vers un droit postmoderne ?, in Les transformations de la régulation

juridique, LGDJ, 1998, coll. « Droit et société. Recherches et travaux », n°5, dirigé par

J. CLAM et G. MARTIN, p. 38. C’est nous qui soulignons. 48 En ce sens, cf. B. DEFFAINS, Le défi de l’analyse économique du droit : le point de vue de

l’économiste, Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 : « l’efficacité

économique ne peut à elle seule légitimer une règle ou une institution juridique. La question

normative est beaucoup plus complexe. Des ordres de valeurs séparés, comme l’équité et

l’éthique, doivent être mobilisés pour apprécier le caractère juste ou non du droit».

Page 22: L'efficacité des garanties personnelles

droit, au regard d’un objectif donné. Cette critique législative49 « incite le législateur

à corriger en connaissance de cause les imperfections de la loi, à en neutraliser les

effets pervers » 50, et elle permet de « déterminer les meilleures modalités

d’élaboration, de rédaction, d’édiction et d’application des normes »51.

Le perfectionnement du droit étant ainsi subordonné à l’évaluation préalable de

son efficacité, il est nécessaire de procéder à une telle appréciation du droit positif

des garanties personnelles, avant d’aborder l’efficacité de ces mécanismes de lege

ferenda. C’est donc seulement après avoir isolé les conditions juridiques de

l’efficacité des garanties personnelles (1ère Partie), et confronté le droit en vigueur

avec ces conditions, pour faire apparaître les raisons de l’efficacité et les raisons de

l’inefficacité de lege lata (2ème Partie), qu’une reconstruction du droit des garanties

personnelles pourra être envisagée (3ème Partie).

39. Les propositions de réforme auront pour objet, d’une part, de

perfectionner les règles favorisant la satisfaction des attentes objectives et

subjectives des créanciers et, d’autre part, de supprimer les lacunes du droit positif,

au regard de l’objectif de protection des intérêts financiers des bénéficiaires. La

reconstruction du droit des garanties personnelles sera ainsi dictée par la recherche

de l’efficacité. Comme la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit ne va pas

encore de soi dans les systèmes de droit civil, il convient d’apporter des précisions

sur cette recherche de l’efficacité, particulièrement dans le domaine des garanties

personnelles.

§3 : LA RECHERCHE DE L’EFFICACITE

40. Dans les systèmes de Common law, il est admis depuis plusieurs

décennies que le législateur et les juges doivent favoriser l’efficacité des

mécanismes qu’ils régissent. Au contraire, dans les systèmes de droit civil, cette

recherche de l’efficacité n’est que rarement défendue. Elle mériterait pourtant de

l’être, car les dangers qui lui sont reprochés sont excessifs (A) et les avantages

qu’elle présente sont, en revanche, bien réels. Les garanties personnelles pourraient

ainsi sortir de la crise qu’elles traversent et l’octroi de crédit pourrait se trouver par

là même conforté, si le législateur recherchait l’efficacité de ces mécanismes et

reconstruisait en conséquence le droit qui leur est applicable (B).

A/ LA POURSUITE DE L’OBJECTIF D’EFFICACITE PAR LE DROIT

49 La critique législative est « la partie de la science législative qui, en amont de la politique

législative, a pour objet de porter un jugement de valeur sur la législation en vigueur (à la

lumière des informations recueillies sur son application et les besoins de la société, ainsi

qu’en fonction des valeurs auxquelles celle-ci est attachée), de discerner (de lege lata) les

lacunes, les insuffisances et les obscurités du droit existant, et, le cas échéant, dans sa partie

constructive, de proposer de lege ferenda les améliorations propres à remédier aux défauts

du droit positif » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

v° Législatif, p. 515). 50 N. SAUPHANOR, th. préc., n°13 51 J. CHEVALLIER, Rapport introductif, in L’évaluation législative, RRJ droit prospectif

1994, t. IV, p. 1081 et s.

Page 23: L'efficacité des garanties personnelles

41. La promotion de la recherche de l’efficacité dans les travaux de

l’analyse économique du droit. Le principal courant de la Law and Economics,

l’Ecole de Chicago, soutient que la Common Law a pour but de promouvoir

l’efficacité52. Ainsi, lorsque le marché n’est plus en mesure d’assurer un état social

optimum, l’Etat doit intervenir pour pallier les déficiences et supprimer les

« externalités »53. Les analyses économiques du droit des contrats ont précisé que le

principe devant gouverner la production de droit est la recherche de règles qui

minimisent, voire suppriment, les coûts de transaction de l’échange volontaire54.

Dans les travaux de l’analyse économique du droit, la loi est donc

considérée comme un procédé de gouvernement, comme l’instrument d’une

politique, et non comme un moyen d’introduire dans l’ordre juridique des normes

qui lui sont antérieures et supérieures, et qui procèdent de la volonté générale,

identifiée à la raison55. La loi et les décisions judiciaires sont « instrumentalisées » 56

52 La première démonstration en ce sens revient à Posner (Economic Analysis of Law, Little,

Brown and co, 1972, 2e éd., 1977). La thèse de l’efficience de la Common law a ensuite été

développée par les principaux courants de l’analyse économique du droit. Pour des exposés,

en français, de cette thèse, cf. B. LEMENNICIER, Economie du droit, Cujas, 1991, spéc. p.

31 ; J.-P. CENTI, Quel critère d’efficience pour l’analyse économique du droit ?, RRJ 1987-

2, p. 455 et s. ; J.-Y. CHEROT, Trois thèses de l’analyse économique du droit, RRJ 1987-2,

p.443 et s. ; B. DEFFAINS, Le défi de l’analyse économique du droit : le point de vue de

l’économiste, Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 ;

E. MACKAAY, La règle juridique observée par le prisme de l’économiste. Une histoire

stylisée du mouvement de l’analyse économique du droit, Rev. Intern. Dr. Eco. 1986, t.1, p.43

et s. 53 Les externalités sont « des bienfaits ou des pertes que subit une personne à la suite

d’activités d’une autre et dont ne tient pas compte cette dernière dans la décision de les

entreprendre » (E. MACKAAY, ibid., p. 51 à 68). La pollution que crée une entreprise au

détriment des voisins en fournit une illustration. Les externalités sont une tare dans le schéma

de l’économiste, puisqu’à cause d’elles le prix du produit ne reflète pas l’ampleur (la rareté)

réelle des ressources nécessaires pour le fabriquer. On ne peut plus alors être certain que

l’action autonome de milliers d’agents autonomes aboutira nécessairement à un optimum pour

tous. Les économistes préconisent que l’Etat intervienne pour faire « internaliser » les effets

externes par ceux qui les causent ou pour corriger autrement la situation. 54 Sur la fonction du droit des contrats, cf. B. DEFFAINS, art. préc. ; E. MACKAAY, art.

préc., p. 51 à 68 55 Sur cette conception moderne (ou technologique) de la loi, par opposition à la conception

révolutionnaire, d’ordre essentiellement juridique, cf. J.-C. BECANE et M. COUDERC, La

loi, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 1994, p. 69 à 86 ; G. BURDEAU, Essai sur l’évolution

de la notion de loi en droit français, APD, Sirey, 1939, p. 7 et s. ; G. BURDEAU, Le déclin

de la loi, in Le dépassement du droit, APD, Sirey, 1963, p. 35 et s ; J. CHEVALLIER, Vers

un droit postmoderne ?, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, coll. « Droit

et société. Recherches et travaux », n°5, dirigé par J. CLAM et G. MARTIN, p. 21 et s. ; Ph.

GERARD, La science de la législation en Belgique. Bilan et perspective, in La science de la

législation, Travaux du Centre de philosophie du droit, PUF, 1988, p. 51 et s. ; F. TERRE, La

« crise de la loi », in La loi, APD, Sirey, 1980, p. 17 et s. 56 Le droit est instrumentalisé lorsque son élaboration vise un certain changement social. Les

objectifs du droit ne sont pas alors découverts a posteriori. Ils sont déterminés a priori et

président à l’élaboration même de la règle, tant dans sa forme, qu’au fond. « Les fins

poursuivies deviennent l’objectif premier du pouvoir juridique et ce en quoi la normativité est

la plus forte » (M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, Le principe constitutionnel de

l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, D. 2000, chron., p. 361 et s., n°11). Au niveau

Page 24: L'efficacité des garanties personnelles

au service de l’efficacité économique. Le droit est un « outil » ou, plus poétiquement

une « fée » 57, ayant pour objectif de favoriser les échanges les plus fructueux58.

42. Les critiques adressées à la recherche de l’efficacité par la doctrine

civiliste. Cette conception instrumentale de la règle de droit et la poursuite de

l’objectif d’efficacité par le législateur et par les juges ne sont pas défendues avec la

même vigueur dans les pays de droit civil. Bien au contraire, la recherche de

l’efficacité par le droit y est plutôt considérée comme suspecte, voire comme

dangereuse, car elle impliquerait, d’une part, la standardisation du droit et, d’autre

part, la négation de valeurs juridiques fondamentales. Ces critiques paraissent tout à

fait excessives.

43. La recherche de l’efficacité n’implique pas la standardisation du

droit. En premier lieu, il est reproché à la recherche de l’efficacité de traduire « une

conception taylorienne de l’application du droit selon laquelle il y aurait une

manière et une seule permettant de rendre le droit efficace»59. La poursuite de

l’objectif d’efficacité par le droit aurait ainsi pour conséquence d’imposer des

modèles d’efficacité. Modèle concernant le degré d’impérativité des normes : « les

normes réglementaires injonctives deviennent, dans une perspective d’efficacité, le

modèle dominant »60. Modèle concernant aussi le règlement des litiges, puisque la

recherche de l’efficacité du droit impliquerait « la substitution à l’espace

juridictionnel d’espaces de négociation, c'est-à-dire d’espaces où la question du

résultat attendu prime sur la confrontation des règles »61.

formel, l’instrumentalisation du droit se traduit par l’explicitation des buts de la loi. La

formulation des objectifs cesse d’être l’apanage des travaux préparatoires, et elle accède à une

certaine normativité, en éclairant l’interprétation à donner à la règle de droit et en produisant

des effets sociaux (en ce sens, cf. N. MOLFESSIS, La distinction du normatif et du non

normatif, RTD civ. 1999, p. 734).

Sur la conception instrumentale de la règle de droit, cf. notamment M.-A. FRISON-ROCHE,

L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions, critères, typologie, LPA 28

décembre 2000, n°259, p. 4 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système

juridique de l’analyse économique du droit, Cycle de conférences « Droit, Economie,

Justice », 2004 ; B. OPPETIT, Les tendances régressives dans l’évolution du droit

contemporain, Mélanges D. Holleaux, Litec, 1990 ; B. OPPETIT, Droit et économie, APD,

t. 37, Sirey, 1992, p.17 et s. ; F. RANGEON, Réflexions sur l’effectivité du droit, in Les

usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et politiques de

Picardie, PUF, 1989, p. 127 57 F. GRUA, La fée et l’horloge, RTD civ. 2001 : « il faut distinguer une force qui pousse et

une force qui tire. L’origine du texte peut résider dans l’effet qu’on en attend, comme l’on

fabrique un outil. Le point de départ de la logique est extérieur au droit proprement dit,

puisque la règle cherche à adapter le droit à la réalité sociale. Parfois la loi n’est pas

imposée par un résultat à atteindre, mais par un sens à suivre. Quand le droit s’élabore pour

produire un résultat et transformer des désirs en réalité, il est fée. Quand il met en place des

rouages pour imprimer des directions, il devient horloge ». 58 Sur la définition parétienne de l’efficacité retenue par les principaux courants de l’analyse

économique du droit, cf. supra n°17 59 En ce sens, cf. F. RANGEON, art. préc., p. 132 60 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, Théories et pratiques de l’effectivité du Droit, Droit et

société 1986, p. 121 61 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, ibid., p. 121

Page 25: L'efficacité des garanties personnelles

Cette crainte de l’asservissement du droit à un « modèle idéal d’efficacité

»62 est certainement infondée, car la recherche de l’efficacité consiste à choisir la

structure et le contenu de la réglementation, ainsi que le mode de règlement des

litiges, en fonction des conditions juridiques de l’efficacité. Or, si certaines de ces

conditions sont communes à l’ensemble des mécanismes juridiques, d’autres sont au

contraire propres à chacun d’eux63. La recherche de l’efficacité conduit ainsi à

élaborer un modèle d’efficacité pour chaque objet réglementé, et non à imposer un

modèle unique d’efficacité. Elle n’implique donc pas la standardisation du droit.

44. La recherche de l’efficacité n’implique pas la négation de valeurs

juridiques fondamentales. En second lieu, la poursuite de l’objectif d’efficacité par

le droit est décriée, car elle contreviendrait à des valeurs juridiques fondamentales64.

Cette critique repose sur le syllogisme suivant.

La recherche de l’efficacité consiste à favoriser la « Pareto optimalité ».

La poursuite de l’objectif d’efficacité économique au sens de Pareto porte

atteinte à des valeurs juridiques fondamentales.

Donc, la recherche de l’efficacité implique la négation de valeurs juridiques

fondamentales.

Aucune des propositions de ce raisonnement n’emporte la conviction.

Tout d’abord, la recherche de l’efficacité révèle certes une conception

instrumentale de la règle de droit, c'est-à-dire la mise au premier plan du but dans la

formation du droit, mais en aucun cas la préférence absolue pour un but particulier.

Il est réducteur de limiter la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit à la

recherche de la « Pareto optimalité ». Non seulement l’efficacité économique n’est

pas un objectif uniforme (à l’égard des contrats unilatéraux, elle s’exprime par la

protection des intérêts financiers de l’unique créancier, alors que dans le cadre des

62 F. RANGEON, art. préc., p. 132 63 Au sein des conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles (cf. 1ère Partie),

celles qui concernent, plus largement, tous les mécanismes juridiques ont trait aux qualités

formelles du droit (notamment la clarté, la cohérence, la stabilité). Les conditions d’efficacité

propres aux garanties personnelles se rattachent, quant à elles, à leur fonction de protection

des intérêts financiers des créanciers (l’efficacité objective des garanties personnelles dépend

de l’intervention du législateur et des juges en faveur de ces intérêts pécuniaires, sous la

forme de mesures directement protectrices ou même de contraintes. Leur efficacité subjective

exige, par contre, que les créanciers puissent user de la liberté contractuelle pour adapter la

garantie à leur besoin de protection) et à leurs caractéristiques techniques (les règles de droit

doivent notamment tenir compte du caractère accessoire ou indépendant de la garantie, de la

cause de l’obligation de couverture du garan). 64 Sur cette critique, cf. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit,

dirigé par A.-J. ARNAUD, LGDJ, 1993, v° Effectivité, par P. LASCOUMES, n°4 ;

B. LEMENNICIER, Economie du droit, Cujas, 1991, p. 24 ; M. FONTAINE, Fertilisations

croisées du droit des contrats, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 347 et s., n°7 ; M.-A.

FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit,

Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 ; P. LASCOUMES et E.

SERVERIN, art. préc., p. 122 ; M. LOMBARD, De Colbert à Posner : malentendus sur

l’économie du droit, International Law FORUM du droit international, 2004 ;

E. MACKAAY, Le juriste a-t-il le droit d’ignorer l’économiste ?, RRJ 1987-2, p. 419 et s. ;

F. RANGEON, art. préc., p. 127

Page 26: L'efficacité des garanties personnelles

contrats synallagmatiques, elle se manifeste par l’échange le plus fructueux65 ; en

matière délictuelle, elle consiste à orienter la charge des risques vers ceux qui

peuvent les prévenir, les assumer, ou les assurer au moindre coût66), mais surtout il

est loin d’être le seul que le droit se voit assigner67. Des branches entières du droit,

comme le droit extrapatrimonial de la famille, ne sont pas commandées par des fins

de nature économique. Cela n’empêche cependant pas de rechercher leur

efficacité68.

Ensuite, l’objectif d’efficacité économique n’est pas nécessairement

incompatible avec d’autres finalités, telles que la justice, l’éthique, la liberté,

l’égalité ou l’ordre. Il sera ainsi démontré que la protection des intérêts patrimoniaux

des créanciers peut être conciliée avec ces impératifs fondamentaux que sont la

justice et l’éthique contractuelles, et qu’elle peut même être favorisée par le respect

de valeurs, telles que la loyauté, la solidarité, la tempérance ou la sécurité

juridique69.

Si la recherche de l’efficacité est qualifiée péjorativement

d’« utilitariste »70, de « gestionnaire »71, c’est donc parce qu’une confusion

injustifiée est opérée entre cette recherche et la poursuite de l’objectif d’efficacité

65 Cf. supra n°17 66 L’analyse économique du droit dépeint ainsi la responsabilité comm un système ayant pour

mission de minimiser la somme des coûts des accidents et de leur prévention (cf. E.

MACKAAY, Le droit relatif aux accidents : une interprétation économique, Rev. jurid.

Thémis 15, 1980-1981, p. 383 ; E. MACKAAY, L’analyse économique du droit dans les

systèmes civilistes, Colloque international de Nancy 2 des 28 et 29 juin 2000 ). 67 Les philosophes et théoriciens du droit sont parvenus à établir des catégories de fins que le

droit est susceptible de poursuivre. M. VILLEY (Philosophie du droit, Définitions et fins du

droit, t. 1, Précis Dalloz, 4e éd., 1986, p. 47 et s.) retient que le Droit a quatre finalités, non

exclusives les unes des autres : la justice, la bonne conduite, le service des hommes et le

service de la société. B. OPPETIT (Philosophie du droit, Précis Dalloz, 1999, n°17 à 20)

regroupe ces fins en trois rubriques (comportant elles-mêmes nombre de variantes) : la justice,

les fins individuelles et les fins collectives. J.-L. BERGEL (Théorie générale du droit, Dalloz,

Coll. Méthodes du droit, 1999, n° 23 à 29) considère que les divers systèmes juridiques sont

toujours confrontés à deux grandes alternatives : justice ou utilité ; individualisme ou

collectivisme. 68 En ce sens, cf. C. OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et

efficacité des sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous la direction d’Y. LEQUETTE,

n°3 : « l’efficacité dispose d’un sens neutre et peut s’appliquer dans n’importe quel domaine

non économique. L’approche de l’efficacité dépend de la nature des finalités poursuivies. Si

elles sont économiques et productives, la transposition de l’efficacité au droit

instrumentalisera, en effet, l’approche des normes juridiques. Mais si la finalité poursuivie

par la norme est la recherche d’une plus grande justice ou de l’équité, l’appréciation de

l’efficacité de la norme mesurera la capacité de celle-ci à atteindre cet objectif. Apprécier le

droit en terme d’efficacité n’est pas le rabaisser à un simple outil vulgaire dénué de toute

dimension symbolique : le droit poursuit des finalités diverses, comme la justice, l’ordre, la

liberté ou l’égalité, et dès lors qu’existe une finalité, un objectif, il est légitime de s’interroger

sur l’aptitude de la norme choisie à l’atteindre ». 69 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité et les principes directeurs du contrat, cf. infra

n°117 à 172. Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité et le principe de sécurité juridique,

cf. infra n°177 à 236 70 F. RANGEON, art. préc., p. 127 71 P. LASCOUMES et E. SERVERIN, art. préc., p. 122 ; F. RANGEON, ibid., p. 127

Page 27: L'efficacité des garanties personnelles

économique. Et si cette recherche est accusée de faire perdre au droit ses valeurs, et

même de faire reculer l’Etat de droit, c’est parce que l’objectif d’efficacité

économique est considéré, à tort, comme incompatible avec la promotion, par le

droit, de valeurs morales et symboliques.

45. La nécessaire recherche de l’efficacité des garanties personnelles. La

poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit n’a donc pour corollaire, ni la

standardisation du droit, ni la négation de valeurs juridiques fondamentales. Elle

implique simplement que le législateur et les juges favorisent l’accomplissement de

la fonction des mécanismes juridiques, ainsi que la réalisation des attentes

subjectives des sujets de droit. Dans ces conditions, la recherche de l’efficacité ne

devrait pas être fustigée. Elle devrait plutôt être encouragée, particulièrement

lorsqu’un mécanisme ne remplit plus la fonction pour laquelle il est conçu et les

finalités qui lui sont assignées, et qu’il est dès lors question de le réformer.

Une reconstruction du droit des garanties personnelles, orientée par la

recherche de leur efficacité, mérite ainsi d’être défendue à l’heure où leur réforme

est plus que jamais d’actualité72. Afin de dissiper les dernières réserves qui

pourraient entourer la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit et de démontrer,

au contraire, la pertinence de cette recherche de l’efficacité pour sortir les garanties

personnelles de la crise qu’elles traversent, il convient désormais de présenter les

principales caractéristiques de la reconstruction préconisée.

B/ LA RECONSTRUCTION DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES

DICTEE PAR LA RECHERCHE DE L’EFFICACITE

46. La structure de la reconstruction : un régime primaire complété par

des règles spéciales. Pour faire cesser la logique de substitution et l’inefficacité des

garanties personnelles innomées qui en découle, le législateur ne devrait plus

réglementer le seul cautionnement, mais réformer globalement le droit des garanties

personnelles.

Plutôt que de réduire la diversité actuelle des garanties personnelles, en

interdisant de manière générale certaines d’entre elles, ce qui entraverait la

réalisation des attentes subjectives des bénéficiaires et ne ferait qu’encourager de

nouveaux contournements, le législateur devrait encadrer cette diversité, tout en

confortant les attraits propres des différentes garanties.

Pour ce faire, il devrait s’intéresser, tant aux caractéristiques que partagent

l’ensemble des garanties personnelles, qu’à leurs spécificités, et faire application du

principe de logique formelle selon lequel une identité de nature doit se traduire par

une identité de régime et des différences de nature par des différences de régime73.

Le nouveau droit des garanties personnelles reposerait alors sur un régime primaire

et sur des règles spéciales.

72 Sur le consensus doctrinal et politique en faveur d’une réforme du droit des garanties

personnelles, cf. supra n°1. Sur les nouvelles exigences communautaires relatives aux

« contrats de sûreté » conclus par un «garant consommateur», cf. infra n°745 et s. 73 Sur ce principe, cf. principalement J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de

régime, RTD civ. 1984, p. 255 et s., n°3 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz,

Coll. Méthodes du droit, 1999, n°192

Page 28: L'efficacité des garanties personnelles

47. L’efficacité du régime primaire. Un régime primaire présenterait de

multiples avantages en termes d’efficacité.

Il améliorerait, tout d’abord, la qualité formelle du droit des garanties

personnelles. Celui-ci gagnerait, en effet, en intelligibilité, en cohérence et en

prévisibilité.

En entravant la logique de contournement, le régime primaire pourrait, par

ailleurs, empêcher l’inefficacité liée à l’assimilation des garanties personnelles

jusqu’ici innomées à des substituts du cautionnement.

Enfin, sous réserve de reposer sur des critères de liaison suffisamment

généraux, les règles communes à toutes les garanties personnelles pourraient

immédiatement s’appliquer à des mécanismes encore non utilisés à cette fin. Cela

éviterait, non seulement l’inefficacité découlant de l’absence de réglementation

spéciale, mais aussi l’obsolescence rapide de la réforme, et donc l’inefficacité

résultant de l’instabilité des règles de droit.

48. L’efficacité des règles spéciales. Les règles spéciales pourraient, quant à

elles, supprimer l’inefficacité provenant de la lacune de la loi concernant les

garanties personnelles autres que le cautionnement.

En outre, grâce aux règles propres aux différentes catégories de garanties

personnelles, une véritable complémentarité entre ces mécanismes pourrait être

instaurée. Ce faisant, ils ne seraient plus choisis négativement, c'est-à-dire dans le

but d’éviter les défauts des autres garanties, mais positivement, c'est-à-dire en raison

des avantages qu’ils présentent au regard de la situation particulière des parties. Les

chances de satisfaction des attentes subjectives des créanciers nées lors de l’octroi de

crédit s’en trouveraient renforcées.

Enfin, les règles spéciales pourraient consacrer les spécificités imprimées par

les parties au contrat conclu et favoriser, par là même, la réalisation de la finalité

assignée à celui-ci.

49. Pour que le régime primaire et les règles spéciales puissent perfectionner

de la sorte le droit en vigueur et mettre ainsi un terme à la « crise d’efficacité »

actuelle, il convient de les faire reposer respectivement sur les caractéristiques

communes à l’ensemble des garanties personnelles et sur des caractéristiques

distinctives pertinentes.

50. Les caractéristiques des garanties personnelles fondant le régime

primaire. Au titre des caractéristiques partagées par toutes les garanties

personnelles figurent, d’une part, les effets qu’elles sont susceptibles de produire sur

la situation du créancier74 et sur celle du débiteur75 et, d’autre part, les moyens

74 Sur les effets de la seule constitution de la garantie personnelle et sur les effets de sa

réalisation, cf. supra n°21

La seule constitution de la garantie peut conférer au bénéficiaire un droit d’agir contre un

tiers, voire contre le débiteur principal lui-même (hypothèse de la solidarité passive). Cette

prérogative, qui anticipe le risque d’inexécution du débiteur, ne résulte pas du seul droit de

gage général de l’article 2092 du Code civil.

La réalisation de la garantie peut conduire au recouvrement de la créance principale et éviter

au bénéficiaire d’entrer en concours avec les autres créanciers du débiteur. 75 La seule conclusion de la garantie personnelle est susceptible d’augmenter les chances du

débiteur d’accéder au crédit ou de conserver celui déjà octroyé.

Page 29: L'efficacité des garanties personnelles

qu’elles mettent en œuvre pour protéger les intérêts financiers des créanciers, c'est-à-

dire leurs techniques de garantie76.

Les règles fondées sur les effets possibles des garanties personnelles pourraient

concerner d’autres mécanismes de garantie, qui sont susceptibles de conduire aux

mêmes résultats. Tel est notamment le cas des sûretés réelles classiques et des

sûretés reposant sur le droit de propriété. En revanche, les règles fondées sur les

techniques de garantie propres aux garanties personnelles ne devraient s’appliquer

qu’à celles-ci.

En conséquence, au sein du régime primaire, une distinction pourrait être

opérée entre les règles applicables aux seules garanties personnelles et les règles

pouvant être étendues à d’autres mécanismes de garantie.

51. Les caractéristiques des garanties personnelles fondant les règles

spéciales. S’agissant des différences séparant les garanties personnelles, elles sont

nombreuses et n’ont pas toutes la même portée normative. Il est donc nécessaire de

choisir des critères de différenciation appropriés au regard de l’objectif d’efficacité.

A cet égard, certaines distinctions déjà présentes en droit positif pourraient être

conservées. Des règles spéciales pourraient ainsi se rapporter aux seuls garants

personnes physiques77. D’autres pourraient être fondées sur l’objet de l’obligation de

règlement du garant et concerner uniquement, soit les garanties personnelles

accessoires, soit les garanties personnelles indépendantes78.

Un critère de distinction nouveau pourrait en plus être adopté. Il s’agit de la

cause de l’obligation de couverture du garant. Des règles spéciales seraient ainsi

justifiées par les raisons (cause efficiente) et les buts (cause finale) de l’engagement

du garant. Le garant non débiteur du débiteur principal, ne s’engageant pas pour

éteindre une dette préalable envers ce dernier, pourrait dès lors se voir appliquer un

corps de règles spécifiques. Le garant personne physique affectivement proche du

débiteur principal, ne s’engageant pas dans un but professionnel ou commercial,

pourrait également bénéficier d’un régime spécial, comme l’exige d’ailleurs la

proposition de directive communautaire du 11 septembre 2002 relative au crédit aux

consommateurs. Enfin, les garants personnes physiques ou morales octroyant des

garanties à titre professionnel, ou intégrés dans les affaires de l’entreprise débitrice,

pourraient encore être soumis à des règles particulières.

76 La première de ces techniques est l’obligation de garantir, composée de deux obligations :

l’obligation de couverture et l’obligation de règlement. La seconde technique de protection

des intérêts financiers du créancier est le caractère accessoire essentiel, qui est le lien

fondamental unissant la garantie personnelle au contrat principal. 77 Les dernières réformes du droit du cautionnement n’ont pas visé l’ensemble des cautions,

mais seulement les cautions personnes physiques. Cette dissociation entre les cautions

personnes morales et les cautions personnes physiques apparaît dans toutes les lois

d’influence consumériste : la loi du 31 décembre 1989 (article L. 313-9 du Code de la

consommation), la loi du 29 juillet 1998 (article 2016 alinéa 2 du Code civil ; article L. 341-1

du Code de la consommation ; article 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994) et la loi du

1er août 2003 pour l’initiative économique (articles L. 341-2 à L. 341-6 du Code de la

consommation). 78 L’objet de l’obligation de règlement du garant est le critère retenu par la Cour de cassation

pour distinguer la garantie autonome du cautionnement (Cass. com., 13 décembre 1994 : Bull.

civ. IV, n°375).

Page 30: L'efficacité des garanties personnelles

52. Le contenu de la reconstruction : les deux formes de protection des

intérêts du créancier. Aussi bien dans le régime primaire, que dans les différents

corps de règles spéciales proposés, la recherche de l’efficacité invite à conforter la

réalisation des attentes objectives et subjectives des bénéficiaires. Dans la réforme

globale du droit des garanties personnelles, cette protection des intérêts financiers

des créanciers devrait revêtir deux formes.

Comme l’on peut s’en douter, il convient, tout d’abord, d’instaurer des

protections directes, c'est-à-dire des règles immédiatement favorables aux

bénéficiaires79, qui fassent primer la fonction de garantie sur toute autre

considération, notamment sur le « caractère accessoire renforcé »80 du

cautionnement81, ou encore sur le souci de protéger les héritiers du garant82.

Il est par ailleurs nécessaire de mettre en place des protections indirectes,

c'est-à-dire d’imposer aux créanciers des contraintes utiles à l’efficacité de la

garantie conclue. Contrairement à une idée répandue, l’efficacité ne dépend pas, en

effet, que de mesures directement protectrices des créanciers et de la liberté

reconnue à ceux-ci de faire souscrire aux garants des engagements particulièrement

rigoureux. Certaines mesures coercitives, qui portent en apparence atteinte aux

droits des créanciers, renforcent, en réalité, l’efficacité de la garantie constituée, en

ce qu’elles rendent plus sûre la solvabilité du garant lors de l’appel de la garantie, ou

en ce qu’elles diminuent les risques de contestation de celle-ci. Tel est le cas de

l’obligation précontractuelle d’information portant sur la nature et la portée de

l’engagement du garant, de l’obligation d’information relative à l’encours de la dette

principale, ou encore de l’obligation d’information lors du premier incident de

paiement du débiteur. Les restrictions à la liberté de déterminer le montant et la

durée de l’engagement du garant sont également susceptibles de réduire les risques

d’insolvabilité de ce dernier et donc d’inefficacité de la garantie. L’exécution

volontaire du garant peut en outre être favorisée par les recours dont il dispose à

l’encontre du débiteur principal et donc par l’obligation imposée aux créanciers de

préserver le recours subrogatoire (bénéfice de cession d’actions). A condition de ne

protéger que les garants ayant besoin de l’être et d’être assorties de sanctions tout à

la fois dissuasives et proportionnées, ces diverses contraintes mises à la charge des

créanciers pourraient donc servir les intérêts de ceux-ci et devraient ainsi être

organisées à l’occasion de la reconstruction du droit des garanties personnelles

dictée par la recherche de l’efficacité.

79 La consécration du principe d’inopposabilité des exceptions en matière de garanties

personnelles indépendantes serait ainsi immédiatement favorable aux créanciers. 80 Nous proposons de distinguer le caractère accessoire essentiel, commun à toutes les

garanties personnelles et s’expliquant par le fait que la cause de l’obligation de règlement du

garant réside dans l’extinction de la dette principale, du caractère accessoire renforcé, propre

aux garanties personnelles dans lesquelles l’objet de l’obligation de règlement est emprunté à

l’objet de l’obligation principale. Sur cette distinction, cf. infra n°271, 279, 302 81 L’exclusion des causes d’extinction de la garantie découlant de la procédure collective ou

de surendettement du débiteur principal (notamment le défaut de déclaration de la créance et

la suspension des poursuites contre la caution personnelle personne physique pendant la

période d’observation et éventuellement les deux ans suivants) fournit une illustration de cette

primauté de la fonction de garantie. 82 La transmission de la garantie personnelle aux héritiers, sans distinction tenant à la date de

naissance de la dette principale, constituerait ainsi une protection directe des intérêts des

créanciers.

Page 31: L'efficacité des garanties personnelles

53. Plan de l’étude. Après avoir exposé les conditions juridiques de

l’efficacité des garanties personnelles (1ère Partie) et évalué, à la lumière de ces

conditions, l’efficacité de ces mécanismes de lege lata (2ème Partie), il sera donc

démontré que l’efficacité des garanties personnelles, de lege ferenda, est

essentiellement subordonnée à l’instauration d’une réglementation d’ensemble

stratifiée (un régime primaire complété par des règles spéciales), respectueuse des

droits des garants, tout en étant avant tout tournée vers la protection des intérêts des

créanciers (3ème Partie).

Page 32: L'efficacité des garanties personnelles
Page 33: L'efficacité des garanties personnelles

Première partie

LES CONDITIONS JURIDIQUES

DE L’EFFICACITÉ :

UNE GRILLE D’ANALYSE

54. L’efficacité est un objectif. L’efficacité n’est pas une qualité innée. Rien

n’est efficace en soi. L’adéquation entre les attentes objectives et subjectives

générées par un objet et les résultats que celui-ci produit est essentiellement

contingente pour deux raisons. D’une part, l’objet en question peut être privé de

certaines qualités indispensables à l’accomplissement de sa fonction ou à la

réalisation de la finalité qui lui est attribuée. D’autre part, des circonstances

extérieures à l’objet lui-même sont susceptibles d’entraver la conformité de ses

effets à sa fonction ou à sa finalité. Ces incertitudes expliquent que l’efficacité

n’existe pas nécessairement et qu’elle ne soit, par conséquent, qu’un objectif.

L’efficacité des garanties personnelles ne déroge pas à la règle. Divers

obstacles peuvent, en effet, empêcher la seule constitution ou la réalisation de la

garantie d’accroître la sécurité patrimoniale des créanciers. L’efficacité des garanties

personnelles est surtout rendue incertaine par la propension des garants à se

soustraire à leur engagement et par les échappatoires que leur offrent les textes et la

jurisprudence83. C’est donc parce que les garants ont toujours eu tendance à se délier

de leurs obligations84 et parce que le législateur et les juges manifestent, de manière

chronique, le souci de ménager le sort de ces garants, que l’efficacité des garanties

personnelles n’est pas une certitude, mais seulement un objectif.

83 Sont des échappatoires les interdictions légales d’appeler le garant en paiement,

temporaires ou définitives, les causes de réduction, voire d’extinction, de l’engagement du

garant, ainsi que les délais accordés à celui-ci par la loi ou les juges. 84 L’explosion du contentieux en matière de cautionnement depuis une vingtaine d’années ne

doit pas laisser croire que cette propension est propre à l’époque contemporaine. Depuis aussi

longtemps que les garanties personnelles existent, leur efficacité est entravée par le penchant

des garants à contester leurs obligations. Un chapitre entier du Livre des Proverbes de

l’Ancien Testament, recensant les maximes de comportement prônées par le roi Salomon,

décrit déjà cette inclination (cf. notamment les proverbes, 6, 1-5 : « Mon fils, si tu t’es porté

garant envers ton prochain, si tu as topé dans la main en faveur d’un étranger, si tu t’es lié

par les paroles de ta bouche, si tu es pris aux paroles de ta bouche, fais donc ceci, mon fils,

pour te tirer d’affaire, puisque tu es tombé aux mains de ton prochain : Va prosterne-toi,

importune ton prochain, n’accorde ni sommeil à tes yeux ni repos à tes paupières, dégage-toi,

comme du filet la gazelle, ou comme l’oiseau de la main de l’oiseleur »).

Page 34: L'efficacité des garanties personnelles

55. L’efficacité se construit. L’efficacité ne relève donc pas de l’inné, mais

bien plutôt de l’acquis. Elle s’obtient au prix d’une construction. Pour que les effets

engendrés par un objet donné soient en adéquation avec sa raison d’être et avec les

buts particuliers qui lui sont assignés, il est nécessaire de mettre en œuvre des

moyens divers pour éviter les obstacles susceptibles d’entraver cette adéquation. Des

conditions doivent donc être réunies pour déjouer la contingence naturelle de

l’efficacité et augmenter, au contraire, sa probabilité. Ainsi, les mécanismes

juridiques ne peuvent être efficaces, qu’à la condition que le droit qui s’y rapporte

remplisse certaines conditions.

56. L’utilité de la mise au jour des conditions juridiques de l’efficacité.

Avant de proposer une réforme du droit applicable à un mécanisme ne donnant pas

pleinement satisfaction, il importe de découvrir les conditions juridiques de son

efficacité, en faisant abstraction des règles légales et jurisprudentielles en vigueur.

La mise au jour de ces conditions fournit, en effet, une grille d’analyse du

mécanisme lui-même et des règles le concernant, au regard de laquelle peut être

appréciée son efficacité de lege lata. Cette évaluation du droit positif à l’aune des

conditions juridiques de l’efficacité permet de distinguer les solutions qui, à

l’occasion de la réforme, mériteraient d’être conservées de celles qui, à l’inverse,

devraient être modifiées, voire supprimées. La mise en lumière des conditions

juridiques de l’efficacité est donc nécessaire pour réaliser une réforme qui améliore

le droit existant et permette ainsi au mécanisme réglementé de répondre plus

sûrement aux attentes qu’il occasionne. Dans la perspective de reconstruire le droit

des garanties personnelles et de remédier, par là même, à la crise qu’elles traversent,

il est donc particulièrement important de préciser à quelles conditions la loi et la

jurisprudence peuvent rendre ces garanties efficaces, aussi bien in abstracto qu’in

concreto.

57. Les deux conditions juridiques de l’efficacité des garanties

personnelles. L’efficacité des garanties personnelles est subordonnée à la réunion

de deux conditions générales et complémentaires. En premier lieu, le législateur et

les juges doivent avoir pour objectif de rendre les garanties personnelles efficaces

(Titre 1). En second lieu, le contenu des règles qu’ils adoptent doit être en

adéquation avec cet objectif d’efficacité (Titre 2).

Page 35: L'efficacité des garanties personnelles

TITRE I

LA POURSUITE DE L’OBJECTIF

D’EFFICACITÉ PAR LE DROIT

DES GARANTIES PERSONNELLES

58. Pour que les garanties personnelles puissent satisfaire les attentes

objectives et subjectives des bénéficiaires, il est indispensable que les textes et les

décisions judiciaires les concernant soient élaborés en vue de leur efficacité. Des

précisions doivent être apportées sur cette première condition juridique de

l’efficacité des garanties personnelles, car la poursuite de l’objectif d’efficacité par

le droit est loin d’être uniforme, d’une part, et pleinement acceptée dans notre

système juridique, d’autre part. Cette recherche de l’efficacité suscite, en effet, des

interrogations (comment se traduit-elle à l’égard d’un mécanisme juridique

déterminé ?) et même des craintes (ne risque-t-elle pas de contrevenir à certaines

valeurs juridiques fondamentales ?). Afin de dissiper les incertitudes, voire les

malentendus, qui pourraient entourer la condition sine qua non de l’efficacité des

garanties personnelles, il convient de présenter d’abord l’implication du droit des

garanties personnelles dans la construction de leur efficacité (Chapitre 1) et

d’exposer ensuite l’articulation entre l’objectif d’efficacité et les principes directeurs

du contrat (Chapitre 2).

Page 36: L'efficacité des garanties personnelles
Page 37: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE I

L’IMPLICATION DU DROIT

DANS LA CONSTRUCTION DE L’EFFICACITÉ

59. Une garantie personnelle efficace peut être comparée à un refuge mettant

le créancier à l’abri du danger que représente la défaillance du débiteur principal. De

la même façon qu’un refuge ne peut être protecteur que s’il est bâti selon certaines

normes et avec certains matériaux, une garantie personnelle ne peut être efficace que

si des moyens à même de satisfaire les attentes objectives et subjectives des

créanciers sont mis en œuvre. L’efficacité des garanties personnelles repose donc sur

la réunion de divers facteurs (Section 1).

En s’intéressant au rôle que peuvent jouer le législateur et les juges dans

l’apparition de ces facteurs d’efficacité, les degrés d’implication du droit dans la

construction de l’efficacité peuvent être mis au jour et les manifestations de la

poursuite de l’objectif d’efficacité, dans le domaine particulier des garanties

personnelles, peuvent ainsi être précisées (Section 2).

SECTION 1 : LES FACTEURS D’EFFICACITÉ

60. Tout objet, toute action, engendre des espérances. Certaines sont

objectives, c'est-à-dire communes à toutes les personnes placées dans une même

situation. Elles résultent de la fonction de l’objet utilisé ou de l’action entreprise85.

D’autres attentes sont subjectives. Elles sont nourries par une personne déterminée,

s’expliquent au vu de la spécificité de la situation de celle-ci, et forment la finalité

particulière assignée à la chose ou à l’action envisagée86.

Pour qu’un objet ou une action soit efficace, ses effets doivent être conformes à

toutes les attentes qu’il génère, tant objectives que subjectives. Comme l’efficacité

se construit, il est donc nécessaire de mettre en œuvre des moyens qui tendent aussi

bien vers l’efficacité in abstracto, que vers l’efficacité in concreto.

85 Pour de plus amples développements sur les attentes objectives et l’efficacité in abstracto,

cf. supra n°11 86 Pour de plus amples développements sur les attentes subjectives et l’efficacité in concreto,

cf. supra n°12

Page 38: L'efficacité des garanties personnelles

Poursuivre l’objectif d’efficacité des garanties personnelles exige ainsi de

favoriser, d’une part, les facteurs concourant à la satisfaction de l’attente commune à

tous les bénéficiaires de garanties personnelles, à savoir le paiement de la dette

principale (§1) et, d’autre part, les facteurs conduisant à la réalisation des attentes

subjectives des créanciers, relatives aux modalités et au coût de la protection des

intérêts économiques de ces derniers (§2).

§1 : LES FACTEURS D’EFFICACITE OBJECTIVE

61. L’efficacité objective se définit par la réalisation d’une fonction. Les

garanties personnelles ayant pour raison d’être d’accroître la sécurité patrimoniale

des bénéficiaires, leur efficacité in abstracto réside dans la protection des intérêts

financiers des créanciers87. Pour pouvoir parler de l’efficacité objective des garanties

personnelles, cette protection doit résulter des effets produits par ces garanties elles-

mêmes. Mais, le paiement peut procéder aussi bien des effets de la réalisation des

garanties personnelles, que des effets de leur seule constitution.

En conséquence, l’accomplissement de la fonction de ces garanties peut

être favorisé par deux types de facteurs : des facteurs déclenchant la satisfaction du

créancier par la seule conclusion du contrat de garantie, c'est-à-dire des facteurs

incitant un tiers à payer la dette principale (A) et, par ailleurs, des facteurs

concourant à l’exécution du garant, à la suite de l’appel de la garantie (B).

A/ LES FACTEURS CONCOURANT AU PAIEMENT DE LA DETTE

PRINCIPALE PAR UN TIERS AU CONTRAT DE GARANTIE

62. Une garantie personnelle est efficace, indépendamment de sa réalisation,

dès lors que sa seule existence incite un tiers au contrat de garantie à payer la dette

principale. Le tiers en question peut être, soit le débiteur garanti, soit un cessionnaire

de la créance principale. Divers facteurs peuvent inciter le débiteur à exécuter lui-

même ses obligations (1) et un tiers à se porter cessionnaire de la créance principale

(2). Ces facteurs méritent particulièrement d’être encouragés, car il est fondamental

que l’extinction de la dette principale, sans mise en œuvre de la garantie, qui en

constitue l’accessoire, demeure le principe. Le contraire sonnerait le glas de la force

obligatoire du contrat, de son attribut qu’est le droit de gage général, et des

mécanismes de garantie eux-mêmes88.

1. Les facteurs incitant le débiteur principal à exécuter ses obligations

Deux facteurs sont susceptibles d’inciter le débiteur principal à exécuter ses

obligations envers le créancier89.

87 Pour de plus amples développements sur la définition de l’efficacité objective des garanties

personnelles, cf. supra n°22 88 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°736 : « le paiement par la caution doit constituer, sous

peine de mort de l’institution, l’exception ». 89 Sur le caractère comminatoire des sûretés, cf. L. AYNES, Les garanties du financement,

Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s., n°3 ; C. GINESTET, La qualification des sûretés,

Defrénois 1999, article 36927, p. 80 à 92 et article 36940, p. 203 à 215, n°8

Page 39: L'efficacité des garanties personnelles

63. La qualité du garant. En premier lieu, le caractère comminatoire de la

garantie personnelle peut s’expliquer par la qualité du garant. Tous les garants

peuvent inciter le débiteur principal à honorer ses engagements, mais pour des

raisons différentes selon la catégorie à laquelle ils appartiennent.

S’agissant des garants professionnels, que sont essentiellement les banques, les

établissements de crédit spécialisés, les compagnies d’assurance et les sociétés de

caution mutuelle, ils peuvent augmenter les chances d’exécution par le débiteur en

veillant à la capacité financière de ce dernier, sur laquelle ils disposent d’amples

informations. Le cas échéant, ils peuvent également s’assurer que les capacités

techniques du débiteur sont suffisantes pour accomplir la prestation en nature

promise au créancier. Cela suppose que le garant professionnel soit lui-même

spécialisé dans le domaine dans lequel intervient le débiteur90. Par ailleurs, les

garants professionnels, en plus de la rémunération qu’ils perçoivent du débiteur lors

de la conclusion de la garantie personnelle et qui équivaut à un pourcentage de la

dette garantie91, peuvent imposer aux débiteurs le remboursement d’une somme

correspondant à un pourcentage de ce qu’ils sont amenés à payer au créancier92.

Pour éviter la mise en jeu de cette clause pénale, les débiteurs principaux peuvent

s’efforcer d’éteindre eux-mêmes leur dette. Enfin, les garants professionnels exigent

fréquemment des contregaranties93. Afin d’échapper à leur réalisation, les débiteurs

principaux sont, là encore, incités à exécuter eux-mêmes leurs obligations.

Lorsque le garant est intégré dans les affaires du débiteur, il peut également

convaincre ce dernier d’exécuter lui-même ses obligations. Ici, le caractère

comminatoire de la garantie personnelle s’explique par les pouvoirs de contrôle,

90 En France, les organismes de garantie mutuelle et, plus généralement, ceux qui accordent

une garantie financière, contrôlent les comptes du débiteur. Par ailleurs, les cautions

professionnelles spécialisées dans certains types de garantie, comme la construction de

maisons individuelles, mais aussi les crédits de TVA, peuvent exercer une pression technique

sur le débiteur : elles examinent le dossier, la situation du débiteur ; elles peuvent le conseiller

dans sa gestion, surveiller l’évolution de son endettement. Aux USA, les compagnies

d’assurance qui cautionnent les entreprises de construction immobilière auprès des maîtres

d’œuvre interviennent dans le contrat principal pour contrôler l’entrepreneur et prévenir les

risques d’inexécution (cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°42, 44). 91 Le jeu de la concurrence bancaire, dans les années 1980, a conduit les établissements de

crédit à diminuer les commissions réclamées aux débiteurs (de 1,5 à 2,5% de la dette garantie

autrefois ; de 0,2 à 1,5% de la dette garantie aujourd'hui) et à les percevoir plutôt

forfaitairement, lors de la conclusion du contrat de garantie, qu’annuellement.

Les établissements de crédit ne sont pas les seuls à exiger une rémunération. Au sein des

groupes de sociétés, la pratique est répandue de stipuler une commission, versée par la société

débitrice principale, alignée sur les tarifs des banques. Cet alignement est dépourvu de

réalisme car les tarifs reposent sur une mutualisation des risques que l’on n’observe pas dans

les groupes de sociétés, même si les cautionnements y sont fréquents (en ce sens, cf.

H. HOVASSE, Les cautionnements donnés par les sociétés et l’objet social, in Sûretés et

garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 76 et s.). 92 Dans les garanties de bonne fin des prêts hypothécaires notariés, une clause pénale de 5%

des sommes payées au créancier est ainsi fréquemment stipulée (cf. M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°44). 93 Cf. A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE, n°59 à

65 (sur les garanties de l’indemnisation en matière de garantie autonome) ; n°271 à 314 (sur

les expressions de l’autonomie au sein d’un groupe de garanties) ; Ph. DELEBECQUE,

Garanties et contre-garanties, Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 91 et s.

Page 40: L'efficacité des garanties personnelles

voire de direction, qu’exerce le garant à l’encontre du débiteur. De tels pouvoirs se

rencontrent entre les mains des dirigeants de droit ou seulement de fait de la société

débitrice, mais aussi au bénéfice d’une société-mère ou d’une société-soeur94. Selon

l’intensité avec laquelle ces pouvoirs sont exercés, le débiteur est plus ou moins

incité à satisfaire le créancier et, par conséquent, les chances que la garantie

personnelle soit efficace, grâce à sa seule constitution, sont plus ou moins sérieuses.

S’agissant, enfin, des garants affectivement proches du débiteur principal,

ils peuvent aussi faire pression sur ce dernier pour qu’il s’acquitte de ses obligations.

Le pouvoir exercé par le garant est alors d’ordre psychologique. Il est indubitable

qu’il peut être autant, voire plus contraignant, qu’un pouvoir de nature juridique95.

La pression morale peut également conduire le débiteur à s’exécuter, sans que le

garant ne l’y incite expressément. C’est le cas lorsque le débiteur, personne

physique, souhaite éviter à un parent ou à un ami les désagréments de l’appel de la

garantie96. C’est alors la même logique que celle qui préside à l’exécution du

débiteur, lorsque celui-ci veut éviter que la mise en œuvre d’une garantie réelle ne le

prive d’un bien qui lui est particulièrement utile ou auquel il est spécialement

attaché.

Que le garant s’engage à titre professionnel, qu’il soit intégré dans les

affaires du débiteur principal, ou qu’il soit affectivement proche de ce dernier, il

peut donc inciter le débiteur à honorer son engagement à l’égard du créancier. D’une

catégorie de garants à une autre, seuls varient les modes d’influence. Il est possible

d’en déduire que la qualité du garant est toujours un facteur d’efficacité concourant

à l’exécution de ses obligations par le débiteur principal.

64. L’efficacité des recours du garant contre le débiteur principal. Il

existe un second facteur incitant le débiteur à éteindre lui-même la dette principale

et contribuant, par là même, à l’efficacité objective de la garantie personnelle par sa

seule constitution. Il s’agit de l’efficacité des recours, que le garant peut exercer

contre le débiteur principal, avant comme après le paiement du créancier.

En premier lieu, la crainte d’être l’objet d’un recours avant paiement peut

encourager le débiteur à exécuter ses obligations97. Plutôt que de voir une partie de

son patrimoine affectée d’une mesure conservatoire ou grevée de sûretés, pour

garantir le recours après paiement, ou plutôt que de devoir indemniser le garant du

94 « Par cette position, la caution acquiert des possibilités de direction et de pression sur le

débiteur, pour l’inciter à payer à l’échéance. Le créancier a des visées différentes d’un simple

accroissement de la surface financière répondant de la dette : cette considération paraît

même passer au dernier rang après les autres » (Ch. MOULY, Les causes d’extinction du

cautionnement, Litec, 1979, n°338). 95 Sur le caractère déterminant de l’élément psychologique, cf. Ph. MALAURIE et

L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°108 96 La pression morale existait, à l’époque romaine, dans le cadre du clientélisme. « Un patron

pouvait ainsi garantir des centaines de débiteurs ; mais il était hors de question qu’une mise

en demeure lui soit adressée, tant le débiteur s’échinait à éviter l’opprobre que cette mesure

aurait suscité » (M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°44, citant eux-mêmes

J. MACQUERON, Le cautionnement, moyen de pression dans la pratique contemporaine de

Cicéron, annales fac. Droit Aix-en-Provence, t. L, 1958, p. 101 à 132). 97 Sur l’effet incitatif du recours avant paiement, cf. D. LEGEAIS, n°276 ; Ph. MALAURIE

et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°166 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°154

Page 41: L'efficacité des garanties personnelles

risque de paiement qu’il lui fait courir98, le débiteur principal peut préférer multiplier

les efforts pour remplir son engagement auprès du créancier. Le recours avant

paiement ne peut présenter un tel caractère comminatoire que s’il est effectivement

ouvert au garant et ce, en de multiples circonstances, et seulement si les conditions

de son exercice ne sont pas trop contraignantes pour le garant.

La crainte du recours en remboursement peut également être à l’origine de

l’exécution du débiteur principal et constituer, ce faisant, un facteur d’efficacité des

garanties personnelles. Si le remboursement ne se limite pas au montant de la dette

principale et qu’il comprend, en outre, les frais engagés par le garant pour exécuter

ses obligations, les intérêts à partir de son paiement, et les dommages et intérêts pour

réparer, le cas échéant, le préjudice causé par l’exécution, il oblige le débiteur à

verser au garant une somme plus élevée que celle due au créancier lors de

l’exigibilité de la dette principale. Dans ce cas, le recours présente un caractère

contraignant et le débiteur est incité à l’éviter en exécutant ses obligations. Il en va

tout autrement si l’exercice du recours n’emporte pas une augmentation notable du

montant à payer. Le débiteur peut alors avoir intérêt à être défaillant envers le

créancier, afin que la procédure de recouvrement engagée par le garant lui fasse

gagner du temps pour acquitter ses obligations. A fortiori, le débiteur n’a aucun

intérêt à satisfaire le créancier, s’il sait qu’il paiera moins entre les mains du garant,

voire qu’il ne paiera rien, en raison d’une paralysie du recours en remboursement.

Pour que le débiteur redoute un tel recours, il est donc nécessaire que celui-ci puisse

être effectivement exercé, et qu’il puisse conduire au remboursement de toutes les

sommes que le garant a dû débourser à l’occasion de l’opération de garantie.

Autrement dit, pour que le débiteur soit incité à exécuter ses obligations, et pour que

la garantie personnelle soit ainsi efficace par sa seule constitution, la garantie

conclue doit offrir au garant un recours en remboursement lui-même efficace.

65. Le débiteur n’est pas le seul tiers au contrat de garantie susceptible

d’éteindre la dette principale. Cette extinction peut également être le fait d’un

cessionnaire de la créance principale.

2. Les facteurs incitant un tiers à devenir cessionnaire de la créance principale

66. La protection des intérêts du créancier par la cession de la créance

principale. Lorsque le créancier cède, à titre onéreux, sa créance contre le débiteur

principal à un tiers, le cessionnaire, il ne risque plus de souffrir de l’inexécution de

son débiteur. En effet, cette créance est payée, non par le débiteur cédé, mais par le

nouveau créancier (cessionnaire).

Au premier abord, la protection des intérêts du créancier initial (cédant et

bénéficiaire de la garantie personnelle) paraît uniquement imputable à la cession de

créance. En conséquence, seule l’efficacité de cette cession devrait être envisagée. Il

est cependant possible de considérer l’efficacité de la garantie personnelle conclue si

sa seule existence encourage le tiers à devenir cessionnaire de la créance principale.

98 La mise en œuvre de mesures de sauvegarde, d’une part, l’indemnisation anticipée, d’autre

part, sont les deux objets que la doctrine reconnaît au recours avant paiement de la caution.

Pour de plus amples développements sur l’objet reconnu au recours avant paiement par le

droit positif, cf. infra n°419-423

Page 42: L'efficacité des garanties personnelles

67. La transmissibilité de la garantie personnelle. Cet effet incitatif ne

peut exister que si la garantie personnelle est transmise avec la créance garantie. A

défaut, l’extinction de la dette du débiteur à l’égard du créancier cédant ne pourrait

être imputée aux effets de la garantie personnelle elle-même, et l’on ne pourrait donc

parler de l’efficacité de celle-ci. La transmissibilité de la garantie personnelle avec la

créance garantie est donc un facteur d’efficacité en ce qu’elle peut inciter un tiers à

acquérir cette créance.

En revanche, comme il n’entre pas dans la fonction des garanties

personnelles d’apporter une satisfaction financière au créancier en dehors de

l’extinction de la dette principale99, le transfert de la garantie personnelle

indépendamment de celui de la créance garantie ne peut figurer parmi les facteurs

d’efficacité.

68. Si la transmissibilité de la garantie personnelle avec la créance garantie

est indispensable pour que la seule existence de la garantie incite un tiers à se porter

cessionnaire, d’autres facteurs ne sont que souhaitables. Plus ils sont nombreux, plus

grandes sont les chances que la créance garantie soit rachetée et que la garantie

personnelle soit efficace par sa seule constitution. Les autres facteurs dont il est

question sont, logiquement, ceux que nous avons déjà présentés, à savoir les facteurs

conduisant à l’extinction de la dette principale par le débiteur lui-même, et ceux que

nous allons maintenant exposer, c'est-à-dire les facteurs concourant à l’exécution du

garant.

B/ LES FACTEURS CONCOURANT A L’EXECUTION DU GARANT

69. Une garantie personnelle, qui n’aurait pas été efficace par sa seule

constitution, peut encore l’être après la mise en demeure du garant, à la condition

que celui-ci exécute ses obligations. L’efficacité objective de la garantie personnelle

ne peut s’exprimer ainsi que si le patrimoine du garant est suffisamment consistant

lors de l’appel de la garantie, et seulement si le garant accepte d’exécuter son

engagement. Certains facteurs favorisent la solvabilité du garant à l’échéance (1),

d’autres rendent plus sûre l’exécution volontaire (2).

1. Les facteurs de solvabilité du garant lors de l’appel de la garantie

70. La solvabilité du garant, au jour de la réalisation de la garantie

personnelle, peut être comparée à la valeur économique du bien grevé d’une sûreté

réelle, en ce que l’une comme l’autre conditionnent le désintéressement du

créancier, et donc l’efficacité du mécanisme de garantie. Mais le rapprochement

s’arrête là. En effet, les fluctuations affectant le patrimoine dans son entier et celles

relatives à la valeur d’un seul bien n’ont, ni la même probabilité, ni les mêmes

causes. De plus, la suffisance du patrimoine et celle de la valeur d’un bien ne sont

pas favorisées par les mêmes facteurs. Ceux susceptibles de rendre moins aléatoire

la solvabilité du garant lors de l’appel de la garantie sont les suivants.

71. La qualité du garant. On retrouve, tout d’abord, la qualité du garant.

Mais, ici, une seule catégorie de garants est concernée, à savoir les garants

99 Sur la fonction des garanties personnelles, cf. infra n°240 et s.

Page 43: L'efficacité des garanties personnelles

professionnels. C’est seulement à leur égard que les risques d’insolvabilité sont

minimes et que la qualité rime, en principe, avec la solvabilité100.

Les qualités de garant intégré et de garant affectivement proche du débiteur ne

sont pas, au contraire, suffisantes, à elles seules, pour susciter la confiance en la

solvabilité. C’est la raison pour laquelle, à l’égard des garants non professionnels,

d’autres facteurs doivent être réunis pour augmenter les chances de solvabilité lors

de la mise en œuvre de la garantie personnelle.

72. Le montant de l’engagement du garant. Les premiers d’entre eux ont

trait au montant de l’engagement du garant.

Fixer un montant nettement supérieur aux capacités financières du garant lors

de la conclusion du contrat et parier sur une amélioration notable de la situation

patrimoniale de ce garant, est risqué. Pour rendre plus sûre la solvabilité du garant,

lors de l’appel de la garantie, mieux vaut tabler sur la stabilité, voire sur une certaine

baisse des capacités financières du garant et fixer en conséquence le montant de

l’engagement de ce dernier. Le premier facteur d’efficacité réside ainsi dans la

proportionnalité du montant de l’engagement du garant aux biens et revenus de ce

dernier au jour de la signature de la garantie personnelle.

En ce que la détermination du montant de l’engagement du garant facilite cette

proportionnalité et rend, par conséquent, plus sérieuses les chances de solvabilité du

garant lors de l’appel de la garantie, elle constitue également un facteur d’efficacité.

Elle peut recevoir cette qualification pour une autre raison encore. En effet, dès

lors qu’une somme figure dans le contrat de garantie, le garant se représente plus

nettement dans quelle mesure son patrimoine risque d’être amputé. Cela peut

l’inciter à prendre des précautions pour avoir toujours à sa disposition ladite somme.

La solvabilité du garant lors de la mise en œuvre de la garantie personnelle, partant

l’efficacité de celle-ci, s’en trouvent bien favorisées.

73. Les mesures de sauvegarde du patrimoine du garant. D’autres

facteurs de solvabilité ont trait au maintien de la suffisance du patrimoine du garant

jusqu’au jour de l’appel de la garantie.

Il s’agit, en premier lieu, de la fixation d’une durée relativement courte à

l’engagement du garant. En effet, plus courte est cette durée, moins les risques de

fluctuation du patrimoine sont nombreux. De surcroît, plus le garant s’engage pour

une courte période, moins il risque d’oublier son engagement, d’une part, et de

prendre des précautions financières pour pouvoir l’honorer, d’autre part101.

100 En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les

sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 132 ; D. LEGEAIS, n°48 ; Ph. SIMLER et

Ph. DELEBECQUE, n°4, 210 101 En ce sens, cf. J. CASEY, Sûretés et famille, th. sous la direction de J. HAUSER, n°498 et

s. ; Ch. MOULY, th. préc., n°273 : « la valeur des engagements à longue durée devient

incertaine : la caution peut s’endetter, son patrimoine s’étioler, la sûreté s’amenuiser avec le

temps faute d’avoir été surveillée ; le voile que le temps jette sur les souvenirs recouvre aussi

les engagements poussiéreux » ; Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en

France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 152 et s.

Page 44: L'efficacité des garanties personnelles

En deuxième lieu, le maintien de la suffisance du patrimoine du garant peut

résulter du contrôle exercé par le créancier sur l’activité et / ou sur la situation

financière du garant102.

En troisième lieu, ce maintien peut procéder de sûretés négatives. Il s’agit

d’interdire au garant, dès la conclusion de la garantie personnelle, d’accomplir des

actes pouvant diminuer la consistance de son patrimoine. L’interdiction peut

notamment porter sur l’aliénation de certains biens ou sur la constitution d’autres

garanties.

En quatrième et dernier lieu, la sauvegarde du patrimoine du garant peut

procéder de mesures conservatoires efficaces.

74. Pour qu’une garantie personnelle soit efficace, grâce à sa mise en œuvre,

il est nécessaire, non seulement que le garant ait les moyens financiers d’honorer son

engagement, mais surtout qu’il exécute effectivement ses obligations.

2. Les facteurs d’exécution volontaire du garant

75. La rareté des moyens de défense. L’expression la plus évidente de

l’efficacité des garanties personnelles réside dans l’exécution du garant, sans

contestation de sa part.

Moins le garant dispose de moyens de défense qui suppriment, réduisent,

modifient, retardent, ou rendent plus onéreuse l’exécution de ses obligations, plus

grandes sont les chances que le créancier obtienne satisfaction. La privation de

moyens de défense, résultant de la nature et / ou du contenu de la garantie

personnelle conclue, constitue indéniablement un puissant facteur d’efficacité103.

Néanmoins, il serait réducteur d’assimiler la rareté des moyens de défense à

l’efficacité et, à l’inverse, leur profusion à l’inefficacité. Il n’y a pas de corrélation

entre le nombre de moyens de défense qu’offre une garantie personnelle au garant et

l’effectivité des contestations. D’autres facteurs que la privation de moyens de

défense contribuent, en effet, à mettre le créancier à l’abri des contestations.

76. Le comportement du créancier. Certains de ces facteurs se rapportent

au créancier lui-même.

Le respect du droit en vigueur, par ce dernier, est de nature à dissuader le garant

d’élever des contestations et, si tel n’est pas le cas, il devrait conduire le juge saisi à

rejeter ces contestations et à condamner le garant à s’exécuter.

Le comportement du créancier, à l’égard du garant, est également déterminant.

Dans une logique de « légitime défense », le garant est porté à discuter l’exécution

de ses obligations s’il a le sentiment d’avoir été victime d’un comportement

102 Sur ce contrôle, cf. Y. GUYON, Le droit de regard du créancier sur le patrimoine et

l’activité de son débiteur considéré comme sûreté, Rev. jurisp. com. 1982, p. 122 et s. ;

Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°16 103 En ce sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°471 ; P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers

échaudés, JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 5, 7 ; Ch. MOULY,

Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles,

FEDUCI 1984, p. 131, 150, 151 ; Ch. MOULY, Pour la liberté des garanties personnelles,

Banque 1987, p. 1166

Page 45: L'efficacité des garanties personnelles

blâmable de la part du créancier104. Un auteur a dressé une liste de ces

comportements105 : « l’abus, l’agressivité, l’amateurisme, le bavardage, la bêtise, la

brutalité, la chicanerie, la curiosité, la désinvolture, l’excès, l’excentricité, la folie,

la fraude, la fuite, la gourmandise, le harcèlement, l’immixtion, la légèreté

blâmable, la lenteur, la maladresse, l’omniscience, la paresse, la routine, la

surenchère, le tapage, la vantardise et la zizanie ». En évitant ces conduites, le

créancier augmente ses chances d’être désintéressé et ce, sans discussion.

77. La qualité du garant. D’autres facteurs réduisant le risque de

contestations se rapportent, par ailleurs, au garant.

Il s’agit, tout d’abord, de la qualité de garant professionnel. Il est fréquent

que les garants professionnels reçoivent provision de la somme due au créancier. Ils

payent alors, sans discussion, dès que le créancier en fait la demande. Si contestation

du paiement il devait y avoir, elle n’émanerait pas du garant, mais du débiteur

principal. Même lorsqu’ils ne reçoivent aucune provision, les garants professionnels

sont peu enclins à discuter106. Ils souhaitent éviter que des tergiversations, voire un

contentieux, ne ternissent leur image de marque107.

La qualité de garant intégré ou affectivement proche du débiteur principal

peut également réduire le risque de contestations dans la mesure où ces garants

peuvent souhaiter que le débiteur ne soit pas inquiété par le créancier. Concernant

les garants profanes proches du débiteur, l’absence de contestation peut également

s’expliquer par leur méconnaissance des moyens de défense et par leur peur du

contentieux.

78. La bonne foi du garant. Le dernier facteur contribuant à mettre le

créancier à l’abri de contestations concerne, quant à lui, l’ensemble des garants. Il

s’agit de leur bonne foi108. Un garant de bonne foi ne soulève pas de contestations

intempestives, dans un but dilatoire. A l’inverse, le garant de mauvaise foi fait feu

de tout bois même si, a priori, la garantie personnelle lui offre peu de moyens de

défense. Par ailleurs, il fait fi, tant du respect du droit en vigueur par le créancier,

que du comportement irréprochable de celui-ci à son égard. La bonne foi du garant

104 Les économistes parlent de « comportements stratégiques » lorsque l’une des parties

adopte une position intransigeante ou essaie sournoisement de tricher (cf. E. MACKAAY, La

règle juridique observée par le prisme de l’économiste. Une histoire stylisée du mouvement

de l’analyse économique du droit, Rev. Intern. Dr. Eco. 1986, t.1, p. 80 et 81). 105 B. FAGES, Des comportements contractuels à éviter, Droit et patrimoine 1998, n°60, p. 67

et s. 106 En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les

sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 132, 154 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°47, 48, 216, 406 : « Payer vite est au moins aussi important que payer bien. Les

cautions professionnelles le savent et veulent se démarquer des cautions profanes en

exécutant sans discussion, dès que le créancier le leur demande ». 107 Sur l’importance de cette image de marque, cf. Y. CHARTIER, L’évolution du droit des

sûretés, Rapport de synthèse, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 164 ; J. MESTRE,

Les lettres d’intention, une zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine 1999, n°67,

p. 61 et s. ; B. OPPETIT, L’engagement d’honneur, D. 1979, chron., p. 107 ; Ph. SIMLER et

Ph. DELEBECQUE, n°223 108 En ce sens, cf. A. PRÜM, th. préc., n°201 ; Ch. MOULY, Les sûretés personnelles

traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 140

Page 46: L'efficacité des garanties personnelles

est, ainsi, le facteur d’efficacité à défaut duquel tous les autres facteurs relatifs à

l’éviction du risque de contestations (à l’exception toutefois de celui tenant à la

qualité de garant professionnel) perdent leur valeur.

79. Pour qu’une garantie personnelle soit efficace, sa seule constitution ou sa

mise en œuvre doivent conduire à l’extinction de la dette principale. Les facteurs

favorisant cette efficacité objective sont nombreux et hétéroclites. Ne le sont pas

moins les facteurs rendant plus sûre la réalisation des attentes subjectives des

créanciers.

§2 : LES FACTEURS D’EFFICACITE SUBJECTIVE

80. L’efficacité subjective se caractérise par l’accomplissement d’une

finalité, autrement dit par la réalisation de toutes les attentes subjectives engendrées

par une chose ou une action déterminée. Les garanties personnelles font naître des

espérances particulières dès l’octroi de crédit au débiteur. Ces attentes subjectives

initiales précisent l’attente objective, puisqu’elles ont pour objet les modalités et le

coût de la protection, sur lesquels compte chaque créancier, compte tenu des

spécificités de sa situation. Des attentes subjectives procèdent ensuite de la garantie

personnelle effectivement constituée. En effet, au vu de la nature et du contenu de

celle-ci, chaque bénéficiaire confère une finalité particulière au contrat conclu.

Comme les garanties personnelles donnent donc naissance à deux niveaux d’attentes

subjectives109, leur efficacité in concreto suppose un double rapport d’adéquation :

d’une part, l’adéquation entre les attentes nées de l’octroi de crédit et celles générées

par la garantie personnelle effectivement conclue (A), d’autre part, l’adéquation

entre la finalité assignée à cette garantie personnelle et les effets qu’elle produit (B).

Divers facteurs sont susceptibles de favoriser chacune de ces adéquations.

A/ LES FACTEURS FAVORISANT LA CONFORMITÉ DE LA FINALITÉ

DE LA GARANTIE PERSONNELLE AUX ATTENTES PRÉALABLES

À SA CONSTITUTION

81. Les effets produits par la seule constitution ou par la mise en œuvre

d’une garantie personnelle ne peuvent correspondre aux attentes que l’octroi de

crédit a engendrées chez un créancier qu’à la condition que la finalité assignée par

ce dernier à la garantie personnelle conclue soit elle-même conforme à ces attentes

initiales. Pour qu’il en aille ainsi, les choix qu’opèrent les créanciers lors de la

formation de la garantie personnelle, en vue de cette conformité, dits choix

rationnels (1), ne doivent pas être entravés. Différents facteurs évitent ces entraves

(2).

1. Les choix des créanciers lors de la conclusion de la garantie personnelle

82. Les choix « techniques » et « comportementaux » des créanciers. Au

moment où il s’agit de concrétiser le projet de couvrir le crédit octroyé à un débiteur

109 Pour de plus amples développements sur ces deux niveaux d’attentes subjectives et sur

l’efficacité in concreto des garanties personnelles, cf. supra n°24-27

Page 47: L'efficacité des garanties personnelles

par une garantie personnelle, le créancier doit se déterminer sur nombre d’éléments,

qui risquent d’influer sur la protection de ses intérêts financiers.

Les choix concernent, tout d’abord, la personne du garant. Au mieux, le

créancier doit choisir parmi plusieurs garants possibles. Au pire, il doit décider

d’accepter ou de refuser le seul qui se présente à lui. Ensuite, la diversité actuelle

des garanties personnelles rend possible un choix tenant à la nature même du contrat

à conclure et aux obligations du futur garant. Une décision peut encore être prise à

propos de la forme de la rencontre des volontés entre le créancier et le garant. Par

ailleurs, des choix relatifs au contenu de la garantie personnelle peuvent être opérés,

chaque fois que la liberté contractuelle peut s’exercer. Le montant, la durée, les

modalités de mise en œuvre de la garantie, les obligations des parties peuvent ainsi

faire l’objet de choix.

A toutes ces décisions d’ordre technique, viennent s’ajouter les choix que l’on

peut qualifier de comportementaux, que les créanciers doivent opérer lors de la

formation de la garantie personnelle, mais aussi tout au long de la vie de celle-ci.

Certains de ces choix se rapportent à l’attitude que le créancier est amené à adopter

face à ses cocontractants. Il peut s’agir de fraternité, de solidarité, de bienveillance,

de tempérance, de sincérité ou, au contraire, d’ignorance, d’égoïsme, de mensonge,

d’exploitation ou de violence. D’autres choix « comportementaux » ont trait à

l’attitude du créancier face au droit en vigueur. En fonction, non seulement du

niveau de risque qu’il estime acceptable de prendre dans l’opération de garantie110,

mais aussi du coût que représente le respect ou non de la loi, il peut ainsi opter pour

son application, sa violation, ou encore son contournement par le biais de contrats

innomés.

Tous ces choix présentent, en principe, un caractère rationnel (a). Il existe

cependant des entraves à cette rationalité (b).

a. La rationalité des choix

83. La théorie des choix rationnels. Les choix qu’opèrent les créanciers

lors de la conclusion du contrat de garantie sont rationnels, car ils sont opérés en vue

de la réalisation d’un objectif, à savoir celui de pouvoir attendre de la garantie

personnelle effectivement conclue la même protection que celle envisagée avant sa

conclusion. Il s’agit d’une « rationalité en finalité ».

Pour appréhender plus précisément cette rationalité, il est utile de se référer aux

théories de l’analyse économique du droit relatives aux choix rationnels. Ces

théories présentent à la fois une dimension explicative (comment les individus se

comportent-ils ?) et une dimension normative (quels critères de décision

recommander pour assurer l’optimalité de la décision ?)111. C’est à leur volet

descriptif qu’il convient de s’attacher pour expliquer ce qui préside aux choix des

créanciers.

110 Les créanciers professionnels procèdent à une cotation du « risque juridique » : absence de

« risque juridique » ; « risque juridique » aisément rectifiable ; « risque juridique »

difficilement rectifiable ; « risque de nullité » ; information disponible insuffisante. Cf. B.

SAINT-ALARY, Régimes matrimoniaux et gestion du recueil du consentement du conjoint,

in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 88 111 Sur ces deux volets de la théorie des choix rationnels, cf. C. BARRERE, Les approches

économiques du système judiciaire, RJDE, 1999/2, n° spécial De l’économie de la justice,

p. 154

Page 48: L'efficacité des garanties personnelles

84. La rationalité selon l’Ecole de Chicago. Le courant dominant, au sein

de la Law and Economics, est celui développé par l’Ecole de Chicago, dans les

années soixante et soixante-dix112. Il s’appuie sur les théories économiques

néoclassiques et, notamment, sur une définition très large de l’économie comme

science des choix rationnels en situation de rareté, c'est-à-dire comme théorie de

l’allocation des ressources. Par ailleurs, il place l’individu libre au cœur des analyses

et part d’un individualisme méthodologique113 : l’individu, du moins l’adulte, est

présumé être doté d’une certaine raison qui le pousse à vouloir maximiser son

bonheur114. Cela ne signifie pas qu’il soit égoïste, car un élément de son bonheur

peut résider dans celui des autres115. Ainsi, les agents rationnels choisissent ce qui

est optimal pour eux en sélectionnant le meilleur rapport coût / avantage116. Leurs

calculs sont fondés sur des prix explicites, les prix du marché, mais aussi sur des

112 Pour des rappels historiques sur l’analyse économique du droit, cf. E. BROUSSEAU,

L’économiste, le juriste et le contrat, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 153 et s. ; J.-P.

CENTI, Quel critère d’efficience pour l’analyse économique du droit ?, RRJ 1987-2, p. 455

et s. ; M. FONTAINE, Fertilisations croisées du droit des contrats, Mélanges J. Ghestin,

LGDJ, 2001, p. 347 et s. ; T. KIRAT et E. SERVERIN, Le droit dans l’action économique,

CNRS Editions, 2000 ; E. MACKAAY, La règle juridique observée par le prisme de

l’économiste. Une histoire stylisée du mouvement de l’analyse économique du droit, Rev.

Intern. Dr. Eco. 1986, t.1, p.43 et s. ; E. MACKAAY, L’analyse économique du droit dans les

systèmes civilistes, Colloque international de Nancy 2 des 28 et 29 juin 2000 113 Le courant sociologique impulsé par R. BOUDON et J.-G. PADIOLEAU repose

également sur cet individualisme méthodologique. La liberté d’action que détient l’individu,

capable d’opérer le meilleur choix pour accroître sa satisfaction, est érigée en dogme. Selon

J.-G. PADIOLEAU, « le schéma de l’action met en relief les éléments suivants : des acteurs,

individus ou groupes, engagés dans une situation dont les caractéristiques sont plus ou moins

contraignantes, poursuivent des buts et, pour ce faire, manipulent des ressources qui se

traduisent en des comportements significatifs ». Dans les limites autorisées par les

contraintes, l’individu est un être agissant (J. -G. PADIOLEAU), dont l’action possède une

finalité ou, plus précisément, une rationalité (R. BOUDON). Pour une présentation de ce

courant sociologique, cf. J.-P. DURAND, R. WEIL, Sociologie contemporaine, Vigot 2ème

éd., 1997, p. 160 et s. 114 Sur la rationalité des sujets de droit dans les travaux de l’analyse économique du droit, cf.

notamment T. KIRAT, Economie du droit, éd. La découverte, 1999 ; C. BARRERE, art.

préc., p. 153 et s. ; J.-Y. CHEROT, Trois thèses de l’analyse économique du droit, RRJ 1987-

2, p. 443 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de

concurrence : notions, critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, p. 4 et s. ; M.-A.

FRISON-ROCHE, L’intérêt pour le système juridique de l’analyse économique du droit,

Cycle de conférences « Droit, Economie, Justice », 2004 : la rationalité économique des

agents « suppose que chaque personne détermine des buts, des préférences, des fonctions

d’utilité, pour la satisfaction desquels elle met en œuvre des actions. Les actions des

personnes sont donc de nature stratégique. La rationalité conduit ainsi chacun à

« maximaliser son profit » » ; E. MACKAAY, L’analyse économique du droit dans les

systèmes civilistes, Colloque international de Nancy 2 des 28 et 29 juin 2000 ; B. OPPETIT,

Droit et économie, APD, t. 37, Sirey, 1992, p. 17 et s. ; B. RUDDEN, Le juste et l’inefficace :

pour un non devoir de renseignement, RTD civ. 1985 p. 91 et s., n°6 à 8 115 En ce sens, cf. B. RUDDEN, ibid., n°6 à 8 116 L’Ecole de Chicago développe l’argument du « as if », c'est-à-dire qu’elle n’affirme pas

que tous les individus et les institutions sont rationnels, mais elle fait comme si ils l’étaient.

Page 49: L'efficacité des garanties personnelles

prix implicites, c'est-à-dire les équivalents monétaires des avantages recherchés et

des coûts redoutés117.

L’application de cette analyse aux choix des créanciers relatifs à la garantie

personnelle conduit à considérer que ces choix sont rationnels, en ce qu’ils résultent

de calculs purement économiques, et en ce qu’ils traduisent la recherche, par les

créanciers, d’une maximisation de leurs intérêts.

Nous ne pensons pas que la rationalité doive faire l’objet d’une approche aussi

réductrice et nous adhérons, par conséquent, aux critiques adressées à l’Ecole de

Chicago, par un autre courant de la Law and Economics, qu’est l’institutionnalisme.

85. La rationalité selon l’école institutionnaliste. L’institutionnalisme

contemporain, dans le domaine de l’analyse économique du droit, est représenté, aux

Etats-Unis, par des auteurs118 qui s’opposent, sur des points importants, à la

problématique néoclassique traditionnelle.

Au sujet de la rationalité des agents, ils retiennent, tout d’abord, que si les

individus recherchent la réalisation de certains objectifs, il n’en recherchent pas

nécessairement la maximisation stricte. Cette analyse est tout à fait pertinente dans

le domaine des garanties personnelles. En effet, les créanciers dispensateurs de

crédit, au moment de la constitution d’une garantie personnelle particulière,

entendent être protégés, mais pas forcément de manière maximale. Ils peuvent tabler

sur une protection suffisante au regard de leurs besoins. C’est pourquoi, par

exemple, alors même que le crédit octroyé au débiteur principal est d’un montant

indéterminé, des créanciers peuvent vouloir bénéficier d’une garantie personnelle

d’un montant déterminé, suffisant pour protéger leurs intérêts. Au cours de la

formation du contrat, les choix opérés sont ainsi rationnels dès qu’ils sont guidés par

la recherche de la protection envisagée, lors de l’octroi de crédit au débiteur, même

s’il ne s’agit pas d’une protection maximale.

Le courant institutionnaliste a aussi critiqué le « réductionnisme économiciste »

de l’Ecole de Chicago. Celle-ci réduit, en effet, l’interprétation des choix rationnels

à une interprétation économique. Certes, la rationalité consiste à choisir le meilleur

rapport entre coût et avantage d’une décision ou d’un comportement projeté, en vue

de l’accomplissement d’un but. Mais, cette rationalité n’est pas uniquement sous-

tendue par des données économiques. Sous l’influence de la sociologie de Bourdieu,

l’institutionnalisme met en avant qu’elle est aussi socio-historiquement située : les

contextes sociaux façonnent les comportements et conduisent à des « habitus »119,

117 Les sujets de droit intègrent ainsi dans leur décision une appréciation de l’incidence

économique des règles de droit. Le coût de réalisation du droit (frais de l’engagement d’un

contentieux ; coût fiscal ; coût de l’assurance) entre pour une part importante dans les calculs

individuels (en ce sens cf. B. OPPETIT, art. préc., p. 17 et s.). 118 Les principaux représentants du courant institutionnaliste sont N. MERCURO, S. G.

MEDEMA, W. J. SAMUELS et A. SCHMID. 119 P. BOURDIEU, La distinction, critique sociale du jugement, Editions de Minuit, 1979, p.

190 : « l’habitus est à la fois principe générateur de pratiques objectivement classables et

système de classement (principium divisionis) de ces pratiques. (…)Nécessité incorporée,

convertie en disposition génératrice de pratiques sensées et de perceptions capables de

donner sens aux pratiques ainsi engendrées, l’habitus (…) est ce qui fait que l’ensemble des

pratiques d’un agent (ou de l’ensemble des agents qui sont le produit de conditions

semblables) sont à la fois systématiques, en tant qu’elles sont le produit de l’application de

Page 50: L'efficacité des garanties personnelles

formes intériorisées de comportement, qui suivent des schèmes sociaux

prédéterminés, notamment par le statut social des individus. C’est la raison pour

laquelle les créanciers ne développent pas les mêmes attentes concernant la garantie

personnelle à constituer, même s’ils interviennent dans des opérations de crédit tout

à fait identiques. Cela explique également pourquoi tous les créanciers n’opèrent pas

les mêmes arbitrages entre coût et avantage d’alternatives connues, au moment de la

constitution de la garantie personnelle. Les choix rationnels résultent certes d’une

appréciation de prix explicites et implicites, mais la fixation de ces prix varie en

fonction de la qualité du créancier (s’agit-il d’un professionnel du crédit120, d’une

personne octroyant du crédit dans le cadre de sa profession ou encore d’un non

professionnel). Par conséquent, il est bien réducteur de n’envisager la rationalité

qu’au travers de sa traduction économique, en ignorant sa détermination sociale.

86. L’expression de la rationalité des choix des créanciers. La rationalité

des choix des créanciers s’exprime par le fait que, en vue de la réalisation d’un

objectif (la conformité de la finalité assignée à la garantie personnelle aux attentes

préalables à sa constitution, et non la maximisation des intérêts), lesdits créanciers

procèdent à des calculs en utilisant des prix explicites et des prix implicites (la

fixation de ceux-ci est en partie conditionnée par des schèmes sociaux

prédéterminés) et se déterminent en fonction du meilleur rapport coût / avantage.

Ainsi définie, la rationalité des choix des créanciers est susceptible d’être

entravée.

b. Les entraves à la rationalité des choix

87. Le conflit de rationalités. Le caractère en principe unilatéral des

contrats de garantie signifie que leur bénéficiaire est le seul à recevoir une

prestation, mais aucunement qu’il est le seul à en déterminer le contenu. Au cours de

la formation du contrat, le futur garant, tout autant que le créancier, sont amenés à

opérer des choix rationnels. Or, dans la mesure où les intérêts respectifs du créancier

et du garant sont antagonistes, les choix auxquels ils procèdent, en vue de la

protection de leurs intérêts, ont de fortes chances de diverger. C’est donc du rapport

de force existant entre les futurs contractants que dépendent les choix devant

l’emporter et, finalement, la nature et le contenu de la garantie personnelle à

conclure.

Lorsque le bénéficiaire est un établissement de crédit et le garant une personne

physique ou une personne morale ayant une puissance économique moindre, le

créancier est en mesure d’imposer ses choix. Il peut ainsi faire signer au garant un

contrat qu’il a entièrement rédigé et qui reproduit un modèle préétabli par ses

soins121. En somme, dans ce cas, la rationalité des choix du créancier ne se heurte à

schèmes identiques (ou mutuellement convertibles) et systématiquement distinctes des

pratiques constitutives d’un autre style de vie ». 120 Les établissements de crédit opèrent des calculs de probabilité et se fondent sur la loi des

grands nombres pour équilibrer leur gestion et pour répartir les risques (cf. M. CABRILLAC

et Ch. MOULY, n°3). 121 L’informatique est mise au service de la rationalité des choix des créanciers professionnels

du crédit. En effet, pour éviter que les choix rationnels opérés ne soient anéantis en raison

d’une mauvaise rédaction du contrat de garantie, les créanciers professionnels ont recours à

des logiciels d’aide à la rédaction des actes de crédit. Ils ont également recours à des

Page 51: L'efficacité des garanties personnelles

aucun obstacle. Par conséquent, l’établissement de crédit peut attendre autant de la

garantie personnelle effectivement conclue que de celle envisagée avant les

négociations précontractuelles.

Il en va autrement lorsque le rapport de force est équilibré (c’est le cas,

notamment, entre deux professionnels du crédit, entre un établissement de crédit et

une holding, voire entre deux particuliers) et, a fortiori, lorsque la puissance

économique du garant est supérieure à celle du créancier (il peut en aller ainsi

lorsque le garant est un établissement de crédit). Dans ces hypothèses, le créancier

est conduit, au cours des pourparlers, à renoncer à des choix présentant pourtant,

pour lui, le meilleur rapport coût / avantage. Le conflit de rationalités tourne alors au

profit du garant. C’est ainsi qu’apparaissent des différences entre les attentes nées

lors de l’octroi de crédit au débiteur et les attentes créées par la garantie personnelle

constituée. Ces différences sont tout à fait connues du créancier et c’est même leur

acceptation, par ce dernier, qui conditionne la conclusion du contrat de garantie.

La perception du créancier n’est pas du tout la même à l’égard des différences

résultant, non plus d’un conflit de rationalités, mais d’une rationalité limitée.

88. La rationalité limitée par le défaut d’information. « L’élément

essentiel d’un choix rationnel, c’est l’information. Le défaut d’information porte

atteinte à la capacité de faire les choix rationnels »122 et, par conséquent, à la

possibilité de rendre la finalité de la garantie personnelle conforme aux attentes

préalables à sa conclusion.

La doctrine économique néoclassique et les principaux courants de l’analyse

économique du droit ont montré que l’information est un bien, « en ce qu’il faut des

ressources pour en produire et que le fruit de cet investissement est fréquemment

vendu »123. Certes, il s’agit d’un bien d’un type particulier, notamment car il n’en

existe aucune unité de mesure et car il ne s’épuise pas par l’usage. Si l’acquisition

d’une information est aisée et peu coûteuse (on s’approprie des informations par

simple lecture ou écoute), la recherche et le traitement de l’information sont, en

revanche, complexes et onéreux. L’information est ainsi une ressource rare que ne

possèdent pas pleinement les individus en situation de choix. Les décisions sont

donc prises, dans des proportions variables, dans l’ignorance, voire l’erreur. Le

manque d’information ou la non compréhension de l’information faussent le rapport

entre le coût et les avantages des choix envisagés124. Il s’en suit que le rapport retenu

n’est pas nécessairement le meilleur, contrairement à ce que croit celui qui s’en sert

pour prendre une décision. Partant, la réalisation de l’objectif en vue duquel les

choix sont opérés est compromise, sans même que l’individu concerné n’en ait

conscience.

mécanismes d’autocontrôle, de diagnostic de la régularité de la documentation juridique, qui

leur permettent de vérifier, a posteriori, que la garantie a été correctement recueillie (cf. B.

SAINT-ALARY, Régimes matrimoniaux et gestion du recueil du consentement du conjoint,

in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 86 et s. ). 122 B. RUDDEN, art. préc., n°9 123 B. RUDDEN, ibid., n°10 124 Pour une présentation des conséquences de la rationalité limitée des agents en matière

contractuelle, cf. P. GARELLO, Les économistes et le contrat, Mélanges Ch. Mouly, Litec,

1998, p. 37 et s., spéc. p. 43 et 44 sur les contrats incomplets.

Page 52: L'efficacité des garanties personnelles

De cette façon, les créanciers peuvent croire, à tort, que les choix techniques et

comportementaux, auxquels ils procèdent lors de la formation de la garantie

personnelle, leur permettent d’avoir les mêmes attentes qu’avant cette constitution.

Les différences entre les deux niveaux d’attentes, qui sont ignorées par les

créanciers, proviennent de leur rationalité limitée. Ils ne disposent pas, en effet, de

toutes les informations nécessaires à un choix pleinement rationnel. Il peut leur

manquer des informations, ou ils peuvent avoir des informations inexactes, non

seulement sur leurs cocontractants, mais aussi sur le droit applicable aux options

qu’ils envisagent. La mauvaise qualité, tant des relations entre les futurs contractants

(en raison de méfiances, voire de mensonges), que du droit en vigueur (à cause de

son inaccessibilité et de son inintelligibilité), n’est pas étrangère à l’ignorance, voire

aux erreurs des créanciers. Elle contribue, au contraire, à limiter la rationalité de

leurs choix et à augmenter, corrélativement, les risques de différence entre les deux

niveaux d’attentes subjectives.

89. Les entraves à la rationalité des choix des créanciers, qu’elles aient trait à

l’information dont disposent ceux-ci au cours de la période précontractuelle ou au

rapport de force se nouant à cette occasion avec le garant, sont loin d’être

inéluctables. Certains facteurs permettent de les éviter.

2. Les facteurs évitant les entraves aux choix rationnels des créanciers

90. Les faiblesses du garant. Pour que le conflit de rationalités tourne au

profit du créancier, celui-ci doit disposer du pouvoir d’imposer ses choix au garant.

Un tel pouvoir se rencontre entre les mains des créanciers dont la position

économique est supérieure à celle du garant. Les créanciers, dispensateurs de crédit

à titre professionnel, sont dans cette situation chaque fois que le garant n’est pas lui-

même un professionnel du crédit.

Par ailleurs, le créancier, quelle que soit sa position économique par rapport à

celle du garant, a le pouvoir d’imposer ses choix, dès que le garant tient à ce que le

débiteur principal obtienne du crédit, et qu’il sait que cet octroi de crédit n’aura lieu

que s’il se plie aux choix du créancier. Il en va ainsi lorsque le destin patrimonial du

débiteur et celui du garant pressenti sont imbriqués (c’est le cas lorsque le futur

garant est le dirigeant, la société-mère ou la société-sœur de la société débitrice) et /

ou lorsque ces derniers sont affectivement proches (c’est le cas lorsque le futur

garant est le conjoint, le concubin, le partenaire du débiteur principal ou encore un

parent ou ami proche).

91. Les connaissances du créancier. Pour que la conformité entre les deux

niveaux d’attentes subjectives soit réelle, les choix qu’opère le créancier, lors de la

formation de la garantie personnelle, doivent être éclairés. Le créancier doit non

seulement disposer de toutes les informations utiles à la prise de décision, mais il

doit également correctement interpréter ces informations. Deux nouveaux facteurs

d’efficacité peuvent ainsi être dégagés.

Il s’agit, en premier lieu, de la connaissance et de la compréhension des

données factuelles entourant la conclusion du contrat de garantie. Ces données ont

pour objet la conjoncture économique, au moment de la formation de la garantie

personnelle, et les projections économiques opérées pour la période de vie du contrat

Page 53: L'efficacité des garanties personnelles

principal. Les données factuelles concernent aussi le débiteur et le futur garant et,

plus particulièrement, leur solvabilité et leur bonne foi125.

Il s’agit, en second lieu, de la connaissance et de la compréhension des données

juridiques, c'est-à-dire des textes et de la jurisprudence ayant vocation à régir les

différents choix envisagés par le créancier.

92. Grâce aux faiblesses du garant et aux connaissances du créancier, les

choix qu’opère celui-ci pendant la période précontractuelle ont donc des chances de

ne pas être supplantés par ceux du cocontractant et d’être éclairés. La conformité de

la finalité de la garantie personnelle aux attentes nées de l’octroi de crédit au

débiteur s’en trouve favorisée. Pour autant, la garantie personnelle ne peut être

efficace que s’il y a, en plus, conformité entre ses effets et la finalité que lui a

assignée le créancier.

B/ LES FACTEURS FAVORISANT L’ACCOMPLISSEMENT DE LA FINALITÉ

ASSIGNÉE ÀLA GARANTIE PERSONNELLE CONCLUE

93. La stabilité des prévisions contractuelles. Au vu de la garantie

personnelle conclue, le créancier s’attend à ce que ses intérêts financiers soient

protégés selon certaines modalités et à un certain coût. La réalisation de ces attentes

est favorisée par la stabilité des prévisions contractuelles, qui sont de deux types.

94. Les prévisions extrinsèques. Tout d’abord, la réalisation des attentes

nées de la garantie personnelle effectivement conclue dépend de la stabilité des

« prévisions extrinsèques ». Celles-ci correspondent aux « éléments qui ont

commandé l’engagement du contractant, dans son principe et dans les termes

finalement retenus »126. Ces prévisions extrinsèques peuvent concerner le débiteur

principal, le garant, la conjoncture économique ou encore le droit positif. Si elles

changent, voire disparaissent, la garantie personnelle risque de ne pas produire

l’effet escompté.

95. Les prévisions intrinsèques. Le second facteur favorisant

l’accomplissement de la finalité de la garantie personnelle conclue réside dans le

respect des « prévisions intrinsèques », qui sont « ce sur quoi les parties se sont

accordées, le contenu de leur accord de volonté »127. La modification, par

amputation, ajout, ou interprétation déformante, de ce second type de prévisions

risque de se traduire par la défaillance des attentes du créancier.

125 Les économistes considèrent que le manque d’informations (qu’ils nomment « asymétries

informationnelles »), relativement au cocontractant, pose des problèmes de « sélection

adverse », lorsqu’il se produit dans la période précontractuelle, et des problèmes d’ « aléa

moral », lorsqu’il intervient au cours de la relation contractuelle. Sur ces deux types de

difficultés, cf. P. GARELLO, art. préc., p. 40 126 H. LECUYER, Le contrat, acte de prévision, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz,

1999, p. 644 127 H. LECUYER, ibid., p. 644

Page 54: L'efficacité des garanties personnelles

96. Conclusion de la Section 1. Pour que les garanties personnelles soient

efficaces, aussi bien in abstracto qu’in concreto, il convient donc de réunir de

multiples facteurs, aux objets très divers.

S’agissant des facteurs d’efficacité objective, ils résident essentiellement

dans la qualité du garant, l’efficacité des recours de celui-ci contre le débiteur, la

transmissibilité de la garantie personnelle avec la créance principale, la

détermination du montant de l’engagement du garant et son caractère proportionné

par rapport aux biens et revenus de ce dernier, la courte durée de cet engagement, la

rareté des moyens de défense, le respect du droit en vigueur par le créancier, sa

loyauté vis-à-vis du garant et, enfin, la bonne foi de celui-ci.

S’agissant des facteurs d’efficacité in concreto, certains se rapportent à

l’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives (pouvoir du créancier à

l’encontre du garant ; connaissance et compréhension des données factuelles et

juridiques entourant la conclusion de la garantie), d’autres à l’adéquation entre la

finalité assignée à la garantie et ses effets (stabilité des prévisions extrinsèques ;

respect des prévisions intrinsèques).

Si le législateur et les juges entendent rendre les garanties personnelles

efficaces, ils doivent mettre au jour ces différents facteurs d’efficacité. La poursuite

de l’objectif d’efficacité s’exprime toujours par cette intervention du droit dans la

construction de l’efficacité. Il convient désormais de souligner le caractère plus ou

moins dynamique de cette intervention, en mettant en exergue les degrés

d’implication du droit dans l’apparition des facteurs d’efficacité.

SECTION 2 : LES DEGRÉS D’IMPLICATION DU DROIT

DANS L’APPARITION DES FACTEURS D’EFFICACITÉ

97. Si le droit a pour objectif de rendre les garanties personnelles efficaces, il

peut provoquer l’apparition de tous leurs facteurs d’efficacité. Cependant, son

implication dans la construction de l’efficacité peut être plus ou moins directe. En

effet, il peut se contenter de fournir aux parties et, plus particulièrement, aux

créanciers, les moyens de réunir des facteurs d’efficacité. Lorsqu’il permet

l’apparition de ces facteurs, par le truchement de la volonté des parties, le droit

favorise l’efficacité128 (§1). De manière plus dynamique, le droit peut lui-même

mettre au jour certains facteurs d’efficacité. Lorsque le législateur et les juges

adoptent des règles en vue de la réalisation des attentes des créanciers, le droit

organise l’efficacité des garanties personnelles (§2). L’implication de la loi et de la

jurisprudence dans l’apparition des facteurs d’efficacité étant ainsi susceptible de

degrés, la poursuite de l’objectif d’efficacité ne se traduit pas par une standardisation

du droit129.

128 Le terme « favoriser » peut renvoyer à une bienveillance spéciale à l’égard d’une ou

plusieurs personnes déterminées. Dans les développements à suivre, nous ne l’emploierons

pas dans ce sens, mais dans celui de permettre quelque chose, de fournir le moyen d’atteindre

un résultat. 129 Sur cette critique adressée à la recherche de l’efficacité, cf. supra n°43

Page 55: L'efficacité des garanties personnelles

§1 : L’EFFICACITÉ FAVORISÉE PAR LE DROIT

98. Parmi tous les facteurs d’efficacité objective et subjective, beaucoup

peuvent procéder de la volonté des parties, c'est-à-dire des choix opérés par le garant

et par le créancier, lors de la formation du contrat, et au cours de la vie de celui-ci

(A). Mais, si les contractants peuvent être à l’origine de certains facteurs

d’efficacité, c’est parce que le droit le permet. En effet, à différents égards, la

volonté des parties est sous l’influence du droit applicable aux garanties

personnelles (B). Il est donc nécessaire de relativiser le rôle des parties dans la

réunion des facteurs d’efficacité et de souligner, au contraire, l’implication du droit

dans la construction de l’efficacité, même lorsqu’il n’adopte pas des règles qui

protègent directement les intérêts des créanciers.

A/ LES FACTEURS D’EFFICACITÉ D’ORIGINE CONVENTIONNELLE

99. Au sein des facteurs d’efficacité objective et subjective, peuvent être

distingués ceux pouvant procéder d’un accord de volonté des contractants de ceux

susceptibles de résulter d’une manifestation de volonté d’une seule des parties.

100. Les facteurs d’efficacité procédant d’un accord de volonté. L’accord

de volonté des contractants peut être à l’origine de facteurs d’efficacité, toutes les

fois que ceux-ci ont trait à ces éléments essentiels de l’opération contractuelle, que

sont la personne des parties, la nature, et le contenu du contrat à constituer.

Les facteurs d’efficacité pouvant découler de l’accord de volonté entre le

créancier et le garant sont ainsi : la qualité du garant ; la nature de la garantie

personnelle à conclure, dont dépendent notamment les moyens de défense offerts au

garant ; le montant et la durée de l’engagement du garant ; les interdictions faites à

ce dernier, non seulement d’accomplir des actes pouvant diminuer la consistance de

son patrimoine, mais aussi de se prévaloir de certains moyens de défense ; le droit

reconnu au créancier de contrôler l’activité et / ou la situation patrimoniale du

garant ; la transmissibilité de la garantie personnelle avec la créance garantie.

101. Les facteurs d’efficacité procédant de la volonté d’une seule des

parties. D’autres facteurs d’efficacité peuvent procéder de la volonté d’une seule

des parties. Certains sont à rattacher à la volonté du créancier. Il s’agit de la

connaissance et de la compréhension des données factuelles et juridiques entourant

la conclusion du contrat de garantie, du respect du droit en vigueur et, enfin, du

comportement adopté envers le garant. Le facteur d’efficacité pouvant provenir de la

manifestation de volonté du seul garant réside dans sa bonne foi.

102. Bien que nombre de facteurs d’efficacité puissent procéder, soit d’un

accord de volonté des contractants, soit d’une manifestation de volonté de l’un

d’eux, il serait hâtif d’en conclure que le droit ne joue aucun rôle dans la

construction de l’efficacité des garanties personnelles. Compte tenu de l’influence

qu’exerce le droit sur la volonté des parties, il convient de considérer, au contraire,

que l’efficacité est favorisée par le droit.

Page 56: L'efficacité des garanties personnelles

B/ L’INFLUENCE DU DROIT SUR LA VOLONTÉ DES PARTIES

103. La volonté des parties, conjointe ou isolée, ne peut provoquer

l’apparition de facteurs d’efficacité que si le droit le permet. La qualité, le contenu,

et la validité des choix des parties sont en effet sous l’influence des textes et de la

jurisprudence.

104. L’influence du droit sur la qualité des choix du créancier. Pour que

les choix opérés par le créancier et acceptés par le garant, lors de la conclusion de la

garantie personnelle, soient conformes aux attentes que l’octroi de crédit au débiteur

a fait naître chez le créancier, ces choix doivent être éclairés. A l’inverse,

l’ignorance ou l’inintelligibilité des données entourant la conclusion du contrat de

garantie augmentent les risques de différence entre les deux niveaux d’attentes

subjectives du créancier et donc d’inefficacité de la garantie personnelle constituée.

S’agissant des données juridiques, elles ne peuvent être connues et comprises

que si les parties poursuivent une démarche volontaire en ce sens. Il convient

cependant de reconnaître que cette démarche, et le caractère éclairé des choix qui en

découle, peuvent être favorisés par le droit. Plus la législation et la jurisprudence

présentent des qualités formelles les rendant accessibles130, plus elles ont des

chances d’être connues et comprises par les parties et donc plus les choix techniques

et comportementaux de celles-ci sont susceptibles d’être éclairés.

Le droit peut ainsi jouer un rôle essentiel dans la mise au jour de ce facteur

d’efficacité qu’est la connaissance et la compréhension des données juridiques

entourant la conclusion de la garantie personnelle.

105. L’influence du droit sur le contenu des choix comportementaux des

parties. Le droit influe aussi sur le contenu même des manifestations de volonté de

chacun des contractants et, plus précisément, sur leur décision de respecter ou non

les normes, qu’elles soient légales ou contractuelles. La teneur des choix

comportementaux (choix relatifs au respect ou non du droit en vigueur, au

comportement à adopter envers le cocontractant, à la bonne ou mauvaise foi) est,

sinon déterminée, du moins orientée par les sanctions que la loi et les juges attachent

à la violation des normes131.

Certes, comme l’a remarqué le Doyen Vedel, « le droit « dit ce qu’il faut

faire », il ne peut pas dire « ce qu’on fera » »132. Les travaux de sociologie du droit

mettent ainsi en lumière que le respect de la norme ne peut pas s’expliquer par la

seule contrainte psychologique qu’exerce l’idée de l’ordre, c'est-à-dire par la peur de

la sanction133. La conduite licite peut en effet être instinctive. Si elle est réfléchie,

elle peut être motivée par d’autres raisons que la crainte des sanctions prévues par

130 Cf. infra n°177 à 236 pour le détail des qualités formelles du droit conditionnant

l’efficacité des garanties personnelles 131 Le « droit oriente les conduites, il ne les détermine pas » (P. LASCOUMES et E.

SERVERIN, Le droit comme activité sociale : pour une approche wéberienne des activités

juridiques, Droit et société, n°9, 1988, p. 174). 132 G. VEDEL, Le hasard et la nécessité, Pouvoirs, n°50, 1989, p. 27 133 Sur les causes du respect de la norme, cf. F. RANGEON, Réflexions sur l’effectivité du

droit, in Les usages sociaux du droit, Centre universitaire de recherches administratives et

politiques de Picardie, PUF, 1989, p. 126 et s.

Page 57: L'efficacité des garanties personnelles

l’ordre juridique, et notamment par des conceptions morales ou religieuses, ou

encore par « les avantages qui, bien que n’étant pas déterminés par l’ordre

juridique, sont associés à une conduite licite »134.

S’il est nécessaire de relativiser le rôle joué par la peur des sanctions dans le

respect des normes, il l’est tout autant de ne pas nier le rôle incitatif des sanctions.

La connaissance de la sanction attachée à la violation d’une norme est de nature à

influer sur les choix comportementaux qu’opèrent le créancier et le garant, lors de la

formation de la garantie personnelle et au cours de la vie de celle-ci.

Cette connaissance ne se traduit pas nécessairement par le respect de la norme.

« C’est le calcul de l’intérêt qui produit le respect de la loi »135 ou du contrat. Telle

est la thèse défendue par l’analyse économique du droit. Becker a ainsi développé

une théorie économique du crime136, en vertu de laquelle si le « délinquant », qui est

supposé rationnel, viole la loi, c’est parce que cela est, pour lui, optimal. C’est un

calcul économique qui fait ressortir le choix optimal entre le respect et la violation

de la norme. Ce calcul repose sur la comparaison entre, d’une part, l’évaluation de

l’avantage résultant de la transgression de la norme et, d’autre part, le coût de la

sanction encourue et la probabilité d’être effectivement sanctionné. Plus la sanction

est lourde137, et plus le taux de sanction des violations est élevé, donc plus les effets

de la sanction sont dissuasifs138, plus le calcul optimisateur incite à respecter la

norme.

C’est parce que les choix comportementaux des parties sont orientés par le

caractère dissuasif des sanctions et parce que ce caractère leur est conféré par la loi

et les juges, qu’il est possible de soutenir que le droit favorise l’apparition des

facteurs d’efficacité découlant de ces choix comportementaux.

134 H. KELSEN, Théorie générale du droit et de l’Etat, éd. Bruylant LGDJ, coll. La pensée

juridique, 1997, p. 75

Ainsi, le paiement de ses dettes a pour avantage, non prévu par l’ordre juridique, d’augmenter

son crédit. Le fait de traverser la route sur un passage protégé présente l’avantage, non inscrit

dans le Code de la route, d’assurer sa sécurité. 135 M.-A. FRISON-ROCHE, L’efficacité des décisions en matière de concurrence : notions,

critères, typologie, LPA 28 décembre 2000, n°259, n°17 136 Pour une présentation de cette théorie, cf. C. BARRERE, Les approches économiques du

système judiciaire, RJDE 1999/2, n° spécial De l’économie de la justice, p. 162 et 163 137 En matière civile, « la sanction consiste toujours en la dépossession d’un bien

économique » (H. KELSEN, op. cit., p.100). Par conséquent, le poids de la sanction

s’apprécie à la lumière de l’étendue de cette dépossession. 138 Toutes les sanctions ont une fonction dissuasive, liée à leur nature même (cf. J. RIVERO,

Sur l’effet dissuasif de la sanction juridique, Mélanges P. Raynaud, 1985, p. 675 et s. ; C.

OUERDANE-AUBERT de VINCELLES, Altération du consentement et efficacité des

sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous la direction d’Y. LEQUETTE, n° 23 :

« l’effet dissuasif, attaché à toute sanction, est un effet accessoire à la fonction principale des

sanctions, qui est réparatrice pour les sanctions civiles, et répressive pour les sanctions

pénales »). Elles ne sont efficaces, c'est-à-dire que leurs effets ne sont en adéquation avec

cette fonction, que sous certaines conditions. Dans sa thèse, Mme OUERDANE-AUBERT de

VINCELLES (ibid., n°25) a retenu quatre conditions : l’effet dissuasif ne peut concerner que

les contractants de mauvaise foi ; l’auteur potentiel de la violation doit non seulement avoir

conscience de commettre un acte interdit, mais doit également en connaître la sanction ; les

effets de la sanction doivent être proportionnés à l’avantage que lui a procuré la violation ;

enfin, l’auteur doit croire à la réalisation de la sanction, c'est-à-dire à sa condamnation.

Page 58: L'efficacité des garanties personnelles

106. L’influence du droit sur la validité des accords de volonté des

parties. Si un accord de volonté entre le créancier et le garant, relativement à la

nature ou au contenu de la garantie personnelle, peut conduire à certaines

expressions de l’efficacité, c’est parce que la loi attribue force obligatoire à cet

accord. A l’inverse, il suffit qu’une loi interdise, par exemple, le recours à certains

garants, la conclusion de certaines garanties personnelles, des clauses de

renonciation à certains moyens de défense, les limitations à la liberté du garant

d’accomplir des actes pouvant affecter son patrimoine, ou encore le droit de regard

du créancier sur l’activité et / ou sur la situation financière du garant, pour que

l’accord des parties sur ces différents éléments soit nul et pour que, de ce fait,

nombre de facteurs d’efficacité soient entravés. La « loi contractuelle » ne peut être

à l’origine de facteurs d’efficacité que si la loi étatique lui confère force obligatoire.

L’accord de volonté des parties ne tire pas cette force de la volonté même des

contractants. « Les contractants n’ont le pouvoir de créer des normes (qui peuvent

constituer des facteurs d’efficacité)139 que parce que, et dans la mesure où l’Etat le

leur reconnaît »140. Cette subordination de la volonté des parties au droit a été

magistralement démontrée par Kelsen141. Il n’est pas question d’exposer plus avant

la doctrine normativiste, ni de s’interroger sur les raisons pour lesquelles le droit

institue l’accord de volonté des parties comme état de fait créateur de droit. Il

convient, en revanche, d’insister sur le fait que, si le créancier peut opérer des choix

qui, une fois acceptés par le garant, peuvent se traduire par des facteurs d’efficacité,

c’est bien parce que la loi lui laisse la liberté de protéger ses intérêts financiers.

107. Les moyens par lesquels le droit favorise l’efficacité subjective des

garanties personnelles. Le droit permet la réalisation des attentes subjectives des

créanciers en laissant à ceux-ci la liberté d’organiser la protection de leurs intérêts.

Le droit favorise ainsi l’efficacité subjective des garanties personnelles en donnant

aux parties et, plus spécialement, aux créanciers, le moyen de réaliser leurs attentes.

Ce moyen réside dans la liberté contractuelle.

S’agissant du législateur, il favorise l’efficacité in concreto en laissant aux

créanciers la liberté d’opérer des choix relatifs aux modalités de la protection de

leurs intérêts. Ce sont les silences de la loi et les dispositions légales seulement

supplétives142 qui autorisent ces choix et qui favorisent par là même l’adéquation

entre les deux niveaux d’attentes subjectives.

139 C’est nous qui rajoutons. 140 P. ANCEL, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 776,

n°7

Un parallèle peut être établi entre l’emprise du droit étatique sur l’accord de volonté des

parties et l’emprise de la justice étatique sur les modes alternatifs de règlement des conflits

reposant sur un contrat (soit un compromis, soit une transaction). Sur cette dernière emprise,

cf. L. CADIET, Une justice contractuelle, l’autre, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, n°5,

p. 190 : « que ce soit carrément, dans le principe même de leur mise en œuvre ou, seulement,

dans le contrôle de leur efficacité, les modes alternatifs de règlement des conflits ne sont

concevables qu’articulés à la justice étatique ». 141 H. KELSEN, op. cit. ; H. KELSEN, La théorie juridique de la convention, APD 1940,

p. 36 142 En termes d’efficacité, les dispositions supplétives présentent également l’avantage de

« réduire les coûts de transaction dûs aux négociations qui consomment du temps et de

l’énergie » (U. MATTEI, L’efficacité et l’égalité dans le nouveau droit des contrats

Page 59: L'efficacité des garanties personnelles

S’agissant des juges, ils favorisent l’efficacité subjective en validant les choix

des créanciers et en permettant, ce faisant, la conformité entre les attentes

subjectives et les effets produits par la garantie personnelle conclue.

108. Le droit commande donc les domaines dans lesquels les parties peuvent

valablement opérer des choix techniques. Par ailleurs, il est susceptible d’orienter le

contenu de leurs choix comportementaux. Enfin, il peut conférer un caractère éclairé

à l’ensemble de leurs choix. Par conséquent, si les parties peuvent provoquer

l’apparition de facteurs d’efficacité, c’est bien parce que le droit leur en donne les

moyens. Ces moyens sont essentiellement les espaces laissés à la liberté

contractuelle par la loi, la validation jurisprudentielle des choix reposant sur cette

liberté, le caractère dissuasif des sanctions attachées à la violation des normes

légales et contractuelles et les qualités formelles rendant le droit accessible et

intelligible. Le droit favorise donc l’efficacité des garanties personnelles en

fournissant aux contractants les matériaux nécessaires à la construction de

l’efficacité143.

Juges et législateur peuvent jouer un rôle encore plus immédiat dans cette

construction, s’ils provoquent l’apparition de facteurs d’efficacité, sans le

truchement de la volonté des parties.

§2 : L’EFFICACITÉ ORGANISÉE PAR LE DROIT

109. La poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des garanties

personnelles est particulièrement évidente lorsque l’apparition des facteurs

d’efficacité est exclusivement imputable à des dispositions légales impératives ou à

des décisions jurisprudentielles ne se prononçant pas sur la validité de stipulations

contractuelles. L’intervention du droit dans la construction de l’efficacité est ainsi

immédiate chaque fois que la loi ou la jurisprudence sont à l’origine de facteurs

d’efficacité ne pouvant procéder de la volonté des parties (A). Mais, c’est surtout

lorsque le droit prend lui-même en charge la protection des intérêts financiers des

créanciers que son implication dans la construction de l’efficacité des garanties

personnelles est la plus active (B). L’efficacité n’est plus seulement favorisée, elle

est véritablement organisée par le droit.

A/ LES FACTEURS D’EFFICACITÉ D’ORIGINE NÉCESSAIREMENT

LÉGALE OU JURISPRUDENTIELLE

Deux types de facteurs d’efficacité échappent à la volonté des contractants et ne

ressortissent qu’au droit applicable aux garanties personnelles.

110. La stabilité des prévisions extrinsèques et le respect des prévisions

intrinsèques des parties. Les premiers facteurs d’origine nécessairement légale ou

jurisprudentielle se rapportent aux prévisions des parties.

européen. Règles impératives, dispositives et mesures coercitives, Mélanges A. Rieg,

Bruylant, 2000, p. 598). 143 Les contractants peuvent ainsi être comparés à un démiurge, « dieu qui façonne le monde à

partir d’une matière préexistante, mais qui ne crée pas cette matière ».

Page 60: L'efficacité des garanties personnelles

La stabilité des « prévisions extrinsèques », ayant pour objet les données

juridiques entourant la conclusion de la garantie personnelle, est subordonnée à la

stabilité du contenu et de l’interprétation du droit lui-même. Cette stabilité ne tient

en rien à la volonté des parties. Elle dépend exclusivement de qualités formelles que

devraient présenter la loi et la jurisprudence, au rang desquelles figurent la clarté et

la cohérence144.

Le respect des « prévisions intrinsèques » des parties dépend, quant à lui, du

sort que réservent le législateur et les juges au principe d’intangibilité du contrat.

L’apparition de ce facteur d’efficacité est donc, elle aussi, totalement soustraite à la

volonté des parties.

111. Les facteurs d’efficacité impliquant l’exercice du droit de gage

général. La seconde catégorie de facteurs ne pouvant procéder que du droit, à

l’exclusion de la volonté des contractants, comprend tous les facteurs impliquant

l’exercice du droit de gage général. Ainsi, l’efficacité des recours avant et après

paiement ouverts au garant contre le débiteur principal, et l’efficacité des mesures

conservatoires dirigées contre le patrimoine du garant, dépendent, non seulement des

conditions d’exercice imposées par le législateur, mais aussi de l’interprétation

jurisprudentielle de ces conditions.

112. En dehors de ces facteurs d’efficacité d’origine nécessairement légale ou

jurisprudentielle, l’implication directe du droit dans la construction de l’efficacité

des garanties personnelles se manifeste chaque fois que la loi ou les juges protègent

eux-mêmes les intérêts patrimoniaux des créanciers.

B/ LA PROTECTION LÉGALE OU JURISPRUDENTIELLE

DES INTÉRETS DES CRÉANCIERS

113. Les deux formes de protection des intérêts du créancier. Le

législateur et les juges organisent l’efficacité des garanties personnelles en instaurant

des règles qui protègent les intérêts financiers des bénéficiaires, soit en leur étant

immédiatement favorables, soit en leur imposant des contraintes utiles à l’efficacité.

114. Les règles impératives immédiatement favorables aux créanciers.

Plutôt que de laisser les créanciers protéger eux-mêmes leurs intérêts, en

abandonnant le choix du garant, de la nature et du contenu de la garantie personnelle

à la liberté contractuelle, le législateur peut lui-même protéger les intérêts des

créanciers. Il devance alors, en quelque sorte, les choix techniques que ces derniers

devraient opérer, en situation de liberté contractuelle, pour inciter des tiers à éteindre

la dette principale ou pour rendre plus sûre l’exécution du garant. Les facteurs

d’efficacité relatifs aux éléments essentiels de l’opération contractuelle, que nous

avions précédemment imputés à l’accord de volonté des parties, résultent, dans ce

cas, de dispositions légales.

Ainsi, le législateur peut encourager, voire ordonner, le recours à un garant

professionnel.

144 Sur les qualités formelles du droit favorisant la stabilité de son contenu et de son

interprétation, cf. infra n°210-226

Page 61: L'efficacité des garanties personnelles

Il peut améliorer la connaissance, par les créanciers, des données factuelles

entourant la conclusion de la garantie personnelle. A cette fin, il peut, par exemple,

imposer au débiteur et au garant pressenti de fournir au créancier des informations

sur leur situation patrimoniale et sur de précédents engagements. Il peut aussi

conférer aux créanciers des pouvoirs d’investigation, ou encore organiser la

publicité d’actes susceptibles d’affecter la solvabilité du débiteur ou du garant.

Pour diminuer les risques d’appauvrissement du garant avant la réalisation de la

garantie personnelle, le législateur peut reconnaître et fixer les modalités du contrôle

du créancier sur l’activité et / ou sur le patrimoine du garant. Par ailleurs, il peut

invalider certains actes du garant qui pourraient compromettre sa solvabilité.

Afin d’éviter les contestations du garant, le législateur peut priver ce dernier de

moyens de défense ou subordonner ceux-ci à de strictes conditions ou encore

imposer le recours à des garanties personnelles offrant, de par leur nature, peu de

moyens de défense au garant.

Enfin, pour favoriser l’engagement d’un tiers en qualité de cessionnaire de la

créance principale, la loi peut rendre automatique la transmissibilité de la garantie

personnelle avec ladite créance.

Dans tous ces exemples, la protection des intérêts financiers des créanciers

résulte de règles impératives qui leur sont immédiatement favorables.

115. Les règles coercitives utiles à l’efficacité des garanties personnelles.

L’organisation de l’efficacité des garanties personnelles peut également reposer sur

des dispositions légales ou des décisions jurisprudentielles qui restreignent la liberté

des créanciers.

Les mesures coercitives sont utiles à l’efficacité, car elles réduisent les coûts de

transaction. En effet, en leur présence, « les parties n’ont pas besoin d’investir des

ressources pour créer eux-mêmes des stratégies autocoercitives »145.

Les règles coercitives peuvent aussi éviter des comportements opportunistes,

qui risquent de conduire à l’inexécution du cocontractant146. Les contraintes

imposées aux créanciers peuvent ainsi les dissuader de commettre des abus et les

empêcher de se voir, en conséquence, opposer des moyens de défense attentatoires à

leurs intérêts147.

116. Conclusion du Chapitre 1. L’implication du droit dans la construction

de l’efficacité des garanties personnelles, c'est-à-dire dans l’apparition de leurs

facteurs d’efficacité objective et subjective, est donc directe lorsque la loi ou les

juges protègent les intérêts financiers des créanciers, soit immédiatement, soit par le

biais de mesures coercitives. L’implication est encore directe en présence de facteurs

dont l’origine ne peut être que légale ou jurisprudentielle.

145 U. MATTEI, art. préc., p. 397 146 En ce sens, cf. U. MATTEI, ibid., p. 397 : « le droit des contrats fournit des mesures

coercitives, qui introduisent des stimulations d’exécution qui évitent des comportements

opportunistes de la partie qui doit s’exécuter plus tard, améliorant ainsi l’efficacité en

augmentant le nombre d’échanges et la taille du marché ». 147 Il sera démontré plus loin que les contraintes imposées aux créanciers ne servent

l’efficacité des garanties personnelles que lorsqu’elles sont fondées sur les exigences de

l’impératif d’éthique contractuelle, et non sur ses excroissances (cf. infra n°163-171).

Page 62: L'efficacité des garanties personnelles

La participation du droit dans la mise au jour des facteurs d’efficacité peut

également avoir lieu par l’intermédiaire de la volonté des parties. Le droit fournit

alors à celles-ci les moyens de construire l’efficacité, le moyen essentiel étant la

liberté contractuelle.

Qu’elle soit directe ou médiate, l’implication du droit dans l’apparition des

facteurs d’efficacité concrétise la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit, qui

est la condition sine qua non pour que les garanties personnelles puissent être

efficaces.

Les traductions de la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des

garanties personnelles étant établies, il est important de démontrer que cette

recherche de l’efficacité ne contrevient pas à certaines valeurs juridiques

fondamentales et, plus précisément, aux principes directeurs du contrat.

Page 63: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE II

L’OBJECTIF D’EFFICACITÉ

ET LES PRINCIPES DIRECTEURS DU CONTRAT

117. L’évolution des principes directeurs du contrat. Au XIXe siècle, le

contrat n’était pas considéré comme un objet d’intervention, ni pour le législateur, ni

pour le juge car, conformément à la philosophie individualiste et à la doctrine

économique libérale dominantes à cette époque, les contractants étaient censés « en

toute liberté et indépendance, et sur un pied d’égalité, se promettre fidélité et

loyauté pour toute la durée de leur relation contractuelle »148, et les contrats étaient

censés créer le juste par le libre jeu de l’offre et de la demande149. La théorie

générale du contrat était alors dominée par les principes d’autonomie de la volonté,

de liberté contractuelle, et d’intangibilité du contrat.

Au cours du XXe siècle, sous l’influence des doctrines socialistes et

sociaux-chrétiennes, puis des syndicats, puis des associations de consommateurs150,

les interventions de l’Etat en matière contractuelle se sont multipliées en vue de

rétablir l’égalité, la justice, et la loyauté défaillantes entre les contractants. La

jurisprudence, considérant également le contrat comme le produit de rapports de

forces et comme une source d’abus, s’est conjointement immiscée dans le contrat

pour corriger, au cas par cas, les déséquilibres contractuels les plus criants.

Aujourd'hui, la théorie générale du contrat est donc marquée par des

principes nouveaux, au premier rang desquels figurent l’égalité, l’équilibre et la

fraternité contractuelle151.

118. La question de la compatibilité de la poursuite de l’objectif

d’efficacité avec les principes directeurs du contrat. La question se pose de savoir

si ces « principes directeurs » du droit positif des contrats152 sont compatibles avec

148 D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA 6 mai 1998, p. 11 et s., n°5 149 En ce sens, cf. J. GHESTIN, Les obligations, Le contrat : formation, LGDJ, 1993, 3e éd.,

n°40 150 Sur ces différentes influences, cf. J. GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, D.

1982, chron., p. 2 151 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, Regards positifs et prospectifs sur « le nouveau monde

contractuel », LPA 7 mai 2004, n°92, p. 47 et s. ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, Libres

propos sur la transformation du droit des contrats, RTD civ. 1997, p. 357 et s., n°27 et s. 152 J. GHESTIN, Les obligations, Le contrat : formation, LGDJ, 1993, 3e éd., n°253 et 254

Page 64: L'efficacité des garanties personnelles

la poursuite de l’objectif d’efficacité. Autrement dit, le droit des garanties

personnelles peut-il et, le cas échéant, selon quelles modalités, protéger les intérêts

des garants et des débiteurs principaux, sans pour autant restreindre les chances de

paiement des créanciers ?

Pour répondre à cette question, il convient d’analyser les rapports entre

l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et les deux formes de justice

particulière dégagées par Aristote, à savoir la justice corrective et la justice

distributive (Section 1), puis les rapports entre l’objectif d’efficacité des garanties

personnelles et cet autre principe directeur qu’est l’éthique contractuelle (Section 2).

SECTION 1 : LES RAPPORTS ENTRE L’OBJECTIF

D’EFFICACITÉ ET L’IMPÉRATIF DE JUSTICE

CONTRACTUELLE

119. La justice. Bien que l’idée de justice soit éminemment subjective et que

la définition de la justice prête, de ce fait, à discussion, trois sens principaux ont pu

être attribués au terme de justice153 : « 1. Principe suivant lequel on doit attribuer à

chacun ce qui lui est dû ; la vertu correspondant à la volonté de chacun d’y

parvenir. 2. La manière dont chaque société donne forme et contenu précis à ce

principe ; d’où l’ordre politique et social correspondant à ce type d’agencement

social ; la légalité qui la fonde. 3. Organisation judiciaire ou service public

assurant la réalisation de la justice aux sens précédents ».

120. La justice contractuelle. Lorsqu’il est question de justice dans le

contrat154, c’est le premier de ces sens qui est pertinent. La justice contractuelle

consiste, en effet, à rendre à chaque contractant ce à quoi il peut prétendre. La

justice contractuelle est ainsi l’expression de ce qu’Aristote155 appelait la « justice

particulière », qui se définit par rapport à l’égalité, par opposition à la « justice

générale », qui se définit par rapport à la loi. La justice particulière, qui réside dans

le fait d’attribuer à chacun sa part de « choses extérieures » comporte, dans la

philosophie d’Aristote, deux espèces.

121. La justice corrective. Il s’agit, tout d’abord, de la justice corrective, qui

a pour champ d’action les « synallagmata », c'est-à-dire les actes interhumains156.

153 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la direction de A.-J.

ARNAUD, LGDJ, 1993, v° Justice

Pour une démonstration de « ce qui est objectif, donc réel et universalisable, dans le

sentiment de justice », cf. M.-A. FRISON-ROCHE, Le juge et le sentiment de justice,

Mélanges P. Bézard, Le juge et le droit de l’économie, Petites Affiches Montchrestien, 2002,

p. 41 et s. 154 La justice contractuelle peut s’entendre, non seulement de la justice dans le contrat, mais

aussi de la justice par le contrat (en ce sens, cf. L. CADIET, Les jeux du contrat et du procès,

Mélanges G. Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 23 et s. ; L. CADIET, Une justice

contractuelle, l’autre, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 177 et s.). Nous n’envisagerons

que la première acception. 155 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre V 156 Dans la doctrine aristotélicienne, sont envisagés les « synallagmata » volontaires (vente,

achat, prêt, caution, prêt à usage, location…) et involontaires (délits). Sur l’ensemble de cette

Page 65: L'efficacité des garanties personnelles

Les relations privées entre individus emportent toujours des changements, au

bénéfice de l’un et au détriment de l’autre, relativement à la possession des biens

conditionnant leur bonheur. La justice corrective vise à restaurer l’équilibre, à

rétablir l’ordre antérieur entre les deux situations, de sorte que chaque personne n’ait

que ce qu’elle avait avant le « synallagma ». La justice corrective repose sur une

égalité pure et simple, consistant dans l’équivalence arithmétique des biens échangés

et des services mutuels.

122. La justice distributive. L’autre espèce de justice particulière est la

justice distributive, dont le champ d’action est la distribution des biens susceptibles

d’être répartis entre ceux qui participent à la fonction de l’Etat. Elle vise à établir

l’égalité entre les membres de la Cité dans la distribution des honneurs, des

richesses, et de tous autres avantages. L’égalité en question tient compte des mérites

et des besoins de chacun. Elle est donc de type proportionnel ou géométrique et

admet des inégalités de traitement entre les citoyens.

123. La question de la compatibilité entre l’objectif d’efficacité et les

deux exigences de la justice contractuelle. L’impératif de justice contractuelle, qui

tient aujourd'hui une place prépondérante dans la théorie générale du contrat et dans

le droit positif des contrats, recouvre deux exigences, correspondant à chacune des

espèces de justice particulière.

La première exigence, relevant de la justice corrective, consiste à maintenir ou

à rétablir l’équilibre entre les patrimoines des contractants.

La seconde exigence, exprimant la justice distributive, consiste à accorder des

avantages aux contractants victimes d’une certaine violence économique et sociale.

Afin de déterminer dans quelle mesure le droit des garanties personnelles peut

poursuivre l’objectif d’efficacité, tout en mettant en œuvre l’impératif de justice

contractuelle, doivent être étudiés les rapports qu’entretient cet objectif d’efficacité

avec, d’une part, la justice corrective (§1) et, d’autre part, la justice distributive (§2).

§1 : JUSTICE CORRECTIVE ET OBJECTIF D’EFFICACITÉ

124. Les rapports entre l’impératif de justice corrective et l’objectif

d’efficacité des garanties personnelles sont complexes. En effet, la poursuite de

l’objectif d’efficacité s’oppose à ce que le législateur et les juges interfèrent dans les

rapports entre le créancier et le garant, dans un souci de justice corrective car, dans

le contrat unilatéral de garantie lui-même, le rééquilibrage des obligations constitue

un facteur d’inefficacité (A). En revanche, la correction du déséquilibre entre le

patrimoine du débiteur principal et celui du garant, engendré par le paiement de ce

dernier, constitue un facteur d’efficacité dont le droit des garanties personnelles

devrait organiser l’apparition (B).

A/ LA JUSTICE CORRECTIVE DANS LE CONTRAT UNILATERAL

DE GARANTIE : UN FACTEUR D’INEFFICACITÉ

doctrine, cf. C. DESPOTOPOULOS, La notion de synallagma chez Aristote, in Les notions

de contrat, APD, t. XIII, 1968, p. 115 et s.

Page 66: L'efficacité des garanties personnelles

125. Les exigences de l’impératif de justice corrective en matière

contractuelle. L’impératif de justice corrective, en matière contractuelle, signifie

que le contrat ne doit pas détruire l’équilibre qui existait antérieurement entre les

patrimoines des parties.

Il implique que le contrat, dans sa formation et son exécution, respecte un

équilibre entre les prestations, un équilibre global entre les droits et obligations des

parties et entre les clauses157. Chacune des parties doit donc recevoir l’équivalent de

ce qu’elle donne et ne doit pas être soumise à des obligations disproportionnées au

regard de celles de son cocontractant. Une proportion purement mathématique doit

régner dans le contrat158.

Si les parties ne parviennent pas à instaurer un équilibre entre leurs prestations,

l’impératif de justice corrective exige que le droit attribue des avantages à la partie

lésée, afin que soit rétabli, en valeur, l’état de choses préexistant entre le créancier et

le débiteur, sur une base d’égalité159.

126. L’équilibre contractuel : un impératif propre aux contrats

synallagmatiques. L’équilibre contractuel, fondé sur la justice corrective, est

aujourd'hui présenté comme l’ « une des exigences de notre droit contemporain des

contrats »160, et il innerve le droit positif161. Pour autant, tous les contrats ne sont pas

concernés par cette exigence d’équilibre.

« L’idée d’équilibre dans le contrat, l’expression de justice (corrective), n’a de

sens que dans les contrats synallagmatiques commutatifs à titre onéreux car eux

seuls sous-tendent la réciprocité des prestations »162. L’équilibre entre les

157 En ce sens, cf. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°29 158 M. BEHAR-TOUCHAIS (Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?,

Rapport introductif, LPA 30 septembre 1998, n°117, n°6) distingue cette proportionnalité, qui

est un instrument au service du respect de l’équilibre voulu par les parties, de la

« proportionnalité finalisée », qui est liée au but poursuivi par les parties. Dans le même sens,

S. PESENTI (Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51,

p. 12 et s., n °6) distingue la « proportionnalité interne », qui est un élément de rétablissement

de l’équilibre contractuel, de la « proportionnalité externe », qui est un moyen d’éviter l’excès

de la sûreté par rapport au patrimoine du garant. Nous étudierons cette seconde approche de la

proportionnalité dans le cadre des rapports entre l’objectif d’efficacité et l’impératif d’éthique

contractuelle. 159 En ce sens, cf. J. GHESTIN, L’utile et le juste dans les contrats, D. 1982, chron., p. 6 160 D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et patrimoine 1998,

n°58, p. 59 161 Pour une présentation des règles, préventives et curatives, reposant sur l’objectif

d’équilibre, dans la codification française, les textes législatifs et réglementaires non codifiés,

les décisions jurisprudentielles, les arbitrages et enfin les principes UNIDROIT, cf. L. FIN

LANGER, L’équilibre contractuel, th. Orléans, 2000, sous la direction de C. THIBIERGE-

GUELFUCCI 162 J.-M. GUEGUEN, Le renouveau de la cause en tant qu’instrument de justice

contractuelle, D. 1999, chron., p. 352 et s., n°4. Dans le même sens, cf. C. NOBLOT, La

qualité du contractant comme critère légal de protection. Essai de méthodologie législative,

LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE, n°460 : « la justice commutative est le principe directeur

des contrats synallagmatiques à titre onéreux ».

Page 67: L'efficacité des garanties personnelles

prestations des parties ne peut être recherché que dans le cadre d’un échange163, d’un

rapport de commutation patrimonial réciproque164.

En revanche, la justice corrective, et l’équilibre contractuel qu’elle implique,

n’ont aucun sens dans les contrats unilatéraux à titre gratuit165, dans lesquels une

personne s’oblige envers une ou plusieurs autres sans qu’il n’y ait, de la part de ces

dernières, d’engagement réciproque, de contrepartie166. La disproportion entre les

obligations des parties, et le déséquilibre entre les patrimoines de celles-ci,

occasionné par l’exécution du contrat, sont inhérents aux contrats unilatéraux à titre

gratuit et ils sont voulus par les contractants. En conséquence, le législateur et les

juges portent atteinte, non seulement à la volonté des parties, mais aussi à l’essence

même des contrats unilatéraux à titre gratuit, s’ils tentent de rétablir l’équilibre des

patrimoines, au nom de la justice corrective. Le rééquilibrage, légal ou

jurisprudentiel, compromet indubitablement l’efficacité des contrats unilatéraux à

titre gratuit, et notamment des garanties personnelles, puisqu’il contredit à la fois les

prévisions intrinsèques des parties (efficacité subjective) et la fonction de ces

contrats (efficacité objective).

127. Le rééquilibrage du contrat : un facteur d’inefficacité des contrats

unilatéraux. Pour rendre les garanties personnelles efficaces, le droit qui leur est

applicable ne doit pas s’immiscer dans les rapports entre le créancier et le garant, sur

le fondement de la justice corrective. Le droit des garanties personnelles ne peut

rendre ces contrats efficaces s’il méconnaît leur caractère unilatéral en cherchant à

fournir au garant une contrepartie ou à réduire le déséquilibre des obligations issues

du contrat. Les moyens que le législateur et les juges déploient, pour prévenir ou

remédier aux déséquilibres initiaux ou postérieurs à la conclusion des contrats

synallagmatiques à titre onéreux, doivent demeurer étrangers aux contrats de

garantie. Il en va ainsi, notamment, de la rescision pour lésion, de l’annulation des

clauses abusives, et de la révision pour imprévision. Les restrictions à la liberté

contractuelle et à la sécurité juridique qu’emportent ces mesures de rééquilibrage ne

sont admissibles que si elles sont justifiées par l’impératif de justice corrective167.

Dès lors que la justice contractuelle est inopérante, ce qui est le cas en matière de

contrats unilatéraux à titre gratuit, il n’y a donc aucune raison d’admettre, sur ce

163 Toute la doctrine d’Aristote, relative à la justice corrective, est ainsi élaborée au regard des

« actes d’échange ». 164 L. FIN LANGER, th. préc. : « l’état d’harmonie du contenu du contrat apprécié dans sa

globalité existera lorsque sur le plan quantitatif l’équilibre pourra se constater grâce à la

réciprocité ou à la commutativité et quand, au niveau qualitatif, les prestations réciproques

ou commutatives pourront être qualifiées d’équivalentes ou proportionnées ». 165 En ce sens, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Existe-t-il un principe de proportionnalité en

droit privé ?, Conclusion, LPA 30 septembre 1998, n°117, note 8 ; D. PARDOEL, Les

obligations d’information de la caution portant sur l’évolution de la dette principale, LPA 3

juillet 2001, n°131, p. 13 et s. 166 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Unilatéral,

sens 2, p. 898 ; V° Gratuit, sens 1, p. 426 167 Même dans ce cadre, la doctrine prône une application mesurée et in concreto du principe

d’équilibre contractuel (cf. C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°33 ; L. FIN LANGER

(th. préc.) considère qu’au nom de la sécurité juridique, le rééquilibrage doit se plier à

l’exigence d’un seuil d’intervention qui « consiste dans l’inexistence ou la perte d’utilité

individuelle et sociale du contrat »).

Page 68: L'efficacité des garanties personnelles

fondement, des atteintes à la volonté des parties, à la fonction des contrats, et donc à

l’efficacité de ceux-ci.

128. Il peut alors sembler excessif de ranger l’équilibre contractuel parmi les

principes de la théorie générale du contrat car, s’il s’agit bien d’un principe

directeur, il ne s’applique qu’à certains contrats, ceux reposant sur la réciprocité. A

l’égard des autres contrats, dans lesquels les intérêts de l’une seule des parties sont

protégés, l’équilibre contractuel n’est qu’un facteur d’inefficacité, que le législateur

et les juges doivent se garder de provoquer.

Si le principe d’équilibre contractuel au sein du contrat unilatéral conclu entre

le créancier et le garant est donc incompatible avec la poursuite de l’objectif

d’efficacité, il ne faut pas en déduire que la justice corrective ne doit jouer aucun

rôle en matière de garanties personnelles. A partir du moment où l’on appréhende

l’opération de garantie dans son ensemble et que l’on s’intéresse aux rapports entre

le garant et le débiteur principal, il apparaît, en effet, que la mise en œuvre de la

justice corrective peut contribuer à rendre les garanties personnelles efficaces.

B/ LA JUSTICE CORRECTIVE DANS LES RAPPORTS GARANT-DEBITEUR :

UN FACTEUR D’EFFICACITÉ

129. Exclusion de la justice corrective en présence d’une dette du garant

envers le débiteur principal. Le garant peut s’engager auprès du créancier parce

qu’il est déjà tenu envers le débiteur principal168. Dans ce cas, l’exécution de son

obligation de règlement éteint, à due concurrence, non seulement la dette du débiteur

principal à l’égard du créancier169, mais aussi sa propre dette envers le débiteur

principal. La réalisation de la garantie personnelle se traduit, ainsi, par un double

paiement simplifié, qui a pour effet d’attribuer à chacun des protagonistes ce à quoi

il pouvait prétendre. L’exécution du contrat de garantie lui-même n’emporte aucun

déséquilibre entre le patrimoine du garant et celui du débiteur principal170. Il n’y a

donc pas lieu de faire jouer des mécanismes fondés sur la justice corrective, afin de

rétablir une équivalence arithmétique entre la prestation du garant et celle du

débiteur principal.

130. Les manifestations de la justice corrective en présence d’un garant

non tenu envers le débiteur principal. Il en va tout autrement lorsque le garant

s’engage auprès du créancier sans être préalablement tenu d’une dette envers le

débiteur principal. A défaut d’un intérêt personnel du garant au paiement du

créancier, ce paiement engendre une rupture d’équilibre entre le patrimoine du

garant et celui du débiteur principal. A moins que le garant recherche ce

déséquilibre, car il entend réaliser une libéralité au profit du débiteur principal,

l’impératif de justice corrective interdit de laisser subsister un tel déséquilibre171.

168 Sur les causes de l’obligation de couverture du garant, cf. infra n°292-297 169 Cette extinction s’explique par le caractère accessoire essentiel des garanties personnelles.

Cf. infra n°278 170 Il n’est pas exclu, en revanche, que le rapport juridique ayant donné naissance à la dette du

garant envers le débiteur principal soit, lui, déséquilibré. 171 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, Le caractère accessoire du cautionnement, préf. D.

LEGEAIS, PUAM, 2001, n°3 à 7 et n°475 à 485

Page 69: L'efficacité des garanties personnelles

Ainsi, le garant doit pouvoir demander remboursement au débiteur principal de

tout ce qu’il a payé au créancier, s’il n’était pas préalablement débiteur du débiteur

principal, ou de la partie du paiement excédant le montant de sa propre dette envers

le débiteur principal. Les recours du garant contre le débiteur s’expliquent donc par

l’absence, totale ou partielle, d’intérêt personnel du garant au paiement du créancier

et donc par le déséquilibre entre le patrimoine du garant et celui du débiteur

principal qu’emporte ce paiement. Ces recours sont l’expression de l’impératif de

justice corrective dans les rapports entre le garant et le débiteur principal.

131. Le droit des garanties personnelles doit organiser l’efficacité des

recours du garant contre le débiteur principal. Le droit des garanties

personnelles, pour rendre ces contrats efficaces, doit faire respecter cet impératif et

faciliter ainsi les recours du garant. Ces recours constituent, en effet, des facteurs

d’efficacité objective des garanties personnelles, non seulement en ce qu’ils incitent

le débiteur principal à exécuter lui-même ses obligations, mais aussi en ce qu’ils

augmentent les chances d’exécution volontaire du garant172.

Pour que les recours contribuent effectivement à accroître la sécurité des

créanciers, encore faut-il que le législateur et les juges veillent à leur propre

efficacité. Celle-ci réside dans le respect de la justice corrective, c'est-à-dire dans le

rétablissement, en valeur, de l’état de choses préexistant entre le garant et le débiteur

principal, sur une base d’égalité. Le droit des garanties personnelles doit donc

permettre au garant de sortir indemne de l’opération de garantie, dès qu’il n’a pas

d’intérêt personnel au paiement du créancier.

132. Les rapports complexes entre l’objectif d’efficacité des garanties

personnelles et l’impératif de justice corrective. L’efficacité des garanties

personnelles et la justice corrective ne sont donc pas des objectifs complètement

inconciliables. Pour se conformer à l’objectif d’efficacité, le législateur et les juges

doivent, certes, se garder d’interférer dans les rapports entre le créancier et le garant,

au nom de la justice corrective, car celle-ci est incompatible avec le caractère

unilatéral de ces contrats de garantie. En revanche, ils doivent corriger le

déséquilibre entre le patrimoine du garant n’ayant pas d’intérêt personnel au

paiement du créancier et le patrimoine du débiteur principal, en offrant des recours

efficaces au garant, car ces recours sont des facteurs d’efficacité objective.

§2 : JUSTICE DISTRIBUTIVE ET OBJECTIF D’EFFICACITÉ

133. En matière contractuelle, l’impératif de justice distributive commande de

dispenser les débiteurs victimes de la crise économique de leur obligation au

paiement et de faire supporter aux créanciers d’importants sacrifices (A). Comme

ces expressions de la justice distributive entrent en conflit avec l’objectif d’efficacité

des garanties personnelles, il est nécessaire de déterminer lequel de ces deux

objectifs mérite de prendre le pas sur l’autre, non seulement lorsque la justice

distributive profite au garant (B), mais aussi lorsqu’elle bénéficie au débiteur

principal (C).

172 Sur ce facteur d’efficacité, cf. supra n°64

Page 70: L'efficacité des garanties personnelles

A/ LES EXPRESSIONS DE LA JUSTICE DISTRIBUTIVE

EN MATIÈRE CONTRACTUELLE

134. Les critères de distribution. Si les deux formes de justice particulière,

au sens aristotélicien, se définissent par rapport à l’égalité, l’égalité en œuvre n’est

pas la même dans la justice corrective et dans la justice distributive. Saint Thomas

d’Aquin a synthétisé cette différence en montrant que la justice corrective vise à

rétablir une égalité « d’objet à objet », alors que la justice distributive tend à

« égaler l’objet au sujet »173.

Dans la justice distributive, l’égalité est rarement pure et simple, arithmétique,

comme elle l’est toujours dans la justice corrective. Elle est plus souvent

proportionnelle, géométrique. Ainsi, la distribution des honneurs, des richesses, et

de tous autres avantages, à chacun des membres du corps social, peut s’opérer sur le

fondement de trois critères distincts : l’égalité (à chacun le même montant,

indépendamment de ses contributions), le mérite (à chacun selon ses contributions ;

règle de proportionnalité entre les contributions et les rétributions) et les besoins (il

est juste que chacun reçoive de quoi satisfaire ses besoins).

La doctrine sociologique de ces trente dernières années a mis en lumière la

diversité des facteurs influant sur la représentation du juste distributif174. Les acteurs

sociaux sont plus ou moins sensibles à la norme d’égalité, de mérite, ou de besoins,

selon leur position structurelle, c'est-à-dire leur statut socioprofessionnel175, selon

leur idéologie176 ou encore, selon le contexte relationnel dans lequel ils vivent177.

L’importance donnée à chacun de ces trois critères par le droit positif varie en

fonction des domaines réglementés.

173 THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, IIa-IIac, q. 61, art. 2 174 Pour une présentation de cette doctrine, cf. J. KELLERHALS, M. MODAK, J.-F. PERRIN

et M. SARDI, L’éthique du contrat (Du rapport entre l’intégration sociale et la morale

juridique populaire), L’année sociologique, 1993, p. 125 et s. ; J. KELLERHALS, M.

MODAK et M. SARDI, Justice, sens de la responsabilité et relations sociales, in Le juste :

normes et idéaux, L’année sociologique, 1995, vol. 45, n°2, p. 317 et s. 175 Le critère d’égalité perd en importance avec l’augmentation du revenu et l’élévation dans

la hiérarchie socioprofessionnelle. A l’inverse, la règle de proportionnalité par rapport au

mérite est peu accentuée dans les milieux populaires, alors que les individus dotés d’un statut

social élevé lui confèrent un poids considérable (ils attribuent ainsi implicitement leurs

qualités et leurs ressources à leurs propres talents). Les personnes de bas statut insistent sur la

règle du besoin. Par ailleurs, si pauvres et riches ont à peu près la même conception du salaire

minimum, le maximum jugé légitime est bien plus élevé chez les personnes de haut statut. 176 Certains définissent le juste comme le fait d’être traité comme les autres, de ne pas faire

l’objet de discrimination ou de favoritisme. Cette comparaison à autrui, cette conscience du

groupe, incitent à favoriser le critère d’égalité. D’autres estiment juste le fait de voir ses

capacités reconnues, d’être évalué à sa juste mesure. Cette référence à soi, à l’idéal du moi, à

son histoire de vie, aboutit à privilégier le critère du mérite. 177 La simple possibilité d’une réaction d’autrui influe sur les conceptions que l’on se fait du

juste : l’anonymat est associé à l’utilisation d’une règle de proportionnalité, alors que la

personnalisation entraîne une préférence pour l’égalité. Le degré de proximité / distance entre

les acteurs régit aussi les normes de répartition : dans le cas de la condition de similitude

culturelle ou idéologique, le sujets sont très proches de la norme d’égalité, alors que dans la

situation de différence, ils se rétribuent plus ou moins selon une norme de proportionnalité.

Page 71: L'efficacité des garanties personnelles

135. Le critère du besoin en matière contractuelle. En matière

contractuelle, le législateur et les juges semblent aujourd'hui particulièrement

soucieux d’accorder des avantages aux « débiteurs malheureux »178, pour répondre

aux besoins que la crise économique leur fait ressentir. La justice distributive, en

matière contractuelle, repose sur le critère du besoin et s’exprime par le « traitement

social de l’endettement »179.

Les débiteurs surendettés, qu’il s’agisse de particuliers ou d’entreprises, sont

considérés comme les victimes d’une certaine violence sociale180, engendrée par

notre système économique fondé sur l’endettement181. Chacun ayant sa part de

responsabilité dans la situation inextricable dans laquelle se trouvent les débiteurs

privés de ressources182, la « socialisation du risque de surendettement »183 s’impose,

au nom de la justice distributive. A l’image du droit de la responsabilité, qui a

évolué dans le sens d’une socialisation de la réparation, se développe un « droit

contractuel de crise, un droit social des contrats, animé par un esprit de

solidarité »184.

Pour sauver les entreprises en difficulté et maintenir, par là même, l’emploi, et

pour éviter la marginalisation des débiteurs particuliers, le législateur et les juges

dispensent les débiteurs d’exécuter leurs obligations, temporairement ou

définitivement. Le droit des contrats répon aux besoins des débiteurs surendettés par

la négation de leur obligation ou, plus exactement, par la dissociation entre

l’obligation et le paiement185.

136. La solidarité imposée aux créanciers des débiteurs surendettés. Ce

n’est pas à la collectivité dans son ensemble que le droit des contrats impose, au

nom de la justice distributive, cette forme de solidarité au profit des débiteurs

surendettés. La solidarité n’est imposée qu’aux créanciers des débiteurs en difficulté.

Ce sont ces créanciers qui doivent renoncer à un paiement ponctuel, lorsque leur

débiteur bénéficie de délais, ou à un paiement intégral, en cas de réduction de la

178 P. ANCEL, Droit au recouvrement de sa créance ou droit de ne pas payer ses dettes ?,

Droit et patrimoine 1998, n°60, p. 89 ; D. MAZEAUD, Le contrat, liberté contractuelle et

sécurité juridique, Defrénois 1998, article 36874, p. 1142 179 L. CADIET, Une justice contractuelle, l’autre, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 177

et s., n°9 180 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et

patrimoine 1998, n°58, p. 65 181 Sur l’endettement, cf. notamment S. GJIDARA, L’endettement et le droit privé, th. Paris

II, 1996 ; F. RIZZO, Le traitement juridique de l’endettement, PUAM, 1996 ; X. LAGARDE,

D’un surendettement l’autre, LPA 17 décembre 2002, n°251, p. 4 et s. ; B. OPPETIT,

L’endettement et le droit, in Mélanges F. Breton et F. Derrida, Dalloz, 1991 182 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA 6 mai 1998,

p. 11 et s., n°6 183 D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,

Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 632 184 D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et patrimoine 1998,

n°58, p. 65 ; D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA 6 mai 1998, p. 11

et s., n°6 185 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, La réduction des obligations contractuelles, Droit et

patrimoine 1998, n°58, p. 65

Page 72: L'efficacité des garanties personnelles

dette de leur débiteur, ou encore au paiement tout court, dans l’hypothèse d’un

effacement de cette dette.

Les textes organisant des procédures de règlement amiable visent à favoriser un

accord entre le débiteur en difficulté et ses créanciers et reposent, ce faisant, sur

l’espoir que ces derniers feront preuve de patience, de tolérance, et d’indulgence. Si

renoncement du créancier il y a, il présente alors un certain caractère volontaire186.

Lorsque les textes autorisent les juges à prononcer des mesures de suspension,

d’allégement ou d’effacement des obligations du débiteur, il n’est plus, en revanche,

question d’abnégation et de solidarité consenties. Les créanciers subissent, de plein

fouet, la dissociation entre l’obligation et le paiement.

137. La solidarité fondée sur l’impératif de justice distributive : un

facteur d’inefficacité. Pour répondre aux besoins qu’engendre la crise économique,

se met donc en place un « droit de la défaillance économique »187, qui encourage ou

impose des sacrifices aux créanciers et qui fait primer, par conséquent, l’impératif de

solidarité, de justice distributive sur ceux d’intangibilité du contrat et de sécurité

juridique. Les prévisions intrinsèques des parties se trouvant déjouées et les chances

d’un paiement ponctuel et intégral se voyant compromises par le « traitement social

de l’endettement », il est possible d’en déduire que l’impératif de justice distributive

constitue un facteur d’inefficacité des contrats pour les créanciers.

Comment s’articulent alors l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et

l’impératif de justice distributive, lorsqu’il profite au garant ?

B/ LA JUSTICE DISTRIBUTIVE AU PROFIT DU GARANT

138. La supériorité de l’impératif de protection de la dignité humaine sur

l’objectif d’efficacité. Retarder, réduire, voire empêcher l’exécution de ses

obligations par le garant porte atteinte à l’efficacité des garanties personnelles.

Lorsque ces mesures sont justifiées par la pauvreté du garant, l’objectif de protection

des intérêts financiers du créancier ne suffit pas à leur faire échec. La raison en est

que la pauvreté contrevenant à l’humanité et à la dignité du débiteur, les mesures de

suspension, d’allégement, voire d’effacement de la dette du garant, concrétisent, non

seulement l’impératif de justice distributive, mais aussi celui de protection de la

dignité humaine188. Or, ce dernier n’admet aucun tempérament189. Si légitimes que

186 Il convient de remarquer que les prêteurs institutionnels ont mis au point des procédures

amiables de règlement qu’ils proposent à leurs clients en difficulté, non seulement afin de

ménager leur image de marque, mais aussi parce que c’est souvent le seul moyen de conserver

quelque chance de recouvrer au moins une partie de la créance. En effet, comme l’a souligné

J. STOUFFLET (Propos non conformistes sur la protection du consommateur emprunteur,

Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 287 et s., n°27), « le réalisme économique rejoint la

morale. Laisser le débiteur sans recours face à des engagements qu’il n’est pas ou plus à

même d’exécuter conduit à une aggravation de la situation, à une démoralisation du débiteur

et à une perte définitive des créances ». 187 L. CADIET, Les jeux du contrat et du procès, Mélanges G. Farjat, éd. Frison-Roche, 1999,

p. 23 et s., n°38 188 En ce sens, cf. C. NOBLOT, La qualité du contractant comme critère légal de protection.

Essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE : la dignité humaine

justifie que l’être humain soit protégé en cette qualité, aussi bien dans sa personnalité (n°82 à

93), que dans son existence matérielle (n°94 à 103).

Page 73: L'efficacité des garanties personnelles

soient leurs créances, les créanciers doivent renoncer à leur paiement, chaque fois

que celui-ci attente à la dignité de leur débiteur. Dans l’affrontement entre humanité

et efficacité, l’humanité doit l’emporter190. C’est pourquoi, bien qu’il soit

souhaitable que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces,

l’objectif d’efficacité ne justifie pas de priver le garant de moyens de défense à

même de préserver sa dignité.

139. Le droit des garanties personnelles doit éviter le « désendettement

de contestation ». Mais l’objectif d’efficacité ne doit céder que dans la mesure

nécessaire au respect de l’humanité et de la dignité du garant. Le droit des garanties

personnelles doit veiller à ce que la protection de ces droits fondamentaux ne soit

pas excessive. En effet, l’excès de protection est susceptible d’encourager les

garants de mauvaise foi, ceux qui « font commerce de promesse sans lendemain »191,

à contester leur engagement et à paralyser ainsi abusivement l’efficacité de la

garantie personnelle conclue. Ce « désendettement de contestation »192 ne doit pas

être favorisé par le droit des garanties personnelles, car il porte atteinte à l’efficacité

de ces mécanismes, sans être justifié par le risque d’exclusion du garant surendetté.

Afin d’éviter ce « contentieux artificiel »193, provoqué par les garants de

mauvaise foi, le droit des garanties personnelles doit s’attacher à apporter au mal (le

surendettement) un remède (mesures de suspension, de réduction ou d’effacement

de la dette) prévisible et proportionné. Ce n’est qu’à ce prix qu’il devient légitime de

faire primer les impératifs de justice distributive et de dignité humaine sur celui

d’efficacité des garanties personnelles.

Lorsque la solidarité s’exerce au profit du débiteur principal, la même

hiérarchie entre ces impératifs s’impose-t-elle ?

C/ LA JUSTICE DISTRIBUTIVE AU PROFIT DU DEBITEUR PRINCIPAL

140. La fonction des garanties personnelles : préserver les créanciers

d’impayés justifiés par l’impératif de justice distributive. Les garanties

personnelles ont pour fonction d’éviter au créancier de pâtir de l’inexécution de leur

189 Le Conseil constitutionnel, le 27 juillet 1994 (décision n° 94-343 / 344 DC), a décidé que

la dignité humaine est un principe à valeur constitutionnelle. Par ailleurs, la dignité humaine

fait partie des droits intangibles reconnus par la CESDH (article 3). 190 En ce sens, cf. A. VERBEKE, Les officiers judiciaires comme régulateurs dans le cas

d’insolvabilité, in L’efficacité de la justice privée, sous la direction de M.-T. CAUPAIN et G.

de LEVAL, éd. Larcin, 2000, n°9 à 11. Par contre, selon cet auteur, dans l’affrontement entre

vie privée et recouvrement efficace, c’est le recouvrement efficace qui doit l’emporter (n°12 à

20). 191 D. MAZEAUD, Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique, Defrénois 1998,

article 36874, p. 1140 192 X. LAGARDE, Forclusion biennale et crédit à la consommation. La réforme de l’art.

L. 311-37 du Code de la consommation, JCP 2002, I, 106 193 F. TERRE (Au cœur du droit, le conflit, in La justice, l’obligation impossible, éd. Points,

Essais, coll. Série Morales, sous la direction de W. BARANES et M.-A. FRISON-ROCHE,

p. 112 et 113) oppose les contentieux naturels aux contentieux artificiels. Ces derniers

tiennent à l’artificialité du droit existant, principalement à l’imperfection des lois, qui favorise

des conflits inutiles et coûteux.

Page 74: L'efficacité des garanties personnelles

débiteur et de les mettre ainsi à l’abri d’un impayé194. Grâce à l’adjonction d’un droit

de créance contre un tiers, les créanciers entendent ne pas souffrir des mesures

accordées au débiteur principal, sur le fondement de l’impératif de justice

distributive. Pour que les garanties personnelles produisent des effets conformes à

cette fonction, que leur attribuent tous les créanciers, et donc pour que ces

mécanismes soient efficaces in abstracto, encore faut-il que les avantages accordés

au débiteur principal surendetté restent sans conséquence sur l’exécution des

obligations du garant.

141. L’efficacité des garanties personnelles indépendantes. Dès lors que

l’engagement du garant est indépendant de celui du débiteur principal envers le

créancier, il ne risque pas d’être affecté par les mesures qui ont pour objet

l’obligation principale. L’autonomie de la garantie personnelle conclue constitue, en

cela, un facteur d’efficacité que le législateur et les juges devraient préserver.

142. La condition de l’efficacité des garanties personnelles accessoires : la

primauté de la fonction de garantie sur le caractère accessoire renforcé. Lorsque l’engagement du garant est, au contraire, sous la dépendance de celui du

débiteur principal, par rapport à sa validité, à son étendue, et à son extinction, la

dissociation entre l’obligation et le paiement, que subit le créancier dans ses rapports

avec le débiteur principal, risque de s’étendre au contrat de garantie lui-même. Le

caractère accessoire renforcé de la garantie personnelle constituée195 entre alors en

conflit avec la fonction de celle-ci.

Si l’objectif d’efficacité doit céder devant l’impératif de dignité humaine, la

fonction de la garantie personnelle conclue ne devrait pas, en revanche, être primée

par l’une de ses caractéristiques techniques. Le garant dont l’engagement est

dépendant de celui du débiteur principal ne devrait donc pas pouvoir se prévaloir des

mesures bénéficiant au débiteur principal, qui manifestent la défaillance de celui-ci,

telles les mesures de suspension, d’allégement, voire d’effacement de la dette

principale196. Dans la mesure où l’exécution du garant ne risque pas de

194 Pour de plus amples développements sur la fonction de garantie, cf. infra n°240 et s. 195 Nous parlons de caractère accessoire renforcé à l’égard des garanties personnelles dans

lesquelles l’engagement du garant est dépendant de celui du débiteur principal (le modèle

étant le cautionnement), par opposition au caractère accessoire essentiel, qui caractérise tous

les engagements de garantie, quelle que soit leur nature, et en vertu duquel ces engagements

sont au service de l’extinction de l’obligation principale. Sur cette distinction, cf. infra n°271,

279, 302 196 La doctrine est aujourd'hui majoritairement en ce sens. Cf. notamment B. de

GRANVILLIERS, La transmission des sûretés par la règle de l’accessoire, th. Paris I, 2000,

sous la direction de C. LUCAS de LEYSSAC, n°313 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°215, 230 à

235, 267 à 269, 278 à 279 bis ; C. LACHIEZE, Le régime des exceptions dans les opérations

juridiques à trois personnes en droit civil, éd. Septentrion, th. Bordeaux IV, 1996, sous la

direction de J. HAUSER, n°349 à 360 ; Ch. MOULY, th. préc., n°147 et s. ; Ch. ALBIGES,

L’influence du droit de la consommation sur l’engagement de la caution, Liber amicorum J.

Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 1 et s. ; M. BEHAR-

TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur, RTD civ. 1993,

p. 737 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et

garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; E. NSIE, Les

remises de dettes consenties aux débiteurs en difficultés, Rev. Proc. Coll. 1998-2, p. 138 ; S.

Page 75: L'efficacité des garanties personnelles

compromettre sa dignité, le droit des garanties personnelles devrait favoriser cette

exécution, chaque fois que l’insolvabilité du débiteur principal est établie, ce qui est

le cas lorsque ce dernier profite de mesures fondées sur l’impératif de justice

distributive. Le législateur et les juges devraient faire primer la fonction de la

garantie personnelle sur son caractère accessoire renforcé, afin de conserver leur

efficacité aux engagements de garantie dépendants de l’obligation principale.

143. Les modes de résolution du conflit entre l’objectif d’efficacité et

l’impératif de justice distributive au profit du débiteur principal. Cette solution

n’est pas sans poser problème lorsqu’elle se trouve confrontée à un autre facteur

d’efficacité qu’est le recours intégral en remboursement du garant contre le débiteur

principal. En effet, l’engagement du débiteur, paralysé ou amputé vis-à-vis du

créancier, peut alors se voir restituer toute sa force vis-à-vis du garant. Les mesures

prises pour répondre aux besoins du débiteur, voire pour préserver sa dignité,

peuvent se trouver, par là même, privées d’effet. Lorsqu’un conflit se fait jour entre

l’objectif d’efficacité et l’impératif de justice distributive au profit du débiteur

principal, plusieurs solutions sont alors envisageables.

Faire supporter définitivement le risque de surendettement au débiteur principal

lui-même, en retenant l’inopposabilité au garant, exerçant son recours, des mesures

affectant la dette principale.

Mettre à la charge du créancier le poids de ces mesures, en en faisant bénéficier

le garant par voie accessoire.

Faire contribuer définitivement le garant, en décidant que le débiteur principal

peut lui opposer le bénéfice des mesures de désendettement.

Enfin, accentuer la socialisation du risque de surendettement, en opérant un

partage du risque entre le créancier et le garant.

144. Les modes de résolution du conflit entre l’objectif d’efficacité et

l’impératif de dignité du débiteur principal. Lorsque le conflit oppose, cette fois,

l’objectif d’efficacité à l’impératif de dignité du débiteur principal, il convient de

faire primer le second, en raison du caractère essentiel du droit à la dignité humaine.

Le débiteur principal devrait, par conséquent, pouvoir opposer au garant exerçant un

recours, les mesures fondées sur la protection de sa dignité. Il resterait, ensuite, à

déterminer qui, du créancier ou du garant, devrait supporter définitivement le poids

de la protection du débiteur principal.

145. Conclusion de la Section 1. Les rapports entre l’objectif d’efficacité des

garanties personnelles et l’impératif de justice contractuelle sont donc complexes.

Selon la forme de justice particulière recherchée et selon les rapports de l’opération

triangulaire de garantie examinés, ces objectifs peuvent, soit être conciliables, le

PIEDELIEVRE, Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000, article 37233, p. 1074 ;

M. STORCK, Cautionnement et procédures collectives, in Journée nationale organisée par le

CRAJEFE, LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 33 et s. ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°61, 157, 164, 214-1, 291, 299 à 304 ; D. LEGEAIS, n°228 à 236 ; Ph. MALAURIE et L.

AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°137, 256 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS,

par Y. PICOD, Lectures p. 41 à 44 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°87, note 1, 123,

170 ; Ph. SIMLER, n°297, 332, 476, 716, 717 à 719, 720

Page 76: L'efficacité des garanties personnelles

second participant même de la réalisation du premier, soit entrer en conflit et rendre

nécessaire la détermination de celui qui doit l’emporter sur l’autre.

L’articulation est beaucoup plus simple entre l’objectif d’efficacité des

garanties personnelles et cet autre principe directeur du contrat qu’est l’éthique

contractuelle.

SECTION 2 : LES RAPPORTS ENTRE L’OBJECTIF

D’EFFICACITÉ ET L’IMPÉRATIF D’ÉTHIQUE

CONTRACTUELLE

146. L’éthique contractuelle est considérée comme une préoccupation

intéressant la dimension interpersonnelle du contrat, autrement dit le contrat

appréhendé comme un lien entre deux personnes. L’efficacité est plutôt envisagée

comme un objectif relatif à la dimension économique du contrat, c'est-à-dire au

contrat analysé comme un bien197.

L’éthique contractuelle et l’efficacité appartenant à deux approches distinctes

du contrat, la question se pose de savoir quels rapports ces deux objectifs

entretiennent en matière de garanties personnelles. Sont-ils complémentaires ou, au

contraire, inconciliables, rendant par conséquent nécessaire la détermination de celui

qui doit primer l’autre ?

Afin de répondre à cette question, le contenu de l’impératif d’éthique

contractuelle doit d’abord être précisé (§1), et le fondement des contraintes imposées

aux créanciers au regard de l’objectif d’efficacité doit ensuite être apprécié (§2).

§1 : LE CONTENU DE L’IMPERATIF

D’ETHIQUE CONTRACTUELLE

147. Ethique contractuelle et loyauté. Alors que la justice contractuelle se

définit au regard de l’égalité, l’éthique contractuelle se définit, quant à elle, par

rapport à la loyauté198. La loyauté désigne, « soit la sincérité contractuelle (dans la

197 Ph. STOFFEL-MUNCK (L’abus dans le contrat, Essai d’une théorie, LGDJ, 2000, préf.

R. BOUT, n°7) considère que, « prise sous l’angle « réaliste », l’exécution du contrat relève

d’une problématique s’organisant autour des thèmes tels que l’efficacité, la sécurité, l’utilité

ou l’équilibre de l’opération. Pris sous l’angle interpersonnel, le contrat rappelle au respect

de devoirs tels que la courtoisie, la dignité, voire la charité ».

Sur la distinction entre le contrat comme un lien et le contrat comme un bien, cf. D.

MAZEAUD, Le juge face aux clauses abusives, in Le juge et l’exécution du contrat, colloque

IDA, Aix-en-Provence, PUAM, 1993, p. 23 et s., spéc. p. 24 et 25 ; J. MESTRE, L’évolution

du contrat en droit privé français, in L’évolution contemporaine du droit des contrats, PUF,

1985, Journées R. Savatier, Poitiers, 24-25 octobre 1985, p. 41 et s. 198 OPPETIT (Ethique et vie des affaires, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 323 ;

Philosophie du droit, Précis Dalloz, 1999, n°132) distinguait trois formes d’ « éthique

juridicisée », c'est-à-dire intégrée dans le système juridique : l’éthique contractuelle ;

l’éthique sociale (jouant à l’échelle de la collectivité et imposant aux acteurs de la vie

professionnelle des valeurs morales, elle se traduit, notamment, par la notion de choses hors

commerce, par la théorie de la cause morale, par la défense de la « moralité publique », ou

encore par la sanction de la fraude à la loi) ; l’éthique économique (elle s’efforce de moraliser

le déroulement de la compétition économique et d’assurer entre ses protagonistes les

Page 77: L'efficacité des garanties personnelles

formation du contrat), soit la bonne foi contractuelle (dans l’exécution du

contrat) »199. Positivement, elle constitue une attitude diligente et consciencieuse et,

négativement, une absence de mauvaise foi200.

L’éthique contractuelle est aujourd'hui considérée comme un principe directeur

de notre droit des contrats, et elle est également omniprésente dans l’environnement

juridique international, qu’il s’agisse des systèmes juridiques voisins201 ou des

travaux d’unification ou d’harmonisation du droit européen ou international des

contrats202. Pour autant, tous les devoirs ayant un lien avec la loyauté ne se

rattachent pas nécessairement à l’éthique contractuelle. Il convient de distinguer les

exigences de l’éthique contractuelle (A) de ses excroissances (B).

A/ LES EXIGENCES DE L’IMPERATIF D’ETHIQUE CONTRACTUELLE

148. Les deux dimensions de l’impératif d’éthique contractuelle. Ce qui

caractérise l’éthique contractuelle, et la loyauté sur laquelle elle repose, c’est la prise

en compte du cocontractant comme « un être de chair qui doit être traité non comme

une abstraction comptable, mais avec le respect dû à toute personne »203.

L’impératif d’éthique contractuelle impose des limites au déploiement de

conditions d’une concurrence équitable et loyale). Nous n’étudierons que la première de ces

formes d’éthique. 199 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Loyauté,

p. 538. Il convient de remarquer que cet ouvrage ne définit, en revanche, ni l’éthique, ni la

morale. 200 En ce sens, cf. Y. PICOD, Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ, préf.

G. COUTURIER 201 Le principe de bonne foi « paraît être observé dans tous les pays de l’Union européenne

en tant qu’il définit un modèle de conduite contractuelle » (I. de LAMBERTERIE, G.

ROUHETTE et D. TALLON, Les principes du droit européen du contrat, La Documentation

française, 1997, p. 53). Le droit allemand a « érigé en clause générale et en principe

supérieur d’éthique juridique » le principe de bonne foi (M. PEDAMON, Le contrat en droit

allemand, LGDJ, Droit des affaires, 1993, p. 119 ; cf. aussi M. FROMONT, Droit allemand

des affaires, Montchrestion, 2001, n°210 et 211). Pour une présentation du principe de bonne

foi dans des systèmes juridiques non européens, cf. Travaux de l’Association Henri Capitant,

Tome XLIII, 1992 202 Cf. notamment la bonne foi dans la Convention de Vienne sur la vente internationale de

marchandises (B. AUDIT, La vente internationale de marchandises. Convention des Nations

Unies du 11 avril 1980, LGDJ, Droit des affaires, 1990 ; V. HEUZE, La vente internationale

de marchandises, GLN-Joly, 1992), dans les principes d’Unidroit (B. FAUVARQUE-

COSSON, Les contrats du commerce international, une approche nouvelle : les principes

d’Unidroit relatifs aux contrats du commerce international, DIDC, 1998, p. 463 et s., spéc.

n°6), dans les principes du droit européen des contrats élaborés par la Commission Lando

(Les principes du droit européen des contrats, vol. 1, L’exécution, l’inexécution et ses suites,

version française par I. de LAMBERTERIE, G. ROUHETTE, D. TALLON, La

Documentation française, 1997 ; J. MESTRE, Bonne foi, in Principes du droit européen du

contrat : regards croisés avec le droit français, Droit et patrimoine 2003, n°114, p. 42 et s.).

Cf. aussi R. ILLESCAS-ORTIZ, Les garanties indépendantes, les lettres de crédit stand-by et

la bonne foi dans le commerce international : à propos de l’article 19 de la convention de

1995, Mélanges Ch. Gavalda, 2001, p. 173 et s. 203 Ph. STOFFEL-MUNCK, th. préc., n°7

Page 78: L'efficacité des garanties personnelles

l’individualité204, en exigeant le respect de valeurs relevant d’une problématique

morale205.

Il se traduit, négativement, par le fait que les créanciers ne doivent pas profiter

de leur situation de force pour exploiter leur débiteur. Il s’agit alors de faire preuve

de tempérance (1). Positivement, l’impératif d’éthique contractuelle exige de

faciliter l’exécution de son cocontractant, ce qui implique que chacune des parties se

montre solidaire envers l’autre (2).

1. La tempérance des créanciers

149. L’impératif d’éthique contractuelle exige de ne pas abuser de la

faiblesse du cocontractant. Les parties à un contrat sont rarement en situation

d’égalité. L’une peut, en effet, disposer de moyens financiers plus importants que

l’autre, être plus expérimentée, mieux informée206. Par ailleurs, l’une peut avoir

davantage besoin que l’autre de la conclusion du contrat.

L’impératif d’éthique contractuelle interdit que le « contrat puisse servir

d’instrument d’exploitation d’un contractant par l’autre »207. Le contractant en

situation de force ne doit pas profiter de l’ignorance, de l’inexpérience, de

l’inaptitude à la négociation, ou de l’urgence des besoins de son cocontractant, pour

lui imposer des obligations disproportionnées. L’impératif d’éthique contractuelle

s’oppose à ce que le cocontractant soit traité, non comme un partenaire, mais comme

une proie208.

150. La tempérance des parties à un contrat synallagmatique. Dans le

cadre d’un contrat synallagmatique, le contractant en situation de supériorité doit

donc « exercer de bonne foi son pouvoir exorbitant afin que le contrat…ne soit pas

confisqué dans son intérêt exclusif, au mépris total de l’intérêt du contractant

dépendant »209. Le déséquilibre entre les obligations des parties à un contrat

synallagmatique heurte, non seulement l’impératif de justice corrective210, mais

aussi, s’il résulte du comportement déloyal du « maître du contrat »211, celui

d’éthique contractuelle.

204 En ce sens, cf. L. FERRY et A. RENAUT, Ethique et droit à l’âge démocratique, Cahiers

de phil. jurid. et polit., n°18, Public. Univ. Caen, 1990, p. 13 et s. 205 Cela ne signifie pas que morale et éthique puissent être confondues. Comme l’a montré

OPPETIT (art. préc., p. 320), « là où la morale juge l’action des hommes et des sociétés à

l’aune d’un système de valeurs transcendantes, l’éthique ne prétend à aucune vérité absolue

et, en ce sens, elle est a-morale, critique et non normative ». 206 Sur les différentes formes de pouvoir factuel, cf. P. LOKIEC, Contrat et pouvoir, Essai sur

les transformations du droit privé des rapports contractuels, LGDJ, 2004, préf. A. LYON-

CAEN. Sur le « pouvoir déséquilibrant », cf. V. LASBORDES, Les contrats déséquilibrés,

PUAM, 2000, préf. C. SAINT-ALARY HOUIN 207 J.-L. BAUDOIN, Justice et équilibre : la nouvelle moralité contractuelle du droit civil

québécois, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 32 et 33 208 En ce sens, cf. Ph. LE TOURNEAU, Existe-t-il une morale des affaires ?, in La morale et

le droit des affaires, Montchrestien, 1996, p. 7 et s., n°16 209 D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,

Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 612 210 Cf. supra n°121, 125 211 D. MAZEAUD, art. préc., p. 612

Page 79: L'efficacité des garanties personnelles

151. La tempérance du créancier dans un contrat unilatéral. Dans les

contrats unilatéraux, l’impératif d’éthique contractuelle condamne la disproportion

des moyens employés par le créancier en position de force pour protéger ses intérêts.

Le créancier doit donc faire preuve de tempérance212, en se gardant de confondre

protection et surprotection de ses intérêts213.

Il y a surprotection lorsque le créancier impose à son cocontractant, en toute

connaissance de cause, soit des obligations inutiles214, soit des obligations

disproportionnées par rapport aux capacités financières de son débiteur. Dans l’un et

l’autre cas, le cocontractant est, en quelque sorte, pris en otage par le créancier

dominant. Une confusion intolérable, au regard de l’impératif d’éthique

contractuelle, s’opère alors entre la protection des intérêts de l’unique créancier, qui

constitue la fonction des contrats unilatéraux, et le sacrifice des intérêts du débiteur,

résultant de l’absence de tempérance du créancier.

152. L’impératif d’éthique contractuelle s’oppose donc aux déloyautés

manifestes des contractants en position de force. Il interdit à ceux-ci d’adopter un

comportement prédateur à l’encontre de leur cocontractant. Mais l’impératif

d’éthique contractuelle ne se limite pas à prescrire des abstentions et à proscrire des

disproportions. Il s’exprime également, d’une manière plus dynamique, par

l’exigence de solidarité envers le cocontractant.

2. La solidarité entre les contractants

153. L’impératif d’éthique contractuelle exige de se rendre utile à son

cocontractant. Le versant positif de l’éthique contractuelle réside dans la solidarité

entre les contractants215. L’éthique contractuelle limite alors l’individualité des

212 Sur le devoir de tempérance, cf. Ph. STOFFEL-MUNCK, th. préc., n°104 à 108 ; D.

MAZEAUD (ibid., p. 612) parle de « décence ». 213 La surprotection est à rapprocher de la « philosophie du bon plaisir », correspondant à

l’hypothèse dans laquelle « un sujet de droits cause à autrui une gêne considérable sous

prétexte de l’exercice confortable et finalement superfétatoire de ses droits » (P.-Y.

GAUTIER, Contre Bentham : l’inutile et le droit, RTD civ. 1995, p. 797 et s., n°33). 214 Sur les sûretés inutiles, c'est-à-dire « celles qui outrepassent la mesure nécessaire au

paiement de la créance », cf. S. PESENTI, Le principe de proportionnalité en droit des

sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51, p. 12 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement excessif,

Defrénois 1998, article 36836, p. 849 et s. ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°199 215 Sur ces deux « versants » de l’éthique contractuelle, cf. D. MAZEAUD, art. préc., p. 617

(la morale contractuelle pourchasse les comportements qui impliquent une malveillance. Elle

est encore plus exigeante et dynamique quand elle impose un certain dépassement contractuel,

qui s’exprime par des devoirs de solidarité et de fraternité) ; J. MESTRE, D’une exigence de

bonne foi à un esprit de collaboration, RTD civ. 1986, p. 101 (opposition entre la bonne foi,

qui permet simplement, de façon en quelque sorte négative, de sanctionner les déloyautés

manifestes et l’esprit de collaboration, qui est plus formateur des caractères, puisqu’il

implique, de manière positive, des attitudes, des comportements) ; Y. PICOD, L’obligation de

coopération dans l’exécution du contrat, JCP 1988, I, 3318, n°1 (exécuter loyalement, au sens

de la Treu und Glauben, c’est non seulement s’abstenir de toute mauvaise foi, mais aussi

exécuter en se rendant utile à son cocontractant).

Page 80: L'efficacité des garanties personnelles

parties en imposant à chacune d’elles de se rendre utile à son cocontractant, à tous

les stades de la vie du contrat216.

Il s’agit, pour chacune des parties, de renseigner l’autre sur tout ce qui est

susceptible de faciliter ou, au contraire, d’entraver l’exécution de sa prestation. Les

informations utiles doivent être données lors de la formation du contrat, mais aussi

jusqu’à son expiration.

Il s’agit, par ailleurs, pour le débiteur, d’exécuter le contrat au mieux des

intérêts de son créancier.

154. Le devoir de solidarité dans les contrats synallagmatiques. Le devoir

de solidarité, expression positive de l’impératif d’éthique contractuelle, s’impose

aux parties, quel que soit le contrat conclu217. Dans les contrats synallagmatiques,

chacune des parties a un devoir de renseignement et est tenue d’exécuter ses

obligations de façon à ce que son cocontractant en retire les avantages escomptés218.

L’exigence de loyauté est parfaitement réciproque219, puisque les prestations, dans

un contrat synallagmatique, le sont elles-mêmes. L’impératif d’éthique contractuelle

commande, par conséquent, l’entraide, la coopération entre les parties.

155. Le solidarisme contractuel dans les contrats synallagmatiques est

irréaliste. Il nous semble préférable de justifier ces devoirs par l’impératif d’éthique

contractuelle, plutôt que par la « communion d’intérêts »220 qu’opérerait le contrat.

216 Sur la loyauté contractuelle et le devoir du contractant d’exécuter utilement, cf. Y. PICOD,

Le devoir de loyauté dans l’exécution du contrat, LGDJ, préf. G. COUTURIER 217 C. THIBIERGE-GUELFUCCI (art. préc., n°27 et 31) considère la fraternité contractuelle

comme l’un des principes nouveaux de la théorie générale du contrat.

Si nous partageons cette position, nous nous éloignons, en revanche, de l’analyse de cet

auteur sur plusieurs points. Tout d’abord, nous préférons parler de solidarité, plutôt que de

fraternité contractuelle, car ce dernier terme comporte une dimension sentimentale que

n’impose pas l’éthique contractuelle. Celle-ci exige que les contractants s’aident

mutuellement et non qu’ils s’aiment. Ensuite, nous préférons rattacher la solidarité à l’éthique

contractuelle, plutôt qu’à la justice contractuelle (C. THIBIERGE-GUELFUCCI, ibid., n°26

voit dans la solidarité, voire la fraternité, une aspiration qualitative de la justice contractuelle),

car elle est étrangère à l’égalité arithmétique que commande la justice corrective, ainsi qu’à

l’égalité géométrique qu’exige la justice distributive. La solidarité a trait, en revanche, à la

loyauté, qui caractérise l’éthique contractuelle. Enfin, la définition donnée de la fraternité

contractuelle par Mme le Professeur THIBIERGE-GUELFUCCI (ibid., n°31), en ce qu’elle

rattache ce devoir à la « réalisation d’une affaire commune, à une union d’intérêts », nous

paraît trop inspirée par la doctrine du solidarisme contractuel (cf. infra n°156, 157). 218 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, obs. sous Cass. 1ère civ., 11 juin 1996, Defrénois 1996,

n°98 (chacun des contractants doit adopter un comportement qui « épouse les attentes

légitimes de son partenaire ») ; D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit,

LPA 6 mai 1998, p. 11 et s. 219 En ce sens, cf. Y. PICOD, th. préc. ; D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la

nouvelle devise contractuelle ?, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 618 ;

Y. PICOD, L’obligation de coopération dans l’exécution du contrat, JCP 1988, I, 3318, n°2 ;

C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°31 220 D. MAZEAUD, Le contrat, liberté contractuelle et sécurité juridique, Defrénois 1998,

article 36874, p. 1143 et 1146 ; D. MAZEAUD, Constats sur le contrat, sa vie, son droit,

LPA 6 mai 1998, p. 11 et s., n°6 ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, ibid., n°31

Page 81: L'efficacité des garanties personnelles

L’approche du contrat, retenue par Demogue221 et, à sa suite, par les partisans du

solidarisme contractuel222, ne repose pas sur une réalité contractuelle223. Le

« microcosme » n’existe pas. L’intérêt commun, l’ « affectio contractus », sont

présents dans le contrat-organisation, et non dans le contrat-échange. Dans celui-ci,

sans aller jusqu’à assimiler les contractants eux-mêmes à des adversaires, il est

réaliste de reconnaître l’existence d’intérêts antagonistes224. C’est pourquoi, sauf à

admettre que l’exigence de solidarité puisse être fondée sur le contrat tel que l’on

souhaiterait qu’il fût et non tel qu’il se présente réellement, il convient d’écarter la

justification du devoir de coopération par l’union des intérêts des contractants. Il est

plus réaliste d’expliquer le devoir d’entraide, de solidarité, par l’impératif d’éthique

contractuelle.

156. Le solidarisme contractuel dans les contrats unilatéraux n’a pas de

sens. Dans les contrats unilatéraux, l’impératif d’éthique contractuelle impose

également la solidarité. Dans la mesure où ces contrats ont pour fonction de protéger

les intérêts de l’une seule des parties, il est encore plus contestable que dans les

contrats synallagmatiques de justifier le devoir de solidarité par l’union des intérêts

des parties. Si des raisons pratiques et idéologiques permettent de discuter le bien-

fondé de la justification du devoir de coopération par le solidarisme en matière de

contrats synallagmatiques, ce sont des raisons purement juridiques qui imposent

d’écarter cette justification en matière de contrats unilatéraux.

157. Le champ limité de la doctrine solidariste. Le solidarisme contractuel

ne permet donc pas de rendre compte des évolutions que connaît tout le droit des

contrats, mais éventuellement que de celles relatives aux contrats synallagmatiques.

Remarquons, à ce propos, que les études qui y sont consacrées, bien que prétendant

couvrir toute la matière contractuelle, ne prennent en réalité appui que sur des

exemples tirés de contrats synallagmatiques225. Dans les contrats unilatéraux, la

221 R. DEMOGUE, Traité des obligations en général, Arthur Rousseau, t. 6, 1932, n°3, p. 9 :

« les contrats forment une sorte de microcosme ; c’est une petite société où chacun doit

travailler pour un but commun qui est la somme des buts individuels poursuivis par chacun,

absolument comme la société civile ou commerciale. Alors, à l’opposition entre le droit du

créancier et l’intérêt du débiteur, tend à se substituer une certaine union ». 222 Cf. notamment Ch. JAMIN, Henri Capitant et René Demogue, notation sur l’actualité

d’un dialogue doctrinal, in L’avenir du droit, Mélanges F. Terré, 1999 ; Ch. JAMIN,

Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001, p. 441 et s. ; Le

solidarisme contractuel : mythe ou réalité ?, Colloque organisé par la Faculté de Droit de La

Rochelle les 3 et 4 mai 2002 223 En ce sens, cf. L. LEVENEUR, Le solidarisme contractuel : un mythe, colloque préc. ; Ch.

RADE, Solidarisme contractuel et contrat de travail, colloque préc. 224 En ce sens, cf. H. CAPITANT, Le traité des obligations en général de M. René Demogue,

RTD civ. 1923, p. 961 sur la « concurrence des intérêts » ; H. CAPITANT, Le régime de la

violation des contrats, DH 1934, chron., p. 1 225 A cet égard, le colloque organisé par la Faculté de Droit de La Rochelle les 3 et 4 mai

2002, consacré au solidarisme contractuel, a retenu comme contrats topiques : le contrat de

travail, les contrats de distribution, les contrats de consommation et le contrat d’assurance. Par

ailleurs, les illustrations du solidarisme lors de la formation du contrat (intervention de M. Le

Professeur SAVAUX) et de sa réalisation (intervention de M. le Professeur MAZEAUD) se

rapportaient également aux contrats synallagmatiques.

Page 82: L'efficacité des garanties personnelles

doctrine solidariste n’ayant donc pas lieu de s’appliquer, c’est bien l’impératif

d’éthique contractuelle qui permet de rendre compte de l’exigence de solidarité.

158. Le devoir de solidarité dans les contrats unilatéraux. Dans ces

contrats, cette exigence n’est pas parfaitement réciproque, comme elle l’est dans les

contrats synallagmatiques. En effet, seul l’unique créancier est tenu de fournir des

renseignements pour faciliter l’exécution de son cocontractant et seul l’unique

débiteur est tenu d’exécuter ses obligations de la façon la plus utile possible pour

son créancier.

159. Si la tempérance du créancier et la solidarité entre les contractants

peuvent s’exprimer différemment dans les contrats synallagmatiques et dans les

contrats unilatéraux, elles constituent dans tous les cas des exigences de l’impératif

d’éthique contractuelle. Certaines règles, au contraire, ne sont pas commandées par

cet impératif et apparaissent, dès lors, comme des excroissances de ce principe

directeur du contrat.

B/ LES EXCROISSANCES DE L’IMPERATIF D’ETHIQUE CONTRACTUELLE

160. L’exigence d’égalité entre les contractants. L’impératif d’éthique

contractuelle interdit seulement l’exercice des pouvoirs les plus exorbitants. Ce qui

doit être sanctionné, au nom de l’éthique contractuelle, ce n’est pas le pouvoir du

créancier d’imposer ses choix à son débiteur, pouvoir qui constitue un facteur

d’efficacité226, mais c’est l’abus dans l’exercice de ce pouvoir227.

Même si la position de force du créancier facilite la soumission du débiteur à

des obligations disproportionnées, elle ne peut constituer, à elle seule, un

manquement à l’éthique contractuelle. Adopter la solution inverse reviendrait à

admettre que « le contrat d’adhésion est finalement passé sous condition suspensive

du bon vouloir de l’adhérent »228. C’est donc la disproportion des moyens employés

par le créancier pour protéger ses intérêts qui doit être sanctionnée et non l’inégalité

des parties. L’égalité concrète entre les contractants constitue une excroissance, et

non une exigence, de l’impératif d’éthique contractuelle229.

161. La protection directe des intérêts du débiteur. Pour faire respecter cet

impératif, le législateur et les juges doivent imposer aux créanciers de se préoccuper

des intérêts de son cocontractant, soit en le dissuadant d’adopter un comportement

prédateur, soit en l’obligeant à faciliter l’exécution de la prestation du débiteur. Ils

doivent, par ailleurs, sanctionner le créancier qui prendrait son débiteur en otage ou

226 Cf. supra n°90 227 Sur l’abus dans le contrat, cf. Ph. STOFFEL-MUNCK, th. préc. 228 E. AGOSTINI, De l’autonomie de la volonté à la sauvegarde de justice, D. 1994, chron.,

p. 235 229 C. THIBIERGE-GUELFUCCI (art. préc., n°25, 27 et 28) considère que l’égalité entre les

contractants, voire entre les précontractants, qui pourrait constituer un principe nouveau dans

la théorie générale du contrat, est imposée par l’impératif de justice commutative. Ce

rattachement nous paraît discutable dans la mesure où la justice corrective s’intéresse aux

prestations des parties, non aux contractants eux-mêmes.

Page 83: L'efficacité des garanties personnelles

qui provoquerait l’anéantissement économique de ce dernier230. La protection du

débiteur découlant de l’impératif d’éthique contractuelle présente donc un caractère

incident, puisqu’elle découle de la sanction de l’abus commis par le créancier. La

protection directe des intérêts du débiteur, en dehors de toute déloyauté du créancier,

et fondée sur une présomption de faiblesse231, apparaît ainsi comme une autre

excroissance de l’impératif d’éthique contractuelle232.

162. Le contenu de l’impératif d’éthique contractuelle étant désormais

délimité, il est possible d’apprécier, au regard de l’objectif d’efficacité, les

contraintes imposées aux créanciers selon qu’elles reposent sur les exigences de ce

principe directeur ou sur ses excroissances.

§2 : L’APPRECIATION DU FONDEMENT

DES CONTRAINTES IMPOSEES AUX CREANCIERS

AU REGARD DE L’OBJECTIF D’EFFICACITE

163. La poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des garanties

personnelles se caractérise par le fait que le législateur et les juges favorisent ou

organisent l’accomplissement des attentes objectives et subjectives des créanciers.

Elle ne se réduit pas à l’édiction de règles immédiatement favorables à ceux-ci et

rigoureuses à l’encontre des garants. Certaines contraintes imposées aux

bénéficiaires peuvent servir l’efficacité des garanties233. En effet, si les protections

directes du garant, résultant des excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle,

sont incompatibles avec l’objectif d’efficacité (A), les contraintes fondées sur les

véritables exigences de l’impératif d’éthique contractuelle sont, par contre, tout à

fait utiles à l’efficacité des garanties personnelles (B).

A/ L’INCOMPATIBILITE ENTRE LES PROTECTIONS DIRECTES

DU GARANT ET L’OBJECTIF D’EFFICACITE

230 En ce sens, cf. D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise

contractuelle ?, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 633 231 Sur cette question, cf. La protection de la partie faible dans les rapports contractuels,

LGDJ, 1996 ; Y. STRICKLER, La protection de la partie faible en droit civil, LPA 25

octobre 2004, n°213, p. 6 et s. 232 Cette protection directe des intérêts du débiteur, non imposée par l’impératif d’éthique

contractuelle, est de nature compensatoire. C. NOBLOT (La qualité du contractant comme

critère légal de protection. Essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, préf. F.

LABARTHE, n°24) définit la « protection compensatoire » de la façon suivante. Cette

protection est justifiée par l’interaction, c'est-à-dire par la présence de l’autre partie, par le

danger provenant du cocontractant. « Cette situation s’affirme dans un contexte où les

contractants sont considérés comme poursuivant des buts égaux en dignité, comme exerçant

des activités situées au même échelon de la hiérarchie des valeurs. (…) Elle résulte d’un

défaut d’équivalence dans l’économie générale du contrat. Dans ce sens, la protection vise à

corriger, à niveler, bref à se rapprocher de l’idéal d’égalité par le droit ». Elle tend à rétablir

l’égalité par des inégalités inverses, qui ne sont que des compensations. 233 Cf. supra n°115

Page 84: L'efficacité des garanties personnelles

164. La protection d’intérêts autres que ceux du créancier n’entre pas

dans la fonction des garanties. Les contrats de garantie ont pour raison d’être de

mettre les créanciers à l’abri de l’inexécution du débiteur principal. La protection

d’intérêts autres que ceux du bénéficiaire, notamment ceux des demandeurs de crédit

et des créanciers des banques, grâce à la constitution ou à la réalisation d’une

garantie, relève des effets possibles de ce contrat et non de sa fonction qui, elle, n’a

trait qu’à la situation du créancier. Par conséquent, si le législateur ou les juges

soumettent les créanciers à des obligations, de faire ou de ne pas faire, dans l’unique

but de protéger les intérêts du garant, ils s’éloignent de la fonction des garanties

personnelles et compromettent, ce faisant, leur efficacité.

165. L’inefficacité résultant des protections directes du garant. Par

ailleurs, si le droit des garanties personnelles assimile les garants à des incapables

qu’il convient de protéger234, et qu’il soumet, pour cette raison, les créanciers à des

obligations, il ne se conforme pas à l’impératif d’éthique contractuelle, mais fait

seulement preuve de moralisme235, de sentimentalisme236, d’ « angélisme

contractuel »237. Les contraintes imposées aux créanciers sur le fondement de ces

excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle risquent de compromettre

l’efficacité des garanties personnelles.

En effet, en ce qu’elles peuvent paraître illégitimes aux yeux des créanciers,

ceux-ci risquent de ne pas les respecter et de se heurter, en conséquence, à un refus

d’exécution du garant. En outre, le traitement du garant comme un incapable risque

d’encourager son impéritie, voire sa mauvaise foi238, qui sont autant de facteurs

d’inefficacité.

166. L’exemple des obligations d’information du garant. Ainsi, certaines

obligations d’information peuvent apparaître comme des protections directes des

234 Une critique récurrente du consumérisme repose sur l’assimilation des consommateurs à

des « majeurs placés sous sauvegarde de justice » (E. AGOSTINI, De l’autonomie de la

volonté à la sauvegarde de justice, D. 1994, chron., p. 235), voire à des « majeurs sous

curatelle, à des assistés permanents » (Y. PICOD, L’obligation de coopération dans

l’exécution du contrat, JCP 1988, I, 3318, n°25). 235 Ph. MALAURIE, note sous Cass. com., 27 février 1996 : D. 1996, p. 520 : « la règle

morale doit imprégner les obligations…Mais le règne de la vertu mène au moralisme, c'est-à-

dire presque toujours le contraire de la morale ». 236 Ph. DELEBECQUE, Defrénois 1996, p. 1374 : « le contrat n’est pas et ne doit pas être

une œuvre de charité. Il repose avant tout comme l’a écrit le doyen Carbonnier, sur un

« antagonisme d’intérêts » et doit permettre tout simplement de faire de bonnes affaires. S’il

faut réprimer les manœuvres déloyales, il n’est pas nécessaire d’encourager le

sentimentalisme ». 237 D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la nouvelle devise contractuelle ?,

Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 633 238 Sur la déresponsabilisation résultant de la protection excessive, cf. J.-E.-M. PORTALIS,

Ecrits et discours juridiques et politiques, PUAM, 1988, p. 57 : « l’office de la loi est de nous

protéger contre la fraude d’autrui, mais non pas de nous dispenser de faire usage de notre

propre raison ».

Sur l’incitation à la malhonnêteté, cf. Ph. MALAURIE, note préc. ; Y. PICOD, art. préc.,

n°25

Page 85: L'efficacité des garanties personnelles

intérêts du garant, et non comme des exigences de l’impératif d’éthique

contractuelle.

Celui-ci n’exige la fourniture de renseignements, lors de la formation du contrat

et jusqu’à son expiration, qu’au bénéfice des garants n’en disposant pas eux-mêmes.

Par ailleurs, il commande uniquement la révélation d’informations connues des

créanciers.

Imposer à tous les créanciers de fournir des renseignements à leur garant, sans

prendre en compte leurs connaissances respectives, ne se justifie donc pas au regard

de l’impératif d’éthique contractuelle. Il s’agit d’une forme de protection des intérêts

de la partie réputée faible, qui compromet l’efficacité des garanties personnelles. En

effet, si le créancier ne dispose pas des informations que la loi l’oblige à délivrer à

son garant, soit il va mener des investigations pour se les procurer, ce qui va

augmenter le coût de sa protection, soit il va manquer à son devoir de renseignement

et s’exposer, par là même, à un refus d’exécution du garant. Si le créancier dispose

des informations et qu’il dépense du temps et de l’argent pour en faire part à un

garant déjà renseigné, il supporte également une augmentation injustifiée du coût de

sa protection. Dans les deux cas, il est porté atteinte à l’efficacité de la garantie

personnelle conclue.

167. Sauf lorsque l’impératif de justice distributive rend légitimes les

avantages octroyés aux garants, pour répondre aux besoins que la crise économique

leur fait ressentir, le droit des garanties personnelles ne devrait donc pas imposer aux

créanciers des contraintes ayant pour finalité la protection directe des intérêts du

garant, considéré en état de faiblesse du seul fait de cette qualité de garant. Pour être

utiles à l’efficacité des garanties personnelles, ces contraintes ne devraient reposer

que sur les véritables exigences de l’éthique contractuelle.

B/ L’UTILITE DES CONTRAINTES

IMPOSEES AU NOM DE L’ETHIQUE CONTRACTUELLE

168. L’efficacité résultant des contraintes fondées sur les exigences de

l’impératif d’éthique contractuelle. Si les créanciers n’opèrent pas spontanément

des sacrifices et ne se montrent pas coopératifs à l’égard de leurs cocontractants, le

législateur et les juges doivent les y contraindre pour satisfaire l’impératif d’éthique

contractuelle. Les contraintes fondées sur les exigences de l’éthique contractuelle, et

non sur ses excroissances, peuvent favoriser la réalisation de la fonction des

garanties personnelles239.

239 En ce sens, cf. D. CORRIGNAN-CARSIN, Loyauté et droit du travail, Mélanges H.

Blaise, 1994, p. 137 : « la loyauté se rattache au but contractuel. Elle implique une plus

grande recherche de l’efficacité : il s’agit de faire produire au contrat un effet utile » ; Ch.

JAMIN, Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’art. 1134 du Code

civil, Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 57 : « parce qu’il favorise la réalisation de l’objet du

contrat, le recours au concept de bonne foi me semble avoir partie liée avec la recherche de

la plus grande efficacité économique » ; D. MAZEAUD, Loyauté, solidarité, fraternité : la

nouvelle devise contractuelle ?, Mélanges F. Terré, L’avenir du droit, Dalloz, 1999, p. 608 :

« l’éthique que chaque contractant doit respecter dans l’univers contractuel(…) est

nécessaire à la vitalité du contrat » ; C. THIBIERGE-GUELFUCCI, art. préc., n°31 :

l’altruisme « favorise la conclusion, l’exécution et le maintien du contrat ».

Page 86: L'efficacité des garanties personnelles

En effet, les obligations, négatives et positives, mises à la charge des créanciers

sur ce fondement, peuvent conduire à l’exécution volontaire du garant, soit parce

qu’elles augmentent les chances de solvabilité de ce dernier lors de l’appel de la

garantie, soit parce qu’elles diminuent les risques de contestation. Ainsi, la

tempérance, aussi bien que la solidarité, imposées au nom de l’éthique contractuelle,

sont utiles à l’efficacité des garanties personnelles.

169. L’inefficacité résultant du manque de tempérance du créancier. Le

manque de tempérance, que révèle la confusion entre protection et surprotection de

ses intérêts, contredit l’exigence de loyauté contractuelle et menace l’efficacité des

garanties personnelles. En effet, la disproportion des moyens employés par le

créancier bénéficiaire risque de se traduire par l’inexécution du garant.

Le manque de tempérance du créancier est, tout d’abord, susceptible

d’augmenter le risque d’insolvabilité du garant lors de l’appel de la garantie. Tel

peut être le cas lorsque le créancier fait souscrire au garant un engagement pour un

montant et une durée indéterminés et, qu’eu égard à l’existence d’un tel engagement,

il accorde des crédits excessifs au débiteur principal. Tel peut être également le cas

lorsque le créancier exige du garant qu’il s’oblige pour un montant manifestement

disproportionné par rapport à ses biens et revenus.

Le manque de tempérance du créancier peut aussi inciter le garant, qui dispose

des fonds nécessaires pour exécuter ses obligations, à contester son engagement.

Dans une logique que l’on peut qualifier de « légitime défense », le garant, qui

considère avoir été victime d’une domination économique abusive, est plus enclin à

refuser l’exécution à un créancier malveillant qu’à un créancier qui aurait respecté

un « principe général de juste mesure » dans l’exercice de ses pouvoirs240.

170. L’efficacité favorisée par la tempérance du créancier. Afin d’éviter

l’inexécution du garant consécutive à une disproportion des moyens employés par le

créancier pour protéger ses intérêts, le droit des garanties personnelles devrait

imposer la tempérance. Il respecterait ce faisant aussi bien l’impératif d’éthique

contractuelle que l’objectif d’efficacité. L’impératif d’éthique contractuelle, dans

son versant négatif (la prohibition des disproportions), et l’objectif d’efficacité sont

donc loin d’être incompatibles, puisque le respect du premier constitue un facteur de

réalisation du second. C’est pourquoi, plutôt que d’affirmer qu’ « une sûreté peut

être efficace sans constituer un instrument de domination »241, mieux vaut retenir

que, pour être efficace, une garantie personnelle ne doit pas constituer un instrument

d’exploitation du garant par le créancier.

171. L’efficacité favorisée par la solidarité entre les contractants.

L’impératif d’éthique contractuelle, dans son versant positif (le devoir de solidarité

des contractants), est également utile à l’efficacité des garanties personnelles.

240 Sur l’exigence de proportionnalité, au sens de juste mesure entre les moyens employés et

les objectifs poursuivis, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Existe-t-il un principe de

proportionnalité en droit privé ?, Rapport introductif, LPA 30 septembre 1998, n°117 ; M.

BEHAR-TOUCHAIS, Existe-t-il un principe de proportionnalité en droit privé ?,

Conclusion, LPA 30 septembre 1998, n°117 241 L. AYNES, Les garanties du financement, Defrénois 1986, p. 912

Page 87: L'efficacité des garanties personnelles

Au nom de la solidarité, « le débiteur doit dépasser ses intérêts égoïstes pour

faciliter la réussite de l’entreprise de son créancier »242. En présence d’un contrat

qui n’a pas prévu toutes les modalités de son exécution, le débiteur ne doit pas

adopter une lecture « desséchante » de la lettre du contrat243, mais doit, au contraire,

s’inspirer de son esprit, en vue de procurer à son créancier le plus haut degré de

satisfaction possible.

Au nom de la solidarité, le créancier doit, quant à lui, informer le garant sur

tout ce qui est susceptible de faciliter ou d’entraver l’exécution de sa prestation, dans

la limite néanmoins de ce qu’il connaît et de ce qui est ignoré par le garant244.

Le devoir de solidarité du débiteur, aussi bien que celui du créancier,

convergent donc vers la satisfaction des intérêts de ce dernier. En cela, il apparaît

que la solidarité envers le cocontractant, qu’impose l’impératif d’éthique

contractuelle, augmente les chances d’accomplissement de la fonction des garanties

personnelles. L’efficacité de celles-ci ne rime donc pas, comme on pourrait a priori

le penser, avec la liberté illimitée des créanciers et avec le sacrifice corrélatif des

intérêts du garant.

172. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 2. L’objectif d’efficacité

n’est pas en conflit avec l’impératif d’éthique contractuelle, puisque la tempérance

et la solidarité, qu’exige cet impératif, sont utiles à la réalisation de la fonction des

garanties personnelles.

Si conflit il y a, il oppose l’objectif d’efficacité à la protection directe de la

partie réputée faible. Nous ne pensons pas céder à l’ « utilitarisme ambiant »245, en

faisant primer, dans ce cas, l’objectif d’efficacité, car il s’agit alors simplement de

faire respecter la fonction même des contrats unilatéraux au détriment d’un souci de

protection reposant, non sur l’impératif d’éthique contractuelle lui-même, mais sur

une assimilation abusive des garants à des incapables.

Par ailleurs, cette prédominance ne condamne pas toute forme de protection du

garant puisque, d’une part, l’impératif de justice distributive est supérieur à

l’objectif d’efficacité et parce que, d’autre part, les devoirs de tempérance et de

solidarité imposés aux créanciers, au nom de l’éthique contractuelle, conduisent à

une protection incidente des intérêts des garants.

Ainsi, la poursuite de l’objectif d’efficacité par le droit des garanties

personnelles ne doit être assimilée, ni au sacrifice des intérêts des cocontractants du

créancier, ni à la protection illimitée des intérêts de ce dernier. La poursuite de cet 242 Y. PICOD, th. préc. 243 En ce sens, cf. D. MAZEAUD (art. préc., p. 617), qui parle de « devoir d’assistance à

autrui ». 244 Cette obligation n’est pas de nature à remettre en cause le caractère unilatéral des garanties

personnelles, car la synallagmaticité exige que les obligations respectives des parties soient

« régulièrement symétriques ». Or, l’obligation de renseignement du créancier ne saurait être

tenue pour la cause de l’obligation du garant de payer. Le garant ne s’engage, ni parce que la

loi prévoit des obligations d’information à son profit (cause efficiente), ni dans le but d’en

bénéficier (cause finale). Ce raisonnement vaut pour les autres obligations que la loi met à la

charge des créanciers, et notamment pour l’obligation de conserver leurs droits préférentiels

contre le débiteur principal (en ce sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°191).

Sur la cause de l’engagement du garant, cf. infra n°292-297 245 Ch. JAMIN, Plaidoyer pour le solidarisme contractuel, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001,

p. 471

Page 88: L'efficacité des garanties personnelles

objectif est, au contraire, tout à fait compatible avec l’éthique contractuelle, dès lors

que l’on s’en tient aux exigences de cet impératif, à l’exclusion de ses excroissances.

Les rapports entre l’objectif d’efficacité et cet autre principe directeur qu’est la

justice contractuelle sont plus complexes.

La compatibilité existe entre l’objectif d’efficacité et la justice corrective

exercée dans les rapports entre le garant, non intéressé personnellement au paiement

du créancier, et le débiteur principal. Cette forme de justice, en ce qu’elle s’exprime

par l’octroi au garant de recours contre le débiteur principal, constitue même un

facteur d’efficacité, puisque ces recours (à condition d’être eux-mêmes efficaces)

incitent le débiteur à exécuter lui-même ses obligations et augmentent les chances

d’exécution volontaire du garant.

Le conflit se manifeste, au contraire, entre l’objectif d’efficacité et la justice

corrective mise en œuvre, cette fois, dans les rapports entre le créancier et le garant.

Dans la mesure où cette forme de justice est dépourvue de sens dans les contrats

unilatéraux à titre gratuit, il est nécessaire de faire primer l’objectif d’efficacité et

d’exclure les mesures de rééquilibrage entre le patrimoine du créancier et celui du

garant.

Le conflit existe également entre l’objectif d’efficacité et la justice

distributive. Dès que la dignité du garant ou du débiteur principal est en jeu,

l’objectif d’efficacité doit céder, car le droit à la dignité humaine ne supporte aucun

tempérament. Lorsque l’état d’endettement du garant ou du débiteur principal n’est

pas tel que l’exécution de leurs obligations compromette leur dignité, la

prééminence de l’impératif de justice distributive ne s’impose pas au contraire

nécessairement.

173. Conclusion du Titre 1. Si la poursuite de l’objectif d’efficacité n’est

donc pas conciliable avec le respect de certaines formes de justice contractuelle, ni

avec le souci de protéger directement les intérêts du garant réputé faible, elle

n’implique cependant pas la négation de valeurs juridiques fondamentales, comme

certains l’affirment.

La poursuite de l’objectif d’efficacité signifie seulement que le droit

intervient dans la construction de l’efficacité des garanties personnelles, c'est-à-dire

favorise ou organise l’apparition de leurs facteurs d’efficacité in abstracto et in

concreto. Si la loi et les juges entendent, soit fournir aux parties les moyens de

construire l’efficacité, soit, de manière plus dynamique, provoquer eux-mêmes

l’apparition de certains facteurs d’efficacité, les garanties personnelles ont des

chances de satisfaire les attentes objectives et subjectives des créanciers.

Condition nécessaire, la poursuite de l’objectif d’efficacité n’est cependant

pas suffisante. L’efficacité des garanties personnelles dépend, en outre, de

l’adéquation entre le contenu du droit et cet objectif d’efficacité.

Page 89: L'efficacité des garanties personnelles
Page 90: L'efficacité des garanties personnelles
Page 91: L'efficacité des garanties personnelles

TITRE II

L’ADEQUATION ENTRE LE CONTENU

DU DROIT DES GARANTIES

PERSONNELLES ET L’OBJECTIF

D’EFFICACITE

174. L’efficacité des garanties personnelles est subordonnée à l’efficacité

du droit des garanties personnelles lui-même. Pour que les garanties personnelles

soient efficaces, le droit qui leur est applicable doit, non seulement avoir pour

objectif de satisfaire les attentes objectives et subjectives des créanciers, mais il doit

aussi comporter des règles adéquates pour réaliser cet objectif d’efficacité.

L’efficacité des garanties personnelles est ainsi subordonnée à l’efficacité du droit

des garanties personnelles lui-même.

Il convient de rappeler que, si l’effectivité du droit consiste dans sa mise en

œuvre (pour les lois impératives), ou au moins sa réception par les sujets de droit

(pour les lois supplétives ou permissives), l’efficacité du droit réside, quant à elle,

dans le caractère adéquat de son contenu pour atteindre un résultat déterminé246.

175. L’utilité de la mise au jour des conditions de l’efficacité du droit des

garanties personnelles. Il est important d’exposer les conditions de cette

adéquation entre le contenu du droit des garanties personnelles et l’objectif

d’efficacité, autrement dit les conditions de l’efficacité du droit des garanties

personnelles lui-même, pour préciser la grille d’analyse, au regard de laquelle seront

ultérieurement confrontées les solutions du droit positif, et donc pour préparer la

reconstruction du droit des garanties personnelles.

176. Les deux conditions de l’efficacité du droit des garanties

personnelles. Pour que le droit des garanties personnelles soit efficace, et rende par

là même celles-ci efficaces, deux conditions doivent être réunies. Tout d’abord, le

droit des garanties personnelles doit présenter certaines qualités formelles (Chapitre

1). Ensuite, il doit refléter les caractéristiques des garanties qu’il régit (Chapitre 2).

246 Pour de plus amples développements sur les notions d’efficacité et d’effectivité du droit,

cf. supra n°32-35

Page 92: L'efficacité des garanties personnelles
Page 93: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE I

LES QUALITÉS FORMELLES

DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES

177. Efficacité des garanties personnelles et sécurité juridique. L’efficacité

des garanties personnelles, envisagée in concreto, consiste dans l’accomplissement

des attentes subjectives que l’octroi de crédit a fait naître chez le créancier. Elle

repose sur une double adéquation : l’une entre l’attente née de l’octroi de crédit et la

finalité assignée à la garantie personnelle conclue, l’autre entre cette finalité et les

effets produits par le contrat de garantie.

Chacune de ces adéquations a d’autant plus de chances d’exister que les lois et

la jurisprudence relatives aux garanties personnelles présentent des qualités

formelles qui sécurisent les choix des créanciers, lors de la formation du contrat de

garantie, ainsi que les prévisions des parties. Dans la mesure où ces qualités

constituent des composantes de la sécurité juridique, il apparaît que, pour que le

droit des garanties personnelles soit efficace et rende ces contrats eux-mêmes

efficaces, l’impératif de sécurité juridique doit gouverner, tant le travail législatif,

que l’œuvre jurisprudentielle.

Plus précisément, l’efficacité du droit des garanties personnelles et de ces

garanties elles-mêmes dépend, d’une part, de qualités formelles améliorant la

rationalité des choix des créanciers (Section 1) et, d’autre part, de qualités formelles

confortant la réalisation de la finalité assignée à la garantie personnelle conclue

(Section 2).

SECTION 1 : LES QUALITÉS FORMELLES

AMÉLIORANT LA RATIONALITÉ

DES CHOIX DES CRÉANCIERS

178. Efficacité des garanties personnelles et information des créanciers

sur le droit applicable. Lors de la formation d’une garantie personnelle, le

créancier opère des choix techniques et comportementaux, en vue de la conformité

de la finalité assignée au contrat conclu aux attentes préalables à sa constitution. A

cette fin, il procède à des calculs, en utilisant des prix explicites et implicites, et il se

détermine en fonction du meilleur rapport coût / avantage. Les choix des créanciers

présentent, de ce fait, un caractère rationnel247.

247 Sur la rationalité des choix des créanciers, cf. supra n°83-86

Page 94: L'efficacité des garanties personnelles

Pour autant, ces choix n’aboutissent pas nécessairement à l’identité entre les

deux niveaux d’attentes subjectives, car les créanciers ne disposent pas toujours de

toutes les informations leur permettant de retenir les solutions optimales. Le manque

d’information ou la non compréhension de l’information se traduisent par une

rationalité limitée, qui conduit elle-même à des différences entre la finalité assignée

à la garantie personnelle et les attentes préalables à sa constitution, et donc à

l’inefficacité de la garantie personnelle248.

A contrario, pour rendre les garanties personnelles efficaces, il convient

d’améliorer la rationalité des choix des créanciers, en permettant à ceux-ci, non

seulement de disposer des renseignements utiles à la prise de décision, mais aussi de

comprendre ces informations. Parmi ces informations, celles ayant trait au droit en

vigueur sont fondamentales249.

Par conséquent, pour que le contenu du droit des garanties personnelles soit en

adéquation avec l’objectif d’efficacité, c'est-à-dire pour qu’il rende ces contrats

efficaces, il doit présenter des qualités qui favorisent, tant sa connaissance (§1), que

sa compréhension par les créanciers (§2). Si ces qualités, qui constituent des

composantes de la sécurité juridique, sont réunies, la rationalité des choix des

créanciers se trouve plus étendue, et plus grandes sont les chances que les attentes

des créanciers, nées lors de l’octroi de crédit, se réalisent250.

§1 : LES QUALITES DU DROIT

FAVORISANT SA CONNAISSANCE

179. La connaissance du droit applicable : un facteur d’efficacité. Pour

que les choix du créancier reflètent effectivement les modalités et le coût de la

protection escomptés lors de l’octroi de crédit, ces choix doivent être opérés au

regard du droit positif. A défaut, le créancier risque de manquer le meilleur rapport

coût / avantage, que ce soit par rapport à la personne du garant, à la nature du contrat

ou des obligations du garant, au contenu du contrat (montant, durée, modalités de

mise en œuvre de la garantie, obligations éventuelles du créancier), au respect ou

non du droit en vigueur ou encore à l’attitude à adopter face au garant. Le droit

applicable aux garanties personnelles doit donc être connu des créanciers pour que la

rationalité de leurs choix soit plus étendue et donc pour que soient plus sérieuses les

chances d’adéquation entre les attentes initiales et celles générées par la garantie

personnelle effectivement conclue.

248 Sur la rationalité limitée, cf. supra n°88 249 Les informations peuvent également être d’ordre factuel, c'est-à-dire concerner le garant, le

débiteur principal ou encore la conjoncture économique (cf. supra n°91). 250 La connaissance et la compréhension du droit seront envisagées, dans les développements

à suivre, comme des facteurs d’efficacité des garanties personnelles. Elles sont également des

facteurs d’ordre (cf. G. RIPERT, Le déclin du droit, 1949, chap. VI sur l’insécurité juridique :

« si la règle imposée…est impossible à connaître et à comprendre, les hommes perdent toute

direction, ne savent plus ce qui est permis ou défendu, trouvent dans leur ignorance une

excuse à leur inconduite et vivent dans l’incertitude sur l’étendue de leurs droits. Il n’y a plus

d’ordre légal et cela par la faute même de ceux qui sont chargés de l’établir ») et d’effectivité

des règles de droit (cf. P. LASCOUMES et E. SERVERIN, Théories et pratiques de

l’effectivité du Droit, Droit et société 1986, p. 110 à 112).

Page 95: L'efficacité des garanties personnelles

La connaissance du droit positif est favorisée par trois qualités formelles, à

savoir le nombre raisonnable (A), l’accessibilité (B), et enfin la stabilité (C) des

règles de droit. Ces qualités satisfont, tant l’impératif de sécurité juridique, que

l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.

A/ LE NOMBRE RAISONNABLE DES REGLES DE DROIT

180. L’inflation législative : un facteur d’inefficacité. La connaissance des

règles de droit, qui améliore la rationalité des choix des créanciers et qui constitue,

de ce fait, un facteur d’efficacité des garanties personnelles, dépend, en premier lieu,

de leur nombre.

A l’inverse, plus les textes et les décisions jurisprudentielles sont nombreux,

plus il est difficile, pour les créanciers, d’opérer des choix au regard de toutes les

règles de droit pertinentes. Le phénomène d’inflation législative251 est souvent

dénoncé comme attentatoire à la liberté des individus252, à leur égalité253, ou encore

à l’ordre254. Mais le foisonnement des textes constitue également une menace pour la

sécurité juridique255, puisqu’il entrave la connaissance des règles de droit, et pour

l’efficacité des garanties personnelles, puisqu’il limite la rationalité des choix des

créanciers.

251 Sur l’évolution du nombre de projets de lois, de décrets, de lois et de circulaires, entre les

années soixante et les années quatre-vingt dix, cf. Conseil d’Etat, Rapport public 1991, n°43,

La documentation française, 1992

Pour des analyses doctrinales de la prolifération des textes, cf. notamment J.-C. BECANE et

M. COUDERC, La loi, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 1994, p. 80 à 86 ; J. BEGUIN, Peut-

on remédier à la complexité croissante du Droit ?, Mélanges H. Blaise, 1995, p. 1 et s. ; J.

CARBONNIER, Essais sur les lois, Defrénois 1979, p. 271 à 277 (chap. VI : l’inflation des

lois) ; J.-H. ROBERT, Métaphores sur l’avenir du droit écrit, in L’avenir du droit, Mélanges

F. Terré, Dalloz, 1999, p. 221 et s. ; R. SAVATIER, L’inflation législative et l’indigestion du

corps social, D. 1977, chron., p. 43 et s. ; C. WIENER, Crise et science de la législation en

France, in La science de la législation, Travaux du Centre de philosophie du droit, PUF,

1988, p. 87 et s. 252 Les auteurs stigmatisent « la perte de liberté », « le sentiment d’accablement » (R.

SAVATIER, ibid., n°2), « l’étouffement » (R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, La sécurité

juridique, RTD civ. 2000, p. 660) que provoque le foisonnement des textes. 253 L’excès de législation et de réglementation rend nécessaire le recours aux professionnels

du droit pour pouvoir connaître l’état du droit en vigueur. La rupture d’égalité entre les

citoyens est à craindre dans la mesure où tous n’ont pas les moyens de s’offrir les services

d’un spécialiste. « Si l’on n’y prend garde, il y aura demain deux catégories de citoyens :

ceux qui auront les moyens de s’offrir les services d’un expert et les autres qui ne l’auront

pas » (Conseil d’Etat, Rapport public 1991, op. cit., p. 21). 254 La profusion des textes entrave leur connaissance et empêche, par là même, le respect des

commandements et des défenses qu’ils comportent. Se développe, ainsi, un « climat

d’incivisme » (R. SAVATIER, art. préc., n°18). « Qui dit inflation dit dévalorisation : quand

le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite » (Conseil d’Etat,

Rapport public 1991, ibid., p. 20). 255 En ce sens, cf. G. BRIERE DE L’ISLE, Sécurité juridique et loi, Entretiens de Nanterre

sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent. n°6-1990, p. 3 et s. ; R. LIBCHABER et

N. MOLFESSIS, art. préc., p. 660 ; F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J.

Foyer, 1997, p. 177

Page 96: L'efficacité des garanties personnelles

181. Les principales causes de l’inflation législative et leurs remèdes. Pour

éviter « l’emballement de la machine juridique »,256 et tous les risques qu’il

comporte, il convient d’en déceler les causes.

En premier lieu, l’excès de législation et de réglementation peut s’expliquer par

l’attitude des ministres qui, d’une part, peuvent avoir tendance à « gonfler » les

ordres du jour des conseils de ministres de projets de lois « pour donner le sentiment

que le gouvernement ne cesse d’agir »257, d’autre part, peuvent souhaiter, par vanité,

attacher leur nom à une loi258. Afin de lutter contre ces travers, le rapport du Conseil

d’Etat pour 1991 a proposé de rendre obligatoire l’exposé des motifs des projets de

lois, mais aussi d’instituer, auprès du Premier Ministre, un organe interministériel

chargé de réguler et de coordonner les pulsions normatives des ministres. Dans la

même optique, la Commission PICQ a suggéré de ne consacrer qu’un conseil des

ministres par mois à l’examen des projets de lois259. Il s’agirait donc d’imposer la

mesure là où l’autodiscipline fait défaut. Si de semblables propositions n’ont pas été

formulées au sujet du travail des parlementaires, alors même que l’autodiscipline n’y

est pas non plus de rigueur260, c’est sans doute parce qu’elles sont difficilement

conciliables avec notre régime représentatif.

Le « gigantesque magma législatif et réglementaire »261 s’explique, en

deuxième lieu, par les pressions exercées sur le législateur. Pressions tenant à la

complexification de notre société (progrès techniques et scientifiques), et pressions

provenant des citoyens262 « dès qu’il y a menace sur leur confort ou leur

sécurité »263. Lorsque ces pressions, circonstancielles ou sociales, rendent nécessaire

l’adoption de textes, le phénomène d’inflation peut néanmoins être tempéré par l’

« esprit d’économie législative », dont le doyen Cornu a présenté les principales

manifestations264, que sont l’analogie265 et les canons législatifs.

En troisième et dernier lieu, ce sont des considérations de philosophie politique

qui sont la cause de la prolifération des textes. La « poussée démocratique »266, qui

est aspiration à l’égalité, pas seulement politique, mais aussi socio-économique des

individus, légitime l’intervention de l’Etat en tous domaines et l’explosion du

256 J. BEGUIN, art. préc., p. 2 257 Cette tendance a été dénoncée par Mme CHANDERNAGOR, rapporteur général du

rapport public du Conseil d’Etat pour 1991. 258 J. BEGUIN, art. préc., p. 16 259 L’Etat en France, Servir une nation ouverte sur le monde, Rapport au Premier Ministre,

Mission présidée par J. PICQ, La documentation française, 1995, p. 39 260 « L’autodiscipline est difficile à des hommes imbus, comme nos parlementaires, de leur

toute puissance » (R. SAVATIER, art. préc., n°17). 261 B. OPPETIT, Les tendances régressives dans l’évolution du droit contemporain, Mélanges

D. Holleaux, Litec, 1990, p. 317 262 La pression de l’opinion publique est relayée par des groupes organisés à cette fin, les

lobbies, et par les médias. 263 J. CHANET, Présentation du colloque, Entretiens de Nanterre sur la sécurité juridique,

JCP, éd. E., cah. droit ent. n°6-1990, p. 1 264 G. CORNU, L’art du droit en quête de sagesse, PUF coll. Doctrine juridique, 1998,

chapitre 27, « L’esprit d’économie législative », p. 323 et s. 265 G. CORNU (Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 129 et

s.) met en avant le rayonnement de l’analogie, aussi bien dans l’interprétation que dans la

législation. 266 G. RIPERT, Le régime démocratique et le droit civil moderne, Intro., n°2

Page 97: L'efficacité des garanties personnelles

nombre de textes267. Le primat de l’égalité effective des citoyens sur la liberté fonde

donc l’interventionnisme étatique et explique le foisonnement des textes. Le

phénomène d’inflation pourrait être tempéré si l’étendue de l’intervention législative

n’était pas dictée par des conceptions idéologiques, mais par les objectifs que le

législateur entend poursuivre, et qui sont propres à chaque objet réglementé. En

matière de garanties personnelles, c’est ainsi l’objectif d’efficacité qui devrait

commander le degré d’implication législative268.

182. Les principales causes de la prolifération des décisions

jurisprudentielles et leurs remèdes. S’agissant de la prolifération des décisions

jurisprudentielles, qui peut également compromettre la rationalité des choix des

créanciers, et donc l’efficacité des contrats de garantie, elle découle essentiellement

du manque de prévisibilité du droit applicable tenant, d’une part, aux lacunes

législatives et, d’autre part, à l’inintelligibilité des textes.

L’excès de jurisprudence peut donc être jugulé en conférant à la loi les qualités

nécessaires à sa compréhension269 et en veillant à ce que les textes respectent les

prévisions extrinsèques des parties270.

183. Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces,

il doit être connu des créanciers au moment où ils opèrent les choix techniques et

comportementaux visant à réaliser leurs attentes. La connaissance des règles de droit

dépend, non seulement du nombre de textes et de décisions jurisprudentielles, mais

aussi de leur accessibilité.

B/ L’ACCESSIBILITE MATERIELLE DES REGLES DE DROIT

267 En ce sens, cf. J.-C. BECANE et M. COUDERC, op. cit., p. 82 ; B. OPPETIT, art. préc.,

p. 324 268 Sur les deux degrés d’implication du droit dans la construction de l’efficacité des garanties

personnelles, cf. supra n°98-108 ; 109-115 269 Sur ces qualités, cf. infra n°199-205 270 Cf. infra n°207-235

Page 98: L'efficacité des garanties personnelles

184. L’aide à l’accès au droit. L’accès au droit et l’accès aux règles de droit

sont aujourd'hui deux préoccupations majeures de notre système juridique. Une loi

du 18 décembre 1998 est venue compléter « le versant a ou para-juridictionnel »271

de l’aide juridique, à savoir l’aide à l’accès au droit272. Comme cette aide comporte,

notamment, « l’information générale des personnes de leurs droits et

obligations »273, elle contribue à l’accès aux règles de droit et donc à leur

connaissance. L’accessibilité des règles de droit n’est pas uniquement encouragée

par le biais de cette aide sociale.

185. L’accessibilité de la loi : un objectif de valeur constitutionnelle.

S’agissant, tout d’abord, de l’accessibilité de la loi, après avoir été exigée par la

CJCE274 et par la CEDH275, elle a été qualifiée d’objectif de valeur constitutionnelle

par la décision du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999276. L’accessibilité

des règles de droit peut être envisagée d’un point de vue tant matériel

qu’intellectuel. En consacrant « l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité

et d’intelligibilité de la loi », le Conseil constitutionnel a, non seulement retenu ces

deux dimensions de l’accessibilité, mais il leur a aussi reconnu les mêmes rôles et la

même portée.

186. Les rôles de l’objectif d’accessibilité de la loi. L’accessibilité

(matérielle) et l’intelligibilité (accessibilité intellectuelle) de la loi permettent de

rendre effectifs, selon le Conseil constitutionnel, l’égalité devant la loi énoncée par

l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme, la « garantie des droits » requise

par son article 16 et, enfin, l’exercice des droits et libertés garanti par les articles 4 et

5 de cette même déclaration.

Il ressort de la décision du Conseil constitutionnel, sans que cela ne soit

expressément mentionné, que l’accessibilité de la loi est également susceptible

271 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Aide, p. 43 272 Loi n°98-1163 du 18 décembre 1998 modifiant les articles 53 à 60 de la loi n°91-1266 du

10 juillet 1991. Sur cette loi, cf. R. MARTIN, Loi n°98-1163 du 18 décembre 1998 relative à

l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits, JCP 1999, Actual., p. 121 et 122 ; T.

REVET, RTD civ. 1999, p. 220, n°40 273 Art. 53-1° de la loi du 10 juillet 1991.

L’aide à l’accès au droit comporte, par ailleurs, l’aide à la réalisation des droits (démarches en

vue de l’exercice d’un droit ou de l’exécution d’une obligation), la consultation en matière

juridique, et l’assistance à la rédaction et à la conclusion des actes juridiques. 274 CJCE 20 janvier 1985, aff. 143/83, Commission c/ Royaume de Danemark, Rec. p. 427 275 CEDH 24 avril 1990, Kruslin et Huvig (V. BERGER, Jurisprudence de la Cour

européenne des droits de l’homme, 5e éd., Dalloz, 1996, n°149 et 141 ; D. 1990, p. 353, note

J. PRADEL ; D. 1990, chron., p. 187, R. KOERING-JOULIN) ; CEDH 16 décembre 1992,

Geouffre de la Pradelle (D. 1993, 561, note F. BENOIT-ROHMER) 276 Cons. Constit., Décision 99-421 DC du 16 décembre 1999 : Rec. Constit., p. 136 ; D.

2000, Somm., p. 425, obs. RIBES ; A. CRISTAU, L’exigence de sécurité juridique, D. 2002,

chron., p. 2814 et s. ; M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, Le principe constitutionnel

de l’accessibilité et de l’intelligibilité de la loi, D. 2000, chron., p. 361 et s. ; R. LIBCHABER

et N. MOLFESSIS, La sécurité juridique, RTD civ. 2000, p. 660 et s. ; B. MATHIEU, La

sécurité juridique : un produit d’importation dorénavant « made in France » (à propos des

décisions 99-421 et 99-422 DC du Conseil constitutionnel), D. 2000, point de vue, p. VII et

VIII ; J.-E. SCHOETTL, Codification par ordonnance, AJDA 2000, p. 31 et s.

Page 99: L'efficacité des garanties personnelles

d’asseoir la sécurité juridique. De nombreux auteurs ont ainsi considéré que cette

décision consacrait le principe de sécurité juridique et l’intégrait dans l’arsenal

constitutionnel français277.

187. La portée de l’objectif d’accessibilité de la loi. Concernant la portée de

l’exigence d’accessibilité de la loi, dans ses deux dimensions, il convient de retenir

que cette exigence ne se traduit pas par un droit subjectif à l’accessibilité, mais

seulement par une contrainte pesant sur les autorités normatives278. Les pouvoirs

publics doivent donc rendre la loi matériellement et intellectuellement accessible.

L’accessibilité matérielle des textes est subordonnée à deux conditions : leur

diffusion et leur regroupement thématique.

188. Les moyens favorisant la diffusion des textes. S’agissant, tout d’abord,

de la diffusion des textes, elle est en principe assurée par leur publication au Journal

officiel. Pour satisfaire l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité de la loi,

cette publication est apparue insuffisante.

C’est pourquoi la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs

relations avec les administrations279, dans son chapitre 1 consacré à l’accès aux

règles de droit, a précisé qu’il appartient aux autorités administratives de pourvoir à

l’accessibilité des textes par leur mise à disposition et leur diffusion280.

189. Le regroupement thématique des textes : un facteur d’efficacité.

S’agissant, ensuite, du regroupement thématique des textes, il permet d’éviter aux

usagers d’en négliger certains au moment où ils doivent opérer des choix dans un

domaine réglementé particulier. Cet aspect de l’accessibilité des textes est essentiel

dans le cadre de la question qui nous occupe. En effet, si les règles de droit relatives

aux garanties personnelles sont dispersées dans de multiples textes, les créanciers

277 En ce sens, cf. A. CRISTAU, ibid., n°29 à 38 ; R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, ibid.,

p. 660 à 662 ; B. MATHIEU, ibid. Contra, cf. M.- A. FRISON-ROCHE et W. BARANES,

ibid., spéc. n°25. Pour ces auteurs, le « principe ultime » n’est pas la sécurité juridique, mais

l’accès au droit. La sécurité juridique n’est qu’« un objectif médiat », qui sert l’accès au droit. 278 En ce sens, cf. L. FAVOREU et al., Droit constitutionnel, Précis Dalloz, 2e éd., 1999,

n°1338, p. 871 ; A. CRISTAU, ibid., n°25 et 26 ; B. MATHIEU, ibid. ; M.-A. FRISON-

ROCHE et W. BARANES, ibid., n°12 ; F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 490 et 491

La qualification d’objectif de valeur constitutionnelle peut revêtir un autre sens, qui est de

justifier une limite faite à un principe constitutionnel. De nombreuses décisions du Conseil

constitutionnel ont retenu cette qualification pour justifier l’atteinte que la loi porte à un

principe constitutionnel (exemple : l’objectif de sûreté publique justifie l’atteinte à la liberté

individuelle). G. DRAGO (Contentieux constitutionnel français, coll. Thémis, PUF, 1998,

p. 233 et s.) retient ainsi que l’objectif de valeur constitutionnelle s’insère dans la

méthodologie de mise en compatibilité de principes à première vue contradictoires. 279 JO 13 avril 2000, p. 5646 280 Loi du 12 avril 2000 : « Les autorités administratives sont tenues d’organiser un accès

simple aux règles de droit qu’elles édictent. La mise à disposition et la diffusion des textes

juridiques constituent une mission de service public au bon accomplissement de laquelle il

appartient aux autorités administratives de veiller ».

La philosophie qui inspire la loi du 12 avril 2000 est à rapprocher de celle ayant présidé à

l’adoption de la loi du 17 juillet 1978, ayant reconnu la liberté d’accès aux documents

administratifs.

Page 100: L'efficacité des garanties personnelles

risquent de procéder à des choix techniques et comportementaux, sans disposer de

toutes les règles de droit pertinentes, et ils risquent de souffrir de l’inadéquation

entre les attentes nées de l’octroi de crédit et celles résultant de la garantie

personnelle effectivement conclue. L’éclatement des règles de droit entrave donc

leur connaissance et constitue un facteur d’inefficacité des garanties personnelles. A

l’inverse, le regroupement exhaustif des règles de droit ayant un même objet, dans

un document unique, favorise l’accessibilité matérielle des règles de droit, donc leur

connaissance et, par conséquent, la rationalité des choix des créanciers et l’efficacité

des garanties personnelles.

190. La codification : un moyen de favoriser le regroupement thématique

et la diffusion des textes. Ce regroupement caractérise la codification et, plus

précisément, celle dite à droit constant, qui ne transforme pas le droit, mais procède

uniquement à une compilation des règles de droit relevant d’une même matière281.

Cette codification, en ce qu’elle « concentre la matière juridique »282 et « met au

jour une réalité non apparente », comme le ferait un oracle283, rend donc les textes

accessibles et en favorise la connaissance.

Elle paraît d’autant plus utile lorsque les règles de droit applicables à un objet

déterminé peuvent être rangées dans plusieurs branches du droit. C’est le cas en

matière de garanties personnelles, car le droit des garanties est « un droit

carrefour »284, qui a notamment partie liée avec le droit bancaire, le droit de la

consommation, du surendettement, des procédures collectives, des sociétés. Mais,

paradoxalement, c’est là où la « codification – compilation » serait la plus utile

qu’elle semble la plus difficile à mettre en œuvre et ce, en raison de la rigidité même

de la division du droit en branches285.

La codification contribue à l’accessibilité des textes, non seulement parce

qu’elle évite leur éparpillement, mais aussi parce qu’elle constitue un mode de

diffusion des règles de droit.

En ce qu’elle satisfait les deux conditions nécessaires à l’accessibilité des

textes, que sont leur diffusion et leur regroupement thématique, la codification

apparaît comme un moyen adéquat pour rendre les textes matériellement

accessibles et donc pour rendre le droit efficace.

191. L’accessibilité matérielle des décisions jurisprudentielles. Concernant

l’accessibilité matérielle des décisions jurisprudentielles286, elle n’est pas au cœur

281 Un code qui ne transforme pas le droit est-il un vrai code ? Sur le débat né de cette

question,

cf. Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, sous la direction de A.-J.

ARNAUD, LGDJ, 1993, V° Codification, n°5 ; G. BRAIBANT, Codifier : pourquoi ?

comment ?, Rev. fr. adm. pub., 1995, p. 131 et s. ; F. ZENATI, Les notions de code et de

codification (contribution à la définition du droit écrit), Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998,

p. 217 et s. 282 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans les

sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 64 283 En ce sens, cf. F. ZENATI, art. préc., p. 246 284 D. LEGEAIS, n°24 285 Sur cette division du droit en branches, cf. F. GRUA, Les divisions du droit, RTD civ.

1993, p. 59 et s. ; R. MARTIN, Le droit en branches, D. 2002, chron., p. 1703 286 Sur cette question, cf. Y. GAUDEMET, Sécurité du droit et jurisprudence, Entretiens de

Nanterre sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent., n°6-1990, p. 12 et s., n°35

Page 101: L'efficacité des garanties personnelles

des préoccupations constitutionnelles et législatives, comme l’est celle des textes.

Elle conditionne pourtant aussi la connaissance des règles de droit.

Pour lutter contre l’ « hermétisme de la jurisprudence »287, lié à la

confidentialité, de fait, des décisions, il convient d’œuvrer en faveur de la diffusion

des arrêts288. La gratuité de certains sites Internet rend ainsi l’accessibilité matérielle

effective et améliore, ce faisant, la rationalité des choix des créanciers.

192. Pour que le droit des garanties personnelles soit efficace, les créanciers

doivent disposer des textes et de la jurisprudence au moment où ils opèrent des

choix ayant trait à la protection de leurs intérêts. La connaissance des règles de droit,

par les créanciers, dépend du nombre et de l’accessibilité matérielle des textes et des

décisions jurisprudentielles, mais encore de la stabilité des règles de droit.

C/ LA STABILITE DES REGLES DE DROIT

193. La stabilité des règles de droit : un facteur d’efficacité. La stabilité est

une qualité des règles de droit qui constitue un facteur d’efficacité des garanties

personnelles à deux égards.

D’une part, elle facilite la connaissance des règles de droit, et donc l’adéquation

entre les deux niveaux d’attentes subjectives des créanciers. D’autre part, elle

contribue au respect des prévisions extrinsèques des parties et donc à

l’accomplissement de la finalité assignée à la garantie personnelle effectivement

constituée289.

La connaissance des règles de droit, et l’extension de la rationalité des choix en

découlant, sont favorisées par la stabilité, tant des textes, que de la jurisprudence. A

l’inverse, les réformes législatives et les revirements de jurisprudence fréquents

réduisent les chances de pouvoir prendre des décisions au vu de toutes les règles de

droit pertinentes.

194. L’effervescence législative : un facteur d’inefficacité. La mobilité de la

législation peut s’expliquer de différentes manières290, notamment par la survenance

de questions nouvelles, par l’évolution de la société et des mentalités, par les

pressions exercées sur le législateur, par l’alternance politique ou encore par la

vanité des ministres291.

Quelle qu’en soit la cause, « la succession rapide de mesures différentes et

contradictoires »292 est source d’une insécurité tout à fait préjudiciable. Dès lors que

287 D. FOUSSARD, Sécurité du droit et jurisprudence, Rapport de synthèse, Entretiens de

Nanterre sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent., n°6-1990, p. 18 288 La diffusion trop large des décisions risquant de « noyer » les justiciables, il n’est sans

doute pas pertinent de préconiser la diffusion des jugements. 289 Sur ce second avantage, cf. infra n°209-226 290 Sur les causes de la « boulimie de réformes », cf. J. BEGUIN, Peut-on remédier à la

complexité croissante du Droit ?, Mélanges H. Blaise, 1995, p. 10 291 En ce sens, cf. F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer, 1997, p. 177 :

« les lois de circonstances…des lois chères aux ministres dans la seule mesure où ils peuvent

les faire désigner par leur nom ». 292 G. RIPERT, Le déclin du droit, 1949, p. 100

Page 102: L'efficacité des garanties personnelles

les lois sont « éphémères et jetables après emploi »293, il est, en effet, plus difficile

de savoir à quelles règles une situation déterminée est et sera soumise. Les décisions

prises par les sujets de droit risquent ainsi de ne pas procéder du meilleur rapport

coût / avantage. L’insécurité tient également au fait que « des modifications trop

fréquentes nuisent à la force obligatoire de la loi et peuvent même aboutir à

l’anarchie »294.

195. L’articulation entre l’impératif de stabilité de la loi et celui de

flexibilité. Si l’effervescence législative est donc dangereuse, à différents égards, il

n’est cependant pas question de prôner la pérennité des textes295. L’adaptation de la

loi aux faits est un impératif juridique aussi important que celui de sécurité. Un

équilibre doit donc être trouvé entre l’impératif de stabilité et celui de flexibilité des

règles de droit296.

A cette fin, il convient, tout d’abord, de réformer avec mesure, c'est-à-dire

après comparaison des inconvénients de l’instabilité et des avantages de

l’instauration d’une règle nouvelle297.

Ensuite, le législateur ne devrait pas satisfaire les seuls besoins de l’heure et

courir au plus pressé298, mais faire preuve, au contraire, d’anticipation.

Enfin, dans les domaines exigeant des adaptations fréquentes de la loi aux faits,

il pourrait être davantage recouru aux lois expérimentales299, qui participent certes

au mouvement de « discontinuité du droit »300, mais présentent l’avantage de rendre

prévisible l’instabilité.

Si la conciliation entre l’impératif de stabilité et celui d’adaptation de la loi était

ainsi opérée, l’espérance de vie des textes pourrait s’allonger et les chances de

connaître les règles de droit en vigueur pourraient s’accroître.

293 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans les

sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53

Le caractère jetable de la loi a également été dénoncé dans le Rapport du Conseil d’Etat pour

1991 (Rapport public 1991, op. cit., p. 31). 294 R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 280. Dans le même sens,

cf. G. RIPERT (op. cit.), pour lequel « la discontinuité du droit » est à l’origine du désordre,

car elle a pour conséquence que « les malins se moquent des règlements ». 295 En ce sens, cf. A. CRISTAU, art. préc., n°10 : « à l’évidence, l’exigence de sécurité

juridique ne saurait se confondre avec la fixité des normes. La modification de l’état du droit

positif répond en principe à une exigence de sécurité ». 296 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 496 297 En ce sens, cf. R. HOUIN, art. préc., p. 280 et 281 : dans la mesure où toute réforme

législative est un danger en soi, « le progrès que l’on attend de la règle nouvelle doit

compenser largement le mal que cause nécessairement l’introduction de cette règle ». 298 En ce sens, cf. G. RIPERT, L’ordre économique et la liberté contractuelle, Mélanges

Geny, t.2, p. 347 et s., n°5 299 Elles présentent trois caractéristiques, qui dérogent à la conception traditionnelle de la loi :

elles comportent un terme, qui figure dans le texte lui-même ; une évaluation de leurs effets

est prévue ; la pérennisation du dispositif est subordonnée à l’adoption d’une loi nouvelle. Sur

ces lois expérimentales, cf. J. CHEVALLIER, Les lois expérimentales : le cas français, in

Evaluation législative et lois expérimentales, PUAM, 1993, p. 121 et s. 300 G. RIPERT, Le déclin du droit, 1949, chapitre V

Page 103: L'efficacité des garanties personnelles

196. L’articulation entre l’impératif de stabilité des décisions

jurisprudentielles et celui de flexibilité. Concernant l’instabilité des décisions

jurisprudentielles, elle se manifeste par les revirements, qu’ils soient clairement

annoncés, seulement virtuels, ou encore qu’ils surgissent de façon subreptice, sans

crier gare301. La doctrine stigmatise, souvent en termes métaphoriques302, cette

instabilité qui entrave la connaissance des règles de droit et, par conséquent, la

rationalité des choix des sujets de droit.

Pour autant, l’impératif de flexibilité s’oppose à la pérennité des décisions

jurisprudentielles. C’est en ce sens que s’est prononcée la première Chambre civile

de la Cour de cassation, dans un arrêt du 21 mars 2000303 : « la sécurité juridique ne

saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la

jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit ». Au nom de

la stabilité des règles de droit et de la sécurité en résultant, les juges ne sauraient

donc maintenir des interprétations erronées. Les revirements engendrent, certes, de

l’incertitude, mais ils sont « l’instrument nécessaire de l’adaptation du droit aux

évolutions et aux nouveaux besoins, de la recherche de la justice aussi »304.

L’impératif de stabilité ne saurait, par conséquent, légitimer une jurisprudence

immobile. Il justifie seulement la recherche d’une jurisprudence constante, c'est-à-

dire de décisions fermes et/ou récurrentes. Il est, en effet, des jurisprudences

constantes sans répétition, c'est-à-dire faites d’un seul arrêt de principe, et des

jurisprudences constantes par la répétition305.

197. La stabilité des règles de droit : un principe directeur. La flexibilité

des règles de droit : un principe correcteur. Que l’on envisage les textes ou les

décisions jurisprudentielles, leur stabilité devrait constituer le principe directeur et

leur flexibilité le principe correcteur. Dans ces conditions, la connaissance des règles 301 D. FOUSSARD, art. préc., p. 21 : le revirement peut être clairement annoncé, soit à

l’occasion d’hypothèses voisines, soit par un infléchissement de la motivation traditionnelle ;

il peut aussi être virtuel, en raison de la résistance des juges du fond, des réserves de la

doctrine ou encore de l’écart entre les règles et la pratique. 302 Les revirements sont décrits au moyen de termes empruntés au langage mathématique

(jurisprudence sinusoïdale), militaire (les avancées et replis du juge), sentimental (les

inconstances, caprices, atermoiements, repentirs de la jurisprudence) ou encore artistique (la

valse hésitation des juges). 303 Cass. 1ère civ., 21 mars 2000 : Bull. civ. I, n°97 ; D. 2000, 593, note ATIAS ; Contr., conc.,

consom. 2000, n°126, note LEVENEUR ; RTD civ. 2000, p. 592, obs. GAUTIER ; RTD civ.

2000, p. 666, obs. MOLFESSIS 304 F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 501

Pour une approche critique, au contraire, de l’arrêt du 21 mars 2000, cf. Ch. ATIAS, D. 2000,

p. 593 ; R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, art. préc., p. 666 à 669 305 En ce sens, cf. D. FOUSSARD, La jurisprudence constante de la Cour de cassation, in

L’image doctrinale de la Cour de cassation, La documentation française, 1994, p. 225 et s. ;

Ph. JESTAZ, La jurisprudence constante de la Cour de cassation, in L’image doctrinale de la

Cour de cassation, La documentation française, 1994, p. 207 et s. ; F. ZENATI, La

jurisprudence, Dalloz, coll. Méthodes du droit, 1991, p. 164 et 165

Dans l’arrêt précité du 21 mars 2000, la Cour de cassation a retenu que, si la notion de bref

délai de l’article 1648 du Code civil « n’indique pas une durée précise », elle « n’en est pas

moins claire dans son objectif et d’application simple selon une jurisprudence constante ».

Pour une critique de cette référence à une jurisprudence constante en matière de bref délai de

l’article 1648 du Code civil, cf. R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, ibid., p. 668 et 669.

Page 104: L'efficacité des garanties personnelles

de droit, partant la rationalité des choix des sujets de droit, seraient améliorées, sans

pour autant que la nécessaire adaptation des règles de droit aux faits ne soit négligée.

198. Si le nombre raisonnable, l’accessibilité matérielle, et la stabilité des

textes et des décisions jurisprudentielles sont des qualités formelles nécessaires pour

que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces, ces qualités ne

sont pas suffisantes. La rationalité des choix des créanciers ne repose pas, en effet,

uniquement sur la connaissance des règles de droit. Elle exige également que les

informations dont disposent les bénéficiaires soient intelligibles.

§2 : LES QUALITES DU DROIT

FAVORISANT SA COMPREHENSION

199. L’intelligibilité des règles de droit. Avant d’indiquer les qualités que

les textes et les décisions jurisprudentielles doivent présenter pour être compris par

leurs destinataires, il convient de préciser ce qu’il faut entendre par intelligibilité des

règles de droit.

Le droit est l’objet d’un savoir spécialisé, qui n’est pas offert à l’entendement

de tous, mais s’acquiert par formation. En conséquence, certains considèrent que la

compréhension des règles de droit par les profanes, non assistés d’un expert, est

« illusoire »306 et donc que, vouloir rendre les règles de droit intellectuellement

accessibles, pour être « une idée noble », n’en relève pas moins du « fantasme »307.

Si la complexité naturelle du droit rend, en effet, utopique l’intelligibilité des règles

de droit, au sens de règles parfaitement compréhensibles par tous les citoyens, cette

complexité n’est pas, en revanche, incompatible avec l’intelligibilité, caractérisée

par le fait que les règles de droit ne sont pas manifestement incompréhensibles.

Au vu de la décision précitée du Conseil constitutionnel du 16 décembre 1999,

il est permis de retenir qu’une règle de droit est manifestement incompréhensible

lorsque ses destinataires ne perçoivent pas les droits et libertés qu’elle concrétise à

leur profit, ou à leur encontre. Ainsi, en qualifiant l’intelligibilité de la loi d’objectif

de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel, sans ignorer la part

d’hermétisme inhérente à la science juridique, contraint les autorités normatives à

veiller à ce que les destinataires des règles de droit ne soient pas privés de droits et

libertés, ou ne soient pas réduits à commettre des actes illicites, par le seul fait de

l’inintelligibilité de ces règles.

Il n’est donc pas question de « déjuridiciser le droit »308, ni de lui contester

toute complexité, mais seulement d’éviter que les règles de droit ne présentent des

défauts substantiels tels, que les destinataires moyens concernés309 manquent

systématiquement des décisions présentant, pour eux, le meilleur rapport coût /

avantage. « Si le citoyen peut comprendre que le Droit ne soit pas simple car les

attentes et les contraintes de la société contemporaine sont complexes (…), il est en

306 R. HOUIN, art. préc., p. 286 307 R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, art. préc., p. 665 308 R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, ibid., p. 665 309 L’intelligibilité des règles de droit se mesure à la capacité de leurs lecteurs. Il est donc

nécessaire de retenir une approche in abstracto et de faire référence à un type moyen de

destinataire. En ce sens, cf. M.-A. FRISON-ROCHE et W. BARANES, art. préc., n°21

Page 105: L'efficacité des garanties personnelles

droit d’exiger que la règle de Droit soit explicite »310, car la compréhension de la

règle de droit conditionne l’optimalité de ses choix, compte tenu des objectifs

poursuivis.

Tant à l’égard des textes que de la jurisprudence, l’intelligibilité doit être

recherchée, non seulement au sein de chaque règle, mais aussi par rapport à

l’ensemble des règles se rapportant à un même objet. Au premier niveau, la

compréhension procède de la clarté du texte ou de la décision jurisprudentielle (A).

Au second niveau, elle résulte de la cohérence entre les règles (B).

A/ LA CLARTE DES REGLES DE DROIT

200. La clarté de la loi. La clarté des textes et, plus précisément, de la loi a

été qualifiée d’objectif de valeur constitutionnelle par la décision du Conseil

constitutionnel du 10 juin 1998311. Elle peut être définie comme la capacité d’une

disposition à révéler, elle-même, le sens de la règle de droit qu’elle contient312.

201. Les conditions de la clarté de la loi. Concernant la révélation, elle est

loin d’être assurée lorsqu’une disposition en modifie une autre, « sans la réécrire,

mais en indiquant d’une manière quasi-codée, les corrections à opérer sur le texte

antérieur »313. Cette technique du renvoi est porteuse de tant d’obscurités et donc

d’inintelligibilité que, non seulement la doctrine314, mais aussi le Conseil d’Etat315,

considèrent que le législateur devrait se l’interdire.

Concernant le sens de la règle de droit contenue dans la disposition examinée, il

doit être unique pour pouvoir parler de clarté. Une disposition peut présenter un

caractère équivoque en raison du langage employé316. L’usage de la langue ordinaire

310 J. BEGUIN, art. préc., p. 21 311 Décision n°98-401 DC du 10 juin 1998, Rec. Cons. Constit., p. 258 ; D. 2000, Somm.,

p. 60, obs. FAVOREU ; AJDA 1998, p. 495, chron. SCHOETTL ; RFD const. 1998, p. 640,

obs. FAVOREU

Dans le même sens, cf. Décision n°98-407 DC du 14 janvier 1999 ; Décision n°99-423 DC du

13 janvier 2000 312 Nous ne retenons pas la définition donnée par M. IVAINER (Qu’est-ce qu’un texte clair ?

(essai de mathématisation), in Le droit en procès, Centre universitaire de recherches

administratives et politiques de Picardie, PUF, 1983, p. 151 : « la propriété (variable) d’un

champ conceptuel prescriptif, considéré à tel moment précis, de rendre prévisible son

application (ou son inapplication) au plus grand nombre de classes d’objets qui existent en

puissance dans le secteur de la réalité régie par lui »), car elle s’attache aux conséquences, et

non aux éléments constitutifs, de la clarté. 313 J. BEGUIN, art. préc., p. 8 314 D. REMY (Légistique, L’art de faire des lois, préf. F. BERNARD, éd. Romillat, 1994,

p. 333, n° 301) suggère que la publication de tout texte modificatif s’accompagne de celle du

texte modifié. 315 Rapport public 1991, op. cit. 316 L’usage de la langue française, rendu obligatoire par la loi du 31 décembre 1975, est la

condition minimale de la compréhension des textes. En ce sens, cf. F.-X. TESTU, Le statut

juridique de la langue française, Mélanges G. Cornu, PUF, 1994, p. 441 et 442

Page 106: L'efficacité des garanties personnelles

peut être source d’ambiguïté en raison de son imprécision317 et celui d’une

terminologie juridique spéciale peut également l’être en raison de son ésotérisme.

Pour qu’une disposition soit claire et donc compréhensible, il convient alors de

respecter un compromis318 : la langue ordinaire ne doit être préférée au vocabulaire

juridique que dans la mesure où elle ne risque pas d’entraîner des confusions.

Par ailleurs, afin d’éviter la polysémie génératrice d’obscurités, il est

souhaitable d’avoir recours aux définitions légales, dont la fonction est justement de

dissiper l’équivoque. Il ressort de l’étude que le Doyen Cornu a consacrée à ces

définitions319 que, de la part du législateur, elles sont choix et clarification.

« Sélective, elle (la définition légale) fait émerger le sens qu’elle retient, au moins

pour l’effet de droit qu’elle détermine. Elle privilégie un sens parmi d’autres.

Médiatrice, elle énonce, sous une forme intelligible, le sens d’un mot d’entendement

difficile ».

Une autre technique législative contribue également à rendre les textes clairs. Il

s’agit de l’exemplarité320. Elle stimule la compréhension par l’image qu’elle fait

naître. De surcroît, on peut attendre de l’association de plusieurs exemples une

exaltation de leur pouvoir d’évocation et la réduction corrélative du nombre de sens

à attacher à la règle de droit.

202. Les conditions de la clarté de la jurisprudence. Concernant la clarté de

la jurisprudence, les juges, et particulièrement ceux de la Cour de cassation, font des

efforts pour révéler le sens de leurs décisions321. La publication des rapports, des

conclusions de l’Avocat général, relatifs à certains arrêts et, surtout, la publication

du rapport annuel de la Cour de cassation participent de cette démarche. Mais, la

révélation du sens, dans ces hypothèses, s’opère en dehors des décisions elles-

mêmes.

Pour pouvoir parler de clarté, il est nécessaire que le sens apparaisse à la seule

lecture de la décision. A cet égard, il semble nécessaire de respecter le même

compromis, entre la langue ordinaire et le vocabulaire technique, que celui suggéré

au sujet des textes.

En outre, l’exposé des faits, dans les arrêts de la Cour de cassation, pourrait être

plus développé. La concision évite, certes, de se perdre dans des détails inutiles à la

compréhension mais, poussée à l’extrême, elle prive le lecteur de données factuelles

qui pourraient éclairer le sens de la décision.

Enfin, l’insertion d’un « chapeau » est de nature à « désopacifier » la

jurisprudence, dès lors qu’il ne se contente pas de reproduire le texte fondant la

solution, mais qu’il synthétise l’interprétation que la Cour entend retenir de ce texte.

Le chapeau, dans ces conditions, peut présenter des vertus analogues à celles des

définitions légales.

317 En ce sens, cf. F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer, 1997, p. 177 :

« rédiger les lois en langue contemporaine, ce qui était tout à la fois les rendre imprécises et

instables ». 318 En ce sens, cf. R. HOUIN, art. préc., p. 286 319 G. CORNU, Les définitions dans la loi, Mélanges Vincent, 1981, spéc. p. 78, n°3 320 G. CORNU (Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 133)

analyse l’exemplarité comme une « analogie autorisée et assistée », et en fournit diverses

illustrations tirées du Code civil. 321 En ce sens, cf. D. FOUSSARD, art. préc., p. 19

Page 107: L'efficacité des garanties personnelles

203. Si l’intelligibilité des dispositions légales et des décisions

jurisprudentielles, envisagées isolément, dépend des différents procédés évoqués

pour favoriser la clarté du droit, la compréhension d’un ensemble de textes ou de

décisions ayant un même objet est subordonnée, quant à elle, à la cohérence des

règles de droit.

B/ LA COHERENCE DES REGLES DE DROIT

204. La logique formelle conditionne la cohérence des textes. La cohérence

se reconnaît au fait que toutes les dispositions afférentes à un objet déterminé

forment un tout logique. Elle s’oppose à la contradiction entre les règles contenues

dans plusieurs dispositions.

Afin d’éviter l’antinomie, l’ensemble des textes ayant un même objet devrait

être appréhendé comme un système. L’approche systémique322 favorise la cohérence

et l’intelligibilité, car elle tend à l’ajustement, à la complémentarité des règles de

droit. Le développement d’une telle approche, à l’occasion d’une réforme partielle

d’un domaine particulier, conduit au respect de l’ordre juridique préexistant par les

règles nouvelles323. A l’occasion de la « juridicisation »324 d’un objet déterminé ou

de sa réforme globale, l’approche systémique devrait se traduire par une

codification. Il ne s’agirait pas d’une codification à droit constant, susceptible de

regrouper des règles de droit contradictoires, mais d’une codification composée de

règles de droit formant un tout logique325 et agençant ces règles de telle sorte

qu’elles soient lues plus intelligiblement326.

Afin d’éviter l’antinomie, la logique formelle devrait, par ailleurs, présider à

l’élaboration des règles de droit. Ainsi, l’application du principe en vertu duquel

« toute identité de nature implique une identité de régime et toute différence de

nature implique une différence de régime »327 devrait prémunir contre des

contradictions. L’analogie travaille, en effet, à la cohésion du droit328.

322 Sur cette question, cf. GASSIN, Système et droit, RRJ, Droit prospectif, 1981, III 323 Sur l’incohérence découlant, au contraire, des réformes ignorant le système législatif en

vigueur et prétendant greffer sur le système juridique existant des règles nouvelles étrangères

à ses idéaux et à sa technique particulière, cf. R. HOUIN, art. préc., p. 289 et 290. 324 A. JEAMMAUD, Introduction à la sémantique de la régulation juridique, Des concepts en

jeu, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, 1998, coll. « Droit et société.

Recherches et travaux », n°5, dirigé par J. CLAM et G. MARTIN, p. 64 : « synonyme

d’extension du domaine du droit, le terme suggère que des aspects ou pratiques de la vie

sociale, d’abord indifférents à ce système ou ignorés de lui, ont un jour été saisis par ses

dispositions ». 325 C’est la conception moderne du code, qui s’est développée à partir du XVIIIe siècle chez

les jusnaturalistes, et qui a été mise en œuvre après la Révolution. Sur la présentation de la

notion classique et de la notion moderne de code, cf. F. ZENATI, Les notions de code et de

codification (contribution à la définition du droit écrit), Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998,

p. 217 et s. 326 F. ZENATI, ibid., p. 248 : « la valeur ajoutée par le code n’est pas tant une information

supplémentaire qu’une rationalité dont l’extraction permet de mieux comprendre une

information déjà détenue ». La codification permet l’ « accouchement d’une rationalité ». 327 J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de régime, RTD civ. 1984, p. 258, n°3 328 G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 136

Page 108: L'efficacité des garanties personnelles

205. Les conditions de la cohérence de la jurisprudence. Concernant la

cohérence de la jurisprudence, elle devrait caractériser les décisions rendues, par une

même juridiction, en réponse à un même problème de droit.

Au nom de la cohérence, et de l’intelligibilité que l’on en attend, il n’est pas

question de fustiger les revirements de jurisprudence. En effet, les revirements

n’emportant pas contradiction, mais novation de solutions, ils posent problème au

regard de l’exigence de stabilité329, non au regard de l’exigence de cohérence.

Par ailleurs, grâce au rôle d’unification du droit qu’exerce la Cour de cassation,

ce ne sont pas les divergences existant entre les juridictions du fond qui paraissent

les plus inquiétantes au vu de l’exigence de cohérence. Celle-ci est surtout menacée

par les contradictions internes à une juridiction.

Pour que les décisions jurisprudentielles soient cohérentes et donc

compréhensibles, les contradictions doivent être pourchassées à deux niveaux :

d’une part, au sein des motifs des décisions rendues par une même formation ;

d’autre part, entre les solutions retenues par différentes chambres d’une même

juridiction. Si l’on observe les arrêts de la Cour de cassation, il faut reconnaître que

les contradictions du premier niveau ne peuvent être combattues que par le souci de

cohérence des magistrats eux-mêmes. S’agissant des contradictions du second type,

il existe une procédure plus fiable pour les supprimer, à savoir la saisine de

l’Assemblée Plénière. L’exigence de cohérence pourrait justifier qu’il y soit plus

fréquemment recouru.

206. Conclusion de la Section 1. Le nombre raisonnable, l’accessibilité

matérielle, la stabilité des textes et de la jurisprudence, sont nécessaires à la

connaissance des règles de droit. La clarté et la cohérence sont, quant à elles,

nécessaires à la compréhension de ces règles. Le droit des garanties personnelles

doit présenter toutes ces qualités pour que les choix qu’opèrent les créanciers, lors

de la formation du contrat de garantie, se traduisent par la conformité de la finalité

assignée au mécanisme effectivement conclu aux attentes que l’octroi de crédit au

débiteur a engendrées chez le créancier. Autrement dit, le droit des garanties

personnelles doit présenter toutes ces qualités formelles pour que la rationalité des

choix des créanciers soit suffisante pour aboutir à l’adéquation entre les deux

niveaux d’attentes subjectives de ces créanciers.

Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces, une

autre adéquation doit s’ajouter à celle jusqu’ici envisagée. Il s’agit de l’adéquation

entre la finalité assignée à la garantie personnelle constituée et les effets produits par

celle-ci. Cette seconde adéquation dépend également des qualités formelles du droit.

SECTION 2 : LES QUALITÉS FORMELLES

CONFORTANT LA RÉALISATION DE LA FINALITÉ

ASSIGNÉE À LA GARANTIE PERSONNELLE

207. Les facteurs de réalisation de la finalité assignée à la garantie

personnelle : la stabilité des prévisions extrinsèques et le respect des prévisions

intrinsèques. L’étude des facteurs d’efficacité subjective a révélé deux facteurs

329 Cf. supra n°196

Page 109: L'efficacité des garanties personnelles

favorisant l’accomplissement de la finalité assignée à la garantie personnelle

conclue330. Il s’agit, d’une part, de la stabilité des prévisions extrinsèques, c'est-à-

dire des données factuelles et juridiques331 ayant influencé, d’abord les choix du

créancier, puis l’accord des parties, et donc la finalité conférée au contrat conclu.

D’autre part, il s’agit du respect des prévisions intrinsèques des parties, c'est-à-dire

du contenu de leur accord de volonté. Ces deux facteurs d’efficacité ayant une

origine nécessairement légale ou jurisprudentielle332, les qualités formelles que le

droit doit présenter pour provoquer leur apparition méritent d’être précisées.

Quelle que soit la garantie personnelle conclue, la stabilité des prévisions

extrinsèques et le respect des prévisions intrinsèques sont subordonnés à la stabilité

des règles de droit elles-mêmes (§1). En matière de garanties personnelles innomées,

ces deux facteurs d’efficacité dépendent, en outre, du respect judiciaire de

l’autonomie normative de ces contrats non spécialement réglementés (§2).

§1 : LA STABILITE DES REGLES DE DROIT

208. La stabilité du droit positif est de nature à rendre les garanties

personnelles efficaces, non seulement en ce qu’elle améliore la rationalité des choix

des créanciers333, mais aussi en ce qu’elle consolide les prévisions des parties, tant

extrinsèques, qu’intrinsèques. Pour favoriser la réalisation de la finalité assignée par

les parties à la garantie personnelle constituée, cette stabilité doit caractériser, aussi

bien le contenu (A), que l’interprétation des règles de droit (B).

A/ LES QUALITES DU DROIT

FAVORISANT LA STABILITE DE SON CONTENU

209. La stabilité du contenu du droit : un facteur d’efficacité. Le droit

influence les choix auxquels procède le créancier avant la conclusion du contrat de

garantie, puis l’accord de volonté entre les parties. Il conditionne ce que le créancier

peut attendre de la garantie personnelle conclue, tant par rapport aux modalités, que

par rapport au coût de la protection de ses intérêts. Si le contenu du droit change,

après la constitution de la garantie personnelle, les prévisions extrinsèques des

parties se trouvent assurément bouleversées et leurs prévisions intrinsèques risquent

également de l’être. C’est donc la réalisation de la finalité assignée à la garantie

personnelle, c'est-à-dire son efficacité, qui se trouve compromise.

A contrario, l’efficacité est plus sûre si la garantie personnelle conclue reste

soumise, tout au long de sa vie, aux mêmes règles de droit que celles qui étaient en

vigueur lors de sa formation, et qui appartiennent aux prévisions extrinsèques des

parties.

210. Les conditions de la stabilité du contenu des règles de droit. Cette

stabilité du contenu des règles de droit suppose que les lois nouvelles ne

330 Cf. supra n°93-95 331 Dans les développements à suivre, seules les données juridiques, et non factuelles

(concernant le débiteur principal, le garant et la conjoncture économique) seront envisagées. 332 Cf. supra n°110 333 Cf. supra n°193-197

Page 110: L'efficacité des garanties personnelles

s’appliquent pas immédiatement, et encore moins rétroactivement, aux contrats en

cours, et que les revirements de jurisprudence ne prennent pas immédiatement effet.

Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces, les

changements législatifs et jurisprudentiels ne doivent donc pas se répercuter sur les

contrats conclus avant qu’ils n’interviennent. La réalisation de la finalité assignée à

la garantie personnelle dépend ainsi de la survie de la loi ancienne (1) et de

l’application des jurisprudences nouvelles pour l’avenir (2).

1. La survie de la loi ancienne

211. Les principes de droit transitoire confortant les prévisions des

parties. Deux principes de droit transitoire empêchent que l’adoption de lois

nouvelles n’ébranle les prévisions des parties.

Il s’agit, d’une part, du principe de non rétroactivité de la loi nouvelle, figurant

à l’article 2 du Code civil334, et régissant aussi bien la constitution que les effets des

situations légales ou contractuelles335.

Il s’agit, d’autre part, du principe de survie de la loi ancienne, à l’égard des

conditions et des effets des contrats en cours336.

Ces deux principes se justifient par l’exigence de sécurité juridique, qui

s’oppose à ce que les prévisions légitimes des parties ne soient compromises par un

remaniement de solutions textuelles. Par ailleurs, l’application du principe de survie

de la loi ancienne aux contrats en cours s’explique par des caractéristiques propres

au contrat, à savoir sa force obligatoire et son rôle fixateur d’une situation juridique

pour l’avenir.

334 La non rétroactivité n’a valeur constitutionnelle qu’en droit pénal (article 8 de la

Déclaration des droits de l’homme). En cette matière, elle est également consacrée par

l’article 7-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

En droit civil, comme elle n’est reconnue que par le Code civil, elle s’impose aux juges

comme une règle d’interprétation (la Cour de cassation ayant affirmé le caractère d’ordre

public de l’article 2 du Code civil, la non rétroactivité peut être invoquée par les parties et

retenue d’office par le juge à tout stade de la procédure), mais ne lie pas, en revanche, le

législateur lui-même. Cependant, le Conseil constitutionnel a décidé que, « si le législateur a

la faculté d’adopter des dispositions rétroactives, il ne peut le faire qu’en considération d’un

motif d’intérêt général suffisant et sous réserve de ne pas priver de garanties légales des

exigences constitutionnelles » (Décision 2001-453 DC du 18 décembre 2001, D. 2002,

Somm., p. 1953, obs. RIBES ; X. PRETOT, La conformité à la constitution de la loi de

financement de la sécurité sociale pour 2002, Dr. soc. 2002, p. 191). 335 Au XIXe siècle, le principe de non rétroactivité reposait sur la théorie classique des droits

acquis, en vertu de laquelle la loi nouvelle ne pouvait modifier des droits nés de l’effet de la

loi ancienne. C’est le Doyen Roubier qui est l’auteur de la théorie moderne reposant sur la

notion de situation juridique (cf. P. ROUBIER, Le droit transitoire (conflits de lois dans le

temps), Dalloz-Sirey, 2e éd., 1960 ; Droits subjectifs et situation juridique, Dalloz, Paris,

1963). 336 Le principe de survie de la loi ancienne n’est consacré par aucun texte. Il est, par contre,

reconnu par la Cour de cassation, par rapport aux effets des contrats en cours (Cass. 3ème civ.,

20 juin 1968 : D. 1968, 749, note LESAGE-CASTEL ; Cass. 3ème civ., 3 juillet 1979 : Bull.

civ. III, n°149 ; JCP 1980, II, 19384, note DEKEUWER-DEFOSSEZ ; Cass. 1ère civ., 17 mars

1998 : Bull. civ. I, n°115 ; RTD civ. 1999, p. 378, obs. MESTRE) et par rapport aux

conditions des actes juridiques conclus avant la loi nouvelle (Cass. 3ème civ., 7 novembre

1968 : JCP 1969, II, 15771, note P. L.).

Page 111: L'efficacité des garanties personnelles

212. L’éviction du principe d’application immédiate de la loi nouvelle. Ce

sont des considérations d’opportunité et d’égalité entre les citoyens qui sont mises

en avant pour légitimer l’application immédiate des lois nouvelles. L’argument

d’opportunité, en ce qu’il repose sur la présomption que la loi nouvelle est meilleure

que l’ancienne, est fragile. En effet, l’idée de progrès qui y est sous-jacente prête à

discussion. La fonction égalisatrice du principe de l’application immédiate est, quant

à elle, non pertinente à l’égard de situations qui, par hypothèse, sont réglées

individuellement et donc diversement selon la volonté de chacun337.

En conséquence, même si le législateur est souverain pour contredire dans un

texte ce qu’il affirme à l’article 1134 du Code civil, il devrait se garder d’adopter des

dispositions transitoires338 qui portent atteinte à l’intangibilité du contrat et, par

contrecoup, à l’efficacité de celui-ci339.

Lorsque le législateur ne précise pas le domaine d’application dans le temps des

règles nouvelles, c’est au juge qu’il appartient de procéder à cette détermination. Au

nom du respect des prévisions des parties, il est encore souhaitable que les juges

écartent l’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours, même si

les dispositions de cette loi sont d’ordre public340.

213. La stabilité du contenu des règles de droit, qui peut rendre plus sûre la

réalisation de la finalité assignée à la garantie personnelle conclue, se trouve donc

favorisée par la survie de la loi ancienne. L’éviction de l’application immédiate est-

elle également concevable à l’égard des décisions jurisprudentielles ?

2. L’application des jurisprudences nouvelles pour l’avenir

214. La rétroactivité des jurisprudences nouvelles. Les jurisprudences

nouvelles résultent, non seulement des revirements de jurisprudence, mais aussi des

décisions se prononçant pour la première fois sur une question de droit ou sur une

disposition nouvelle.

Au moment où le juge statue et dégage la règle destinée à apporter une solution

au litige, il applique cette règle à des faits, des comportements, et des actes

juridiques passés. La rétroactivité est inhérente à la fonction du juge et, si elle se

manifeste de manière particulièrement flagrante lors d’un revirement de

jurisprudence, il s’agit, en réalité, d’un phénomène tout à fait général341.

337 En ce sens, cf. J.-L. AUBERT, Introduction au droit et thèmes fondamentaux du droit

civil, Armand Colin, 9e éd., 2002, n°106 338 Sur ces dispositions, cf. F. DEKEUWER-DEFOSSEZ, Les dispositions transitoires dans

la législation civile contemporaine, préf. M. GOBERT, LGDJ, 1977 339 Ch. JAMIN (Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’art. 1134 du

Code civil, Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 47) considère que l’atteinte portée à

l’intangibilité du contrat par les lois d’application immédiate doit être dénoncée mais, dans la

mesure où « elle peut se prévaloir d’un argument étroitement positiviste », elle ne fait pas

partie de la « théorie pure de la révision » qu’il développe. 340 Sur le caractère non décisif du critère d’ordre public des dispositions légales pour

déterminer le domaine d’application dans le temps d’une loi nouvelle, cf. F. DEKEUWER-

DEFOSSEZ, th. préc., n°21 341 J.-L. AUBERT (op. cit., n°170) opère ainsi un rapprochement entre l’interprétation

jurisprudentielle et les lois interprétatives qui présentent, elles aussi, un caractère rétroactif.

Sur la rétroactivité naturelle de la jurisprudence, cf. T. BONNEAU, Brèves remarques sur la

prétendue rétroactivité des arrêts de principe et des arrêts de revirement, D. 1995, chron. 24 ;

Page 112: L'efficacité des garanties personnelles

Si cette rétroactivité n’est pas critiquable sur le fondement de l’article 2 du

Code civil, puisque la jurisprudence nouvelle ne modifie pas la loi elle-même mais

seulement son interprétation342, elle l’est, en revanche, au regard de l’exigence de

respect des prévisions des contractants. Pour les parties au procès à l’occasion

duquel une règle nouvelle est inaugurée, il est indéniable que se produit une remise

en cause de leurs attentes.

215. Les moyens de tempérer l’atteinte à la sécurité juridique résultant de

la rétroactivité des jurisprudences nouvelles. Diverses solutions peuvent être

envisagées pour tempérer l’atteinte à la sécurité juridique qu’emporte la rétroactivité

des jurisprudences nouvelles.

On peut, tout d’abord, songer à éviter la brutalité de la surprise par des

procédés qui annoncent les jurisprudences nouvelles et qui permettent, par là même,

aux contractants d’adapter leurs prévisions343. Dans le cadre du rapport annuel, les

magistrats de la Cour de cassation peuvent, ainsi, laisser entendre qu’ils attendent un

cas d’espèce approprié pour retenir une solution nouvelle particulière.

Par ailleurs, la publication, à la suite d’un arrêt, d’une opinion dissidente,

comme les conclusions contraires de l’Avocat général, permet de savoir que la

solution finalement adoptée ne fait pas l’unanimité et qu’elle risque, dès lors, d’être

un jour remplacée par celle avec laquelle elle était en concurrence.

Enfin, par le procédé de l’obiter dictum, les juges peuvent « faire connaître,

par avance, à toutes fins utiles, (leur) sentiment sur une question autre que celles

que la solution du litige en cause exige de trancher »344.

Il convient d’admettre que l’annonce des jurisprudences nouvelles, par l’un de

ces trois procédés, « suppose beaucoup d’intelligence et de méthode chez le

juge »345, et que la compréhension de ces annonces, par les contractants, exige, de

leur part, beaucoup de perspicacité. En outre, si l’annonce de jurisprudences

nouvelles permet à nombre de contractants d’adapter leurs prévisions, elle ne

supprime pas l’insécurité juridique procédant de la rétroactivité des revirements et

des solutions inédites à l’encontre des parties qui sont déjà en litige.

216. Les propositions doctrinales en faveur d’un droit transitoire du

revirement. A leur égard, d’éminents auteurs ont proposé un droit transitoire du

revirement346. Mouly347 a ainsi défendu l’idée selon laquelle la non rétroactivité,

sans devenir le principe, pourrait être retenue ponctuellement, par une mention

spéciale de la décision concernée, lorsque certaines circonstances sont réunies : le

J. RIVERO, Sur la rétroactivité de la règle jurisprudentielle, AJDA 1968, p. 15 ; P. VOIRIN,

Les revirements de jurisprudence et leurs conséquences, JCP 1959, I, 1467 342 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 500 343 Sur ces procédés, cf. Y. GAUDEMET, Sécurité du droit et jurisprudence, Entretiens de

Nanterre sur la sécurité juridique, JCP, éd. E., cah. droit ent., n°6-1990, n°32 344 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Obiter

dictum, p. 597 345 Y. GAUDEMET, art. préc., n°32 346 H. BATIFFOL, Note sur les revirements de jurisprudence, APD, 1967, p. 335 et s. ; Ch.

MOULY, in L’image doctrinale de la Cour de cassation, La documentation française, 1994,

p. 123 347 Ch. MOULY, Le revirement pour l’avenir, JCP 1994, I, 3776, n°32

Page 113: L'efficacité des garanties personnelles

grand nombre de personnes concernées, une pratique antérieure largement admise et

encouragée par les pouvoirs publics, le sentiment que le droit existant est solide, les

conséquences financières importantes et imprévisibles du revirement.

Même en présence de telles circonstances, toutes les situations ne devraient pas

être régies de façon identique. Le revirement pour l’avenir est essentiellement

préconisé en matière contractuelle. Dans ce cadre, « si le revirement supprime un

avantage, tous ceux qui ont contracté ou agi en considération de la règle antérieure

seront jugés selon cette règle, car ils avaient légitimement placés leur confiance en

elle. Si le revirement crée un avantage, seuls ceux dont l’action est en cours

pourront obtenir la rétroactivité. Les autres ne pourront en bénéficier que pour la

période postérieure »348.

Mouly suggérait, en outre, que la date d’effet d’un revirement pour l’avenir soit

celle de la publication de l’arrêt au Bulletin des arrêts de la Cour de cassation, ce qui

conférerait à ce bulletin un rôle équivalent à celui du Journal officiel pour les lois et

permettrait de respecter le principe d’accessibilité du droit.

217. Les critiques excessives formulées à l’encontre du droit transitoire

des jurisprudences nouvelles. Les critiques adressées à ces propositions sont

solides, mais ne sont peut être pas suffisantes pour empêcher les revirements et

solutions inédites pour l’avenir.

En premier lieu, il est reproché à ce droit transitoire de créer une injustice à

l’encontre de celle des parties au procès qui aurait dû profiter de la solution

nouvelle349. C’est donc considérer que le respect des prévisions des parties constitue

une injustice. Si ce qui est contractuel n’est pas nécessairement juste, il est douteux

que ce soit le rôle de la rétroactivité des jurisprudences nouvelles de rétablir le

justice contractuelle. Il existe bien d’autres règles permettant à l’une des parties de

remettre en cause le contrat qui ne répond pas, selon elle, à l’impératif de justice.

En deuxième lieu, le droit transitoire des jurisprudences nouvelles est critiqué

pour mettre en doute la pertinence de l’interprétation nouvelle350. Dans la mesure où

celle-ci n’est écartée que sous de strictes conditions, ce droit transitoire peut, au

contraire, être considéré comme conforme, tant à l’impératif de flexibilité des règles

de droit, qu’à celui de sécurité juridique.

En troisième et dernier lieu, le revirement pour l’avenir est accusé de heurter de

plein fouet la prohibition des arrêts de règlement (article 5 du Code civil)351. Cette

critique peut paraître exagérée, puisque le report dans le temps des effets d’un

revirement n’implique pas que le juge introduise dans son dispositif une règle

générale, qu’il étende le champ de sa décision au-delà des particularités de l’espèce.

Il est vrai, néanmoins, que l’instauration d’un droit transitoire des jurisprudences

nouvelles pourrait emporter une « mutation de notre système des sources »352,

puisqu’elle renforcerait le rôle créateur de droit de la jurisprudence. C’est sans doute

l’hostilité qu’une partie de la doctrine nourrit à l’encontre de ce rôle qui explique, en

348 Ch. MOULY, ibid., n°33 349 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, art. préc., p. 502 350 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, ibid., p. 502 351 En ce sens, cf. F. POLLAUD-DULIAN, ibid., p. 502 ; A. SERIAUX, Le droit, une

introduction, éd. Ellipses, 1997, n°217 352 En ce sens, cf. R. LIBCHABER et N. MOLFESSIS, art. préc., p. 666

Page 114: L'efficacité des garanties personnelles

dernière analyse, les critiques essuyées par la proposition d’un droit transitoire des

jurisprudences nouvelles.

218. Les juridictions acceptant de reporter dans le temps l’application de

leurs solutions nouvelles. Au soutien de cette proposition, il convient d’ajouter la

jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Celle-ci a, en

effet, admis à plusieurs reprises de restreindre la portée de ses interprétations

nouvelles « en tenant compte des troubles graves que son arrêt pourrait entraîner

pour le passé dans les relations juridiques établies de bonne foi » et en

invoquant « un principe général de sécurité juridique inhérent à l’ordre juridique

communautaire »353.

La Cour européenne des droits de l’homme, au nom du principe de sécurité

juridique, dispense également les Etats de remettre en cause des actes ou situations

juridiques antérieurs au prononcé de ses arrêts354.

Par ailleurs, certains systèmes juridiques étrangers reconnaissent le revirement

pour l’avenir355.

Enfin, le Conseil d’Etat vient de décider pour la première fois de reporter les

effets d’une décision d’annulation d’un acte administratif356.

Au nom du respect des prévisions intrinsèques des parties, l’application des

jurisprudences nouvelles pour l’avenir pourrait être pareillement admise par les

juridictions judiciaires.

219. Pour que les prévisions des parties ne soient pas bouleversées, les

changements législatifs et jurisprudentiels ne devraient donc pas se répercuter sur les

contrats conclus avant qu’ils n’interviennent. Pour que les effets produits par une

garantie personnelle soient en adéquation avec la finalité qui lui a été attribuée par

353 CJCE 8 avril 1976, aff. Defrenne c/ Sabena, Rec. p. 455 ; CJCE 27 mars 1980, aff. 61/79,

Administrazione delle finanze c/ Denkavit, Rec. p. 1205 ; CJCE 15 octobre 1980, aff. 145/79,

Roquette, Rec. p. 1917 ; CJCE 17 mai 1990, aff. Barber, Rec. p. 1-889 ; CJCE 14 décembre

1993, Moroni, aff. C-110/91 ; CJCE 22 décembre 1993, Neath, aff. C-152/91 ; CJCE 20

septembre 2001, aff. Grzelczyk c/ Centre public d’aide sociale d’Ottignies-Louvain-la-Neuve,

D. 2001, IR, p. 2943 354 CEDH 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, Série A, n°31 ; CEDH 29 novembre 1991,

Vermeire c/ Belgique, Série A, n°214 355 Depuis un siècle et demi, la Cour suprême des Etats-Unis recourt au prospective

overruling pour limiter l’effet rétroactif de ses décisions, et ce même procédé est mis en

œuvre en Angleterre par la House of Lords depuis 1964. La Cour constitutionnelle italienne

limite également la rétroactivité des décisions d’annulation de normes. 356 CE 11 mai 2004, Association AC ! et autres : D. 2004, IR, p. 1499 ; B. MATHIEU, Le

juge et la sécurité juridique : vues du Palais-Royal et du quai de l’Horloge, D. 2004, p. 1603.

Dans cet arrêt, le Conseil d’Etat a décidé de reporter de près de deux mois la portée de

certaines annulations d’arrêtés portant agrément d’avenants à une convention d’assurance

chômage. Pour ce faire, il a précisé qu’à titre exceptionnel le juge peut prévoir, dans sa

décision d’annulation, que « tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation

devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l’annulation ne prendra

effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ». Cette solution est conditionnée par le fait que

la rétroactivité « emporterait des conséquences manifestement excessives ». Le juge

administratif devra donc se livrer à un examen de la proportionnalité entre les exigences de

sécurité juridique et celles tenant au respect du droit des justiciables à un recours effectif.

Page 115: L'efficacité des garanties personnelles

les parties, le droit devrait, par ailleurs, présenter des qualités formelles favorisant la

stabilité de son interprétation.

B/ LES QUALITES DU DROIT

FAVORISANT LA STABILITE DE SON INTERPRETATION

220. La clarté et la cohérence des règles de droit : des facteurs

d’efficacité. Les chances de réalisation de la finalité assignée à la garantie

personnelle ne peuvent être sérieuses que si les textes applicables ne sont pas

diversement compris par le créancier, le garant, et le juge saisi d’un éventuel litige

entre ces derniers. La stabilité de l’interprétation de la loi est nécessaire au respect

des prévisions des parties et elle est conditionnée par la clarté et la cohérence des

textes.

Ces qualités formelles constituent des facteurs d’efficacité des garanties

personnelles particulièrement importants, car ils favorisent les deux rapports

d’adéquation caractérisant cette efficacité. En effet, en rendant le droit écrit

intelligible aux yeux des créanciers, il a été démontré que ces qualités formelles

augmentent les chances d’adéquation entre les attentes nées de l’octroi de crédit et

celles générées par la garantie personnelle effectivement conclue357. Par ailleurs, en

évitant les divergences d’interprétation, la clarté et la cohérence des textes assurent

le respect des prévisions extrinsèques et intrinsèques des parties et, par là même,

contribuent à l’adéquation entre la finalité assignée par les parties au contrat de

garantie constitué et les effets produits par ce dernier.

221. Les obscurités et les antinomies : des facteurs d’inefficacité. A

l’inverse, l’obscurité des règles, aussi bien que les contradictions entre les normes,

sont des facteurs d’inefficacité à différents égards.

Tout d’abord, elles limitent la rationalité des choix des créanciers.

Ensuite, elles conduisent le créancier et le garant à conférer aux règles de droit

qui leur sont applicables des sens différents. Cela accroît les risques de contestation

de la garantie personnelle et, par conséquent, les risques d’inefficacité car, même si

la contestation est finalement judiciairement rejetée, le coût de la protection (en

argent et en temps) aura augmenté.

Enfin, les obscurités et les antinomies sont susceptibles de se traduire par des

interprétations jurisprudentielles qui remettent en cause, non seulement les données

juridiques sur lesquelles les parties se sont appuyées lors de la formation du contrat

(prévisions extrinsèques), mais aussi le contenu de leur accord de volonté

(prévisions intrinsèques). L’inefficacité résulte donc de l’atteinte portée par le juge

au principe de l’intangibilité du contrat358.

Afin d’éviter ces atteintes à l’immutabilité du contrat359, ainsi que les autres

facteurs d’inefficacité procédant de l’instabilité de l’interprétation des règles de

357 Cf. supra n°201-205 358 Sur l’intangibilité du contrat, cf. Droit et patrimoine 1998, n°58 359 Il convient de remarquer que le juge peut être amené à porter atteinte au principe

d’intangibilité du contrat dans trois hypothèses. Tout d’abord, lorsque la loi autorise la

révision judiciaire (sur cette révision autorisée par la loi, cf. C. ALBIGES, Le développement

discret de la réfaction du contrat, Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 3 et s. ; Ch. JAMIN,

Révision et intangibilité du contrat ou la double philosophie de l’art. 1134 du Code civil,

Page 116: L'efficacité des garanties personnelles

droit, il convient donc de mettre en œuvre des moyens pour rendre les textes clairs

(1) et cohérents (2).

1. La clarté des règles de droit

La clarté s’oppose à l’obscurité par commission et à l’obscurité par omission.

222. Les obscurités par commission et leurs remèdes. L’obscurité par

commission résulte de faits positifs du législateur et, plus précisément, de

l’utilisation de formules dont le sens est discutable. C’est le cas des termes imprécis

de la langue ordinaire. C’est le cas aussi des « standards » juridiques, tels que l’ordre

public, les bonnes mœurs, la bonne foi, le bon père de famille, l’abus de droit, qui

permettent certes l’adaptation de l’abstrait au concret, de la loi aux situations

individuelles, mais qui constituent aussi une source d’insécurité pour les justiciables

qui peuvent voir leurs interprétations contredites par celles du juge360. Afin de

préserver les prévisions des parties, le législateur devrait définir les termes ambigus

du vocabulaire courant. Par ailleurs, il ne devrait avoir recours aux notions-cadre

que lorsque l’impératif d’adaptation du droit au fait l’exige impérativement, et non

pour éviter de trouver des critères d’appréciation plus précis.

L’obscurité par commission ne découle pas que de l’emploi d’un « vocabulaire

déficient »361, que la prétendue urgence dans laquelle le législateur est contraint

d’intervenir accentue362. Elle tient également à l’utilisation de formules dont la

normativité est discutable. Il s’agit des affirmations, des déclarations d’intention,

n’ayant qu’une portée politique, et ne constituant aucunement des normes créatrices

de droit. Ce droit « flou », « mou », « à l’état gazeux »363 est générateur d’instabilité,

car « personne ne peut dire quels droits précis il institue et comment ils seront

sanctionnés »364. Chacune des parties peut en retenir une interprétation différente et

le juge saisi d’un éventuel litige peut lui-même opter pour un troisième sens qui

remet en cause les prévisions des contractants. En confiant la rédaction des lois à des

juristes de formation, et non à des hommes politiques ou à des bureaucrates, on

devrait éviter de « faire usage du droit là où il n’a rien à faire »365 et de confondre

Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 46 et s. ; D. MAZEAUD, La réduction des obligations

contractuelles, Droit et patrimoine 1998, n°58, p. 58 et s. ; VIPREY, Vers une relative

généralisation du principe de l’imprévision en droit privé ?, D. Aff. 1997, n°29, p. 918 et s.).

Ensuite, lorsque les juges s’arrogent le pouvoir de révision du contrat, en vue de rééquilibrer

les relations contractuelles et de promouvoir la justice contractuelle (sur le rééquilibrage et la

justice contractuelle, cf. supra n°121, 125-127). Enfin, lorsque les défauts de la loi

contraignent les juges à l’interprétation, et que celle-ci bouleverse les prévisions des parties.

Seule cette dernière hypothèse sera étudiée. 360 En ce sens, cf. R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 288 ; F.

TERRE, Le temps du mépris, in Clés pour le siècle, Dalloz, 2000, p. 405 et s., n°492 361 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans les

sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53 362 Pour que les lois soient plus claires, il conviendrait ainsi de limiter le recours à la

procédure d’urgence, qui est source de malfaçons (en ce sens, cf. J. BEGUIN, Peut-on

remédier à la complexité croissante du Droit ?, Mélanges H. Blaise, 1995, p. 20). 363 Ces qualificatifs ont été retenus par Mme CHANDERNAGOR dans le Rapport du Conseil

d’Etat de 1991. 364 J. BEGUIN, art. préc., p. 20 365 F. TERRE, art. préc., n°492

Page 117: L'efficacité des garanties personnelles

des objectifs politiques avec des normes créatrices de droit366. Le droit n’en serait

que plus clair et donc plus stable.

223. Les obscurités par omission et leurs remèdes. La clarté des textes

dépend, non seulement de l’emploi de formules dont, ni le sens, ni la normativité, ne

sont contestables, mais aussi d’une certaine complétude. S’il est vrai que le caractère

général de la loi s’oppose à ce que le législateur entre dans le détail de toutes les

situations de fait qu’il régit, il ne permet pas d’expliquer, en revanche, nombre

d’obscurités par omission.

Il en va ainsi, tout d’abord, des omissions relatives au champ d’application du

texte. En matière contractuelle, les textes devraient, soit préciser les catégories de

contractants concernés, soit indiquer clairement qu’aucune discrimination ne doit

avoir lieu. Cela éviterait le contentieux sur le point de savoir si tel contractant est

soumis à une règle déterminée. Cette alternative devrait également exister chaque

fois qu’un contrat peut porter sur des objets différents ou présenter des

caractéristiques particulières. La catégorisation ou, au contraire, l’emploi de

formules exprimant la généralité du champ d’application de la règle, attestent de la

prise en compte, par le législateur, de la diversité des situations de fait, sans

contrevenir au caractère général de la loi, et permettent d’éviter les divergences

d’interprétation concernant ce champ d’application.

Le caractère général de la loi n’est pas non plus affecté par la réglementation de

toutes les hypothèses factuelles qui forment un tout ou qu’il est habituel d’envisager

par paire367. Dès lors que le législateur s’intéresse à l’une de ces hypothèses, il paraît

nécessaire qu’il se prononce sur les autres. A défaut, on est en présence d’un oubli

législatif qui crée du contentieux et peut se traduire par une remise en cause des

prévisions des parties.

L’exigence de généralité de la loi n’est en rien incompatible, par ailleurs, avec

la précision de la portée et de la sanction des règles de droit. En conséquence, afin

de lutter contre l’obscurité tenant à l’omission de ces éléments, le législateur devrait

indiquer s’il est ou non possible de déroger aux règles qu’il édicte et, dans la

négative, ce qu’encourent les contrevenants.

La complétude des textes, par rapport à leur champ d’application, à leur portée,

à leur sanction, ainsi que par rapport aux notions et situations formant logiquement

un tout, est donc nécessaire à leur clarté, et au respect des prévisions des parties qui

en découle. Le respect de ces prévisions dépend encore de la cohérence des règles de

droit.

366 Sur le lien entre la qualité des textes et la qualité des juristes qui devraient les élaborer, cf.

J. BEGUIN, art. préc., p. 20 ; F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer,

1997, p. 176 : « l’histoire révèle que les grands législateurs ont dû la réussite de leurs œuvres

à la qualité des juristes qui les ont servis ». 367 Par exemple, si le législateur pose un plafond, il devrait préciser le régime en deçà et au-

delà de ce plafond.

Page 118: L'efficacité des garanties personnelles

2. La cohérence des règles de droit

224. Les deux niveaux de cohérence. En matière de garanties personnelles,

le souci de cohérence368 devrait exister à deux niveaux : au sein du régime de chaque

mécanisme, d’une part ; entre le régime des différentes garanties personnelles,

d’autre part.

225. La cohérence au sein du régime de chaque garantie personnelle. Au

premier niveau, il convient de veiller à l’absence de contradiction entre les règles,

non seulement par rapport à leur contenu, mais aussi par rapport à leur finalité.

Il est également nécessaire d’articuler les règles ayant un même objet, mais un

contenu plus ou moins différent. Pour éviter, tant les antinomies, que les

chevauchements de règles, les interventions législatives ponctuelles, donnant lieu à

des strates de règles successives non harmonisées entre elles, devraient être

évitées369.

A ces conditions, les risques de divergence d’interprétation entre le créancier, le

garant, et le juge éventuellement saisi, sont susceptibles d’être réduits, tout comme

les risques d’inefficacité de la garantie personnelle.

226. La cohérence entre le régime des différentes garanties personnelles.

Dans cette même optique, la cohérence doit être recherchée à un second niveau,

c'est-à-dire entre le régime des différentes garanties personnelles. A cet égard, le

respect du principe en vertu duquel l’identité de nature doit se traduire par une

identité de régime et la différence de nature par une différence de régime paraît

essentiel. Mais, le respect de ce principe de logique formelle ne peut rendre les

textes cohérents qu’à la condition que les identités et les différences de nature entre

les différentes garanties personnelles soient correctement identifiées par le

législateur370.

227. La stabilité des règles de droit, aussi bien dans leur contenu que dans leur

interprétation, rend plus sûre la réalisation de la finalité assignée à la garantie

personnelle conclue. Lorsque celle-ci présente un caractère innomé, son efficacité

dépend, en outre, du respect judiciaire de son autonomie normative.

§2 : LE RESPECT JUDICIAIRE DE L’AUTONOMIE NORMATIVE

DES GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES

228. En présence d’une garantie personnelle innomée, le respect du contenu

de l’accord de volonté entre le créancier et le garant est soumis à d’autres conditions

que celles relatives à la clarté et à la cohérence des règles de droit. Après avoir

368 Sur le parallélisme entre ce souci de cohérence dans l’art de la législation et dans la

dramaturgie classique, cf. F. TERRE, Légiférer. Les trois unités ?, Mélanges J. Foyer, 1997,

p. 171 et s. 369 En ce sens, cf. Ph. THERY, La différenciation du particulier et du professionnel : un

aspect de l’évolution du droit des sûretés, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001,

n°92, p. 54 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111 370 Sur la subordination de l’efficacité à l’assimilation des caractéristiques des garanties

personnelles, cf. infra n°238 et s.

Page 119: L'efficacité des garanties personnelles

précisé la signification du qualificatif « innomé » (A), il sera ainsi démontré que le

respect des prévisions intrinsèques des parties dépend essentiellement du respect,

par les juges, de la liberté contractuelle (B).

A/ LA SIGNIFICATION DU QUALIFICATIF « INNOME »

229. Absence de réglementation et non de dénomination. Est innomé ce

« qui n’a reçu de la loi ni dénomination spéciale ni réglementation particulière »371.

Si la dénomination des mécanismes juridiques joue un rôle important en

matière de classification372, elle ne doit pas constituer le critère du nommé.

L’appellation peut, en effet, exister en dehors d’un cadre légal. L’absence de

dénomination légale n’implique pas, à l’inverse, la qualification d’innomé,

puisqu’un mécanisme sans nom peut être régi par des dispositions légales

expresses373.

En réalité, c’est l’existence ou l’absence d’une réglementation légale, et non

d’une dénomination propre, qui emporte la qualification de nommé ou d’innomé374.

Par conséquent, les garanties personnelles innomées sont celles qui ne sont pas

réglementées, et non celles qui ne se sont vues conférer aucun nom.

230. Distinction entre vraie et fausse lacune du droit. Il existe à leur égard

une lacune du droit, c'est-à-dire un « point sur lequel la loi, muette ou insuffisante, a

besoin d’être complétée par celui qui l’applique ou l’interprète »375.

Relativement aux garanties personnelles innomées, la législation n’est pas

seulement insuffisante, elle est défaillante. Les mécanismes innomés se

reconnaissent ainsi à une « vraie lacune du droit »376, c'est-à-dire au manque377, dans

371 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Innomé,

p. 470. Sur le contrat innomé, cf. D. GRILLET-PONTON, Essai sur le contrat innomé, th.

Lyon, 1982, sous la direction de F. TERRE 372 Selon l’approche nominaliste, « dans tous les domaines où la classification est de règle, le

nom est utilisé comme instrument de mesure et de structuration des données de la réalité ».

Par ailleurs, « le classement par la nomenclature tend à conférer un certain universalisme aux

concepts nommés, au détriment de toute autre réalité » (D. GRILLET-PONTON, Nouveau

regard sur la vivacité de l’innommé en matière contractuelle, D. 2000, chron., p. 331 et s.,

n°1). 373 L’absence de dénomination peut permettre au législateur d’introduire discrètement dans

notre système juridique des mécanismes qui y sont traditionnellement étrangers et qui ne font

pas l’unanimité. Ainsi, la fiducie, qui sous-tend des montages permis par la loi n°96-597 du 2

juillet 1996, n’apparaît pas expressément dans cette loi. Cela participe d’une politique

d’instrumentalisation du nomen (en ce sens, cf. D. GRILLET-PONTON, ibid., n°9, qui

indique l’un des artifices permettant de conférer une réalité à l’objet signifié sans l’identifier

par un signifiant formel, à savoir le procédé grammatical de la prétérition). 374 En ce sens, cf. B. BERGMANS, Essai d’une systématisation nouvelle des contrats de droit

privé, RRJ 1990, p. 411 et s., n°7 375 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Lacune,

p. 511 376 P. FORIERS, Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du

Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant,

1968, p. 9 377 Le manque est la caractéristique des lacunes, qu’il ait trait à des règles spéciales ou à une

règle générale concernant le traitement des silences de la loi. En ce sens, cf. J.

Page 120: L'efficacité des garanties personnelles

l’ordonnancement juridique, d’une norme dont le juge puisse faire usage pour

résoudre un cas déterminé. On oppose cette « lacune proprement dite »378 du droit

aux « fausses lacunes »379, aux « prétendues lacunes »380, qui concernent l’objectif

poursuivi par le droit381. Les mécanismes innomés se caractérisent donc par une

lacune, non pas pratique, mais technique, du droit écrit, à l’intérieur du cercle que le

droit a vocation à régir382.

231. La vraie lacune du droit en matière de garanties personnelles : le

défaut de réglementation spéciale. En matière de garanties personnelles, cette

lacune ne s’apparente nullement à un vide législatif, car ces mécanismes sont soumis

à l’ensemble des dispositions du droit commun des contrats, au premier rang

desquelles figure l’article 1134 du Code civil, et à toutes les règles visant, de

manière générale, les garanties. La lacune ne concerne donc que des règles

spéciales, fixant le régime du mécanisme en l’appréhendant comme une garantie

personnelle. On peut en conclure que le qualificatif « innomé » renvoie, en matière

de garanties personnelles, non pas à une absence totale de réglementation, mais

uniquement au défaut de réglementation spéciale. Si « vraie lacune » il y a, elle est

donc circonscrite à la réglementation spéciale.

Il convient désormais d’examiner comment les juges peuvent combler cette

lacune, tout en respectant les prévisions intrinsèques des parties.

B/ LES FORMES DU RESPECT JUDICIAIRE

DE LA LIBERTE CONTRACTUELLE

EN MATIERE DE GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES

MIEDZIANOGORA, Juges, lacunes et idéologie, in Le problème des lacunes du droit,

Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd.

Bruylant, 1968, p. 513 et s. 378 Ch. HUBERLANT, Les mécanismes institués pour combler les lacunes de la loi, in Le

problème des lacunes du droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, études

publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 40 379 P. FORIERS, art. préc., p. 9 380 Ch. HUBERLANT, art. préc., p. 41 381 La fausse lacune du droit se reconnaît à l’existence d’une norme dont on conteste

l’opportunité, en raison de son inadéquation au but qu’elle devrait poursuivre. Ainsi, P.

FORIERS (art. préc., p. 10) a souligné que « la fausse lacune n’est qu’un cas particulier

d’antinomie en ce sens que la norme écrite existante est en contradiction avec une norme non

écrite tirée de l’idée de justice, de l’intérêt social ou du bien général ». Dans le même sens,

Ch. HUBERLANT (ibid., p. 4) a caractérisé la « prétendue lacune » par « l’absence d’une

disposition qui permettrait d’atteindre dans un cas déterminé le résultat jugé souhaitable ». 382 F. TERRE (Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du Centre

national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p.

146) qualifie les lacunes prenant place à l’intérieur du cercle couvert totalement ou

partiellement par le droit de « lacunes d’expérience » et celles survenant à l’extérieur de ce

cercle de « lacunes de convenance ».

L’extérieur du cercle constitue l’ « aire de non droit », c'est-à-dire « un espace de liberté dans

lequel le droit est non présent » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF,

Quadrige, 3e éd., 2002, v° Vide juridique, p. 918), mais dans lequel le droit peut, à tout

moment, s’introduire.

Page 121: L'efficacité des garanties personnelles

232. Pour que les garanties personnelles innomées soient efficaces, le juge

saisi d’un éventuel litige entre le créancier et le garant doit d’abord reconnaître la

liberté des parties d’y avoir recours, puis l’autonomie du mécanisme innomé

constitué par rapport aux mécanismes spécialement réglementés. En l’absence d’une

réglementation spéciale, l’efficacité de la garantie personnelle conclue dépend donc

du respect, par le juge, de la liberté contractuelle. Ce respect s’oppose à ce que le

juge cherche à réduire le contrat formé à une garantie personnelle nommée, et il est

susceptible de revêtir trois formes distinctes.

233. La reconnaissance de la validité des garanties personnelles innomées.

En premier lieu, le respect de la volonté des parties de se démarquer des garanties

personnelles nommées se caractérise par la reconnaissance de la validité des

garanties personnelles innomées. Cette reconnaissance suppose que les juges

n’imposent pas le recours à un contrat spécialement réglementé, et qu’ils admettent

que les créanciers puissent protéger leurs intérêts selon d’autres modalités que celles

organisées par le législateur. En outre, la validité des garanties personnelles

innomées ne peut être consacrée que si les juges ne font pas un usage excessif de la

notion de fraude à la loi.

234. La qualification de la garantie personnelle innomée. En deuxième

lieu, le respect de la liberté contractuelle dépend de la qualification du contrat

retenue par le juge.

Cette qualification doit être opérée au vu des caractéristiques que les parties ont

conférées à leur convention et non en fonction des règles que le juge souhaite

appliquer. Les qualifications téléologiques nuisent à l’efficacité des garanties

personnelles, non seulement en ce qu’elles entravent la connaissance et la

compréhension du droit applicable, mais aussi en ce qu’elles risquent de remettre en

cause les prévisions des parties. Les juges ne doivent pas se servir du procédé de la

qualification à des fins détournées, notamment pour faire d’un contrat innomé un

contrat nommé soumis à des règles légales déterminées. Pour cela, ils doivent

dégager des critères de distinction des différentes garanties personnelles, qui soient

clairs et précis, et ils ne doivent pas modifier ces critères au gré des espèces, en vue

du résultat auquel ils entendent aboutir.

Pour que la qualification opérée par le juge respecte la volonté des parties, il est

nécessaire, en outre, que les juges ne s’en tiennent pas à une gamme limitée de

qualifications, reposant sur les caractéristiques les plus évidentes des contrats

conclus. La diversité des caractéristiques imprimées au mécanisme constitué,

qu’autorise la liberté contractuelle, doit, au contraire, se traduire par une diversité de

qualifications possibles.

235. La reconnaissance de l’autonomie du régime de la garantie

personnelle innomée. En troisième et dernier lieu, le respect des prévisions des

parties s’exprime par la reconnaissance de l’autonomie du régime de la garantie

personnelle innomée, par rapport à celui des garanties personnelles spécialement

réglementées. Les juges doivent donc mettre en œuvre le procédé de l’extension

Page 122: L'efficacité des garanties personnelles

analogique383 avec circonspection. Ainsi, le respect de la liberté contractuelle

s’oppose à ce qu’une règle d’un contrat nommé soit appliquée a pari à un contrat

innomé si la raison d’être de cette règle ne l’impose pas absolument et si les

différences séparant les deux contrats sont trop marquées.

236. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 1. Le respect des prévisions

intrinsèques des parties ayant conclu une garantie personnelle innomée est donc

intimement lié au respect judiciaire de la liberté contractuelle. Quelle que soit la

garantie personnelle conclue, ces prévisions ont également d’autant plus de chances

de se concrétiser que le contenu du droit et son interprétation sont stables. La survie

de la loi ancienne, l’application des jurisprudences nouvelles pour l’avenir, la clarté

et la cohérence des règles de droit favorisent cette stabilité. Toutes ces qualités

formelles du droit confortant la réalisation de la finalité assignée à la garantie

personnelle constituée sont nécessaires à la satisfaction des attentes subjectives des

créanciers, mais ne sont pas suffisantes.

Doivent s’y ajouter des qualités améliorant la rationalité des choix des

créanciers, c'est-à-dire des qualités confortant l’adéquation entre les attentes nées de

l’octroi de crédit au débiteur et la finalité conférée à la garantie effectivement

conclue. Ces qualités sont celles qui favorisent, tant la connaissance, que la

compréhension du droit. Il s’agit du nombre raisonnable et de l’accessibilité

matérielle des règles de droit, mais aussi, là encore, de la stabilité, de la clarté et de

la cohérence des règles légales et jurisprudentielles.

Le droit applicable aux garanties personnelles doit présenter l’ensemble de ces

qualités pour pouvoir atteindre l’objectif d’efficacité. L’adéquation entre le contenu

du droit et cet objectif exige donc que, dans sa forme, le droit reflète l’exigence de

sécurité juridique, puisque toutes les qualités exposées n’en sont que des

expressions.

L’efficacité du droit des garanties personnelles, partant l’efficacité de ces

contrats eux-mêmes, exige aussi que, au fond, le droit reflète les spécificités de ces

mécanismes. L’assimilation des caractéristiques des garanties personnelles constitue

ainsi la seconde condition de l’adéquation entre le contenu du droit et l’objectif

d’efficacité.

383 Sur le raisonnement par analogie, cf. E. SAVAUX, La théorie générale du contrat, mythe

ou réalité ?, LGDJ, 1997, p. 61 ; G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A.

Colomer, Litec, 1993, p. 129 et s. ; D. GRILLET-PONTON, Nouveau regard sur la vivacité

de l’innommé en matière contractuelle, D. 2000, chron., p. 331 et s.

Page 123: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE II

ASSIMILATION DES CARACTERISTIQUES

DES GARANTIES PERSONNELLES

237. Notion d’assimilation. L’assimilation est l’« action de faire siennes les

connaissances acquises »384. Opérée par le droit, elle consiste, pour le législateur et

pour les juges, à déduire le régime juridique d’un mécanisme déterminé de ses

caractéristiques. Elle se reconnaît au fait que le contenu des règles de droit reflète les

particularités de ce mécanisme.

238. L’assimilation : un facteur d’efficacité. L’assimilation constitue un

facteur d’efficacité à plusieurs égards. Tout d’abord, en rendant le droit applicable

prévisible et intelligible, elle améliore la rationalité des choix opérés lors de la

constitution du mécanisme et conforte la réalisation de la finalité assignée à ce

dernier. Ensuite, l’assimilation, lorsqu’elle a pour objet les caractéristiques

communes à un ensemble d’opérations, est source de cohérence, puisqu’elle conduit

à conférer à ces opérations présentant une identité de nature un même régime

juridique385. Plus généralement, c’est de cette assimilation de la nature du

mécanisme que dépend son efficacité in abstracto. En effet, l’attente objective ne

peut être satisfaite que si le législateur et les juges tirent les conséquences des

caractéristiques essentielles du mécanisme, sur lesquelles cette attente repose. Enfin,

l’assimilation des caractéristiques distinctives conditionne l’efficacité in concreto.

Pour que les attentes subjectives se réalisent, il est effectivement nécessaire que la

loi et la jurisprudence reconnaissent les spécificités imprimées par les parties à un

mécanisme donné et en déduisent des règles appropriées. Pour toutes ces raisons,

l’efficacité des garanties personnelles se trouve subordonnée à l’assimilation de

leurs caractéristiques par le droit qui leur est applicable.

239. L’utilité de la mise au jour des caractéristiques des garanties

personnelles. Avant d’évaluer l’efficacité du droit positif sous cet angle386 et de

proposer des règles précises opérant une telle assimilation387, il est nécessaire de

384 L’encyclopédie Larousse confère un second sens au terme assimilation, que nous ne

retiendrons pas ici, à savoir l’« action de rapprocher des personnes ou des choses en les

présentant comme semblables ». 385 Sur la mise en œuvre du principe de logique formelle comme facteur d’efficacité, cf. supra

n°204 386 Cf. infra 2ème partie 387 Cf. infra 3ème partie

Page 124: L'efficacité des garanties personnelles

préciser quelles sont les caractéristiques des garanties personnelles. Comme

l’efficacité objective dépend de l’exacte appréhension des caractéristiques

communes et que l’efficacité subjective est subordonnée à l’assimilation des

caractéristiques distinctives, il convient d’envisager ce qui caractérise l’ensemble

des garanties personnelles (Section 1), puis ce qui est susceptible de varier d’une

garantie personnelle à une autre (Section 2).

SECTION 1 : LES CARACTÉRISTIQUES COMMUNES À

L’ENSEMBLE DES GARANTIES PERSONNELLES

240. La fonction de garantie. En cas d’échec de la force obligatoire du

contrat, les créanciers chirographaires ont tous les mêmes droits contre le débiteur

(article 2092 du Code civil). Mais cette égalité, bien souvent, « n’est qu’une égalité

devant le néant, une figure de rhétorique privée de portée pratique »388. En effet, le

droit de gage général ne met les créanciers à l’abri, ni du risque d’inconsistance du

patrimoine du débiteur, ni du risque de concours avec les autres créanciers de ce

dernier389.

Certains mécanismes ont pour raison d’être d’accroître la sécurité des

créanciers en atténuant, voire en supprimant, ces faiblesses du droit de gage général,

que la crise économique amplifie390. Ils ont une fonction de garantie, en ce sens que

leur but est de renforcer la position du créancier par l’éviction d’un risque affectant

ses droits391 et, plus précisément, un risque de perte pécuniaire392.

388 M. CABRILLAC, Les ambiguïtés de l’égalité entre les créanciers, Mélanges Breton et

Derrida, Dalloz, 1991, p. 31 et s., n°1. Dans le même sens, cf. P. VAN OMMESLAGHE,

Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de

Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 374 et s. 389 Sur les faiblesses du droit de gage général, cf. notamment C. WITZ, Juriscl. Civil, Art

2092 à 2094, fasc. 80, Droit de gage général, 1997 ; P. ANCEL, n°8 à 12 ; Ph. MALAURIE et

L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°4 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par

Y. PICOD, n°2 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2 390 L. AYNES, Crise économique et rapports de droit privé, in Droit de la crise : crise du

droit ?, Les incidences de la crise économique sur l’évolution du système juridique, PUF,

Publication de la faculté de droit et de sciences sociales de Poitiers, Tome 31, 1997, p. 57 et

s. : « en période de crise économique, le droit de gage général, devenu incantatoire, perd sa

raison d’être ». 391 Sur la corrélation entre la notion de garantie et celle de risque, cf. Ph. BRIAND, Eléments

d’une théorie de la cotitularité des obligations, th. Nantes, 1999, sous la direction de F.

COLLART DUTILLEUL, n°274 ; A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec,

1994, préf. B. TEYSSIE, n°131 ; G. SCYBOZ, Le contrat de garantie et le cautionnement,

Traité de droit privé suisse, Tome VII, 2, Editions universitaires Fribourg Suisse, 1979, p. 11 ;

N. KANAYAMA, De l’obligation de couverture à la prestation de garantie, Mélanges Ch.

Mouly, Litec, 1998, p. 393 392 Sur les définitions fonctionnelles des garanties et des sûretés, cf. notamment P. ANCEL,

Les sûretés personnelles non accessoires en droit comparé, th. Dijon, 1981, n°153 ; P.

CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, préf. M. GOBERT, n°269, 270 et 287 ; D.

GRIMAUD, Le caractère accessoire du cautionnement, PUAM, 2001, préf. D. LEGEAIS,

n°15 ; A.-M. TOLEDO, Notion de sûreté et droit du commerce international, th. Paris I,

1997, sous la direction de L. AYNES, n°280 ; Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU,

PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Garantie, p. 416 et Sûreté, p. 858 ; GILISSEN, Les sûretés

Page 125: L'efficacité des garanties personnelles

241. La catégorisation des mécanismes de garantie fondée sur les

expressions de la fonction de garantie. Cette fonction de garantie est susceptible

de s’exprimer de plusieurs façons, qui correspondent aux différentes formes de

protection des intérêts financiers des créanciers, car les mécanismes remplissant

cette fonction ne présentent pas tous les mêmes caractéristiques : ils ne mettent pas

tous en œuvre les mêmes techniques et ne produisent pas tous les mêmes effets.

Dès lors que l’on s’intéresse à l’assimilation des caractéristiques des garanties

personnelles, il est nécessaire d’appréhender leurs caractéristiques communes en

distinguant celles qu’elles partagent avec d’autres mécanismes (§1), de celles qui

leur sont propres (§2). En effet, une parfaite assimilation supposerait que les règles

fondées sur des caractéristiques partagées s’appliquent, non seulement à toutes les

garanties personnelles, mais encore à tous les mécanismes présentant ces propriétés.

Au contraire, les règles reposant sur des caractéristiques propres aux garanties

personnelles ne devraient s’appliquer qu’à celles-ci.

§1 : LES CARACTERISTIQUES PARTAGEES

PAR D’AUTRES GARANTIES

242. Selon la qualité des protagonistes de l’opération de garantie, les relations

qu’ils entretiennent entre eux, la nature du contrat principal et celle de la garantie, la

constitution et la réalisation de la garantie personnelle sont susceptibles de conduire

à des résultats particuliers. Néanmoins, certains effets, que l’on peut qualifier de

« principaux », caractérisent l’ensemble des garanties personnelles, et se retrouvent

même dans d’autres mécanismes. Certains se rapportent à la situation du créancier

bénéficiaire (A), d’autres à celle du débiteur (B).

A/ LES EFFETS PRINCIPAUX DE LA GARANTIE

SUR LA SITUATION DU CREANCIER

243. La constitution des garanties personnelles, d’une part, et leur réalisation,

d’autre part, sont susceptibles de produire, sur la situation du créancier, des effets

que les spécificités de l’opération de garantie ne sauraient faire varier. Ces effets

résident dans la garantie du paiement (1). Dans le but de faire apparaître le champ

d’application des règles relatives à la garantie du paiement auquel devrait conduire

l’assimilation de ces effets393, il est utile de présenter les mécanismes qui peuvent

produire les mêmes effets principaux que les garanties personnelles et ceux qui, au

contraire, peuvent conduire à des résultats distincts (2).

1. La garantie du paiement

personnelles, Recueils de la société Jean Bodin, Bruxelles, XXVIII, p. 22, 23 ; C. SAINT-

ALARY-HOUIN, Sûretés et procédures collectives : morceaux choisis, Rapport de synthèse,

LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 40 et s., n°2 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°1, 2,

10 ; D. LEGEAIS, n°1, 23 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,

n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J. MESTRE, E.

PUTMAN et M. BILLIAU, n°5 et 10 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°1, 2, 5, 20 ; Ph.

THERY, n°6 393 Sur ces règles, cf. infra n°851-859

Page 126: L'efficacité des garanties personnelles

244. Si les garanties personnelles peuvent conforter la potentialité du

paiement de la dette principale, c’est parce qu’elles sont susceptibles de produire

deux effets principaux, l’un intéressant la période de constitution de la garantie,

l’autre sa mise en œuvre.

245. Effet principal de la constitution de la garantie. En premier lieu,

l’amélioration de la situation du créancier est permise par le fait que la seule

conclusion de la garantie personnelle peut conférer au créancier un droit en vue

d’une éventuelle inexécution du débiteur. Quelques précisions méritent être

apportées au sujet de ce droit.

Tout d’abord, il ne naît pas de l’inexécution du débiteur, mais lui est antérieur.

Les garanties personnelles anticipent un risque de défaillance. Elles apportent de la

quiétude par rapport au futur. Elles présentent donc un aspect préventif394.

Ensuite, le droit né de la conclusion de la garantie ne procède pas de la seule

qualité de créancier au sens de l’article 2092 du Code civil. Il s’ajoute aux droits

résultant normalement de l’inexécution du contrat de base, c'est-à-dire qu’il se

superpose aux prérogatives que le créancier tient de son droit de gage général395. Il

ne profite donc pas à l’ensemble des créanciers, mais présente, au contraire, un

caractère individuel396.

Enfin, le droit octroyé n’est pas seulement un droit de rester passif, permettant

de paralyser une situation donnée, mais un véritable droit d’agir, qui place le

créancier dans une attitude positive de demandeur397, puisqu’il s’agit du droit de

poursuivre une personne supplémentaire, le garant. La seule constitution de la

garantie personnelle emporte ainsi « un changement de position quantitatif du

créancier »398, car l’assiette de son droit de gage général se trouve élargie. Elle ne

donne lieu, par contre, à aucune affectation préférentielle du patrimoine du garant au

paiement de la dette principale399.

394 Sur l’aspect préventif des sûretés, cf. P. CROCQ, th. préc., n°284 ; L. AYNES, Les

garanties du financement, Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s., n°3 ; A. BRUYNEEL,

L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 20 ;

C. GINESTET, La qualification des sûretés, Defrénois 1999, article 36927, p. 80 à 92 et

article 36940, p. 203 à 215, n°8 395 Sur l’adjonction d’un droit aux prérogatives ordinaires du créancier, cf. P. CROCQ, ibid.,

n°272 ; C. GINESTET, ibid., n°8 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 ; D. LEGEAIS,

n°21 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J.

MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.

BILLIAU, n°5 396 Sur la nature individuelle du droit conféré par la constitution de la sûreté, cf. P. CROCQ,

ibid., n°269 ; C. GINESTET, ibid., n°8 397 Sur le droit d’agir, et non seulement de rester passif, cf. P. CROCQ, ibid., n°272, 274 ; C.

GINESTET, ibid., n°1, 9, 12 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, art. préc., n°3 ; D. LEGEAIS,

n°21 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 398 H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4 399 Afin de conserver une certaine cohérence à la notion d’affectation, il convient de ne pas

l’employer dans un sens général, correspondant à la « détermination d’une finalité

particulière en vue de laquelle un bien sera utilisé » (Vocabulaire juridique, dirigé par G.

CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Affectation, p. 35). Il est préférable d’adopter un

sens plus étroit, selon lequel « il n’y a véritablement affectation spéciale d’un ou plusieurs

biens à un but déterminé avec diminution des pouvoirs du débiteur sur ces biens que dans le

Page 127: L'efficacité des garanties personnelles

246. Effets principaux de la réalisation de la garantie. En second lieu, ce

qui autorise la protection des intérêts financiers des bénéficiaires de garanties

personnelles, quelles qu’elles soient, c’est l’extinction de la créance garantie,

satisfactoire pour le créancier, auquel est susceptible de conduire la réalisation de

ces garanties. Si la mise en œuvre d’une garantie personnelle peut procurer un

enrichissement au créancier, son effet principal réside dans le recouvrement de la

créance garantie, malgré la défaillance du débiteur400.

Comme ce paiement procède d’une exécution dans le patrimoine du garant, le

bénéficiaire se trouve dans une situation avantageuse par rapport aux autres

créanciers du débiteur. La réalisation de la garantie personnelle lui permet, en effet,

de ne pas entrer en concours avec ceux-ci401.

247. Notion de garantie de paiement. Si les garanties personnelles ont pour

fonction de protéger le créancier d’un risque de perte pécuniaire, c’est donc, d’une

part, parce que leur seule constitution peut conférer au créancier, de manière

préventive, un droit d’agir que la seule qualité de chirographaire ne procure pas et,

d’autre part, parce que leur réalisation peut permettre de désintéresser le

bénéficiaire, en le plaçant dans une situation avantageuse par rapport aux autres

créanciers du débiteur. Toutes les garanties personnelles se caractérisent ainsi par le

fait qu’elles peuvent assurer la garantie du recouvrement. Pour cette raison, elles

pourraient être qualifiées de « garanties de paiement »402.

cas des sûretés réelles » (J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°93). En présence

d’une simple extension du droit de gage général du créancier, l’affectation étant non

préférentielle, la notion d’affectation ne devrait donc pas être employée (en ce sens, cf. J.

MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°5, 85 ; Ph. THERY, n°6). Il semble par

conséquent critiquable de retenir l’affectation comme caractéristique commune à l’ensemble

des sûretés, comme le font nombre d’auteurs (en ce sens, cf. P. CROCQ, th. préc., n°272,

276 ; A.-M. TOLEDO, th. préc., n°273 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, art. préc., n°2 ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 ; D. LEGEAIS, n°18, 21 ; H., L. et

J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1). 400 Sur le paiement du créancier, grâce à la réalisation des sûretés, cf. P. CROCQ, ibid.,

n°271 ; A.-M. TOLEDO, ibid., n°273 ; Y. CHARTIER, L’évolution du droit des sûretés,

Rapport de synthèse, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 150 et s., n°2 ; C.

GINESTET, art. préc., n°7, 8 ; L. SIMONT, Essai de classification des sûretés issues de la

pratique et problèmes juridiques qu’elles posent, in Les Sûretés, colloque de Bruxelles,

FEDUCI 1984, p.278 ; D. LEGEAIS, n°21 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES

et P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; Ph.

THERY, n°1 401 Sur l’atténuation ou la suppression du concours, grâce à la réalisation des sûretés, cf. C.

GINESTET, ibid., n°10 ; D. LEGEAIS, n°21 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU,

n°11 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2 402 Retiennent cette qualification de « garantie de paiement », P. CROCQ (th. préc., n°287 ;

L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec,

1998, p. 317 et s.), F. JACOB (Le constitut ou l’engagement autonome de payer la dette

d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf. Ph. SIMLER, n°48 : l’expression « garantie de

paiement » ne signifie pas que seules des dettes de sommes d’argent peuvent être couvertes.

Cette expression se justifie au regard du type de prestation attendue du garant. On pourrait

donc parler aussi de garantie par paiement), C. GINESTET (ibid., n °9), J. MESTRE, E.

PUTMAN et M. BILLIAU (n°3) et Ph. THERY (n°3).

Page 128: L'efficacité des garanties personnelles

La question se pose de savoir quels autres mécanismes seraient susceptibles de

recevoir cette qualification.

2. La catégorisation des garanties fondée sur leurs effets à l’égard du créancier

248. Les garanties de paiement. Le droit d’agir du créancier préalable à

l’inexécution du débiteur et l’effet extinctif assorti d’une rupture d’égalité avec les

autres créanciers403 caractérisent notamment les mécanismes suivants : l’assurance

décès ou invalidité404 ; les sûretés réelles traditionnelles (le gage, l’hypothèque et le

privilège)405 ; les garanties mixtes406 ; les mécanismes reposant sur la propriété407,

qu’elle soit retenue (crédit-bail, clause de réserve de propriété) ou cédée (aliénation

fiduciaire, comme dans la cession Dailly, la couverture d’opérations en bourse408 ou

encore la cession de loyers, en garantie de prêts immobiliers409).

Tous ces mécanismes pourraient être qualifiés de garanties de paiement et

devraient se voir appliquer les règles régissant l’anticipation de l’inexécution du

débiteur, aussi bien que celles intéressant le désintéressement du créancier.

403 La rupture d’égalité entre les créanciers du débiteur, qui caractérise toutes les garanties de

paiement, peut revêtir deux formes distinctes : soit le créancier bénéficiaire échappe purement

et simplement au concours, soit il jouit d’une position avantageuse dans ce concours, en

raison de son droit de préférence sur l’un des biens du débiteur. 404 Ces contrats d’assurance ressemblent à des garanties personnelles, car ils confèrent à leur

bénéficiaire un droit d’agir contre un tiers, mais nous verrons plus loin qu’ils ne peuvent

recevoir cette qualification, faute d’un cumul de débiteurs (cf. infra n°267). La qualification

de garantie de paiement pourrait, en revanche, être retenue, puisque la conclusion du contrat

d’assurance anticipe le risque d’invalidité ou de décès, en conférant au bénéficiaire un droit

de poursuite contre l’assureur. S’agissant de l’exécution de l’assureur, suite à la survenance

du risque, elle est susceptible d’éteindre la dette principale, sans que le bénéficiaire n’ait à

entrer en concours avec d’autres créanciers du débiteur. 405 Les sûretés réelles confèrent au créancier un droit d’agir en vue de l’éventuelle inexécution

du débiteur. Ce droit n’est cependant pas de même nature que celui dont jouit le bénéficiaire

d’une garantie personnelle, puisqu’il s’agit du droit de saisir et de faire vendre le bien du

débiteur (ici, le changement de position du créancier n’est pas quantitatif, il est qualitatif. En

ce sens, cf. H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4). Ces droits ne sont

pas uniquement la traduction de l’article 2092 du Code civil. En effet, le droit d’agir du

créancier bénéficiaire d’une sûreté réelle se démarque des prérogatives ordinaires du

chirographaire en ce qu’il s’accompagne de l’affectation préférentielle de la valeur du bien

(en ce sens, cf. Ph. THERY, n°6).

La mise en œuvre des sûretés réelles traditionnelles peut conduire au paiement du créancier et

à une rupture d’égalité avec les autres créanciers du débiteur. Celle-ci n’a pas la même

étendue qu’en matière de garanties personnelles. En effet, la réalisation du gage ou de

l’hypothèque n’est pas à même de supprimer le concours, mais elle peut néanmoins emporter

une rupture d’égalité par rapport aux créanciers chirographaires du débiteur, compte tenu de

l’exercice du droit de préférence. 406 Sur les garanties mixtes, cf. notamment D. LEGEAIS, n°19 ; Ph. MALAURIE et L.

AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°19 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.

PICOD, n°4-1 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°17 407 Sur la propriété-garantie, cf. P. CROCQ, th. préc. 408 Article 49 de la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières. Sur cette

garantie, cf. H. de VAUPLANE, La couverture des opérations en bourse : une sûreté hybride,

RD bancaire et bourse 1998, p. 197 et s. 409 Cf. M. P. WAGNER, La cession des loyers, garantie d’un prêt immobilier, RD bancaire

1999, n°71, p. 14 et 15

Page 129: L'efficacité des garanties personnelles

249. Les garanties par conservation du droit de gage général. Dans

d’autres mécanismes, la fonction de garantie s’exprime tout à fait différemment

qu’en matière de garanties personnelles et, plus généralement, de garanties de

paiement. Tel est le cas, tout d’abord, dans les mécanismes qui protègent les intérêts

des créanciers en conservant leur droit de gage général. Certains peuvent prévenir

l’impayé, d’autres le pallier.

La première catégorie regroupe les mécanismes qui préservent l’assiette du

droit de gage général, c'est-à-dire le patrimoine du débiteur, avant que celui-ci ne

soit défaillant410. La protection des intérêts des créanciers prend la forme d’une

diminution du risque de fluctuation de l’actif et du passif du débiteur. Au rang des

garanties conventionnelles conservant l’intégrité du patrimoine du débiteur à titre

préventif, peuvent être citées les « sûretés négatives »411 et la domiciliation des

salaires.

La seconde catégorie de garanties par conservation du droit de gage général

réunit les mécanismes qui préservent l’exercice du droit de gage général lui-même,

une fois que l’insolvabilité est avérée, par la réintégration dans le patrimoine du

débiteur de certaines valeurs. Elles pallient la réalisation du risque de perte de

l’intégrité du patrimoine du débiteur. Comme le droit qu’elles confèrent aux

créanciers est créé par la défaillance même de celui-ci, elles n’apportent de la

quiétude que dans le présent. Si aucun mécanisme conventionnel ne paraît répondre

à ces caractéristiques, des garanties légales peuvent, en revanche, en fournir

l’illustration. Il s’agit essentiellement de l’action oblique, de l’action paulienne, de

l’action en déclaration de simulation, de l’action en nullité de la période suspecte, ou

encore de l’action en rapport de l’article L. 621-112 du Code de commerce. Les

sanctions de l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité412 ne méritent pas de

grossir cette liste, car elles ne confèrent aucun droit aux créanciers413. Les voies

d’exécution ne conservent pas non plus le droit de gage général, puisqu’elles en

constituent l’exercice même414.

Qu’ils aient pour effet de prévenir l’impayé ou de le pallier, les mécanismes qui

conservent le droit de gage général ne peuvent pas être considérés comme des

garanties de paiement, car leur mise en œuvre ne peut emporter l’extinction de la

410 P. CROCQ (th. préc., n°269), au rang des mécanismes visant l’« augmentation des

chances des créanciers d’être payés en limitant les pouvoirs du débiteur sur son patrimoine

afin de donner à son actif un caractère constant », cite l’action oblique, l’action paulienne et

l’action en déclaration de simulation. Il nous semble que ces mécanismes conservent le droit

de gage général en palliant l’impayé, plutôt qu’en prévenant celui-ci. 411 J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU (n°3) les qualifient de « garanties contre

l’insolvabilité » ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE (n°16) relèvent que « les « garanties

négatives » tentent seulement de conserver son efficacité au droit de gage général ». 412 Article L. 314-7 du Code pénal. Article L. 333-2 du Code de la consommation relatif à la

déchéance du bénéfice des procédures de traitement des situations de surendettement. 413 Contra, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.

BILLIAU, n°3 414 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°24 : les voies d’exécution « constituent le prolongement

procédural du droit des garanties ». Contra, cf. P. CROCQ, th. préc., n°269

Page 130: L'efficacité des garanties personnelles

dette garantie415, ni mettre le créancier à l’abri du concours avec les autres créanciers

du débiteur.

250. Les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat. Ne devraient pas non plus être qualifiés de garanties de paiement les mécanismes

qui protègent les intérêts des créanciers en renforçant le contenu obligatoire du

contrat416.

En effet, les garanties qui remédient au risque d’exécution irrégulière, en

assurant au créancier « une réparation très efficace du dommage causé » par une

telle exécution417, ne confèrent pas aux créanciers un droit qui s’ajoute au droit de

gage général. Elles autorisent seulement l’exercice de celui-ci dans des conditions

plus avantageuses pour le créancier, soit parce que ces conditions sont plus faciles à

réunir (tel est le cas des garanties légales relatives à l’existence, à l’apparition, ou au

maintien des qualités d’une chose, comme la garantie d’éviction et la garantie des

vices cachés), soit parce que le montant des poursuites est plus élevé (tel est le cas

de la clause pénale et de l’astreinte).

Elles se différencient également des garanties de paiement en ce qu’elles

n’apportent de la quiétude que dans le présent. Elles ne font, en effet, que suppléer à

l’exécution régulière d’une obligation.

Enfin, les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat n’ont

aucune incidence sur un éventuel concours avec les autres créanciers du débiteur.

Ainsi, la clause pénale ou l’astreinte alourdissent la sanction du débiteur défaillant,

mais n’emportent aucune rupture d’égalité avec les autres créanciers de ce

dernier418.

415 Sauf à prendre en compte l’effet comminatoire que peuvent présenter certaines garanties

par conservation du droit de gage général, nous ne pouvons ainsi adhérer à la thèse de Ph.

BRIAND (th. préc., n°292), selon laquelle « le point commun de toutes les formes de garantie

est qu’elles sont tournées vers l’extinction de l’obligation du débiteur principal envers le

créancier ». 416 Ph. BRIAND (ibid., n°270) vise les « garanties par renforcement du contenu obligatoire

d’un rapport juridique ». L’idée de renforcement est également présente dans la thèse de B.

GROSS (La notion d’obligation de garantie dans le droit des contrats, LGDJ, 1964, préf. D.

TALLON, p. 48) : « la garantie donne une plus grande efficacité aux obligations principales

d’un contrat », et aussi dans le Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU (PUF, Quadrige,

3e éd., 2002, V° Garantie, p. 416) : « au sens plus technique, obligation accessoire qui naît de

certains contrats (vente, bail, entreprise…) à la charge d’une partie et qui renforce la

position de l’autre lorsqu’en cours d’exécution celle-ci n’obtient pas la satisfaction qu’elle

était en droit d’attendre ». 417 B. GROSS, ibid., p. 3 et 4 : « il n’y a obligation de garantie que lorsque la responsabilité

aggravée du débiteur sanctionne les obligations spéciales qui lui sont imposées » ; p. 102 et

103 : « la garantie est une obligation complexe, d’origine légale ou conventionnelle qui, dans

certains contrats à titre onéreux où le créancier peut craindre d’être trompé sur les droits que

son cocontractant lui transmet sur la chose ou sur l’utilité de celle-ci, vient se superposer à

certaines obligations nées du contrat et assure le garanti du résultat pratique de l’exécution

normale de la convention, tout en lui promettant une réparation très efficace du dommage

causé au cas où ce résultat ne serait pas atteint définitivement ». 418 Au sujet de la clause pénale, un tempérament a néanmoins été apporté par la Cour de

cassation. La Chambre commerciale décide, en effet, que le principe d’égalité des créanciers

s’oppose à la validité de la clause pénale convenue entre un créancier et un débiteur

antérieurement à l’ouverture de la procédure collective, lorsqu’il résulte de cette clause une

Page 131: L'efficacité des garanties personnelles

Pour toutes ces raisons, les mécanismes dans lesquels la fonction de garantie se

traduit par le renforcement du contenu obligatoire du contrat ne devraient donc pas

être soumis aux règles se rapportant à la garantie du paiement.

251. Les garanties par exclusion du concours. Des différences sont

également très marquées entre les garanties de paiement et les mécanismes qui

protègent les intérêts des créanciers en les faisant échapper à tout concours419.

En premier lieu, les garanties par exclusion du concours, qui reposent sur la

réciprocité des droits et obligations du créancier et du débiteur (comme la

compensation420, l’exception d’inexécution, l’action en résolution421, le droit de

rétention), ne procurent de la sécurité que dans le présent.

En deuxième lieu, ces mécanismes n’ajoutent pas au droit de gage général de

nouvelles prérogatives. Ils évitent simplement à leur bénéficiaire d’avoir à exercer

ce droit et, par conséquent, de courir le risque d’être primé par un autre créancier422.

En troisième et dernier lieu, la mise en œuvre des garanties conférant au

créancier une situation d’exclusivité ne se traduit pas nécessairement par l’extinction

de la dette du débiteur. Ainsi, les garanties offrant à leur bénéficiaire la faculté de

rester passif (le droit de rétention et l’exception d’inexécution) ne peuvent conduire

au paiement du créancier que si elles produisent un effet comminatoire sur le

débiteur.

252. La plupart des garanties par exclusion du concours, tout comme les

garanties par conservation du droit de gage général et les garanties par renforcement

majoration des obligations du débiteur envers le créancier lors du prononcé de son

redressement judiciaire (Cass. com., 19 avril 1985 : Defrénois 1986, p. 940, note DERRIDA ;

Cass. com., 10 décembre 1991 : Bull. civ. IV, n°378 ; Cass. com., 11 mai 1993 : Bull. civ. IV,

n°181 ; D. 1993, Somm., 368, obs. HONORAT ; Cass. com., 3 mai 1994 : Bull. civ. IV,

n°163 ; RTD civ. 1995, p. 110, obs. MESTRE). 419 C’est en raison de ces nombreuses différences que nous ne partageons pas l’opinion selon

laquelle les garanties par exclusion du concours ne sont qu’un sous-ensemble de ces garanties

de paiement que sont les sûretés réelles (en faveur de analyse, cf. C. GINESTET, art. préc.,

n°15, 22 ; D. LEGEAIS, n°21, 344 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°265). 420 Sur la compensation comme moyen d’échapper au concours, cf. P. CROCQ, L’évolution

des garanties du paiement, de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998,

p. 328 ; C. GINESTET, ibid., p. 85 ; C. SAINT-ALARY HOUIN, art. préc., p. 40 ; L.

SIMONT, art. préc., p. 305 et s. ; A.-M. TOLEDO, La compensation conventionnelle,

contribution plus particulièrement à la recherche de la nature juridique de la compensation

conventionnelle in futurum, RTD civ. 2000, p. 265 et s. ; P. VAN OMMESLAGHE, art. préc.,

p. 380, 383, 388

L’un des dérivés de la compensation, à savoir l’indivisibilité du compte courant, est

également cité au titre des mécanismes ayant pour effet de rompre radicalement avec le

principe d’égalité des créanciers chirographaires. Cf. M. VASSEUR, Les garanties indirectes

du banquier, Rev. jurisp. com. 1982, p.107 à 109 421 Sur l’exclusion du concours par le biais de l’action en résolution, cf. P. ANCEL, Nouvelles

sûretés pour créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5,

p. 3 et 4 422 L’article 815-17 du Code civil réglemente une garantie fonctionnant selon ce schéma,

puisqu’il évite aux créanciers qui auraient pu agir sur les biens indivis avant qu’il y eût

indivision, ainsi qu’aux créanciers dont le droit résulte de la conservation ou de la gestion du

bien indivis, d’exercer leur droit de gage général, en leur permettant d’être payés par

prélèvement sur l’actif avant le partage.

Page 132: L'efficacité des garanties personnelles

du contenu obligatoire du contrat ne devraient donc pas être soumises au même

régime que les garanties personnelles, car elles n’ont pas les mêmes effets sur la

situation du bénéficiaire.

Au contraire, pour que le contenu du droit soit en adéquation avec l’objectif

d’efficacité, les règles intéressant les effets principaux des garanties personnelles sur

la situation du créancier (l’anticipation du risque d’inexécution du débiteur par

l’octroi d’un droit d’agir que ne confère pas la seule qualité de chirographaire et

l’effet extinctif assorti d’une rupture d’égalité entre les créanciers) devraient

s’appliquer à toutes les garanties de paiement.

B/ LES EFFETS PRINCIPAUX DE LA GARANTIE

SUR LA SITUATION DU DEBITEUR

253. Dans toutes les garanties personnelles, l’espoir du créancier de voir se

réaliser la fonction de garantie produit des effets identiques sur la situation du

débiteur. Ces effets principaux résident dans la garantie du crédit (1). Au regard de

ces effets, une catégorisation des mécanismes de garantie peut être proposée (2).

1. La garantie du crédit

254. Notion de garantie de crédit. La protection des intérêts du débiteur

n’entre pas dans la définition de la fonction de garantie. Elle n’est qu’un effet de la

croyance du créancier dans la réalisation de cette fonction, autrement dit une

conséquence de l’espoir du créancier d’être couvert par une garantie efficace.

Cette protection incidente du débiteur consiste en l’accroissement de ses

chances d’accéder au crédit ou de conserver celui déjà accordé423. Elle ne peut donc

exister que lorsque le contrat garanti est à terme ou à exécution échelonnée424.

Il convient de souligner que les demandeurs de crédit ne sont pas les seuls à

bénéficier indirectement de la réalisation de la fonction de garantie. En effet, dans la

mesure où les banques ne peuvent rembourser les fonds reçus en dépôt ou en prêt

que si les crédits qu’elles consentent sont eux-mêmes remboursés, c’est bien de

l’efficacité des garanties assortissant ces crédits que dépend la protection des intérêts

de tous les créanciers des banques, particuliers ou institutionnels425.

423 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°1 ; H., L.

et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, p. 1

Sur les liens étroits entre l’accès au crédit et la constitution de garanties, cf. notamment M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°5 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.

CROCQ, n°3 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°3 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°3 424 En ce sens cf. M. GRIMALDI et Ph. DUPICHOT, Durée et sûreté, RDC 2004, p. 95 et s.,

n°1 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°5 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES

et P. CROCQ, n°1 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°3 425 La solidité du système bancaire et du système économique dans son ensemble est à ce

point liée à l’efficacité des garanties que la législation bancaire sur les fonds propres des

établissements de crédit tient compte, pour calculer ces fonds, de l’existence de sûretés

bancaires. Ainsi, la réduction des exigences, en matière de fonds propres, suppose que les

sûretés visées soient effectives et valables en droit (cf. M. GIOVANOLI, Tendances

modernes du droit des sûretés bancaires et contrôle prudentiel des banques, in Sûretés et

garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997, p. 23 et s.).

Page 133: L'efficacité des garanties personnelles

Néanmoins, l’expression « garantie de crédit » ne sera employée qu’en ayant

égard aux effets de la constitution d’un mécanisme donné sur la situation du

débiteur, c'est-à-dire en visant uniquement l’accès facilité de celui-ci au crédit426.

La question se pose de savoir quels sont les mécanismes qui pourraient être

ainsi qualifiés de garanties de crédit.

2. La catégorisation des garanties fondée sur leurs effets à l’égard du débiteur

255. Les garanties de crédit. La constitution de n’importe quelle garantie

personnelle facilite l’octroi ou le maintien de crédit au débiteur. Les garanties

personnelles ne sont pas les seules garanties à présenter cette caractéristique et à

pouvoir recevoir, de ce fait, la qualification de garantie de crédit. Sont également

concernées l’assurance décès ou invalidité, les garanties réelles, les garanties mixtes

ou encore les garanties par exclusion du concours qui anticipent le risque

d’inexécution du débiteur.

256. Les garanties par conservation du droit de gage général. En revanche,

qu’elles préservent l’assiette du droit de gage général (sûretés négatives,

domiciliation des salaires, mesures conservatoires) ou son exercice même (action

oblique, action paulienne), les garanties conventionnelles et légales par conservation

du droit de gage général sont tout à fait distinctes des garanties de crédit. En effet,

elles ne confèrent pas un droit qui s’ajoute aux prérogatives ordinaires du créancier

chirographaire. Elles ne sont que les attributs du droit de gage général427. Elles ne

bénéficient donc pas à un créancier en particulier, mais présentent, au contraire, une

nature collective428. Cela explique qu’elles ne puissent jouer qu’un faible rôle dans

l’accès au crédit du débiteur.

257. Les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat.

De la même façon, les garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat

ne peuvent guère faciliter l’accès au crédit du débiteur, car elles s’inscrivent

généralement dans des contrats opérant un transfert de droits sur une chose, dans

lesquels l’idée de crédit est en principe absente. Tel est le cas des garanties légales

relatives à l’existence, à l’apparition, ou au maintien des qualités d’une chose,

comme la garantie d’éviction, la garantie des vices cachés, ou la garantie décennale

des architectes.

258. Les garanties par exclusion du concours. S’agissant des garanties par

exclusion du concours, qui naissent de la défaillance même du débiteur (ce sont

celles qui reposent sur la réciprocité des droits et obligations du créancier et du

débiteur : la compensation, l’exception d’inexécution, l’action en résolution, le droit

de rétention), elles sont également sans influence sur l’octroi ou le maintien de crédit

au débiteur.

426 En faveur de cette notion de « garantie de crédit », J. MESTRE, E. PUTMAN et M.

BILLIAU, n°3. 427 P. CROCQ (th. préc., n°269) relève ainsi que les garanties dont la finalité est de donner un

caractère effectif à l’exercice du droit de gage général n’en constituent qu’un accessoire. 428 En ce sens, P. CROCQ, ibid., n°269

Page 134: L'efficacité des garanties personnelles

259. Ces trois derniers types de mécanismes ne devraient donc pas être

qualifiés de garanties de crédit, ni se voir appliquer les règles se rapportant à l’accès

au crédit du débiteur. Au contraire, l’ensemble des garanties personnelles, ainsi que

tous les autres mécanismes ayant un effet incident sur l’accès au crédit, devraient

être soumis aux règles régissant celui-ci.

Certaines caractéristiques communes à l’ensemble des garanties personnelles

sont donc partagées par d’autres mécanismes. Il en va ainsi de l’effet favorable de la

constitution de la garantie sur l’accès au crédit du débiteur, ainsi que des effets

principaux de la garantie sur la situation du créancier (l’octroi au bénéficiaire, dès la

constitution du mécanisme de garantie, d’un droit s’ajoutant à celui de l’article 2092

du Code civil ; le recouvrement de la créance principale par la réalisation de ce

mécanisme, assorti d’une rupture de l’égalité avec les autres créanciers du débiteur).

L’assimilation de ces caractéristiques devrait se traduire par l’application de

certaines règles, non seulement à toutes les garanties personnelles, mais aussi à

toutes les garanties de crédit et à toutes les garanties de paiement.

D’autres règles, par contre, ne devraient jouer qu’en matière de garanties

personnelles, mais à l’égard de toutes les garanties personnelles. Il s’agit de celles

qui assimilent les caractéristiques propres à l’ensemble de ces garanties. Nous

n’allons pas dès à présent étudier ces règles429, mais expliquer, en revanche, quelles

sont ces caractéristiques spécifiques à toutes les garanties personnelles.

§2 : LES CARACTERISTIQUES PROPRES

AUX GARANTIES PERSONNELLES

260. La technique de garantie. Si divers mécanismes de garantie produisent

les mêmes effets principaux sur la situation du bénéficiaire et sur celle du débiteur,

ils ne parviennent pas tous à ces résultats en mettant en œuvre les mêmes moyens.

La technique de garantie, qui « donne forme au but »430, permet de distinguer les

mécanismes présentant une même fonction et capables de produire les mêmes

effets431. Ainsi, ce sont les moyens permettant au bénéficiaire de profiter d’une

extension de son droit de gage général, dès la conclusion du contrat de garantie, et

de l’extinction de la dette principale, par l’effet de la mise en œuvre de cette

garantie, qui distinguent les garanties personnelles des autres mécanismes de

garantie et, plus précisément, des autres garanties de paiement et de crédit. Ces

429 Sur les règles propres à l’ensemble des garanties personnelles que la réforme de cette

matière pourrait instituer, cf. infra n°796-847 430 R. PERROT, De l’influence de la technique sur le but des institutions juridiques, dir. LE

BALLE, éd. Sirey, 1947. Dans le même sens, cf. J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU,

n°11 431 Sur la technique de garantie comme principal critère de catégorisation des sûretés, cf.

M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°4,

10, 91 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°7, 258

Le critère de la technique de garantie conduit classiquement à opposer les garanties réelles

aux garanties personnelles. Récemment, sur le fondement de ce même critère, des auteurs se

sont éloignés de cette summa divisio traditionnelle. Au rang de ces classifications alternatives

peuvent notamment être citées la distinction entre sûretés réelles / sûretés personnelles /

propriété-sûreté (P. CROCQ, th. préc.) et la distinction entre sûretés préférentielles / sûretés

non préférentielles (J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°139).

Page 135: L'efficacité des garanties personnelles

techniques propres aux garanties personnelles sont, d’une part, l’obligation de

garantir (A) et, d’autre part, le caractère accessoire essentiel (B).

A/ L’OBLIGATION DE GARANTIR

261. Les caractéristiques de l’obligation de garantir. Si une partie de la

doctrine se réfère à l’obligation de garantir432, le droit français n’en reconnaît pas

l’existence. Il s’en tient au triptyque de l’article 1126 du Code civil, formé par

l’obligation de donner, l’obligation de faire et l’obligation de ne pas faire. Sans

entrer dans la discussion portant sur l’utilité de reconsidérer ce classement des

obligations en vue d’y intégrer l’obligation de garantir433, il est nécessaire

d’expliquer en quoi consiste cette obligation, car elle constitue l’une des techniques

de protection des intérêts du créancier propre aux garanties personnelles.

L’obligation de garantir est une obligation juridique. A l’égard d’un

engagement seulement moral, la qualification de garantie personnelle doit donc être

exclue. Tel est le cas dans certaines lettres d’intention434.

Elle présente, par ailleurs, une nature personnelle. En conséquence, les

personnes tenues « propter rem », comme les tiers à l’encontre de qui s’exerce le

droit de suite, n’assument aucune obligation de garantir. Les poursuites exercées

contre elles ne procèdent nullement de l’existence d’une garantie personnelle435.

Afin d’expliquer les effets principaux, tant de la constitution, que de la mise en

œuvre des garanties personnelles, deux autres caractéristiques de l’obligation de

garantir méritent d’être approfondies. Il s’agit de sa structure duale (1) et de son

adjonction à l’obligation principale (2).

1. Une obligation duale

262. L’obligation de couverture et l’obligation de règlement caractérisent

l’ensemble des garanties personnelles. L’obligation de garantir est tout à fait

originale, puisqu’elle renferme deux obligations distinctes, mais parfaitement

complémentaires, que sont l’obligation de couverture et l’obligation de règlement436.

Cette dualité, que Mouly a mise en lumière dans le cautionnement de dettes

futures437, existe également dans le cautionnement de dettes présentes, et même dans

toutes les garanties personnelles.

432 N. KANAYAMA, De l’obligation de couverture à la prestation de garantie, Mélanges

Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 375 et s. ; N. KANAYAMA, Donner et garantir- un siècle après

ou une autre histoire, Mélanges J. Ghestin, LGDJ, 2001 433 Sur cette discussion, cf. N. KANAYAMA (ibid.), qui propose d’élever l’obligation de

garantir jusqu’à la summa divisio des obligations. 434 En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les

sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p.129 et s., n°20 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°25 435 En ce sens, cf. N. KANAYAMA, De l’obligation de couverture à la prestation de

garantie, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 394 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.

BILLIAU, n°92 436 Ch. MOULY, Les causes d’extinction du cautionnement, Litec, 1979, n°261 : « les deux

obligations s’emboîtent l’une dans l’autre, à la façon d’obligations gigognes. Elles sont

étroitement unies au sein du contrat, l’obligation de règlement dépendant de l’obligation de

couverture à maints égards ». 437 Ch. MOULY, ibid., n°255 et s.

Page 136: L'efficacité des garanties personnelles

263. Les caractéristiques de l’obligation de règlement. Relativement à

l’obligation de règlement, l’extension de la thèse de Mouly ne suscite guère de

difficultés. Cet éminent auteur a lui-même remarqué que cette obligation « se

retrouve à l’identique dans les cautionnements de dettes présentes et dans ceux de

dettes futures lorsque les dettes garanties sont devenues certaines »438. A condition

d’en retenir une définition suffisamment large, l’obligation de règlement est même

susceptible de caractériser l’ensemble des garanties personnelles. Il suffit, pour cela,

de poser que l’objet de cette obligation réside dans le paiement du créancier en cas

de défaillance du débiteur principal, sans préciser si cet objet est emprunté à la dette

principale ou lui est indépendant439.

Le fait que certains garants souscrivent une obligation de faire ou de ne pas

faire (tel est le cas des souscripteurs des lettres d'intention) n’empêche nullement

d’adopter la définition proposée, puisque l’inexécution de telles obligations se solde

par le paiement de dommages et intérêts440.

Le fait que certaines garanties soient payables à première demande n’est pas

non plus une exception à la définition suggérée. En effet, dans toutes les garanties

personnelles, l’obligation de règlement ne peut légitimement naître qu’en cas de

défaillance du débiteur principal. Les auteurs qualifient ainsi cette obligation

d’«éventuelle »441 ou d’«aléatoire »442. Le qualificatif « subsidiaire » paraît plus

approprié, car il renferme l’idée de défaillance de l’élément essentiel443. Ce terme

n’est pas alors employé dans un sens procédural, en vertu duquel le garant ne peut

être appelé qu’après de vaines poursuites contre le débiteur principal444, mais dans le

sens où l’obligation de règlement du garant « a vocation à venir en second lieu (à

titre de remède, de garantie, de suppléance, de consolation), pour le cas où ce qui

438 Ch. MOULY, ibid., n°255 439 Comme Mouly s’intéressait uniquement au cautionnement, il a soutenu que « l’objet de la

prestation est une chose : la somme d’argent que représente la dette du débiteur principal ou

son équivalent » (ibid., n°261) et que l’obligation de règlement « est accessoire à l’obligation

principale, limitée par elle en étendue et en contenu » (ibid., n°258). Mais, dès lors que l’on

envisage l’ensemble des garanties personnelles, il convient de ne pas préciser le rapport entre

l’objet de l’obligation de règlement du garant et l’objet de la dette principale, car il peut varier

d’une garantie personnelle à une autre. Nous verrons que ce rapport constitue le critère de

distinction entre les garanties personnelles présentant un caractère accessoire renforcé et les

garanties personnelles indépendantes (cf. infra n°301-306). 440 L’obligation de règlement « est une obligation de faire ou de donner, obligation qui peut

se résoudre ultérieurement en dommages et intérêts » (N. KANAYAMA, art. préc., p. 395). 441 Ch. MOULY, th. préc., n°261 : « son germe n’apparaîtra qu’avec la constatation d’une

dette principale ». 442 N. KANAYAMA, art. préc., p. 392 443 En ce sens, cf. J. RAYNARD, A propos de la subsidiarité en droit privé, Mélanges Ch.

Mouly, Litec, 1998, p. 131 et s., n°2 : « la disparition de l’élément essentiel, non seulement

n’entraîne pas celle du subsidiaire mais, tout au contraire, découvre celui-ci pour le rendre

pleinement efficace. (…) Le subsidiaire vit dans l’ombre de l’essentiel précisément dans

l’attente de l’éclipse de celui-ci » ; n°3 : la subsidiarité « supplée à la carence de la norme

essentielle, précisément en rendant efficace celle qui lui est subsidiaire, donc elle assume la

défaillance de l’essentiel ». 444 A s’en tenir à une définition procédurale de la subsidiarité, il n’est pas permis de faire

figurer celle-ci parmi les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties personnelles,

puisque rares sont les garants qui jouissent du bénéfice de discussion.

Page 137: L'efficacité des garanties personnelles

est principal, primordial, vient à faire défaut »445. Si l’on peut parler de subsidiarité,

même à l’égard de garanties pouvant être appelées sans que le créancier n’ait à faire

la preuve de la défaillance du débiteur principal, c’est que l’exécution de

l’obligation de règlement peut être paralysée si le garant démontre que le créancier a

appelé la garantie abusivement, sans droit, comme c’est notamment le cas en

présence d’une exécution parfaite du débiteur.

Dans toutes les garanties personnelles, il est donc possible de retenir l’existence

d’une obligation de règlement subsidiaire, dont l’objet est le paiement du

créancier446. Cette obligation constitue le moyen grâce auquel les garanties

personnelles, quelles qu’elles soient, peuvent éviter au créancier de subir une perte

pécuniaire.

Si importante soit-elle, « l’obligation de règlement ne doit pas être l’arbre qui

cache la forêt »447. L’obligation de garantir comporte, en effet, une autre obligation,

sur laquelle repose tout autant la fonction des garanties personnelles. Il s’agit de

l’obligation de couverture.

264. Les caractéristiques de l’obligation de couverture. Selon Mouly,

« l’obligation de couverture de la caution dans les cautionnements de dettes futures

comporte un double objet : d’une part déterminer l’étendue de l’intérêt cautionné, en

poser les bornes puisque les créances garanties ne sont pas encore nées, d’autre part

préserver cet intérêt contre les atteintes dont il peut être l’objet, en un mot couvrir le

risque, l’aléa du non paiement » 448.

Si le premier objet est plus manifeste dans le cadre de garanties de dettes

futures, l’obligation de couverture n’en existe pas moins dans les garanties de dettes

présentes. Seulement, dans ce cas, elle présente moins d’utilité en raison de la

détermination ab initio de l’étendue de l’obligation de règlement449. 445 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

V° Subsidiaire, p. 849. Dans le même sens, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°52 : l’engagement

de la caution est subsidiaire, « car les caractères fondamentaux du cautionnement postulent

qu’une incertitude subsiste, aussi faible soit-elle, quant aux poursuites pouvant être exercées

contre la caution. La caution s’expose à un risque, non à une certitude » ; P. CROCQ, th.

préc., n°286 : « l’exécution régulière de son obligation par le débiteur dispense le créancier

d’utiliser la garantie » ; P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz,

1989, n°24 : « débiteur de secours, de second rang, qui n’est tenu de payer qu’à défaut du

débiteur principal ». 446 En l’absence d’une telle obligation au paiement, la qualification de garantie personnelle

doit être exclue. Tel est le cas, par exemple, dans un engagement de domiciliation bancaire du

salaire ou des revenus de l’opération financée (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°25). Tel est le cas également lorsqu’un tiers paie une dette sans y être

préalablement engagé. Il s’agit du paiement par intervention, régi par l’article 1236 du Code

civil. Sur ce paiement, cf. V. PERRUCHOT-TRIBOULET, Le droit de payer pour autrui,

LPA 21 août 2001, n°166, p. 12 et s. ; O. SALVAT, Le recours du tiers contre la personne

dont il a payé la dette, Defrénois 2004, article 37863, p. 105 et s. 447 Ph. THERY, n°89 448 Ch. MOULY, th. préc., n°260 449 En ce sens, cf. F. JACOB, Le constitut ou l’engagement autonome de payer la dette

d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf. Ph. SIMLER, n°246 ; Ph. THERY, n°89 : « les

deux aspects de garantie et de règlement, confondus dans le cautionnement de dettes

présentes, ne peuvent se trouver dissociés que si le cautionnement garantit des dettes

futures ».

Page 138: L'efficacité des garanties personnelles

Par ailleurs, alors que nombre d’auteurs considèrent que l’analyse dualiste est

inapplicable aux garanties indépendantes450, il nous semble, au contraire, que

l’obligation de couverture caractérise l’ensemble des garanties personnelles451. En

effet, envisagée comme « un service » ayant pour objet d’assurer l’aléa du non

paiement452, l’obligation de couverture est présente dans l’ensemble des garanties

personnelles, car ce risque est inhérent à la notion même de garantie. Cela explique

notamment que, quelle que soit la nature de son engagement, le garant puisse

percevoir une rémunération, abstraction faite de tout règlement effectif453.

Ce service, dont la nature est « curieuse »454, puisqu’il ne s’agit ni d’une

obligation de faire, ni d’une obligation de ne pas faire, ni d’une obligation de

donner, existe avant même la défaillance du débiteur principal. Sauf aux parties à

prévoir que ce service aura pour point de départ une date précise, l’obligation de

couverture est certaine à compter de la conclusion du contrat de garantie455. Si la

garantie personnelle est à même de protéger les intérêts du créancier, dès cette

constitution, c’est justement parce que celle-ci fait naître l’obligation de

couverture456, qui engendre elle-même des devoirs à la charge du garant.

450 Sur le refus d’appliquer la distinction entre l’obligation de couverture et l’obligation de

règlement en matière de garantie autonome, cf. Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés

individuelles en droit des sûretés, th. Paris II, 2003, sous la direction de M. GRIMALDI,

n°343 ; J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La

revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 8 ; Ch.

GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 17 à

19 ; M. GRIMALDI et Ph. DUPICHOT, Durée et sûreté, RDC 2004, p. 95 et s., n°11 ; H., L.

et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-14 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°235. Pour un même refus en matière de lettre d'intention, cf. J. DEVEZE,

Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in Aspects

contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 30 451 Sur la couverture en matière de garantie autonome, cf. A. PRÜM, th. préc., n°146 à 175.

Sur la légitimité de la référence au concept d’obligation de couverture en matière de constitut,

cf. F. JACOB, th. préc., n°243 à 247. Sur l’obligation de couverture en matière de lettre

d'intention, cf. B. de GRANVILLIERS, La transmission des sûretés par la règle de

l’accessoire, th. Paris I, 2000, sous la direction de C. LUCAS de LEYSSAC, n°154, 181 et

182. 452 Ch. MOULY, th. préc., n°261 453 En ce sens, cf. Ch. MOULY, ibid., n°260 ; Ph. THERY, n°89 454 P. ANCEL, Force obligatoire et contenu obligationnel du contrat, RTD civ. 1999, p. 771

et s, n°41 : « c’est une bien curieuse obligation dont on serait en peine de définir l’objet : (…)

puisque ce n’est pas encore payer, est-ce faire quelque chose ? (mais la caution n’est pas

obligée d’accomplir, pendant toute la période d’attente, une quelconque prestation) est-ce ne

pas faire quelque chose ? (mais là encore on ne voit pas de quoi la caution devrait

s’abstenir). Dans le même sens, cf. P. ANCEL, p. 51 ; J. FRANÇOIS, n°122

N. KANAYAMA (art. préc., p. 397 et 398) relève d’autres originalités de l’obligation de

couverture. D’une part, elle ne peut se prescrire indépendamment de l’obligation de

règlement. « Il n’y a que l’obligation de garantir globalement saisie qui est susceptible d’être

prescrite, malgré l’exécution successive de l’obligation de couverture ». D’autre part,

personne ne peut céder uniquement l’élément de couverture, sans y inclure l’obligation de

règlement. 455 En ce sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°255, 256 ; N. KANAYAMA, ibid., p. 378 456 La protection dure jusqu’à l’extinction de l’obligation de couverture, qui est à exécution

successive. Sur la pérennité de l’obligation de couverture, cf. Ch. MOULY, ibid., n°256 ; N.

KANAYAMA, ibid., p. 395

Page 139: L'efficacité des garanties personnelles

En effet, le garant « est engagé par le contrat, avant même que ce contrat ne le

rende débiteur »457. C’est la raison pour laquelle une résiliation avant le terme

stipulé ne peut produire aucune effet458. Plus généralement, le garant « doit respecter

une certaine conduite propre à faire naître la confiance »459. En conséquence, il

peut se voir sanctionner s’il néglige de préserver son patrimoine, pire s’il organise

frauduleusement son insolvabilité460.

Corrélativement, la naissance de l’obligation de couverture est

« instantanément constitutive de droit pour le bénéficiaire »461. Le créancier peut

ainsi chercher à protéger ses intérêts en renforçant l’obligation de couverture par des

prestations spéciales, telles des sûretés négatives ou la fourniture de renseignements

propres à faire naître ou à étayer sa confiance. Il peut également sauvegarder

l’intégrité du patrimoine du garant en pratiquant des actes conservatoires462.

265. L’obligation de couverture est donc la technique utilisée pour que la

garantie personnelle, quelle qu’elle soit, puisse protéger les intérêts financiers du

créancier, avant même la défaillance du débiteur principal. Comme, par ailleurs,

l’obligation de règlement constitue le moyen grâce auquel la mise en œuvre de la

garantie peut conduire au paiement de la dette principale, c’est bien la structure

duale de l’obligation de garantir qui permet aux garanties personnelles d’améliorer

la situation du créancier bénéficiaire.

L’obligation de garantir se caractérise, outre par sa structure duale, par son

adjonction à l’obligation principale.

2. Une obligation adjointe à l’obligation principale.

266. Si la seule constitution d’une garantie personnelle peut étendre le droit de

gage général du bénéficiaire et si sa mise en œuvre peut éviter à ce dernier d’entrer

en concours avec les autres créanciers du débiteur, c’est en raison de l’association à

457 P. ANCEL (art. préc., n°40 et s.) a démontré que, dans le cautionnement, et plus

généralement dans tous les contrats à exécution successive, il existe une « dissociation entre

l’avènement de la force obligatoire et la naissance des obligations nées du contrat ». Dans un

même esprit, G. WICKER (Les fictions juridiques, contribution à l’analyse de l’acte

juridique, LGDJ, 1997, préf. J. AMIEL-DONAT, n°166) distingue le « rapport d’obligation »

du « rapport obligatoire ». 458 En ce sens, cf. P. ANCEL, ibid., n°41 459 Ch. MOULY, th. préc., n°260 460 N. KANAYAMA (art. préc., p. 395 et 396) considère que « l’insolvabilité du débiteur de

l’obligation de garantir avant l’arrivée de l’événement prévu (la défaillance du débiteur

principal) est l’inexécution de l’obligation de garantir car la parole donnée ne pourrait pas se

tenir dans le cas de l’insolvabilité ». Ainsi peuvent s’expliquer l’action oblique ou l’action

paulienne exercées par le créancier contre le garant avant même l’appel de la garantie. 461 N. KANAYAMA, ibid., p. 383. Dans le même sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°259.

Contra, cf. P. ANCEL, art. préc., n°41 : « le créancier ne pourra jamais en demander

l’exécution, ni en faire sanctionner l’inexécution ». 462 Si les mesures conservatoires s’expliquent aisément à la lumière de l’obligation de

couverture, il convient de reconnaître qu’ « il n’est pas nécessaire de supposer l’existence

d’une obligation actuelle à la charge de la caution pour expliquer cette solution : il suffit, on

le sait, que le créancier ait un « germe de créance » » (P. ANCEL, ibid., n°41, note 119).

Page 140: L'efficacité des garanties personnelles

un élément existant, l’obligation principale, d’un autre élément, l’obligation de

garantir. La notion d’adjonction463, aussi bien que son objet, méritent d’être précisés.

267. Notion d’adjonction. L’adjonction s’oppose à la substitution. Ne peut

donc recevoir la qualification de garantie personnelle la délégation parfaite, dans

laquelle l’obligation du délégué se substitue à celle du délégant464.

L’adjonction s’oppose aussi à l’alternative dans les poursuites, que l’on

rencontre notamment dans la promesse de porte fort, tant que le principal intéressé

n’est pas engagé465, ou encore dans l’assurance-vie ou invalidité, selon que le risque

s’est ou non réalisé466.

L’adjonction se distingue encore de la simple coexistence d’engagements

principaux n’ayant aucun lien entre eux. Ainsi, lorsqu’une banque offre des facilités

de garantie dans le placement d’instruments financiers, comme les actions, les

obligations, ou les bons, en s’engageant à souscrire le solde des valeurs mobilières

émises par son client et n’ayant pas trouvé preneur, cet engagement n’est pas au

service des obligations prises par le client. Dans une telle situation, la banque est

improprement appelée « garante »467. Aucune adjonction n’existe non plus, en

principe, dans un contrat de référencement468.

463 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

V° Adjonction, p. 27 : « au sens courant, augmentation, accroissement ; dans un sens

technique, union matérielle, mélange de deux choses mobilières appartenant à deux maîtres

différents donnant lieu au droit d’accession ». 464 La plupart des auteurs dénient à la délégation parfaite, non seulement la qualification de

garantie personnelle, mais aussi la fonction même de garantie (cf. H., L. et J. MAZEAUD et

F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-21 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°11 note 3 ).

Un tempérament a été apporté par D. LEGEAIS (Les garanties conventionnelles sur créances,

Avant-propos J. STOUFFLET, Préface Ph. REMY, Economica 1986, n°266) dans

l’hypothèse où le délégataire exige, dans l’une des clauses du contrat, que le délégant le

garantisse contre l’insolvabilité du délégué. Il nous semble que, dans ce cas, ce n’est pas la

délégation parfaite qui peut être qualifiée de garantie personnelle, mais uniquement la clause

en question. La même conclusion peut être avancée au sujet de la cession de créance assortie

de la garantie, par le cédant, de la solvabilité du débiteur cédé (articles 1694 et 1695 du Code

civil). 465 Cette alternative conduit à refuser à la promesse de porte fort, dans cette hypothèse, la

qualification de garantie personnelle. En ce sens, cf. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles

traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s.,

n°20 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 466 Le créancier peut poursuivre, soit l’assuré avant la réalisation du risque, soit l’assureur en

cas d’invalidité ou de décès de l’assuré. Cette alternative empêche de retenir la qualification

de garantie personnelle. En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°16 467 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 468 « Le groupement d’achat ne fait que négocier aux meilleures conditions des offres entre

les fournisseurs et les adhérents : la vente se conclut directement entre ces derniers.

L’intermédiaire contractuel n’est pas garant de la solvabilité des parties contractantes, sauf

stipulation contraire expresse de sa part » (C. GINESTET, art. préc., n°9).

Page 141: L'efficacité des garanties personnelles

268. Objet de l’adjonction. Pour caractériser les garanties personnelles, la

doctrine met unanimement en avant l’adjonction, en lui reconnaissant comme objet,

soit un droit de créance469 ou de poursuite470, soit un nouveau débiteur471.

Envisager l’adjonction de l’obligation de garantir n’est pas très éloigné, puisque

cette obligation et le nouveau droit de créance sont intimement liés et que, le plus

souvent, cette obligation est souscrite par un nouveau débiteur. Si nous préférons

cependant focaliser sur l’obligation de garantir, c’est, non seulement parce que le

droit de poursuite n’en est que le corollaire, mais surtout parce que cette obligation

n’est pas nécessairement souscrite par un tiers au contrat principal. Elle pèse sur le

débiteur principal lui-même dans le cadre de la solidarité.

269. L’obligation de garantir dans la solidarité passive. Comme l’a

démontré M. Mignot472, « en matière contractuelle, bien loin de générer une seule et

unique convention, la solidarité donne toujours naissance à un ensemble de contrats.

D’une part, on trouve la relation fondamentale issue d’un contrat spécial particulier,

par nature variable, qui groupe des obligations principales et partielles des

codébiteurs. D’autre part, par la stipulation de solidarité, les parties se lient par une

autre relation, distincte de la relation fondamentale, à savoir la dation d’une sûreté

ou d’une garantie au profit du créancier ». La solidarité donne ainsi naissance à «

une garantie personnelle mutuelle dont l’originalité tient à ce qu’elle est contractée

par les parties à la relation fondamentale »473.

Lorsque l’obligation de garantir présente cette spécificité, le créancier ne

profite pas d’une multiplication des patrimoines répondant de la dette principale. Il

jouit néanmoins d’un « changement de position quantitatif »474, puisque la solidarité

lui permet d’exercer son droit de gage général sur le patrimoine du débiteur

principal–garant, pour une somme plus importante que ne l’auraient permis des

obligations conjointes475. Dans la solidarité, comme dans les garanties personnelles

où l’obligation de garantir est souscrite par un tiers, il y a toujours une extension du

droit de gage général, protectrice des intérêts financiers du créancier.

469 Ph. BRIAND, th. préc., n°277 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°5 ; A.-M. TOLEDO, th.

préc., n°273 ; C. GINESTET, ibid., n°8 ; Ch. MOULY, art. préc., n°20 ; P. ANCEL, n°26 ;

M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°1, 25 ; D. LEGEAIS, n°21 470 L. AYNES, Rapport français sur les sûretés personnelles, in Travaux de l’association H.

Capitant, « Les garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ,

p. 375 et s., n°1, 2 ; D. LEGEAIS, n°1, 21, 30 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2 471 Ph. BRIAND, th. préc., n°270 ; L. AYNES, ibid., n°1, 6 ; A. BRUYNEEL, art. préc.,

p.16 ; Ch. MOULY, art. préc., n°1, 20 ; L. SIMONT, art. préc., p. 278 ; M. CABRILLAC et

Ch. MOULY, n°1, 25 ; D. LEGEAIS, n°1 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et

P. CROCQ, n°4 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4 ; J. MESTRE,

E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°4 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°2, 8 472 M. MIGNOT, Les obligations solidaires et les obligations in solidum en droit privé

français, th. Université de Bourgogne, 2000, sous la direction de E. LOQUIN, n°539 473 M. MIGNOT, ibid., n°528 474 H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°4 475 Seule la solidarité conventionnelle fonctionne selon ce schéma. En effet, lorsque c’est la

loi qui impose la solidarité, l’extension du droit de gage général s’opère sur le patrimoine

d’un tiers. Ainsi, la solidarité légale de l’article 220 du Code civil conduit à une extension du

droit de gage général, non pas sur les biens communs, qui sont en toute hypothèse engagés,

mais sur les biens propres de l’époux codébiteur.

Page 142: L'efficacité des garanties personnelles

C’est la seule existence d’une obligation de garantir adjointe à l’obligation

principale qui doit emporter la qualification de garantie personnelle. Le fait que cette

obligation soit souscrite par un nouveau débiteur ou par le débiteur principal lui-

même doit, au contraire, rester sans conséquence, non seulement parce que la

fonction de garantie ne s’en trouve pas affectée, mais aussi parce qu’il y aurait

quelque chose d’incohérent à refuser à la solidarité la qualification de garantie

personnelle, alors qu’il s’agit du mécanisme le plus utilisé comme tel, à côté du

cautionnement476.

270. Qu’elle soit souscrite par un tiers au contrat principal ou par un

codébiteur solidaire, l’obligation adjointe de garantir, dans ses deux composantes,

l’obligation de couverture et l’obligation de règlement, permet aux garanties

personnelles de protéger les intérêts financiers du créancier, dès leur constitution et,

en cas de défaillance du débiteur principal, lors de leur réalisation.

L’obligation de garantir n’est pas le seul moyen à l’origine des effets

principaux des garanties personnelles sur la situation du créancier. Le caractère

accessoire essentiel constitue l’autre technique de garantie propre aux garanties

personnelles.

B/ LE CARACTERE ACCESSOIRE ESSENTIEL

271. Les deux acceptions de la notion de caractère accessoire. La doctrine

met fréquemment en avant les degrés dans le lien d’accessoire à principal477 et

nombre d’auteurs reconnaissent que la notion de caractère accessoire connaît deux

acceptions478. Nous allons développer ces analyses en distinguant le caractère

accessoire essentiel et le caractère accessoire renforcé479.

476 La solidarité est de plus en plus assimilée au cautionnement, aussi bien en droit interne (la

loi du 1er août 2003 sur l’initiative économique a étendu le champ de compétence des

commissions de surendettement à l’égard des cautions et des codébiteurs solidaires non

dirigeants), qu’en droit communautaire (la proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs envisage, au titre du « contrat de sûreté », aussi bien le cautionnement, que la

solidarité passive). Cf. infra n°534, 757 477 Sur la reconnaissance de ces degrés, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°283, 294 ; P. CROCQ,

th. préc., n°278 ; G. GOUBEAUX, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, 1969, préf.

D. TALLON, n°25 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°294, 295 ; M. OURY-BRULE,

L’engagement du codébiteur solidaire non intéressé à la dette. Article 1216 du Code civil,

LGDJ, 2002, préf. C. FERRY, n°168 ; C. GINESTET, art. préc., p. 204 à 210 ; D. LEGEAIS,

La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et

innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; J.-M. RAPP, Garanties à première

demande et autres garanties bancaires, in Sûretés et garanties bancaires, Publication

CEDIDAC, 1997, p. 259 et s. ; J.-L. RIVES-LANGE, Les engagements abstraits pris par le

banquier, Rapport français, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 307 478 Sur la distinction entre la conception large et la conception étroite du caractère accessoire,

cf. D. GRIMAUD, ibid., n°195 ; D. LEGEAIS, ibid. ; Y. LOUSSOUARN, Les sûretés

personnelles en droit international privé, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI

1984 , p.433 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°326 479 Cette distinction présente un caractère inédit, non seulement d’un point de vue

terminologique, mais aussi au regard des fondements que nous attribuons respectivement au

caractère accessoire essentiel et au caractère accessoire renforcé. En matière de garanties

Page 143: L'efficacité des garanties personnelles

Dans un sens étroit, le caractère accessoire exprime une dépendance unilatérale

du contrat de garantie envers le contrat principal480. « L’accessoire doit subir le

même sort que le principal, les vices qui affectent la créance garantie s’étendent par

contagion à la sûreté »481. Ce caractère accessoire renforcé n’est pas présent dans

l’ensemble des garanties personnelles. Il s’agit, au contraire, d’une caractéristique

permettant de les distinguer482.

Dans un sens plus large, le caractère accessoire est en revanche partagé par

toutes les garanties personnelles. Il constitue un lien fondamental entre le contrat de

garantie et le contrat principal, sur lequel peut éventuellement se greffer le caractère

accessoire renforcé.

272. En vue de définir le caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble

des garanties personnelles, il convient de le rapprocher, dans un premier temps, de la

notion d’accessoire de la créance (1) et, dans un second temps, d’identifier la cause

de l’obligation de règlement du garant (2). Il sera ainsi démontré que toutes les

garanties personnelles présentent un caractère accessoire essentiel en ce que, d’une

part, elles constituent des accessoires de la créance principale et, d’autre part, en ce

que la cause de l’obligation de règlement du garant réside dans le contrat principal.

La spécificité de la technique mise en œuvre en matière de garanties personnelles

apparaîtra surtout à la lumière de ce second élément constitutif de la notion de

caractère accessoire essentiel.

1. La définition du caractère accessoire essentiel

au regard de la notion d’accessoire de la créance

273. Les accessoires de la créance. Si les garanties personnelles ne sont pas

les seuls accessoires de la créance483, elles peuvent toutes, en revanche, recevoir

personnelles, le fondement du premier réside dans la cause de l’obligation de règlement du

garant (cf. infra n°277, 278) et le fondement du second dans l’objet de cette obligation (cf.

infra n°302). 480 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°44 : « définition du caractère accessoire :

vocation à inscrire dans le temps un rapport de dépendance unilatérale entre l’obligation de

la caution et la créance qu’elle renforce, la 1ère étant assujettie, à chaque stade de son

existence, à l’existence et à l’étendue de la 2nde ». 481 J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°326 482 Cf. infra n°302, 303 483 Sont des accessoires de la créance principale toutes les garanties de paiement et de crédit

(Ph. THERY, n°2 : « les garanties de paiement sont l’accessoire d’une créance ») et même

toutes les garanties (au sujet de la garantie par renforcement du contenu obligatoire du

contrat, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°272 ; M. CABRILLAC, Les accessoires de la créance,

Etudes Weill, 1984, p. 107 et s., n°16 ; au sujet de la garantie par exclusion du concours, cf.

M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503). Encore plus largement, « la notion d’accessoire de

la créance caractérise tout droit ou action qui a une incidence bénéfique sur l’étendue ou les

modalités de la prestation due, ou bien fournit le moyen direct ou indirect d’obtenir cette

prestation, ou enfin sanctionne la défaillance du débiteur » (M. CABRILLAC, ibid., n°21).

Des mécanismes n’ayant pas une fonction de garantie peuvent ainsi recevoir cette

qualification. Tel est le cas des droits qui déterminent le montant de la créance, des droits qui

déterminent l’échéance, des droits, actions, titres qui permettent d’obtenir le paiement de la

créance au besoin par la contrainte, ou encore des sanctions qui s’attachent au défaut de

paiement.

Page 144: L'efficacité des garanties personnelles

cette qualification. Les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance

vont ainsi fournir les premiers éléments de définition du caractère accessoire

essentiel des garanties personnelles.

274. Les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance.

L’accessoire de la créance se définit, tout d’abord, par son absence d’existence

autonome484. Il « ne se conçoit que par contraste avec une existence en soi et par

soi »485. Les garanties personnelles viennent ainsi s’ajouter à un contrat principal486,

et n’existent que par lui. Elles ne peuvent subsister par elles-mêmes.

L’accessoire de la créance se définit également par sa destination : il est au

service de l’obligation principale, il lui est « inféodé »487. Sa mise en œuvre a en

effet pour fonction de favoriser l’exécution de cette obligation. Cette fonction

présente même un caractère exclusif488. Si tous les garants ne s’engagent pas

nécessairement en vue de l’exécution du contrat principal489, en revanche, tous les

contrats de garantie personnelle ont bien une fonction de paiement, et le droit de

créance contre le garant est bien exclusivement au service de la créance principale.

Ce droit d’agir du créancier a pour vocation d’éteindre celle-ci, et non de faire naître

une créance excédant la dette principale. Comme les garanties personnelles sont des

accessoires de la créance principale, elles ne peuvent donc avoir pour fonction

l’enrichissement du créancier490.

Au rang des éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance,

certains auteurs ajoutent la transmission de l’accessoire avec la créance qu’il

garantit, en retenant que « le régime simple et incontesté de l’accessoire donne à la

notion une logique propre qui dicte les principes directeurs de la qualification »491.

La nature d’un mécanisme devant inspirer son régime, et non l’inverse, il paraît

préférable de considérer la transmissibilité de l’accessoire comme un élément de son

régime492, plutôt que comme un élément de sa définition.

484En ce sens, cf. Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

V° Accessoire, p. 9 : « qui est lié à un élément principal, mais distinct et placé sous la

dépendance de celui-ci, soit qu’il le complète, soit qu’il n’existe que par lui » ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503 485 D. GRIMAUD, th. préc., n°3 à 7, n°316 486 Sur l’adjonction comme élément constitutif de la notion d’accessoire de la créance, cf. P.

CROCQ, L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch.

Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°6 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés

personnelles, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s.

Sur l’adjonction de l’obligation de garantir à l’obligation principale, cf. supra n°267-269 487 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503. Sur cette caractéristique, cf. Ph. BRIAND, th.

préc., n°292 ; G. GOUBEAUX, th. préc., n°20 ; L. AYNES, Les garanties du financement,

Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s, n°3 ; M. CABRILLAC, art. préc., n°21 ; P.

CROCQ, ibid., n°6 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°330, 331 ; Ph. SIMLER et

Ph. DELEBECQUE, n°258 488 En ce sens, cf. P. CROCQ, th. préc., n°277 ; M. CABRILLAC, ibid., n°20, 27, 28 ; J.

MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°326 489 Sur la diversité des causes de l’obligation de couverture, cf. infra n°292-297 490 En ce sens, cf. P. CROCQ, th. préc., n° 270 491 M. CABRILLAC, art. préc., n°9, 10, 34 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°503 492 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°346

Page 145: L'efficacité des garanties personnelles

275. Premiers éléments de définition du caractère accessoire essentiel. En

se fondant sur la notion d’accessoire de la créance, il est donc possible de considérer

que le caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble des garanties

personnelles, se reconnaît, d’une part, à l’absence d’existence autonome de ces

mécanismes et, d’autre part, au fait que le droit de créance contre le garant est

exclusivement au service de l’extinction de la créance principale. Ce second élément

constitutif donne forme à la fonction de paiement des garanties personnelles.

En s’intéressant à la cause de l’obligation de règlement du garant, il est possible

de compléter cette définition du caractère accessoire essentiel et de mettre en avant

une nouvelle caractéristique technique propre aux garanties personnelles.

2. La définition du caractère accessoire essentiel

au regard de la cause de l’obligation de règlement du garant

276. Le rôle de la cause dans l’explication du caractère accessoire. Il est

fréquemment fait appel à la théorie de la cause pour expliquer le caractère accessoire

du cautionnement493. La dépendance unilatérale de cette garantie vis-à-vis du contrat

principal reposerait ainsi sur une identité partielle de cause : la « causa proxima »

(cause immédiate) du contrat principal constituerait la « causa remota » (cause

médiate) du contrat de cautionnement.

Si le caractère accessoire renforcé nous semble plutôt fondé sur un emprunt

d’objet que sur un emprunt de cause494, il n’est pas question de nier que la cause

puisse jouer un rôle dans l’explication du caractère accessoire. Bien au contraire, le

caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble des garanties personnelles,

nous semble pouvoir être défini en s’appuyant sur la théorie de la cause.

277. Caractère objectif de la cause de l’obligation de règlement. Dans la

mesure où l’étude porte, pour le moment, sur les caractéristiques communes à

l’ensemble des garanties personnelles, il convient de s’attacher, non pas à la cause

subjective du contrat de garantie, mais à la cause objective de l’obligation de

garantir. Plus précisément, c’est la cause de l’obligation de règlement du garant qui

est la même d’une garantie personnelle à une autre.

278. Cause efficiente et cause finale de l’obligation de règlement. A l’égard

de toutes les garanties personnelles, la réponse à la question « pourquoi le garant

paie-t-il le créancier ? » est la même. La cause efficiente de l’obligation de

règlement réside toujours dans la survenance du risque couvert.

La réponse à la question « pour quoi le garant paie-t-il le créancier ? » est

également constante, puisque la cause finale de l’obligation de règlement consiste

toujours en l’extinction de l’obligation principale495. Cette extinction n’est pas

493 Cf. notamment Ph. BRIAND, th. préc., n°293 ; J. FRANCOIS, Les opérations

triangulaires attributives (stipulation pour autrui et délégation de créance), th. dactyl. Paris

II, 1994 ; D. GRIMAUD, th. préc. ; B. TEYSSIE, Les groupes de contrat, LGDJ, 1975 494 Cf. infra n°304 495 En ce sens, en matière de solidarité, cf. M. MIGNOT, th. préc., n°115 : « la cause

objective des obligations de garantie ne doit pas être recherchée dans la contreprestation

fournie par le créancier mais dans les obligations conjointes des débiteurs ». Sur la solidarité

de l’article 1216 du Code civil, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°151 à 155 (caractère

Page 146: L'efficacité des garanties personnelles

nécessairement le but poursuivi au stade de la couverture, mais elle est toujours

visée au stade du paiement496. C’est parce que la cause finale de l’obligation de

règlement réside dans cette extinction que la réalisation des garanties personnelles

peut conduire au recouvrement de la créance principale.

279. Définition du caractère accessoire essentiel, commun à l’ensemble

des garanties personnelles. Même lorsque la loi ou les parties écartent la

subordination de la garantie personnelle au contrat principal497, il existe donc

toujours un lien entre les deux498, que nous avons qualifié de caractère accessoire

essentiel, et qui se reconnaît au fait, d’une part, que la garantie est l’accessoire de la

créance principale et au fait, d’autre part, que la cause de l’obligation de règlement

du garant réside dans l’extinction de l’obligation principale. Aucune garantie

personnelle n’est ainsi parfaitement indépendante du contrat de base.

280. Conclusion de la Section 1. Le caractère accessoire essentiel et

l’obligation de garantir, dans ses deux composantes, l’obligation de couverture et

l’obligation de règlement, sont les moyens utilisés pour que la constitution et la mise

en œuvre des garanties personnelles puissent respectivement, étendre le droit de

gage général du créancier, avant même la défaillance du débiteur principal, et

indifférent de la cause apparente de l’engagement, c'est-à-dire la cause propre au type de

contrat dans lequel il s’intègre) ; n°156 à 164 (caractère déterminant de la cause réelle de

l’engagement, qui est la même que celle du cautionnement et que celle de toute sûreté

personnelle en général, et qui réside dans la considération de la contrepartie fournie par le

créancier au débiteur).

Sans préciser que c’est de la cause de l’obligation de règlement qu’il s’agit, de nombreux

auteurs reconnaissent que la cause des garanties indépendantes réside dans le contrat de base.

Au sujet de la garantie autonome, cf. P. ANCEL, th. préc., n°181, 182 ; Ph. BRIAND, th.

préc., n°287 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD

com. 1980, p. 11 ; F. MOLENAAR, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport

général, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 222 ; S.

PIEDELIEVRE, Remarques sur les règles uniformes de la Chambre de commerce

internationale relatives aux garanties sur demande, RTD com. 1993, p. 615 et s., spéc. p. 617

et 618 ; J.-L. RIVES-LANGE, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport

français, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 305 et 310 ; D.

LEGEAIS, n°309 ; Ph. SIMLER, n°882, 939 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°219.

Au sujet du constitut, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°301 ; F. JACOB, th. préc., n°295 à 299 496 D. GRIMAUD (ibid., n°442 à 447) a soutenu que « la cause finale, au stade du règlement,

réside dans le recours en contribution contre le débiteur ». Pour qu’il en aille ainsi, encore

faut-il que la dette principale soit éteinte par le garant. Ainsi, l’extinction de l’obligation

principale est bien le but nécessairement poursuivi au stade du paiement, et le recours en

contribution n’est qu’une cause finale éventuelle et subséquente. 497 La loi écarte en partie le caractère accessoire renforcé du cautionnement cambiaire en

retenant que l’engagement de l’avaliste « est valable, alors même que l’obligation qu’il a

garantie serait nulle pour toute cause autre qu’un vice de forme » (article L. 511-21 alinéa 8

du Code de commerce). S’agissant des parties, elles peuvent évincer la subordination de la

garantie personnelle à l’obligation principale en conférant à la première un objet indépendant

de celui de la seconde (cf. infra n°304, 305). 498 A défaut, il n’y aurait pas une garantie personnelle, mais une promesse de payer pure et

simple. En ce sens, cf. A. PRÜM, th. préc., n°23 ; H. CHANTELOUP et V. HEUZE,

Financement et garantie, in Pratique des contrats internationaux, 1997, n°137

Page 147: L'efficacité des garanties personnelles

éteindre la dette principale en plaçant le créancier dans une situation avantageuse par

rapport aux autres créanciers du débiteur.

L’efficacité in abstracto des garanties personnelles exige que le contenu du

droit qui leur est applicable reflète ces caractéristiques techniques, qui leur sont

propres, mais aussi les caractéristiques qu’elles partagent avec d’autres mécanismes

de garantie, à savoir les effets qu’elles produisent sur la situation du créancier (la

garantie du paiement) et sur celle du débiteur (la garantie du crédit).

L’efficacité subjective, quant à elle, est subordonnée à l’assimilation des

caractéristiques variables d’une garantie personnelle à une autre.

SECTION 2 : LES CARACTÉRISTIQUES

DISTINCTIVES DES GARANTIES PERSONNELLES

281. Les distinctions opérées par le droit conditionnent l’efficacité

subjective. L’efficacité in concreto des garanties personnelles dépend de la

pertinence des distinctions opérées par le droit. Les distinctions doivent, tout

d’abord, être justifiées. Au contraire, si leur raison d’être n’est pas manifeste,

l’inefficacité est à craindre, puisque l’intelligibilité même de la règle se trouve

entravée, sa parfaite exécution est compromise, et le risque de contentieux portant

sur son interprétation est aggravé. Les distinctions légales et jurisprudentielles

doivent, en outre, être calquées sur les spécificités existant en pratique. Les règles

trop générales ou, à l’inverse, trop ciblées, peuvent compromettre l’efficacité des

garanties personnelles en concrétisant, soit des défauts formels du droit,

incompatibles avec l’exigence de sécurité juridique, soit des excroissances de

l’impératif d’éthique contractuelle, incompatibles avec l’objectif d’efficacité. Par

conséquent, pour que les attentes subjectives des créanciers se réalisent, la loi et la

jurisprudence doivent reconnaître les spécificités imprimées aux garanties

personnelles par les parties et en déduire des règles appropriées.

282. L’utilité de la mise au jour des caractéristiques distinctives des

garanties personnelles. En vue de préparer l’évaluation de l’efficacité du droit

positif au regard de l’assimilation des caractéristiques distinctives499 et de proposer

des règles nouvelles découlant de la prise en compte de ces caractéristiques500, il

convient de synthétiser la multitude des spécificités que contient la pratique et de

mettre en avant les caractéristiques distinctives susceptibles d’influer sur le régime

des garanties501. Dans cette optique, des précisions doivent être apportées sur les

499 Cf. infra 2ème partie 500 Cf. infra n°875-995 501 Certaines distinctions présentent, certes, des vertus pédagogiques, mais sont insusceptibles

de fonder des règles précises. Tel est le cas, par exemple, de « la distinction entre le

cautionnement et les mécanismes constituant dorénavant des alternatives possibles à cette

garantie » (D. LEGEAIS, n°31 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD,

n°53-1 et s.), et de la distinction entre les « techniques ponctuelles de garantie » (en raison de

leur particularisme, elles ne peuvent donner satisfaction que dans un domaine limité) et les

« techniques universelles » (elles sont aptes à s’appliquer à toutes les situations) (Ch.

MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de

Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s., n°6).

Page 148: L'efficacité des garanties personnelles

particularités des contrats de garantie personnelle502 relatives, d’une part, aux parties

(§1) et, d’autre part, à l’obligation de garantir (§2).

§1 : LES SPECIFICITES RELATIVES AUX PARTIES

283. Les différences entre les garanties personnelles se manifestent, tout

d’abord, au regard des parties au contrat. La diversité des garanties personnelles

apparaît en examinant séparément le garant et le créancier (A), et en s’attachant aux

relations qu’ils entretiennent (B).

A/ LES PARTIES ENVISAGEES SEPAREMENT

284. Les particularités essentielles des garants. Au sein des garants,

envisagés isolément, c'est-à-dire abstraction faite de leurs relations avec le créancier

et avec le débiteur principal, les disparités sont nombreuses.

Une distinction essentielle existe, tout d’abord, entre les garants personnes

physiques et les garants personnes morales. Parmi ces dernières, un clivage peut être

en plus opéré entre celles de droit privé et celles de droit public, et des différences se

font également jour au regard de la forme sociale.

Les particularités pouvant exercer une influence sur le régime des garanties

personnelles concernent, ensuite, la surface financière du garant, tant au jour de la

conclusion du contrat de garantie, qu’à celui de son éventuel appel. Le risque de

surendettement varie, ainsi, d’un garant personne physique à un autre503.

Sont encore variables les connaissances du garant en matière de crédit et de

garantie504, ainsi que l’attention dont il peut faire montre lors de la conclusion du

contrat505.

Enfin, c’est leur bonne foi à l’égard du bénéficiaire, tout au long de la vie de la

garantie, qui est susceptible de degrés.

285. Les particularités essentielles des créanciers bénéficiaires. La

catégorie des créanciers est non moins disparate.

502 Nous ne présenterons que les spécificités affectant le contrat de garantie personnelle lui-

même, et non celles se rapportant à l’opération de garantie, envisagée dans son ensemble. Ces

dernières différences concernent notamment la nature et l’étendue de l’obligation principale,

la qualité du débiteur principal, les relations qu’entretient celui-ci avec le créancier, les

éventuelles autres garanties couvrant la même dette. 503 Il convient de remarquer que le risque de surendettement ne pèse pas uniquement sur les

garants personnes physiques. Comme l’a souligné L. AYNES (La réforme du cautionnement

par la loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 29, note 5), « la frontière qui sépare

une personne morale d’une personne physique est parfois, en fait, illusoire. Certaines

sociétés de personnes abritent les intérêts d’une seule personne physique, qui seule décide.

En outre, les associés tenus indéfiniment des dettes sociales sont exposés à un risque

d’endettement personnel comparable à celui d’une personne physique ». 504 L’insuffisance des connaissances dans la matière du contrat à conclure caractérise la

« faiblesse inhérente » du contractant et empêche celui-ci de se former un jugement éclairé

sur la portée de son engagement (M. FONTAINE, Rapport de synthèse, in La protection de la

partie faible dans les rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 615 et s., n°2). 505 « La légèreté (incurie, insouciance, paresse) avec laquelle certaines personnes s’engagent

dans un contrat » est une forme de « faiblesse inhérente » (M. FONTAINE, ibid., n°2).

Page 149: L'efficacité des garanties personnelles

Elle regroupe, en effet, des personnes physiques et des personnes morales ; des

créanciers dont l’activité professionnelle a pour objet l’octroi de crédit, des

créanciers qui allouent du crédit à l’occasion de leur activité professionnelle, et des

créanciers qui agissent en dehors d’un cadre professionnel.

Des différences tiennent également aux connaissances dont dispose le

créancier, non seulement en matière juridique et économique, mais aussi sur le

débiteur principal.

Des distinctions peuvent encore être opérées, selon que le créancier prend ou

non plusieurs garanties pour une même dette, ou selon qu’il respecte ou non le droit

en vigueur.

Enfin, l’attitude du créancier vis-à-vis du garant, à tous les stades de la vie du

contrat, est éminemment variable.

286. Pour prendre la mesure de la diversité des garanties personnelles, il

convient d’ajouter, à l’ensemble des spécificités relatives aux parties envisagées

séparément, les différences tenant aux relations qu’entretiennent le garant et le

créancier.

B/ LES RELATIONS ENTRE LES PARTIES

287. Le pouvoir des parties. Le déséquilibre entre les droits et obligations

des parties, qu’impose le caractère unilatéral des garanties personnelles, ne

s’accompagne pas nécessairement d’un déséquilibre entre les parties elles-mêmes.

Le niveau d’équilibre dans leurs relations varie d’une garantie personnelle à une

autre, en fonction de la nature et de l’étendue du pouvoir dont dispose chacun des

contractants.

« La faculté d’imposer sa volonté à autrui »506 peut être de nature juridique

lorsqu’elle est imposée par le droit507 ou par le contrat508. Le pouvoir peut être

également d’ordre « factuel »509, « économique »510. Il a alors pour origine le savoir

506 P. LOKIEC, Contrat et pouvoir, Essai sur les transformations du droit privé des rapports

contractuels, LGDJ, 2004, préf. A. LYON-CAEN, n°16 507 Le pouvoir juridique constitue « une prérogative juridique, déléguée par l’Etat » (P.

LOKIEC, ibid., n°17) et l’acte juridique unilatéral en est l’expression. Un tel pouvoir se

rencontre notamment entre les mains des conseils d’administration, des assemblées

d’actionnaires, des chefs d’entreprise ou encore des parents. 508 Le pouvoir juridique « apparaît lorsqu’il est de l’essence du contrat que de conférer à l’un

des contractants, voire à un groupe de contractants, le pouvoir d’imposer une volonté

unilatérale. (…) Il arrive également que le fonctionnement du contrat ne nécessite pas un tel

pouvoir mais qu’une clause du contrat investisse l’une des parties du pouvoir exorbitant

d’imposer une volonté unilatérale à son partenaire » (V. LASBORDES, Les contrats

déséquilibrés, PUAM, 2000, préf. C. SAINT-ALARY HOUIN, n°209). Ces « clauses de

pouvoir » se rencontrent essentiellement dans les contrats de distribution commerciale, de prêt

d’argent, de société et de travail. 509 P. LOKIEC, th. préc., n°18 510 V. LASBORDES, th. préc., n°208

Page 150: L'efficacité des garanties personnelles

(connaissances et compétences), le marché, l’organisation, ou encore le désir ou le

besoin que constitue, pour le cocontractant, la conclusion du contrat511.

Si l’une seule des parties dispose d’un « pouvoir déséquilibrant »512, qu’il soit

juridique ou factuel, l’autre se trouve dans un état de « faiblesse relative »513, et

l’inégalité des parties est caractérisée514.

288. Les relations entre les parties à un contrat de garantie personnelle ne

sont pas nécessairement déséquilibrées. En matière de garanties personnelles, le

créancier ne devrait pas être systématiquement assimilé à la partie forte et le garant à

la partie faible. Il est en effet fréquent que le créancier et le garant disposent, soit du

même pouvoir l’un envers l’autre, soit de pouvoirs d’origine distincte, mais qui se

compensent. Tout au plus, une présomption de déséquilibre peut être retenue lorsque

sont en présence certaines catégories de créanciers et de garants. Mais, il convient

alors de circonscrire correctement ces catégories, car une présomption d’inégalité

des parties trop générale risque de conduire à une surprotection du garant,

incompatible avec l’objectif d’efficacité515.

289. Pour que le droit des garanties personnelles rende ces contrats efficaces,

il doit donc prendre en compte les spécificités des relations entre les parties, sans

procéder à des généralisations excessives. Il doit aussi adapter le régime de ces

garanties en fonction des particularités affectant le garant et le créancier, envisagés

séparément. L’efficacité est encore subordonnée à l’assimilation des caractéristiques

distinctives des garanties personnelles relatives à l’obligation de garantir.

§2 : LES SPECIFICITES

RELATIVES A L’OBLIGATION DE GARANTIR

290. Toutes les garanties personnelles donnent naissance à une obligation de

garantir, qui s’adjoint à l’obligation principale, et présente une structure duale516.

Des caractéristiques distinctives se rapportent à chacune des obligations formant

l’obligation de garantir. En effet, tous les garants ne s’engagent pas à couvrir le

511 Sur le « pouvoir-savoir », le « pouvoir de marché », et le « pouvoir organisationnel », cf.

P. LOKIEC, th. préc., n°36 à 51. Sur le pouvoir né du besoin du cocontractant, cf. V.

LASBORDES, ibid., n°208 512 V. LASBORDES, ibid., n°207 : « le pouvoir déséquilibrant est le pouvoir d’imposer une

volonté unilatérale à un partenaire qui n’est pas en mesure de discuter et qui risque, de ce

fait, d’être contraint d’accepter des conditions contractuelles désavantageuses ». 513 Selon M. FONTAINE (art. préc., n°2), il existe deux variétés de « faiblesse relative ». La

première résulte de la puissance économique du partenaire, de sa domination sur le marché,

qui lui permet de dicter les termes du contrat. La seconde provient de l’état de besoin qui rend

le contractant vulnérable. Ces deux causes de faiblesse peuvent aisément se cumuler. 514 O. LITTY (Inégalité des parties et durée du contrat. Etude de quatre contrats d’adhésion

usuels, LGDJ, 1999, préf. J. GHESTIN, n°4) distingue l’inégalité des connaissances, laquelle

est inhérente à l’une des parties, de l’inégalité des besoins, et de l’inégalité économique qui

« ressort de la domination sur le marché de l’un des partenaires, domination qui lui permet

d’imposer au plus faible les termes mêmes du contrat ». 515 Sur l’incompatibilité entre les protections directes du garant et l’objectif d’efficacité, cf.

supra n°164-167 516 Cf. supra n°261-270

Page 151: L'efficacité des garanties personnelles

risque de perte financière pour les mêmes raisons, ni dans le même but. La

« cause »517 de l’obligation de couverture est variable d’une garantie personnelle à

une autre (A). Par ailleurs, si tous les garants sont amenés, in fine, à payer le

créancier en cas de défaillance du débiteur principal, ils ne souscrivent pas

nécessairement, ab initio, une obligation monétaire, qui soit calquée sur celle dudit

débiteur. L’objet de l’obligation de règlement du garant constitue, ainsi, un autre

critère de distinction des garanties personnelles (B).

A/ LA « CAUSE » DE L’OBLIGATION DE COUVERTURE

291. Caractère subjectif de la « cause » de l’obligation de couverture. La

« cause » de l’obligation de règlement du garant est objective. Dans toutes les

garanties personnelles, elle réside dans l’extinction de l’obligation principale. La

« cause » de l’obligation de couverture est, au contraire, variable. Chaque garant

s’engage pour des motifs qui lui sont propres (« cause » efficiente), et en vue d’un

résultat particulier (« cause » finale)518.

292. Typologie des « causes » de l’obligation de couverture. Le caractère

subjectif de la « cause » de l’obligation de couverture n’interdit cependant pas

d’isoler les principaux faits générateurs de l’engagement du garant, ni les principaux

intérêts que peut rechercher celui-ci. Il suffit, pour cela, de ne pas sonder trop avant

le for intérieur du garant, et de se limiter aux raisons et aux buts les plus apparents,

notamment aux yeux du créancier, compte tenu essentiellement de la qualité du

garant et de sa position vis-à-vis du débiteur principal.

A partir des principales « causes » de l’obligation de couverture, des catégories

de garanties personnelles se font jour519. L’assimilation des caractéristiques

distinctives des garanties personnelles devrait se traduire par l’application à ces

catégories de règles spéciales520. Nous n’allons pas envisager dès à présent ces

règles, mais présenter, par contre, les cinq « causes » de l’obligation de couverture

qui nous paraissent recouvrir la plupart des situations individuelles.

517 Les guillemets sont de rigueur, dans la mesure où nous ne retenons pas la définition

classique de la cause, que la Cour de cassation a énoncée dans le célèbre arrêt « Lempereur »

en matière de cautionnement, et qui se situe dans les relations entre le créancier et le débiteur

(cf. infra, n°483). Dans les développpements à suivre relatifs à la « cause » de l’obligation de

couverture du garant, la « cause » s’entend des raisons (« cause » efficiente) et des buts

(« causes » finale) poursuivis par le garant, et sa particularité est de se situer essentiellement

dans les rapports entre ce dernier et le débiteur principal. 518 Si nous nous sommes attaché à la dimension objective de la cause efficiente et de la cause

finale dans le cadre de l’étude de la cause de l’obligation de règlement, et que nous nous

intéressons maintenant à leur dimension subjective, c’est parce que le dualisme de la cause

nous semble caractériser aussi bien la cause finale que la cause efficiente. 519 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111 :

« c’est la raison d’être de l’engagement, sa cause, et par conséquent le rôle joué par la

caution, qui justifient la distinction entre plusieurs catégories de cautionnements ». 520 Cf. infra n°890-970 les règles spéciales que nous proposons de fonder sur les principales

causes de l’obligation de couverture du garant

Page 152: L'efficacité des garanties personnelles

293. « Causes » de l’obligation de couverture des garants professionnels.

En premier lieu, le garant peut s’engager à couvrir l’aléa de non paiement parce que

tel est l’objet de son activité professionnelle (« cause » efficiente). Sont ainsi des

« garants professionnels » les établissements de crédit qui pratiquent le crédit par

signature, les sociétés de caution mutuelle ou encore les assureurs-crédit.

La « cause » finale de leur obligation de couverture réside dans la rémunération

qu’ils perçoivent, soit du débiteur521, soit du créancier522.

294. « Causes » de l’obligation de couverture des garants intégrés dans les

affaires du débiteur principal. En deuxième lieu, c’est l’intégration du garant dans

les affaires du débiteur principal qui peut constituer la « cause » efficiente de

l’obligation de couverture. Cette intégration repose, non seulement sur la

connaissance de la situation financière du débiteur principal, mais surtout sur le

pouvoir juridique de contrôle ou de direction qu’exerce le garant à l’encontre du

débiteur. Remplissent ces critères cumulatifs les dirigeants de l’entreprise débitrice,

ses associés majoritaires, ou encore une société-mère à l’égard de sa filiale.

Sans être des garants professionnels, les garants intégrés dans les affaires du

débiteur principal agissent dans un but professionnel. Ils entendent retirer un

avantage patrimonial de leur engagement, avantage découlant des bénéfices que

l’entreprise débitrice est susceptible d’engendrer grâce à l’octroi ou au maintien du

crédit garanti (« caus »e finale).

295. « Causes » de l’obligation de couverture des garants affectivement

proches du débiteur principal. En troisième lieu, le fait générateur du service

consenti par le garant peut résider dans les relations affectives qu’il entretient avec

le débiteur principal. Garant et garanti sont alors nécessairement des personnes

physiques. Le garant peut être le conjoint, le concubin, le pacsé, le parent, ou bien

l’ami du débiteur. Dans tous les cas, il dispose d’un pouvoir d’ordre psychologique à

l’encontre de ce dernier.

Les garants affectivement proches du débiteur s’engagent pour que celui-ci

obtienne l’avantage attaché à la conclusion ou au maintien du contrat de base.

La « cause » efficiente et la « cause » finale de l’obligation de couverture de

ces garants étant extérieures à leur activité professionnelle, il est permis de les

comparer à des consommateurs. Le consommateur est effectivement défini

521 Une rémunération est notamment versée par le débiteur principal aux cautions

professionnelles et aux banques qui souscrivent une garantie autonome. Dans ces hypothèses,

nombreux auteurs voient dans cette rémunération la cause de l’obligation du garant, sans

préciser, néanmoins, qu’il s’agit de la cause de l’obligation de couverture (Ph. MALAURIE et

L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111, 336 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

CHABAS, par Y. PICOD, n°53-9). Au contraire, Ph. SIMLER et

Ph. DELEBECQUE (n°66) retiennent que « l’existence ou non d’une rémunération est

indifférente au créancier. Ce motif personnel à la caution ne peut constituer la cause finale de

son engagement envers le créancier ». Cette opinion nous paraît surprenante dans la mesure

où rien n’impose que la cause finale présente un caractère objectif. 522 Tel est le cas en matière d’assurance-crédit. C’est alors la prime perçue par l’assureur qui

constitue la cause de son engagement. En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°22 à 30, 157 ; C.

GINESTET, art. préc., p. 81 ; J. FRANÇOIS, n°15

Page 153: L'efficacité des garanties personnelles

essentiellement au regard du but non professionnel qu’il poursuit523. Si un garant ne

peut pas être purement et simplement qualifié de consommateur, puisqu’il ne se

procure ni n’utilise aucun bien ou service524, et parce que « le rapport direct avec la

profession s’apprécie à l’égard du contrat principal de crédit »525 et non du contrat

de garantie lui-même, il n’en reste pas moins qu’un rapprochement demeure

possible entre les garants affectivement proches du débiteur et les consommateurs526.

296. « Causes » de l’obligation de couverture des garants dépendant

financièrement du débiteur principal. En quatrième lieu, la couverture du risque

financier encouru par le créancier peut s’expliquer par la dépendance patrimoniale

du garant à l’égard du débiteur principal. Cette « cause » efficiente peut s’ajouter à

l’une des deux précédentes ou exister de manière autonome. Tel est le cas des

garanties octroyées par un dirigeant de fait, un associé minoritaire, ou encore un

salarié de la société débitrice.

Comme les garants intégrés, ces garants dépendants financièrement du débiteur

s’engagent pour profiter des répercussions bénéfiques de l’accès au crédit de celui-ci

(« cause » finale).

297. « Causes » de l’obligation de couverture des garants tenus envers le

débiteur principal. En cinquième et dernier lieu, une personne peut se porter

garante parce qu’elle est elle-même débitrice du débiteur principal527. Le fait

523 Le but non professionnel est particulièrement souligné par la doctrine consumériste (cf.

notamment J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ, Droit de la consommation, Dalloz,

2000, 5e éd., n°7, 8, 10), et il apparaît dans tous les textes définissant la notion de

consommateur (cf. notamment l’article 13 de la Convention de Bruxelles du 27 septembre

1968, qui vise « un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité

professionnelle » ; l’article 2 de la directive du 5 avril 1993 sur les clauses abusives, selon

lequel le consommateur «agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité

professionnelle »). Lors du 100e Congrès des notaires de France, il a également été proposé de

définir le consommateur par l’absence de but professionnel : « est un consommateur toute

personne physique qui agit pour satisfaire des besoins exclusivement personnels et familiaux,

totalement étrangers à sa profession » (JCP 2004, éd. N., 1322). 524 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

V° Consommateur : « tout acquéreur non professionnel de biens de consommation destinés à

son usage personnel » ; D. FERRIER, La protection des consommateurs, Dalloz, coll.

Connaissances du Droit, 1996, p. 14 et 15 : « la personne physique ou morale qui obtient ou

utilise un bien ou un service en qualité de profane » ; J. CALAIS-AULOY et F.

STEINMETZ, ibid., n°7 : « personne physique ou morale qui se procure ou qui utilise un

bien ou un service pour un usage non professionnel » ; J. GHESTIN, La formation du contrat,

LGDJ, 1993, n°77 : « le consommateur est la personne qui, pour des besoins personnels, non

professionnels, devient partie à un contrat de fourniture de biens ou de services ». 525 M. DEFOSSEZ, La notion de consommateur, RD bancaire et financier 2003, n°4, p. 247 526 Sur le garant « consommateur » dans la proposition de directive communautaire

intéressant le « contrat de sûreté » et dans la réforme que nous suggérons pour perfectionner

l’efficacité du droit des garanties personnelles, cf. infra 764, 892-933 527 L’existence d’une dette du garant envers le créancier (hypothèse de la solidarité passive

traditionnelle) ne constitue pas, en revanche, un fait générateur de l’obligation de couverture

du garant. Pour qu’un débiteur principal souscrive un engagement solidaire, qui le rende pour

partie garant de ses codébiteurs, il est nécessaire que soit présente, comme à l’égard des tiers-

garants, l’une des cinq causes tenant à la qualité de professionnel ou aux relations entretenues

Page 154: L'efficacité des garanties personnelles

générateur de l’obligation de couverture est ici la dette du garant envers le débiteur,

et la « cause » finale réside dans l’extinction de cette dette.

Si de telles « causes » sont fréquentes dans certaines garanties personnelles,

comme la délégation imparfaite ou la stipulation pour autrui, elles peuvent se

rencontrer, en réalité, dans n’importe laquelle de ces garanties. La raison en est que,

l’ensemble des garanties personnelles ayant une fonction de paiement, elles peuvent

toutes être souscrites par un garant en vue d’une compensation entre sa dette vis-à-

vis du débiteur et la dette de celui-ci née du paiement opéré par le garant entre les

mains du créancier. Il paraît dès lors contestable de distinguer, sur le fondement de

l’existence ou de l’absence d’une dette du garant envers le débiteur, les mécanismes

remplissant occasionnellement une fonction de garantie de ceux ayant

exclusivement cette fonction, et de réserver la qualification de sûreté personnelle à

ces derniers528. Si l’existence ou non d’une dette du garant à l’égard du débiteur

principal doit être prise en compte pour déterminer le régime de la garantie529, elle

ne devrait jouer, en revanche, aucun rôle en matière de qualification.

La distinction entre les garanties personnelles « intéressées » et les garanties

personnelles « non intéressées »530 nous semble également discutable, comme étant,

cette fois, trop synthétique. En effet, l’exposé des cinq principales « causes » de

l’obligation de couverture a révélé que le garant trouve toujours dans son

engagement un intérêt personnel d’ordre moral et/ ou pécuniaire, qui s’explique, soit

par sa qualité de professionnel, soit par le lien qui l’unit au débiteur principal (une

dette, une dépendance patrimoniale, une relation affective, une intégration dans ses

affaires).

298. Si une synthèse des « causes » de l’obligation de couverture est utile pour

fonder des règles propres à certaines catégories de garanties personnelles, il convient

de ne pas trop simplifier les raisons et les buts qui président à l’engagement du

garant, pour ne pas risquer de gommer des spécificités dont l’assimilation est

avec les codébiteurs. Cf. M. MIGNOT, th. préc., n°525 : « la relation interne aux codébiteurs

n’intervient que sur le plan subjectif et constitue le motif déterminant du regroupement ». 528 Nombreux auteurs réservent la qualification de sûreté personnelle aux opérations dans

lesquelles le tiers n’a pas d’intérêt personnel au paiement. En ce sens, cf. P. CROCQ, th.

préc., n°278 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°5 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°3 à 7 ; L. AYNES,

Rapport français sur les sûretés personnelles, in Travaux de l’association H. Capitant, « Les

garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 375 et s., n°6 ;

Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de

Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s., n°1 : « les véritables sûretés personnelles offrent au

créancier un droit personnel contre un tiers non intéressé à la dette » ; n°6 : « les mécanismes

juridiques à finalité complexe ne peuvent être qualifiés de sûretés personnelles » ; n°19 :

« pour certains procédés, le surcroît de sécurité pour le créancier est l’utilité unique conférée

au créancier. Pour les autres, cette utilité est accessoire d’une autre utilité, généralement

l’exécution d’une obligation personnelle du garant » ; n°21 ; I. FADLALLAH, Rapport

général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant, « Les garanties de

financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 323 et s., n°1 ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°26 ; J. FRANÇOIS, n°1 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES,

par L. AYNES et P. CROCQ, n°5 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°8, 20 529 Cf. infra 3ème partie les règles que nous proposons de fonder sur l’absence de dette

préalable du garant envers le débiteur principal. 530 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°111

Page 155: L'efficacité des garanties personnelles

nécessaire à l’efficacité des garanties personnelles. La même remarque vaut à

l’égard des spécificités relatives à l’autre composante de l’obligation de garantir, qui

est l’obligation de règlement.

B/ L’OBJET DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT

299. A la question « qu’est-ce qui est dû par le garant ? », des réponses très

diverses sont susceptibles d’être apportées, car l’objet de l’obligation de règlement

du garant représente une caractéristique distinctive des garanties personnelles.

300. Nature de l’obligation de règlement. Il convient, tout d’abord, de

remarquer que les garants ne souscrivent pas nécessairement une obligation de payer

le créancier. Le paiement, auquel doit conduire la mise en œuvre d’une garantie

personnelle, peut également faire suite, soit à l’exécution d’une obligation de réparer

le préjudice subi par le créancier du fait de la défaillance du débiteur, soit à

l’exécution par équivalent d’une obligation de faire ou de ne pas faire531.

301. Catégorisation des garanties personnelles fondée sur le rapport

existant entre l’objet de l’obligation de règlement du garant et l’objet de

l’obligation principale. Ensuite, c’est le rapport existant entre l’objet de

l’obligation de règlement du garant et l’objet de l’obligation principale qui est

susceptible de varier d’une garantie personnelle à une autre. Une distinction

essentielle peut ainsi être opérée entre, d’une part, les garanties personnelles dans

lesquelles l’objet de l’obligation de règlement du garant et celui de l’obligation

principale ne font qu’un et, d’autre part, les garanties personnelles dans lesquelles

l’objet de l’obligation de règlement du garant est distinct de celui de l’obligation

principale.

302. Unicité d’obligations de règlement. Les mécanismes de la première

catégorie se caractérisent par une unicité d’obligations. Comme l’obligation de

couverture ne pèse que sur le garant, et non sur le débiteur principal, et comme le

droit de poursuite du créancier contre le garant (obligatio, Haftung) est distinct de

celui existant contre le débiteur principal, l’unicité ne concerne, en réalité, que

l’obligation de règlement, appelée debitum ou Schuld dans l’analyse dualiste de

l’obligation532.

531 D. GRIMAUD (th. préc., n°477) a opéré une classification quadripartite des sûretés

personnelles, selon le but qui les caractérise : garantie d’exécution ou de paiement

(cautionnement) ; garantie indemnitaire ; garantie de la consignation ou de la constitution

d’une sûreté réelle ; garantie contre l’insolvabilité du débiteur (certaines lettres d’intention). Il

nous semble que cette analyse procède d’une confusion entre la cause et l’objet de

l’obligation de règlement du garant. Le paiement, l’indemnisation, l’accomplissement d’une

obligation, et l’abstention sont les différents objets que peut revêtir l’obligation de règlement

et non les buts que peuvent poursuivre les différentes sûretés personnelles. 532 C’est pour éviter que l’idée d’unicité d’objets soit totalement rejetée, en raison de l’objet

propre de l’obligation de couverture (en faveur d’un tel rejet, cf. D. GRIMAUD, th. préc.,

n°428 à 436), qu’il est nécessaire de circonscrire le champ de cette unicité à la seule

obligation de règlement.

Page 156: L'efficacité des garanties personnelles

Cette unicité signifie que le garant accède à l’obligation du débiteur principal, il

est tenu de la dette même de ce dernier, et non seulement d’une dette identique.

L’obligation de règlement du garant est dépourvue d’objet propre. Elle emprunte son

objet à l’obligation principale533.

La conséquence essentielle de cet emprunt de Schuld est la dépendance de la

garantie personnelle envers le contrat principal. C’est en effet parce qu’il n’y a

qu’une seule obligation de règlement que la validité et l’étendue de l’obligation

principale déterminent la validité et l’étendue de l’obligation du garant. La

subordination du régime de la garantie personnelle à celui du contrat de base, que

nous proposons de qualifier de caractère accessoire renforcé, s’explique donc par

l’unicité d’obligations de règlement534.

303. Les garanties personnelles présentant un caractère accessoire

renforcé. Présentent un tel caractère accessoire renforcé, le cautionnement535, la

533 Il n’y a pas emprunt de Schuld dès qu’un contrat de garantie fait référence au contrat

principal. L’extinction de celui-ci constituant la cause de l’obligation de règlement du garant

(cf. supra n°278), cette référence au contrat de base paraît inévitable dans toutes les garanties

personnelles et elle ne fait que traduire leur caractère accessoire essentiel. 534 Les auteurs qui reconnaissent l’existence des degrés dans le lien d’accessoire à principal

considèrent que le caractère accessoire au sens strict (nous le qualifions de renforcé pour

marquer la différence avec le caractère accessoire essentiel, que partagent toutes les garanties

personnelles) se reconnaît à la subordination du régime de la garantie à celui du contrat

auquel elle s’ajoute et est affectée. En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°44 ; M. OURY-

BRULE, th. préc., n°175, 176, 189 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés

personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001,

n°92, p. 68 ; BEUDANT et LEREBOURS-PIGEONNIERE, Cours de droit civil français, t.

IV par VOIRIN, Les biens, 2ème éd., 1938, n°111, note 3 ; M. CABRILLAC et

Ch. MOULY, n°59-1; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°27

En ce sens, au sujet du caractère accessoire du cautionnement, cf. P. ANCEL, th. préc., n°3 ;

D. GRIMAUD, ibid., n°37, 426 et 427 ; F. JACOB, th. préc., n°61 à 64 ; M. OURY-BRULE,

ibid., n°177 ; A. PRÜM, th. préc., n°177 ; C. GINESTET, art. préc., p. 205 ; Ph. MALAURIE

et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°121 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°27 ; Ph. THERY, n°48, 88

En faveur de l’explication de l’intensité du lien d’accessoire par l’unité de dettes, cf. Ph.

BRIAND, th. préc., n°279 ; M. OURY-BRULE, ibid., n°188 à 191 ; L. AYNES, Rapport

français sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant, « Les garanties de

financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 383 ; A. BRUYNEEL, art.

préc., p.16 ; J. GHESTIN, La qualification en droit français des garanties données par une

société mère au profit de sa filiale, Mélanges A. Rieg, Bruylant, 2000, p. 427 et s. ; C.

GINESTET, ibid., n°15, 17 ; D. LEGEAIS, n°124 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.

AYNES et P. CROCQ, n°100 535 Comme en atteste l’article 2011 du Code civil, la caution est tenue de la dette même du

débiteur principal (« Celui qui se rend caution d’une obligation, se soumet envers le créancier

à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même »).

Un auteur a récemment contesté cette analyse classique du cautionnement en affirmant que la

caution est tenue d’un « debitum nouveau et propre, mais « moulé » sur celui du débiteur »

(Ph. DUPICHOT, th. préc., n°270 à 273). Il entendait, par ce biais, démontrer l’absence

d’originalité véritable des garanties personnelles prétendument nouvelles (ibid., n°437 à 473).

Mais, en niant de la sorte l’unicité de dettes, cet auteur a surtout compromis l’analyse

cohérente du cautionnement. En effet, si l’objet de l’obligation de règlement de la caution est

seulement « moulé » sur celui de l’obligation principale, il n’est plus possible d’expliquer la

dépendance unilatérale de régime, imposée par les articles 2012 et 2036 du Code civil.

Page 157: L'efficacité des garanties personnelles

solidarité passive traditionnelle ou encore la solidarité de l’article 1216 du Code

civil536. Les codébiteurs solidaires sont en effet tenus ensemble d’une seule et même

dette537. Si l’obligation solidaire est multiple par les liens de droit qu’elle engendre,

elle n’a pas d’objet propre par rapport à l’obligation du codébiteur. L’unicité de

dettes se traduit, comme dans le cautionnement, par une subordination de

l’obligation du débiteur solidaire à l’égard de l’obligation de son codébiteur538.

304. Dualité d’obligations de règlement. Dans d’autres garanties

personnelles, l’obligation de règlement du garant emprunte certes sa cause à

l’obligation principale539, mais non son objet. Le paiement de la dette d’autrui ne

correspond pas alors à l’exécution de la dette même d’autrui, mais seulement à un

règlement destiné à être directement imputé sur la dette d’autrui. L’objet de

l’obligation de règlement du garant est nouveau par rapport à celui de l’obligation

principale. L’engagement du garant n’est pas ici un engagement de substitution.

La dualité de dettes a pour conséquence l’indépendance du régime de la

garantie par rapport à celui du contrat principal. Si l’autonomie n’est pas absolue, en

raison du caractère accessoire essentiel des garanties personnelles540, elle n’en évite 536 Certains auteurs rejettent, au contraire, le caractère accessoire de l’engagement du

codébiteur solidaire (en ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°99 ; P. ANCEL, Qualification et

régime de l’engagement de codébiteur solidaire non intéressé à la dette prévu par l’article

1216 du Code civil, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 411 ; J.

MESTRE, La pluralité d’obligés accessoires, n°3 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS,

par Y. PICOD, n°53-20). D’autres manifestent une opinion encore plus éloignée de la nôtre

en se prononçant expressément en faveur du caractère indépendant de la solidarité (en ce sens,

cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°21 (pour la

solidarité traditionnelle) ; D. LEGEAIS, n°287 (pour la solidarité traditionnelle) ; Ph.

DUPICHOT, ibid., n°378 et M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°33 (pour la solidarité de

l’article 1216)). En faveur du statut intermédiaire de la solidarité de l’article 1216 du Code

civil, qui ne serait ni accessoire (en raison du caractère principal de l’engagement), ni

indépendante (en raison de l’unicité de dettes), cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°173 à 215.

En faveur du statut intermédiaire de la solidarité passive, cf. F. JACOB, ibid., n°100 à 103 537 Sur l’unicité de dettes dans la solidarité traditionnelle, cf. notamment F. JACOB, ibid.,

n°100 à 102 ; M. MIGNOT, th. préc. ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.

CROCQ, n°5 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-20 ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°249

Sur l’unicité de dettes dans la solidarité de l’article 1216 du Code civil, cf. F. JACOB, ibid.,

n°103, note 255 ; M. OURY-BRULE, ibid., n°62, 64 538 Cette dépendance se manifeste par l’opposabilité des exceptions inhérentes à la dette

(article 1208 alinéa 1er du Code civil). En matière de solidarité, l’existence d’une pluralité de

liens de droit est, en revanche, plus lourde de conséquences que dans le cadre du

cautionnement. En effet, selon l’article 1208 alinéa 2 du Code civil, toutes les exceptions

personnelles au codébiteur sont inopposables au créancier.

Le régime des exceptions dans la solidarité de l’article 1216 du Code civil est le même que

dans la solidarité classique. Sur ce régime, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°73 ; F. JACOB, ibid.,

n°103, note 255 ; M. OURY-BRULE, ibid., n°394 à 433 ; D. R. MARTIN, L’engagement du

codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 52 539 Cet emprunt de cause constitue l’expression du caractère accessoire essentiel des garanties

personnelles (cf. supra n°278). 540 Le caractère accessoire essentiel explique que, même dans les garanties personnelles

indépendantes, le contrat principal joue un rôle sur le régime de la garantie. Ainsi, l’extinction

de l’obligation principale étant la cause de l’obligation de règlement du garant, si l’obligation

Page 158: L'efficacité des garanties personnelles

pas moins nombre de contestations qu’emporte, au contraire, le caractère accessoire

renforcé.

La qualification de garantie personnelle indépendante peut donc être réservée

aux mécanismes dans lesquels l’objet de l’obligation de règlement du garant

présente un caractère propre. L’indépendance s’explique au regard de l’objet de

l’obligation de règlement du garant, et non à la lumière de la cause de cette

obligation541. Un engagement est indépendant dès qu’il est personnel au garant,

même s’il est similaire à celui du débiteur principal542.

305. Catégorisation des garanties personnelles indépendantes. La dualité

de Schuld peut s’exprimer de deux manières, à partir desquelles il est possible de

catégoriser les garanties personnelles indépendantes.

En premier lieu, dans l’hypothèse où le débiteur principal et le garant sont tous

les deux tenus d’une obligation de même nature, à savoir une obligation de payer

une somme d’argent, l’indépendance se manifeste, soit par la détermination ab initio

de l’étendue de la garantie, sans appréciation des modalités d’exécution du contrat

de base (tel est le cas en matière de garantie autonome543 et de délégation imparfaite

principale est illicite ou immorale, la garantie encourt elle-même la nullité absolue pour cause

illicite ou immorale. 541 Certains auteurs ont expliqué l’indépendance de la garantie autonome par la renonciation

au rôle de la cause objective, autrement dit par la licéité des dérogations à l’article 1131 du

Code civil, qui vise seulement à protéger l’intérêt purement privé de chaque contractant (cf.

notamment P. ANCEL, th. préc., n°176 ; F. JACOB, th. préc., n°91). Cette thèse, séduisante

de prime abord, nous paraît devoir être écartée pour deux raisons essentielles. D’une part, il

semble difficile d’évacuer si facilement la fonction traditionnelle de protection de la cause.

« A adopter un tel raisonnement, tout ou presque deviendrait d’intérêt privé, ce qui serait

pour le moins singulier dans un pays traditionnellement marqué par l’emprise croissante de

l’intérêt général et du rôle de l’Etat » (Ph. DUPICHOT, th. préc., n°331). D’autre part,

l’analyse de la garantie autonome en une confirmation tacite d’une nullité relative pour

absence de contrepartie est contraire à l’article 1338 du Code civil, puisque ce texte précise

que la renonciation n’est possible qu’après la conclusion du contrat et lorsque le droit d’agir

en nullité est né.

D’autres auteurs ont analysé les garanties autonomes comme des actes détachés de leur cause

(A. PRÜM, th. préc., n°118 ; A. RIEG, Le rôle de la volonté dans l’acte juridique en droit

français et allemand, LGDJ, 1961, n°277 ; F. DESSEMONTET, Sûretés, garanties et

abstraction, in Sûretés et garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997, p. 71 et s. ; Ch.

GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 10 ;

F. MOLENAAR, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport général, in

Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 222 et 223 ; J.-L. RIVES-LANGE,

Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport français, in Travaux de l’Association

H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 303 ; P. VAN OMMESLAGHE, Sûretés issues de la

pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984,

p. 356 et 357 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°426 et 427). Cette deuxième explication

de l’indépendance fondée sur le rôle de la cause ne nous paraît pas non plus convaincante.

Non seulement « dire que l’engagement est « coupé » de sa cause et que celle-ci se trouve

dans l’engagement lui-même n’explique rien » (Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.

AYNES et P. CROCQ, n°335, note 24), mais surtout il n’est pas certain qu’une obligation

puisse être détachée de sa cause (en ce sens, cf. Ph. THERY, n°111). 542 En ce sens, cf. I. FADLALLAH, art. préc., n°15 543 Ph. DUPICHOT (th. préc., n°339 à 348) analyse la spécificité de l’objet de l’obligation du

garant autonome d’une manière tout à fait originale. En effet, il considère la garantie

autonome comme une promesse de gage-espèces consentie en garantie de la dette d’autrui :

Page 159: L'efficacité des garanties personnelles

certaine), soit par l’emprunt du seul montant de la dette principale, pour déterminer

celui dû par le garant à la suite de la défaillance du débiteur principal (le constitut544

et la délégation imparfaite incertaine545 répondent à cette définition). Dans les deux

cas, il y a un détachement originaire de l’obligation de règlement du garant par

rapport à celle du débiteur principal546, détachement qui consiste à faire dépendre

l’existence et l’étendue de l’engagement du garant de la volonté des parties au

contrat de garantie et non de l’existence et de l’étendue du contrat principal.

En second lieu, la dualité d’obligations de règlement peut s’exprimer par la

différence de nature entre l’obligation du débiteur principal et celle du garant : là où

le premier supporte une obligation monétaire ou une obligation de faire ou de ne pas

faire, le second s’engage à indemniser le créancier. Les garanties indemnitaires ne

constituent pas, ainsi, une catégorie de garanties personnelles distincte de celle des

garanties personnelles indépendantes, mais manifestent, au contraire, la seconde

forme de dualité de Schuld, donc d’indépendance547. L’objet de l’obligation de

règlement du garant n’est pas, en effet, la dette même du débiteur principal. Le

garant souscrit un engagement nouveau, qui consiste à réparer le préjudice subi par

le créancier en raison de l’inexécution de ses obligations par le débiteur (tel est le

« l’autonomie de la garantie par rapport au contrat de base ne provient ici nullement d’une

obligation dite indépendante de consigner, créée de toutes pièces, mais de la réelle originalité

de l’objet de l’obligation dû par le garant (…). La garantie autonome a pour objet une option

de constitution d’un gage-espèces, soit un objet effectivement distinct de celui du contrat de

base ». Si cette analyse est tout à fait séduisante, d’un point de vue théorique, elle l’est

beaucoup moins, sur un plan pratique. En effet, elle rend incohérent le régime de la garantie

autonome élaboré jusqu’ici par la Cour de cassation. Par ailleurs, en rapprochant la garantie

autonome du gage, le risque d’inefficacité est sérieux, puisque le formalisme de l’article 2075

du Code civil devient applicable. 544 Sur l’absence de caractère accessoire du constitut, cf. F. JACOB, th. préc., n°66 à 70 : « le

constituant ne s’engage pas à la dette (principale), mais à une même dette ». Sur la

quantification de la dette du constituant par référence au montant de la dette principale, cf. F.

JACOB, ibid., n°274 à 280 545 La délégation imparfaite incertaine, dans laquelle le délégué s’engage pour ce que doit le

délégant au délégataire, n’est pas une garantie personnelle présentant un caractère accessoire

renforcé. En effet, « la délégation incertaine crée une obligation dont l’objet est simplement

identique à celui de l’obligation du délégant » (C. LACHIEZE, th. préc., n°264. Dans le

même sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°256). Contra, cf. Ph. DUPICHOT, th.

préc., n°361et 368 ; M. OURY-BRULE, th. préc., n°209 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°473-5 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°326 546 Sur ce détachement comme caractéristique de l’indépendance, cf. F. JACOB, th. préc.,

n°67 ; A. PRÜM, th. préc., n°178 ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au

cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°23 ; A. PRÜM, De l’autonomie des contre-garanties à

première demande, Mélanges AEDBF, 1997, p. 261 ; C. GINESTET, art. préc., n°9 ; H.

CHANTELOUP et V. HEUZE, art. préc., n°108 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°33

; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°100 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°200 et 212 547 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°381 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°211 et 212 ;

Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°100

En faveur, au contraire, d’une distinction tripartite entre les sûretés personnelles accessoires,

les sûretés personnelles indépendantes, et les sûretés personnelles indemnitaires, cf. Ph.

SIMLER, Peut-on substituer la promesse de porte fort à certaines lettres d’intention, comme

technique de garantie ?, RD bancaire et bourse 1997, n°64, p. 223 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°8

Page 160: L'efficacité des garanties personnelles

cas dans la promesse de porte fort548, le ducroire du commissionnaire549 et

l’assurance-crédit interne550) ou en raison, non seulement de cette défaillance du

débiteur, mais aussi de l’inexécution des obligations que le garant a lui-même

souscrites pour conforter la situation dudit débiteur (fonctionnent selon ce schéma

les lettres d’intention comportant un engagement juridique autre que celui de se

substituer au débiteur principal551).

548 En faveur du caractère indépendant de la promesse de porte fort, en raison de l’obligation

propre du promettant, et de la nature indemnitaire de la garantie, cf. P. ANCEL, th. préc.,

n°52 à 56 ; M. OURY-BRULE, th. préc., n°211 ; A. JONVILLE, Pratique de la promesse de

porte-fort, Droit et patrimoine 1998, n°57, p. 32 ; J.-F. SAGAUT, Variations autour d’une

sûreté personnelle sui generis : la promesse de porte fort de l’exécution, RDC 2004, p. 840 et

s. ; P. ANCEL, n°152 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 ; D. LEGEAIS, n°286 ; H., L.

et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-22 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°11 549 La nature de la convention de ducroire est débattue en doctrine. Certains auteurs ne

tranchent pas la question et qualifient le ducroire de contrat sui generis (J. HEMARD, Les

sûretés personnelles en Europe occidentale au XIXe et XXe s., Rapport général, in Les

sûretés personnelles, Recueils de la société Jean Bodin pour l’histoire comparative des

institutions, Tome XXX, 3ème partie, Editions de la librairie encyclopédique Bruxelles 1969

n°54 à 60 ; D. HENNEBELLE, La spécificité de la nature juridique du ducroire

d’intermédiaire, JCP 2000, éd. E., p. 1366 et s. ; I. MOREAU-MARGREVE, Les sûretés

personnelles en droit belge, in Les sûretés, Paris, FEDUCI, 1984, p. 239 et 240 ; B. de

SAINT-MARS, Marchés financiers et garantie de ducroire, Mélanges AEDBF, Banque

Editeur, 1999, p. 389). D’autres classent le ducroire parmi les sûretés accessoires, sans le

justifier (D. GRIMAUD, th. préc., n°204 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°32 et 374).

D’autres, enfin, auxquels nous nous joignions, relèvent l’existence d’une dette propre du

commissionnaire ducroire, pour en déduire le caractère indépendant de cette garantie et le lien

de parenté avec une autre garantie indemnitaire, la promesse de porte fort

(P. ANCEL, ibid., n°72 à 78 bis ; F. JACOB, th. préc., n°132 ; D. ARLIE, sous Cass. com., 22

octobre 1996, D. 1998, p. 511 ; A. BRUYNEEL, art. préc., p. 16 ; C. GINESTET, art. préc.,

n°9 ; D. LEGEAIS, n°286 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-23 ;

Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°40). 550 Si la majorité de la doctrine constate que l’objet de l’obligation de l’assureur-crédit n’est

pas l’exécution de l’obligation du débiteur, mais la réparation du préjudice résultant de la

défaillance éventuelle de ce dernier (en ce sens, cf. P. ANCEL, ibid., n°24 ; Ph. DUPICHOT,

th. préc., n°429, 432 ; A. BRUYNEEL, ibid., p. 16 ; I. FADLALLAH, art. préc., p. 323 ; L.

SIMONT, art. préc., p. 293 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,

n°124 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24 ; Ph. THERY, n°48), quelques auteurs

classent l’assurance-crédit interne parmi les sûretés accessoires (D. GRIMAUD, ibid., n°204 ;

M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°32). Cette dernière solution nous paraît critiquable dans

la mesure où elle repose sur l’opposabilité, par l’assureur, des exceptions nées du contrat

principal. Or, cette opposabilité ne découle pas de l’unicité de dettes, mais de la détermination

des risques couverts. 551 Le caractère indépendant ou accessoire des lettres d’intention est controversé. Beaucoup

d’auteurs s’appuient, comme nous le faisons, sur l’objet propre de l’obligation de l’émetteur

de la lettre, pour en déduire leur caractère indépendant (B. de GRANVILLIERS, th. préc.,

n°142 ; Ph. DUPICHOT, ibid., n°407 ; L. AYNES, art. préc., p. 380 ; A. BAC, La lettre

d'intention ou le dilemme liberté/ sécurité, Droit et patrimoine 1999, n°67, p.52 ; C. FERRY,

Les sûretés personnelles en droit international privé, Droit et patrimoine 1995, p. 44 ;

GRELLIERE, JCP 1992, éd. E., II, 345, p.216, n°1 ; J. MESTRE, Les lettres d’intention, une

zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 63 ; H. SYNVET, sous

Cass. com., 21 déc. 1987, Rev. sociétés 1988, p. 398 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

Page 161: L'efficacité des garanties personnelles

306. Le critère de distinction entre les garanties personnelles accessoires

et les garanties personnelles indépendantes : l’objet de l’obligation de

règlement. A partir de l’objet de l’obligation de règlement du garant, il est donc

possible de distinguer les garanties personnelles présentant un caractère accessoire

renforcé des garanties personnelles indépendantes. L’objet de l’obligation de

règlement du garant constitue, ce faisant, une caractéristique distinctive essentielle

en matière de garanties personnelles552. Cela est vrai pour une autre raison encore.

307. La détermination de l’objet de l’obligation de règlement. Des

différences entre les garanties personnelles se font jour relativement à la

détermination de l’objet de l’obligation de règlement du garant.

D’une part, c’est le mode de détermination qui est variable. Elle peut avoir lieu

par emprunt à l’obligation principale, par simple référence à celle-ci, ou encore sans

aucune appréciation des modalités d’exécution de l’obligation principale.

D’autre part, c’est le moment de la détermination qui n’est pas identique dans

toutes les garanties personnelles. Dans certaines, cette détermination doit avoir lieu

ab initio, sous peine de requalification. Tel est le cas en matière de garantie

autonome et de délégation imparfaite certaine. Dans d’autres contrats de garantie,

l’objet reste nécessairement indéterminé, mais déterminable, jusqu’à la défaillance

du débiteur principal. Le constitut et toutes les garanties indemnitaires en fournissent

l’illustration. Dans d’autres mécanismes encore, l’objet peut être, selon la volonté

des parties, soit déterminé dès la conclusion de la garantie, soit indéterminé jusqu’à

l’appel de celle-ci. Le cautionnement, la solidarité, ou la délégation imparfaite

incertaine présentent cette polyvalence.

308. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 2. Afin de respecter

l’exigence d’assimilation des caractéristiques des garanties personnelles, et donc

l’objectif d’efficacité de ces mécanismes, des règles spéciales doivent être édictées

en fonction de la nature de l’obligation de règlement du garant, en fonction du

CHABAS, par Y. PICOD, n°53-15 et s. ; Ph. SIMLER, n°900). D’autres classent les lettres

d’intention parmi les sûretés accessoires (X. BARRE, La lettre d'intention technique

contractuelle et pratique bancaire, Economica, 1995, préf. Ch. GAVALDA ; P. ANCEL,

Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des

entreprises, n°5, p. 5 à 7 ; J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et

garantie indépendante. La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des

entreprises 2-92, p. 26 et 30 ; Lamy droit du financement 2000, 6ème partie, Les garanties du

crédit, §2950 et s.). Cette dernière solution nous semble procéder d’une confusion entre le

caractère accessoire essentiel des garanties personnelles et le caractère accessoire renforcé du

cautionnement. 552 La doctrine dominante fonde la catégorisation des garanties personnelles sur le caractère

accessoire (en ce sens, cf. notamment D. GRIMAUD, th. préc., n°8 à 10, 190 ; L. AYNES,

ibid., p. 378 et s. ; I. FADLALLAH, art. préc., n°13 ; C. GINESTET, art. préc., n°15 ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°59-2 ; D. LEGEAIS, n°55 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

CHABAS, par Y. PICOD, n°15 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°8, 30). Comme le

caractère accessoire est ambivalent (caractère accessoire essentiel, d’une part, caractère

accessoire renforcé, d’autre part), et comme le caractère accessoire renforcé se définit au

regard de l’objet de l’obligation de règlement, nous préférons fonder la catégorisation des

garanties personnelles sur l’objet de cette obligation, plutôt que sur le caractère accessoire.

Page 162: L'efficacité des garanties personnelles

caractère accessoire renforcé ou indépendant de la garantie personnelle, mais aussi

en fonction du mode et du moment de détermination de l’objet de cette obligation de

règlement553. D’autres caractéristiques distinctives doivent également influer sur le

régime des garanties personnelles, pour que leur efficacité subjective soit favorisée.

Il s’agit de la « cause » de l’obligation de couverture, du niveau d’équilibre dans les

relations entre les parties, et des caractéristiques relatives au garant et au créancier,

envisagés séparément.

Ce sont, par ailleurs, les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties

personnelles qui doivent être intégrées dans les règles légales et jurisprudentielles

pour que l’attente objective des créanciers se réalise. Plus précisément, l’exigence

d’assimilation et l’objectif d’efficacité devraient conduire à appliquer aux seules

garanties personnelles, mais à l’ensemble de celles-ci, les règles fondées sur leurs

caractéristiques techniques propres (l’obligation de garantir et leur caractère

accessoire essentiel). En revanche, les règles se rapportant aux caractéristiques

qu’elles partagent avec d’autres mécanismes (les effets de la constitution ou de la

réalisation de la garantie sur la situation du créancier ou sur celle du débiteur)

devraient s’appliquer, selon le cas, soit à toutes les garanties de paiement, soit à

toutes les garanties de crédit.

309. Conclusion de la 1ère Partie. L’assimilation des caractéristiques des

garanties personnelles n’est que l’une des conditions de l’efficacité du droit

applicable à ces contrats. Pour que le contenu de ce droit soit en adéquation avec

l’objectif d’efficacité, il est en plus nécessaire que la loi et les décisions

jurisprudentielles présentent certaines qualités formelles, les unes améliorant la

rationalité des choix des créanciers, les autres confortant la réalisation de la finalité

assignée à la garantie personnelle conclue. Si ces conditions sont remplies, le droit

des garanties personnelles devrait faire apparaître leurs facteurs d’efficacité et donc

atteindre l’objectif d’efficacité, qu’il doit nécessairement poursuivre pour que les

effets produits par ces contrats soient identiques à leur fonction et à leur finalité. La

mise au jour des conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles

ayant permis d’élaborer une grille d’analyse de ces mécanismes et du droit qui leur

est applicable, il est désormais possible d’évaluer le droit positif au regard de ces

conditions, en vue de porter un jugement sur l’efficacité actuelle des garanties

personnelles.

553 Sur les règles spéciales que nous proposons de fonder sur l’objet de cette obligation, cf.

infra n°971-995

Page 163: L'efficacité des garanties personnelles
Page 164: L'efficacité des garanties personnelles

Deuxième partie

L’EFFICACITÉ DES GARANTIES

PERSONNELLES DE LEGE LATA :

UNE ÉVALUATION

310. L’évaluation du droit positif des garanties personnelles. Les effets

produits par les garanties personnelles sont-ils aujourd'hui en adéquation avec les

attentes objectives et subjectives que font naître ces contrats chez les créanciers.

Pour répondre à cette question, il convient d’apprécier l’efficacité des garanties

personnelles de lege lata, c'est-à-dire sous l’angle des solutions légales et

jurisprudentielles en vigueur. Le droit positif doit être évalué554 au regard des

conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles, précédemment mises

en lumière.

Il s’agit, ainsi, de s’interroger sur les objectifs actuellement poursuivis par

le législateur et par les juges. Ceux-ci s’impliquent-ils dans la construction de

l’efficacité des garanties personnelles et, le cas échéant, quel est leur degré

d’intervention dans l’apparition des facteurs d’efficacité objective et subjective ?

Comment sont articulés, dans le droit en vigueur, l’objectif de protection des intérêts

financiers des créanciers, d’une part, et ces principes directeurs du contrat, que sont

la justice et l’éthique, d’autre part ? Il s’agit également de vérifier si la loi et les

décisions jurisprudentielles présentent les qualités formelles nécessaires à la

réalisation des attentes des bénéficiaires. Il s’agit, enfin, de rechercher de quelle

manière sont appréhendées les caractéristiques communes et distinctives des

garanties personnelles. Sont-elles pleinement assimilées par le législateur et par les

juges ou ceux-ci, au contraire, n’en déduisent-ils qu’imparfaitement le régime de ces

contrats ?

Les textes555 et la jurisprudence556 relatifs aux garanties personnelles

doivent être étudiés en vue de répondre à ces différentes questions et, finalement, en

vue de porter un jugement sur l’efficacité actuelle des garanties personnelles.

554 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Evaluation,

p. 363 : « appréciation (qualitative) de l’application d’une loi ; spécialement, appréciation a

posteriori des choix et des résultats d’une loi dans la perspective d’un nouvel examen de

celle-ci ». 555 Seuls les textes adoptés avant la fin de l’année 2004 font l’objet de la présente étude. 556 Les arrêts de la Cour de cassation en matière de garanties personnelles sont extrêmement

nombreux et ils donnent souvent lieu à de multiples commentaires doctrinaux. Par

Page 165: L'efficacité des garanties personnelles

311. Utilités de l’évaluation. Ce travail de critique législative n’a pas

uniquement pour intérêt de fournir aux distributeurs de crédit et aux garants une

photographie, en quelque sorte, des solutions qui leur sont respectivement favorables

et défavorables.

L’évaluation de l’efficacité des garanties personnelles de lege lata est

également utile pour découvrir les qualités et les lacunes du droit existant. Elle

constitue ainsi le préalable nécessaire à la recherche de solutions nouvelles visant à

remédier aux défauts du droit positif. Dans le but de fournir l’image la plus

exhaustive possible de ce qu’il est raisonnable d’attendre des garanties personnelles

aujourd'hui et de préparer la reconstruction de cette matière, il importe donc de

présenter les raisons de leur efficacité (Titre 1), puis les raisons de leur inefficacité

(Titre 2).

conséquent, les arrêts publiés au Bulletin de la Cour de cassation ne seront assortis que de leur

référence audit Bulletin. Les références des analyses doctrinales seront, quant à elles,

présentées de la manière la plus complète possible dans l’Index des décisions judiciaires.

Page 166: L'efficacité des garanties personnelles

TITRE I

LES RAISONS DE L’EFFICACITÉ

312. Les degrés d’implication du droit dans la construction de l’efficacité

des garanties personnelles. Les effets produits par les garanties personnelles ne

peuvent satisfaire les attentes qu’elles engendrent chez leurs bénéficiaires que si le

législateur et les juges s’impliquent dans la construction de leur efficacité.

Cette intervention du droit dans l’apparition des facteurs d’efficacité des

garanties personnelles peut-être plus ou moins directe557. En effet, la loi et la

jurisprudence peuvent se contenter de fournir aux parties et, plus particulièrement,

aux créanciers, les matériaux pour construire l’efficacité, ou bien intervenir de

manière plus dynamique en privilégiant eux-mêmes la fonction de garantie des

contrats conclus.

313. L’efficacité subjective favorisée par le droit des garanties

personnelles. Pour que les garanties personnelles soient efficaces in concreto, il

suffit que l’intervention du droit ait lieu par le truchement de la volonté des parties.

L’efficacité subjective est ainsi favorisée par le législateur qui ne limite pas la

liberté des créanciers d’opérer des choix relatifs aux modalités de la protection de

leurs intérêts, choix qui aboutissent à l’adéquation entre leurs attentes subjectives

initiales et les attentes nées de la garantie personnelle effectivement conclue.

L’efficacité subjective est par ailleurs favorisée par les juges qui valident les

choix des créanciers et permettent, ce faisant, l’adéquation entre la finalité assignée

à la garantie constituée et les effets qu’elle produit.

Chaque fois que le droit positif autorise de la sorte cette double adéquation, il

favorise l’efficacité subjective des garanties personnelles (Chapitre 1).

314. L’efficacité objective organisée par le droit des garanties

personnelles. S’agissant de l’efficacité in abstracto, elle réside dans la protection

des intérêts financiers de l’ensemble des créanciers. C’est le droit qui l’organise en

provoquant l’apparition des facteurs d’efficacité qui ne peuvent procéder de la

volonté des parties et en prenant lui-même en charge la protection des créanciers,

par le biais de règles qui leur sont immédiatement favorables et de contraintes utiles

à l’efficacité. En ce qu’il instaure des règles augmentant de la sorte les chances de

557 Pour de plus amples développements sur les degrés d’implication du droit dans

l’apparition des facteurs d’efficacité des garanties personnelles, cf. supra n°98-108 ; 109-115

Page 167: L'efficacité des garanties personnelles

paiement des créanciers, et donc de réalisation de la fonction des garanties

personnelles, le droit positif organise leur efficacité objective (Chapitre 2).

Page 168: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE I

LE DROIT POSITIF

FAVORISE L’EFFICACITE SUBJECTIVE

315. La liberté des créanciers de protéger leurs intérêts. Chaque créancier,

avant la conclusion d’une garantie personnelle, se trouve dans une situation

spécifique. Le libre choix des modalités de protection est essentiel, puisqu’il permet

l’adaptation du contrat conclu aux particularités de cette situation. Il réduit donc les

risques de conclusion d’une garantie personnelle inutile ou, au contraire,

exorbitante, et donc inefficace.

Le droit des garanties personnelles peut favoriser la réalisation des attentes

subjectives des créanciers, non en prenant lui-même en charge la protection de leurs

intérêts, mais en leur laissant cette liberté dans l’aménagement de leur protection. En

effet, l’absence d’une réglementation spéciale impérative autorise les créanciers à

conclure une garantie personnelle qui réponde aux attentes que l’octroi de crédit au

débiteur a engendrées chez eux558. Si les silences de la loi et les dispositions légales

seulement supplétives peuvent ainsi faciliter l’adéquation entre les deux niveaux

d’attentes subjectives, ils ne garantissent pas la réalisation de ces attentes. C’est de

la jurisprudence que dépend cette seconde identité et, plus précisément, de la

reconnaissance par les juges de la liberté des créanciers d’organiser la protection de

leurs intérêts.

Pour faire ressortir l’efficacité du droit positif sur ces deux points, il convient,

d’une part, de détailler les manifestations de la liberté contractuelle au sein de la

seule garantie personnelle réglementée en tant que telle, le cautionnement, et,

d’autre part, de souligner la liberté laissée aux créanciers de protéger leurs intérêts

au moyen d’une garantie personnelle non spécialement réglementée. Seront ainsi

mises en lumière l’efficacité subjective du cautionnement (Section 1), puis

l’efficacité subjective des garanties personnelles innomées (Section 2).

558 L’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives est favorisée, non seulement par

la liberté laissée aux créanciers de protéger leurs intérêts, mais aussi par la rationalité de leurs

choix. Sur les facteurs améliorant cette rationalité et sur les facteurs permettant aux créanciers

de remporter les conflits de rationalités, cf. supra n°178-205

Page 169: L'efficacité des garanties personnelles

SECTION 1 : L’EFFICACITÉ SUBJECTIVE

DU CAUTIONNEMENT

316. La souplesse du droit du cautionnement. La réalisation des attentes

propres à chaque créancier bénéficiaire d’un cautionnement, autrement dit

l’efficacité subjective de cette sûreté, dépend de la liberté laissée aux créanciers

d’organiser la protection de leurs intérêts au moyen de cette garantie personnelle.

Cette liberté résulte du caractère supplétif de nombre de dispositions légales

régissant le cautionnement, et de la validation jurisprudentielle des clauses grâce

auxquelles les créanciers donnent au cautionnement un contenu conforme à leurs

attentes initiales. La souplesse du droit positif en matière de cautionnement est donc

la cause de l’efficacité in concreto de ce mécanisme, puisqu’elle permet l’adaptation

du contrat conclu aux attentes subjectives du créancier nées lors de l’octroi de crédit.

Cette souplesse se manifeste à l’égard du choix de la caution, dans la mesure

où, en principe559, le législateur n’impose, ni n’interdit, le recours à une caution

déterminée, et où les juges ne subordonnent pas non plus la validité du

cautionnement conclu à la qualité du garant. Cette première manifestation de la

liberté contractuelle ne sera pas approfondie, car elle n’est pas spécifique au

cautionnement560.

Des développements méritent, en revanche, d’être consacrés aux stipulations

contractuelles relatives à l’étendue de l’engagement de la caution, que les créanciers

vainqueurs du conflit de rationalités sont libres d’imposer à celle-ci561. Certaines 559 Ce principe de liberté connaît deux limites, dont le domaine est tellement circonscrit,

qu’elles ne remettent pas en cause l’efficacité subjective découlant du libre choix de la

caution. La première limite concerne les cautionnements légaux et judiciaires, que nous avons

exclus de notre étude. Dans ce cadre, le législateur déroge à la liberté de choix du

cocontractant en imposant fréquemment le recours à un garant professionnel (cf., par

exemple, l’article 1799-1 alinéa 3 du Code civil, l’article L. 124-8 du Code du travail, l’article

14 de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance). La seconde limite a trait aux

cautionnements conventionnels, et elle consiste dans l’interdiction faite à certaines personnes

morales de garantir des débiteurs principaux ou des dettes déterminés. Le législateur interdit,

ainsi, le cautionnement d’un dirigeant social par sa société (article L. 223-21 du Code de

commerce, pour les SARL ; articles L. 225-43 et L. 225-91 du Code de commerce, pour les

SA), pour protéger l’intérêt des tiers (surtout les créanciers sociaux), celui des associés

(principalement les minoritaires), mais aussi l’intérêt social lui-même. Il interdit également

aux collectivités locales de cautionner certains débiteurs et des dettes autres que des emprunts

(article L. 2251 et s. du Code général des collectivités territoriales.

Cf. A. CERLES et S. HOMONT, Les cautionnements donnés par les collectivités locales, in

Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°93, p. 48 et s. ; L.

RAPP, La collectivité locale, caution d’une personne privée, Aspects contemporains du

cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 33 et s.). 560 Sur le libre choix du garant dans le cadre des garanties personnelles innomées, cf. infra

n°373 561 Dans la mesure où nous étudions ici l’efficacité du cautionnement, nous ne présenterons

pas les clauses défavorables aux créanciers, que ceux-ci se voient contraints d’accepter

lorsqu’ils se trouvent en situation d’infériorité par rapport à la caution (sur les situations dans

lesquelles les créanciers sont susceptibles de perdre le conflit de rationalités, cf. supra n°87).

Signalons simplement qu’il peut s’agir d’une clause obligeant le bénéficiaire à engager des

poursuites contre la caution dans un délai plus court que celui imparti par la loi, ou d’une

clause prévoyant l’extinction de l’obligation de règlement de la caution lors de la survenance

Page 170: L'efficacité des garanties personnelles

clauses permettent au bénéficiaire d’être payé au moment où il le souhaite. Il s’agit

des clauses favorisant un paiement ponctuel (§1). D’autres autorisent le créancier à

recevoir de la caution une somme satisfaisant ses attentes. Il s’agit des clauses

favorisant un paiement intégral (§2).

§1 : LES CLAUSES

FAVORISANT LE PAIEMENT PONCTUEL DU CREANCIER

317. Le cautionnement conclu est efficace, in concreto, à la condition que le

créancier bénéficiaire puisse recevoir le paiement de la caution au moment où il le

souhaite. Cela suppose, d’une part, qu’il puisse librement fixer la durée de

l’engagement de la caution (A) et, d’autre part, qu’il puisse choisir à quelle date ledit

paiement aura lieu en cas de modification du terme suspensif du contrat principal

(B).

A/ LES CLAUSES FIXANT LA DUREE DU CAUTIONNEMENT

318. La durée de l’engagement de la caution peut être librement fixée lorsque

la garantie est passée par acte notarié ou lorsque, conclue sous seing privé, elle est

souscrite, soit par une caution personne morale, soit par une caution personne

physique au bénéfice d’un créancier non professionnel. Dans ces trois hypothèses de

liberté contractuelle562, les créanciers peuvent choisir, soit de calquer la durée de la

garantie sur celle du contrat principal, le cautionnement est alors indéfini (1), soit

d’assortir l’obligation de la caution d’un terme extinctif qui lui soit propre (2).

1. Le cautionnement indéfini

319. Notion de cautionnement indéfini. Si la jurisprudence est fluctuante sur

la notion de cautionnement indéfini et sur le régime de cet engagement régi par

l’article 2016 du Code civil563, un consensus doctrinal existe, en revanche, sur la

définition de ce cautionnement564. Le cautionnement indéfini, encore appelé illimité,

est celui qui ne comporte aucune restriction par rapport à l’obligation principale. Il

est calqué purement et simplement sur celle-ci. Le créancier qui entend bénéficier

d’une couverture intégrale de la dette principale devrait ainsi opter en faveur de ce

type de cautionnement. La seule référence à l’obligation garantie suffit pour que le

cautionnement épouse les limites de celle-ci.

du terme extinctif du cautionnement omnibus, ou encore d’une clause restreignant, voire

supprimant, la liberté du créancier d’octroyer des délais au débiteur principal. 562 Ces trois hypothèses se déduisent d’une lecture a contrario de l’article L. 341-2 du Code de

la consommation, issu de la dernière réforme du cautionnement en date du 1er août 2003 (Loi

n°2003-721, pour l’initiative économique, JO 5 août 2003, p. 13449). Sur cette nouvelle

disposition, cf. infra n°408, 411, 545, 549, 604, 614, 618 563 Sur les hésitations jurisprudentielles relatives à la notion de cautionnement indéfini, cf.

infra n°518. Sur le contentieux relatif aux accessoires de la dette principale dans le cadre de

l’article 2016 du Code civil, cf. infra n°446, 449, 566 564 Cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°151 ; J. FRANÇOIS, n°195 ; D. LEGEAIS,

n°142 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°242 et 244 ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°86 ; Ph. SIMLER, n°264 et 270 ; Ph. THERY, n°32

Page 171: L'efficacité des garanties personnelles

320. Cautionnement indéfini d’une obligation à terme. Si l’obligation

principale comporte un terme, même incertain, le cautionnement dure ce que dure

l’obligation principale, et c’est la survenance du terme extinctif de l’obligation

garantie qui y met fin. Le cautionnement à durée déterminée, par emprunt du terme

extinctif du contrat principal, met le créancier à l’abri d’une résiliation unilatérale de

la caution.

321. Cautionnement indéfini d’une obligation à durée indéterminée. Si la

dette garantie ne comporte pas de terme, le cautionnement indéfini est lui aussi à

durée indéterminée. Des aménagements conventionnels sont susceptibles de réduire

les effets néfastes de la résiliation unilatérale d’un tel cautionnement. Une clause

peut ainsi interdire la résiliation pendant une durée déterminée, ou ne la rendre

possible qu’à certaines époques, ou encore la subordonner au respect d’un délai de

préavis, utile au créancier pour trouver une nouvelle garantie ou, à défaut, pour

réduire ou supprimer les crédits au débiteur principal, tout en respectant le délai de

30 à 60 jours imposé par l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier565. Tous

ces aménagements sont valables car, en restreignant la faculté de résiliation sans la

supprimer, ils ne contreviennent pas à la prohibition des engagements perpétuels566.

2. Le cautionnement comportant un terme extinctif propre

322. Interprétation de l’article 2013 du Code civil. Le caractère accessoire

du cautionnement ne postule nullement que l’engagement de la caution épouse

rigoureusement les limites de l’obligation principale. L’étendue de cette obligation

ne constitue qu’un maximum ne pouvant être dépassé (article 2013 du Code civil).

Ce faisant, dès lors que l’on se situe dans le domaine du cautionnement

conventionnel, l’obligation de la caution peut être limitée dans le temps567.

323. Les attraits du cautionnement à durée déterminée. Pour différentes

raisons, le futur bénéficiaire d’un cautionnement peut souhaiter que celui-ci soit

assorti d’un terme extinctif certain (cautionnement pour telle durée ou jusqu’à telle

date) ou incertain (par exemple, cautionnement pour la durée d’une opération

déterminée ou pour la durée des fonctions exercées par la caution au sein de la

personne morale garantie).

Il peut ainsi vouloir empêcher une résiliation unilatérale, qui déjouerait ses

prévisions568.

565 La formule type de cautionnement résultant de la recommandation de l’AFB n°89-225 du

28 juillet 1989 prévoit ainsi un délai de préavis de 90 jours. 566 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°284 567 Cette liberté n’existe pas dans le cadre des cautionnements légaux et judiciaires, car le

débiteur est alors tenu de fournir une caution disposée à s’engager purement et simplement.

En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°312 568 Si la stipulation d’un terme est, en principe, exclusive de la faculté de résiliation

unilatérale (Cass. com., 23 février 1993 : Bull. civ. IV, n°69), la jurisprudence admet la

validité de la clause autorisant la caution à résilier le cautionnement à durée déterminée (Cass.

com., 7 juillet 1992 : D. 1992, IR, p. 217 ; JCP 1992, IV, n°2610 ; Cass. com., 28 février

1995 : JCP 1995, I, 3851, n°5, obs. SIMLER). Nous ne faisons que mentionner cette clause,

car elle ne protège pas les intérêts du créancier. Celui-ci n’y consent que s’il est en situation

d’infériorité par rapport à la caution.

Page 172: L'efficacité des garanties personnelles

Il peut également espérer qu’en mesurant pleinement l’ampleur du risque

qu’elle assume, la caution prendra des mesures afin de disposer des fonds suffisants

lors de l’échéance du terme extinctif de son engagement, et qu’elle sera moins

encline à contester ses obligations.

Si la stipulation d’un terme extinctif propre au cautionnement est avantageuse

pour la caution, en ce qu’elle limite l’étendue de son engagement569, elle concourt

donc également à rendre le cautionnement efficace. L’Association française des

banques a ainsi recommandé aux banques, à compter du 1er février 1983, de limiter,

sauf cas exceptionnels, la durée des cautionnements exigés des clients570.

324. Cautionnement à durée déterminée d’une dette déterminée. La

stipulation d’un terme extinctif est possible, tant dans le cautionnement d’une dette

déterminée, que dans le cautionnement d’un ensemble indéterminé de dettes.

Dans le premier cas, l’échéance de l’obligation de la caution peut être plus

rapprochée que celle prévue pour l’obligation principale. Cela ne contrevient pas à

l’article 2013 du Code civil, dès lors que le cautionnement garantit un contrat à

exécution successive et que la stipulation du terme signifie seulement que la caution

ne couvre que les échéances du contrat principal antérieures à la survenance du

terme571.

Lorsque l’échéance du cautionnement est postérieure à celle du contrat de base,

les juges considèrent le terme comme suspensif et non comme extinctif572, ou encore

comme le dernier jour du délai de prescription extinctive conventionnellement

abrégé, lorsque les parties utilisent des termes comme « validité » ou « fin »573.

325. Cautionnement omnibus à durée déterminée. Lorsqu’un terme

extinctif est stipulé dans un cautionnement omnibus, la jurisprudence décide que la

caution est tenue des engagements contractés par le débiteur pendant le délai fixé,

quelles que soient l’échéance de ces engagements et l’époque des poursuites

engagées contre elle, pourvu qu’il n’y ait pas prescription574. Conformément à

l’analyse dualiste de l’obligation de la caution dans le cautionnement de dettes

futures, développée par Mouly, c’est donc uniquement l’obligation de couverture qui

s’éteint avec la survenance du terme, et non l’obligation de règlement des dettes

nées antérieurement.

569 Les cautions professionnelles ne concluent ainsi que des cautionnements à durée

déterminée. Tout au plus, consentent-elles des cautionnements renouvelables par tacite

reconduction (cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°174 et 180). 570 Banque 1982, p. 702 571 En ce sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°92 ; Ph. SIMLER, n°321 572 Cass. 1ère civ., 9 mai 1996 : Bull. civ. I, n°192 573 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°186 ; Ph. SIMLER, n°321

Cass. 3e civ., 22 juin 1976 : Bull. civ. III, n°276 ; Cass. com., 26 avril 1977 : D. 1977, IR,

p. 345 ; Gaz. Pal. 1977, 2, Somm., p. 248 ; CA Versailles, 1er juillet 1993 : RJDA 10/1993,

n°823 574 Cass. com., 17 octobre 1977 : Bull. civ. IV, n°227 ; Cass. com., 5 juin 1978 : Gaz. Pal.

1978, 2, Somm., p. 374 ; Cass. 1ère civ., 11 juillet 1978 : Bull. civ. I, n°264 ; Cass. 3e civ., 20

juin 1979 : Rev. loyers 1980, p. 92, obs. J.D. ; Cass. 1ère civ., 4 juillet 1979 : Bull. civ. I,

n°201 ; Cass. com., 10 janvier 1984 : Bull. civ. IV, n°9 ; Cass. 1ère civ., 6 novembre 1985 :

Bull. civ. I, n°288 ; Cass. com., 16 juillet 1993 : Bull. civ. IV, n°244

Page 173: L'efficacité des garanties personnelles

326. La liberté, laissée par la loi et encouragée par les juges, de déterminer la

durée du cautionnement permet la réalisation des attentes subjectives des créanciers

concernant le moment du paiement. Le droit positif favorise également le paiement

ponctuel du créancier en autorisant les clauses relatives à une modification du terme

suspensif du contrat principal.

B/ LES CLAUSES RELATIVES A UNE MODIFICATION

DU TERME SUSPENSIF DU CONTRAT PRINCIPAL

327. En vertu de l’article 2013 du Code civil, le créancier ne peut poursuivre

la caution que si la dette du débiteur est exigible. Il doit donc attendre le terme

convenu avec celui-ci pour faire valoir son droit contre la caution. Comme le terme

suspensif initialement fixé dans le contrat principal peut être avancé ou retardé,

l’insertion, dans le cautionnement, de clauses relatives, tant à la déchéance (1), qu’a

la prorogation de ce terme (2), évite que de telles modifications ne compromettent la

réalisation des attentes subjectives des créanciers concernant la date du paiement.

1. La déchéance du terme du contrat principal

328. Les causes de déchéance du terme suspensif du contrat principal. La

déchéance du terme suspensif du contrat principal peut avoir différentes causes. Très

souvent, le contrat principal contient une clause prévoyant une déchéance

automatique du terme en cas d’inexécution par le débiteur de l’une de ses

obligations. Par ailleurs, l’article 1188 du Code civil permet au créancier de

demander cette déchéance en justice lorsque le débiteur diminue les sûretés. Enfin,

la loi impose la déchéance du terme en cas de liquidation judiciaire (article L. 622-

22 du Code de commerce) ou de plan de cession totale des biens du débiteur en

redressement judiciaire (article L. 621-94 du Code de commerce)575.

En présence de tels événements rendant la dette principale exigible par

anticipation, la question se pose de savoir si la caution peut invoquer le terme

originaire ou si elle est obligée de payer en même temps que le débiteur principal.

Autrement dit, la déchéance lui est-elle opposable ?

329. La solution jurisprudentielle de principe : l’inopposabilité à la

caution de la déchéance du terme. Sauf en matière d’aval, où l’article L. 511-38

du Code de commerce autorise la poursuite de l’avaliste avant l’échéance

initialement convenue, le législateur n’adopte aucune solution de principe. L’article

2013 du Code civil ne fournit, en effet, aucune réponse, car il ne concerne pas les

fluctuations postérieures aux prévisions initiales576.

Dans le silence de la loi, la jurisprudence admet depuis longtemps que la

caution puisse garder le bénéfice du terme originaire577. Le principe est donc celui

575 En revanche, depuis la loi du 25 janvier 1985, le jugement d’ouverture du redressement

judiciaire ne rend pas exigibles les créances non échues à la date de son prononcé (article L.

621-49 du Code de commerce). 576 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°119 577 Cass. req., 3 juillet 1890 : D.P. 1891, 1, p. 5 ; S. 1890, 1, p. 445 ; Cass. 1ère civ., 20

décembre 1976 : Bull. civ. I, n°415 ; Cass. com., 5 octobre 1983 : Bull. civ. IV, n°254 ; Cass.

1ère civ., 30 octobre 1984 : Bull. civ. I, n°290 ; Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV, n°79 ;

Page 174: L'efficacité des garanties personnelles

de l’inopposabilité à la caution de la déchéance du terme de l’obligation

principale578.

330. La validation jurisprudentielle des clauses rendant la déchéance

opposable à la caution. Or, le créancier peut souhaiter poursuivre la caution dès la

déchéance du terme du contrat principal, car celle-ci révèle, le plus souvent, la

défaillance du débiteur. En outre, le créancier peut attendre du cautionnement qu’il

soit, non seulement une garantie de paiement, mais aussi une garantie de ponctualité.

En conséquence, le créancier peut vouloir, dès la conclusion du cautionnement,

insérer une clause étendant à la caution une éventuelle déchéance du terme du

contrat principal.

Pour que cette attente subjective initiale relative à la ponctualité du paiement se

réalise, encore faut-il que la jurisprudence valide la clause prévoyant que la

déchéance du terme de l’obligation principale entraîne celle de l’obligation de la

caution, et donc qu’elle admette que la convention des parties écarte la solution

qu’elle retient habituellement.

C’est justement ce qu’elle fait, favorisant, par là même, l’efficacité subjective

du cautionnement conclu. Le motif de la validation est l’autonomie de la volonté.

L’inopposabilité de principe de la déchéance étant justifiée par le respect de la

volonté probable de la caution de bénéficier du terme originaire, les juges n’hésitent

pas à l’écarter en présence d’une clause exprimant clairement la volonté de la

caution d’être poursuivie immédiatement. Outre la fonction de garantie du

cautionnement et l’autonomie de la volonté, c’est le caractère accessoire du

cautionnement qui peut justifier l’opposabilité de la déchéance à la caution579. Non

seulement cette opposabilité ne contrevient pas au caractère accessoire, car elle ne

rend pas plus onéreuse l’obligation de la caution par rapport à celle du débiteur

principal, mais elle en est même l’expression, puisqu’elle entraîne

« l’homogénéisation des régimes de la dette et de sa garantie »580, qui symbolise le

caractère accessoire renforcé du cautionnement.

Cass. com., 8 mars 1994 : Bull. civ. IV, n°96 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV,

n°183 578 Pour justifier cette solution, les juges se fondent sur la volonté probable de la caution de

bénéficier du terme initial, sur le fait que le cautionnement est un contrat distinct du contrat

principal, ayant une force obligatoire propre, et sur le principe de l’effet relatif des contrats.

Ce sont donc les articles 1134, 2015 et 1165 du Code civil que les juges visent à l’appui de

leurs décisions (en ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°119 ; C. LACHIEZE, th. préc.,

n°366 ; J. FRANÇOIS, n°242 ; D. LEGEAIS, n°220 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°125 ; Ph. SIMLER, n°482 ; Ph. THERY, n°56). Outre ces fondements textuels, d’autres

arguments militent en faveur de l’inopposabilité à la caution de la déchéance du terme (cf. M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°209) : la perte de confiance dans le débiteur ne s’étend pas

nécessairement à la caution, qui peut demeurer en mesure de payer à l’échéance ; le maintien

du terme originaire ne bouleverse pas les prévisions économiques du créancier ; ce maintien

facilite le règlement de la caution. 579 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, ibid., n°119 ; C. LACHIEZE , ibid., n°364 ; Ch. MOULY,

th. préc., n°235 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°208 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°125 ; Ph. THERY, n°56 580 Ch. MOULY, ibid.

Page 175: L'efficacité des garanties personnelles

Pour toutes ces raisons, la jurisprudence reconnaît la validité des clauses par

lesquelles la caution renonce expressément à l’inopposabilité de la déchéance581, de

la clause prévoyant que « toutes clauses et conditions du contrat principal sont

opposables à la caution comme si ledit contrat avait été revêtu de sa propre

signature »582, et elle admet même une renonciation simplement tacite à

l’inopposabilité de la déchéance583. Par ailleurs, la jurisprudence valide la clause

d’extension à la caution de la déchéance encourue par le débiteur mis en liquidation

judiciaire ou dont les biens font l’objet d’un plan de cession globale584.

331. Quelle que soit la cause de la déchéance du terme du contrat principal,

les créanciers sont donc autorisés à poursuivre la caution en même temps que le

débiteur. Une telle liberté accroît les chances de réalisation des attentes subjectives

du créancier concernant la date du paiement, et favorise donc l’efficacité in concreto

du cautionnement conclu. En va-t-il de même à l’égard de l’autre type de

modification du terme suspensif du contrat principal, à savoir sa prorogation ?

2. La prorogation du terme du contrat principal

332. Les caractéristiques de la prorogation du terme. « La prorogation

consiste en un étirement conventionnel de la relation contractuelle »585.

Contrairement à une reconduction expresse ou tacite, la prorogation n’est pas

génératrice d’obligations nouvelles. Le même contrat continue, seule sa durée est

atteinte par la prorogation.

L’article 2039 du Code civil dispose que « la simple prorogation du terme,

accordée par le créancier au débiteur principal, ne décharge point la caution »586.

Le caractère supplétif de ce texte permet aux parties de l’écarter ou de l’aménager

581 Les contrats types des établissements de crédit contiennent souvent une clause stipulant

que « la caution sera tenue de s’exécuter dès que les obligations du cautionné à l’égard de la

banque deviendraient exigibles, fût-ce par anticipation pour quelle que cause que ce soit ». La

jurisprudence valide une telle clause. En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 30 octobre 1984 : Bull.

civ. I, n°290 ; Cass. 1ère civ., 18 février 2003 : RJDA 12/2003, n°1253 582 Cass. com., 11 juillet 1988 : Bull. civ. IV, n°236 583 Cass. com., 10 juillet 1962 : Bull. civ. IV, n°350 ; Cass. 1ère civ., 8 février 1977 : Bull. civ.

I, n°71 ; Cass. com., 13 mai 2003 : RJDA 12/2003, n°1247 (la renonciation a été déduite de la

connaissance de la caution des clauses du contrat principal et notamment de celle relative aux

frais entraînant la déchéance du terme). 584 CA Aix-en-Provence, 20 septembre 1990 et 28 février 1991 : Rev. proc. coll. 1993, p. 136,

obs. DELEBECQUE 585 M.-E. ANDRE, Le sort des cautions en cas de poursuite de la relation cautionnée,

Mélanges

Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 265 et s., n°3 586 Malgré la clarté de ce texte, la Cour de cassation a dû réaffirmer à plusieurs reprises

l’absence de libération de la caution en cas de prorogation du terme du contrat principal :

Cass. req., 17 août 1859 : DP 1859, 1, p. 359 ; S. 1860, 1, p. 1445 ; Cass. req., 6 mars 1935 :

Gaz. Pal. 1935, 2, p. 186 ; Cass. req., 16 mars 1938 : Gaz. Pal. 1938, 2, p. 15 ; D.H. 1938,

p. 292 ; Cass. civ., 25 mai 1938 : Gaz. Pal. 1938, 2, p. 183 ; D.H. 1938, p. 385 ; Cass. 1ère civ.,

6 janvier 1959 : Bull. civ. I, n°9 ; Cass. 1ère civ., 27 février 1968 : Bull. civ. I, n°81 ; Cass. 1ère

civ., 16 février 1970 : Bull. civ. I, n°58 ; Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264 ;

Cass. com., 27 mai 2003 : RJDA 1/2004, n°100

Page 176: L'efficacité des garanties personnelles

librement587. Une clause peut ainsi préciser le moment auquel la caution devra payer

en cas de prorogation du terme du contrat principal.

333. La solution jurisprudentielle de principe : l’opposabilité par la

caution de la prorogation. Si le créancier souhaite poursuivre la caution en même

temps que le débiteur principal, il suffit de prévoir, dans le cautionnement, que les

délais accordés par le créancier au débiteur profiteront à la caution. A défaut d’une

telle clause, c’est d’ailleurs la solution qu’adopte la jurisprudence588. L’opposabilité

par la caution de la prorogation s’explique par le caractère accessoire du

cautionnement, qui s’oppose à ce que la caution soit poursuivie en l’absence

momentanée d’exigibilité de la dette principale, et qui invite, au contraire, à une

homogénéisation des régimes de la dette et de sa garantie589.

334. Les arguments en faveur de la validation des clauses rendant la

prorogation inopposable par la caution. Si le créancier préfère poursuivre la

caution dès l’échéance initialement fixée, sans attendre l’expiration du nouveau

délai octroyé au débiteur principal, il pourrait mentionner dans le cautionnement

qu’une prorogation du terme du contrat principal serait inopposable par la caution.

Bien qu’une telle stipulation transforme profondément le rôle de la caution et porte

atteinte au caractère accessoire du cautionnement, plusieurs arguments pourraient

conduire les juges à la valider590.

En premier lieu, la fonction même du cautionnement. Celui-ci a pour but de

garantir au créancier un paiement de sa créance à la date initialement prévue. « La

garantie de l’échéance fait partie de la garantie procurée par le cautionnement »591.

En deuxième lieu, le fait que, dans le silence des parties, les juges acceptent que

la caution paye dès l’échéance du terme originaire592. Cette solution repose sur le

587 En ce sens, cf. M.-E. ANDRE, art. préc., n°10 ; E. LE CORRE-BROLY, La faculté de

résiliation de la caution au regard de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984, LPA 17 août

1998, n°98, p. 6 ; J. FRANÇOIS, n°246 ; D. LEGEAIS, n°223 ; Ph. SIMLER, n°469 588 CA Lyon, 6 janvier 1903 : DP 1910, Somm., p. 1. Ph. SIMLER (n°465) a remarqué que

« le fait même que les tribunaux n’aient eu à statuer que très rarement sur cette question tend

à prouver que les créanciers, respectant spontanément une solution fondée en droit comme en

équité, ne poursuivent pas les cautions solidaires dans cette hypothèse ». 589 Dès lors que l’extension à la caution des délais consentis au débiteur se justifie ainsi par le

caractère accessoire du cautionnement et que l’engagement d’une caution solidaire présente

un tel caractère, une clause prévoyant cette extension doit pouvoir être insérée dans un

cautionnement solidaire. Même si l’article 2021 du Code civil dispose que l’effet de

l’engagement de la caution solidaire « se règle par les principes qui ont été établis pour les

dettes solidaires », et qu’un codébiteur solidaire ne peut se prévaloir des délais accordés par le

créancier à un autre codébiteur, en ce qu’ils constituent une exception purement personnelle,

il convient de faire prévaloir le caractère accessoire de l’engagement de la caution solidaire et

d’admettre que celle-ci profite de la prorogation du terme du contrat principal. En ce sens, cf.

C. LACHIEZE , th. préc., n°120 à 122 ; J. FRANÇOIS, n°245 ; Ph. SIMLER, n°465 590 A notre connaissance, la Cour de cassation ne s’est pas encore prononcée sur une telle

clause. 591 Ch. MOULY, th. préc., n°236 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°211. Dans le même

sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°120 à 122 ; C. LACHIEZE , th. préc., n°365 ; D.

LEGEAIS, n°221 592 Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264

Page 177: L'efficacité des garanties personnelles

principe de l’effet relatif des contrats et évite à la caution de subir des risques

supplémentaires de dégradation de la solvabilité du débiteur.

En troisième et dernier lieu, le maintien du terme initial est la solution retenue

par la loi et les juges en cas de moratoire légal ou de délai judiciaire différant

l’exécution de la dette cautionnée593.

Pour toutes ces raisons, une clause pourrait donc rendre la prorogation du terme

du contrat principal inopposable par la caution et permettre au créancier d’obtenir du

garant un paiement à l’échéance, même s’il a consenti au débiteur un nouveau

délai594.

335. Les juges favorisent l’efficacité in concreto du cautionnement en

permettant la réalisation des attentes subjectives des créanciers relatives au moment

du paiement de la caution en cas de déchéance ou de prorogation du terme de

l’obligation principale. La satisfaction des attentes initiales des créanciers

concernant la durée de l’engagement de la caution est également favorisée par la

liberté de calquer cette durée sur celle du contrat principal ou d’introduire dans la

garantie un terme extinctif propre595. La souplesse du droit positif à l’égard de la

durée du cautionnement permet donc aux créanciers d’être payés au moment

escompté.

Une telle souplesse existe également par rapport au montant du paiement et elle

contribue pareillement à rendre le cautionnement efficace in concreto.

§2 : LES CLAUSES

FAVORISANT LE PAIEMENT INTEGRAL DU CREANCIER

336. Si le paiement intégral constitue sans doute une attente partagée par tous

les créanciers dispensateurs de crédit, les moyens pour atteindre ce but sont

nombreux et chaque créancier peut, en fonction des particularités de sa situation, en

privilégier certains plutôt que d’autres. Les moyens pour obtenir un paiement

intégral font donc l’objet d’attentes subjectives. La réalisation de celles-ci suppose,

d’une part, que les créanciers soient libres d’introduire des clauses dans le contrat de

cautionnement qui favorisent l’entier paiement et, d’autre part, que les juges valident

ces clauses.

L’efficacité in concreto du cautionnement se trouve ainsi favorisée par le fait

que la jurisprudence donne leur plein effet, non seulement aux dispositions

contractuelles favorisant le paiement intégral de la dette principale (A), mais aussi

aux clauses augmentant les chances d’exécution volontaire de la caution (B).

593 Sur l’inopposabilité par la caution des délais accordés au débiteur principal dans le cadre

d’une procédure collective ou de surendettement, cf. infra n°495 594 Suite à un tel paiement, la caution pourrait exercer contre le débiteur principal le recours

que lui ouvre l’article 2039 du Code civil. 595 Rappelons que cette liberté n’existe pas si le cautionnement sous seing privé est conclu

entre un créancier professionnel et une caution personne physique.

Page 178: L'efficacité des garanties personnelles

A/ LES CLAUSES

FAVORISANT LE PAIEMENT INTEGRAL DE LA DETTE PRINCIPALE

337. La détermination de l’étendue de l’obligation de la caution constitue

l’« un des points névralgiques »596 de la matière597. L’abondant contentieux, tendant

à préciser ce qui est garanti et combien doit la caution, résulte du caractère lacunaire

de nombreux actes. « Même lorsque le contrat de cautionnement fait l’objet d’une

rédaction circonstanciée, la clause consacrée à son étendue n’est pas la plus longue

et son contenu reste hermétique »598.

Plusieurs explications peuvent en être fournies. Le renvoi au contrat principal

semble suffisant. Les règles du droit commun, notamment celles relatives à

l’interprétation des conventions, paraissent protectrices aux yeux de chacune des

parties. Le créancier ne souhaite pas effrayer la caution en énumérant tout ce qu’elle

risque de payer. Enfin, la caution étant le plus souvent persuadée de n’être jamais

poursuivie, évite l’effort d’une négociation sur l’étendue de son engagement.

Le laconisme est d’autant plus regrettable que, la détermination du montant de

l’obligation de la caution relevant, en principe599, de la liberté contractuelle, les

créanciers peuvent se ménager un paiement intégral de la dette principale, soit en

faisant souscrire à la caution un engagement indéfini (1), soit en assortissant le

cautionnement défini de clauses de non concours (2).

1. Le cautionnement indéfini

338. Les attraits du cautionnement indéfini. De par son caractère

accessoire, le cautionnement indéfini épouse les limites, et notamment le montant,

de l’obligation garantie. Il permet ainsi au créancier de ne subir aucune perte en cas

de défaillance du débiteur principal.

Le cautionnement indéfini peut tout aussi bien s’adjoindre à une ou plusieurs

dettes déterminées, qu’à un ensemble de dettes seulement déterminables. Dans le

cautionnement portant sur toutes les dettes du débiteur, l’obligation de couverture de

la caution est en général exprimée par une longue clause, fort descriptive,

comportant souvent des formules redondantes, qui énumère presque toutes les

opérations bancaires susceptibles de faire naître une créance au profit de la banque

bénéficiaire600.

596 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°145 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°85 ; Ph.

SIMLER, n°262 597 Le contentieux sur l’étendue du cautionnement pourrait diminuer avec la généralisation,

opérée par la loi du 1er août 2003 (nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation), de la

mention manuscrite fixant un plafond à l’engagement de la caution, à tous les cautionnements

sous seing privé accordés par une personne physique à un créancier professionnel. En ce sens,

cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 598 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°146 599 Depuis la loi du 1er août 2003 (nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation), la

liberté contractuelle a vu son champ se restreindre. Elle ne peut aujourd'hui être exercée que

dans trois hypothèses : si le cautionnement est notarié, ou si le contrat sous seing privé est

souscrit par une caution personne morale ou encore si le cautionnement sous seing privé unit

une caution personne physique à un créancier non professionnel. 600 Exemple de clause figurant dans les contrats types : « Ce cautionnement solidaire

s’applique au paiement ou remboursement de toutes sommes que le cautionné peut à ce jour

ou pourra devoir à l’avenir à la banque, en toute monnaie, chez l’un quelconque de ses sièges,

Page 179: L'efficacité des garanties personnelles

Ce cautionnement omnibus est tout à fait susceptible de satisfaire les attentes

des créanciers avides de souplesse, car il permet de garantir des dettes dont personne

ne connaît l’étendue, ni souvent la nature. Il évolue en même temps que les créances

contre le débiteur, et couvre ainsi l’ensemble des relations d’affaire entre le

créancier et son client. Lorsque le cautionnement général est fourni par un

dirigeant601, il présente, en outre, l’avantage d’écarter la limite de responsabilité que

créent les sociétés anonymes et les sociétés à responsabilité limitée602.

339. Les dangers du cautionnement omnibus. Très attrayant pour les

créanciers, le cautionnement omnibus est conjointement considéré comme « le plus

dangereux qui puisse se concevoir »603. Il essuie de ce fait de nombreuses

critiques604. Il lui est notamment reproché de surprendre les cautions, même les plus

intégrées dans les affaires du débiteur principal, et d’engendrer des excès605. Par

ailleurs, son objet serait trop indéterminé et il contreviendrait, par conséquent, à

l’exigence de l’article 1129 du Code civil.

340. Les tentatives d’interdiction générale du cautionnement omnibus.

Pour toutes ces raisons, des tentatives d’interdiction générale des cautionnements

illimités voient le jour périodiquement.

La dernière en date a eu lieu à l’occasion du vote de la loi du 29 juillet 1998.

Une disposition, visant à compléter le dernier alinéa de l’article 2013 du Code civil,

précisait qu’ « à peine de nullité, le contrat de cautionnement doit comporter

mention du montant maximum à l’égard de la personne cautionnée pour lequel il y

en principal augmenté des intérêts, commissions, frais et accessoires, à raison de tous

engagements, de toutes opérations et, d’une façon générale, de toutes obligations nées sans

exception, directement ou indirectement, pour quelque cause que ce soit. C’est ainsi qu’il

s’applique (l’énumération qui va suivre étant simplement indicative et non limitative) à toutes

obligations résultant :

- de tous crédits par caisse ou par signature, du solde exigible en faveur de la banque de

tout compte courant ouvert au nom du cautionné, des opérations de bourse traitées par

lui, de tous chèques, billets ou effets comportant sa signature à quelque titre que ce soit

et pour lesquels la banque aura été ou non dispensée de tout protêt, de toute dénonciation

de protêt ou de tout avis de non-paiement, des négociations de lettres de change-relevés,

d’actes de cession de créances professionnelles, de tous engagements d’aval, de caution

ou de garantie de paiement fournis par le cautionné ;

- de tous engagements d’aval, de caution, de garantie ou de contre-garantie, ou de toutes

acceptations, donnés par la banque pour le compte du cautionné ou sur son ordre ». 601 Depuis la réforme du 1er août 2003, il semblerait que les dirigeants ne puissent souscrire un

cautionnement omnibus au profit d’un créancier professionnel qu’à la condition de le faire

devant un notaire. Sur l’application des articles L. 341-2 et suivants du Code de la

consommation au dirigeant caution, cf. infra n°526 602 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°166 603 D. LEGEAIS, n°149 604 Cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°171 605 Ch. MOULY, Abus de caution ?, Rev. jurisp. com., n° spécial février 1982, p. 14 : « les

cautionnements de tout ce que le débiteur doit et pourra devoir au créancier sont abusifs

lorsque confortés de quelques clauses bien tournées, ils engagent la caution au-delà du

prévisible en l’obligeant à garantir des dettes dont l’existence est liée au hasard ». L’auteur

poursuit en citant les clauses prévoyant la garantie des risques indirects, des dettes existant

déjà au jour du cautionnement et des dettes à venir de n’importe quelle nature.

Page 180: L'efficacité des garanties personnelles

est consenti, y compris les accessoires ou les frais mentionnés à l’article 2016 ».

Cette disposition avait été votée par l’Assemblée nationale, mais elle a été rejetée

par le Sénat606.

La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique s’est contentée, quant à

elle, de restreindre un peu plus la liberté dans la détermination du montant du

cautionnement607, sans toutefois instaurer une interdiction générale des

cautionnements indéfinis et notamment des plus dangereux, c'est-à-dire ceux portant

sur toutes les dettes du débiteur envers le créancier.

341. La validation jurisprudentielle des cautionnements omnibus. En

jurisprudence, la validité du cautionnement omnibus est reconnue, à condition que

son objet soit déterminable par une identification suffisante des parties608. Par

application de l’article 1326 du Code civil, ils doivent aussi être revêtus d’une

mention manuscrite exprimant, sous une forme quelconque, mais de façon explicite,

la connaissance par la caution de la nature et de l’étendue de l’obligation par elle

contractée609.

Non seulement les créanciers peuvent, sous ces conditions, valablement faire

souscrire un cautionnement illimité, mais ils peuvent également insérer dans ce

cautionnement une clause destinée à faciliter la liquidation de la dette principale et,

par conséquent, la détermination du montant dû par la caution. Ce type de clause610

est valable, puisqu’il ne s’agit que d’une convention sur la preuve de la dette.

Même si le cautionnement indéfini présente ainsi de multiples avantages, les

créanciers peuvent lui préférer un cautionnement défini assorti de clauses de non

concours.

2. Le cautionnement défini assorti de clauses de non concours

342. Interprétation de l’article 2013 du Code civil. Le caractère accessoire

du cautionnement n’exige aucunement que cet engagement épouse rigoureusement

les limites de l’obligation principale. L’étendue de celle-ci ne constitue qu’un

plafond (article 2013 du Code civil). Les parties sont donc libres, dans le cadre d’un

cautionnement conventionnel, de décider que la caution va s’engager dans une

moindre mesure que le débiteur.

343. La limitation du montant de l’obligation de la caution. La limitation

du montant de l’obligation de la caution peut être retenue, que le cautionnement

couvre une ou plusieurs dettes déterminées, ou qu’il couvre un ensemble de dettes

seulement déterminables. Cette dernière formule est la plus fréquente aujourd'hui, et

606 J.O. Sénat Séance, 12 juin 1998, p. 3190 607 Cf. infra n°411 608 Cass. com., 29 octobre 1992 : RTD com. 1993, 325, obs. CHAMPAUD ; Cass. com., 11

mai 1993 : JCP 1994, II, 22188, note DELEBECQUE ; Cass. com., 22 février 1994 : Bull.

civ. IV, n°68 609 Cass. 1ère civ., 3 mars 1970 : D. 1970, p. 403, note ETESSE ; Banque 1970, p. 602, obs.

MARIN 610 Exemple de clause inscrite dans les contrats types : « Les sommes dues seront

exclusivement déterminées par la comptabilité du créancier, et traduites par un extrait de

compte certifié sincère et véritable par le créancier, cet extrait étant expressément reconnu

comme valant titre. Le paiement doit intervenir ».

Page 181: L'efficacité des garanties personnelles

la plus protectrice de la caution, puisqu’elle lui évite le risque d’imprévisibilité du

montant qu’elle pourrait avoir à payer.

La limitation du montant peut revêtir différentes formes. La caution peut

garantir une fraction de la dette principale ou être tenue d’un « montant plafond »,

pouvant comprendre une évaluation des accessoires. L’acte peut prévoir que ces

accessoires s’ajoutent au montant fixé (« plus les frais et accessoires ») ou, au

contraire, qu’ils sont inclus dans ce montant (« y compris tous accessoires »). La

caution peut encore restreindre son engagement aux seuls intérêts de la dette

principale, à l’exclusion du capital.

344. Les attraits du cautionnement limité en montant. Toutes ces formes

de limitation du montant de l’obligation de la caution peuvent, a priori, paraître

désavantageuses pour les créanciers. En réalité, elles sont susceptibles de répondre à

certaines de leurs attentes subjectives et de favoriser, par là même, l’efficacité in

concreto du cautionnement conclu611.

D’une part, un créancier peut être sensible au fait que la détermination du

montant de l’engagement de la caution augmente les chances d’exécution volontaire

de celle-ci. Dès lors que la caution connaît le montant pour lequel elle peut être

poursuivie, elle est effectivement à même de prendre des précautions pour disposer

des fonds suffisants lors d’un éventuel appel de la garantie. Par ailleurs, la

détermination du montant peut éviter certaines contestations. L’Association

française des banques a ainsi conseillé aux établissements de crédit, dès 1982, de

limiter, sauf cas exceptionnels, le montant des cautionnements exigés des clients612.

D’autre part, bénéficier d’un cautionnement défini ne signifie pas

nécessairement, pour le créancier, renoncer à un paiement intégral de la dette

principale. La raison en est que le créancier peut faire souscrire plusieurs

cautionnements limités à différentes cautions613. Par ailleurs, il peut assortir le

cautionnement défini de clauses de non concours.

345. Les clauses de non concours. Un concours entre le créancier et la

caution est susceptible de se produire lorsque la caution n’a payé qu’une partie de la

dette principale, conformément aux stipulations du cautionnement défini, et qu’elle

exerce un recours contre le débiteur.

La caution dispose, tout d’abord, d’un recours avant paiement614. Le créancier

peut souhaiter que ce recours anticipé ne perturbe pas ses prévisions de règlement, ni

ses relations avec le débiteur principal. Il peut alors insérer, dans le contrat de

cautionnement, une clause prévoyant que l’action principale en paiement doit

611 Il ne faut pas s’étonner de voir apparaître la limitation du montant de l’obligation de la

caution au sein des facteurs d’efficacité, alors que l’absence de limitation a été préalablement

rangée dans cette même catégorie. En effet, dans le cadre de l’efficacité subjective, une chose

et son contraire sont susceptibles d’être protectrices des intérêts du créancier. 612 Recommandation du 21 avril 1982 (Banque 1982, p. 702) 613 Nous ne nous étendrons pas sur ce cumul de garanties, car la protection des intérêts du

créancier qui en résulte n’est pas un effet de la constitution ou de la réalisation de l’un des

cautionnements. Or, l’efficacité des garanties personnelles ne peut être appréciée qu’au regard

des effets qu’elles produisent elles-mêmes (cf. supra n°20). 614 Pour une présentation détaillée de ce recours et des raisons pour lesquelles il contribue à

rendre le cautionnement efficace, cf. infra n°418-423

Page 182: L'efficacité des garanties personnelles

l’emporter sur l’action préventive de la caution615. La jurisprudence reconnaissant

cette priorité à l’action du créancier616, elle pourrait valider la clause aux termes de

laquelle la caution renonce aux recours anticipés.

La caution dispose, ensuite, de recours en remboursement617. L’article 1252 du

Code civil reprenant le principe « nemo contra se subrogare censetur », en vertu

duquel un créancier n’est pas censé subroger un tiers solvens contre ses propres

intérêts, fait primer le subrogeant sur le subrogé qui n’a payé qu’une partie de la

dette, tant que le subrogeant n’est pas payé du solde. Cette règle a une portée

limitée. D’une part, l’article 1252 du Code civil joue uniquement dans le cadre du

recours subrogatoire de l’article 2029 du Code civil618. D’autre part, en l’absence de

privilèges ou de sûretés réelles profitant au créancier, aucune priorité n’est reconnue

à celui-ci. Un règlement par contribution doit donc être mis en œuvre619. Compte

tenu de ces restrictions à la règle de l’article 1252 du Code civil, le créancier qui a

pris la peine d’exiger un cautionnement peut être victime de sa propre garantie.

Afin d’échapper aux effets du concours, les créanciers peuvent inscrire dans le

contrat de cautionnement une clause qui subordonne dans tous les cas le

remboursement de la caution au désintéressement intégral du créancier620. Cette

clause ne supprime pas le recours après paiement. Elle ne fait que le différer621. En

615 Exemple de clause des contrats types, intéressant le recours avant paiement justifié par une

prorogation du terme du contrat principal : « La caution renonce à se prévaloir des

dispositions de l’article 2039 du Code civil, qui, sans décharger la caution de son engagement,

l’autorise à poursuivre le cautionné pour le forcer au paiement au cas de délais de paiement

accordés à celui-ci par le créancier, bénéficiaire de l’engagement. De ce fait, si le cautionné

obtient de pareils délais de la banque, la caution, qui reste tenue, ne pourra poursuivre le

cautionné avant l’expiration de ces délais ».

Sur la clause de renonciation par la caution à l’exercice du recours anticipé, cf. M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°237 ; Ph. SIMLER, n°620 616 Cass. req., 11 juillet 1894 : DP 1896, 1, p. 113 ; S. 1899, 1, p. 353 617 Pour une présentation détaillée de ces recours et des raisons pour lesquelles ils contribuent

à rendre le cautionnement efficace, cf. infra n°427-433 618 Cass. req., 1er août 1860 : DP 1860, 1, p. 502 ; S. 1861, 1, p. 366 ; Cass. civ., 25 novembre

1891 : DP 1892, 1, 261 ; S. 1892, 1, 298 619 Cass. req., 13 février 1899 : DP 1899, 1, p. 246 ; S. 1902, 1, p. 277 ; CA Lyon, 2 mars

1942 : RTD civ. 1944, p. 38, obs. H. et L. MAZEAUD

En ce sens en doctrine, cf. J. FRANÇOIS, n°276 et 282 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

CHABAS, par Y. PICOD, n°51-3 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°145 et 149 ; Ph.

SIMLER, n°568 et 592 620 Exemple de clause de non concours figurant dans les contrats types : « La caution renonce

à se prévaloir de toute subrogation, de toutes actions personnelles ou autres qui auraient pour

résultat de faire venir la caution en concours avec la banque tant que cette dernière n’aura pas

été désintéressée de la totalité des sommes en principal, intérêts, commissions, frais et

accessoires qui lui seront dues. Il en sera ainsi que la caution soit libérée partiellement ou

totalement de ses obligations et alors même que le présent engagement serait d’un montant

inférieur aux sommes dues par le cautionné à la banque ».

Une clause similaire est préconisée par l’AFB (cf. brochure AFB, Le cautionnement et la

banque, octobre 1990, p. 45, clause VII). 621 En ce sens, cf. J.-J. FRAIMOUT, La caution exerçant ses recours, un intrus dans la

procédure collective du débiteur cautionné, Gaz. Pal. 15-16 septembre 2000, p. 17 ; Ph.

SIMLER, n°568

Page 183: L'efficacité des garanties personnelles

reconnaissant la validité de cette clause de non concours622, et en lui faisant produire

de larges effets623, la jurisprudence favorise la réalisation de l’attente subjective

concernant le paiement intégral, malgré le montant limité de l’engagement de la

caution.

346. Le droit positif permet la satisfaction des attentes subjectives ayant pour

objet, non seulement l’entier paiement de la dette principale, mais aussi le paiement

intégral de sa dette par la caution, grâce à la validation des clauses favorisant

l’exécution volontaire de celle-ci.

B/ LES CLAUSES

FAVORISANT L’EXECUTION VOLONTAIRE DE LA CAUTION

347. Tout créancier, qu’il envisage la conclusion d’un cautionnement défini

ou illimité, espère que la caution exécutera la totalité de son engagement en cas de

défaillance du débiteur principal. Les attentes subjectives relatives au paiement

intégral de sa dette par la caution ont trait aux moyens de favoriser ce paiement. Le

droit en vigueur permet la réalisation de ces attentes et favorise, par là même,

l’efficacité in concreto du cautionnement conclu, en validant les clauses qui

augmentent les chances d’exécution volontaire du garant. Certaines ont pour objet

de rendre plus sûre la solvabilité de la caution en cas d’appel de la garantie (1),

d’autres de priver la caution de moyens de défense (2).

1. Les clauses favorisant la solvabilité de la caution

348. La remise au garant d’un exemplaire du contrat de cautionnement.

Avant d’envisager les clauses pouvant être insérées dans un contrat de

cautionnement, il convient de remarquer qu’il existe une pratique susceptible de

favoriser la solvabilité de la caution à l’échéance. Il s’agit de la remise au garant

d’un exemplaire du contrat de cautionnement. Bien que cette remise ne soit pas

obligatoire, puisque le contrat unilatéral de garantie n’est pas soumis à la formalité

du double original de l’article 1325 du Code civil, le créancier a tout intérêt à s’y

plier volontairement. En effet, en diminuant le risque que la caution n’oublie le

contrat conclu et que ses héritiers n’ignorent l’existence même de cet engagement, la

remise d’un exemplaire de la garantie à la caution augmente les chances que celle-ci

ou ses héritiers prennent les précautions nécessaires pour disposer des fonds

suffisants en cas d’appel de la garantie. Cette remise a été conseillée par

l’Association française des banques, dans sa recommandation du 21 avril 1982624.

622 Cass. com., 19 décembre 1972 : Bull. civ. IV, n°338 ; Cass. 2e civ., 8 décembre 1982 :

Bull. civ. II, n°162 623 La clause repousse, tant l’action subrogatoire, que l’action personnelle. Elle empêche la

caution de produire pour le paiement effectué tant que le créancier n’est pas désintéressé. Elle

s’impose à l’organe de la procédure chargé de répartir les dividendes. Enfin, elle interdit à la

caution ayant partiellement payé de faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire,

attributive de rang sur un immeuble du débiteur garanti (Cass. 2e civ., 8 décembre 1982 :

préc.). 624 Recommandation de l’AFB du 21 avril 1982 « relative aux garanties personnelles

s’appliquant aux crédits aux PME » (Banque 1982, p. 703 ; Banque 1983, p. 15) : « Au

Page 184: L'efficacité des garanties personnelles

349. Les clauses relatives à l’assiette du droit de gage général du

créancier contre la caution : les « sûretés négatives ». S’agissant des clauses

proprement dites concernant l’assiette du droit de gage général du créancier contre la

caution, elles « traduisent juridiquement l’omnipotence économique du distributeur

de crédit »625, puisque, sans rien coûter à celui-ci, elle lui ménage, soit un « droit de

regard », soit un « droit de veto »626. Il existe ainsi deux types de « sûretés

négatives »627.

350. Le droit de regard du créancier sur le patrimoine de la caution. Tout

d’abord, certaines clauses permettent au créancier de surveiller l’évolution de la

situation patrimoniale du garant au cours de la vie du cautionnement. Ces clauses

instituent une « transparence conventionnelle » au stade de l’exécution du contrat628,

rendue d’autant plus nécessaire par la dématérialisation des fortunes, tant des

personnes morales que des personnes physiques. Le droit de regard conventionnel

permet au créancier de mesurer les risques qu’il court et de déclencher, en temps

opportun, les mesures de sauvegarde qui s’imposent, telles des sûretés

conservatoires.

La surveillance de l’évolution de l’assiette du droit de gage général contre la

caution peut revêtir différentes formes. Une clause peut prévoir une communication

périodique de la comptabilité de la caution, ou même donner au créancier un accès

direct aux documents comptables. Le contrat peut également mettre à la charge de la

caution une obligation de renseignement relative à l’état de son patrimoine et aux

opérations qu’elle entend accomplir pendant la durée du contrat garanti. Le non

respect de ces stipulations peut se traduire par la mise en jeu de la responsabilité

contractuelle de la caution.

Toutes ces clauses sont valables, sous réserve, néanmoins, de ne porter atteinte,

ni à la vie privée de la caution629, ni aux droits des tiers630. Le créancier doit

moment du contrat, l’acte sera établi en un exemplaire original qui sera conservé par la

banque et une copie qui sera obligatoirement remise à la caution ». 625 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°320 626 Y. CHAPUT, Les sûretés négatives, Ann. Fac. de droit de Clermont-Ferrand, fasc. 11,

1976, p. 166 et s. 627 Sur les sûretés négatives, cf. M. de LANDER, Les sûretés négatives, th. Paris I, 1998 ; Y.

CHAPUT, Les clauses de garantie, in Les principales clauses des contrats conclus entre

professionnels, PUF Aix, 1990, p. 119 ; MEINERTZAGEN-LIMPENS, Les engagements de

ne pas faire en matière de crédit, in Les sûretés issues de la pratique, PU Bruxelles, 1983, vol.

3, p. 1 et s. ; M. VASSEUR, Les garanties indirectes du banquier, Rev. jurisp. com.,

n° spécial, février 1982, p. 104 et s. ; Me VERIGNON, Les garanties du crédit à l’entreprise :

évolution et perspectives, Rapport au 82e Congrès des Notaires, Nice 1986, p. 473 et s. ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°576 et s. ; D. LEGEAIS, n°23 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°16 628 J. MESTRE, Transparence et droit des contrats, in La transparence, Rev. jurisp. com.

1993, n° spécial, p. 81 629 Y. GUYON, Le droit de regard du créancier sur le patrimoine et l’activité du débiteur

considéré comme sûreté, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 121 et s., n°11 : « le

droit de regard doit se limiter au patrimoine du débiteur et ne pas déborder sur sa vie privée,

même si celle-ci intéresse au plus haut point le créancier car elle peut provoquer des

modifications non négligeables de la solvabilité ».

Page 185: L'efficacité des garanties personnelles

également veiller à ne pas exercer un droit de regard tel qu’il pourrait être qualifié

de dirigeant de fait de la société caution.

351. Les obligations de ne pas faire imposées à la caution. La seconde

catégorie de « sûretés négatives » regroupe les clauses destinées à protéger l’assiette

du droit de gage général, autrement dit à conserver à celui-ci son efficacité, en

imposant à la caution des obligations de ne pas faire. Elles peuvent affecter un bien

déterminé ou l’ensemble du patrimoine de la caution.

Dans le premier cas, la caution peut s’engager à ne pas louer ou vendre un

certain bien, ou encore à ne pas le grever d’une sûreté réelle. Ces engagements sont

valables, sauf, le cas échéant, vice de perpétuité. Par ailleurs, si une clause prévoit

une inaliénabilité, elle doit respecter les conditions de l’article 900-1 du Code civil,

c'est-à-dire être limitée dans le temps et être justifiée par un intérêt sérieux et

légitime. En outre, si le bien visé par la clause est un immeuble, l’opposabilité de

cette stipulation à un éventuel acquéreur est subordonnée au respect des règles de la

publicité foncière. Enfin, bien que valable, la clause visant un bien meuble risque

d’être privée d’efficacité par le jeu de l’article 2279 du Code civil. Certes, la caution

qui se dépossède d’un tel bien peut être condamnée à des dommages et intérêts, mais

le bien ne pouvant réintégrer son patrimoine, la clause ne permet finalement pas de

préserver la consistance de ce patrimoine.

L’engagement de ne pas faire peut également concerner l’ensemble des biens

de la caution, lorsque celle-ci s’oblige à ne pas contracter d’emprunt ou à ne pas

souscrire une autre garantie personnelle. La conclusion de tels contrats, en violation

de la « sûreté négative », ne peut être sanctionnée que par l’indemnisation du

créancier, le principe de l’effet relatif des conventions s’opposant à la remise en

cause des contrats passés avec des tiers de bonne foi. Par conséquent, les

engagements de ne pas faire ne sont efficaces, c'est-à-dire ne protègent l’assiette du

droit de gage général du créancier contre la caution, que s’ils sont respectés par

celle-ci.

352. Les « sûretés négatives », qu’elles permettent de surveiller ou de

préserver le patrimoine de la caution, augmentent donc les chances d’exécution de

celle-ci, même si elles ne suppriment pas complètement le risque d’insolvabilité. Le

paiement intégral peut encore être favorisé par les clauses privant la caution de

moyens de défense.

2. Les clauses privant la caution de moyens de défense

353. De nombreuses stipulations contractuelles sont susceptibles de réduire les

risques de contestation du cautionnement et, par conséquent, de libération partielle

ou totale de la caution. Certaines ont trait à l’information de la caution (a), d’autres à

son obligation de règlement (b), d’autres enfin à son obligation de couverture (c).

630 La question se pose en présence de clauses donnant accès au créancier à la comptabilité de

son débiteur, car les écritures comptables peuvent relater les relations de ce dernier avec des

tiers. Si ceux-ci subissent un préjudice du fait de cette communication, ils peuvent en

demander réparation par application du droit commun de la responsabilité délictuelle.

Page 186: L'efficacité des garanties personnelles

a. Les clauses relatives à l’information de la caution

Deux voies sont ouvertes aux créanciers pour éviter des contestations grâce à

l’information de la caution.

354. Les obligations conventionnelles d’information de la caution. La

première consiste, pour le futur bénéficiaire du cautionnement, à s’engager à fournir

à son garant des informations sur la situation du débiteur principal, que la loi ne

l’oblige pas à communiquer.

Loin de vider le cautionnement de sa substance, ce type de clause peut en

renforcer l’efficacité631. En effet, donnée spontanément et au bon moment,

l’information de la caution peut se révéler particulièrement protectrice des intérêts

du créancier. Tout d’abord, la caution avertie peut faire pression sur le débiteur pour

l’inciter à éteindre lui-même sa dette. Ensuite, la fourniture d’informations par le

créancier établit sa bonne foi, ce qui est de nature à dissuader la caution de contester

son engagement ou, à défaut, à conduire au rejet des prétentions de la caution par le

juge saisi. Enfin, la passivité d’une caution informée peut lui être reprochée, au point

de paralyser les contestations qu’elle a pu soulever632.

Si l’information de la caution présente d’indéniables avantages, en termes

d’efficacité, il convient de reconnaître qu’il est aujourd'hui difficile, pour les

créanciers, de s’engager à informer au-delà des exigences légales, tant celles-ci se

sont développées depuis une vingtaine d’années633. Cela explique que l’Association

française des banques ait pu recommander cette information volontaire au début des

années quatre-vingt634, c'est-à-dire à une époque où le législateur n’était pas encore

intervenu pour réglementer l’information des cautions au stade de l’exécution du

contrat, et qu’elle conseille plutôt depuis de faire peser sur la caution le poids du

renseignement.

355. Les clauses faisant peser sur la caution le poids du renseignement. Le

contrat de cautionnement peut prévoir que la caution a parfaite connaissance de la

situation du débiteur principal, ou qu’elle fait son affaire personnelle de l’étude de

son évolution, ou qu’elle n’en fait pas une condition déterminante de son

engagement635, ou encore qu’elle dispense le créancier de la fourniture de certaines

informations636.

631 En ce sens, cf. J.-M. CALENDINI, Le point de vue du banquier sur le cautionnement,

Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92,

p. 3 et 4 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°277-2 632 Comme en atteste la jurisprudence rendue à l’encontre des cautions intégrées dans les

affaires du débiteur principal, la passivité de la caution informée peut notamment l’empêcher

d’engager la responsabilité du créancier pour octroi abusif ou rupture abusive de crédit (cf.

infra n°465). 633 Sur les obligations légales d’information comme causes d’inefficacité du cautionnement,

cf. infra n°513, 519, 525-527, 532, 548, 601, 608, 611, 613, 614, 620 634 Recommandations de 1981 et 1982, cf. Banque 1982, p. 703 635 Il s’agit de la formule préconisée par l’AFB (cf. formule annexée à la circulaire AFB 89-

225 A du 28 juillet 1989, in brochure Le cautionnement et la banque, t. 1, octobre 1990, art.

II, p. 43). 636 Exemple de clause insérée dans les contrats types : « La banque ne sera pas tenue

d’informer la caution des événements qui pourraient affecter la situation financière ou

Page 187: L'efficacité des garanties personnelles

Qu’elles soient de constatation ou de renonciation, ces clauses peuvent

paralyser deux moyens de défense : l’annulation du cautionnement pour réticence

dolosive du créancier, et la responsabilité contractuelle du créancier pour

manquement à une obligation d’information.

La jurisprudence reconnaît la validité de ces clauses637, dès lors, toutefois, que

la caution ne renonce pas à une information légale638 et que le créancier ne l’insère

pas en ayant déjà connaissance des difficultés financières du débiteur principal639.

Sous ces réserves, les clauses dispensant le créancier d’informer la caution sont bien

susceptibles de priver celle-ci de moyens de libération. En les validant, les juges

favorisent l’efficacité du contrat conclu.

Il en va de même au sujet des clauses relatives à l’obligation de règlement de la

caution.

b. Les clauses relatives à l’obligation de règlement de la caution

356. L’obligation de règlement, commune au cautionnement de dettes

présentes et au cautionnement de dettes futures, a pour objet le paiement que la

caution effectuera si nécessaire. Des clauses peuvent être stipulées, dans le contrat

de cautionnement, d’une part, pour éviter le retard dans l’exécution de cette

obligation de règlement, d’autre part, pour en éviter l’extinction.

357. Les clauses excluant le bénéfice de discussion. Le règlement de la

caution est nécessairement retardé et, par conséquent, le coût de la protection des

intérêts du créancier se trouve automatiquement augmenté, lorsque la caution exerce

le bénéfice de discussion que lui accorde l’article 2021 du Code civil640. « Les

exceptions sont nombreuses et variées, au point que les applications du bénéfice

sont devenues rarissimes en pratique »641. Certaines exclusions du bénéfice de

discussion ne dépendent pas d’une manifestation de volonté des parties et n’ont donc

pas à être ici développées642. D’autres, en revanche, résultent de clauses introduites

dans le cautionnement.

juridique du cautionné ou d’une autre caution, tels que le décès d’une personne physique ou la

dissolution d’une personne morale. Elle ne sera pas davantage tenue d’informer la caution de

toute décision d’une autre caution de mettre fin à son engagement ». 637 Cass. com., 10 mai 1988 : Bull. civ. IV, n°152 638 Cass. com., 14 décembre 1993 : Bull. civ. IV, n°467 : « les parties à un contrat de

cautionnement ne peuvent déroger aux dispositions d’ordre public de l’article 48 de la loi du

1er mars 1984 ». Pour une critique de cette solution, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°277-3

Un auteur (A. CERLES, obs. sous CA Paris, 25 avril 2003, RD bancaire et financier 2003,

n°188) a remarqué que « les tribunaux ne paraissent condamner que la renonciation par la

caution au bénéfice des dispositions de l’article 48, intégrée dans l’acte de cautionnement lui-

même ». Les créanciers pourraient donc demander à leur caution une dispense d’information,

après la signature de la garantie. Il serait néanmoins prudent de ne procéder à cette demande

qu’après la délivrance d’une première information conforme à la réglementation. 639 Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : Bull. civ. I, n°114 ; Cass. com., 25 février 2004 : RJDA 4/05,

n°455 640 Sur les conditions d’exercice du bénéfice de discussion, cf. infra n°438 641 Ph. SIMLER, n°505 642 Il s’agit des exclusions prévues par les articles 2042 (à l’égard des cautions judiciaires) et

2043 du Code civil (à l’égard du certificateur d’une caution judiciaire).

Page 188: L'efficacité des garanties personnelles

L’article 2021 du Code civil prévoit que les parties peuvent écarter le bénéfice

de discussion, soit par une clause de solidarité, soit par une clause de renonciation à

ce seul bénéfice643. De nombreux actes additionnent ces deux clauses644. Si cette

redondance est juridiquement inutile, elle présente néanmoins une vertu didactique

pour les cautions ignorantes du concept de solidarité645.

Si ces clauses évitent le retard dans l’exécution de l’obligation de règlement,

d’autres empêchent plus radicalement l’extinction de celle-ci par voie accessoire646.

358. La clause dérogeant au bénéfice de l’article 2038 du Code civil. En

premier lieu, la caution est libérée en cas de dation en paiement intervenant entre le

créancier et le débiteur. Alors que le paiement proprement dit ne décharge la caution

que s’il est valable et libératoire pour le débiteur, l’article 2038 du Code civil précise

que la dation en paiement a pour effet d’éteindre le cautionnement, même si elle

s’avère inefficace pour le créancier en raison de l’éviction qu’il subit. La doctrine

s’accorde pour retenir que l’article 2038 constitue une faveur spécialement instituée

au profit de la caution647. En conséquence, si les créanciers ne peuvent l’écarter par

des réserves unilatérales, rien ne s’oppose, en l’état du droit positif, à la validité

d’une renonciation par la caution648. Le bénéfice de l’article 2038 ne semble pas

impératif. En l’absence de disposition légale contraire, une clause du contrat de

cautionnement pourrait donc priver la caution de cette cause d’extinction accessoire

de son obligation de règlement.

359. L’accession de la caution à la novation de l’obligation principale. En

deuxième lieu, comme le prévoit l’article 1281 alinéa 2 du Code civil, la caution est

643 Lorsque le cautionnement porte sur une dette d’un entrepreneur individuel, l’article 47-II

de la loi du 11 février 1994 dispose que la renonciation n’est valable que si le cautionnement

est limité à un montant global. La même règle a été étendue à tous les cautionnements sous

seing privé souscrits par une personne physique au bénéfice d’un créancier professionnel, par

la loi du 1er août 2003 (article L. 341-5 du Code de la consommation). 644 Exemple de clause usuelle dans les contrats types : « Le cautionnement est solidaire, c'est-

à-dire qu’il entraîne pour la caution une renonciation aux bénéfices de discussion et de

division. En renonçant au bénéfice de discussion, la caution accepte de payer la banque sans

pouvoir exiger de celle-ci qu’elle poursuive préalablement le cautionné ». 645 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°506 646 L’une des principales causes d’extinction du cautionnement par voie principale, le

bénéfice de subrogation, n’est plus susceptible de donner lieu à des renonciations de la part

des cautions depuis que l’article 49 de la loi du 1er mars 1984 a prévu que « toute clause

contraire est réputée non écrite » (article 2037 alinéa 2 du Code civil). Sur les renonciations

au bénéfice de cession d’actions avant cette loi, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes

de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°496 à 498 ; Ph. SIMLER, La renonciation par la caution au

bénéfice de l’art. 2037, JCP 1975, I, 2711 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°267 ; Ph.

SIMLER, n°814 à 816

Pour une critique, en termes d’efficacité, de cette prohibition, cf. infra n°612 647 En ce sens, cf. D. HIEZ, La nature juridique de la dation en paiement. Une modification

de l’obligation aux fins de paiement, RTD civ. 2004, p. 199 et s., n°51, 54 ; M. CABRILLAC

et Ch. MOULY, n°197 ; J. FRANÇOIS, n°311 ; Ph. SIMLER, n°678. Contra, cf. C.

LACHIEZE, th. préc., n°315 : « cette conception est purement descriptive, elle n’explique pas

le fondement du régime de la dation ». 648 En ce sens, cf. D. HIEZ, ibid., n°51 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°197 ; D.

LEGEAIS, n°178 ; Ph. SIMLER, n°685

Page 189: L'efficacité des garanties personnelles

libérée par la novation à l’égard du débiteur principal. Cependant, le troisième alinéa

de ce même article réserve la possibilité de l’accession de la caution. Le maintien du

cautionnement est donc permis, à condition que la caution donne son accord à la

substitution de l’obligation nouvelle à la dette préexistante. Les parties au contrat

novatoire peuvent demander cet engagement nouveau à la caution au moment de

l’opération de novation. Mais il est également possible que la caution donne son

accord par anticipation, dans une clause du contrat de cautionnement649. Une

nouvelle cause d’extinction accessoire de l’obligation de règlement de la caution se

trouve, par là même, évincée contractuellement.

360. La clause mettant à la charge de la caution la déclaration de la

créance du bénéficiaire. En troisième et dernier lieu, la jurisprudence décide que la

caution est libérée en cas de forclusion du créancier pour défaut de déclaration de sa

créance à la procédure collective du débiteur principal650. Si la renonciation a priori

de la caution à cette exception de forclusion risque fort d’être invalidée par les juges,

qui y verraient une atteinte manifeste à la règle de l’accessoire, les effets néfastes de

la libération de la caution pourraient être atténués si la jurisprudence admettait la

clause mettant à la charge de la caution l’obligation de résultat d’effectuer, pour le

compte du créancier, la déclaration de la créance garantie651. En l’absence de

déclaration, la caution serait certes déchargée, mais le créancier pourrait recevoir ce

qu’elle aurait dû payer, à titre indemnitaire.

361. Si les clauses relatives à l’extinction de l’obligation de règlement de la

caution n’ont pas encore été soumises au contrôle de la Cour de cassation, tel n’est

pas le cas de celles concernant l’obligation de couverture, dont la validité a déjà été

nettement reconnue.

c. Les clauses relatives à l’obligation de couverture de la caution

362. Un cautionnement de dettes futures peut exclure des causes d’extinction

de l’obligation de couverture ou au moins limiter les conséquences néfastes d’une

telle extinction652. Certaines clauses ou pratiques ne font qu’exprimer des solutions

que la jurisprudence consacre dans le silence des parties. D’autres, en revanche,

dérogent à des dispositions légales supplétives ou à des solutions jurisprudentielles.

363. Les clauses relatives aux changements affectant les rapports entre la

caution et le débiteur principal. Le contrat de cautionnement peut comporter une

clause aux termes de laquelle la modification ou la disparition des liens ou des

rapports de fait ou de droit susceptibles d’exister entre la caution et le débiteur

649 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°698 650 Sur cette jurisprudence comme cause d’inefficacité du cautionnement, cf. infra n°591, 592 651 La doctrine est partagée sur la validité d’une telle clause. En faveur de sa validité, cf. F.

DERRIDA, D. 1982, p. 72. Contra, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution

face à la défaillance du débiteur, RTD civ. 1993, p. 737 et s., n°25 ; Ph. DELEBECQUE,

Rev. proc. coll. 1991, p. 346 652 Si l’obligation de couverture n’est pas spécifique au cautionnement de dettes futures (cf.

supra n°262, 264), dès qu’il s’agit d’étudier l’extinction de cette obligation, c’est dans ce

cautionnement qu’il est le plus intéressant de se situer, car l’extinction peut ici conduire à la

libération partielle, voire totale, de la caution.

Page 190: L'efficacité des garanties personnelles

principal n’emportera pas, à elle seule, la décharge de la caution. Une telle

stipulation est parfaitement valable, puisque, dans le silence du contrat, c’est la

solution qu’adoptent les juges, notamment en cas de cessation de ses fonctions par le

dirigeant caution ou de séparation entre le débiteur principal et son conjoint, qui

s’est porté garant653.

364. Les clauses relatives aux modifications affectant la société créancière

ou la société débitrice. Le contrat de cautionnement reprend également une solution

jurisprudentielle, retenue dans le silence des parties, lorsqu’il prévoit le maintien de

l’obligation de couverture de la caution en présence d’événements qui affectent la

société créancière ou la société débitrice, sans emporter leur disparition. Il peut

s’agir de modifications statutaires portant sur la dénomination sociale, sur

l’implantation du siège social, sur le montant ou la composition du capital social ou

encore sur l’objet ou la forme de la société. Toutes ces modifications n’entraînent

aucun effet novatoire. Elles ne créent pas une personne morale nouvelle. La

jurisprudence refuse, en principe, d’y voir un terme extinctif implicite de

l’obligation de couverture de la caution654, et les parties sont libres d’adopter cette

même solution655.

365. Les clauses relatives à la disparition du créancier ou du débiteur

principal. Lorsque le créancier ou le débiteur disparaissent, par décès pour les

personnes physiques, par fusion, absorption ou scission pour les personnes morales,

les juges décident, au contraire, que la garantie subsiste pour les dettes nées avant

ces événements, mais qu’elle est en revanche éteinte pour l’avenir656. Toutefois,

l’extinction de l’obligation de couverture n’est pas impérative, puisque la

jurisprudence admet que la caution puisse manifester la volonté de rester tenue. La

survie de l’obligation de couverture peut donc résulter, soit d’une clause du contrat

de cautionnement prévoyant l’indifférence à l’égard de la caution d’événements

emportant la disparition du créancier ou du débiteur, soit d’une manifestation

expresse de volonté de la caution lorsqu’un tel événement se produit.

366. Les clauses relatives au décès de la caution. Depuis 1982, la

jurisprudence décide que le décès de la caution constitue un terme extinctif implicite

de son obligation de couverture657. Bien que la Cour de cassation fasse reposer cette

solution sur l’analyse des volontés, elle lui confère, depuis 1987, un caractère

impératif, en considérant que toute clause qui aurait pour résultat de mettre à la

charge des héritiers une obligation de règlement née après le décès constituerait un

pacte sur succession future, prohibé par l’article 1130 du Code civil658.

653 Sur cette jurisprudence, cf. infra n°453, 454 654 Cf. infra n°452 655 Il convient de souligner que la caution en position de force par rapport au créancier

pourrait faire insérer dans l’acte de cautionnement une disposition prévoyant sa libération, ou

l’obligation pour le créancier de solliciter une réitération du cautionnement en cas de

changement important dans le fonctionnement des sociétés partenaires. 656 Sur cette jurisprudence, cf. infra n°572 657 Sur cette jurisprudence, cf. infra n°570 658 Cass. com., 13 janvier 1987 : Bull. civ. IV, n°9

Page 191: L'efficacité des garanties personnelles

Si une clause faisant survivre l’obligation de couverture au décès de la caution

ne peut donc permettre au créancier d’obtenir un paiement intégral par les héritiers

de la caution, une parade à la jurisprudence de 1982 est néanmoins proposée par

certains auteurs659. Il s’agit de requérir de la caution qu’elle se porte fort que ses

héritiers cautionneront les dettes nées après son décès. Grâce à une telle stipulation,

le créancier n’aura pas à souffrir de l’extinction de l’obligation de couverture car,

soit les héritiers vont ratifier la promesse faite par le de cujus et vont donc être

engagés en tant que cautions pour les dettes postérieures au décès (sous réserve de la

faculté de résiliation), soit leur refus de ratifier va les obliger à indemniser le

créancier à hauteur des dettes impayées (sauf s’ils renoncent à la succession ou ne

l’acceptent que sous bénéfice d’inventaire). La jurisprudence n’a pas encore eu

l’occasion de se prononcer sur l’utilisation de la promesse de porte fort dans de

telles circonstances660.

367. Les clauses relatives à la reconduction du contrat principal. La

position de la Cour de cassation est bien connue, en revanche, au sujet d’un autre

événement mettant fin à l’obligation de couverture, à savoir la reconduction du

contrat principal. A la différence de la prorogation, « la reconduction donne

naissance à un nouvel accord substitué à son terme à la convention initiale »661. Ces

deux causes de poursuite de la relation contractuelle sont à ce point distinctes qu’en

cas de reconduction du contrat principal, la Cour de cassation ne fait pas jouer la

clause stipulant que « la caution accepte sans réserve toutes prorogations ou délais

qui pourraient éventuellement être accordés à l’emprunteur, lesquels ne

constitueraient novation en aucun cas »662. La reconduction, qui peut être expresse

ou tacite, donne donc naissance à un nouveau contrat.

En matière de bail, c’est le législateur lui-même qui prévoit que la reconduction

emporte extinction de l’obligation de couverture. L’article 1740 du Code civil

dispose, en effet, que la caution ne garantit pas le loyer du bail reconduit ou

renouvelé, qui est considéré comme un nouveau bail. Mais cette règle n’a qu’un

caractère supplétif. En conséquence, le cautionnement peut mettre à la charge de la

caution toutes les dettes nées du bail, même celles nées postérieurement à une

éventuelle reconduction663.

En matière d’ouverture de crédit et de compte courant à durée déterminée, c’est

la jurisprudence qui, dans le silence des parties, décide que la reconduction met fin à

659 En ce sens, cf. A. JONVILLE, Pratique de la promesse de porte fort, Droit et Patrimoine

1998, n° 57, p. 30 ; Ph. SIMLER, n°791 660 Si cette pratique ne peut constituer une fraude à la loi, elle pourrait en revanche être perçue

comme une fraude à la jurisprudence de la Cour de cassation. Cela pourrait conduire cette

dernière à l’invalider, sur le fondement discutable de l’article 1130 du Code civil. 661 M.-E. ANDRE, Le sort des cautions en cas de poursuite de la relation cautionnée,

Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 265 et s., n°4

Jurisprudence en ce sens : Cass. 1ère civ., 17 juillet 1980 : Bull. civ. I, n°220 ; Cass. 3ème civ.,

8 février 1984 : Bull. civ. III, n°33 ; Cass. com., 13 mars 1990 : Bull. civ. IV, n°77 662 Cass. com., 11 février 1997 : Bull. civ. IV, n°46 ; Cass. com., 6 février 2001 : RJDA

6/2001, n°725 ; RD bancaire et financier 2001, n°109, obs. LEGEAIS ; JCP 2001, I, 370,

n°24, obs. CONSTANTIN 663 CA Paris, 4 décembre 1981 : Gaz. Pal. 1982, 1, Somm. p. 81 ; Cass. 1ère civ., 1er octobre

1986 : Gaz. Pal. 1986, 2, pan. jur., p. 246

Page 192: L'efficacité des garanties personnelles

l’obligation de couverture664. La caution reste uniquement tenue d’une obligation de

règlement portant sur le solde débiteur lors de l’extinction de l’obligation de

couverture, duquel doivent être déduites les remises postérieures665. Là encore, une

telle solution ne vaut qu’à défaut de clause contraire666. Ainsi, quelle que soit la

nature du contrat principal, le cautionnement peut prévoir que sa reconduction ne

libérera pas la caution pour l’avenir.

368. Les clauses relatives au solde provisoire du compte courant

cautionné. La dernière hypothèse d’extinction de l’obligation de couverture

concerne le cautionnement de compte courant. Que l’obligation de couverture

prenne fin par résiliation, par survenance du terme extinctif expressément convenu

ou par l’un des événements que la jurisprudence qualifie de terme extinctif implicite

(le décès de la caution, la disparition du créancier ou du débiteur principal, la

reconduction du contrat principal), la Cour de cassation décide, depuis 1972667, que

toutes les remises en compte (remise d’un chèque ou d’un effet de commerce à

l’encaissement, virement créditeur, dépôt d’espèces) postérieures au jour de

l’extinction de l’obligation de couverture, constituent des paiements de la dette du

solde provisoire débiteur.

Comme la caution ne garantit aucune avance nouvelle consentie au débiteur, il

suffit donc que le solde du compte devienne créditeur, même pour une courte

période, pour que la caution soit entièrement libérée. Afin d’empêcher cette cause

essentielle d’inefficacité du cautionnement668, les créanciers « ont cherché à

cristalliser le solde provisoire, en évitant que les remises ultérieures viennent le

diminuer »669.

La jurisprudence a condamné certaines parades, comme étant frauduleuses. Des

accords passés entre le créancier et le débiteur ont été ainsi invalidés670 : l’ouverture

d’un second compte courant destiné à enregistrer les opérations nouvelles dès que

l’extinction du cautionnement est intervenue671 ; l’affectation de certaines remises

664 Cass. com., 11 février 1997 : préc. ; Cass. com., 1er avril 2003 : RD bancaire et financier

2003, n°137, obs. LEGEAIS 665 Cass. 1ère civ., 28 octobre 1997 : Bull. civ. I, n°296 666 Cass. com., 11 juin 2003 : RJDA 7/2004, n°900 667 Cass. com., 22 novembre 1972 : Bull. civ. IV, n°298

Sur la jurisprudence Bard et sur le système du double plafond qui était précédemment retenu

par les juges, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°293

à 296 ; M. CABRILLAC, Obligation de couverture, obligation de règlement et

cautionnement du solde du compte courant, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 293 et s. ;

M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°193 ; J. FRANÇOIS, n°346 ; D. LEGEAIS, n°209 ; Ph.

MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°277 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°187 ; Ph. SIMLER, n°664 et 781 ; Ph. THERY, n°83 668 Pour de plus amples développements sur cette cause d’inefficacité, cf. infra n°573 669 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°277 670 Dans la mesure où les accords liant le créancier au débiteur sont étrangers au contrat de

cautionnement, et où l’efficacité des garanties personnelles ne doit être appréciée qu’au regard

des effets qu’elles produisent elles-mêmes, ces accords ne peuvent être qualifiés de facteurs

d’efficacité. 671 Cass. com., 3 avril 1978 : Bull. civ. IV, n°106. Pour une critique de cette jurisprudence, en

raison du caractère supplétif des règles d’imputation, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

Page 193: L'efficacité des garanties personnelles

portées au crédit du compte courant à l’extinction d’avances déterminées inscrites au

débit de ce compte672. A également été condamnée, comme directement contraire à

l’article 2013 du Code civil, la clause inscrite dans le cautionnement aux termes de

laquelle « le solde provisoire est exigible sans que la demande de son paiement

emporte clôture du compte »673. Toute possibilité de protection des intérêts du

créancier n’est pourtant pas exclue, puisque deux clauses peuvent être valablement

insérées dans le cautionnement.

Il s’agit, d’une part, de la clause stipulant que « les remises créditrices

postérieures à l’extinction du cautionnement s’imputent d’un commun accord par

priorité sur les remises débitrices postérieures à cette extinction ». L’accord de la

caution écarte ici l’argument de la fraude674.

Il s’agit, d’autre part, de la clause prévoyant que la caution doit payer le solde

débiteur au jour de l’extinction de son obligation de couverture, sans que les remises

postérieures ne puissent en diminuer le montant. Tout se passe alors comme si le

compte était, à l’égard de la caution, clôturé définitivement au jour de l’extinction de

son obligation de couverture, sous réserve d’une diminution de la dette, s’il s’avère

que le solde définitif, au moment de la clôture, est inférieur au solde provisoire.

Cette clause, qui reprend le système du double plafond appliqué en jurisprudence

avant 1972, est validée par la Cour de cassation. La Haute juridiction refuse d’y voir

une atteinte au principe d’interdiction des engagements perpétuels675.

369. Conclusion de la Section 1. Les créanciers ont donc de multiples

moyens à leur disposition, soit pour empêcher qu’un événement n’emporte

extinction de l’obligation de couverture de la caution, soit pour réduire les effets

néfastes d’une telle extinction. Plus généralement, grâce à la liberté contractuelle

que leur reconnaît le droit positif, les créanciers peuvent voir leurs attentes relatives

à un paiement ponctuel et intégral satisfaites. La souplesse du droit positif quant à la

durée et au montant de l’engagement de la caution favorise indéniablement la

réalisation des attentes subjectives des créanciers nées lors de l’octroi de crédit.

Si l’efficacité in concreto du cautionnement est bien réelle, les causes

d’inefficacité ne le sont pas moins676. Les créanciers peuvent ainsi souhaiter être

couverts par une autre garantie personnelle qu’un cautionnement. Le droit positif

autorise la conclusion de garanties personnelles non spécialement réglementées et

favorise, par là même, l’efficacité subjective des garanties personnelles innomées.

n°187 ;

Ph. SIMLER, n°667 672 Cass. com., 6 juillet 1983 : Bull. civ. IV, n°204 673 CA Paris, 18 mars 1994 : D. 1994, IR, 112 ; JCP 1994, I, 3807, n°12, obs. SIMLER et

DELEBECQUE

Mais, deux arrêts de la Cour de cassation ont semblé consacrer, de manière incidente, la

validité de cette clause : Cass. com., 25 novembre 1974 : Bull. civ. IV, n°298 ; Cass. com., 24

février 1975 : Bull. civ. IV, n°55 674 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°195 ; D. LEGEAIS, n°213 675 Cass. com., 12 février 1991 : Bull. civ. IV, n°62 ; Cass. com., 9 juin 1992 : Bull. civ. IV,

n°227 ; Cass. com., 10 décembre 2002 : Bull. civ. IV, n°190 ; Cass. com., 18 février 2003 :

RJDA 10/2003, n°1013 676 Cf. infra Titre 2

Page 194: L'efficacité des garanties personnelles

SECTION 2 : L’EFFICACITÉ SUBJECTIVE

DES GARANTIES PERSONNELLES INNOMÉES

370. Le libre choix de la garantie personnelle à constituer. Pour que le

droit des garanties personnelles favorise l’efficacité in concreto de ces mécanismes,

il doit non seulement permettre l’adéquation entre les attentes nées de l’octroi de

crédit et celles résultant de la garantie personnelle effectivement conclue, mais il

doit aussi faciliter la réalisation de ces attentes. Rapporté à la question du choix de la

garantie personnelle à constituer, cela signifie que le législateur ne doit pas imposer

la conclusion d’une garantie personnelle particulière, et que les juges doivent valider

le choix du créancier en faveur d’une garantie personnelle innomée.

Aujourd'hui, aucun texte ne limite le nombre des garanties personnelles ou

n’impose un impératif de parcimonie. La liberté contractuelle préside au choix de la

garantie personnelle à constituer et permet, ce faisant, l’adéquation entre les deux

niveaux d’attentes subjectives des créanciers. La jurisprudence, quant à elle, autorise

ces derniers à conclure des garanties personnelles, qui diffèrent du cautionnement de

par leur indépendance vis-à-vis de la dette principale, et qui présentent, en outre, des

attraits propres. Le droit positif favorise ainsi l’adéquation entre les attentes

subjectives du créancier et les effets produits par la garantie personnelle constituée,

en reconnaissant la liberté de déroger au caractère accessoire renforcé du

cautionnement (§1), ainsi que les caractéristiques distinctives des garanties

personnelles innomées (§2).

§1 : LA LIBERTE DE DEROGER AU CARACTERE ACCESSOIRE

RENFORCE DU CAUTIONNEMENT

371. Dans la mesure où la jurisprudence valide les garanties personnelles

indépendantes (A), et où les limites apportées à ce principe de validité sont peu

contraignantes pour les bénéficiaires (B), il apparaît que le droit positif satisfait les

attentes subjectives des créanciers concernant le choix de la garantie personnelle à

constituer.

A/ LE PRINCIPE DE VALIDITE

DES GARANTIES PERSONNELLES INDEPENDANTES

372. La validation jurisprudentielle des deux catégories de garanties

personnelles indépendantes. Depuis une vingtaine d’années, la jurisprudence

valide les garanties personnelles innomées dans lesquelles l’obligation de règlement

du garant n’a pas pour objet la dette même du débiteur principal. Les deux

catégories de garanties personnelles indépendantes ont été reconnues par les

juges677.

Dans la catégorie des garanties personnelles indépendantes par détachement

originaire de l’obligation du garant de celle du débiteur principal, la Cour de

cassation a consacré la validité de la garantie autonome, d’abord dans un contexte

677 Sur la notion d’indépendance et les catégories de garanties personnelles indépendantes, cf.

supra n°304, 305

Page 195: L'efficacité des garanties personnelles

international678, puis dans des rapports internes679, même lorsque le garant est un

simple particulier680. Elle a aussi validé le constitut681.

Dans la catégorie des garanties personnelles indépendantes par différence de

nature entre l’obligation de règlement du garant et celle du débiteur principal, ont été

validées la lettre d'intention comportant une obligation de faire ou de ne pas faire à

la charge de l’émetteur682, ainsi que la promesse de porte fort dans laquelle le « fait »

promis est l’exécution de l’engagement du débiteur683.

373. Le fondement de la validation. Le fondement de l’indépendance est

l’autonomie de la volonté684, comme en atteste le visa de l’article 1134 du Code civil

678 Cass. com. 20 décembre 1982 : Bull. civ. IV, n°417

L’autonomie du crédit documentaire confirmé, qui est aujourd’hui considéré comme une

forme de garantie autonome (en ce sens, cf. H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.

PICOD, n°53-23 ; Ph. SIMLER, n°44), avait déjà été admise par Cass. com., 14 octobre

1981 : Bull. civ. IV, n°357 679 Cass. com., 2 février 1988 : Bull. civ. IV, n°55 ; Cass. com., 3 novembre 1992: Bull. civ.

IV, n°335 680 Com., 20 février 1985 : Bull. civ. IV, n°74 ; CA Paris, 1er octobre 1986 : D. 1986, Somm.,

p. 171, obs. VASSEUR ; Cass. com., 29 avril 1986 : Bull. civ. IV, n°73 ; CA Paris, 14 février

1991 et CA Besançon, 11 avril 1991 : JCP 1991, éd. N, p. 347 ; CA Paris, 5 février 1992 :

RJDA 4/1992, n°388 ; CA Paris, 12 février 1993 : D. 1993, IR, 121 ; RTD com. 1993, p. 555,

obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; CA Paris, 5 avril 1994 : JCP 1994, IV, 2452 et éd. E, II,

603, note PIEDELIEVRE ; D. 1994, IR, p. 136 681 Cass. com., 7 octobre 1997 : Bull. civ. IV, n°242. Cet arrêt est présenté comme ayant

consacré le constitut, car la Cour de cassation a approuvé la Cour d’appel (« la Cour d’appel

a pu ») d’avoir retenu des « engagements de payer la dette d’autrui ». Des arrêts très anciens

allaient déjà dans ce sens (Cass. civ., 17 janvier 1849 : DP 1849, 1, 49 ; S. 1849, 1, 228). 682 Cass. com., 21 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°281 683 CA Versailles, 7 avril 1987 : Gaz Pal 1987, 2, Somm., p. 479 ; Cass. com., 22 juillet

1986 : RTD civ. 1987, p. 307, obs. Mestre ; CA Paris, 21 avril 1992 : JCP 1992, éd. E., pan.

1154 ; JCP 1993, I, 3680, n°9, obs. SIMLER 684 Sur la volonté d’autonomie des garanties à première demande, cf. A. PRÜM, Les garanties

à première demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE, n°28 à 318

L’autonomie de la volonté justifie également le libre choix du garant. « La liberté

contractuelle constituant l’un des piliers de notre système juridique, on n’aperçoit pas

l’argument qui permettrait d’affirmer que, par principe, tel contrat serait interdit à telle

catégorie de personnes. Seul le législateur pourrait, s’il le jugeait nécessaire, arrêter une

telle mesure » (Ph. SIMLER, n°920. Dans le même, cf. P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour

créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E, suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 9 ; Ch.

BASTARD de CRISNAY, Brèves remarques sur l’application du cautionnement et de la

garantie à première demande en matière de promesse unilatérale de vente, Defrénois 1992,

article 35389, p. 1393 et s., n°8 ; E. RAWACH, La licéité des garanties à première demande

à la lumière du droit de la consommation, RD bancaire et financier 2000, n° 1, p. 57 et s.,

n°2 ; Ph. SIMLER, A propos des garanties autonomes en droit interne souscrites par des

personnes physiques, JCP 1991, éd. E, I, 90, n°4 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.

AYNES et P. CROCQ, n°338). Il n’en reste pas moins que des auteurs avancent certains

arguments en vue d’interdire la signature d’une garantie autonome par un particulier : rigueur

de la garantie autonome ; risque d’abus du créancier ; moindres possibilités de recours du

garant contre le donneur d'ordre en raison de l’inexistence de la subrogation légale ;

souscription habituelle des garanties autonomes par des banques (cf. Ch. MOULY, Pour la

Page 196: L'efficacité des garanties personnelles

dans la quasi totalité des arrêts rendus par la Cour de cassation en matière de

garantie autonome685. En interprétant l’indépendance comme une expression de la

liberté contractuelle, la jurisprudence reconnaît implicitement que le caractère

accessoire renforcé est « un élément essentiel du cautionnement, mais (qu’) il ne

répond à aucune norme de portée générale »686. Le caractère accessoire renforcé ne

peut pas, en effet, être un principe d’ordre public, car il dépend de la détermination

de l’objet de l’obligation de règlement du garant, détermination qui est elle-même

affaire de convention. Les parties étant libres de fixer l’objet de leurs obligations,

rien ne les oblige donc à opter en faveur d’une « Schuld d’emprunt »687.

374. Le but de la validation. Au-delà de ce motif juridique de validation des

garanties personnelles indépendantes, l’objectif que poursuivent les juges lorsqu’ils

reconnaissent la liberté de déroger au caractère accessoire renforcé du

cautionnement est la satisfaction des attentes des créanciers, et donc des impératifs

du crédit688.

La subordination de l’obligation de la caution à celle du débiteur principal,

découlant de l’unicité de dettes, est un facteur d’inefficacité objective, puisqu’elle

permet à la caution d’opposer au créancier des moyens de défense, tirés du contrat

principal, qui éludent, réduisent, modifient, retardent ou encore rendent plus

onéreuse la protection des intérêts financiers du bénéficiaire. A l’inverse,

l’indépendance de la garantie personnelle est un facteur d’efficacité objective en ce

qu’elle réduit les risques de contestation de l’exécution du garant. En validant les

garanties personnelles indépendantes, la jurisprudence répond, non seulement à

l’attente objective des créanciers, mais elle réalise également leurs attentes

liberté des garanties personnelles, Banque 1987, p. 1166 ; E. RAWACH, ibid., n°6 ; J.

TERRAY, Le cautionnement : une institution en danger, JCP 1987, I, 3295). 685 Si l’article 1134 du Code civil n’est pas autant visé dans les autres garanties personnelles

indépendantes, ce n’est pas parce que l’autonomie de la volonté y est moins présente, mais

simplement parce que la Haute juridiction peut se fonder sur des textes plus précis, tels que

l’article 1120 du Code civil pour la promesse de porte fort, l’article 1121 du Code civil pour

la stipulation pour autrui, les articles 1137 et 1147 du Code civil pour la lettre d'intention, les

articles L. 132-1 et s. du Code de commerce pour le ducroire du commissionnaire. 686 Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980,

p. 1 et s., n°11. Dans le même sens, cf. D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les

sûretés personnelles, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p.70 687 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°308 et 321 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L.

AYNES et P. CROCQ, n°319 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-

9 688 La Cour de cassation a peut-être également poursuivi un autre objectif, à savoir le

rapprochement du droit français de droits étrangers reconnaissant déjà les garanties

personnelles indépendantes. Sur les législations étrangères en matière de garantie autonome,

cf. F. LOGOZ, La protection de l’exportateur face à l’appel abusif à une garantie bancaire,

Etude comparative des droits allemand, français, belge et suisse, th. Lausanne 1991, Librairie

Droz, Genève, 1991 ; A. PRÜM, th. préc., n°21, 22 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°415 ; Ph. SIMLER, n°859, 864

Sur les garanties indemnitaires en droits allemand, suisse et anglais, cf. P. ANCEL, th. préc.,

n°33 et s.

Sur les lettres d’intention en Angleterre, aux Etats-Unis et en Allemagne, cf. X. BARRE, La

lettre d'intention technique contractuelle et pratique bancaire, Economica, 1995, préf. Ch.

GAVALDA, n°514 et s.

Page 197: L'efficacité des garanties personnelles

subjectives. En effet, cette validation offre un véritable choix aux créanciers quant à

la garantie personnelle à constituer. Ce choix est d’ailleurs d’autant plus manifeste

que les limites apportées au principe de validité des garanties personnelles

indépendantes sont peu contraignantes pour les créanciers.

B/ DES LIMITES PEU CONTRAIGNANTES

375. Les limites au principe de validité des garanties personnelles

indépendantes résident dans l’interdiction de l’indépendance au sein même d’un

cautionnement (1) et de la fraude au droit du cautionnement (2). Ces limites ne sont

pas de nature à restreindre les choix des créanciers concernant la garantie à

constituer et, par conséquent, à empêcher l’adéquation entre leurs attentes initiales et

celles nées de la garantie personnelle effectivement conclue.

1. L’interdiction de l’indépendance au sein même d’un cautionnement

376. Le sort des clauses dérogeant au caractère accessoire renforcé du

cautionnement. La première limite au principe de validité des garanties

personnelles indépendantes tient à l’illicéité de la dérogation au caractère accessoire

renforcé au sein même du cautionnement. Alors que des systèmes juridiques

étrangers admettent certaines renonciations de la caution au caractère accessoire de

son engagement689 (le droit allemand valide même le cautionnement à première

demande690), la jurisprudence française refuse aux parties le droit d’introduire dans

le cautionnement une part d’indépendance691.

689 Une telle renonciation est admise en droit italien et en droit espagnol. Cf. G. MORIOS,

Essai sur la qualification juridique de la garantie à première demande, Mémoire DEA, Lyon

III, 1995, p. 13 et s. ; M. VASSEUR, Rapport de synthèse, in Les garanties bancaires dans

les contrats internationaux, FEDUCI, éd. Moniteur, 1981, p. 326 et s. 690 Le droit d’exiger le paiement n’est pas subordonné à l’existence, ni à l’étendue de la dette

principale. En cela, le cautionnement à première demande est indépendant. Mais le droit de

conserver le paiement est, par contre, subordonné au respect du caractère accessoire renforcé

du cautionnement, puisque, après le paiement à première demande, la caution peut exercer

contre le créancier un recours en remboursement, fondé sur l’enrichissement sans cause, à

l’occasion duquel les questions de droit ou de fait liées à la dette principale peuvent être

soulevées. La renonciation de la caution au caractère accessoire renforcé est donc limitée dans

le temps.

Sur ce mécanisme, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°324 ; F. JACOB, th. préc. n°135 à 140 ; F.

LOGOZ, th. préc. ; P. CROCQ, L’évolution des garanties du paiement, de la diversité à

l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 322 ; D. LEGEAIS, Le cautionnement à

première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur, 2000, p. 87 et s. ; Ch. MOULY,

Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés, Colloque de Bruxelles,

FEDUCI 1984, p. 151 ; A. ROHMERT, Le cautionnement à première demande en droit

allemand, une sûreté hybride, RD bancaire 1994, n°43, p. 122 et s. ; D. LEGEAIS, n°327 à

330 691 Cass. com., 22 mars 1982 : D. 1992, Somm., p. 498, obs. VASSEUR (la clause par

laquelle des cautions s’engageaient « à payer à première demande sans pouvoir différer le

paiement ou soulever de contestation pour quelque motif que ce soit » ne crée pas un

cautionnement à première demande, mais opère seulement un renversement de la charge de la

preuve) ; Cass. com., 25 juin 2002 : D. 2002, Somm., p. 3333, obs. AYNES ; RJDA 12/2002,

n°1318 (en présence d’une clause d’un acte intitulé « déclaration de cautionnement »

prévoyant que la banque devra payer « sans pouvoir différer le paiement ou soulever de

Page 198: L'efficacité des garanties personnelles

Face à une clause dissociant le régime de l’obligation du garant de celle du

débiteur principal, les juges ne retiennent qu’une seule alternative : soit donner plein

effet à cette clause si la garantie personnelle conclue est indépendante, soit la priver

de toute portée si la garantie souscrite est un cautionnement692.

Le rejet de la clause de paiement à première demande insérée dans un

cautionnement signifie ainsi que l’exercice de la liberté contractuelle ne doit pas

contrevenir à l’essence d’un contrat. Si le législateur peut créer des cautionnements

légaux méconnaissant fortement le principe du caractère accessoire693, les parties, en

revanche, ne sont libres de déroger au caractère accessoire renforcé du

cautionnement qu’en sortant de celui-ci.

377. L’invalidation des cautionnements partiellement indépendants n’est

pas un facteur d’inefficacité. Cette limite à la liberté contractuelle n’est pas

susceptible d’empêcher l’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives

des créanciers et, par là même, l’efficacité in concreto de la garantie personnelle

conclue. En effet, dès lors que la jurisprudence reconnaît la validité des garanties

personnelles indépendantes, ainsi que les degrés dans le lien d’accessoire à

principal694, le besoin d’indépendance, né lors de l’octroi de crédit, peut être

satisfait, même si la jurisprudence refuse qu’il le soit au sein même du

cautionnement695. Par ailleurs, alors que les parties augmentent le risque de

divergences d’interprétation en concluant une garantie personnelle hybride696,

l’invalidation des cautionnements partiellement indépendants diminue, au contraire,

le risque de remise en cause des prévisions contractuelles intrinsèques et donc

contestation pour quelque cause que ce soit », la Cour de cassation a décidé que c’est dans

l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la Cour d’appel retient que cette

clause « ne s’applique qu’à la renonciation au bénéfice de division et de discussion, voire à

l’impossibilité de contester le quantum de la réclamation »). 692 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°287 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°308 ; D.

LEGEAIS, n°325 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°123 693 Parmi ces cautionnements légaux hybrides, peuvent être cités les cautionnements de

marchés publics (article 144 du Code des marchés publics), les cautionnements souscrits en

faveur des administrations douanières et fiscales, les garanties d’achèvement (article R. 261-

21 du Code de la construction). 694 Cf. infra n°383-393 695 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°896 : « l’admission d’un tel hybride (le cautionnement à

première demande) est d’autant moins utile ou opportune qu’il existe une variété de

garanties, intermédiaires entre le classique cautionnement et la rigoureuse garantie à

première demande, pouvant répondre à des besoins spécifiques ».

Au contraire, D. LEGEAIS (Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur,

Banque Editeur, 2000, p. 87 et s.) défend vivement la consécration jurisprudentielle du

cautionnement à première demande, en relevant qu’il ne s’agit pas d’une sûreté totalement

nouvelle, puisqu’il constitue un dérivé du cautionnement, et qu’il pourrait combler l’attente

des praticiens d’une sûreté personnelle en adéquation avec les exigences de la vie des affaires.

Le cautionnement à première demande serait un remède, d’une part, à la crise du

cautionnement et, d’autre part, à l’échec des garanties de substitution. 696 En ce sens, cf. Ch. BASTARD de CRISNAY, Brèves remarques sur l’application du

cautionnement et de la garantie à première demande en matière de promesse unilatérale de

vente, Defrénois 1992, article 35389, p. 1393 et s. ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire

dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et

patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s.

Page 199: L'efficacité des garanties personnelles

d’inefficacité subjective. Cette première limite au principe de validité des garanties

personnelles indépendantes est donc loin d’attenter à l’efficacité in concreto de ces

mécanismes.

2. L’interdiction de la fraude au droit du cautionnement

378. La fraude au droit du cautionnement est dénoncée par la doctrine.

La seconde limite réside dans la fraude à la loi. Celle-ci se manifeste par un « acte

régulier en soi, accompli dans l’intention d’éluder une loi impérative ou

prohibitive »697.

Nombre d’auteurs ont soutenu que la conclusion de garanties personnelles

indépendantes, dans les matières où le cautionnement est régi par des textes d’ordre

public, constitue une fraude à la loi, car elle est motivée par la volonté d’échapper à

ces règles impératives698. Afin de conserver leur utilité aux dispositions protectrices

de la caution et d’éviter l’incohérence qui résulterait de l’admission du

contournement du cautionnement à un moment où celui-ci est de plus en plus

encadré, les membres de cette doctrine ont donc préconisé de frapper d’inefficacité

les garanties personnelles indépendantes souscrites en ces matières.

379. La fraude au droit du cautionnement est très rarement retenue en

jurisprudence. Jusqu’à aujourd'hui, les juges ne semblent pas avoir été sensibles à

ces arguments. La Cour de cassation n’a jamais invalidé une garantie personnelle

indépendante sur le fondement d’une fraude au droit du cautionnement, et les

décisions des juges du fond retenant un tel motif sont des plus rares699. Plusieurs

explications peuvent en être données.

380. Les arguments s’opposant à l’invalidation des garanties personnelles

indépendantes sur le fondement de la fraude au droit du cautionnement. Tout

d’abord, les textes d’ordre public n’imposent pas de recourir au cautionnement. Ils

protègent seulement certaines cautions. En concluant une garantie personnelle

indépendante, les parties n’éludent donc pas une règle dont les conditions

d’application sont réunies, mais se placent seulement en dehors de ces conditions.

Autrement dit, elles ne se livrent pas à une fraude, mais font uniquement preuve

697 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Fraude,

p. 412 698 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°487 et 488 ; F. JACOB, th. préc., n°165 et s. ;

M. MIGNOT, th. préc., n°614 ; J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à

la garantie. La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92,

p. 7 ; Ph. DELEBECQUE, Les garanties autonomes en droit interne, Bull. Joly 1992, p.374,

n°7 ; J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie

indépendante, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des

entreprises 2-92, p. 32 ; E. RAWACH, La licéité des garanties à première demande à la

lumière du droit de la consommation, RD bancaire et financier 2000, n° 1, p. 57 et s., n°11 ;

D. LEGEAIS, n°284 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°211 ; Ph. SIMLER, n°922 699 CA Paris, 19 novembre 1974 : Gaz. Pal. 1974, 1, 286 ; RTD com. 1975, 547, obs.

HOUIN (la Cour d’appel a annulé l’engagement de codébiteur non intéressé à la dette pris par

une SA aux côtés de son PDG, dans le seul intérêt de celui-ci, par application de l’article 106

de la loi du 24 juillet 1966) ; TI Lons-le-Saulnier, 18 novembre 1997 : Contr., conc., consom.

avril 1998, n°64, obs. RAYMOND (l’engagement de codébiteur solidaire non intéressé à la

dette visait à éluder les exigences du Code de la consommation relatives à la mention

manuscrite prescrites à peine de nullité)

Page 200: L'efficacité des garanties personnelles

d’habileté700. Le caractère d’ordre public d’une matière n’interdit pas d’avoir recours

à un mécanisme qui ne soit pas prévu par cette matière. Ce caractère impose

seulement que la convention conclue respecte l’impératif légal, protégé par la notion

d’ordre public. Lorsque la disposition d’ordre public vise à protéger le consentement

de la caution701, il suffit que le garant ait été pleinement informé de la nature et de la

portée de son engagement pour que la volonté du législateur soit respectée et que le

grief de fraude soit écarté702.

Ensuite, la fraude suppose que l’intention d’éluder une règle obligatoire soit le

motif exclusif de l’acte. Or, nombre de motifs légitimes peuvent coexister avec cette

intention. Les attraits propres que présentent les garanties personnelles innomées703

peuvent ainsi expliquer le choix des créanciers en leur faveur et suffire à exclure la

fraude.

Par ailleurs, on ne peut pas s’abriter derrière l’esprit de la loi pour démontrer

une fraude, car les textes d’ordre public en matière de cautionnement étant des textes

d’exception, ils doivent recevoir une application stricte704.

Enfin, les juges estiment sans doute que les arguments en faveur de la fraude à

la loi ne sont pas suffisants pour risquer de compromettre l’efficacité résultant du

libre choix de la garantie personnelle à constituer.

Plutôt que d’invalider, de manière générale, les garanties personnelles

indépendantes sur le fondement de la fraude, les juges préfèrent étendre au cas par

cas les protections accordées aux cautions. La jurisprudence « sanctionne le choix

d’une garantie qui lui déplaît, tout en étant consciente de ne pouvoir en interdire le

principe »705. L’inefficacité des garanties personnelles indépendantes ne résulte donc

pas de leur nullité mais bien plutôt de leur requalification en cautionnement ou du

rapprochement de leur régime avec celui du cautionnement706.

381. La reconnaissance de la validité des garanties personnelles dérogeant au

caractère accessoire renforcé du cautionnement permet l’adéquation entre les

attentes subjectives des créanciers et les effets produits par la garantie personnelle

constituée. Les limites à ce principe de validité n’étant pas de nature à entraver le

choix des créanciers en faveur d’une garantie personnelle indépendante, le droit

positif favorise l’efficacité subjective du contrat conclu. Le droit positif favorise

également l’efficacité in concreto des garanties personnelles innomées en

reconnaissant leurs caractéristiques distinctives.

700 Sur cette distinction entre la fraude et l’habileté, cf. J. GHESTIN et G. GOUBEAUX,

Traité de droit civil, Introduction générale, t. 1, 2e éd., 1983, n°754 701 Sur le formalisme informatif en matière de cautionnement, cf. infra 408, 411, 507, 526,

528, 532, 545, 547, 549, 602-605, 614, 618 702 En ce sens, cf. N. MONACHON DUCHENE, La garantie à première demande en matière

de crédit à la consommation, Gaz. Pal. 23, 24 déc. 1994, doctr., p. 2 ; E. RAWACH, art.

préc., n°14 703 Cf. infra n°394-402 704 En ce sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°401 705 S. PIEDELIEVRE, note sous CA Paris, 5 avril 1994 : JCP 1994, éd. E., II, 603 706 Sur ces causes d’inefficacité des garanties personnelles innomées, cf. infra n°628-707

Page 201: L'efficacité des garanties personnelles

§2 : LA RECONNAISSANCE DES CARACTERISTIQUES

DISTINCTIVES DES GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES

382. La diversité des garanties personnelles : un facteur d’efficacité

subjective. L’efficacité subjective des garanties personnelles dépend de l’étendue

du choix des créanciers concernant le mécanisme à constituer. En effet, plus les

garanties personnelles auxquelles les créanciers ont le droit de recourir sont

diversifiées, plus grandes sont les chances que la finalité assignée au contrat

effectivement choisi soit identique à leurs attentes initiales, et qu’elle se réalise. A

cet égard, il ne suffit pas de reconnaître aux créanciers le droit de conclure une

garantie personnelle dérogeant au caractère accessoire renforcé du cautionnement. Il

est en plus nécessaire de leur permettre de choisir parmi une gamme diversifiée de

contrats, ce qui implique de reconnaître les caractéristiques distinctives des

mécanismes non spécialement réglementés en tant que garantie personnelle, qu’ils

soient créés par la pratique ou qu’il s’agisse de mécanismes du droit commun des

obligations utilisés à des fins de garantie707. C’est ce que fait le droit positif, non

seulement en admettant que dans sa mise en œuvre la règle de l’accessoire soit

susceptible de degrés (A), mais aussi en confortant les attraits propres des

principales garanties personnelles innomées (B).

A/ LES DEGRES DANS LE LIEN D’ACCESSOIRE A PRINCIPAL

383. La liberté des parties de moduler l’intensité du lien d’accessoire : un

facteur d’efficacité subjective. L’opposition entre le caractère accessoire renforcé

et l’indépendance doit être relativisée708, car la force du lien unissant l’accessoire au

principal est susceptible de degrés709. Ce lien peut se trouver accentué ou relâché par

la loi, ou par la volonté des parties, sans pour autant ne jamais disparaître710.

Dès lors qu’au nom de la liberté contractuelle les parties sont autorisées à

constituer des garanties personnelles indépendantes, il n’est pas surprenant que la

jurisprudence leur reconnaisse également le droit d’ « aménager des garanties plus

707 Sur la richesse du droit des obligations, cf. J.-J. DAIGRE, Les substituts du

cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier

droit des entreprises 6-92, p. 11 ; D. R. MARTIN, Du changement de contractant, D. 2001,

chron., p. 3144 et s. ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990,

I, 3427, n°14 ; D. LEGEAIS, n°285 708 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°294 et 295 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par

L. AYNES et P. CROCQ, n°100 709 En ce sens, cf. Ph. BRIAND, th. préc., n°283, 294 ; P. CROCQ, th. préc., n°278 ; G.

GOUBEAUX, th. préc., n°25 ; D. GRIMAUD, th. préc., n°295, 314, 318 ; C. GINESTET, La

qualification des sûretés, Defrénois 1999, p. 204 à 210 ; D. LEGEAIS, La règle de

l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations,

Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; J.-M. RAPP, Garanties à première demande et

autres garanties bancaires, in Sûretés et garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997,

p. 259 et s. ; J.-L. RIVES-LANGE, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport

français, in Travaux de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 307 ; P. VAN

OMMESLAGHE, Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés,

Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 356 710 Les garanties personnelles présentent toutes un caractère accessoire essentiel (cf. supra

n°271-279).

Page 202: L'efficacité des garanties personnelles

ou moins accessoires ou indépendantes, de créer ainsi un droit des sûretés

personnelles sur mesure »711.

En permettant aux contractants de moduler l’intensité du lien d’accessoire, le

droit positif leur offre la possibilité d’adapter la garantie personnelle effectivement

conclue aux attentes initiales du créancier, et il favorise ainsi l’efficacité subjective

du mécanisme constitué. Autrement dit, en validant les degrés dans le lien

d’accessoire à principal, la jurisprudence admet des degrés dans l’étendue des droits

du créancier contre le garant et elle permet, finalement, la conclusion d’une garantie

personnelle efficace, c'est-à-dire qui ne soit ni insuffisante, ni exorbitante au regard

du besoin de protection du créancier, né lors de l’octroi de crédit au débiteur

principal.

384. Mise en perspective des degrés dans le lien d’accessoire à principal

au regard du régime des exceptions nées du contrat principal. Afin de mesurer

l’intensité du lien d’accessoire et, par conséquent, la sécurité que tout créancier est

en droit d’attendre en présence d’un mécanisme déterminé, il convient de découvrir

les exceptions au paiement qu’offre ledit mécanisme au garant712.

Plus précisément, il s’agit d’examiner les exceptions nées de l’obligation à

laquelle l’engagement du garant s’adjoint, c'est-à-dire l’obligation du débiteur

principal envers le créancier. Les exceptions nées dans les rapports entre le garant et

le débiteur principal, ou celles tirées des rapports entre le garant et le créancier sont,

en revanche, insusceptibles de caractériser la force du lien d’accessoire.

L’inopposabilité des premières ne fait que traduire le principe de l’effet relatif des

contrats, et l’opposabilité des secondes n’est que l’expression de la force obligatoire

du contrat de garantie personnelle.

385. Les exceptions opposables en matière de garantie autonome. Dans les

garanties autonomes, l’obligation de règlement du garant vient s’adjoindre à une

obligation principale et sert l’exécution de celle-ci. Ce lien d’accessoire essentiel est

le seul qui unisse l’obligation du garant à celle du débiteur principal car, dès la

conclusion du contrat, les parties détachent l’obligation de règlement du garant de

celle du donneur d'ordre, en lui conférant un objet propre (le paiement d’une somme

forfaitaire), et en stipulant l’inopposabilité des exceptions nées du contrat de base.

La jurisprudence confère à ce détachement de larges effets, puisqu’elle déclare

inopposables au créancier la nullité du contrat principal713, sa résolution ou

résiliation714, son inexécution par le créancier715, son exécution totale par le donneur

711 D. LEGEAIS, art. préc. , p. 75 712 En ce sens, cf. D.R. MARTIN, L’engagement de codébiteur solidaire adjoint, RTD civ.

1994, p. 51 : « s’agissant de comparer des degrés d’obligation à la dette d’autrui,

l’instrument de mesure ne peut être constitué que par le spectre des exceptions au paiement ». 713 CA Paris, 29 janvier 1981 : D. 1981, p. 336, 1ère espèce, note VASSEUR ; Cass. com., 20

décembre 1982 : Bull. civ. IV, n°417 ; Cass. com., 13 décembre 1983 : D. 1984, p. 420, note

VASSEUR ; CA Paris, 22 septembre 1987 : D. 1988, Somm., p. 248, obs. VASSEUR

Contra : CA Paris, 14 janvier 1993 : JCP 1993, II, 22069, note DUMESNIL-ROSSI ; RTD

com. 1993, p. 556, obs. CABRILLAC et TEYSSIE 714 TGI Montluçon, 9 janvier 1981 : D. 1981, p. 390, note VASSEUR ; RTD com. 1981,

p. 580, obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; CA Paris, 13 février 1987 : D. 1987, Somm., p. 172,

obs. VASSEUR ; CA Paris, 19 mai 1988 : D. 1989, Somm., p. 146, obs. VASSEUR ; CA

Page 203: L'efficacité des garanties personnelles

d’ordre716, sa modification717, son extinction par compensation718, par transaction719,

ou encore pour défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du

débiteur principal720.

Le détachement de l’obligation du garant par rapport à celle du donneur d'ordre

connaît néanmoins quelques limites. Tout d’abord, la nullité absolue de la garantie

autonome, résultant de l’illicéité ou de l’immoralité de l’objet du contrat principal

pourrait être opposée au créancier721.

Ensuite, en cas d’appel manifestement abusif ou frauduleux de la garantie par le

créancier722, l’opposabilité des exceptions se trouve rétablie.

Enfin, le lien d’accessoire à principal est susceptible de varier en fonction des

conditions de mise en œuvre prévues par les parties723. Si le détachement de

Paris, 15 décembre 1991 : RD bancaire et bourse 1992, p. 174, obs. CONTAMINE-

RAYNAUD 715 CA Paris, 17 janvier 1983 : JCP 1983, II, 19966, note STOUFFLET ; D. 1983, IR, p. 303,

obs. VASSEUR ; RTD com. 1983, p. 448, obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; Cass. com., 17

octobre 1984 : Bull. civ. IV, n°265 ; Cass. com., 10 juin 1986 : Bull. civ. IV, n°117 ; T. com.

Paris, 29 novembre 1988 : D. 1990, Somm., p. 205, obs. VASSEUR ; CA Paris, 23 novembre

1990 : D. 1991, IR, p. 30 ; CA Paris, 17 février 1993 : RD bancaire et bourse 1994, p. 88, obs.

CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 25 mars 2003 : RJDA 10/2003, n°1021 716 Cass. com., 21 mai 1985 : Bull. civ. IV, n°160 ; Cass. com., 18 mai 1999 : Bull. civ. IV,

n°102 717 CA Paris, 1er octobre 1986 : D. 1987, Somm., p. 171, obs. VASSEUR 718 CA Paris, 7 novembre 1983 : D. 1984, IR, p. 205, obs. VASSEUR ; T. com. Paris, réf., 12

avril 1991 : D. 1992, Somm., p. 239, obs. VASSEUR 719 T. com. Paris, 6 mars 1987 : D. 1988, Somm., p. 24, obs. VASSEUR ; CA Paris, 23

octobre 1992 : RD bancaire et bourse 1993, p. 137, obs. CONTAMINE-RAYNAUD 720 TGI Paris, 8 mars 1995 : RD bancaire et bourse 1995, p. 191, obs. CONTAMINE-

RAYNAUD ; Cass. com. 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25 ; Cass. com., 9 juin 2004 : Bull.

civ. IV, n°118 : “en raison du caractère autonome de son engagement, le garant ne pouvait ni

imputer à faute au bénéficiaire la non-déclaration de sa créance au titre du contrat de base

au passif du redressement judiciaire des sociétés garanties, ni prétendre avoir de ce fait subi

un préjudice” 721 En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°203 ; H. CHANTELOUP et V. HEUZE,

Financement et garantie, in Pratique des contrats internationaux, 1997, n°136 ; I.

FADLALLAH, Rapport général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H.

Capitant « Les garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ,

p. 323 et s., n°13 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale,

RTD com. 1980, p. 1 et s., n°12 ; P. VAN OMMESLAGHE, Sûretés issues de la pratique et

autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 363 ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°202 ; Ph. THERY, n°108, 115

Contra, cf. A. PRÜM, th. préc., n°402 ; M. CONTAMINE-RAYNAUD, Les rapports entre la

garantie à première demande et le contrat de base en droit français, Mélanges Roblot, p. 425

et s. ; J.-L. RIVES-LANGE, Existe-t-il en droit français des engagements abstraits pris par le

banquier ?, Banque 1985, p. 902 et s. 722 Sur l’application de « fraus omnia corrumpit » en matière de garantie autonome, cf. infra

n°707 723 Sur ces conditions formelles de mise en jeu de la garantie autonome (à première demande,

documentaire ou justifiée), cf. P. ANCEL, th. préc., n°130 à 133 ; A. PRÜM, th. préc., n°344

à 361 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°398 à 401-1 ; J. FRANÇOIS, n°404 ; D.

LEGEAIS, n°302 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°206 à 209 ; Ph. SIMLER, n°903 à

918

Page 204: L'efficacité des garanties personnelles

l’obligation du garant par rapport à celle du débiteur principal est total dans la

garantie à première demande, il est moins net lorsque l’appel de la garantie nécessite

la fourniture de documents attestant de l’inexécution de ses obligations par le

débiteur principal. Selon la nature de ces documents, le détachement est d’ailleurs

plus ou moins poussé724 : la relation entre la garantie personnelle et le contrat garanti

est relativement étroite dès lors que le créancier doit présenter au garant une

décision de justice révélant la défaillance du débiteur principal. Au contraire, cette

relation est particulièrement distendue quand le bénéficiaire peut se contenter de

produire une déclaration, établie par ses soins, faisant état du manquement du

débiteur à ses obligations.

Si, en principe, le lien d’accessoire à principal est réduit à sa plus simple

expression en matière de garantie autonome, ce qui est particulièrement protecteur

des intérêts des créanciers, il existe donc quelques limites au détachement, imposées

aux créanciers (le contrôle de la licéité de l’objet et l’application de l’adage « fraus

omnia corrumpit ») ou consenties par eux (la fourniture de documents lors de

l’appel de la garantie).

386. Les exceptions opposables en matière de constitut. En matière de

constitut, le lien d’accessoire à principal est également plus relâché qu’il ne l’est

dans le cautionnement, puisque le constituant ne s’engage pas à la dette même du

débiteur principal, mais seulement à une même dette725. La conséquence immédiate

de cette dualité d’obligations de règlement réside dans l’inopposabilité des

exceptions inhérentes à la dette principale726, comme le défaut de déclaration de la

créance à la procédure collective du débiteur principal727, ainsi que des exceptions

personnelles à ce dernier, comme la compensation.

Le détachement de l’obligation du constituant par rapport à celle du débiteur

principal n’est pourtant pas absolu. D’une part, le constituant, comme le garant

autonome, devrait pouvoir opposer au créancier, non seulement sa fraude dans la

mise en œuvre de la garantie728, mais aussi la contrariété du contrat principal à

l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

D’autre part, la particularité de l’engagement du constituant, tenant au fait que

son quantum est celui de l’obligation garantie, conduit à reconnaître audit

constituant des moyens de défense tirés du contrat de base, dont ne dispose pas un

garant autonome. En effet, comme le montant de la dette principale est l’élément

essentiel de détermination du montant de la garantie, cette dette principale doit

exister et être liquide729. De plus, le constituant doit pouvoir s’assurer que la

quantification de sa dette est bien conforme à ce qui a été envisagé, c'est-à-dire est

bien opérée à partir de la dette garantie730.

724 En ce sens, cf. P. ANCEL, ibid., n°201 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°307 ; J. FRANÇOIS,

n°404 ; Ph. THERY, n°101 725 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°68 et 258 726 Cf. F. JACOB, ibid., n°272 et 273 727 Cass. com., 3 janvier 1995 : Bull. civ. IV, n°4 728 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°361 à 374 ; Ph. SIMLER, n°899. Ces deux auteurs

estiment, qu’en matière de constitut, la fraude ou la mauvaise foi du créancier n’a pas à être

évidente, comme elle doit l’être dans le cadre des garanties autonomes. 729 En ce sens, cf. F. JACOB, ibid., n°275 730 En ce sens, cf. F. JACOB, ibid., n°276 à 278 ; Ph. SIMLER, n°899

Page 205: L'efficacité des garanties personnelles

L’indépendance du constitut n’est donc pas aussi accusée que celle de la

garantie autonome. C’est la raison pour laquelle beaucoup y voient une « sûreté

intermédiaire entre le cautionnement et la garantie autonome »731.

387. Les exceptions opposables en matière de délégation imparfaite. En

matière de délégation imparfaite, les caractères nouveau et propre de l’obligation de

règlement du délégué interdisent, en principe, à celui-ci de faire échec à l’exécution

de son obligation envers le délégataire en puisant un moyen de défense dans les

relations que ce dernier entretient avec le délégant. L’inopposabilité des exceptions

inhérentes à la dette principale ou personnelles au délégant traduit l’indépendance de

l’engagement du délégué732.

Ici encore, le détachement n’est pas absolu puisque pourraient être opposées les

exceptions fondées sur un cas de nullité absolue733, ainsi que la fraude du

délégataire.

Par ailleurs, l’indépendance peut être écartée par une clause rattachant

l’obligation du délégué à celle du délégant. Sont alors opposables les exceptions

nées des rapports entre le délégant et le délégataire734.

L’indépendance, et l’inopposabilité des exceptions en découlant, ne sont donc

pas de l’essence de la délégation imparfaite735. Le lien d’accessoire à principal peut

y être aussi distendu que dans la garantie autonome (délégation certaine) ou aussi

renforcé que dans le cautionnement (délégation incertaine)736.

731 F. JACOB, ibid., n°410 à 412 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°491 ; D. LEGEAIS,

n°296 732 En ce sens, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n°26 à 32 ; L. GODON, La distinction entre

délégation de paiement et indication de paiement, Defrénois 2000, article 37103, p.193 et s.,

n°22 ; Ph. SIMLER, Juriscl. Civil, Contrats et obligations, Délégation, art. 1271 à 1281, fasc.

40, n°89 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°473-4 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°256

Contra, cf. M. MIGNOT, th. préc., n°675 : contestation de l’inopposabilité des exceptions, car

l’obligation nouvelle du délégué synthétise les deux rapports fondamentaux. S’il faut

maintenir l’inopposabilité des moyens de défense, ce n’est que pour des raisons pratiques,

mais pas parce que l’obligation nouvelle du délégué est autonome des deux rapports

fondamentaux.

Pour une illustration jurisprudentielle de l’inopposabilité des exceptions dans la délégation

certaine, cf. Cass. com. 25 février 1992 : JCP 1992, II, 21922, obs. BILLIAU

L’inopposabilité de l’exception de défaut de déclaration de la créance a été très clairement

affirmée par la Cour de cassation : « l’obligation du délégué est une obligation personnelle,

indépendante de l’obligation du délégant, de sorte que l’extinction de la créance du

délégataire contre le délégant pour défaut de déclaration au passif de sa liquidation

judiciaire laisse subsister l’obligation distincte du délégué » (Cass. com., 7 décembre 2004 :

Bull. civ. IV, n°214). 733 En ce sens, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n°37 et s. ; Ph. THERY, n°115 734 Cass. 1ère civ., 17 mars 1992 : Bull. civ. I, n°84 735 En ce sens, cf. P. ANCEL, th. préc., n°93 ; F. JACOB, th. préc., n°124 ; M.-L. NIBOYET,

Une illustration du concept de droit civil des affaires. La délégation de locataire, à titre de

garantie, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 75 736 Même si, au regard du degré dans le lien d’accessoire à principal, un rapprochement peut

être opéré entre la délégation imparfaite et la garantie autonome, d’une part, et la délégation

imparfaite et le cautionnement, d’autre part, la requalification de la délégation en l’une de ces

deux formes de garantie personnelle ne devrait pas avoir lieu. En effet, qu’elle soit certaine ou

Page 206: L'efficacité des garanties personnelles

388. Les exceptions opposables en matière de stipulation pour autrui.

Dans le cadre d’une stipulation pour autrui, le promettant (garant) prend un

engagement nouveau envers le tiers bénéficiaire. Il ne peut donc opposer à ce

dernier les exceptions fondées sur le contrat passé entre le bénéficiaire et le stipulant

(débiteur principal).

Ce détachement originaire de l’obligation de règlement du promettant par

rapport à celui du stipulant ne met pas le bénéficiaire à l’abri de toute contestation.

Comme le promettant ne s’engage à payer que ce qu’il doit au stipulant, il peut

opposer les exceptions nées de son contrat avec ce dernier, même celles apparues

postérieurement à la naissance du droit direct du bénéficiaire737. La dérogation au

principe de l’effet relatif des contrats, sur laquelle repose la stipulation pour autrui,

atténue ainsi la sécurité procurée au bénéficiaire par le relâchement du lien

d’accessoire à principal.

389. Mise en perspective des degrés dans le lien d’accessoire à principal

au regard des conditions de la réparation due par le « garant indemnitaire ». Dans ces autres garanties personnelles indépendantes que sont les garanties

indemnitaires, ce n’est pas exactement la question de l’opposabilité des exceptions

nées du contrat de base qui se pose, mais celle des conditions de la réparation, à

savoir l’existence d’un fait générateur, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre

ces deux derniers738. Cela n’empêche pas de s’interroger sur l’incidence des

événements affectant la dette principale sur l’obligation de règlement du garant et,

par conséquent, sur l’étendue des droits du créancier contre celui-ci.

390. Le degré d’indépendance de l’assurance-crédit interne. En matière

d’assurance-crédit interne, l’assureur n’est pas tenu d’une obligation de même

nature que celle du débiteur principal, puisqu’il s’engage à réparer le dommage subi

par le créancier assuré en cas d’insolvabilité du débiteur.

L’indépendance, résultant de la nature indemnitaire de l’obligation de

règlement de l’assureur, peut être masquée par une définition restrictive du risque

couvert par celui-ci739. Si le risque couvert est seulement l’insolvabilité constatée, et

incertaine, la délégation présente des attraits propres, non afférents au lien d’accessoire à

principal, que l’objectif d’efficacité invite à préserver (sur ces attraits propres de la délégation,

cf. infra n°401). Par ailleurs, concernant spécifiquement la délégation incertaine, elle ne

saurait être confondue avec le cautionnement, car l’objet de l’obligation de règlement du

délégué ne fait pas qu’un avec l’objet de l’obligation principale, mais lui est seulement

identique (sur le caractère indépendant de la délégation imparfaite incertaine, cf. supra

n°305). 737 En ce sens, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n°8 ; D. LEGEAIS, Les garanties

conventionnelles sur créances, Avant-propos J. STOUFFLET, Préface Ph. REMY,

Economica, 1986, n°298 ; M. VASSEUR, Les garanties indirectes du banquier, Rev. jurisp.

com., n° spécial, février 1982, p. 104 et s. , n°16 738 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°900 739 L’insolvabilité, qui est le risque le plus fréquemment couvert par les assureurs-crédit, est

établie de diverses façons suivant les contrats (exemples : jugement d’ouverture d’un

redressement ou d’une liquidation judiciaire ; règlement amiable ; saisie infructueuse ; délai

de carence de plusieurs mois). Cf. Lamy droit du financement 2000, 6ème partie, Les garanties

du crédit, §3355 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°379 et 380

Page 207: L'efficacité des garanties personnelles

non l’absence de paiement à l’échéance, et que le refus de paiement du débiteur tient

au fait qu’il ne s’estime pas tenu (dette nulle ou éteinte), alors l’assureur peut refuser

d’indemniser le créancier. La garantie procurée par l’assureur est paralysée, non par

voie accessoire, mais par la non réalisation du risque couvert. « Ne subsistent alors

de l’absence de caractère accessoire (renforcé), que des conséquences limitées et

peu significatives »740. Pour autant, l’assureur ayant une dette propre, le caractère

indépendant de son engagement ne doit pas être occulté. Il convient simplement de

reconnaître que le relâchement du lien d’accessoire ne suffit pas à préserver le

créancier de toute contestation issue du contrat de base, dès lors que le risque

couvert fait l’objet d’une définition restrictive.

391. Le degré d’indépendance de la promesse de porte fort.

L’indépendance de la promesse de porte fort, tenant également au caractère

indemnitaire de l’obligation de règlement du promettant, n’empêche pas non plus ce

dernier de se prévaloir d’événements affectant la dette du tiers garanti. Cela

s’explique par le fait que la réparation du dommage subi par le bénéficiaire ne doit

être opérée que si le risque couvert, à savoir l’inexécution du débiteur, se réalise et

ce, dans certaines conditions. Comme l’a montré M. le Professeur Ancel741, le

promettant peut opposer au créancier, pour se dégager, l’absence initiale

d’obligation principale car, dans ce cas, le risque qu’il a voulu garantir n’existe pas

et son engagement manque donc totalement de cause. L’illicéité ou l’immoralité de

l’objet de l’obligation principale peut aussi paralyser la réparation. Le paiement du

débiteur, dans la mesure où il fait disparaître le risque couvert, est également un

moyen de défense efficace. Enfin, le promettant peut opposer l’extinction de la dette

principale par le fait du créancier (remise de dette totale ou partielle, inexécution de

ses obligations par le créancier).

392. Le degré d’indépendance de la lettre d'intention. Dans le cadre des

lettres d’intention comportant des obligations de faire ou de ne pas faire à la charge

de l’émetteur, on pourrait penser que les rapports entre le créancier et le débiteur

principal ne peuvent pas être invoqués comme moyens de défense. En effet, si les

obligations souscrites par le garant sont de résultat, celui-ci voit sa responsabilité

engagée dès que le résultat n’est pas atteint et seule la preuve d’une cause étrangère

est exonératoire. La garantie est due indépendamment de tout autre rapport de droit.

Si les obligations sont de moyens, la seule possibilité pour le souscripteur

d’échapper à la responsabilité tient au fait que le bénéficiaire ne parvient pas à

rapporter la preuve du défaut d’accomplissement des moyens à mettre en œuvre. Il

convient néanmoins de relativiser, non pas l’indépendance de la lettre d'intention,

mais le caractère inopérant des exceptions tirées du contrat principal et ce, à cause

des conditions de mise en jeu de la responsabilité de l’émetteur.

La défaillance du tiers conforté a été considérée comme le fait générateur de la

responsabilité du garant par les auteurs qui voient dans cette responsabilité « une

nouvelle manifestation de la responsabilité contractuelle du fait d’autrui…voulue et

organisée par les parties et non point imposée par la loi ou la jurisprudence »742. 740 P. ANCEL, th. préc., n°26 741 P. ANCEL, th. préc., n°186 à 196. Cf. aussi, D. GRIMAUD, th. préc., n°300 742 J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante,

in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-

Page 208: L'efficacité des garanties personnelles

Cette analyse risque d’occulter les obligations qui sont personnellement contractées

par l’auteur de la lettre et qui ne concernent pas nécessairement la solvabilité du

débiteur principal.

Pour éviter de confondre de la sorte l’obligation du débiteur et celle du garant,

il semble préférable de retenir la responsabilité du fait personnel du souscripteur et

d’envisager la défaillance du débiteur principal comme le préjudice subi par le

créancier. Alors, si le bénéficiaire de la lettre d'intention n’a pas ou plus la qualité de

créancier à l’égard du tiers conforté, il ne souffre pas de la défaillance du débiteur et

ne subit aucun préjudice. Ainsi, la nullité, la résolution du contrat principal, le

paiement du créancier, ou encore la compensation entre la dette principale et une

créance du débiteur contre le bénéficiaire, pourraient empêcher l’indemnisation. Si

le contrat de base peut servir de moyen de défense au souscripteur d’une lettre

d'intention, ce n’est donc pas grâce au caractère accessoire renforcé de cette garantie

personnelle, mais uniquement en raison des conditions de mise en jeu de la

responsabilité contractuelle.

393. L’étude des moyens de défense issus du contrat principal pouvant être

opposés au créancier permet de mesurer à quel point, d’une garantie personnelle

innomée à une autre, les conditions de la contestation de son engagement par le

garant diffèrent et l’étendue des droits du créancier contre le garant varie. En

présence d’une telle diversité, le créancier peut véritablement choisir le contrat qui

s’adapte le mieux, à la fois à son besoin de protection, et au degré de sévérité

consenti par le futur garant. La reconnaissance jurisprudentielle des caractéristiques

distinctives des garanties personnelles innomées, tenant aux degrés dans le lien

d’accessoire et aux possibilités variables de contestation, favorise donc l’adéquation

entre la finalité assignée à la garantie personnelle choisie et les attentes initiales du

créancier. L’efficacité subjective des garanties personnelles innomées est encore

favorisée par la reconnaissance de leurs attraits propres.

B/ LES ATTRAITS PROPRES

DES PRINCIPALES GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES

394. La reconnaissance des avantages propres à chaque garantie

personnelle : un facteur d’efficacité subjective. Le choix d’un créancier en faveur

d’une garantie personnelle particulière peut être dicté par la volonté d’éviter les

inconvénients d’autres mécanismes, notamment l’opposabilité des moyens de

défense tirés du contrat principal. Ce choix peut également s’expliquer au regard des

attraits spécifiques de la garantie personnelle, attraits indépendants du nombre et de

la nature des contestations que le garant peut soulever. En validant les garanties

personnelles innomées, la jurisprudence permet que des attentes subjectives initiales

soient satisfaites grâce aux avantages propres à chaque mécanisme et, par

conséquent, elle favorise l’efficacité in concreto de la garantie personnelle choisie.

395. Les attraits propres des garanties autonomes. S’agissant des garanties

autonomes, il est possible de relever deux attraits particuliers.

92, p.26. Dans le même sens, cf. S. PIEDELIEVRE, L’efficacité des lettres de confort, Droit

et patrimoine 1996, p. 56 et s., note 15

Page 209: L'efficacité des garanties personnelles

Le premier consiste dans l’avantage procédural découlant de la clause de

paiement à première demande. Celle-ci emporte, en effet, un « renversement de la

charge et du risque de la procédure »743. Pour pouvoir réclamer l’exécution des

engagements du garant, le créancier n’a pas à établir la réalité du manquement du

donneur d’ordre à son égard. Le créancier évite ainsi les retards, qui augmentent le

coût de sa protection, et qui s’expliquent par le fait que la démonstration de la

défaillance du débiteur ne peut généralement résulter que d’une décision judiciaire

ou arbitrale, qui ne peut être elle-même obtenue qu’à l’issue d’une procédure parfois

extrêmement longue. Par ailleurs, comme les contestations fondées sur le contrat de

base ne peuvent pas être soulevées par le garant avant paiement, mais seulement par

le donneur d’ordre agissant en répétition de l’indu, le créancier ne pâtit pas de

l’insolvabilité de celui-ci pendant la procédure réglant la contestation et il bénéficie

d’un allégement dans la charge de la preuve, puisqu’il est défendeur dans l’action en

restitution.

Le second avantage de la garantie autonome réside dans le rejet, par les juges,

des interdictions d’exécution de la garantie émanant du débiteur principal. « En

donnant l’ordre de souscription d’une garantie d’un degré de liquidité et

d’irrévocabilité équivalent à celui d’un dépôt de fonds, le débiteur s’interdit de

s’opposer à la mise en œuvre de la garantie pour quelque raison que ce soit »744. En

conséquence de l’indépendance voulue par les parties, la Cour de cassation écarte

ainsi les interdictions directes de payer formées par le donneur d'ordre745, ainsi que

les interdictions indirectes, qu’il s’agisse d’une saisie conservatoire ou d’une saisie-

attribution746, même lorsque celle-ci est fondée sur une cause étrangère au contrat de

base747.

743 J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de

la liberté, JCP 1992, éd. E, Cahier droit des entreprises 2-92, p. 4. Cf. aussi, J. DEVEZE, Aux

frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in Aspects

contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 32 ;

Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980,

p. 5 ; A. PRÜM, De l’autonomie des contre-garanties à première demande, Mélanges

AEDBF, 1997, Droit bancaire et financier, p. 270 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°442 ;

Ph. THERY, n°102 744 F. JACOB, th. préc., n°92

Sur l’ordre d’émission de la garantie autonome comportant une renonciation formelle à

contester le bien-fondé des paiements, cf. A. PRÜM, th. préc., n°36 à 65 745 Cass. com., 21 mai 1985 : Bull. civ. IV, n°160 ; Cass. com., 3 mai 1988 : Bull. civ. IV,

n°149 ; Cass. com., 23 octobre 1990 : Bull. civ. IV, n°242 ; Cass. com., 18 décembre 1990 :

Bull. civ. IV, n°325 ; Cass. com., 5 février 1991 : Bull. civ. IV, n°49 ; Cass. com., 19 mai

1992 : Bull. civ. IV, n°187 ; Cass. com., 7 juin 1994 : Bull. civ. IV, n°203

Sur le rejet des défenses de payer, cf. P. ANCEL, th. préc., n°220 ; A. PRÜM, ibid., n°527 à

542 ; F. CHARTIER, Evolution de la jurisprudence en matière de garanties à première

demande, Banque 1987, n°468, p. 14 et 15 ; F.-J. CREDOT, L’actualité des garanties

autonomes, LPA 17 juin 1998, n°72, p. 68 et s. ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution

au cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°25 ; J. STOUFFLET, La lettre de garantie

internationale, Rev. jurisp. com., n° spécial, février 1982, p. 79 ; P. VAN OMMESLAGHE,

Sûretés issues de la pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de

Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 357 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°443 ; J. FRANÇOIS,

n°418 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°225 ; Ph. SIMLER, n°968 à 970 746 Les saisies pratiquées par le donneur d'ordre entre les mains du garant se heurtent, non

seulement à un obstacle de fond, la renonciation du donneur d'ordre à discuter la créance du

Page 210: L'efficacité des garanties personnelles

396. Le principal avantage du constitut. L’avantage du constitut par rapport

à d’autres garanties personnelles indépendantes dans lesquelles l’obligation du

garant est détachée de celle du débiteur principal, réside dans l’alignement du

montant de la dette du garant sur celui de la dette principale. Le maintien de cette

référence à la dette garantie évite la détermination ab initio d’une somme forfaitaire

(comme dans la garantie autonome et la délégation imparfaite certaine) ou la

limitation de la garantie à la somme due par le garant au débiteur principal (comme

dans la stipulation pour autrui). La détermination du quantum du constitut par

référence à celui de la dette principale met donc le créancier à l’abri d’une

couverture seulement partielle de cette dette principale, qui caractérise l’inefficacité

objective, et qui peut exprimer l’inefficacité subjective.

397. Les atouts de la lettre d’intention. En ce qu’une lettre d'intention

n’impose pas à son émetteur de payer une somme d’argent au bénéficiaire en cas de

défaillance du débiteur conforté, elle peut sembler moins protectrice des intérêts du

créancier que d’autres garanties personnelles. En réalité, cette relative douceur de la

lettre d'intention peut être recherchée par le créancier dispensateur de crédit et

constituer, ainsi, l’atout spécifique de ce mécanisme.

En effet, un créancier n’entend pas nécessairement subordonner son soutien à

une garantie aussi énergique qu’un cautionnement, voire qu’un constitut ou une

garantie autonome. « Il peut lui suffire d’obtenir la certitude qu’il n’est pas appelé à

financer une structure destinée à ne rester qu’une coquille vide »748. Les seules

assurances de la société-mère satisfont alors ses attentes initiales.

Lorsque le créancier n’est pas en mesure d’imposer ses choix au futur garant,

parce qu’il n’est pas dans une position de force par rapport à ce dernier, la lettre

d'intention peut apparaître comme le seul moyen d’obtenir une garantie. Certains

groupes, qui ont pour politique de ne jamais cautionner les engagements de leurs

bénéficiaire, mais aussi à un obstacle procédural tenant aux conditions de la saisie (sur ce

dernier obstacle, cf. P. ANCEL, th. préc., n°220 ; F. LOGOZ, th. préc. ; A. PRÜM, th. préc.,

n°492 et s. ; F. CHARTIER, ibid., p. 14 et 15 ; J. STOUFFLET, ibid., p. 79 ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°444 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°227 ; Ph.

SIMLER, n°974). 747 Lorsque le débiteur principal est créancier du bénéficiaire à d’autres titres que le contrat

garanti (un autre contrat a pu être passé avec le même cocontractant, sans être couvert par la

garantie autonome, ou le contrat de base a pu être suivi d’avenants auxquels la garantie ne

s’applique pas), et qu’il entend pratiquer une saisie entre les mains du débiteur de son débiteur

(le garant), l’indépendance de la garantie par rapport au contrat principal n’est pas en cause.

Si la Cour de cassation rejette la saisie (Cass. com., 18 mars 1986 : Bull. civ. IV, n°47 ; Cass.

com., 18 octobre 1988 : Bull. civ. IV, n°278. Ces arrêts ont été rendus en matière de crédit

documentaire. La solution devrait être la même en matière de garantie autonome), c’est donc

moins pour une raison juridique (le respect de l’indépendance et, plus fondamentalement, de

la loi du contrat) que pour un motif de politique jurisprudentielle, à savoir la volonté d’assurer

la sécurité absolue du bénéficiaire. En ce sens, cf. I. FADLALLAH, Rapport général sur les

sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant « Les garanties de financement »,

journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 335, n°26 ; J. FRANÇOIS, n°418 ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°227 ; Ph. SIMLER, n°976 748 H. CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et garantie, in Pratique des contrats

internationaux, 1997, n°103

Page 211: L'efficacité des garanties personnelles

filiales, notamment pour contraindre celles-ci à une gestion indépendante et

rigoureuse, peuvent ainsi consentir uniquement des obligations de faire ou de ne pas

faire, en vue de conforter leurs filiales. La douceur et la souplesse de la lettre

d'intention, pour la société-mère, conditionnent alors la satisfaction des attentes du

créancier et peuvent donc apparaître comme des avantages pour celui qui est en

passe de perdre le conflit de rationalités.

Un autre attrait de la lettre d'intention tient au fait que le montant de

l’éventuelle condamnation du souscripteur défaillant peut être supérieur à celui de la

dette principale, puisque le préjudice subi par le créancier, du fait de l’inexécution

de l’émetteur, peut être plus élevé que le montant des impayés. La Cour de cassation

a récemment précisé que cette situation est tout à fait licite, compte tenu du fait que

l’article 2013 du Code civil ne joue pas en matière de lettre d'intention749.

398. L’avantage commun aux mécanismes du droit commun des

obligations utilisés à des fins de garantie. Concernant les mécanismes du droit

commun des obligations utilisés à des fins de garantie, ils présentent tous l’avantage

d’être bien implantés dans notre système juridique et donc d’avoir un régime plus

prévisible qu’une création sui generis née de nécessités pratiques750.

399. L’attrait propre de la solidarité passive. La solidarité traditionnelle

présente l’avantage de superposer les qualités de garant et de débiteur principal751.

« De son intérêt même partiel pour la dette, le codébiteur solidaire tire néanmoins

des informations et des moyens d’action qui lui permettent d’en surveiller

l’évolution et l’extinction »752. La double qualité du garant favorise ainsi l’une des

expressions de l’efficacité objective, à savoir l’extinction de la dette principale, par

la seule constitution de la garantie personnelle, sans mise en jeu de celle-ci753.

400. L’attrait propre de l’engagement de codébiteur solidaire adjoint.

L’avantage de la solidarité de l’article 1216 du Code civil tient à sa « légitimité

opératoire »754. Le créancier qui souhaite bénéficier d’une garantie personnelle, qui

soit à la fois innomée, pour que sa liberté ne soit pas bridée par les dispositions

impératives du cautionnement, et « domestiquée » par le législateur, pour que sa

constitution ne paraisse pas illégitime, a tout intérêt à être garanti par un codébiteur

solidaire adjoint. En effet, le législateur lui-même impose souvent la solidarité à des

749 Cass. com., 6 mai 2003 : JCP 2003, I, 176, n°13, obs. SIMLER 750 En ce sens, cf. A. BRUYNEEL, L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque

de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 11 ; A. JONVILLE, Pratique de la promesse de porte fort,

Droit et Patrimoine 1998, n° 57, p. 32 751 Sur cette superposition, cf. M. MIGNOT, th. préc., n°115, 539 752 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°383 753 Sur cette expression de l’efficacité objective, cf. supra n°62-68 754 D. R. MARTIN, L’engagement du codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 55.

Dans le même sens, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°643 (l’engagement du codébiteur non

intéressé à la dette empruntant une figure parfaitement connue de notre droit, les problèmes

d’identification et de détermination de son régime sont limités. Par conséquent, « les atteintes

qui risqueraient d’être portées consécutivement à une utilisation plus massive du mécanisme

ne seraient que ponctuelles et limitées »).

Page 212: L'efficacité des garanties personnelles

personnes n’ayant aucun intérêt personnel à la dette755. L’engagement solidaire de

payer la dette d’autrui peut ainsi faire figure de « formule quasi miraculeuse »756.

401. L’avantage commun à la stipulation pour autrui et à la délégation

imparfaite. Dans les garanties personnelles reposant sur un changement de

créancier, à savoir la stipulation pour autrui et la délégation imparfaite dans laquelle

le délégué est débiteur du délégant757, c’est l’absence de concours avec les

créanciers du débiteur principal (stipulant ou délégant), qui peut expliquer le choix

des créanciers en faveur de ces mécanismes. Cette absence de concours, que la Cour

de cassation a expressément retenue en matière de délégation758, et qui est

préconisée par la doctrine en matière de stipulation pour autrui759, se justifie par

l’ordre donné par le débiteur principal au garant de payer un nouveau créancier. Cet

ordre emporte renonciation du débiteur principal à demander au garant le paiement

de sa créance primitive. Et cette renonciation est opposable aux créanciers du

délégant ou du stipulant, qui subissent ainsi les fluctuations du patrimoine de leur

débiteur760.

402. Les atouts de la promesse de porte fort. S’agissant, enfin, de la

promesse de porte fort, elle présente deux avantages. Le premier est d’imposer une

obligation de résultat au promettant, ce qui allège les preuves à rapporter par le

755 C’est le cas, notamment, dans la solidarité des époux séparés de biens pour des impôts dûs

personnellement, comme l’impôt sur le revenu des personnes physiques ; dans la solidarité

des associés de la société en nom collectif (article L. 221-1 du Code de commerce) ; dans la

solidarité du loueur de fonds de commerce à l’égard du locataire-gérant pour les dettes

d’exploitation contractées par celui-ci (article 8 de la loi du 20 mars 1956) ou encore dans la

solidarité du cédant de créances professionnelles pour le paiement des créances cédées par

bordereau Dailly (article 1er-1 et 2 de la loi du 2 janvier 1981). 756 P. ANCEL, Qualification et régime de l’engagement de codébiteur solidaire non intéressé

à la dette prévu par l’article 1216 du Code civil, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999,

D. 2000, p. 407 757 Cette dette préalable n’est pas une caractéristique essentielle de la délégation.

Contrairement à ce qu’ont affirmé certains auteurs (M. BILLIAU, La délégation de créance,

Essai d’une théorie juridique de la délégation en droit des obligations, LGDJ, 1989, préf. J.

GHESTIN, n°16 et s. et 406 et s. ; J. FRANCOIS, Les opérations triangulaires attributives

(stipulation pour autrui et délégation de créance), th. dactyl. Paris II, 1994), la Cour de

cassation n’exige pas que le délégué soit déjà débiteur du délégant (Cass. com. 21 juin 1994 :

Bull. civ. IV, n°225. Déjà en ce sens, cf. Cass. com., 22 juin 1983 : Bull. civ. IV, n°183 ;

Cass. com., 11 décembre 1984 : D. 1985, IR, p. 198, obs. HONORAT). 758 Cass. com., 24 juin 1986 : Bull. civ. IV, n°141 ; Cass. com., 16 avril 1996 : Bull. civ. IV,

n°120

Seuls sont interdits la saisie-attribution, l’avis à tiers détenteur et la revendication de la

créance du délégant par le liquidateur de celui-ci (cf. Cass. com., 29 avril 2002 : Bull. civ. IV,

n°72 ). En revanche, une saisie conservatoire peut être pratiquée, car la créance sur le délégué

subsiste dans le patrimoine du délégant, fût-ce conditionnellement (en ce sens, cf. I.

DAURIAC, Le sort de la créance du délégant envers le délégué au cours de la délégation,

Defrénois 1997, p. 1169 ; M.-L. NIBOYET, Une illustration du concept de droit civil des

affaires. La délégation de locataire, à titre de garantie, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 76). 759 D. LEGEAIS, th. préc., n°298 760 En ce sens, cf. L. GODON, La distinction entre délégation de paiement et indication de

paiement, Defrénois 2000, article 37103, p. 193 et s., n°15 ; M.-L. NIBOYET, art. préc., p. 75

Page 213: L'efficacité des garanties personnelles

créancier et qui restreint les causes d’exonération du garant. Le second tient au fait

que les juges condamnent le promettant à la somme que devait le tiers garanti761, et

évitent par conséquent au créancier l’inefficacité résultant de la couverture partielle

de la défaillance du débiteur principal.

403. Conclusion de la Section 2. Les degrés dans le lien d’accessoire à

principal, et donc les possibilités variables de contestation fondées sur le contrat de

base, ainsi que les attraits propres des garanties personnelles innomées, constituent

les caractéristiques distinctives de ces mécanismes762. Leur assimilation par la

jurisprudence, tout comme la reconnaissance de la liberté de déroger au caractère

accessoire renforcé du cautionnement, permettent l’identité de la finalité assignée à

la garantie personnelle choisie aux attentes préalables à sa constitution.

404. Conclusion du Chapitre 1. Le droit positif favorise donc la réalisation

des attentes subjectives des créanciers en laissant à ces derniers la liberté

d’aménager la protection de leurs intérêts. La liberté contractuelle résultant des

silences de la loi ou de son caractère seulement supplétif, ainsi que la validation

jurisprudentielle des manifestations de volonté des parties, sont les causes de

l’efficacité in concreto des garanties personnelles.

S’agissant du cautionnement, son efficacité subjective résulte ainsi de la

souplesse du droit qui lui est applicable. Cette souplesse se manifeste

essentiellement à l’égard de l’étendue de l’engagement de la caution. En effet, les

créanciers sont libres, en principe, de stipuler des clauses qui augmentent leurs

chances d’être payés, au moment où ils le souhaitent, et pour le montant envisagé

lors de l’octroi de crédit au débiteur principal.

Concernant les garanties personnelles innomées, leur efficacité subjective

s’explique par le fait qu’aucun texte n’impose un objectif de parcimonie, ni le

recours au cautionnement, et par le fait que la jurisprudence valide les mécanismes

distincts du cautionnement en raison de leur indépendance et/ou de leurs attraits

propres. Le droit positif peut rendre les garanties personnelles efficaces, non

seulement en permettant aux créanciers d’user de la liberté contractuelle en vue de la

réalisation de leurs attentes subjectives, mais aussi en prenant lui-même en charge la

761 CA Paris, 7 juillet 1989 : Juris-Data, n°023369

Sur le montant de la réparation, cf. A. JONVILLE, Pratique de la promesse de porte-fort,

Droit et patrimoine 1998, n°57, p. 32 ; G. TILLEMENT, Promesse de porte-fort et droit des

sociétés, Rev. sociétés janv-mars 1993, p. 58 à 64 762 En raison de ces caractéristiques distinctives, il nous paraît contestable de considérer

certains mécanismes comme semblables à d’autres et donc dénués d’utilité. Ainsi, nous

n’adhérons pas à l’assimilation entre le constitut et le cautionnement (cf. Ph. DUPICHOT, th.

préc., n°354), entre le constitut et la délégation incertaine sans obligation préalable entre le

délégant et le délégué (cf. J. CASEY, th. préc., n°116 bis), entre la promesse de porte fort et le

cautionnement (cf. J. CASEY, ibid., n°359 ; Ph. DUPICHOT, ibid., n°424), entre la promesse

de porte fort et la lettre d'intention contenant une obligation de résultat (cf. Ph. DUPICHOT,

ibid., n°423 ; A. JONVILLE, ibid., p. 31 et 32 ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au

cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°20 ; Ph. SIMLER, Peut-on substituer la promesse de

porte fort à certaines lettres d’intention comme technique de garantie ?, RD bancaire 1997,

p. 224 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°243 ; Ph. SIMLER, n°1015), entre le

cautionnement et la solidarité de l’article 1216 du Code civil (cf. Ph. DUPICHOT, ibid.,

n°378, 379 ; M. MIGNOT, th. préc., n°614 ; J. FRANÇOIS, n°461).

Page 214: L'efficacité des garanties personnelles

protection des intérêts financiers de tous les créanciers bénéficiaires d’une garantie

personnelle. Il ne favorise plus alors l’efficacité subjective, mais organise l’efficacité

objective.

Page 215: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE II

LE DROIT POSITIF

ORGANISE L’EFFICACITE OBJECTIVE

405. L’implication directe du droit positif dans l’efficacité objective du

cautionnement. Lorsque le droit positif prend lui-même en charge la protection des

intérêts économiques des créanciers bénéficiaires d’une garantie personnelle, son

implication dans l’apparition des facteurs d’efficacité est directe, puisqu’elle

s’exerce sans le truchement de la volonté des parties. Ce sont alors les dispositions

légales impératives et les décisions jurisprudentielles ne se prononçant pas sur la

validité de stipulations contractuelles, qui sont à l’origine des expressions de

l’efficacité in abstracto et, plus particulièrement, des expressions de l’efficacité liées

à l’exécution du garant763.

Dans la mesure où seul le cautionnement est aujourd'hui spécialement

réglementé, il n’est possible de s’intéresser qu’à la manière dont le droit positif

organise l’efficacité objective de ce mécanisme. A cet égard, il apparaît que le

législateur, aussi bien que les juges, sont directement à l’origine de facteurs

augmentant les chances de solvabilité et d’exécution volontaire de la caution.

Ces différents facteurs concourant à l’efficacité in abstracto du cautionnement

apparaissent, non seulement lorsque le droit positif assure la primauté de la fonction

de garantie de ce contrat (Section 2), mais également lorsqu’il impose des

protections de la caution utiles à l’efficacité objective du cautionnement (Section 1).

763 Il existe deux autres expressions de l’efficacité objective des garanties personnelles :

l’extinction de la dette principale par le débiteur lui-même, d’une part, et l’extinction de cette

même dette par un tiers cessionnaire, d’autre part (cf. supra n°62-68). Les facteurs favorisant

chacune de ces expressions ont essentiellement pour origine la volonté des parties. C’est le

cas du choix du garant, de certaines clauses présentant un caractère comminatoire pour le

débiteur principal (comme la clause de « défauts croisés »), de la surveillance de ce dernier

par le garant, ou encore de clauses relatives à la transmissibilité de la garantie avec

l’obligation principale. Les facteurs dont le droit positif est directement à l’origine sont

surtout l’efficacité des recours du garant contre le débiteur et la transmission de la garantie

avec le principal. Nous envisagerons le premier à l’occasion de l’étude des moyens par

lesquels le droit positif organise l’exécution volontaire de la caution (cf. infra n°418-423 ;

427-433). Et nous rappellerons simplement que le second est mis en œuvre par l’article 1692

du Code civil.

Page 216: L'efficacité des garanties personnelles

SECTION 1 : LES PROTECTIONS DE LA CAUTION

UTILES A L’EFFICACITÉ DU CAUTIONNEMENT

406. Il n’existe pas une incompatibilité de principe entre la protection du

créancier et celle du garant. Malgré l’antagonisme des intérêts de ces contractants,

certaines protections du garant fondées sur l’impératif d’éthique contractuelle

peuvent permettre l’apparition de facteurs d’efficacité764. Le droit actuel en fournit

diverses illustrations à travers, d’une part, certaines contraintes pesant sur les

créanciers (§1) et, d’autre part, les protections du garant non mises à la charge de ces

derniers, que sont les recours de la caution contre le débiteur principal (§2).

§1 : LES CONTRAINTES IMPOSEES AUX CREANCIERS

407. L’utilité des contraintes fondées sur l’impératif d’éthique

contractuelle. Les contraintes fondées sur l’éthique contractuelle, que la loi et la

jurisprudence font supporter aux créanciers, peuvent servir les intérêts de ces

derniers, tout en protégeant indirectement la caution. Elles peuvent en effet conduire

à l’exécution volontaire de celle-ci, soit parce qu’elles augmentent les chances de

solvabilité de la caution lors de l’appel de la garantie, soit parce qu’elles diminuent

les risques de contestation du cautionnement. Si les modalités des contraintes

imposées aux créanciers ne sont pas toujours fixées en ayant égard à l’objectif

d’efficacité765, il n’en reste pas moins que, dans leur principe même, elles peuvent

rendre plus sûre la réalisation de l’attente commune à tous les bénéficiaires d’un

cautionnement.

Ces contraintes utiles à la protection des intérêts des créanciers sont de deux

types. Certaines constituent des manifestations positives de l’impératif d’éthique

contractuelle. Elles obligent le créancier à faciliter l’exécution de la caution (A).

D’autres sont des traductions négatives de cet impératif. Elles interdisent au

bénéficiaire de profiter de sa situation de force pour exploiter la caution (B).

A/ LES OBLIGATIONS POSITIVES

408. Les obligations d’information de la caution. En imposant aux

créanciers de fournir à la caution des renseignements sur la nature et la portée de son

engagement et sur la situation du débiteur principal, la loi encourage l’exécution de

la caution. En effet, ces informations réduisent le risque de contestation ou d’accueil

judiciaire des contestations. Par ailleurs, elles augmentent les chances de solvabilité

de la caution à l’échéance, puisqu’elles incitent celle-ci à prendre des précautions

pour disposer des fonds nécessaires en cas d’appel de la garantie.

L’information de la caution, qui exprime la solidarité devant exister entre les

contractants au nom de l’éthique contractuelle, est imposée par la loi au stade de la

conclusion du cautionnement, par le biais des mentions manuscrites requises, soit à

titre probatoire (article 1326 du Code civil), soit à peine de nullité (articles L. 313-7,

L. 313-8, L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation ; article 22-1 de la loi

du 6 juillet 1989).

764 Cf. supra n°168-171 765 Cf. infra n°601-615

Page 217: L'efficacité des garanties personnelles

L’information est également exigée au cours de la vie de la garantie (article L.

313-22 du Code monétaire et financier ; article 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février

1994 ; article 2016 alinéa 2 du Code civil ; article L. 341-6 du Code de la

consommation), et en cas d’incident de paiement du débiteur principal (articles L.

313-9 et L. 341-1 du Code de la consommation ; article 47-II alinéa 3 de la loi du 11

février 1994)766.

409. Les contraintes relatives à l’étendue de l’engagement de la caution.

Le second type d’obligations positives mises à la charge des créanciers, et utiles à la

protection de leurs intérêts, a trait à l’étendue de l’engagement de la caution. Il

existe aujourd’hui plusieurs hypothèses dans lesquelles la liberté dans la

détermination de l’étendue de l’engagement de la caution est atténuée, voire

supprimée.

410. L’obligation de choisir entre un cautionnement solidaire et un

cautionnement indéfini. Tout d’abord, le cautionnement limité en montant est

encouragé par deux textes. L’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994

concerne le cautionnement, par une personne physique, des dettes professionnelles

d’un entrepreneur individuel. L’article L. 341-5 du Code de la consommation se

rapporte au cautionnement notarié souscrit par une personne physique au profit d’un

créancier professionnel767. Ces deux dispositions768 prévoient que les stipulations de

solidarité et de renonciation au bénéfice de discussion sont réputées non écrites si

l’engagement de la caution n’est pas limité à un montant global, incluant le

principal, les intérêts, les frais et les accessoires. Le plafonnement du cautionnement

n’est pas ici une condition de validité de la garantie elle-même, mais seulement de la

stipulation de solidarité et de la renonciation au bénéfice de discussion. Le

cautionnement limité n’est pas imposé, il n’est qu’encouragé769. Le créancier a donc

un choix à faire entre un cautionnement solidaire et un cautionnement indéfini. S’il

opte pour le premier, il peut espérer que la limitation du montant de l’engagement de

la caution va permettre à celle-ci de comprendre ce pour quoi elle s’engage, et va

l’inciter à prendre des précautions pour être solvable en cas de défaillance du

débiteur principal.

411. L’obligation de déterminer l’étendue de l’engagement de la caution.

Les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation sont encore plus

contraignants, puisqu’ils condamnent le cautionnement d’un montant indéterminé ou

donné pour une durée indéterminée, dès lors que le contrat est conclu, sous-seing

privé, entre une caution personne physique et un créancier professionnel770. A peine

766 Pour le détail des modalités de ces différentes obligations d’information, cf. infra n°548 767 L’article L. 341-5 du Code de la consommation ne vise pas expressément le cautionnement

notarié, mais c’est uniquement en restreignant de la sorte le champ d’application de cette

nouvelle disposition qu’il est possible d’éviter la contradiction entre celle-ci et l’article L.

341-2 du même Code. Sur l’articulation entre ces deux textes, cf. infra n°549 768 L’article L. 341-5 n’est que la reproduction de l’article 47-II alinéa 1er de la loi de 1994. 769 En ce sens, cf. B. DEPRET, De nouvelles contraintes pour les banques, un sort amélioré

pour les cautions. Quelques brèves remarques sur certaines dispositions de la loi Madelin du

11 fév.1994, LPA 10 juin 1994, n°69, p. 11 ; L. LEVENEUR, Contr. conc. cons. 1994, n°48 770 Sur l’articulation entre ces deux dispositions, cf. infra n°545

Page 218: L'efficacité des garanties personnelles

de nullité du cautionnement, les créanciers professionnels doivent donc prévoir une

somme-plafond771 et un terme extinctif. Cela conduit à limiter les risques pouvant

être garantis par la caution772, mais aussi à limiter le risque d’insolvabilité de la

caution à l’échéance.

412. Les contraintes imposées aux créanciers visant à faciliter l’exécution de

la caution, par son information ou par la limitation de l’étendue de son engagement,

peuvent donc rendre le cautionnement efficace. Il en va de même des abstentions

que l’éthique contractuelle commande également aux créanciers.

B/ LES OBLIGATIONS DE NE PAS FAIRE

413. Le devoir de tempérance du créancier. L’impératif d’éthique

contractuelle s’oppose à ce qu’une convention ne serve d’instrument d’exploitation

d’un contractant par l’autre. Le contractant en situation de force ne doit pas profiter

de l’ignorance, de l’inexpérience, de l’inaptitude à la négociation, ou encore de

l’urgence des besoins de son cocontractant, pour lui imposer des obligations

disproportionnées. En matière de contrats unilatéraux, l’impératif d’éthique

contractuelle condamne, non pas la disproportion entre les droits et obligations des

parties, mais la disproportion des moyens employés par le créancier pour protéger

ses intérêts. Le bénéficiaire d’une garantie personnelle doit être tempérant, c'est-à-

dire éviter de confondre protection et surprotection de ses intérêts. Deux obligations

de ne pas faire vont en ce sens et sont en même temps utiles à l’efficacité du

cautionnement.

771 La somme « couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des

pénalités ou intérêts de retard », les créanciers sont obligés d’estimer le montant des

différents accessoires. 772 En ce sens, cf. Commentaire de la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003, par le

Groupement de recherche sur les organisations et les groupements, Rev. jurisp. com. 2003,

p. 350 ; V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron.,

p. 2083 et s. ; Ph. DELEBECQUE, Les incidences de la loi du 31 déc. 1989 sur le

cautionnement, D. 1990, chron., p. 255, n°7 ; J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en

matière de cautionnement. Petit guide des effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques

dispositions récentes, Mélanges P. Vellas, Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 386 ;

M. GERMAIN, La loi n°2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique, JCP 2003,

act. 401 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi

pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation

siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au

cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et

sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la

consommation, Droit et patrimoine 1997, p. 58 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains

cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003,

article 37837, p. 1371 et s. ; A. PRÜM, Protéger les cautions contre elles-mêmes !, RD

bancaire et financier 2003, n°5, p. 269 ; J.-Y. RODIERE-GRANGER, Réforme du droit du

cautionnement (à propos de la loi n°721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique), LPA

27 octobre 2003, n°214, p. 4 et 5 ; Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la

caution, LPA 10 avril 2003, n°72, p. 22 ; I. TRICOT-CHAMARD, Les vicissitudes de la

mention manuscrite dans le cautionnement : suite ou fin ?, JCP 2004, I, 112, n°15 ; Ph.

SIMLER, n°259

Page 219: L'efficacité des garanties personnelles

414. L’obligation de ne pas faire souscrire à la caution un engagement

disproportionné par rapport à ses facultés financières. Tout d’abord, le droit

positif fait régner l’impératif d’éthique contractuelle, dans sa dimension négative, en

interdisant aux créanciers de faire souscrire à une caution personne physique un

engagement disproportionné par rapport à ses biens et revenus au jour de la

conclusion du contrat. C’est d’abord l’article L. 313-10 du Code de la

consommation qui a imposé aux établissements de crédit de ne pas conclure un

cautionnement de crédit à la consommation ou de crédit immobilier avec une

personne physique dont la situation financière serait manifestement insuffisante. La

Cour de cassation a ensuite généralisé l’exigence de proportionnalité en se fondant

sur les règles de la responsabilité civile773. Enfin, au moment où la Haute juridiction

semblait vouloir remettre en cause sa jurisprudence Macron774, c’est à nouveau le

législateur qui a imposé la proportionnalité, en l’étendant à tous les cautionnements

unissant une caution personne physique et un créancier professionnel (article L. 341-

4 du Code de la consommation)775.

Le devoir d’abstention, et l’obligation positive implicite qui en découle de

vérifier la solvabilité de la caution avant de conclure le contrat de garantie776,

protègent indéniablement les intérêts de la caution, puisqu’ils préservent son « droit

à la liberté patrimoniale », en vertu duquel la caution « par un seul acte…ne doit

pas se ruiner définitivement pour avoir consenti des sûretés excessives »777.

L’efficacité du cautionnement n’est pas pour autant sacrifiée. Tout d’abord, la

jurisprudence décide que la caution est privée du droit de se prévaloir de la

disproportion si elle ne coopère pas dans la fourniture des informations nécessaires à

l’appréciation de sa solvabilité778. Le respect de l’impératif d’éthique contractuelle

s’impose donc à chacun des contractants.

L’efficacité se trouve ensuite préservée par la règle de retour à meilleure

fortune, instituée par l’article L. 313-10 et reprise par l’article L. 341-4 du Code de

la consommation, selon laquelle la caution peut être poursuivie, malgré la

disproportion initiale, si son patrimoine, lors de l’appel de la garantie, lui permet de

faire face à son engagement779.

773 Cass. com., 17 juin 1997, arrêt Macron : Bull. civ. IV, n°188 774 Sur la jurisprudence Nahoum de la Chambre commerciale remettant en cause le principe

de proportionnalité, cf. infra n°466 775 Sur l’articulation entre les articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, cf.

infra n°545 776 Sur cette obligation de vérification de la solvabilité de la caution, cf. Ph. DELEBECQUE,

Les incidences de la loi du 31 déc. 1989 sur le cautionnement, D. 1990, chron., p. 255, n°13 ;

B. LEGROS, La protection jurisprudentielle du dirigeant social caution, Rev. sociétés, avril-

juin 1998, p. 296 ; S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la consommation, Droit et

patrimoine 1997, p. 58 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°84 ; Ph. SIMLER, n°248 777 D. LEGEAIS, Principe de proportionnalité : le cas du contrat de crédit avec constitution

de garantie, LPA 30 septembre 1998, n°117, p. 38 778 Cass. com., 8 juillet 2003 : RD bancaire et financier 2003, n°221, obs. LEGEAIS 779 D. HOUTCIEFF (art. préc., n°26) relativise l’efficacité résultant de l’ « exception de

proportionnalité » en remarquant qu’elle confine au paradoxe, puisque « non seulement le

créancier professionnel n’est pas le mieux placé pour apporter pareille preuve, mais cette

démonstration suppose virtuellement la réussite de l’opération garantie et l’inutilité du

recours ! »

Page 220: L'efficacité des garanties personnelles

Enfin, à condition d’être assortie d’une sanction dissuasive780, l’obligation de

ne pas conclure un cautionnement disproportionné peut même constituer un facteur

d’efficacité objective. En effet, les risques d’insolvabilité de la caution et de

contestation de son engagement peuvent être réduits dès lors que l’impératif

d’éthique contractuelle est imposé, par la loi ou les juges, aux créanciers, et que

ceux-ci ne prennent pas la caution en otage en lui faisant souscrire un contrat hors de

proportion par rapport à ses facultés patrimoniales781.

415. L’obligation de ne pas compromettre le recours subrogatoire de la

caution. C’est par ailleurs l’obligation de ne pas compromettre le recours

subrogatoire de la caution, inscrite dans l’article 2037 du Code civil, qui se révèle, à

la fois protectrice des intérêts de la caution, et utile à l’efficacité objective du

cautionnement. L’efficacité des recours de la caution contre le débiteur principal

étant un facteur d’efficacité782, cette obligation contribue aussi à l’exécution

volontaire de la caution et donc à la satisfaction des attentes du créancier.

416. Protéger les intérêts de la caution en faisant peser sur les créanciers des

obligations positives et négatives n’est pas, en soi, incompatible avec l’efficacité

d’une garantie personnelle. En instaurant des contraintes fondées sur l’impératif

d’éthique contractuelle, le législateur et les juges, loin de contrevenir à la fonction

du cautionnement, peuvent, au contraire, protéger les intérêts des créanciers.

Il existe une autre forme de protection de la caution utile à l’efficacité in

abstracto du cautionnement, mais non mise à la charge du créancier. Il s’agit des

recours ouverts à la caution contre le débiteur principal.

§2 : LES RECOURS DE LA CAUTION

CONTRE LE DEBITEUR PRINCIPAL

417. L’efficacité des recours du garant contre le débiteur principal : un

facteur d’efficacité des garanties personnelles. L’efficacité des recours du garant

contre le débiteur principal, permettant au premier de sortir indemne de l’opération

de garantie, constitue un facteur d’efficacité objective des garanties personnelles à

un double titre. D’une part, l’efficacité des recours présente un caractère

comminatoire à l’égard du débiteur principal, qui se trouve incité à éteindre lui-

même sa dette. D’autre part, l’efficacité des recours favorise l’exécution volontaire

du garant, puisque ce dernier sait ainsi disposer de moyens pour ne pas supporter

définitivement le poids de son paiement.

780 Sur la sanction des articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, cf. infra

n°619 781 En ce sens, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance du

débiteur, RTD civ. 1993, p. 739, n°3 : « le remède à la crise du cautionnement nous semble

être effectivement dans la limitation de la possibilité d’engager tous ses biens pour garantir

la dette d’un tiers…Ce sont précisément les cautionnements ruineux qui suscitent la réaction

de protection des juges. Au contraire, un cautionnement plus équilibré aurait une force

obligatoire plus effective ». 782 Cf. n°64, 131, 417

Page 221: L'efficacité des garanties personnelles

Le droit positif protège à la fois les intérêts de la caution et ceux du créancier

en rendant efficaces, non seulement les recours avant paiement (A), mais aussi les

recours en remboursement contre le débiteur principal (B).

A/ LES RECOURS AVANT PAIEMENT

418. Fondement, cas d’ouverture et nature des recours anticipés. Les

articles 2032 et 2039 du Code civil prévoient six cas dans lesquels la caution est en

droit d’exercer un recours préventif contre le débiteur principal. C’est un souci

d’équité qui explique cette faveur législative au bénéfice de la caution783, puisqu’il

s’agit d’éviter que celle-ci ne souffre d’une aggravation du risque d’avoir à payer

sans disposer d’un recours en remboursement efficace.

Cette aggravation se produit dans deux cas, qui sous-tendent les six hypothèses

légales784. Le risque de non remboursement est accru, d’une part, lorsque

l’insolvabilité du débiteur est avérée et que la caution est poursuivie ou est sur le

point de l’être, de sorte qu’il y a urgence à mettre en cause le débiteur (article 2032-

1°, 2° et 4°), d’autre part, lorsque la caution voit son obligation prolongée au-delà de

ce qui était contractuellement prévu ou au-delà d’un délai raisonnable (articles 2032-

3° et 5° et 2039).

Dans ces deux cas, la loi diminue donc le risque d’absence de remboursement

de la caution en autorisant celle-ci, quelles que soient les caractéristiques de son

engagement785, à exercer contre le débiteur principal786 un recours anticipé. Ce

recours, qui ne peut être fondé sur la subrogation, faute d’un paiement déjà opéré par

la caution, présente une nature personnelle787, mais se distingue du recours personnel

de l’article 2028 du Code civil, en ce qu’il repose sur une créance d’indemnité

783 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°237 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES,

par L. AYNES et P. CROCQ, n°161 ; S. PIEDELIEVRE, n°130 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°151 ; Ph. SIMLER, n°610; Ph. THERY, n°75. Ces auteurs en déduisent

que les recours avant paiement présentent un caractère exceptionnel, et que la liste des articles

2032 et 2039 du Code civil est limitative. 784 En ce sens, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989,

n°309 ; J. FRANÇOIS, n°288 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,

n°161 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°153 ; Ph. SIMLER, n°610 785 Les recours avant paiement sont ouverts à toute caution : caution simple comme solidaire

(Cass. civ., 19 novembre 1872 : DP 1873, 1, p. 38 ; S. 1873, 1, p. 193, note LABBE),

personnelle comme réelle, avaliste (Cass. req., 6 février 1906 : S. 1906, 1, p. 481 ; DP 1908,

1, p. 225 ; Cass. civ., 25 mai 1938 : DH 1938, p. 385 ; Gaz. Pal. 1938, 2, p. 183 ; Cass. com.,

12 juillet 1971 : Bull. civ. IV, n°202). 786 L’interprétation stricte des articles 2032 et 2039 du Code civil a conduit la jurisprudence à

admettre les recours préventifs seulement contre le débiteur principal, à l’exclusion d’un

codébiteur solidaire non cautionné (Cass. com., 27 novembre 1978 : Bull. civ. IV, n°277),

d’un cofidéjusseur (Cass. com., 3 mars 1981 : Bull. civ. IV, n°117), ou encore d’une sous-

caution (Cass. com., 24 mars 1980 : Bull. civ. IV, n°141 ; Cass. com., 12 juin 2001 : Bull. civ.

IV, n°114 ; Cass. com., 11 décembre 2001 : Bull. civ. IV, n°196). Cette dernière solution

s’explique par le fait que, dans la relation caution / sous-caution, la première n’agit pas en

qualité de caution, mais en tant que créancier garanti. L’absence de recours anticipé contre la

sous-caution n’empêche cependant pas la caution de solliciter, comme tout créancier garanti,

des mesures conservatoires qui rejoignent celles de l’action avant paiement (en ce sens, cf.

Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°152). 787 Cass. com., 3 mars 1981 : Bull. civ. IV, n°117

Page 222: L'efficacité des garanties personnelles

distincte de celle qui appartient au créancier contre le débiteur788. Si l’objectif de

prévention de ce recours personnel avant paiement est certain, les moyens de le

réaliser concrètement ne sont pas définis par les textes.

419. Recours préventif sous la forme d’un appel en garantie du débiteur

principal. Lorsque la caution est poursuivie en justice pour le paiement (article

2032-1° du Code civil), la jurisprudence admet que le recours anticipé prenne la

forme d’un appel en garantie du débiteur principal789.

Cette manière de procéder cumule plusieurs avantages pour la caution790 et,

corrélativement, présente plusieurs inconvénients pour le débiteur, susceptibles de

l’inciter à multiplier les efforts pour les éviter. Tout d’abord, l’appel en garantie vaut

dénonciation au débiteur des poursuites dont la caution fait l’objet et ouvre ainsi

droit au remboursement des frais prévus par l’article 2028 du Code civil791. Ensuite,

il permet de solliciter immédiatement la prise de mesures conservatoires sur le

patrimoine du débiteur. En outre, il évite à la caution les frais et délais

supplémentaires qu’impliquerait un recours distinct intenté après paiement. Enfin,

même si le fait que le créancier poursuive la caution sans même agir contre le

débiteur laisse supposer que celui-ci est insolvable ou hors d’atteinte, et donc que le

recours avant paiement risque de demeurer infructueux, l’appel en garantie présente

néanmoins l’intérêt pour la caution d’obtenir au moindre coût un tire exécutoire,

dans l’attente de jours meilleurs.

Si l’appel en garantie est impossible, en raison d’une suspension des

poursuites contre le débiteur principal792, la jurisprudence admet que la caution

puisse pratiquer une saisie-attribution entre les mains d’un tiers, au besoin par voie

de référé793.

420. Recours anticipé de la caution par déclaration de sa créance à la

procédure collective du débiteur principal. Lorsque le débiteur est en faillite ou

en déconfiture civile (article 2032-2° du Code civil), le recours anticipé prend la

788 Cass. com., 19 juin 1984 : Bull. civ. IV, n°198 ; Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV,

n°80 ; Cass. com., 25 octobre 1994 : Bull. civ. IV, n°305 ; Cass. com., 3 mars 1998 : Banque

et droit 1999, n°63, p. 48, note RONTCHEVSKY 789 Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33 ; Cass. com., 21 janvier 2003 : Bull. civ.

IV, n°8 790 En ce sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°153 ; Ph. SIMLER, n°621 791 Sur l’assiette du recours personnel de l’article 2028 du Code civil, cf. infra n°432 792 Cette suspension est imposée par l’article L. 621-40 du Code de commerce en cas

d’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, et elle est

également rendue possible par l’article L. 331-5 du Code de la consommation, en présence

d’une procédure de surendettement. La plupart des auteurs considèrent que l’arrêt provisoire

des poursuites individuelles, dans cette dernière hypothèse, est opposable à la caution (en ce

sens, cf. L. AYNES, note sous Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : LPA 31 janvier 1997,

p. 15, note n°20 ; S. PIEDELIEVRE, Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000,

article 37233, p. 1073 et s. , n°9). D’autres retiennent que la créance de la caution n’est pas

affectée par la suspension, car celle-ci ne trouverait à s’appliquer que dans les rapports des

parties intervenant au processus de négociation amiable, ce qui n’est pas le cas de la caution

(en ce sens, cf. E. BROCARD, Cautionnement et surendettement (à propos d’un arrêt de la

Cour de Cassation du 13 novembre 1996), D. Aff. 1998, n°106, p. 318 et s., n°17). 793 Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33

Page 223: L'efficacité des garanties personnelles

forme d’une déclaration de la créance de la caution à la procédure collective ouverte

contre le débiteur. La Cour de cassation décide que cette action préventive ne saurait

être utilisée contre la caution, en détournant l’article 2032-2° de sa finalité794. Par

conséquent, il a été jugé que la déclaration de la caution préserve uniquement le

droit de celle-ci, sans assurer la survie de la créance principale non déclarée795.

Dans la mesure où, si le créancier ne déclare pas sa propre créance, la caution

est déchargée796, et s’il la déclare, la caution va être, après paiement, subrogée dans

ses droits en vertu de l’article 2029 du Code civil, la déclaration de la caution au

titre de son recours avant paiement peut sembler dépourvue d’intérêt797. Le recours

ouvert par l’article 2032-2° est pourtant utile à la caution lorsque la procédure

collective est clôturée pour insuffisance d’actif. Dans ce cas, alors que le recours

subrogatoire demeure paralysé par l’article L. 622-32 du Code de commerce, le

recours personnel, dont l’article 2032 est une illustration, peut être exercé, à

condition justement que la caution ait déclaré sa créance798.

421. Les incertitudes relatives à l’objet des recours avant paiement. Si la

jurisprudence admet ainsi sans difficulté que le recours anticipé puisse se traduire

par un appel en garantie du débiteur principal ou par la déclaration de la créance de

la caution à la procédure collective de ce dernier, elle est moins tranchée dans

l’admission d’un véritable paiement anticipé de ce que le débiteur peut devoir. En

effet, des décisions de justice viennent corroborer chacune des deux thèses

doctrinales qui s’affrontent concernant l’objet des recours avant paiement. Selon que

cet objet est appréhendé de manière stricte ou, au contraire, de manière libérale, le

recours présente un caractère plus ou moins comminatoire à l’encontre du débiteur

principal.

422. Le recours anticipé comme moyen de pression contre le débiteur. Dans une première conception, restrictive et aujourd'hui minoritaire799, l’objet du

recours préventif n’est, ni le paiement de la somme garantie (le paiement serait

injuste, en cas de prorogation du terme accordée au débiteur principal, ou absurde,

puisque si le débiteur peut payer la caution, il devrait plutôt payer le créancier), ni le

remboursement anticipé de ce que la caution n’a pas payé, ni encore l’indemnisation

d’un préjudice hypothétique et inexistant. Dans cette conception étroite, le recours

préventif est avant tout un moyen de pression contre le débiteur.

794 Cass. com., 19 juin 1984 : Bull. civ. IV, n°198 795 Cass. com., 25 octobre 1994 : Bull. civ. IV, n°305 ; Cass. com., 14 février 1995 : JCP

1995, I, 3851, n°7, obs. SIMLER 796 Sur l’extinction du cautionnement en cas de forclusion du créancier pour défaut de

déclaration de sa créance, cf. infra n°591, 592 797 En ce sens, cf. J. FRANÇOIS, n°290 ; Ph. SIMLER, n°625 798 En ce sens, cf. Ph. THERY, n°78 799 En faveur de cette conception restrictive, cf. C. LACHIEZE, th. préc., n° 393 à 399 ; P.

ANCEL, Le cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°306 ; P. ANCEL,

n°139 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°166

Page 224: L'efficacité des garanties personnelles

Pour obliger celui-ci à exécuter ses obligations, la caution ne peut qu’exiger la

fourniture de sûretés destinées à garantir son recours ultérieur après paiement800, et

prendre des mesures conservatoires si le débiteur ne peut pas fournir de garanties

suffisantes801. En revanche, n’étant pas à proprement parler créancière du débiteur,

la caution ne pourrait obtenir des mesures d’exécution, telles des saisies-exécution.

Pour la même raison, elle ne pourrait pas participer à une procédure de

distribution802, et elle ne pourrait pas davantage invoquer une compensation avec

une créance qu’elle aurait contre le débiteur garanti803.

423. Le recours anticipé comme action en paiement contre le débiteur.

Dans la conception large, aujourd'hui dominante804, l’objet du recours est plus

étendu, et son caractère coercitif à l’égard du débiteur principal est, de ce fait, plus

accusé. En effet, le recours préventif est ici analysé comme un véritable paiement

anticipé de ce que le débiteur pourrait devoir à terme à la caution. Le risque de

paiement que fait courir le débiteur à celle-ci constitue un préjudice actuel, qui

justifie l’action en indemnisation805.

Dès lors, le débiteur peut être condamné au versement d’une somme d’argent,

soit entre les mains d’un tiers (séquestre), soit entre les mains de la caution. Cette

dernière peut également participer à une procédure de distribution et percevoir les

dividendes806, ou encore invoquer, à son bénéfice, la compensation807. « Les sommes

obtenues par l’action préventive sont pleinement acquises à la caution et ne sont

même grevées d’aucune affectation particulière au paiement ultérieur du

créancier »808.

Néanmoins, ces sommes doivent être restituées au débiteur s’il doit

ultérieurement payer le créancier. Par ailleurs, si elles sont reversées par la caution

au créancier, un recours contre d’éventuels cofidéjusseurs doit être exclu, à due

concurrence, sous peine de procurer à la caution un enrichissement injustifié809.

Enfin, si la caution a obtenu un paiement sur le fondement de l’article 2032 du Code

civil, elle ne peut pas, après avoir payé, réclamer un remboursement intégral : le

recours personnel ou subrogatoire après paiement doit être amputé des sommes

perçues au titre du recours anticipé. Celui-ci doit donc prémunir la caution contre le

800 Cass. req., 22 janvier 1868 : DP 1868, 1, p. 168 ; S. 1868, 1, p. 256 ; CA Douai, 12 février

1891 : DP 1893, 2, p. 481, note PLANIOL ; CA Toulouse, 21 décembre 1904 : DP 1905, 2,

p. 359 801 Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33 802 Cass. civ., 17 avril 1905 : S. 1909, 1, p. 385 (solution implicite) ; CA Grenoble, 3 août

1853 : S. 1854, 2, p. 449 ; DP 1855, 2, p. 70 803 Cass. com., 3 mars 1998 : D. Aff. 1998, p. 536 804 En faveur de cette conception, cf. S. PIEDELIEVRE, n°8 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°239 ; D. LEGEAIS, n°276 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.

PICOD, n°51-6 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°154 ; Ph. SIMLER, n°614 805 Cass. civ., 10 janvier 1922 : DP 1922, 1, p. 145, note PERCEROU ; Cass. 1ère civ., 2

février 1982 : Bull. civ. I, n°55 ; Cass. com., 29 octobre 1991 : Bull. civ. IV, n°316 806 CA Paris, 2 mars 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, p. 824. Incidemment, cf. Cass. 1ère civ., 2

février 1982 : Bull. civ. I, n°55 807 Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264 808 Ph. SIMLER, n°614 809 CA Paris, 2 mars 1971 : Gaz. Pal. 1971, 2, p. 824. Contra : Cass. 1ère civ., 2 février 1982 :

Bull. civ. I, n°55

Page 225: L'efficacité des garanties personnelles

risque d’insolvabilité du débiteur, sans toutefois conduire à un enrichissement sans

cause.

424. Que l’objet du recours avant paiement soit entendu restrictivement ou

largement, ledit recours diminue le risque, pour la caution, de ne pas être

remboursée après exécution de ses obligations. L’efficacité du recours anticipé est,

non seulement protectrice des intérêts de la caution, mais aussi de ceux du créancier,

puisqu’elle est de nature à augmenter les chances d’extinction de la dette principale

par le débiteur lui-même, extinction qui constitue l’une des expressions de

l’efficacité objective des garanties personnelles. L’efficacité in abstracto du

cautionnement est également liée à l’efficacité des recours en remboursement.

B/ LES RECOURS EN REMBOURSEMENT

425. Les recours en remboursement contre les cofidéjusseurs et contre les

sous-cautions. L’efficacité du recours contre les cofidéjusseurs810 et contre les sous-

810 La caution ne peut demander aux cofidéjusseurs que ce qu’elle a payé en plus de sa part

(cf. Cass. 1ère civ., 9 mars 2004 : RJDA 8-9/2004, n°1033 et 1046). Elle a cependant intérêt à

le faire en cas d’insolvabilité du débiteur. Pour augmenter ses chances de remboursement, la

caution peut, d’une part, exercer le recours contre le débiteur principal et contre les

cofidéjusseurs en même temps et, d’autre part, agir contre ceux-ci cumulativement sur le

fondement de son action personnelle (article 2033 du Code civil) et de l’action du créancier

dans laquelle elle est subrogée (article 1251-3° du Code civil). Le recours subrogatoire permet

à la caution solvens de bénéficier des sûretés qui garantissent le recours du créancier contre

les cofidéjusseurs. Ce recours est spécialement protecteur des intérêts de la caution solvens et

l’incite, par conséquent, à exécuter ses obligations envers le créancier, lorsque la dette d’une

autre caution est garantie par une sûreté réelle, ou lorsqu’un cofidéjusseur est lui-même

garanti par un certificateur de caution.

Les conditions pour pouvoir exercer un recours contre les cofidéjusseurs ne sont pas

contraignantes (sur ces conditions, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de

l’entreprise, Dalloz, 1989, n°682 à 685 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°242 ; J.

FRANÇOIS, n°293 ; D. LEGEAIS, n°282 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et

P. CROCQ, n°175 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°158 ; Ph. SIMLER, n°638 à 642 ;

Ph. THERY, n°71). Il suffit, en effet, que la caution ait été contrainte de payer (avant le

paiement, la caution est autorisée à appeler les cofidéjusseurs en garantie. Cf. Cass. 1ère civ.,

15 juin 2004 : Bull. civ. I, n°169), que son paiement ait été utile au sens de l’article 2031 du

Code civil, et que les cofidéjusseurs poursuivis aient été tenus de la même dette que la caution

solvens.

La jurisprudence a écarté de nombreuses conditions, renforçant par là même l’efficacité des

recours contre les cofidéjusseurs. Ainsi, lesdits recours sont ouverts dès que la caution est

mise en demeure par le créancier, sans qu’un jugement de condamnation ne soit nécessaire.

Le paiement n’a pas à être intégral. Il suffit que la caution solvens ait désintéressé le créancier

au-delà de sa part contributive dans la dette (CA Paris, 13 janvier 1995 : D. 1995, 573, note

FOURNIER ; JCP 1995, éd. E, I, 515, n°9, obs. SIMLER. Contra, cf. CA Paris, 9 mai 2003 :

JCP 2003, I, 176, n°9, obs. SIMLER). Par ailleurs, l’échelonnement dans le temps des

différents cautionnements n’a aucune incidence sur le recours (Cass. 1ère civ., 3 octobre 1995 :

Bull. civ. IV, n°338), et aucun lien conventionnel préalable entre les cofidéjusseurs n’est

requis. Les juges décident, en outre, que la renonciation par une caution solidaire à son

recours contre le débiteur principal ne la prive pas du droit d’agir contre les cofidéjusseurs

(Cass. 1ère civ., 21 novembre 1973 : Gaz. Pal. 1974, 1, Somm., p. 2 ; D. 1974, IR, p. 28).

Enfin, dans le contexte d’une procédure collective ouverte contre le débiteur principal, la

Page 226: L'efficacité des garanties personnelles

cautions811 peut encourager la caution à exécuter volontairement son engagement et

conforter, ce faisant, la réalisation de l’attente objective du créancier. Ces recours ne

seront pourtant pas détaillés, car la protection des intérêts du bénéficiaire pouvant

résulter de leur efficacité ne découle pas de la constitution ou de la réalisation du

cautionnement lui-même. Or, les seuls effets à prendre en compte dans la définition

et l’appréciation de l’efficacité des garanties personnelles sont ceux produits par le

contrat de garantie lui-même812.

426. L’influence du droit sur les conditions de l’efficacité des recours en

remboursement du garant contre le débiteur principal. S’agissant du recours en

remboursement contre le débiteur principal, son efficacité est subordonnée à deux

conditions. La première a trait à l’existence même du recours et au fait qu’il soit

largement ouvert à la caution. La seconde réside dans la solvabilité du débiteur

principal.

Le droit positif a peu de prise sur cette seconde condition. Il favorise

néanmoins la sauvegarde du droit de gage général de la caution contre le débiteur

principal, en autorisant celle-ci à prendre des sûretés réelles sur le patrimoine du

Cour de cassation a décidé, d’une part, que le recours contre les cofidéjusseurs peut être

exercé même si la caution solvens n’a pas déclaré sa créance contre le débiteur principal, les

autres cautions ayant elles-mêmes la faculté d’effectuer une telle déclaration, même avant

d’avoir payé, en vertu de l’article 2032 du Code civil (Cass. com., 5 novembre 2003 : Bull.

civ. IV, n°158). La Cour de cassation a retenu, d’autre part, que les cofidéjusseurs doivent

rembourser, à hauteur de leur part et portion dans la dette, la caution qui a payé la dette

principale, même si cette dette était éteinte pour ne pas avoir été déclarée à la procédure

collective du débiteur principal (Cass. com., 5 février 2002 : JCP 2002, I, 162, n°10, obs.

SIMLER). Lorsque la procédure collective frappe un cofidéjusseur, la Chambre commerciale

retient une solution moins favorable à la caution exerçant son recours, puisqu’elle décide que

sa créance prend naissance à la date de son engagement et non à la date de son paiement

(Cass. com., 16 juin 2004 : Bull. civ. IV, n°123). En conséquence, la créance fondant le

recours doit être déclarée si la procédure est ouverte après la signature du cautionnement et,

dans cette hypothèse, ladite créance ne relève pas de l’article L. 621-32 du Code de

commerce. 811 Le recours de la caution principale contre la sous-caution est nécessairement de nature

personnelle, puisque, comme il n’existe aucune relation entre le créancier et la sous-caution,

la caution de premier rang solvens ne saurait se prévaloir d’une subrogation dans les droits du

créancier (Cass. 1ère civ., 23 mars 2004 : RJDA 7/2004, n°902).

La première Chambre civile de la Cour de cassation a renforcé l’efficacité du recours de la

caution contre la sous-caution en décidant que cette dernière ne peut pas se prévaloir de

l’article 2031 du Code civil à l’encontre de la première qui lui demande le remboursement de

ce qu’elle a payé au créancier (Cass. 1ère civ., 26 février 2002 : Bull. civ. I, n°67). La caution

peut donc payer à la demande du créancier, sans craindre d’être déchue de son droit à

remboursement par la sous-caution au cas où la créance ainsi payée serait éteinte. Il n’est pas

sûr que cette solution protectrice des intérêts, tant de la caution, que du créancier, se

maintienne, car la Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 17 septembre

2002 : Bull. civ. IV, n°123), a jugé qu’une sous-caution, sauf en cas d’admission de la créance

de la caution au passif du débiteur principal (Cass. com. 11 février 2004 : RJDA 8-9/2004,

n°1017 et 1047 ; JCP 2004, I, 188, n°9, obs. SIMLER ; Cass. com., 30 mars 2005 : D. 2005,

AJ, p. 1151), peut, pour se soustraire à l’action en paiement dirigée contre elle par la caution,

opposer la non déclaration de la créance principale au passif du débiteur. 812 Cf. supra n°20

Page 227: L'efficacité des garanties personnelles

débiteur813. Il réduit par ailleurs les conséquences néfastes pour la caution de

l’insolvabilité du débiteur lors du recours, en lui permettant de déduire fiscalement

de son revenu imposable les sommes versées au créancier814.

C’est surtout à l’égard de la première condition, tenant à l’existence et aux

conditions du recours en remboursement, que le droit positif joue un rôle

déterminant. Sous cet angle, la loi et les juges œuvrent pour l’efficacité du recours.

Dans la mesure où cette efficacité est de nature à inciter le débiteur principal à

éteindre lui-même sa dette et à augmenter les chances d’exécution volontaire de la

caution, il apparaît qu’elle protège les intérêts financiers du créancier. Le droit

positif, en rendant les recours après paiement efficaces, contribue ainsi à rendre le

cautionnement lui-même efficace.

Il est intéressant de souligner, tant les causes d’efficacité communes aux deux

recours en remboursement de la caution contre le débiteur principal (1), que les

causes d’efficacité propres au recours personnel, d’une part, et au recours

subrogatoire, d’autre part (2).

1. Les causes d’efficacité communes aux deux recours en remboursement

427. Les sujets du recours. La caution peut se retourner contre tout débiteur

principal. En cas de pluralité de débiteurs solidaires, si la caution les a tous

cautionnés, l’article 2030 du Code civil dispose qu’elle « a, contre chacun d’eux, le

recours pour la répétition du total de ce qu’elle a payé ». Si la caution n’a garanti

qu’un ou plusieurs d’entre eux, la jurisprudence admet qu’elle puisse agir contre le

codébiteur non cautionné, non seulement par un recours subrogatoire815, mais aussi

par un recours personnel816.

813 Cette pratique est très rare chez les cautions profanes. Ce sont les cautions professionnelles

qui réclament des sûretés au débiteur pour renforcer leur action en remboursement (en ce

sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°230). 814 La déduction fiscale des paiements faits par la caution, fondée sur les articles 13 et 83-3 du

Code général des impôts, est soumise à plusieurs conditions (cf. P. ANCEL, Le

cautionnement des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°694 à 703 ; S. NONORGUE, La

situation fiscale du dirigeant, caution de la société, JCP 1997, éd. E., I, 649, n°3 à 34 ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°227 ; Ph. SIMLER, n°412). L’obligation de la caution doit

avoir été la conséquence de son activité professionnelle, ce qui est le cas pour les dirigeants-

cautions. Le dirigeant doit être salarié ou avoir une fonction rémunérée dans la société

cautionnée. Il doit s’agir d’une fonction de direction, et cette fonction doit être effective. Le

cautionnement doit être directement rattaché à la qualité de dirigeant et donné « en vue de

servir les intérêts de l’entreprise » (CE 18 octobre 1993 : JCP 1994, éd. E., II, 552, note

D.F.). Le paiement doit avoir été fait sur poursuites. Le dirigeant salarié doit renoncer à la

déduction forfaitaire de 10% et adopter le régime des frais réels. Le Conseil d’Etat écarte la

restriction de la déduction en faveur des dirigeants ayant moins de 50% du capital social,

comme le préconisait le Fisc (CE 4 novembre 1988 : JCP 1988, éd. E., I, 17926 ; JCP 1989,

éd. N., II, 351, note D.F.).

Si toutes ces conditions sont réunies, la déduction n’est admise que dans la limite d’une

proportion entre la rémunération perçue l’année du cautionnement et le total cumulé des

dettes cautionnées. Cette proportion a été plafonnée à un tiers par le Conseil d’Etat (CE plén.,

22 décembre 1989 : RJF 2/1990, n°105 ; Dr. fisc. 1990, n°17-18, comm. 858, concl.

RACINE). Si le cautionnement est jugé hors de proportion avec la rémunération, une

déduction partielle est admise (CE 20 février 1991 : JCP 1991, éd. E., pan. 363). 815 Cass. civ., 6 juillet 1896 : DP 1896, 1, p. 455 ; S. 1897, 1, p. 5, note LYON-CAEN ; Cass.

civ., 21 janvier 1935 : S. 1935, 1, p. 110 ; DH 1935, 1, p. 116 ; Gaz. Pal. 1935, 1, p. 452 ;

Page 228: L'efficacité des garanties personnelles

428. L’inopposabilité à la caution exerçant ses recours des mesures

fondées sur l’impératif de justice distributive. La Cour de cassation a reconnu à la

caution le droit de demander remboursement au débiteur principal ayant bénéficié de

mesures fondées sur l’impératif de justice distributive817. En effet, la première

Chambre civile, dans un arrêt du 15 juillet 1999818, a décidé que la mesure de

réduction du solde d’un prêt immobilier encore dû à l’établissement de crédit après

la vente du domicile du débiteur surendetté ne s’applique pas au recours de la

caution qui a payé la dette du débiteur principal.

Cette solution a une portée plus large que la seule réduction fondée sur l’article

L. 331-7 alinéa 1er 4° du Code de la consommation819. Elle pourrait s’appliquer à

toutes les hypothèses dans lesquelles la dette garantie a été réduite ou rééchelonnée,

ou celles dans lesquelles son échéance a été prorogée.

La Haute juridiction semble admettre que la caution puisse exiger un

remboursement intégral, aussi bien lorsqu’elle exerce un recours personnel, que

lorsqu’elle met en œuvre le recours subrogatoire, puisqu’elle vise simultanément les

articles 2028 et 2029 du Code civil. En acceptant le recours subrogatoire, alors que

la caution ne devrait pas avoir plus de droits que n’en avait le créancier envers le

débiteur surendetté820, la Cour de cassation fait nettement primer les intérêts de la

caution sur ceux du débiteur principal, qui devient « le grand perdant de ce jeu à

trois personnes »821.

Le recours de la caution risque, en effet, d’anéantir le plan de redressement mis

en place, d’autant que ce recours ne paraît pas pouvoir être paralysé par un délai de

grâce accordé au débiteur822. Sauf à ce que ce dernier demande l’application de

nouvelles mesures, cette fois directement contre la caution, ou demande même

l’ouverture d’une nouvelle procédure si la première était déjà achevée, ou sauf à ce

que la caution participe au plan de redressement et renonce à exercer immédiatement

ses recours, ceux-ci ne sont donc pas affectés par l’ouverture d’une procédure de

surendettement. La jurisprudence a privilégié la protection directe de la caution et la

protection incidente du créancier au détriment du redressement du débiteur

principal.

Cass. 1ère civ., 12 décembre 1960 : Bull. civ. I, n°537 ; Cass. 3ème civ., 25 mai 1977 : D. 1977,

IR, p. 453 ; Gaz. Pal. 1977, 2, somm., p. 306 816 Le recours personnel contre le codébiteur non cautionné est fondé sur la gestion d’affaire,

cf. Cass. com., 27 novembre 1978 : Bull. civ. IV, n°277 817 Sur les expressions de la justice distributive en matière contractuelle, cf. supra n°134-136 818 Cass. 1ère civ., 15 juillet 1999 : Bull. civ. I, n°248. Dans le même sens, cf. Cass. 1ère civ.,

28 mars 2000 : Bull. civ. I, n°107 819 En ce sens, cf. S. PIEDELIEVRE, Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000,

article 37233, p. 1073 et s., n°21 820 La doctrine préconise de limiter la solution au seul recours personnel. Cf. C. LACHIEZE,

th. préc., n°386 à 392 ; E. BROCARD, Cautionnement et surendettement (à propos d’un arrêt

de la Cour de Cassation du 13 novembre 1996), D. Aff. 1998, n°106, p. 318 et s., n°15 ; S.

PIEDELIEVRE, ibid., n°22 ; J. FRANÇOIS, n°328 ; Ph. SIMLER, n°719 821 S. PIEDELIEVRE, ibid., n°23 822 Cass. 1ère civ., 16 décembre 1992 (Bull . civ. I, n°317 ; D. 1994, Somm., p. 18, obs.

FORTIS ; RTD com. 1993, p. 174, obs. PAISANT) a refusé que le juge puisse, pour un même

débiteur, cumuler les dispositions de l’article L. 332-5 du Code de la consommation avec

celles de l’article 1244-1 du Code civil.

Page 229: L'efficacité des garanties personnelles

429. L’influence limitée des causes d’inefficacité des recours en

remboursement sur l’efficacité du cautionnement. Seules deux causes

d’inefficacité du recours sont susceptibles d’inciter le débiteur principal à ne pas

exécuter ses obligations et de compromettre ainsi l’efficacité du cautionnement lui-

même. Il s’agit, d’une part, de la suspension des recours contre le débiteur principal

en redressement judiciaire (article L. 621-40 du Code de commerce), ou en

procédure de surendettement (article L. 331-5 du Code de la consommation) et,

d’autre part, de l’absence de recours contre le débiteur incapable, dont l’obligation

est nulle823.

Les autres hypothèses dans lesquelles la caution se trouve privée de recours en

remboursement n’incitent pas nécessairement celle-ci à refuser d’exécuter son

engagement, et n’affectent donc pas nécessairement l’efficacité du cautionnement.

Tout d’abord, la jurisprudence décide aujourd'hui que les recours personnel et

subrogatoire ne peuvent plus être exercés par la caution à l’expiration du délai de

forclusion de deux ans prévu par l’article L. 311-37 du Code de la consommation824.

Si cette solution compromet l’efficacité des recours en remboursement contre le

consommateur bénéficiaire d’un crédit mobilier, on peut se demander si la

modification de l’article L. 311-37 du Code de la consommation par la loi MURCEF

du 11 décembre 2002825 ne pourrait pas conduire à sa remise en cause. En effet,

depuis cette loi, la forclusion biennale est inopposable à l’emprunteur qui conteste la

régularité formelle de l’offre de crédit et ne concerne plus que la seule action du

prêteur. Si la Cour de cassation limite, comme l’y invite la loi nouvelle, l’application

du délai de deux ans aux actions du créancier contre le débiteur, une cause

d’inefficacité des recours de la caution contre le débiteur se trouverait supprimée et

le cautionnement y gagnerait en efficacité.

Une seconde cause d’exclusion du recours en remboursement est cette fois

d’ores et déjà tempérée par la jurisprudence. Il s’agit de la donation indirecte

consentie par la caution au débiteur826. Sauf si elle se situe dans les rapports entre

823 Sur cette question, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ,

n°139 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°77 ; Ph. SIMLER, n°224 : « Tout au plus

peut-on admettre un recours contre l’incapable dans la mesure où l’affaire qui le liait au

créancier a tourné à son profit, recours qui trouve son fondement, soit dans la subrogation de

la caution dans les droits conférés au créancier contre l’incapable par l’article 1312 du Code

civil, soit dans la théorie de la gestion d’affaire ». 824 Cass. 1ère civ., 17 novembre 1993, 2 arrêts : Bull. civ. I, n°333 et 334 ; Cass. 1ère civ., 27

mai 1997 : Bull. civ. I, n°173 ; Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°366

Cette solution s’explique par le fait que, depuis la loi du 23 juin 1989, le dispositif protecteur

du consommateur a été étendu au cautionnement des opérations de crédit (cf. la loi du 23 juin

1989, modifiant l’article 2 de la loi du 10 janvier 1978, et codifiée à l’article L. 311-2 du

Code de la consommation : « Les dispositions du présent chapitre s’appliquent à toute

opération de crédit, ainsi qu’à son cautionnement éventuel, consentie à titre habituel par des

personnes physiques ou morales, que ce soit à titre onéreux ou gratuit. »). 825 Loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 (article 16-II). Sur cette loi, cf. X. LAGARDE,

Forclusion biennale et crédit à la consommation. La réforme de l’art. L. 311-37 du Code de

la consommation, JCP 2002, I, 106 ; X. LAGARDE, Mouvement sur la forclusion (à propos

de l’article L. 311-37 du Code de la consommation), LPA 8 janvier 2003, n°5, p. 4 et s. 826 Sur cette question, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°236 ; J. FRANÇOIS, n°273 ;

D. LEGEAIS, n°282 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°154 ;

Page 230: L'efficacité des garanties personnelles

époux (article 1096 du Code civil), la libéralité est irrévocable et, par conséquent,

exclusive de tout recours contre le débiteur principal827. La renonciation expresse de

la caution à son recours est rare. Le plus souvent, cette renonciation s’induit des

circonstances, notamment des relations entre la caution et le débiteur et de

l’intention libérale qu’elles révèlent. La jurisprudence préserve l’efficacité du

recours en remboursement et, par là même, protège les intérêts du créancier, en

retenant que le seul fait que le cautionnement ait été souscrit à titre de service gratuit

entre parents ou proches, n’implique nullement la renonciation au recours828. Une

autre raison explique que le défaut de recours en cas de libéralité consentie au

débiteur n’empêche pas le cautionnement d’être efficace. En effet, si la qualification

de donation indirecte est retenue, c’est que les liens entre la caution et le débiteur

principal sont particulièrement prégnants, et dénotent un animus donandi. Or, dans

un tel contexte, il est plus que probable que la caution exécute volontairement ses

obligations, afin d’éviter au débiteur principal des tracasseries. L’inefficacité du

recours n’aura donc pas de répercussions négatives sur la protection des intérêts du

créancier.

La troisième cause d’inefficacité du recours après paiement n’affectant pas

l’efficacité du cautionnement lui-même réside dans les deux cas de déchéance

prévus par l’article 2031 du Code civil829. Ce texte vise à sanctionner la négligence

ou l’excès de zèle de la caution et à éviter un paiement indu. Si l’article 2031 ne nuit

pas à l’efficacité du cautionnement, c’est en premier lieu parce qu’il pose des

conditions strictes à la déchéance de la caution830, en deuxième lieu parce qu’il est

H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°51-4 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°144 ; Ph. SIMLER, n°560 ; Ph. THERY, n°70 827 CA Bordeaux, 26 février 2002 : JCP 2002, éd. E, 1424, n°1, obs. SIMLER 828 CA Paris, 11 juillet 1980 : Juris-Data n°099329 : la convention de liquidation d’une

communauté après divorce n’emporte pas renonciation par la femme au recours contre le

mari. Mais, la première Chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère civ., 12 mai 1982 :

Bull. civ. I, n°173) a retenu la qualification de donation indirecte en présence d’un

cautionnement consenti entre un amant et une maîtresse (pour une critique de cet arrêt, cf. J.

CASEY, th. préc., n°311 à 314 ). 829 Sur ces deux fins de non recevoir, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des dettes de

l’entreprise, Dalloz, 1989, n°667 à 669 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°233 ; J.

FRANÇOIS, n°284 ; D. LEGEAIS, n°277 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et

P. CROCQ, n°155 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°51-4 ; Ph.

SIMLER, n°601 à 603 ; Ph. THERY, n°70 830 La condition commune aux deux hypothèses de l’article 2031 du Code civil est le défaut

d’avertissement du débiteur principal par la caution solvens. Cette première condition est

appréciée de manière très libérale, puisqu’il suffit que le paiement effectué ou projeté soit

porté à la connaissance du débiteur (il s’agit d’un fait juridique à l’égard duquel une preuve

écrite ne saurait être exigée), et la source de l’information est indifférente. La condition

requise spécialement par l’article 2031 alinéa 1er est le second paiement opéré par le débiteur.

Cela suppose une mauvaise foi caractérisée du créancier. L’article 2031 alinéa 2 pose, quant à

lui, deux conditions en plus du défaut d’avertissement : la caution doit avoir payé, sans avoir

été poursuivie par le créancier, et alors que le débiteur disposait de moyens de défense pour

déclarer la dette éteinte (pour un exemple d’application de l’article 2031 alinéa 2, cf. CA.

Paris, 6 avril 2004 : RJDA 5/05, n°622).

Page 231: L'efficacité des garanties personnelles

interprété strictement par la jurisprudence831 et, en troisième lieu, parce qu’il prévoit,

au bénéfice de la caution, une action en répétition de l’indu contre le créancier.

430. Par le biais des recours en remboursement de la caution contre le débiteur

principal, le droit positif protège les intérêts du créancier, non seulement en ouvrant

largement lesdits recours, mais aussi en évitant que les causes d’inefficacité de ceux-

ci ne compromettent l’efficacité du cautionnement lui-même. En plus des causes

d’efficacité communes aux deux types de recours après paiement, il existe des

causes d’efficacité propres au recours personnel et au recours subrogatoire, qui

augmentent encore les chances de réalisation de l’attente objective des créanciers.

2. Les causes d’efficacité

propres au recours personnel et au recours subrogatoire

431. Cumul des deux recours après paiement. Chacun des recours en

remboursement dont dispose la caution présente des avantages distincts, qui peuvent

être cumulés, puisque la caution peut agir, par une même demande en justice, sur le

fondement du contrat de crédit qui la lie au débiteur principal, ou de la gestion

d’affaire si le cautionnement a été donné à l’insu du débiteur, ou encore sur le

fondement de la subrogation organisée par l’article 1251-3° du Code civil832.

432. Les causes d’efficacité du recours personnel. Le recours personnel de

l’article 2028 du Code civil est une action en paiement obéissant au droit

commun833. La caution peut, par la voie d’une procédure de référé, solliciter l’octroi

d’une provision834, et elle peut également obtenir satisfaction par le biais d’une

compensation avec des sommes qu’elle devait par ailleurs au débiteur835.

Les conditions d’exercice du recours personnel sont peu contraignantes,

puisqu’il suffit que la caution ait payé, quel qu’en soit le mode, sans que le créancier

831 Les recours restent ouverts à la caution lorsqu’elle paye une seconde fois, faute d’avoir été

avertie par le débiteur de son propre paiement, ou encore lorsqu’elle paye sur les poursuites

du créancier, pendant que le débiteur avait un moyen de faire déclarer la dette éteinte (en ce

sens, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°141). Le recours est aussi maintenu dans le

cas où la caution poursuivie a payé alors qu’elle avait connaissance d’une exception qui aurait

pu être opposée au créancier ou du moins d’une contestation sérieuse de la dette (Cass. com.,

19 octobre 1970 : Bull. civ. IV, n°269 ; Cass. 1ère civ., 16 novembre 1971 : Bull. civ. I,

n°288 ; Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°366). Le recours est enfin maintenu

lorsque la caution a payé, sur les poursuites du créancier et après en avoir averti le débiteur,

dans l’ignorance d’une transaction ayant éteint la dette (Cass. com., 11 décembre 1985 : Bull.

civ. IV, n°293). 832 Cass. com., 30 novembre 1948 (Bull. civ. IV, n°264) a admis que le fait d’avoir saisi le

tribunal sur le fondement de l’article 2029 du Code civil n’interdit pas à la caution d’invoquer

en cours d’instance les dispositions de l’article 2028

Sur l’exercice simultané des deux recours, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°232 ; J.

FRANÇOIS, n°271 ; D. LEGEAIS, n°277 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et

P. CROCQ, n°153 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°51-1 ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°140 ; Ph. SIMLER, n°556 833 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°564 834 Cass. 1ère civ., 11 mars 1986 : Bull. civ. I, n°60 835 Cass. com., 6 février 1996 : Bull. civ. IV, n°34, 2e arrêt

Page 232: L'efficacité des garanties personnelles

ne l’ait obligatoirement poursuivie, dès lors toutefois que le paiement est valable et

libératoire pour le débiteur principal.

Le principal avantage du recours prévu par l’article 2028 du Code civil réside

dans son assiette. Il permet à la caution de réclamer au débiteur plus que ce qu’elle a

effectivement payé au créancier. Le recours personnel présente donc un caractère

comminatoire pour le débiteur, qui a tout intérêt à l’éviter en éteignant lui-même sa

dette. La caution, en plus du principal836, peut demander remboursement des intérêts

moratoires sur la somme globale qu’elle a versée au créancier837. Ces intérêts

peuvent être plus élevés que ne le prévoit la loi, dès lors qu’un accord a été

initialement passé en ce sens entre la caution et le débiteur838. Par ailleurs, par

dérogation au droit commun de l’article 1153 alinéa 3 du Code civil, la

jurisprudence décide que ces intérêts courent de plein droit dès le jour du paiement

fait par la caution au créancier, indépendamment de toute sommation ou

poursuite839. La caution peut aussi réclamer le remboursement des frais qu’elle a

exposés pour le recouvrement de sa créance, tels que des honoraires d’avocat ou les

frais qu’elle a dû avancer au créancier auquel elle a pu opposer le bénéfice de

discussion. L’article 2028 alinéa 2 du Code civil limite, cependant, le

remboursement aux seuls frais engagés depuis que la caution a dénoncé au débiteur

les poursuites dirigées contre elle. Enfin, la caution peut obtenir des dommages et

intérêts compensatoires destinés à indemniser un préjudice indépendant du simple

retard et causé par la mauvaise foi du débiteur840.

Un autre avantage du recours personnel tient à l’indépendance de son régime

par rapport à celui de l’action du créancier. Ce recours est ainsi soumis à « un délai

de prescription nouveau et autonome, en principe trentenaire (article 2262) quelles

qu’aient été la nature et la durée restant à courir de la prescription de la dette

principale »841.

Les derniers avantages du recours de l’article 2028 du Code civil se manifestent

en cas de procédure collective ouverte contre le débiteur principal. D’une part, si

l’on retient que le droit de la caution contre le débiteur prend naissance au jour du

paiement du créancier, et que ce paiement a lieu alors que le débiteur est en période

d’observation, la caution devrait bénéficier du principe posé par l’article L. 621-32

du Code de commerce, ce qui lui permettrait d’être payée par préférence à d’autres

créanciers du débiteur842. D’autre part, la loi du 10 juin 1994 a modifié l’article 169

836 Le principal, au sens de l’article 2028 alinéa 2 du Code civil, recouvre, non seulement le

principal de la dette garantie, mais aussi toutes les sommes versées au créancier, dans la

mesure où elles étaient répétibles contre la caution (intérêts de la dette principale, frais

engagés par le créancier, éventuels dommages et intérêts dûs à ce dernier par le débiteur). 837 Cass. 1ère civ., 22 mai 2002 : Bull. civ. I, n°138 838 Cass. 1ère civ., 22 mai 2002 : Bull. civ. I, n°138 839 Cass. 1ère civ., 26 avril 1977 : Bull. civ. I, n°187. Cette solution s’explique par le fait que le

recours personnel est habituellement fondé, soit sur le mandat, soit sur la gestion d’affaire, et

que dans ces deux mécanismes, les intérêts moratoires courent de plein droit (article 2001 du

Code civil sur le mandat). 840 Pour des exemples de tels préjudices, cf. Ph. SIMLER, n°580 841 Ph. SIMLER, n°565 842 En ce sens, cf. CA Toulouse, 25 novembre 1992 : JCP 1994, éd. E, I, 365, n°7, obs.

SIMLER ; Rev. proc. coll. 1997, p. 71, obs. SAINT-ALARY-HOUIN ; TGI Saint-Nazaire, 14

septembre 1998 : JCP 2000, éd. E, p. 1076, obs. LUCAS ; CA Rennes, 31 mars 2000 : RD

Page 233: L'efficacité des garanties personnelles

de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 622-32 du Code de commerce), afin de

rétablir le recours personnel de la caution à la suite de la clôture de la procédure

pour insuffisance d’actif843.

Le recours personnel est donc largement ouvert à la caution, ce qui augmente

les chances d’exécution volontaire de son engagement, et son assiette est tellement

large que le débiteur principal se trouve incité à éteindre lui-même sa dette.

433. Les causes d’efficacité du recours subrogatoire. Le recours

subrogatoire de l’article 2029 du Code civil présente également un avantage

susceptible d’encourager la caution à s’exécuter, et donc de protéger les intérêts du

créancier. En effet, ce recours est moins étendu que le précédent844, mais il est plus

sûr, en ce que la caution est in loco creditoris845. « C’est l’originalité majeure du

paiement avec subrogation que de ne pas éteindre la créance de l’accipiens (le

créancier) mais de la transférer avec tous ses accessoires au solvens (la

caution) »846.

La caution peut ainsi bénéficier de tous les droits et avantages que le créancier

s’était ménagé contre le débiteur principal, dès lors qu’il existe un lien suffisamment

étroit avec la créance acquittée et que ces droits ne sont pas empreints d’un caractère

bancaire et financier 2000, n°70, obs. LUCAS ; CA Metz, 21 mai 2002 : D. 2002, AJ,

p. 2468, obs. LIENHARD

Le conditionnel est de mise, car la Cour de cassation décide, dans les rapports entre la caution

et le débiteur (Cass. com., 1er mars 2005 : D. 2005, p. 1365, note LE CORRE), ainsi que dans

les rapports entre cofidéjusseurs (Cass. com., 16 juin 2004 : D. 2004, AJ, p. 2046 ; RD

bancaire et financier 2004, n°200, obs. LEGEAIS ; RJDA 12/04, n°1385 ; RTD civ. 2004,

p. 758, obs. CROCQ ; JCP 2005, éd. E., p. 32, obs. CABRILLAC), que la créance de la

caution prend naissance à la date de son engagement. 843 « La portée de ce recours est néanmoins réduite dans la mesure où il ne peut être utile que

pour les débiteurs personnes physiques, puisque si le débiteur garanti était une personne

morale, la liquidation des biens aura emporté sa dissolution » (Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°177). 844 Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°257 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 2003 : D.

2003, AJ, p. 1092, obs. AVENA-ROBARDET ; JCP 2003, éd. E., 1160, note MARLY ; JCP

2003, II, 10105, note BILLIAU ; RJDA 10/2003, n°1019 ; RD bancaire et financier 2003,

n°139, obs. LEGEAIS : « la subrogation est à la mesure du paiement ; le subrogé ne peut

prétendre, en outre, qu’aux intérêts produits au taux légal par la dette qu’il a acquittée

lesquels, en vertu de l’article 2033, courent de plein droit à compter du paiement ». Cette

solution fragilise l’efficacité du cautionnement en ce qu’elle n’incite pas le débiteur à exécuter

lui-même sa dette. En effet, « la charge définitive est moins lourde que la charge initiale (…).

La vertu (le désintéressement de la caution) vient au secours du vice (le débiteur ne tient pas

sa parole) » (Ph. THERY, obs. sous Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002, Defrénois 2003, article

37850, p. 1614). 845 Comme la caution est placée dans la même situation que le créancier, la Cour de cassation

décide que sa créance de remboursement contre le débiteur trouve sa cause dans le contrat

principal. Si celui-ci est un contrat de prêt d’un montant déterminé, la caution peut ainsi

exercer son recours subrogatoire suivant la procédure d’injonction de payer prévue par

l’article 1405 du nouveau Code de procédure civile (Cass. 2ème civ., 4 mars 2004 : Bull. civ.

II, n°89). 846 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°231

Page 234: L'efficacité des garanties personnelles

propre847. Il en va ainsi des privilèges du vendeur ou du prêteur de deniers, des

hypothèques légales et conventionnelles, des gages, du droit de rétention, de la

clause de réserve de propriété848, des assurances garantissant le créancier contre la

disparition d’un bien, contre le décès ou l’invalidité du débiteur. Subrogée dans les

droits réels du créancier, la caution peut même se retourner contre le tiers acquéreur

de l’immeuble hypothéqué en lui opposant son droit de suite et en lui réclamant le

remboursement, à concurrence de la valeur de l’immeuble849. La caution solvens

profite donc de toutes les garanties constituées en vue du paiement de la même dette

et ce, même si elles n’ont pas été constituées avant la conclusion du

cautionnement850. La caution est subrogée, non seulement dans les droits, mais aussi

dans les actions dont disposait le créancier, tant contre le débiteur principal851, que

contre des tiers852.

434. Conclusion de la Section 1. La réalisation de l’attente objective des

créanciers (le paiement de la dette principale) peut provenir de la protection de la

caution. En effet, les contraintes imposées aux créanciers, qu’elles aient trait à

l’information de la caution ou à l’étendue de l’engagement de celle-ci, peuvent faire

apparaître deux facteurs d’efficacité objective concourant à l’exécution du garant, à

savoir la solvabilité de ce dernier lors de l’appel de la garantie, et l’absence de

contestation de ses obligations.

La protection de la caution, non mise à la charge du créancier, et découlant de

ses recours contre le débiteur principal, sert également les intérêts du créancier.

L’efficacité des recours avant paiement et celle des recours en remboursement ont

en commun d’inciter le débiteur principal à s’exécuter. L’efficacité des recours

personnel et subrogatoire peut conduire, en plus, à un autre facteur d’efficacité, qui

est l’exécution volontaire de la caution.

En instaurant certaines protections du garant, le droit positif organise donc

l’efficacité in abstracto du cautionnement. Mais, c’est surtout lorsqu’il place les

intérêts du créancier au premier plan, et fait primer la fonction de garantie du

847 Sont exclus du recours subrogatoire les droits de nature alimentaire, les prérogatives de

puissance publique appartenant au Trésor (Cass. com., 9 février 1971 : Bull. civ. IV, n°39),

l’engagement pris par un tiers envers le créancier exclusivement, même s’il garantit le droit

de celui-ci (Cass. com., 25 avril 1983 : Bull. civ. IV, n°124 ), les droits contre l’AGS (article

L. 143-11-7 du Code du Travail). 848 Cass. com., 15 mars 1988, 2 arrêts : Bull. civ. IV, n°105 et 106 849 Cass. req., 16 mars 1938 : D. 1939, 1, 41, note VOIRIN 850 CA Rouen, 3 mai 1961 : Gaz. Pal. 1961, 2, p. 166

Le moment de constitution des droits préférentiels joue, au contraire, un rôle essentiel dans

l’application de l’article 2037 du Code civil (cf. infra n°459). 851 Sur l’action résolutoire contre le débiteur principal, cf. Cass. com., 7 décembre 1981 :

Bull. civ. IV, n°427

Comme la caution est subrogée dans toutes les actions du créancier contre le débiteur, la Cour

de cassation décide que la déclaration au passif de la créance garantie suffit à sauvegarder

l’existence du recours de la caution, sans qu’il lui soit nécessaire de déclarer elle-même la

créance dont la subrogation l’investit envers le débiteur principal (Cass. com., 28 janvier

2004 : RJDA 8-9/2004, n°1041 ; JCP 2004, I, 188, n°9, obs. SIMLER). 852 Sur l’action en responsabilité contre le notaire qui avait fourni des renseignements sur la

solvabilité du débiteur principal, cf. Cass. 1ère civ. 7 décembre 1983 : Bull. civ. IV, n°291

Page 235: L'efficacité des garanties personnelles

cautionnement, que l’implication du droit positif dans l’apparition de cette efficacité

est la plus manifeste.

SECTION 2 : LA PRIMAUTÉ DE LA FONCTION

DE GARANTIE DU CAUTIONNEMENT

435. La protection directe des intérêts des créanciers par le droit des

garanties personnelles. La prise en charge légale ou jurisprudentielle des intérêts

financiers des créanciers consiste à encourager la principale expression de

l’efficacité objective, à savoir l’exécution du garant, en provoquant l’apparition des

deux facteurs concourant à cette manifestation, que sont, d’une part, la solvabilité du

garant lors de l’exigibilité de la dette principale et, d’autre part, l’absence de

contestation de l’engagement du garant.

436. L’influence limitée du droit positif sur la solvabilité de la caution.

S’agissant de la solvabilité de la caution, il convient de reconnaître que le droit du

cautionnement ne déploie que peu de moyens pour la rendre plus sûre à l’échéance.

Il existe, certes, des dispositions dans le Code civil relatives à cette solvabilité853, qui

sont protectrices des seuls intérêts du créancier854, mais la plupart ne concernent que

les cautionnements légaux et judiciaires855. Seule la faculté de remplacement de

853 L’article 2018 du Code civil exige que la caution « ait un bien suffisant pour répondre de

l’objet de l’obligation » et ce, au moment de la fourniture de la sûreté. « Le législateur ne

s’est pas contenté de poser la condition de solvabilité en laissant au juge le soin d’apprécier :

il donne des directives précises et concrètes » (Ph. SIMLER, n°239). En effet, l’article 2019

du Code civil impose d’apprécier la solvabilité de la caution eu égard aux seules propriétés

foncières. Cette restriction, que beaucoup dénoncent comme une « séquelle anachronique de

l’adage res mobilis, res vilis » (Ph. SIMLER, n°241. Dans le même sens, cf. J. FRANÇOIS,

n°78 ; D. LEGEAIS, n°210), est écartée dans deux cas par l’article 2019 alinéa 1er lui-même

(pour les dettes modiques et pour les dettes commerciales), et également par l’article 2041,

lorsque le débiteur fournit, à la place du cautionnement, « un gage en nantissement

suffisant ». L’article 2019 exclut aussi la prise en compte d’immeubles litigieux (non pas au

sens de l’article 1700 du Code civil, mais comme contestables à un titre quelconque). 854 « Les conditions de solvabilité et de domicile ne sont pas, au sens de l’article 2018, des

conditions de validité. Ces conditions sont prohibitives, en ce sens que la caution qui ne les

remplit pas peut être refusée par le créancier ou par le juge, mais non dirimantes, le

cautionnement ne pouvant être annulé sous prétexte qu’elles n’étaient pas remplies » (Ph.

SIMLER, n°235). Les règles des articles 2018 et suivants ne sont donc instituées qu’au profit

du créancier. En conséquence, celui-ci est libre de recevoir une caution indigente.

Corrélativement, il peut refuser, sans abus, la caution qui lui est proposée si elle ne répond pas

aux prescriptions légales. Enfin, seul le créancier peut invoquer ces dispositions, la caution ne

pouvant s’en prévaloir pour faire annuler son propre engagement (Cass. com., 7 février 1984 :

Gaz. Pal. 1984, 2, pan., p. 163, obs. A.P. ; Cass. com., 3 mars 1987 : Bull. civ. IV, n°58). 855 Les articles 2018, 2019 et 2041 concernent les hypothèses dans lesquelles le créancier se

trouve confronté à un garant qu’il n’a pas choisi. Dans le cadre des cautionnements imposés

par la loi ou un juge, le créancier ne peutt refuser la caution qui lui est présentée par le

débiteur, « car ce serait pour lui un moyen de refuser l’avantage prévu par le législateur »

(M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°335). La loi impose alors des conditions de solvabilité

pour assurer un équilibre entre les intérêts opposés en présence (en ce sens, cf. Ph. SIMLER,

n°236). Il convient néanmoins de souligner que c’est justement dans le cadre des

cautionnements légaux et judiciaires que ces conditions de solvabilité sont les moins utiles,

Page 236: L'efficacité des garanties personnelles

l’article 2020 du Code civil est appliquée par la jurisprudence aux cautionnements

conventionnels856.

Les autres moyens légaux permettant aux créanciers de poursuivre une caution

solvable ne sont pas propres à la matière du cautionnement. Il s’agit des mesures

conservatoires prises sur le patrimoine de la caution857, de la tierce-opposition contre

une décision rendue au profit de la caution et qui lui fait grief858, et de l’action

paulienne, dans l’hypothèse où la caution organiserait son insolvabilité859.

437. L’influence décisive du droit positif sur les contestations des

cautions. C’est principalement à l’égard du second facteur concourant à l’exécution

du garant, c'est-à-dire l’absence de contestation des obligations de ce dernier, que le

rôle du droit positif est le plus accusé. La loi et la jurisprudence font primer les

intérêts des créanciers en empêchant ou en rejetant les contestations de la caution,

car lesdits cautionnements sont le plus souvent octroyés par des banques (en ce sens, cf. J.

RAYNAUD, La solvabilité de la caution, LPA 21 janvier 2000, n°15, p. 13).

En plus des dispositions précitées du Code civil, il existe aujourd'hui d’autres exigences

concernant la solvabilité des cautions légales, surtout en droit des affaires. Ainsi, les sociétés

de caution mutuelle et les banques qui veulent être agréées par des créanciers institutionnels,

tels que l’administration fiscale ou douanière, sont obligées de déposer en gage une somme

d’argent (environ 15000 euros) à la Caisse des dépôts et consignations, qui permet de

répondre de leur solvabilité (sur cette exigence, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°18 et

335). 856 En cas d’insolvabilité survenue postérieurement à la fourniture de la caution, ou en cas

d’insolvabilité existant dès cette époque, mais restée ignorée du créancier, l’article 2020

impose au débiteur de fournir une autre caution, à peine de déchéance du terme stipulé pour le

remboursement de sa dette (sur les hypothèses dans lesquelles cette obligation et la sanction

qui y est attachée sont écartées, cf. Ph. SIMLER, n°244). La Cour de cassation fait jouer cette

obligation même en présence d’un cautionnement conventionnel (Cass. 3ème civ., 4 janvier

1983 : Bull. civ. III, n°1) 857 Dès lors qu’il existe une créance paraissant fondée dans son principe et que le créancier

justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement (articles 67 et s. de la loi

du 9 juillet 1991), ledit créancier peut pratiquer des mesures conservatoires, et notamment

inscrire une sûreté judiciaire (Cass. com., 14 décembre 1966 : Bull. civ. III, n°482 ; Cass. 2ème

civ., 22 mai 1996 : RD bancaire et bourse 1997, p. 23, obs. CREDOT et GERARD), ou

exercer une saisie conservatoire (Cass. 2ème civ., 18 mars 1966 : Bull. civ. II, n°376 ; Cass.

com., 1er mars 1971 : Bull. civ. IV, n°65 ; Cass. com., 1er février 1977 : Bull. civ. IV, n°33).

Sur la justification de ces mesures conservatoires, cf. supra n°264 858 La tierce-opposition est le plus souvent exercée contre le jugement d’homologation du

changement de régime matrimonial de la caution, réalisé en fraude des droits du créancier. Cf.

Cass. 1ère civ., 2 mars 1982 : Bull. civ. I, n°93 859 L’action paulienne peut être exercée dès qu’il existe une créance certaine en son principe

au moment de l’acte litigieux (Cass. com., 12 juillet 1994 : Bull. civ. IV, n°260 ; Cass. 1ère

civ., 2 juillet 2002 : RJDA 2/2003, n°64). L’action paulienne est même possible, en l’absence

de créance actuelle, s’il y a anticipation de la fraude. Celle-ci est établie dès que la caution a

connaissance du préjudice causé au créancier. La Cour de cassation exige, par ailleurs, que le

créancier apporte la preuve de l’insolvabilité de la caution (Cass. com., 14 novembre 2000 :

Bull. civ. IV, n°173). Enfin, la Chambre mixte a récemment précisé que, si le créancier exerce

une action paulienne, sa faute ne peut pas être invoquée par la caution par voie d’exception

(Cass. ch. mixte, 21 février 2003 : Bull. ch. mixte, n°3).

Sur l’ensemble de cette question, cf. B. ROMAN, La caution et l’action paulienne : la

délicate alliance des règles de fond et de procédure, D. 2003, chron., p. 2156 et s.

Page 237: L'efficacité des garanties personnelles

aussi bien lorsque le débiteur principal n’est pas soumis à une procédure collective

de paiement (§1), que lorsqu’il bénéficie de mesures relevant de l’impératif de

justice distributive (§2).

§1 : LA PRIMAUTE DE LA FONCTION DE GARANTIE

EN DEHORS DE TOUTE PROCEDURE COLLECTIVE

DE PAIEMENT CONTRE LE DEBITEUR

438. Régime du bénéfice de discussion. En dehors de toute procédure

collective ou de surendettement dirigée contre le débiteur principal, le droit positif

fait primer la fonction de garantie du cautionnement de diverses façons. Il évite tout

d’abord les retards dans l’exécution de l’obligation de règlement de la caution et, par

conséquent, l’augmentation du coût de la protection des intérêts du créancier, en

n’exigeant pas que le débiteur soit concomitamment recherché en paiement860, et en

subordonnant, au contraire, la mise en œuvre du bénéfice de discussion à de strictes

conditions861.

860 Lors de la préparation de la loi pour l’initiative économique, il a été envisagé de faire

figurer dans le nouvel article L. 341-3 la règle suivante : « Nonobstant toute clause contraire,

toute personne physique qui s’est portée caution envers un créancier professionnel ne peut

être poursuivie si le débiteur n’est pas lui-même concomitamment recherché en paiement de

son obligation ». Alors que l’auteur de cet amendement entendait spécialement protéger le

conjoint d’un entrepreneur individuel, la règle présentait un champ d’application beaucoup

plus large. Cet amendement a été vivement critiqué par le secrétaire d’Etat R. Dutreil pour les

raisons suivantes (Séance Sénat du 26 mars 2003). D’une part, une telle règle aboutirait à une

situation assez paradoxale, puisque le créancier ayant d’abord vainement poursuivi le débiteur

ne pourrait se retourner contre la caution faute de poursuites concomitantes contre le débiteur.

Cela obligerait finalement le créancier à poursuivre systématiquement le débiteur et la caution

en même temps. D’autre part, comme un tel amendement rendrait impératif le bénéfice de

discussion de l’article 2021 du Code civil, les créanciers risqueraient d’exiger de la caution

qu’elle s’engage en tant que garante à première demande ou, pis, en tant que codébiteur

solidaire entièrement tenu de la dette. C’est donc, non seulement pour préserver l’efficacité du

cautionnement, mais aussi pour éviter des effets pervers à l’encontre des garants, que

l’amendement cité a été écarté au profit d’une information de la caution solidaire, complétée

par l’obligation d’engagements proportionnés et par la fixation obligatoire d’un plafond. 861 Le régime du bénéfice de discussion est sévère pour la caution, afin que le caractère

subsidiaire de son engagement ne lui permette pas d’organiser son insolvabilité et de frauder

les droits du créancier (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°323 ; Ph.

SIMLER, n°513). La jurisprudence décide, tout d’abord, qu’en cas de pluralité de débiteurs

principaux, même solidaires, la caution ne peut requérir la discussion des biens d’un débiteur

non garanti par elle (CA Paris, 15e ch., 20 octobre 1978, Philippe contre Girard, inédit).

Ensuite, l’article 2022 du Code civil impose que le bénéfice soit requis sur les premières

poursuites, avant toute défense au fond, comme doit l’être toute exception dilatoire (articles

74 et 108 du nouveau Code de procédure civile). La caution n’en profite donc pas de plein

droit et, en laissant continuer les poursuites à son encontre, elle est censée y renoncer. Elle ne

peut l’invoquer pour la première fois en appel (Cass. req., 27 janvier 1835 : S. 1835, 1,

p. 774 ; Cass. 1ère civ., 15 juillet 1999 : Bull. civ. I, n°236). De surcroît, un juge ne peut lui

octroyer d’office. L’article 2023 du Code civil pose deux conditions supplémentaires. La

première est une condition de fond. La caution doit indiquer au créancier les biens

susceptibles d’être discutés, ce qui n’est pas le cas des biens litigieux, des biens aliénés à des

tiers, des biens ayant une valeur insuffisante ou encore, condition quelque peu archaïque, des

Page 238: L'efficacité des garanties personnelles

439. Les interprétations de l’article 1415 du Code civil favorables aux

créanciers. La jurisprudence sauvegarde, par ailleurs, le droit de gage général du

créancier contre la caution mariée sous le régime de communauté en limitant

l’application de l’article 1415 du Code civil862.

440. Mais c’est surtout en écartant de multiples contestations que pourrait

soulever la caution pour être déchargée partiellement, voire totalement, de ses

obligations, que le droit positif organise l’efficacité objective du cautionnement. La

primauté conférée à la fonction de garantie du cautionnement conduit au rejet de

contestations ayant trait à l’étendue de l’engagement de la caution (A), aussi bien

qu’au rejet de contestations relatives à l’existence même de cet engagement (B).

A/ LE REJET DES CONTESTATIONS

RELATIVES A L’ETENDUE DE L’ENGAGEMENT DE LA CAUTION

441. Régime du bénéfice de division. En cas de pluralité de cautionnements

d’une même dette, chacune des cautions souhaite que les poursuites dirigées contre

elle aient pour objet, non pas la totalité de cette dette, mais seulement sa part

biens situés hors du ressort de la Cour d’appel (pour des exemples de ces différents biens

insaisissables ou difficilement saisissables, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°323 ; Ph.

SIMLER, n°518). La seconde condition posée par l’article 2023 est relative au financement

de la discussion. Elle est particulièrement dissuasive pour la caution, puisqu’elle oblige celle-

ci à avancer les frais au créancier. 862 La loi du 23 décembre 1985, modifiant l’article 1415du Code civil, n’a pas transformé le

cautionnement en acte de cogestion. La jurisprudence en a déduit que l’article 1415 ne peut en

aucun cas fonder une action en nullité de cette sûreté lorsqu’elle est souscrite par un époux

seul (CA Paris, 26 novembre 1991 : D. 1992, IR, p. 23 ; Cass. 1ère civ., 9 novembre 2004 :

Bull. civ. I, n°255, selon lequel, l’action en inopposabilité fondée sur l’article 1415 du Code

civil n’est pas de celles qui se prescrivent dans le délai de cinq ans).

Par ailleurs, la Cour de cassation a jugé que seuls les époux peuvent se prévaloir de l’article

1415, à l’exclusion notamment du tiers acquéreur de l’immeuble commun ayant inscrit sur

celui-ci une hypothèque judiciaire provisoire (Cass. 1ère civ., 14 janvier 2003 : Bull. civ. I,

n°3).

C’est surtout l’interprétation du « consentement exprès » qui se révèle protectrice des intérêts

des créanciers. En premier lieu, le consentement du conjoint n’est pas un engagement de sa

part. Les juges le soustraient ainsi à l’application de l’article 1326 du Code civil (Cass. 1ère

civ., 4 juin 1996 : Bull. civ. I, n°325 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°392).

Il suffit qu’il soit exprès, donc clair et certain (CA Versailles, 2 mai 2002 : Defrénois 2003,

article 37808, note BREMOND : les exigences de l’article 1415 sont remplies si l’accord du

conjoint est explicitement exprimé ou si ce conjoint « averti n’a pas manifesté

d’opposition »). En deuxième lieu, la Haute juridiction a décidé que le cautionnement

solidaire nul de l’épouse vaut « à tout le moins, …consentement exprès à l’engagement de

caution de son époux » (Cass. 1ère civ., 29 avril 1997 : Dr. famille décembre 1997, n°181 ;

Droit et patrimoine octobre 1997, p. 73). En troisième et dernier lieu, la Cour de cassation a

écarté l’article 1415 lorsque les époux se sont portés cautions d’une même dette (Cass. 1ère

civ., 13 octobre 1999 : Bull. civ. I, n°273). Mais, elle a très récemment retenu la solution

inverse dans une espèce où les époux s’étaient engagés en qualité de causion par actes séparés

et à des dates distinctes, sans qu’aucun des actes ne fassent référence à l’existence de l’autre

engagement (Cass. 1ère civ., 8 mars 2005 : JCP 2005, éd. N., 1265 ; D. 2005, IR,

p. 1048).

Page 239: L'efficacité des garanties personnelles

contributive dans celle-ci. Elle entend ainsi limiter l’étendue de son engagement en

obligeant le créancier à diviser ses poursuites.

En privant les cautions solidaires du bénéfice de division863, et en imposant aux

cautions simples de respecter de strictes conditions pour soulever cette exception864,

le droit positif renforce l’efficacité objective du cautionnement, puisqu’il évite au

créancier, d’une part, d’engager des frais supplémentaires pour poursuivre les

différentes cautions865, d’autre part, de supporter l’insolvabilité de l’une des cautions

survenue après la division866.

442. Qu’il y ait une seule ou plusieurs cautions d’une même dette, la loi et la

jurisprudence organisent par ailleurs l’efficacité in abstracto du cautionnement en

empêchant leur décharge partielle. Sont en effet écartés des moyens de défense

susceptibles de réduire le montant de l’engagement de la caution, soit directement

(1), soit par le biais d’une sanction prononcée contre le créancier (2).

1. Les contestations visant à réduire le montant de l’engagement de la caution

443. Les cautions contestent le montant de leur engagement principalement de

deux façons : tout d’abord, en niant s’être engagées à couvrir certaines dettes,

ensuite, en tentant de limiter la durée de leur cautionnement, lorsque celui-ci couvre

des dettes futures. La jurisprudence rejette souvent ces contestations. Elle protège

ainsi les intérêts financiers des bénéficiaires, non seulement en considérant que la

preuve d’un engagement exprès de la caution est rapportée par le créancier (a), mais

863 Le bénéfice de division de l’article 2026 du Code civil est une faveur faite aux cautions

simples, lorsqu’elles sont plusieurs (en tant que tel, il peut faire l’objet de renonciations,

comme l’admet l’article 2026 lui-même, soit expresses, soit tacites). L’article 1203 du Code

civil prive expressément de ce bénéfice les codébiteurs solidaires. La jurisprudence a toujours

appliqué cette règle aux cautions solidaires (Cass. req., 16 mars 1898 : DP 1898, 1, p. 301 ; S.

1902, 1, p. 331). Dès qu’une clause de solidarité est stipulée dans le cautionnement, entre les

cautions, voire seulement à l’égard du débiteur principal (Cass. 1ère civ., 27 juin 1984 : Bull.

civ. I, n°213 ; Cass. com., 7 janvier 1992 : Bull. civ. IV, n°1), ou dès que le cautionnement est

commercial ou cambiaire, le bénéfice de division est donc écarté. La Cour de cassation en

prive également la caution réelle (Cass. 1ère civ., 6 mars 1979 : Bull. civ. I, n°78). 864 A l’égard des cautions simples, le principe selon lequel, en cas de pluralité de débiteurs,

l’obligation se divise de plein droit entre eux, est écarté par l’article 2025 du Code civil. Le

principe étant donc celui de l’obligation au tout, la division des poursuites contre les cautions

simples ne peut avoir lieu que si plusieurs conditions sont réunies. Tout d’abord, la division

doit être demandée. Le juge ne peut la prononcer d’office. Ensuite, elle doit l’être avant toute

défense au fond. Bien que le bénéfice semble être « une exception péremptoire tendant à la

limitation définitive des poursuites à la part contributive de la caution qui l’invoque » (Ph.

SIMLER, n°528), l’article 108 du nouveau Code de procédure civile le qualifie d’exception

dilatoire, devant être soulevée in limine litis (article 74 du même Code). Enfin, la division ne

peut être demandée qu’entre cautions solvables. L’exclusion ne concerne que les cautions

insolvables « dans le temps où une des cautions a fait prononcer la division » (article 2026

alinéa 2). Si toutes ces conditions sont remplies, la division n’a d’effet qu’à l’égard de la

caution qui la demande, sauf aux autres à en faire de même. 865 Dans le cadre du bénéfice de division, ces frais n’ont pas à être avancés par la caution qui

l’invoque. Ils doivent être exposés par le créancier lui-même. 866 L’un des principaux effets du bénéfice de division est de fixer le moment où la caution qui

en jouit ne supporte plus le risque d’insolvabilité des autres. « L’admission de cette exception

arrête, par conséquent, les bases de calcul de sa part contributive » (Ph. SIMLER, n°532).

Page 240: L'efficacité des garanties personnelles

aussi en écartant des termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture de la

caution (b).

a. La preuve d’un engagement exprès de la caution

444. Les articles 2015 et 1326 du Code civil : des moyens de défense prisés

par les cautions. Lorsqu’elles sont poursuivies par les créanciers, les cautions ne

manquent pas d’invoquer les principes d’interprétation et de preuve pour tenter de

limiter la portée de leur engagement. Le contentieux reposant sur les articles 2015 et

1326 du Code civil est ainsi particulièrement nourri867. La jurisprudence contribue à

rendre le cautionnement efficace objectivement en conférant à ces dispositions un

sens favorable aux créanciers.

445. L’interprétation du contrat de cautionnement : position du

problème. L’interprétation du contrat de cautionnement est rendue nécessaire par le

fait que les parties ne mettent pas toujours à profit la liberté qui leur est reconnue de

déterminer le champ de l’obligation de couverture de la caution868. Se pose alors le

problème de la charge des dettes dont les parties n’avaient pas expressément stipulé

la garantie.

En se fondant sur la fonction de garantie du cautionnement, le créancier

invoque l’absence de précision en sa faveur. « Pour lui, le cautionnement doit

garantir, éventuellement dans la limite du montant, les dettes dans toute leur

diversité »869. S’appuyant sur la nécessaire prévisibilité des risques qu’elle entend

garantir, la caution cherche, au contraire, à limiter son engagement à ce qui est visé

dans le cautionnement, afin de réduire le montant de ses obligations.

La recherche de l’étendue de l’engagement de la caution est gouvernée par

deux principes, qui peuvent entrer en contradiction. D’un côté, le caractère

accessoire renforcé commande de mettre à la charge de la caution toutes les suites de

l’obligation principale, de l’autre, le principe d’interprétation stricte (article 2015 du

Code civil) invite à limiter la couverture aux éléments de la dette prévus ou

prévisibles au moment de la conclusion du cautionnement.

446. Les interprétations favorables aux créanciers. De nombreux arrêts de

la Cour de cassation donnent gain de cause aux créanciers en faisant primer le

caractère accessoire renforcé, ainsi que la fonction de garantie du cautionnement, et

en sanctionnant, par une cassation fondée sur l’article 2015, « les juges du fond (qui)

succombent parfois à la tentation de corriger, sous couvert d’interprétation, les

867 L’extension, par le nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation, de l’obligation de

fixer un plafond à l’engagement de la caution, comprenant le principal et les accessoires, à

tous les cautionnements sous seing privé unissant une caution personne physique à un

créancier professionnel, devrait diminuer le contentieux fondé sur les articles 2015 et 1326 du

Code civil (en ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D.

2003, chron., p. 2083 ; J. FRANÇOIS, n°177). En effet, ces textes n’auront désormais

vocation à jouer qu’à l’égard des cautionnements suivants : ceux conclus avant le 1er févier

2004, date d’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 ; ceux souscrits par une caution

personne morale non commerçante ; ceux souscrits par une caution personne physique au

bénéfice d’un créancier non professionnel. 868 Sur cette liberté, cf. supra n°317-341 869 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°149

Page 241: L'efficacité des garanties personnelles

conséquences imprévues d’engagements pris en termes trop généraux, sinon trop

généreux »870.

Dans la recherche de la commune intention des parties relative à l’étendue du

cautionnement, la Haute juridiction décide ainsi que toute donnée permettant

d’établir une volonté certaine peut être retenue. Le juge peut se fonder, notamment,

« sur les termes de l’acte et sur les circonstances qui l’ont précédé ou suivi »871,

telles d’autres cautionnements intervenus entre les mêmes parties872.

Concernant les cautionnements indéfinis de dettes déterminées, c’est en

considérant que la règle de l’accessoire impose de déterminer l’étendue de la

garantie d’après celle de l’opération principale, que la jurisprudence a pu mettre à la

charge de la caution des pénalités contractuelles dues par le débiteur873. Les juges

retiennent aussi que celui qui s’est porté caution d’un bail, sans autre précision, est

tenu, non seulement au titre des loyers, mais aussi de toutes les autres obligations

que la loi ou le contrat mettent à la charge du preneur874.

Concernant les cautionnements indéfinis de dettes seulement déterminables, la

même volonté d’étendre la garantie à des dettes qui n’y sont pas expressément

visées, ou qui n’y sont pas désignées de manière précise se dessine. En effet, la

caution est condamnée, par application de l’article 2016 du Code civil, à payer, outre

la dette principale, tous ses accessoires (les intérêts, les frais exposés par le créancier

à l’occasion des poursuites contre le débiteur principal, les dommages et intérêts dûs

par celui-ci à raison de son inexécution875, l’indemnité forfaitaire prévue par une

clause pénale876, les condamnations encourues à raison de la fraude dont le débiteur

s’est rendu coupable dans l’exécution du contrat877, les réparations locatives

imputables à un locataire878, ou encore les dettes quasi-contractuelles découlant

d’une répétition de l’indu879). En outre, la Cour de cassation impose la couverture,

que l’origine de la dette principale soit directe ou indirecte880.

Le principe d’interprétation stricte, primé par la règle de l’accessoire et par la

fonction de garantie du cautionnement, ne permet donc pas toujours de réduire le

montant des obligations de la caution881.

870 Ph. SIMLER, n°268 871 Cass. req., 9 mai 1877 : DP 1878, 1, p. 110 872 Cass. com., 8 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°262 873 En matière de crédit-bail, cf. Cass. com., 3 janvier 1991 : Bull. civ. IV, n°1. En matière de

prêt, au sujet d'une indemnité de résiliation anticipée, cf. Cass. 1ère civ., 27 mars 1990 : Bull.

civ. I, n°73 874 CA Orléans, 7 décembre 1988 : RTD civ. 1989, p. 359, obs. BANDRAC 875 Cass. 1ère civ., 8 février 1977 : Bull. civ. I, n°71 ; Cass. com., 7 novembre 1977 : JCP

1978, IV, 12 876 Cass. 1ère civ., 20 janvier 1970 : Bull. civ. I, n°26 ; Cass. 1ère civ., 18 février 1976 : Bull.

civ. I, n°76 ; Cass. com., 15 juillet 1986 : Bull. civ. IV, n°155 ; Cass. com., 3 janvier 1991 :

Bull. civ. IV, n°1 877 Cass. req., 18 février 1861 : DP 1861, 1, p. 245 ; S. 1861, 1, p. 417, note CARETTE 878 Cass. 1ère civ., 23 juin 1992 : Bull. civ. I, n°193 879 Cass. 1ère civ., 20 janvier 1987 : Banque 1987, p. 412, obs. RIVES-LANGE 880 Cass. com., 28 janvier 2004 : RJDA 8-9/2004, n°1041 (la caution doit garantir les dettes

indirectes du débiteur nées d’opérations réalisées avec des tiers dans les droits desquels le

créancier se trouve subrogé à l’égard du débiteur principal). 881 Nous exposerons plus loin les solutions protectrices des intérêts de la caution fondées sur

l’article 2015 du Code civil (cf. infra n°567, 577).

Page 242: L'efficacité des garanties personnelles

447. La preuve du cautionnement souscrit par le dirigeant de la société

débitrice. S’agissant, en second lieu, des règles de preuve et, plus particulièrement

de celle figurant à l’article 1326 du Code civil, elles ne constituent pas non plus en

toute hypothèse une planche de salut pour les cautions882. Ainsi, le défaut ou

l’insuffisance de la mention manuscrite du montant dû par la caution883, ou d’une

formule exprimant la compréhension par la caution de l’étendue de son engagement,

lorsque celui-ci est indéfini et qu’il porte sur des dettes seulement déterminables884,

ne permet pas aux cautions intégrées dans les affaires du débiteur principal d’obtenir

la réduction, voire l’extinction, de leurs obligations885. Si les dirigeants cautions non

commerçants (gérants de SARL, administrateurs de SA) sont soumis, depuis la loi

du 12 janvier 1980886, à l’article 1326 du Code civil, la Cour de cassation a

neutralisé l’effet de cette réforme de l’article 109 du Code de commerce en

empruntant deux voies successives887.

Dans un premier temps, elle a introduit un critère subjectif d’appréciation du

caractère suffisamment explicite de la mention manuscrite888, et a jugé que les

882 Cf. infra n°566, 578, 579 les solutions jurisprudentielles fondées sur l’article 1326 du

Code civil constitutives de causes d’inefficacité du cautionnement. 883 La jurisprudence décide que la règle de l’article 1326 du Code civil ne doit pas être

étendue à d’autres caractéristiques ou modalités de son engagement que le montant. Il en va

ainsi de la date de l’acte (Cass. com., 6 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°363), de la nature

des dettes garanties (Cass. com., 29 octobre 1991 : Bull. civ. IV, n°315 ; Cass. 1ère civ., 9 mai

1996 : Bull. civ. I, n°193) et de la stipulation de solidarité (Cass. 1ère civ., 31 janvier 1989 :

Bull. civ. I, n°45). 884 Cass. 1ère civ., 3 mars 1970 : D. 1970, p. 403, note ETESSE ; Banque 1970, p. 602, obs.

MARIN 885 Cette rigueur s’explique par le fait que « la vie des affaires s’accommode mal des règles de

protection du consentement. Elle requiert de la souplesse, mais en même temps de la sécurité.

Il faut donc éviter que des personnes impliquées dans cette vie des affaires ne puissent

remettre en cause trop facilement leur parole » (Ph. DELEBECQUE, Forme et preuve du

cautionnement, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E, Cahier droit

des entreprises 2-92, p. 5 et s., n°6). « Mieux vaut, semble dire la jurisprudence, un

déséquilibre au profit du créancier qu’une raréfaction générale du crédit aux PME. Le sort

funeste de la caution semble ainsi être le prix à payer pour le maintien de l’entreprise de

petite dimension » (D. DANET, Le dirigeant et l’omnibus, RTD com. 1994, p. 181). 886 Depuis cette loi, la liberté probatoire n’existe que pour les cautionnements donnés par les

commerçants, pour les besoins de leur commerce, à l’exclusion de ceux fournis par les

dirigeants sociaux non commerçants, qui restent soumis aux règles de preuve du droit civil

(Cass. com., 21 juin 1988 : Bull. civ. IV, n°212 ; Cass. com., 15 novembre 1988 : Bull. civ.

IV, n°310 ; Cass. com., 19 janvier 1993 : LPA 31 mars 1993, p. 19, note VIDAL ; Cass. com.,

13 mars 2001 : Bull. Joly, §183, p. 854, note SAINTOURENS ; Cass. 1ère civ., 18 mai 2004 :

Bull. civ. I, n°140). 887 Alors que la jurisprudence exclut la protection des dirigeants-cautions fondée sur la

mention manuscrite ad probationem, le législateur semble vouloir faire profiter à ces cautions

intégrées de la mention manuscrite ad validitatem du nouvel article L. 341-2 du Code de la

consommation. Sur l’application de cette disposition à toutes les cautions personnes

physiques, cf. infra n°526 888 Cass. 1ère civ., 4 mars 1986 : Bull. civ. I, n°49 : « Pour l’appréciation de ce caractère

explicite et non équivoque, il doit être tenu compte, non seulement des termes employés, mais

également de la qualité, des fonctions et des connaissances de la caution, de ses relations

Page 243: L'efficacité des garanties personnelles

dirigeants cautions, par hypothèse parfaitement informés, ne pouvaient invoquer les

dispositions protectrices de l’article 1326 du Code civil889.

Dans un second temps, la Chambre commerciale a adopté un raisonnement

moins ouvertement dérogatoire au droit commun, en considérant que la seule qualité

de dirigeant constitue un complément de preuve extrinsèque suffisant890. Dès lors

que la caution exerce effectivement des fonctions directoriales891, elle ne peut donc

pas être déchargée partiellement, voire totalement, si la mention manuscrite fait

référence au corps du texte de l’acte de cautionnement, établi sous forme d’un

imprimé, ou si elle est donnée sous forme d’une lettre dactylographiée

complémentaire892. La Cour de cassation considère également que la preuve de

l’engagement du dirigeant est rapportée par sa seule signature apposée au bas de

l’acte instrumentaire portant contrat principal et cautionnement893. Par ailleurs, la

signature d’un acte de cautionnement, apposée à la fois en qualité de représentant de

la société et en qualité de caution, constitue un commencement de preuve par écrit

pouvant être complété par la qualité de gérant894. L’interprétation que retient la

jurisprudence de l’article 1326 du Code civil est donc particulièrement protectrice

avec le créancier et le débiteur de l’obligation cautionnée, ainsi que de la nature et des

caractéristiques de cette dernière ». 889 Cass. com., 19 juin 1990 : Bull. civ. IV, n°180 ; Cass. com., 26 juin 1990 : Bull. civ. IV,

n°188 ; Cass. com., 15 janvier 1991 : Bull. civ. IV, n°24 ; Cass. com., 29 janvier 1991 : Bull.

civ. IV, n°42 ; Cass. com., 25 mai 1993 : Bull. civ. IV, n°205 890 Cass. com., 1er juin 1993 : Bull. civ. IV, n°213 ; Cass. com., 24 juin 1997 : Bull. civ. IV,

n°198 ; Cass. com., 3 avril 2002 : Bull. civ. IV, n°64 ; Cass. com., 20 mai 2003 : RJDA

12/2003, n°1246

Il convient de souligner qu’après avoir longtemps contrôlé la suffisance des éléments

extrinsèques, la Cour de cassation a expressément reconnu la souveraineté des juges du fond

en ce domaine (Cass. com., 11 juin 2003 : D. 2003, AJ, p. 2311 ; JCP 2003, I, 176, n°3, obs.

SIMLER ; LPA 24 novembre 2003, n°234, p. 4, chron. HOUTCIEFF ; RJDA 12/2003,

n°1245 ; RD bancaire et financier 2004, n°64, obs. LEGEAIS). 891 La qualité de dirigeant social constitue un élément extrinsèque, « peu important que

l’intéressé ait eu la qualité de salarié de la société » (Cass. com., 3 avril 2002 : Bull. civ. IV,

n°64).

En revanche, la protection de l’article 1326 du Code civil joue en présence d’une caution âgée

et malade exerçant des fonctions théoriques d’administrateur de la société débitrice (Cass.

com., 6 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°364), ou d’une caution âgée n’étant qu’un dirigeant

social de complaisance (Cass. com., 6 juillet 1993 : Bull. civ. IV, n°279).

A plus forte raison, la jurisprudence décide que ne peuvent constituer un élément extrinsèque

suffisant la seule qualité d’associé, même majoritaire (Cass. com., 31 mai 1994, 2 arrêts :

Bull. civ. IV, n°192 et 193 ; Cass. com., 29 avril 2003 : JCP 2003, I, 176, n°3, obs. SIMLER ;

RJDA 11/2003, n°1125), ou les seuls liens de parenté ou d’alliance entre la caution et le

débiteur principal (Cass. 1ère civ., 6 décembre 1994 : Bull. civ. I, n°363 ; Cass. 1ère civ., 10

mai 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°193, obs. LEGEAIS ; Dr. sociétés 2000, n°132,

p. 12 ; D. 2001, Somm., p. 691, obs. AYNES). 892 Cass. com., 20 octobre 1992 : RJC 1993, p. 120, note GRAFMEYER 893 Cass. com., 18 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°103 ; Cass. com., 23 mai 2000 : RD bancaire et

financier 2000, n°192, obs. LEGEAIS ; Dr. sociétés 2000, n°132, p. 12 ; D. 2001, Somm.,

p. 690, obs. AYNES 894 Cass. com., 23 mai 2000 : Bull. civ. IV, n°107. Dans le même sens, la Cour de cassation

décide que la validité d’un cautionnement notarié ne tient pas à une double signature, mais à

une double qualité, à savoir « représentant du débiteur / caution » (Cass. com., 8 octobre

2003 : Bull. civ. IV, n°153).

Page 244: L'efficacité des garanties personnelles

des intérêts des créanciers lorsque la caution est intégrée dans les affaires du

débiteur principal.

448. La preuve intrinsèque. Quelle que soit la qualité de la caution,

l’efficacité du cautionnement est également favorisée par le fait que la Cour de

cassation admet que « l’élément de preuve complémentaire puisse être intrinsèque à

l’instrumentum constatant le cautionnement dès lors qu’il est extrinsèque à son

negotium »895. La mention manuscrite irrégulière peut donc être complétée par un

élément figurant dans l’acte signé par la caution, que celui-ci soit en même temps

l’acte contenant l’engagement du débiteur principal896, ou qu’il s’agisse même d’un

acte distinct du contrat garanti897. Par conséquent, pour que la condition probatoire

de l’article 1326 du Code civil soit satisfaite, il suffit que le créancier fasse signer à

la caution un contrat dont le corps relate précisément le contenu de la dette garantie.

« Autant dire, qu’en pratique, il ne reste pas grand chose de l’exigence de la

mention manuscrite ! »898

449. La preuve de la couverture des accessoires de la dette principale.

C’est encore sur le terrain de la preuve de la couverture des accessoires de la dette

principale que la jurisprudence renforce l’efficacité objective du cautionnement

indéfini899. La Chambre commerciale900 et la première Chambre civile de la Cour de

cassation901 n’exigent plus, en effet, que les accessoires figurent dans la mention

manuscrite pour être couverts. Il suffit que le corps de l’acte de cautionnement,

imprimé ou dactylographié, y fasse référence, pour que l’exigence d’engagement

895 P. CROCQ, RTD civ. 2003, p. 122 896 Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°360 ; Cass. 1ère civ., 15 janvier 2002 : Bull.

civ. I, n°13 ; Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 : RD bancaire et financier 2002, n°84, obs.

LEGEAIS ; Cass. 1er octobre 2002 : Bull. civ. I, n°132 ; Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull.

civ. I, n°248 et 250 ; Cass. com., 13 novembre 2002 : RD bancaire et financier 2003, n°12,

obs. LEGEAIS 897 Cass. com., 4 février 2003 : Bull. civ. IV, n°13. Dans cet arrêt, la Cour a néanmoins exigé

« l’absence de contradiction entre les termes de l’acte et la mention manuscrite ».

L’arrêt de la première Chambre civile de la Cour de cassation du 5 mai 2004 (D. 2004, AJ ;

Droit et patrimoine 2004, n°130, p. 109, obs. SAINT-ALARY ; D. 2004, Somm., p. 2708,

obs. AYNES ; RJDA 11/04, n°1264 ; Contrats, conc., consom., 2004, n°105, note

LEVENEUR), bien que précisant que « les éléments extrinsèques susceptibles de compléter le

commencement de preuve constitué par l’acte de cautionnement irrégulier ne peuvent être

puisés dans les autres énonciations de l’acte », ne doit pas être interprété comme remettant en

cause les décisions citées précédemment. En effet, cet arrêt a été rendu dans une situation très

particulière, puisque la mention « bon pour caution solidaire dans les termes ci-dessus »

n’avait pas été apposée par la caution, qui avait seulement signé l’acte de cautionnement. 898 P. CROCQ, art. préc., p. 123 899 Ici encore, l’efficacité que développe la jurisprudence risque d’être compromise par la

nouvelle mention manuscrite ad validitatem, qui doit viser un montant global, incluant le

principal et les différents accessoires, par dérogation au droit commun de l’article 2016 du

Code civil. 900 Cass. com., 16 mars 1999 : Bull. civ. IV, n°59 ; Cass. com., 3 avril 2002 : Bull. civ. IV,

n°64 ; Cass. com., 4 février 2003 : Bull. civ. IV, n°13 ; Cass. com., 13 mai 2003 : RD

bancaire et financier 2003, n°189, obs. CERLES 901 Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°248 et 250 ; Cass. 1ère civ., 5 mai 2004 :

RJDA 10/04, n°1163

Page 245: L'efficacité des garanties personnelles

exprès formulée par l’article 2015 du Code civil soit satisfaite, et pour qu’ils soient

garantis par la caution, comme le prévoit l’article 2016 du Code civil902. Les

cautions ne peuvent donc plus s’appuyer sur une lecture déformante des articles

1326, 2015 et 2016 pour échapper au paiement des accessoires et, par conséquent,

pour bénéficier d’une réduction du montant de leurs obligations.

450. Si la détermination du champ de l’obligation de couverture, ainsi que la

preuve de celle-ci, ne sont donc pas des terrains sur lesquels les contestations de la

caution prospèrent aisément, les tentatives des cautions pour limiter la durée de

l’obligation de couverture sont encore moins fructueuses.

b. Les termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture de la caution

451. Lorsque le cautionnement de dettes futures n’est assorti d’aucun terme

extinctif exprès, il est fréquent que la caution cherche à réduire la durée de son

obligation de couverture, en assimilant certains événements à des termes extinctifs

implicites. La jurisprudence repousse ces tentatives de limitation du montant de

l’obligation de règlement et renforce, par là même, l’efficacité in abstracto du

cautionnement.

452. Les changements affectant la société créancière ou la société

débitrice. Les modifications statutaires portant sur la dénomination sociale,

l’implantation du siège social, le montant ou la composition du capital social, ou

encore l’objet ou la forme de la société, ne se traduisent pas par une novation en la

personne du créancier ou du débiteur. La pérennité de la personne morale suffit,

selon la jurisprudence, à assurer le maintien du cautionnement, et à écarter tout

moyen de défense fondé sur l’existence d’un terme extinctif implicite903.

453. Les changements affectant les rapports entre la caution et le débiteur

principal : les arguments en présence. C’est essentiellement au sujet des

changements dans les rapports entre la caution et le débiteur principal que la

question de l’extinction de l’obligation de couverture s’est posée. Dans le silence du

contrat, il s’agit de savoir si les parties ont ou non voulu que le cautionnement se

maintienne après une modification de ces relations.

De nombreux arguments ont été avancés par la doctrine904, et repris par les

cautions, au soutien de la thèse du terme implicite. Le raisonnement repose

essentiellement sur une analyse des attentes des parties.

902 Si le taux d’intérêt n’a pas à figurer dans la mention manuscrite, il doit être stipulé dans

l’acte de cautionnement lui-même, sauf lorsque le cautionnement porte sur des dettes futures

(Cass. 1ère civ., 9 mars 2004 : Bull. civ. I, n°77). Dans cette dernière hypothèse, le taux

conventionnel est en effet inconnu au jour de l’engagement de la caution. 903 Cass. com., 9 avril 1973 : Bull. civ. IV, n°152 ; Cass. com., 2 octobre 1979 : Bull. civ. IV,

n°240 ; Cass. com., 20 février 2001 : Bull. civ. IV, n°38 ; Cass. com., 5 novembre 2003 :

RJDA 02/2004, n°230 (« le changement de dénomination sociale d’une banque suivi de

l’absorption par celle-ci d’une autre société n’a pas concouru à la création d’une société

nouvelle »). 904 Cf. notamment Ch. MOULY, th. préc., n°341 à 346 ; D. DANET, art. préc., p. 178 et 179 ;

Ch. MOULY, Abus de caution ?, Rev. jurisp. com., n° spécial février 1982, p. 22 ; Ph.

SIMLER, Le juge et la caution. Excès de rigueur ou excès d’indulgence ?, JCP 1986, éd. N, I,

169, n°35 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°312 ; Ph. SIMLER, n°287

Page 246: L'efficacité des garanties personnelles

Concernant la caution, elle ne souscrit un cautionnement de dettes futures qu’en

raison de sa position lui permettant d’influer sur l’évolution de la dette principale.

Le cautionnement omnibus donné par un dirigeant de société n’est l’effet, ni du

hasard, ni de la coïncidence. « Un tel cautionnement marque la confiance que l’on a

en sa propre gestion »905. En conséquence, il est peu probable que la caution ait

entendu maintenir son engagement en cas de disparition des liens l’unissant au

débiteur principal.

Concernant le créancier, il prend en considération la personne de la caution, et

sa qualité, tout autant, voire davantage, que son patrimoine. En règle générale, il

recherche spécialement le dirigeant ou le conjoint, car ils ont sur le débiteur une

influence qui incite ce dernier à payer906. La qualité de dirigeant lui sert également à

« faire sauter la limitation de responsabilité »907. La position du garant dans la

société débitrice est à ce point importante aux yeux des créanciers qu’ils

s’empressent souvent d’exiger le même engagement de caution du successeur de

celui qui a quitté ses fonctions. En raison de cette reprise d’engagement, il est

d’ailleurs avancé que la reconnaissance du terme extinctif implicite ne léserait

nullement les intérêts des créanciers908. Et, à défaut de cautionnements successifs,

cette reconnaissance pourrait aussi demeurer indolore, à condition que les créanciers

ne consentent pas de nouveaux crédits au débiteur909.

Si les raisons pour admettre l’extinction de l’obligation de couverture en cas de

changement dans les rapports entre le débiteur et la caution sont sérieuses, celles

militant en faveur de son rejet ne le sont pas moins.

En premier lieu, même si la considération de la personne de la caution joue un

rôle déterminant dans l’opération de garantie, le cautionnement n’est pas un contrat

conclu intuitus personae910. En effet, l’obligation de la caution n’est pas de celles

qui ne peuvent pas être exécutées par un autre débiteur.

En deuxième lieu, le cautionnement de dettes futures souscrit pour une durée

indéterminée ouvre droit à une faculté de dénonciation. En application de l’article L.

313-22 du Code monétaire et financier ou de l’article L. 341-6 du Code de la

consommation, les cautions se le voient périodiquement rappeler. L’obligation

d’information annuelle « rend moins pressant le besoin d’un terme extinctif

implicite : si la caution veut mettre fin à son engagement, qu’elle le fasse »911. Si

elle ne le fait pas, elle peut plus difficilement prétendre avoir cru que sa garantie

était éteinte par un changement dans ses relations avec le débiteur912.

905 Ph. THERY, n°82 906 Sur la qualité du garant comme facteur incitant le débiteur principal à exécuter ses

obligations, cf. supra n°63, 71, 77 907 Ch. MOULY, art. préc., p. 22. Sur cette question, cf. P. ANCEL, Le cautionnement des

dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°37 et 38 ; A. PIEDELIEVRE, Remarques sur

l’infléchissement de la notion de personnalité morale par le cautionnement, Gaz. Pal, 1982, 1,

doct., 10 908 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, art. préc., n°35 909 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°287 910 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°312 ; Ph. SIMLER, n°65 911 Ph. THERY, n°82 912 L’argument reposant sur l’obligation d’information annuelle est à double tranchant. En

effet, la caution pourrait soutenir que, si elle n’a pas résilié, c’est parce qu’elle pensait que la

cessation de ses relations avec le débiteur principal constituait un terme extinctif implicite.

Page 247: L'efficacité des garanties personnelles

En troisième lieu, l’argument selon lequel la caution dirigeante s’abstient de

résilier, de peur des conséquences de la résiliation sur la situation de l’entreprise,

devient inopérant en cas de cessation des fonctions.

En quatrième et dernier lieu, c’est la sécurité des transactions, et l’efficacité du

cautionnement, qui commandent d’écarter la thèse du terme implicite913.

« L’inconvénient de toute recherche de volonté implicite est l’incertitude quant à ses

résultats. Or, l’extinction du cautionnement doit survenir de manière indiscutable et

certaine à un moment précis, au su de tous, et notamment du créancier »914.

454. La position de la jurisprudence : les changements affectant les rapports

entre la caution et le débiteur principal ne constituent pas des termes extinctifs

implicites. Après avoir accepté une fois l’interprétation souveraine des juges du fond

reposant sur l’idée d’un terme implicite915, la Cour de cassation a systématiquement

rejeté cette solution.

En cas de perte de la qualité de dirigeant ou d’associé, provoquée par une

démission, une révocation ou une cession de contrôle de la société débitrice,

l’obligation de couverture de la caution ne se trouve pas affectée916. Seule la

résiliation par la caution de son engagement, ou le jeu d’une stipulation expresse

dans l’acte de cautionnement917, peuvent emporter l’extinction de celui-ci pour

l’avenir. Le fait que la cession des parts ou des actions par le dirigeant caution soit

suivie d’un accord, en vertu duquel le cessionnaire accepte de se substituer au cédant

dans les engagements pris envers le créancier, demeure sans incidence sur

l’engagement du cédant918. Et la Cour de cassation rejette toute idée de devoir

particulier du créancier d’informer la caution initiale qu’elle reste tenue de ses

engagements, sous réserve d’une clause contraire919.

L’idée d’un terme extinctif implicite est pareillement écartée dans l’hypothèse

d’une rupture du lien conjugal ou du concubinage920, ou encore de la relation de

travail921.

913 En ce sens, cf. R. ROBLOT, Le cautionnement des dettes d’une société commerciale par

ses dirigeants, Mélanges Derrupé, Litec, 1991, p. 347 et s., n°15 ; D. LEGEAIS, n°202 ; Ph.

MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°270 914 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°270 915 Cass. com., 8 juillet 1969 : Banque 1970, 296 ; RTD com. 1970, 160, obs. HOUIN 916 Cass. com., 2 décembre 1974 : Bull. civ. IV, n°308 ; Cass. com., 3 novembre 1988 : Bull.

civ. IV, n°283 ; Cass. com., 24 avril 1990 : Bull. civ. IV, n°117 ; Cass. com., 15 octobre

1991 : Bull. civ. IV, n°285 917 La caution peut faire du maintien de sa qualité une condition de son engagement (Cass.

com., 28 février 1995 : JCP 1995, I, 3851, n°5, obs. SIMLER). 918 Sur cette question, cf. E. JEULAND, Essai sur la substitution de personne dans un rapport

d’obligation, LGDJ, 1999, préf. L. CADIET, n°23 et 27 ; O. SALVAT, Cession unilatérale

de contrat : le cas de la reprise des engagements de caution par un dirigeant de société, LPA

23 décembre 1999, n°255, p. 10 et s. 919 Cass. com., 29 janvier 2002 : Bull. civ. IV, n°21 920 Cass. com., 19 janvier 1981 : Bull. civ. IV, n°32

Une position contraire a été défendue par le Garde des Sceaux (Rép. quest. écrite n°1686 : JO

Sénat 12 août 1993, p. 1413 ; JCP 1994, éd. N, prat. 2846, p. 8) : il serait possible d’admettre

un terme implicite en cas de rupture du concubinage, dès lors que les parties ont entendu lier

le maintien de la garantie à l’existence de la situation qui en a déterminé l’octroi et que le

créancier a connaissance du changement survenu.

Page 248: L'efficacité des garanties personnelles

Afin de maintenir dans sa plénitude l’efficacité du cautionnement, la

jurisprudence subordonne donc la disparition de celui-ci à des facteurs indiscutables.

« Au mécanisme du terme extinctif implicite, les tribunaux préfèrent aujourd'hui la

résiliation unilatérale ou le terme explicite, qui ne risquent pas de surprendre les

prévisions des créanciers »922.

455. La jurisprudence fait donc primer la fonction de garantie du

cautionnement pour rejeter les contestations des cautions visant à limiter, tant le

champ, que la durée de leur obligation de couverture. L’efficacité objective du

cautionnement se trouve également renforcée par le rejet des contestations tendant à

sanctionner le créancier.

2. Les contestations visant à sanctionner le créancier

456. Pour obtenir une réduction de leur engagement, les cautions invoquent

fréquemment la faute de leur cocontractant. En adoptant une interprétation stricte

des obligations légales mises à la charge des créanciers (a), et en refusant de

découvrir des obligations conventionnelles implicites à l’encontre de ceux-ci (b), la

jurisprudence empêche la libération partielle des cautions et organise, ce faisant,

l’efficacité in abstracto du cautionnement.

a. L’interprétation stricte des obligations légales pesant sur les créanciers

457. L’obligation d’information annuelle de la caution (article L. 313-22 du

Code monétaire et financier) et l’obligation de ne pas faire perdre à la caution des

droits préférentiels dans lesquels elle est susceptible d’être subrogée (article 2037 du

Code civil) donnent lieu à un contentieux particulièrement abondant923. Si de

nombreuses décisions rendues en application de ces obligations légales

compromettent l’efficacité du cautionnement924, d’autres privilégient, au contraire,

la fonction de garantie de ce contrat, et protègent par conséquent les intérêts des

créanciers.

458. L’interprétation stricte de l’obligation d’information annuelle de la

caution. A plusieurs égards, la jurisprudence retient une interprétation stricte de

l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier.

Cette condition de connaissance effective par le créancier de l’événement constitutif du terme

est également prônée par certains auteurs (Ph. SIMLER, n°287 et 288). 921 CA Paris, 12 mars 1981 : Juris-Data n°020655 ; CA Rouen, 20 mars 1991 : Juris-Data

041379 922 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°270, qui poursuivent en

relevant que « le terme implicite est réservé aux situations dans lesquelles la faculté de

résiliation ne peut pas être efficacement exercée », c'est-à-dire en cas de décès de la caution.

Sur l’extinction de l’obligation de couverture suite au décès de la caution, cf. infra n°570 923 Le contentieux portant sur l’interprétation de l’article L. 313-22 du Code monétaire et

financier devrait diminuer, puisque le champ d’application de cette disposition est

essentiellement absorbé par celui du nouvel article L. 341-6 du Code de la consommation. Sur

l’articulation entre ces deux textes, cf. infra n°548 924 Cf. infra n°607, 608

Page 249: L'efficacité des garanties personnelles

En premier lieu, aucune forme particulière n’est prescrite. L’information,

abstraction faite des difficultés probatoires, peut être donnée par simple lettre925.

En deuxième lieu, si le créancier doit prouver avoir envoyé l’information, la

Haute juridiction décide qu’ « il n’incombe pas à l’établissement de crédit de

prouver que la caution a effectivement reçu l’information »926.

En troisième lieu, la sanction spécifique du défaut d’information (« déchéance

des intérêts depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de

la nouvelle information ») est strictement encadrée par la jurisprudence. Cette

sanction ne concerne que les intérêts conventionnels dûs par le débiteur principal.

Aucune déchéance n’est encourue pour les intérêts légaux dont la caution est

redevable à titre personnel à compter de sa mise en demeure927. Par ailleurs, la

déchéance ne s’applique, conformément à la lettre du texte, qu’aux seuls intérêts, et

non à d’autres accessoires de la dette, tels que des commissions, bien que ces

accessoires doivent également figurer parmi les informations données928. Si la

sanction doit jouer, elle ne constitue aucunement un obstacle aux poursuites de la

caution pour les autres sommes dues en vertu du cautionnement, et notamment pour

le solde du capital929. La déchéance prend effet, non à la date de conclusion du

cautionnement, mais à celle où l’information aurait dû être donnée la première fois,

à savoir le 31 mars suivant la date de l’engagement930. L’établissement de crédit

définitivement déchu des intérêts depuis la dernière notification peut limiter les

effets de la sanction pour l’avenir par une notification tardive931.

En quatrième et dernier lieu, c’est en empêchant le cumul entre la sanction

spécifique de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier et la responsabilité

de droit commun que la Cour de cassation protège les intérêts des créanciers. La

Chambre commerciale considéra, dans un premier temps, que la sanction spéciale de

l’article 48 de la loi de 1984 n’empêchait pas la caution d’obtenir réparation sur la

base de l’article 1147 du Code civil932. Les dommages et intérêts venaient alors en

compensation de la dette de la caution, et emportaient sa réduction. Dans un

deuxième temps, la Cour de cassation a précisé les conditions de ce cumul. La

Chambre commerciale a ainsi rejeté la demande en réparation émanant du dirigeant-

caution en raison du défaut de préjudice933. De son côté, la première Chambre civile

n’a pas permis à des cautions d’obtenir une libération sur le fondement de l’article

1147 du Code civil, faute pour elles de justifier d’un préjudice spécifique réparable,

après avoir relevé qu’elles ne pouvaient se libérer de leur engagement avant le terme

convenu, dans la mesure où leur cautionnement était limité dans le temps et à une 925 Cass. com., 27 novembre 1991 : JCP 1992, IV, 367 ; RJDA 2/1992, n°182 ; Cass. com., 17

juin 1997 : Bull. civ. IV, n°188 926 Cass. 1ère civ., 25 novembre 1997 : Bull. civ. I, n°326 ; Cass. com., 17 octobre 2000 : Bull.

civ. IV, n°154 ; Cass. 1ère civ., 2 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°225 927 Cass. 1ère civ., 9 décembre 1997 : Bull. civ. I, n°359 ; Cass. com., 20 mai 1997 : Bull. civ.

IV, n°152 ; Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 : Bull. civ. I, n°86 (2ème arrêt) 928 CA Paris, 24 avril 1998 : Juris-Data 021555 929 Cass. com., 25 mai 1993 : Bull. civ. IV, n°205 ; Cass. 1ère civ., 17 novembre 1998 : Bull.

civ. I, n°321 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : JCP 1999, IV, 3040 ; D. 2000, AJ, p. 5, obs.

AVENA-ROBARDET ; RJDA 1/2000, n°94 930 Cass. com., 6 juin 1995 : Juris-Data n°004278 931 Cass. com., 22 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°257 932 Cass. com., 20 octobre 1992 : Bull. civ. IV, n°311 933 Cass. com., 17 octobre 2000 : Bull. civ. IV, n°154

Page 250: L'efficacité des garanties personnelles

opération bien précise934. Aujourd'hui, la Cour de cassation paraît vouloir revenir sur

la possibilité même du cumul. La Chambre commerciale décide que, sauf dol ou

faute lourde du dispensateur de crédit, l’omission des informations prévues par le

législateur est sanctionnée par la seule déchéance des intérêts935. La première

Chambre civile, après avoir considéré que l’omission des informations « ne peut à

elle seule être sanctionnée que par la déchéance des intérêts »936, a tempéré cette

solution en précisant qu’il n’en va ainsi qu’à défaut de « dol ou (de) faute

distincte »937. En conséquence, « le créancier, débiteur d’une obligation

d’information, peut bien faire preuve d’une impéritie manifeste, seul son

comportement dolosif constituera une source de responsabilité, ce qui, on en

conviendra, devrait rester fort rare »938.

La fonction de garantie du cautionnement est respectée dans toutes ces

décisions, puisque la jurisprudence adopte une interprétation stricte des modalités

d’exécution, de la preuve, et de la sanction de l’obligation d’information annuelle.

459. Interprétation stricte du bénéfice de subrogation. S’agissant de

l’article 2037 du Code civil, nombre de décisions révèlent une volonté de la Cour de

cassation de ne pas étendre inconsidérablement le bénéfice de subrogation, et donc

de ne pas décharger partiellement, voire totalement, la caution sur ce fondement.

Tout d’abord, les « droits, hypothèques et privilèges » ne font pas l’objet d’une

interprétation laxiste qui risquerait, « non seulement de faire perdre au mécanisme sa

spécificité, mais surtout, si la caution obtenait trop facilement sa décharge, de ruiner

l’institution du cautionnement »939. Ainsi, en l’absence d’un droit préférentiel

quelconque, la caution ne peut être libérée en vertu de l’article 2037 du Code civil,

même si un comportement fautif peut être imputé au créancier, et si un préjudice en

est résulté pour elle940. Le droit de gage général, par définition, ne confère aucun

droit préférentiel. Par conséquent, le bénéfice de cession d’actions ne peut jouer

lorsque le créancier laisse le débiteur devenir insolvable, notamment en le soutenant

artificiellement941. D’autres situations sont également exclusives d’une libération

fondée sur l’article 2037 : la simple prorogation du terme ou le défaut de poursuites

contre le débiteur principal942, le manquement à une obligation de renseignement943,

934 Cass. 1ère civ., 16 janvier 2001 : Bull. civ. I, n°3 ; Cass. 1ère civ., 10 décembre 2002 : Bull.

civ. I, n°303 935 Cass. com., 25 avril 2001 : Bull. civ. IV, n°75 ; Cass. com., 11 juin 2002 : D. 2002,

Somm., p. 3335, obs. AYNES ; Cass. com., 1er avril 2003 : RDC 2004, chron., HOUTCIEFF ;

Cass. com., 29 avril 2003 : RJDA 11/2003, n°1128 ; Cass. com., 1er juillet 2003 : RJDA

1/2004, n°99 936 Cass. 1ère civ., 6 novembre 2001 : Bull. civ. I, n°303 ; Cass. 1ère civ., 10 décembre 2002 :

Bull. civ. I, n°303 937 Cass. 1ère civ., 4 février 2003 : Bull. civ. I, n°35 938 V. BREMOND, obs. sous Cass. 1ère civ., 4 février 2003, D. 2003, p. 1284 939 Ph. SIMLER, n°824 940 Dans cette hypothèse, la décharge partielle ne pourrait résulter que de la mise en jeu de la

responsabilité civile du créancier (Cass. 1ère civ., 17 mars 1998 : Bull. civ. I, n°114). 941 Cass. 1ère civ., 16 février 1970 : Bull. civ. I, n°58 ; Cass. 1ère civ., 17 mars 1998 : Defrénois

1998, article 36827, p. 807, note AUBERT ; Cass. com., 14 mars 2000 : Rev. proc. coll. 2000,

p. 134 942 Cass. com., 27 février 1968 : Bull. civ. I, n°81 ; Cass. com., 24 avril 1972 : Bull. civ. IV,

n°118

Page 251: L'efficacité des garanties personnelles

le fait de laisser vendre un bien grevé d’une sûreté réelle, dès lors que les droits du

créancier sont préservés par le droit de suite944, le fait de ne pas demander

l’attribution d’un fonds de commerce945, la renonciation par le créancier à la

domiciliation des salaires du débiteur, non constitutive d’une sûreté, mais d’un

simple mode de règlement946, ou encore le défaut de notification d’une cession

Dailly, qui ne procure aucun droit de préférence947.

La jurisprudence protège les intérêts des créanciers en limitant, par ailleurs, le

jeu de la décharge de l’article 2037 au cas de perte de droits préférentiels ayant

existé au moment de l’engagement de la caution, ou promis par le créancier. « Le

bénéfice de subrogation suppose que la caution ait pu compter sur le droit

préférentiel au moment où elle s’est engagée ; que celui-ci ait été certain et non

seulement éventuel »948. La caution ne peut donc reprocher au créancier, ni la perte

de droits acquis ou constitués postérieurement à la conclusion du cautionnement, ni

l’absence d’acquisition de sûretés nouvelles lorsque le créancier avait la faculté de

les constituer949.

De troisième part, c’est en dépassant l’ « illusoire neutralité »950 des termes

« fait du créancier », et en exigeant une faute, que la jurisprudence préserve

l’efficacité du cautionnement. Nombreux sont les faits qui ont été jugés non fautifs,

et n’ont donc pas permis à la caution d’obtenir une réduction, voire une extinction,

de son engagement951. C’est à la caution qu’il revient de prouver l’obligation

préexistante et la violation de celle-ci par le créancier952.

943 Cass. com., 24 juin 1969 : JCP 1970, II, 16221, note PRIEUR ; Cass. com., 7 décembre

2004 : RJDA 4/05, n°464 (le créancier n’est pas tenu d’informer la caution du débiteur de

l’intention du bailleur de résilier le bail de l’immeuble dans lequel s’exploite le fonds de

commerce grevé) 944 Cass. com., 20 octobre 1980 : Bull. civ. IV, n°340 945 Cass. com., 5 novembre 2003 : RJDA 03/2004, n°366 946 CA Versailles, 24 juin 1998 : Juris-Data n°042805 947 Cass. 1ère civ., 30 septembre 1997 : JCP 1998, I, 103, n°15, obs. SIMLER ; Droit et

patrimoine mai 1998, p. 106, obs. SAINT-ALARY ; Cass. com., 11 décembre 2001 : Bull.

civ. IV, n°196 948 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°283 949 Cass. com. 25 janvier 1994 : Bull. civ. IV, n°30 ; Cass. com., 17 octobre 1995 : RTD com.

1997, p. 147 ; Cass. com., 24 octobre 1995 : RTD com. 1997, p. 147 ; Rev. proc. coll. 1996-2,

p. 231, obs. KERCKHOVE ; Cass. 1ère civ., 13 mai 1997 : Bull. civ. I, n°155 ; Cass. 1ère civ.,

13 mai 1998 : Rev. proc. coll. 1999, p. 123 ; Cass. 1ère civ., 12 octobre 1999 : Rev. proc. coll.

2000, p. 58 ; Cass. com., 15 février 2000 : Bull. civ. IV, n°28 ; Cass. 1ère civ., 29 février

2000 : Bull. civ. I, n°70 ; Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 : Bull. civ. I, n°187 ; Cass. 1ère civ., 22

mai 2002 et 10 juillet 2002 : RD bancaire et financier 2002, n°179, obs. LEGEAIS ; Cass.

com., 8 octobre 2003 : RJDA 03/2004, n°367 ; LPA 17 mai 2004, n°98, p. 5, note

HOUTCIEFF 950 Ph. THERY, n°85 951 Exemples : hypothèse où le créancier nanti en fonds de commerce s’abstient de régler les

loyers dûs par le débiteur principal alors qu’il est appelé dans l’instance de référé engagée par

le bailleur à l’encontre du locataire pour voir prononcer la résiliation du bail, et qu’il laisse

ainsi perdre le nantissement par suite de la résiliation (Cass. com., 2 avril 1996 : Bull. civ. IV,

n°100. Dans le même sens, cf. Cass. 1ère civ., 13 février 1998 : Rev. proc. coll. 1998-5,

p. 498 ; Cass. com., 30 octobre 2000 : RJDA 2/2001, n°230 ; Cass. com., 15 mai 2001 : RJDA

10/2001, n°1034 ) ; absence de demande d’attribution judiciaire d’un fonds de commerce

nanti (Cass. com., 13 octobre 1998 : Bull. civ. IV, n°233) ; « l’article 2037 du Code civil

Page 252: L'efficacité des garanties personnelles

Non seulement la Cour de cassation impose donc l’existence d’une faute, mais

elle exige, de surcroît, que la perte du droit préférentiel soit imputable exclusivement

au créancier. En supposant établie l’impossibilité de subrogation de la caution, le

créancier peut ainsi écarter l’application de l’article 2037 en démontrant que la perte

du droit préférentiel est due à la force majeure953, au fait d’un tiers954, du débiteur955,

de la caution elle-même956 ou encore de ces deux derniers957.

Enfin, c’est en ajoutant une condition qui ne figure pas dans l’article 2037, à

savoir un préjudice subi par la caution, que la jurisprudence fait primer la fonction

de garantie du cautionnement. Le droit perdu ou non constitué doit avoir représenté

un avantage effectif pour la caution. Ce n’est pas le cas lorsqu’il était de toute façon

voué à l’inefficacité en raison de son rang ou de l’absence de valeur réelle de son

assiette958. A fortiori, la caution ne peut être déchargée si l’acte du créancier lui a été

profitable959, ou si le bien perdu a été remplacé par d’autres960.

En toute hypothèse, la caution n’est déchargée qu’à concurrence de la valeur

des droits pouvant lui être transmis par subrogation961.

n’impose pas au créancier de se porter acquéreur du bien offert en garantie pour en

sauvegarder la valeur » (Cass. 1ère civ., 19 décembre 2000 : RD bancaire et financier 2001,

n°58, obs. LEGEAIS ; D. 2001, AJ, p. 375) ; absence de recours contre une décision d’un

juge commissaire (Cass. com., 26 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°108) ; reprise et vente du

matériel par le crédit-bailleur (Cass. com., 23 novembre 1999 : Bull. civ. IV, n°203) ; absence

de référence au cautionnement dans la déclaration de créance (Cass. 1ère civ., 1er février 2000 :

RJDA 5/2000, n°600 ; Rev. proc. coll. 2000, p. 134) ; défaut d’inscription d’un nantissement

au RCS (Cass. com., 20 mars 2001 : RJDA 7/2001, n°816) 952 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°394 953 Cass. req., 22 juin 1886 : DP 1887, 1, 387 ; S. 1888, I, 53 954 Cass. com., 10 février 1970 : Bull. civ. IV, n°48 ; Cass. 1ère civ., 4 octobre 2000 : RJDA

1/2001, n°85 ; Cass. com., 3 avril 2001 : RJDA 8-9/2001, n°915 ; Cass. com., 13 mai 2003 :

Bull. civ. IV, n°71 ; Cass. 1ère civ., 4 janvier 2005 : RJDA 3/05, n°330 955 Cass. req., 16 mars 1936 : DH 1936, p. 217 ; Cass. com., 2 mars 1970 : Bull. civ. IV, 77 ;

Cass. 1ère civ., 3 mars 1998 : Bull. civ. I, n°88 ; Cass. 1ère civ., 13 mai 1998 : Rev. proc. coll.

1999, p. 123 ; Cass. com., 30 octobre 2000 : RJDA 2/2001, n°231 ; Cass. com., 20 février

2001 : RJDA 6/2001, n°724 ; Cass. 1ère civ., 9 mai 2001 : Bull. civ. I, n°125 ; Cass. com., 29

janvier 2002 : RD bancaire et financier 2002, n°50, obs. LEGEAIS; Cass. 1ère civ., 7

décembre 2004 : Bull. civ. I, n°300 956 Cass. com., 20 janvier 1975 : Bull. civ. IV, n°16 ; Cass. com., 9 mai 1995 : RTD com.

1997, p. 149 ; Rev. proc. coll. 1995-4, p. 458 ; Cass. com., 14 mars 2000 : Rev. proc. coll.

2000, p. 134

La caution n’a cependant pas l’obligation d’informer le créancier sur les risques par elle

encourus en cas de perte d’un droit préférentiel (Cass. com., 23 novembre 2004 : Bull. civ.

IV, n°198). 957 Cass. com., 11 janvier 1994 : Bull. civ. IV, n°15 ; Cass. 1ère civ., 14 novembre 2001 : Bull.

civ. I, n°275 958 Cass. 3ème civ., 3 décembre 1974 : Bull. civ. III, n°451 ; Cass. 1ère civ., 25 juin 1980 : Bull.

civ. I, n°197 ; Cass. com., 26 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°112 ; Cass. 1ère civ., 29 janvier 2002 :

JCP 2002, éd. E, 1424, n°9, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 12 février 2002 : Bull. civ. I, n°51 959 Cass. com., 21 juillet 1964 : Bull. civ. IV, n°390 ; Cass. com., 8 mai 1967 : Bull. civ. IV,

n°185 960 CA Chambéry, 15 juillet 1901 : DP 1903, 2, p. 341 961 Cass. 1ère civ., 9 mai 1994 : Bull. civ. I, n°169 ; Cass. 1ère civ. 15 décembre 1998 : Bull.

civ. I, n°361 ; Cass. 1ère civ., 12 février 2002 : Bull. civ. I, n°51

Page 253: L'efficacité des garanties personnelles

460. En adoptant une interprétation stricte, non seulement de l’obligation de

ne pas faire perdre à la caution des droits préférentiels dans lesquels elle est

susceptible d’être subrogée, mais aussi de l’obligation d’information annuelle, la

jurisprudence évite que les créanciers ne soient trop aisément sanctionnés et voient

ainsi le montant de leur garantie diminuer. Le même résultat est atteint lorsque les

juges refusent de découvrir dans le cautionnement des obligations implicites à la

charge du créancier.

b. Le refus de découvrir des obligations conventionnelles implicites

à la charge des créanciers

461. Le caractère unilatéral du cautionnement n’est pas exclusif d’une

éventuelle responsabilité du créancier, qui ne respecterait pas l’impératif d’éthique

contractuelle. Faute de pouvoir bénéficier d’une réduction de leur engagement sur le

fondement de règles propres au cautionnement, pour toutes les raisons déjà

exposées, les cautions tentent de plus en plus souvent d’engager la responsabilité

contractuelle du créancier. Mais, la jurisprudence semble avoir compris que « le

développement de la responsabilité a des limites : le cautionnement est fait pour

garantir le créancier et doit permettre à celui-ci de faire crédit au débiteur. Seuls

des comportements évidemment abusifs doivent être sanctionnés »962.

462. Les obligations de choisir ou d’agir. Tout d’abord, la jurisprudence

refuse d’imposer aux créanciers certaines obligations positives.

Elle préserve ainsi la liberté des créanciers de choisir les sûretés assortissant les

concours accordés à leurs clients, en qualifiant de non fautif le fait de ne pas prendre

des sûretés réelles en garantie du remboursement du prêt consenti au débiteur

principal963.

Elle préserve également le libre choix des modes de remboursement des

créances, parmi ceux que la loi ou le contrat confèrent au créancier, en décidant que

celui-ci ne commet aucune faute en choisissant de poursuivre une caution en

paiement964, ou en optant en faveur de la vente forcée d’un bien gagé plutôt qu’en

faveur de son attribution judiciaire965, ou encore en ne notifiant pas une cession

Dailly au débiteur cédé966. A ce sujet, la Haute juridiction a récemment posé un

principe général : « sauf fraude ou abus, le créancier qui bénéficie d’une pluralité

962 Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°297. Sur la responsabilité

comme « arme défensive souvent rendue inefficace par le juge », cf. D. ARLIE, La

responsabilité civile du banquier : une voie étroite de libération pour la caution, LPA 24

septembre 2002, p. 4 et s. 963 Cass. 1ère civ., 29 février 2000, Marche c/ CRCAM de l’Aube et de la Haute-Marne, arrêt

n°412 D, Juridisque Lamy 964 Cass. com., 14 juin 1994 : Bull. civ. IV, n°209 965 Cass. com., 3 novembre 1983 : JCP 1984, II, 20234, note MESTRE ; Gaz. Pal. 1984, pan.,

p. 76, note A. PIEDELIEVRE ; RTD civ. 1984, p. 526, obs. REMY

Dans le même sens, en cas de défaut de demande d’attribution du gage, cf. Cass. 1ère civ., 8

juillet 2003 : D. 2004, p. 52, obs. LE CORRE ; RD bancaire et financier 2003, n°224, obs.

LEGEAIS 966 Cass. com., 18 novembre 1997 : Bull. civ. IV, n°293 ; Cass. com., 12 janvier 1999 : RJDA

4/1999, n°462 ; RD bancaire et bourse 1999, p. 102, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass.

com., 11 décembre 2001 : Bull. civ. IV, n°196

Page 254: L'efficacité des garanties personnelles

de sûretés ne commet pas de faute en choisissant le moyen d’obtenir le paiement de

sa créance »967.

Par ailleurs, la Cour de cassation décide que le créancier, qui s’abstient d’agir

en recouvrement contre le débiteur principal, ne peut, si longue que soit la durée de

son inaction, voir sa responsabilité engagée, sauf s’il est démontré que sa négligence

a été inspirée par la mauvaise foi ou que son comportement traduit une légèreté

blâmable.

463. L’obligation d’information ou de conseil. La question de la

responsabilité du créancier se pose souvent à l’égard de l’obligation d’informer la

caution, lors de la conclusion du contrat, sur le contexte du cautionnement ou sur le

débiteur principal et, pendant l’exécution du contrat, sur l’évolution de la situation

de celui-ci. Parce qu’il y aurait « un intense paradoxe à demander au créancier de

fournir à la caution des informations que ce créancier recherche justement à travers

le cautionnement »968, parce que la caution, comme tout contractant, a le devoir de

veiller à ses propres intérêts, donc de s’informer, parce que le créancier n’a pas

toujours la libre disposition des informations qu’il possède, à cause notamment du

secret bancaire et, enfin, parce que la caution peut être autant, sinon mieux à même

que le créancier de connaître la solvabilité du débiteur et son évolution, la

jurisprudence n’admet pas l’existence d’une obligation générale et permanente

d’information969.

Elle est également traditionnellement hostile à un devoir de conseil970,

notamment sur l’intérêt du cautionnement ou son opportunité971, sur l’intérêt de

souscrire une assurance972, ou encore sur les risques encourus973.

464. L’obligation de surveiller l’affectation des fonds prêtés. La Cour de

cassation, en l’absence d’une clause d’affectation des sommes empruntées, décide

que la caution doit prouver la faute du créancier974 et le caractère déterminant sur

son consentement de la surveillance de la destination des fonds975. En règle générale,

« les tribunaux sont sceptiques, tant sur l’intention des parties de créer

implicitement une obligation à la charge du créancier, que sur le caractère

967 Cass. com., 2 juin 2004 : Bull. civ. IV, n°106 968 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°277-1-1° 969 Cass. com., 16 février 1982 : Bull. civ. IV, n°61 ; Cass. com., 10 novembre 1982 : Bull.

civ. IV, n°345 ; Cass. com., 28 février 1989 : JCP 1989, éd. E, I, 18401 ; Cass. com., 7 avril

1992 : Bull. civ. IV, n°148 ; Cass. 1ère civ., 13 février 1996 : Bull. civ. I, n°78 ; Cass. com., 1er

juin 1999 : JCP 1999, IV, 2394 ; D. 1999, IR, p. 182 ; RJDA 8-9/1999, n°994 ; Banque et

droit sept-oct. 1999, p. 47, obs. JACOB ; Cass. com., 26 mai 2004 : RJDA 11/04, n°1265 ;

RD bancaire et financier 2004, n°235, obs. LEGEAIS 970 Cass. com., 7 avril 1992 : Bull. civ. IV, n°148 ; Cass. com., 19 décembre 2000 : RJDA

5/2001, n°640 ; Cass. com., 15 octobre 2002 : RJDA 2/2003, n°190 ; Cass. com., 18 mars

2003 : RJDA 11/2003, n°1127 971 Cass. 1ère civ., 13 février 1996 : Bull. civ. I, n°78 972 Cass. 1ère civ., 4 décembre 2001 : Resp. civ. et ass., mars 2002, n°114, p. 19 ; RD bancaire

et financier 2002, n°12, obs. LEGEAIS ; RJDA 4/2002, n°435 973 Cass. com., 11 juin 2003 : RD bancaire et financier 2003, n°225, obs. LEGEAIS 974 Cass. com., 17 décembre 2003 : RJDA 5/2004, n°621 975 Cass. 1ère civ., 3 mars 1987 : Bull. civ. I, n°77 ; Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : Bull. civ. I,

n°163

Page 255: L'efficacité des garanties personnelles

déterminant de cette obligation dans le consentement de la caution. Ou bien encore,

ils rejettent le reproche pour absence de préjudice »976.

Lorsqu’une clause d’affectation existe, sa violation ne peut conduire à la mise

en jeu de la responsabilité du créancier que si elle a bien été stipulée dans le contrat

de cautionnement, et non dans un contrat auquel le créancier serait tiers977.

465. La responsabilité pour octroi abusif ou rupture abusive de crédit.

C’est surtout à l’égard des établissements financiers que des devoirs d’abstention ont

été écartés, afin de ne pas brider l’octroi de crédit. Après une période de relatif

laxisme dans l’appréciation de la responsabilité de ces créanciers, la jurisprudence a

défini avec plus de rigueur les conditions dans lesquelles la responsabilité pour

octroi abusif ou rupture abusive de crédit peut être engagée.

Elle exige une faute du créancier978, dont l’appréciation est délicate, car « elle

est influencée par des considérations macro-économiques sur la nécessité du crédit

bancaire»979. La faute suppose, qu’en connaissance de cause980, l’établissement de

crédit ait financé une entreprise dans une situation irrémédiablement compromise981,

même si elle n’est pas encore en cessation des paiements982. Ni l’accroissement

régulier du débit du compte courant de l’entreprise débitrice983, ni le déclenchement

de la procédure d’alerte par les commissaires aux comptes antérieurement à l’octroi

de crédit984, ne sont considérés comme des contextes suffisants pour retenir une

faute à l’encontre de la banque.

La jurisprudence exige, en outre, que la caution ne soit pas elle-même

responsable de la défaillance du débiteur et qu’elle subisse un dommage. Le

préjudice réside dans la perte d’une chance « de ne pas être inquiétée »985 ou

d’exercer avec succès un recours contre le débiteur. La réparation de ce préjudice

peut être plus ou moins étendue, suivant la probabilité de réalisation de la chance

perdue, mais ne peut égaler le montant de la dette garantie986.

976 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°279-4°. En ce sens, cf. Cass. com., 10 et 17 juillet

2001 : RD bancaire et financier 2001, n°220, obs. LEGEAIS 977 Cass. com., 8 octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°137. La Cour précise que, pour qu’il soit fait

exception au principe de l’effet relatif du contrat, qui fonde le rejet de la responsabilité du

créancier, il est nécessaire que « l’imputation litigieuse ait été faite dans le but de nuire à la

caution ». 978 Cass. com., 28 avril 1982 : Bull. civ. IV, n°143 ; Cass. com., 9 janvier 1985 : Bull. civ. IV,

n°17 ; Cass. 1ère civ., 18 juin 1985 : Bull. civ. I, n°188 979 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°282-5° 980 L’absence de connaissance du créancier peut se déduire d’un rapport très positif de

l’expert comptable de la société débitrice (Cass. com., 24 septembre 2003 : Bull. civ. IV,

n°136). 981 Les juges du fond ne peuvent condamner une banque pour octroi abusif de crédit sans

constater la situation irrémédiablement compromise du débiteur principal à ce moment, ou

encore l’absence de viabilité de l’opération financée (Cass. com., 7 janvier 2004 : Bull. civ.

IV, n°2). 982 Cass. com., 22 juillet 1980 : Bull. civ. IV, n°317 983 Cass. com., 10 octobre 2000 : RJDA 1/2001, n°67 984 Cass. com., 22 mai 2001 : RD bancaire et financier 2001, n°150, obs. LEGEAIS 985 Cass. com., 22 avril 1980 : Bull. civ. IV, n°163 986 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°298

Page 256: L'efficacité des garanties personnelles

Concernant le lien de causalité, il peut être difficile à établir, car la défaillance

du débiteur est souvent due à un faisceau de circonstances987, et car la jurisprudence

décide qu’il convient d’apprécier le comportement de la banque en se plaçant au

jour de l’octroi de crédit988.

Au vu de toutes ces conditions, il apparaît que la responsabilité du créancier

dispensateur de crédit est particulièrement difficile à mettre en jeu. Cela est d’autant

plus vrai lorsque la caution est le dirigeant de la société débitrice. « Afin d’enrayer

l’invocation quasi systématique de l’argument fondé sur le soutien abusif, la Cour

de cassation a décidé, à la manière des arrêts de règlement »989, que le dirigeant

n’est pas fondé, à défaut de circonstances exceptionnelles, à engager la

responsabilité de la banque990. Sauf si le dirigeant manque manifestement

d’expérience ou de compétence, ou s’il ne dispose pas de toutes ses facultés

mentales, ou encore s’il n’exerce aucun pouvoir véritable991, sa parfaite

connaissance de la situation du débiteur l’empêche d’obtenir une réduction de son

engagement par le biais d’une compensation avec des dommages et intérêts dûs par

le créancier. Le fait qu’il ait lui-même sollicité les crédits abusifs, ou qu’il n’ait pas

contrôlé l’endettement du débiteur principal, supprime, en effet, le lien de causalité

entre la faute du créancier et le préjudice qu’il subit992.

466. L’obligation de ne pas faire souscrire à la caution un engagement

manifestement disproportionné par rapport à ses facultés financières. Pour en

terminer avec le rejet d’obligations implicites pesant sur les créanciers, il convient

de remarquer que la Chambre commerciale de la Cour de cassation semblait vouloir

remettre en cause l’obligation de ne pas faire souscrire à la caution intégrée un

engagement manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus, avant

que le législateur n’en étende le champ à tous les cautionnements conclus entre une

caution personne physique et un créancier professionnel (article L. 341-4 du Code

de la consommation). La Chambre commerciale a jugé que, pour être déchargées en

987 Cass. com., 6 mars 1978 : D. 1979, IR, p. 362, obs. VASSEUR ; Cass. com., 9 juin 1987 :

Bull. civ. IV, n°137 ; Cass. com., 3 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°336 988 Cass. com., 24 novembre 1992 : JCP 1993, II, 21993, note VIDAL 989 Ph. SIMLER, n°450 990 Cass. com., 15 février 1994 : Bull. civ. IV, n°60 ; Cass. com., 12 novembre 1997 : Bull.

civ. IV, n°284 ; Cass. com. 11 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°95 ; Cass. com. 6 février et 22 mai

2001 : Bull. Joly août-sept. 2001, p. 847, note DELEBECQUE ; RD bancaire et financier

2001, n°150, obs. LEGEAIS ; Cass. com. 24 juin 2003 : Bull. civ. IV, n°103 ; Cass. com., 1er

juillet 2003 : RJDA 01/2004, n°99 ; RD bancaire et financier 2003, n°226, obs. LEGEAIS ;

RD bancaire et financier 2004, n°13, obs. CERLES ; Cass. 3ème civ., 3 novembre 2004 :

RJDA 4/05, n°460

La même solution s’applique à l’égard de cautions non dirigeantes, dont les fonctions au sein

de l’entreprise débitrice impliquent la connaissance de la situation financière de celle-ci. Il en

a été jugé ainsi au sujet d’un cogérant ou encore d’une secrétaire comptable qui signait les

correspondances destinées à la banque créancière et lui adressait les ordres à exécuter (Cass.

com., 11 juin 2003 : RJDA 7/2004, n°900). 991 Cass. com., 19 novembre 2003 : RJDA 5/2004, n°606 et 623 (responsabilité du créancier

pour octroi abusif de crédit en présence d’une jeune caution, soit-disant directrice technique,

mais n’ayant en réalité aucun pouvoir sur les comptes de la société) 992 Cass. com., 9 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°384 ; Cass. com., 15 février 1994 : Bull. civ. IV,

n°60

Page 257: L'efficacité des garanties personnelles

raison de la disproportion de leur engagement, les cautions auraient dû démontrer

« que la banque aurait eu, sur leurs revenus, leurs patrimoines et leurs facultés de

remboursement raisonnablement prévisibles en l’état du succès escompté de

l’opération immobilière entreprise par la société, des informations qu’elles-mêmes

auraient ignorées »993. La Chambre commerciale entendait ainsi abandonner le

principe de proportionnalité au profit d’une comparaison des connaissances

respectives des parties994. Le simple constat d’une disproportion manifeste ne

suffisait plus pour caractériser la mauvaise foi du créancier. Devait s’y ajouter une

réticence dolosive995. Ce faisant, la Haute juridiction entravait les possibilités pour

les cautions dirigeantes de rechercher la responsabilité des établissements de

crédit996 et de diminuer, par conséquent, l’étendue de leur engagement. Cette

jurisprudence, qui semblait confinée aux cautions intégrées997, et que n’adoptait pas

993 Cass. com., 8 octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°136 ; Cass. com., 4 février 2003 : D. 2003,

p. 1284, obs. BREMOND ; Cass. com., 18 mars 2003 : RJDA 11/2003, n°1127 ; Cass. com.,

17 décembre 2003 : Bull. civ. IV, n°206

Dans le même sens, au sujet des relations entre la banque et le débiteur principal emprunteur,

cf. Cass. com., 3 décembre 2002 : JCP 2004, II, 10003, note BARUCHEL 994 En ce sens, cf. D. BAKOUCHE, La proportionnalité dans le cautionnement à l’épreuve de

la loi et de la jurisprudence, Contr., conc., consom. avril 2004, p. 7 et s. ; D. LEGEAIS, note

sous Cass. com., 8 octobre 2002, JCP 2002, éd. E, 1730 ; S. PESENTI, Le principe de

proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51, p. 12 et s., n°23 ; Y. PICOD,

Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de Sisyphe, Liber amicorum J. Calais-Auloy,

Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 843 et s. 995 En ce sens, cf. D. BAKOUCHE, ibid., n°5 ; F. JACOB, obs. sous Cass. com. 8 octobre

2002, Banque et droit janv-fév. 2003, p. 52 ; V. BREMOND, obs. sous Cass. com., 4 février

2003, D. 2003, p. 1285 : dans le cadre du cautionnement disproportionné, « le dol est

constitué, semble-t-il, par la simple conscience de causer un préjudice à la caution ». 996 En ce sens, cf. V. BREMOND, D. 2003, p. 1284 : « la porte du recours au droit commun

de la responsabilité civile n’est pas fermée, mais elle est singulièrement étroite ! ». 997 La responsabilité a été écartée à l’égard, non seulement d’un dirigeant-caution, mais aussi

de cautions associées (cf. Cass. com., 11 juin 2003 : Bull. civ. IV, n°95). La qualité de la

caution a été expressément mise en avant dans l’arrêt de la Chambre commerciale du 21

janvier 2004 (n°02-17.038.) : « la caution, qui par ses qualité et fonction, a connaissance,

lors de son engagement, de la situation de la société cautionnée, n’est pas fondée à

rechercher la responsabilité de l’établissement de crédit, pour manquement à son obligation

d’information lors de l’octroi de concours ». Dans son arrêt du 12 mai 2004, la même

Chambre a écarté l’action en responsabilité exercée par le dirigeant-caution, non pas en raison

de sa qualité, mais sur le fondement de la prescription de l’article L. 110-4 du Code de

commerce (Cass. com., 12 mai 2004 : D. 2004, AJ, p. 1664, obs. V. AVENA-ROBARDET ;

LPA 28 juillet 2004, n°150, p. 8, note E.C. ; RD bancaire et financier 2004, n°160, obs.

LEGEAIS ; D. 2004, Somm., p. 2708, obs. AYNES ; RJDA 11/04, n°1267).

Depuis, la disproportion a permis à de nombreuses cautions profanes d’être déchargées de

leur engagement (Cass. 1ère civ., 12 octobre 2004 : RJDA 2/05, n°196).

La Chambre commerciale (Cass. com., 25 mars 2003 : RD bancaire et financier 2003, n°135,

obs. LEGEAIS ; JCP 2003, I, 176, n°4, obs. SIMLER) a aussi censuré une Cour d’appel qui

avait écarté l’argument de disproportion sans préciser si la caution exerçait dans la société

débitrice des fonctions qui l’auraient privée du droit de mettre en cause la responsabilité de

l’établissement de crédit. A contrario, en l’absence de telles fonctions, la disproportion aurait

pu être prise en compte. Cette analyse a été confirmée par deux arrêts de la Chambre

commerciale du 17 décembre 2003 (Bull. civ. IV, n°206 ), qui ont écarté le régime instauré

par l’arrêt Nahoum en présence de cautions non dirigeantes. Dans le premier, la Cour de

Page 258: L'efficacité des garanties personnelles

la première Chambre civile998, pourrait être maintenue dans les interstices laissés par

l’article L. 341-4 du Code de la consommation999.

467. En refusant de mettre à la charge des créanciers des obligations

conventionnelles implicites, en interprétant strictement les obligations légales,

particulièrement celles posées par les articles L. 313-22 du Code monétaire et

financier et 2037 du Code civil, la jurisprudence limite les risques de condamnation

des créanciers, et renforce donc la protection de leurs intérêts. Si le droit positif

organise l’efficacité objective du cautionnement en rejetant des contestations de la

caution visant à réduire l’étendue de leur engagement, il fait aussi primer la fonction

de garantie du cautionnement en écartant des moyens de défense tendant à remettre

en cause l’existence même du contrat conclu.

B/ LE REJET DES CONTESTATIONS

RELATIVES A L’EXISTENCE MEME DE L’ENGAGEMENT DE LA CAUTION

468. Assignées en paiement, les cautions cherchent souvent à échapper

purement et simplement à leurs obligations. Pour ce faire, elles élèvent des

contestations se rapportant, soit à leur propre engagement, soit à la dette principale.

Nombre de ces tentatives de libération demeurent infructueuses, car la jurisprudence

rejette de multiples causes d’extinction du cautionnement par voie principale (1), et

quelques causes d’extinction par voie accessoire (2).

1. Le rejet de causes d’extinction par voie principale

469. Les juges empêchent l’extinction du cautionnement par voie principale,

non seulement en interprétant les termes du contrat conclu dans un sens lui

conservant sa pleine efficacité (a), mais aussi en reconnaissant largement la validité

de ce contrat (b).

a. L’interprétation de l’engagement de la caution

L’interprétation de l’engagement de la caution se révèle protectrice des intérêts des

créanciers dans trois hypothèses.

cassation a reproché aux juges d’appel d’avoir considéré, pour ne pas engager la

responsabilité du créancier, que l’épouse-caution profitait des actes de son conjoint, sans

caractériser davantage la disproportion. Dans le second arrêt, les juges du fond ont au

contraire été approuvés d’avoir retenu la responsabilité de la banque créancière, le caractère

disproportionné ayant été suffisamment établi par la faiblesse des ressources de la caution. 998 Cass. 1ère civ., 9 juillet 2003 : Bull. civ. I, n°167 999 En ce sens, cf. D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au cautionnement issues de

la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°29 ; J. FRANÇOIS, n°148

Dans la mesure où cette nouvelle disposition semble applicable à tous les cautionnements

conclus entre une caution personne physique et un créancier professionnel, même

antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi du 1er août 2003 (sur l’application dans le temps

de cette loi nouvelle, cf. infra n°507), la jurisprudence Nahoum pourrait être maintenue, d’une

part, entre une caution personne physique et un créancier non professionnel et, d’autre part, à

l’égard des cautions personnes morales.

Page 259: L'efficacité des garanties personnelles

470. L’interprétation du terme extinctif du cautionnement. C’est tout

d’abord le cas de l’interprétation du terme extinctif propre que le cautionnement

d’un ensemble indéterminé de dettes peut comporter1000. La jurisprudence décide

que, faute de précision en sens contraire dans le contrat, la caution reste tenue de

toutes les dettes nées avant l’arrivée du terme de son engagement, quelles que soient

leur échéance et l’époque des poursuites dirigées contre elle, pourvu qu’il n’y ait pas

de prescription1001. Le terme ne met donc fin qu’à l’obligation de couverture et non à

l’obligation de règlement de la caution. Cette « solution est commandée par

l’interprétation la plus plausible de l’intention des parties et par le bon sens »1002.

Dans le cas contraire, il serait en effet impossible au créancier de poursuivre

instantanément la caution, faute d’exigibilité de la dette principale.

471. Le rejet des conditions implicites. C’est ensuite au sujet des conditions

pouvant assortir l’obligation de la caution que la jurisprudence retient une

interprétation protectrice des intérêts des créanciers. A défaut d’avoir songé à

subordonner l’existence de leur engagement à certaines conditions, ou à défaut

d’avoir fait accepter au créancier de telles modalités lors de la conclusion du

cautionnement, les cautions ont tendance à ériger a posteriori telle particularité de

l’opération en condition prétendue de leur engagement1003. Mais la jurisprudence

écarte les conditions non expressément stipulées.

Concernant l’affectation à une fin déterminée des fonds remis au débiteur

principal, elle exige qu’une telle condition ait été réellement envisagée et, par la

suite, violée par le créancier1004, et qu’elle ait revêtu, pour la caution, un caractère

déterminant de son engagement1005, ce qu’elle a le plus souvent beaucoup de mal à

prouver.

La caution rencontre les mêmes difficultés lorsqu’elle prétend que l’existence

ou le maintien de son obligation était subordonnée à la présence de

cofidéjusseurs1006, ou d’autres sûretés1007.

1000 Sur ce terme, cf. supra n°322-325 1001 Cass. com., 10 janvier 1984 : Bull. civ. IV, n°9 ; Cass. com., 29 février 1984 : Bull. civ.

IV, n°83 ; Cass. 1ère civ., 24 janvier 1990 : Bull. civ. I, n°20 ; Cass. com., 3 janvier 1995 :

Bull. civ. IV, n°1 ; Cass. com., 16 avril 1996 : Bull. civ. IV, n°119 ; Cass. 1ère civ., 19 juin

2001 : Bull. civ. I, n°179

La même solution s’applique à l’égard d’une clause de résiliation par la caution. Cf. Cass. 1ère

civ., 2 juin 2004 : RD bancaire et financier 2004, n°159, obs. LEGEAIS ; Droit et Patrimoine

2004, n°130, p. 107, obs. SAINT-ALARY 1002 Ph. SIMLER, n°322 1003 En ce sens, cf. J. FRANÇOIS, n°212 ; Ph. SIMLER, n°326 à 328 1004 Cass. 3ème civ., 4 juillet 1968 : Bull. civ. III, n°320 ; Cass. com., 7 février 1972 : Bull. civ.

IV, n°46 1005 Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : Bull. civ. I, n°163 1006 Ainsi, des cautions n’ont pas été libérées dans des espèces où plusieurs cautions devaient

s’engager et où certaines se sont abstenues de signer l’acte (Cass. com., 2 octobre 1979 : Gaz.

Pal. 1980, 1, somm., p. 16), ou ont résilié leur engagement (Cass. 1ère civ., 18 mai 1978 : Bull.

civ. I, n°195 ; Cass. com., 10 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°192 ; Cass. 1ère civ., 17 mai 1982 :

Gaz. Pal. 1982, 2, pan., p. 340, obs. A.P.). 1007 Cass. 1ère civ., 4 octobre 2000 : RJDA 1/2001, n°85

Page 260: L'efficacité des garanties personnelles

472. L’interprétation des cautionnements successifs donnés par une

même personne. Enfin, c’est l’interprétation des cautionnements successifs donnés

par une même personne, qui donne lieu à des solutions favorables au créancier. « Il

arrive parfois que le banquier qui travaille en compte courant avec une société dont

les besoins de financement s’accroissent demande aux cautions qui avait donné une

garantie limitée de modifier ou d’étendre celle-ci »1008. Faute de mention expresse

révélant l’existence d’une novation ou d’une incompatibilité entre les deux

engagements successifs1009, la question se pose alors de savoir si le cautionnement

souscrit le dernier en date remplace le premier, ce que prétend la caution, ou si les

engagements de celle-ci sont cumulatifs, ce qu’espère le créancier.

La substitution suppose que soient réunies les conditions strictes de réalisation

d’une novation, qui ne peut se présumer et doit résulter clairement de l’acte (article

1273 du Code civil). En règle générale, les tribunaux et la Cour de cassation se

montrent exigeants dans la preuve de l’intention de nover et donc d’éteindre la

première sûreté. En l’absence d’une volonté certaine du créancier de décharger la

caution de son engagement précédent, ils décident que les cautionnements successifs

s’additionnent1010.

473. Par le biais de l’interprétation des termes du cautionnement et de la

volonté des parties, la jurisprudence écarte donc plusieurs causes d’extinction du

contrat par voie principale. Elle préserve également les intérêts des créanciers en

prononçant avec parcimonie la nullité du cautionnement.

b. La validité de l’engagement de la caution

474. L’indépendance de principe des engagements des cofidéjusseurs.

Avant de passer en revue les conditions de validité figurant à l’article 1108 du Code

civil, il convient de souligner que la validité de l’engagement d’une caution est

indépendante de celle des engagements d’éventuels cofidéjusseurs. « Les causes

d’anéantissement (annulation, inopposabilité, révocation, résolution) ou de

paralysie (disproportion entre le cautionnement et le patrimoine du garant) qui

affectent l’un des cautionnements doivent demeurer sans influence sur la validité,

l’efficacité ou le maintien des autres »1011. Ce principe d’indépendance dans la

situation des cofidéjusseurs découle du principe de relativité des conventions.

Même s’il est susceptible de se traduire par une aggravation du sort des

cautions, puisque, en conséquence de la disparition de l’un des cautionnements, la

contribution à la dette des cautions restantes augmente, le principe d’indépendance

ne contredit en rien l’article 2015 in fine du Code civil. En effet, ce texte ne

concerne que l’obligation à la dette, c'est-à-dire les rapports entre la caution et le

créancier.

1008 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°287 1009 Une telle incompatibilité existe en présence d’un nouveau cautionnement par le même

garant de la même dette, fût-il assorti de modalités différentes, ou dans l’hypothèse de

cautionnements généraux successifs souscrits par une même personne. 1010 Cass. 1ère civ., 9 février 1988 : Bull. civ. I, n°32 ; Cass. com., 22 avril 1997 : Bull. civ. IV,

n°96 ; Cass. com., 14 janvier 2004 : JCP 2004, I, 141, n°6, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 2

juin 2004 : Bull. civ. I, n°157 ; JCP 2005, II, 10004, note RIVOAL ; JCP 2005, I, 135 1011 J. MESTRE, Les cofidéjusseurs, Droit et Patrimoine 1998, n°56, p. 74

Page 261: L'efficacité des garanties personnelles

Le principe d’indépendance, qui est nécessaire à la sécurité du créancier ayant

exigé une pluralité de cautions pour fortifier le recouvrement de sa créance, a été à

plusieurs reprises appliqué en jurisprudence. La Cour de cassation a ainsi jugé que

« la solidarité entre cautions n’a pas pour effet leur représentation mutuelle dans

l’exercice de la faculté individuelle de révocation »1012, et que « l’extinction de la

dette de la caution en liquidation judiciaire est sans effet sur l’obligation de l’autre

caution à la dette »1013. Sauf en cas de remise de dette et de novation1014, la solidarité

entre les cautions ne peut donc nuire au créancier. La jurisprudence a bien compris

que les cautionnements, « en leur qualité fondamentale de garantie, n’ont pas

vocation à être traités comme un simple château de cartes ! »1015.

La situation des cofidéjusseurs étant rappelée, les quatre conditions de validité

de l’article 1108 du Code civil peuvent être successivement envisagées.

475. Les vices du consentement. S’agissant du consentement et, plus

précisément, des vices du consentement, ils font partie des moyens de défense que

les cautions invoquent fréquemment, à toutes fins utiles, mais souvent sans raison

suffisante et donc sans chance de succès1016.

476. L’erreur. En matière d’erreur, la jurisprudence se montre effectivement

très rigoureuse à l’encontre des cautions. Pour emporter l’annulation du

cautionnement, l’erreur de la caution doit avoir été déterminante de son

consentement, excusable, et relative à la substance de l’acte. Ces conditions sont

rarement remplies, de sorte que « l’erreur reste le remède à faibles statistiques

qu’elle doit être »1017. Ainsi, la jurisprudence écarte, en principe, l’erreur sur la

nature de l’engagement1018, sur la solvabilité du débiteur1019, sur l’étendue de son

engagement1020, ou encore sur l’affectation du crédit garanti1021.

1012 Cass. 1ère civ., 13 juin 1995 : Bull. civ. I, n°258 1013 Cass. com., 28 janvier 1997 : Bull. civ. IV, n°27 1014 Nous étudierons ces causes d’extinction à l’occasion de la présentation de l’inefficacité du

cautionnement, cf. infra n°583, 584 1015 J. MESTRE, art. préc., p. 74 1016 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°132. Contra, cf. D. LEGEAIS, n°83 1017 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°84 1018 A moins que la caution soit « positivement illettrée » (Cass. 1ère civ., 25 mai 1964 : Bull.

civ. I, n°269), ou atteinte de déficiences mentales (CA Versailles, 22 avril 1988 : Juris-Data

n°040934), ou encore étrangère et comprenant très mal le français (CA Orléans, 3 septembre

1996 : Juris-Data n°055637), l’usage courant du cautionnement explique que la jurisprudence

refuse l’annulation à la caution prétendant avoir cru ne souscrire qu’une garantie morale. « La

sévérité, ici, s’impose, sous peine de priver de crédibilité la garantie constituée par le

cautionnement » (Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°55). 1019 La couverture du risque d’insolvabilité étant l’objet même du cautionnement, la

jurisprudence considère que la caution n’est pas déliée de ses obligations, sauf si elle

démontre qu’elle avait fait de la solvabilité du débiteur la condition expresse de son

engagement (Cass. 1ère civ., 25 octobre 1977 : Bull. civ. I, n°388 ; Cass. com., 2 mars 1982 :

Bull. civ. IV, n°79 ; Cass. com., 11 janvier 1994 : Bull. civ. IV, n°15 ; Cass. 1ère civ., 16 mai

1995 : RJDA 10/1995, n°1076 ; JCP 1996, II, 22736, note LUCAS). Cette condition expresse

de solvabilité du débiteur, dont la Cour de cassation réserve l’hypothèse, est difficilement

concevable, puisque son insertion pourrait semer le doute dans l’esprit du créancier et

empêcher, ce faisant, la conclusion du cautionnement aussi bien que celle du contrat principal.

Page 262: L'efficacité des garanties personnelles

477. Le dol. En matière de dol, la jurisprudence ne fait pas montre de moins

d’exigence. Pour que le silence du créancier sur l’état financier désespéré ou

fortement obéré du débiteur soit cause de nullité du cautionnement, la caution doit

rapporter de nombreuses preuves. Elle doit établir, non seulement la réticence en soi,

mais aussi le caractère véritablement dolosif de celle-ci. Doivent ainsi être prouvés

la connaissance par le créancier de la situation irrémédiablement compromise ou

lourdement obérée du débiteur1022, l’ignorance corrélative de la caution sur cette

situation1023, et le caractère déterminant du consentement de la caution des

informations dissimulées1024.

Tout en continuant à exiger que la solvabilité du débiteur principal constitue une condition

déterminante de l’engagement de la caution, la Cour de cassation a récemment assoupli sa

position, au détriment des intérêts des créanciers, en admettant que la condition ne soit que

tacite (Cass. com., 1er octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°131). La portée de cette nouvelle

solution est néanmoins limitée par le fait que la Cour a pris soin de relever que la caution était

un « tiers à la société » débitrice. 1020 Ce type d’erreur est invoqué dans le cadre des cautionnements omnibus. « Une annulation

pour erreur ne peut être admise, en fait, parce que la sécurité des créanciers garantis de cette

façon serait ruinée, en droit, parce qu’une telle erreur s’apparente à une erreur sur la valeur,

qui est inopérante » (Ph. SIMLER, n°139). La Cour de cassation se prononce en ce sens (cf.

notamment Cass. com., 16 février 1982 : Bull. civ. IV, n°61 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre

1990 : Bull. civ. I, n°242). 1021 Dans le silence du contrat, la preuve du caractère déterminant de l’erreur est difficilement

rapportée. En ce sens, cf. CA Paris, 19 octobre 1994 : Juris-Data n°024722 1022 La jurisprudence ne se satisfait pas d’une simple présomption. La connaissance du

créancier ne peut être déduite de sa seule qualité de banquier (Cass. com., 10 juin 1987 : D.

1987, Somm., p. 445, obs. AYNES). « Au mieux, la preuve de cette connaissance par la

banque sera facilitée lorsque le débiteur avait son compte courant au sein de l’établissement

bancaire, ou lorsque c’est l’établissement en question qui a octroyé le prêt cautionné » (C.

VUILLEMIN-GONZALEZ, La réticence dolosive des établissements bancaires à l’égard des

cautions, un manquement à l’obligation de contracter de bonne foi, D. 2001, chron., p. 3340).

Par ailleurs, la jurisprudence n’impose pas au créancier de s’informer afin d’être en mesure de

pouvoir informer en temps utile la caution sur la situation du débiteur. La connaissance par le

créancier de la situation désespérée du débiteur n’est pas établie, en outre, lorsqu’au jour du

cautionnement rien ne lui permettait de supposer que ledit débiteur ne pourrait faire face à ses

engagements, ou lorsqu’à cette date les difficultés de trésorerie ne paraissaient que passagères

(Cass. com., 1er février 1994 : Bull. civ. IV, n°39 ; Cass. com., 13 décembre 1994 : RJDA

4/1995, n°479), ou encore lorsqu’un long temps se sera écoulé entre l’octroi du

cautionnement et la défaillance du débiteur (Cass. 1ère civ., 29 juin 1999 : pourvoi n°97-

13.280). Enfin, la jurisprudence décide qu’on ne peut reprocher au créancier son attitude s’il a

lui-même été abusé par la production d’un faux bilan (Cass. 1ère civ., 19 mars 1985 : Bull. civ.

I, n°98) ou si, malgré plusieurs demandes, il n’a pu obtenir communication de ce bilan (Cass.

1ère civ., 31 mars 1998 : pourvoi n°96-13.536). 1023 La caution ne saurait reprocher au créancier d’avoir fait preuve de mauvaise foi en lui

dissimulant un fait qu’elle était à même de connaître. « L’appréciation de la légitimité de

l’ignorance de la caution suppose que l’on prenne en considération certains critères relatifs à

sa personne, comme son âge, sa personnalité, sa position ou ses fonctions » (C.

VUILLEMIN-GONZALEZ, ibid., p. 3341). L’aptitude de la caution à déceler les risques

d’insolvabilité du débiteur est essentiellement reconnue à ceux qui dirigent l’entreprise (Cass.

com., 10 juin 1987 : D. 1987, Somm., p. 445, obs. AYNES ; Cass. com., 28 mai 1991 : Bull.

civ. IV, n°180 ; Cass. com., 3 mars 1992 : Bull. civ. IV, n°99 ; Cass. com., 16 novembre

Page 263: L'efficacité des garanties personnelles

Par ailleurs, la jurisprudence favorise l’efficacité objective du cautionnement en

appliquant littéralement l’article 1116 du Code civil. Même si, très souvent, c’est le

débiteur contraint de trouver une caution qui est l’auteur des manœuvres ou

réticences dolosives, la Cour de cassation décide que le dol du débiteur ne peut être

opposé au créancier s’il ne s’en est pas rendu complice1025. Si cette solution peut être

critiquée en ce qu’elle occulte le caractère triangulaire de l’opération de garantie et

le rôle central que tient le débiteur dans cette opération, elle présente, en revanche,

le mérite d’élever la fonction de garantie du cautionnement au premier plan et de ne

pas compromettre les droits des créanciers.

478. La violence. Sur le fondement du vice de violence, les cautions ont

encore moins de chances d’obtenir l’extinction de leur engagement. La

jurisprudence refuse l’annulation en raison de l’état de santé précaire de la

caution1026, d’une situation de désarroi ou de dépendance1027, de la seule pression des

circonstances économiques1028, ou encore d’une menace d’un arrêt de crédit1029.

Ce n’est donc pas sur le terrain des vices du consentement que les cautions

peuvent remettre en cause aisément l’existence même de leur engagement.

479. Les conditions de capacité et de pouvoir. La jurisprudence veille

également à la protection des intérêts des créanciers dans l’application de la

deuxième condition de validité visée par l’article 1108 du Code civil, à savoir la

capacité de contracter, à laquelle il est possible d’adjoindre les conditions de

pouvoir. Deux questions en ce domaine ont donné lieu à des solutions confortant

l’efficacité in abstracto du cautionnement.

480. Caractère gratuit ou onéreux du cautionnement. En premier lieu, le

problème s’est posé de savoir si le cautionnement constitue un acte à titre gratuit ou

1993 : Bull. civ. IV, n°404 ; Cass. com., 17 décembre 1996 : D. 1998, IR, p. 82 ; Cass. com.,

2 octobre 2001 : RD bancaire et financier 2001, n°223, obs. LEGEAIS ; Cass. com., 29

octobre 2002 : RTD com., p. 152, n°14, obs. LEGEAIS ; Cass. com. 12 octobre 2004 : RJDA

4/05, n°456). Au contraire, le dol a pu être retenu au bénéfice d’une caution associée à la

société débitrice, mais non aguerrie aux affaires, et intervenant dans un contexte familial dont

elle ne pouvait maîtriser les implications financières sans les informations de l’établissement

prêteur (Cass. 1ère civ., 8 juillet 2003 : RJDA 01/2004, n°96). 1024 Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : Bull. civ. I, n°114 ; Cass. 1ère civ., 8 juillet 2003 : D. 2003,

AJ, p. 2308, obs. AVENA-ROBARDET 1025 Cass. 1ère civ., 27 juin 1973 : Bull. civ. I, n°219 ; Cass. com., 13 novembre 2002 : Bull.

civ. IV, n°161 1026 CA Paris, 16 juin 1989 : D. 1989, IR, p. 215 ; RD bancaire et bourse 1989, p. 217, obs.

CONTAMINE-RAYNAUD 1027 CA Paris, 4 janvier 1984 : Juris-Data n°20378 1028 Cass. com., 28 mai 1992 : D. 1992, 166, note MORVAN ; Defrénois 1992, 318, obs.

AUBERT ; CA Versailles, 27 février 2003 : RJDA 5/2004, n°619 (comme la réalité de la

violence résultant de la contrainte économique doit s’apprécier en considération de la

personne qui en est victime, la nullité doit être écartée en présence d’une caution dirigeante,

pouvant être considérée comme un homme d’affaires averti). 1029 Cass. com., 3 mars 1987 : Bull. civ. IV, n°58

Page 264: L'efficacité des garanties personnelles

un acte à titre onéreux1030. La qualification est importante, puisqu’elle détermine la

capacité et les pouvoirs requis pour se porter caution1031.

Si le contrat passé entre la caution et le débiteur peut être à titre gratuit ou à

titre onéreux, cette qualification ne doit avoir aucune incidence sur la nature gratuite

ou onéreuse du cautionnement lui-même, car le créancier peut ignorer les motifs qui

incitent la caution à s’engager. La qualification du cautionnement ne doit dépendre

que des rapports existant entre le créancier et la caution. Or, dans ces rapports, il

n’existe, le plus souvent, aucune intention libérale, qui est de « l’essence des

dispositions à titre gratuit »1032. La caution est très rarement animée d’un esprit de

bienveillance à l’égard du créancier. En conséquence, le cautionnement doit entrer

dans la catégorie des contrats à titre onéreux.

Un autre argument milite en ce sens : « le cautionnement ne doit pas être

qualifié de contrat de bienfaisance car l’application des règles restrictives de

compétence qui en découleraient serait un obstacle important à l’efficacité de cette

sûreté »1033.

Pour ces deux raisons, mais aussi parce que, du fait de ses recours contre le

débiteur, la caution ne subit aucun dessaisissement immédiat et définitif, la Cour de

cassation considère que le cautionnement est un acte à titre onéreux et ne le soumet

donc pas à l’article 1422 du Code civil, qui déclare nuls les actes de disposition à

titre gratuit portant sur les biens de la communauté, accomplis par un époux seul1034.

Le régime normal de capacité, c'est-à-dire celui des actes à titre onéreux, s’applique

donc à l’acte de cautionnement, ce qui est de nature à empêcher des causes

d’extinction préjudiciables à son efficacité.

481. Conditions de validité du cautionnement souscrit par une société. La

protection des intérêts des créanciers guide également les juges lorsqu’ils ont à

résoudre des questions relatives à la validité des cautionnements souscrits au nom

d’une société par son dirigeant.

De tels cautionnements sont fréquents dans le cadre des groupes de sociétés, car

ils permettent à une société groupée d’obtenir un accès privilégié au crédit, en

offrant tout ou partie de la surface financière du groupe. Il arrive aussi que des

sociétés civiles constituées pour détenir l’immobilier d’entreprise se portent cautions

des engagements de la société commerciale locataire. Dans ces hypothèses, le

patrimoine de la société-caution se déplace au service d’autrui. « Le cautionnement

1030 Sur cette question, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°73 et 139 ; J. FRANÇOIS,

n°27 et 28 ; D. LEGEAIS, n°58 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.

CROCQ, n°226 à 228 ; S. PIEDELIEVRE, n°37 ; Ph. SIMLER, n°59 et 60 ; Ph. THERY,

n°26 1031 Cette qualification présente d’autres intérêts, qui ne seront pas étudiés, à savoir la

détermination du formalisme à respecter lors de la conclusion du contrat, la détermination de

la validité ou de la nullité de l’acte conclu en période suspecte et la détermination des

conséquences de l’acte dans la succession de la caution. 1032 Cass. req., 27 juin 1887 : DP 1888, 1, 303 1033 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°90 1034 Cass. 1ère civ., 21 novembre 1973 : Bull. civ. I, n°318 ; Cass. 1ère civ., 11 juillet 1978 :

Bull. civ. I, n°264 ; Cass. 1ère civ., 27 janvier 1982 : Bull. civ. I, n°46

Page 265: L'efficacité des garanties personnelles

opère, en quelque sorte, une déspécialisation de la société caution dont il convient

de se demander quelles limites y apporte l’objet social »1035.

Dans toutes les sociétés, le pouvoir des dirigeants d’engager la personne morale

qu’ils représentent est limité par le principe de spécialité. Si le cautionnement

consenti par le dirigeant n’entre, ni directement, ni indirectement, dans l’objet du

groupement, il est susceptible d’être remis en cause. La nullité ne concerne

cependant pas toutes les sociétés. Les SARL et les SA sont engagées par les actes de

leurs représentants, même s’ils sont étrangers à l’objet social, car les limites de

celui-ci sont inopposables aux tiers qui n’en ont pas connaissance1036. C’est donc

uniquement dans les sociétés civiles et les sociétés de personne que le non-respect

de l’objet social peut entraîner la nullité du cautionnement pour dépassement de

pouvoir du dirigeant. Cette sanction n’est pas fréquemment prononcée, car la

jurisprudence apprécie avec souplesse la conformité à l’objet social.

Si les statuts n’ont pas fait entrer le cautionnement dans l’objet social, ils

peuvent être modifiés avant la conclusion effective d’un cautionnement1037. Par

ailleurs, le cautionnement donné par des sociétés civiles est considéré comme

conforme à l’objet social dès qu’il a été approuvé par l’unanimité des associés1038,

sous réserve qu’il n’y ait pas de collusion frauduleuse avec le créancier garanti, aux

dépens des créanciers sociaux1039. Une dernière circonstance est susceptible de

conférer validité à un cautionnement qui, a priori, ne serait pas conforme à l’objet

social. Il s’agit de l’existence d’une communauté d’intérêts entre la société caution

et le débiteur principal. Cette communauté d’intérêts est reconnue entre les sociétés

d’un même groupe, ou en cas de dissociation au sein d’une entreprise entre société

immobilière et société de gestion1040 ou, plus généralement, dans toute situation où

la société caution tire avantage du maintien de l’activité ou de la prospérité de

l’entreprise cautionnée. La notion de communauté d’intérêts étant particulièrement

1035 H. HOVASSE, Les cautionnements donnés par les sociétés et l’objet social, in Sûretés et

garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 76 1036 En matière de SA : article L. 225-64 du Code de commerce. En matière de SARL : article

L. 223-18 du Code de commerce. 1037 Cass. 1ère civ., 19 mai 1987 : Bull. civ. I, n°158 1038 L’article 1854 du Code civil dispose que « les décisions peuvent encore résulter du

consentement de tous les associés exprimé dans un acte ». Cf. notamment Cass. 3ème civ., 4

février 1971 : JCP 1972, II, 16980, note DAGOT et SPITERI ; Rev. sociétés 1971, p. 595,

note GUILBERTEAU ; Cass. 1ère civ., 20 octobre 1992 : Bull. Joly décembre 1992, p. 1311 ;

RTD com. 1993, p. 333, obs. ALFANDARI et JEANTIN ; Cass. 3ème civ., 1er décembre

1993 : Dr. sociétés juillet 1994, p. 12, obs. LE NABASQUE ; RTD com. 1995, p. 149, obs.

JEANTIN et ALFANDARI ; Banque mars 1994, p. 98, note GUILLOT ; Cass. com., 14

décembre 1999 : Defrénois 2000, p. 505, note HOVASSE ; Dr. sociétés 2000, n°51, p. 13 ;

Cass. 3ème civ., 25 novembre 2002 : Defrénois 2003, article 37739, p. 721, note HOVASSE

Au sujet d’un cautionnement donné par une société en nom collectif, cf. Cass. com., 18 mars

2003 : Bull. civ. IV, n°46 (validation d’un cautionnement donné avec l’accord unanime de

tous les associés lors d’une assemblée générale extraordinaire. Application de l’article L. 221-

6 alinéa 1er du Code de commerce). 1039 La fraude est constituée lorsque les associés ont consenti au cautionnement dans le seul

but de permettre à leur créancier personnel de contourner l’autonomie patrimoniale de la

société (Cass. 3ème civ., 22 mai 1975 : JCP 1976, II, 18346, note RANDOUX ; Cass. com., 14

décembre 1999 : préc.; Cass. com., 28 mars 2000 : Bull. civ. IV, n°69). 1040 Cass. 1ère civ., 15 mars 1988 : Bull. civ. I, n°75

Page 266: L'efficacité des garanties personnelles

vaste, les risques d’annulation du cautionnement pour défaut de conformité à l’objet

social sont donc considérablement réduits. Les intérêts des créanciers ne s’en

trouvent que mieux protégés.

Sur le terrain de la capacité et des pouvoirs de la caution, les contestations

visant à remettre en cause l’existence même du cautionnement ont donc peu de

chances de prospérer.

482. L’objet. Il en va de même à l’égard de la troisième condition de validité

imposée par l’article 1108 du Code civil, à savoir l’objet. L’objet du contrat de

cautionnement est la garantie fournie par la caution, et l’objet de l’obligation de

règlement de la caution est l’exécution de cette garantie. A la différence d’autres

conventions, le cautionnement satisfait facilement aux exigences de notre droit

concernant l’objet.

S’agissant de l’exigence de détermination ou déterminabilité de l’objet de

l’obligation (article 1129 du Code civil), elle est aisément remplie. Il suffit que la

référence faite par le contrat de cautionnement à l’obligation principale soit

suffisamment précise. Elle l’est par l’indication du nom du débiteur principal ou des

éléments permettant de l’identifier1041, et par la référence aux obligations garanties,

qui doivent être déterminables1042, mais dont le montant n’a pas à être

nécessairement chiffré1043.

S’agissant de la condition de licéité et de moralité de l’objet, elle est également

facilement respectée, car l’objet de l’obligation de la caution consiste le plus souvent

en un paiement de somme d’argent, lequel est licite, même si la dette principale est

issue d’une infraction pénale1044. L’hypothèse de l’illicéité de l’objet du seul

cautionnement, alors que l’obligation principale est valable, résidait

traditionnellement dans le contrôle des changes, puisque la jurisprudence déclarait

nul, faute d’autorisation préalable, le cautionnement ayant pour objet, même à titre

éventuel, un transfert de valeurs à l’étranger1045. La Cour de cassation a modifié sa

position dans le sens de la validité du cautionnement consenti en France au bénéfice

d’un créancier étranger, dont seule l’exécution requiert l’autorisation prévue par la

1041 Dans l’appréciation de cette identification, la jurisprudence se montre souple. Ainsi, le

cautionnement est valable lorsque le débiteur désigné est, en réalité, une enseigne et non une

personne physique ou morale (Cass. com., 16 janvier 1978 : Bull. civ. IV, n°21 ; Cass. 1ère

civ., 1er juin 1999 : RJDA 11/1999, n°1247), ou lorsque le cautionnement désigne comme

débiteur une personne physique alors qu’il bénéficie, en réalité, à la société dont cette

personne est le dirigeant (Cass. com., 24 novembre 1970 : Bull. civ. IV, n°314). Par ailleurs, il

importe peu que la désignation du débiteur soit faite au crayon (Cass. com., 8 octobre 1996 :

Bull. civ. IV, n°224) ou qu’elle soit indiquée à la main par quelqu’un d’autre que la caution

(CA Paris, 19 avril 1988 : D. 1988, IR, p. 146). Enfin, en cas d’omission pure et simple de

l’indication du débiteur garanti, la Cour de cassation a déjà jugé que le document signé par la

caution peut constituer un commencement de preuve par écrit autorisant le créancier à

rapporter une preuve complémentaire (Cass. 1ère civ., 20 octobre 1993 : Bull. civ. I, n°292 ;

Cass. 1ère civ., 27 février 1996 : Bull. civ. I, n°110 ; Cass. 1ère civ., 13 novembre 1997 : Bull.

civ. I, n°305 ; Cass. 1ère civ., 13 avril 1999 : RJDA 6/1999, n°722). 1042 Cass. com., 22 février 1994 : Bull. civ. IV, n°68 1043 Cass. com., 23 février 1993 : Bull. civ. IV, n°69 1044 Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996 : Bull. civ. I, n°342 ; Cass. 1ère civ., 13 mai 1998 : Bull. civ.

I, n°173 1045 Cass. com., 3 février 1976 : Bull. civ. IV, n°41

Page 267: L'efficacité des garanties personnelles

réglementation des changes1046. Même en période de contrôle des changes, l’acte de

cautionnement est donc en toute hypothèse valable.

On le voit, en matière de cautionnement, le rôle de l’objet est spécialement

ténu. Cela s’explique par le fait que toutes les obligations valables (et même les

obligations nulles pour défaut de capacité du débiteur principal) peuvent être

garanties, qu’elles soient de nature contractuelle ou délictuelle1047, qu’elles soient

présentes ou futures. Le relatif effacement de la théorie de l’objet s’explique surtout

par le phagocytage qu’opère le principe du caractère accessoire renforcé1048. Comme

c’est la dette même du débiteur garanti qui constitue l’objet de l’obligation de

règlement de la caution, si cette dette n’existe pas ou est illicite, l’obligation de la

caution est certes privée d’objet, mais c’est le plus souvent sur le terrain du caractère

accessoire renforcé du cautionnement que celui-ci se trouve anéanti. Inversement, il

suffit de respecter le principe du caractère accessoire pour que les exigences

relatives à l’objet soient satisfaites.

L’extinction du cautionnement pour défaut ou illicéité de l’objet de l’obligation

de règlement de la caution n’est donc prononcée que dans des cas exceptionnels, ce

qui renforce la protection des intérêts des créanciers.

483. La cause. L’efficacité objective n’est pas non plus menacée par la

théorie de la cause, qui constitue la dernière condition de validité imposée par

l’article 1108 du Code civil. Depuis l’arrêt Lempereur, la Cour de cassation décide

que la cause objective de l’obligation de la caution réside dans la considération que

la caution a du crédit que le débiteur reçoit du créancier1049. S’agissant de la cause

subjective, elle prend en compte les mobiles qui ont conduit la caution à s’engager,

dès lors qu’ils ont été déterminants, sans qu’ils aient pour autant à être communs aux

deux parties1050.

La conception de la cause objective retenue par la jurisprudence fait obstacle à

ce que cette condition de validité joue un rôle déterminant en matière de

cautionnement. En effet, l’absence de cause coïncidant nécessairement avec

l’inexistence ou la nullité de l’obligation garantie, c’est sur le fondement du principe

du caractère accessoire renforcé que le cautionnement risque d’être privé d’effet.

« Le rôle de la cause est en quelque sorte occulté par l’incidence du caractère

accessoire »1051.

Dans la mesure où la jurisprudence fait résider la cause de l’obligation de la

caution dans le crédit accordé au débiteur par le créancier, elle a écarté le grief

1046 Cass. com., 30 juin 1981 : Bull. civ. IV, n°299 ; Cass. com., 22 novembre 1983 (2 arrêts) :

Bull. civ. IV, n°315 et 316 1047 Une jurisprudence classique semblait prohiber le cautionnement de dettes délictuelles

(Cass. com., 17 janvier 1995 : JCP 1995, éd. E, I, 515, n°5, obs. SIMLER). Elle est

aujourd'hui abandonnée (Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996 : Bull. civ. I, n°342 ; Cass. 1ère civ., 13

mai 1998 : Bull. civ. I, n°173). 1048 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°124 ; Ph. SIMLER, n°198 1049 Cass. com., 8 novembre 1972 : Bull. civ. IV, n°278 1050 Cass. 1ère civ., 7 octobre 1998 : Bull. civ. I, n°285 ; JCP 1998, II, 10202, note

MALEVILLE ; JCP 1999, I, 114, n°1, obs. JAMIN ; D. 1998, p. 563, rapp. SAINTE-ROSE ;

D. 1999, Somm., p. 111, obs. DELEBECQUE ; Defrénois 1998, article 36895, p. 1408, obs.

MAZEAUD 1051 Ph. SIMLER, n°188. En ce sens, cf. aussi D. LEGEAIS, n°135 ; Ph. THERY, n°47

Page 268: L'efficacité des garanties personnelles

d’absence de cause dans des hypothèses où la caution invoquait l’insolvabilité du

débiteur à la date de l’engagement1052, le défaut d’autres cautionnements1053, ou

l’infériorité du crédit octroyé par rapport au niveau de concours envisagé1054, ou

encore l’extinction de la dette principale avant son engagement1055.

Concernant l’illicéité ou l’immoralité de la cause subjective, elle n’est guère

plus susceptible que l’absence de cause objective d’emporter la nullité du

cautionnement. En effet, l’intrusion d’un motif illicite ou immoral dans le contrat de

cautionnement lui-même est peu plausible. De plus, si c’est l’obligation principale

qui est atteinte d’un tel vice, c’est une fois encore le caractère accessoire renforcé du

cautionnement qui risque de justifier l’anéantissement du contrat.

S’agissant de la disparition de la cause subjective, elle est souvent invoquée par

les cautions, mais jamais retenue par la Cour de cassation. Si la Haute juridiction

refuse l’annulation du cautionnement en cas de cessation des fonctions de la

caution1056, de divorce des époux, cautions l’un de l’autre1057, de transformation de la

société garantie,1058 ou encore de disparition d’autres sûretés1059, c’est parce que,

d’une part, la cause s’apprécie au stade de la formation du contrat et non à celui de

son exécution1060 et, d’autre part, parce que le cautionnement ne jouerait plus son

rôle de garantie si la caution pouvait ainsi opposer au créancier des événements

affectant sa vie familiale ou professionnelle.

484. Afin de préserver la fonction de garantie du cautionnement, la

jurisprudence rejette ainsi l’argument fondé sur la disparition de la cause, mais aussi

la plupart des contestations fondées sur le non respect des conditions de validité de

l’article 1108 du Code civil. Comme les juges interprètent, par ailleurs, les termes du

contrat conclu et la volonté des parties dans un sens favorable au créancier, les

1052 La Cour de cassation refuse de voir dans la solvabilité du débiteur la cause de

l’engagement de la caution. Elle relève que, dès lors que la dette garantie existe, l’obligation

de la caution n’est pas dépourvue de cause (Cass. 1ère civ., 30 mai 1978 : Bull. civ. I, n°207). 1053 La Cour de cassation considère que l’engagement d’une caution ne peut pas être la cause

de celui d’éventuels cofidéjusseurs (Cass. com., 10 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°192 ; Cass.

com., 2 octobre 1979 : Gaz. Pal. 1980, 1, Somm., p. 16 ; Cass. com., 24 novembre 1981 : Gaz.

Pal. 1982, 1, pan., p. 180). 1054 Cass. com., 29 octobre 2002 : RTD com. 2003, p. 152, n°14, obs. LEGEAIS 1055 Cass. com., 13 mai 2003 : RJDA 12/2003, n°1244 1056 Cass. com., 8 novembre 1972 : préc. ; Cass. com., 16 février 1977 : JCP 1979, II, 19154,

note SIMLER ; Cass. com., 17 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°200 ; Cass. com., 6 décembre

1988 : Bull. civ. IV, n°334 ; Cass. com., 2 octobre 2001 : RD bancaire et financier 2001,

n°223, obs. LEGEAIS ; RJDA 2/2002, n°199

La jurisprudence refuse pareillement d’annuler le cautionnement donné par un employeur au

profit de l’un de ses salariés en raison de la cessation des fonctions de ce dernier (CA

Versailles, 21 octobre 2003 : RJDA 04/2004, n°478). 1057 Cass. com., 24 juin 1969 : JCP 1970, II, 16221, note PRIEUR ; Cass. com., 28 février

1977 : JCP 1977, IV, 110 ; D. 1977, IR, p. 235 ; Gaz. Pal. 1977, 1, Somm., p. 190 ; Cass.

com., 19 janvier 1981 : Bull. civ. IV, n°32 1058 Cass. com., 9 avril 1973 : Bull. civ. IV, n°152 ; Cass. com., 16 octobre 1978 : Bull. civ.

IV, n°227 1059 Cass. com., 10 juillet 1978 : Bull. civ. IV, n°192 1060 Si une partie de la doctrine soutient, à la suite de Capitant, que la cause peut être prise en

considération pendant toute la vie du contrat, seule la cause objective est visée, et non les

motifs impulsifs et déterminants de l’engagement.

Page 269: L'efficacité des garanties personnelles

risques de remise en cause du cautionnement, par voie principale, sont donc

minimes. L’efficacité objective du cautionnement se trouve également confortée par

le rejet de causes d’extinction par voie accessoire.

2. Le rejet de causes d’extinction par voie accessoire

485. Analyse téléologique du cautionnement. L’application du caractère

accessoire renforcé du cautionnement constitue l’une des principales causes de

libération de la caution. Pour autant, il arrive que la jurisprudence adopte une

analyse téléologique du cautionnement en résolvant les antagonismes pouvant

éventuellement surgir entre les solutions déclinées à partir du caractère accessoire et

celles qu’imposerait la prise en compte de sa fonction de garantie, selon un postulat

de primauté du but sur la technique de l’institution1061. Il arrive ainsi que les juges

maintiennent le cautionnement malgré l’extinction de la dette principale.

486. Le paiement du débiteur principal. La cause d’extinction par voie

accessoire la plus évidente est le paiement opéré par le débiteur principal. Dans deux

hypothèses ce paiement n’affecte cependant pas l’existence du cautionnement.

En premier lieu, en présence d’une dette seulement partiellement cautionnée, la

question s’est posée de savoir si le paiement partiel effectué par le débiteur s’impute

d’abord sur la partie cautionnée de la dette ou, au contraire, sur la partie non

garantie. Dans le silence de la loi et du contrat, la jurisprudence a opté en faveur de

la solution la plus favorable aux créanciers, à savoir l’imputation du paiement partiel

sur la part non cautionnée1062. Le visa de l’article 1256 du Code civil est peu

pertinent, puisque ce texte ne concerne pas l’hypothèse d’une dette unique

partiellement cautionnée, mais celle d’une pluralité de dettes, dont certaines

seulement sont garanties, et parce que, à l’égard de cette dernière hypothèse, c’est au

contraire une solution défavorable aux créanciers qui prévaut. Ce qui justifie

fondamentalement la solution, c’est, en réalité, d’une part, le nécessaire accord du

créancier en cas de paiement partiel (article 1254 du Code civil)1063 et, d’autre part,

la fonction de garantie du cautionnement1064. Afin de protéger les intérêts des

créanciers, la solution s’imposait, comme, en matière de sûretés réelles, s’impose la

règle de l’indivisibilité1065.

La seconde hypothèse dans laquelle le paiement du débiteur principal ne prive

pas le créancier du droit de demander à la caution l’exécution de ses obligations est

celle où ledit paiement se trouve anéanti1066, et où le créancier est donc tenu de

restituer ce qu’il a reçu au débiteur. L’effet extinctif qui est attaché au paiement

1061 En ce sens, cf. D. GRIMAUD, th. préc., n°284 1062 Cass. civ., 12 janvier 1857 : DP 1857, 1, p. 278 ; S. 1857, 1, p. 349 ; Cass. com., 28

janvier 1997 : Bull. civ. IV, n°28 1063 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°674, qui propose de fonder la solution sur l’article 1254 du

Code civil, puisque cette disposition répond aussi à un esprit de faveur pour le créancier. 1064 En ce sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°32 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°201 ; J.

FRANÇOIS, n°308 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°249 ;

Ph. THERY, n°80 1065 Sur cette analogie, cf. Ph. THERY, n°80 1066 Les causes de cet anéantissement sont diverses : défaut de propriété du bien utilisé pour

payer, défaut de capacité du solvens ou de l’accipiens, nullité de la période suspecte, action

paulienne…

Page 270: L'efficacité des garanties personnelles

disparaît alors, et le créancier retrouve le droit de poursuivre la caution1067. Il ne

suffit donc pas que le débiteur principal paye sa dette pour que la caution soit

libérée, encore faut-il que ce paiement soit valable. L’anéantissement du paiement

fait revivre le cautionnement, sauf quand la loi en dispose autrement, ce qui est le

cas en matière de dation en paiement (article 2038 du Code civil).

487. La novation de l’obligation principale. Une autre cause d’extinction du

cautionnement par voie accessoire réside dans la novation de l’obligation principale,

comme le prévoit l’article 1281 alinéa 2 du Code civil1068. Afin d’être libérées, les

cautions doivent prouver, tant l’élément objectif de la novation (la création d’une

obligation nouvelle et valable), que son élément subjectif (la volonté d’éteindre

l’ancienne obligation par la création d’une nouvelle). Elles échouent fréquemment

dans cette tentative, car il y a plus souvent de simples modifications des modalités

de l’obligation principale qu’une véritable novation1069.

488. La prescription de l’obligation principale. En matière de prescription

de l’obligation principale, quelques solutions se révèlent également protectrices des

intérêts des créanciers.

Tout d’abord, l’article 2250 du Code civil, en précisant que « l’interpellation

faite au débiteur principal, ou sa reconnaissance interrompt la prescription contre

la caution », évite au créancier, qui aurait vainement poursuivi le débiteur principal,

de se voir ensuite opposer par la caution la prescription1070.

Par ailleurs, la Cour de cassation considère que, si une décision définitive est

intervenue contre la caution, sans qu’elle n’ait pu ou voulu invoquer la prescription,

l’autorité de chose jugée s’oppose à ce qu’elle puisse se prévaloir d’un jugement

ultérieur déclarant le débiteur libéré par prescription1071.

Surtout, la Haute juridiction fait primer la fonction de garantie du

cautionnement sur son caractère accessoire renforcé en jugeant que le créancier, qui

ne poursuit pas la caution dans le délai de deux ans de l’article L. 311-37 du Code de

1067 Cass. com., 14 avril 1992 : Bull. civ. IV, n°155 ; Cass. com., 22 octobre 1996 : RD

bancaire et bourse 1997, p. 243, obs. CONTAMINE-RAYNAUD 1068 Si l’article 1281 ne vise expressément que « la novation faite entre le créancier et l’un

des débiteurs solidaires », il ne fait aucun doute que les règles qu’il formule ont vocation à

s’appliquer en cas de novation par changement d’objet, de débiteur, ou de créancier. 1069 N’ont pas été qualifiés de novation la conversion de la dette en une monnaie autre que

celle prévue au contrat (Cass. civ., 17 décembre 1928 : DH 1929, p. 49 ; S. 1929, 1, p. 100), la

modification du taux de l’intérêt dans les rapports entre le créancier et le débiteur (Cass. com.,

8 juin 1999 : RJDA 8-9/1999, n°1007), la prorogation du terme (Cass. req., 13 novembre

1877 : DP 1878, 1, p. 300 ; S. 1878, 1, p. 415 ; Cass. com., 3 avril 2002 : RJDA 10/2002,

n°1085), le rééchelonnement de la durée du contrat principal (Cass. 3ème civ., 4 avril 2001 :

RD bancaire et financier 2001, n°148, obs. LEGEAIS), les nouvelles conditions d’escompte et

de découvert accordées au débiteur principal (Cass. 1ère civ., 18 janvier 2000 : RJDA 4/2000,

n°479), le réaménagement de la dette pour l’exécution d’un plan conventionnel de

surendettement (Cass. 1ère civ., 20 mai 2003 : Bull. civ. I, n°122), le changement de forme de

la société débitrice ou créancière. Le législateur lui-même est venu préciser que la fusion ou

l’absorption de la société débitrice ou créancière n’emportent pas novation, mais ont pour

effet la transmission universelle du patrimoine des sociétés fusionnées ou scindées qui

disparaissent (article L. 236-3 du Code de commerce). 1070 Pour une application de ce texte, cf. Cass. com., 13 avril 1999 : RJDA 6/1999, n°725 1071 Cass. req., 25 novembre 1905 : S. 1906, 1, p. 345

Page 271: L'efficacité des garanties personnelles

la consommation, n’est pas privé de son droit d’agir1072. Si la motivation retenue

n’emporte pas la conviction, en ce qu’elle repose sur la perte par la caution solidaire

du bénéfice de discussion, perte qui est insusceptible d’expliquer pourquoi la caution

ne peut pas opposer au créancier une extinction par voie accessoire de son

engagement1073, la solution elle-même peut être approuvée, en ce qu’elle conforte

l’efficacité objective du cautionnement.

489. La nullité de l’obligation principale. Concernant l’extinction du

cautionnement pour cause de nullité de l’obligation principale, ses effets néfastes

pour les créanciers sont atténués depuis que la Cour de cassation décide, au visa de

l’article 2012 du Code civil, que « tant que les parties n’ont pas été remises en l’état

antérieur à la conclusion des conventions annulées, l’obligation de restitution

inhérente au contrat de prêt demeure valable (et) que dès lors, le cautionnement en

considération duquel le prêt a été consenti subsiste tant que cette obligation valable

n’est pas éteinte »1074. Cette solution fait respecter tout à la fois le caractère

accessoire renforcé du cautionnement et sa fonction de garantie1075. Elle protège les

intérêts des créanciers, sans toutefois aggraver le sort de la caution, puisque, si la

date de remboursement est avancée pour le débiteur principal1076, la caution

conserve le terme initial.

490. L’extinction de la dette principale ne permet donc pas en toute hypothèse

à la caution d’être déchargée de ses obligations. Certaines causes d’extinction par

voie accessoire sont paralysées lorsque la jurisprudence procède à une analyse

téléologique du mécanisme.

En rejetant les contestations des cautions visant à remettre en cause, par voie

principale ou accessoire, l’existence même de leur engagement ou, à tout le moins, à

1072 Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996 : Bull. civ. IV, n°340

Il convient de souligner que si la caution paie le créancier, qui l’a poursuivie après

l’expiration du délai biennal, elle peut exercer le recours personnel de l’article 2028 du Code

civil. 1073 Sur les critiques de la motivation de la solution étudiée, cf. D. ARLIE, La négligence du

prêteur, la règle de l’accessoire attachée au cautionnement et la libération de la caution,

LPA 3 octobre 2001, n°197, p. 7 ; M. FARGE, L’application au cautionnement du bref délai

prévu en matière de crédit mobilier à la consommation, JCP 2001, I, 310, n°6 ; D. LEGEAIS,

n°186

P. CROCQ (obs. sous Cass. 1ère civ., 8 octobre 1996, RTD civ. 1997, p. 187) a proposé de

justifier la solution par la référence à la distinction entre l’obligatio et le debitum : le délai de

forclusion n’éteindrait pas la dette, il priverait simplement le créancier de son droit d’agir en

justice pour obtenir paiement. 1074 Cass. com., 17 novembre 1982 : Bull. civ. IV, n°357 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 1997 : Bull.

civ. I, n°96 ; Cass. 1ère civ., 1er juillet 1997 : Bull. civ. I, n°224 ; Cass. 1ère civ., 29 octobre

2002 : RJDA 3/2003, n°298 et 320

La même solution joue en cas de résolution du contrat principal (CA Versailles, 30 avril

1986 : D. 1987, Somm., p. 451, 2e esp., obs. AYNES). 1075 Sur les justifications de cette solution, cf. D. ARLIE, art. préc., p. 10 ; M. CABRILLAC

et Ch. MOULY, n°223 et 223-1 ; J. FRANÇOIS, n°192 ; D. LEGEAIS, n°132 ; Ph. SIMLER,

n°233 et 234 1076 La nullité produit, à cet égard, les mêmes effets qu’une déchéance du terme.

Page 272: L'efficacité des garanties personnelles

réduire l’étendue de leurs obligations, la jurisprudence organise l’efficacité in

abstracto du cautionnement.

Il convient désormais de se demander si la fonction de garantie du

cautionnement est autant prise en compte par le droit positif lorsque le débiteur

principal est soumis à une procédure collective de paiement.

§2 : LA PRIMAUTE DE LA FONCTION DE GARANTIE

EN CAS DE PROCEDURE COLLECTIVE DE PAIEMENT

CONTRE LE DEBITEUR PRINCIPAL

491. La question de la charge définitive des mesures consenties au

débiteur sur le fondement de l’impératif de justice distributive. La procédure

collective ou de surendettement ouverte à l’encontre du débiteur principal traduit

l’impératif de justice distributive1077. Lorsque le créancier a pris la précaution, avant

que ne s’ouvre une telle procédure, de demander l’engagement d’un tiers, toute la

question est de savoir si la solidarité devant répondre aux besoins que la crise

économique fait ressentir au débiteur principal doit être supportée par le créancier ou

par la caution. Autrement dit, sur lequel doit peser le risque d’altération du droit de

créance, dû à la procédure collective ?1078

Deux voies extrêmes peuvent être empruntées. La première consiste à

privilégier la technique juridique du cautionnement, et donc à appliquer le principe

du caractère accessoire renforcé, sans distinction du contexte. La caution ne devant

pas être tenue à plus que le débiteur principal, c’est donc le créancier qui supporte

définitivement le poids des mesures fondées sur l’impératif de justice distributive.

La seconde voie consiste à faire primer la raison d’être du cautionnement, et donc à

réclamer à la caution ce que devrait le débiteur en dehors de toute procédure. C’est

ici la caution qui supporte toutes les faveurs faites au débiteur principal, puisqu’elle

doit payer le créancier, même si son recours contre le débiteur se trouve compromis.

492. La position du droit français. Alors que nombre de droits étrangers

écartent la règle de l’accessoire lorsque la défaillance du débiteur est établie, la loi et

la jurisprudence françaises n’adoptent pas une position aussi tranchée. Le droit

positif procède à une répartition des risques entre le créancier et la caution, en

privilégiant, tantôt la théorie de l’accessoire, tantôt la fonction de garantie du

cautionnement. A l’occasion de l’étude des causes d’inefficacité, les solutions

favorables aux cautions seront présentées1079. Pour l’heure, il importe d’envisager

les manifestations de la primauté du but de l’institution sur sa technique1080, c'est-à-

dire les hypothèses dans lesquelles la loi ou les juges, conscients que l’ouverture

d’une procédure collective ou de surendettement consacre l’incapacité du débiteur

1077 Cf. supra n°134-135 1078 M. BEHAR-TOUCHAIS (Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur,

RTD civ. 1993, p. 737 et s., n°5) rapproche cette question de la théorie des risques : « la

procédure collective est à la créance, ce que le cas fortuit est à la chose. Si le cas fortuit peut

entraîner la disparition de la chose, la procédure collective peut entraîner l’altération, voire

l’extinction du droit de créance ». 1079 Cf. infra n°560-562, 591, 592 1080 D. GRIMAUD (th. préc., n°215) parle de « conception transcendantale de la fonction de

sûreté ».

Page 273: L'efficacité des garanties personnelles

principal à faire face à ses engagements, empêchent la caution de se prévaloir des

mesures bénéficiant au débiteur. Le droit positif évite les retards dans l’exécution,

par la caution, de son obligation de règlement (A), la réduction de celle-ci (B), mais

aussi la remise en cause de l’existence même de cette obligation (C).

A/ LE MOMENT DE L’EXECUTION DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT

493. La suspension des poursuites à l’encontre du débiteur principal. Le

droit en vigueur prive la caution du bénéfice de la suspension des poursuites, parfois

imposée aux créanciers. Ainsi, ni la suspension facultative pouvant être prononcée

dans le règlement amiable1081 ou dans le cadre du redressement judiciaire civil1082, ni

la suspension automatique dont bénéficie le débiteur en cas de redressement

judiciaire1083, de liquidation judiciaire1084 ou de rétablissement personnel1085, ne

mettent la caution à l’abri de poursuites immédiates si la créance est exigible1086.

Cela s’explique par le fait que ces différentes suspensions sont attachées à des

procédures qui constituent une poursuite collective de paiement, et que le

cautionnement a justement pour fonction de lutter contre l’inconvénient en résultant

pour le créancier.

494. La vérification des créances. La Cour de cassation décide aussi que les

lenteurs de la procédure ne permettent pas à la caution de retarder son paiement. En

effet, quand le créancier a déclaré sa créance, le tribunal devant lequel il poursuit la

caution doit examiner son action sans attendre le résultat de la vérification des

créances qui s’opère devant le juge commissaire, sauf à surseoir à statuer dans

l’intérêt d’une bonne justice1087. La motivation retenue n’est guère convaincante,

1081 Article 36 de la loi du 1er mars 1984, modifié par la loi du 10 juin 1994. 1082 Toute procédure d’exécution contre le débiteur peut être suspendue par le juge de

l’exécution, sauf pour les dettes alimentaires (article L. 331-5 du Code de la consommation). 1083 Article L. 621-40 du Code de commerce. Pour des exemples d’application de cette

disposition, cf. Cass. 1ère civ., 31 mars 1998 : Bull. civ. IV, n°135 ; Cass. com., 22 juin 1999 :

Bull. civ. IV, n°134 1084 Article L. 622-3 du Code de commerce, qui renvoie à l’article L. 621-40. 1085 Loi n°2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville. Sur

cette loi, cf. notamment P. BOUTEILLER, La procédure de rétablissement personnel de la

loi du 1er août 2003, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 34 et s. ; S. PIEDELIEVRE, Le droit

à l’effacement des dettes, Defrénois 2004, article 37852, p. 14 et s., n°24 : « cette suspension

est strictement personnelle au débiteur surendetté ; elle ne concerne pas les cautions et les

coobligés ». 1086 Une dérogation est aujourd'hui prévue par l’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de

commerce, sur laquelle nous reviendrons lors de l’étude des causes d’inefficacité du

cautionnement. Cf. infra n°560-562 1087 Cass. com., 30 juin 1987 : JCP 1987, IV, p. 310 ; Gaz. Pal. 1987, pan., 215 ; Cass. com.,

28 mai 1991 : Bull. civ. IV, n°178 ; Cass. com., 18 janvier 2000 : Bull. civ. IV, n°11 et 12 ;

Cass. com., 17 septembre 2002 : Bull. civ. IV, n°123 ; Cass. com., 5 novembre 2003 : Bull.

civ. IV, n°158 ; Cass. com., 11 février 2004 : RDC 2004, chron., p. 745, HOUTCIEFF ; Cass.

com., 10 mars 2004 : Bull. civ. IV, n°50 ; Cass. com., 9 novembre 2004 : RJDA 3/05, n°327

Parallèlement, la Chambre commerciale de la Cour de cassation décide que le juge-

commissaire n’est pas tenu de surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge du

cautionnement, car cette décision ne s’impose que dans les rapports entre le créancier et la

caution (Cass. com., 11 février 2004 : JCP 2004, p. 1373, obs. PETEL).

Page 274: L'efficacité des garanties personnelles

puisqu’elle repose sur le fait que la caution solidaire est privée du bénéfice de

discussion et qu’elle est représentée par le débiteur. En revanche, la solution elle-

même mérite approbation, car la vérification des créances dure souvent plusieurs

années, et qu’il serait donc inéquitable et contraire au but du cautionnement

d’imposer aux créanciers de si longs délais1088. Le cautionnement garantit en effet

autant la ponctualité du paiement que son montant.

495. Les délais de paiement accordés au débiteur principal. En troisième et

dernier lieu, c’est en refusant à la caution le bénéfice des délais de paiement

accordés au débiteur principal en procédure collective ou de surendettement, que le

droit positif fait primer l’analyse téléologique du cautionnement.

Sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967 (article 49), la caution ne pouvait se

prévaloir des délais concordataires. Bien que le concordat procédât d’un vote, ces

délais n’étaient pas considérés comme des prorogations du terme, car « le concordat

s’insérait dans le cadre d’une procédure judiciaire de constatation et

d’aménagement de la défaillance du débiteur contre laquelle les cautions devaient

précisément garantir les créanciers »1089.

La loi du 25 janvier 1985 a adopté la même solution (article 64 alinéa 2, devenu

l’article L. 621-65 du Code de commerce). Le plan de redressement, qui a remplacé

le concordat, est arrêté par jugement et est opposable à tous les créanciers, sans

qu’aucun vote n’intervienne. Les délais accordés dans le cadre de ce plan présentent

un caractère judiciaire encore plus marqué que sous la loi de 1967, et ne peuvent

profiter aux cautions1090. La jurisprudence applique scrupuleusement cette

solution1091 et atteste par là même du fait que les délais consentis au débiteur n’étant

que la suite de son impécuniosité, ils révèlent la survenance du risque assumé par la

caution.

S’agissant de la procédure de surendettement, quoique son caractère judiciaire

ait été édulcoré par la loi du 8 février 1995, elle constitue une véritable procédure

collective imposée aux créanciers. L’article L. 331-7 du Code de la consommation

prévoit que le juge de l’exécution peut, sur recommandation de la commission de

surendettement, reporter ou rééchelonner d’autorité le paiement des dettes dans

certaines limites. Ces délais consentis à l’occasion du plan de redressement civil

n’étant, eux aussi, qu’une forme de constatation de la défaillance du débiteur, la

Cour de cassation décide que la caution n’est pas admise à s’en prévaloir1092.

Lors de l’élaboration de la loi sur la lutte contre l’exclusion, la commission

spéciale de l’Assemblée nationale a voulu que la caution bénéficie du moratoire

aujourd'hui prévu par l’article L. 331-7-1 du Code de la consommation1093, en raison

du fait que le surendettement de la caution peut être uniquement dû à l’existence

1088 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°220-4 ; J. FRANÇOIS, n°251 1089 Ph. SIMLER, n°475 1090 Cette solution protectrice des intérêts des créanciers pourrait être prochainement étendue,

puisque l’article 102 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004

dispose que : « Par dérogation aux dispositions de l'article L. 626-8, les cautions

personnelles, coobligés et les personnes ayant consenti une garantie autonome ne peuvent se

prévaloir des dispositions du plan » (nouvel article L. 631-16 du Code de commerce). 1091 Cass. com., 28 mai 1991 : Bull. civ. IV, n°179 1092 Cass. 1ère civ., 3 mars 1998 : Bull. civ. I, n°82 1093 Doc. AN n°8556, p. 69

Page 275: L'efficacité des garanties personnelles

d’un cautionnement. Le Sénat a rejeté cet amendement au motif qu’il risquait de

faire perdre au cautionnement toute signification1094. La situation de la caution d’un

débiteur surendetté ne peut donc jamais être gelée. Cette solution n’a pas été remise

en cause par la nouvelle loi sur le surendettement du 1er août 2003.

Concernant, enfin, les règlements collectifs amiables, ils donnaient

traditionnellement lieu à des solutions favorables aux cautions. Dans la procédure

amiable prévue par l’article L. 611-3 du Code de commerce (article 35 de la loi du

1er mars 1984), les délais éventuellement octroyés au débiteur principal procèdent

d’un accord négocié entre les créanciers et l’entreprise débitrice, et paraissent devoir

être traités comme des délais conventionnels opposables aux créanciers par les

cautions. Cette solution semble remise en cause depuis que la Cour de cassation

considère que les remises consenties dans le cadre d’un plan conventionnel de

redressement négocié entre un débiteur surendetté et ses créanciers ne constituent

pas, malgré leur caractère volontaire, des remises au sens de l’article 1287 du Code

civil1095. Ce qui vaut pour les remises devrait pareillement jouer pour les délais, et ce

qui vaut pour le plan conventionnel de redressement du débiteur surendetté devrait

aussi s’appliquer au règlement amiable de l’article L. 611-3 du Code de commerce.

En conséquence, il semble qu’aujourd'hui les délais accordés au débiteur à

l’occasion des règlements amiables ne profitent plus aux cautions. La Cour de

cassation a été sensible au fait que ces règlements « participent davantage d’une

constatation collective et amiable de la défaillance du débiteur que d’une démarche

de faveur faite par les créanciers »1096.

496. Quelle que soit la procédure engagée, aucun des délais accordés au

débiteur ne bénéficie donc à la caution par voie accessoire. La fonction de garantie

du cautionnement l’emporte, afin que les créanciers ne pâtissent d’aucun retard dans

l’exécution de l’obligation de règlement de la caution. La raison d’être du

cautionnement est également privilégiée lorsque celle-ci entend réduire le montant

de son engagement.

B/ LE MONTANT DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT

497. La caution ne peut pas contester, en principe, les créances vérifiées.

La Cour de cassation refuse, tout d’abord, que la créance vérifiée et portée sur l’état

définitif des créances ne soit contestée par la caution, sous réserve de la fraude du

créancier ou du débiteur qui laisse admettre la créance sans soulever de moyen de

défense1097.

498. La caution ne bénéficie pas de l’arrêt du cours des intérêts. Ensuite,

la caution ne peut voir son engagement amputé des intérêts dûs par le débiteur

principal.

Sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967 (article 39), le jugement déclaratif

n’arrêtait le cours des intérêts qu’à l’égard de la masse, et non du débiteur principal.

1094 P. LORIDANT, Doc. Sénat n°473, p. 101 et JO Sénat CR séance du 12 juin 1998, p. 3181 1095 Cass. com., 13 novembre 1996 : Bull. civ. IV, n°401 1096 Ph. SIMLER, n°478 1097 Cass. com., 8 juin 1979 : Bull. civ. IV, n°185 ; Cass. com., 7 juin 1988 : Bull. civ. IV,

n°192

Page 276: L'efficacité des garanties personnelles

La caution, débiteur accessoire, était donc tenue des intérêts postérieurs au jugement

d’ouverture1098.

L’article 55 de la loi du 25 janvier 1985, dans sa rédaction initiale, retenait une

solution différente. Le jugement d’ouverture arrêtait le cours des intérêts légaux et

conventionnels, ainsi que tous les intérêts de retard et majorations pour les prêts

d’une durée inférieure à un an. Alors que la doctrine s’attendait à ce que la Cour de

cassation n’étende pas cette règle nouvelle aux cautions, la Haute juridiction a jugé

que l’arrêt du cours des intérêts constituait une exception inhérente à la dette

autorisant la décharge partielle de la caution1099.

C’est le législateur lui-même, en 1994, qui a rétabli la solution antérieure, en

précisant que les cautions ne peuvent se prévaloir de l’arrêt du cours des intérêts

(article L. 621-48 alinéa 1er in fine). Le caractère accessoire renforcé du

cautionnement est écarté au profit de sa fonction de garantie. La suspension ou

l’arrêt du cours des intérêts n’étant que des aménagements connexes à la défaillance

du débiteur, la raison d’être du cautionnement impose de ne pas en faire bénéficier

les cautions. « S’il y a dérogation au droit commun du cautionnement, elle réside

non pas dans le maintien de la garantie pour les intérêts dont le cours est arrêté ou

dont le taux est réduit, mais dans la privation du recours contre le débiteur

principal »1100.

499. La caution ne profite pas des remises de dette consenties au débiteur

principal. La réduction du montant de l’obligation de règlement de la caution est

enfin empêchée par le fait que celle-ci ne profite pas des remises de dette accordées

au débiteur principal.

Déjà sous l’empire de la loi du 13 juillet 1967, la jurisprudence décidait que les

remises consenties dans le cadre du concordat restaient sans influence sur

l’engagement de la caution1101.

Puis, l’article 64 alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 621-65 du

Code de commerce) a repris cette solution à l’égard des remises prenant place dans

un plan de continuation ou de cession de l’entreprise débitrice. La défaillance de

celle-ci étant réalisée lorsque s’ouvre une procédure de redressement judiciaire, la

couverture de cette défaillance, qui est la fonction même du cautionnement, prime le

caractère accessoire renforcé. « Bien que l’on parle de remise de dette, il s’agit

uniquement d’une solution procédurale à l’insolvabilité du débiteur dans laquelle

on ne retrouve pas les caractères de la remise de dette et notamment la volonté de

1098 Cass. com., 11 mai 1981 : Bull. civ. IV, n°215 1099 Cass. com., 13 novembre 1990 : Bull. civ. IV, n°277 ; Cass. com., 14 décembre 1993 :

Bull. civ. IV, n°467 ; Cass. com., 22 mars 1994 : Bull. civ. IV, n°122

La Cour de cassation considérait néanmoins que la caution ayant reçu une mise en demeure

restait tenue personnellement, à compter de la réception de celle-ci, des intérêts au taux légal

sur le principal de la dette (Cass. com., 14 décembre 1993 et 22 mars 1994 : préc.). 1100 Ph. SIMLER, n°297 1101 Cass. com., 22 décembre 1981 : Bull. civ. IV, n°454 ; Cass. com., 16 juillet 1985 : Bull.

civ. IV, n°212

Page 277: L'efficacité des garanties personnelles

soulager le débiteur »1102. L’article 1287 du Code civil doit donc demeurer

inapplicable, et la caution solidaire ne saurait être partiellement libérée1103.

Il en va de même à l’égard des allégements ou effacements de dette consentis

dans le cadre du redressement judiciaire civil. Si les lois du 31 décembre 1989, 8

février 1995, 29 juillet 1998 et 1er août 2003 ont omis de préciser le sort des

cautions, la Cour de cassation décide que ces dernières ne peuvent bénéficier des

réductions octroyées au débiteur surendetté1104. Pour autant, les cautions ne

supportent pas définitivement le poids des mesures fondées sur l’impératif de justice

distributive, puisqu’elles peuvent exercer un recours en remboursement contre le

débiteur principal, au risque de faire ainsi échouer le plan de redressement1105.

S’agissant des remises accordées à l’entreprise débitrice avant sa cessation des

paiements, dans le cadre du règlement amiable (article L. 611-3 du Code de

commerce), elles étaient traditionnellement considérées comme des remises

conventionnelles, en raison de l’acceptation donnée par les créanciers. En

conséquence de quoi, elles devaient profiter aux cautions. Statuant à propos d’un

règlement amiable en matière de surendettement, la première Chambre civile de la

Cour de cassation a clairement retenu la solution opposée1106. Au-delà des

discussions relatives au caractère conventionnel ou judiciaire des remises consenties

dans ce cadre, c’est la finalité du plan qui est avancée pour écarter le principe du

caractère accessoire renforcé. Ce plan se justifie par la nécessité d’aider au

redressement ou au rétablissement de la situation du débiteur et d’éviter au créancier

une perte accrue sur sa créance. En d’autres termes, la remise de dette n’est que la

conséquence de la défaillance du débiteur, contre laquelle le créancier a cherché à se

prémunir en exigeant un cautionnement. Le risque s’étant réalisé, la fonction de

garantie du cautionnement commande de le faire assumer par la caution, sans qu’elle

ne puisse s’autoriser de la remise. La solution de la première Chambre civile a été

implicitement consacrée par les lois du 29 juillet 1998 et du 1er août 2003, mais, au

contraire, expressément contredite par un arrêt de la Chambre commerciale relatif au

règlement amiable institué par la loi du 1er mars 19841107.

500. Face aux contestations des cautions du débiteur en procédure collective

ou de surendettement, visant à réduire l’étendue de leur engagement, le droit positif

fait donc largement primer la fonction de garantie du cautionnement. Il conforte

également l’efficacité objective de cette sûreté en empêchant la libération pure et

simple de la caution.

1102 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°291 1103 Cass. com., 17 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°355 ; Cass. com., 17 mai 1994 : Bull. civ.

IV, n°177

En revanche, à l’égard des cautions simples, la solution est inverse : “il résulte de l’article L.

621-65 du Code de commerce que les cautions non solidaires peuvent se prévaloir des

dispositions du plan de redressement judiciaire” (Cass. com., 23 novembre 2004 : Bull. civ.

IV, n°203). 1104 Cass. 1ère civ., 3 mars 1998 : Bull. civ. I, n°82 ; Cass. 1ère civ., 18 janvier 2000 : Contr.,

conc., consom. 2000, p. 26, n°103 ; Cass. 1ère civ., 26 avril 2000 : Bull. civ. I, n°122 1105 Cf. supra n°428 1106 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°401 1107 Cass. com., 5 mai 2004 : Bull. civ. IV, n°84

Page 278: L'efficacité des garanties personnelles

C/ L’EXISTENCE DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT

501. L’absence de vérification des créances. Tout d’abord, l’absence de

vérification des créances du débiteur principal, selon les règles de la procédure

collective, ne constitue pas une cause de libération de la caution. La Cour de

cassation considère que, comme « la mise en redressement judiciaire du débiteur

principal ne fait pas obstacle à ce que le créancier poursuive la caution en paiement

de la dette (…), les juges du fond devaient vérifier eux-mêmes, selon les règles du

droit commun, l’existence et le montant de la créance »1108.

502. Plan de cession. Ensuite, la décharge totale de la caution est empêchée

en cas de plan de cession adopté dans le cadre d’une procédure de redressement

judiciaire. Dans un tel plan, des contrats cautionnés peuvent être transmis au

cessionnaire en application de l’article L. 621-88 du Code de commerce relatif aux

contrats de crédit-bail, de location et de fourniture de biens ou services. La Cour de

cassation affirme que la cession ne produit aucun effet novatoire1109. Cette solution

s’explique par le fait que ladite cession intervient en vertu d’une décision de justice

et non d’un accord de volonté des parties. Elle en déduit que la caution continue à

garantir les dettes exigibles au jour de la cession, mais elle est libérée pour l’avenir.

Seule l’obligation de couverture s’éteint et non l’obligation de règlement.

Lorsque la caution garantit le remboursement d’un prêt nécessaire à l’achat de

matériel repris par un cessionnaire en application de l’article L. 621-96 du Code de

commerce, la Haute juridiction décide également que la cession du matériel nanti

n’entraîne nullement une novation de l’obligation de remboursement. Mais, comme

la dette de l’emprunteur naît intégralement lors de la remise des fonds, et non au fur

et à mesure de l’exécution du contrat, l’obligation de couverture de la caution se

confond avec son obligation de règlement, et la cession du contrat de prêt n’a

aucune incidence sur l’existence de ces obligations. Ainsi, la caution continue de

garantir le remboursement de « l’intégralité de l’emprunt dont les échéances

constituent des créances nées avant l’ouverture de la procédure collective »1110.

503. Clôture de la procédure pour insuffisance d’actif. Enfin, la libération

de la caution est écartée dans l’hypothèse d’une clôture pour insuffisance d’actif de

la procédure de liquidation judiciaire (article L. 622-32 du Code de commerce) ou

de la procédure de rétablissement personnel (article L. 332-9 du Code de la

consommation). Cette clôture ne fait pas recouvrer aux créanciers l’exercice

individuel de leurs droits contre le débiteur principal. En se prévalant du caractère

accessoire renforcé de leur engagement, des cautions ont soutenu qu’elles pouvaient

se prévaloir de cette cause d’extinction de la dette principale. La jurisprudence n’a

1108 Cass. com., 24 septembre 2003 : RJDA 02/2004, n°228 1109 Cass. com., 12 octobre 1993 : Bull. civ. IV, n°333 ; Cass. com., 3 mai 1994 : RD bancaire

et bourse 1995, p. 42 et 86, obs. CAMPANA et CALENDINI ; Cass. com., 14 février 1995 :

Rev. proc. coll. 1995-2, p. 171, note SOINNE ; Banque mai 1995, p. 92, obs. GUILLOT ;

RTD com. 1995, p. 848, obs. MARTIN-SERF ; Cass. com., 21 novembre 1995 : Bull. civ. IV,

n°267 ; Cass. com., 13 avril 1999 : Bull. civ. IV, n°87 ; Cass. com., 6 juillet 1999 : RJDA

11/1999, n°1234 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : RJDA 1/2000, n°92 1110 Cass. com., 13 avril 1999 : Bull. civ. IV, n°87 ; Cass. com., 3 avril 2002 : Act. proc. coll.

21 juin 2002, n°143

Page 279: L'efficacité des garanties personnelles

pas retenu cette analyse. Elle a considéré que l’article L. 622-32 paralyse seulement

l’exercice du droit de poursuite, sans éteindre la créance elle-même. En

conséquence, les créanciers conservent leur droit d’agir contre la caution1111.

La loi du 10 juin 1994, en ajoutant le recours de la caution contre le débiteur

principal ayant profité de la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance

d’actif, a implicitement reconnu que l’extinction ne peut profiter à la caution, et a

donc consacré la solution jurisprudentielle1112.

La loi Borloo du 1er août 2003 a été encore plus explicite, puisqu’elle a prévu

que la clôture entraîne l’effacement de toutes les dettes non professionnelles du

débiteur, à l’exception de celles dont le prix a été payé aux lieu et place du débiteur

par la caution ou le coobligé (article L. 332-9 du Code de la consommation).

504. Conclusion du Chapitre 2 et du Titre 1. Au moment où le

cautionnement se révèle le plus utile aux créanciers, c'est-à-dire lorsque le débiteur

principal fait l’objet d’une procédure collective ou de surendettement, le droit positif

conforte son efficacité en empêchant que l’exécution de l’obligation de règlement de

la caution ne soit retardée, amputée, voire paralysée.

Comme la loi et la jurisprudence font également primer la fonction de garantie

du cautionnement en dehors de toute procédure collective de paiement contre le

débiteur, en rejetant les contestations de la caution relatives, tant à l’étendue, qu’à

l’existence même de son engagement, et que, par ailleurs, elles mettent en place des

protections de la caution qui se révèlent utiles à la protection des intérêts des

créanciers, il est permis d’affirmer que le droit positif organise l’efficacité objective

du cautionnement.

Il favorise également la réalisation des attentes subjectives des créanciers, non

seulement en leur permettant de fixer l’étendue de l’engagement de la caution, de

manière à recevoir un paiement ponctuel et intégral, mais aussi en validant le

recours à des garanties personnelles distinctes du cautionnement, de par leur

indépendance et/ou leurs attraits propres.

Si, à certains égards, la loi et la jurisprudence organisent donc l’efficacité in

abstracto du cautionnement et favorisent l’efficacité in concreto de l’ensemble des

garanties personnelles, nombreuses sont aussi les hypothèses dans lesquelles elles

entravent la réalisation de la fonction et de la finalité des contrats conclus.

1111 Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°230 1112 L’article 138 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004 va

dans le sens de la loi du 10 juin 1994, puisqu’il précise que « la caution ou le coobligé qui a

payé au lieu et place du débiteur peut poursuivre celui-ci » en cas de clôture de la procédure

pour insuffisance d’actif (nouvel article L. 643-11 du Code de commerce).

Page 280: L'efficacité des garanties personnelles
Page 281: L'efficacité des garanties personnelles

TITRE II

LES RAISONS DE L’INEFFICACITÉ

505. Les lacunes du droit des garanties personnelles. Les garanties

personnelles ne produisent pas l’effet attendu chaque fois que le droit en vigueur

présente des lacunes, au regard des conditions juridiques de leur efficacité1113. Il ne

s’agit pas du même type de lacune en matière de cautionnement et en matière de

garanties personnelles innomées.

A l’égard du cautionnement, le manque se rapporte à l’objectif poursuivi par le

législateur et par les juges, soit que ceux-ci n’aient pas en vue de protéger les

intérêts patrimoniaux des créanciers, soit qu’ils adoptent des règles inadéquates pour

que les attentes de ces derniers se réalisent. Les lacunes du droit du cautionnement

tiennent donc au défaut de conformité des dispositions légales et des décisions

jurisprudentielles à l’objectif d’efficacité. Ce sont ces « fausses lacunes »1114 qui

sont à l’origine de l’inefficacité du cautionnement (Chapitre 1).

A l’égard des garanties personnelles innomées, le manque est plus ostensible

encore, puisqu’il réside dans l’absence de règles spéciales fixant le régime de ces

mécanismes en les appréhendant comme des garanties personnelles. Cette « vraie

lacune » du droit1115 favorise l’inefficacité des garanties personnelles innomées, en

ce qu’elle rend incertains la qualification et le régime de ces contrats (Chapitre 2).

1113 Sur les conditions juridiques de l’efficacité des garanties personnelles, cf. supra 1ère Partie 1114 Par opposition à la « vraie lacune » du droit, qui consiste en l’absence pure et simple de

normes, la « fausse lacune » du droit réside dans la carence des normes au regard de l’objectif

qu’elles devraient poursuivre. P. FORIERS (Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes

du droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch.

Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 9 et s.) a précisé qu’il y a « fausse lacune » du droit lorsque

la règle qui existe n’apporte pas la solution acceptable. Cette règle est contestée dans son

opportunité, car elle est « en contradiction avec une norme non écrite tirée de l’idée de

justice, de l’intérêt social ou du bien général ». Dans le même sens, Ch. HUBERLANT (Les

mécanismes institués pour combler les lacunes de la loi, in Le problème des lacunes du droit,

Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd.

Bruylant, 1968, p. 31 et s.), a distingué les « lacunes proprement dites » des « prétendues

lacunes », et a souligné que ces dernières sont des « insuffisances de la réglementation », au

regard d’un droit idéal. Elles se caractérisent par « l’absence d’une disposition qui permettrait

d’atteindre, dans un cas déterminé, le résultat jugé souhaitable ». 1115 La « vraie lacune » du droit constitue une imperfection législative se reconnaissant au fait

que la loi ne contient pas de règles régissant une matière déterminée. « Il n’y a pas de règle là

où il en faudrait une » (P. FORIERS, ibid., p. 10). Cette « vraie lacune » est susceptible de

degrés (en ce sens, cf. F. TERRE, Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit,

Page 282: L'efficacité des garanties personnelles

La mise au jour de ces différentes lacunes du droit fera apparaître l’incertitude

affectant, de lege lata, la réalisation des attentes des créanciers, et justifiera que l’on

s’interroge ultérieurement sur l’efficacité des garanties personnelles de lege ferenda.

Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd.

Bruylant, 1968, p. 143 et s.), puisqu’elle peut s’apparenter à un vide législatif intégral ou

résider seulement dans l’absence d’une réglementation spéciale complétant des principes de

droit commun. A l’égard de toutes les garanties personnelles autres que le cautionnement, la

« vraie lacune » prend cette dernière forme, car leur sont applicables les règles du droit

commun des contrats, ainsi que toutes les règles visant les garanties, sans distinction. Sur la

signification du qualificatif « innomé », cf. supra n°229-231

Page 283: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE I

LES « FAUSSES LACUNES »

DU DROIT DU CAUTIONNEMENT

506. Les garanties personnelles ne peuvent être efficaces que si le droit qui

leur est applicable présente des qualités formelles qui favorisent la réalisation des

attentes objectives et subjectives des créanciers et seulement si le contenu des règles

de droit reflète l’objectif d’efficacité. Le droit du cautionnement étant aujourd'hui

déficient en ces deux points, il rend le cautionnement inefficace.

En effet, les textes régissant la matière présentent des défauts formels qui se

traduisent par une insécurité juridique susceptible de remettre en cause les attentes

des créanciers (Section 1).

Par ailleurs, le législateur et les juges, ignorant souvent la fonction de garantie

du cautionnement, mènent une politique de protection de la caution incompatible

avec l’objectif d’efficacité (Section 2).

SECTION 1 : LES DÉFAUTS FORMELS DE LA LOI

507. Les qualités formelles du droit positif. L’efficacité des garanties

personnelles, envisagée in concreto, suppose une double adéquation : d’une part,

une adéquation entre les attentes nées de l’octroi de crédit au débiteur et la finalité

assignée à la garantie personnelle conclue, d’autre part, une adéquation entre cette

finalité et les effets produits par le contrat de garantie. Chacune de ces adéquations a

d’autant plus de chances d’exister que les lois et la jurisprudence relatives aux

garanties personnelles présentent des qualités formelles qui sécurisent les choix des

créanciers, lors de la formation de la garantie, ainsi que les prévisions des parties.

Certaines de ces qualités caractérisent le droit aujourd'hui applicable au

cautionnement.

Tout d’abord, le volume des textes ayant pour objet ce contrat est raisonnable.

Le phénomène d’inflation législative n’ayant pas gagné la matière du

cautionnement, les créanciers sont susceptibles de connaître toutes les dispositions

légales utiles à leur prise de décision, et ont plus de chances d’opérer des choix

techniques et comportementaux présentant le meilleur rapport coût / avantage.

Page 284: L'efficacité des garanties personnelles

Ensuite, les lois intéressant le cautionnement n’étant pas « éphémères et

jetables après emploi »1116, la stabilité législative qui en résulte favorise, non

seulement la rationalité des choix des créanciers lors de la constitution de la

garantie, mais aussi le respect des prévisions des parties, tant extrinsèques,

qu’intrinsèques1117.

Enfin, la survie de la loi ancienne étant le plus souvent préférée à l’application

immédiate, voire à la rétroactivité de la loi nouvelle, les cautionnements peuvent

demeurer soumis, tout au long de leur vie, aux mêmes règles de droit que celles en

vigueur lors de leur formation, ce qui rend plus sûre la réalisation de la finalité

assignée par les parties au contrat conclu1118.

1116 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans

les sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53 1117 Si la législation est assez stable en matière de cautionnement, tel n’est pas le cas de la

jurisprudence, qui est relativement mouvante. Il convient d’ailleurs de remarquer que la

dernière réforme du cautionnement (loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique), en

remettant en cause nombre de solutions jurisprudentielles (sur la portée de la mention

manuscrite, sur l’interprétation de l’article 2016 du Code civil, sur le principe de

proportionnalité) risque de renforcer cette instabilité. En ce sens, cf. V. AVENA-

ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 ; D.

HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au cautionnement issues de la loi pour l’initiative

économique, JCP 2003, I, 161 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un

nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement

introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP

2003, éd. E, p. 1610 et s., n°2 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements

par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837,

p. 1371 et s. ; Ph. SIMLER, JCP 2003, I, 176, n°1 1118 La survie de la loi ancienne a été expressément imposée par le législateur à plusieurs

reprises. L’article 57 de la loi du 23 décembre 1985 énonce que l’article 1415 du Code civil

ne s’applique qu’aux engagements souscrits après son entrée en vigueur, soit le 1er juillet

1986. La Cour de cassation a précisé que « la date à laquelle naît la créance à l’égard de la

caution est la date à laquelle elle s’engage » (Cass. 1ère civ., 14 mai 1991 : JCP 1992, II,

21830, note LE GUIDEC ; D. 1992, Somm., 222, obs. LUCET ; RTD civ. 1991, 772, obs.

BANDRAC ; Defrénois 1992, n°1553, obs. CHAMPENOIS ; Banque 1991, p. 868, obs.

RIVES-LANGE). L’article 23-II de la loi du 21 juillet 1994 a indiqué que le nouvel article

22-1 de la loi du 6 juillet 1989 ne s’applique pas aux cautionnements consentis avant le 1er

septembre 1994, date de son entrée en vigueur. L’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février

1994 a également été déclaré applicable aux seuls cautionnements conclus après son entrée en

vigueur.

La survie de la loi ancienne est aussi la solution retenue par la Cour de cassation à l’égard de

l’article 49 de la loi du 1er mars 1984, qui a complété l’article 2037 du Code civil. La Haute

juridiction a expressément donné effet aux clauses de renonciation au bénéfice de subrogation

souscrites avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle (Cass. 1ère civ., 25 mai 1987 : Bull. civ.

I, n°163 ; Cass. 1ère civ., 25 mai 1988 : Bull. civ. I, n°153 ; Cass. com., 10 janvier 1988 : Bull.

civ. IV, n°10 ; Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°226). Au sujet de l’article L. 621-48

alinéa 2 du Code de commerce (ancien article 55 alinéa 2 de la loi du 25 janvier 1985), la

Chambre commerciale de la Cour de cassation a également décidé que la suspension des

poursuites ne peut profiter qu’aux cautions personnelles personnes physiques ayant souscrit

un engagement après la date de publication de la loi du 10 juin 1994 (Cass. com., 10 mars

2004 : D. 2004, AJ, p. 1020, obs. LIENHARD ; RJDA 7/2004, n°904).

S’agissant de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil, le législateur n’a adopté aucune disposition

transitoire, et la Cour de cassation n’a pas encore eu l’occasion de se prononcer sur son

Page 285: L'efficacité des garanties personnelles

application dans le temps. La doctrine prône son application aux seuls cautionnements

souscrits après l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 1998, car l’article 2016 alinéa 2 fait

référence à un accord des parties relatif à la date de l’information annuelle. Or, un tel accord,

par hypothèse, ne peut être présent dans les cautionnements conclus antérieurement (en ce

sens, cf. D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la

lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p.1724, n°7). « L’application aux

cautionnements en cours conduirait à imposer au créancier la date d’anniversaire (…) avec

toutes les contraintes de gestion qui en résulteraient, le créancier ne pouvant alors opter pour

un traitement de masse à même date, sauf à faire signer des avenants aux cautions, solution

peu raisonnable et peu défendable au regard de la lettre du texte » (F. CREDOT, La

prévention du surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27 mai 1999, n°101,

p. 34).

La doctrine met également en avant la survie de la loi ancienne à l’égard du nouvel article L.

341-2 du Code de la consommation, qui régit la formation du cautionnement, et dont

l’application immédiate serait trop attentatoire à la sécurité juridique (en ce sens, cf. D.

HOUTCIEFF, ibid., n°3 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau

droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites

par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd.

E, p. 1610 et s., n°13 ; D. LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 799 ; F. PASQUALINI, L’imparfait

nouveau droit du cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3 et s., n°38 ; J. FRANÇOIS,

n°173). Cette opinion doctrinale a déjà reçu écho devant les juges du fond, puisque la Cour

d’appel de Rennes a décidé que les articles L. 341-2 et L. 341-3 n’ont pas vocation à régir les

contrats souscrits avant l’entrée en vigueur de la loi Dutreil (CA Rennes, 19 décembre 2003 :

JCP 2004, I, 141, n°2, obs. SIMLER). La doctrine préconise encore la survie de la loi

ancienne au sujet du nouvel article L. 341-4 du Code de la consommation, puisqu’il s’attache

à la conclusion du cautionnement excessif et que la solution contraire conduirait à la

rétroactivité de la loi (en ce sens, cf. L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi

Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 32 ; P. CROCQ, RTD civ. 2004, p. 126). Les

juges du fond sont déjà divisés sur cette question (en faveur de l’application de l’article L.

341-4 aux contrats en cours, cf. CA Rennes, préc. ; contra, cf. CA Caen, 10 juin 2004 : D.

2004, AJ, p. 2437, obs. AVENA-ROBARDET ; JCP 2004, éd. E., 1399 ; RD bancaire et

financier 2004, n°198 et 237, obs. LEGEAIS ; RJDA 12/04, n°1387 ; RTD civ. 2004, p. 757,

obs. CROCQ ; JCP 2005, I, 135).

Si la survie de la loi ancienne favorise la stabilité des prévisions extrinsèques et le respect des

prévisions intrinsèques, il n’en va pas de même de l’application immédiate d’une loi nouvelle

aux effets en cours d’un contrat conclu avant son entrée en vigueur. L’efficacité du

cautionnement a ainsi pâti de l’application de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984 aux

contrats en cours, imposée par l’article 62 de cette même loi. Les cautions concernées, même

si leur engagement était antérieur au 2 mars 1985, date d’entrée en vigueur de la loi précitée,

devaient être informées pour la première fois avant le 31 mars 1985. La Cour de cassation a

néanmoins tempéré cette solution sévère pour les créanciers en décidant que la sanction ne

pouvait prendre effet qu’à compter du 2 mars 1985 (Cass. com., 18 février 1992 : Contr.,

conc., consom. 1992, n°114, obs. LEVENEUR ; JCP 1992, I, 3623, n°5, obs. SIMLER ; Cass.

1ère civ., 10 juin 1992 : Bull. civ. I, n°175 ; Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°226 ;

Cass. 1ère civ., 27 juin 1995 : Bull. civ. I, n°282). La Cour de cassation a également décidé que

l’article 114 de la loi du 25 juin 1999, ayant modifié la sanction de l’obligation d’information

de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, n’a aucun caractère interprétatif et est

d’application immédiate (Cass. 1ère civ., 18 mars 2003 : Bull. civ. I, n°80 et 81 ; Cass. com.,

29 avril 2003 : Bull. civ. IV, n°62, 1er arrêt ; Cass. com., 14 janvier 2004 : RD bancaire et

financier 2004, n°205, obs. CERLES ; Cass. 1ère civ., 2 juin 2004 : Bull. civ. I, n°156).

L’application immédiate a également été retenue au sujet de l’article 47-II alinéa 2 de la loi du

11 février 1994, cette fois par le législateur lui-même (article 47-II alinéa 4). C’est la solution

Page 286: L'efficacité des garanties personnelles

Le droit du cautionnement présente donc certaines qualités formelles, mais ces

qualités ne sont pas suffisantes pour contrebalancer l’insécurité juridique résultant

des défauts que présente par ailleurs ce droit. L’inefficacité du cautionnement

procède essentiellement du manque de clarté (§1) et de cohérence (§2) des textes

adoptés depuis une vingtaine d’années en ce domaine1119.

§1 : LES OBSCURITES

508. L’obscurité législative : un facteur d’inefficacité. L’obscurité

législative peut être définie comme étant l’incapacité des dispositions légales à

révéler, elles-mêmes, le sens des règles qu’elles renferment.

Cette obscurité constitue un facteur d’inefficacité pour deux raisons1120. En

premier lieu, en entravant la compréhension des textes, l’obscurité limite la

rationalité des choix des créanciers et augmente, ce faisant, le risque d’inadéquation

entre les attentes nées de l’octroi de crédit et celles produites par le cautionnement

effectivement conclu. En second lieu, en favorisant les divergences d’interprétation

entre le créancier et la caution, l’obscurité stimule le désir de contestation de celle-

ci. Or, les contestations, même si elles sont finalement inopérantes, entament

l’efficacité du cautionnement conclu, puisqu’elles accroissent le coût de la

protection du créancier. Si elles sont accueillies, l’inefficacité tient à l’inadéquation

entre les attentes subjectives du créancier et les effets produits par le cautionnement

constitué.

L’obscurité est susceptible de compromettre de la sorte la réalisation des

attentes des créanciers, lorsque le sens de la règle de droit est équivoque en raison

des termes employés par le législateur. C’est alors d’obscurité par commission dont

il s’agit (A). Le manque de clarté peut aussi procéder d’oublis législatifs. On est

alors en présence d’obscurités par omission (B).

A/ LES OBSCURITES PAR COMMISSION

509. Les textes intéressant le cautionnement se caractérisent par leur

technicité. Les articles 2011 à 2043 du Code civil, aussi bien que les textes adoptés

depuis les années 1980, ne comportent aucune déclaration d’intention n’ayant

qu’une portée politique et à la normativité discutable. Le manque de clarté ne résulte

donc pas de ce qu’il est courant d’appeler aujourd'hui un « droit flou, mou, à l’état

gazeux ».

Les obscurités par commission procèdent de l’emploi de formules ou de notions

dont le sens est discutable. Plus précisément, l’insécurité juridique préjudiciable à

qui pourrait aussi s’imposer à l’égard des différentes obligations d’information instituées par

la loi du 29 juillet 1998 (à l’exclusion de l’article 2016 alinéa 2), ainsi que par le nouvel

article L. 341-6 du Code de la consommation (les travaux parlementaires de la loi du 1er août

2003 ont mis en avant cette solution. En ce sens en doctrine, cf. V. AVENA-ROBARDET,

ibid., p. 2083 ; L. AYNES, ibid., p. 32 ; D. HOUTCIEFF, ibid., n°3 ; D. LEGEAIS, ibid.,

n°13 ; F. PASQUALINI, ibid., n°38). L’efficacité du cautionnement s’en trouverait affectée. 1119 Seuls les textes adoptés avant la fin de l’année 2004 font l’objet de la présente étude. 1120 Pour de plus amples développements sur l’inefficacité résultant des obscurités

législatives, cf. supra n°221-223

Page 287: L'efficacité des garanties personnelles

l’efficacité du cautionnement est causée par l’utilisation maladroite de la langue

ordinaire (1), et par le recours à des notions juridiques équivoques (2).

1. L’utilisation maladroite de la langue ordinaire

510. L’utilisation maladroite de la langue ordinaire : un facteur

d’inefficacité. Dans les lois récentes intéressant le cautionnement, certains termes

ou expressions n’appartenant pas spécifiquement au vocabulaire juridique sont

employés de manière ambiguë. L’interprétation erronée que risquent d’en retenir les

créanciers est susceptible de leur faire manquer des choix présentant le meilleur

rapport coût / avantage. Par ailleurs, l’interprétation jurisprudentielle rendue

nécessaire par l’obscurité législative peut conduire à une remise en cause, non

seulement des données juridiques sur lesquelles les parties s’étaient appuyées lors de

la formation du cautionnement (prévisions extrinsèques), mais aussi du contenu de

leur accord de volonté (prévisions intrinsèques). Pour ces raisons, l’utilisation

maladroite de la langue ordinaire est source d’inefficacité. La loi du 29 juillet 1998

relative à la lutte contre les exclusions en fournit plusieurs illustrations.

511. « Alors » (article L. 331-3 alinéa 7 du Code de la consommation).

Tout d’abord, l’emploi du terme « alors », au 7ème alinéa de l’article L. 331-3 du

Code de la consommation, fait difficulté. La question se pose de savoir s’il renvoie à

l’hypothèse du 6ème alinéa, auquel cas les créanciers ne devraient informer la

commission de surendettement de l’existence d’un cautionnement et d’une

éventuelle action contre la caution que s’ils contestent le montant de leur créance, ou

s’il vise l’hypothèse générale du 4ème alinéa, auquel cas cette information serait due

en tout état de cause. Si les travaux parlementaires invitent à retenir la première

branche de l’alternative1121, la volonté qu’a manifestée le législateur en 1998

d’intégrer davantage les cautions dans la procédure de surendettement du débiteur

principal, et le souci d’éviter à la caution elle-même une telle procédure, pourraient

convaincre les juges d’adopter la seconde interprétation1122.

512. « En toute hypothèse » (article 2024 du Code civil). L’article 2024 du

Code civil comporte également une ambiguïté. Deux lectures peuvent être faites de

l’expression « en toute hypothèse ». La première consiste à considérer que la

réduction du droit de gage général contre la caution simple peut intervenir, sans

qu’une faute du créancier ne soit nécessaire1123. La seconde emporte l’extension du

reste à vivre aux cautions solidaires. Cette mesure ayant été insérée dans une

disposition relative au bénéfice de discussion, qui appartient uniquement à la caution

simple, l’expression « en toute hypothèse » viserait à évincer toute distinction tenant

1121 Commission de l’Assemblée Nationale (Doc. AN, n°856, 21 avril 1998, p. 53) : « les

créanciers qui contestent la validité d’une créance doivent indiquer si la créance en cause a

donné lieu à une caution et si celle-ci a été actionnée ». 1122 En faveur d’une application générale de l’article L. 331-3 du Code de la consommation,

cf. F. CREDOT, La prévention du surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27

mai 1999, n°101, p. 29 ; D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet

1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724, n°38 1123 En ce sens, cf. S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre

les exclusions, JCP 1998, I, 170, n°20

Page 288: L'efficacité des garanties personnelles

à la nature du cautionnement1124. Compte tenu de la finalité sociale assignée au reste

à vivre, il est probable que les juges en fassent profiter toutes les cautions personnes

physiques. Ce résultat aurait pu être atteint, sans aucune « malfaçon législative »1125

et, par conséquent, en évitant un contentieux nuisible à l’efficacité du

cautionnement, si le législateur, plutôt que d’utiliser une expression équivoque dans

une disposition inappropriée, avait inscrit le reste à vivre dans un nouvel article à

indice du Code civil consacré aux effets du cautionnement1126, voire dans un nouvel

article de la loi du 9 juillet 1991 relative aux voies d’exécution1127.

513. « Evolution » (article 2016 alinéa 2 du Code civil). L’obscurité règne

encore au sein de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil. En effet, le terme

« évolution » semble limiter l’obligation d’information annuelle aux seuls cas dans

lesquels la créance garantie a subi un changement, alors que le législateur, en 1998,

a paru vouloir étendre le plus possible cette obligation. Pour éviter toute difficulté

d’interprétation, il eût été plus judicieux d’exiger, comme dans les articles L. 313-22

du Code monétaire et financier et L. 341-6 du Code de la consommation, une

information sur les sommes restant dues par le débiteur1128.

514. Si le vocabulaire usuel peut donc être source de contentieux lorsqu’il est

employé avec une certaine légèreté, le vocabulaire juridique peut aussi

compromettre l’efficacité du cautionnement, lorsque le législateur ne prend pas la

peine d’en dissiper l’éventuelle équivocité.

2. L’emploi de notions juridiques équivoques

515. La polysémie n’est pas étrangère au vocabulaire juridique. Afin de

renforcer, tant la compréhension des règles de droit, que le respect des prévisions

des parties, le législateur devrait veiller, soit à recourir à des notions juridiques non

équivoques, soit à préciser le sens qu’il convient d’attribuer à des notions sujettes à

interprétation. Ce souci de clarté ne caractérisant pas toujours le travail législatif,

l’efficacité du cautionnement se trouve fragilisée.

516. La distinction entre les exceptions inhérentes à la dette et les

exceptions purement personnelles au débiteur (articles 2012 et 2036 du Code

civil). Au titre des imperfections originelles, il est permis de citer, tout d’abord, la

1124 En ce sens, cf. B. AUBERT, Les modifications apportées par la loi d’orientation du 29

juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, Rev. proc. coll., juin 1999, p. 87 ; F.

CREDOT, art. préc., p. 30 ; D. LEGEAIS, art. préc., n°30 ; J. FRANÇOIS, n°259 ; Ph.

SIMLER, n°495 1125 F. CREDOT, ibid., p. 30 1126 F. CREDOT (ibid., p. 30) a remarqué que le reste à vivre aurait été mieux à sa place dans

l’article 2021 du Code civil. Cet emplacement nous paraît présenter le même défaut que celui

reproché au législateur, puisque cet article concerne également le bénéfice de discussion. 1127 En ce sens, cf. Ch. JUBAULT, Les exceptions dans le Code civil, à la frontière de la

procédure et du fond, LPA 15 janvier 2003, n°11, p. 4 à 17 et LPA 17 janvier 2003, n°13,

p. 4 à 14, n°93.

Cette solution aurait certes évité l’ambiguïté dénoncée, mais elle aurait présenté

l’inconvénient, en termes d’efficacité du cautionnement, de contribuer au phénomène

d’éclatement de la législation applicable à ce contrat. 1128 En ce sens, cf. B. AUBERT, art. préc., p. 84 ; D. LEGEAIS, art. préc., n°15

Page 289: L'efficacité des garanties personnelles

distinction entre les exceptions purement personnelles au débiteur et celles

inhérentes à la dette, présente dans les articles 2012 et 2036 du Code civil. La

frontière entre ces deux catégories d’exceptions étant difficile à tracer, et la loi

n’ayant pas suffisamment exploité la technique de l’exemplarité1129, la jurisprudence

a pu utiliser le flou de cette distinction pour protéger les intérêts, soit des créanciers,

soit des cautions, sans aucune prévisibilité.

517. Les conditions d’application du bénéfice de subrogation. Le manque

de clarté est également manifeste dans l’article 2037 du Code civil. Le législateur a

en effet eu recours à deux formules particulièrement vagues, à savoir les « droits »

dans lesquels la caution peut être subrogée, et le « fait du créancier ». A la lecture du

seul article 2037, les créanciers et les cautions ne peuvent percevoir les droits et

libertés que ce texte concrétise à leur encontre ou à leur profit. L’inintelligibilité de

cette disposition compromet la rationalité des choix comportementaux des

créanciers. L’interprétation jurisprudentielle étant nécessaire1130, ceux-ci risquent, en

outre, de se voir reprocher un comportement dont le caractère répréhensible n’était

pas prévisible.

518. La notion de cautionnement indéfini (article 2016 du Code civil).

L’obscurité caractérise aussi l’expression « cautionnement indéfini », figurant à

l’article 2016 du Code civil. Deux interprétations peuvent en être données. La

première, restrictive, que la première Chambre civile de la Cour de cassation a

retenue pour déterminer le contenu de la mention manuscrite, consiste à ne qualifier

d’indéfinis que les engagements garantissant des sommes ne pouvant être chiffrées

au moment de l’acte1131. La seconde, plus large, qu’a d’abord préconisée la

doctrine1132, et qu’a ensuite adoptée la Chambre commerciale1133, étend le

qualificatif indéfini à tous les cautionnements de dettes déterminées ou seulement

déterminables ne comportant pas de limite propre. Alors même que le législateur, en

1998, a étendu l’obligation d’information annuelle à toutes les cautions personnes

physiques ayant souscrit un cautionnement indéfini, il n’a pas pris la peine de lever

cette difficulté d’interprétation en insérant dans le nouvel article 2016 alinéa 2 du

Code civil l’une des deux définitions précitées. Il appartient donc à la jurisprudence

de préciser ce qu’il faut entendre par cautionnement indéfini dans le cadre de

l’obligation d’information annuelle1134, au risque que cette définition ne soit pas la

même que celle privilégiée en application de l’article 1326 du Code civil. 1129 Sur l’interprétation de l’exemple de la minorité donné par l’article 2012 alinéa 2 du Code

civil, cf. infra n°588 1130 Sur l’interprétation de l’article 2037 dans un sens favorable aux créanciers, cf. supra

n°459, et dans un sens favorable aux cautions, cf. infra n°607 1131 Cass. 1ère civ., 8 décembre 1987 : D. 1988, Somm., p. 271, obs. AYNES 1132 Cf. supra n°319 1133 Cass. com., 16 mars 1999 : Bull. civ. IV, n°59. Dans cet arrêt, la Chambre commerciale a

jugé que le cautionnement pur et simple d’un prêt est un cautionnement indéfini, et que la

caution est, par conséquent, tenue des accessoires, par application de l’article 2016 du Code

civil. 1134 La loi du 1er août 2003 ayant encore élargi le champ d’application de l’obligation

d’information annuelle, le domaine de l’article 2016 alinéa 2 est aujourd'hui résiduel. La

jurisprudence devrait donc avoir moins l’occasion de discuter de la signification de

l’expression « cautionnement indéfini ».

Page 290: L'efficacité des garanties personnelles

519. Les conditions d’application de l’obligation d’information annuelle

(article L. 313-22 du Code monétaire et financier). Dans les textes récents, les

notions juridiques équivoques sont également légion. Il en va ainsi de l’article 48 de

la loi du 1er mars 1984 (article L. 313-22 du Code monétaire et financier), dont la

plupart des termes ont nécessité des éclaircissements.

Celui d’ « entreprise », tout d’abord, est particulièrement équivoque. La

qualification d’entreprise suppose-t-elle la qualité de commerçant ? La personnalité

morale ? La poursuite d’un but lucratif ? Un contentieux important s’est nourri de

ces questions. La Cour de cassation a paru vouloir tarir cette source de contestations

en donnant une définition unitaire de l’entreprise reposant sur le critère de l’activité

économique1135. Dans la mesure où ce critère est lui-même flou et difficilement

opératoire1136, la notion d’entreprise risque de continuer à alimenter le contentieux,

dans le champ restreint qu’est aujourd'hui celui de l’article L. 313-22 du Code

monétaire et financier1137.

L’expression « sous la condition du cautionnement », inscrite dans l’article 48

de la loi du 1er mars 1984, est également « source de difficultés insondables » et

« donne lieu à une interprétation capricieuse »1138. L’obligation d’information doit-

elle être respectée lorsqu’un cautionnement est exigé lors de l’ouverture d’un

compte courant, mais avant tout découvert ? Le cautionnement omnibus peut-il être

considéré comme la condition de crédits accordés plusieurs années après sa

constitution ? Plus généralement, le terme « condition » doit-il être entendu dans un

sens juridique précis ou plutôt comme synonyme d’une expression plus neutre, telle

que « sous le couvert du cautionnement » ? L’emploi d’une notion juridique

1135 Cass. 1ère civ., 12 mars 2002 (3 arrêts) : Bull. civ. I, n°86. Dans ces trois arrêts, la Cour de

cassation a décidé de faire application de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier en

présence de : prêts accordés en vue de l’achat d’un portefeuille d’assurance (l’agent

d’assurance libéral n’est pas un commerçant ; la personnalité morale est inexistante ; un but

lucratif est poursuivi) ; prêts accordés à une SCI (groupement non commerçant, ayant la

personnalité morale, à but lucratif) ; prêts octroyés à une association à vocation religieuse

(groupement commerçant, ayant la personnalité morale, à but non lucratif). La Haute

juridiction a considéré qu’une activité économique était exercée dans les trois cas. Elle a

confirmé cette solution au sujet de l’activité libérale des notaires (Cass. 1ère civ., 23 mars

2004 : Bull. civ. I, n°94) et à l’égard d’une SCI (Cass. 1ère civ., 5 mai 2004 : RJDA 10/04,

n°1163). Le critère de l’activité économique est également celui retenu par la Cour de justice

des communautés européennes, dans le contexte du droit de la concurrence (cf. CJCE 23 avril

1991, Höfner et Elser, aff. 41/90, Rec. 1991, p. I. 1979).

La Cour de cassation décide, en outre, qu’il importe peu que le prêt soit qualifié de personnel

s’il profite, en réalité, à une entreprise et que cette destination est expressément entrée dans le

champ contractuel (prêt souscrit par des époux ayant vocation à être incorporé dans une

SARL par voie d’augmentation de capital). En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 29 juin 2004 : Bull.

civ. I, n°186 1136 En ce sens, cf. S. SCHILLER, La définition de l’entreprise au secours de la caution (à

propos des arrêts de la première chambre civile de la Cour de cassation du 12 mars 2002),

RD bancaire et financier 2002, n°3, p. 154 et s., n°19 et 20 1137 Le contentieux relatif à l’interprétation de l’article L. 313-22 du Code monétaire et

financier ne portera désormais que sur les cautionnements donnés par une personne morale

pour garantir un concours financier à une entreprise accordé par un établissement de crédit,

puisque ceux fournis par des personnes physiques sont aujourd'hui soumis à l’article L. 341-6

du Code de la consommation. 1138 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°272

Page 291: L'efficacité des garanties personnelles

complexe, là où le vocabulaire courant est suffisant à la compréhension de la règle

de droit formulée, étant une source d’obscurité inutile, le législateur aurait été mieux

inspiré, soit de recourir à la langue ordinaire, soit d’indiquer plus précisément le

sens juridique qu’il convenait d’assigner à l’expression litigieuse.

520. Le caractère « manifeste » de la disproportion (articles L. 313-10 et

L. 341-4 du Code de la consommation). Dans les articles L. 313-10 et L. 341-4 du

Code de la consommation, c’est le terme « manifeste », qualifiant la disproportion,

qui est l’ « occasion de chicane »1139. On peut notamment se demander si le

cautionnement est manifestement disproportionné lorsque la caution ne peut pas

l’honorer sur ses revenus, ou s’il ne l’est qu’à la condition que l’exécution soit

impossible, même après la vente de tous les biens de la caution. « En ne définissant

pas suffisamment ce qu’est un cautionnement proportionné, la loi réintroduit

l’imprévisibilité là où elle devrait avoir pour souci essentiel de la pourchasser »1140.

521. La notion de créancier professionnel (articles L. 341-1 à L. 341-6 du

Code de la consommation). L’expression « créancier professionnel », utilisée pour

la première fois en 1998, dans l’article L. 341-1 du Code de la consommation, a été

reprise par la dernière réforme du cautionnement en date du 1er août 2003, alors

même qu’elle est spécialement ambiguë. Deux interprétations sont envisageables1141.

La plus restrictive consisterait à n’imposer les diverses contraintes des articles L.

341-1 à L. 341-6 du Code de la consommation qu’aux établissements de crédit. La

plus large y soumettrait les personnes qui, à l’occasion de leurs activités

professionnelles, sont amenées à consentir un crédit et à se faire garantir par un

cautionnement1142. Si la jurisprudence souhaite conférer aux obligations nouvelles la

portée la plus large possible, afin de protéger le plus grand nombre de cautions

1139 J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement. Petit guide des

effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes, Mélanges P. Vellas,

Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 391. Dans le même sens, cf. D. HOUTCIEFF, art.

préc., n°26 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par la loi du 1er août

2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s., n°18

Pour des exemples d’appréciation de la disproportion en jurisprudence, cf. O. CUPERLIER et

A. GORNY, L’engagement disproportionné de la caution. Après la loi n°2003-721 du 1er

août 2003 sur l’initiative économique (Réflexions et statistiques), JCP 2004, éd. E, 1475 1140 M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance du débiteur,

RTD civ. 1993, p. 739 1141 En ce sens, cf. L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et

patrimoine 2003, n°120, p. 29 et 30 ; F. CREDOT, La prévention du surendettement et la

réforme du cautionnement, LPA 27 mai 1999, n°101, p. 35 ; D. LEGEAIS, La réforme du

cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998,

éd. E., p. 1724, n°21 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit

du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par

les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,

p. 1610 et s, n°10 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3

février 2004, n°24, p. 3 et s., n°12 ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative

à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, I, 170 , n°14 1142 Cette seconde interprétation se rapproche de la conception du professionnel retenue en

matière de clause abusive, puisque la Cour de cassation privilégie en ce dernier domaine le

« rapport direct » existant entre la créance et l’activité professionnelle.

Page 292: L'efficacité des garanties personnelles

personnes physiques, ce qui semble le plus probable au vu de l’actuelle politique

jurisprudentielle de protection de ces cautions, elle devrait privilégier la seconde

interprétation. Il est regrettable que le législateur de 1998 n’ait pas lui-même opté

plus nettement en faveur de l’une des deux solutions et que celui de 2003 n’ait

modifié aucune des imperfections, qui avaient pourtant été fustigées par la doctrine.

522. Plus de précisions dans l’utilisation de la langue ordinaire et dans

l’emploi du vocabulaire juridique éviteraient que les règles de droit ne demeurent

incomprises et que les attentes des créanciers ne soient déjouées. L’obscurité des

textes, qui contribue à rendre le cautionnement inefficace, n’est pas seulement la

conséquence de malfaçons tenant au « vocabulaire déficient » utilisé1143. Elle résulte

également d’omissions.

B/ LES OBSCURITES PAR OMISSION

523. S’il est vrai que le caractère général de la loi s’oppose à ce que le

législateur entre dans le détail de toutes les situations de fait qu’il régit, il ne permet

pas d’expliquer, en revanche, nombre d’oublis législatifs qui affectent l’efficacité du

cautionnement, non seulement en ce qu’ils limitent la rationalité des choix des

créanciers, mais aussi en ce qu’ils favorisent la remise en cause des prévisions

intrinsèques des parties.

Il est possible de distinguer deux degrés dans les omissions législatives.

L’omission peut être ponctuelle et ne concerner que certains éléments du régime

d’une règle de droit déterminée (1). Elle peut également être plus générale et se

traduire par l’oubli du cautionnement lui-même au sein d’une réglementation où il

aurait pourtant toute sa place, à savoir le droit du surendettement (2).

1. Les oublis législatifs ponctuels

524. Le manque de clarté des textes peut résulter de leur incomplétude. Celle-

ci peut affecter le champ d’application d’une règle, ses modalités d’exécution, ou

encore sa sanction.

525. Le droit transitoire. Les oublis législatifs relatifs au champ

d’application d’une règle concernent, tout d’abord, le droit transitoire. Le législateur

ne prend pas toujours la peine de préciser si les contrats conclus avant l’entrée en

vigueur d’une loi nouvelle seront immédiatement soumis à celle-ci, ou s’ils

demeureront régis par la loi ancienne. Une telle omission caractérise la loi du 1er

mars 1984, qui est restée muette sur l’application dans le temps du nouvel article

2037 du Code civil, celle du 29 juillet 1998, qui ne comporte pas non plus de

disposition transitoire, et enfin celle du 1er août 2003. L’article 12 de ce dernier texte

prévoit certes une entrée en vigueur différée pour certaines dispositions1144, mais les

1143 F. OST, L’amour de la loi parfaite, in L’amour des lois, la crise de la loi moderne dans

les sociétés démocratiques, éd. Les presses de l’Université de Laval, L’Harmattan, 1996, p. 53 1144 Article 12 de la loi du 1er août 2003 : « Les articles L. 341-2, L. 341-3, L. 341-5 et L. 341-

6 du Code de la consommation entrent en vigueur six mois après la publication de la présente

loi ». Ce « sursis » doit permettre aux créanciers professionnels de remettre à jour leurs

formulaires et contrats types (en ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du

cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au

Page 293: L'efficacité des garanties personnelles

problèmes de droit transitoire ne sont pas réglés1145. Cette omission constitue un

facteur d’inefficacité à un double titre : d’une part, elle empêche les créanciers

d’avoir connaissance des règles leur permettant d’opérer des choix présentant le

meilleur rapport coût / avantage ; d’autre part, elle risque de se traduire par une

remise en cause des prévisions des parties.

526. La qualité de la caution. Les mêmes griefs peuvent être formulés

lorsque le législateur vise « les cautions » ou encore « les cautions personnes

physiques », sans autre précision. La question se pose alors de savoir si aucune

distinction ne peut être opérée ou si, au contraire, les juges peuvent être amenés à

retenir un régime différencié, notamment pour les cautions personnelles et les

cautions réelles1146, ou pour les cautions profanes et celles intégrées dans les affaires

du débiteur principal.

L’omission de la « cause » de l’obligation de couverture de la caution jette ainsi

le trouble sur le champ d’application des nouveaux articles L. 341-2 à L. 341-6 du

Code de la consommation1147. Au soutien de leur application aux seules cautions

personnes physiques étrangères à l’activité du débiteur principal, plusieurs

arguments peuvent être avancés. Tout d’abord, l’absence de distinction au sein des

cautions personnes physiques n’est pas conforme à la jurisprudence de ces dernières

années, qui a institué, au contraire, un régime plus sévère à l’encontre des dirigeants

cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°3 ; S.

PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour

l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s., n°4). 1145 Sur les solutions que la jurisprudence pourrait adopter, cf. supra n°507 1146 La question se pose notamment au sujet des nouveaux articles L. 341-2 à L. 341-6 du

Code de la consommation. Dans la mesure où la Cour de cassation reconnaît au

cautionnement réel une nature mixte (Cass. 1ère civ. 15 mai 2002 : Bull. civ. I, n°129), elle

pourrait le soustraire à ces nouvelles dispositions. En ce sens, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la

consommation siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions

relatives au cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative

économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s, n°7 ; F. PASQUALINI, L’imparfait

nouveau droit du cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3 et s., n°9 1147 Sur le débat relatif à l’application de ces nouveaux textes aux dirigeants cautions, cf. V.

AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2083 ; L. AYNES, La réforme du cautionnement par la

loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 29 ; D. BAKOUCHE, La proportionnalité

dans le cautionnement à l’épreuve de la loi et de la jurisprudence, Contr., conc., consom.

avril 2004, p. 7 et s., n°9 ; S. CASTAGNE, La création d’entreprise en questions-réponses ou

la liberté d’entreprendre (L. n°2003-721 pour l’initiative économique, 1er août 2003), JCP

2004, éd. N., 1175, n°54 ; P. CROCQ, RTD civ. 2004, p. 122 ; Ph. DELEBECQUE, Le

cautionnement et le Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004,

p. 226 et s., n°12 ; D. HOUTCIEFF, art. préc., n°2, 19 ; D. LEGEAIS, ibid., n°9 ; C.

LEGUEVAQUES, Où va le cautionnement ?, LPA 21 mai 2004, n°102, p. 3 et 4 ; F.

PASQUALINI, ibid., n°6 et 7 ; Y. PICOD, Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de

Sisyphe, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004,

p. 843 et s. ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., n°3 ; A. PRÜM, Protéger les cautions contre

elles-mêmes !, RD bancaire et financier 2003, n°5, p. 269 ; J.-Y. RODIERE-GRANGER,

Réforme du droit du cautionnement (à propos de la loi n°721 du 1er août 2003 pour

l’initiative économique), LPA 27 octobre 2003, n°214, p. 4 ; Ph. SIMLER, JCP 2003, I, 176,

n°1

Page 294: L'efficacité des garanties personnelles

cautions1148. Ensuite, l’insertion des nouvelles dispositions dans le Code de la

consommation, et non dans le Code civil, en restreint la portée, même s’il est vrai

que le premier de ces codes ne délimite pas son champ d’application ratione

personae. Enfin, c’est la contradiction entre l’objectif affiché d’aide à « la création

et à la reprise d’entreprise » et les difficultés de financement que vont rencontrer les

entreprises, qui ne pourront proposer aux établissements de crédit le cautionnement

efficace de leurs dirigeants, qui incite à priver ceux-ci des protections nouvelles.

Cependant, une telle exclusion est rien moins que certaine, dans la mesure où,

tant l’esprit, que la lettre de la réforme, militent en faveur de son application

indifférenciée. En effet, l’intégration des nouveaux textes dans une loi sur l’initiative

économique, qui permet notamment la constitution d’une SARL sans capital social

et qui protège la résidence principale de l’entrepreneur individuel, atteste de la

volonté du législateur de protéger les créateurs d’entreprise. C’est pour cette raison

d’ailleurs que le rapporteur de la loi au Sénat s’est déclaré favorable à la protection

des dirigeants cautions1149. Si la loi entend par ailleurs limiter le risque de

surendettement, l’expérience professionnelle, le pouvoir, l’intérêt de la caution ne

devraient pas être pris en compte. S’agissant de la lettre de la réforme, elle conduit

également à la protection de toutes les cautions personnes physiques, puisque la loi

du 1er août 2003 ne comporte aucune restriction à leur égard, alors que des

précisions ont au contraire été apportées en matière d’usure1150, et que la protection

du conjoint de l’entrepreneur individuel est par ailleurs expressément visée1151.

Le champ d’application des nouvelles dispositions intéressant le cautionnement

est donc rendu incertain par l’absence de précision quant à la « cause » de

l’obligation de couverture de la caution, ce qui ne manquera pas d’occasionner un

contentieux et d’affecter l’efficacité du cautionnement.

527. Les modalités d’exécution des obligations d’information de la

caution. L’incomplétude est également très fréquente relativement aux modalités

d’exécution d’une règle. C’est tout d’abord le cas des contraintes imposées aux

créanciers. Aucune des dispositions faisant peser sur ces derniers une obligation

d’information de la caution ne précise comment ils doivent remplir leur devoir. Un

contentieux particulièrement abondant s’est développé, pour cette raison, au sujet de

l’obligation d’information de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier1152,

et ne manquera sans doute pas d’apparaître relativement aux obligations instituées

par les lois du 29 juillet 19981153 et 1er août 2003. 1148 Sur les hypothèses dans lesquelles la jurisprudence prend en compte la qualité de caution

avertie, cf. supra n°447, 458, 465, 466, 477 1149 Dans le souci de renforcer la protection des entrepreneurs, la commission mixte paritaire a

souhaité renforcer la protection des personnes qui se portent cautions. 1150 L’article 32 de la loi précise que les articles L. 313-3 à L. 313-6 du Code de la

consommation ne s’appliquent pas aux prêts accordés à une personne morale se livrant à une

activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou professionnelle non commerciale. 1151 L’article 8 de la loi complète le titre II du livre V du Code de commerce par un chapitre

VI intitulé « De la protection de l’entrepreneur individuel et du conjoint » (nouveaux articles

L. 526-1 à L. 526-4 du Code de commerce). 1152 Cf. infra n°608 1153 En ce sens, cf. F. CREDOT, art. préc., p. 35 ; D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement

par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724,

n°25

Page 295: L'efficacité des garanties personnelles

528. Les mentions manuscrites requises ad validitatem. Les mentions

manuscrites exigées à peine de nullité du cautionnement sont également obscures en

raison des non-dits du législateur. La rédaction de l’article L. 313-8 du Code de la

consommation soulève ainsi de multiples interrogations1154, qui valent aussi pour

l’article L. 341-3 du même code, puisqu’il n’en est que la reproduction1155. Pourquoi

ces textes visent le bénéfice de discussion, mais restent muets sur le bénéfice de

division, qui n’est pas moins important, ainsi que sur la stipulation d’indivisibilité,

qui accompagne souvent la clause de solidarité, et dont la signification aurait mérité

d’être rappelée ? Pourquoi les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la

consommation réservent expressément leurs exigences aux cautionnements conclus

sous seing privé et que cette précision fait défaut dans les articles L. 313-8 et L. 341-

3? Ce genre d’inadvertance1156 du législateur ne peut qu’inciter les cautions de

mauvaise foi à contester leur engagement1157, et à rendre, par là même, plus onéreuse

la protection des intérêts des créanciers.

La mention manuscrite imposée par l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989

apparaît également lacunaire sur deux points. D’une part, le législateur n’a pas exigé

que le montant du loyer soit écrit de la main de la caution en chiffres et en lettres,

comme l’impose, au contraire, l’article 1326 du Code civil. D’autre part, seul le

montant du loyer a retenu l’attention du législateur, à l’exclusion de celui des

charges. Là encore, ces oublis risquent d’engendrer des contentieux inutiles et de

grever l’efficacité du cautionnement.

529. Les observations de la caution faites à la commission de

surendettement. Un dernier exemple d’imprécision relative aux modalités

d’exécution d’une règle peut être tiré de l’article L. 331-3 du Code de la

consommation. « Ce texte lacunaire et imprécis sera inévitablement source de

difficultés »1158 car, s’il permet à la caution, informée de l’ouverture d’une procédure

de surendettement contre le débiteur principal, de « faire connaître par écrit à la

commission ses observations », la loi ne précise pas la nature de ces observations,

non plus que leur portée. La question se pose notamment de savoir si ces

observations seront opposables au créancier poursuivant1159.

1154 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la caution, LPA 10

avril 2003, n°72, p. 22 ; Ph. SIMLER, n°260 1155 Sur les imperfections formelles des articles L. 313-8 et L. 341-3 du Code de la

consommation, cf. V. AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2085 ; D. HOUTCIEFF, art. préc.,

n°9, 13 ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., n°11, 12 ; J. FRANÇOIS, n°172 et 175 1156 C’est l’explication qu’a donnée le Conseil supérieur du notariat dans un avis du 4 mai

1990 (JCP 1990, éd. N, prat., p. 1471). 1157 La question a déjà été soumise à la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 1er février 2002 :

BRDA 2002, n°5, p. 14), puis à la première Chambre civile de la Cour de cassation (Cass. 1ère

civ., 24 février 2004 : Bull. civ. I, n°60), qui ont décidé que l’article L. 313-8 du Code de la

consommation ne s’applique qu’aux actes sous seing privé, à l’exclusion des actes

authentiques. 1158 D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte

contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724, n°35 1159 En faveur d’une réponse négative, cf. D. LEGEAIS, ibid., n°36

Page 296: L'efficacité des garanties personnelles

530. La sanction des obligations d’information imposées par l’article L.

331-3 du Code de la consommation. Ce même article L. 331-3 du Code de la

consommation peut être cité au titre des omissions concernant la sanction d’une

règle de droit. En effet, aucune sanction spécifique n’est prévue en cas de non

respect par la commission de son obligation d’informer la caution de l’ouverture

d’une procédure contre le débiteur principal. S’il paraît peu probable que cette

inexécution emporte la décharge de la caution, ou la remise en cause des mesures

adoptées par la commission, on peut se demander si les juges indemniseront la

caution pour avoir perdu une chance de bénéficier de l’appui de la commission, ou

de contester la créance plus facilement qu’après l’assignation du créancier1160.

L’obligation faite aux créanciers d’informer la commission de l’existence d’un

cautionnement et d’une éventuelle action contre la caution n’est également assortie

d’aucune sanction. Le projet de loi initial envisageait la caducité du cautionnement.

Au cours des débats parlementaires, la caducité étant apparue trop lourde, compte

tenu du fait que la formalité mise à la charge des créanciers est somme toute

accessoire, toute sanction a été supprimée. L’orientation ainsi prise lors des travaux

préparatoires devrait dissuader les juges de raisonner par analogie avec le défaut de

déclaration de la créance dans le cadre d’une procédure collective, et donc de

prononcer la déchéance des droits du créancier contre la caution. Reste à savoir si

les juges ne retiendront aucune sanction, ou s’ils feront application du droit commun

de la responsabilité civile1161. Une telle incertitude fragilise incontestablement les

choix comportementaux des créanciers, et fait planer un sérieux doute sur la

réalisation de la finalité assignée au contrat conclu.

531. La sanction du non respect du principe de subsidiarité de l’article L.

313-21 du Code monétaire et financier. Un autre texte est muet sur la sanction de

l’obligation qu’il impose aux créanciers. Il s’agit de l’article L. 313-21 du Code

monétaire et financier (article 47-I de la loi du 11 février 1994), qui exige des

établissements de crédit se proposant d’accorder un concours financier à un

entrepreneur individuel, moyennant une ou des garanties réelles ou personnelles

consenties par une personne physique, d’informer ledit entrepreneur de la possibilité

qu’il a d’affecter en priorité en garantie les « biens nécessaires à l’exploitation de

l’entreprise ». Une sanction est certes prévue, mais son domaine est restreint,

puisque l’article précité retient que le créancier ne peut se prévaloir des garanties

prises, que dans ses seules « relations avec l’entrepreneur ». Une caution constituée,

alors même que l’obligation d’information n’aurait pas été respectée, n’aurait donc,

aux termes de cette disposition, aucun recours possible pour invalider son

engagement. Le cautionnement serait opposable à la caution, et ne le serait pas au

débiteur principal. Il est probable que les juges vont chercher à réparer l’oubli du

législateur et à éviter, en conséquence, « la solution aberrante » à laquelle cette

1160 Certains auteurs admettent ce préjudice (cf. F. CREDOT, art. préc., p. 29), d’autres

considèrent que la caution ne perd aucune de ses prérogatives et ne subit aucun préjudice (cf.

D. LEGEAIS, ibid., n°37). 1161 En faveur de cette dernière solution, cf. B. AUBERT, art. préc., p. 86 ; D. LEGEAIS,

ibid., n°39 ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre les

exclusions, JCP 1998, I, 170, n°13

Page 297: L'efficacité des garanties personnelles

omission conduit, à savoir que « la sanction de la violation de l’obligation frappe

ceux que son exécution devrait protéger »1162.

532. Les sanctions reprises par la loi du 1er août 2003. L’omission relative

aux sanctions est encore présente dans la loi du 1er août 2003, car le législateur n’a

pas profité de la réforme pour dissiper les incertitudes entourant l’interprétation des

textes qui ont servi de modèle à la loi nouvelle.

Ainsi, la nature de la nullité sanctionnant l’irrégularité de la mention

manuscrite de l’article L. 341-2 du Code de la consommation n’est pas précisée,

alors que la question se posait déjà au sujet de la mention imposée par l’article L.

313-71163.

Deux oublis concernent également la sanction de l’obligation d’information

annuelle de l’article L. 341-6 du Code de la consommation. En premier lieu, ce texte

est muet sur la possibilité ou non d’octroyer des dommages et intérêts

complémentaires. Cela montre que « le législateur n’a tiré aucune leçon des

difficultés passées »1164 relatives à l’article L. 313-22 du Code monétaire et

financier1165. En second lieu, l’article L. 341-6 ne comportant pas la règle

d’imputation ajoutée à l’article L. 313-22 par la loi du 25 juin 19991166, on peut se

demander si le législateur va rapidement intervenir pour combler cet oubli

involontaire ou si la différence de sanction va perdurer entre les deux textes, ajoutant

ainsi de l’incohérence à l’obscurité.

533. En présence d’oublis législatifs, qu’ils portent sur le champ

d’application, sur les modalités d’exécution, ou sur la sanction d’une règle de droit,

la rationalité des choix des créanciers se trouve toujours limitée, ce qui compromet

l’adéquation entre les deux niveaux d’attentes subjectives, et la stabilité des

prévisions des parties est incertaine, ce qui rend aléatoire l’adéquation entre la

finalité assignée au contrat conclu et les effets qu’il produit. Si l’inefficacité est ainsi

favorisée par des oublis ponctuels, elle l’est également par l’ignorance dans laquelle

le législateur tient le cautionnement dans une hypothèse particulièrement sensible, à

savoir le surendettement du débiteur principal.

2. Le cautionnement oublié par le droit du surendettement

534. Les dispositions du droit du surendettement intéressant le

cautionnement. Alors que le droit des procédures collectives comporte de

nombreuses dispositions définissant le sort des cautions en cas de redressement ou

1162 J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement. Petit guide des

effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes, Mélanges P. Vellas,

Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 384 1163 La doctrine est partagée sur la nature de la nullité de l’article L. 341-2. En faveur d’une

nullité relative, cf. V. AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2085 ; L. AYNES, art. préc.,

p. 31 ; A. PRÜM, art. préc., p. 270. En faveur d’une nullité absolue, cf. S. PIEDELIEVRE,

art. préc., n°10 1164 D. HOUTCIEFF, art. préc., n°32. Cet auteur poursuit en remarquant qu’ « à légiférer

comme sur du vide, le risque est grand de légiférer dans le vide ». 1165 Sur le contentieux portant sur un éventuel cumul entre l’article L. 313-22 du Code

monétaire et financier et l’allocation de dommages et intérêts, cf. supra n°458 1166 Sur cette règle d’imputation, cf. infra n°620

Page 298: L'efficacité des garanties personnelles

de liquidation judiciaire de l’entreprise débitrice principale1167, le droit du

surendettement ne se soucie globalement pas de la situation de la caution1168. Le

cautionnement n’apparaît que dans quelques dispositions éparses, à savoir

expressément dans les articles L. 331-3, L. 331-5 alinéa 4 et L. 332-9 du Code de la

consommation et, implicitement, dans les articles L. 331-6 alinéa 3 et L. 331-7

alinéa 2 du même code.

535. Le défaut de réglementation du cautionnement d’un débiteur

surendetté : un facteur d’inefficacité. Cet oubli législatif1169 est préjudiciable aux

intérêts des créanciers1170. En effet, alors même que le surendettement du débiteur

oblige à se déterminer en faveur, soit de la protection de la caution, par application

du caractère accessoire renforcé du cautionnement, soit de la protection des intérêts

financiers des créanciers, en considération de la fonction de garantie du

cautionnement, lesdits créanciers demeurent dans l’ignorance du parti pris par le

législateur. Cela entrave la rationalité de leurs choix, lors de la formation du contrat,

et cela fragilise leurs prévisions, puisque c’est à la jurisprudence qu’il appartient de

fixer le sort des cautions en cas de surendettement du débiteur principal. Si

l’efficacité du cautionnement est favorisée par le fait que la Cour de cassation ne fait

pas supporter aux créanciers le poids des avantages octroyés au débiteur sur le

fondement de l’impératif de justice distributive1171, cette efficacité est en revanche

fragilisée par le fait que le régime du cautionnement, en cas de surendettement du

débiteur, se construit au coup par coup, sans aucune prévisibilité, et qu’il comporte

encore de nombreuses zones d’ombre. La sécurité juridique et l’efficacité du

cautionnement seraient mieux respectées si le législateur, au lieu d’approuver

implicitement les solutions jurisprudentielles, comme il l’a fait en 1998 et en 2003,

réglait expressément le sort des cautions garantissant un débiteur surendetté.

1167 Sur les dispositions faisant primer la fonction de garantie du cautionnement, cf. supra

n°491-503. Sur les dispositions ayant pour finalité de protéger les cautions, cf. infra n°560-

562 1168 La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique a complété le 1er alinéa de l’article L.

331-2 du Code de la consommation, afin d’étendre la compétence des commissions de

surendettement aux personnes physiques, autres que les dirigeants, qui cautionnent les dettes

professionnelles d’un entrepreneur individuel ou d’une société. Cette nouvelle disposition a

trait au surendettement de la caution elle-même et non à celui du débiteur principal. 1169 L’absence de prise en compte du cautionnement peut s’expliquer par le fait que le droit du

surendettement ne comprend pas une organisation collective aussi importante que celle

prévue par la loi du 25 janvier 1985, par la diversité des situations des cautions, ou encore par

le fait que les cautions personnes physiques contractant avec un créancier professionnel sont

déjà protégées par le droit de la consommation. En ce sens, cf. S. PIEDELIEVRE,

Surendettement et cautionnement, Defrénois 2000, article 37233, p. 1073 et s., n°5 ; S.

PIEDELIEVRE, Le droit à l’effacement des dettes, Defrénois 2004, article 37852, p. 14 et s.,

n°11 1170 L’absence de prise en compte de la situation de la caution constitue également une

entrave à une meilleure résolution des difficultés financières du débiteur principal, car la

caution étant souvent le conjoint de celui-ci, cette ignorance empêche d’avoir une vision

d’ensemble de la situation patrimoniale du couple. 1171 Cf. supra n°428

Page 299: L'efficacité des garanties personnelles

536. Les oublis législatifs, qu’ils soient aussi généraux que dans le cadre des

procédures de surendettement, ou qu’ils affectent plus ponctuellement certains

aspects du régime d’une règle de droit, entament la protection des intérêts des

créanciers, car ils suscitent des obscurités rendant incertaine la réalisation des

attentes de ces derniers. Ces obscurités par omission, comme les obscurités par

commission tenant à l’emploi d’un « vocabulaire déficient », constituent des défauts

formels de la loi, contribuant à rendre le cautionnement inefficace. Au titre de ces

défauts formels, il convient d’ajouter les incohérences.

§2 : LES INCOHERENCES

537. L’incohérence législative : un facteur d’inefficacité. Les incohérences

législatives entravent la compréhension des règles de droit. Elles empêchent les

créanciers d’opérer des choix conduisant à l’adéquation entre leurs attentes

subjectives initiales et les attentes nées du cautionnement effectivement conclu. Les

incohérences législatives favorisent aussi l’inefficacité du cautionnement en ce

qu’elles suscitent des divergences d’interprétation, d’une part, entre le créancier et la

caution, ce qui augmente le risque de contestation de la garantie, d’autre part, entre

les parties et les juges, ce qui déstabilise les prévisions intrinsèques des premières.

Ces incohérences législatives peuvent être repérées à deux niveaux. Tout

d’abord, l’incohérence peut se situer au sein d’une règle de droit. Elle prend alors la

forme d’une distinction injustifiée (A). Ensuite, elle peut se révéler au regard d’un

ensemble de règles ayant un même objet, mais un contenu plus ou moins différent.

Elle consiste alors dans le défaut d’harmonisation entre ces règles (B).

A/ LES DISTINCTIONS INJUSTIFIEES AU SEIN D’UNE REGLE DE DROIT

538. Le manque de justification des règles de droit : un facteur

d’inefficacité. Si la justification d’une règle de droit est difficile à cerner,

l’intelligibilité même de cette règle se trouve entravée, sa parfaite exécution est

compromise, et le risque de contentieux portant sur son interprétation est aggravé.

Autant de raisons qui permettent de dire que le manque de raison d’être d’une règle

constitue un facteur d’inefficacité du mécanisme qui lui est soumis. Plusieurs

distinctions au sein de règles régissant le cautionnement apparaissent injustifiées et

compromettent ainsi la sécurité juridique nécessaire à l’efficacité de ce contrat.

539. La distinction entre le cautionnement simple et le cautionnement

solidaire (article L. 621-65 du Code de commerce). L’article L. 621-65 du Code

de commerce interdit aux seules cautions solidaires de se prévaloir des dispositions

du plan de redressement de l’entreprise débitrice. Cette distinction entre le

cautionnement simple et le cautionnement solidaire, qui existait déjà dans l’article

35 de l’ordonnance de 1967, n’est pas le fruit d’une omission législative concernant

le régime du cautionnement simple. Elle résulte d’un amendement du

Gouvernement1172. Le Garde des sceaux, lors des travaux parlementaires1173, a en

1172 Il n’est donc pas permis d’interpréter l’article L. 621-65 « en entendant le mot même entre

caution et solidaire » (Ch. JUBAULT, Les exceptions dans le Code civil, à la frontière de la

Page 300: L'efficacité des garanties personnelles

effet indiqué que les cautions simples devaient profiter des dispositions adoptées

dans le plan, car elles jouissent du bénéfice de discussion.

Cette justification de la distinction entre le cautionnement simple et le

cautionnement solidaire est dénuée de pertinence pour plusieurs raisons. Tout

d’abord, elle résulte d’une confusion ministérielle sur le rôle du bénéfice de

discussion1174. Ensuite, même si ce bénéfice avait été correctement analysé, il ne

pourrait pas profiter à la caution simple, car les conditions strictes auxquelles il est

subordonné1175 ne peuvent être remplies si le débiteur est en état de cessation des

paiements1176. Enfin, que le cautionnement soit simple ou solidaire, il présente un

caractère accessoire renforcé. Si le législateur décide d’écarter cette règle essentielle

au profit de la fonction de garantie du cautionnement, il n’y a aucune raison pour

qu’il ne le fasse que dans le cautionnement solidaire.

Si la différence de traitement imposée par l’article L. 621-65 n’a que peu

d’incidence pratique, en raison de la rareté des cautionnements simples, surtout dans

les relations d’affaire, elle n’en est pas moins critiquable, car elle révèle le peu

d’importance que le législateur attache à la justification des règles qu’il édicte.

540. La distinction entre le cautionnement personnel et le cautionnement

réel (article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce). Une autre distinction

injustifiée tenant à la nature du cautionnement, et intéressant aussi le sort de la

caution en cas de procédure collective du débiteur principal, figure à l’article L. 621-

48 alinéa 2 du Code de commerce. Ce texte n’accorde la suspension des poursuites,

consécutive au jugement d’ouverture, qu’aux seules cautions personnelles personnes

physiques. Or, comme le législateur entendait encourager les dirigeants cautions à

déposer le bilan le plus tôt possible1177, il est difficile de comprendre pourquoi ont

été exclus les cautionnements réels1178, dont la mise en œuvre peut tout autant

dissuader le dirigeant de demander l’ouverture d’une procédure collective contre son

entreprise. Cette distinction entre le cautionnement personnel et le cautionnement

réel paraît tellement dénuée de fondement que certains n’y voient que la

conséquence d’une « bévue rédactionnelle »1179.

541. La distinction entre le cautionnement à durée déterminée et le

cautionnement à durée indéterminée (article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989). Parmi les distinctions injustifiées, peuvent également être relevées celles relatives à

la durée du cautionnement. L’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 ne soumet le

procédure et du fond, LPA 15 janvier 2003, n°11, p. 4 à 17 et LPA 17 janvier 2003, n°13, p. 4

à 14, n°93). 1173 JOAN 1984, p. 1300 1174 En ce sens, cf. Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°137 1175 Sur ces conditions, cf. supra n°438 1176 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°476 1177 Pour de plus amples développements sur la justification de la suspension des poursuites et

sur son régime, cf. infra n°560-562 1178 Cette exclusion législative a déjà donné lieu à contentieux. La Cour d’appel de Colmar

(26 juin 1998 : Banque et droit mai-juin 1999, p. 42, note RONTCHEVSKY) a affirmé que

les cautions réelles ne peuvent pas profiter de la suspension des poursuites. 1179 M. STORCK, Cautionnement et procédures collectives, LPA 20 septembre 2000, n°188,

p. 34 ; J. FRANÇOIS, n°325 ; Ph. SIMLER, n°472

Page 301: L'efficacité des garanties personnelles

cautionnement à un formalisme ad validitatem1180 que s’il est à durée indéterminée.

Le cautionnement pour la durée du bail ou pour un nombre limité de périodes de

renouvellement reste soumis au droit commun. « La justification de cette

discrimination, limitant le pensum de la page d’écriture au cas de durée

indéterminée, reste obscure »1181, dans la mesure où le besoin d’information de la

caution, lors de la souscription de son engagement, existe quelle que soit la durée de

celui-ci.

542. La distinction entre le cautionnement à durée déterminée et le

cautionnement à durée indéterminée (article 47-II alinéa 2 de la loi du 11

février 1994). La même distinction relative à la durée du cautionnement figure à

l’article 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février 1994, et se révèle pareillement

injustifiée. L’information sur l’évolution de la dette principale peut sembler inutile

en présence d’un cautionnement comportant un plafond qui lui est propre. Elle ne

l’est pas, en revanche, dans le cadre d’un cautionnement assorti d’un terme. Que la

caution soit engagée pour une durée déterminée ou pour une durée indéterminée,

l’intérêt de l’information sur l’encours de la dette principale existe. Imposer

l’information aux seuls créanciers bénéficiaires d’un cautionnement à durée

indéterminée est donc difficilement explicable1182.

543. On voit ainsi combien les distinctions injustifiées au sein d’une règle de

droit, qui résultent d’une mauvaise assimilation des caractéristiques du mécanisme

réglementé, peuvent compromettre l’efficacité de celui-ci. Ce n’est

malheureusement pas la seule forme d’incohérence législative. Il en existe

également entre des règles ayant un même objet.

B/ LE MANQUE D’HARMONISATION ENTRE LES REGLES DE DROIT

544. Une illustration topique : la loi du 1er août 2003. La cohérence

législative se reconnaît au fait que les dispositions afférentes à un objet déterminé

forment un tout logique, un système au sein duquel elles s’ajustent. L’articulation

des règles de droit ayant un objet commun est la marque de la cohérence. Au

contraire, le chevauchement des règles est l’expression de l’incohérence législative.

La dernière réforme du cautionnement illustre parfaitement ce manque

d’harmonisation entre les règles de droit, puisque la loi du 1er août 2003 pour

l’initiative économique a étendu aux cautions personnes physiques contractant avec

un créancier professionnel des protections existantes, sans se préoccuper de

l’articulation entre les anciennes et les nouvelles dispositions1183.

1180 Sur ce formalisme informatif, cf. infra n°604 1181 Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la caution, LPA 10 avril 2003,

n°72, p. 23 ; Ph. SIMLER, n°261 1182 En ce sens, cf. D. PARDOEL, Les obligations d’information de la caution portant sur

l’évolution de la dette principale, LPA 3 juillet 2001, n°131, p. 20. Cet auteur remarque que

la durée du cautionnement n’est pas un critère pertinent par rapport à l’information sur

l’évolution de la dette principale. La distinction selon la durée du contrat de garantie n’a

d’intérêt que par rapport à l’information sur la faculté et les modalités de la résiliation. 1183 La réforme du cautionnement n’a pas été préparée et réfléchie de longue date, puisqu’elle

procède d’amendements insérés à la hâte dans la loi pour l’initiative économique. Cette

Page 302: L'efficacité des garanties personnelles

545. Les dispositions faisant double emploi. Les articles L. 313-7, L. 313-8

et L. 313-10 du Code de la consommation font aujourd'hui purement et simplement

double emploi avec les nouveaux articles L. 341-2, L. 341-3 et L. 341-4 du même

code1184. En effet, la loi de 2003 a recopié, avec tous leurs défauts, les règles

relatives aux mentions manuscrites ad validitatem et à la disproportion, en

supprimant uniquement la précision tenant à la nature de la dette garantie. Les

cautionnements de crédit à la consommation ou immobilier consentis par une

personne physique au bénéfice d’un créancier professionnel entrant dans le champ

des nouveaux textes, le droit du cautionnement aurait gagné en lisibilité, et donc en

efficacité, avec l’abrogation des dispositions de la loi du 31 décembre 19891185.

546. L’articulation entre l’article L. 341-5 du Code de la consommation et

l’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994. S’agissant de l’article L. 341-

5 du Code de la consommation, il doit être articulé avec l’article 47-II alinéa 1er de

la loi du 11 février 1994, qu’il reproduit. Désormais, la solidarité et la renonciation

au bénéfice de discussion sont interdites dans le cautionnement indéfini conclu entre

une personne physique et un créancier professionnel, par application de l’article L.

341-5, et dans le cautionnement indéfini souscrit par une personne physique en

garantie d’une dette d’un entrepreneur individuel envers un créancier non

professionnel, par application de la loi de 1994. Les cautionnements solidaires non

limités en montant ne sont donc valables que dans deux hypothèses : d’une part,

lorsque la caution est une personne morale, d’autre part, lorsque le cautionnement

est donné par une personne physique à un créancier non professionnel et que le

débiteur principal n’est pas un entrepreneur individuel.

547. L’articulation entre les règles nouvelles de la loi du 1er août 2003 et

celles du cautionnement commercial. Il convient de remarquer que le champ

précipitation explique en partie les nombreux défauts formels qu’elle présente. En ce sens, cf.

V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2083 ; P.

CROCQ, RTD civ. 2004, p. 124 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au

cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°33 ; D.

LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du cautionnement.

Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les lois du 1er août

2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°1 ; F.

PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3 février 2004, n°24, p. 3

et s., n°2 1184 L’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, qui impose également une mention manuscrite à

peine de nullité, ne paraît pas, en revanche, affecté par la réforme. Non seulement parce que le

spécial déroge au général, mais aussi parce que les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la

consommation visent l’engagement de la caution de « rembourser » le créancier, il semble

que les mentions imposées par ces nouvelles dispositions ne concernent pas les

cautionnements de dettes locatives. En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, ibid. p. 2084 ;

D. HOUTCIEFF, ibid., n°17 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par

la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837,

p. 1371 et s., n°9. Contra, cf. L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil,

Droit et patrimoine 2003, n°120, p. 30 ; J. FRANÇOIS, n°176 1185 En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, ibid., p. 2085 ; L. AYNES, ibid., p. 33 ; D.

HOUTCIEFF, ibid., n°17 ; Ph. SIMLER, JCP 2003, I, 176, n°1

Page 303: L'efficacité des garanties personnelles

d’application de l’article L. 341-5 est si vaste qu’il « entame la présomption de

solidarité induite par les cautionnements commerciaux »1186. L’articulation entre les

règles nouvelles et celles du cautionnement commercial est chaotique à un autre

égard, puisque la lettre de l’article L. 341-2 permet aux personnes physiques ayant la

qualité de commerçant de se prévaloir de la mention manuscrite ad validitatem,

alors que l’article L. 110-3 du Code de commerce écarte le jeu de la mention

manuscrite probatoire lorsque le cautionnement est commercial1187.

548. L’articulation entre les différentes obligations d’information

annuelle. L’article L. 341-6 du Code de la consommation s’ajoute à la liste déjà

longue de dispositions imposant une obligation d’information annuelle sur l’encours

de la dette principale.

La multiplication de textes instaurant des contraintes similaires présente

plusieurs inconvénients en termes d’efficacité. Tout d’abord, en aboutissant à

l’éparpillement des règles de droit1188, cette multiplication entrave la connaissance

du droit applicable, et limite la rationalité des choix des créanciers. Ensuite, en

conduisant à l’adoption de règles proches, mais non parfaitement identiques, elle

engendre des difficultés de compréhension, puisqu’elle empêche les créanciers de

savoir s’ils sont effectivement soumis à une obligation et, dans l’affirmative, à

laquelle. « Toutes les distinctions devant être combinées ensemble, voilà qui est de

nature à égarer les plus hardis amateurs de labyrinthe juridique»1189. Si

l’intelligibilité de toutes les différences entre les textes proches est loin d’être chose

aisée pour les professionnels du droit, il y a fort à craindre que la plupart des

créanciers ne sachent pas précisément à quelles obligations ils sont soumis. Dans le

doute, ils peuvent décider de multiplier les diligences. Le risque est alors d’exécuter

des obligations non requises par le législateur, et donc de voir le coût de la

protection inutilement augmenter. Dans le doute, ils peuvent, au contraire, s’abstenir

de toute information, au risque, cette fois, que les cautions contestent leur

engagement (ce qui accroît, en tout état de cause, le prix de la protection), et que les

juges accueillent ces protestations (ce qui porte atteinte aux prévisions intrinsèques

des parties). Enfin, la stratification législative opérée dans le mépris de la cohérence

des règles ayant un même objet risque de faire supporter aux créanciers un cumul

d’obligations1190.

1186 D. HOUTCIEFF, ibid., n°12. En ce sens, cf. aussi D. LEGEAIS, art. préc., n°22 ; D.

LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 798 ; J. FRANÇOIS, n°47, 71 1187 En ce sens, cf. L. AYNES, art. préc., p. 29 : « la liberté de preuve qu’institue l’article L.

110-3 du Code de commerce a peu de poids, opposée aux règles substantielles de la loi

nouvelle » ; D. HOUTCIEFF, ibid., n°19 1188 Sur l’éclatement du droit du cautionnement auquel contribue la loi du 1er août 2003, cf.

M. GERMAIN, JCP 2003, Act. 401 ; D. HOUTCIEFF, ibid., n°31 ; D. LEGEAIS, art. préc.,

n°2 ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., n°1 ; J. FRANÇOIS, n°215 1189 F. CREDOT, La prévention du surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27

mai 1999, n°101, p. 27 et s., n°22 1190 Un tel cumul est susceptible de se produire dans le domaine de l’information de la caution

sur la défaillance du débiteur principal. En effet, le premier incident de paiement n’étant pas

défini de la même manière dans les articles 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994 et L.

341-1 du Code de la consommation (« non régularisé dans le mois d’exigibilité du

paiement »), et dans l’article L. 313-9 de ce même code (« caractérisé susceptible

d’inscription au fichier »), les deux obligations d’information vont se superposer, et certains

Page 304: L'efficacité des garanties personnelles

Les obligations instituées par les articles L. 313-22 du Code monétaire et

financier, 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février 1994, 2016 alinéa 2 du Code civil et

L. 341-6 du Code de la consommation ont à peu près le même objet1191, mais non le

même domaine1192. Six critères d’application ressortent de ces quatre textes1193.

S’il est vrai que l’extension de l’obligation d’information annuelle à tous les

cautionnements conclus entre une personne physique et un créancier professionnel,

par l’article L. 341-6 du Code de la consommation, est de nature à simplifier les

choses, il n’en reste pas moins que l’information ne faisant pas l’objet d’un principe

général se substituant aux précédentes dispositions, celles-ci conservent un domaine

résiduel. Celui de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier est le

cautionnement donné par une personne morale pour garantir un concours financier

accordé par un établissement de crédit à une entreprise. Celui de l’article 47-II alinéa

2 de la loi de 1994 est le cautionnement à durée indéterminée donné par une

personne physique à un créancier non professionnel pour garantir une dette

professionnelle d’un entrepreneur individuel. Celui de l’article 2016 alinéa 2 du

Code civil est le cautionnement indéfini donné par une personne physique à un

créancier non professionnel.

En plus des différences de domaine, il existe des différences affectant les

modalités, notamment la date d’exécution1194, et la sanction1195 de l’obligation

créanciers seront donc tenus à une double vigilance, à savoir contrôler le paiement périodique

du débiteur et vérifier l’utilité d’une inscription au fichier national (en ce sens, cf. B.

AUBERT, Les modifications apportées par la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la

lutte contre les exclusions, Rev. proc. coll., juin 1999, p. 85 ; O. LUTUN, L’information de la

caution de la défaillance du débiteur principal, RD bancaire et financier 2003, n°4, p. 262 et

s.). 1191 A peu près seulement, car l’obligation d’informer la caution sur le terme de son

engagement ou sur sa faculté de résiliation, si son engagement est à durée indéterminée, est

imposée par les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier, 47-II alinéa 2 de la loi du

11 février 1994 et L. 341-6 du Code de la consommation, mais pas par l’article 2016 alinéa 2

du Code civil. 1192 L’article L. 313-22 du Code monétaire et financier concerne le cautionnement souscrit par

une personne physique ou morale au profit d’un établissement de crédit, afin de garantir les

concours financiers accordés à une entreprise. L’article 47-II alinéa 2 de la loi de 1994 vise le

cautionnement à durée indéterminée consenti par une personne physique, pour garantir les

dettes professionnelles d’un entrepreneur individuel. L’article 2016 alinéa 2 du Code civil a

trait au cautionnement indéfini donné par une personne physique. Enfin, l’article L. 341-6 du

Code de la consommation s’intéresse au cautionnement conclu entre une personne physique et

un créancier professionnel. 1193 Ces critères sont les suivants : caution personne physique ou morale ; créancier

professionnel ou non ; débiteur principal : particulier, entrepreneur individuel ou entreprise ;

dette principale : concours financier ou non ; cautionnement indéfini ou défini ;

cautionnement à durée déterminée ou non. 1194 L’information, dans les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier, 47-II alinéa 2

de la loi de 1994 et L. 341-6 du Code de la consommation, doit être donnée au plus tard avant

le 31 mars de chaque année. L’article 2016 alinéa 2 du Code civil prévoit qu’elle doit l’être à

la date convenue par les parties ou, à défaut, à la date anniversaire du contrat. 1195 La sanction, dans les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et 47-II alinéa 2 de

la loi de 1994, consiste dans « la déchéance des intérêts échus depuis la précédente

information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». L’article 2016

alinéa 2 du Code civil retient « la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et

Page 305: L'efficacité des garanties personnelles

d’information annuelle. A défaut d’harmonisation dans les textes eux-mêmes, c’est à

la jurisprudence qu’il appartient de coordonner et de concilier les règles. Elle peut le

faire en rapprochant le régime des quatre obligations d’information annuelle,

notamment par rapport à leurs modalités d’exécution. Mais, les différences les plus

importantes, celles relatives au domaine et à la sanction de ces obligations,

demeureront irréductibles. La « mosaïque bigarrée »1196 qu’a créée le législateur

devrait ainsi continuer à rendre le cautionnement inefficace.

549. L’articulation entre l’article L. 341-2 et les articles L. 341-5 et L.

341-6 du Code de la consommation. Pour en terminer avec les incohérences de la

réforme de 2003, il convient de souligner le manque d’harmonisation entre les règles

nouvelles elles-mêmes. Deux contradictions découlent du rapprochement entre,

d’une part, l’article L. 341-2 et l’article L. 341-5 et, d’autre part, l’article L. 341-2 et

l’article L. 341-6. Dans la mesure où l’article L. 341-2 prohibe les cautionnements

indéfinis, l’interdiction de la solidarité et de la renonciation au bénéfice de

discussion dans de tels cautionnements paraît inutile. De la même façon, dans la

mesure où ce même article interdit le cautionnement à durée indéterminée, le rappel

de la faculté de résiliation unilatérale dans le cadre d’un tel engagement semble

dénué de sens. Pour lever ces contradictions, il est nécessaire de considérer que les

articles L. 341-5 et L. 341-6 ne sont applicables qu’aux seuls cautionnements

notariés, à l’exclusion des cautionnements sous seing privé expressément visés par

l’article L. 341-21197.

550. Conclusion de la Section 1. La cohérence législative, et l’efficacité du

cautionnement qui en dépend, ne peuvent résulter d’interventions législatives

ponctuelles donnant lieu à des strates de règles successives non harmonisées entre

elles. La cohérence entre les règles de droit ayant un même objet dépend de l’énoncé

de quelques règles de portée générale, tenant compte des évolutions constatées, et

donc de l’émergence (ou de la résurgence) d’un droit commun, au détriment de

règles spéciales n’ayant plus de justification1198.

pénalités ». Dans ce dernier texte, aucune limitation dans le temps n’est indiquée. Les travaux

préparatoires de la loi de 1998 révèlent que la différence de sanction a été expressément

invoquée lors de l’examen du texte par le Sénat, et que la limitation temporelle de la

déchéance a été refusée (rapport présenté par M. SEILLIER, au nom de la Commission des

affaires sociales du Sénat, Doc. Sénat, n°544, session ordinaire de 1997-1998, t. 1, p. 96). Une

limitation dans le temps ayant été expressément adoptée, dans le cadre de l’obligation

d’information sur la défaillance du débiteur (déchéance circonscrite à la période allant de la

date à laquelle l’information aurait dû être donnée à celle où elle a été délivrée), la thèse de

l’oubli législatif est encore moins probable. S’agissant de l’article L. 341-6 du Code de la

consommation, il prévoit la déchéance des « pénalités ou intérêts de retard échus depuis la

précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». 1196 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°271 1197 En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, art. préc., p. 2084 ; D. LEGEAIS, art. préc.,

n°21 ; D. LEGEAIS, RTD com. 2003, p. 798 ; F. PASQUALINI, art. préc., n°18 ; S.

PIEDELIEVRE, art. préc., n°9 1198 De nombreux auteurs critiquent aujourd'hui la multiplication des régimes spéciaux et

défendent, au contraire, l’unité du cautionnement, par le biais de quelques principes clairs et

faciles à mettre en œuvre. En ce sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°469 ; P. CROCQ, Les

développements récents de l’obligation d’information de la caution, Mélanges M. Cabrillac,

Page 306: L'efficacité des garanties personnelles

A s’en tenir au droit positif, il apparaît que les textes, en matière de

cautionnement, manquent de clarté, en raison du caractère équivoque du vocabulaire

ordinaire ou juridique utilisé et des oublis ponctuels ou plus généraux du législateur.

Ils manquent aussi de cohérence, à cause des distinctions injustifiées au sein d’une

règle de droit déterminée, et à cause de l’absence d’harmonisation des règles de droit

ayant un même objet. Du fait de ces défauts formels, le droit positif entrave

l’efficacité du cautionnement.

L’autre principale cause d’inefficacité réside dans l’objectif de protection de la

caution, poursuivi par le législateur et par les juges, au détriment de la fonction de

garantie du cautionnement.

SECTION 2 : LA POLITIQUE LÉGALE

ET JURISPRUDENTIELLE DE PROTECTION

DE LA CAUTION

551. L’efficacité des garanties personnelles dépend, pour une large part, de

l’articulation qu’opèrent la loi et les juges entre l’objectif d’efficacité, d’une part, et

ces impératifs fondamentaux que sont la justice et l’éthique contractuelle, d’autre

part1199. Plus précisément, l’efficacité risque d’être compromise si le droit positif

met en œuvre l’impératif de justice corrective dans les rapports entre le créancier et

la caution, ou encore s’il impose aux bénéficiaires des contraintes en vue de protéger

les intérêts de la partie réputée faible et non dans le but de faire respecter l’impératif

d’éthique contractuelle.

Le droit du cautionnement tombe dans ces travers, non seulement lorsqu’il

autorise l’allégement, voire l’extinction, de l’obligation de règlement de la caution

(§1), mais aussi lorsqu’il met à la charge des créanciers des contraintes excessives

(§2). La fonction du cautionnement et son caractère unilatéral se trouvant méconnus

par cette politique légale et jurisprudentielle de protection de la caution, l’efficacité

du cautionnement s’avère particulièrement en danger.

§1 : L’ALLEGEMENT OU L’EXTINCTION

DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT DE LA CAUTION

552. La réduction du droit de gage général du créancier contre la caution

(articles 1415 et 2024 du Code civil). Le droit positif compromet l’efficacité du

cautionnement lorsqu’il autorise la réduction du droit de gage général du créancier

contre la caution1200. C’est le cas chaque fois que les juges adoptent une

Litec, 1999, p. 349 et s., n°20 ; D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29

juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p. 1724, n°2 et 43 ; D.

PARDOEL, art. préc., n°13 et 25 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24-1 et 24-3 1199 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et l’impératif de

justice contractuelle, cf. supra n°124-144. Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité des

garanties personnelles et l’impératif d’éthique contractuelle, cf. supra 163-171. 1200 A l’occasion du vote de la loi pour l’initiative économique, certains membres de la

commission mixte paritaire ont envisagé une limitation a priori du droit de gage général du

créancier contre la caution. A l’image des entrepreneurs individuels, il s’agissait de protéger

la résidence principale de la caution. Cette proposition n’a finalement pas été retenue, le

Page 307: L'efficacité des garanties personnelles

interprétation extensive de l’article 1415 du Code civil, afin de protéger le

patrimoine familial1201. C’est également le cas lorsque les conditions de mise en jeu

du « reste à vivre », institué par la loi du 29 juillet 1998 (article 2024 alinéa 2 du

Code civil) sont réunies1202.

législateur ayant préféré étendre le système existant de sanction a posteriori des engagements

disproportionnés par rapport aux biens et revenus de la caution. 1201 Par application de l’article 1415 du Code civil, le créancier qui n’a pas reçu le

consentement du conjoint de la caution ne peut prendre des sûretés sur les biens communs.

Ainsi, il ne peut obtenir, ni une inscription provisoire d’hypothèque, ni une conversion de

l’hypothèque provisoire en inscription définitive (Cass. 1ère civ., 2 juillet 1991 : Bull. civ. I,

n°225 ; Cass. 1ère civ., 18 novembre 1992 : Bull. civ. I, n°280 ; Cass. 1ère civ., 29 mai 1996 :

Bull. civ. I, n°220 ; Cass. 1ère civ., 17 février 1998 : Bull. civ. I, n°63 ; Cass. 1ère civ., 15 mai

2002 : Bull. civ. I, n°128 ; Cass. 1ère civ., 11 mars 2003 : Bull. civ. I, n°66). Le créancier subit

la présomption de communauté de l’article 1402 du Code civil et doit donc apporter la preuve

du caractère propre du bien qu’il entend saisir (TGI Lyon, 12 septembre 1995 : D. 1996, IR,

p. 63 ; Dr. famille février 1997, n°35 ; CA Paris, 5 septembre 1996 : JCP 1997, I, n°4047,

n°19, obs. SIMLER). Si le créancier souhaite saisir un compte joint, il doit démontrer que le

compte était bien alimenté par les revenus de l’époux caution (Cass. 1ère civ., 3 avril 2001 :

Bull. civ. I, n°92 ; Cass. 1ère civ., 18 février 2003 : Bull. civ. I, n°48 ; Cass. 1ère civ., 17 février

2004 : Bull. civ. I, n°45). En outre, la Cour de cassation décide qu’un plan d’épargne

logement et un compte-titres, que l’époux caution alimente avec ses seuls revenus, ne peuvent

être saisis par le créancier, car il s’agit d’acquêts (Cass. 1ère civ., 14 janvier 2003 : Bull. civ. I,

n°2).

Alors que l’article 1415 du Code civil constitue une exception au principe posé par l’article

1413, et qu’il devrait donc faire l’objet d’une interprétation littérale, la jurisprudence en

retient, sur certains points (pour les hypothèses dans lesquelles une interprétation stricte

prévaut, cf. supra n°439), une interprétation extensive et ce, dans le but de protéger le

patrimoine familial (en ce sens, cf. R. CABRILLAC, L’emprunt ou le cautionnement dans le

passif de la communauté légale, Droit et patrimoine 2003, n°115, p. 72 et s. ; Y. FLOUR, Le

cautionnement et le patrimoine des couples, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations,

Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 80 et s. ; A. GAONAC’H, L’implication de l’article 1415

du Code civil dans la gestion des biens communs, LPA 1er mars 2000, n°43, p. 9 et s. ; N.

PETERKA, La caution mariée sous un régime de communauté, RD bancaire et financier

2003, n°4, p. 249 et s. ; S. ROBINNE, Article 1415 du Code civil, Liber amicorum J. Calais-

Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 963 et s . ; Ph. SIMLER, n°168).

Ainsi, les juges appliquent l’article 1415 en présence d’un aval (Cass. com., 4 février 1997 :

Bull. civ. IV, n°39) ou d’un cautionnement réel (Cass. 1ère civ., 11 avril 1995 : Bull. civ. I,

n°165 ; Cass. 1ère civ., 26 mai 1999 : JCP 1999, I, 156, n°5, obs. SIMLER ; RTD civ. 2000,

p. 366, obs. CROCQ ; Cass. 1ère civ., 15 mai 2002 : Bull. civ. I, n°127, 128 et 129 ; Cass.

com., 13 novembre 2002 : Bull. civ. IV, n°161). Ils y soumettent également les époux mariés

sous un régime de séparation de biens assortie d’une société d’acquêts (Cass. 1ère civ., 25

novembre 2003 : Bull. civ. I, n°236) et même sous un régime de communauté universelle

(Cass. 1èreciv., 3 mai 2000 : Bull. civ. I, n°125 ; Cass. 1ère civ., 28 janvier 2003 : RJDA 8-

9/2003, n°880). Dans cette hypothèse, sous réserve d’éventuels biens propres par nature ou de

biens donnés avec clause d’exclusion de la communauté, l’interprétation extensive de l’article

1415 conduit à priver de tout gage le créancier cautionné par un seul des époux. La portée

conférée à l’article 1415 est enfin très large en ce que la jurisprudence considère que le

créancier ne peut écarter ses dispositions, même lorsque la caution a commis une fraude à son

égard en dissimulant sa situation maritale (Cass. 1ère civ., 17 février 1998 : Bull. civ. I, n°63). 1202 En application de l’article 2024 alinéa 2 du Code civil, le créancier doit laisser à la

caution personne physique un montant égal au RMI. Cette limitation du droit de poursuite du

créancier constitue une expression de l’impératif de justice distributive. Il s’agit, en effet,

Page 308: L'efficacité des garanties personnelles

553. La réduction ou l’extinction de l’obligation de règlement de la

caution. Le droit du cautionnement compromet aussi l’efficacité de cette sûreté

lorsqu’il autorise la réduction, voire l’extinction, de l’obligation de règlement de la

caution. Certaines dispositions légales et décisions jurisprudentielles tentent

d’instaurer un équilibre au sein du contrat de cautionnement en allégeant cette

obligation (A). D’autres font encore plus nettement primer les intérêts de la caution

sur ceux du créancier en permettant l’extinction pure et simple de l’obligation de

règlement (B).

A/ L’ALLEGEMENT DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT

554. Le droit positif compromet l’efficacité du cautionnement lorsqu’il déjoue

l’attente objective des créanciers portant sur le paiement ponctuel et intégral de la

caution. Ainsi, chaque fois que le législateur ou les juges déterminent le moment de

l’exécution de la caution (1), ou le montant de son paiement (2), en ayant pour

dessein d’alléger son obligation de règlement, ils méconnaissent la fonction de

garantie du cautionnement et contribuent à rendre ce mécanisme inefficace aux yeux

des créanciers.

1. Le moment de l’exécution de l’obligation de règlement

555. Le paiement ponctuel de la caution, partant l’efficacité du

cautionnement, sont menacés, d’une part, en cas de modification du terme suspensif

d’éviter que la caution personne physique ne soit totalement démunie et qu’à un endettement

excessif du débiteur principal ne s’ajoute un surendettement de la caution (en ce sens, cf. S.

PIEDELIEVRE, Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre les exclusions, JCP

1998, I, 170, n°18. Sur le reste à vivre comme technique de sauvegarde de l’existence

matérielle et de l’intégration sociale de la caution personne physique, cf. C. NOBLOT, La

qualité du contractant comme critère légal de protection. Essai de méthodologie législative,

LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE, n°102). Le reste à vivre a pour but d’empêcher que la

caution, pour obtenir le minimum vital, ne soit obligée d’avoir recours à une procédure de

surendettement (cf. Rapp. V. NEIERTZ, Ass. Nat. n°1002, JO Sénat, 8 juillet 1998, p. 3718).

Si l’impératif de lutte contre l’exclusion, et donc de lutte contre les atteintes à la dignité

humaine, doit l’emporter sur l’objectif d’efficacité du contrat de garantie (cf. supra n°138),

encore faut-il que la mesure fondée sur l’impératif de justice distributive soit véritablement

utile au garant. Or, le reste à vivre est critiqué comme étant illusoire. Le Sénat (JO Sénat CR

séance du 12 juillet 1998, p. 3191) avait d’ailleurs supprimé l’amendement en considérant le

reste à vivre comme inutile, dans la mesure où la situation de surendettement de la caution lui

permet de bénéficier, devant la commission, des mêmes dispositions que tout débiteur

surendetté. Après réintroduction du texte par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, le

Sénat maintînt sa position. Finalement, l’Assemblée nationale eût le dernier mot. Cela

n’empêche pas l’article 2024 alinéa 2 d’être toujours suspecté d’inutilité (en ce sens, cf. B.

AUBERT, Les modifications apportées par la loi d’orientation du 29 juillet 1998 relative à la

lutte contre les exclusions, Rev. proc. coll., juin 1999, p. 87 ; F. CREDOT, La prévention du

surendettement et la réforme du cautionnement, LPA 27 mai 1999, n°101, p. 30 ; S.

PIEDELIEVRE, ibid., n°20). Cette critique risque d’être d’autant plus vivement formulée,

maintenant que le législateur a expressément ouvert la procédure de surendettement aux

cautions non dirigeantes (article L. 331-2 alinéa 1er du Code de la consommation, dans sa

rédaction issue de la loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique).

Page 309: L'efficacité des garanties personnelles

du contrat principal (a) et, d’autre part, en cas de suspension des poursuites contre la

caution garantissant un débiteur placé en redressement judiciaire (b).

a. Les modifications du terme suspensif du contrat principal

556. La prorogation conventionnelle du terme suspensif du contrat

principal. La modification du terme suspensif du contrat principal peut être

d’origine conventionnelle. Lorsque le créancier accorde un délai au débiteur

principal, la caution n’est pas déchargée (article 2039 du Code civil), mais la

jurisprudence lui offre une option susceptible de nuire aux attentes du créancier. En

effet, à défaut de clause insérée dans le contrat de cautionnement prévoyant à quel

moment la caution devra payer en cas de prorogation du terme du contrat

principal1203, la caution peut, selon son intérêt, se prévaloir de ce sursis1204 ou, au

contraire, refuser d’en assumer les conséquences1205.

Dans le premier cas, la caution estime qu’il subsiste des chances sérieuses

d’exécution de l’obligation par le débiteur et refuse le paiement à l’échéance

initialement fixée. L’opposabilité des délais consentis par le créancier, qui se justifie

principalement par le fait que le créancier ne peut unilatéralement dissocier

l’exigibilité de la dette principale et celle de l’obligation accessoire, peut nuire aux

intérêts de ce créancier, puisqu’il doit supporter un retard dans les poursuites.

Dans le second cas, la caution refuse d’être tenue plus longtemps, car elle

redoute que la situation du débiteur ne s’aggrave pendant le délai supplémentaire

octroyé par le créancier et que ses chances de remboursement ne se trouvent par là

même réduites. L’inopposabilité à la caution de la prorogation du terme du contrat

principal empêche l’accomplissement de l’attente subjective relative à la poursuite

concomitante du débiteur principal et de la caution.

557. La déchéance du terme suspensif du contrat principal. La déchéance

du terme du contrat principal peut également être l’occasion d’une remise en cause

des attentes du créancier, puisque, dans le silence du contrat1206, le principe retenu

par la jurisprudence est celui de l’inopposabilité à la caution de cette déchéance. La

caution bénéficie du terme originaire1207, même lorsque la déchéance procède de la

liquidation judiciaire du débiteur principal1208. Les juges fondent cette solution sur

les articles 1134 (respect de la volonté de la caution) et 2015 du Code civil

(interprétation stricte du cautionnement).

La règle de l’accessoire est purement et simplement occultée en présence d’une

exigibilité anticipée de la dette principale, alors qu’elle est appliquée dans

l’hypothèse d’un report conventionnel de l’échéance du contrat principal. « La règle

1203 Sur ces clauses, cf. supra n°332-334 1204 CA Lyon, 6 janvier 1903 : DP 1910, Somm., p. 1 1205 Cass. com., 5 novembre 1971 : Bull. civ. IV, n°264 1206 Sur les clauses relatives à la déchéance du terme suspensif du contrat principal, cf. supra

n°328-330 1207 Cass. req., 3 juillet 1890 : D.P. 1891, 1, p. 5 ; S. 1890, 1, p. 445 ; Cass. 1ère civ., 20

décembre 1976 : Bull. civ. I, n°415 ; Cass. 1ère civ., 30 octobre 1984 : Bull. civ. I, n°290 ;

Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV, n°79 ; Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV,

n°183 1208 Cass. com., 5 octobre 1983 : Bull. civ. IV, n°254 ; Cass. com., 8 mars 1994 : Bull. civ. IV,

n°96 ; Cass. com., 25 mars 1997 : Droit et patrimoine janvier 1998, 90, obs. SAINT-ALARY

Page 310: L'efficacité des garanties personnelles

d’homogénéisation qui s’attache à la théorie de l’accessoire est pleinement mise en

œuvre ou totalement neutralisée selon qu’elle adoucit ou qu’elle aggrave le sort de

la caution »1209. Cette instrumentalisation de la règle de l’accessoire fragilise le

cautionnement, car elle rend incertain l’accomplissement des attentes des créanciers

portant sur le paiement ponctuel de la caution.

558. Les modifications légales ou jurisprudentielles du terme suspensif du

contrat principal. La modification du terme suspensif du contrat principal peut

aussi être d’origine légale ou judiciaire.

L’article L. 621-49 du Code de commerce refuse que le jugement d’ouverture

du redressement judiciaire contre le débiteur principal emporte une telle

modification et prohibe toute clause contraire rendant exigibles les créances dans

une telle hypothèse. En raison du caractère accessoire renforcé du cautionnement

(article 2013 du Code civil), la Cour de cassation a précisé que la déchéance du

terme non encourue par le débiteur principal ne peut être invoquée contre la

caution1210, et que toute clause contraire du contrat de cautionnement doit être

condamnée1211. Cette jurisprudence fait peu de cas de la fonction de garantie du

cautionnement à un moment où le besoin de garantie est justement le plus prégnant.

Elle est d’autant plus contestable que « le mirage du renflouement des entreprises

sous main de justice a été dissipé par la réalité de 15 ans d’application de la loi de

1985»1212.

Les moratoires légaux ou les délais de grâce sont, en principe, inopposables par

la caution au créancier1213 et ce, parce qu’ils réalisent l’une des éventualités contre

lesquelles le créancier entendait se prémunir en exigeant un cautionnement. Ce

principe connaît néanmoins des exceptions, qui sont autant de situations dans

lesquelles le créancier est privé d’un paiement ponctuel, et donc d’une garantie

efficace. La loi peut, tout d’abord, étendre expressément aux cautions le bénéfice du

moratoire1214. Ensuite, la caution peut bénéficier d’un moratoire légal lorsque celui-

ci est octroyé, non en raison des difficultés financières d’une catégorie de débiteurs,

mais en raison de la nature de la dette. Enfin, la caution peut profiter des délais

légaux lorsqu’elle appartient elle-même à la catégorie de débiteurs auxquels la loi

entend accorder une protection particulière.

559. A l’occasion des modifications du terme suspensif du contrat principal,

qu’elles soient d’origine conventionnelle ou légale, les attentes du créancier peuvent

donc être déjouées. L’efficacité du cautionnement peut également être menacée

lorsque la loi impose aux créanciers une suspension des poursuites contre la caution.

b. La suspension des poursuites contre la caution

1209 D. GRIMAUD, th. préc., n°120 à 122 1210 Cass. com., 2 mars 1993 : Bull. civ. IV, n°79 1211 Cass. com., 14 juin 1994 : JCP 1995, I, 3851, n°6, obs. SIMLER ; RD bancaire et bourse

1995, p. 120 et 156, obs. CAMPANA et CALENDINI ; Cass. 1ère civ., 24 janvier 1995 : Bull.

civ. I, n°51 ; Cass. com., 20 juin 1995 : Bull. civ. IV, n°184 1212 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°210-1 1213 Sur les délais consentis dans le cadre d’une procédure collective ou de surendettement, cf.

supra n°495 1214 Exemples : la loi du 12 juillet 1937 sur les dettes agricoles ; la loi du 11 décembre 1963

instituant des mesures de protection en faveur des rapatriés d’Algérie.

Page 311: L'efficacité des garanties personnelles

560. Droit commun et droit des procédures collectives. Comme tout

débiteur, la caution a le droit de solliciter, si sa situation personnelle le justifie, un

délai de grâce, sur le fondement de l’article 1244-1 du Code civil.

En outre, depuis 1994, la suspension des poursuites est automatique, à

l’encontre des « cautions personnelles personnes physiques », du jugement

d’ouverture du redressement judiciaire du débiteur principal jusqu’au jugement

arrêtant le plan de redressement ou prononçant la liquidation, c'est-à-dire pendant la

période d’observation. L’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce ajoute que

« le tribunal peut ensuite leur accorder des délais ou un différé de paiement dans la

limite de deux ans ». Alors que les juges favorisent l’efficacité du cautionnement en

refusant à la caution le droit de se prévaloir de la suspension des poursuites contre le

débiteur principal, prévue par l’article L. 621-40 du Code de commerce1215, le

législateur fait primer les intérêts de certaines cautions sur ceux des créanciers en les

faisant bénéficier personnellement d’une telle suspension1216.

561. La notion de « suspension » des poursuites et son fondement. Si le

terme « suspend » pouvait laisser penser que seules les actions en cours seraient

concernées1217, les travaux préparatoires et l’esprit de la loi du 10 juin 1994 ont

conduit les juges à décider qu’aucune nouvelle poursuite ne peut être engagée après

le jugement d’ouverture1218.

La disposition nouvelle avait en effet pour but d’inciter les dirigeants de

société, qui se sont portés cautions de leur entreprise, à ne pas retarder l’ouverture de

la procédure de redressement judiciaire. Or, ce n’est qu’à la condition d’être assurés

d’être à l’abri de nouvelles poursuites, que les dirigeants cautions peuvent être

incités à déposer le bilan en temps utile.

La suspension des poursuites n’ayant pas été prévue dans le cadre du règlement

amiable, ces dirigeants ont naturellement intérêt à déposer le bilan plutôt qu’à

rechercher l’accord amiable. Si l’on sait que le législateur entendait justement

favoriser ce règlement amiable, il apparaît que la disposition nouvelle engendre un

effet pervers. Elle est, par ailleurs, susceptible de favoriser le désintérêt des

créanciers pour le cautionnement.

562. L’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce : un facteur

d’inefficacité. Dans la mesure où la liquidation judiciaire est généralement

prononcée, sinon immédiatement, du moins très rapidement, ce n’est pas la 1215 Cf. supra n°493 1216 La situation des créanciers sur ce point risque d’être prochainement aggravée, puisque

l’article 42 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004 dispose que

« le jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la

liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant constitué une

caution personnelle ou une garantie autonome» (nouvel article L. 622-26 alinéa 2 du Code de

commerce). 1217 La suspension des actions en cours se traduit notamment par le fait que le créancier ayant

obtenu une inscription provisoire d’hypothèque sur un immeuble de la caution avant

l’ouverture de la procédure collective contre le débiteur principal ne peut pas introduire une

action au fond après cette ouverture pour obtenir l’inscription définitive (Cass. 2ème civ., 30

avril 2002 : Bull. civ. II, n°85). 1218 TGI Saintes, 18 septembre 1998 : JCP 1999, IV, 2179 ; Banque et droit mai-juin 1999,

p. 42, note RONTCHEVSKY

Page 312: L'efficacité des garanties personnelles

suspension des poursuites pendant la période d’observation qui porte le plus atteinte

à l’efficacité du cautionnement, mais bien plutôt le rappel de la règle de l’article

1244-1 du Code civil (article L. 621-48 alinéa 2 in fine). Les juges peuvent y voir

une invitation à accorder largement des délais à la caution. Or, « le cautionnement

concrètement ne vaut plus rien si le créancier ne peut agir pendant la période de

suspension et les deux ans suivants »1219.

Conscient du risque d’organisation de son insolvabilité par la caution pendant

la période où aucune poursuite ne peut être dirigée contre elle, le législateur a

précisé que les créanciers peuvent prendre des mesures conservatoires (article L.

621-48 alinéa 3). Cette précision est inutile, puisque le droit commun de l’article 67

de la loi du 9 juillet 1991 autorise déjà la prise de telles garanties. Surtout, elle n’est

pas à même de rassurer les créanciers. En effet, « lorsqu’une petite entreprise a

cessé ses paiements, il est rare que ses dirigeants ou leurs proches puissent

présenter des garanties solides : le pourraient-ils que les biens en question seraient

mieux utilisés au redressement de l’entreprise qu’à la garantie de l’action du

créancier »1220.

563. Sous le prétexte officiel de hâter le dépôt de bilan, le législateur protége

le dirigeant caution pendant la période d’observation, et se livre ainsi à un véritable

« travail de sape du cautionnement »1221. Les juges, quant à eux, méconnaissent la

fonction de garantie du cautionnement et manipulent la règle de l’accessoire,

lorsqu’en cas de modification du terme suspensif du contrat principal, ils

déterminent le moment du paiement de la caution en ne prenant en compte que les

intérêts de celle-ci.

La protection des intérêts des créanciers est également oubliée lorsque

l’allégement de l’obligation de règlement de la caution résulte d’une réduction du

montant de cette obligation.

2. La réduction du montant de l’obligation de règlement

564. La réduction par voie accessoire. La réduction du montant de

l’obligation de règlement de la caution peut s’opérer par voie accessoire ou par voie

principale. La réduction imposée par l’article 2013 du Code civil, dans l’hypothèse

où l’obligation de la caution s’avère excessive par rapport à l’obligation principale,

les réductions consécutives à un paiement partiel du débiteur1222, à une remise de

1219 J. DEVEZE, Le cautionnement des entreprises en difficulté, brèves observations sur la loi

du 10 juin 1994, LPA 12 octobre 1994, n°122, p. 11 1220 J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement. Petit guide des

effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes, Mélanges P. Vellas,

Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 390 1221 D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et

garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 70 1222 En cas de pluralité de dettes du même débiteur envers le même créancier et à défaut

d’imputation conventionnelle, la jurisprudence retient que la ou les dettes cautionnées doivent

être considérées comme acquittées d’abord, le débiteur ayant intérêt à éteindre par son

paiement l’obligation de la caution, plutôt qu’une dette non cautionnée, dont il est seul tenu

(Cass. 1ère civ., 29 octobre 1963 : Bull. civ. I, n°462 ; Cass. 1ère civ., 19 janvier 1994 : Bull.

civ. I, n°28).

Page 313: L'efficacité des garanties personnelles

dette partielle1223 ou encore à une transaction portant sur l’étendue des obligations

des parties1224 ne seront pas développées. La raison en est que, dans ces différentes

hypothèses, les intérêts financiers du créancier ne sont pas compromis. Seul est évité

un enrichissement que le cautionnement n’a pas pour fonction de procurer.

565. La réduction par voie principale. Lorsque la réduction s’opère par voie

principale, il est en revanche des cas dans lesquels l’efficacité du cautionnement se

trouve menacée. Il en va ainsi chaque fois que les juges adoptent une interprétation

déformante des articles 1326, 2015 et 2016 du Code civil, dans le seul but d’alléger

l’obligation de règlement de la caution (a), mais aussi chaque fois qu’ils découvrent

des causes d’extinction de l’obligation de couverture, ou font produire à cette

extinction des conséquences défavorables aux intérêts des créanciers (b).

a. La réduction par le biais d’un défaut de preuve d’un engagement exprès

566. La portée excessive conférée à la mention manuscrite de l’article

1326 du Code civil. Si la jurisprudence semble aujourd'hui limiter la portée des

articles 1326 et 2015 du Code civil et redonner, au contraire, tout son sens à l’article

20161225, il n’en reste pas moins que la protection de la caution que la Cour de

cassation a fondée sur les exigences de mention manuscrite et d’engagement exprès,

depuis le début des années 1980, a profondément nui à l’image du cautionnement.

En effet, la Cour de cassation a dévoyé le sens des articles 1326 et 2015, et a paru

vouloir rayer l’article 2016 du Code civil, dans le but d’alléger l’obligation de

règlement de la caution1226.

« Aussi nécessaire que soit le rôle créateur de la jurisprudence, il paraît

difficile de lui reconnaître le pouvoir d’abroger des articles du Code civil »1227,

celui de transformer une simple règle de preuve, l’article 1326, en un instrument de

détermination de l’étendue d’un engagement, ou celui de tenir pour lettre morte la

volonté des parties exprimée dans le corps de l’acte de cautionnement, imprimé ou

dactylographié. La politique jurisprudentielle de protection des cautions s’est

développée au détriment de l’impératif de sécurité juridique et de l’objectif

d’efficacité du cautionnement.

1223 Comme le prévoit l’article 1287 du Code civil, la remise de dette opère extinction de

l’obligation de la caution, à due concurrence, au même titre qu’un paiement. Il s’agit d’un

« corollaire nécessaire du caractère accessoire du cautionnement » (Ph. SIMLER, n°707). 1224 La jurisprudence assimile une telle transaction à une remise de dette profitant à la caution. 1225 La jurisprudence n’exige plus que les accessoires figurent dans la mention manuscrite

pour être couverts (cf. supra n°449). Ce courant jurisprudentiel est remis en cause par la loi

du 1er août 2003, puisque le nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation écarte le jeu

de l’article 2016 du Code civil en exigeant que le plafond inscrit dans la mention manuscrite

ad validitatem inclut les différents accessoires. 1226 A partir de 1983, la première Chambre civile de la Cour de cassation a jugé que lorsqu’un

montant est exprimé dans la mention manuscrite, « le cautionnement ne peut excéder cette

somme », les juges du fond n’ayant pas à rechercher si les clauses de l’acte étendent

l’obligation aux accessoires, encore moins si ceux-ci en sont la suite normale au sens de

l’article 2016 (cf. notamment, Cass. 1ère civ., 22 juin 1983 : Bull. civ. I, n°182 ; Cass. 1ère civ.,

10 mai 1988 : Bull. civ. I, n°133). Elle exigeait également que la caution inscrive le taux

conventionnel de l’intérêt, faute de quoi seul le taux légal était applicable (Cass. 1ère civ., 10

mars 1992 : Bull. civ. I, n°77). 1227 Ph. SIMLER, n°389

Page 314: L'efficacité des garanties personnelles

567. Les interprétations du cautionnement favorables aux cautions. Si

l’on assiste aujourd'hui à un certain retour à l’orthodoxie de la part de la

jurisprudence, il n’est pas douteux que le principe d’interprétation stricte, formulé

par l’article 2015du Code civil, constitue encore un instrument de protection des

cautions et, par conséquent, une cause d’inefficacité du cautionnement1228. En effet,

aux limites explicites de l’engagement de la caution, les juges, en se fondant sur ce

texte, ajoutent des limites implicites, en vue de réduire le montant de l’obligation de

règlement de la caution.

Ainsi, dans le cadre des cautionnements indéfinis de dettes déterminées,

l’article 2015 permet de limiter l’engagement aux seules obligations qui se

rattachent directement au contrat dont les obligations sont garanties1229.

En matière de cautionnement indéfini de dettes seulement déterminables, grâce

au principe d’interprétation stricte, le doute relatif à l’étendue de la couverture

profite à la caution1230. La jurisprudence a ainsi restreint la portée d’un

cautionnement omnibus en décidant que la caution, qui s’était engagée dans le cadre

de relations contractuelles, n’avait pas entendu garantir des dettes délictuelles, alors

même qu’elle avait précisé qu’elle garantissait toutes les dettes du débiteur « à

quelque titre » ou « pour quelque cause que ce soit »1231. Ont également été écartés

des risques indirects1232, des dettes nées de liens contractuels parallèles ou connexes

entre les mêmes débiteur et créancier1233 et des dettes résultant d’activités nouvelles

du débiteur1234.

1228 Le contentieux fondé sur l’article 2015 du Code civil pourrait diminuer avec l’extension

du champ d’application de la mention manuscrite ad validitatem, puisque l’article L. 341-2 du

Code de la consommation exige que cette mention comporte, à peine de nullité, le montant

garanti. 1229 La jurisprudence a eu l’occasion d’exclure de la garantie des dettes nées d’un contrat

tacitement reconduit, au motif qu’un nouveau contrat s’était substitué à l’ancien (Cass. com.,

11 février 1997 : Bull. civ. IV, n°46), des dettes d’un débiteur, simple successeur du premier

garanti (Cass. 1ère civ., 6 octobre 1993 : JCP 1993, IV, 2513 ; JCP 1994, éd. E, I, 365, n°4,

obs. SIMLER et DELEBECQUE), des dettes liées à l’exploitation d’un fonds voisin à celui

garanti, même si les deux fonds constituaient une même entreprise (Cass. 1ère civ., 15

décembre 1993 : JCP 1994, éd. E, pan. 236), ou encore des dommages et intérêts dus par le

débiteur (Cass. com., 7 décembre 2004 : RJDA 4/05, n°457). 1230 Si le doute porte sur le caractère indéfini ou limité du cautionnement, la caution n’est

tenue que d’un engagement défini (Cass. 1ère civ., 21 juillet 1970 : Bull. civ. I, n°245). Si le

cautionnement est pur et simple et qu’il subsiste un doute sur le point de savoir si telle

obligation est comprise parmi celles qui sont couvertes par la garantie, cette obligation est

écartée (Cass. com., 15 décembre 1992 : Bull. civ. IV, n°408). 1231 CA Bordeaux, 2 décembre 1969 : Gaz. Pal. 1971, 1, Somm., p. 39 ; CA Lyon, 3 décembre

1982 : Gaz. Pal. 1983, 1, Somm., p. 113 ; JCP 1986, I, 3265 ; JCP 1986, éd. E, II, 14778,

n°135 ; RTD com. 1983, p. 263, obs. CABRILLAC et TEYSSIE 1232 Le cautionnement de « tous les engagements d’une société envers une banque » ne couvre

pas les recours que cette dernière exerce en tant que tiers porteur d’une lettre de change (Cass.

com., 12 mai 1992 : Bull. civ. IV, n°176 ; Cass. com., 9 juillet 2002 : RJDA 1/2003, n°72). 1233 Cass. 1ère civ., 9 mai 1962 : Bull. civ. I, n°238 ; Cass. com., 3 décembre 1979 : Bull. civ.

IV, n°317 ; Cass. com., 25 novembre 1997 : Bull. civ. IV, n°300 1234 Cass. com., 19 novembre 1962 : Bull. civ. IV, n°462 ; Cass. 1ère civ., 8 décembre 1987 :

Bull. civ. I, n°262 ; Cass. com., 7 juillet 1992 : Bull civ. IV, n°260

Page 315: L'efficacité des garanties personnelles

568. Grâce au principe d’interprétation stricte de l’article 2015 du Code civil

et à l’exigence de mention manuscrite de l’article 1326, les juges allègent le sort des

cautions et déjouent, ce faisant, les attentes des créanciers. La jurisprudence attache

aussi plus d’importance à la protection des cautions qu’à la satisfaction des attentes

des créanciers lorsqu’elle réduit l’obligation de règlement de la première en se

fondant sur l’extinction de l’obligation de couverture.

b. La réduction par le biais de l’extinction de l’obligation de couverture

569. La jurisprudence protège les intérêts des cautions, au détriment de ceux

des créanciers, non seulement en découvrant des termes implicites de l’obligation de

couverture1235, mais aussi en décidant que, dans le cadre du cautionnement d’un

compte courant, cette extinction peut avoir pour effet de « faire fondre la garantie

comme neige au soleil »1236.

570. Décès de la caution. Tout d’abord, les juges acceptent de libérer pour

l’avenir des cautions, à la suite de certains changements dans la physionomie initiale

de l’opération de garantie. Ce mouvement a été amorcé au sujet du décès de la

caution. L’article 2017 du Code civil, conformément au principe selon lequel les

successeurs à titre universel succèdent à tous les droits et obligations du défunt et au

principe selon lequel les contrats passés avec celui-ci continuent à produire leurs

effets, dispose que « les engagements des cautions passent à leurs héritiers ». Il était

traditionnellement admis que les héritiers étaient tenus, même pour des dettes nées

postérieurement au décès, et ceci jusqu’au terme fixé par le contrat de

cautionnement ou jusqu’à la résiliation de l’engagement1237.

Les juges du fond, à partir de la fin des années 1970, ont cherché à protéger les

héritiers. Parce que ceux-ci n’ont souvent aucun moyen de connaître l’existence du

cautionnement, qui n’est formalisé qu’en un seul exemplaire original, détenu par le

créancier, et parce qu’ils engagent leur patrimoine personnel (par l’effet de la

confusion des patrimoines) pour garantir l’engagement d’une personne ou d’une

société qu’ils peuvent ne pas connaître, les juges ont de plus en plus été sensibles à

des arguments d’équité1238.

En premier lieu, ils ont allégé le sort des héritiers en retenant la responsabilité

du créancier pour manquement à l’obligation d’informer ces héritiers de l’existence

du cautionnement1239. Le préjudice subi par les héritiers résidait dans la perte d’une

chance de résilier le cautionnement, ou de renoncer à la succession, ou encore

d’accepter celle-ci sous bénéfice d’inventaire.

1235 Les juges n’entérinent pas systématiquement les arguments de la caution visant à

assimiler certains événements à des termes implicites. Sur les termes extinctifs implicites non

admis par la jurisprudence, cf. supra n°451-454 1236 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°13 ; Ph. SIMLER, n°666 1237 Cass. com., 14 novembre 1966 : Bull. civ. IV, n°427 ; Cass. 1ère civ., 16 décembre 1969 :

Bull. civ. I, n°396 ; Cass. com., 14 novembre 1980 : Bull. civ. IV, n°371 1238 En ce sens, cf. B. SAVOURE, Caution et famille : la caution et ses héritiers, in Sûretés et

garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 90 et s. 1239 CA Aix-en-Provence, 15 novembre 1977 : Bull. arrêts Aix 1977/4, n°299 ; CA Paris, 28

avril 1980 : Gaz. Pal. 1980, 2, p. 604, note PIEDELIEVRE ; D. 1981, IR, p. 15, obs.

VASSEUR ; CA Fort de France, 17 septembre 1981 : JCP 1982, IV, 209 ; Banque 1983,

p. 237, obs. MARIN

Page 316: L'efficacité des garanties personnelles

En second lieu, c’est la Cour de cassation elle-même qui a pris en charge la

protection des héritiers en faisant sienne la thèse de Mouly relative à la dualité

d’obligations dans le cautionnement de dettes futures indéterminées. Elle a décidé

que la caution ne pouvait transmettre à ses héritiers d’engagement pour les dettes

nées postérieurement à son décès1240. Autrement dit, si la dette principale existe au

jour du décès, quels que soient sa date d’échéance ou le moment des poursuites,

dans la limite de la prescription, les héritiers en sont tenus. Par application du droit

commun successoral, l’obligation de règlement relative aux dettes nées avant le

décès se trouve donc transmise aux héritiers, même si ces dettes ne deviennent

exigibles que postérieurement1241. En revanche, la jurisprudence assimilant le décès

de la caution à un terme extinctif implicite, l’obligation de couverture prend fin à ce

jour, ce qui empêche de poursuivre les héritiers pour des dettes nées après le décès.

Outre le fait que l’absence de transmission de l’obligation de couverture aux

héritiers n’est pas conforme à la logique du droit successoral, cette solution place les

créanciers dans une réelle incertitude. La réalisation de leurs attentes est d’autant

plus compromise que la Cour de cassation décide que l’absence de notification du

décès au créancier n’empêche pas l’effet extinctif de se produire1242, et qu’elle

interdit toute clause contraire en l’assimilant à un pacte sur succession future1243. Le

souci de protection des héritiers l’emporte donc sur la fonction de garantie du

cautionnement.

571. Disparition de la société caution. L’efficacité de ce mécanisme est

pareillement menacée dans les autres hypothèses dans lesquelles les juges ont

découvert un terme extinctif implicite de l’obligation de couverture. Il en va ainsi en

cas de fusion ou de scission de la société caution, qui emportent, comme le décès

d’une personne physique, dévolution universelle du patrimoine de la société

dissoute. La garantie subsiste pour les dettes nées avant ces opérations, mais non

pour les nouvelles1244.

572. Disparition de la société créancière ou de la société débitrice.

L’obligation de couverture s’éteint également en cas de disparition du créancier ou

du débiteur, consécutive à une absorption1245, une fusion1246, une scission1247, un

1240 Cass. com., 29 juin 1982 : Bull. civ. IV, n°258 1241 Cass. 1ère civ., 20 juillet 1994 : Bull. civ. I, n°258 1242 Cass. 1ère civ., 3 juin 1986 : Bull. civ. I, n°147 1243 Sur cette jurisprudence, cf. supra n°366 1244 Cass. com., 7 novembre 1966 : Bull. civ. IV, n°421 1245 Sur l’absorption de la société créancière, cf. Cass. com., 6 mars 1978 : Bull. civ. IV,

n°79 ; CA Paris, 9 janvier 2002 : RTD com. 2002, p. 370 ; Cass. com., 4 juin 2002 : JCP

2003, I, 124, n°8, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 28 septembre 2004 : Bull. civ. I, n°214

Sur l’absorption de la société débitrice, cf. Cass. com., 25 octobre 1983 : Bull. civ. IV, n°274 ;

Cass. com., 29 avril 2003 : RJDA 11/2003, n°1128 1246 Sur la fusion de la société créancière, cf. Cass. com., 20 janvier 1987 : Bull. civ. IV,

n°20 ; Cass. com., 17 juin 1990 : Bull. civ. IV, n°216 ; Cass. com., 25 mars 1997 : D. 1998,

Somm., p. 183, obs. HALLOUIN ; Cass. 1ère civ., 12 janvier 1999 : RD bancaire et bourse

1999, p. 77, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 17 juillet 2001 : Bull. civ. IV,

n°139 ; Cass. 1ère civ., 2 juillet 2002 : RJDA 1/2003, n°70 ; Cass. com., 21 janvier 2003 :

Bull. civ. IV, n°9 ; Cass. com., 8 juillet 2003 : RJDA 02/2004, n°229

Page 317: L'efficacité des garanties personnelles

apport partiel d’actif1248, ou encore une dissolution réalisée dans les conditions de

l’article 1844-4 du Code civil1249. En considérant ainsi que l’obligation de

couverture présente un caractère intuitus personae, ce qui est surtout contestable à

l’égard du créancier1250, la jurisprudence allège l’obligation de règlement de la

caution et fragilise donc le cautionnement.

573. Les effets de l’extinction de l’obligation de couverture de la caution

garantissant un compte courant. L’efficacité du cautionnement se trouve

également compromise par les effets que la Cour de cassation fait produire à

l’extinction de l’obligation de couverture de la caution garantissant un compte

courant. Au moment où l’obligation de couverture prend fin (par la résiliation de la

caution, la survenance du terme expressément stipulé ou découvert par les juges), le

banquier est titulaire d’ « une créance dont le montant est en état de fluctuation, une

créance qui ne sera rendue certaine, liquide et exigible que par la clôture du

compte, événement dont la survenance est placée sous le signe de la plus grande

incertitude »1251.

Jusqu’en 1972, la Cour de cassation décidait que la caution était tenue, jusqu’à

la clôture, dans la double limite du montant de son engagement et du solde

provisoire observé au jour de l’extinction de son obligation de couverture. Les dettes

nouvelles inscrites en compte après cette date étaient réputées payées d’abord par les

remises en crédit postérieures. Cette solution, qui se justifiait par le principe

d’indivisibilité et de fusion des articles du compte en un solde final, protégeait les

intérêts financiers des créanciers, mais elle privait d’effet libératoire la résiliation de

la caution1252.

Afin de donner tout son sens à cette résiliation et d’alléger, par conséquent,

l’obligation de règlement de la caution, la Cour de cassation a opéré un revirement

de jurisprudence dans l’arrêt Bard du 22 novembre 19721253, de nombreuses fois

Sur la fusion de la société débitrice, cf. Cass. com., 14 décembre 1966 : Bull. civ. IV, n°482 ;

Cass. com., 17 octobre 1978 : Bull. civ. IV, n°231 ; Cass. 3ème civ., 16 février 2000 : JCP

2001, I, 356, n°7, obs. SIMLER ; Cass. com., 16 octobre 2001 : RJDA 2/2002, n°154 et 202 ;

CA Versailles, 28 mai 2002 : RJDA 12/2002, n°1323 ; JCP 2003, éd. E, p. 232, note

CHABERT ; Cass. com., 21 janvier 2003 : Bull. civ. IV, n°9 1247 Sur la scission de la société créancière, cf. Cass. com., 22 janvier 1985 : Bull. civ. IV,

n°30 1248 CA Paris, 24 septembre 1992 : JCP 1992, éd. E, pan. 57 ; Bull. Joly 1992, p. 1238, note

DELEBECQUE ; CA Versailles, 17 septembre 1998 : Bull. Joly décembre 1998, p. 1259 ;

JCP 1999, éd. E, p. 624, note VARIN ; Banque et droit janv-fév. 1999, p. 42, obs. STORCK ;

Cass. com., 19 mai 2004 : RJDA 11/04, n°1269 1249 Hypothèse d’une dissolution sans liquidation, avec attribution intégrale du patrimoine de

la société dissoute à l’associé unique. Cf. Cass. com., 19 novembre 2002 : Bull. civ. IV,

n°175 1250 En ce sens, cf. G. DAMY, Le cautionnement et la transmission universelle du patrimoine,

Droit et patrimoine 2004, n°129, p. 46 et s. ; Ph. THERY, n°82 1251 M. CABRILLAC, Obligation de couverture, obligation de règlement et cautionnement du

solde du compte courant, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 293 et s., n°4 1252 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, ibid., n°5 ; Ph. SIMLER, n°781 1253 Cass. com., 22 novembre 1972 : Bull. civ. IV, n°298

Page 318: L'efficacité des garanties personnelles

confirmé depuis1254. Elle décide qu’au jour de l’extinction de l’obligation de

couverture est établi un solde provisoire, qui tient compte des opérations en

cours1255. Ce solde constitue un plafond. Les avances ultérieures du créancier sont

indifférentes à la caution, puisque son obligation de couverture est éteinte. En

revanche, toute ligne créditrice postérieure, résultant des remises faites par le

débiteur, diminue d’autant le montant garanti par la caution. A l’égard de celle-ci, le

solde provisoire ne subit plus de fluctuations bilatérales et s’amoindrit au fur et à

mesure des mouvements du compte. « L’indivisibilité du compte courant n’est plus

qu’à usage interne, réservée aux seules parties à la convention »1256. Cette jurisprudence sonne le glas des mécanismes fondamentaux du compte courant, et

notamment de l’enchevêtrement des remises. Elle s’avère également particulièrement

attentatoire aux intérêts des créanciers1257. Ces derniers se voient pratiquement tenus de

clôturer immédiatement le compte courant de leur client, s’ils veulent éviter que leur garantie

ne s’étiole du fait des remises postérieures à l’extinction de l’obligation de couverture, sauf à

ce qu’ils aient inclus dans le cautionnement une clause déjouant la solution de principe

retenue par la jurisprudence1258.

574. Que ce soit par le biais de l’extinction de l’obligation de couverture de la

caution ou par celui du défaut de preuve d’un engagement exprès, les juges réduisent

donc le montant de l’obligation de règlement et empêchent, par là même, le

paiement intégral des créanciers. Comme le paiement ponctuel est également

menacé en cas de modification du terme suspensif du contrat principal ou de

suspension des poursuites contre la caution, il apparaît que le droit positif entrave la

réalisation des attentes des créanciers et compromet, ce faisant, l’efficacité du

cautionnement. Ce constat s’impose d’autant plus que le droit en vigueur ne se

contente pas d’alléger l’obligation de règlement de la caution, il lui arrive également

de favoriser la libération pure et simple de celle-ci.

B/ L’EXTINCTION DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT

575. La protection de la caution atteint son paroxysme, et l’efficacité du

cautionnement est le plus en péril, lorsque les juges retiennent une interprétation

extensive des textes permettant l’extinction de l’obligation de règlement de la

caution, soit par voie principale (1), soit par voie accessoire (2).

1. L’extinction par voie principale

1254 Cf. notamment Cass. com., 23 mai 1989 : Bull. civ. IV, n°158 ; Cass. com., 14 décembre

1993 : Bull. Joly 1994, p. 159, note DELEBECQUE ; Cass. com., 1er juillet 2003 : Bull. civ.

IV, n°113 1255 Cass. com., 16 octobre 1984 : Bull. civ. IV, n°262 ; Cass. com., 6 novembre 1990 : Bull.

civ. IV, n°260 1256 Ph. THERY, n°83 1257 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, art. préc., n°28 : « la mise en œuvre de la distinction de

Mouly n’a pas permis de réaliser un équilibre harmonieux entre les intérêts en présence. Le

régime de l’obligation de règlement tel que l’a défini la jurisprudence se révèle trop sévère

pour les banquiers » ; Ph. THERY, n°83 : « ce n’est pas un mince paradoxe que la garantie

résultant du mécanisme du compte annihile la garantie résultant du cautionnement ». 1258 Sur ces clauses, cf. supra n°368

Page 319: L'efficacité des garanties personnelles

576. La jurisprudence adopte une interprétation stricte des conditions de

validité du cautionnement1259. Ce n’est donc pas sur ce terrain que la libération de la

caution par voie principale se trouve favorisée1260. La décharge de la caution, en

dehors de l’application de la règle de l’accessoire, qui sera envisagée plus loin,

repose essentiellement, d’une part, sur une interprétation extensive, voire

déformante, des articles 1326 et 2015 du Code civil (a) et, d’autre part, sur la prise

en compte de la pluralité de cautionnements garantissant la même dette (b).

a. La libération de la caution fondée sur les articles 2015 ou 1326 du Code civil

577. Les interprétations du cautionnement favorables aux cautions. Par

dérogation aux dispositions de l’article 1353 du Code civil, les juges ne peuvent

fonder l’existence d’un cautionnement sur des présomptions, fussent-elles graves,

précises et concordantes et ce, même lorsque la preuve écrite n’est pas requise. La

jurisprudence décharge ainsi à raison les personnes n’ayant pas exprimé

positivement l’intention de s’engager comme caution1261. Elle applique en revanche

à tort l’article 2015 lorsque l’intention de se porter garant n’est pas seulement tacite.

Lorsque les juges déchargent l’épouse qui s’est portée caution de « tous

engagements que son mari peut ou pourra devoir (…) pour quelque cause que ce

soit »1262, la volonté de ne pas laisser un profane souscrire un cautionnement

1259 Cf. supra n°474-484 1260 Quelques décisions récentes conduisent à relativiser le faible rôle joué par la théorie des

vices du consentement dans la protection des cautions. Il s’agit de l’admission de l’erreur sur

la solvabilité du débiteur (Cass. com., 1er octobre 2002 : Bull. civ. IV, n°131), de l’erreur

commune des parties portant sur une qualité substantielle du débiteur principal, sur le

fondement de l’article 1110 alinéa 2 du Code civil (Cass. com., 19 novembre 2003 : Bull. civ.

IV, n°172), de l’erreur sur l’existence d’une pluralité de sûretés (CA Paris, 22 avril 2003 : RD

bancaire et financier 2004, n°14, obs. CERLES), ou encore de la sanction de la réticence

dolosive, sans que les juges du fond n’aient à constater que le défaut d’information imputé au

créancier avait pour objet de tromper la caution (Cass. 1ère civ., 13 mai 2003 : Bull. civ. I,

n°114).

Comme les cautions ont de plus en plus de mal à engager la responsabilité des créanciers (cf.

supra n°461-466), elles vont certainement se rabattre sur les vices du consentement. « Le

risque est alors qu’un contentieux chasse l’autre, le droit du cautionnement comme la nature,

ayant horreur du vide » (Y. PICOD, note sous Cass. com., 1er octobre 2002, D. 2003,

p. 1618). Ce risque paraît cependant moins prégnant depuis l’extension de la protection du

consentement des cautions personnes physiques contractant avec un créancier professionnel

(article L. 341-2 du Code de la consommation). 1261 La libération de la caution, sur le fondement de l’article 2015 du Code civil, semble tout à

fait justifiée dans les hypothèses suivantes : en cas de silence gardé par un tiers (Cass. com.,

16 décembre 1981 : Bull. civ. IV, n°447) ; lorsqu’une personne souscrit une promesse

d’hypothèque, sans s’engager personnellement à payer la dette d’autrui (Cass. 3ème civ., 27

avril 1982 : JCP 1982, IV, 236 ; Gaz. Pal. 1982, 2, pan., p. 292, obs. A.P. ; Banque 1982,

p. 1388) ; en présence de simples pourparlers (CA Paris, 27 janvier 1984 : Juris-Data

n°20359) ; lorsqu’une personne remplit simplement une fiche de renseignements (CA Paris,

10 janvier 1984 : Juris-Data n°20006) ; lorsque le cautionnement est signé au nom d’une

personne qui n’a délivré aucun mandat en ce sens (Cass. 1ère civ., 13 novembre 2002 : RJDA

8-9/2004, n°1038). 1262 Cass. 1ère civ., 22 avril 1992 : Bull. civ. I, n°129

Page 320: L'efficacité des garanties personnelles

omnibus l’emporte ainsi sur la lettre de l’article 20151263. Est également contestable

l’arrêt qui déclare inefficace un cautionnement, sur le fondement du seul article

2015, sans aucune référence à l’article 1326, en raison du caractère imprécis de la

mention manuscrite, alors que le corps de l’acte contenait indiscutablement un

engagement exprès de cautionner « toutes les dettes pouvant être dues » par une

société à une autre1264.

578. L’omission de la somme en chiffres dans la mention manuscrite. Au

sujet de l’article 1326 du Code civil, de nombreuses dérives jurisprudentielles, au

regard de l’objectif d’efficacité du cautionnement, peuvent également être

dénoncées1265. Tout d’abord, la première et la deuxième Chambre civile de la Cour

de cassation décident que l’omission de la somme en chiffres affecte la force

probante de l’acte, même si la mention en lettres, qui prévaut selon les termes de

l’article 1326 in fine, existe1266. Cette rigueur de la Haute juridiction, même si elle

est tempérée par le fait que l’acte vaut, malgré une telle omission, commencement

de preuve par écrit1267, surprend, dans la mesure où le risque de falsification n’est en

rien comparable à celui existant dans l’hypothèse où c’est la mention en lettres qui

fait défaut. Surtout, la première Chambre civile de la Cour de cassation retient la

solution inverse en matière de reconnaissance de dettes1268.

579. La preuve du cautionnement omnibus. Ensuite, c’est à l’égard des

cautionnements d’un montant indéterminé que les juges se servent de l’article 1326

pour décharger la caution. Dans le cadre de ces cautionnements, la Cour de cassation

exige que la mention manuscrite exprime « sous une forme quelconque, mais de

façon explicite et non équivoque, la connaissance par celui qui s’engage de la

1263 Comme l’article L. 341-2 du Code de la consommation interdit désormais les

cautionnements indéfinis souscrits par une personne physique au bénéfice d’un créancier

professionnel, l’article 2015 devrait plus rarement être utilisé pour fonder de telles décharges. 1264 Cass. 1ère civ., 2 avril 1997 : Juris-Data n°001623. A rapprocher de Cass. 1ère civ., 15

décembre 1998 : Bull. civ. I, n°360 1265 Le champ d’application de l’article 1326 du Code civil étant très limité depuis la réforme

du 1er août 2003, les dérives jurisprudentielles, si elles devaient perdurer, ne pourraient

concerner que les cautionnements conclus avant l’entrée en vigueur de cette loi, les

cautionnements postérieurs unissant une caution personne physique à un créancier non

professionnel, ou encore les cautionnements postérieurs souscrits par une personne morale

non commerçante. 1266 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : Bull. civ. I, n°393 ; Cass. 2ème civ., 27 juin 2002 : Bull.

civ. II, n°147 ; Cass. 1ère civ., 25 mai 2005 : D. 2005, AJ, p. 1548, obs. AVENA-ROBARDET 1267 Cass. 1ère civ., 13 novembre 1996 : préc. ; Cass. 2ème civ., 27 juin 2002 : préc. ; Cass. 1ère

civ., 25 mai 2005 : préc.

Mais la Cour de cassation décide que, si la qualification de commencement de preuve par

écrit n’est pas invoquée, l’acte ne peut produire aucun effet, et donc la caution doit être

déchargée (Cass. com., 7 juillet 1993 : Contr., conc., consom. 1993, n°192, obs.

LEVENEUR). 1268 Cass. 1ère civ., 19 décembre 1995 : Bull. civ. I, n°467 ; Contr., conc., consom. 1996, n°37,

obs. LEVENEUR ; RTD civ. 1996, p. 620, obs. MESTRE ; Cass. 1ère civ., 18 septembre

2002 : Bull. civ. I, n°207 ; JCP 2002, éd. E, 1573 ; RJDA 1/2003, n°98 ; JCP 2003, éd. E,

852, n°2, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 19 novembre 2002 : Bull. civ. I, n°278 ; Contr.,

conc., consom. 2003, n°54, obs. LEVENEUR

Page 321: L'efficacité des garanties personnelles

nature et de l’étendue de l’obligation qu’il contracte »1269. Si les juges entendent

libérer la caution d’un engagement omnibus, qu’ils estiment trop lourd, il leur suffit

de déclarer la formule insuffisante et dépourvue de caractère explicite. Il y a

quelques années, la Cour de cassation a ainsi écarté des mentions qui paraissaient

pourtant établir la connaissance de la caution1270. L’efficacité du cautionnement s’en

est trouvée menacée.

580. La preuve du mandat sous seing privé de se porter caution. Enfin, il

est permis de relever une interprétation extensive de l’article 1326 dans son

application au mandat sous seing privé de se porter caution1271.Même s’il est tout

aussi dangereux de donner un tel mandat que de cautionner directement une dette,

cette solution jurisprudentielle demeure critiquable1272. En effet, le mandataire ne

s’engage pas à payer une somme d’argent, comme l’exige l’article 1326, mais

seulement à représenter le mandant dans un acte juridique. Ainsi, « le critère

déterminant retenu par la Cour de cassation dans cette matière ne réside pas dans

le respect des qualifications juridiques, mais dans la volonté d’apprécier les risques

encourus par la caution »1273. Encore une fois, c’est donc la volonté de protéger le

garant qui l’emporte sur la lettre des textes et sur l’objectif d’efficacité du

cautionnement.

581. La libération de la caution, préjudiciable aux intérêts des créanciers, peut

résulter, non seulement d’une interprétation extensive des articles 2015 ou 1326 du

Code civil, mais aussi de la prise en compte de la pluralité de cautionnements

solidaires.

b. La libération de la caution

résultant de l’existence d’une pluralité de cautionnements solidaires

582. Si, en principe, l’extinction d’un cautionnement solidaire n’influe pas sur

l’existence des autres engagements1274, il existe néanmoins deux hypothèses dans

1269 Cass. 1ère civ., 3 mars 1970 : D. 1970, p. 403, note ETESSE ; Banque 1970, p. 602, obs.

MARIN 1270 A été jugée insuffisamment explicite par rapport à la nature et au montant des obligations

garanties, la mention suivante : « bon pour cautionnement solidaire, à concurrence de la

somme de tous engagements en principal, plus intérêts, commissions et accessoires » (Cass.

1ère civ., 6 février 1980 : JCP 1981, II, 19535, note REMOND-GOUILLOUD ; D. 1980, IR,

p. 418 ; Banque 1980, p. 236, obs. MARTIN ; Cass. 1ère civ., 4 mars 1986 : Bull. civ. I, n°49). 1271 Cass. 1ère civ., 31 mai 1988 : Bull. civ. I, n°163 ; Cass. 1ère civ., 6 mars 2001 : Bull. civ. I,

n°57 ; Cass. 1ère civ., 4 juin 2002 : Bull. civ. I, n°158 ; Cass. com., 1er octobre 2002 : Bull. civ.

I, n°132 ; Cass. 1ère civ., 29 octobre 2002 : Bull. civ. I, n°251.

En raison du parallélisme des formes, l’article 1326 ne devrait pas jouer en présence d’un

mandat sous seing privé donné par une caution personne physique pour conclure un

cautionnement au profit d’un créancier professionnel. Dans cette hypothèse, le mandat devrait

plutôt comporter la mention de l’article L. 341-2 du Code de la consommation (en ce sens, cf.

V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D. 2003, chron., p. 2085 ; L.

AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120,

p. 31 ; J. FRANÇOIS, n°177). 1272 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°377 1273 C. ALBIGES, Le mandat de se porter caution, D. 2002, chron., p. 706 et s., n°20 1274 Cf. supra n°474

Page 322: L'efficacité des garanties personnelles

lesquelles la jurisprudence considère que cette extinction emporte la libération des

cofidéjusseurs.

583. La novation de l’obligation de l’une des cautions. Il en va ainsi, tout

d’abord, en cas de novation de l’obligation de l’une des cautions. En adoptant un

raisonnement syllogistique, la première Chambre civile de la Cour de cassation

décide, depuis 1984, de faire prévaloir les règles de la solidarité passive (article

1281 alinéa 1er du Code civil) sur celles du cautionnement, et donc de libérer les

cofidéjusseurs, à proportion de la part du cofidéjusseur « nové »1275.

584. La remise de dette au profit de l’un des cofidéjusseurs. La libération

peut, ensuite, résulter d’une remise de dette au profit de l’une des cautions

solidaires. La Haute juridiction décide, également depuis 1984, que « lorsque le

créancier, moyennant le paiement d’une certaine somme, a déchargé l’une des

cautions solidaires de son engagement, les autres cautions solidaires ne restent

tenues que déduction faite, soit de la part et portion dans la dette du cofidéjusseur

bénéficiaire de la remise conventionnelle, soit du montant de la somme versée par

ce dernier lorsque cette somme excède sa part et portion »1276.

Paradoxalement, le cautionnement solidaire, en cas de novation ou de remise de

dette assortie d’une contrepartie, est donc moins protecteur des droits du créancier

que le cautionnement simple1277.

585. Le dol du cofidéjusseur. Plus récemment, la Cour de cassation a fondé

la libération de la caution, non pas sur un événement affectant les rapports entre le

créancier et l’une des cautions solidaires, mais sur les rapports personnels entre les

cofidéjusseurs. En effet, elle a décidé que « dans les rapports entre cofidéjusseurs,

le dol peut être invoqué par la caution qui se prévaut de la nullité du cautionnement

lorsqu’il émane de son cofidéjusseur »1278.

Cette solution est directement contraire à la lettre de l’article 1116 du Code

civil et à la jurisprudence rendue en matière de dol du débiteur principal1279. En

1275 « Il résulte de l’article 2021 du Code civil que l’engagement d’une caution solidaire au

regard du créancier se règle par les principes établis pour les dettes solidaires. D’après

l’article 1281 du même code, la novation faite entre le créancier et l’un des débiteurs

solidaires a pour effet de libérer les codébiteurs. Il s’en suit, en l’absence de convention

contraire, que la novation opérée à l’égard des cautions C et F libère leur cofidéjusseur B »

(Cass. 1ère civ., 11 janvier 1984 : Bull. civ. I, n°11).

Antérieurement, la novation restait indifférente à l’égard des cofidéjusseurs, cf. Cass. civ., 18

juillet 1866 : DP 1866, 1, p. 326 ; S. 1866, 1, p. 429. C’est d’ailleurs à cette solution que

semble se rallier la Chambre commerciale de la Cour de cassation, qui décide que « la

novation opérée à l’égard de l’une des cautions n’a pas pour effet de libérer le débiteur

principal et, par suite, pas davantage les autres cautions solidaires, sauf convention

contraire » (Cass. com., 7 décembre 1999 : Bull. civ. IV, n°219). 1276 Cass. 1ère civ., 11 juillet 1984 : Bull. civ. I, n°229 1277 En ce sens, cf. J. MESTRE, Les cofidéjusseurs, Droit et Patrimoine 1998, n°56, p. 78 ; J.

FRANÇOIS, n°367 ; Ph. SIMLER, n°759

Sur le sort d’un cautionnement simple en cas de remise de dette, cf. Cass. 1ère civ., 23 juin

1992 : Bull. civ. I, n°192 1278 Cass. com., 29 mai 2001 : Bull. civ. IV, n°100 1279 Cf. supra n°477

Page 323: L'efficacité des garanties personnelles

consacrant ainsi un « dol à géométrie variable »1280, la Haute juridiction fragilise

très profondément le cautionnement, puisqu’elle prive le créancier de tout droit

contre la caution, alors même qu’il n’est en rien à l’origine de l’erreur de celle-ci sur

la situation du débiteur. Le souci de moralisation des rapports entre

cofidéjusseurs1281 l’emporte donc sur la fonction de garantie du cautionnement.

Les attentes du créancier sont également remises en cause lorsque les juges

confèrent à la règle de l’accessoire une portée très large afin de décharger

complètement la caution.

2. L’extinction par voie accessoire

586. Le caractère accessoire renforcé est souvent présenté comme le talon

d’Achille, le vice congénital du cautionnement. La multiplication des causes de

libération de la caution découlant de l’unicité d’objet entre l’obligation de règlement

de cette dernière et l’obligation principale serait, ainsi, la principale cause

d’inefficacité du cautionnement. Dans la mesure où tous les créanciers connaissent

cette caractéristique essentielle du cautionnement, le risque d’extinction par voie

accessoire fait partie des prévisions contractuelles. Ce n’est donc pas tant le

caractère accessoire renforcé lui-même qui porte atteinte à l’efficacité du

cautionnement que, d’une part, la conception extensive qu’en retient la

jurisprudence (a) et, d’autre part, son application au moment où l’insolvabilité du

débiteur principal est avérée, c'est-à-dire lorsque celui-ci est soumis à une procédure

collective (b).

a. L’interprétation extensive du caractère accessoire renforcé du cautionnement

587. Afin de protéger les cautions, la jurisprudence confère une très large

portée à la règle de l’accessoire. Non seulement les juges interprètent restrictivement

l’exception à la règle de l’accessoire figurant à l’article 2012 alinéa 2 du Code civil,

mais ils font aussi produire à cette règle des effets qui n’en sont pas des

conséquences nécessaires.

588. L’interprétation restrictive de la dérogation légale au caractère

accessoire renforcé (article 2012 alinéa 2 du Code civil). Tout d’abord, au titre

des exceptions purement personnelles au débiteur principal, que l’article 2012 alinéa

2 interdit aux cautions d’invoquer, la jurisprudence retient les causes d’incapacité.

Comme la minorité n’est citée qu’à titre d’exemple par ce texte, l’analogie avec

d’autres causes d’incapacité se trouve autorisée par la loi1282. Est donc valable le

cautionnement d’un majeur incapable, même si celui-ci a contracté la dette garantie

sans être assisté de son curateur ou sans être représenté par son tuteur.

La dérogation au caractère accessoire renforcé, en présence d’une cause

d’incapacité1283, quelle qu’elle soit, ne s’explique pas par la volonté de protéger les

1280 P. CROCQ, obs. sous Cass. com., 29 mai 2001, RTD civ. 2003, p. 322 1281 En ce sens, cf. F. BUY, Le dol du cofidéjusseur (à propos de Cass. com., 29 mai 2001),

Droit et patrimoine 2002, n°101, p. 22 1282 Sur l’exemplarité comme « une analogie autorisée et assistée », cf. G. CORNU, Le règne

discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 133 et 134 1283 La Chambre commerciale de la Cour de cassation (Cass. com., 29 octobre 2002 : RJDA

3/2003, n°315) a précisé que l’état de cessation des paiements de l’entreprise débitrice ne

constitue pas une cause d’incapacité.

Page 324: L'efficacité des garanties personnelles

intérêts des créanciers, mais par le souci de faciliter l’accès au crédit des

incapables1284. Cette ratio legis conduit la jurisprudence à limiter les exceptions

purement personnelles au débiteur aux seules causes d’incapacité.

Les vices frappant le consentement du débiteur peuvent ainsi être opposés par

la caution au créancier. Pourtant, en ce que ces vices « affectent ce que chaque

individu a de plus personnel et de plus intime : sa liberté de décision »1285, ils

auraient pu être qualifiés d’exceptions purement personnelles au débiteur principal,

comme ils le sont, d’ailleurs, en application de l’article 1208 du Code civil.

Peut également être invoqué par la caution, le défaut de pouvoir du débiteur

principal. Après avoir refusé l’annulation du cautionnement dans l’hypothèse du

défaut de pouvoir du représentant de la société ayant conclu le contrat principal1286,

la Cour de cassation a en effet refusé d’assimiler cette hypothèse à celle de

l’incapacité. Elle fait donc application de l’article 2012 alinéa 1er1287, alors que le

défaut de pouvoir ne répond manifestement pas à l’idée d’exception inhérente à la

dette, et elle justifie sa solution en relevant que la sanction du défaut de pouvoir

réside dans une nullité absolue fondée sur l’ordre public1288, ce qui est également

contestable.

Au nom de la protection des intérêts de la caution, la jurisprudence adopte ainsi

une lecture restrictive de la dérogation légale au caractère accessoire du

cautionnement.

589. La volonté des parties au contrat de base est sans influence sur

l’extinction par voie accessoire du cautionnement. Dans cette même optique de

protection de la caution, la jurisprudence s’oppose à ce que l’extinction réflexe du

cautionnement ne soit paralysée par la volonté des parties au contrat de base. Le

créancier ne peut donc pas empêcher la libération de la caution, consécutive à la

défaillance de la condition suspensive assortissant le contrat principal, en renonçant

à cette condition1289. Un accord entre le créancier et le débiteur principal, par lequel

ils renoncent à la réalisation d’une condition, est pareillement insusceptible de

remettre en cause la libération de la caution1290. Sont encore inopposables à celle-ci

les renonciations du seul débiteur principal à des causes d’extinction de sa dette,

telles que la prescription1291 ou la compensation légale1292.

1284 En ce sens, cf. A. SCHNEIDER, Des exceptions que la caution peut opposer au

créancier. Pour un retour aux sources, JCP 2002, I, 121 ; J. FRANÇOIS, n°188 ; Ph.

MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°139 ; Ph. SIMLER, n°219 1285 Ph. SIMLER, n°218 1286 Cass. 1ère civ., 27 avril 1976 : Bull. civ. I, n°141 1287 Cass. com., 25 novembre 1980 : Bull. civ. IV, n°394 ; Cass. 1ère civ., 20 octobre 1987 :

Bull. civ. I, n°269 1288 Ch. Mixte 25 novembre 1980 : Defrénois 1981, article 56326, p. 1274, obs. J.V. ; Ch.

Mixte 10 juillet 1981 : Bull. civ. Ch. Mixte n°7 ; D. 1981, p. 367, concl. CABANNES 1289 Cass. 1ère civ., 12 juin 1990 : Bull. civ. I, n°158 1290 Cass. 1ère civ., 29 avril 1997 : Bull. civ. I, n°133 1291 La renonciation du débiteur principal à la prescription n’aboutit pas à faire renaître

l’obligation (Cass. req., 2 février 1886 : S. 1887, 1, p. 5, 2e espèce, note LABBE ; DP 1886, 1,

233 ; Cass. civ., 18 mars 1895 : DP 1895, 1, p. 367 ; S. 1896, 1, p. 28). La caution peut

toujours invoquer la prescription extinctive de l’obligation principale, même si le débiteur a

négligé de le faire et s’est laissé condamner (Cass. com., 19 novembre 1996 : Bull. civ. IV,

n°276).

Page 325: L'efficacité des garanties personnelles

Par ailleurs, en cas d’inaction du débiteur, la jurisprudence admet que la

caution puisse prendre l’initiative de demander la résolution du contrat principal1293

ou encore sa nullité relative1294.

590. Menacée par la conception jurisprudentielle hyperbolique du caractère

accessoire renforcé, l'efficacité du cautionnement l’est également par la primauté de

ce caractère accessoire sur la fonction de garantie, au moment où celle-ci est la plus

attendue, c'est-à-dire lors de l’ouverture d’une procédure collective contre le

débiteur principal.

b. La primauté du caractère accessoire renforcé

en cas de procédure collective de paiement contre le débiteur principal

591. L’exception de forclusion pour défaut de déclaration de la créance.

Lorsque l’entreprise débitrice fait l’objet d’une procédure collective, la libération

par voie accessoire de la caution peut résulter du défaut de déclaration de la créance

dans cette procédure1295.

Avant 1984, la Cour de cassation décidait que le créancier ne commettait

aucune faute en ne déclarant pas sa créance avant de poursuivre la caution, et elle

refusait de libérer celle-ci1296.

Dans un arrêt du 19 juin 1984, la Chambre commerciale a opéré un revirement

de jurisprudence, en affirmant que l’extinction de la créance, par suite du défaut de

production dans le délai légal, constitue une exception inhérente à la dette opposable

par la caution au créancier1297. Sous l’empire la loi du 13 juillet 1967, « la forclusion

1292 Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV, n°181 1293 Cass. com., 30 novembre 1982 : Bull. civ. IV, n°384 ; Cass. 1ère civ., 20 décembre 1988 :

Bull. civ. I, n°368 1294 Par dérogation au principe selon lequel seule la personne protégée peut se prévaloir de la

nullité relative, il est admis qu’en cas d’abstention du débiteur principal, la caution peut

exercer cette action en nullité. La jurisprudence n’a pas encore eu l’occasion de décider si la

caution peut encore invoquer la nullité relative, lorsque celle-ci a fait l’objet d’actes positifs

de confirmation. La doctrine est divisée sur cette question (cf. COUTURIER, La confirmation

des actes nuls, LGDJ, 1972, n°51 ; Ch. MOULY, th préc., n°210 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°61 ; J. FRANÇOIS, n°184 ; D. LEGEAIS, n°130 ; Ph. MALAURIE et L.

AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°129 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par

Y. PICOD, n°21 ; S. PIEDELIEVRE, n°52 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°75 ; Ph.

SIMLER, n°231). Tout dépend de la portée que l’on souhaite conférer, d’une part, à l’article

1338 alinéa 3 du Code civil, d’autre part, à la règle de l’accessoire. 1295 La loi n°2003-710 du 1er août 2003 d’orientation et de programmation pour la ville et la

rénovation urbaine impose aux créanciers de déclarer leur créance suite à l’ouverture de la

procédure de liquidation judiciaire du patrimoine personnel du débiteur surendetté. Le nouvel

article L. 332-7 du Code de la consommation précise que le non respect du délai, qui sera fixé

par un décret en Conseil d’Etat, entraînera l’extinction des créances, sauf aux créanciers à

obtenir du juge de l’exécution un relevé de forclusion. Il est plus que probable que les juges

retiendront, comme en matière de procédure collective, que l’extinction de la créance pour

défaut de déclaration dans cette procédure de surendettement emportera l’extinction par voie

accessoire de la dette de la caution. 1296 Cass. com., 4 octobre 1972 : Bull. civ. IV, n°231 ; Cass. 1ère civ., 4 juillet 1979 : Bull. civ.

I, n°200 ; Cass. com., 16 novembre 1982 : Bull. civ. IV, n°353 ; Cass. com., 16 février 1983 :

Bull. civ. IV, n°68 1297 Cass. com., 19 juin 1984 : Bull. civ. IV, n°198

Page 326: L'efficacité des garanties personnelles

étant peu appliquée et souvent pardonnée »1298, cette solution ne se traduisait pas

trop souvent par la libération de la caution1299. Il en va tout autrement en application

de l’article 53 de la loi du 25 janvier 1985 (article L. 621-46 du Code de commerce).

La jurisprudence a confirmé, en 1990, que l’extinction prévue par le 4e alinéa

de ce dernier texte constitue une exception inhérente à la dette, que la caution peut

invoquer pour être entièrement déchargée1300. Mais, comme les conditions de la

forclusion sont plus facilement réunies sous l’empire de la loi de 1985, la solution de

la Cour de cassation se révèle beaucoup plus nuisible aux intérêts des créanciers.

592. L’extinction du cautionnement pour défaut de déclaration : un

facteur d’inefficacité essentiel. Les créanciers ressentent d’autant plus durement la

libération de la caution que la défaillance de leur débiteur est consommée. Priver les

créanciers de leur garantie au moment où, par définition, ils en ont le plus besoin,

s’avère particulièrement contraire à l’objectif d’efficacité. Quand on sait que le délai

pour déclarer sa créance est très bref, qu’il court très tôt, et que, par ailleurs, les

conditions d’un relevé de forclusion sont très restrictives, l’extinction du

cautionnement pour défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du

débiteur apparaît comme « un moyen de spoliation des créanciers …(comme) une

chausse-trappe pour les créanciers de bonne foi »1301. Il se peut, en effet, que « des

créanciers mal informés des conséquences du défaut de déclaration se soient

abstenus de s’y soumettre en raison d’une quasi-certitude de la vanité de leur

démarche, le débiteur étant notoirement insolvable »1302. Quelle que soit la raison de

l’absence de déclaration, elle est donc considérée par la jurisprudence comme une

cause de libération de la caution par voie accessoire.

Les juges font primer d’autant plus nettement le caractère accessoire du

cautionnement sur sa fonction de garantie, qu’ils reconnaissent à cette cause

d’extinction un champ d’application très étendu. En effet, ils décident que l’absence

de vérification des créances ne dispense pas les créanciers de leur obligation de

déclaration1303. Par ailleurs, les créances déclarées une première fois à l’occasion du

redressement judiciaire doivent faire l’objet d’une seconde déclaration dans la

procédure de liquidation, à défaut de quoi elles s’éteignent, ainsi que le

cautionnement, par voie accessoire1304. En outre, la jurisprudence assimile à

l’absence de déclaration, la déclaration tardive sans relevé de forclusion, le rejet de

la déclaration1305 et la déclaration irrégulière, faite par une personne non habilitée à

1298 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°305 1299 La libération de la caution, sous l’empire de la loi de 1967, supposait remplies deux

conditions : l’absence de clause de retour à meilleure fortune (une telle absence était rarissime

devant le caractère de clause de style d’une telle disposition) et l’exécution totale du

concordat (ce que la pratique a rarement démontré). Cf. Cautionnement et redressement

judiciaire des entreprises, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E.,

Cahier droit des entreprises 2-92, p. 9 et s. 1300 Cass. com., 17 juillet 1990 : Bull. civ. IV, n°214 et 215 1301 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°220 et 305 1302 Ph. SIMLER, n°723 1303 Cass. com., 23 novembre 1999 : Bull. civ. IV, n°208 1304 Cass. com., 6 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°362 ; Cass. com., 23 juin 1998 : RTD com.

1999,

p. 502, obs. MARTIN-SERF 1305 Cass. com., 19 octobre 1993 : Bull. civ. IV, n°351

Page 327: L'efficacité des garanties personnelles

représenter le créancier. La jurisprudence se montre très exigeante relativement aux

conditions de la représentation et elle augmente, ce faisant, les risques de forclusion

des créanciers, et donc de décharge intégrale de la caution1306.

593. Lorsque le débiteur est placé en redressement judiciaire, la primauté du

caractère accessoire du cautionnement sur sa fonction de protection des intérêts

financiers des créanciers compromet donc gravement l’efficacité de cette sûreté.

En dehors de toute procédure collective, la jurisprudence a également tendance

à adopter une interprétation extensive du caractère accessoire du cautionnement. La

libération des cautions par voie accessoire se trouve par conséquent favorisée.

La libération par voie principale, qu’elle repose sur une interprétation extensive

des articles 2015 ou 1326 du Code civil, ou sur l’existence d’une pluralité de

cautionnements solidaires, est pareillement encouragée par les juges.

Si la jurisprudence n’hésite pas à décharger la caution, dans l’oubli de la

fonction de garantie du cautionnement, elle hésite encore moins, d’une part, à

réduire le montant de l’obligation de règlement de la caution (en raison du défaut de

preuve d’un engagement exprès ou de l’extinction de l’obligation de couverture) et,

d’autre part, à déterminer le moment de l’exécution de la caution dans un souci de

protection des intérêts de celle-ci.

La politique légale et jurisprudentielle de protection de la caution ne se

manifeste pas qu’à travers l’allégement, voire l’extinction de l’obligation de

règlement. Elle se concrétise également par les contraintes mises à la charge des

créanciers.

§2 : LES CONTRAINTES EXCESSIVES

IMPOSEES AUX CREANCIERS

594. Les contraintes imposées aux créanciers, sur le fondement de l’éthique

contractuelle, peuvent être utiles à l’efficacité du cautionnement1307. En revanche,

1306 La déclaration est considérée comme irrégulière à défaut de pouvoir identifier son

signataire et donc de pouvoir vérifier l’existence, à son profit, d’une délégation de pouvoirs

suffisante (Cass. com., 27 octobre 1998 : RJDA 12/1998, n°1387, 1ère espèce). S’agissant des

déclarations opérées par un préposé, elles nécessitent une délégation de pouvoirs, qui ne peut

pas être implicitement établie par la fonction du déclarant (Cass. com., 4 juillet 2000 : RJDA

1/2001, n°48, 1ère espèce), et qui ne peut pas résulter des seules attestations du secrétaire

général et du responsable de la direction juridique (CA Amiens, 8 septembre 2003 : RD

bancaire et financier 2004, n°11, obs. LEGEAIS). S’agissant des déclarations confiées à un

mandataire, elles ne sont régulières que si celui-ci bénéficie d’un pouvoir spécial (Cass. com.,

13 avril 1999 : RJDA 11/1999, n°1227 ; Cass. com., 5 novembre 2003 : RD bancaire et

financier 2004, n°11, obs. LEGEAIS), à moins qu’il ne s’agisse d’un avocat, qui est dispensé

d’en justifier. Un écrit doit apporter la preuve du mandat (Cass. com., 17 décembre 1996 :

Bull. civ. IV, n°313), et il doit être produit dans le délai même de la déclaration. Une

régularisation ultérieure est inefficace (Cass. com., 27 octobre 1998 : RJDA 12/1998, n°1387,

1ère espèce). La jurisprudence refuse qu’il soit supplée au mandat spécial et écrit au moyen

d’un commencement de preuve par écrit complété par d’autres éléments (Cass. Ass. Plén., 26

janvier 2001 : Bull. Ass. Plén., n°1). La Cour de cassation a décidé aussi que les juges du fond

doivent rechercher si la signature de la déclaration, précédée de la mention P/O (pour ordre),

est bien celle de la personne habilitée à procéder à cette déclaration (Cass. 1ère civ., 1er avril

2003 : D. 2003, AJ, p. 1292 ; RJDA 10/2003, n°1020 ; RD bancaire et financier 2003, n°137,

obs. LEGEAIS).

Page 328: L'efficacité des garanties personnelles

les contraintes ayant pour finalité la protection de la caution, réputée faible du seul

fait de cette qualité, et les contraintes dont les modalités provoquent l’apparition de

facteurs d’inefficacité, tels que le refus d’exécution du garant ou l’augmentation du

coût de la protection du créancier, sont excessives au regard de l’objectif d’efficacité

du cautionnement. Les contraintes mises à la charge des créanciers peuvent être des

facteurs d’inefficacité, en raison de leur principe même (A), de leurs modalités (B),

ou de leur sanction (C).

A/ LE PRINCIPE MEME DES CONTRAINTES

595. Lorsque la loi ou les juges imposent aux créanciers de se préoccuper des

intérêts de leur garant, soit en les obligeant à faciliter l’exécution de la prestation de

celui-ci, soit en les dissuadant d’adopter des comportements prédateurs, la protection

du garant n’est qu’incidente. C’est l’impératif d’éthique contractuelle qu’ils

cherchent avant tout à promouvoir. Le respect de cet ordre de priorité rend plus sûre

l’efficacité des garanties personnelles.

Au contraire, lorsque des contraintes sont imposées aux créanciers dans le but

principal de protéger des cautions réputées en danger, le principe même des

contraintes heurte la fonction de garantie du cautionnement et menace, par

conséquent, l’efficacité de celui-ci. Sont excessives, pour cette raison, les contraintes

sociétaires inscrites dans les articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce

(1), ainsi que les obligations conventionnelles découvertes par les juges allant bien

au-delà de la tempérance et de la solidarité que commande l’impératif d’éthique

contractuelle (2).

1. Les contraintes sociétaires

596. L’exigence d’autorisation du cautionnement donné par une société

anonyme (articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce). Par dérogation

au principe de plénitude des pouvoirs des représentants sociaux, le cautionnement

donné par une société anonyme doit être autorisé par le conseil d’administration

(article L. 225-35 du Code de commerce) ou par le conseil de surveillance (article L.

225-68 du Code de commerce).

La justification habituellement donnée à cette procédure d’habilitation est la

nécessité de tempérer les pouvoirs exorbitants du président du conseil

d’administration et de soumettre au contrôle de l’organisme collégial des

engagements susceptibles de présenter un danger pour la personne morale.

L’exigence d’autorisation protège donc directement les intérêts de la société caution,

en dehors de toute déloyauté du créancier, et elle ne répond pas à l’impératif

d’éthique contractuelle. Par conséquent, cette contrainte sociétaire est contraire à la

fonction de garantie du cautionnement.

Elle est également contestable parce qu’il lui « manque une juste raison

d’être »1308. Tout d’abord, le dispositif institué par la loi de 1966 « ne se justifie, ni

par un important contentieux antérieur, ni par une tradition »1309, et il n’a pas

d’équivalent dans la plupart des législations voisines. Ensuite, rien ne justifie de

1307 Sur les contraintes utiles à l’efficacité du cautionnement, cf. supra n°407-416 1308 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°121 1309 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°121

Page 329: L'efficacité des garanties personnelles

protéger les sociétés anonymes plus que d’autres cautions. Les cautionnements

donnés par ces personnes morales pourraient même être moins encadrés que ceux

souscrits par d’autres sociétés, puisque les associés bénéficient d’une limitation de

responsabilité que l’on ne retrouve pas dans toutes les formes de groupement. Enfin,

le manque de justification tient au fait que des actes tout aussi dangereux que le

cautionnement, notamment les sûretés réelles, sont librement consentis par le

président directeur général.

Alors même que le besoin de protection de la société anonyme accordant sa

garantie à un tiers est donc très discutable, le législateur oblige les créanciers à

obtenir l’autorisation du conseil d’administration ou de surveillance au nom de cette

protection et leur impose, par là même, une contrainte dont la finalité est contraire à

la fonction de garantie du cautionnement1310.

597. Contrainte injustifiée, injuste pour le créancier qui peut se voir opposer la

négligence de la société caution, et incompatible avec la fonction de garantie du

cautionnement, l’exigence d’autorisation n’est pas la seule qui soit excessive dans

son principe même. Ce reproche peut également être adressé aux obligations

conventionnelles implicites outrepassant les exigences de l’impératif d’éthique

contractuelle.

2. Les obligations conventionnelles implicites

excédant l’impératif d’éthique contractuelle

598. Les excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle. L’impératif

d’éthique contractuelle impose des limites au déploiement de l’individualité des

créanciers. Il exige, négativement, que ceux-ci ne profitent pas de leur situation de

force pour exploiter le garant et, positivement, qu’ils facilitent l’exécution de ce

dernier. La tempérance des créanciers et la solidarité entre les contractants sont les

deux versants de l’impératif d’éthique contractuelle1311. Si les créanciers sont soumis

à des obligations exprimant l’une de ces deux exigences de l’éthique contractuelle,

l’efficacité du cautionnement n’est pas menacée, dès lors, toutefois, que les

modalités de ces obligations ne compromettent pas certains facteurs d’efficacité et

ne facilitent pas l’apparition de certains facteurs d’inefficacité.

Si, au contraire, sont mises à la charge des créanciers des obligations qui

excèdent ce qui est nécessaire au respect de l’impératif d’éthique contractuelle,

l’efficacité du cautionnement se trouve compromise, quelles que soient les modalités

de ces contraintes, car c’est leur principe même qui se révèle alors contraire à la

fonction de garantie du cautionnement.

599. La responsabilité pour octroi excessif ou rupture abusive de crédit. Il

en va tout d’abord ainsi lorsque les juges découvrent à la charge des créanciers, non

pas seulement un devoir de tempérance, qui impose de limiter l’octroi de crédit et le

montant de la garantie aux facultés financières respectives du débiteur principal et

de la caution, mais une véritable obligation de ne pas distribuer ou de ne pas retirer

1310 Certains juges du fond n’hésitent pas à mettre en avant les travers des contraintes

sociétaires. La Cour d’appel de Riom (CA Riom, 29 janvier 2003 : RD bancaire et financier

2003, n°228, obs. CERLES) a ainsi relevé « qu’admettre une telle opposabilité (de la nullité

de l’autorisation) permettrait à la caution autorisée de se ménager une possibilité d’échapper

à son engagement en le faisant volontairement précéder d’une autorisation irrégulière ». 1311 Cf. supra n°146-161

Page 330: L'efficacité des garanties personnelles

du crédit, alors même que la situation du débiteur n’est pas encore désespérée1312.

Chaque fois que la responsabilité du banquier est engagée pour octroi excessif de

crédit, ou pour rupture brutale de crédit, sans que ne soit exigée une situation

irrémédiablement compromise du débiteur, ce n’est pas un abus du créancier qui est

sanctionné, mais seulement une imprudence1313. En considérant comme fautif

« l’octroi imprudent de financements à un débiteur dont la situation est fragile »1314,

la Cour de cassation va bien au-delà de ce qu’exige l’impératif d’éthique

contractuelle et, plus précisément, le devoir de tempérance qui en découle. Elle

compromet, ce faisant, l’efficacité du cautionnement.

600. Devoir de conseil. Un même constat peut être formulé lorsque les juges

retiennent la responsabilité du créancier pour manquement au devoir de conseil à

l’égard de la caution. Si l’impératif d’éthique contractuelle exige que les

contractants se montrent solidaires l’un envers l’autre, c'est-à-dire renseignent leur

partenaire sur tout ce qui est susceptible de faciliter ou, au contraire, d’entraver

l’exécution de sa prestation, il n’impose pas aux créanciers de conseiller la caution

sur l’opportunité de son engagement et de s’abstenir, le cas échéant, de recevoir le

cautionnement.

Alors que la Cour de cassation refusait traditionnellement de faire peser sur les

créanciers un devoir de conseil à l’égard de la caution1315, elle paraît aujourd'hui plus

favorable à l’admission de ce devoir et aux obligations qui lui sont dérivées, à savoir

celle de se renseigner avant de conseiller et celle de refuser éventuellement le

cautionnement1316. Sans reconnaître expressément ce devoir de conseil envers la

caution1317, la Haute juridiction retient la responsabilité du créancier ayant sollicité

un cautionnement alors que l’opération cautionnée n’était pas économiquement

viable1318. Cette responsabilité vient ici sanctionner le manquement du créancier à 1312 Sur ce glissement des exigences de l’éthique contractuelle vers ses excroissances, cf. C.

WILLEMS, De la mise en garde à la dissuasion contractuelle, Droit et patrimoine 2002,

n°109, p. 32 et s. 1313 Cass. com., 18 novembre 1997 : Juris-Data n°004772 (hypothèse du soutien ruineux au

débiteur) ; Cass. com., 17 novembre 1998 : Juris-Data n°004553 (hypothèse de la rupture

brutale de crédit). La Cour de cassation s’est contentée du fait que les comptes du débiteur

étaient chroniquement débiteurs et ses résultats d’exploitation décevants. 1314 Cass. com., 24 janvier 1989 : Lexilaser n°87-14 638 1315 Cass. com., 7 avril 1992 : Bull. civ. IV, n°148 ; Cass. 1ère civ., 13 février 1996 : Bull. civ.

I, n°78 1316 Sur la notion d’obligation de conseil et les obligations qui lui sont dérivées, cf.

notamment

P. CROCQ, Les développements récents de l’obligation d’information de la caution,

Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 349 et s. ; A. GOURIO, La responsabilité civile du

prêteur au titre de l’octroi d’un crédit à un particulier, RD bancaire et financier 2001, p. 51 et

s. ; D. LEGEAIS, L’obligation de conseil de l’établissement de crédit à l’égard de

l’emprunteur et de sa caution, Mélanges AEDBF, Banque éditeur 1999, p. 257 et s. ; M.

TCHENDJOU, L’alourdissement du devoir d’information et de conseil du professionnel, JCP

2003, I, 141 1317 Il n’est pas permis de considérer que la Cour de cassation consacre un devoir de conseil

lorsqu’elle casse un arrêt pour manque de réponse à conclusions sur l’obligation de loyauté du

créancier (Cass. 1ère civ., 8 juillet 2003 : D. 2003, AJ, p. 2308, obs. AVENA-ROBARDET). 1318 Cass. com., 23 juin 1998 : Bull. civ. IV, n°208 : le crédit-bailleur « qui ne pouvait ignorer

l’absence totale de viabilité de l’opération, a commis une faute en sollicitant le

Page 331: L'efficacité des garanties personnelles

son obligation de déconseiller à la caution la souscription de la garantie, voire à son

obligation de refuser la conclusion de la sûreté envisagée.

La reconnaissance implicite du devoir de conseil paraît excessive au regard de

l’objectif d’efficacité du cautionnement. « Aider l’autre partie dans ses choix,

l’inciter à agir au mieux de ses intérêts, orienter sa décision en opportunité »1319, au

point de se priver de la conclusion du contrat projeté, dépasse l’exigence de

solidarité entre les contractants. Le devoir de conseil, dans son principe même,

menace l’efficacité du cautionnement, puisqu’il n’est pas sous-tendu par l’impératif

d’éthique contractuelle, mais par la volonté de protéger directement les intérêts de la

caution.

Dans d’autres hypothèses, ce n’est pas le principe même des contraintes mises à

la charge des créanciers qui heurte la fonction de garantie du cautionnement, mais

leurs modalités.

B/ LES MODALITES DES CONTRAINTES

601. Les obligations d’informer la caution et de ne pas compromettre les

recours de celle-ci contre le débiteur principal constituent des contraintes dont le

principe même est compatible avec l’objectif d’efficacité du cautionnement1320.

Dans le choix de leurs modalités, il arrive cependant que le législateur et les juges

soient davantage guidés par le souci de protéger directement les intérêts des cautions

que par celui de faire respecter l’impératif d’éthique contractuelle. Ce faisant, les

contraintes en question produisent des facteurs d’inefficacité.

L’information de la caution par le biais d’un formalisme direct et indirect ne

rend pas plus sûre l’exécution de la caution et encourage plutôt celle-ci à contester

son engagement (1). L’interprétation jurisprudentielle extensive des articles L. 313-

22 du Code monétaire et financier et 2037 du Code civil augmente le coût de la

protection des créanciers et bouleverse les prévisions extrinsèques et intrinsèques

des parties (2). Enfin, l’absence ou la mauvaise prise en compte de la qualité du

bénéficiaire et du débiteur des contraintes accroît inutilement le coût de la protection

des créanciers (3).

1. Le formalisme informatif

602. En donnant de l’intensité au consentement de la caution, les risques de

contestation de la garantie, lors de sa mise en œuvre, sont réduits1321. L’information

de la caution sur la nature et l’étendue de son engagement est, non seulement une

exigence de l’impératif d’éthique contractuelle, mais aussi un facteur d’efficacité1322.

cautionnement et en incitant (les cautions) à se méprendre sur les risques réels de leur

engagement ». 1319 A. GOURIO, art. préc., p. 51 1320 Cf. supra n°408, 414 1321 En ce sens, cf. L. AYNES, Les garanties du financement, Defrénois 1986, article 33779,

p. 909 et s., n°5 : « le mal, généralement, tient à la légèreté du consentement. Aveuglée par

l’instant, la caution veut ignorer l’avenir. Ce qu’il faudrait, c’est donner du poids, une

intensité à son consentement ». 1322 Sur les facteurs favorisant l’exécution volontaire du garant, cf. supra n°69-78

Néanmoins, il convient de reconnaître que l’information de la caution peut rester sans

conséquence sur l’intensité de son consentement, en présence d’un besoin impérieux de crédit

Page 332: L'efficacité des garanties personnelles

Il convient cependant de remarquer que certains modes d’information, loin de

favoriser la protection directe des intérêts des créanciers et la protection incidente de

ceux de la caution, sont sources de contestations, et donc d’inefficacité du

cautionnement. C’est le cas du formalisme informatif, dans ses deux dimensions.

603. Le formalisme indirect. Le « formalisme indirect »1323 réside, d’une

part, dans la fourniture à la caution d’une copie de l’offre de prêt1324 ou d’un

exemplaire du contrat de location1325 et, d’autre part, dans les délais de réflexion

laissés à la caution garantissant un crédit immobilier (10 jours) ou un crédit à la

consommation (7 jours)1326.

Il est douteux que la communication de l’offre de prêt à la caution améliore son

consentement et diminue, de ce fait, les risques de contestation. En effet, ces offres

sont hermétiques à la compréhension des profanes. La seule lecture des tableaux

d’amortissement ne permet pas de prendre conscience de la réalité économique et du

risque concret de non paiement du débiteur1327.

Par ailleurs, l’information sur la dette principale est surtout pertinente lorsque

le cautionnement est indéfini, c'est-à-dire dépourvu de limitation propre, car, dans ce

cas, le montant dû par la caution est calqué sur celui de la dette principale. Or,

l’article L. 313-7 du Code de la consommation exige que le cautionnement d’un

crédit à la consommation ou d’un crédit immobilier comporte un plafond. Le

formalisme indirect paraît ainsi inadapté pour donner plus de poids au consentement

de la caution1328. Il ne fait qu’alourdir les contraintes pesant sur les créanciers et

offrir aux cautions de nouveaux moyens de défense.

ou de logement en la personne d’un proche. Dans une telle hypothèse, la caution donne sa

garantie, quelles que soient les conditions et la portée de son engagement, et la multiplication

des mentions informatives est impuissante à dissuader de la souscription d’une obligation. 1323 S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la consommation, Droit et Patrimoine

1997, p. 59 1324 Article L. 311-8 du Code de la consommation (en matière de crédit à la consommation).

Article L. 312-7 du Code de la consommation (en matière de crédit immobilier).

Cass. 1ère civ., 10 décembre 2002 (Contr., conc., consom. 2003, n°96, note RAYMOND) : la

preuve que l’envoi à la caution de l’offre préalable de crédit a été faite par voie postale

(comme l’exige l’article L. 312-7 du Code de la consommation) appartient à l’établissement

de crédit. 1325 Article 22-1 alinéa 3 in fine de la loi du 6 juillet 1989 (issu de la loi du 21 juillet 1994). 1326 Sur le délai de réflexion en matière de crédit immobilier, cf. l’article L. 312-10 du Code

de la consommation, et en matière de crédit à la consommation, cf. l’article L. 311-15 du

Code de la consommation. 1327 En ce sens, cf. M. BEHAR-TOUCHAIS, Le banquier et la caution face à la défaillance

du débiteur, RTD civ. 1993, p. 737 et s., n°2 ; A. LEPAGE, Les paradoxes du formalisme

informatif, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz,

2004, p. 597 et s. ; S. PIEDELIEVRE, art. préc., p. 59 1328 Sur l’inefficacité du formalisme informatif à l’égard du consommateur emprunteur, cf. J.

STOUFFLET, Propos non conformistes sur la protection du consommateur emprunteur,

Mélanges Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 287 et s., n°19 : « que ce soit l’effet d’une

insuffisante réflexion ou d’une inaptitude à exploiter l’information reçue ou encore de

l’incapacité à estimer correctement ses capacités financières, nombre d’emprunteurs se

placent dans des situations financières désastreuses. En témoigne l’appel croissant à la

procédure de traitement du surendettement ».

Page 333: L'efficacité des garanties personnelles

604. Le formalisme direct. Le « formalisme direct », quant à lui, consiste

dans les mentions manuscrites que la loi impose, à peine de nullité du

cautionnement.

Dans les cautionnements sous seing privé conclus entre une caution personne

physique et un créancier professionnel, le formalisme est extrêmement rigide,

puisque la mention ne peut être que celle prévue par l’article L. 341-2 du Code de la

consommation1329. Le but du législateur a été de rendre « la formule type de

cautionnement prévue par la loi exclusive de toute autre »1330. « Un formalisme

aussi pointilleux ne peut que susciter de nouveaux contentieux, aucun pouvoir

d’appréciation ne pouvant être reconnu au juge »1331. Cette rigueur est d’autant plus

regrettable que la mention imposée par la loi Neiertz et recopiée par la loi du 1er août

2003 est loin d’être compréhensible par tous. Il est « assez téméraire de penser que

le non professionnel du droit (et peut-être aussi le professionnel) puisse savoir ce

qu’il exprime en disant qu’il renonce au bénéfice de discussion et au bénéfice de

division »1332. Par conséquent, la protection du consentement de la caution semble

illusoire et les bénéfices du formalisme informatif direct, en termes d’efficacité, le

sont tout autant.

Dans le cadre des cautionnements de baux d’habitation, la mention manuscrite

n’est pas prédéterminée par la loi. Le risque de contestation ne procède donc pas de

l’omission ou de la modification des mots prescrits par le législateur. Il s’explique

par le fait que l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 exige que la mention exprime

« de façon explicite et non équivoque la connaissance qu’elle a de la nature et de

l’étendue de l’obligation qu’elle contracte ». Une telle exigence incite à la chicane

sur le caractère suffisamment explicite de la mention1333, comme en atteste le

contentieux sur l’application de l’article 1326 du Code civil au cautionnement d’un

1329 Cette mention est la même que celle imposée par l’article L. 313-7 du Code de la

consommation dans le domaine du cautionnement de crédit à la consommation ou immobilier.

Les deux textes présentent un haut degré d’impérativité puisqu’il y est précisé que la mention

manuscrite doit être « uniquement » celle édictée par le législateur. Il est heureux,

néanmoins, que la Cour de cassation admette des différences qui « n’affectent, ni le sens, ni la

portée de la mention manuscrite prescrite par l’article L. 313-7 du Code de la

consommation » (Cass. 1ère civ., 9 novembre 2004 : Bull. civ. I, n°254, au sujet de l’omission

de la conjonction de coordination « et » entre, d’une part, la formule définissant le montant et

la teneur de l’engagement, d’autre part, celle relative à la durée de celui-ci). 1330 J.O Déb. Ass. Nat. 7 décembre 1989, p. 6152 1331 Ph. SIMLER, Prévention et dispositif de protection de la caution, LPA 10 avril 2003,

n°72, p. 21 ; Ph. SIMLER, n°259. Dans le même sens, cf. S. PIEDELIEVRE, n°66 1332 H. DAVO, Formalisme bancaire et protection du consommateur, Liber amicorum J.

Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 329 et s. ; S.

PIEDELIEVRE, Les modifications apportées à certains cautionnements par la loi du 31

décembre 1989, Gaz. Pal. 1990, 1, 157. Dans le même sens, cf. S. PIEDELIEVRE, La

réforme de certains cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative

économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s., n°8 1333 En ce sens, cf. J. DEVEZE, Du mauvais usage de la loi en matière de cautionnement.

Petit guide des effets pervers (avérés ou potentiels) de quelques dispositions récentes,

Mélanges P. Vellas, Recherches et réalisation, Pédone, 1995, p. 384

Le contentieux devrait essentiellement concerner les cautionnements conclus par acte sous

seing privé. Pour autant, les cautionnements notariés ne devraient pas être épargnés, puisque

certains juges leur ont déjà appliqué l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989 (TI Grenoble, 8

janvier 2002 : JCP 2003, éd. N, 1213, note DAGOT).

Page 334: L'efficacité des garanties personnelles

montant indéterminé1334. Concernant la protection du consentement de la caution, il

n’est pas non plus certain ici que le formalisme évoqué y conduise. Certes,

l’obligation faite à la caution de reproduire le montant du loyer et ses conditions de

révision, tels qu’ils figurent au contrat de location, est de nature à éclairer son

consentement. Mais, comme la caution a une bonne trentaine de lignes à écrire trois

fois (ce qui avoisine une heure d’écriture)1335, les indications importantes sont

noyées parmi celles qui le sont moins et recopiées de manière purement mécanique,

sans que l’attention de la caution ne soit attirée. Ici encore, comme le formalisme

informatif conduit à une protection du consentement de la caution douteuse et

comporte des exigences sujettes à interprétation, le risque de contestation qu’il

renferme est réel.

605. Les dangers du formalisme informatif. Quel que soit le contrat auquel

il se rapporte, le formalisme informatif est accusé d’être « dépassé »1336 et, surtout,

générateur de contentieux1337. « La multiplication et la diversification des formalités

placent les opérateurs économiques sous la constante menace de la dénonciation de

l’illicite et, de fait, la moindre erreur matérielle justifie l’anéantissement

d’opérations formellement incorrectes alors même que le préjudice subi par la

partie faible n’est pas avérée »1338. Le risque de contestation est d’autant plus grand

1334 Cf. supra n°579 1335 Cf. F. MAGNIN, Une page d’écriture pour la caution, LPA 5 et 10 octobre 1994, n°119

et 121 1336 A. PRÜM, Protéger les cautions contre elles-mêmes !, RD bancaire et financier 2003,

n°5, p. 270 : « le formalisme protecteur continue ainsi à reposer sur la valeur symbolique

attachée au geste de la main. La méthode paraît dépassée depuis que la preuve de tout

engagement, même unilatéral, peut être rapportée par un acte dématérialisé et alors que le

législateur s’apprête à assimiler pleinement l’acte sous seing privé électronique à celui revêtu

d’une signature manuscrite, y compris lorsque l’écrit est exigé ad validitatem ».

La loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique a certes

consacré l’assimilation de l’acte sous seing privé électronique à l’acte revêtu d’une signature

manuscrite (nouvel article 1108-1 alinéa 2 du Code civil : «Lorsque est exigée une mention

écrite de la main même de celui qui s’oblige, ce dernier peut l’apposer sous forme

électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu’elle ne peut

être effectuée que par lui-même »), mais elle a assorti ce principe de quelques exceptions, au

nombre desquelles figurent les actes sous seing privé relatifs à des sûretés personnelles

(nouvel article 1108-2 du Code civil : « Il est fait exception aux dispositions de l’article 1108-

1 pour : 1°Les actes sous seing privé relatifs au droit de la famille et des successions ; 2°Les

actes sous seing privé relatifs à des sûretés personnelles ou réelles, de nature civile ou

commerciale, sauf s’ils sont passés par une personne pour les besoins de sa profession »). Le

formalisme informatif a donc encore de beaux jours devant lui en matière de garanties

personnelles.

Sur cette nouvelle loi, cf. notamment L. GRYNBAUM, Après la loi « économie numérique »,

pour un Code européen des obligations…raisonné, D. 2004, chron., p. 2213 et s. 1337 En ce sens, cf. A. LEPAGE, Les paradoxes du formalisme informatif, Liber amicorum J.

Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 597 et s. ; J.

STOUFFLET, art. préc., n°21 ; G. LOISEAU et J. DJOUDI, De la fonction de la mention

manuscrite, RD bancaire et financier 2003, n°4, p. 256 et s. : « une formalité mécanique

exposée à l’esprit de chicane ». 1338 X. LAGARDE, Observations critiques sur la renaissance du formalisme, JCP 1999, I,

170, n°2. L’auteur dénonce également le formalisme comme étant « une prime à la mauvaise

Page 335: L'efficacité des garanties personnelles

que le formalisme tatillon peut être exploité par des débiteurs de mauvaise foi. Loin

de protéger le consentement des cautions et, par ricochet, les intérêts financiers des

créanciers, le formalisme informatif est ainsi susceptible de ne profiter, in fine, qu’à

ceux qui abusent de leur protection.

C’est donc parce que le formalisme, tant direct, qu’indirect, augmente le risque

de contestation du cautionnement, qui est l’un des principaux facteurs d’inefficacité

des garanties personnelles, qu’il constitue un mode d’information de la caution

guère compatible avec l’objectif de protection des intérêts économiques des

créanciers.

D’autres obligations légales mises à la charge de ces derniers apparaissent

excessives en raison de l’interprétation extensive qu’en retient la jurisprudence.

2. L’interprétation extensive des obligations légales pesant sur les créanciers

606. Certaines obligations légales, dont le principe même est en adéquation

avec l’objectif d’efficacité du cautionnement, se révèlent préjudiciables aux intérêts

des créanciers en raison des modalités qu’en retient la jurisprudence. L’obligation de

ne pas compromettre le recours subrogatoire de la caution contre le débiteur (article

2037 du Code civil) et l’obligation d’information annuelle de l’article L. 313-22 du

Code monétaire et financier font ainsi l’objet, sur certains points1339, d’une

interprétation extensive favorisant des facteurs d’inefficacité.

607. L’interprétation extensive du bénéfice de subrogation. Concernant le

bénéfice de subrogation, chacune de ses conditions de mise en œuvre donne lieu à

des solutions protectrices de la caution, qui déjouent les prévisions des créanciers.

En premier lieu, la faveur pour les cautions apparaît à l’examen des « droits »

dont la perte peut être invoquée. D’une part, il arrive que la décharge de la caution

procède de la perte du seul droit de gage général contre le débiteur principal1340.

D’autre part, à la disparition ou à la réduction du « droit » sont assimilés

l’inexistence et le dépérissement de la chose qui en constituait l’assiette1341.

foi », et il souligne que « les individus de bonne foi subiront le contrecoup de leur

surprotection en ce qu’ils ne rencontreront plus que cynisme ou méfiance de la part de leurs

éventuels contractants ». 1339 Sur l’interprétation stricte de ces obligations, cf. supra n°458, 459 1340 Lorsque le droit de gage général perdu n’est assorti d’aucune situation d’exclusivité,

l’application de l’article 2037 semble excessive. Il en va ainsi dans l’hypothèse de perte d’un

recours cambiaire contre le tiré accepteur d’un effet de commerce pour défaut de déclaration

par le banquier escompteur (Cass. com., 6 février 1996 : Bull. civ. IV, n°33). Le jeu du

bénéfice de subrogation révèle également le souci de protéger directement les intérêts de la

caution lorsqu’il sanctionne un créancier ayant déclaré sa créance au passif d’un GIE, mais

non à celui de chacun des membres de ce groupement (Cass. com., 20 février 2001 : RD

bancaire et financier 2001, n°120, obs. LUCAS ; RD bancaire et financier 2001, n°108, obs.

LEGEAIS). 1341 Cf. Cass. com., 3 novembre 1975 : Bull. civ. IV, n°247 (déchéance du créancier qui

n’empêche pas la résiliation du bail commercial, élément essentiel du fonds de commerce

nanti, et qui ne s’oppose pas au transfert du matériel) ; Cass. 1ère civ., 26 avril 1983 : Bull. civ.

I, n°130 (déchéance du créancier qui ne vérifie pas les droits du débiteur sur le cheptel

warranté) ; Cass. 1ère civ., 26 janvier 1999 : RD bancaire et bourse 1999, p. 77, obs.

CONTAMINE-RAYNAUD (déchéance du créancier n’ayant réalisé son fonds de commerce

que très longtemps après la défaillance du débiteur principal et alors que le bien affecté avait

Page 336: L'efficacité des garanties personnelles

En deuxième lieu, la jurisprudence assortit de deux correctifs le principe

d’antériorité, qu’elle a elle-même créé, et selon lequel le droit perdu doit avoir existé

au moment de l’engagement de la caution pour emporter la libération de celle-ci.

Tout d’abord, l’article 2037 du Code civil peut jouer lorsque le créancier s’est

engagé à constituer d’autres droits ou sûretés1342. Cette solution est excessivement

sévère à l’égard du créancier lorsqu’un engagement seulement tacite est pris en

compte. Ensuite, le bénéfice de cession d’actions a vocation à s’appliquer, même en

l’absence d’un tel engagement du créancier, lorsque la caution pouvait

« normalement » ou « légitimement » croire que des droits ou sûretés seraient

constitués1343. Ce dernier correctif laisse aux juges du fond une marge de manœuvre

très importante pour décharger les cautions au-delà de ce qu’impose l’impératif

d’éthique contractuelle et rend particulièrement imprévisible la réalisation de la

finalité assignée au cautionnement.

En troisième lieu, le « fait du créancier » est entendu de manière

compréhensive à l’égard des cautions. Les mêmes effets sont attribués aux fautes de

commission et d’abstention, aux fautes intentionnelles et aux fautes d’imprudence,

aux fautes du créancier lui-même et aux fautes commises par les personnes dont il

doit répondre1344. Une faute est retenue, même lorsque l’omission concerne

l’exercice d’une simple faculté1345. Par ailleurs, la Cour de cassation reconnaît

l’existence d’une faute exclusive du créancier, même lorsque le fait litigieux a été

sollicité par un tiers1346.

En quatrième et dernier lieu, c’est au sujet du préjudice subi par la caution que

se manifeste le souci jurisprudentiel de protéger directement les intérêts de celle-ci.

Par dérogation au droit commun de la responsabilité civile, la charge de la preuve du

préjudice ne pèse pas sur la caution. C’est au créancier qui ne veut pas être déchu de

ses droits qu’il appartient de démontrer que la subrogation rendue impossible par

dépéri) ; Cass. com., 28 janvier 2004 : JCP 2004, I, 188, n°10, obs. SIMLER (déchéance du

créancier nanti sur fonds de commerce qui a laissé passer plus de deux ans après le premier

impayé, de sorte que la valeur du fonds a été irrémédiablement dépréciée par l’effet de la

liquidation judiciaire). 1342 Cass. com., 5 janvier 1957 : Bull. civ. IV, n°7 ; Cass. com., 7 octobre 1968 : Bull. civ. IV,

n°252 ; Cass. 1ère civ., 24 février 1982 : Bull. civ. I, n°89 ; Cass. 1ère civ., 26 avril 1983 :

préc. ; Cass. com., 13 novembre 1984 : Gaz. Pal. 1985, 1, pan., p. 117 ; Cass. 1ère civ., 9 mai

1994 : Bull. civ. I, n°169 1343 Cass. 1ère civ., 9 février 1970 : Gaz. Pal. 1970, 1, p. 201 ; D. 1970, Somm., p. 101 ; RTD

com. 1970, p. 461, obs. CABRILLAC et RIVES-LANGE ; Cass. com., 20 juillet 1973 : Bull.

civ. IV, n°259 ; Cass. 1ère civ., 24 février 1982 : préc. ; Cass. com., 13 avril 1999 : RJDA

6/1999, n°727 1344 Cass. com., 3 mars 1980 : Bull. civ. IV, n°105 1345 Au sujet de la demande d’attribution judiciaire d’un nantissement sur matériel, cf. Cass.

com., 13 mai 2003 : Bull. civ. IV, n°71 ; Cass. com., 3 décembre 2003 : RJDA 5/2004, n°626.

Au sujet de l’action directe du sous-traitant contre le maître d’ouvrage, cf. Cass. com., 14

janvier 2004 : RD bancaire et financier 2004, n°122, obs. LEGEAIS ; JCP 2004, I, 188, n°10

obs. SIMLER 1346 Cass. 1ère civ., 6 juin 2001 : Bull. civ. I, n°161 (la mainlevée d’hypothèque consentie par

le créancier avait été sollicitée par le constituant).

Page 337: L'efficacité des garanties personnelles

son fait n’aurait de toute façon pas été efficace1347. La Haute juridiction décide en

outre que la valeur du droit perdu s’apprécie à la date d’exigibilité de l’obligation de

la caution, c'est-à-dire à la date de défaillance du débiteur principal1348. Les

conséquences de la dépréciation de la chose entre la date de cette défaillance et celle

de la poursuite de la caution sont ainsi laissées à la charge des créanciers.

Si le principe même de l’obligation de ne pas compromettre le recours

subrogatoire de la caution contre le débiteur principal est compatible avec l’objectif

d’efficacité du cautionnement, certaines de ses modalités conduisent donc à la

remise en cause des attentes des créanciers, car elles sont découvertes dans le souci

de protéger les cautions. Il en va de même à l’égard de l’obligation d’information de

l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier.

608. L’interprétation extensive de l’obligation d’information annuelle.

L’obligation d’informer la caution, au cours de l’exécution du contrat, sur le

montant de la dette principale, exprime la solidarité devant exister entre les

contractants au nom de l’éthique contractuelle, et favorise l’apparition de certains

facteurs d’efficacité. Le principe même de cette contrainte est donc en harmonie

avec l’objectif d’efficacité du cautionnement. Ce qui l’est moins, c’est

l’interprétation que retient la jurisprudence des conditions dans lesquelles cette

contrainte doit être exécutée1349.

Tout d’abord, la Cour de cassation exige que les composantes de la dette

principale soient distinguées, pour le moins en ce qui concerne le principal et les

accessoires1350. Cette exigence de ventilation, qui ne figure pas dans le texte même

de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, est excessive dans l’hypothèse

où la garantie s’applique à un compte courant. En raison de l’indivisibilité

caractérisant ce type de compte, l’établissement de crédit ne peut porter à la

connaissance de la caution que le montant du solde débiteur au 31 décembre de

l’année précédente.

Ensuite, la jurisprudence se montre particulièrement exigeante relativement à la

preuve que les créanciers doivent rapporter de la bonne exécution de leur

obligation1351. Ils doivent prouver, non seulement l’expédition de la lettre

d’information, mais aussi son contenu1352. S’agissant des modes de preuve, ont été

1347 Cass. com., 3 novembre 1995 : Bull. civ. IV, n°247 ; Cass. com., 27 février 1996 : Bull.

civ. IV, n°68 ; Cass. 1ère civ., 1er juin 1999 : Bull. civ. I, n°182 ; Cass. com., 13 mai 2003 :

préc. ; Cass. 1ère civ., 18 mai 2004 : JCP 2004, I, 188, n°10, obs. SIMLER 1348 Cass. 1ère civ., 24 février 1987 : Bull. civ. I, n°64 ; Cass. com., 7 janvier 2003 : RJDA

6/2003, n°646 1349 L’interprétation jurisprudentielle de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier

doit servir de guide pour l’interprétation du nouvel article L. 341-6 du Code de la

consommation, puisque ce dernier texte a essentiellement reproduit l’ancien article 48 de la

loi du 1er mars 1984. 1350 Cass. com., 5 octobre 1993 : JCP 1993, IV, 2524 ; D. 1993, IR, p. 230 ; Cass. com., 22

juin 1993 : Bull. civ. IV, n°257 ; Cass. com., 30 novembre 1993 : Bull. civ. IV, n°434

Contra, cf. Cass. 1ère civ., 15 décembre 1998 : Bull. civ. I, n°361 ; Cass. 1ère civ., 12 février

2002 : Bull. civ. I, n°51 1351 En ce sens, cf. J.-M. FERNANDEZ, L’information annuelle des cautions : une obligation

légale universalisée, LPA 27 février 1998, n°25, p. 12 1352 Cass. 1ère civ., 17 novembre 1998 : Bull. civ. I, n°321

Page 338: L'efficacité des garanties personnelles

déclarés irrecevables des tableaux d’amortissement1353, des relevés de compte1354, et

même l’attestation par un commissaire aux comptes de l’existence du listing

contenant les informations requises, accompagnée du constat par un huissier de la

mise sous pli et de l’affranchissement1355.

En dernier lieu, c’est au sujet de la durée de l’obligation d’information que la

jurisprudence fait primer la protection de la caution sur la fonction de garantie du

cautionnement. La Cour de cassation décide, en effet, que l’obligation d’information

doit être respectée jusqu’à l’extinction de la dette, quand bien même la caution aurait

déjà été assignée par l’établissement de crédit, ou que celui-ci aurait déjà déclaré sa

créance entre les mains du représentant des créanciers1356. Dans la mesure où la

procédure collective ouverte contre le débiteur et la procédure en paiement dirigée

contre la caution permettent à celle-ci de connaître le montant de la dette principale,

l’information émanant du créancier fait double emploi. La contrainte imposée au

créancier ne se justifie donc pas au regard de l’impératif de solidarité entre les

parties, et elle nuit à l’efficacité du cautionnement.

609. Certaines modalités d’exécution de l’obligation d’information annuelle

imposées par la jurisprudence ne sont donc pas compatibles avec l’objectif de

protection des intérêts des créanciers, soit parce qu’elles ne peuvent pas être

pratiquement respectées, soit parce qu’elles augmentent considérablement et/ou

inutilement le coût de cette protection. Ce dernier facteur d’inefficacité est

également favorisé lorsque la loi ou les juges imposent des contraintes aux

créanciers en ne prenant pas ou mal en compte la qualité des parties.

3. Les qualités du bénéficiaire et du débiteur des contraintes

610. Pour que les contraintes mises à la charge des créanciers servent la

protection de leurs intérêts, leur exécution ne doit pas se traduire par une

augmentation injustifiée du coût de cette protection. Une telle augmentation, source

d’inefficacité, est à redouter lorsque le législateur et les juges imposent le respect de

l’impératif d’éthique contractuelle et, plus précisément, de solidarité entre les

contractants, sans tenir compte de la qualité de ces derniers, ou en adoptant des

distinctions inadaptées.

611. Les protections bénéficiant à l’ensemble des cautions : l’information

annuelle sur l’encours de la dette principale. L’absence de prise en compte de la

qualité des parties se manifeste, tout d’abord, en présence de contraintes bénéficiant

à toutes les cautions. Tel est le cas de l’obligation d’information annuelle. L’article

L. 313-22 du Code monétaire et financier prévoit que l’information annuelle sur le

1353 CA Metz, 15 mars 1991 : RD bancaire et bourse 1992, p. 80 1354 Cass. com., 5 octobre 1993 : JCP 1993, IV, 2524 ; D. 1993, IR, p. 230 1355 Cass. com., 11 avril 1995 : Bull. civ. IV, n°119 ; CA Nancy, 15 septembre 1997 : JCP

1998, I, 149, n°4, obs. SIMLER 1356 Cass. com., 2 novembre 1993 : Bull. civ. IV, n°370 ; Cass. com., 30 novembre 1993 :

Bull. civ. IV, n°434 ; Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°123 ; Cass. com., 17 mai

1994 : Bull. civ. IV, n°176 ; Cass. com., 20 juin 1995 : Bull. Joly 1995, p. 957 ; Cass. com.,

25 avril 2001 : Bull. civ. IV, n°75 ; Cass. 1ère civ., 6 novembre 2001 : Bull. civ. I, n°265 ;

Cass. com. 25 juin 2002 : RJDA 12/2002, n°1319 ; Cass. com., 21 janvier 2003 : RJDA

6/2003, n°641

Page 339: L'efficacité des garanties personnelles

montant de la dette garantie est due aux cautions personnes physiques ou morales

ayant conclu un contrat de cautionnement avec un établissement de crédit pour

garantir un concours financier accordé à une entreprise. La jurisprudence n’admet

aucune restriction quant aux cautions bénéficiaires.

L’obligation d’information doit être respectée dans des hypothèses où elle est

dépourvue de raison d’être. C’est le cas lorsque la caution est elle-même un

établissement de crédit. L’application de l’article 48 de la loi du 1er mars 1984 était

tellement incompatible dans ce cas avec l’exigence de souplesse des relations

commerciales et avec l’objectif d’efficacité du cautionnement que l’AFB a

recommandé à ses membres, le 8 juillet 1985, de ne pas se conformer, entre eux, à la

prescription légale1357. Cette directive a été suivie, sans susciter de contentieux.

L’information annuelle sur l’encours de la dette principale est également

injustifiée à l’égard des cautions intégrées dans les affaires du débiteur principal,

puisque leur fonction leur permet d’être parfaitement au courant de la situation de

l’entreprise débitrice. La Cour de cassation n’a pas été sensible à cet argument et,

sous couvert du respect de la règle « Ubi lex… », elle a décidé que l’information est

due, quelle que soit la qualité de la caution, y compris, par conséquent, aux

dirigeants1358. Une telle solution accroît inutilement le coût de la protection des

créanciers et fragilise, ce faisant, le cautionnement aux yeux de ces derniers.

612. Les protections bénéficiant à l’ensemble des cautions : le bénéfice de

subrogation. En second lieu, c’est dans l’application de l’article 2037 du Code civil

qu’un traitement différencié selon la qualité de la caution fait défaut. En effet,

l’article 49 de la loi du 1er mars 1984 a érigé en règle d’ordre public la libération de

la caution lorsque le créancier a laissé dépérir des droits ou garanties, qui eussent pu

lui profiter par voie de subrogation. La renonciation au bénéfice de cession d’actions

est donc nulle, dans tout cautionnement, et à l’égard de toutes les cautions.

Si l’obligation incidente qui est faite aux créanciers de préserver l’efficacité du

recours subrogatoire de la caution se justifie pleinement au regard de l’impératif

d’éthique contractuelle, mais aussi de l’objectif d’efficacité du cautionnement,

lorsque la caution est profane, il en va tout autrement en présence de cautions

professionnelles. Celles-ci ont effectivement « les moyens de réduire le risque que

représente la non subrogation en prenant des contregaranties ; elles peuvent aussi

répartir ou réassurer le risque pour offrir au client un service qu’il souhaite : un

cautionnement plus solide que celui que peut miner un bénéfice de subrogation »1359.

A l’égard des cautions intégrées, le caractère d’ordre public de l’article 2037

peut également paraître excessif, dans la mesure où elles disposent de certains

moyens pour éviter la perte des sûretés, et qu’elles n’entendent pas toujours exercer

de recours contre le débiteur principal1360.

1357 Banque 1985, p. 868 1358 Cass. com., 25 mai 1993 : Bull. civ. IV, n°203 ; Cass. com., 5 octobre 1993 : JCP 1993,

IV, 2524 ; D. 1993, IR, p. 230 ; Cass. 1ère civ., 27 février 1996 : Bull. civ. I, n°109 ; Cass.

com., 13 octobre 1998 : RTD com. 1999, p. 173, obs. CABRILLAC

La Cour d’appel de Paris a précisé que le dirigeant caution « ne peut valablement renoncer à

son droit dans son engagement de caution » (CA Paris, 25 avril 2003 : RD bancaire et

financier 2003, n°188, obs. CERLES). 1359 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°268 1360 En ce sens, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°486

Page 340: L'efficacité des garanties personnelles

Si la solution de l’article 49 de la loi de 1984 a les vertus de la simplicité, elle

n’en est donc pas moins trop radicale. Lorsqu’elles profitent aux cautions intégrées

et aux cautions professionnelles, les contraintes de l’article 2037 manquent de

justification et nuisent, par conséquent, à l’efficacité du cautionnement.

L’application indifférenciée, au bénéfice de toutes les cautions, de règles

contraignantes pour les créanciers, révèle le souci législatif ou jurisprudentiel de

protection des cautions et l’absence de prise en compte de la fonction de garantie du

cautionnement. Elle se traduit par une augmentation injustifiée du coût de la

protection des créanciers.

613. Les contraintes mises à la charge de l’ensemble des créanciers.

L’inefficacité du cautionnement est également favorisée lorsque des contraintes sont

mises à la charge de tous les créanciers, sans distinction tenant à leur qualité. C’est

le cas de l’obligation d’information annuelle de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil.

Il est à craindre que beaucoup de créanciers non professionnels ignorent, de bonne

foi, cette obligation. Ils n’apprendront alors l’existence de cette contrainte que

lorsque la caution en invoquera le manquement pour être partiellement déchargée.

« La pénalisation a posteriori qui en résultera ne paraît pas procéder d’une saine

politique législative. Elle sera immanquablement génératrice de nouveaux

contentieux, parfaitement artificiels »1361. Ce risque de contestation, et donc

d’inefficacité du cautionnement, n’avait d’ailleurs pas échappé au Sénat qui, lors de

l’examen de la loi sur la lutte contre l’exclusion, avait voté la suppression de

l’extension de l’obligation d’information à tous les créanciers1362. L’absence

d’assimilation de la qualité de créancier non professionnel est d’autant plus

critiquable que la sanction de l’article 2016 alinéa 2 du Code civil est plus lourde

que celles prévues à l’encontre des établissements de crédit pour non respect des

articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et L. 341-6 du Code de la

consommation1363. « Le particulier est donc sanctionné plus sévèrement que le

professionnel, alors que les manquements à l’obligation d’information seront plus

fréquents et plus excusables »1364.

614. Les protections réservées aux cautions personnes physiques. Si

l’absence de distinction tenant à la qualité du bénéficiaire ou du débiteur des

contraintes se révèle ainsi incompatible avec l’objectif de protection des intérêts des

créanciers, la différenciation qu’opère de plus en plus souvent le législateur entre les

cautions personnes physiques et les cautions personnes morales n’est pas non plus

exempte de vices1365.

1361 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°116-1 1362 J.O Sénat, 8 juillet 1998, p. 3718 1363 Sur la sanction du non respect de ces obligations d’information, cf. infra n°620 1364 D. LEGEAIS, La réforme du cautionnement par la loi du 29 juillet 1998 relative à la lutte

contre les exclusions, JCP 1998, éd. E., p.1724, n°18 1365 On trouve cette dissociation dans des lois d’influence consumériste : la loi du 31

décembre 1989 (article L. 313-9 du Code de la consommation) ; la loi du 29 juillet 1998

(article 2016 alinéa 2 du Code civil ; article L. 341-1 du Code de la consommation ; article

47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994) ; la loi du 1er août 2003 pour l’initiative

économique (articles L. 341-2 à L. 341-6 du Code de la consommation).

Page 341: L'efficacité des garanties personnelles

Cette dissociation globalise, en effet, la protection des cautions personnes

physiques, alors que le besoin de protection est lui-même variable. En raison du non

respect de la règle selon laquelle « à des déséquilibres circonstanciels doivent

correspondre des réglementations circonstancielles »1366, les créanciers se voient

contraints d’informer des cautions n’ayant pas besoin de l’être, compte tenu des

rapports qu’elles entretiennent avec le débiteur principal. Si les créanciers respectent

les obligations qui leur sont imposées, le coût de leur protection s’accroît

inutilement. S’ils ne se conforment pas à ces obligations, ils risquent de se heurter

aux contestations des cautions averties à la bonne foi douteuse.

L’efficacité du cautionnement est donc compromise, non seulement par

l’absence de prise en compte de la qualité des parties, mais également par l’absence

de distinction, au sein de la catégorie des cautions personnes physiques, entre les

cautions étrangères à l’activité garantie et les cautions intégrées dans les affaires du

débiteur principal.

615. Lorsque les contraintes mises à la charge des créanciers sur le fondement

de l’impératif d’éthique contractuelle emportent des risques sérieux de contestation

ou augmentent inutilement le coût de la protection des créanciers, ce n’est pas leur

principe même, mais leurs modalités qui s’avèrent incompatibles avec l’objectif

d’efficacité du cautionnement. De telles contraintes apparaissent comme excessives,

au regard dudit objectif, car elles révèlent que, dans le choix de leurs modalités, le

législateur et les juges se sont montrés plus soucieux de protéger les cautions que de

faire respecter la fonction de garantie du cautionnement.

C’est aussi dans la sanction des contraintes que l’on peut déceler le primat

accordé par le droit positif à la protection des cautions.

C/ LES SANCTIONS DES CONTRAINTES

616. La politique légale et jurisprudentielle de protection des cautions, dont

résulte en grande partie l’inefficacité du cautionnement, se manifeste à travers les

sanctions assortissant les contraintes supportées par les créanciers. Plus précisément,

c’est, d’une part, le choix du législateur en faveur de sanctions présentant un

caractère forfaitaire (1) et, d’autre part, le rejet par les juges des régularisations et

ratifications (2), qui expriment la primauté de la protection des cautions et qui

conduisent à considérer les contraintes imposées aux créanciers comme excessives

au regard de l’objectif d’efficacité du cautionnement.

1. Les sanctions présentant un caractère forfaitaire

617. Deux types de sanctions se traduisent par une décharge, totale ou

partielle, de la caution, sans que le préjudice subi par celle-ci ne soit examiné. Il

s’agit de la nullité et de la déchéance. Ces sanctions forfaitaires, si elles ont le mérite

Sur la protection de la caution en qualité de personne physique dans le Code civil et dans des

lois spéciales, cf. C. NOBLOT, La qualité du contractant comme critère légal de protection.

Essai de méthodologie législative, LGDJ, 2002, préf. F. LABARTHE, n°47 à 65 1366 Sur cette « notion élémentaire de la technique juridique », cf. E.S. DE LA MARNIERRE,

Les législations de « protection », D. 1950, chron., p. 93 et s.

Page 342: L'efficacité des garanties personnelles

d’être dissuasives, menacent l’efficacité du cautionnement en ce qu’elles ne sont

proportionnées, ni au manquement du créancier, ni au préjudice de la caution1367.

618. La nullité. La nullité, tout d’abord, vient sanctionner le non respect du

formalisme informatif, aussi bien direct1368, qu’indirect1369, quelles que soient la

gravité de l’omission et les compétences de la caution1370. Cette dernière peut très

bien être entièrement déchargée, alors même que, malgré le non respect du

formalisme, elle avait pleinement conscience de la nature et de l’étendue de son

engagement1371. Dans une telle hypothèse, la nullité est véritablement excessive, et

elle n’est finalement qu’une « faveur à l’esprit de chicane »1372.

L’annulation contrevient également à l’objectif d’efficacité du cautionnement

lorsque seule la mention manuscrite supplémentaire de la solidarité fait défaut ou

n’est pas conforme aux termes imposés par les articles L. 313-8 ou L. 341-3 du

Code de la consommation1373. Cette rigueur semble d’autant plus inutilement sévère

1367 Sur l’inefficacité des sanctions civiles inadaptées au déséquilibre existant et/ou

disproportionnées aux effets de la violation, cf. C. OUERDANE-AUBERT de VINCELLES,

Altération du consentement et efficacité des sanctions contractuelles, th. Paris II, 2000, sous

la direction d’Y. LEQUETTE, n°26, 217 à 224 (inefficacité de la nullité automatique) 1368 Les articles L. 313-7, L. 313-8, L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, et

l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, imposent des mentions manuscrites à peine de nullité

du cautionnement. 1369 En cas d’absence de remise de l’offre de prêt ou en cas de remise d’une offre incomplète,

le cautionnement est nul (Cass. 1ère civ., 19 janvier 1994 : Contr., conc., consom. 1994, n°85,

note RAYMOND ; Cass. 1ère civ., 13 juin 1995 : Bull. civ. I, n°260). La même sanction

s’applique en cas d’acceptation du cautionnement avant l’expiration du délai de 10 jours après

réception de l’offre de prêt immobilier (Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°130). 1370 CA Lyon, 21 juin 1995 : JCP 1997, éd. E, I, 631, n°6, obs. SIMLER ; CA Versailles, 30

janvier 1998 : D. Aff. 1998, p. 571 ; Rev. huissiers 1999, p. 471, obs. TEILLAIS ; CA

Toulouse, 5 mai 1998 : Banque et droit mars 2000, p. 51, obs. GUILLOT 1371 CA Paris, 20 septembre 2001 (Loyers et copr. février 2002, n°28, p. 8, obs. VIAL-

PEDROLETTI) a expressément exclu la nécessité, pour la caution demandant l’annulation de

son engagement en raison du non respect de l’article 22-1 de la loi du 6 juillet 1989, d’établir

un grief. Contra, cf. CA Versailles, 22 décembre 2000 : D. 2002, p. 1725

En faveur d’une sanction facultative découlant de l’application de la maxime « pas de nullité

sans grief », cf. V. MAGNIER, Les sanctions du formalisme informatif, JCP 2004, I, 106,

n°17 et s. 1372 X. LAGARDE, Observations critiques sur la renaissance du formalisme, JCP 1999, I,

170, n°19. Dans le même sens, cf. V. MAGNIER, ibid., n°25 1373 L’irrégularité de la mention des articles L. 313-8 et L. 341-3 du Code de la consommation

ne devrait être sanctionnée que par la nullité de la clause de solidarité. Comme dans le cadre

des articles 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994 et L. 341-5 du Code de la

consommation, le cautionnement solidaire se transformerait alors en un cautionnement

simple. En ce sens, cf. V. AVENA-ROBARDET, Réforme inopinée du cautionnement, D.

2003, chron., p. 2085 ; L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et

patrimoine 2003, n°120, p. 31 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au

cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°10 ; G.

LOISEAU et J. DJOUDI, De la fonction de la mention manuscrite, RD bancaire et financier

2003, n°4, p. 257 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3

février 2004, n°24, p. 3 et s., n°16 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains

cautionnements par la loi du 1er août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003,

article 37837, p. 1371 et s., n°12 ; J. FRANÇOIS, n°175 ; S. PIEDELIEVRE, n°69

Page 343: L'efficacité des garanties personnelles

que, dans le droit commun du cautionnement, la clause de solidarité n’a pas

nécessairement à être rédigée de la main de la caution1374.

L’absence de limitation de l’étendue de la nullité à la seule clause de solidarité,

et l’absence de prise en compte du caractère déterminant du consentement de la

caution des formalités omises, conduisent ainsi à considérer la nullité comme une

sanction inadaptée au regard de l’objectif de protection des intérêts des créanciers.

619. La déchéance totale. S’agissant de la déchéance totale, elle assortit, en

premier lieu, le défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du

débiteur. « La libération intégrale de la caution peut paraître choquante au moment

précis où la défaillance du débiteur garanti est avérée. Une solution plus

raisonnable serait de ne décharger la caution que dans la mesure du préjudice que

lui aura causé le défaut de déclaration »1375. Une telle solution n’est pas d’actualité,

puisque la jurisprudence considère que l’absence de préjudice ne peut faire obstacle

à l’effet extinctif du défaut de déclaration1376.

La déchéance totale s’applique, en second lieu, en cas de manquement à

l’exigence de proportionnalité du cautionnement aux biens et revenus de la caution

(articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation)1377. L’état

psychologique de la caution lors de la conclusion du contrat est indifférent1378. La

disproportion s’apprécie objectivement, sans qu’il ne soit tenu compte de la bonne

ou mauvaise foi de la caution ou du créancier. Le manque de nuance n’a pas

seulement trait à l’état d’esprit des contractants. Il caractérise également l’étendue

1374 Cass. 1ère civ., 31 janvier 1989 : Bull. civ. I, n°45 ; Cass. com., 27 novembre 1991 : Bull.

civ. IV, n°364 ; Cass. com., 7 janvier 1992 : Bull. civ. IV, n°1 1375 Ph. SIMLER, n°723 1376 CA Grenoble, 21 décembre 1994 : RD bancaire et bourse 1995, p. 220, obs. CALENDINI

et CAMPANA 1377 L’article L. 313-10 du Code de la consommation se contentant d’énoncer que le créancier

« ne peut se prévaloir » du cautionnement souscrit, la Cour de cassation a dû préciser que la

sanction ne consiste pas dans la nullité du cautionnement (Cass. 1ère civ., 22 octobre 1996 :

Bull. civ. I, n°362). En effet, le contrat a été valablement formé. Par ailleurs, le créancier peut

s’en prévaloir s’il s’avère que la caution, peu fortunée à l’origine, s’est enrichie. Certaines

juridictions du fond continuent cependant de prononcer la nullité des cautionnements

disproportionnés (cf. CA Rennes, 19 décembre 2003 : JCP 2004, I, 141, n°2, obs. SIMLER).

En dehors du champ d’application de l’article L. 313-10 du Code de la consommation, la

Cour de cassation décide également que « la sanction d’une telle disproportion ne peut être

recherchée que sur le terrain de la responsabilité civile du banquier et ne saurait consister en

l’annulation du cautionnement » (Cass. 1ère civ., 29 juin 2004 : Bull. civ. I, n°185. Dans le

même sens, cf., Cass. 1ère civ., 6 avril 2004 : Bull. civ. I, n°110 ; Droit et patrimoine 2004,

n°3569, obs. SAINT-ALARY).

Sur la sanction de la disproportion, cf. Ch. ATIAS, Propos sur l’article L. 341-4 du code de la

consommation. L’impossibilité de se prévaloir du bénéfice d’un engagement valable, D. 2003,

chron.,

p. 2620 et s. ; D. BAKOUCHE, La proportionnalité dans le cautionnement à l’épreuve de la

loi et de la jurisprudence, Contr., conc., consom. avril 2004, p. 7 et s., spéc. n°13 ; G.

PIETTE, La sanction du cautionnement disproportionné, Droit et patrimoine 2004, n°127,

p. 44 et s. 1378 CA Paris, 27 mai 1997 : Contr., conc., consom. 1998, n°47, obs. RAYMOND

Page 344: L'efficacité des garanties personnelles

de la sanction, puisque l’on est en présence d’un « système du tout ou rien »1379. A

partir du moment où l’engagement de la caution est jugé excessif lors de sa

souscription, il ne produit aucun effet. Là encore, il n’est pas tenu compte du

préjudice subi réellement par la caution. Sans que « le patrimoine de la caution au

moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation »1380, il

se peut que ladite caution dispose de biens et de revenus. Cela n’empêche pourtant

pas la jurisprudence de priver le cautionnement de toute efficacité en prononçant la

déchéance totale du créancier.

620. La déchéance partielle. La déchéance peut ne frapper que certains droits

du bénéficiaire. Telle est la sanction que le législateur a retenue à l’égard des

obligations d’information annuelle1381, et des obligations d’information portant sur

la défaillance du débiteur principal1382. La sanction est limitée mais, comme celles

envisagées précédemment, elle fait abstraction de toute considération tenant au

préjudice effectif de la caution.

Ce caractère forfaitaire risque d’autant plus de nuire aux créanciers que, depuis

la loi du 25 juin 1999 relative à l’épargne et à la sécurité financière, la sanction de

l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier a été aggravée1383. En effet, dans

l’intérêt des cautions, le législateur a dérogé au principe posé par l’article 1254 du

Code civil, selon lequel les paiements s’imputent en priorité sur les intérêts de la

dette, et a remis en cause la jurisprudence existant en la matière1384, en énonçant que

« les paiements effectués par le débiteur principal sont réputés, dans les rapports

1379 S. PIEDELIEVRE, Droit des sûretés et droit de la consommation, Droit et patrimoine

1997, p. 60 ; S. PIEDELIEVRE, Le cautionnement excessif, Defrénois 1998, article 36836,

p. 849 et s., n°14 ; S. PIEDELIEVRE, La réforme de certains cautionnements par la loi du 1er

août 2003 (loi pour l’initiative économique), Defrénois 2003, article 37837, p. 1371 et s.,

n°18 1380 Hypothèse visée par les articles L. 313-10 et L. 341-4 in fine du Code de la

consommation, dans laquelle la déchéance se trouve écartée. Le retour à meilleure fortune, et

donc la mise en jeu du cautionnement, supposent « un enrichissement à la mesure de

l’engagement, et non pas seulement une plus grande aisance financière » (V. AVENA-

ROBARDET, art. préc., p. 2086). 1381 Les articles L. 313-22 du Code monétaire et financier et 47-II alinéa 2 de la loi du 11

février 1994 prévoient la déchéance des intérêts échus depuis la précédente information

jusqu’à la date de communication de la nouvelle information. L’article 2016 alinéa 2 du Code

civil vise « la déchéance de tous les accessoires de la dette, frais et pénalités ». L’article L.

341-6 du Code de la consommation précise, quant à lui, que « la caution ne saurait être tenue

au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente information

jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ». 1382 Les articles L. 313-9 et L. 341-1 du Code de la consommation et l’article 47-II alinéa 3 de

la loi du 11 février 1994 disposent que, si le créancier ne se conforme pas à cette obligation,

« la caution ne saurait être tenue au paiement des pénalités ou intérêts de retard échus entre

la date de ce premier incident et celle à laquelle elle en a été informée ». 1383 L’article L. 341-6 du Code de la consommation n’a pas repris la règle d’imputation

ajoutée par la loi du 25 juin 1999 à l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier, alors

même qu’il reproduit en grande partie ce dernier article. 1384 La Cour de cassation décidait, avant la loi de 1999, que la déchéance se limitait aux

intérêts échus non encore payés (Cass. com., 11 juin 1996 : Bull. civ. IV, n°164), et que les

intérêts déjà acquittés par le débiteur principal ne pouvaient pas être imputés sur le principal

restant dû (Cass. 1ère civ., 31 mars 1998 : JCP 1999, I, 116, obs. SIMLER ; RD bancaire et

bourse 1998, p. 102, obs. CREDOT et GERARD).

Page 345: L'efficacité des garanties personnelles

entre la caution et l’établissement, affectés prioritairement au règlement du

principal de la dette ».

621. Lorsque le législateur adopte une sanction forfaitaire, qu’il s’agisse de la

nullité ou de la déchéance, totale ou limitée aux accessoires de la dette principale, il

fait primer les intérêts de la caution sur ceux du créancier, puisqu’il autorise la

libération de la première sans égard au préjudice qu’elle subit en conséquence du

non respect par le créancier des contraintes qui lui sont imposées. L’efficacité du

cautionnement s’en trouve menacée. Elle est également compromise chaque fois que

les juges refusent que les vices soient couverts par régularisation ou ratification.

2. Le rejet des régularisations et ratifications

622. La sanction des contraintes mises à la charge des créanciers est

excessive, au regard de l’objectif d’efficacité, lorsque les juges interdisent d’y

échapper par des régularisations ou ratifications. On constate cette politique de

protection de la caution essentiellement en deux domaines.

623. Le rejet des régularisations dans le cadre du cautionnement d’un

crédit à la consommation. Le premier est celui du cautionnement d’un crédit à la

consommation. La Cour de cassation considère que l’ensemble du système

protecteur mis en place par le Code de la consommation est insusceptible de

régularisation, malgré son caractère d’ordre public de protection1385. En cas de

remise d’une offre de crédit immobilier incomplète, le cautionnement est ainsi

annulable, même si une régularisation ultérieure par acte authentique intervient1386.

624. Le rejet de la ratification du cautionnement donné par une société

anonyme sans autorisation. Le second domaine dans lequel la rigueur des juges se

manifeste à l’encontre des créanciers est celui du cautionnement donné par une

société anonyme. La jurisprudence décide que le cautionnement donné sans

autorisation du conseil d’administration ou de surveillance est inopposable à la

société1387. Cette solution est critiquable dans la mesure où « la sanction naturelle

d’une irrégularité, notamment du défaut de pouvoir d’un représentant, est la

nullité »1388. Elle l’est surtout parce qu’elle conduit les juges à refuser la ratification

1385 Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°130 ; Cass. 1ère civ., 27 juin 1995 : JCP 1996,

éd. N, II, p. 461, note PIEDELIEVRE. Contra, cf. CA Paris, 17 mai 1996 ( JCP 1997, I, 3991,

n°6) : la caution peut confirmer un engagement irrégulier, notamment en l’exécutant en

connaissance de cause.

La loi du 1er août 2003 pour l’initiative économique n’a pas précisé la portée de la nullité

édictée par les nouveaux articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation. 1386 Cass. 1ère civ., 13 juin 1995 : Bull. civ. I, n°260 1387 Cass. com., 29 janvier 1980 : Bull. civ. IV, n°47 ; Cass. com., 8 novembre 1988 : Bull.

civ. IV, n°302 ; Cass. com., 8 décembre 1998 : JCP 1999, éd. E, p. 668, obs. VIANDIER et

CAUSSAIN ; RTD com. 1999, p. 445, obs. CABRILLAC ; Bull. Joly 1999, p. 353, note LE

CANNU 1388 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°64

B. LEGROS (La protection jurisprudentielle du dirigeant social caution, Rev. sociétés 1998,

p. 281 et s., n°19) précise que « le critère de distinction entre la nullité et l’inopposabilité est

la fraude. Lorsqu’il y a fraude ou intention de nuire, la sanction est en principe

l’inopposabilité. Dans le cas du détournement de pouvoir, l’existence d’une fraude devrait

Page 346: L'efficacité des garanties personnelles

du cautionnement par le conseil d’administration ou par l’assemblée générale des

actionnaires lors de la vérification des comptes annuels1389. Si la Cour de cassation

retenait comme sanction la nullité relative du cautionnement, comme l’y invite la

majorité de la doctrine, la confirmation serait au contraire permise, et les intérêts des

créanciers seraient mieux protégés.

625. Les sanctions excessives au regard de l’objectif d’efficacité. Tant en

matière de cautionnement de crédit à la consommation que de cautionnement donné

par une société anonyme, la jurisprudence fait donc prédominer la protection de la

caution sur la fonction de garantie du cautionnement, en s’opposant à ce que des

irrégularités ne soient ultérieurement couvertes. La nullité assortissant le formalisme

informatif et l’inopposabilité sanctionnant le défaut d’autorisation du conseil

d’administration ou de surveillance paraissent ainsi excessives au regard de

l’objectif d’efficacité.

626. Une sanction non excessive au regard de l’objectif d’efficacité : la

responsabilité civile du créancier. La responsabilité civile du créancier ne figure

pas dans la liste des sanctions à l’origine de l’inefficacité du cautionnement, pour

deux raisons.

D’une part, la responsabilité est une sanction proportionnée au préjudice subi

par la caution, dès lors, toutefois, que les juges respectent le principe

indemnitaire1390.

D’autre part, les principaux inconvénients qui lui ont été reprochés1391 sont en

voie de disparition. En offrant à la caution qui invoque la responsabilité du créancier

dispensateur de crédit une option procédurale entre la simple défense au fond et la

demande reconventionnelle1392, et en reconnaissant même l’indifférence de la

qualification procédurale de la demande de la caution1393, la Cour de cassation évite

faire pencher la balance en faveur de l’inopposabilité. En revanche, dans la question qui

nous intéresse, il ne s’agit pas d’un détournement de pouvoir, mais d’un dépassement ou d’un

excès de pouvoir, en principe exclusif de toute fraude. La sanction qui s’impose est donc la

nullité ». 1389 Cass. com., 11 juillet 1988 : Bull. civ. IV, n°246 ; Cass. com., 15 octobre 1991 : Bull. civ.

IV, n°298 ; Cass. com., 17 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°364 1390 En application du principe de proportionnalité, la première Chambre civile de la Cour de

cassation a rappelé que le préjudice subi par la caution « ne peut être équivalent à la dette

toute entière mais seulement à la mesure excédant les biens que la caution pouvait proposer

en garantie » (Cass. 1ère civ., 9 juillet 2003 : Bull. civ. I, n°167. Dans le même sens, cf. Cass.

1ère civ., 6 avril 2004 : Bull. civ. I, n°110). 1391 Pour une critique du recours à la responsabilité civile en matière de cautionnement, cf.

M.-N. JOBARD-BACHELLIER et V. BREMOND, De l’utilité du droit de la responsabilité

pour assurer l’équilibre des intérêts des contractants, RTD com. 1999, p. 327 et s. 1392 Cass. com., 26 octobre 1999 : Bull. civ. IV, n°182 ; Cass. com., 26 avril 2000 : Bull. civ.

IV, n°80 ; Cass. 1ère civ., 4 octobre 2000 : Bull. civ. I, n°233 ; Cass. com., 20 février 2001 :

RJDA 6/2001, n°727 1393 Cass. ch. mixte, 21 février 2003 : Bull. ch. mixte, n°3 : « les demandes reconventionnelles

et les moyens de défense sont formés de la même manière à l’encontre des parties à

l’instance ». La Cour de cassation en déduit que la Cour d’appel (celle-ci avait repris la

jurisprudence Gandolfo de 1993) aurait dû répondre à la demande de la caution, quelle qu’en

fût la qualification procédurale. La cassation est prononcée au visa des articles 4, 64, 68 et 71

Page 347: L'efficacité des garanties personnelles

les conséquences perverses auxquelles conduisait sa jurisprudence antérieure1394. En

effet, la décharge directe qu’emporte la défense au fond facilite certes la tâche de la

caution au plan procédural1395, mais évite aussi le « paiement abrégé », consécutif à

la demande reconventionnelle1396, et ses effets pervers, à savoir l’enrichissement de

la caution suite au recours contre le débiteur principal et la perte de l’action du

créancier contre ce dernier, à hauteur du paiement intervenu par compensation.

Compte tenu de ces évolutions jurisprudentielles, la responsabilité civile ne doit

donc pas être classée parmi les sanctions excessives, au regard de l’objectif

d’efficacité du cautionnement.

627. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 1. Aussi bien dans sa forme

que dans son contenu, le droit du cautionnement ne respecte pas toujours l’objectif

d’efficacité.

Les textes régissant le cautionnement manquent de clarté en raison de l’emploi

de termes équivoques (obscurités par commission) et d’oublis affectant aussi bien le

régime de certaines règles que le sort de la caution garantissant un débiteur

surendetté (obscurités par omission). Les textes manquent également de cohérence à

cause des distinctions injustifiées au sein de règles déterminées et de l’absence

d’harmonisation entre les règles ayant un même objet, mais un contenu plus ou

moins différent. Ces défauts formels se traduisent par une insécurité juridique qui

compromet la réalisation des attentes objectives et subjectives des créanciers.

L’efficacité du cautionnement est par ailleurs menacée par la politique légale et

jurisprudentielle de protection de la caution. Le droit positif autorise l’allégement et

même l’extinction de l’obligation de règlement de la caution, afin d’établir un

certain équilibre contractuel. Or, la mise en œuvre de l’impératif de justice

corrective dans les rapports entre le créancier et la caution est parfaitement

incompatible avec l’objectif d’efficacité. Le droit positif méconnaît également cet

objectif lorsqu’il met à la charge des créanciers des obligations que ne commande

pas l’impératif d’éthique contractuelle. Le souci de protéger directement les intérêts

du nouveau Code de procédure civile. Le Premier Avocat général, dans cette affaire, avait

invité la Haute juridiction à adopter cette solution en remarquant que c’est « celle qui fait la

meilleure part au principe dispositif et à celui de la liberté d’exercice de l’action en justice »

(concl. DE GOUTTES, RJDA 6/2003, p. 499). Dans le même sens, cf. Cass. com., 24 juin

2003 : JCP 2003, I, 176, n°6, obs. SIMLER 1394 La Cour de cassation a jugé, à partir de 1993 (Cass. com., 16 mars 1993 : Bull. civ. IV,

n°102 ; Cass. com., 22 avril 1997 : Bull. civ. IV, n°96 ; Cass. 1ère civ., 24 juin 1997 : Bull. civ.

I, n°211), que la responsabilité du créancier ne pouvait être invoquée à titre d’exception à ses

poursuites, mais seulement par une action principale ou une demande reconventionnelle. Sur

la critique de cette solution, d’un point de vue procédural, cf. S. GUINCHARD, Le droit a-t-il

encore un avenir ? (qui cassera les arrêts de la Cour de cassation ?), in L’avenir du droit,

Mélanges F. Terré, 1999, p. 761 1395 En ce sens, cf. D. ARLIE, La responsabilité civile du banquier : une voie étroite de

libération pour la caution, LPA 24 septembre 2002, p. 4 et s. ; D. LEGEAIS, L’option

procédurale offerte à la caution invoquant la responsabilité du banquier, RD bancaire et

bourse 1999, p. 196 et s. ; B. ROMAN, Les moyens de défense de la caution : l’importance

accrue des aspects procéduraux, Droit et patrimoine 2004, n°124, p. 55 et 56 (« une leçon de

solidarisme judiciaire ») 1396 Les dommages et intérêts accordés par le juge, en réponse à la demande

reconventionnelle, se compensent avec les sommes dues par la caution.

Page 348: L'efficacité des garanties personnelles

des cautions contribue à rendre excessives nombre de contraintes, dans leur principe,

leurs modalités ou leur sanction.

Dès lors que les règles adoptées pour protéger les intérêts des créanciers ne

sont pas adéquates ou que la protection de la caution est favorisée au détriment de la

fonction de garantie du cautionnement, l’efficacité de cette sûreté est donc

compromise. L’inefficacité du cautionnement résulte ainsi d’une « fausse lacune »

du droit en vigueur, c'est-à-dire d’une lacune concernant la finalité poursuivie par le

législateur et par les juges.

A l’égard des garanties personnelles innomées, l’inefficacité peut

également s’expliquer par une lacune du droit, mais il s’agit cette fois d’une « vraie

lacune ».

Page 349: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE II

LA « VRAIE LACUNE » DU DROIT

À L’ÉGARD DES GARANTIES INNOMÉES

628. La vraie lacune du droit des garanties personnelles. Toutes les

garanties personnelles autres que le cautionnement sont innomées1397. Il existe à leur

égard une « vraie lacune » du droit. Cette lacune ne s’apparente nullement à un vide

législatif, car ces mécanismes sont soumis au droit commun des contrats, et à toutes

les règles visant, de manière générale, les garanties. La « vraie lacune » du droit

consiste dans le défaut de règles spéciales fixant le régime du mécanisme en

l’appréhendant comme une garantie personnelle.

629. Les conditions de l’efficacité des garanties personnelles innomées.

Comme, par définition, les garanties personnelles innomées ne sont pas soumises à

une réglementation spéciale, ce n’est pas une telle réglementation qui peut les rendre

efficaces. Leur efficacité dépend d’une qualité de la jurisprudence, à savoir le

respect de l’autonomie normative de la garantie personnelle innomée. Cette

autonomie est recherchée par les parties, afin de bénéficier d’avantages que le droit

du cautionnement entrave, et d’être à l’abri, au contraire, des désagréments que

l’application de cette réglementation occasionne. Pour que cette finalité assignée à la

garantie personnelle innomée s’accomplisse, le respect, par les juges, des prévisions

intrinsèques des parties doit revêtir trois formes1398.

La première réside dans la reconnaissance de la validité même des garanties

personnelles innomées. A cet égard, la jurisprudence favorise l’efficacité de ces

contrats, puisqu’elle a érigé en principe la liberté de déroger au caractère accessoire

renforcé du cautionnement, et ne s’est pas saisie de l’argument tiré de la fraude à la

loi pour limiter la validité des garanties personnelles indépendantes et des garanties

personnelles accessoires innomées1399.

Le respect de la liberté contractuelle se manifeste, en deuxième lieu, à travers la

qualification du contrat retenue par les juges. La volonté des parties de se démarquer

du cautionnement ne peut être respectée que si les juges, d’une part, n’usent pas du

procédé de la qualification à des fins détournées, pour faire d’un contrat innomé un

contrat nommé, soumis à des règles déterminées et que, d’autre part, ils respectent

1397 Sur la signification du qualificatif innomé, cf. supra n°229-231 1398 Cf. supra n°232-235 1399 Cf. supra n°372-381

Page 350: L'efficacité des garanties personnelles

les caractéristiques distinctives des garanties personnelles non spécialement

réglementées1400.

Le respect des prévisions intrinsèques des parties s’exprime, en troisième lieu,

par la reconnaissance de l’autonomie du régime de la garantie personnelle innomée

par rapport à celui du cautionnement.

630. Les raisons de l’inefficacité des garanties personnelles innomées.

Dans ces deux dernières formes, le respect de la liberté contractuelle est loin de

caractériser la jurisprudence actuelle. C’est essentiellement parce que les juges

rendent les critères de qualification des garanties personnelles innomées incertains

(Section1), et parce qu’ils alignent leur régime sur celui du cautionnement (Section

2), que les prévisions intrinsèques des parties risquent d’être déjouées et donc que

l’inefficacité des garanties personnelles innomées se trouve favorisée.

SECTION 1 : DES CRITÈRES DE QUALIFICATION

INCERTAINS

631. L’étroitesse de la gamme de qualifications : un facteur d’inefficacité.

La qualification du contrat de garantie adoptée par le juge éventuellement saisi est

source d’inefficacité chaque fois qu’elle entrave la réalisation des attentes

subjectives du bénéficiaire. La protection des intérêts des créanciers se trouve ainsi

compromise lorsque les juges s’en tiennent à une gamme limitée de qualifications,

qui ne reflète pas l’originalité imprimée au contrat conclu1401.

Ce phénomène peut s’expliquer diversement. Tout d’abord, les juges peuvent

retenir la qualification de cautionnement, en somme par facilité, car il s’agit de celle

qui leur est la plus familière1402. Ensuite, la requalification en cautionnement peut

s’expliquer par la volonté d’étendre à un garant, tenu de la dette même du débiteur

principal, les protections octroyées aux cautions1403. Enfin, le fait que les

1400 Sur ces caractéristiques distinctives, liées aux degrés dans le lien d’accessoire à principal

et aux attraits propres des principales garanties personnelles innomées, cf. supra n°382-402 1401 La protection des intérêts des créanciers se trouve donc compromise par le « numerus

clausus, non des sûretés ou des garanties personnelles en général, mais plus précisément des

garanties personnelles de substitution au cautionnement » (Ph. DUPICHOT, th. préc., n°472). 1402 En présence d’un contrat qui stipulait que « dans le cas de mise en location-gérance, le

concessionnaire se porte fort et garant solidaire… de l’exécution de toutes les clauses et

conditions du présent contrat par son gérant», la Cour d’appel de Paris (24 avril 1984 : Juris-

Data n°22203) a condamné le concessionnaire en qualité de caution. C’est probablement le

caractère inhabituel de l’engagement de porte-fort sûreté qui a conduit la Cour à lui préférer la

qualification de cautionnement, de loin plus connue. 1403 La requalification en cautionnement d’engagements de codébiteur solidaire adjoint relève

de cette logique. Ainsi, l’obligation de garantie pesant sur le locataire ayant cédé son bail a

déjà été qualifiée de cautionnement (Cass. soc., 17 mai 1957 : Bull. civ. IV, n°573 ; Cass. 3ème

civ., 14 novembre 1973 : Bull. civ. III, n°579 ; Cass. 3ème civ., 12 novembre 1974 : Bull. civ.

III, n°408), alors qu’elle relève plus certainement de l’article 1216 du Code civil. En effet, le

cédant n’est pas une personne étrangère à l’obligation principale. Son obligation initiale

survit, sans intéressement à la dette. La qualification de cautionnement montre que les juges,

en contradiction avec le principe de l’article 1273 du Code civil, présument une novation de

l’obligation du cédant. S’ils font également peu de cas de l’exigence de l’article 2015 du Code

civil, c’est parce que la qualification de cautionnement leur permet, notamment, de faire

Page 351: L'efficacité des garanties personnelles

qualifications retenues ne reflètent pas la richesse des garanties personnelles

innomées découle de l’effet hyperbolique que les juges confèrent à la fonction

distinctive de la règle de l’accessoire1404. Le principe de catégorisation tiré de cette

règle engendre ainsi un « effet pernicieux », puisqu’ « il joue un rôle souterrain de

fermeture dans la définition des notions et des catégories juridiques (…), il impose

son lot d’exclusion et de restriction au sein des qualifications de sûretés

personnelles (…), il empêche la réception de procédés de garantie à rigueur

intermédiaire entre le cautionnement et la garantie à première demande, et ce, en

dépit des appels réguliers de la pratique commerciale »1405.

En adoptant rarement les qualifications de constitut1406, ou de promesse de

porte fort1407, la jurisprudence ne laisse pas de place, ainsi, aux degrés dans le lien

d’accessoire à principal, et elle paralyse les attraits propres de ces mécanismes.

L’efficacité de ces garanties personnelles innomées s’en trouve affectée.

632. Les incertitudes entourant la qualification des garanties personnelles

innomées : un facteur d’inefficacité. La protection des intérêts des créanciers n’est

pas seulement menacée par ces réticences dans l’adoption de qualifications

intermédiaires. Elle l’est également par les incertitudes entourant les critères de

bénéficier au garant de l’article 2037 du Code civil (sur cette question, cf. M. OURY-

BRULE, th. préc., n°86 ; J. LAFOND, Cession de bail commercial et clause de solidarité,

JCP 2004, éd. E., 1098 ; I. LEMAIRE, Les garanties offertes aux créanciers lors de la cession

isolée du bail commercial, Droit et patrimoine 2001, n°99, p. 28 et s. ; J. FRANÇOIS, n°456 ;

Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°37). Récemment, la qualification d’engagement de

codébiteur solidaire adjoint a été approuvée par la Cour de cassation, qui en a déduit

l’exclusion de l’application de l’article 2037 du Code civil (Cass. com., 17 décembre 2003 :

D. 2004, Somm., p. 2035, obs. BREMOND). 1404 Sur la fonction distinctive du caractère accessoire, cf. notamment D. GRIMAUD, th.

préc., n°8 à 10, 190, 203 à 209 ; L. AYNES, Rapport français sur les sûretés personnelles,

Travaux de l’association H. Capitant « Les garanties de financement », journées portugaises,

Tome 47, 1996, LGDJ, p. 378 et s. ; I. FADLALLAH, Rapport général sur les sûretés

personnelles, Travaux de l’association H. Capitant « Les garanties de financement », journées

portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ, p. 329 et 330 ; C. GINESTET, La qualification des

sûretés, Defrénois 1999, p. 204 ; D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés

personnelles, in Sûretés et garanties – Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001,

n°92, p. 68 et s. ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°59-2 ; D. LEGEAIS, n°55 ; H., L. et J.

MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°15 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°30 1405 D. GRIMAUD, ibid., n°308 1406 De nombreux arrêts ont été considérés par la doctrine comme des occasions manquées de

reconnaître le constitut : TC Paris, 18 octobre 1985 et CA Paris, 15 mars 1987 (RD bancaire

et bourse 1987, p. 96, obs. CONTAMINE-RAYNAUD) ; Cass. com., 3 janvier 1995 (Bull.

civ. IV, n°4) ; CA Paris, 3 mars 1995 (RTD civ. 1995, p. 888, obs. MESTRE) ; CA Paris, 12

avril 1995 (JCP 1995, I, 3889, n°11, obs. SIMLER ; RD bancaire et bourse 1995, p. 223, obs.

CONTAMINE-RAYNAUD) ; Cass. 1ère civ., 2 avril 1996 (JCP 1996, IV, 1265) ; CA

Toulouse, 9 octobre 1997 (Juris-Data n°047433) ; Cass. com., 23 février 1999 (Banque et

droit 1999, p. 40, obs. JACOB). 1407 Cass. com., 7 octobre 1986 : pourvoi n°84-14.453 ; Cass. 1ère civ., 27 février 1990 :

pourvoi n°88-16.726

Page 352: L'efficacité des garanties personnelles

qualification des garanties personnelles non spécialement réglementées1408. En

l’absence de définition légale de ces mécanismes, il appartient aux juges du fond de

dégager ces critères, sous le contrôle de la Cour de cassation.

La lenteur dans l’élaboration des éléments de distinction des différentes

garanties personnelles entrave la connaissance des règles de droit par les créanciers,

et limite donc la rationalité de leurs choix. Par ailleurs, les hésitations

jurisprudentielles relatives aux critères de qualification encouragent les garants de

mauvaise foi à contester leur engagement. Enfin, ces tâtonnements sont à l’origine

de remises en cause des prévisions intrinsèques des parties. Pour toutes ces raisons,

les incertitudes affectant la qualification des garanties personnelles innomées

apparaissent comme des facteurs d’inefficacité de ces mécanismes.

Si ces incertitudes concernent toutes les garanties personnelles non

spécialement réglementées1409, il est intéressant d’en dévoiler les causes dans les

garanties personnelles innomées qui concentrent aujourd'hui l’essentiel du

contentieux, à savoir la garantie autonome (§1) et la lettre d'intention (§2).

§1 : LES RAISONS DE L’INSECURITE

EN MATIERE DE GARANTIE AUTONOME

633. Une part importante du contentieux en matière de garantie autonome

porte sur la qualification même des actes de garantie. La validité des garanties

indépendantes étant admise1410, la contestation du caractère autonome constitue l’un

des seuls moyens de défense que le donneur d'ordre peut soulever en vue d’obtenir

une défense de payer1411, et dont le garant peut se prévaloir, afin de retarder, voire

1408 Sur ces incertitudes, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°445 à 471 ; D. LEGEAIS,

L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 658 à

663 1409 Les arrêts reconnaissant la validité de garanties personnelles innomées n’en précisent pas

toujours les critères de qualification. Ainsi, l’arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de

cassation du 7 octobre 1997 (Bull. civ. IV, n°242), présenté comme ayant consacré le

constitut, approuve la Cour d’appel d’avoir retenu « un engagement de payer la dette

d’autrui », mais n’en donne aucune définition.

Dans son arrêt du 17 novembre 1999 (Bull. civ. I, n°309), la première Chambre civile s’est

réfugiée derrière le pouvoir souverain des juges du fond, qui avaient retenu la qualification

d’engagement de codébiteur solidaire non intéressé à la dette. « Ce faisant, elle se refuse à

poser un critère objectif de distinction entre l’engagement solidaire de l’article 1216 et le

cautionnement…La cohérence d’ensemble du droit des sûretés se trouve menacée si la liberté

des parties de choisir leur forme de garantie n’est pas limitée par une différenciation

objective des différents types de sûretés » (P. ANCEL, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre

1999, D. 2000, p. 407). 1410 Cf. supra n°372-381 1411 Le plus souvent, le contentieux est porté devant le juge des référés. Or, comme

l’intervention de ce juge est subordonnée à l’absence de contestation sérieuse, il ne peut pas

prendre parti sur la qualification de l’engagement, lorsqu’elle apparaît incertaine. Dès lors

qu’il faut attendre que le tribunal compétent tranche la question de la qualification pour que

l’exécution soit possible, quand bien même la qualification retenue serait favorable au

créancier, celui-ci pâtit incontestablement d’un retard, que la conclusion d’une garantie

autonome avait justement pour but d’éviter.

Page 353: L'efficacité des garanties personnelles

d’éluder, le paiement, surtout lorsque le donneur d'ordre est en faillite et qu’un

recours contre lui semble illusoire.

Si, plus de vingt ans après la validation des garanties indépendantes, le

contentieux de la qualification est encore particulièrement nourri, c’est parce que le

rattachement d’un acte de garantie à la catégorie du cautionnement ou à celle de la

garantie autonome fait toujours l’objet d’incertitudes. En cas de litige, il est difficile

de déterminer par avance la qualification qui sera définitivement retenue. « Or, si les

parties doivent plaider pendant dix ans pour obtenir le paiement prévu, la garantie

autonome manque singulièrement son objectif »1412.

L’insécurité relative à la qualification du contrat conclu est créée, soit par les

parties elles-mêmes, lorsque la rédaction de l’acte est ambiguë (A), soit par les

juges, lorsqu’ils apprécient l’objet de l’obligation du garant (B) ou adoptent un

raisonnement téléologique (C). C’est surtout l’insécurité créée par la jurisprudence

qui menace l’efficacité des garanties autonomes.

A/ L’AMBIGUÏTE DES ACTES DE GARANTIE

634. Les manifestations de l’ambiguïté. Les actes par lesquels s’engage un

garant autonome sont souvent brefs et fort ambigus.

« L’équivoque peut naître par défaut lorsque l’engagement fait l’objet dans le

contrat de fausses qualifications »1413. A cet égard, l’ambiguïté se trouve accrue en

matière internationale, en raison de la rédaction de l’acte en langue étrangère et des

traductions approximatives des termes « guarantee » ou « bond »1414.

« L’équivoque résulte parfois, à l’inverse, de l’excès lorsque les termes de la

promesse sont contradictoires »1415. L’acte de garantie emprunte alors des critères

propres à la garantie autonome et au cautionnement, et se caractérise par un

« mélange des genres »1416.

1412 D. LEGEAIS, note sous Cass. com., 7 octobre 1997, JCP 1998, éd. E, p. 226 1413 J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie

indépendante, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des

entreprises 2-92, p. 31 1414 Ces termes ont souvent été traduits par « cautionnement », plutôt que par « garantie ».

Ainsi, la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 27 septembre 1983 (D. 1984, IR, p. 201, obs.

VASSEUR), en l’absence de clause de paiement à première demande, a traduit le terme

« bond » par « cautionnement accessoire ». 1415 J. DEVEZE, art. préc., p. 31 1416 A. CERLES (Garanties bancaires : contre le mélange des genres, D. Aff. 1998, n°115,

p. 747 et 748) fournit des « exemples à ne pas suivre » : acte qualifié de « garantie à première

demande » comportant une clause de solidarité ; acte qualifié de « garantie à première

demande », dans lequel « le garant s’engage au cas de défaillance du donneur d'ordre à se

substituer au paiement de la dette de celui-ci », ou encore « à payer au lieu et place de celui-

ci » ; engagement de garantie à première demande obligeant expressément le garant à

exécuter les clauses contractuelles, c'est-à-dire à payer les échéances du contrat principal ;

« acte de cautionnement », dans lequel le garant est « tenu de payer irrévocablement et

inconditionnellement » à première demande du bénéficiaire, « sans pouvoir différer le

paiement ni soulever de contestations pour quelque motif que ce soit » ; cautionnement

solidaire par lequel le garant s’engage à payer toutes sommes pouvant être dues au

bénéficiaire par le débiteur, mais précisant que « le bénéficiaire pourra demander le paiement

Page 354: L'efficacité des garanties personnelles

635. Les raisons de l’ambiguïté. Ces confusions peuvent s’expliquer de

plusieurs manières.

A l’origine, les maladresses de rédaction pouvaient être rattachées à une

connaissance insuffisante de l’institution nouvelle. « La spécificité de la garantie

autonome n’a été perçue que progressivement par ceux-là même qui l’ont mise en

œuvre »1417.

Des confusions pouvaient également résulter du recours habituel et quasi

automatique à des termes familiers appartenant au registre du cautionnement1418.

Aujourd'hui, les ambiguïtés peuvent surtout s’expliquer par la volonté des

créanciers d’échapper aux causes d’inefficacité du cautionnement, tout en laissant

espérer au garant qu’il souscrit un cautionnement. Ils cherchent ainsi à concilier

l’inconciliable. Dans ce contexte, si un litige survient et qu’il aboutit à la

requalification de la garantie indépendante en cautionnement, l’efficacité du contrat

conclu est certes affectée, mais le créancier a pris le risque qu’il en aille ainsi. Cela

conduit à relativiser le rôle que peut jouer l’ambiguïté de la rédaction de l’acte de

garantie dans l’inefficacité de la garantie autonome.

636. Les solutions jurisprudentielles claires permettant de dissiper

l’ambiguïté des actes de garantie. La jurisprudence adopte quelques solutions

claires, qui permettent de prévoir comment seront levées certaines ambiguïtés et qui

atténuent, ce faisant, l’insécurité engendrée par celles-ci.

Tout d’abord, les principes d’interprétation appliqués en préalable de

l’opération de qualification proprement dite sont fermement établis. Les juges du

fond doivent rechercher la commune intention des parties1419, en ayant égard, non

seulement aux termes de l’acte (ceux inscrits dans les mentions manuscrites doivent

prévaloir sur ceux figurant dans des clauses dactylographiées1420), mais aussi à des

éléments extérieurs aux stipulations contractuelles1421.

Ensuite, en cas de doute sur la nature exacte de l’engagement pris par le garant,

c’est l’engagement minimal qui doit être retenu, autrement dit la requalification en

sans avoir à justifier du bien fondé de sa créance, le garant ne pouvant tenir compte de toute

défense ou refus de payer émanant du donneur d'ordre ».

L’auteur souligne que « le mauvais exemple vient parfois d’en haut », puisqu’un arrêté

ministériel du 10 décembre 1993, pris en application des articles 131 et 322 du Code des

marchés publics, a établi deux modèles de garantie en faveur de titulaires de marchés publics,

qui mélangent, comme dans les clauses précitées, les caractéristiques du cautionnement et

celles de la garantie autonome. 1417 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°214 1418 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, n°892 1419 Cass. com., 15 mai 1992 : RTD com. 1992, p. 657, n°11, obs. CABRILLAC et TEYSSIE 1420 Il a été jugé que le mot « cautionnement » dans la mention manuscrite l’emportait sur

l’expression « garantie à première demande », contenue dans une mention dactylographiée

(Cass. com., 8 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°225). 1421 Cass. com., 19 février 1991 : JCP 1991, II, 21670, note VASSEUR ; Cass. com., 19 mai

1992 : D. 1993, Somm., p. 104, obs. VASSEUR

Page 355: L'efficacité des garanties personnelles

cautionnement s’impose. Cette solution se recommande des articles 1162, 11591422

et 2015 du Code civil1423.

Enfin, l’interprétation de certains termes ou clauses ne laisse plus de place à

l’incertitude. Ainsi, conformément au principe selon lequel le juge doit restituer leur

exacte qualification aux actes litigieux, sans s’arrêter à la dénomination que les

parties en auraient proposée (article 12 du nouveau Code de procédure civile),

l’intitulé « cautionnement », ou « garantie à première demande », ou encore «

garantie autonome », n’est pas déterminant, au contraire du contenu même de

l’acte1424.

S’agissant des qualificatifs « inconditionnel » et « irrévocable », après avoir

été jugés significatifs de l’existence d’une garantie autonome1425, ils ne sont plus

aujourd'hui considérés comme déterminants1426.

La clause de solidarité ne l’est pas davantage. Alors même que la solidarité ne

peut naître que d’une communauté de dettes, et qu’elle est donc dépourvue de sens

dans un engagement autonome, la Cour de cassation décide que sa stipulation n’est

pas de nature à remettre en cause la qualification de garantie autonome, dès lors que

les autres clauses de l’acte expriment clairement la volonté du garant de prendre un 1422 Dans le cadre du commerce international, l’usage est celui de la garantie indépendante,

donc le doute doit conduire à retenir cette qualification. En droit interne, l’usage dominant est,

au contraire, celui du cautionnement. Une requalification en ce sens s’impose donc. 1423 « La garantie autonome étant un engagement plus lourd de conséquences encore, la ratio

legis (de l’article 2015) impose que, dans le doute, ce soit la qualification de garantie

autonome qui soit écartée au profit de celle de cautionnement » (Ph. SIMLER, n°895). En ce

sens, cf. CA Paris, 17 décembre 1992 : JCP 1993, éd. E, I, 243, n°39, obs. GAVALDA et

STOUFFLET ; D. 1993, Somm., p. 98, obs. VASSEUR ; CA Versailles, 4 mars 1999 : RJDA

6/1999, n°721 1424 Cf. notamment Cass. com., 2 février 1988 : Bull. civ. IV, n°55 ; Cass. com., 22 mai 1991 :

D. 1992, Somm., p. 233, obs. VASSEUR ; Cass. com., 7 octobre 1997 : Bull. civ. IV, n°242 ;

Cass. com., 23 février 1999 : JCP 1999, éd. E, act. 439 ; RTD com. 1999, p. 480, obs.

CABRILLAC ; Cass. com., 6 juin 2000 : RJDA 11/2000, n°1044 ; CA Paris, 28 avril 2000 :

RD bancaire et financier 2000, n°196, obs. MATTOUT ; Cass. com., 6 mai 2003 : JCP 2003,

II, 10186, note GUERCHOUN ; Cass. com., 16 juin 2004 : RD bancaire et financier 2004,

n°232, obs. LEGEAIS ; RJDA 12/04, n°1378 et 1388 1425 Au sujet du qualificatif « inconditionnel », cf. CA Paris, 9 mai 1984 : JCP 1986, éd. E, II,

14828, note AZENCOT. Au sujet du qualificatif « irrévocable », cf. CA Paris, 7 octobre

1981 : JCP 1982, II, 13734, obs. BOULOY ; RTD com. 1982, p. 281, obs. CABRILLAC et

TEYSSIE ; CA Paris 10 avril 1986 : D. 1988, Somm., p. 244, obs. VASSEUR ; Cass. com.,

18 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°102 ; Cass. 3ème civ., 27 septembre 2000 : RJDA 2/2001, n°233 1426 Cass. com., 27 juin 2000 (RD bancaire et financier 2000, n°225, obs. MATTOUT ; RJDA

12/2000, n°1169) et Cass. com., 30 janvier 2001 (Bull. civ. IV, n°25) ne reprennent pas

comme élément caractéristique de la garantie autonome le caractère irrévocable ou

inconditionnel de l’engagement du garant.

Cette solution doit être approuvée, car la garantie autonome peut être assortie d’une condition

(les garanties documentaires en fournissent une illustration) et le cautionnement peut

également être assorti ou non d’une condition. « Au mieux, le qualificatif inconditionnel ne

peut être crédité d’une signification plus précise que s’il est appliqué non à l’engagement,

mais à son exécution (engagement de payer inconditionnellement et non engagement

inconditionnel de payer) » (Ph. SIMLER, n°892).

S’agissant de l’irrévocabilité, elle est pareillement sans rapport avec l’autonomie. Ainsi, une

caution n’est pas autorisée à remettre en cause unilatéralement son obligation de règlement,

même si le contrat est à durée indéterminée.

Page 356: L'efficacité des garanties personnelles

engagement indépendant1427. La volonté réelle des parties l’emporte ainsi sur la

clause de solidarité, qui a pu être inscrite dans l’acte par routine, inadvertance, ou

encore ignorance de sa signification profonde1428.

Enfin, la mention d’un « paiement à première demande », ou les formules

exprimant l’inopposabilité des exceptions (« sans pouvoir opposer aucune objection

de fait ni de droit, ni différer le paiement » ; « sans pouvoir soulever aucune

contestation pour quelque motif que ce soit »), ne constituent plus « le critère par

excellence de la garantie autonome »1429. Ces termes sont certes nécessaires, mais

ils ne suffisent plus pour emporter la qualification de garantie indépendante, si, par

ailleurs, le critère de l’objet propre de l’obligation de règlement du garant n’est pas

respecté1430.

637. Quelques solutions fermement établies permettent donc de résoudre, de

manière prévisible, certaines ambiguïtés figurant dans les actes de garantie. Si la

jurisprudence supprime ainsi quelques incertitudes, et rend plus sûre la qualification

qui sera définitivement retenue, elle est corrélativement à l’origine d’une véritable

insécurité en matière de qualification.

B/ L’APPRECIATION DE L’OBJET

DE L’OBLIGATION DE REGLEMENT DU GARANT

638. Le critère de qualification de la garantie autonome : le caractère

propre de l’objet de l’obligation de règlement du garant. Depuis 1994, « la Cour

de cassation a compris que le propre de l’engagement indépendant est dans

l’indépendance de cet engagement ! Cette tautologie signifie que le banquier ne doit

pas avoir assumé l’obligation du débiteur »1431. La Haute juridiction retient, en effet,

1427 Cass. com., 8 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°261 ; Cass. com., 22 mai 1991 : D. 1992,

Somm., p. 233, obs. VASSEUR 1428 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, A propos des garanties autonomes en droit interne

souscrites par des personnes physiques, JCP 1991, éd. E, I, 90, n°18 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°214 ; Ph. SIMLER, n°893 1429 M. VASSEUR, note sous Cass. com., 2 février 1988, D. 1988, Somm., p. 239 1430 En faveur d’une requalification de l’engagement de payer la dette même du débiteur

principal en cautionnement, alors même que l’acte de garantie stipulait que ce paiement devait

avoir lieu « sans pouvoir soulever de contestation pour quelque motif que ce soit », cf.

notamment Cass. com., 9 décembre 1997 : D. Aff. 1998, p. 199, obs. S.P. ; RD bancaire et

bourse 1998, p. 66, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 25 juin 2002 : D. 2002,

Somm., p. 3333, obs. AYNES ; RJDA 12/2002, n°1318 ; Cass. com., 5 novembre 2002 :

RJDA 3/2003, n°314 et 321 ; Cass. com., 8 octobre 2003 : RJDA 03/2004, n°361 ; RD

bancaire et financier 2004, n°15, obs. CERLES ; LPA 17 mai 2004, n°98, p. 8, note

BARTHEZ ; JCP 2004, I, 141, n°8, obs. SIMLER ; Cass. 1ère civ., 6 juillet 2004 : Bull. civ. I,

n°199

En faveur d’un cumul entre l’autonomie de l’engagement et l’inopposabilité des exceptions,

cf. Cass. com., 27 juin 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°225, obs. MATTOUT ; RJDA

12/2002, n°1169 ; Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25

Contra, cf. Cass. com., 9 juin 2004 : Bull. civ. IV, n°118 (qualification de garantie autonome

fondée sur la seule renonciation à toutes contestations des demandes faites au titre de la

garantie accordée). 1431 I. FADLALLAH, Rapport général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association

H. Capitant « Les garanties de financement », journées portugaises, Tome 47, 1996, LGDJ,

p. 323 et s., n°14

Page 357: L'efficacité des garanties personnelles

comme critère essentiel de qualification de la garantie autonome, le caractère propre

de l’objet de l’obligation de règlement du garant. Elle requalifie le contrat litigieux

en cautionnement dès que le garant assume la dette même du débiteur principal,

même si l’acte est intitulé « garantie autonome » et comporte une mention

manuscrite de paiement à première demande1432.

Si l’objet de l’obligation de règlement du garant constitue, en théorie, un critère

particulièrement fiable de distinction entre le cautionnement et la garantie

autonome1433, son appréciation, en pratique, est source d’insécurité. La jurisprudence

de ces dix dernières années en atteste.

639. La question des références du contrat de garantie au contrat de base.

A la lumière de l’arrêt du 13 décembre 1994, l’efficacité des garanties autonomes a

semblé particulièrement menacée. En effet, les créanciers pouvaient craindre que

toute référence au contrat de base serait interprétée comme manifestant l’unicité

d’obligations de règlement, et qu’elle conduirait à requalifier de nombreux actes en

cautionnement, et donc « à raréfier de façon drastique les garanties

indépendantes »1434.

Or, la référence au contrat principal est nécessaire pour identifier la cause de

l’obligation de règlement du garant1435, et pour permettre à celui-ci de vérifier que

l’appel de la garantie se rattache bien au contrat ayant donné lieu à son engagement.

Cette référence est également indispensable lorsque la garantie est stipulée

« glissante », c'est-à-dire lorsqu’elle se réduit au fur et à mesure de l’exécution de la

convention principale.

Dans la crainte de la requalification, les praticiens devaient donc développer

des prodiges d’imagination pour éviter cette référence quasi inéluctable au contrat

de base. Ce n’était pas pour rendre plus clairs les actes de garantie et pour dissuader

les garants et les donneurs d’ordre de contester le caractère autonome de la garantie

mise en place.

1432 Cass. com., 13 décembre 1994 : Bull. civ. IV, n°375. Dans le même sens, cf. Cass. com.,

5 décembre 1995 : RJDA 1996, n°386 ; Cass. com., 13 mars 1996 : JCP 1997, I, 3991, n°11,

obs. SIMLER ; RD bancaire et bourse 1996, p. 123, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass.

com., 11 mars 1997 : Bull. civ. IV, n°67 ; Cass. 1ère civ., 18 mars 1997 : RD bancaire et

bourse 1997, p. 123, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Cass. com., 9 décembre 1997 : D.

Aff. 1998, p. 199, obs. S.P. ; RD bancaire et bourse 1998, p. 66, obs. CONTAMINE-

RAYNAUD ; JCP 1999, éd. E, p. 764, obs. GAVALDA et STOUFFLET ; Cass. 1ère civ., 23

février 1999 : Bull. civ. I, n°64 ; Cass. com., 25 juin 2002 : D. 2002, Somm., p. 3333, obs.

AYNES ; RJDA 12/2002, n°1318 ; Cass. com., 5 novembre 2002 : RJDA 3/2003, n°314 et

321 ; Cass. com., 6 mai 2003 : JCP 2003, II, 10186, note GUERCHOUN ; Cass. com., 8

octobre 2003 : RD bancaire et financier 2004, n°15, obs. CERLES ; RJDA 03/2004, n°361 ;

JCP 2004, II, 10069, note GUTIERREZ-LACOUR ; Cass. com., 2 juin 2004 : RD bancaire et

financier 2004, n°232, obs. LEGEAIS ; Cass. com., 16 juin 2004: RD bancaire et financier

2004, n°232, obs. LEGEAIS ; RJDA 12/04, n°1378 et 1388 1433 Sur cette caractéristique distinctive des garanties personnelles, cf. supra n°301-306 1434 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°469 ; M. CABRILLAC, obs. sous Cass. com., 13

décembre 1994, RTD com. 1995, p. 458 1435 Sur la cause de l’obligation de règlement du garant comme élément de définition du

caractère accessoire essentiel des garanties personnelles, cf. supra n°278

Page 358: L'efficacité des garanties personnelles

640. L’évolution de la jurisprudence au sujet des références au contrat de

base. Dans un arrêt du 7 octobre 19971436, la Chambre commerciale de la Cour de

cassation, en présence d’un engagement de rembourser « toutes sommes qui

pourraient être dues en raison » du contrat principal, a considéré que ledit

engagement avait un objet propre, et que « peu importait qu’il soit fait référence à

l’opération juridique à l’occasion de laquelle l’engagement avait été souscrit ».

Cette décision marquait un assouplissement a priori favorable aux créanciers,

puisque des termes similaires avaient jusque là conduit la Cour de cassation à

pencher en faveur d’une requalification en cautionnement. En réalité, cette solution

fragilisait l’efficacité des garanties autonomes, car elle rendait spécialement ténue la

frontière entre le cautionnement et les garanties indépendantes. En admettant qu’une

garantie à première demande puisse faire référence au contrat de base pour définir le

montant dû par le garant, la Cour de cassation autorisait, plus qu’un renvoi au

contrat principal, une véritable référence à l’obligation de règlement du débiteur. Le

critère de l’objet propre de l’obligation du garant s’en trouvait obscurci1437, et la

sécurité nécessaire à l’efficacité des garanties autonomes s’en trouvait menacée.

Il a fallu attendre un arrêt du 18 mai 19991438, pour que la Chambre

commerciale de la Cour de cassation précise les conditions et les limites dans

lesquelles il est permis, sans s’exposer au risque de requalification, de faire

référence dans un acte de garantie autonome au contrat de base. Ces références sont

admises pour autant qu’elles n’impliquent pas « une appréciation des modalités

d’exécution (du contrat de base) pour l’évaluation des montants garantis ou pour la

détermination des durées de validité » de la garantie1439. La référence au contrat

principal doit donc « uniquement faciliter la causalité fondamentale de l’opération,

et non lier l’engagement du garant à celui du débiteur principal »1440. Une fois

conclue, la garantie indépendante doit fonctionner et produire ses effets sans

référence à l’étendue des obligations du donneur d'ordre. Son montant doit être

1436 Cass. com., 7 octobre 1997 : Bull. civ. IV, n°242 1437 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, obs. sous Cass. com., 7 octobre 1997, RTD com. 1998,

p. 189 : « c’est un chemin de crête bien étroit que celui qui sépare la référence au contrat de

base de la référence à la propre dette du débiteur principal. L’arrêt ne fait pas apparaître le

critère de la séparation ». Dans le même sens, cf. D. LEGEAIS, note sous Cass. com. 7

octobre 1997, JCP 1998, éd. E, p. 226 1438 Cass. com., 18 mai 1999 : Bull. civ. IV, n°102 1439 Dans l’espèce ayant donné lieu à l’arrêt du 18 mai 1999, l’étendue des deux garanties

litigieuses avait été fixée au moment de leur conclusion, et ne dépendait pas des conditions

d’exécution du contrat principal. La Chambre commerciale a ainsi censuré la Cour d’appel

qui avait disqualifié la garantie en cautionnement. Dans un arrêt du 30 janvier 2001 (Bull. civ.

IV, n°25), la qualification de garantie autonome a également été préférée à celle de

cautionnement, dans la mesure où le montant de la garantie avait été fixé sans référence aux

conditions du contrat de base. Dans d’autres arrêts, les précisions apportées sur les références

au contrat principal ont, au contraire, abouti à la requalification de l’acte en cautionnement

(Cass. com., 23 février 1999 : Bull. civ. I, n°64 ; Cass. com., 14 juin 2000 : RD bancaire et

bourse 2000, n°226, obs. MATTOUT ; Cass. com., 27 juin 2000 : RD bancaire et bourse

2000, n°225, obs. MATTOUT ; Cass. com., 8 octobre 2003 : RD bancaire et financier 2004,

n°15, obs. CERLES ; RJDA 03/2004, n°361). Dans ces dernières affaires, le garant s’était

obligé à payer « les sommes dues ou restant dues par le débiteur ». 1440 D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et

garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 72

Page 359: L'efficacité des garanties personnelles

définitivement fixé dès l’émission, ce qui n’exclut pas une variabilité si elle est

prévue dans la convention. Par ailleurs, l’autonomie suppose que l’exécution du

garant ne soit pas subordonnée à la défaillance du débiteur, ce qui n’empêche pas la

conclusion d’une garantie à première demande justifiée1441.

Les précisions apportées par la Chambre commerciale de la Cour de cassation

fournissent aux créanciers les moyens de conclure des garanties autonomes qui

répondent à leurs attentes subjectives initiales, et dont la finalité ne risque pas d’être

contrariée par une requalification en cautionnement. Cette jurisprudence évite que

« l’opération de qualification des différentes garanties personnelles ne se

transforme en un jeu de hasard réservé à quelques initiés »1442. Elle favorise donc

l’efficacité des garanties autonomes.

L’insécurité en la matière n’a pourtant pas complètement disparu. En effet,

l’appréciation de l’objet de l’obligation de règlement du garant que retient la

première Chambre civile de la Cour de cassation diverge de celle de la Chambre

commerciale. Dans un arrêt du 12 décembre 20001443, la première Chambre civile a

jugé qu’un engagement de garantir « toutes sommes dues par le locataire », à

première demande du bailleur, est dépourvu d’ambiguïté, et ne présente pas un

caractère accessoire. Certaines juridictions du fond statuent également en ce sens1444.

Ces solutions ne sont qu’en apparence protectrices des intérêts des créanciers,

puisqu’en faisant planer un doute sur le critère de qualification des garanties

autonomes, elles fragilisent, en réalité, l’efficacité de celles-ci.

Le critère de l’objet de l’obligation de règlement du garant est également

mis à mal chaque fois que les juges procèdent à des qualifications téléologiques.

C/ LES QUALIFICATIONS TELEOLOGIQUES

641. Le raisonnement téléologique consiste à poser comme prémisse ce que

l’on attend en conclusion. Il conduit à retenir la qualification qui emporte

l’application ou, au contraire, l’éviction d’une règle de droit déterminée. Le but qui

oriente la qualification peut être, soit la protection des intérêts du garant (1), soit la

protection des intérêts du créancier bénéficiaire (2).

1. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts du garant

642. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts du

garant : un facteur d’inefficacité. Lorsque la qualification jurisprudentielle est

dictée, non par les caractéristiques imprimées par les parties au contrat, mais par le

1441 La Chambre commerciale (Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25) a admis la

qualification de garantie autonome en présence d’un acte prévoyant que la demande du

bénéficiaire devait porter « la déclaration que le débiteur n’a pas rempli ses obligations

contractuelles ». Cette décision se rapporte à une garantie conclue dans un contexte

international. Dans ce cadre, des degrés dans l’autonomie (garantie justifiée, garantie

documentaire) sont souvent présents. 1442 D. LEGEAIS, note sous Cass. com., 7 octobre 1997, JCP 1998, éd. E, p. 226 1443 Cass. 1ère civ., 12 décembre 2000 : JCP 2001, I, 315, n°8, obs. SIMLER ; Contr., conc.,

consom. 2001, n°54, p. 13 1444 CA Paris, 28 juin 2002 : RD bancaire et financier 2003, n°72, obs. LEGEAIS (la

qualification de garantie autonome a été retenue en présence d’un engagement « au paiement

des loyers, charges et accessoires du loyer dont le preneur sera redevable au titre du bail »).

Page 360: L'efficacité des garanties personnelles

souci de protéger le garant, l’efficacité de la garantie autonome conclue est

compromise, puisque la fonction de garantie est primée par la protection des intérêts

du garant. Plus largement, c’est l’efficacité de la garantie autonome, en tant

qu’institution, qui se trouve affectée, car les solutions téléologiques ne permettent

pas de connaître les critères de qualification avec certitude.

643. La protection des garants non professionnels. Ainsi, bien que la Cour

de cassation rejette apparemment la qualité des parties comme critère de distinction

entre le cautionnement et la garantie autonome1445, nombre de requalifications en

cautionnement semblent avoir été motivées par la volonté de protéger un garant non

professionnel1446. Ainsi, la jurisprudence sur l’objet de l’obligation de règlement du

garant a été inaugurée à propos de garanties à première demande souscrites par des

personnes physiques1447. Par ailleurs, l’arrêt de la première Chambre civile de la

Cour de cassation du 23 février 19991448, qui semblait remettre en cause la

possibilité d’une référence au contrat de base dans une garantie autonome1449, avait

mis l’accent sur le fait que le garant « n’intervenait pas à titre professionnel ».

Dès lors que l’appréciation du caractère accessoire ou autonome de l’obligation

de règlement du garant est orientée par la qualité de ce dernier, sans que cette qualité

ne soit ouvertement érigée en critère de qualification, la prévisibilité de celle-ci

devient illusoire. La fiabilité des critères expressément mis en œuvre peut, quant à

elle, être mise en doute. Lorsque la requalification en cautionnement est dictée par la

volonté de protéger le garant, et non par les termes de l’engagement, l’insécurité

1445 Si la Cour d’appel de Paris a déjà jugé que toute garantie personnelle souscrite par une

personne physique non commerçante est un cautionnement (CA Paris, 26 janvier 1993 : D.

1993, IR, p. 93), la Cour de cassation rejette les présomptions portant sur la qualité des

parties. La Chambre commerciale (Cass. com., 10 mai 1994 : Bull. civ. IV, n°171) a cassé un

arrêt qui s’était principalement appuyé sur le fait que le garant était une banque pour qualifier

un acte litigieux de garantie indépendante. La Cour de cassation décide aussi que la qualité du

créancier est indifférente (Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25). 1446 Cette finalité a été expressément invoquée par la Cour d’appel de Paris (CA Paris, 5

février 1992 : JCP 1993, I, 3623, obs. SIMLER ; D. 1993, Somm., p. 107, obs. VASSEUR ;

RJDA 4/1992, n°388) : la qualification de garantie autonome a été écartée au motif que la

généralisation de cette forme de garantie, en droit interne, serait inéquitable en raison de la

rupture d’équilibre, lorsque le garant n’est pas un organisme de crédit. 1447 Dans son commentaire de l’arrêt du 13 décembre 1994 (RTD com. 1995, p. 458), M.

CABRILLAC a mis en avant la finalité de protection du garant non institutionnel en ces

termes : « on concevrait mal, au sujet d’un engagement souscrit par un établissement de

crédit, une disqualification pour les motifs qui ont été retenus en l’espèce. Reste à savoir s’il

est de bonne technique de résoudre le problème par la dualité d’interprétation en fonction de

la personne du souscripteur, solution vers laquelle on paraît s’orienter ». 1448 Cass. 1ère civ., 23 février 1999 : Bull. civ. I, n°64 1449 L’arrêt précise que « l’engagement se référait à la dette du débiteur principal et n’était

donc pas autonome ». Compte tenu de la généralité des termes employés par la première

Chambre civile, la question se posait de savoir si elle ne refusait pas, au contraire de la

Chambre commerciale, toute référence au contrat principal. En réalité, dans la mesure où, en

l’espèce, la référence en question était faite pour déterminer l’objet de l’obligation de

règlement, à savoir « toutes sommes dues par le preneur en vertu de la convention de crédit-

bail », il n’y avait pas de divergence de fond au sein de la Cour de cassation, mais seulement

des manières plus ou moins précises de poser les critères de distinction entre le cautionnement

et la garantie autonome.

Page 361: L'efficacité des garanties personnelles

règne donc, et l’efficacité des garanties autonomes se trouve compromise. Un même

constat s’impose lorsque la qualification est orientée par l’objectif de protection des

intérêts des créanciers.

2. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts du créancier

644. Lorsque le souci de protéger les intérêts des bénéficiaires incite les juges

à retenir la qualification de garantie autonome, alors que les caractéristiques du

contrat devraient plutôt les conduire à celle de cautionnement, l’efficacité du contrat

litigieux est certes favorisée, mais l'efficacité de la garantie autonome, en tant

qu’institution, se trouve fragilisée. La requalification de certaines garanties imposées

par la loi en garanties autonomes, dans le seul but d’éviter aux créanciers

l’extinction pour défaut de déclaration de la créance à la procédure collective du

débiteur en constitue une illustration topique.

645. Les garanties faisant l’objet de qualifications téléologiques. Ont

d’abord été concernées les garanties de bonne fin d’achèvement des travaux1450.

Habituellement qualifiées de cautionnements1451, elles sont aujourd'hui considérées

par la Cour de cassation comme des garanties autonomes, non éteintes par un défaut

de déclaration1452.

Furent ensuite l’objet d’une qualification téléologique, les garanties financières

professionnelles. La plus grande confusion a régné en la matière au cours des années

1990, puisque « les chambres civile et commerciale de la Cour de cassation ont

rendu des solutions opposées1453, puis ont chacune admis les arguments de l’autre et

ont alors opéré un revirement de jurisprudence, de sorte qu’elles se sont à nouveau

trouvées en opposition1454 »1455. L’Assemblée Plénière a voulu « mettre bon ordre à

1450 L’article R. 233-11 du Code de la construction et de l’habitation prévoit que la garantie

extrinsèque d’achèvement « est constituée par une caution solidaire donnée par un

établissement de crédit ou une entreprise d’assurance agréée à cet effet », et l’article R. 261-

21 du même code la définit comme étant « une convention de cautionnement aux termes de

laquelle la caution s’oblige envers l’acquéreur, solidairement avec le vendeur, à payer les

sommes nécessaires à l’achèvement de l’immeuble ». Cette garantie présente la spécificité

d’être conclue entre le débiteur principal et le garant. 1451 Cass. 3ème civ., 5 janvier 1978 : Bull. civ. III, n°16 ; Cass. 3ème civ., 7 juillet 1981 : Gaz.

Pal. 1982, 2, p. 447, note GOURIO ; Cass. 3ème civ., 3 décembre 1985 : JCP 1986, IV, 62 ;

Gaz. Pal. 1986, 1, pan. p. 52 ; Cass. 3ème civ., 9 novembre 1994 : Bull. civ. III, n°185 1452 Cass. 3ème civ., 12 mars 1997 : Bull. civ. III, n°53 ; Cass. 3ème civ., 14 janvier 1998 : Bull.

civ. III, n°10 ; Cass. 3ème civ., 28 novembre 2001 : Bull. civ. III, n°139 ; Cass. com., 25

février 2004 : RD bancaire et financier 2004, n°206, obs. CERLES 1453 La première Chambre civile a d’abord refusé aux sociétés de caution mutuelle délivrant

des garanties financières professionnelles d’invoquer le défaut de déclaration, sans se

prononcer expressément sur la qualification de telles garanties (Cass. 1ère civ., 4 juin 1991 :

Bull. civ. I, n°179). Dans le même temps, la Chambre commerciale considérait ces garanties

comme des cautionnements, donnant lieu à l’application de l’article 53 de la loi du 25 janvier

1985 (Cass. com., 1er octobre 1991 : JCP 1993, II, 21900, note BEHAR-TOUCHAIS). 1454 Dans un second temps, la Chambre commerciale a jugé que la garantie imposée par la loi

et spécialement affectée au remboursement des fonds, effets ou valeurs reçus par les

professionnels garantis ne s’éteint que pour l’une des causes énumérées de manière limitative

par les textes applicables à la cause et ne cesse pas si le client omet de déclarer au passif sa

créance de restitution des sommes versées (Cass. com., 5 octobre 1993 : Bull. civ. IV, n°311).

La première Chambre civile, quant à elle, a décidé que « l’action dont dispose le client d’un

Page 362: L'efficacité des garanties personnelles

cette cacophonie »1456, en décidant « qu’en raison de son caractère autonome, la

garantie financière (…) n’est pas éteinte lorsqu’en cas de redressement ou de

liquidation judiciaire de l’agent immobilier, le client ne déclare pas au passif sa

créance de restitution de la somme versée »1457. La Chambre commerciale1458, puis

la première Chambre civile de la Cour de cassation1459, ont depuis repris à leur

compte cette analyse.

Après les garanties extrinsèques et les garanties financières professionnelles, ce

sont les garanties de remboursement de livraison souscrites par des assureurs dans le

cadre d’un contrat de construction individuelle1460, ainsi que les garanties fournies

en remplacement de la retenue de garantie exigée dans les marchés privés de

construction1461, qui se sont vues refuser la qualification de cautionnement et, par là

même, l’application de l’article L. 621-46 du Code de commerce.

Ce mouvement de promotion de garanties légales au rang de garanties

autonomes a pris une telle ampleur, qu’il est raisonnable de penser que d’autres

garanties financières professionnelles1462, et que d’autres garanties relevant du droit

de la construction1463, y seront soumises.

agent immobilier contre l’organisme assurant la garantie financière de ce dernier n’est pas

une action directe ; les règles spécifiques qui gouvernent l’extinction de cette garantie ne

privent pas le garant, tenu dans les termes du droit commun du cautionnement, de la

possibilité d’opposer au créancier, conformément à l’article 2036 du Code civil, l’exception

inhérente à la dette que constitue l’extinction de la créance par application de l’article 53 de

la loi du 25 janvier 1985 » (Cass. 1ère civ., 10 janvier 1995 : Bull. civ. I, n°17 ; Cass. 1ère civ.,

27 juin 1995 : Bull. civ. I, n°278). 1455 S. CABRILLAC, Garanties financières professionnelles, Droit et Patrimoine 2002,

n°106, p. 58 1456 Ph. SIMLER, n°724 1457 Cass. Ass. plén., 4 juin 1999 : Bull. civ., n°4 1458 Cass. com., 23 mai 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°195, obs. LEGEAIS 1459 Cass. 1ère civ., 12 décembre 2000 : RD bancaire et financier 2001, n°113, obs. CERLES 1460 Cass. 3ème civ., 14 mars 2001 : Bull. civ. III, n°32 ; Cass. 3ème civ., 23 juin 2004 : RD

bancaire et financier 2004, n°204, obs. CERLES (interprétation a contrario). Auparavant, la

Chambre commerciale décidait que cette garantie ne pouvait être qu’un cautionnement, et non

une garantie indépendante (Cass. com., 11 décembre 1985 : Bull. civ. IV, n°293). En dehors

du problème de défaut de déclaration de la créance, la troisième Chambre civile reconnaît

toujours l’autonomie, puisqu’elle retient que la garantie de livraison d’une maison

individuelle ne peut être privée d’efficacité par l’effet d’une novation du contrat de

construction de maison individuelle (Cass. 3ème civ., 4 juin 2003 : Bull. civ. III, n°120). 1461 Cass. 3ème civ., 3 octobre 2001 : Bull. civ. III, n°111. Mais, lorsque l’application de

l’article L. 621-46 du Code de commerce n’est pas en cause, la Cour de cassation retient la

qualification de cautionnement (Cass. com., 6 mai 2003 : RJDA 11/2003, n°1124 ; RD

bancaire et financier 2003, n°187, obs. CERLES). 1462 Notamment la garantie financière des avocats (loi du 31 décembre 1971, modifiée par la

loi du 31 décembre 1990), des agences de voyage (décrets du 28 mars 1977 et du 16 juin

1994), des courtiers d’assurance (article L. 530-1 du Code des assurances), des notaires

(décret du 20 mai 1955) et des banques (loi du 24 janvier 1984, modifiée par la loi du 29 juin

1999). 1463 Notamment les garanties prévues dans le cadre de la promotion immobilière, de la vente

en l’état futur d’achèvement, de la vente à terme, de la sous-traitance ou de l’article 1799-1 du

Code civil.

Page 363: L'efficacité des garanties personnelles

646. Les qualifications dictées par l’objectif de protection des intérêts des

créanciers : un facteur d’inefficacité. Si l’efficacité des garanties personnelles

suppose que le droit qui leur est applicable poursuive comme objectif la protection

des intérêts des créanciers bénéficiaires, cette efficacité ne peut être que de façade

lorsque cet objectif est poursuivi au stade de la qualification du contrat de garantie.

Ainsi, en découvrant de l’autonomie dans les garanties légales précitées, la Cour de

cassation a certes rendu effective la protection dont le législateur a voulu faire

profiter un certain nombre de particuliers1464, mais elle a aussi rendu incertaine la

notion d’autonomie, ce qui fragilise l’efficacité de la garantie autonome, en tant

qu’institution.

En effet, comme le résultat (l’éviction de l’article L. 621-46 du Code de

commerce) importait plus que la détermination de la nature des garanties litigieuses,

la Haute cour est demeurée très imprécise dans son contrôle de qualification. Dans

l’arrêt du 4 juin 1999, rendu en Assemblée Plénière, elle n’a pas expressément

qualifié la garantie financière des agents immobiliers. Elle s’est seulement attachée à

l’affirmation du caractère autonome de cette garantie, sans que l’on sache

précisément s’il s’agit d’une autonomie par opposition au caractère accessoire

renforcé du cautionnement ou d’une autonomie de la réglementation applicable à

cette garantie, ce qui lui conférerait un caractère sui generis.

Dans son arrêt du 3 octobre 2001, la troisième Chambre civile a justifié

l’indépendance de la garantie fournie en remplacement de la retenue de garantie

exigée par la loi du 16 juillet 1972 par son « caractère spécifique ». Il s’agit d’ « un

critère aussi brumeux que peu opératoire. Sa vertu explicative est nulle »1465.

L’insécurité ne résulte pas uniquement de ces imprécisions. Elle découle, plus

profondément, du fait que l’autonomie des garanties susmentionnées n’aurait pas été

consacrée si la Cour de cassation avait fait application du critère de l’objet de

l’obligation de règlement du garant, qu’elle met en œuvre depuis dix ans pour

distinguer les garanties indépendantes du cautionnement. Dans la mesure où la

plupart des textes réglementant ces garanties leur donnent pour objet le paiement de

la dette même du débiteur principal1466, l’application du critère inauguré par l’arrêt

1464 Le premier Avocat général, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de l’Assemblée

Plénière du 4 juin 1999, a souligné que la Cour pouvait trouver une justification de sa

décision en s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi Hoguet du 2 janvier 1970, qui

montrent clairement que l’objectif poursuivi par le législateur, en imposant à certains

professionnels des garanties financières, a été en priorité d’assurer une meilleure protection de

leurs clients, pris en qualité de consommateurs. En écartant l’application de l’article L. 621-46

du Code de commerce, la Cour de cassation rend effective cette volonté de protection à

l’origine de l’institution de garanties légales, puisque « les particuliers accédant à la

propriété de maisons individuelles, les clients habituels des notaires, administrateurs de biens

ou autres agents d’affaire ne comptent pas parmi les lecteurs les plus assidus du Bodacc » (F.

JACOB, note sous Cass. 3ème civ., 3 octobre 2001, Banque et droit mars-avril 2002, p. 49). 1465 F. LUCAS, note sous Cass. 3ème civ., 3 octobre 2001, JCP 2002, éd. E, p. 123 1466 L’article 39 alinéa 1er du décret du 20 juillet 1972 prévoit que l’objet de la garantie

financière est de régler la dette de l’agent immobilier, en cas de défaillance de celui-ci.

Malgré cette précision, certains auteurs considèrent que le garant ne paie pas la dette d’autrui,

mais une dette propre, car il ne s’engage pas au profit de créanciers déterminés (S.

CABRILLAC, Garanties financières professionnelles, Droit et Patrimoine 2002, n°106, p.

58), ou encore parce que les conditions d’exigibilité de la dette principale et de la garantie ne

sont pas identiques (M. BEHAR-TOUCHAIS, nous sous Cass. Ass. plén., 4 juin 1999, JCP

Page 364: L'efficacité des garanties personnelles

de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 13 décembre 1994 aurait dû

conduire à la qualification de cautionnement1467. Est-ce à dire que ce critère ne

vaudrait que pour les garanties conventionnelles et non pour les garanties légales ?

Autrement dit, que l’autonomie pourrait avoir une nature différente selon qu’elle est

prévue par les parties ou par le législateur ? Rien ne permettrait de le justifier. La

Cour de cassation n’a certainement pas entendu se lancer dans une telle voie. Reste

qu’en ignorant le critère de l’objet de l’obligation de règlement du garant en

présence de garanties légales, elle a compromis la fiabilité de ce critère et, plus

largement, la sécurité indispensable à l’efficacité de la garantie autonome. « Peut-on

impunément triturer de la sorte les concepts sans ébranler progressivement le

système juridique en le privant de toute certitude ? Est-il de bonne méthode de

traiter le mal dans ses effets plutôt que dans ses causes ? »1468. Au regard de

l’objectif d’efficacité des garanties autonomes, une réponse négative s’impose

évidemment.

647. Les qualifications téléologiques, qu’elles soient inspirées par le souci

d’éviter à certains créanciers la déchéance pour défaut de déclaration, ou par celui de

protéger les garants non institutionnels, ébranlent la distinction entre le

cautionnement et la garantie indépendante. Ce faisant, la rationalité des choix des

créanciers lors de la formation du contrat de garantie se trouve limitée, et les

chances de réalisation de la finalité assignée à la garantie autonome conclue se

trouvent réduites. L’insécurité en matière de qualification, qu’elle procède de ces

raisonnements judiciaires opportunistes, d’une appréciation imprévisible de l’objet

de l’obligation de règlement du garant, voire de la rédaction ambiguë des actes de

garantie, menace donc l’efficacité des garanties autonomes.

L’insécurité qui entoure la qualification des lettres d’intention compromet tout

autant l’efficacité de cette autre garantie personnelle innomée.

§2 : LES RAISONS DE L’INSECURITE

EN MATIERE DE LETTRE D'INTENTION

648. L’ambiguïté des lettres d’intention. L’inefficacité des lettres

d’intention, liée au caractère incertain de leur qualification, est en partie imputable

aux contractants eux-mêmes. Alors que ces engagements sont en général souscrits

dans des secteurs où les juristes jouent un rôle important, ils sont très souvent

empreints d’obscurité, d’imprécision. S’il en est ainsi, c’est parce que les opérateurs

1999, II, 10152). Ces considérations étant étrangères à l’objet de l’obligation de règlement du

garant, elles ne permettent pas de déterminer si cette obligation présente un caractère

autonome ou, au contraire, un caractère accessoire renforcé. 1467 La qualification de cautionnement pouvait d’autant plus facilement s’imposer que les

textes organisant les garanties étudiées retiennent cette dénomination et opèrent des renvois

aux articles 2011 et suivants du Code civil. En outre, les garanties financières professionnelles

sont souvent consenties par des établissements de crédit dont le cautionnement est l’objet

statutaire même, à savoir les sociétés de caution mutuelle. 1468 Ph. SIMLER, obs. sous Cass. Ass. plén., 4 juin 1999, JCP 2000, I, 209, n°8

Page 365: L'efficacité des garanties personnelles

développent une véritable « stratégie de l’ambiguïté »1469. Le flou est recherché par

l’émetteur, dans le but de rassurer le créancier, sans être juridiquement engagé. Le

flou est également recherché par le créancier, afin de bénéficier d’une garantie

solide, sans ouvertement la demander. « Les formules employées révèlent souvent un

jeu du chat et de la souris (les deux animaux devant être crédités de la même

intelligence) »1470. En cas de difficultés dans l’exécution du contrat principal, ce jeu

marqué par l’hypocrisie, les arrière-pensées, conduit naturellement au litige.

L’efficacité de la lettre d'intention est complètement inexistante si le contentieux

révèle que le créancier n’avait qu’un « simple pétard mouillé »1471 entre les mains.

Quand bien même la lettre apparaîtrait comme une « bombe à retardement »1472 pour

la société-mère, son efficacité n’en serait pas moins affectée par l’augmentation du

coût de la protection du créancier résultant du litige.

649. L’inconstance de la jurisprudence. L’ambiguïté volontairement

entretenue par les parties n’est pas la seule cause d’insécurité en matière de

qualification, et donc d’inefficacité de la lettre d'intention. L’insécurité s’explique

également par le fait que « les tâtonnements et tergiversations sont les deux

mamelles du droit positif en ce domaine »1473. La versatilité de la jurisprudence

réduit les chances des créanciers, non seulement de faire souscrire une lettre qui

réponde à leurs attentes subjectives initiales, mais aussi de voir la finalité assignée à

la lettre reçue se réaliser. Les solutions imprévisibles concernant, tant la

qualification des obligations souscrites par l’émetteur (A), que la qualification de la

lettre d'intention en « garantie », au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code

de commerce (B), compromettent ainsi l’efficacité des lettres de confort.

1469 Ph. PEYRAMAURE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La

revanche de la liberté, Rapport de synthèse, JCP 1992, éd. E, Cahier droit des entreprises 2-

92, p. 12 1470 Ph. THERY, n°97 bis 1471 J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie. La revanche de

la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 9 1472 J.-J. DAIGRE, ibid., p. 9 1473 D. MAZEAUD, Variations sur une garantie épistolaire et indemnitaire : la lettre

d'intention, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 341 et s., n°14. Sur la difficile lisibilité de la

jurisprudence en matière de lettre d'intention, cf. aussi D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des

garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 657 et s. ; M. PARIENTE, Les

lettres d’intention, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 861 et s.

Page 366: L'efficacité des garanties personnelles

A/ LA QUALIFICATION DES OBLIGATIONS

DE L’EMETTEUR DE LA LETTRE

650. Dans l’arrêt du 21 décembre 1987, ayant consacré la validité des lettres

d’intention, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a dressé une typologie

des obligations pouvant être souscrites par l’émetteur de la lettre, et a posé le critère

permettant de qualifier la nature de ces obligations1474.

651. Typologie des obligations souscrites par l’émetteur de la lettre

d’intention. Une lettre d'intention peut comporter quatre types d’obligations, dont la

portée détermine l’étendue de la protection du bénéficiaire.

En premier lieu, le souscripteur peut uniquement consentir un engagement

moral. Sa responsabilité contractuelle ne peut alors être mise en jeu en cas de

défaillance du débiteur principal. Seule sa responsabilité délictuelle pourrait être

retenue s’il a, par exemple, donné un conseil de mauvaise foi, voire avec une

intention malveillante, et s’il en est résulté un préjudice pour le créancier.

En deuxième lieu, la lettre peut comporter des obligations de faire de moyens.

La responsabilité contractuelle de l’émetteur est engagée seulement si le créancier

prouve l’inexécution de ces obligations.

En troisième lieu, peuvent être mises à la charge de l’auteur de la lettre des

obligations de résultat. La responsabilité contractuelle de l’émetteur est alors plus

facilement retenue puisque, d’une part, le créancier doit seulement prouver que le

résultat promis n’est pas atteint et que, d’autre part, seule une cause étrangère

emporte un effet exonératoire.

En quatrième et dernier lieu, la lettre d'intention peut dissimuler un véritable

cautionnement, lorsqu’elle contient un engagement de se substituer au débiteur

principal.

652. Le critère de qualification des obligations de l’auteur de la lettre : la

commune intention des parties. Selon la Cour de cassation, le critère permettant de

classer les obligations souscrites dans l’une de ces quatre catégories réside dans la

commune intention des parties, exprimée dans les termes de l’acte. C’est donc du

contenu et de la rédaction de la lettre que dépendent la nature de l’obligation de

l’émetteur et l’étendue de la protection du destinataire.

Le principe d’interprétation littérale rend inévitable la casuistique et

l’incertitude dans la qualification. D’une juridiction à une autre, voire d’une décision

à une autre rendue par une même juridiction, des termes identiques ou très proches

dans le langage courant peuvent recevoir une portée différente. Dans ces conditions,

la réalisation de la finalité assignée au contrat conclu est tout à fait imprévisible en

cas de litige, et l’efficacité de la lettre d'intention apparaît particulièrement aléatoire.

1474 Cass. com., 21 décembre 1987 : Bull. civ. IV, n°281 : « Une lettre d'intention peut, selon

ses termes, lorsqu’elle a été acceptée par son destinataire et eu égard à la commune intention

des parties, constituer à la charge de celui qui l’a souscrite un engagement contractuel de

faire ou de ne pas faire pouvant aller jusqu’à l’obligation d’assurer un résultat, si même elle

ne constitue pas un cautionnement ».

Page 367: L'efficacité des garanties personnelles

653. Les engagements litigieux. Si les lettres d’intention contenant

uniquement un engagement moral1475, et celles déguisant un véritable

cautionnement1476, suscitent guère de contentieux, il n’en va pas de même de celles

comportant des obligations de faire ou de ne pas faire. Comme les engagements

spéciaux mettant à la charge du souscripteur l’accomplissement d’actes ou

opérations précisément définis1477 et les obligations de ne pas faire sont en principe

considérés comme des obligations de résultat1478, ce sont surtout les engagements

généraux relatifs à la solvabilité du débiteur conforté qui font difficulté.

654. Le critère de distinction entre les obligations de moyens et les

obligations de résultat : la volonté des parties. La question se pose de savoir si les

engagements généraux de l’émetteur de la lettre constituent des obligations de

moyens ou de résultat. Le critère de distinction entre ces deux types d’obligations

« manque de la précision permettant de le mettre en œuvre, et donne à la distinction

1475 Ne comportent aucun engagement juridique les lettres de présentation ou de

recommandation (CA Paris, 30 avril 1984 : Banque 1985, p. 754, obs. RIVES-LANGE ; RTD

civ. 1985, p. 730, obs. MESTRE ; CA Paris 4 mai 1993 : Bull. Joly 1993, p. 729, §212, obs.

DELEBECQUE ; Rev. sociétés 1993, p. 662, obs. GUYON ; CA Bordeaux, 16 octobre 1985 :

D. 1989, 438), les lettres déclaratives ou descriptives d’une situation, comme celles indiquant

que la société-mère est informée des engagements financiers de sa filiale ou celles par

lesquelles la société-mère précise la politique financière du groupe. 1476 La lettre ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 1987 comportait l’engagement de

l’émetteur de payer au créancier, en cas de défaillance du débiteur principal, ce qui lui restait

dû par celui-ci au titre des prêts consentis. La Cour de cassation a considéré que la lettre

d'intention constituait, en réalité, un cautionnement. Une lettre dont l’auteur se considérait

comme « personnellement responsable du débit de la société » sur les livres de la banque, a

également été requalifiée en cautionnement (TC Versailles, 11 janvier 1989 : RD bancaire et

bourse 1990, p. 136). Il en a été de même à l’égard d’un acte par lequel le souscripteur

promettait la bonne fin des opérations commerciales et l’exécution des engagements

financiers d’une société, au besoin en se substituant à celle-ci (Cass. com., 5 mars 1996 : Bull.

Joly 1996, p. 586, note BARBIERI).

La Cour d’appel de Paris (3 octobre 1991 : D. 1991, IR, p. 259 ; JCP 1992, I, 3583, n°10) a

précisé que, faute de clause de solidarité, étrangère à la nature de la lettre d'intention,

l’engagement requalifié en cautionnement ne peut être qu’un cautionnement simple, à moins

qu’il ne soit de nature commerciale.

Sur la requalification de lettres d’intention en cautionnements, cf. J. GHESTIN, La

qualification en droit français des garanties données par une société mère au profit de sa

filiale, Mélanges A. Rieg, Bruylant, 2000, p. 427 et s. 1477 Maintien d’une participation, fourniture d’une information ou d’une garantie, réalisation

d’un apport en capital ou en compte courant, apurement d’un compte courant, abandon de

créance, renforcement des fonds propres de la société confortée, conclusion d’un crédit

fournisseur nécessaire à l’activité de la filiale, apport d’un soutien technique ou commercial… 1478 L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles du 9 février 1989 (D. 1989, Somm., p. 35, obs.

VASSEUR ; Banque 1989, p. 869, obs. RIVES-LANGE) a néanmoins retenu que l’obligation

de ne pas céder sa participation dans la filiale sans en avertir préalablement le créancier

constituait une obligation de moyens. Cette solution n’a pas été remise en cause par la Cour

de cassation (Cass. com., 19 mars 1991 : Bull. Joly 1991, p. 523, obs. LE CANNU ; RD

bancaire et bourse 1991, p. 151, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; D. 1992, p. 53, note

NAJJAR).

Page 368: L'efficacité des garanties personnelles

des allures de sophisme »1479. En effet, cette dissociation des moyens et des buts ne

repose pas sur des critères objectifs, mais sur la volonté des parties.

La Cour de cassation a précisé que la nature de l’obligation du souscripteur ne

peut être déterminée en tenant compte de l’existence ou de l’absence d’une

autorisation du conseil d’administration1480. Le rejet de ce critère objectif mérite

l’approbation car, si le régime auquel un acte se trouve soumis dépend de la

qualification de cet acte, la nature de l’acte ne saurait, à l’inverse, découler de son

régime.

Sans l’avoir jamais expressément condamné, la Haute juridiction ne met pas

non plus en avant le critère objectif du rôle actif ou passif joué par le débiteur, qui

pourrait pourtant rendre la distinction entre les obligations de moyens et les

obligations de résultat plus prévisible1481.

La Cour de cassation préfère s’en tenir à l’examen des termes de la lettre. Ce

faisant, des expressions très proches dans le langage courant se voient attribuer une

portée différente. Ainsi, l’obligation de « faire tout le nécessaire » est le plus souvent

qualifiée d’obligation de résultat1482, alors que les obligations de « faire tous ses

efforts »1483, ou de « tout mettre en œuvre »1484, sont plutôt considérées comme des

obligations de moyens. L’atteinte à la sécurité juridique est encore plus grave

lorsque les mêmes termes reçoivent une qualification différente au fil des décisions.

A cet égard, l’obligation de « faire le nécessaire » donne lieu à une jurisprudence

fluctuante1485.

655. Les solutions jurisprudentielles accentuant l’insécurité. Les

précisions, que la Cour de cassation a jusque là apportées sur la distinction entre les

obligations de moyens et de résultat, loin de rendre plus sûre la qualification des

lettres d’intention, ont au contraire accru les incertitudes.

Dans son arrêt du 23 octobre 19901486, la Chambre commerciale de la Cour de

cassation a repris l’affirmation de la Cour d’appel selon laquelle la lettre contenait

1479 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°483 1480 Cass. com., 26 février 2002 : Bull. civ. IV, n°43 1481 Sur l’intérêt, en termes d’efficacité, de ce critère objectif, cf. infra n°994 1482 Cass. com., 23 octobre 1990 : Banque 1991, p. 207, obs. RIVES-LANGE ; Rev. jurisp.

com. 1991, p. 349, obs. DELEBECQUE ; RTD com. 1991, p. 402, obs. REYNHARD ;

Defrénois 1991, article 35131, p. 1191, note HONORAT ; D. 1992, Somm., p. 34, obs.

VASSEUR ; LPA 15 mai 1991, p. 23, note BAILLOD ; RTD civ. 1991, p. 322, obs.

MESTRE ; Dr. sociétés 1991, n°16, note MATTEAU-PETIT ; Cass. com., 29 mars 1994 : QJ

1994, n°45 ; Cass. com., 8 novembre 1994 : Bull. Joly 1995, p. 31, §4, note MEDUS ; RD

bancaire et bourse 1995, p. 151, obs. CONTAMINE-RAYNAUD ; Defrénois 1995, article

36017, p. 255, note LE CANNU ; Cass. com., 26 février 2002 : Bull. civ. IV, n°43 ; Cass.

com., 9 juillet 2002 : Bull. civ. IV, n°117 ; Cass. com., 17 décembre 2002 : RD bancaire et

financier 2003, n°73, obs. LEGEAIS 1483 Cass. com., 19 mars 1991 : Bull. civ. IV, n°110 ; Cass. com., 16 juillet 1991 : Bull. civ.

IV, n°265 1484 Cass. com., 15 janvier 1991 : Bull. civ. IV, n°28 1485 En faveur de la qualification d’obligation de résultat, cf. supra. En faveur de la

qualification d’obligation de moyens, cf. Cass. com., 17 octobre 1995 : Bull. Joly 1996, p. 40,

§9, note PRIETO ; Cass. com., 26 janvier 1999 : Bull. civ. IV, n°31 ; Cass. com., 18 avril

2000 : Bull. civ. IV, n°78 ; CA Paris, 19 novembre 2002 : RJDA 04/2004, n°480 1486 Cass. com., 23 octobre 1990 : préc.

Page 369: L'efficacité des garanties personnelles

une obligation de résultat dès lors qu’elle était de nature à rendre son auteur

responsable des conséquences de la défaillance du débiteur. Dans la mesure où cette

défaillance peut survenir après l’inexécution d’une obligation de résultat, aussi bien

que d’une obligation de moyens, et que dans les deux cas la responsabilité du

souscripteur peut être engagée, la définition de l’obligation de résultat ainsi retenue

pouvait couvrir toutes les obligations de faire mises à la charge de l’émetteur.

Surtout, il ne s’agissait pas d’une véritable définition, permettant à de futurs

contractants de rédiger la lettre sans risque de requalification, mais bien plutôt de

l’énoncé des conséquences attachées à l’inexécution d’une obligation de résultat.

Le critère de qualification des obligations de résultat, adopté par la

jurisprudence Sony et quelques arrêts postérieurs1487, n’a pas apporté plus de

sécurité. Dans la mesure où l’obligation de résultat s’est trouvée réduite à

« l’engagement de se substituer purement et simplement » au débiteur principal

défaillant, il n’y avait plus que « l’épaisseur d’un cheveu pour distinguer la lettre

d'intention valant engagement de payer du cautionnement»1488.

Depuis, la Chambre commerciale est certes revenue sur cette analyse

excessivement simplificatrice des lettres d’intention, en reconnaissant expressément

l’existence d’obligations de résultat qui ne sont pas des obligations de se substituer

au débiteur principal, c'est-à-dire qui ne sont pas des cautionnements1489, mais la

sécurité en matière de qualification des lettres d’intention n’est toujours pas de mise.

En faisant toujours dépendre cette qualification des termes de la lettre, que les

parties rendent volontairement ambigus, la Cour de cassation entrave la prévisibilité

de la qualification.

656. A défaut de critères objectifs de distinction entre les obligations de

résultat et les obligations de moyens, « tout dépend de la commune intention des

parties… et de ce que les juges font passer pour telle car il n’est pas impossible que

sous couvert d’interprétation, un certain équilibre soit imposé de façon

prétorienne »1490. Les qualifications téléologiques et l’insécurité qui en découle sont

favorisées par l’interprétation littérale des lettres d’intention. L’efficacité de ces

garanties personnelles innomées est donc menacée par l’absence de critères objectifs

permettant de qualifier les obligations de l’émetteur et, par conséquent, de mesurer

l’étendue de la protection du destinataire.

L’efficacité des lettres d’intention est également compromise par le caractère

imprévisible de leur qualification en « garantie », au sens des articles L. 225-35 et L.

225-68 du Code de commerce.

1487 Cass. com., 26 janvier 1999 : préc. Dans le même sens, cf. Cass. com., 18 avril 2000 :

préc. ; Cass. com., 16 mai 2000 : Bull. Joly 2000, p. 803 ; CA Paris 16 janvier 2001 : Bull.

Joly 2001, p. 374 1488 J.-P. MATTOUT, obs. sous Cass. com., 18 avril 2000, RD bancaire et financier 2000,

n°153 1489 Cass. com., 26 février 2002 : préc. ; Cass. com., 9 juillet 2002 : préc. ; Cass. com., 17

décembre 2002 : préc. 1490 J. DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie

indépendante, in Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des

entreprises 2-92, p. 28

Page 370: L'efficacité des garanties personnelles

B/ LA QUALIFICATION DE LA LETTRE D'INTENTION EN « GARANTIE»

657. L’enjeu de la qualification de la lettre d'intention en garantie :

l’exigence d’autorisation des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de

commerce. Le recours aux lettres d’intention traduit une « aspiration à la

liberté »1491. Les parties entendent se soustraire aux contraintes qu’imposent le droit

du cautionnement, ainsi que le droit des sociétés. Plus précisément, entre dans leurs

prévisions intrinsèques l’éviction de l’autorisation préalable par le conseil

d’administration ou de surveillance des « garanties » consenties par une société

anonyme.

En cas de litige, si la lettre est qualifiée par le juge saisi de « garantie », au sens

des articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, et qu’elle n’a pas fait

l’objet d’une autorisation, elle va demeurer lettre morte, puisque le non respect de

cette contrainte sociétaire est sanctionnée par l’inopposabilité de l’acte à la société

anonyme émettrice.

Si, au contraire, cette qualification est écartée, les intérêts du créancier

bénéficiaire sont certes protégés, mais l’efficacité de la lettre d'intention, en tant

qu’institution, ne s’en trouve pas moins fragilisée. En effet, refuser de soumettre les

lettres d’intention à l’exigence d’autorisation revient à nier la fonction de garantie

que leur attribuent indéniablement les parties et à ôter toute substance à la notion de

garantie.

658. L’imprévisibilité de la qualification de la lettre d'intention en

garantie. Alors que la qualification de la lettre d'intention en garantie joue ainsi un

rôle essentiel dans l’efficacité de ce mécanisme, la jurisprudence rend imprévisible

cette qualification. Partagée entre le souci d’éviter qu’un trop grand nombre de

lettres ne soient déclarées inopposables et celui de ne pas priver la notion de garantie

de toute cohérence, la jurisprudence n’adopte pas toujours les mêmes critères de

qualification. Celui qu’elle retient le plus souvent, reposant sur la nature des

obligations du souscripteur, laisse aux juges une telle marge de manœuvre qu’il est

difficile de savoir quelle solution sera définitivement adoptée en cas de litige.

659. La nature de l’obligation de l’émetteur comme critère d’application

des contraintes sociétaires. Dans un premier temps, la Cour de cassation a fondé

l’application des articles 98 et 128 de la loi du 24 juillet 1966 sur la distinction entre

les obligations de moyens et de résultat. Les lettres d’intention comportant une

obligation de résultat se sont vues qualifier de garanties, soumises à l’exigence

d’autorisation, alors que celles n’engendrant qu’une obligation de moyens ont été

soustraites à cette contrainte sociétaire1492.

La jurisprudence laisse les contractants dans l’incertitude en opérant une telle

dissociation, puisque la frontière entre les obligations de résultat et les obligations de

moyens est particulièrement mouvante et évanescente. En dépit d’un libellé

analogue ou quasi similaire, les obligations de l’émetteur reçoivent une qualification

1491 D. MAZEAUD, Variations sur une garantie épistolaire et indemnitaire : la lettre

d'intention, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 341 et s., n°12 1492 Au sujet d’une obligation de résultat, cf. Cass. com., 23 octobre 1990 : préc. Au sujet

d’une obligation de moyens, cf. Cass. com., 4 octobre 1990 : Bull. Joly 1994, §371, note

MEDUS

Page 371: L'efficacité des garanties personnelles

distincte. Les souscripteurs sont donc incités à contester la nature de leurs

obligations, et l’opposabilité de la lettre reste imprévisible jusqu’à ce que le litige

soit définitivement tranché. En subordonnant l’exigence d’autorisation à la nature

des obligations de l’émetteur, la Cour de cassation entrave ainsi la sécurité juridique

et l’efficacité des lettres de confort.

Par ailleurs, cette efficacité est menacée par le fait que le refus de voir dans les

obligations de moyens des garanties procède d’un raisonnement téléologique. Seule

la volonté de limiter le champ d’application des articles L. 225-35 et L. 225-68 du

Code de commerce permet d’expliquer un tel refus, car nombreux sont les

arguments qui militent, au contraire, en faveur de la qualification de garantie. En

effet, entre les obligations de moyens et de résultat, existe une différence de degré et

non de nature1493. Dans les deux cas, les parties ont l’intention de mettre en place un

mécanisme qui augmente la confiance du créancier à l’égard du débiteur, en rendant

plus sûre la solvabilité de celui-ci à l’échéance du contrat principal. Dans les deux

cas, l’exécution de l’obligation du souscripteur est susceptible de procurer au

créancier une satisfaction que la mise en œuvre de son seul droit de gage général

contre le débiteur n’aurait pas permise. En outre, une obligation de moyens peut être

plus étendue qu’une obligation de résultat, et peut même faire peser sur le confortant

des contraintes plus lourdes qu’un véritable cautionnement. Dénier aux obligations

de moyens la qualification de garantie revient donc à méconnaître les incidences

économiques réelles d’une lettre d'intention1494, les attentes des parties, ainsi que les

effets qu’engendre l’exécution de ces obligations.

660. L’application des contraintes sociétaires sans égard à la nature de

l’engagement de l’auteur de la lettre. Certainement sensible à ces arguments, la

Cour de cassation, dans un deuxième temps, a appliqué les dispositions sociétaires

litigieuses, sans se référer à la distinction entre les obligations de moyens et de

résultat, et en relevant seulement « l’intention ferme et définitive du signataire »

d’exécuter son engagement1495.

Dans les premiers arrêts imposant cette solution uniforme, les lettres

contenaient certainement des obligations de résultat1496. En revanche, dans l’arrêt du

9 décembre 19971497, la promesse de résultat était plus qu’improbable, puisque la

société-mère s’était engagée à « étudier toutes mesures pour permettre à la filiale de

mener à bonne fin ses crédits ». On pouvait ainsi s’attendre à ce que, désormais,

toutes les lettres d’intention soient soumises à l’exigence d’autorisation, même

celles ne comportant qu’une obligation de moyens. Cette solution aurait certes réduit

l’attrait des lettres de confort, mais elle aurait eu le mérite de la prévisibilité.

1493 En ce sens, cf. A. BAC, La lettre d'intention ou le dilemme liberté/ sécurité, Droit et

patrimoine 1999, n°67, p. 51 ; J. FRANÇOIS, n°477 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°247 1494 En ce sens, cf. J.-L. MEDUS, L’émission irrégulière d’une lettre de confort par une

société anonyme et sa sanction, Bull. Joly 1994, p. 609 1495 Cass. com., 8 novembre 1994 : Bull. civ. IV, n°330 1496 Cass. com., 17 novembre 1992 : Bull. civ. IV, n°364 ; Cass. com., 8 novembre 1994 :

préc. ; Cass. com., 3 janvier 1996 : Bull. Joly 1996, p. 294 ; JCP 1997, I, 3991, n°8 1497 Cass. com., 9 décembre 1997 : Bull. civ. IV, n°332

Page 372: L'efficacité des garanties personnelles

661. L’application des contraintes sociétaires de nouveau subordonnée à

la distinction entre les obligations de moyens et les obligations de résultat. Par

un nouveau revirement, la Cour de cassation, dans un troisième et dernier temps,

s’est à nouveau attachée à la distinction entre les obligations de moyens et de

résultat. Elle décide aujourd'hui que seuls les engagements de payer au lieu et place

du débiteur principal constituent des garanties au sens de la loi de 1966. Au

contraire, l’engagement de « faire le nécessaire pour que la filiale soit en mesure de

satisfaire ses engagements à l’égard des prêteurs » n’est qu’une obligation de

moyens, « ce dont il résulte qu’il ne constitue pas une garantie au sens de l’article

98 de la loi du 24 juillet 1966 et ne nécessite pas une autorisation préalable du

conseil d’administration »1498.

La jurisprudence Sony redonne certes espoir aux partisans de la liberté

contractuelle et revivifie les lettres de confort qui, dépourvues d’autorisation,

auraient été privées d’efficacité. Mais, corrélativement, elle menace cette efficacité

par l’insécurité qu’elle crée. Elle laisse en effet dubitatif sur la nature des obligations

de moyens, dès lors que la qualification de garantie leur est refusée. Par ailleurs, elle

réintroduit le flou de la distinction entre les obligations de moyens et de résultat. Si

la Cour de cassation entendait soustraire purement et simplement les lettres

d’intention constitutives d’obligations de faire ou de ne pas faire à l’exigence

d’autorisation, ce que laisse penser la définition extrêmement réductrice de

l’obligation de résultat, elle aurait pu se dispenser de se référer à cette distinction si

incertaine1499. Mais, c’eût été affirmer trop expressément peut-être que les

contraintes sociétaires doivent être écartées, en matière de lettre d’intention, pour

des raisons de pure opportunité. La Cour de cassation adopte un raisonnement

téléologique, mas le dissimule en se référant à la nature des obligations du

souscripteur.

662. Les évolutions jurisprudentielles envisageables. La question se pose

maintenant de savoir quelle va être la quatrième étape de cette évolution

jurisprudentielle rendant si incertaine l’efficacité des lettres d’intention. Plusieurs

voies sont possibles.

La Haute juridiction pourrait continuer à faire dépendre l’application des

articles L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce de la qualification des

obligations du signataire, mais en revenant sur la définition restrictive de

l’obligation de résultat, comme elle l’a déjà fait dans des arrêts ne s’intéressant qu’à

la preuve de l’inexécution des obligations de l’émetteur1500.

Elle pourrait aussi maintenir la solution de l’arrêt Sony, ce qui aboutirait à une

définition différente de l’obligation de résultat, selon que le litige a pour objet la

preuve de l’inexécution des obligations de l’auteur de la lettre ou l’application à

celle-ci de l’exigence d’autorisation. A l’insécurité s’ajouterait alors l’incohérence,

ce que l’on ne peut que redouter.

Enfin, la Cour de cassation pourrait à nouveau abandonner toute référence à la

nature des obligations du souscripteur.

1498 Cass. com., 26 janvier 1999 : préc. Dans le même sens, cf. Cass. com., 18 avril 2000 :

préc. et Cass. com., 16 mai 2000 : préc. 1499 En ce sens, cf. L. AYNES, note sous Cass. com., 26 janvier 1999, D. 1999, p. 577 1500 Cass. com., 26 février 2000 : préc. ; Cass. com., 9 juillet 2002 : préc.

Page 373: L'efficacité des garanties personnelles

663. Conclusion de la Section 1. L’insécurité entourant, tant la qualification

des lettres d’intention en garantie au sens des articles L. 225-35 et L. 225-68 du

Code de commerce, que la qualification des obligations souscrites par l’auteur de la

lettre, fragilise l’efficacité de ce contrat innomé, tout comme l’insécurité

caractérisant la distinction entre le cautionnement et la garantie autonome

compromet l’efficacité de cette autre garantie non spécialement réglementée.

La protection des intérêts des bénéficiaires de garanties personnelles innomées

n’est pas seulement menacée par le contentieux de la qualification. Elle l’est

également par la remise en cause de l’autonomie du régime de ces contrats par

rapport à celui du cautionnement.

SECTION 2 : LE NIVELLEMENT DE RÉGIME

DES DIFFÉRENTES GARANTIES PERSONNELLES

664. L’hostilité des juges envers les substituts du cautionnement. Le choix

des créanciers dispensateurs de crédit en faveur de garanties personnelles innomées

s’explique, positivement, par les avantages que présente chacune d’elles1501 et,

négativement, par le souci d’éviter les faiblesses du cautionnement1502. Dès lors que

les garanties personnelles innomées sont utilisées, pour une large part, comme

substituts du cautionnement, la question se pose de savoir si la jurisprudence

respecte l’autonomie normative recherchée par les parties et, plus particulièrement,

par les créanciers, ou bien si elle rapproche le régime de ces garanties personnelles

non spécialement réglementées de celui du cautionnement.

Les arrêts rendus ces vingt dernières années en matière de garantie autonome,

de lettre d'intention ou encore de mécanismes du droit civil remplissant une fonction

de garantie personnelle révèlent l’hostilité des juges à l’égard des substituts du

cautionnement. La jurisprudence refuse de laisser un fossé se creuser entre ces

contrats de garantie et le cautionnement. En raison de l’autonomie de la volonté, les

juges n’interdisent certes pas la souscription de garanties personnelles innomées1503,

mais ils en réduisent la spécificité, afin que la protection déjà mise en œuvre au

bénéfice de la caution ne reste pas lettre morte.

665. Les moyens mis en œuvre par les juges pour priver les garanties

personnelles innomées de leur autonomie normative. Le nivellement de régime

des différentes garanties personnelles peut résulter, soit de l’extension de règles du

cautionnement aux garanties personnelles innomées, soit de l’application du droit

commun des contrats. La position de la jurisprudence relativement à la première

forme de nivellement étant particulièrement incertaine, il serait prématuré d’affirmer

que les attentes des créanciers se trouvent déjouées par ce biais. Aujourd'hui,

l’extension des règles du cautionnement aux garanties personnelles innomées est

surtout à l’origine d’interrogations, qu’il est intéressant de présenter pour montrer à

quel point le régime de ces mécanismes est loin de se caractériser par la certitude

nécessaire à leur efficacité (§1). Concernant l’application du droit commun des

1501 Sur les attraits propres des principales garanties personnelles innomées, cf. supra n°394-

402 1502 Sur les raisons de l’inefficacité du cautionnement, cf. supra n°506-626 1503 Sur la validation des garanties personnelles indépendantes, cf. supra n°372-381

Page 374: L'efficacité des garanties personnelles

contrats, la position de la jurisprudence est plus affirmée. En effet, les juges se sont

déjà largement emparés de règles du droit commun pour remettre en cause

l’autonomie normative recherchée par les créanciers et donc pour rendre moins

attrayantes aux yeux de ceux-ci les garanties personnelles non spécialement

réglementées (§2).

§1 : L’EXTENSION DE REGLES DU CAUTIONNEMENT

AUX GARANTIES PERSONNELLES INNOMEES

666. Le nivellement de régime des différentes garanties personnelles est

particulièrement évident en cas d’extension aux mécanismes innomés de règles

appartenant au droit du cautionnement. Cette extension fait difficulté dans la mesure

où les arguments en sa faveur se heurtent aux arguments confortant l’autonomie

normative des garanties personnelles non spécialement réglementées. Une fois

rappelés les termes du débat (A), seront présentées les règles du cautionnement sur

lesquelles se concentrent le contentieux et les discussions doctrinales (B).

A/ LES TERMES DU DEBAT

667. Si les arguments au soutien de l’application aux garanties personnelles

innomées de règles du cautionnement ne manquent pas (1), les arguments en faveur

de l’autonomie du régime de ces mécanismes non spécialement réglementés sont

également nombreux et convaincants (2).

1. Les arguments en faveur de l’extension aux garanties personnelles innomées

de règles du cautionnement

668. Les arguments de cohérence et d’opportunité. Au soutien de

l’extension de règles du cautionnement aux garanties personnelles innomées, deux

arguments ont trait à la place qu’occupe le cautionnement au sein de ces

mécanismes de garantie1504. L’argument a coherentia, tout d’abord, consiste à

relever que le cautionnement est le modèle des garanties personnelles. L’argument

d’opportunité, ensuite, met en avant le danger des substituts du cautionnement pour

la survie de cette institution.

Sauf à considérer que l’ancienneté d’un mécanisme et sa fréquence d’utilisation

sont suffisantes pour légitimer son effet tentaculaire, rien ne permet de justifier un

quelconque rapport hiérarchique entre le cautionnement et les autres garanties

personnelles. C’est pourquoi, ces deux premiers arguments ne paraissent pas

déterminants.

669. L’argument de logique législative. Un argument de logique législative

l’est davantage, à tout le moins à l’égard des règles du cautionnement les plus

anciennes. Selon cet argument, si les textes protecteurs ne visent que les seules

cautions, c’est parce qu’à l’époque de leur rédaction, le cautionnement était la seule

garantie personnelle utilisée, et non en raison d’une volonté délibérée d’exclure tout

1504 Sur les arguments en faveur de l’extension aux substituts du cautionnement de protections

accordées à la caution, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2

Page 375: L'efficacité des garanties personnelles

autre garant. Par conséquent, ces textes ont une « vocation naturelle à être appliqués

aux nouvelles sûretés personnelles lorsque celles-ci apparaissent »1505.

L’extension des dispositions du cautionnement aux garanties personnelles

innomées ne peut être fondée sur cet argument que si la disposition en question est

antérieure aux années 1980, date à laquelle les substituts du cautionnement ont

commencé à être mis en place. Dans la mesure où la plupart des règles litigieuses

ont été justement adoptées à partir du milieu de la décennie 1980, l’argument de

logique législative ne semble pas convaincant.

670. L’argument a pari. Il n’en va pas de même de l’argument a pari. Bien

que les garanties personnelles innomées soient très différentes du cautionnement, en

raison de leurs attraits propres et d’une moindre intensité du lien d’accessoire à

principal, elles présentent néanmoins des points communs avec cette garantie

personnelle réglementée1506. Si la raison d’être d’une règle du cautionnement réside

dans une caractéristique que présentent, non seulement le cautionnement, mais aussi

les garanties personnelles innomées, le raisonnement par analogie commande

d’étendre à celles-ci ladite règle1507. Il convient donc d’identifier la ratio legis, puis

de vérifier si cette dernière se rattache ou non à une caractéristique commune à

toutes les garanties personnelles. Selon la même logique, les règles reposant sur le

caractère accessoire renforcé du cautionnement pourraient être appliquées à tous les

mécanismes se caractérisant par une unicité d’objet entre l’obligation de règlement

du garant et celle du débiteur principal.

671. L’argument a fortiori. Un dernier argument peut être avancé au soutien

de l’application aux garanties personnelles innomées de règles du cautionnement. Il

s’agit de l’argument a fortiori. Dès lors qu’une disposition a pour finalité la

protection de la caution, la ratio legis impose de soumettre à cette disposition tous

les engagements pouvant se révéler plus sévères pour le garant, en raison de leur

nouveauté (la sévérité s’explique par le risque de non compréhension de

l’engagement), ou de leur indépendance (la sévérité découle de l’inopposabilité des

exceptions).

672. Si les arguments a coherentia, d’opportunité, et de logique législative

sont peu pertinents, les arguments a pari et a fortiori sont, au contraire, tout à fait à

même de justifier l’extension aux garanties personnelles innomées de règles du

cautionnement. L’autonomie normative de ces mécanismes ne doit pourtant pas être

trop vite écartée, car nombreux et solides sont les arguments militant en sa faveur.

1505 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2 1506 Sur les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties personnelles, cf. supra

n°244-247 ; 261-279 1507 Sur l’extension analogique, cf. G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A.

Colomer, Litec, 1993, p. 129 et s.

Page 376: L'efficacité des garanties personnelles

2. Les arguments en faveur de l’autonomie normative

des garanties personnelles innomées

Trois types d’arguments peuvent être avancés au soutien de la soumission des

garanties personnelles non spécialement réglementées à des régimes distincts de

celui du cautionnement.

673. Les arguments « techniques ». En premier lieu, il s’agit d’arguments

que l’on peut qualifier de « techniques ».

Tel est le cas de l’argument de logique législative selon lequel les

« protections, exorbitantes du droit commun, ne peuvent découler que d’un texte

précis »1508. Dès lors que le législateur n’accorde ces protections qu’aux seules

cautions, il n’est pas question d’en faire bénéficier d’autres garants.

Un autre argument technique réside dans l’exclusion de l’extension

analogique à l’égard des règles constitutives d’exceptions1509.

L’argument a pari devrait également être tenu en échec lorsque la mise en

œuvre d’une règle du cautionnement s’avère inadaptée, compte tenu des

caractéristiques propres de la garantie personnelle innomée envisagée.

674. Les arguments relatifs à la protection des garants. En deuxième lieu,

ce sont des arguments se rapportant à la protection des garants qui étayent la thèse

de l’autonomie normative des contrats de garantie non spécialement réglementés.

Tout d’abord, les raisonnements analogique et a fortiori doivent être mis en

œuvre avec circonspection, car toutes les cautions, aujourd'hui, ne jouissent pas des

mêmes protections. Dans la mesure où la jurisprudence prive les cautions intégrées

dans les affaires du débiteur principal de certains moyens de défense1510, il serait

incohérent que les dirigeants souscrivant des garanties personnelles innomées

fassent l’objet d’une plus grande sollicitude, en se voyant octroyer ces moyens de

défense.

Ensuite, certains garants peuvent souhaiter, en toute connaissance de cause,

ne point bénéficier des protections accordées aux cautions. Il s’agit des garants

professionnels, qui se font d’autant plus rémunérer qu’ils s’engagent de manière

contraignante. Leurs engagements ne doivent pas être dénaturés par l’extension de

solutions tirées du cautionnement.

Par ailleurs, au bénéfice des garants méritant d’être protégés et des garants

ne renonçant pas aisément à la conclusion d’un cautionnement, il existe d’autres

modes de protection que l’extension des règles du cautionnement. Si la

requalification de la garantie personnelle innomée en cautionnement constitue un

moyen particulièrement attentatoire à l’efficacité recherchée1511, l’application du

droit commun des contrats ou du droit de la consommation peut se révéler moins

nuisible aux intérêts des créanciers, dès lors qu’elle jouit d’une certaine prévisibilité.

Enfin, c’est parce que l’histoire démontre que la multiplication des

protections offertes aux garants suscite l’apparition de substituts de plus en plus

1508 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2 1509 Sur cette exclusion, cf. G. CORNU, art. préc., p. 132 1510 Cf. supra n°447, 458, 465, 466, 477 1511 Sur l’inefficacité résultant des requalifications dictées par l’objectif de protection du

garant, cf. supra n°644-646

Page 377: L'efficacité des garanties personnelles

sévères, qu’il convient d’éviter d’étendre trop facilement les règles du

cautionnement aux garanties personnelles innomées.

675. Les arguments relatifs à la protection des créanciers. En troisième et

dernier lieu, ce sont des arguments ayant directement trait à la protection des intérêts

des créanciers qui militent en faveur de l’autonomie normative des contrats de

garantie non spécialement réglementés.

Permettre que ces contrats soient soumis à un régime distinct de celui du

cautionnement, c’est tout d’abord respecter les attentes subjectives des créanciers

nées lors de l’octroi de crédit au débiteur principal.

C’est ensuite respecter leurs prévisions extrinsèques. En effet, « la lettre des

textes, limitant souvent la protection au cautionnement, crée une apparence que l’on

ne peut demander au créancier d’ignorer, contre son intérêt »1512.

Ne pas étendre les règles du cautionnement, c’est encore reconnaître la

primauté de la liberté contractuelle et de la sécurité des relations juridiques et veiller,

par conséquent, à la réalisation des prévisions intrinsèques.

Enfin, maintenir des régimes autonomes, c’est respecter les impératifs du

crédit.

B/ LES REGLES DU CAUTIONNEMENT LITIGIEUSES

676. Les dispositions du cautionnement, à l’égard desquelles la question de

l’extension aux garanties personnelles innomées se pose, sont celles qui limitent,

voire suppriment, les droits des créanciers contre la caution. Il s’agit essentiellement

de l’article 1415 du Code civil, de l’article L. 313-22 du Code monétaire et

financier1513, de l’article 2037 du Code civil et de l’article L. 621-46 du Code de

commerce. Comme l’application de ces textes détermine l’étendue des droits des

créanciers, il est fondamental que ceux-ci connaissent les mécanismes qui en sont

l’objet. Alors même que l’efficacité des garanties personnelles innomées exige ainsi

des solutions jurisprudentielles claires et constantes sur la soumission ou non de ces

mécanismes aux dispositions susvisées, les arrêts de la Cour de cassation sont

encore rares (1). La doctrine étant, en outre, très partagée (2), le régime des garanties

personnelles innomées est véritablement entouré d’un halo d’incertitudes, qui

entrave leur efficacité.

1. Une jurisprudence clairsemée

677. L’exception de défaut de déclaration de la créance. La Haute

juridiction refuse aux codébiteurs solidaires le droit de se prévaloir de l’article 53 de

la loi du 25 janvier 19851514. Cette solution, qui semble devoir également concerner

1512 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°34-2 1513 En raison de l’extension de l’obligation d’information annuelle au bénéfice de toute

caution personne physique contractant avec un créancier professionnel, les discussions

doctrinales et le contentieux devraient également porter sur le nouvel article L. 341-6 du Code

de la consommation. 1514 Cass. com., 19 janvier 1993 : Bull. civ. IV, n°25 ; Cass. 1ère civ., 17 novembre 1993 :

Bull. civ. I, n°335 ; Cass. com., 11 décembre 2001 : JCP 2002, éd. E, 155 ; JCP 2002, éd. E,

763, n°9, obs. PETEL ; Act. proc. coll. 2002, n°23, obs. REGNAUT-MOUTIER ; D. 2002,

402, obs. LIENHARD

Page 378: L'efficacité des garanties personnelles

les codébiteurs solidaires non intéressés à la dette1515, repose sur la qualification du

défaut de déclaration en exception personnelle, inopposable par le coobligé solidaire

(article 1208 alinéa 2 du Code civil). Si cette solution a le mérite de préserver les

droits du bénéficiaire d’un engagement solidaire, sa motivation est peu fiable,

puisque, en matière de cautionnement, le défaut de déclaration est au contraire

qualifié d’exception inhérente à la dette.

L’éviction de l’article L. 621-46 du Code de commerce est justifiée d’une

manière beaucoup plus convaincante en matière de garantie autonome par l’absence

de caractère accessoire renforcé de ce contrat1516. C’est donc la différence de nature

entre le cautionnement et la garantie à première demande qui empêche de faire jouer

l’extension analogique.

678. Le bénéfice de subrogation. S’agissant de l’article 2037 du Code civil,

la Cour de cassation refuse depuis longtemps d’en faire profiter les codébiteurs

solidaires1517, et elle a récemment adopté la même position à l’égard des codébiteurs

solidaires adjoints1518.

Les juridictions du fond écartent aussi le bénéfice de subrogation en matière de

garantie autonome1519. L’argument de logique législative (un texte exprès est

nécessaire pour que joue une protection exorbitante du droit commun) l’emporte

donc sur l’argument d’analogie (l’article 2037 a pour raison d’être de préserver le

recours subrogatoire, dont disposent la plupart des garants).

Au sujet de l’application aux garanties indépendantes des articles 48 de la loi

du 1er mars 1984 et 1415 du Code civil, seules des juridictions du fond se sont

jusqu’à présent prononcées.

679. L’obligation d’information annuelle. Plusieurs Cours d’appel ont

refusé le bénéfice de l’information annuelle aux garants autonomes1520. L’extension

analogique est tenue en échec, non seulement parce que l’article L. 313-22 du Code

monétaire et financier ne vise que le cautionnement1521, mais surtout parce que la

1515 CA Paris, 5 juin 1992 : JCP 1993, éd. E, pan. 176

En ce sens, cf. P. ANCEL, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 407 ; D.

R. MARTIN, L’engagement du codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 52 ; J.

FRANÇOIS, n°458 ; Ph. SIMLER, n°724 1516 Cass. com., 30 janvier 2001 : Bull. civ. IV, n°25 1517 Cass. req., 12 mai 1835 : DP 1835, 1, p. 259 ; Cass. req., 5 décembre 1843 : DP 1844, 1,

p. 58 ; Cass. req., 18 février 1861 : DP 1861, 1, p. 388 ; S. 1861, 1, p. 986 ; Cass. req., 7 juin

1882 : DP 1882, 1, p. 441, note AUBRY ; S. 1882, 1, p. 321 ; Cass. req., 24 juin 1914 : DP

1916, 1, p. 39 ; Cass. com., 8 mai 1968 : Bull. civ. IV, n°48 1518 Cass. com. 17 décembre 2003 : D. 2004, Somm., p. 2035, obs. BREMOND. Dans le

même sans, cf. CA Paris, 8 mars 1851 : DP 1851, 2, p. 106 ; CA Paris, 27 septembre 1979 :

D. 1980, IR, p. 339 ; CA Paris, 1er mars 1990 : JCP 1990, II, 21559, note PETIT ; RTD civ.

1990, p. 677, obs. REMY ; CA Versailles, 20 février 1991 : JCP 1992, I, 3583, n°9 1519 CA Paris, 1er juin 1986 : D. 1988, Somm., p. 243 ; CA Metz, 3 octobre 1991 : Juris-Data

n°051134 ; CA Rennes, 6 novembre 1991 : Juris-Data n°048834 ; CA Paris, 28 avril 1994 :

Juris-Data n°021848 ; CA Toulouse, 26 avril 1995 : Juris-Data n°047462 ; CA Nancy, 22

septembre 1997 : JCP 1998, IV, 2360 ; RTD com. 1998, p. 644, obs. CABRILLAC 1520 CA Rennes, 6 juillet 1993 : Juris-Data n°048104 ; CA Nancy, 22 septembre 1997 : préc. 1521 Dans la mesure où les garanties autonomes étaient parfaitement connues lorsque le

législateur, en 1998 et en 2003, a instauré de nouvelles obligations d’information, et qu’elles

Page 379: L'efficacité des garanties personnelles

mise en œuvre de cette règle s’avère inadaptée au regard des caractéristiques de la

garantie autonome1522. En effet, cette garantie devant comporter un montant

déterminé ab initio, et étant normalement inscrite dans une durée déterminée, la

notification des encours de la dette garantie en principal et intérêts est sans grande

utilité1523. De plus, la sanction est sans objet, car la déchéance du droit aux intérêts

ne peut pas être appliquée au montant de la garantie autonome qui, par définition, ne

les inclut pas.

680. La limitation du droit de gage général imposée par l’article 1415 du

Code civil. Concernant l’application de l’article 1415 du Code civil à la garantie

indépendante, les juridictions du fond sont plus divisées.

En faveur de l’exclusion de l’article 14151524, un argument technique est

principalement avancé : cette disposition constituant une exception au principe

énoncé par l’article 1413 du Code civil, elle ne doit pas donner lieu à une extension

analogique1525. A cet argument technique s’ajoutent les arguments tenant à

l’efficacité de la garantie autonome, mais aussi l’argument reposant sur l’effet

pervers des protections injustifiées. En effet, « toute réduction des pouvoirs des

époux entraîne le risque d’une surenchère dans la prise des sûretés de la part des

créanciers »1526.

Même si les raisons de conserver aux garanties autonomes un régime distinct

de celui du cautionnement sont donc sérieuses, c’est en faveur de l’extension de

l’article 1415 aux garanties indépendantes que les juridictions du fond se sont

majoritairement prononcées1527. Ce texte ayant pour but de protéger le patrimoine

commun contre les engagements jugés trop dangereux souscrits par un seul des

époux, il doit s’appliquer aux garanties personnelles présentant les mêmes risques,

voire des risques supérieurs à ceux résultant d’un cautionnement. C’est donc

l’argument a fortiori qui justifie que le créancier bénéficiaire d’une garantie

indépendante se voit imposer une restriction de gage.

n’ont pourtant pas été visées, l’argument de logique législative, selon lequel les textes doivent

être étendus aux garanties personnelles nouvelles dès qu’elles apparaissent, ne devrait pas être

opérant, au contraire de l’autre argument de logique législative, en vertu duquel l’extension

analogique est paralysée en présence de protections exorbitantes du droit commun. 1522 En ce sens, cf. M. CABRILLAC, obs. sous CA Nancy, 22 septembre 1997, RTD com.

1998, p. 655 ; J. FRANÇOIS, n°442 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°222 ; Ph.

SIMLER, n°960 1523 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°499 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°222 1524 CA Douai, 30 juin 1994 : JCP 1996, I, 3908, n°14, obs. SIMLER 1525 J. CASEY, th. préc., n°108 : « consacrer l’interprétation a pari, c’est ruiner l’essentiel de

l’article 1413 et rompre avec la corrélation de l’actif et du passif. Le crédit des ménages en

serait sûrement fortement touché, mais pire encore ce serait une forme d’incapacité que l’on

instaurerait sous couvert de protection ». 1526 J. CASEY, ibid., n°108 1527 CA Douai, 27 février 1992 : JCP 1993, I, 3656, n°9, obs. SIMLER ; RTD civ. 1993,

p. 869, obs. LUCET et VAREILLE ; CA Versailles, 17 février 1994 : JCP 1995, I, 3821,

n°17 ; CA Versailles, 19 mai 1994 : Bull. Joly 1994, p. 964, note LE CANNU ; JCP 1996, éd.

N, II, p. 799, n°14, obs. SIMLER ; CA Paris, 3 novembre 1994 : D. 1995, p. 532, note

LECENE-MARENAUD ; JCP 1995, I, 3851, n°11 ; RJDA 1995, n°337 ; D. 1995, Somm.,

326, obs. GRIMALDI

Page 380: L'efficacité des garanties personnelles

681. D’une règle protectrice de la caution à une autre, d’une garantie

personnelle innomée à une autre, la jurisprudence n’est donc pas sensible aux

mêmes arguments. Il est par conséquent impossible de savoir à l’avance quelles

solutions la jurisprudence adoptera parmi celles que propose la doctrine.

2. Une doctrine partagée

L’extension aux garanties autonomes de règles limitant, voire supprimant, les droits

du créancier contre la caution a déjà donné lieu à contentieux. Par contre,

l’extension de ces règles à d’autres garanties personnelles innomées n’a été débattue,

pour le moment, qu’en doctrine.

682. L’exception de défaut de déclaration de la créance. L’application de

l’article L. 621-46 du Code de commerce en matière de lettre d'intention est

envisagée par certains auteurs au motif que « le redressement judiciaire n’est plus le

constat d’une défaillance mais, selon l’utopie du législateur de 1985, une méthode

de gestion permettant de redresser une situation compromise »1528. Dès lors que le

défaut de déclaration est envisagé comme un « mécanisme d’allégement du

passif »1529, l’argument a pari conduit à appliquer la déchéance qui en résulte à tous

les créanciers bénéficiaires d’une garantie personnelle.

Au soutien de l’absence d’incidence du défaut de déclaration en matière de

lettre de confort, ce sont les caractéristiques propres de ce mécanisme qui sont au

contraire mises en avant. « La créance du bénéficiaire contre le signataire est

devenue certaine et exigible dès le redressement judiciaire, qui constate que le

signataire n’a pas fait tout le nécessaire pour que sa filiale paye. En conséquence, le

bénéficiaire a une créance indépendante contre le signataire. Une déclaration dans

la procédure de la filiale est inutile »1530.

683. La limitation du droit de gage général imposée par l’article 1415 du

Code civil. Au sujet de l’application de l’article 1415 du Code civil en matière de

constitut, de lettre d'intention, ou encore d’engagement de codébiteur solidaire

adjoint, les mêmes arguments que ceux avancés à propos des garanties autonomes

s’affrontent.

Pour refuser la restriction de gage organisée par l’article 1415, les auteurs

insistent sur le fait que ce texte étant dérogatoire au principe formulé par l’article

1413, une interprétation littérale et restrictive s’impose. Seul un « toilettage

législatif » pourrait autoriser l’élargissement de la protection aux garanties

personnelles innomées citées1531.

1528 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°482 1529 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°482 1530 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°482. Dans le même sens, cf. J. MESTRE, Les lettres

d’intention, une zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 63 ; P.

ANCEL, n°159 ; J. FRANÇOIS, n°481 ; D. LEGEAIS, n°339 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

CHABAS, par Y. PICOD, n°53-19 ; Ph. SIMLER, n°1017 1531 A propos du constitut, cf. J. CASEY, th. préc., n°386 ; F. JACOB, th. préc., n°147.

A propos de la lettre d'intention, cf. H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD,

n°53-19 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°246.

Page 381: L'efficacité des garanties personnelles

Au contraire, en faveur de l’extension de l’article 1415 à toutes les garanties

personnelles, c’est la ratio legis qui est mise en avant. La protection des intérêts de

la famille doit avoir lieu en présence d’engagements aussi dangereux, voire plus

dangereux, que le cautionnement1532.

684. L’obligation d’information annuelle. S’agissant de l’obligation

d’information annuelle de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier,

différents arguments sont avancés contre son extension aux garanties personnelles

non spécialement réglementées. En premier lieu, la lettre du texte1533. En deuxième

lieu, c’est le caractère inadapté de la mise en œuvre de cette règle en présence

d’engagements pouvant être exécutés sans référence à la dette principale qui

s’oppose à l’extension analogique. Ainsi, le fait que l’auteur d’une lettre d'intention

souscrive une obligation de faire, et non une obligation de payer les dettes du

débiteur, ôte toute justification à la notification des encours de ces dettes1534.

L’information est également dénuée d’intérêt lorsque le garant s’engage ab initio

pour un montant déterminé, comme c’est le cas dans le cadre d’une délégation

imparfaite certaine. En troisième lieu, c’est l’esprit même de l’article 48 de la loi du

1er mars 1984 qui s’oppose à son extension lorsque le garant a les moyens de

connaître le montant de la dette principale. Le codébiteur solidaire adjoint étant aux

yeux du créancier un véritable coobligé ne pouvant ignorer l’évolution de sa propre

dette, il ne devrait pas, pour cette raison, être informé annuellement1535.

L’extension de l’article L. 313-22 du Code monétaire et financier aux garanties

personnelles innomées est au contraire préconisée sur le fondement de l’analogie. Ce

texte a pour raison d’être la protection de la caution pouvant être amenée à payer les

mêmes sommes que le débiteur principal. Dès lors que le montant de l’engagement

du garant est identique à celui du débiteur principal, le raisonnement a pari impose

A propos de l’engagement de codébiteur solidaire adjoint, cf. Y. PICOD, note sous Cass. 1ère

civ., 17 novembre 1999, JCP 2000, II, 10403 1532 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°514 ; F. JACOB, ibid., n°147 ; M. OURY-

BRULE, th. préc., n°555 ; P. ANCEL, Qualification et régime de l’engagement de codébiteur

solidaire non intéressé à la dette prévu par l’article 1216 du Code civil, note sous Cass. 1ère

civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 411 ; J. PIEDELIEVRE, De quelques difficultés posées

par la souscription d’une garantie à première demande par un époux commun en biens, JCP

1996, éd. N, I, p. 1320 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°142 et 484 ; J. FRANÇOIS,

n°478 ; Ph. SIMLER, n°1026 1533 F. JACOB, ibid. ; M. OURY-BRULE, ibid., n°468 ; P. ANCEL, note préc. ; A. CERLES,

La lettre d'intention dans les pratiques bancaires, Droit et patrimoine 1999, n°67, p. 60 ; J.

DEVEZE, Aux frontières du cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in

Aspects contemporains du cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92,

p. 30 ; D. R. MARTIN, L’engagement du codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 52 ;

J. MESTRE, Les lettres d’intention, une zone d’aménagement contractuel, Droit et patrimoine

1999, n°67, p. 63 ; Y. PICOD, note préc. ; P. VILLEROIL, La lettre d'intention à l’épreuve

de la jurisprudence de la Cour de cassation, Banque et droit 1995, n°43, p. 11 ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°487, 490 (sur la promesse de porte fort), n°492 (sur

l’engagement de l’article 1216 et la délégation) ; Ph. SIMLER, n°1020 (sur la lettre

d'intention). 1534 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°499 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°487 ; Ph. SIMLER, n°1020 1535 En ce sens, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°470 ; P. ANCEL, note préc. ; M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°492

Page 382: L'efficacité des garanties personnelles

l’extension de l’obligation d’information annuelle. Tel peut être le cas en matière de

promesse de porte fort, de constitut, ou encore de délégation imparfaite incertaine,

autant de garanties personnelles innomées dans lesquelles le montant du paiement

du garant est calqué sur celui de la dette principale.

685. Le bénéfice de subrogation. Concernant, enfin, le bénéfice de

subrogation, on retrouve ici encore l’opposition entre la lettre de l’article 2037 du

Code civil, qui en fait une cause d’extinction propre au cautionnement1536, et son

esprit, qui incite à en faire profiter toute personne pouvant être amenée à payer une

dette sans être entièrement intéressée à celle-ci1537.

686. La question de l’extension aux garanties personnelles innomées des

principales règles du cautionnement protégeant la caution demeure largement sans

réponse. Si quelques décisions ont été rendues à ce sujet en matière de garantie

autonome, l’incertitude reste entière à l’égard des autres mécanismes de garantie non

spécialement réglementés, car la jurisprudence est encore silencieuse et la doctrine

partagée. Dans ces conditions, il est particulièrement difficile de savoir si

l’autonomie normative recherchée par les créanciers se faisant consentir une garantie

personnelle innomée sera respectée. L’incertitude entoure véritablement le

nivellement des régimes des garanties personnelles par le biais de leur soumission à

des règles du cautionnement.

S’agissant du nivellement par application du droit commun des contrats, il est

d’ores et déjà opéré par les juges, au détriment de l’efficacité des garanties

personnelles innomées.

§2 : LA SOUMISSION DES GARANTIES PERSONNELLES

INNOMEES AU DROIT COMMUN DES CONTRATS

687. L’instrumentalisation du droit commun des contrats au service de la

protection du garant. La soumission des garanties personnelles innomées au droit

commun des contrats est inévitable, puisqu’il s’agit bien de contrats, nécessitant

l’acceptation, même tacite, du créancier bénéficiaire1538, et non pas, comme l’ont

soutenu quelques auteurs étrangers, d’engagements unilatéraux1539.

1536 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°349 ; J. DEVEZE, art. préc., p. 30 ; P. ANCEL,

n°159 (sur la lettre d'intention) ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-11, 487 (sur la

lettre d'intention), n°490 (sur la promesse de porte fort), n°492 (sur l’engagement de l’article

1216 et la délégation-sûreté) ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-

19 (sur la lettre d'intention) ; Ph. SIMLER, n°1017 (sur la lettre d'intention). 1537 En ce sens, cf. P. ANCEL, note préc. ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-11, 484,

487 ; J. FRANÇOIS, n°459, 480 1538 La qualification de « contrat » a été retenue par Cass. com., 2 février 1988 : Bull. civ. IV,

n°55. Sur la nécessité de l’acceptation du créancier bénéficiaire, cf. T. com. Paris, 26 mai

1989 : D. 1990, Somm., p. 206 1539 L. SIMONT, L’engagement unilatéral, in Les obligations en droit français et en droit

belge, Dalloz et Bruylant, 1994, n°2 et 9 ; P. VAN OMMESLAGHE, Sûretés issues de la

pratique et autonomie de la volonté, in Les Sûretés, Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984,

p. 351

Page 383: L'efficacité des garanties personnelles

L’application des règles du droit commun menace particulièrement l’efficacité

des garanties personnelles innomées lorsqu’elle conduit à la limitation, voire à

l’anéantissement, des droits du créancier contre le garant, sans que les conditions

habituellement requises ne soient réunies. Dès lors que les juges utilisent le droit

commun en vue de supprimer les avantages que présentent les garanties personnelles

innomées par rapport au cautionnement, l’inefficacité est patente, puisque cette

utilisation déjoue les prévisions extrinsèques des parties et empêche la réalisation de

la finalité assignée au contrat conclu.

Autrement dit, ce n’est pas la soumission des garanties personnelles non

spécialement réglementées au droit commun des contrats qui porte atteinte aux

intérêts des créanciers, mais plutôt l’instrumentalisation de ce corps de règles au

service de la protection du garant, voire du débiteur principal. Par le biais de cette

application téléologique du droit commun des contrats, le niveau de protection du

garant ayant souscrit un engagement innomé peut être équivalent à celui de la

caution. Ce nivellement contredit évidemment les attentes des créanciers

bénéficiaires d’une garantie personnelle non spécialement réglementée, qui voient

en celle-ci le moyen de ne pas pâtir de la politique légale et jurisprudentielle de

protection de la caution.

Ce nivellement, attentatoire à l’efficacité des garanties personnelles innomées,

s’opère au moyen, d’une part, des conditions de validité et de preuve du droit

commun (A) et, d’autre part, de l’impératif d’éthique contractuelle (B).

A/ LES CONDITIONS DE VALIDITE ET DE PREUVE

688. A défaut de pouvoir interdire la conclusion de garanties personnelles plus

rigoureuses à l’encontre du garant qu’un cautionnement, ce que seul le législateur

pourrait faire, il n’est pas rare que les juges empêchent qu’elles ne produisent des

effets, soit en prononçant leur nullité pour non respect de l’une des conditions de

validité de l’article 1108 du Code civil (1), soit en considérant que la preuve n’en est

pas rapportée, au regard des exigences de l’article 1326 du Code civil (2). Sur ces

deux fondements, les juges prennent certaines libertés avec les règles du droit

commun, afin de rendre les garanties personnelles innomées moins attrayantes aux

yeux des créanciers.

1. Les conditions de validité de l’article 1108 du Code civil

689. La cause. Si la cause est au cœur des débats doctrinaux relatifs aux

garanties indépendantes1540, elle ne joue, en revanche, aucun rôle aujourd'hui dans la

protection des garants ayant souscrit un engagement innomé. En effet, comme la

Cour de cassation pose le principe selon lequel « l’engagementd’un garant à

première demande est causé, dès lors que le donneur d’ordre a un intérêt

économique à la conclusion du contrat de base, peu important qu’il n’y soit pas

partie » 1541, l’absence de conclusion du contrat de base n’est pas une cause de

nullité de la garantie autonome. A cet égard, les garants indépendants ne sont pas

1540 Cf. supra n°304 1541 Cass. com., 19 avril 2005 : D. 2005, AJ, p. 1285 ; LPA 18 mai 2005, n°98, p. 9, rapport

COHEN-BRANCHE ; JCP 2005, éd. E., 91, note STOUFFLET ; JCP 2005, II, 10075, note

PIEDELIEVRE

Page 384: L'efficacité des garanties personnelles

moins bien traités que les cautions, puisque la cause joue également un rôle

négligeable en matière de cautionnement.

690. L’objet. L’objet ne constitue pas non plus un mode de protection

privilégié par les juges. Sa licéité n’a pas donné lieu à contentieux, et son caractère

déterminé, ou au moins déterminable, est aisément retenu. Ainsi, en matière de

garantie autonome, la Cour de cassation décide que l’identification du débiteur et de

la dette garantie peut résulter de circonstances telles que la qualité de dirigeant du

garant, l’identité de date de signature du contrat de crédit et du contrat de garantie,

ou encore l’identité de terme entre ces deux contrats1542. Semble ainsi tout à fait

isolé un arrêt de la Cour d’appel de Colmar1543, qui a pris prétexte de l’absence

d’objet propre de la garantie autonome, et de la référence aux « sommes dues aux

termes du contrat (principal) », pour prononcer la nullité de la garantie autonome

faute d’objet déterminé. De tels éléments sont en principe relevés pour justifier la

requalification de la convention en cautionnement1544, et non pour fonder une

annulation.

691. Les conditions de capacité et de pouvoir. S’agissant de la capacité, elle

ne fait pas l’objet d’une appréciation différente selon la gravité ou selon le caractère

indépendant ou accessoire de la garantie constituée. Est seulement déterminante la

qualification d’engagement de payer à titre de garantie. En matière de garanties

personnelles innomées, la capacité ne constitue donc pas un mode de protection du

garant plus utilisé qu’en matière de cautionnement.

Pour ce qui est des règles de pouvoir et, plus précisément, de l’exigence

d’autorisation du conseil d’administration ou de surveillance prévue par les articles

L. 225-35 et L. 225-68 du Code de commerce, la Cour de cassation décide

naturellement d’y soumettre les garanties autonomes1545. Il reste à espérer qu’à

l’égard des autres mécanismes innomés, la qualification de « garantie » ne donnera

pas lieu à autant de tergiversations, et donc d’incertitudes, qu’en matière de lettre

d'intention1546.

692. Le consentement libre et éclairé. Si la cause, l’objet, et la capacité sont

donc peu instrumentalisés au service de la protection du garant, il n’en va pas de

1542 Cass. com., 19 octobre 1999 : RJDA 12/1999, n°1385 1543 CA Colmar, 22 février 1994 : JCP 1994, I, 3765, n°12, obs. SIMLER 1544 Cf. supra n°638-640 1545 Cass. com., 26 janvier 1993 : D. 1995, Somm., p. 17, obs. VASSEUR ; Bull. Joly 1993,

p. 469, note DELEBECQUE

La première Chambre civile (Cass. 1ère civ., 10 octobre 1996 : RD bancaire et bourse 1996,

p. 239, obs. CONTAMINE-RAYNAUD) a précisé que le pouvoir d’émettre un

cautionnement ne vaut pas celui d’émettre une garantie indépendante. 1546 Sur ce contentieux en matière de lettre d'intention, cf. supra n°657-662

En faveur de l’application des contraintes sociétaires en matière de promesse de porte fort, cf.

Ph. SIMLER, Peut-on substituer la promesse de porte fort à certaines lettres d’intention,

comme technique de garantie ?, RD bancaire et bourse 1997, n°64, p. 224 ; M. CABRILLAC

et Ch. MOULY, n°490

En matière d’engagement de codébiteur solidaire adjoint, l’application de ces contraintes

pourrait dépendre du caractère ostensible ou non du défaut d’intéressement à la dette. Ainsi,

l’autorisation serait inutile dans l’hypothèse où l’engagement serait « habillé en une dette

propre de la société » (M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°492).

Page 385: L'efficacité des garanties personnelles

même de la dernière condition de validité de l’article 1108 du Code civil, à savoir le

consentement libre et éclairé.

Lorsque les garanties personnelles innomées sont souscrites par des

établissements de crédit, des sociétés, ou d’autres professionnels avisés, l’existence

et la qualité du consentement ne suscitent guère de difficultés. En revanche, la

vigilance est accrue en présence de garants non initiés. Si la relative nouveauté, le

caractère « insolite » et la rigueur des garanties personnelles innomées peuvent

expliquer que les juges vérifient avec soin la réalité et le caractère éclairé du

consentement du garant non averti, ils ne permettent pas, en revanche, de justifier

que les arrêts ne soient rendus qu’en équité. L’efficacité des garanties personnelles

innomées est menacée, non par leur soumission à l’exigence d’un consentement

libre et éclairé, mais par le dévoiement de cette condition de validité au service de la

protection des garants non professionnels.

693. La violence. Le vice de violence n’est pas encore utilisé en ce sens. En

effet, la jurisprudence continue à exiger une véritable contrainte injuste et illicite1547,

et ne se contente pas d’un abus de faiblesse ou de position dominante.

694. L’erreur. L’erreur sur la nature et la portée de l’engagement contracté a

davantage de succès auprès des juges, sensibles au caractère inhabituel, voire

« ésotérique », de certaines garanties personnelles innomées1548, sans qu’il soit pour

autant possible de constater une dérive dans l’appréciation de ce moyen de défense.

695. Le dol. En réalité, c’est sur le terrain du dol qu’ont été essentiellement

tenus des raisonnements téléologiques, dictés par le souci d’éradiquer les garanties

personnelles innomées, et notamment les garanties autonomes souscrites par des

particuliers.

L’arrêt Blanchet, rendu par la Cour d’appel de Paris le 27 juin 1990, en

constitue un exemple topique1549. La Cour a estimé qu’un dol par réticence avait été

commis par l’établissement de crédit-bail à l’encontre de l’épouse du dirigeant de la

société crédit-locataire, épouse qui avait signé une garantie autonome. Les différents

arguments relevés au soutien de l’annulation ne résistent pas à l’analyse1550. Celui

1547 CA Versailles, 28 février 1992 : D. 1993, Somm., p. 109 ; CA Rennes, 26 juin 1992 :

Juris-Data n°048868 ; CA Grenoble, 1er avril 1997 : Juris-Data n°041005 1548 En ce sens, à propos de la garantie autonome, de la promesse de porte fort, du constitut,

de l’engagement de l’article 1216 du Code civil, et de la délégation-sûreté, cf. M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-2, 490, 491, 492 1549 CA Paris, 27 juin 1990 : Defrénois 1990, p. 1349, obs. AYNES ; JCP 1991, éd. E, II, 119,

note HASSLER ; RD bancaire et bourse 1991, p. 27, note CONTAMINE-RAYNAUD ; Gaz.

Pal. 7-8 décembre 1990, p. 11 ; D. 1992, 30, note BLANC ; D. 1991, Somm., 193, obs.

VASSEUR ; Gaz. Pal. 1990, 2, 691, note ROBINOT et LAFORTUNE ; RTD civ. 1991,

p. 374, obs. BANDRAC 1550 En ce sens, cf. Ph. SIMLER, A propos des garanties autonomes en droit interne

souscrites par des personnes physiques, JCP 1991, éd. E, I, 90, n°7 : le caractère incomplet de

l’acte ne convainc pas, puisque les rubriques laissées en blanc n’intéressaient que le

créancier ; la précipitation dans laquelle le contrat aurait été conclu est particulièrement

exagérée, puisque 7 jours s’étaient écoulés entre la signature du contrat de crédit-bail et celle

de la garantie ; affirmer que le garant n’a pas pu apprécier les conséquences de l’acte, alors

Page 386: L'efficacité des garanties personnelles

qui constitue « la clé de l’énigme »1551, à savoir le caractère inusité de la garantie

autonome, est spécialement critiquable car, si l’annulation d’un procédé contractuel

librement convenu et licite, sous prétexte de son caractère inhabituel, peut

s’expliquer par des raisons d’équité, aucun motif juridique ne peut par contre venir

l’étayer. A l’évidence, c’est le choix lui-même en faveur d’une garantie

indépendante que la Cour d’appel a voulu stigmatiser. Pour ce faire, elle a dû

« forcer la note »1552, et découvrir un silence dolosif là où il n’y en avait pas.

Quelques années plus tard, la même Cour a de nouveau manifesté son hostilité

à l’encontre des garanties à première demande signées par des particuliers, sous

couvert d’un prétendu silence dolosif, en relevant encore le caractère inhabituel de

ces garanties1553. Les juges n’hésitent donc pas à « manipuler » la théorie des vices

du consentement afin de protéger les garants ayant souscrit un engagement innomé.

696. Les conditions de validité ne sont pas les seules règles du droit commun

des contrats dont les juges se servent pour rapprocher le régime des garanties

personnelles non spécialement réglementées de celui du cautionnement. L’exigence

de mention manuscrite de l’article 1326 du Code civil est également utilisée à cette

fin.

2. L’exigence de mention manuscrite de l’article 1326 du Code civil

697. Jusqu’à présent, la Cour de cassation ne s’est prononcée sur l’application

de l’article 1326 du Code civil qu’à l’égard de trois mécanismes innomés. Si la

solution retenue en matière de lettre d’intention est de nature à favoriser l’efficacité

de cette garantie, il n’en va pas de même relativement à la garantie autonome et à

l’engagement de codébiteur solidaire adjoint.

698. L’exclusion légitime de l’article 1326 du Code civil en matière de

lettre d'intention. En matière de lettre d'intention, l’article 1326 du Code civil ne

doit pas s’appliquer. Dès que cet engagement est souscrit par une société

commerciale, en faveur d’une autre, pour la garantie d’un crédit bancaire précis, il

constitue un acte de commerce pouvant être librement prouvé (article L. 110-3 du

Code de commerce). Même lorsque l’émetteur n’est pas commerçant, l’application

de l’article 1326 ne s’impose pas, puisque ce texte vise les contrats unilatéraux ayant

pour objet le paiement d’une somme d’argent, et non les obligations de faire ou de

ne pas faire que contiennent la plupart des lettres de confort1554.

que celui-ci contenait tous les éléments chiffrés de la dette, revient à nier la force obligatoire

des clauses imprimées du contrat. 1551 Ph. SIMLER, ibid., n°7 1552 Ph. SIMLER, ibid., n°7 1553 CA Paris, 16 avril 1996 : D. 1996, IR, p. 165 ; JCP 1997, I, 3991, n°10, obs. SIMLER 1554 En ce sens, cf. A. BAC, La lettre d'intention ou le dilemme liberté/ sécurité, Droit et

patrimoine 1999, n°67, p. 51 ; Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au cautionnement,

JCP 1990, I, 3427, n°21 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°487 ; J. FRANÇOIS, n°478 ;

D. LEGEAIS, n°339 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-19 ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°245 ; Ph. SIMLER, n°1019

Page 387: L'efficacité des garanties personnelles

Si la Cour d’appel de Paris a d’abord statué en ce sens1555, elle est ensuite

revenue sur cette solution, en décidant que l’obligation unilatérale contenue dans

une lettre d'intention lui rend applicable l’article 13261556. Comme la Cour de

cassation fait pareillement primer l’esprit de ce texte (protéger le débiteur qui

s’engage sans contrepartie) sur sa lettre (protection réservée aux engagements de

payer une somme d’argent), en matière de mandat sous seing privé de se porter

caution1557, on pouvait craindre qu’elle n’entérine la soumission des lettres

d’intention à l’exigence de mention manuscrite1558.

La Haute juridiction a heureusement censuré cette instrumentalisation du droit

commun, en décidant que l’obligation de résultat « n’est pas soumise, pour sa

preuve, à l’exigence d’une mention manuscrite exprimant la connaissance de la

nature et de l’étendue de l’engagement »1559. Sur le terrain probatoire, le

rapprochement entre la lettre d'intention et le cautionnement étant ainsi évité, le sort

funeste que l’on pouvait prédire aux lettres de confort1560 est moins d’actualité et

leur efficacité se trouve préservée.

699. L’application délicate de l’article 1326 du Code civil en matière de

garantie autonome. S’agissant de la garantie autonome, dès lors qu’elle est

souscrite par un non commerçant ou par un commerçant ne s’engageant pas pour les

besoins de son commerce1561, elle doit comporter la mention manuscrite imposée par

1555 CA Paris, 26 septembre 1991 : JCP 1991, éd. E., pan. 1272 ; JCP 1992, éd. E., II, 345,

note GRELLIERES ; Banque 1991, p. 1088, note RIVES-LANGE 1556 CA Paris, 14 décembre 1999 : RJDA 3/2000, n°342. Dans cet arrêt, la Cour a retenu la

même interprétation de l’article 1326 que celle en vigueur en matière de cautionnement.

Après avoir rappelé que la mention n’est exigée qu’à titre probatoire et qu’en son absence la

connaissance qu’a pu avoir le signataire de la portée de son engagement peut être prouvée par

un élément extrinsèque à l’acte, elle a estimé qu’en l’espèce « le défaut de mention

manuscrite était pallié par la connaissance qu’avait le garant de la situation financière du

garanti ». 1557 Sur cette question, cf. supra n°580 1558 Sur cette crainte, cf. X. BARRE, La lettre d'intention technique contractuelle et pratique

bancaire, Economica, 1995, préf. Ch. GAVALDA, n°185 ; J. DEVEZE, Aux frontières du

cautionnement : lettre d'intention et garantie indépendante, in Aspects contemporains du

cautionnement, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 2-92, p. 30 ; Ph. SIMLER, Les

solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990, I, 3427, n°21 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°484 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°245 ; Ph. SIMLER, n°1019 1559 Cass. com., 17 décembre 2002 : RD bancaire et financier 2003, n°73, obs. LEGEAIS ;

JCP 2003, I, 176, n°13, obs. SIMLER ; RJDA 12/2003, n°1254 1560 D. MAZEAUD, Variations sur une garantie épistolaire et indemnitaire : la lettre

d'intention, Mélanges M. Jeantin, 1999, p. 341 et s., n°18 : « en dépit de sa nature originale,

la lettre d'intention est assimilée, quant à son régime, au cautionnement. De là à considérer

qu’il n’est plus guère utile de les distinguer, voire qu’il est inéluctable de les confondre, et,

par conséquent, que la survivance même des lettres d’intention sera moins utile pour la

pratique des affaires que pour la curiosité d’auteurs en quête d’inspiration, il n’y a qu’un

pas ». 1561 En matière de garantie indépendante, doit être exclue « la commercialité par contagion,

telle que celle admise en matière de cautionnement, lorsque la caution a un intérêt

commercial dans l’opération principale garantie » (Ph. SIMLER, n°874). Plusieurs

juridictions du fond ont déjà retenu cette conséquence de l’autonomie de la garantie (CA

Versailles, 11 février 1993 : D. 1993, IR, p. 97 ; RTD com. 1993, p. 556, obs. CABRILLAC

Page 388: L'efficacité des garanties personnelles

l’article 1326 du Code civil, car il s’agit bien d’un contrat unilatéral ayant pour objet

le paiement d’une somme d’argent.

C’est en ce sens que statue la Cour de cassation1562. Elle confère à la mention

manuscrite la même portée en matière de garantie indépendante que de

cautionnement. En effet, dans les deux cas, la mention manuscrite est considérée

comme une formalité probatoire1563, jouant un rôle protecteur du consentement de

celui qui s’engage et, dans les deux cas, l’acte irrégulier au regard de l’article 1326

constitue un commencement de preuve par écrit, pouvant être complété par des

éléments extrinsèques établissant que la personne engagée avait une exacte

connaissance de la nature et de la portée de son engagement1564.

Si la transposition des solutions admises en matière de cautionnement risque de

fragiliser les garanties autonomes, c’est non seulement parce que l’on sait à quel

point l’article 1326 a pu constituer une planche providentielle de salut pour les

cautions1565, mais aussi parce que cette transposition n’est pas si naturelle1566. En

effet, la recherche d’un complément de preuve dans le contrat principal va moins de

soi dans une garantie détachée du contrat de base que dans une garantie accessoire

comme le cautionnement. Si l’on peut admettre que la prise en compte du contrat

principal, à titre d’élément de fait, pour compléter le commencement de preuve par

écrit, ne remet pas en cause l’autonomie de la garantie1567, il n’en reste pas moins

que cette prise en compte ne lève pas toutes les difficultés, et ne conduit pas aussi

directement qu’en matière de cautionnement à la preuve de l’engagement. La raison

en est que, s’agissant de la connaissance de la nature de l’engagement, il est rien

moins qu’évident que le contrat de base prévoit la fourniture d’une garantie

expressément stipulée autonome. S’agissant de la connaissance de la portée de

et TEYSSIE ; CA Aix-en-Provence, 15 avril 1993 : JCP 1993, IV, 2570 ; LPA 20 décembre

1993, p. 13, note PUTMAN ; CA Dijon, 6 mai 1994 : JCP 1995, éd. E, pan., 65). Il en résulte

que la garantie autonome souscrite par le dirigeant de société au profit de celle-ci relève de la

compétence du tribunal civil, alors qu’un cautionnement signé par le même dirigeant,

considéré comme commercial, doit être examiné par les juges consulaires. 1562 D’abord implicitement, cf. Cass. com., 10 janvier 1995 : Bull. civ. IV, n°13. Puis,

expressément, cf. Cass. com., 22 novembre 1996 : JCP 1997, I, 4033, n°10, obs. SIMLER ;

RTD civ. 1997, p. 183, obs. BANDRAC 1563 Quelques juridictions du fond (CA Dijon, 26 février 1992 : D. 1992, Somm., p. 399, obs.

FORTIS ; CA Montpellier, 30 janvier 1992 : Juris-Data n°034027 ; CA Montpellier, 30 mars

1993 : Juris-Data n°034572) ont sanctionné l’insuffisance de la mention manuscrite par la

nullité de la garantie autonome, à une époque où la première Chambre civile de la Cour de

cassation avait déjà opéré son revirement de jurisprudence, en faveur du formalisme

probatoire. 1564 Comme en matière de cautionnement, la Cour de cassation considère que la qualité de

gérant est un élément extrinsèque (Cass. com., 10 décembre 2002 : JCP 2003, I, 176). 1565 Sur l’article 1326 du Code civil comme cause d’inefficacité du cautionnement, cf. supra

n°566, 578, 579 1566 En ce sens, cf. Ph. THERY, n°109 quater 1567 En ce sens, cf. M. BANDRAC, obs. sous Cass. com., 22 novembre 1996, RTD civ. 1997,

p. 183 : « l’autonomie de la garantie par rapport au contrat de base n’implique ni en fait ni

en droit aucune autonomie instrumentaire et plus généralement aucune autonomie de la

preuve des deux rapports ». Contra, cf. M. BILLIAU, note sous Cass. com., 10 janvier 1995,

JCP 1995, II, 22397 : le caractère autonome de la garantie commande le rejet de toute preuve

tirée d’éléments extrinsèques à l’instrumentum. Ce rejet nécessaire devrait conduire à décider

de l’exclusion de l’article 1326 en matière de garantie autonome.

Page 389: L'efficacité des garanties personnelles

l’engagement, le montant du contrat principal et celui de la garantie autonome

n’étant pas nécessairement identiques, la seule connaissance par le garant de

l’étendue de la dette principale pourrait être jugée insuffisante. La transposition des

solutions rendues en matière de cautionnement sur le fondement de l’article 1326

pourrait donc entraver la preuve des garanties autonomes et, par là même,

compromettre leur efficacité.

700. L’exclusion critiquable de l’article 1326 du Code civil en matière de

solidarité adjointe. Dans le cadre de l’engagement de codébiteur solidaire adjoint,

la Cour de cassation écarte l’application de l’article 1326 du Code civil, en relevant,

de manière quasi tautologique, que la dette « était la contrepartie d’une créance

»1568.

En apparence, cette solution est tout à fait favorable aux créanciers, puisqu’au

stade de l’obligation à la dette, le codébiteur solidaire non intéressé est traité, non

comme une caution, mais comme un coobligé non protégé par l’article 1326.

En réalité, « cette sécurité n’est peut-être que provisoire car la Cour de

cassation n’a pas dit son dernier mot. Il ne s’agit probablement que d’un galop

d’essai »1569. La Haute juridiction pourrait revenir sur cette solution, parce qu’elle

dénature la solidarité de l’article 1216 du Code civil. La Cour de cassation confère

en effet un caractère synallagmatique à l’engagement du codébiteur solidaire

adjoint, alors que celui-ci n’a pas de part personnelle dans l’affaire commune. Il

s’engage pour garantir la dette d’autrui. Même s’il y a une contrepartie à

l’engagement de l’autre codébiteur solidaire (celui qui est intéressé à la dette), cette

contrepartie ne profite pas, par hypothèse, au codébiteur solidaire non intéressé1570.

La mention manuscrite de l’article 1326 devrait donc figurer dans l’engagement

prévu par l’article 1216, que cet engagement soit recueilli dans l’acte constatant

l’obligation garantie ou, a fortiori, par acte ultérieur et séparé1571.

L’article 1326 ne devrait être écarté que si le garant ne parvient pas à prouver

que le créancier savait qu’il n’avait personnellement aucun intérêt à la dette. Dans

une telle situation, « l’habit juridique emprunté prévaut formellement »1572. En

conséquence, le fait pour le garant d’avoir pris la qualité apparente de débiteur

solidaire le rend justiciable du seul régime de preuve de l’acte dans lequel cette

1568 Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999 : Bull. civ. I, n°309

En faveur de cette solution, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°384, 492 : « la mention

manuscrite est inutile, puisque le garant est censé payer sa propre dette, au moins en partie,

et ainsi équilibrer son engagement par la contrepartie reçue ailleurs ». 1569 Y. PICOD, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, JCP 2000, II, 10403. Un autre

auteur ne croit tellement pas à la pérennité de la solution qu’il s’interroge même « sur ce qui

vaut à cet arrêt d’être désigné comme devant être publié au Bulletin » (Ph. SIMLER, obs.

sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, JCP 1999, I, 209, n°9). 1570 Sur le caractère par principe unilatéral de l’engagement clairement pris, en qualité de

garant, par le codébiteur solidaire adjoint, cf. M. OURY-BRULE, th. préc., n°293 et 294 1571 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°511 ; D. R. MARTIN, L’engagement du

codébiteur solidaire adjoint, RTD civ. 1994, p. 57. Pour une position plus nuancée, prenant

appui sur la structure obligationnelle de la solidarité passive adjointe, qui peut être soit

unilatérale, soit synallagmatique, voire les deux à la fois, cf. V. BREMOND, obs. sous Cass.

com., 17 décembre 2003, D. 2004, Somm., p. 2035 1572 D. R. MARTIN, ibid., p. 57

Page 390: L'efficacité des garanties personnelles

qualité s’est exprimée, régime qui n’est pas celui de l’article 13261573. Dès lors que

la Cour de cassation évince purement et simplement l’exigence de mention

manuscrite, sans procéder à cette distinction, elle méconnaît la nature de

l’engagement de codébiteur solidaire adjoint et compromet, ce faisant, l’efficacité de

ce mécanisme.

701. L’inefficacité des garanties personnelles innomées se trouve favorisée

par le dévoiement jurisprudentiel des règles de validité et de preuve du droit

commun. Lorsque les conditions d’application de ces règles se trouvent réunies,

mais que les juges décident de ne pas y soumettre un mécanisme innomé, ils

dénaturent celui-ci et entravent son efficacité à long terme. Lorsque les conditions

d’application des règles du droit commun ne sont pas remplies, mais que les juges

en font néanmoins profiter les garants ayant souscrit un engagement innomé, ils

fragilisent aussi l’efficacité des mécanismes non spécialement réglementés en

occultant leur fonction de garantie, ainsi que la finalité qui leur est assignée.

Un même constat s’impose au regard de l’instrumentalisation de l’impératif

d’éthique contractuelle.

B/ L’IMPERATIF D’ETHIQUE CONTRACTUELLE

702. L’instrumentalisation de l’impératif d’éthique contractuelle. Lorsque

les contraintes mises à la charge des créanciers ont pour finalité le respect de

l’éthique contractuelle, elles demeurent compatibles avec l’objectif d’efficacité des

garanties personnelles, et peuvent même servir cet objectif1574. Au contraire, si ces

contraintes sont imposées en vue d’alléger, voire de supprimer, l’obligation de

règlement du garant, elles méconnaissent purement et simplement la fonction de

garantie des contrats conclus et constituent des facteurs d’inefficacité.

A cet égard, l’efficacité des garanties personnelles innomées se trouve menacée

lorsque, sous couvert d’éthique contractuelle, les juges cherchent en réalité à

remettre en cause les intérêts attachés à la conclusion de contrats non spécialement

réglementés, et particulièrement le déficit de protection du garant qu’engendrent ces

contrats par rapport au cautionnement. Si cette instrumentalisation de l’impératif

d’éthique contractuelle est susceptible de concerner les deux facettes de cet

impératif, que sont le devoir de solidarité (1), et le devoir de tempérance (2), les

déviances se sont jusqu’à présent surtout concentrées autour du second.

1573 En ce sens, cf. P. ANCEL, note sous Cass. 1ère civ., 17 novembre 1999, D. 2000, p. 410 1574 Cf. supra n°168-171 ; 407-416

Page 391: L'efficacité des garanties personnelles

1. Le devoir de solidarité

703. Les déviances envisageables. L’expression positive de l’impératif

d’éthique contractuelle, à savoir la solidarité entre les contractants, n’a pas encore

donné lieu à des solutions injustifiées. Le souci de certains juges d’aligner la

protection des garants ayant souscrit un engagement innomé sur celle de la caution

laisse craindre, cependant, qu’ils ne découvrent à la charge des créanciers des

obligations que n’impose pas l’éthique contractuelle.

Tel serait le cas de l’obligation précontractuelle d’information du garant sur la

nature et l’étendue de son engagement, si elle devait bénéficier à des garants avertis

ou, a fortiori, professionnels.

Tel serait également le cas de l’obligation de surveiller la correcte affectation

des fonds prêtés, si elle devait être sanctionnée dans le cadre de garanties

personnelles détachées du contrat de base1575.

2. Le devoir de tempérance

704. La sanction de la disproportion de l’engagement du garant par

rapport à ses facultés financières. L’impératif d’éthique contractuelle commande

aux créanciers de ne pas faire souscrire au garant un engagement manifestement

disproportionné par rapport à ses biens et revenus. Si l’on peut admettre l’extension

du principe de proportionnalité aux garanties personnelles innomées1576, encore faut-

il que les conditions de mise en jeu de cette règle soient compatibles avec les

caractéristiques du contrat conclu.

Sauf à instrumentaliser l’impératif d’éthique contractuelle, la responsabilité des

créanciers destinataires de lettres d’intention ne devrait pas être engagée sur le

terrain de la disproportion, faute d’une telle compatibilité. En effet, comme c’est

l’émetteur qui décide librement de la manière d’exécuter ses obligations de moyens

ou de résultat, la disproportion des moyens mis en œuvre au regard de ses facultés

financières ne devrait pas pouvoir être imputée au créancier.

705. La sanction de l’octroi abusif ou de la rupture abusive de crédit.

L’impératif d’éthique contractuelle commande également aux créanciers de ne pas

favoriser ou accélérer la défaillance du débiteur principal. Dans le cadre des

garanties indépendantes, l’impératif d’éthique contractuelle ne peut être respecté que

si la mise en jeu de la responsabilité du créancier pour octroi abusif ou rupture

abusive de crédit ne remet pas en cause le détachement de l’obligation du garant par

rapport au contrat de base.

L’éthique contractuelle serait, au contraire, utilisée au profit de la protection

directe des intérêts du garant, si les juges acceptaient que celui-ci se prévale d’un

1575 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-7 1576 En ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°495 et 496 ; M. OURY-BRULE, th. préc.,

n°462 ;

P. CROCQ, RTD civ. 1998, p. 157 ; D. HOUTCIEFF, Les dispositions applicables au

cautionnement issues de la loi pour l’initiative économique, JCP 2003, I, 161, n°29 ; D.

LEGEAIS, Principe de proportionnalité : le cas du contrat de crédit avec constitution de

garantie, LPA 30 septembre 1998, n°117, p. 38 ; S. PESENTI, Le principe de

proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51, p. 12 et s., n°26 ; S.

PIEDELIEVRE, Le cautionnement excessif, Defrénois 1998, article 36836,

p. 849

Page 392: L'efficacité des garanties personnelles

préjudice subi par le débiteur principal, comme peut le faire une caution. L’éthique

contractuelle serait pareillement instrumentalisée, si les juges admettaient que le

préjudice résultant d’un soutien abusif consiste dans l’augmentation de la dette

principale.

Pour que l’indépendance de la garantie soit préservée, il convient donc de ne

prendre en compte que le préjudice personnel du garant autonome. Par ailleurs, le

préjudice réparable ne peut être que la suppression, par le soutien abusif, du

caractère éventuel de la mise en jeu de la garantie1577.

706. La restitution de l’enrichissement procuré par la réalisation de la

garantie. Le devoir de tempérance impose encore aux créanciers de ne pas

détourner de sa fonction la garantie personnelle dont ils bénéficient. Cela signifie

notamment que les créanciers ne doivent pas s’enrichir en conservant un paiement

excédant le montant de la dette principale. La Cour d’appel de Paris fait ainsi une

exacte application de l’impératif d’éthique contractuelle en décidant que le créancier

bénéficiaire de deux garanties à première demande, indépendantes entre elles1578,

peut demander la totalité de leur engagement aux deux garants, sous réserve de

restituer le trop perçu à chacun1579.

707. La sanction de l’abus ou de la fraude dans l’appel de la garantie. Ne

pas détourner la garantie personnelle de sa fonction signifie aussi que les créanciers

ne doivent pas en demander l’exécution en ayant conscience de n’avoir aucun droit

pour ce faire. L’impératif d’éthique contractuelle exige que soit sanctionné l’appel

abusif ou frauduleux de la garantie.

Mais, comme l’application du principe général fraus omnia corrumpit est l’un

des seuls moyens d’empêcher l’exécution d’une garantie indépendante1580, il est à

craindre que les juges ne déclarent trop facilement l’appel de cette garantie abusif ou

frauduleux dans le seul but de protéger le garant ou le débiteur principal1581.

L’efficacité des garanties indépendantes est ainsi compromise si les juges se servent

de la fraude ou de l’abus de droit pour rétablir l’opposabilité des exceptions, que le

1577 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-8 1578 Aucune des deux garanties ne faisait référence à l’autre, et elles avaient été souscrites

indépendamment par deux banques différentes. 1579 CA Paris, 12 mai 2000 : RD bancaire et financier 2000, n°197, note MATTOUT. La Cour

d’appel s’est fondée sur l’article 1134 alinéa 3 du Code civil. La restitution s’opère selon une

clé de répartition respectant le montant relatif de l’engagement de chacun des garants par

rapport à la somme des deux. 1580 Le refus de paiement du garant peut aussi être fondé sur les caractéristiques objectives du

contrat de garantie. Il en va ainsi en cas d’appel prématuré ou tardif. Est également voué à

l’échec l’appel d’une garantie nulle ou déjà éteinte (T. com. Paris, 14 décembre 1990 : D.

1991, Somm., p. 201, obs. VASSEUR, au sujet d’une garantie à laquelle le bénéficiaire avait

antérieurement renoncé).

Sur l’impossibilité de principe, pour le donneur d'ordre, de s’opposer à l’exécution de la

garantie autonome, cf. supra 395 1581 Compte tenu des difficultés que peuvent rencontrer les donneurs d’ordre exerçant un

recours en restitution contre le bénéficiaire ayant reçu du garant un paiement indu, la

protection de ces débiteurs est plus efficace si elle est préventive, c'est-à-dire si elle empêche

le paiement du garant.

Page 393: L'efficacité des garanties personnelles

détachement de l’obligation du garant par rapport au contrat principal a pour but

d’éluder.

Ce risque est d’autant plus grand que les notions de fraude et d’abus ne font pas

l’objet de définitions précises. Si la Cour de cassation exerce un contrôle sur le

caractère frauduleux ou abusif de l’appel d’une garantie, elle n’en fournit pas

clairement les critères, ce qui rend les solutions rendues en la matière

imprévisibles1582. Au registre des certitudes, il convient néanmoins de ranger le refus

de la Haute juridiction de traiter différemment la fraude et l’abus1583, alors même

qu’il est possible de distinguer ces deux attitudes déloyales1584. La Cour de cassation

semble donc admettre la paralysie de la garantie autonome, même si le créancier n’a

pas agi avec l’intention de nuire au donneur d'ordre ou au garant, dès lors qu’il a

demandé le paiement en ayant conscience de son caractère indu. Est donc abusif ou

frauduleux l’appel de la garantie fait de mauvaise foi, c'est-à-dire avec la conscience

du préjudice causé, autrement dit avec la conscience de l’absence de droit1585.

Bien que la Haute cour limite le risque qu’il ne soit trop facilement fait

référence au contrat de base pour caractériser l’abus ou la fraude, et donc qu’il ne

soit trop aisément porté atteinte à l’autonomie de la garantie, en exigeant que l’abus

ou la fraude soient manifestes1586, il n’en demeure pas moins que certaines décisions

1582 En ce sens, cf. J.-J. DAIGRE, Les substituts du cautionnement : de la lettre à la garantie.

La revanche de la liberté, JCP 1992, éd. E., Cahier droit des entreprises 6-92, p. 6 ; Ch.

GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 1 et

s., n°17 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°429 : « puisqu’ils sont généraux, ces principes

sont imprécis. Ils entraînent donc une imprévisibilité qui est l’ennemie des bonnes relations

commerciales. Ils affaiblissent la garantie et ne satisfont plus les besoins des parties (…)

Impossibilité de les formuler correctement. Nulle liste des critères de la fraude n’est fournie.

Les principes généraux, loin de limiter les incertitudes de la notion d’abstraction, y ajoutent

d’autres incertitudes encore plus graves ». 1583 La Cour d’appel de Paris (12 juin 1985 : D. 1986, Somm., p. 161, obs. VASSEUR) a

opéré une distinction entre la fraude et l’abus (l’appel de la garantie, même manifestement

abusif, n’est que l’exécution d’une clause du contrat de garantie ; la fraude suppose des

manœuvres destinées à tromper le cocontractant). Elle a été censurée par la Cour de cassation

(Cass. com., 20 janvier 1987 : Bull. civ. IV, n°19). La Haute juridiction considère que, même

s’il n’est pas inspiré par la malveillance, l’appel de la garantie peut être paralysé lorsqu’il est

manifestement abusif. 1584 C. HANNOUN, Réflexions sur la distinction de la fraude et de l’abus dans les garanties à

première demande, RD bancaire et bourse 1987, n°10, p. 188 : « l’abus consiste dans le

mauvais exercice d’un droit, alors que la fraude est le détournement d’une règle juridique

dans le dessein d’acquérir un droit dont on était privé. L’abus affecte l’exercice du droit pour

le bénéficiaire d’appeler la garantie, alors que la fraude suppose une manœuvre aboutissant

à un résultat inadmissible. (…) L’abus est déterminé à partir des conditions d’exercice du

droit (…), la fraude est caractérisée par des manœuvres effectuées dans un but illicite ».

Sur la portée de la distinction entre la fraude et l’abus de droit à propos des garanties

autonomes, cf. également A. PRÜM, th. préc., n°439 à 448 1585 En ce sens, cf. F. JACOB, th. préc., n°362 à 374 ; A. PRÜM, ibid., n°452 à 483 ; H.

CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et garantie, in Pratique des contrats

internationaux, 1997, n°155 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°53-

19 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°229 ; Ph. SIMLER, n°985 1586 La Cour de cassation décide que « le fait même apparemment établi » que le donneur

d'ordre a rempli toutes ses obligations ne dispense pas le garant de payer (Cass. com., 21 mai

1985 : Bull. civ. IV, n°160). La raison en est que « ce qui est apparemment établi ne l’est pas

Page 394: L'efficacité des garanties personnelles

révèlent que les juges succombent à la tentation de réintroduire, sous couvert

d’appel abusif, une certaine dose d’opposabilité des exceptions dans la garantie

indépendante1587. L’impératif d’éthique contractuelle se trouve par là même

instrumentalisé au détriment de l’efficacité de la garantie autonome constituée.

708. Conclusion de la 2ème Partie. L’autonomie normative des garanties

personnelles innomées est recherchée par les créanciers, afin de bénéficier

d’avantages que le droit du cautionnement entrave, et d’être à l’abri, au contraire,

des désagréments que l’application de cette réglementation occasionne. Pour que

avec une absolue certitude, de sorte que l’appel de la garantie n’est pas manifestement

abusif » (Ph. SIMLER, Les solutions de substitution au cautionnement, JCP 1990, I, 3427,

n°25). La garantie étant payable par principe à première demande, il ne faut pas permettre au

donneur d'ordre de retarder ce paiement par de simples allégations, qui obligeraient les

tribunaux à des vérifications approfondies. Les juges du fond ont ainsi précisé qu’une simple

probabilité, ou un simple risque de fraude, ne justifient pas un refus d’exécution de la garantie

(CA Paris, 15 février 1989 : D. 1989, Somm., p. 158 ; RD bancaire et bourse 1989, p. 138), ou

encore qu’un tribunal ne saurait être autorisé à ordonner une expertise dans le seul but de

rechercher si l’appel de la garantie était justifié ou présentait, au contraire, un caractère

frauduleux (CA Paris, 21 janvier 1987 : D. 1987, Somm., p. 176, obs. VASSEUR ; CA Paris,

13 octobre 1988 : D. 1990, Somm., p. 211, obs. VASSEUR). Il est vrai que, « si le recours à

l’expertise est nécessaire, c’est qu’il existe un doute, et s’il y a doute, l’abus ne peut être

manifeste » (H. CHANTELOUP et V. HEUZE, ibid., n°155). Pour qu’un juge prenne la

décision de défendre au garant autonome de payer sur la demande du bénéficiaire, ne doivent

être nécessaires, ni des preuves supplémentaires, ni des mesures d’instruction ou de

vérifications particulières, ni l’appel d’un tiers. Cela s’explique par le fait que le blocage est

demandé au juge des référés, qui ne statue qu’au vu de l’apparence (article 809 du nouveau

Code de procédure civile). Or, « celle-ci est en faveur du droit du bénéficiaire, seule une

évidence contraire peut la combattre » (Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P.

CROCQ, n°343). Surtout, cette solution s’explique par l’indépendance de la garantie. Comme

la recherche de preuves supplémentaires ne pourrait être effectuée que par référence au

contrat de base, et que les exceptions tirées de ce contrat sont inopposables en matière de

garantie autonome, le seul moyen de préserver la spécificité de cette garantie est d’exiger que

la fraude ou l’abus soient manifestes. En effet, « ce qui est manifeste n’a pas à être prouvé »

(Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°229 ; Ph. SIMLER, n°986). Le caractère manifeste

s’apprécie, non en considération de critères objectifs, mais au regard de l’évidence de la

mauvaise foi du créancier, c'est-à-dire de sa conscience de l’absence de droit (en ce sens, cf.

Ph. SIMLER, n°987). 1587 CA Paris 20 juin 1984 : D. 1985, IR, p. 241, obs. VASSEUR ; RTD com. 1985, p. 548,

obs. CABRILLAC et TEYSSIE (appel abusif lorsque le bénéficiaire ne règle pas au donneur

d'ordre les sommes qu’il lui doit et qu’il se borne à faire état, par des allégations vagues et de

pure forme, de malfaçons et retards) ; CA Paris, 18 novembre 1986 : D. 1987, Somm. 173,

obs. VASSEUR (appel abusif lorsque le débiteur estime avoir achevé l’exécution de ses

obligations) ; CA Versailles, 1er décembre 1988 : D. 1989, Somm., p. 155, obs. VASSEUR

(appel abusif lorsque le bénéficiaire a cessé d’honorer ses obligations sans donner

d’explication) ; CA Bordeaux, 1er mars 1990 : D. 1990, Somm., p. 210 ; RD bancaire et

bourse 1990, p. 207 ; T. com. Nanterre, réf., 14 mars 1991 : LPA 19 avril 1991 ; RD bancaire

et bourse 1991, p. 200 ; RTD com. 1991, p. 425, obs. CABRILLAC et TEYSSIE ; D. 1992,

Somm., p. 241, obs. VASSEUR ; T. com., Paris, 20 septembre 1991 : RJDA 11/1991, n°952 ;

JCP 1992, I, 3583 ; D. 1992, Somm., p. 243 ; CA Paris, 27 janvier 1999 : Juris-Data n°020505

(appel d’une garantie de restitution d’acompte jugé manifestement abusif au motif que le

montant des travaux effectués était largement supérieur à celui des avances)

Page 395: L'efficacité des garanties personnelles

cette finalité assignée aux garanties personnelles innomées se réalise, le droit positif

doit laisser aux créanciers la liberté de protéger leurs intérêts financiers au moyen

d’une garantie non spécialement réglementée.

Dès lors que le législateur n’impose pas, en matière contractuelle, la conclusion

de garanties déterminées et que les juges reconnaissent, tant la liberté de déroger au

caractère accessoire renforcé du cautionnement, que les caractéristiques distinctives

des garanties personnelles innomées, il est permis d’affirmer que le droit positif

favorise l’efficacité subjective de ces mécanismes.

Ce constat d’efficacité mérite cependant d’être relativisé. D’une part, les

incertitudes entourant la qualification des garanties personnelles innomées, et

particulièrement des garanties autonomes et des lettres d’intention, constituent des

facteurs d’inefficacité. D’autre part, c’est le nivellement de régime des différentes

garanties personnelles qui compromet l’efficacité de celles qui ne sont pas

spécialement réglementées. Les juges ne respectent donc pas toujours l’autonomie

normative des garanties personnelles innomées. S’ils n’invalident pas purement et

simplement ces mécanismes, ils cherchent néanmoins à les rendre moins attrayants

aux yeux des créanciers.

La coexistence de fait entre le cautionnement et les contrats lui servant de

substituts, qu’engendre l’absence de réglementation spéciale de ces derniers, conduit

ainsi à la remise en cause des attentes objectives et subjectives des créanciers

bénéficiaires de garanties personnelles innomées. C’est donc bien la « vraie lacune »

du droit existant à l’égard de ces dernières qui est à l’origine de leur inefficacité.

L’inefficacité du cautionnement s’explique également par les lacunes du droit

positif, mais il s’agit, cette fois, de « fausses lacunes », c'est-à-dire de lacunes ayant

trait à l’objectif poursuivi par le législateur et par les juges. L’inefficacité du

cautionnement résulte, en effet, non seulement de la primauté accordée à la

protection directe des intérêts de la caution sur la fonction de garantie du

cautionnement, mais aussi des défauts formels de la loi et de la jurisprudence, qui

révèlent l’inadéquation entre le contenu du droit en vigueur et l’objectif d’efficacité.

Même si les fausses lacunes du droit du cautionnement grèvent indéniablement

l’efficacité de ce mécanisme, il serait excessif d’en conclure qu’il ne protège plus,

aujourd'hui, les intérêts des créanciers. En effet, la souplesse du droit positif, tenant

aux espaces laissés à la liberté contractuelle et à la validation jurisprudentielle des

stipulations protectrices des intérêts financiers des bénéficiaires, favorise la

réalisation des attentes subjectives de ceux-ci relativement à un paiement ponctuel et

intégral. Par ailleurs, en mettant en place des protections de la caution qui servent en

même temps les intérêts des créanciers et, surtout, en rejetant nombre de

contestations de la caution relatives à l’étendue et à l’existence de son engagement,

que le débiteur principal soit ou non soumis à une procédure collective de paiement,

le droit en vigueur joue un rôle encore plus actif dans la construction de l’efficacité

du cautionnement.

L’étude du droit positif conduit donc à porter un jugement nuancé sur

l’efficacité actuelle des garanties personnelles : comme le droit en vigueur favorise à

certains égards leur efficacité subjective et organise leur efficacité objective, mais

qu’il provoque aussi l’apparition de multiples facteurs d’inefficacité, l’efficacité des

garanties personnelles est incertaine. L’évaluation des garanties personnelles de lege

lata révélant ainsi que, sur de nombreux points, l’efficacité reste à construire, il

convient désormais d’envisager cette efficacité de lege ferenda.

Page 396: L'efficacité des garanties personnelles
Page 397: L'efficacité des garanties personnelles

Troisième partie

L’EFFICACITÉ DES GARANTIES

PERSONNELLES

DE LEGE FERENDA :

UNE RECONSTRUCTION

709. La reconstruction du droit des garanties personnelles. Si la

reconstruction du droit des garanties personnelles est aujourd'hui prônée par de

nombreux auteurs et hommes politiques1588, elle n’en doit pas moins être justifiée.

Toute réforme présente, en effet, un danger pour la sécurité juridique1589. Par

ailleurs, en matière de garanties personnelles, une refonte du droit en vigueur peut

apparaître comme « une entreprise difficile et périlleuse »1590. Difficile, à cause,

notamment, des intérêts contradictoires à prendre en compte, des liens entre le droit

des garanties personnelles et d’autres branches du droit, et du nombre de

mécanismes à réglementer. Périlleuse, à cause de l’incidence de la réglementation

des garanties personnelles sur l’octroi de crédit et donc sur la bonne marche de

l’économie. Pour toutes ces raisons, il est donc nécessaire de préciser les

justifications de la réforme du droit des garanties personnelles (Titre 1). Une fois

mises au jour la nécessité, et même l’inéluctabilité de cette réforme, le contenu du

nouveau droit pourra être exposé. Sans prétendre à l’exhaustivité, et sans aller

1588 Lors de son discours à la Sorbonne, le 11 mars 2004, à l’occasion du bicentenaire du

Code civil, le Président de la République a souhaité, « au plus vite », une « refonte du droit

des obligations » et a demandé qu’on réécrive « en cinq ans le droit des contrats et celui des

sûretés ». A cette fin, un groupe de travail relatif à la réforme du droit des sûretés a été mis en

place, à l’initiative de la Direction des affaires civiles et du Ministère de la Justice, en juillet

2003. Ce groupe de travail est présidé par M. Grimaldi. Ses autres membres sont : L. Aynès,

A. Bac, P. Crocq, D. Dos-Reis, E. Frémeaux, A. Gourio, A. Provansal, Ph. Simler et H.

Synvet. 1589 Selon R. HOUIN (De lege ferenda, Mélanges P. Roubier, 1961, t. 1, p. 273 et s., n°280),

toute réforme législative est en soi dangereuse pour les raisons suivantes : « une règle de droit

doit avoir une certaine stabilité dans le temps pour produire tous les effets qu’on en attend,

surtout dans les relations civiles » ; « tout changement de législation modifie l’équilibre des

intérêts et porte nécessairement atteinte à certains intérêts en en protégeant d’autres » ; « des

modifications trop fréquentes de la loi nuisent à la force obligatoire de la loi et peuvent même

aboutir à l’anarchie ». 1590 Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24-3

Page 398: L'efficacité des garanties personnelles

jusqu’à rédiger une proposition de loi1591, nous présenterons des règles susceptibles

de remédier aux lacunes du droit positif et donc susceptibles de rendre plus sûre

l’efficacité des garanties personnelles (Titre 2).

1591 La rédaction des lois relève de la technique législative, qui est l’« art de faire les lois, la

partie de la science législative qui a pour objet la mise en œuvre des options de la politique

législative et qui consiste non seulement dans la rédaction du texte de la loi ou plus

généralement dans sa mise en forme (présentation formelle, plan, titres, division, articulation,

etc.), mais aussi dans le choix et l’agencement des modes d’énoncé de la règle de Droit et des

procédés techniques de sa réalisation » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF,

Quadrige, 3e éd., 2002, v° Législatif, p. 515).

La rédaction d’une réforme suppose une parfaite maîtrise de la technique législative. Or, « les

études dans les Facultés de droit ne préparent pas directement à la création législative. (…)

La formation juridique, telle qu’elle est actuellement conçue et organisée, est infiniment plus

tournée vers l’application du droit en vigueur que vers d’éventuelles réformes législatives.

(…) La technique législative ne s’invente pas et mérite d’être étudiée» (R. HOUIN, art. préc.,

p. 273 et 274).

Page 399: L'efficacité des garanties personnelles

TITRE I

LES JUSTIFICATIONS DE LA RÉFORME

710. La recherche de l’efficacité rend nécessaire une réforme du droit des

garanties personnelles. L’évaluation du droit positif à travers le prisme de

l’efficacité des garanties personnelles a montré, qu’à certains égards, la loi et la

jurisprudence favorisent l’efficacité in concreto et organisent l’efficacité in

abstracto de ces mécanismes. Mais, nombreuses sont également les hypothèses dans

lesquelles le droit en vigueur entrave la réalisation des attentes objectives et

subjectives des créanciers. Ce bilan très mitigé explique que, sur de nombreux

points, l’efficacité des garanties personnelles reste à construire. C’est ainsi la

recherche de l’efficacité qui rend nécessaire la réforme du droit des garanties

personnelles (Chapitre 1).

711. La réforme du droit des garanties personnelles par l’adoption d’un

Code civil européen n’est pas à l’ordre du jour. Depuis une trentaine d’années,

des discussions ont cours au sujet d’un Code civil européen ou, au moins, d’un

Eurocode des contrats. Soit en raison de l’entrée en vigueur d’un tel code, soit en

vue d’offrir un modèle1592 ou, au contraire, une alternative à la codification

européenne1593, une réforme du droit des garanties personnelles pourrait se produire.

1592 Ph. DUPICHOT, Le pouvoir des volontés individuelles en droit des sûretés, th. Paris II,

2003, sous la direction de M. GRIMALDI, n°965 : « une refonte (du droit des sûretés) au plan

français serait sans doute de nature à permettre à celui-ci de « peser » davantage lors des

travaux d’élaboration si, d’aventure, une réforme du droit européen des contrats devait

effectivement englober la matière des sûretés » ; B. FAUVARQUE-COSSON, Faut-il un

Code civil européen ?, RTD civ. 2002, p. 463 et s., n°2 : « sans réforme d’ensemble, notre

code se trouve en assez mauvaise posture pour exercer une quelconque valeur de modèle au

cours de l’inéluctable processus d’unification du droit privé européen » ; H. LEMAIRE et A.

MAURIN, L’opportunité d’une refonte du droit français des obligations, Defrénois 2004,

article 37941, p. 687 : « il est certain que dans le cadre d’une harmonisation du droit

européen ou de l’élaboration d’un code européen des contrats, seuls les systèmes de droit

positif « actualisés » et modernes seront pris en compte ». 1593 D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon,

Dalloz, 2003, p. 669 : « la question d’une réforme d’ensemble du cautionnement mérite

d’autant plus d’être posée qu’une nouvelle réforme du Code civil peut être envisagée pour

proposer une alternative à une codification européenne ».

Page 400: L'efficacité des garanties personnelles

Au-delà du fait que la codification européenne ne saurait constituer une justification

de réforme propre à la matière des garanties personnelles, c’est surtout le manque

d’actualité d’un tel code qui empêche d’y voir un fait déclencheur d’une réforme du

droit des garanties personnelles.

En effet, alors que le Parlement européen1594 et la Commission européenne ont

initialement encouragé l’adoption d’un Code civil européen, ce projet n’a plus

aujourd'hui leurs faveurs. Une consultation1595 opérée par la Commission

européenne auprès des autres institutions communautaires, des gouvernements

nationaux, des opérateurs économiques, et de la doctrine des différents Etats

membres, a révélé qu’une grande majorité des consultés est opposée à l’absence

d’intervention communautaire, tout aussi bien qu’à l’adoption d’un nouveau droit

civil européen. En revanche, une majorité s’est exprimée en faveur, d’une part, de

l’amélioration de la qualité du droit communautaire actuellement en vigueur et,

d’autre part, du développement de principes contractuels, communs aux différents

Etats membres1596. Tirant les conséquences de ces résultats, la Commission a

d’abord cessé de prôner l’unification des droits civils des Etats membres1597, puis a

1594 A plusieurs reprises, le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’un Code civil

européen : résolution du 26 mai 1989 sur un effort de rapprochement du droit privé des Etats

membres (JOCE C 158-400) ; résolution du 6 mai 1994 sur l’harmonisation de certains

secteurs du droit privé des Etats membres (JOCE C 205-518) ; le 16 mars 2000, le Parlement

européen a demandé une harmonisation du droit civil des contrats, qu’il jugeait essentielle

pour le développement du marché européen ; résolution du 15 novembre 2001 concernant le

rapprochement du droit civil et du droit commercial des Etats membres. 1595 Au moyen d’une «communication » du 11 juillet 2001 sur le droit européen des contrats

(JOCE

C 255-1), la Commission européenne a procédé à une consultation en suggérant un choix

entre quatre partis.

Option 1° : aucune action communautaire : laisser les développements futurs aux mécanismes

du marché.

Option 2° : promouvoir la mise au point de principes communs de droit des contrats pour

renforcer la convergence des droits nationaux.

Option 3° : améliorer le droit privé communautaire existant, en simplifiant les directives et en

adaptant les instruments juridiques existants au lieu d’en adopter de nouveaux.

Option 4° : adopter une nouvelle législation complète au niveau communautaire.

Sur cette communication, cf. N. CHARBIT, L’esperanto du droit ? La rencontre du droit

communautaire et du droit des contrats. A propos de la Communication de la Commission

européenne relative au droit européen des contrats, JCP 2002, I, 100 ; B. FAUVARQUE-

COSSON, art. préc., p. 463 et s., n°36 et s. ; M. FONTAINE, La protection du consommateur

et l’harmonisation du droit européen des contrats, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes

de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 385 et s. ; Ph. MALAURIE, Le Code civil

européen des obligations et des contrats. Une question toujours ouverte, JCP 2002, I, 110,

n°5 et s. ; D. STAUDENMAYER, Le plan d’action de la Commission européenne concernant

le droit européen des contrats, JCP 2003, I, 127 1596 Communiqué de la Commission du 3 avril 2002 rendant public un résumé des résultats de

la consultation.

Pour plus de détails sur les réactions des institutions communautaires (résolution du

Parlement européen du 15 novembre 2001 ; rapport du Conseil du 16 novembre 2001 ;

opinion du Comité économique et social des 17-18 juillet 2002) et sur les réactions des parties

intéressées, cf. D. STAUDENMAYER, ibid., n°3 à 7 1597 Dans une communication du 22 mai 2002 intitulée « Un projet pour l’Union

européenne », la Commission ne parle plus d’unification, mais d’harmonisation, qu’elle

Page 401: L'efficacité des garanties personnelles

adopté le 12 février 2003 un plan d’action « pour un droit européen des contrats plus

cohérent », qui ne vise aucunement à remplacer le Code civil français ou à créer un

Code civil européen1598. Pour cette raison, un membre de la Commission européenne

a remarqué que la « controverse1599 qui s’est développée sur ce point est loin de la

réalité des réflexions communautaires sur le sujet »1600.

subordonne aux exigences du marché intérieur et à l’égard de laquelle le rôle des Parlements

nationaux redevient incontournable. « On est loin de l’idée d’un Code civil européen, tout à la

fois obligatoire et détaillé » (B. FAUVARQUE-COSSON, art. préc., p. 463 et s., n°17). 1598 La première partie de ce plan décrit les problèmes relatifs à l’application uniforme du

droit communautaire et à la réalisation du marché intérieur. Sa seconde partie propose des

mesures à court, moyen et long terme, qui combinent plusieurs options de la communication

du 11 juillet 2001. Les propositions reposent essentiellement sur les options 2° et 3°.

En premier lieu, sont proposées des mesures visant à améliorer le droit communautaire

existant. Dans une première étape, il s’agit d’établir un cadre commun de référence, qui

devrait fournir des principes communs et une terminologie commune en matière de droit

européen des contrats (document publiquement accessible et traduit dans toutes les langues

officielles). Les recherches en ce sens devraient commencer en 2004, et les résultats de ces

recherches ne devraient pas être connus avant 2007. Dans une seconde étape seulement, serait

utilisé ce cadre commun de référence.

En deuxième lieu, sont proposées des mesures de promotion de l’établissement de clauses

contractuelles types, par le biais d’un échange d’informations sur le web.

En troisième et dernier lieu, sont proposées des réflexions sur l’opportunité de mesures non

sectorielles comme un instrument optionnel, qui existerait en parallèle avec les droits

nationaux. Les réflexions devront porter sur les questions suivantes. Quel devrait être le

contenu d’un tel instrument ? Ne devrait-il concerner que des contrats entre commerçants ou

aussi des contrats entre commerçants et consommateurs ? S’agirait-il d’une solution dite opt-

out ou opt-in ? L’acte juridique proprement dit devrait-il être un règlement ou une

recommandation ? Quelle en serait la base légale ? Les résultats de toutes ces réflexions ne

sont pas attendus avant 2007.

Pour une présentation très détaillée de ce plan, cf. D. STAUDENMAYER, art. préc., n°8 à 16

Sur les réactions respectives du Parlement européen et du Conseil à l’égard de ce plan

(résolution du Parlement du 2 septembre 2003 et résolution du Conseil du 22 septembre

2003), cf. C. NOURISSAT, Droit civil de l’Union européenne (second semestre 2003), D.

2004, chron., p. 1321 et s., n°3 1599 Sur cette controverse, cf. notamment Le droit privé européen, sous la dir. de P. de

VAREILLES-SOMMIERES, Economica, 1998 ; L’harmonisation du droit des contrats en

Europe, sous la dir. de Ch. JAMIN et D. MAZEAUD, Economica, 2000 ; Ch. von BAR, Le

groupe d’études sur un Code civil européen, RID comp. 2001, p. 127 ; J. BASEDOW, Un

droit commun des contrats pour le Marché commun, RID comp. 1998, p. 7 et s. ; R.

CABRILLAC, L’avenir du Code civil, JCP 2004, I, 121 ; N. CHARBIT, art. préc. ; G.

CORNU, Un code civil n’est pas un instrument communautaire, D. 2002, chron., p. 351 ; B.

FAUVARQUE-COSSON, art. préc. ; J. FOYER, « Le Code civil est vivant. Il doit le

demeurer », JCP 2004, I, 120 ; Ph. GLAUDET, Le Code civil européen : une utopie ?, Droit

et patrimoine 2004, n°125, p. 32 et s. ; V. HEUZE, A propos d’une initiative européenne en

matière de droit des contrats, JCP 2002, I, 152 ; P. LEGRAND, Sens et non-sens d’un Code

civil européen, RID comp. 1996, p. 779 et s. ; Y. LEQUETTE, Quelques remarques à propos

du projet de code civil européen de M. von Bar, D. 2002, 2202 ; Y. LEQUETTE, Rapport de

synthèse du 100e Congrès des notaires de France, JCP 2004, éd. N., 1337 ; Ph. MALAURIE,

art. préc. ; R. SACCO, Non, oui, peut-être, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 163 et s. ; B.

MARKESINIS, Deux cents ans dans la vie d’un code célèbre. Réflexions historiques et

comparatives à propos des projets européens, RTD civ. 2004, p. 45 et s. ; C. PRIETO, Un

Code civil européen : de l’utopie à la prospective juridique, LPA 7 mai 2004, n°92, p. 19 et

Page 402: L'efficacité des garanties personnelles

Par conséquent, si « une codification plus méthodique du droit

communautaire »1601 et l’élaboration de principes communs en matière

contractuelle1602 sont tout à fait à l’ordre du jour, l’adoption d’un Code civil

européen, qui emporterait une réforme du droit des garanties personnelles, ne l’est

donc pas.

712. La réforme du droit des garanties personnelles aura nécessairement

lieu à l’occasion de la transposition de la directive communautaire sur le crédit

aux consommateurs. Une autre évolution du droit communautaire devrait, au

contraire, rendre inéluctable cette réforme. Il s’agit du projet d’harmonisation des

dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en

matière de crédit aux consommateurs, que concrétise une proposition de directive du

Parlement européen et du Conseil, en date du 11 septembre 20021603. Ce texte

s’applique, non seulement aux contrats de crédit, mais aussi aux « contrats de

sûreté »1604. S’il est définitivement adopté, une réforme du droit des garanties

personnelles sera inévitable1605, puisque, du fait de la structure pyramidale de notre

s. ; D. TALLON, Vers un droit européen du contrat, Mélanges A. Colomer, Paris, 1992,

p. 485 et s. ; F. TERRE et A. OUTIN-ADAM, L’année d’un bicentenaire, D. 2004, chron.,

p. 12 et s. ; C. WITZ, Plaidoyer pour un code européen des obligations, D. 2000, chron.,

p. 79 et s. 1600 D. STAUDENMAYER, art. préc., n°15 1601 J. CHIRAC, discours à la Sorbonne du 11 mars 2004, à l’occasion du bicentenaire du

Code civil : « Ce chantier (est) à bien des égards prioritaire par rapport à l’élaboration d’un

Code civil européen, qui ne pourra être conduite que dans le respect de la diversité et de la

richesse des différentes traditions nationales ». 1602 Des principes communs ont déjà été établis par la Commission Lando (Les principes du

droit européen des contrats, vol. 1, L’exécution, l’inexécution et ses suites, version française

par I. de LAMBERTERIE, G. ROUHETTE, D. TALLON, La Documentation française,

1997 ; Les principes du droit européen des contrats, vol. 2, Formation, validité,

interprétation ; D. TALLON, Les principes pour le droit européen du contrat : quelles

perspectives pour la pratique ?, Defrénois 2000, article 37182,

p. 683 et s.). Par ailleurs, s’est constituée en 1990, à l’initiative du professeur Gandolfi,

l’Académie des privatistes européens, qui a publié en 2001, en français, un Code européen

des contrats qui prend pour modèle le livre IV du Code civil italien. Une seconde partie est en

cours sur les contrats spéciaux. Parallèlement, le Groupe d’études sur le Code civil européen,

dirigé par le professeur von Bar, formé en 1998, a pris le relais de la Commission Lando. Les

thèmes qu’il aborde sont la vente, les contrats de service (y compris financiers et assurance),

les sûretés personnelles, les obligations non contractuelles, le transfert de propriété des

meubles, les trusts. En raison de ses ambitions plus politiques que doctrinales, ce groupe fait

l’objet de nombreuses critiques (sacrifice de la langue française, opacité des méthodes, défaut

de légitimité de ce groupe autoproclamé, absence de diffusion des travaux en cours). 1603 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à l'harmonisation

des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière

de crédit aux consommateurs (COM/2002/0443 final - COD 2002/0222 ; Journal officiel

n°31du 31/12/2002 p. 0200 – 0248).

Cf. http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=176090 1604 Seules les dispositions intéressant le « contrat de sûreté » feront l’objet de la présente

étude. 1605 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du

cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les

lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,

Page 403: L'efficacité des garanties personnelles

système juridique, il existera une « obligation juridique de légiférer »1606, c'est-à-

dire de transposer la directive communautaire. La proposition de directive sur le

crédit aux consommateurs constitue ainsi la seconde justification de la refonte du

droit des garanties personnelles (Chapitre 2).

p. 1610 et s., n°31 ; F. PASQUALINI, L’imparfait nouveau droit du cautionnement, LPA 3

février 2004, n°24, p. 3 et s., n°2 1606 Sur cette obligation, cf. J.-M. GARRIGOU-LAGRANGE, L’obligation de légiférer,

Mélanges Ardant, 1999, p. 306

Page 404: L'efficacité des garanties personnelles
Page 405: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE I

LA RECHERCHE DE L’EFFICACITÉ

713. La suppression des lacunes du droit en vigueur. L’efficacité des

garanties personnelles est aujourd'hui fragile en raison des lacunes que présentent les

textes et les décisions jurisprudentielles qui les régissent. Pour rendre plus sûre la

réalisation des attentes objectives et subjectives des bénéficiaires, doivent être

supprimées les fausses lacunes du droit du cautionnement, liées à la politique de

protection de la caution et au caractère inadéquat de certaines règles pour atteindre

l’objectif d’efficacité. Doit également être supprimée la vraie lacune du droit relative

aux autres garanties personnelles, c'est-à-dire le défaut de réglementation spéciale

les concernant.

Pour faire disparaître ces différentes lacunes, le droit des garanties personnelles

doit faire l’objet d’une refonte. La recherche de l’efficacité justifie, non seulement

l’étendue de la réforme (Section 1), mais aussi sa structure (Section 2)1607.

SECTION 1 : LA JUSTIFICATION

DE L’ÉTENDUE DE LA RÉFORME

714. La technique de suppression des lacunes dictée par l’objectif

d’efficacité : la réforme législative. Pour perfectionner l’efficacité des garanties

personnelles, une réforme législative est nécessaire. Le comblement des vraies

lacunes de la loi1608 ne doit pas être abandonné à la jurisprudence car, dans le silence

des textes, les juges ne parviennent pas à rendre la qualification et le régime des

1607 La recherche de l’efficacité dicte également le contenu de la réforme (cf. Titre 2). 1608 Sur les techniques permettant de combler les lacunes de la loi, cf. P. FORIERS, Les

lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du Centre national de

recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 25 et 26 ; Ch.

HUBERLANT, Les mécanismes institués pour combler les lacunes de la loi, in Le problème

des lacunes du droit, Travaux du Centre national de recherches de logique, études publiées par

Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968, p. 43 et s., spéc. p. 65 : « L’histoire du droit montre que

pour combler les lacunes de la loi, deux grands types de mécanismes institutionnels ont été

tour à tour établis : d’une part, l’obligation faite au juge de se référer à une autorité

extérieure à lui, laquelle est le plus souvent le législateur ; d’autre part, l’obligation faite au

juge de statuer même en cas de silence de la loi et de résoudre lui-même la difficulté » ; F.

TERRE, Les lacunes du droit, in Le problème des lacunes du droit, Travaux du Centre

national de recherches de logique, études publiées par Ch. Perelman, éd. Bruylant, 1968,

p. 157 : « Deux voies paraissent avoir été utilisées à cette fin par le droit : la règle et le

jugement ».

Page 406: L'efficacité des garanties personnelles

garanties personnelles innomées prévisibles1609. Sauf à statuer contra legem, la

jurisprudence n’est pas non plus en mesure de supprimer les fausses lacunes du droit

du cautionnement résultant de la politique légale de protection de la caution ou de

l’assimilation défectueuse des caractéristiques des garanties personnelles. La

recherche de l’efficacité justifie une intervention d’office du législateur1610 pour une

autre raison encore : seul le législateur est à même d’organiser une réforme de

l’ampleur que cette recherche exige, à savoir, non seulement une réforme

d’ensemble du droit du cautionnement (§1), mais aussi une réglementation de

l’ensemble des garanties personnelles (§2).

§1 : UNE REFORME D’ENSEMBLE

DU DROIT DU CAUTIONNEMENT

715. Les réformes partielles qu’a connues le droit du cautionnement ces

dernières années ont grandement contribué à rendre cette garantie inefficace. A

l’inverse, une refonte de cette matière pourrait faire disparaître les différentes

fausses lacunes qui en grèvent l’efficacité.

716. Une protection plus ciblée des intérêts de la caution. En premier lieu,

la fausse lacune tenant à la prédominance de la protection de la caution sur l’objectif

d’efficacité est susceptible d’être, sinon jugulée, du moins circonscrite par une

réforme d’ensemble du droit du cautionnement. En effet, si l’ampleur de la

modification du droit existant n’implique pas la poursuite de l’objectif d’efficacité, il

est raisonnable de penser qu’une réforme portant sur tous les éléments du régime du

cautionnement conduirait à une protection plus ciblée des intérêts de la caution. Une

telle réforme peut effectivement être l’occasion de mieux répartir la protection de la

caution tout au long de la vie du contrat de garantie et de supprimer les contraintes

imposées aux créanciers faisant double emploi.

717. Une assimilation plus complète des caractéristiques du

cautionnement. S’agissant, en deuxième lieu, de la fausse lacune provenant de la

mauvaise prise en compte des caractéristiques du cautionnement, une refonte du

droit en vigueur risque moins de la faire apparaître que des réformes ponctuelles.

Ces dernières ne s’attachent pas nécessairement à déduire les règles nouvelles des

caractéristiques du mécanisme réglementé. Au contraire, la refonte d’une matière

repose sur « la reconsidération de ses éléments fondamentaux »1611. L’assimilation

des caractéristiques du cautionnement, qui conditionne son efficacité, tant objective,

que subjective, pourrait donc être favorisée par une réforme d’ensemble.

1609 En tout état de cause, la jurisprudence, « véhicule d’évolution, et non de révolution, peut,

de nos jours, apparaître, en diverses circonstances, comme un remède trop lent, lorsque la

pratique constate les imperfections ou les lacunes du droit positif » (F. TERRE, ibid., p. 157). 1610 Depuis que l’article 4 du Code civil a supprimé le référé législatif, qu’avait institué

l’article 12 de la loi des 16-24 août 1790, le législateur ne peut combler les lacunes ou faire

dissiper les obscurités de la loi que de sa propre initiative, et non à la demande des juges. 1611 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, v° Refonte,

p. 746 : « espèce de réforme législative caractérisée par le remaniement tant au fond qu’en la

forme de l’ensemble des dispositions d’une matière et, en général, par la reconsidération de

ses éléments fondamentaux ».

Page 407: L'efficacité des garanties personnelles

718. Une amélioration de la qualité formelle du droit du cautionnement.

En troisième et dernier lieu, une réforme globale du droit du cautionnement est

nécessaire pour supprimer la fausse lacune résultant des défauts formels du droit

positif. Les réformes sectorielles de ces vingt dernières années ont provoqué

l’éclatement du droit du cautionnement et de multiples incohérences. La rationalité

des choix des créanciers s’en trouve compromise, tout autant que le respect des

prévisions extrinsèques et intrinsèques des parties. L’apparition de nombreux

facteurs d’efficacité pourrait, à l’inverse, être provoquée par une refonte du droit du

cautionnement.

Ainsi, le nombre des textes relatifs à cette garantie personnelle pourrait

diminuer grâce à la suppression des dispositions actuelles faisant double emploi1612.

L’accessibilité matérielle du droit du cautionnement pourrait également être

améliorée par le regroupement des textes le concernant. En facilitant de la sorte la

connaissance du droit, la rationalité des choix des créanciers serait plus étendue et

l’adéquation entre leurs attentes subjectives initiales et la finalité assignée au

cautionnement serait plus sûre.

En outre, l’approche systémique, que développe plus facilement le législateur à

l’occasion d’une réforme globale que d’une réforme partielle, favorise

l’intelligibilité du droit, car elle tend à l’ajustement, à la complémentarité de ses

règles. Cette accessibilité intellectuelle du droit conforterait également l’adéquation

entre les deux niveaux d’attentes subjectives des créanciers.

C’est encore la cohérence qu’emporte une réforme d’ensemble qui pourrait

renforcer l’efficacité du cautionnement. En effet, le remaniement général des

dispositions légales permet de supprimer les contradictions, mais aussi d’articuler

les règles ayant un même objet, de manière à éviter des cumuls injustifiés, facteurs

d’inefficacité. La stabilité de l’interprétation des règles de droit, résultant de cette

cohérence, augmenterait les chances de réalisation de la finalité assignée au

cautionnement et rendrait par conséquent plus sûre l’efficacité de ce dernier.

719. Si la recherche de l’efficacité justifie donc une refonte du droit du

cautionnement, elle implique également que celui-ci ne soit pas la seule garantie

personnelle concernée par la réforme. La suppression de la vraie lacune du droit

relative aux garanties personnelles innomées exige, en effet, une réglementation de

l’ensemble des garanties personnelles.

§2 : UNE REFORME

DE L’ENSEMBLE DES GARANTIES PERSONNELLES

720. D’une logique de substitution à une logique de complémentarité. La

coexistence de fait entre le cautionnement et toutes les autres garanties personnelles

1612 En cas de réforme du droit du cautionnement, l’un des objectifs du législateur « devrait

être la simplification du droit du cautionnement. Un toilettage des dispositions s’impose.

Beaucoup de textes se cumulent inutilement » (D. LEGEAIS, Le Code de la consommation

siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au

cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et

sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31).

Page 408: L'efficacité des garanties personnelles

rend incertaine l’efficacité de celles-ci. Les juges considérant les garanties

personnelles innomées comme des substituts du cautionnement, ils cherchent

souvent, d’une part, à les requalifier, quitte à rendre imprévisibles les critères de

qualification, et, d’autre part, à remettre en cause leur autonomie normative, quitte à

manipuler les règles du droit commun des contrats ou à faire une application a pari

injustifiée des règles protectrices de la caution.

Pour empêcher l’apparition de ces facteurs d’inefficacité, il est nécessaire de

remplacer la logique actuelle de contournement par une logique de complémentarité

entre les différentes garanties personnelles. A cette fin, le législateur devrait cesser

de ne s’intéresser qu’au seul cautionnement et réglementer, au contraire, l’ensemble

des garanties personnelles.

721. Les facteurs d’efficacité favorisés par une réforme de l’ensemble des

garanties personnelles. La reconnaissance légale de toutes les garanties

personnelles, ainsi que la détermination légale de leur régime, devraient conforter la

réalisation de la finalité qui leur est assignée, en tarissant les contestations fondées

sur la fraude au droit du cautionnement, et en empêchant la remise en cause des

prévisions intrinsèques des parties par requalification ou application de règles

inattendues, tant du droit commun des contrats, que du droit du cautionnement.

En amont, la « juridification »1613 des garanties personnelles innomées devrait

également favoriser la conformité de la finalité du contrat conclu aux attentes

initiales du bénéficiaire. En effet, en rendant le droit applicable prévisible, elle est

susceptible d’améliorer la rationalité des choix des créanciers.

Par ailleurs, en permettant un choix positif du mécanisme de garantie, c'est-à-

dire un choix uniquement dicté par les attraits propres de ce mécanisme au regard

des besoins à satisfaire, elle devrait augmenter les chances d’adéquation entre les

deux niveaux d’attentes subjectives des créanciers.

722. Une réforme de l’ensemble des garanties personnelles n’est pas une

entrave à la réalisation des attentes subjectives des créanciers. Si la réforme de

l’ensemble des garanties personnelles peut donc supprimer des facteurs

d’inefficacité et faire apparaître certains facteurs d’efficacité subjective, il convient

de se demander si, dans le même temps, elle ne risque pas d’entraver l’efficacité in

concreto, en restreignant la liberté des créanciers de protéger leurs intérêts.

Autrement dit, une réforme d’ensemble empêcherait-elle nécessairement l’efficacité

que l’on peut attribuer au caractère innomé d’une garantie personnelle ?

Une réponse négative s’impose, car l’efficacité subjective dépend, en réalité, de

la place que la réglementation laisse à la liberté contractuelle, et de la façon dont

cette réglementation appréhende les attraits propres des différents mécanismes (les

envisage-t-elle et, le cas échéant, en les préservant ou en leur portant atteinte ?). Ce

n’est donc pas le caractère innomé lui-même qui fait l’objet d’attentes subjectives,

mais bien plutôt la souplesse qu’il autorise. Dès lors que cette souplesse est

préservée par la réforme d’ensemble des garanties personnelles, la réalisation des

1613 La « juridification » est la « consécration par la loi d’une pratique jusqu’alors non

réglementée »

(A. JEAMMAUD, Introduction à la sémantique de la régulation juridique, Des concepts en

jeu, in Les transformations de la régulation juridique, LGDJ, 1998, coll. « Droit et société.

Recherches et travaux », n°5, dirigé par J. CLAM et G. MARTIN, p. 65).

Page 409: L'efficacité des garanties personnelles

attentes subjectives est tout à fait possible. Une telle réforme constitue bien, alors,

une réponse adéquate à la recherche d’efficacité.

723. La question de la forme de la réglementation d’ensemble. Démontrer

qu’une réforme portant sur toutes les garanties personnelles est source d’efficacité

est nécessaire, mais ne résout pas toutes les difficultés. Se pose ensuite le problème

de savoir si chaque garantie personnelle doit être réglementée de manière isolée,

c'est-à-dire sans prendre en compte l’existence des autres mécanismes de garantie,

ou, au contraire, en ayant égard à la diversité de ces garanties. Quelle forme la

réglementation d’ensemble doit-elle donc revêtir pour rendre plus sûre l’efficacité de

toutes les garanties personnelles ?

SECTION 2 : LA JUSTIFICATION

DE LA STRUCTURE DE LA RÉFORME

724. Les techniques de réglementation d’ensemble inadéquates au regard

de l’objectif d’efficacité. La reconnaissance de la licéité de quelques mécanismes

seulement et l’interdiction pure et simple de tous les autres ne permettraient pas de

satisfaire l’objectif d’efficacité. En effet, une telle réglementation compromettrait

sérieusement l’efficacité in concreto des contrats conclus, car elle empêcherait le

choix en faveur de garanties répondant aux attentes initiales des créanciers1614. Elle

risquerait, par conséquent, de perpétuer la quête de solutions de substitution et de

provoquer l’apparition des facteurs d’inefficacité liés à la logique de contournement.

La validation de tous les mécanismes utilisés aujourd'hui par la pratique

pourrait également favoriser ces facteurs d’inefficacité si elle n’était assortie que de

règles propres aux différentes garanties personnelles. En effet, une telle

réglementation d’ensemble supprimerait, dans un premier temps, la vraie lacune du

droit, mais n’empêcherait pas, à terme, la constitution de nouvelles garanties

personnelles, dont l’efficacité risquerait d’être fragilisée de la même manière que

l’est celle des actuelles garanties personnelles innomées. D’autres facteurs

d’inefficacité pourraient encore accompagner la réglementation isolée des diverses

garanties personnelles. Ainsi, l’augmentation importante du nombre de dispositions

légales pourrait entraver la connaissance du droit applicable, et donc la rationalité

des choix des créanciers. En outre, le défaut d’harmonisation des règles régissant les

différentes garanties personnelles risquerait de rendre le droit en vigueur tout à la

fois inintelligible et instable, et donc de compromettre la réalisation des attentes des

créanciers. Finalement, c’est l’absence d’assimilation des caractéristiques partagées

par toutes les garanties personnelles, qui pourrait menacer l’efficacité subjective de

celles-ci.

725. La structure adéquate au regard de l’objectif d’efficacité. La

recherche de l’efficacité invite à envisager une réglementation d’ensemble, qui

repose, non seulement sur des règles propres aux principales garanties personnelles,

1614 C’est ce risque de rigidité qui a conduit les auteurs du Code civil à écarter la

détermination légale et impérative d’un régime matrimonial, au profit de la liberté des

conventions matrimoniales (cf. J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, Les régimes matrimoniaux,

Armand Colin, 2e éd., 2001, n°4).

Page 410: L'efficacité des garanties personnelles

mais aussi sur des règles communes à toutes ces garanties. La réforme de toutes les

garanties personnelles ne pourra rendre plus sûre leur efficacité que si elle institue

un régime primaire, complété par des règles spéciales (§1), fondés respectivement

sur les caractéristiques communes des garanties personnelles et sur leurs

caractéristiques distinctives (§2).

§1 : UN REGIME PRIMAIRE

COMPLETE PAR DES REGLES SPECIALES

726. Un régime primaire, complété par des règles spéciales, n’est pas une

forme de réglementation inconnue de notre droit, puisque, en matière matrimoniale,

existe déjà « un régime de base, une couche première sur laquelle s’articulent des

régimes particuliers »1615. En matière de garanties, cette structure ne caractérise

certes pas les textes actuels, mais le droit romain l’avait expérimentée1616 et elle est

aujourd'hui vivement préconisée par la doctrine, surtout à l’égard des sûretés

réelles1617, mais aussi à propos des garanties personnelles1618.

1615 G. MARTY et P. RAYNAUD, Droit civil, Les régimes matrimoniaux, 2e éd., par P.

RAYNAUD, Sirey, 1986, n°20. Si « l’expression « régime primaire » évoque avec justesse

l’idée que tous les régimes matrimoniaux reposent sur une base commune, qui s’impose à la

volonté des époux » (J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, Les régimes matrimoniaux, Armand

Colin, 2e éd., 2001, n°53), cette dénomination a été initialement critiquée comme laissant

croire que les règles communes peuvent constituer à elles seules un régime matrimonial

complet et suffisant (en ce sens, cf. AUBRY et RAU, Droit civil français, Contrat de

mariage, Régimes matrimoniaux, t. VIII, 7e éd., par P. ESMEIN et A. PONSARD, Librairies

techniques, 1973, n°9 ; A. COLOMER, Droit civil, Régimes matrimoniaux, 10e éd., Litec,

2000, n°62 ; J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid., n°53). Même si aujourd'hui certains

auteurs utilisent d’autres appellations (« statut patrimonial de base, statut fondamental »

(AUBRY et RAU, ibid., n°9 ; J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid., n°53) ; « statut

impératif de base » (A. COLOMER, ibid., n°60 ; J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid.,

n°53) ; « règles applicables à tous les époux » (J. FLOUR et G. CHAMPENOIS, ibid.,

n°53)), celle de régime primaire fait désormais l’objet d’un consensus et sa signification est

dénuée d’ambiguïté. C’est en raison de ce pouvoir évocateur que nous reprenons l’expression

« régime primaire ». 1616 En 531, l’empereur Justinien fut à l’origine d’une importante unification des règles

applicables au cautionnement et à ses dérivés. Ainsi, la sponsio et la fidepromissio disparurent

et les textes les régissant furent étendus à la fideiussio. Le caractère extinctif de la litis

contestatio fut supprimé, tant à l’égard des cautions, que des débiteurs solidaires. Les règles

du mandatum pecuniae credendae (cautionnement non formaliste, dans lequel le mandant

était garant et le mandataire créancier) et de la fideiussio furent rapprochées. Grâce à ces

différentes mesures, Justinien entendait rendre inutile le recours à des expédients pour

échapper à l’effet extinctif de la litis contestatio, qui correspond à notre extinction pour non

déclaration de la créance à la procédure collective du débiteur.

Sur cette unification, cf. R. MONIER, Manuel de droit romain, Les obligations, Domat-

Montchrestien, 5ème éd., 1954, n°228 ; J.-P. LEVY et A. CASTALDO, Histoire du droit civil,

Dalloz, 2002, n°748 1617 En faveur d’un régime primaire des sûretés réelles, cf. P. CROCQ, L’évolution des

garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 317 et

s., n°22, 23 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°520 à 526 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°19, 261

Page 411: L'efficacité des garanties personnelles

Afin d’établir que cette structure mérite effectivement d’être défendue, comme

étant susceptible d’engendrer de multiples facteurs d’efficacité (B), il convient d’en

rappeler les fondements logique et méthodologique (A).

A/ LES FONDEMENTS LOGIQUE ET METHODOLOGIQUE

DE CETTE STRUCTURE

727. Le fondement logique : l’analogie. D’un point de vue logique, la mise

en place d’un régime primaire repose sur un raisonnement analogique. Ici, l’analogie

« est une inspiratrice de l’art législatif, dont la « force créatrice » agit en amont de

la loi »1619. L’analogie comme technique législative se distingue de l’application a

pari des règles d’un mécanisme nommé à un mécanisme innomé.

Plus généralement, c’est la logique formelle qui inspire la création, tant d’un

régime primaire, que de régimes particuliers. En vertu de cette logique, les identités

de nature doivent conduire à des identités de régime (Ubi eadem ratio, idem jus) et,

inversement, les différences de nature doivent conduire à des différences de

régime1620.

728. Le fondement méthodologique : la catégorisation. Pour mettre en

œuvre cette logique formelle, et donc pour instaurer un régime primaire et des règles

spéciales, il est nécessaire d’opérer un travail de catégorisation. « Il ne s’agit plus

Des auteurs ont même divisé leur traité en deux volumes distincts, l’un consacré au droit

commun des sûretés réelles, l’autre au droit spécial (J. MESTRE, E. PUTMAN et M.

BILLIAU, Traité de droit civil, Droit commun des sûretés réelles, LGDJ, 1996 ; Traité de

droit civil, Droit spécial des sûretés réelles, LGDJ, 1996). 1618 Ph. DUPICHOT, th. préc., n°476 : « encore largement en devenir, l’unification du droit

foisonnant des sûretés personnelles autour d’un droit commun ne peut procéder que du

modèle du cautionnement » ; D. LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges

M. Vasseur, Banque Editeur, 2000, p. 96 ; D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège

d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au

cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et

sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31 : « le Code civil doit à nouveau énoncer

quelques principes clairs, proposant un droit commun applicable à l’ensemble des cautions et

distinguant clairement les différents cautionnements » ; V. BREMOND, note sous CA

Versailles, 16e ch., 2 mai 2002, Defrénois 2003, article 37808 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°34-1 : « la question est de savoir s’il existe une sorte de théorie générale des

sûretés personnelles qui distinguerait ce qui est leur régime primaire impératif de ce qui est

propre à chacune » ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°6-3 : « un

régime de base pourrait être esquissé, malgré de vifs contrastes entre les différentes garanties

personnelles » ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 : « il convient de faire le départ

entre les solutions liées au caractère essentiellement accessoire du cautionnement et celles

tenant à sa nature de sûreté personnelle. Ces dernières peuvent constituer un « régime

primaire » des garanties personnelles dont on peut déceler des indices en législation » ; Ph.

SIMLER, n°864, 891 1619 G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 129,

134. 1620 Sur ce principe, cf. J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de régime, RTD civ.

1984,

p. 255 et s., n°3 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit, Dalloz, Coll. Méthodes du droit,

1999, n°192

Page 412: L'efficacité des garanties personnelles

d’étudier chaque mécanisme juridique en soi mais de le comparer aux autres pour

l’en rapprocher ou l’en dissocier. Il faut regrouper dans une même catégorie,

soumise à un régime déterminé, les entités les plus profondément semblables et

séparer en catégories différentes, dotées de règles différentes, des entités

foncièrement dissemblables»1621.

729. Les étapes de la catégorisation. Le travail de classification1622 comporte

ainsi deux étapes. Il commence par la découverte inductive1623 des traits communs

aux mécanismes étudiés et de leurs différences significatives1624. Il se poursuit par le

regroupement des espèces similaires en un même genre et par la subdivision du

genre en ses différentes espèces1625.

Cette seconde étape est particulièrement décisive, puisque c’est à cette occasion

que des distinctions sont opérées entre les mécanismes étudiés. Pour ne pas

compromettre l’efficacité de ceux-ci, l’opération de distinction doit, non seulement

être menée en considération de l’objectif à atteindre, mais elle doit aussi faire l’objet

de précautions méthodologiques élémentaires1626. Il convient ainsi d’identifier et

d’expliciter les critères de catégorisation1627, et de « s’assurer de leur indépendance

lorsque l’on entend en superposer plusieurs, pour définir, ou plutôt pour

« encadrer » un objet par ses attributs essentiels »1628.

Cette opération de distinction fait apparaître des catégories générales1629, qui

peuvent elles-mêmes être subdivisées en sous-catégories spéciales1630. Le nombre

1621 J.-L. BERGEL, art. préc., n°9 ; J.-L. BERGEL, op. cit., n°189 1622 Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

V° Classification, p. 153 : « action de regrouper systématiquement les éléments homogènes

ou hétérogènes d’un ensemble en un tableau rationnel comportant une division majeure

fondée sur un critère dominant et des sous-distinctions fondées sur divers critères combinés

(notamment par genre et espèce), afin de proposer à l’analyse, dans l’abstrait, une référence

élaborée ». 1623 Pour catégoriser, il faut partir des données connues, c'est-à-dire des objets mêmes qu’il

convient de regrouper. En faveur de ce passage du particulier au général, du concret à

l’abstrait, cf. J.-L. BERGEL, op. cit., n°190 ; Ch. EISENMANN, Quelques problèmes de

méthodologie des définitions et des classifications en science juridique, in La logique du

droit, APD, tome XI, Sirey, 1966, p. 24 et s., n°11 1624 Sur cette première étape, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°3 ; J.-L. BERGEL, op. cit.,

n°193 1625 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°9 ; Ch. EISENMANN, art. préc., n°10, 15 1626 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°9, 20 ; J.-L. BERGEL, op. cit., n°194, 197 ;

M.-L. IZORCHE, Réflexions sur la distinction, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 53 et s.,

n°4 ; T. TAURAN, Les distinctions en droit civil, LPA 7 avril 2000, n°70, p. 5 et s. 1627 « Le choix du principe de classification est la première démarche, celle qui décidera de

tout le reste » (Ch. EISENMANN, art. préc., n°14).

Il est nécessaire d’identifier et d’expliciter, d’une part, « les critères de liaison », pour

regrouper des espèces similaires en un même genre et, d’autre part, « les critères de

dissociation », pour subdiviser un genre en espèces. Sur ces deux types de critères, cf. J.-L.

BERGEL, op. cit., n°193. Sur l’identification de ces différents critères, en matière de

garanties personnelles, cf. infra n°737-743 1628 M.-L. IZORCHE, art. préc., n°14 1629 La catégorie est un « schéma abstrait qui ne retient que les traits communs à une espèce »

(J.-L. BERGEL, art. préc., n°3). Il s’agit, « dans un ensemble (une classification), (du) groupe

Page 413: L'efficacité des garanties personnelles

des catégories ne doit pas être excessif, sinon elles deviennent inutilisables1631.

Néanmoins, il ne faut pas se contenter de quelques catégories très générales, car le

risque est alors de faire entrer dans l’une d’elles des éléments trop disparates.

730. La définition des catégories. Comme « le droit a besoin de reconnaître

à des signes extérieurs les catégories qu’il utilise »1632, les catégories fondées sur les

critères de liaison, aussi bien que celles fondées sur les critères de différenciation,

doivent être définies avant d’être soumises à un régime déterminé. La recherche de

l’efficacité invite à faire figurer ces définitions dans la loi elle-même1633, et à

préférer les « définitions terminologiques »1634 aux « définitions réelles »1635. En

effet, si ces dernières ont une valeur scientifique plus accusée1636, les premières

présentent de nombreux avantages, au regard de l’objectif d’efficacité des garanties

personnelles : elles ont immédiatement une valeur d’usage, elles sont d’utilisation

simple, elles atteignent un haut degré de certitude et de précision, et leur plasticité

permet de les adapter facilement aux évolutions de la pratique1637.

731. Une fois identifiée la nature des mécanismes à réglementer et opérés les

travaux de classification et de définition des catégories, le législateur peut faire un

emploi judicieux et sûr de l’analogie, et mettre en œuvre la logique formelle, en

instaurant des règles communes à tous les mécanismes appartenant au même genre

et des règles propres aux différentes espèces de ce genre. Le régime primaire et les

règles spéciales ainsi créés satisfont l’objectif d’efficacité.

distinctif d’éléments présentant des caractères semblables » (Vocabulaire juridique, dirigé

par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V°Catégorie, p. 132). 1630 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, ibid., n°3 1631 « La multiplication des distinctions finit par épuiser le principe même de la distinction »

(M.-L. IZORCHE, art. préc., n°15). Dans le même sens, cf. F. TERRE, Introduction générale

au droit, 5e éd., Dalloz, 2000, n°364 1632 J.-L. BERGEL, art. préc., n°3 1633 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges

Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 670 : en cas de réforme, l’une des missions du législateur serait de

« rétablir des qualifications satisfaisantes dans le droit des garanties personnelles pour lui

donner cohérence et efficacité ».

Sur les avantages des définitions légales, en termes d’efficacité, cf. supra n°222 1634 Selon le Doyen Cornu (Les définitions dans la loi, Mélanges Vincent, 1981, p. 77 et s.,

n°8 et s.), les définitions terminologiques « portent sur la paille des mots ». Il s’agit de

définitions de termes relatives et empiriques. « Le sens retenu est présenté comme étant, sans

autre prétention, celui que revêt le mot dans la loi à laquelle se rattache le chapitre de

définition ». Les définitions terminologiques ne sont donc que des « explications de texte »,

des « conventions de langage ». 1635 Selon le Doyen Cornu (ibid., n°8 et s.), les définitions réelles « portent sur le grain des

choses ». Elles sont objectives, substantielles, et ont pour caractéristique de porter sur les

choses mêmes. A partir de la réalité qu’elles appréhendent, elles déterminent une notion

juridique. 1636 « D’un point de vue scientifique, la définition réelle est supérieure à la définition

terminologique car elle accède, par hypothèse, à un certain degré de généralité,

d’abstraction et de rationalité. (…) Elle forge des unités logiques qui ont une valeur

doctrinale » (G. CORNU, ibid., n°32). 1637 Sur ces différents avantages, cf. G. CORNU, ibid., n°34 à 36

Page 414: L'efficacité des garanties personnelles

B/ L’EFFICACITE DE CETTE STRUCTURE

732. La complexification du droit des garanties personnelles, qui pourrait être

reprochée à la mise en place d’un régime primaire assorti de règles spéciales, est

amplement contrebalancée par les avantages que présente ce type de réglementation,

au regard de l’objectif d’efficacité.

733. Les facteurs d’efficacité procédant de la logique formelle et de la

catégorisation. Tout d’abord, cette structure jouit des mêmes avantages que ceux

caractérisant ses fondements logique et méthodologique. Parmi ces avantages,

certains sont susceptibles d’augmenter les chances de conformité entre les attentes

subjectives initiales des créanciers et la finalité assignée à la garantie personnelle

conclue.

Il s’agit, en premier lieu, de l’économie de textes, à laquelle conduit la

catégorisation1638, et qui favorise une meilleure connaissance du droit applicable.

Il s’agit, en deuxième lieu, de la légitimité1639, tenant au fait que la logique

formelle repose sur l’équité1640 et l’impartialité1641. Cette légitimité rend le droit

intelligible et améliore, ce faisant, la rationalité des choix des créanciers.

Il s’agit, en troisième lieu, de la cohérence, que génère le recours aux

catégories1642, et qui rend également le droit plus compréhensible. Cette cohésion

rend aussi plus sûre la seconde adéquation définissant l’efficacité in concreto, à

savoir l’adéquation entre la finalité assignée à la garantie personnelle et les effets

qu’elle produit. La cohérence du droit participe, en effet, à la stabilité de son

interprétation et, par conséquent, assure le respect des prévisions des parties.

Le maintien de ces prévisions est d’autant plus probable qu’en ayant recours à

l’analogie comme technique législative, les incertitudes liées au nivellement

jurisprudentiel des régimes des différentes garanties personnelles se trouvent

évincées1643.

734. L’efficacité d’un régime primaire. Outre toutes ces qualités formelles,

l’instauration de règles impératives communes à l’ensemble des garanties

personnelles présente d’autres avantages, en termes d’efficacité.

1638 La loi de l’économie de moyens, qui consiste à faire le plus possible avec le moins

d’éléments possible, innerve le travail de catégorisation. En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, op.

cit., n°190 : « pour appréhender tous les aspects de la vie avec un nombre raisonnable de

règles juridiques, il faut les intégrer dans des classifications tranchées à portée exhaustive » ;

G. CORNU, Le règne discret de l’analogie, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p. 136 1639 En ce sens, cf. Ch. EISENMANN, art. préc., n°15 : « toute classification conforme aux

principes élémentaires de la logique n’est logiquement pas critiquable mais est logiquement

admissible ». 1640 En ce sens, cf. G. CORNU, art. préc., p. 137 : « le règne de l’analogie est le règne même

de l’équité. L’équité commande de traiter semblablement des choses semblables ». 1641 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, op. cit., n°190 1642 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, ibid., n°190 : « le recours aux catégories permet de

renforcer la rationalité et la cohérence du droit » ; G. CORNU, art. préc., p. 137 1643 G. CORNU (ibid., spéc. p. 132) a ainsi démontré la supériorité, au regard de l’impératif

de sécurité, de l’analogie comme technique législative sur l’analogie dans l’interprétation, qui

est un « exercice intellectuel, en un sens acrobatique ».

Page 415: L'efficacité des garanties personnelles

D’une part, en entravant la logique de contournement, le régime primaire

pourrait empêcher l’apparition des facteurs d’inefficacité liés à l’assimilation des

garanties personnelles jusqu’ici innomées à des substituts du cautionnement.

D’autre part, sous réserve de reposer sur des critères de liaison suffisamment

généraux, les règles communes à toutes les garanties personnelles pourraient

immédiatement s’appliquer à des mécanismes encore non utilisés à cette fin1644. Cela

éviterait, non seulement une nouvelle vraie lacune du droit et l’inefficacité en

découlant, mais aussi l’obsolescence rapide de la réforme, et donc l’inefficacité

résultant de l’instabilité des règles de droit.

735. L’efficacité des règles spéciales. S’agissant des avantages de la création

de règles spéciales, ils tiennent à la suppression de la vraie lacune du droit, à

l’assimilation des caractéristiques distinctives des garanties personnelles, et à

l’instauration d’une complémentarité entre celles-ci, nécessaire à la satisfaction des

attentes spécifiques des créanciers nées lors de l’octroi de crédit au débiteur1645.

736. La recherche de l’efficacité conduit donc à préconiser une réforme de

l’ensemble des garanties personnelles, qui s’articulerait autour, d’une part, d’un

régime primaire, c'est-à-dire de règles applicables à toutes ces garanties et, d’autre

part, de règles spéciales, propres aux principales catégories de garanties

personnelles.

La recherche de l’efficacité dicte, par ailleurs, les fondements de cette structure

dans le domaine qui nous occupe, c'est-à-dire les critères de catégorisation des

garanties personnelles.

§2 : LES CRITERES DE CATEGORISATION

DES GARANTIES PERSONNELLES

737. La catégorisation n’est pas neutre. Elle est commandée par l’objectif

à atteindre. « Plusieurs classifications, une multitude, sont généralement possibles,

parce que toute classe d’objets présente de multiples traits, que chacun d’eux peut

servir de principe à une classification»1646. Les catégories ne sont pas de la nature

des choses, elles ne préexistent pas à l’intervention des juristes1647. Les bases de la

1644 Sur l’utilité de la classification « lorsqu’elle permet de regrouper de façon rationnelle

tous les contrats spéciaux existants et tous les rapports contractuels nouveaux susceptibles de

se former en leur conférant une réglementation de base suffisante, quand ils sont dépourvus

de toute réglementation », cf. J.-F. OVERSTAKE, Essai de classification des contrats

spéciaux, LGDJ, 1969, spéc. p. 15 et s.

Sur la nécessaire flexibilité des catégories juridiques, se reconnaissant à leur capacité

d’absorption des phénomènes nouveaux, cf. J.-L. BERGEL, art. préc., n°20 ; J.-L. BERGEL,

op. cit., n°197 1645 Sur cette complémentarité des mécanismes de garantie comme moyen de répondre aux

nombreux impératifs du commerce juridique, cf. D. LEGEAIS, Les garanties

conventionnelles sur créances, Economica, 1986, Avant-propos J. STOUFFLET, préf. Ph.

REMY, n°21 1646 Ch. EISENMANN, art. préc., n°15 1647 En ce sens, cf. Ch. EISENMANN, ibid., n°12 ; M.-L. IZORCHE, art. préc., n°18 et 19

Page 416: L'efficacité des garanties personnelles

classification doivent être choisies en fonction des questions que l’on se pose1648. Par

conséquent, « n’importe quelle classification n’est pas rationnellement possible du

point de vue de n’importe quel problème ; le problème envisagé relativement à tel

ou tel objet conditionne la valeur, la justesse d’une classification ; celle-ci ne peut

pas être appréciée de façon absolue, comme « en l’air », sans référence à ce

problème »1649.

Ce sont donc les critères de catégorisation des garanties personnelles

susceptibles de répondre au problème que nous nous posons, à savoir le

perfectionnement de l’efficacité de ces contrats de garantie, qu’il convient de

présenter. Nous allons ainsi rappeler quels sont, d’une part, les critères de liaison (A)

et, d’autre part, les critères de différenciation (B), que commande la recherche de

l’efficacité des garanties personnelles.

A/ LES CRITERES DE LIAISON FONDANT LE REGIME PRIMAIRE

738. Les caractéristiques communes à l’ensemble des garanties

personnelles. La recherche de l’efficacité conduit à retenir, comme critères de

liaison autorisant le regroupement de l’ensemble des garanties personnelles dans un

même genre et leur soumission à un régime primaire, les caractéristiques communes

dont l’assimilation a été précédemment présentée comme une condition juridique de

la réalisation de l’attente objective des créanciers. Ces caractéristiques communes

sont de deux types1650.

D’une part, il s’agit des effets principaux que sont susceptibles de produire

toutes les garanties personnelles sur la situation du créancier (la seule constitution de

la garantie peut conférer au bénéficiaire un droit d’agir, que ne procure pas le seul

droit de gage général, et qui anticipe le risque d’inexécution du débiteur ; la

réalisation de la garantie peut conduire au recouvrement de la créance principale et

éviter au bénéficiaire d’entrer en concours avec les autres créanciers du débiteur),

ainsi que des effets de la garantie sur la situation du débiteur (la seule conclusion de

la garantie est susceptible d’augmenter les chances du débiteur d’accéder au crédit

ou de conserver celui déjà octroyé).

D’autre part, il s’agit des moyens mis en œuvre pour augmenter la sécurité du

créancier. La première de ces techniques est l’obligation de garantir, composée de

deux obligations : l’obligation de couverture et l’obligation de règlement, que

souscrit un tiers au contrat de base, voire l’un des codébiteurs principaux, et qui

vient s’adjoindre à l’obligation garantie. La seconde technique de protection des

intérêts financiers du créancier est le caractère accessoire essentiel. Ce lien

fondamental unissant la garantie personnelle au contrat principal se reconnaît à

1648 En ce sens, cf. J.-L. BERGEL, op. cit., n°190 : « les catégories procèdent de choix

intellectuels, même si ceux-ci sont orientés par l’observation des faits et l’étude du droit

objectif. Les catégories ne valent donc que ce que valent les choix qu’elles expriment et

l’utilité qu’elles représentent » ; Ch. EISENMANN, ibid., n°17 et 18 ; M.-L. IZORCHE,

ibid., n°18 et 19 : « souvent, la distinction est opérée non à cause d’une certaine conception

(plus ou moins consciente) du réel, mais afin de suggérer une certaine conception du monde

(instrument d’orientation de la pensée) ». 1649 Ch. EISENMANN, ibid., n°17 et 18 1650 Pour de plus amples développements sur ces caractéristiques communes à l’ensemble des

garanties personnelles, cf. supra n°244-247 ; 254 ; 261-279

Page 417: L'efficacité des garanties personnelles

l’absence d’existence autonome du mécanisme de garantie, à l’affectation exclusive

du droit de créance contre le garant au service de l’extinction de la créance1651 et,

enfin, au fait que la cause finale de l’obligation de règlement du garant réside dans

l’extinction de l’obligation principale.

739. Les conséquences de l’assimilation des caractéristiques communes.

Le premier type de caractéristiques communes à l’ensemble des garanties

personnelles se retrouve dans d’autres mécanismes ayant pour fonction de protéger

le créancier contre une perte pécuniaire, alors que le second type de caractéristiques

communes est spécifique aux garanties personnelles.

L’assimilation de ces caractéristiques communes, qui conditionne l’adéquation

entre le contenu du droit et l’objectif d’efficacité, devrait conduire à appliquer les

règles fondées sur les effets principaux de la garantie à l’égard du créancier et du

débiteur à tous les mécanismes qui, comme les garanties personnelles, produisent

ces effets. Nous avons appelé ces mécanismes « garanties de paiement » et

« garanties de crédit ».

En revanche, l’exigence d’assimilation et l’objectif d’efficacité devraient se

traduire par l’application aux seules garanties personnelles, mais à toutes celles-ci,

des règles fondées sur leurs caractéristiques techniques spécifiques.

La recherche de l’efficacité justifie ainsi que, au sein du nouveau régime

primaire des garanties personnelles, certaines dispositions soient propres à

l’ensemble de ces contrats1652 et que d’autres, au contraire, puissent être également

appliquées à toutes les garanties de paiement, ou à toutes les garanties de crédit1653,

voire à tous les mécanismes ayant pour raison d’être d’augmenter la potentialité du

dénouement satisfactoire de l’opération de crédit principale1654.

Si la recherche de l’efficacité exerce ainsi une influence sur la structure du

régime primaire, elle dicte également le choix des critères de différenciation fondant

les règles spéciales.

B/ LES CRITERES DE DIFFERENCIATION

FONDANT LES REGLES SPECIALES

740. Les différences pouvant séparer les garanties personnelles sont légion.

C’est la raison pour laquelle les critères de différenciation à la base des règles

spéciales sont eux-mêmes très nombreux. Ici encore, c’est le problème à résoudre, à

savoir le perfectionnement de l’efficacité des garanties personnelles, qui doit guider

le choix des critères de dissociation. Après avoir donné des exemples de critères non

pertinents, au regard de la recherche de l’efficacité, nous rappellerons les

caractéristiques distinctives des garanties personnelles dont l’assimilation constitue

une condition de la satisfaction des attentes subjectives des créanciers.

1651 Ces deux premiers éléments constitutifs de la notion de caractère accessoire essentiel sont

également les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance. Cf. supra n°273,

274 1652 Sur ces règles du régime primaire propres aux garanties personnelles, cf. infra n°796-847 1653 Sur les règles applicables à toutes les garanties de paiement, cf. infra n°851-859. Sur les

règles applicables à toutes les garanties de crédit, cf. infra n°861-867 1654 Sur les règles applicables à toutes les garanties, cf. infra n°869-873

Page 418: L'efficacité des garanties personnelles

741. Les critères de différenciation dénués de portée normative. Compte

tenu de la problématique retenue, manquent tout d’abord de pertinence les critères

de différenciation insusceptibles de fonder des règles spéciales. Tel est le cas des

critères conduisant à des distinctions uniquement descriptives, pédagogiques1655.

Il en va ainsi du critère lié à l’origine des garanties personnelles, sur lequel

repose la distinction entre les sûretés traditionnelles et les sûretés issues de la

pratique, ou encore la distinction entre le cautionnement, les sûretés personnelles

nées de la pratique et les techniques classiques du droit des obligations.

Il en va également ainsi du critère reposant sur les créances pouvant être

garanties et conduisant à la distinction entre les sûretés polyvalentes et les sûretés

monovalentes1656.

742. Une différenciation non pertinente au regard de l’objectif

d’efficacité : la distinction entre les garanties et les sûretés. Au regard de

l’objectif de renforcement de la sécurité des créanciers, se révèlent également

insatisfaisants les critères de dissociation dépourvus d’intérêt aux yeux des

bénéficiaires. Le critère reposant sur le caractère exclusif ou non de la fonction de

1655 Certaines catégories « n’ont qu’une fonction pédagogique ou classificatoire : elles

appartiennent non au domaine du droit positif, mais à celui de la science du droit. Elles sont

créées par la doctrine pour les besoins épistémologiques de la réflexion liée à la

compréhension, à l’analyse critique et à la connaissance du phénomène juridique ». Elles

s’opposent aux catégories fonctionnelles, qui « sont directement utilisables en pratique et

permettent la mise en application concrète de la règle de droit » (C. NOBLOT, La qualité du

contractant comme critère légal de protection. Essai de méthodologie législative, LGDJ,

2002, préf. F. LABARTHE, n°15 et 16). 1656 M. DAGOT, Sûretés monovalentes et sûretés polyvalentes, JCP 1999, éd. N., p. 381 :

« les sûretés polyvalentes peuvent garantir n’importe quelle créance ; les sûretés

monovalentes ne peuvent garantir que les créances pour la garantie desquelles elles ont été

instituées et ne peuvent intervenir qu’une seule fois au sein d’un patrimoine déterminé ».

Comp. Ch. MOULY, Les sûretés personnelles traditionnelles en France, in Les sûretés,

Colloque de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 129 et s. : distinction entre les techniques

ponctuelles de garantie, qui ne peuvent donner satisfaction que dans un domaine limité, et les

techniques universelles.

Page 419: L'efficacité des garanties personnelles

garantie1657, qu’une partie de la doctrine retient pour distinguer les sûretés des

garanties1658, en est l’illustration topique.

Théoriquement, il est possible et intéressant1659 de fournir une définition

moniste de la sûreté1660, distincte de celle de la garantie, en s’attachant à la raison

1657 Cf. D. LEGEAIS, th. préc., n°32 (distinction entre la « garantie par nature », qui ne peut

avoir d’autres fonctions, et la « garantie par destination », qui n’a pas nécessairement une

fonction de garantie et, si cette fonction existe, elle n’est pas unique et est toujours liée à la

création ou au transfert d’un droit) ; R. PERROT, De l’influence de la technique sur le but des

institutions, dir. LE BALLE, Sirey, 1947 (distinction entre les techniques spécialement créées

en vue de la protection du créancier et les techniques non spécialement conçues dans ce but,

mais qui présentent une plasticité suffisante pour lui être adaptées, compte tenu des besoins de

la pratique) ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2 et 4 (distinction entre l’objectif

directement recherché par les parties, l’essence d’une institution, et l’effet annexe) ; J.

MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°11 et 14 (distinction entre les « techniques

spécifiques » et les techniques indirectes, « transférables » vers d’autres objectifs) ; Ph.

SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°5 (distinction entre le principal objectif poursuivi par les

parties et la garantie comme effet induit de la technique contractuelle choisie, dont les parties

n’ont pas été conscientes au moment de l’engagement). 1658 Comme « le critère de la finalité apparaît inutilisable dans un domaine où il s’agit

toujours d’améliorer la situation du créancier » (C. GINESTET, La qualification des sûretés,

Defrénois 1999, article 36927, p. 80 à 92 et article 36940, p. 203 à 215, n°2 ; dans le même

sens, cf. C. SAINT-ALARY-HOUIN, Sûretés et procédures collectives : morceaux choisis,

Rapport de synthèse, LPA 20 septembre 2000, n°188, p. 40 et s., n°3 ; D. LEGEAIS, n°1 ; J.

MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°11), une partie de la doctrine retient la

qualification de « sûreté », lorsque la fonction de garantie présente un caractère exclusif, et

celle de « garantie », lorsque la protection des intérêts financiers du créancier n’est que l’une

des utilités d’un mécanisme déterminé. En faveur de cette distinction entre les sûretés et les

garanties, reposant sur le caractère exclusif ou non de la fonction de garantie, cf. J. CASEY,

Sûretés et famille, th. sous la direction de J. HAUSER, n°6 ; M. OURY-BRULE,

L’engagement du codébiteur solidaire non intéressé à la dette. Article 1216 du Code civil,

LGDJ, 2002, préf. C. FERRY, n°17, 139 à 142 ; A. PRÜM, Les garanties à première

demande, Litec, 1994, préf. B. TEYSSIE, n°7 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°2, 4,

503 ; D. LEGEAIS, n°21 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°11 ; S.

PIEDELIEVRE, n°12

L’adoption de ce critère de différenciation conduit à considérer les sûretés comme un sous-

ensemble des garanties. En ce sens, cf. P. CROCQ, Propriété et garantie, LGDJ, 1995, préf.

M. GOBERT, n°285 ; Ph. DUPICHOT, th. préc., n°5 ; A.-M. TOLEDO, Notion de sûreté et

droit du commerce international, th. Paris I, 1997, sous la direction de L. AYNES, n°27 ;

Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002, V° Garantie, p.

416 ; C. GINESTET, ibid., n°6, 7 ; C. SAINT-ALARY-HOUIN, ibid., n°3 ; M. CABRILLAC

et Ch. MOULY, n°4 ; D. LEGEAIS, n°1 ; Ph. MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et

P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J.

MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°2, 11 ; Ph. THERY, n°2, 6 1659 La distinction entre les sûretés et les garanties pourrait permettre de conserver à la notion

de sûreté sa spécificité et d’éviter une extension sans bornes, une dilatation de cette notion (en

ce sens, cf. Ph. DUPICHOT, ibid., n°5 ; P. CROCQ, ibid., n°262 ; C. SAINT-ALARY-

HOUIN, ibid., n°4 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°4, 503 ; D. LEGEAIS, n°20 ; H., L.

et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; S. PIEDELIEVRE, n°11). L’autre

intérêt théorique de cette distinction serait de permettre la remise en cause de la classification

traditionnelle des sûretés (en ce sens, cf. P. CROCQ, ibid., n°262). 1660 Une définition moniste de la sûreté, couvrant aussi bien les sûretés personnelles que les

sûretés réelles, a été proposée par P. CROCQ (ibid., n°282) : «une sûreté est l’affectation à la

Page 420: L'efficacité des garanties personnelles

d’être des mécanismes étudiés1661. Mais, pratiquement, la distinction entre les

sûretés et les garanties ne présente guère d’intérêt1662.

Certains auteurs affirment le contraire en soulignant que nombre de textes

actuels emploient le terme « sûreté » et ne sauraient donc s’appliquer aux

garanties1663. Cet argument ne paraît pas convaincant dans la mesure où les textes

cités s’appliquent, soit à tous les mécanismes ayant pour effet principal de protéger

les intérêts des créanciers et pour effet incident de faciliter l’accès au crédit du

débiteur1664, soit uniquement aux mécanismes qui remplissent une fonction de

satisfaction du créancier d’un bien, d’un ensemble de biens ou d’un patrimoine, par

l’adjonction aux droits résultant normalement pour lui du contrat de base, d’un droit d’agir,

accessoire de son droit de créance, qui améliore sa situation juridique en remédiant aux

insuffisances de son droit de gage général, sans être pour autant une source de profit, et dont

la mise en œuvre satisfait le créancier en éteignant la créance en tout ou partie, directement

ou indirectement ».

La définition de P. CROCQ a été reprise par Ph. DUPICHOT, ibid., n°5 ; M. OURY-BRULE,

th. préc., n°114 à 120 ; A.-M. TOLEDO, th. préc., n°273 ; D. LEGEAIS, n°21; Ph.

MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°2 ; H., L. et J. MAZEAUD et F.

CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°5 1661 Certains auteurs continuent de déplorer l’obscurité de la distinction entre sûretés et

garanties. Cf. D. LEGEAIS, n°17, 20 ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y.

PICOD, n°5-1 : « la mise en œuvre de la distinction entre « sûreté » et « garantie » suscite

des controverses sur lesquelles le dernier mot ne sera sans doute jamais prononcé ». D’autres

doutent même de l’existence d’une notion technique de sûreté, à caractère moniste. En ce

sens, cf. J. CASEY, th. préc., n°5 ; P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés,

JCP 1989, éd. E., suppl. Cahier droit des entreprises, n°5, p. 5 ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°2 : « introuvable notion de sûreté. (…) La sûreté n’est pas une notion, ce n’est

qu’une étiquette qui s’accommode du disparate. Aller au-delà des deux idées

complémentaires (objectif de la sûreté et affectation) relèverait d’un exercice de style, qui

pourrait être dangereux car il jetterait la confusion sur les notions distinctes de sûretés

réelles et de sûretés personnelles, qui sont elles-mêmes bien malaisées à cerner » ; Ph.

THERY, n°6 : « la possibilité même de définir ce qu’est une sûreté fait l’objet de discussion.

(...) La définition de la notion de sûreté est soit inutile (parce que mettant en lumière des

caractères que personne ne conteste), soit impossible, lorsque l’on essaie d’y faire rentrer des

institutions trop disparates, malgré une commune finalité ». 1662 Sur l’inutilité pratique de la distinction entre sûretés et garanties, cf. J. CASEY, ibid.,

n°3 ; P. ANCEL, ibid., p.5 ; Ph. DELEBECQUE, Garanties et contre-garanties, Mélanges

Ch. Gavalda, Dalloz, 2001, p. 91 et s., n°1 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°20 : « en

cette matière, intimement liée à celle du crédit, où le droit et l’économie se trouvent associés,

il peut paraître préférable de donner à la notion de sûreté une définition fonctionnelle,

conforme à la réalité. Cette définition extensive paraît bien être aussi celle du droit positif » ;

Ph. THERY, n°6 1663 P. CROCQ, th. préc., n°262 ; C. GINESTET, art. préc., n°5 (article 51 de la loi du 25

janvier 1985 ; article 1415 du Code civil) ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°4 ; D.

LEGEAIS, n°20 (articles 767 alinéa 7, 1188, 1752-2 du Code civil ; articles 40, 50, 51, 93 de

la loi de 1985 ; articles 217-9 et 340 de la loi du 24 juillet 1966 ; articles 2, 312-8 du Code de

la consommation); H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°5-1 (articles 767

alinéa 7, 1188, 1752 du Code civil ; article 40 de la loi de 1985 ; article 312-8 du Code de la

consommation); Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°20 (articles 1188, 1692, 1752, 2037

du Code civil ; articles 34 et 107 de la loi de 1985) 1664 Tel est le cas des textes imposant la constitution de « sûretés » (articles 1752, 767 alinéa 7

et 1094-2 du Code civil ; article 517 du nouveau Code de procédure civile) et des textes

relatifs à la perte de la « sûreté » (articles 1188 et 2037 du Code civil).

Page 421: L'efficacité des garanties personnelles

garantie en affectant préférentiellement au bénéficiaire un bien du débiteur, c'est-à-

dire aux sûretés réelles1665. Dans les deux cas, le caractère exclusif de la fonction de

garantie étant, en réalité, indifférent, la distinction entre les sûretés et les garanties

manque donc de pertinence1666.

De lege ferenda, cette dissociation n’est pas non plus utile car, pour rendre plus

sûre la réalisation des attentes des créanciers, il suffit de régir, d’une part, les effets

que la constitution et la mise en œuvre de la garantie sont à même de produire sur

leur situation et, d’autre part, les moyens à orchestrer pour que la garantie engendre

ces résultats. Autrement dit, si le législateur instaurait, comme nous le préconisons,

des règles applicables à toutes les garanties de paiement et des règles visant, encore

plus largement, toutes les garanties, il n’y aurait plus de place pour un régime propre

aux mécanismes ayant exclusivement pour but de protéger les intérêts des

créanciers. En raison de son inutilité pratique, la mise en place d’un corps de règles

fondé sur le caractère exclusif de la fonction de garantie ne mérite donc pas d’être

défendue1667.

743. Les caractéristiques distinctives des garanties personnelles. La

recherche de l’efficacité conduit, en revanche, à préconiser l’instauration de règles

spéciales basées sur les caractéristiques distinctives des garanties personnelles, dont

l’assimilation conditionne la réalisation des attentes subjectives des créanciers1668.

Nous ne développons pas ici le champ d’application de ces textes, car nous nous y attarderons

longuement à l’occasion de la présentation des règles applicables à toutes les garanties de

paiement (cf. infra n°851-859) et à toutes les garanties de crédit (cf. infra n°861-867). 1665 Emploient ainsi le terme « sûreté » de manière trop générale, comme synonyme de

« sûreté réelle », les textes suivants : articles L. 611-4 VII, L. 621-25 alinéa 3, L. 621-32, L.

621-43, L. 621-44, L. 621-80 alinéa 3, L. 621-96, L. 621-107-6°, L. 225-68 alinéa 2 et L. 232-

1 du Code de commerce.

Une interprétation stricte de ces textes s’impose pour ne pas entraver exagérément la liberté

d’action des sociétés, ou pour ne pas priver trop facilement les créanciers de certains

avantages, ou encore pour favoriser le redressement des entreprises en difficulté. 1666 Comp. Ph. THERY, n°6 : « certes, l’existence de textes particuliers qui font référence,

soit aux sûretés, soit aux garanties, devrait normalement rendre indispensable une définition.

Mais ces textes ont un champ d’application restreint. Aussi n’est-il pas interdit d’adopter,

pour leur application, une définition particulière, même si, intellectuellement, une telle

position n’est pas satisfaisante ». 1667 Certains auteurs rejettent l’instauration d’un corps de règles propre aux sûretés en raison

des difficultés entourant nécessairement la mise en place d’un tel régime. En ce sens, cf. A.

BRUYNEEL, L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque de Bruxelles,

FEDUCI 1984, p. 14 : « formuler des généralités valables pour toutes les sûretés est un

exercice fort difficile, tant les sûretés réelles et les sûretés personnelles diffèrent de nature.

Une telle différence de nature explique que la théorie générale des sûretés, à la supposer

possible et utile, n’ait jamais été construite jusqu’ici de manière cohérente et complète » ; H.,

L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°6-3 : « il est bien difficile de tracer les

grandes lignes d’un droit commun des sûretés, le dénominateur commun étant chaque jour

plus difficile à trouver » ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 : « en raison de la

différence profonde de nature entre les sûretés personnelles et les sûretés réelles, un droit

commun à toutes les sûretés ne peut sans doute avoir qu’une consistance limitée et se situer à

un niveau élevé d’abstraction ». 1668 Pour de plus amples développements sur ces caractéristiques distinctives, cf. supra n°281-

307

Page 422: L'efficacité des garanties personnelles

Un premier corps de règles pourrait ainsi se rapporter aux garanties

personnelles souscrites par un garant personne physique1669. Les autres

caractéristiques de l’opération de garantie (qualité du créancier et du débiteur, nature

du contrat principal et du contrat de garantie) pourraient demeurer indifférentes, car

il s’agirait essentiellement de réglementer les spécificités de la personnalité physique

par rapport à la personnalité morale, d’une part, et de délimiter les risques financiers

supportables par les garants personnes physiques, pour éviter le surendettement et

l’exclusion, d’autre part1670.

Ensuite, des règles spéciales pourraient être fondées sur les principales

« causes » de l’obligation de couverture du garant.

En premier lieu, pourraient être instaurées des règles propres aux garanties

personnelles souscrites par un « garant consommateur »1671, c'est-à-dire par un

garant personne physique ne s’engageant pas dans un but professionnel1672. Le fait

générateur du service consenti par ce type de garant réside dans les relations

affectives qu’il entretient avec le débiteur, et le but poursuivi dans l’amélioration de

la situation de celui-ci grâce à l’octroi ou au maintien du crédit garanti. Le

législateur pourrait pallier les « faiblesses inhérentes et relatives »1673 de ces 1669 En faveur de règles propres aux garanties personnelles souscrites par des personnes

physiques, cf. J. CASEY, th. préc., n°463 : « l’enjeu du droit créé étant celui de l’engagement

de masses de biens, il est impossible de raisonner autrement qu’en termes de patrimoine. En

fait, la distinction profane / professionnel n’est utile que pour la détermination des sûretés

permises. Mais plus avant, une fois ce tri effectué, c’est le droit des biens qui doit guider les

réponses » ; L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine

2003, n°120, p. 29, note 5 : « la distinction, dans sa simplicité, est source de sécurité. Il faut

bien tirer les conséquences de l’adoption de la forme sociale, quitte à appliquer, à la marge,

la théorie de la fraude ou celle de la fictivité » ; Ph. DELEBECQUE, Le cautionnement et le

Code civil : existe-t-il encore un droit du cautionnement ?, RJ com. 2004, p. 226 et s., n°14 1670 Sur cette distinction entre les textes qui protègent les personnes physiques en raison de

leurs spécificités par rapport aux personnes morales (exemples : les textes protégeant le

contractant contre des atteintes à son intégrité physique ou morale) et ceux dont le champ

d’application pourrait, sans illogisme, s’étendre à celles-ci (les lois qui protègent spécialement

le patrimoine de la personne physique), cf. C. NOBLOT, th. préc., n°43 et 44 1671 En faveur d’un régime propre aux garants profanes, cf. Ph. DUPICHOT, th. préc., n°963 ;

D. LEGEAIS, La règle de l’accessoire dans les sûretés personnelles, in Sûretés et garanties –

Pratiques et innovations, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 68 et s. ; D. LEGEAIS, Le Code

de la consommation siège d’un nouveau droit du cautionnement. Commentaire des

dispositions relatives au cautionnement introduites par les lois du 1er août 2003 relatives à

l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E, p. 1610 et s., n°31, 49 ; Ph. THERY,

La différenciation du particulier et du professionnel : un aspect de l’évolution du droit des

sûretés, in Sûretés et garanties, Droit et patrimoine 2001, n°92, p. 53 et s. ; D. LEGEAIS,

n°25, 36, 49 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°24-3 ; Ph. SIMLER, n°66 ; Ph. THERY,

n°5 1672 « Les cautions profanes assimilées au consommateur ne participent pas à la gestion de

l’entreprise emprunteuse, ni à son capital social et ne sont pas associées à la marche des

affaires » (D. POHE, note sous Cass. com., 8 octobre 2002, RJ com. 2003, p. 267 et s.). 1673 La « faiblesse inhérente » du contractant se caractérise par l’insuffisance de ses

connaissances dans la matière du contrat à conclure et par la légèreté avec laquelle il

s’engage. La « faiblesse relative » peut résulter, soit de la puissance économique du

partenaire, soit de l’état de besoin du contractant qui la subit. Sur ces deux types de faiblesse,

cf. M. FONTAINE, Rapport de synthèse, in La protection de la partie faible dans les

rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 615 et s., n°2

Page 423: L'efficacité des garanties personnelles

«garants consommateurs», en imposant aux créanciers de faire spécialement preuve

de solidarité et de tempérance à leur égard. Le régime des « garants

consommateurs » pourrait donc surtout faire respecter les exigences de l’impératif

d’éthique contractuelle.

En deuxième lieu, pourraient être mises en place des règles spécifiques aux garants

non consommateurs, c'est-à-dire aux garants agissant dans un but professionnel1674.

Cette catégorie est hétéroclite, puisqu’elle regroupe les garants professionnels, dont

l’activité a pour objet la fourniture de garanties, les garants intégrés dans les affaires

du débiteur principal, qui exercent un pouvoir juridique de contrôle ou de direction à

l’encontre de ce dernier, et les garants dépendants financièrement du débiteur, dont

les revenus professionnels proviennent de l’activité de celui-ci. Le régime applicable

aux garanties personnelles souscrites par ces garants pourrait essentiellement

consacrer la liberté des créanciers d’organiser la protection de leurs intérêts

financiers.

En troisième et dernier lieu, le législateur pourrait s’intéresser aux conséquences de

l’existence ou de l’absence d’une dette préalable du garant envers le débiteur

principal, en réglementant les garanties personnelles souscrites par un garant non

tenu envers le débiteur.

Ces trois corps de règles fondés sur la « cause » de l’obligation de couverture du

garant pourraient jouer quels que soient, en principe, la qualité du créancier, la

nature du contrat principal ou celle de la garantie personnelle. Cette dernière

caractéristique devrait néanmoins donner lieu à des règles spéciales, tant l’objet de

l’obligation de règlement du garant constitue un trait distinctif essentiel des

garanties personnelles.

En vue de l’assimilation des spécificités liées à la nature de l’obligation de

règlement du garant, au mode et au moment de détermination de l’objet de cette

obligation, et aux rapports entre ledit objet et celui de l’obligation principale, des

règles propres aux garanties personnelles présentant un caractère accessoire

renforcé, d’une part, et aux garanties personnelles indépendantes, d’autre part,

pourraient ainsi être instituées.

En fondant les règles spéciales sur la personnalité physique du garant, sur la

« cause » de son obligation de couverture, et sur l’objet de son obligation de

règlement, toutes les caractéristiques distinctives des garanties personnelles, dont la

prise en compte légale est nécessaire à l’adéquation du contenu du droit à l’objectif

d’efficacité, pourraient donc être envisagées. La réalisation des attentes subjectives

des créanciers s’en trouverait confortée.

744. Conclusion du Chapitre 1. Si le législateur entendait rendre l’efficacité

des garanties personnelles plus sûre qu’elle ne l’est aujourd'hui, une volonté

politique forte devrait présider à la réforme de cette matière. En effet, la recherche

de l’efficacité exige une réforme d’envergure : la suppression des fausses lacunes du

1674 En faveur d’un régime propre aux garants agissant dans un cadre professionnel, cf. D.

LEGEAIS, Le cautionnement à première demande, Mélanges M. Vasseur, Banque Editeur,

2000, p. 96 ; D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des garanties personnelles, Mélanges Y.

Guyon, Dalloz, 2003, p. 670 ; Ph. THERY, La différenciation du particulier et du

professionnel : un aspect de l’évolution du droit des sûretés, in Sûretés et garanties, Droit et

patrimoine 2001, n°92, p. 53 et s. ; D. LEGEAIS, n°25, 36 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°24-3 ; Ph. SIMLER, n°66 ; Ph. THERY, n°5

Page 424: L'efficacité des garanties personnelles

droit du cautionnement nécessite une reforme globale de ce droit et la suppression

de la vraie lacune du droit à l’égard des autres garanties personnelles commande une

réforme de l’ensemble de ces garanties et, particulièrement, une réglementation de

toutes celles qui sont actuellement innomées. Cette réforme d’ensemble ne sera

source d’efficacité que si elle présente une certaine structure, à savoir un régime

primaire fondé sur les caractéristiques partagées par toutes les garanties personnelles

(leurs effets principaux sur la situation du créancier et sur celle du débiteur ; leurs

techniques de protection des intérêts des créanciers, que sont l’obligation de garantir

et leur caractère accessoire essentiel), et des règles spéciales fondées sur leurs

caractéristiques distinctives (personnalité physique du garant, « cause » de son

obligation de couverture, objet de son obligation de règlement). Si une volonté

politique forte orientée vers l’efficacité venait à faire défaut, la réforme du droit des

garanties personnelles n’aurait peut être pas l’étendue et la structure que nous

venons de proposer, mais une réforme n’en demeurerait pas moins inéluctable,

compte tenu du nouvel intérêt du droit communautaire pour cette matière. Outre la

recherche de l’efficacité, c’est en effet la proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs qui justifie qu’une réforme du droit des garanties personnelles ait

prochainement lieu.

Page 425: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE II

LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

SUR LE CRÉDIT AUX CONSOMMATEURS

745. Motifs et objectifs de la proposition de directive. La directive

87/102/CEE1675, modifiée en 1990 et en 19981676, a fixé le cadre communautaire du

crédit à la consommation en vue de contribuer à la création d’un marché commun

dans le domaine du crédit et d’instituer des règles communes minimales de

protection du consommateur. De nombreux rapports et consultations1677 ont révélé, à

la fin des années 1990, de « grandes disparités entre les législations des différents

Etats membres dans le domaine du crédit aux personnes physiques en général et du

crédit à la consommation en particulier»1678, ainsi qu’une inadéquation de la

directive de 1986 à la réalité nouvelle du marché du crédit à la consommation1679.

1675 Directive 87/102/CEE du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des

dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de

crédit à la consommation. 1676 Directive 90/88/CEE du Conseil du 22 février 1990 modifiant la directive 87/102/CEE

relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des

Etats membres en matière de crédit à la consommation (JOCE, n° L 061 du 10/03/1990 p. 14-

18), elle-même modifiée par la directive 98/7/CE du Parlement européen et du Conseil du 16

février 1998 (JOCE, n° L 101 du 01/04/1998 p. 17-23). 1677 Commission européenne, Rapport sur l’application de la directive 87/102/CEE,

COM(95)117 final du 11.05.95 ; Commission européenne, Rapport sur l’application de la

directive 90/88/CEE, COM (96) 79 final du 12.04.96 ; Commission européenne, Compte

rendu succinct des réactions et commentaires, COM(97) 465 final du 24.09.97 1678 Article 1.1. de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Parlement européen et

du Conseil relative à l'harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et

administratives des Etats membres en matière de crédit aux consommateurs (COM/2002/0443

final - COD 2002/0222 ; Journal officiel n° C 331 E du 31/12/2002 p. 0200 – 0248).

Les écarts se sont notamment creusés par l’adoption, lors de la transposition en droit interne,

de dispositifs nationaux plus exigeants que les textes communautaires eux-mêmes, comme

l’autorisait la clause minimale de l’article 15 de la directive de 1986 (pour des exemples de

ces disparités, cf. l’article 2.2. de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 11

septembre 2002). 1679 Sur l’évolution spectaculaire de la notion de « crédit à la consommation », cf. l’article 1.2.

de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 11 septembre 2002 et la fiche

d’impact de celle-ci.

Page 426: L'efficacité des garanties personnelles

Afin d’enrayer les dangers liés à ces disparités et à cette inadéquation1680 et afin

de « permettre aux consommateurs et aux entreprises de tirer pleinement bénéfice

du marché intérieur »1681, la Commission européenne a décidé de réviser ladite

directive. Elle a ainsi présenté, le 11 septembre 2002, une proposition de directive

relative à l’harmonisation des dispositions législatives, réglementaires et

administratives des Etats membres en matière de crédit aux consommateurs.

746. Ce texte ne régit pas uniquement le crédit aux consommateurs. Il a

également pour objet d’harmoniser les dispositions nationales relatives « aux

contrats de sûreté conclus par des consommateurs »1682. Ce nouvel intérêt du droit

communautaire pour les garanties personnelles (Section 1) rend inévitable une

réforme de cette matière.

Bien que la directive qu’adopteront finalement le Conseil et le Parlement

européen1683 risque de s’éloigner sur de nombreux points de la proposition initiale de

la Commission, il est néanmoins possible de présenter les principales répercussions

de cette directive en matière de garanties personnelles, au vu de cette seule

proposition. En effet, alors que les dispositions relatives au crédit aux

consommateurs ont déjà donné lieu à de nombreuses critiques1684, celles ayant trait

1680 Les disparités entre les législations nationales emportent des distorsions de concurrence

entre les prêteurs et une restriction, pour les consommateurs, des possibilités d’obtenir un

crédit dans d’autres Etats membres. Le volume et la nature de la demande de crédit

transfrontière s’en trouvent affectés ainsi que, par contrecoup, l’achat de biens et de services.

Par ailleurs, les consommateurs ne bénéficient pas de la même protection dans tous les Etats

membres. 1681 Articles 1.2. et 2.3. de l’exposé des motifs de la proposition de directive du 11 septembre

2002. 1682 Article 1er de la proposition de directive. 1683 La proposition de directive ayant pour objet de rapprocher des dispositions nationales qui

pourraient gêner la libre circulation, sa base juridique est l’article 95 du Traité (ancien article

100-A). Ce texte exige que la proposition de la Commission fasse l’objet d’une consultation

obligatoire du Comité économique et social et soit présentée pour adoption au Conseil et au

Parlement européen. L’article 251 du Traité (ancien article 189-B) impose, en outre, une

procédure de codécision, c'est-à-dire que la proposition doit être adoptée par le Conseil, à la

majorité qualifiée, et par le Parlement européen, à la majorité absolue. 1684 « Que ce soit de la part de gouvernements, d’associations de consommateurs,

d’institutions professionnelles représentant nombre de métiers ou secteurs d’activité, les

réactions négatives ont inondé la Commission » (S. HUBERT, chef de cabinet du

parlementaire J. WUERMELING, interview lors du Congrès FENCA).

Dans une proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a souhaité que « le texte

exclut expressément les opérations de crédit immobilier et qu’il n'alourdisse pas à l'excès

certaines procédures de facilités de paiement dont bénéficient actuellement les

consommateurs, notamment les opérations de « paiement en trois fois, sans frais » dont le

volume ne justifie pas qu'elles entrent dans le cadre du dispositif proposé ». Le Sénat s'est

également interrogé sur l'utilité de multiplier les informations relatives aux différents taux du

crédit dans le contrat de prêt, dès lors que l'information préalable de l'emprunteur est précise

et complète. En conséquence, il a demandé au Gouvernement « 1° que soient précisées les

conditions d'instauration, d'utilisation et d'actualisation des fichiers informatiques de

données de type négatif envisagés pour lutter contre le surendettement ; 2° que soit supprimée

l'incitation à la constitution de fichiers de type positif, susceptibles de créer des disparités

entre États membres ; 3° que soit déterminée la procédure de conservation des données

Page 427: L'efficacité des garanties personnelles

au « contrat de sûreté » ont été, au contraire, bien accueillies1685. Par conséquent, si

« la directive ne sera pas votée dans sa forme»1686, les modifications ne devraient

pas affecter profondément les dispositions intéressant les garanties personnelles. Il

est donc d’ores et déjà possible de mettre en avant les conséquences de la future

informatiques pour valoir preuve du comportement responsable du prêteur ; 4° que soient

aménagées les conditions dans lesquelles le contrat de prêt peut recevoir un début d'exécution

durant la période de rétractation sans motif de l'emprunteur ; 5° que figurent au contrat de

prêt les conditions de son remboursement anticipé, et notamment la possibilité d'y procéder

sans paiement d'indemnité compensatoire au prêteur ; 6° que soit autorisé le démarchage à

domicile pour la vente de biens ou services assortie d'une proposition de prêt accessoire ; 7°

que soit supprimée la responsabilité solidaire du prêteur et du fournisseur de biens et services

durant toute la durée de vie du produit vendu à crédit ».

Si EURO COOP (Communauté européenne des Coopératives de consommateurs) s’est

montrée globalement d’accord avec la proposition de directive, dans un communiqué du 31

octobre 2003, elle a cependant adressé des commentaires sur des points spécifiques :

l’harmonisation maximale, la définition de l’intermédiaire de crédit, la mention de trois taux

d’intérêt différents, le champ d’application (le crédit hypothécaire devrait bénéficier du même

niveau élevé de protection des consommateurs et d’harmonisation à travers l’Europe), la

publicité, le remboursement anticipé, les sanctions.

Le 27 février 2003, le MEDEF a soutenu, sur le principe, une proposition qui permettrait la

mise en place d’une base commune de dispositions identiques et impératives. Néanmoins, il a

remarqué que les règles envisagées par la proposition de directive prévoient un régime

particulièrement déséquilibré au détriment des prêteurs professionnels, qui risquent de voir

leur activité fortement perturbée et leur rentabilité menacée. Il a aussi relevé que l’atteinte

portée au crédit à la consommation et la baisse consécutive de son offre et de son accès vont

avoir des répercussions négatives sur l’ensemble de l’économie et sur le taux de croissance.

La proposition de directive emporterait ainsi un risque d’aggravation du ralentissement de

l’activité économique, tant au niveau national, que communautaire. Les dispositions

principalement critiquées par le MEDEF concernent : le caractère abusif de certaines clauses,

le traitement des données personnelles informatisées, le démarchage, la responsabilité

solidaire entre le vendeur et l’établissement prêteur, le devoir de conseil, le « prêt

responsable », l’insertion des crédits courts de type « paiement en trois fois sans frais », la

communication de trois taux différents, la condamnation du crédit affecté au financement

d’un achat, et le délai de rétractation.

L’Association française des Sociétés Financières (ASF), le 1er avril 2003, a salué la

proposition de directive en ce qu’elle permet de réaliser un progrès, en termes

d’harmonisation totale et impérative, mais a relevé nombre d’imperfections : risque de remise

en cause de l’existence même du crédit sur le lieu de vente ; déresponsabilisation du

consommateur ; fragilisation du crédit découlant de la responsabilité du prêteur en cas de non

conformité des biens ou services financés ; illisibilité du droit communautaire (la proposition

de directive instaure un régime dérogatoire au droit commun européen fixé par des directives

sectorielles) ; discriminations injustifiées à l’encontre des établissements de crédit au regard

des autres agents économiques ; distorsions de concurrence entre les établissements de crédit

eux-mêmes ; risque de renchérissement des conditions de crédit pour les emprunteurs en

raison de l’accroissement important des coûts pour les établissements prêteurs. 1685 Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a ainsi relevé que « les

dispositions sur la protection des cautions sont globalement convenables ». 1686 S. HUBERT, chef de cabinet du parlementaire J. WUERMELING, interview lors du

Congrès FENCA

Tant que le Conseil n’a pas statué, la Commission peut modifier sa proposition tout au long

des procédures conduisant à l’adoption d’un acte communautaire.

Page 428: L'efficacité des garanties personnelles

directive, tant sur le droit des garanties personnelles en vigueur, que sur les contrats

de garantie personnelle en cours (Section 2).

SECTION 1 : LE NOUVEL INTÉRÊT

DU DROIT COMMUNAUTAIRE

POUR LES GARANTIES PERSONNELLES

747. Avant la proposition de directive du 11 septembre 2002, les garanties

personnelles n’ont donné lieu, au niveau communautaire, qu’à des législations de

détail et à des projets avortés, alors même que la Communauté est parfaitement

compétente en cette matière. La proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs rompt avec cette traditionnelle absence du droit communautaire en

matière de garanties personnelles (§1), puisque les « contrats de sûreté conclus par

des consommateurs » entrent dans son champ d’application (§2).

§1 : L’ABSENCE TRADITIONNELLE

DU DROIT COMMUNAUTAIRE

EN MATIERE DE GARANTIES PERSONNELLES

748. Des législations de détail. Avant la proposition de directive du 11

septembre 2002, les réglementations communautaires n’ont concerné que des points

de détail du régime de certaines garanties personnelles professionnelles. Ainsi, les

directives du 24 juillet 19731687 et du 18 juin 19921688 ont mentionné « la caution »

au nombre des activités d’assurance. Une autre directive du 22 juin 1987 s’est

attachée à la solvabilité des entreprises pratiquant l’assurance-crédit et l’assurance-

caution. Des règlements du Conseil1689 se sont intéressés, quant à eux, aux garanties

légales et, plus précisément, aux garanties à fournir pour assurer le paiement d’une

dette douanière1690.

749. Un projet avorté de réglementation d’ensemble. Le droit

communautaire aurait pu avoir une influence beaucoup plus importante en matière

de garanties personnelles si le projet de directive de 1979 « concernant

l’harmonisation du droit applicable au cautionnement et à la garantie »1691 avait

abouti. En effet, ce projet, qu’avait préparé une étude comparative réalisée par le

Max Planck Institut de Hambourg1692, aurait pu imposer, non seulement l’adoption

1687 Directive n°73-239 en matière d’assurance 1688 Directive n°92-49 sur l’assurance non-vie 1689 Règlements du Conseil n°69-542 du 18 mars 1969 sur le transit communautaire, n°77-222

du 13 décembre 1976, n°89-4046 du 21 décembre 1989 sur les « garanties à fournir pour

assurer le paiement d’une dette douanière ». 1690 Sur ces garanties, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°353 1691 Direction générale du Marché intérieur et des affaires industrielles, n°III/629/79-FR 1692 Le cautionnement dans le droit des Etats membres des Communautés européennes,

Bruxelles, publ. de la Commission des CE, coll. Etudes, série Concurrence-Rapprochement

des législations, 1971, n°14

Après l’entrée du Royaume-Uni dans la Communauté européenne, cette étude a été complétée

par un rapport rédigé par T.C. HARTLEY : Le droit du cautionnement et de la garantie au

Page 429: L'efficacité des garanties personnelles

de règles très novatrices en matière de cautionnement1693, mais surtout la

reconnaissance légale des garanties indépendantes1694 et, plus spécialement, de la

garantie indemnitaire1695. Ce projet de directive n’ayant pas connu de suite, le droit

communautaire est resté globalement absent en matière de garanties personnelles.

750. Les raisons de la traditionnelle absence du droit communautaire en

matière de garanties personnelles. « Le crédit et les sûretés font partie intégrante

de l’activité économique que le traité de Rome posait en fondement de la CEE et

que l’Union économique et monétaire met aujourd'hui au premier plan des objectifs

contemporains »1696. Ce n’est donc pas par incompétence que le droit

communautaire est longtemps resté absent en matière de garanties personnelles. Ce

relatif effacement peut s’expliquer de deux autres façons.

Tout d’abord, l’intervention du législateur européen a pu sembler inutile pour

plusieurs raisons. En premier lieu, le marché européen transfrontière du crédit est

peu développé1697. En deuxième lieu, les principes essentiels du droit

communautaire, notamment les libertés fondamentales de circulation des capitaux et

d’établissement, s’appliquent sans discussion en matière de crédit et de sûreté. En

troisième et dernier lieu, le droit du cautionnement est assez semblable d’un Etat

membre à un autre1698.

Ensuite, l’intervention du législateur européen a pu paraître trop délicate à

cause, d’une part, de « la grande difficulté qu’il y a à cerner les autres sûretés

Royaume Uni et en Irlande, Bruxelles, publ. de la Commission des CE, coll. Etudes, série

Concurrence-Rapprochement des législations, 1974, n°28 1693 Le projet de directive de 1979 prévoyait notamment que la caution pourrait résilier son

engagement, en cas de détérioration substantielle de la situation du débiteur principal, après la

souscription du cautionnement. Peu importait la durée du cautionnement, seul comptait le

caractère successif de l’engagement et, implicitement, l’indétermination de son montant (sur

cette disposition, cf. Ch. MOULY, th. préc., n°289 et 290). 1694 Dans l’exposé des motifs du projet de directive (document n°III/168/78/FR, n°I-4), il était

indiqué que la non reconnaissance de la garantie indépendante dans tous les droits européens

« rompt l’égalité des chances entre négociants européens et peut causer un préjudice

considérable dans les échanges économiques ». 1695 Article 9 du projet de directive de 1979 : « le contrat de garantie est un contrat par lequel

le garant s’engage à répondre en tout ou en partie de pertes financières subies par le garanti

et résultant de l’inexécution d’une obligation, existante ou conditionnelle, à exécuter par un

tiers, lorsque l’engagement du garant se présente indépendamment de l’existence, de la

validité ou du caractère exécutoire de l’obligation ainsi garantie ». Cette définition

recouvrait des mécanismes comme la promesse de porte fort, le ducroire du commissionnaire

ou encore l’assurance-crédit interne.

Ce même article 9 marquait nettement la différence entre le cautionnement et le contrat de

garantie, en retenant l’inopposabilité des exceptions dans le cadre de ce dernier. Cependant,

non sans une certaine contradiction, il déclarait également applicables à la garantie

indemnitaire les règles du cautionnement, par analogie. 1696 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°9 1697 Dans l’exposé des motifs de sa proposition de directive du 11 septembre 2002 (article

2.1.), la Commission européenne en fournit trois explications : « les difficultés techniques de

pénétrer un autre marché, l’absence d’une harmonisation suffisante des législations

nationales et l’évolution des techniques et des formes de crédit depuis les années 80 ». 1698 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°9

Page 430: L'efficacité des garanties personnelles

personnelles »1699 que le cautionnement et, d’autre part, des liens très étroits que le

droit des garanties personnelles entretient avec celui des procédures collectives1700.

751. Les raisons du nouvel intérêt du droit communautaire pour les

garanties personnelles. Si toutes ces raisons éclairent la traditionnelle absence du

droit communautaire en matière de garanties personnelles, c’est « l’intégration de

plus en plus poussée du monde des affaires à l’échelle planétaire »1701 et surtout la

volonté de la Commission européenne d’ « accorder au garant personne physique

un niveau d’information et de protection comparable à celui du consommateur »1702,

qui expliquent que la proposition de directive du 11 septembre 2002 ait intégré les

garanties personnelles dans son champ d’application.

§2 : LE CHAMP D’APPLICATION

DE LA PROPOSITION DE DIRECTIVE

SUR LE CREDIT AUX CONSOMMATEURS

752. L’article 3.1. de la proposition du 11 septembre 2002 précise que « la

présente directive s'applique aux contrats de crédit ainsi qu’aux contrats de

sûreté ». Cette disposition ne prend tout son sens qu’à la lecture de l’article 2, qui

définit un certain nombre de termes utilisés dans la directive, notamment ceux de

« consommateur », de « prêteur », de « contrat de crédit », de « contrat de sûreté »,

et de « garant ». Il s’agit de définitions terminologiques, puisque « le sens retenu est

présenté comme étant, sans autre prétention, celui que revêt le mot dans la loi à

laquelle se rattache le chapitre de définitions »1703 (l’article 2 commence par « aux

fins de la présente directive, on entend… »). A la lumière, non seulement de ces

définitions relatives et pragmatiques, mais aussi de l’examen du dispositif de la

proposition de directive, il est possible d’expliquer l’application de celle-ci aux

garanties personnelles, en s’attachant d’abord à la notion de « contrat de sûreté »

(A), puis aux protagonistes de l’opération de garantie visés par le texte

communautaire (B).

A/ QUANT AUX « CONTRATS DE SURETE »

753. Avant d’étudier la définition du « contrat de sûreté » fournie par l’article

2 e) de la proposition de directive, il convient d’indiquer quelles conséquences

peuvent être tirées de l’emploi même des termes « contrat » et « sûreté ».

754. Les conséquences de l’emploi du terme « contrat ». Tout d’abord,

l’utilisation du terme « contrat » implique que la directive ne joue qu’à l’égard des

1699 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°9 1700 En ce sens, cf. A. BRUYNEEL, L’évolution du droit des sûretés, in Les sûretés, colloque

de Bruxelles, FEDUCI 1984, p. 25 1701 M. GIOVANOLI, Tendances modernes du droit des sûretés bancaires et contrôle

prudentiel des banques, in Sûretés et garanties bancaires, Publication CEDIDAC, 1997, p. 23

et s. 1702 Article 3 de l’examen du dispositif de la proposition de directive du 11 septembre 2002. 1703 G. CORNU, Les définitions dans la loi, Mélanges Vincent, 1981, p. 77 et s., n°17

Page 431: L'efficacité des garanties personnelles

mécanismes de garantie reposant sur un accord de volonté. Semblent par conséquent

exclus de son champ d’application les mécanismes dans lesquels les droits du

créancier contre un tiers résultent d’une loi et non d’un contrat. Le texte

communautaire ne devrait donc pas affecter les garanties légales comme l’action

directe, la solidarité légale, la responsabilité délictuelle du fait d’autrui, ou encore

les garanties imposées aux associés de certaines sociétés. En revanche, la directive

devrait s’appliquer à toutes les garanties conventionnelles.

Le fait générateur du contrat paraît indifférent. Il pourrait donc s’agir, non

seulement d’une demande du créancier, mais aussi d’une disposition légale ou d’une

décision judiciaire.

La forme du « contrat de sûreté » paraît également indifférente, puisqu’aucune

distinction n’est opérée entre contrat sous seing privé et contrat conclu en la forme

authentique1704.

C’est enfin la personne du cocontractant du garant qui n’est pas précisée. La

directive pourrait donc s’appliquer, aussi bien au « contrat de sûreté » passé entre le

garant et le créancier, ce qui est l’hypothèse la plus fréquente, qu’au contrat conclu

entre le garant et le débiteur principal (la stipulation pour autrui répond à ce

schéma). L’objectif affiché de protection des garants personnes physiques contre le

risque de surendettement1705 milite d’ailleurs en ce sens, puisqu’un tel risque existe

même lorsque le garant n’est pas uni contractuellement au créancier.

755. Les conséquences de l’emploi du terme « sûreté ». S’agissant de

l’emploi du terme « sûreté », on ne peut en déduire la volonté de la Commission

européenne de restreindre le champ d’application de la directive aux mécanismes

remplissant uniquement une fonction de garantie, à l’exclusion des mécanismes

pouvant avoir une autre raison d’être. En effet, la distinction entre les sûretés et les

garanties n’appartient pas au droit positif des différents Etats membres, et elle est

par trop controversée en doctrine1706 pour imaginer que le législateur communautaire

ait pu s’en emparer, par la seule utilisation du terme « sûreté ». En réalité, il

convient de ne pas attacher trop d’importance à l’emploi de ce vocable, car il résulte

avant tout d’un choix de traduction.

756. La définition communautaire du « contrat de sûreté ». Les éléments

constitutifs de la notion de « contrat de sûreté » méritent, au contraire, une attention

toute particulière. L’article 2 e) définit le « contrat de sûreté » comme étant « un

contrat accessoire, conclu par un garant et garantissant ou offrant une promesse de

garantir l’exécution de toute forme de crédit octroyé à des personnes physiques ou

morales ». Cette définition suscite plusieurs interrogations.

757. Les techniques de garantie réglementées. En premier lieu, la question

se pose de savoir si la proposition de directive s’applique à tous les contrats de

1704 Sur ce point, le texte communautaire pourrait être modifié, comme le réclame le notariat

(cf. infra n°918). 1705 Sur cet objectif de la proposition de directive, cf. infra n°771-774 1706 Sur les débats qu’occasionne la distinction entre les sûretés et les garanties dans la

doctrine française, cf. supra n°742

Page 432: L'efficacité des garanties personnelles

sûreté ou bien si elle comporte des exclusions implicites1707, tenant à la technique de

garantie mise en œuvre. Alors que l’expression « contrat de sûreté » est tout à fait

générale et que, dans l’examen du dispositif, il est précisé que « le « contrat de

sûreté » couvre toutes les sûretés, tant personnelles que réelles», une interprétation

plus restrictive s’impose.

En effet, au regard de la distinction qu’opère l’article 2 e) entre celui à qui le

crédit est octroyé et celui qui garantit ou promet de garantir ce crédit, il est permis

d’exclure les garanties fournies par le débiteur lui-même. En conséquence, le texte

communautaire n’a vocation à s’appliquer, ni aux sûretés réelles, qui se caractérisent

par une affectation préférentielle d’un bien du débiteur au créancier, ni aux garanties

par exclusion du concours, qui reposent, soit sur la réciprocité des droits et

obligations du créancier et du débiteur, soit sur le transfert de propriété d’un bien de

celui-ci au dispensateur de crédit.

En revanche, entrent dans le champ d’application de la proposition de directive

toutes les garanties fournies par un tiers au contrat de crédit. A la lecture de

l’examen du dispositif, il apparaît qu’il peut s’agir d’un contrat faisant naître à la

charge du tiers une obligation de garantir de nature personnelle, puisque le

cautionnement est cité. Mais il peut également s’agir d’un contrat par lequel un tiers

affecte l’un de ses biens, meuble ou immeuble, à l’exécution du contrat principal,

puisque sont aussi donnés en exemple le gage et l’hypothèque. La proposition de

directive s’applique donc aux garanties personnelles, ainsi qu’aux garanties mixtes,

souscrites par des tiers au contrat de base.

Un autre mécanisme entre encore dans le champ d’application du texte

communautaire. Il s’agit de la solidarité, citée dans l’examen du dispositif, au titre

des exemples de « contrat de sûreté ». Plutôt que de voir dans cette inclusion de la

solidarité une remise en cause de la règle selon laquelle la proposition de directive

ne s’applique qu’aux garanties fournies par des tiers au contrat de crédit, mieux vaut

considérer qu’elle conduit à conférer un sens original au terme « tiers ». Un tiers

serait ainsi toute personne qui ne contribue pas entièrement et définitivement à la

dette née du contrat de crédit. Cette définition large du tiers permet de faire entrer

dans le champ d’application de la proposition de directive, non seulement les

garanties personnelles et mixtes souscrites par des personnes n’ayant pas signé le

contrat de crédit, mais aussi les garanties personnelles dans lesquelles l’obligation de

garantir est à la charge du débiteur principal lui-même. La solidarité passive

traditionnelle, aussi bien que la solidarité mise à la charge d’un codébiteur non

intéressé à la dette (article 1216 du Code civil), peuvent ainsi recevoir la

qualification de « contrat de sûreté » et subir l’influence du droit communautaire.

758. L’interprétation de la notion de « promesse de garantir ». En

deuxième lieu, la question se pose de savoir en quoi consiste la « promesse de

garantir », que l’article 2 e) assimile à l’engagement de garantir lui-même. Deux

interprétations nous semblent devoir être écartées.

Tout d’abord, il paraît peu probable que la garantie de l’exécution renvoie à une

obligation de résultat et la « promesse de garantir » à une obligation de moyens. Il

1707 Alors que l’article 3.2. de la proposition de directive énumère les contrats de crédit exclus

de son champ d’application, aucune disposition ne dresse une liste des contrats de sûreté

n’entrant pas dans ce champ.

Page 433: L'efficacité des garanties personnelles

s’agirait, en effet, d’une façon particulièrement tortueuse d’exprimer que la

qualification de « contrat de sûreté » ne dépend pas du degré d’engagement du

garant.

Ensuite, même si la terminologie est proche, il convient de ne pas entendre

« promesse de garantir » par promesse de porte fort. Cette dernière expression est

effectivement propre au droit français. De plus, si la Commission européenne avait

entendu viser ce type de garantie indemnitaire, elle aurait plus probablement parlé

de « contrat de garantie », comme elle l’a fait dans sa proposition de 1979.

En réalité, c’est vers la promesse unilatérale de contrat qu’il convient de se

tourner pour interpréter la notion de « promesse de garantir ». Celle-ci serait ainsi la

convention par laquelle un individu, le promettant (futur garant), s’engage envers un

autre, qui l’accepte, le bénéficiaire, à conclure un contrat dont les conditions sont

dès à présent déterminées, si celui-ci le lui demande, dans un certain délai. Si le

bénéficiaire dispose d’une option qui lui laisse la liberté de donner ou non son

consentement au contrat définitif, le promettant est engagé, au contraire, dès la

promesse. Dans la mesure où cette dernière crée une véritable obligation à la charge

du promettant, l’assimilation qu’opère l’article 2 e) entre l’engagement de garantir

lui-même et « la promesse de garantir » prend tout son sens.

759. L’interprétation de la notion de « contrat accessoire ». En troisième et

dernier lieu, les difficultés d’interprétation se concentrent sur la définition du

« contrat de sûreté » en « un contrat accessoire ». Dès lors que le caractère

accessoire est susceptible de degrés, la question se pose de savoir si la proposition

de directive a vocation à régir tous les contrats de garantie présentant un caractère

accessoire essentiel ou seulement ceux présentant un caractère accessoire

renforcé1708.

760. Les arguments en faveur du caractère accessoire essentiel et les

conséquences de cette interprétation. En faveur de la première lecture, il peut être

avancé que l’article 2 e) définit l’objet du « contrat de sûreté », qui est une

caractéristique commune à l’ensemble des garanties personnelles, et non l’objet de

l’obligation de règlement du garant, qui en constitue une caractéristique distinctive.

En effet, il est précisé que le garant garantit ou offre de garantir l’exécution du

contrat de crédit, c'est-à-dire qu’il s’engage à ce que le créancier bénéficie du

paiement de la dette principale, et non qu’il exécute la dette même du débiteur

principal. En rappelant ainsi l’objet du « contrat de sûreté », la proposition de

directive met en avant l’affectation de ce dernier à l’extinction du contrat principal,

qui est un élément constitutif des notions d’accessoire de la créance et de caractère

accessoire essentiel1709. En ne précisant pas les rapports entre l’objet de l’obligation

de règlement du garant et l’objet de l’obligation du débiteur principal, le texte

communautaire semble ne pas attacher d’importance, au contraire, au caractère

accessoire renforcé ou indépendant du « contrat de sûreté ».

Si cette interprétation devait être adoptée, toutes les dispositions de la directive

relatives au « contrat de sûreté » devraient s’appliquer à l’ensemble des garanties

1708 Sur les degrés dans le lien d’accessoire à principal et la distinction que nous opérons entre

le caractère accessoire essentiel et le caractère accessoire renforcé, cf. supra n°271, 279, 302 1709 Cf. supra n°278

Page 434: L'efficacité des garanties personnelles

personnelles. La transposition de la directive bouleverserait alors en profondeur le

droit français, puisqu’elle conduirait à la « juridification » des actuelles garanties

personnelles innomées et à l’instauration d’un régime primaire pour toutes les

garanties personnelles conclues par des consommateurs.

761. Les arguments en faveur du caractère accessoire renforcé et les

conséquences de cette interprétation. Une autre interprétation de la notion de

« contrat accessoire » pourrait cependant prévaloir et produire de toutes autres

conséquences sur notre droit. Plusieurs arguments peuvent, en effet, étayer la thèse

selon laquelle l’article 2 e) ne vise que le caractère accessoire renforcé.

Tout d’abord, comme toutes les garanties personnelles présentent un caractère

accessoire essentiel, il peut sembler redondant de préciser que le « contrat de

sûreté » est un « contrat accessoire ». Cette indication n’aurait ainsi d’intérêt qu’en

entendant le caractère accessoire dans son sens strict.

Ensuite, il est probable que la Commission européenne se soit attachée au sens

le plus familier de la notion d’accessoire dans tous les Etats membres. Compte tenu

de l’ancienneté et de l’universalité de la technique du cautionnement, il n’est pas

déraisonnable de penser que le sens le plus partagé soit celui qui est retenu dans le

cadre de cette institution, c'est-à-dire le caractère accessoire renforcé.

L’inclusion dans le champ d’application de la proposition de directive des

seules garanties personnelles présentant ce lien de dépendance étroit par rapport au

contrat principal peut encore s’expliquer par le fait qu’il s’agit des contrats que

souscrivent le plus souvent les garants agissant dans un but non professionnel. Or, ce

sont justement ces « garants consommateurs » que le droit communautaire entend

protéger1710.

Enfin, c’est la lecture de l’examen du dispositif qui incite à appréhender la

notion d’accessoire dans un sens étroit. En effet, la Commission n’a donné comme

exemples de « contrat de sûreté » que des mécanismes dont le régime est

subordonné à celui du contrat principal (le cautionnement, la solidarité, le gage et

l’hypothèque).

Si, pour toutes ces raisons, il semble que la directive ne réglemente que les

garanties personnelles présentant un caractère accessoire renforcé, cela ne veut pas

dire qu’elle prohibe la conclusion de garanties personnelles indépendantes. Elle est

seulement muette à leur sujet. En conséquence, à l’occasion de la transposition du

texte communautaire, le législateur français sera face à une alternative. Il pourra,

soit se contenter de réformer quelques éléments du régime du cautionnement et de la

solidarité, soit profiter de la transposition de la directive pour fixer le sort des

garanties personnelles indépendantes. S’il choisit cette seconde option, il pourrait

décider, soit d’étendre le champ des règles de la directive aux garanties personnelles

indépendantes, dès lors qu’elles sont conclues par des «garants consommateurs»1711,

1710 Sur la notion de «garant consommateur», cf. infra n°764. Sur l’objectif de protection du

garant, cf. infra 771-774 1711 Serait ainsi mis en place un régime primaire des garanties personnelles conclues par un

«garant consommateur». L’interprétation large de la notion de « contrat accessoire »

conduisait également à cette solution. Quelle que soit l’interprétation de cette notion,

l’instauration d’un tel régime primaire semble ainsi tout à fait justifiée au nom de la mise en

conformité de notre droit avec les exigences communautaires.

Page 435: L'efficacité des garanties personnelles

soit d’interdire à ceux-ci la souscription de garanties personnelles ne présentant pas

un caractère accessoire renforcé.

762. La réforme de notre droit aura donc une plus ou moins grande ampleur

selon le sens qui sera donné à la notion de « contrat accessoire », mais aussi selon le

rôle que jouera l’objectif d’efficacité au moment de la transposition de la directive.

Nous analyserons plus loin l’impact du texte communautaire sur les objectifs que

devra poursuivre le législateur national1712. Pour l’heure, il convient de prolonger

l’étude du champ d’application de la proposition de directive en s’intéressant aux

contractants qu’elle désigne.

B/ QUANT AUX CONTRACTANTS

763. Au regard des articles 2 et 3 de la proposition de directive, ainsi que de

l’examen de son dispositif, il est permis de préciser quels sont les protagonistes de

l’opération de garantie auxquels s’intéresse aujourd'hui le droit communautaire.

764. Le garant. Le garant, tout d’abord, est défini comme étant « le

consommateur qui conclut un contrat de sûreté » (article 2 f) ). L’article 2 a) précise

que le consommateur est « toute personne physique qui, pour les transactions régies

par la présente directive, agit dans un but pouvant être considéré comme étranger à

son activité commerciale ou professionnelle ». Le champ d’application de la

proposition de directive, relativement au garant, repose ainsi sur deux critères

cumulatifs.

D’une part, le texte communautaire ne concerne que les garants personnes

physiques. Les garants personnes morales, qui sont déjà largement exclus du

dispositif protecteur de la caution mis en place par notre droit1713, ne profiteront

donc pas non plus des règles nouvelles édictées par la directive.

D’autre part, la proposition de directive s’attache au but que poursuit le garant

en s’engageant. Le droit communautaire se montre, à cet égard, plus sélectif que le

droit français, qui n’a jusqu’à présent jamais fait varier le régime du cautionnement

en fonction de la « cause » de l’obligation de couverture du garant1714. Au regard de

la typologie des « causes » de l’obligation de couverture que nous avons établie1715,

il apparaît que la proposition de directive s’intéresse aux garants affectivement

proches du débiteur principal. Elle les qualifie de « garants consommateurs », parce

qu’ils n’agissent pas pour des raisons et dans un but professionnels1716. En revanche,

1712 Cf. infra n°771-776 1713 Sur la distinction entre la caution personne physique et la caution personne morale en

droit positif, cf. supra n°614 1714 Sur l’inefficacité résultant du défaut d’assimilation de la cause de l’obligation de

couverture de la caution dans la législation actuelle, cf. supra n°611-614 1715 Cf. supra n°292-297 1716 Sur la comparaison entre les garants n’agissant pas dans un but professionnel et les

consommateurs, cf. supra n°295

Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a souligné que

l’assimilation des cautions à des consommateurs paraît pertinente compte tenu de la fréquente

méconnaissance de l’ampleur de ses engagements par la personne qui accepte de se porter

caution pour une autre.

Page 436: L'efficacité des garanties personnelles

elle ne s’applique pas aux « contrats de sûreté » conclus par des garants dont l’objet

de l’activité professionnelle est l’octroi de garanties, ou par des garants intégrés dans

les affaires du débiteur principal, ou encore par des garants qui sont dépendants

financièrement de celui-ci en raison du lien professionnel ou commercial qui les

unit.

La proposition de directive n’exclut pas expressément les « contrats de sûreté »

souscrits par des garants débiteurs du débiteur principal. Pourtant, il semblerait que

la Commission européenne ait seulement envisagé le sort des garants qui ne

s’engagent pas pour éteindre une dette préalable. En effet, dans l’examen du

dispositif, il est fait référence aux recours du garant contre le débiteur principal1717.

Or, ces recours sont paralysés lorsque le paiement fait par le garant entre les mains

du créancier emporte compensation entre la créance de remboursement dudit garant

et la dette dont il était redevable envers le débiteur. En outre, les risques financiers

dont la Commission entend préserver le «garant consommateur» n’existent que

lorsque celui-ci n’est pas déjà débiteur du débiteur principal.

Le texte communautaire devrait donc s’appliquer essentiellement aux « contrats

de sûreté » conclus par des garants personnes physiques affectivement proches du

débiteur principal et non tenus d’une dette envers de ce dernier.

765. Le créancier. S’agissant du créancier, aucune référence n’y est faite dans

la définition du « contrat de sûreté ». Pour autant, la qualité du bénéficiaire ne doit

pas demeurer sans conséquence sur la détermination du champ d’application de la

proposition de directive. En effet, comme la Commission européenne entend

protéger les «garants consommateurs» de risques financiers excessifs et que la

probabilité de tels risques augmente avec le déséquilibre économique entre les

parties, le texte communautaire devrait s’appliquer aux « contrats de sûreté »

unissant des «garants consommateurs» à des créanciers institutionnels ou à des

créanciers accordant du crédit dans le cadre de leur activité professionnelle. Il

semble, ainsi, que le crédit mentionné à l’article 2 e) soit celui défini par l’article 2

c), c'est-à-dire celui consenti par un « prêteur ». Or l’article 2 b) définit le « prêteur »

comme étant « toute personne physique ou morale qui consent ou s’engage à

consentir un crédit dans le cadre de l'exercice de ses activités commerciales ou

professionnelles ». Par conséquent, les « contrats de sûreté » conclus par des

créanciers non professionnels pourraient échapper aux règles nouvelles imposées par

le droit communautaire.

766. Le débiteur principal. Concernant, enfin, le débiteur principal, l’article

2 e) dispose qu’il peut être une personne physique ou une personne morale. Dans

l’examen du dispositif, il est en outre précisé qu’il peut avoir souscrit un crédit « à

des fins privées ou professionnelles », et qu’il peut donc s’agir tout aussi bien

d’ « un consommateur que d’un commerçant ». Sont ainsi indifférentes la qualité du

débiteur et les raisons pour lesquelles il conclut le contrat garanti.

767. La nature du contrat principal. Ce qui est déterminant, en revanche,

c’est la nature du contrat principal. Cette importance n’apparaît pas à la lecture de

l’article 2 e), puisqu’il y est indiqué que le « contrat de sûreté » peut couvrir « toute

1717 Article 10 de l’examen du dispositif.

Page 437: L'efficacité des garanties personnelles

forme de crédit ». Le « contrat de sûreté » peut donc s’adjoindre à un contrat

principal qui ne répondrait pas à la définition du « contrat de crédit » de l’article 2c)

1718.

C’est l’article 3.2. qui élève la nature du contrat de base au rang des critères

d’application de la proposition de directive. En effet, cette disposition énumère les

contrats de crédit soustraits à son application et précise que l’exclusion vaut « le cas

échéant, (pour) tout contrat de sûreté correspondant ».

Parmi les exclusions importantes, il convient de relever celle des « contrats de

crédit qui ont pour objet l’octroi d’un crédit pour l’acquisition ou la transformation

d’un bien immeuble dont le consommateur est propriétaire ou qu’il cherche à

acquérir » et celle des « contrats de location excluant le transfert de propriété au

locataire et à ses ayants droit »1719.

La proposition de directive ayant supprimé de nombreuses exclusions que

retenait la directive de 1986, elle va s’appliquer à de nouveaux contrats de crédit et,

par conséquent, à tous les contrats de sûreté y afférant. Entrent ainsi désormais dans

le champ d’application du droit communautaire les « contrats de sûreté »

couvrant les contrats de crédit, quel que soit leur montant, gratuit ou à taux réduit,

les contrats de location avec option d’achats de biens ou services, les crédits par acte

authentique, les avances en compte courant, les dépassements de ligne autorisés, non

autorisés ou tacites, et toutes les formes de crédit de courte durée entraînant des frais

ou intérêts pour le consommateur.

768. Conclusion de la Section 1. Traditionnellement absent en matière de

garanties personnelles, le droit communautaire s’intéresse aujourd'hui à tous « les

contrats de sûreté » conclus entre un «garant consommateur» et un créancier

professionnel, et couvrant la plupart des formes de crédit. Le champ d’application de

la proposition de directive du 11 septembre 2002 étant circonscrit, il convient

désormais d’envisager plus précisément les répercussions que ce texte

communautaire pourrait avoir en matière de garanties personnelles.

1718 Article 2 c) : « contrat de crédit » : un contrat en vertu duquel un prêteur consent ou

s'engage à consentir à un consommateur un crédit sous la forme d'un délai de paiement, d'un

prêt ou de toute autre facilité de paiement similaire. Les contrats conclus en vue de la

prestation continue de services (privés ou publics) aux termes desquels le consommateur a le

droit de régler le coût desdits services, aussi longtemps qu'ils sont fournis, par des paiements

échelonnés ne sont pas considérés comme des contrats de crédit aux fins de la présente

directive. 1719 D’autres exclusions auront moins de répercussions en matière de garanties personnelles,

car les contrats de crédit visés sont rarement couverts par des «garants consommateurs». Ces

exclusions concernent : « les contrats de crédit en vertu desquels le consommateur est tenu de

rembourser le crédit en une seule fois dans un délai ne dépassant pas trois mois, sans

rémunération en intérêts ni autres charges » ; « les contrats de crédit remplissant les

conditions suivantes : ils sont accordés à titre accessoire, c’est à dire en dehors de l’activité

commerciale ou professionnelle principale du prêteur, ils sont accordés à des taux annuels

effectifs globaux inférieurs à ceux pratiqués sur le marché, et ils ne sont pas proposés au

public en général » ; « les contrats de crédit conclus avec une entreprise d’investissement au

sens de l’article 1er, point 2), de la directive 93/22/CEE du Conseil, ayant pour objet de

permettre à un investisseur d'effectuer une transaction sur un ou plusieurs instruments

énumérés à la section B de l’annexe de ladite directive, lorsque l'entreprise qui octroie le

crédit intervient dans cette transaction ».

Page 438: L'efficacité des garanties personnelles

SECTION 2 : LES RÉPERCUSSIONS

DE LA FUTURE DIRECTIVE

EN MATIÈRE DE GARANTIES PERSONNELLES

769. La Commission européenne a souhaité limiter l’impact du droit

communautaire sur les contrats de crédit aux consommateurs et sur les « contrats de

sûreté » en ayant recours à une directive, plutôt qu’à un règlement, qui aurait été

directement applicable, sans transposition dans les droits nationaux1720. Les

répercussions de la future directive en matière de garanties personnelles n’en seront

pas moins très importantes. Le nouveau texte communautaire rendra en effet

inéluctables des modifications du droit positif et ce, dans les deux ans suivants

l’entrée en vigueur de la directive1721 (§1). Il aura également une influence sur les

contrats de garantie personnelle en cours puisque, si la survie de la loi ancienne fait

figure de principe, l’application immédiate des mesures nationales de transposition

est imposée à l’égard de quelques règles nouvelles (§2).

§1 : LES REPERCUSSIONS

SUR LE DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES EN VIGUEUR

770. L’objet de la proposition de directive : l’harmonisation. L’article 1er

de la proposition du 11 septembre 2002 énonce que « la présente directive a pour

objet d’harmoniser les dispositions législatives, réglementaires et administratives

des Etats membres en matière de contrats de crédit accordés à des consommateurs

ainsi qu’aux contrats de sûreté conclus par des consommateurs ». L’objet même de

la future directive implique des répercussions sur les objectifs de notre droit des

garanties personnelles. En effet, l’harmonisation constitue le mode de relation du

droit communautaire et du droit national selon lequel ce dernier continue d’exister

en tant que tel, mais se trouve privé de la possibilité de déterminer lui-même ses

finalités. Le droit national doit se modifier et évoluer en fonction d’exigences

1720 Article 2.3. de l’exposé des motifs de la proposition de directive : « le recours à une

législation uniforme prenant la forme d’un règlement, directement applicable sans

transposition dans le droit national des Etats membres a été étudié, sans être cependant

retenu. Une directive offrira aux Etats membres la possibilité de modifier la législation en

vigueur suite à la transposition de la directive 87/102/CEE dans la mesure nécessaire pour

s’y conformer. En élaborant sa proposition de directive, la Commission s’est efforcée

d’aboutir à un équilibre fondé sur une extension maximale du champ d’application de la

directive, couvrant toutes les formes de contrat de crédit et de sûreté, et sur la volonté de

limiter l’impact de pareille réforme sur les législations des Etats membres ». 1721 Article 35 de la proposition de directive.

Sur les différents modes d’intégration du droit communautaire dans le droit interne

(intégration sans transformation substantielle du droit interne, en raison de la « juxtaposition »

ou de la « fusion-absorption » du droit communautaire, ou intégration par transformation

imposée ou volontaire du droit interne), cf. N. SAUPHANOR, L’influence du droit de la

consommation sur le système juridique, LGDJ, 2000, préf. J. GHESTIN, n°536 à 563 ; J.-L.

BERGEL, A la recherche de méthodes d’intégration du droit communautaire, Rapport de

synthèse, in Méthodes d’intégration du droit communautaire au droit français, RRJ droit

prospectif 1991, vol. 4, p. 999 et s.

Page 439: L'efficacité des garanties personnelles

définies et rendues obligatoires par le droit communautaire1722. Deux questions se

posent alors. D’une part, l’efficacité des garanties personnelles fait-elle partie des

objectifs imposés par la proposition de directive (A) ? D’autre part, quelles seront

les conséquences de l’ « harmonisation maximale » sur le régime du « contrat de

sûreté » (B) ?

A/ LES REPERCUSSIONS

SUR LES OBJECTIFS DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES

771. L’objectif affiché par la Commission européenne réside dans la

protection du «garant consommateur». Pour autant, les intérêts des créanciers ne

sont pas sacrifiés. A l’occasion de la transposition de la directive, notre droit

pourrait ainsi être réformé dans le respect, non seulement de l’objectif imposé par le

droit communautaire, mais aussi de l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.

772. L’objectif communautaire de protection des «garants

consommateurs». Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne justifie

l’application de la future directive aux « contrats de sûreté » conclus par des

«garants consommateurs» en relevant qu’ « on ne peut priver ces personnes du

minimum d’information et d’une protection similaire à celle dont dispose le

consommateur/emprunteur ». Dans l’exposé des motifs, elle ajoute que « compte

tenu des risques encourus pour leurs intérêts économiques, la situation des

personnes physiques qui se portent garants nécessite des dispositions particulières

garantissant un niveau d’information et de protection comparable à celui prévu

pour le consommateur ».

773. La compatibilité entre l’objectif communautaire de protection des

«garants consommateurs» et l’objectif d’efficacité des garanties personnelles. Les impératifs sous-tendant cette volonté de protéger les intérêts des «garants

consommateurs» sont compatibles avec la poursuite de l’objectif d’efficacité des

garanties personnelles.

Tout d’abord, le « minimum d’information » dû au garant est imposé par

l’impératif d’éthique contractuelle dans sa dimension positive, c'est-à-dire par

l’exigence de solidarité entre les contractants, et non par le souci de protéger une

partie réputée faible. Or, si les contraintes imposées aux créanciers sur le fondement

des excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle sont incompatibles avec

l’objectif d’efficacité, celles reposant sur les véritables exigences de l’éthique

contractuelle peuvent être utiles à l’efficacité des garanties personnelles1723.

Ensuite, alors que les mesures curatives fondées sur l’impératif de justice

distributive peuvent bouleverser les attentes des créanciers1724, les mesures visant à

1722 Sur l’harmonisation, cf. J. BOULOUIS, Droit institutionnel de l’Union européenne,

Montchrestien, 6e éd., 1997, n°413 1723 Sur l’appréciation du fondement des contraintes imposées aux créanciers au regard de

l’objectif d’efficacité, cf. supra n°163-171. Sur les protections de la caution contribuant à

rendre le cautionnement efficace in abstracto, cf. supra n°407-433 Sur la politique légale et

jurisprudentielle de la caution rendant le cautionnement inefficace, cf. supra n°551-626 1724 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité des garanties personnelles et la justice

distributive au profit du garant, cf. supra n°138, 139

Page 440: L'efficacité des garanties personnelles

prévenir les « risques économiques » encourus par le garant sont susceptibles, au

contraire, d’éviter l’insolvabilité de celui-ci et donc l’inefficacité de la garantie

personnelle conclue.

Enfin, dans l’examen du dispositif et dans l’exposé des motifs, on ne décèle

aucune volonté de faire respecter l’impératif de justice corrective dans les rapports

entre le créancier et le garant. Le rééquilibrage est certes prôné à de nombreuses

reprises, mais uniquement à l’égard du contrat de crédit aux consommateurs1725.

Dans le « contrat de sûreté », en revanche, la Commission européenne n’impose pas

ce rééquilibrage, qui est parfaitement incompatible avec la poursuite de l’objectif

d’efficacité des garanties personnelles1726.

La volonté de protéger le «garant consommateur» ne repose donc que sur des

impératifs compatibles avec l’objectif de protection des intérêts des créanciers. Lors

de la transposition de la directive, cet objectif d’efficacité pourra donc être poursuivi

par les législateurs nationaux. Cela est d’autant plus vrai que les dispositions

relatives aux garanties personnelles prennent place dans un texte communautaire qui

s’attache au plus haut point aux intérêts des créanciers.

774. La protection des «garants consommateurs» n’est qu’un moyen pour

favoriser le marché commun. A l’occasion de la discussion de la proposition de

résolution du Sénat du 13 novembre 2002, un sénateur a remarqué que « la

philosophie générale de la proposition de directive est d’assurer la protection du

consommateur »1727. En réalité, cette protection n’est pas le but essentiel du texte

communautaire. L’« harmonisation maximale, assurant pour tous les

consommateurs de la Communauté un haut degré de protection de leurs intérêts et

un degré d’information identique »1728 n’est qu’un moyen pour favoriser le marché

commun et les échanges transfrontières. Avant tout, « l’objectif est de permettre la

création d’un marché plus transparent, plus efficace, et offrant un degré de

protection des consommateurs tel que la libre circulation des offres de crédits puisse

s'effectuer dans les meilleures conditions tant pour les offreurs que pour les

demandeurs »1729.

La base juridique de la proposition de directive du 11 septembre 2002 révèle

d’ailleurs parfaitement que l’objectif premier réside dans la satisfaction des besoins

du marché intérieur et non dans la protection des consommateurs. En effet, pour agir

1725 Dans l’article 2.1. de l’exposé des motifs, la Commission européenne déclare vouloir

« établir un partage plus équilibré des relations entre le consommateur et le professionnel »

et, notamment, « un partage plus équilibré de leurs responsabilités ». Dans la fiche d’impact,

l’un des objectifs mis en avant est pareillement « le rééquilibrage des droits et des

obligations, tant des consommateurs, que des dispensateurs de crédit ». 1726 Sur les rapports entre l’objectif d’efficacité et l’impératif de justice corrective, cf. supra

n°125-132 1727 A. de MONTESQUIOU, Communication du 12 novembre 2002 sur l’harmonisation des

dispositions en matière de crédit aux consommateurs. 1728 Exposé des motifs, point 5 1729 Article 2.1. de l’exposé des motifs.

Dans le même sens, cf. le communiqué de presse de la Commission européenne, dans la

perspective de la réunion du Conseil Compétitivité des 14 et 15 novembre 2003 : « recherche

d’une harmonisation maximale pour améliorer la qualité des prêts et favoriser la

concurrence tronsfrontalière ».

Page 441: L'efficacité des garanties personnelles

en faveur de ces derniers1730, la Communauté peut, selon l’article 153-3 du Traité,

soit prendre des mesures qui sont directement faites pour protéger les

consommateurs1731, soit prendre des mesures en application de l’article 95 pour

rapprocher les législations de façon à supprimer les entraves à la libre circulation.

Dans ce dernier cadre, la protection des consommateurs n’est que la conséquence de

la réalisation du marché intérieur. Comme l’article 95 du Traité a été retenu comme

base juridique de la proposition de directive, on voit à quel point celle-ci n’entend

pas faire primer les intérêts des consommateurs sur ceux des créanciers, mais

cherche plutôt à « créer les conditions permettant la réalisation d’un marché

intérieur fonctionnant à la fois au bénéfice des prêteurs et des consommateurs »1732.

775. La protection communautaire des intérêts des créanciers. Loin d’être

éludée, la protection des intérêts des créanciers est même recherchée à deux niveaux.

D’une part, la Commission européenne entend instaurer des mesures

protectrices des consommateurs qui soient en même temps profitables aux prêteurs.

Dans la fiche d’évaluation d’impact de la proposition, elle énumère ainsi les

avantages que ces derniers retireront des nouvelles contraintes qui leur sont

imposées1733.

D’autre part, elle défend la protection directe des intérêts des créanciers. Ainsi,

parmi les lignes directrices devant être suivies pour atteindre l’objectif de réalisation

du marché commun, on retrouve « la mise en place d’un cadre structuré

d’information du dispensateur de crédit, afin de lui permettre de mieux apprécier

ses risques » et « l’amélioration des modalités et pratiques de traitement des

incidents de paiement »1734.

1730 Selon l’article 153 Traité CE (ancien article 129 A), la protection des consommateurs est

un but en soi de la politique communautaire. 1731 Elle doit alors respecter le principe de subsidiarité de l’article 5. 1732 Article 2.1. de la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive. 1733 Article 2.3. de la fiche d’évaluation d’impact :

« Les prêteurs et intermédiaires de crédit devront adapter leur gestion du risque, y compris à

l’égard des contrats de sûreté. Ils devront faire face à une augmentation de leur

responsabilité suite (…) à l’obligation de prêt responsable. (…) Ceci constitue, cependant,

plutôt un changement d’approche qu’un coût quantifiable qui, d’ailleurs, sera compensé par

les opportunités croissantes de traiter avec des consommateurs plus confiants et dans une

concurrence plus loyale ».

« L’assainissement du marché (grâce à l’interdiction du démarchage actif et au contrôle de

l’utilisation des bases de données) est à l’avantage de toute la profession ».

« La création des bases centralisées de données, conformément à l’article 8, établira dans

certains Etats membres pour les prêteurs, et le cas échéant une obligation indirecte

d’alimenter la base et une obligation directe de consultation pour toute offre des contrats de

crédit. Cependant, l’absence de bases réglementées ne signifie pour autant pas l’absence des

frais pour évaluation de risque ; l’impact global sera donc neutre. D’ailleurs, on constate

d’ores et déjà, dans les pays où de telles obligations existent que les frais de consultation sont

marginaux (entre 0,02 € et 0,10€ par consultation) ».

« La gestion du contentieux par les prêteurs (…) devra être adaptée à l’égard des procédures

de mise en demeure, (…) de communication de l’impayé et d’exécution sur les garants.

L’introduction des règles communes constitue toutefois une large compensation de

l’augmentation marginale (éventuelle) des frais actuels ». 1734 Article 2.1 de l’exposé des motifs.

Page 442: L'efficacité des garanties personnelles

776. Non seulement parce que la protection des intérêts des créanciers est

considérée comme un moyen de favoriser le marché commun et la concurrence

transfrontalière, mais aussi parce que les impératifs sous-tendant l’objectif de

protection des «garants consommateurs» sont compatibles avec la recherche de

l’efficacité des garanties personnelles, le législateur français pourra donc, à

l’occasion de la transposition de la directive, protéger les intérêts des créanciers tout

en respectant les objectifs imposés par le droit communautaire.

L’influence de la future directive ne s’exercera pas uniquement sur les objectifs

de notre droit des garanties personnelles. Le droit communautaire aura également

des répercussions sur le contenu du droit en vigueur.

B/ LES REPERCUSSIONS

SUR LE CONTENU DU DROIT DES GARANTIES PERSONNELLES

777. Alors que la Commission européenne déclare que « l’harmonisation

visée pour ces contrats (de sûreté) portera principalement sur l’information à fournir

aux consommateurs qui concluent de tels contrats»1735, la proposition de directive

s’intéresse, en réalité, à bien d’autres éléments du régime des garanties personnelles.

Sans les étudier dès à présent dans le détail1736, nous allons énumérer les règles qui

concernent le « contrat de sûreté »1737 et nous interroger sur l’ampleur des

modifications qu’elles vont emporter en droit interne.

778. Les dispositions de la proposition de directive relatives au « contrat

de sûreté ». Le droit communautaire appréhende le « contrat de sûreté » à tous les

stades de son existence.

La période de formation fait l’objet d’une attention toute particulière. Des

dispositions ont ainsi pour objet l’interdiction du démarchage actif1738, l’information

réciproque des parties avant la conclusion du contrat1739, la collecte et le traitement

des données personnelles1740, les bases centralisées de données de type négatif et

positif1741, le prêt responsable1742, le formalisme informatif1743 et l’interdiction des

clauses abusives1744.

1735 Examen du dispositif relatif à l’article 1er. 1736 Chacune des règles de la proposition de directive sera analysée précisément lors de la

présentation du contenu de la réforme. 1737 Ces règles, ainsi que leurs aménagements postérieurs, figurent à l’adresse Internet

suivante : http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=176090 1738 Article 5 1739 Article 6.1 1740 Article 7 1741 Article 8 1742 Article 9 1743 Article 10.1 1744 L’article 15 ajoute à la liste des clauses abusives figurant dans la directive 93/13/CEE des

clauses pouvant figurer plus spécialement dans un contrat de crédit ou de sûreté. En réalité,

les stipulations énumérées ne concernent que le contrat de crédit et non le contrat de garantie

personnelle.

Page 443: L'efficacité des garanties personnelles

L’étendue du « contrat de sûreté » donne également lieu à des règles

importantes, aussi bien par rapport au montant1745, que par rapport à la durée de

l’engagement du garant1746.

Hormis une disposition relative à la cession des droits nés du « contrat de

sûreté »1747, tous les autres articles concernent la réalisation de la garantie et, plus

précisément, le moment des poursuites contre le garant1748, sa mise en demeure1749,

ses recours extrajudiciaires1750, les procédures de recouvrement1751, et l’interdiction

de l’utilisation de la lettre de change ou autres titres1752

779. Les exigences communautaires relatives aux sanctions. L’article 31 de

la proposition de directive précise qu’il appartiendra aux Etats membres de

déterminer les sanctions de ces différentes règles, en veillant à ce qu’elles soient

« effectives, proportionnées et dissuasives ».

L’exigence d’effectivité n’implique pas le prononcé systématique de sanctions,

mais seulement la mise en place de procédures de recours, judiciaires et

amiables1753.

S’agissant de la proportionnalité de la sanction aux violations commises, elle

suppose de prendre en compte le comportement de l’auteur du manquement,

éventuellement celui de la victime, et le préjudice résultant du non respect de la

règle. Cette exigence de proportionnalité pourrait conduire les Etats membres à

écarter les sanctions forfaitaires, comme la nullité et la déchéance, et à privilégier,

au contraire, la mise en jeu de la responsabilité.

Cependant, comme les sanctions doivent également présenter un caractère

dissuasif, celles de nature forfaitaire pourraient malgré tout être privilégiées.

D’ailleurs, le même article 31 propose de sanctionner les manquements aux

dispositions relatives au prêt responsable par une déchéance partielle, limitée aux

intérêts et frais.

Il appartiendra donc au législateur français de transposer les règles

communautaires inédites en les assortissant de sanctions qui respectent les exigences

de la directive, et de modifier, le cas échéant, les sanctions des règles déjà présentes

dans notre droit, si elles ne sont pas effectives, proportionnées et dissuasives.

780. Le caractère impératif des dispositions protectrices du «garant

consommateur». L’article 30.2 de la proposition de directive charge les Etats

membres d’une autre mission. Ils doivent « veiller à ce que les contrats de crédit et

de sûreté ne dérogent pas, au détriment du consommateur et du garant, aux

dispositions de droit national qui mettent en application la présente directive ou qui

lui correspondent ». Les dispositions de transposition ou les dispositions existantes,

1745 Articles 10.3 et 23.3 1746 Article 23.1 1747 Article 17 1748 Article 23.2 1749 Articles 24.1 et 24.2 a) 1750 Article 32 1751 Article 27 1752 Article 18 1753 La proposition de directive encourage le recours aux procédures amiables avant la mise en

œuvre des procédures de recouvrement (article 2.2. de l’exposé des motifs).

Page 444: L'efficacité des garanties personnelles

conservées ou modifiées conformément à la directive, doivent donc être impératives

dès lors qu’elles organisent la protection du garant.

L’article 30.4 ajoute que « le consommateur et le garant ne peuvent renoncer

aux droits qui leur sont conférés en vertu de la présente directive » et, dans l’examen

du dispositif, il est précisé que les renonciations ne peuvent avoir lieu « en aucun

cas ». L’interdiction porterait donc, non seulement sur les renonciations a priori

inscrites dans l’acte de garantie lui-même, mais aussi sur les renonciations à des

droits acquis. Alors que la proposition de directive instaure un ordre public de

protection, elle pourrait ainsi empêcher la confirmation des actes nuls ou toute autre

forme de régularisation.

Dans la mesure où les protections de la caution présentent déjà un caractère

impératif dans notre système légal et que nos juges refusent qu’elles ne soient

couvertes par ratification ou régularisation1754, les dispositions précitées du droit

communautaire ne vont pas profondément bouleverser le droit positif.

781. Le caractère impératif des dispositions communautaires. L’impact de

la future directive sur le contenu du droit des garanties personnelles en vigueur

pourrait surtout résulter du choix des institutions communautaires en faveur du

caractère impératif des dispositions de la directive. Ce choix apparaît à l’article 30.1,

qui dispose que « les Etats membres ne peuvent prévoir d’autres dispositions que

celles établies par la présente directive, sauf en ce qui concerne : a)

l’enregistrement des contrats de crédit et de sûreté prévu à l’article 8, paragraphe

4 ; b) les dispositions en matière de charge de la preuve visées à l’article 33 ».

L’une des causes ayant motivé l’adoption de la proposition de directive étant les

disparités entre les droits nationaux en matière de contrat de crédit1755, ce choix ne

surprend pas. S’il devait être maintenu jusqu’à l’adoption définitive de la

directive1756, il emporterait des répercussions majeures sur notre droit des garanties

personnelles.

1754 Cf. supra n°622-625 1755 Sur les motifs de la proposition de directive, cf. supra n°745, 751 1756 Le conditionnel est de mise car le choix en faveur de l’harmonisation totale est vivement

critiqué. Ainsi, EURO COOP, en octobre 2003, a montré que l’harmonisation totale peut être

dangereuse si elle ne repose pas sur des normes élevées de protection du consommateur. En

effet, dans cette hypothèse, les Etats membres désireux d’appliquer un niveau de protection

plus élevé que celui de la directive, ne seront pas autorisés à le faire. L’harmonisation totale

peut être également dangereuse en cas d’évolution des conditions économiques et sociales,

car elle empêche des adaptations législatives rapides, sauf à ce que la directive prévoit une

clause de révision. Enfin, il est reproché à l’harmonisation maximale de ne pas prendre en

compte les conditions des différents Etats membres et donc de risquer d’entraîner des lacunes

dans certaines régions.

Les critiques sont telles que le rapporteur au fond de la proposition devant le Parlement, J.

WURMELING, se montre aujourd'hui favorable au principe d’une harmonisation minimale.

Mais cette dernière solution ne fait pas non plus l’unanimité, puisque l’ASF s’est déjà élevée

contre le cumul de contraintes qui résulterait alors de la directive et des législations nationales

existantes.

Sur la question du degré de liberté d’action laissée aux Etats membres dans la transposition

des directives, cf. J.-P. PIZZIO, Le droit de la consommation à l’aube du XXIe siècle. Bilan et

perspectives, Liber amicorum J. Calais-Auloy, Etudes de droit de la consommation, Dalloz,

2004, p. 877 et s. ; S. ROBIN-OLIVIER et J.-S. BERGE, Droit de la consommation. La

Page 445: L'efficacité des garanties personnelles

Tout d’abord, l’harmonisation totale s’oppose à ce que les droits nationaux

soient moins ou plus protecteurs des «garants consommateurs» que le droit

communautaire. Dans la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive,

la Commission européenne remarque ainsi que « certaines règles d’information et

de protection des Etats membres seront jugées disproportionnées et trop

particulières et ne pourront pas être maintenues dans le cadre de l’harmonisation

proposée ». Une déréglementation de certains éléments du régime du cautionnement

pourrait ainsi avoir lieu à l’occasion de la transposition de la future directive.

Ensuite, l’harmonisation maximale implique, selon l’article 30.5, que les Etats

membres prennent les mesures nécessaires pour empêcher le contournement des

règles issues du droit communautaire par le biais du choix de la loi applicable au

contrat de crédit ou de sûreté.

Enfin, l’harmonisation totale s’oppose également au contournement résultant de

la conclusion de contrats dont le caractère ou le but permet d’éviter l’application de

la directive. L’article 30.3 dispose, en effet, que « les Etats membres veillent à ce

que les dispositions qu'ils adoptent pour la mise en application de la présente

directive ne puissent être contournées par des formes particulières données aux

contrats ».

782. L’impératif communautaire de lutte contre le contournement. Si la

proposition de directive ne donne des exemples de contournement qu’en matière de

contrat de crédit1757, elle semble également prohiber les contournements dans le

domaine du « contrat de sûreté », puisque les contrats sont visés de manière

générale, sans référence aux seules formes particulières données aux contrats de

crédit.

Par conséquent, le législateur français, pour se conformer à l’impératif

communautaire de lutte contre le contournement, devra faire cesser la logique de

substitution, qui caractérise aujourd'hui la matière des garanties personnelles et qui

grève l’efficacité de celles qui sont innomées. A cette fin, il devra supprimer les

vraies lacunes du droit à l’égard de toutes les garanties personnelles n’entrant pas

expressément dans le champ de la directive. Si l’on retient que celle-ci ne s’applique

qu’aux « contrats de sûreté » présentant un caractère accessoire renforcé1758, le

législateur français devra donc, soit interdire purement et simplement la conclusion

de garanties personnelles indépendantes par des «garants consommateurs», soit

difficile question de la marge de manœuvre conférée par le droit communautaire aux droits

nationaux dans la transposition des directives (Retour sur trois arrêts de la CJCE du 25 avril

2002), LPA 19 mai 2003, n°99, p. 9 et s. 1757 Article 30.3 de la proposition de directive. Dans l’examen du dispositif, la Commission

européenne précise qu’ « il importe d’éviter que les exclusions visées à l’article 3, notamment

celles qui portent sur le crédit au logement et le contrat de bail, soient tournées de sorte que

les opérations visées par la présente directive soient intégrées dans ces contrats. En d’autres

termes, si un consommateur demande un prélèvement de crédit en vertu de son crédit au

logement ou dispose dans le cadre de son contrat de bail, d’une option d’achat tacite et que

ce prélèvement doit lui permettre de financer l’achat d’une voiture, la directive s’appliquera.

Les Etats membres sont invités à éviter pareille distorsion ». 1758 Sur l’interprétation de la notion de « contrat accessoire » figurant à l’article 2 e) de la

proposition de directive, cf. supra n°760, 761

Page 446: L'efficacité des garanties personnelles

soumettre ces contrats aux mêmes règles que celles régissant les garanties

personnelles accessoires.

783. Les répercussions de la future directive sur le contenu de notre droit des

garanties personnelles seront donc de taille, puisque, non seulement le droit du

cautionnement devra être modifié pour intégrer les dispositions de la directive

intéressant le « contrat de sûreté », mais surtout les actuelles garanties personnelles

innomées vont devoir être réglementées pour respecter l’impératif de lutte contre le

contournement.

L’influence du droit communautaire ne va pas uniquement s’exercer sur les

objectifs et le contenu du droit des garanties personnelles en vigueur. Elle va

également concerner les contrats de garantie personnelle en cours.

§2 : LES REPERCUSSIONS

SUR LES CONTRATS DE GARANTIE PERSONNELLE EN COURS

784. L’article 34 de la proposition de directive instaure un régime transitoire

dans lequel la survie de la loi ancienne fait figure de principe. La Commission

européenne entend, de cette façon, ne pas bouleverser les contrats en cours,

particulièrement ceux de longue durée ou à durée indéterminée1759 (A). Cependant,

elle relève également, dans l’examen du dispositif, qu’ « une grande partie des

mesures peuvent et doivent s’appliquer aux contrats de crédit en cours, notamment

à l’égard de l’information à fournir au consommateur et au garant pendant

l’exécution et l’inexécution du contrat de crédit ou de sûreté ». Dans cette optique,

l’article 34 énumère les règles qui devront s’appliquer dès l’entrée en vigueur des

dispositions nationales de transposition. Dans les domaines où l’application

immédiate est retenue, les répercussions de la future directive sur les contrats de

garantie personnelle en cours seront inévitables (B).

A/ LE DOMAINE DE LA SURVIE DE LA LOI ANCIENNE

785. Le principe de survie de la loi ancienne. La survie de la loi ancienne

étant posée en principe par l’article 34 de la proposition de directive, toutes les

règles ne figurant pas expressément dans cette disposition, à titre d’exception,

doivent demeurer sans conséquence sur les « contrats de sûreté » en cours à la date

d’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition.

786. Les règles n’affectant pas les « contrats de sûreté » en cours. Sont

essentiellement concernées par le principe de survie de la loi ancienne les règles

relatives à la période de formation du contrat, qui ne doivent pas s’appliquer

immédiatement, sous peine de remettre en cause rétroactivement les garanties déjà

constituées. Ainsi, ne s’appliqueront qu’aux contrats conclus postérieurement à

l’entrée en vigueur des textes de transposition les règles suivantes : l’interdiction du

démarchage actif, les exigences relatives aux demandes d’information par le

créancier et aux réponses du garant, les règles organisant la collecte et le traitement

des données personnelles concernant le garant, l’obligation pour le bénéficiaire de

1759 Examen du dispositif relatif à l’article 34.

Page 447: L'efficacité des garanties personnelles

consulter une base de données de type négatif, les règles intéressant le support du

contrat et la remise d’un exemplaire du contrat principal au garant et aussi le

principe de « prêt responsable ».

La survie de la loi ancienne joue également à l’égard des règles relatives au

contenu du « contrat de sûreté ». Ces règles ont pour objet, d’une part, la mention du

maximum garanti et des procédures extrajudiciaires auxquelles le garant peut

recourir et, d’autre part, l’interdiction des clauses abusives1760. Si les contrats

conclus avant l’entrée en vigueur des dispositions de transposition ne seront pas

affectés par ces différentes règles, le seront, en revanche, ceux formés

postérieurement. Les créanciers devront ainsi adapter leur gestion informatique et

commerciale, ainsi que leurs modèles de contrat, en fonction des données nouvelles

à mentionner. La Commission européenne a pris soin de remarquer que, comme

« cette adaptation ponctuelle peut être planifiée et exécutée sur plusieurs années

(…), les inconvénients seront largement contrebalancés par les avantages» qu’en

retireront les créanciers1761.

Enfin, ne produiront aucun effet sur les contrats de garantie personnelle en

cours les dispositions régissant la cession des droits résultant de ces contrats, ainsi

que les dispositions prohibant l’utilisation de la lettre de change ou d’autres titres.

787. Les autres règles imposées par le droit communautaire vont, au contraire,

s’appliquer dès l’entrée en vigueur des dispositions nationales de transposition et

affecter, par conséquent, les « contrats de sûreté » en cours à cette date.

B/ LE DOMAINE DE L’APPLICATION IMMEDIATE

DES DISPOSITIONS NATIONALES DE TRANSPOSITION

L’article 34.1 de la proposition de directive déclare immédiatement applicables les

mesures nationales transposant les articles 9, 23.1, 23.2, 24, et 27 du texte

communautaire.

788. Le principe de prêt responsable. Tout d’abord, il est décidé que

« l’article 9 s’applique aux dits contrats (contrats de sûreté en cours) dans la mesure

où une augmentation du montant total du crédit ou du montant garanti aurait lieu

après l’entrée en vigueur des mesures nationales de transposition de la présente

directive ». Les obligations légales et jurisprudentielles imposant la tempérance aux

1760 Il convient de relever une certaine contradiction, au sein de la proposition de directive, au

sujet de l’interdiction des clauses abusives. En effet, l’article 15, qui dresse une liste des

clauses pouvant être considérées comme abusives, ne figure pas dans l’article 34 au titre des

dispositions devant donner lieu à une application immédiate. Cependant, ce même article 34

précise que les articles 30 à 35 sont d’application immédiate. Or, l’article 33 qualifie

d’abusive « toute clause contractuelle prévoyant que la charge de la preuve du respect par le

prêteur et, le cas échéant, de l’intermédiaire de crédit, de tout ou partie des obligations que

leur impose la présente directive incombe au consommateur ». L’application immédiate de la

disposition nationale transposant l’article 33 du texte communautaire pourrait ainsi conduire à

réputer non écrites des clauses relatives à la charge de la preuve, stipulées dans des contrats

de sûreté conclus avant l’entrée en vigueur de cette disposition de transposition. 1761 Article 3 de la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive.

Page 448: L'efficacité des garanties personnelles

créanciers étant déjà bien implantées dans notre système juridique1762, l’application

immédiate de l’article 9 ne devrait pas engendrer les inconvénients qu’y attache la

Commission européenne, à savoir que « les prêteurs et intermédiaires de crédit

devront adapter leur gestion du risque, y compris à l’égard des contrats de sûreté, (et

qu’) ils devront faire face à une augmentation de leur responsabilité suite (…) à

l’obligation de prêt responsable »1763.

789. La durée de l’engagement du garant. Compte tenu de la dernière

réforme du cautionnement, l’application immédiate des dispositions nationales

transposant l’article 23.1 ne devrait pas non plus emporter des bouleversements trop

conséquents sur les cautionnements en cours. En effet, l’article 23.1 impose que les

« contrats de sûreté » garantissant le remboursement d’un contrat de crédit à durée

indéterminée n’excèdent pas trois ans. Or, depuis la loi du 1er août 2003, les

cautionnements sous seing privé conclus entre un créancier professionnel et une

caution personne physique doivent comporter un terme, à peine de nullité1764. Ainsi,

l’obligation de remplacement des contrats ne respectant pas les exigences de l’article

23.1, qu’impose l’article 34.3, dans les deux ans de l’expiration de la période de

transposition1765, devrait rarement jouer en matière de cautionnement. Elle risque

d’affecter davantage les garanties personnelles qui sont aujourd'hui innomées et qui

devraient être réglementées à l’occasion de la transposition de la future directive1766.

L’application immédiate des dispositions nationales transposant l’article 23.1

emportera une autre conséquence. En effet, cet article précisant que le contrat de

sûreté « ne peut être renouvelé que moyennant l’accord exprès du garant au terme

de cette période (de trois ans) », seront inefficaces les tacites reconductions

intervenant après l’entrée en vigueur des mesures de transposition.

790. Les poursuites exercées contre le «garant consommateur».

L’application immédiate des dispositions nationales transposant les articles 23.2, 24

et 27 du texte communautaire aura une influence sur les poursuites exercées contre

les «garants consommateurs» après l’entrée en vigueur de ces dispositions. En effet,

à compter de cette date, les créanciers ne pourront agir contre leur garant « que si le

consommateur qui manque à son obligation de rembourser le crédit ne s'y est pas

conformé dans un délai de trois mois à partir de la mise en demeure » (article 23.2).

En outre, ils pourront se voir sanctionner s’ils « prennent des mesures

1762 Sur l’obligation de ne pas faire souscrire aux cautions des engagements disproportionnés

par rapport à leurs biens et revenus, cf. supra n°414, 466, 507, 520, 526, 545, 614, 619 1763 Article 3 de la fiche d’évaluation d’impact de la proposition de directive. La Commission

européenne tempère cependant ces inconvénients en relevant que « ceci constitue plutôt un

changement d’approche qu’un coût quantifiable qui, d’ailleurs, sera compensé par les

opportunités croissantes de traiter avec des consommateurs plus confiants et dans une

concurrence plus loyale ». 1764 Sur le nouvel article L. 341-2 du Code de la consommation, cf. supra n°408, 411, 507,

526, 528, 532, 545, 549, 604, 614, 618 1765 Si l’article 34.3 n’envisage que les contrats de sûreté à durée indéterminée, son esprit

incite à soumettre également à l’obligation de remplacement les contrats de sûreté dont la

durée est supérieure à 3 ans. 1766 Sur la réglementation des actuelles garanties personnelles innomées imposée par

l’impératif de lutte contre le contournement de l’article 30.3 de la proposition de directive, cf.

supra n°782

Page 449: L'efficacité des garanties personnelles

disproportionnées pour récupérer leurs créances », en cas d’inexécution du contrat

de sûreté (article 24.1. a)). Enfin, dans le cadre du recouvrement des créances

résultant de ce contrat, seront désormais interdites de nombreuses pratiques1767.

791. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 2. Si le principe de survie de

la loi ancienne et le domaine relativement restreint assigné à l’application immédiate

des dispositions nationales de transposition limitent l’influence qu’exercera la future

directive sur les « contrats de sûreté » en cours, les répercussions de cette directive

sur le droit des garanties personnelles en vigueur seront, en revanche, très profondes.

En effet, le droit communautaire obligera le législateur français à protéger, non

seulement les «garants consommateurs», sur le fondement des impératifs d’éthique

contractuelle et de justice distributive, mais aussi les intérêts des créanciers, afin de

favoriser la réalisation du marché intérieur et la concurrence transfrontalière. Par

ailleurs, la future directive rendra nécessaire une réforme de notre droit du

cautionnement, mais aussi une réforme de l’ensemble des garanties personnelles.

Que l’on considère la proposition de directive applicable à tous les « contrats de

sûreté » présentant un caractère accessoire essentiel, ou que l’on restreigne son

champ d’application aux garanties personnelles présentant un caractère accessoire

renforcé, tout en faisant respecter l’impératif de lutte contre le contournement, la

réglementation de l’ensemble des garanties personnelles paraît en effet imposée par

le droit communautaire.

792. Conclusion du Titre 1. La recherche de l’efficacité, d’une part, et la

future directive sur le crédit aux consommateurs, d’autre part, justifient toutes deux,

non seulement qu’une réforme de notre droit des garanties personnelles ait lieu, mais

aussi qu’il s’agisse d’une réforme en profondeur, respectueuse des attentes

objectives et subjectives des créanciers bénéficiaires.

Les justifications de la reconstruction du droit des garanties personnelles étant

réelles et concordantes, il convient désormais de s’intéresser à son contenu, c'est-à-

dire aux règles nouvelles auxquelles conduisent, tant les exigences communautaires,

que l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.

1767 Les pratiques interdites par l’article 27.2. sont les suivantes : l'écrit qui laisse croire à tort,

par sa présentation, qu'il s'agit d'un document émanant d'une autorité judiciaire ou de

médiation de dettes ; toute communication écrite comportant des informations erronées sur les

conséquences du défaut de paiement ; la reprise de bien non autorisée, sans procédure

judiciaire ou sans accord exprès visé à l’article 26 ; toute mention sur une enveloppe dont il

ressort que la correspondance concerne la récupération d'une créance ; l'encaissement de frais

non prévus par le contrat de crédit ou de sûreté ; toute démarche chez les voisins, la famille ou

l'employeur du consommateur ou du garant, notamment toute communication d'informations

ou toute demande d'informations au sujet de la solvabilité du consommateur ou du garant,

sans préjudice des actes accomplis dans le cadre des procédures légales de saisie telles

qu’établies par les Etats membres ; le harcèlement physique ou moral du consommateur ou du

garant ; le recouvrement d’une dette prescrite.

Page 450: L'efficacité des garanties personnelles
Page 451: L'efficacité des garanties personnelles

TITRE II

LE CONTENU DE LA RÉFORME

793. Une présentation non exhaustive du nouveau droit des garanties

personnelles. Le travail de politique législative, auquel il est nécessaire de se livrer

pour proposer le contenu d’une réforme1768, ne se traduira pas par un exposé

exhaustif du nouveau droit des garanties personnelles et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il n’est pas utile de développer à nouveau les règles grâce

auxquelles le droit positif favorise ou organise déjà l’efficacité des garanties

personnelles1769, dès lors que le droit communautaire n’impose aucune modification

à leur égard.

Ensuite, la problématique retenue implique de ne s’intéresser, ni aux règles

n’ayant aucune conséquence sur les intérêts des créanciers, ni aux règles protégeant

ces intérêts sans que l’existence ou la réalisation de la garantie personnelle ne soient

en cause. Alors que le nouveau droit des garanties personnelles devrait réglementer

les rapports entre les garants d’une même dette1770, les contregaranties ou encore les

garanties prises par le garant lui-même pour conforter son remboursement1771, seules

1768 Le travail de politique législative a pour objet d’« orienter les réformes, d’en fixer les

objectifs et d’en peser les moyens, dans le discernement de ce qui est souhaitable et de ce qui

est possible » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e éd., 2002,

V° Législatif, p. 515). En matière de politique législative, « la question fondamentale est de

savoir si et dans quelle mesure une réforme législative est nécessaire à propos d’une matière

déterminée » (R. HOUIN, De lege ferenda, Mélanges Roubier, 1961, t. 1, p. 275). La

politique législative correspond ainsi à la partie constructive de la critique législative,

puisqu’il s’agit de « proposer de lege ferenda les améliorations propres à remédier aux

défauts du droit positif » (Vocabulaire juridique, dirigé par G. CORNU, PUF, Quadrige, 3e

éd., 2002, V° Législatif, p. 515). 1769 Cf. supra n°315-404 ; 405-503 1770 Des réflexions devraient ainsi être menées sur les points suivants : la solidarité entre les

cogarants ; les recours entre cogarants (la règle de l’article 2033 du Code civil pourrait être

étendue au bénéfice de tous les garants ; les modalités du recours pourraient être précisées,

ainsi que ses causes d’extinction) ; l’incidence de l’extinction totale ou partielle d’un des

engagements sur les autres (sur cette question, cf. M. MIGNOT, th préc., n°601, 920, 921,

925, 957, 966, 985 à 987, 990) ; l’incidence du dol de l’un des garants à l’égard d’un autre. 1771 B. SAINTOURENS (Certificateurs de caution et sous-cautions : les oubliés des réformes

du droit du cautionnement, Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 397 et s.) a mis en avant,

d’une part, les dispositions protectrices de la caution dont le champ d’application couvre

implicitement les certificateurs de caution et les sous-cautions et, d’autre part, les règles qui

Page 452: L'efficacité des garanties personnelles

les règles relatives au contrat de garantie lui-même et aux relations entre le garant et

le débiteur principal seront ici envisagées.

Enfin, même si ponctuellement il sera précisé de quelle manière les nouveaux

textes devront être rédigés pour être compréhensibles, clairs et cohérents, les

différentes règles proposées ne seront pas formulées sous forme d’articles de loi.

Sans prétendre à l’exhaustivité, nous allons donc mettre en lumière des règles

nécessaires, non seulement au respect des exigences communautaires relatives au

« contrat de sûreté », mais aussi à la suppression des vraies et fausses lacunes du

droit des garanties personnelles en vigueur.

794. Une présentation originale du nouveau droit des garanties

personnelles. Dans le Code civil, ainsi que dans les ouvrages généraux consacrés au

droit des sûretés, le régime du cautionnement et celui des garanties personnelles

innomées sont essentiellement présentés de façon chronologique. Sont envisagés

successivement la formation du contrat de garantie (conditions de validité et de

preuve), l’étendue de l’engagement du garant, les effets de la garantie et enfin sa

réalisation (les poursuites exercées contre le garant ; l’exécution de celui-ci et ses

recours contre le débiteur principal ; l’inexécution du garant en raison, notamment,

de l’extinction par voie principale ou accessoire de son engagement).

Afin de mettre en valeur la structure de la réforme à laquelle conduit la

recherche de l’efficacité des garanties personnelles et que la proposition de directive

du 11 septembre 2002 autorise, il est nécessaire de délaisser cette présentation

traditionnelle et d’exposer le nouveau droit des garanties personnelles en

développant d’abord le régime primaire (Chapitre 1), puis les règles spéciales

(Chapitre 2).

devraient être adaptées aux spécificités de ces deux types de cautions. Cet auteur n’a

cependant pas défendu l’instauration d’un régime propre à la certification de caution et au

sous-cautionnement. Au contraire, il s’interroge sur le point de savoir « si le problème ici

examiné doit inciter le législateur à accentuer la précision des textes pour couvrir des

hypothèses certes statistiquement marginales mais néanmoins tout aussi dignes d’intérêt ou

si, au contraire, il ne s’agit pas d’une plaidoirie pour des dispositions les plus générales

possibles qui laissent à l’interprète (au juge) un rôle actif ».

Page 453: L'efficacité des garanties personnelles

CHAPITRE I

LE RÉGIME PRIMAIRE

795. La proposition de directive sur le crédit aux consommateurs impose aux

Etats membres de veiller à ce que les dispositions de transposition « ne puissent être

contournées par des formes particulières données aux contrats » (article 30.3). Afin

de respecter cet impératif de lutte contre le contournement, le législateur français

pourra, soit interdire le recours aux garanties personnelles non régies par le droit

communautaire, soit soumettre l’ensemble des garanties personnelles à des règles

communes impératives1772. Si l’objectif d’efficacité devait dicter la réforme du droit

des garanties personnelles, la seconde voie devrait être adoptée. L’instauration d’un

régime primaire constitue, en effet, un facteur de réalisation des attentes objectives

et subjectives des créanciers, alors que l’interdiction générale de certains

mécanismes risque de compromettre l’efficacité in concreto des contrats conclus1773.

Le régime primaire des garanties personnelles, qu’autorise ainsi le droit

communautaire et que commande l’objectif d’efficacité, devrait figurer dans le Code

civil et présenter un caractère impératif1774.

Dans la mesure où un tel régime doit reposer sur les caractéristiques communes

à l’ensemble des garanties personnelles et que, parmi ces caractéristiques, certaines

leur sont propres et d’autres sont partagées par des mécanismes de garantie

distincts1775, il convient de distinguer, au sein de ce régime primaire, les règles

applicables aux seules garanties personnelles (Section 1) des règles qui pourraient

concerner d’autres garanties (Section 2).

1772 Sur le champ d’application de la proposition de directive du 11 septembre 2002, cf. supra

n°752-767 et sur les répercussions de l’impératif de lutte contre le contournement, cf. supra

782 1773 Sur la structure de la réforme que commande la recherche de l’efficacité des garanties

personnelles, cf. supra n°725-735 1774 Sur le modèle de l’article 226 du Code civil relatif au régime primaire matrimonial, une

disposition pourrait éviter toute hésitation sur la portée des règles composant le régime

primaire des garanties personnelles en indiquant que les dispositions de la présente section, en

tous les points où elles ne réservent pas l’application des stipulations contractuelles, sont

applicables, par le seul effet de la conclusion de la garantie personnelle, quels que soient la

qualité du garant, la cause de son obligation de couverture, et l’objet de son obligation de

règlement. 1775 Cf. supra n°244-247 ; 261-279

Page 454: L'efficacité des garanties personnelles

SECTION 1 : LES RÈGLES APPLICABLES

AUX SEULES GARANTIES PERSONNELLES

796. Définition terminologique des garanties personnelles. Avant

d’énoncer les règles impératives applicables à toutes les garanties personnelles et

seulement à celles-ci, le Code civil devrait fournir une définition terminologique de

ces mécanismes1776, reposant sur les caractéristiques qu’elles ont toutes en commun

et qui les distinguent d’autres formes de garantie. Ainsi, les garanties personnelles

devraient être définies au regard des techniques de garantie sur lesquelles elles

reposent, c'est-à-dire l’obligation de garantir adjointe à l’obligation principale et le

caractère accessoire essentiel.

797. Fondements des règles applicables aux seules garanties personnelles.

Ces caractéristiques communes doivent, non seulement être rappelées dans la

définition légale, mais elles doivent surtout fonder les règles composant le régime

primaire des garanties personnelles pour que l’attente objective des créanciers se

réalise1777. Un certain nombre de règles se rapportant à l’obligation de garantir

pourraient ainsi rendre l’efficacité des garanties personnelles plus sûre qu’elle ne

l’est aujourd'hui (§1). Pour favoriser l’apparition de facteurs d’efficacité et pour

faire respecter les nouvelles exigences communautaires, le régime primaire devrait,

par ailleurs, comporter des règles fondées sur l’impératif d’éthique contractuelle

(§2).

§1 : LES REGLES RELATIVES A L’OBLIGATION DE GARANTIR

798. L’obligation de garantir se caractérise, outre par son adjonction à

l’obligation principale, par sa structure duale. Elle est en effet formée de deux

obligations distinctes, mais parfaitement complémentaires. L’obligation de

couverture permet de déterminer l’étendue de la dette du garant. En tant que

« service » ayant pour objet d’assurer l’aléa du non paiement, elle constitue aussi la

technique utilisée pour que la garantie personnelle, quelle qu’elle soit, puisse

protéger les intérêts financiers du créancier avant même la défaillance du débiteur

principal. L’obligation de règlement, quant à elle, a pour objet le paiement du

créancier, lorsque cette défaillance survient. Il s’agit de la technique utilisée pour

que la mise en œuvre de la garantie personnelle puisse conduire à l’extinction de la

dette principale, satisfactoire pour le bénéficiaire.

Comme ces deux obligations participent à la réalisation de l’attente objective

des créanciers, le régime primaire devrait comporter des règles se rapportant, aussi

bien à l’obligation de couverture (A), qu’à l’obligation de règlement (B).

1776 Sur les avantages, en termes d’efficacité, des définitions légales et, plus précisément, des

définitions terminologiques, cf. supra n°730 1777 Sur l’assimilation des caractéristiques des garanties personnelles comme condition de

l’adéquation entre le contenu du droit et l’objectif d’efficacité, cf. supra n°237 et s.

Page 455: L'efficacité des garanties personnelles

A/ LES REGLES RELATIVES A L’OBLIGATION DE COUVERTURE

799. L’obligation de couverture existe avant même la défaillance du débiteur

principal, puisqu’elle est certaine dès la conclusion du contrat de garantie. A

compter de cette date, elle engendre des obligations à la charge du garant et confère

corrélativement des droits au créancier. Le législateur devrait préciser la nature de

ces droits et obligations résultant de l’existence même de l’obligation de couverture

(1). L’extinction de cette obligation compromettant partiellement, voire totalement,

la réalisation de l’attente objective des créanciers, le législateur devrait également

intégrer dans le régime primaire des garanties personnelles des règles définissant les

causes d’extinction de l’obligation de couverture (2).

1. L’existence de l’obligation de couverture

800. La conclusion de toute garantie personnelle donne naissance à une

obligation de couverture à la charge du garant, qui confère des droits au créancier

bénéficiaire, et qu’ont également intérêt à connaître tous les créanciers dispensateurs

de crédit. Le régime primaire des garanties personnelles devrait traduire ces

spécificités de l’obligation de couverture en comportant des règles intéressant, d’une

part, la préservation de la solvabilité du garant, avant la naissance de l’obligation de

règlement (a) et, d’autre part, la publicité des garanties personnelles (b).

a. La préservation de la solvabilité du garant avant l’appel de la garantie

801. Les protections du droit de gage général non spécifiques à la matière

des garanties personnelles. Par application du droit commun, les créanciers

bénéficiaires d’une garantie personnelle peuvent protéger leur droit de gage général

contre le garant, avant d’avoir à l’exercer à la suite de la défaillance du débiteur

principal. Sur le fondement de la liberté contractuelle, ils peuvent ainsi faire

souscrire au garant des sûretés négatives1778. Conformément à la loi du 9 juillet 1991

relative aux procédures d’exécution, ils peuvent prendre des mesures conservatoires

sur le patrimoine du garant1779. Dans le respect des conditions posées par l’article

1167 du Code civil, ils peuvent encore exercer une action paulienne1780.

Corrélativement, le garant étant engagé dès la conclusion du contrat de garantie, il

peut se voir sanctionner s’il organise frauduleusement son insolvabilité, par

application, soit de l’article 314-7 du Code pénal, soit de l’article L. 333-2 du Code

de la consommation.

Dans la mesure où ces droits et obligations sont reconnus par le droit commun

et que la matière des garanties personnelles n’exige pas d’y apporter des

aménagements, il n’est pas utile que le régime primaire des garanties personnelles

rappelle ces différentes règles relatives à l’existence de l’obligation de couverture.

802. Le remplacement du garant insolvable. Une règle pourrait, au

contraire, faire l’objet d’une disposition spéciale dans ce régime primaire. Il s’agit

du remplacement du garant insolvable. Que l’insolvabilité survienne 1778 Sur la validité, de lege lata, des clauses favorisant la solvabilité de la caution, cf. supra

n°348-351 1779 Sur les mesures conservatoires prises à l’encontre des cautions, cf. supra n°436 1780 Sur la jurisprudence relative aux actions pauliennes exercées à l’encontre des cautions, cf.

supra n°436

Page 456: L'efficacité des garanties personnelles

postérieurement à la constitution de la garantie personnelle, ou qu’elle existe dès

cette époque, mais en étant ignorée du créancier, elle pourrait autoriser le créancier à

exiger du débiteur principal qu’il lui fournisse un autre garant, sous peine de

déchéance du terme stipulé pour le remboursement de sa dette. Il s’agirait ainsi

d’étendre le champ d’application de l’actuel article 2020 du Code civil à l’ensemble

des garanties personnelles.

803. Si l’obligation de couverture confère donc des droits au créancier

bénéficiaire, son existence intéresse, plus largement, tous les créanciers qui

envisagent d’accorder du crédit ou de demander une garantie au garant, puisqu’au

regard de l’obligation de couverture, il est possible de déterminer dans quelle

mesure et dans quel délai le patrimoine du garant risque d’être amputé. De là naît

l’idée de porter à la connaissance des futurs créanciers l’existence de l’obligation de

couverture, autrement dit de rendre obligatoire la publicité des garanties

personnelles.

b. La publicité des garanties personnelles

804. La publicité : un facteur d’efficacité des garanties personnelles. En

permettant une appréciation très précise de la situation financière et des facultés de

remboursement du garant pressenti1781, la publicité des garanties personnelles

pourrait éviter que le créancier ne contracte avec une personne insusceptible

d’honorer son obligation de règlement1782. La publicité pourrait ainsi empêcher

qu’un cumul d’engagements à la charge d’un même garant ne se traduise, au

détriment du créancier, par une inexécution, et donc par l’inefficacité de la garantie

personnelle conclue.

La publicité pourrait faciliter, par ailleurs, l’exécution du devoir de tempérance

et limiter, ce faisant, les contestations des garants relatives à la disproportion de leur

engagement au regard de leur situation financière1783.

Ces avantages de la publicité, au regard de l’objectif d’efficacité des garanties

personnelles, compensent les inconvénients qu’elle est susceptible d’engendrer. En

effet, la diminution des risques d’inexécution totale ou de contestation du garant

1781 Des auteurs ont tempéré cet avantage de la publicité en relevant, d’une part, que « la

caution peut vider (son patrimoine) en toute légalité, ou le diviser par la création de

sociétés » et, d’autre part, que « la publicité n’offrirait pas une image fidèle de la situation

d’endettement de la caution. La dette publiée n’est pas sa dette ; elle n’y contribue pas et peut

en être totalement remboursée, spécialement si elle a obtenu des contre-garanties » (M.

CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114). Le premier inconvénient ne paraît pas dirimant,

puisque d’autres mécanismes ont pour fonction de préserver la solvabilité du garant avant

l’appel de la garantie. Le second n’en est pas un aux yeux des créanciers, puisque

l’inefficacité peut résulter d’une mauvaise appréciation des dettes du garant, et non d’une

mauvaise appréciation de son crédit. 1782 En ce sens, cf. J.-L. VALLENS, Publicité et information en matière de sûretés, LPA 20

septembre 2000, p. 11 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114 ; D. LEGEAIS, n°28 1783 D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT (Prévention et fichier relatif à l’endettement, LPA

10 avril 2003, n°72, p. 32) remarquent, dans le même sens, que « l’instauration d’un fichier

positif serait de nature à faire échec à l’invocation des vices du consentement et surtout de la

violence par exploitation abusive de la contrainte économique, mais aussi à l’invocation du

manquement à l’obligation de conseil ».

Page 457: L'efficacité des garanties personnelles

rend tout à fait acceptables la rigidité accrue des garanties personnelles1784, ainsi que

la faible augmentation de leur coût1785. Comme le rapport coût / avantages de la

publicité est donc positif pour les créanciers, ces derniers devraient s’y plier

aisément et ne pas supporter, ce faisant, le risque de remise en cause de la garantie

lié au non respect de ce formalisme1786.

805. Les avantages de la publicité pour le garant. Avantageuse pour les

créanciers, la publicité des garanties personnelles l’est aussi pour les garants. Elle

peut en effet éviter un cumul d’engagements et, par conséquent, un endettement

excessif du garant, quelle que soit sa qualité1787. Dans la mesure où la publicité peut

être organisée de manière à ne pas attenter à la vie privée des garants personnes

physiques1788, elle devrait donc être organisée, non seulement dans l’optique de

satisfaire les attentes des créanciers, mais aussi pour empêcher l’exclusion des

garants1789.

806. Le domaine d’application de la publicité. Si, pour toutes les raisons

invoquées, la publicité du cautionnement a déjà été proposée1790, celle de l’ensemble 1784 Sur cet inconvénient de la publicité des garanties personnelles, cf. B. de

GRANVILLIERS, La transmission des sûretés par la règle de l’accessoire, th. Paris I, 2000,

sous la direction de C. LUCAS de LEYSSAC, n°810 : « ce serait trop lourd dans un monde

économique où tout doit aller vite » ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114 : cette rigidité

ôterait aux garanties personnelles « les avantages de simplicité et de souplesse ». 1785 M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°114 1786 M. CABRILLAC et Ch. MOULY (n°114) ont remarqué que la publicité des sûretés

personnelles développe leur fragilité, « car le souhait d’assurer le respect de la publicité

conduit à la sanctionner d’une inopposabilité ou d’une nullité ». 1787 Sur la lutte contre l’endettement excessif grâce à l’instauration de fichiers permettant de

connaître la situation d’endettement des particuliers, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT,

art. préc., p. 30 1788 L’atteinte à la vie privée des garants personnes physiques est souvent présentée comme un

obstacle à la mise en place de la publicité des garanties personnelles (en ce sens, cf. B. de

GRANVILLIERS, th. préc., n°810 : « la publication des cautionnements impliquerait une

surveillance du patrimoine de la caution, ce qui serait ressenti comme une véritable atteinte à

la vie privée »). Ainsi, dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a

demandé au Gouvernement que soit supprimée l’incitation à la constitution de fichiers de type

positif, que comporte la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs, en raison

notamment des « interrogations au regard des libertés publiques » que génèrent de tels

fichiers.

Cette critique mérite d’être tempérée, car des fichiers de type positif, assurant la publicité des

garanties personnelles, peuvent être instaurés dans le respect des droits fondamentaux des

garants (cf. infra n°882). 1789 Dans le même sens, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 30 : « il

apparaît de plus en plus évident que la protection bien comprise non seulement du

consommateur, mais des établissements de crédit eux-mêmes, passe par l’instauration de

fichiers » positifs d’endettement. 1790 Au congrès international de la conférence générale des tribunaux de commerce du 6

novembre 1987 (Le juge consulaire face au cautionnement personnel, Gaz. Pal. 10-12 janvier

1988), il a été proposé d’établir une publication des cautionnements, par l’inscription aux

greffes des tribunaux de commerce et par la constitution d’un « fichier national informatisé du

cautionnement ». La publicité des cautionnements a également été défendue aux 82ème et

91ème congrès des notaires de France.

Page 458: L'efficacité des garanties personnelles

des garanties personnelles n’a pas encore fait l’objet d’un tel soutien. Elle mériterait

pourtant de figurer parmi les règles nouvelles du régime primaire des garanties

personnelles.

En effet, quels que soient la qualité des parties, la nature du contrat principal, la

« cause » de l’obligation de couverture du garant et l’objet de son obligation de

règlement, l’exécution de cette dernière obligation risque d’affecter plus ou moins

profondément et durablement le patrimoine du garant. Tous les créanciers

envisageant d’accorder du crédit ou de demander une garantie à celui-ci ont intérêt

de connaître ce risque avant même qu’il ne se réalise, c'est-à-dire dès la naissance de

l’obligation de couverture.

Corrélativement, il est de l’intérêt de la majorité des garants, quelles que soient

les caractéristiques de leur engagement, d’éviter que la multiplication de ce type de

risque ne les conduise à un endettement excessif. Seuls les contrats souscrits par les

garants dont l’activité professionnelle a pour objet l’octroi de garanties devraient

être exclus de la publicité des garanties personnelles, puisque les intérêts qui s’y

attachent normalement font défaut dans ce cadre.

Par conséquent, le régime primaire pourrait prévoir que toutes les garanties

personnelles doivent faire l’objet d’une mesure de publicité, sauf lorsqu’elles sont

souscrites par un garant professionnel.

807. Un fichier unique. Plutôt que de maintenir la publicité des

« cautionnements, avals et garanties » donnés par les sociétés commerciales, sous la

forme de l’annexe au bilan (article L. 232-1 du Code de commerce), et de créer

parallèlement un système de publicité pour les garants personnes physiques et pour

les autres garants personnes morales, il paraît plus simple de centraliser la publicité

de toutes les garanties personnelles dans un même fichier, en adaptant seulement les

mentions devant y figurer en fonction des spécificités du contrat à enregistrer.

808. Un fichier d’endettement de type positif. L’instauration de la publicité

des garanties personnelles pourrait alors se traduire par la création d’une base de

données de type positif1791. Si le droit français connaît déjà des fichiers de type

négatif, dans lesquels sont consignés des incidents de paiement1792, il ignore encore

les fichiers d’endettement de type positif.

A l’occasion de la transposition de la future directive sur le crédit aux

consommateurs, de tels fichiers pourraient être institués. En effet, dans sa

proposition de directive du 11 septembre 2002, la Commission européenne incite les

Etats membres, qui ne le feraient pas déjà1793, à « inclure l’enregistrement des

1791 « Ce qu’on appelle un fichier positif, c’est une centrale réunissant des informations sur

l’ensemble des crédits souscrits par une personne. Une telle centrale est gérée par

informatique et intègre les informations que procurent les établissements financiers sur les

contrats qu’ils ont fait souscrire. (…) Le fichier positif recense les encours de tous les

détenteurs d’un crédit à la consommation (l’addition de leurs dettes), mais ne donne pas

d’informations qualitatives sur les incidents de paiement » (M.-C. BARRET-BARNAY, Les

différents systèmes d’enregistrement des crédits dans les Etats membres de l’Union

européenne, D. 2003, chron., p. 1082 et s.). 1792 Sur les fichiers de type négatif, cf. infra n°828-832 1793 Des fichiers d’endettement de type positif existent déjà dans plusieurs Etats membres.

Ainsi, en Allemagne, un fichier positif a été créé dès 1920. Tous les crédits y figurent, ainsi

Page 459: L'efficacité des garanties personnelles

contrats de crédit et de sûreté » dans « la base centralisée de données ayant pour

but l’enregistrement des consommateurs et des garants qui ont encouru un incident

de paiement »1794. Si la mise en place d’une base de données de type positif n’est pas

rendue obligatoire par le droit communautaire1795, la Commission la défend

vivement en soulignant les principaux avantages de la publicité1796.

Pour concrétiser ces avantages, mais aussi pour éviter que les établissements de

crédit français ne soient marginalisés si le fichier positif n’est pas instauré en France

et ne soient, à l’inverse, de véritables aubaines pour des débiteurs trop endettés1797,

le législateur français devrait donc constituer des bases de données intégrant toutes

les garanties personnelles non souscrites par des garants professionnels. Le texte

que les coordonnées des comptes bancaires. L’inscription des particuliers exige leur

autorisation. Aux Pays-Bas, un fichier positif, fondé en 1965 par des établissements

financiers, doit obligatoirement être consulté avant l’octroi de crédit. En Angleterre et au Pays

de Galles, par application de l’Insolvency Act de 1985, des fichiers négatifs et positifs

coexistent et permettent de connaître, non seulement l’ensemble des charges pesant sur une

personne déterminée, mais aussi sa diligence à exécuter le paiement de ses dettes. En

Belgique, un fichier tenu par la Banque nationale doit être obligatoirement renseigné et ne

peut être utilisé que dans le cadre de « l’octroi, la gestion ou l’exécution des contrats de crédit

ou du règlement collectif des dettes » (article 19 de loi n°98-1998 du 5 juillet 1998 relative au

règlement collectif de dettes et à la possibilité de vente de gré à gré des biens immeubles

saisis).

Pour un récapitulatif des systèmes d’enregistrement de crédits en Europe, cf. M.-C.

BARRET-BARNAY, art. préc., p. 1087

Des fichiers d’endettement de type positif sont encore présents aux Etats-Unis. En effet, les

« credit offices » gèrent des fichiers recensant des renseignements, fournis aux banques et aux

sociétés de crédit, permettant un diagnostic rapide de la capacité d’endettement d’un

particulier. 1794 Articles 8.4 et 8.1 alinéa 1er 1795 L’article 30.1 de la proposition de directive précise que ses dispositions sont impératives

pour les Etats membres (sur ce caractère impératif, cf. supra n°770), « sauf en ce qui

concerne l’enregistrement des contrats de crédit et de sûreté prévu par l’article 8,

paragraphe 4 ».

Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a remarqué qu’il n’est pas

pertinent d’introduire ainsi la possibilité de situations différentes dans les Etats membres alors

que la directive se donne pour objet une harmonisation maximale. En conséquence, la

Chambre Haute a demandé au Gouvernement de supprimer l’incitation à la constitution de

fichiers de type positif. 1796 Au titre des avantages pour les consommateurs et les garants, la Commission relève, dans

l’examen du dispositif, que « les règles en matière de consultation des bases centralisées de

données diminueront le risque que les consommateurs soient victimes d’engagements

déséquilibrés auxquels ils ne peuvent plus faire face, avec pour conséquence leur exclusion

économique et des interventions sociales coûteuses pour les Etats membres ».

S’agissant de la protection des intérêts des créanciers, elle apparaît également lorsque la

Commission précise que « le prêteur disposera d’un instrument encore plus fiable par

rapport au fichier négatif, lui permettant de vérifier si un consommateur, ou le cas échéant un

garant, aurait conclu d’autres contrats de crédit ou de sûreté qui ne font pas l’objet d’un

contentieux mais dont la charge totale serait telle qu’un crédit supplémentaire serait

insupportable pour le consommateur ou, le cas échéant, le garant ». 1797 Sur ces dangers, cf. M.-C. BARRET-BARNAY, art. préc., p. 1084 ; D. KHAYAT et C.

FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 36

Page 460: L'efficacité des garanties personnelles

instaurant ces fichiers de type positif devrait notamment définir la manière dont les

données seront enregistrées et appréhendées1798.

809. L’enregistrement des garanties personnelles dans le fichier. Il serait

tout d’abord nécessaire de préciser qui aura la charge de l’enregistrement du contrat

de garantie personnelle. Si les créanciers devaient être désignés, ils n’auraient pas

nécessairement à supporter la totalité du coût de la publicité. Comme le garant et le

créancier bénéficiaire tirent tous deux profit de cette publicité, un partage égal de

son coût serait en effet tout à fait légitime.

810. L’accès au fichier. Concernant l’accès aux données, un cadre strict

devrait être aménagé lorsqu’elles se rapportent à des personnes physiques1799.

« Dans la perspective de l’ouverture accrue du marché, et dans le contexte

d’intégration économique et monétaire qui existe désormais », cette rigueur ne

devrait pas conduire à interdire l’accès aux bases de données aux créanciers d’autres

Etats membres1800. La proposition de directive du 11 septembre 2002 interdit

d’ailleurs de telles discriminations dans l’accès aux fichiers1801. La rigueur

nécessaire à la protection des droits fondamentaux des personnes physiques ne

devrait pas non plus conduire à réserver l’accès au fichier aux seuls créanciers

agissant dans un cadre professionnel.

Cependant, afin d’éviter que la base de données ne soit consultée pour assouvir

des « curiosités mal placées », les créanciers n’agissant pas dans un cadre

professionnel pourraient avoir l’obligation de produire l’autorisation expresse du

particulier concerné.

A l’égard des créanciers agissant dans un cadre professionnel, une obligation de

consultation préalable à la signature de toute garantie personnelle pourrait être

imposée. Il s’agirait ainsi d’étendre le champ de l’obligation que la proposition de

directive n’impose qu’au sujet de la consultation des fichiers de type négatif et

seulement avant la conclusion d’une garantie personnelle souscrite pas un «garant

consommateur»1802.

1798 Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat reproche à la

Commission européenne de ne pas avoir donné suffisamment d’indications sur l’organisation

des bases de données, qu’elles soient de type positif ou négatif. 1799 La définition stricte des conditions d’accès au fichier des garanties personnelles n’est que

l’un des moyens de protéger la vie privée des garants personnes physiques. Sur les autres

moyens que la réforme des garanties personnelles pourrait mettre en œuvre pour assurer cette

protection, cf. infra n°882 1800 En ce sens, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 35 1801 Article 8.2 : « L’accès à la base centralisée de données d’un autre Etat membre doit être

assuré dans les mêmes conditions que celles prévues pour les entreprises et personnes dudit

Etat membre, soit directement, soit par l’intermédiaire de la base centralisée de données de

l’Etat membre d’origine ». 1802 Article 8.1 alinéa 2 : « Les prêteurs doivent consulter la base centralisée de données

préalablement à tout engagement du consommateur ou du garant, dans les limites visées à

l’article 9 ».

Page 461: L'efficacité des garanties personnelles

811. La sanction du défaut de publicité. Le texte instaurant le fichier des

garanties personnelles devrait encore prévoir la sanction du défaut de publicité1803.

La nullité constituerait une sanction inadaptée en ce qu’elle compromettrait

l’efficacité des garanties personnelles de manière injustifiée. En effet, l’utilité

essentielle de la publicité étant de permettre à de futurs créanciers de se faire une

juste opinion de la situation financière de la personne (physique ou morale), dont

l’engagement en qualité de garant a été enregistré, la sanction du défaut de publicité

ne devrait pas affecter le contrat de garantie personnelle lui-même, mais seulement

les rapports entre le créancier et les tiers intéressés.

L’inopposabilité de la garantie personnelle aux créanciers du garant non

informés de son existence, bien qu’intéressant ces derniers rapports, serait également

inadaptée. Elle conduirait, en effet, à procéder à une attribution de rang, non pas sur

un bien particulier, comme dans le cadre des sûretés réelles publiées, mais sur

l’ensemble du patrimoine du garant, alors même que les diverses composantes de ce

patrimoine ne seraient pas toutes publiées au moment de l’inscription de la garantie

personnelle.

Une autre sanction du défaut de publicité, affectant également les rapports entre

le créancier de la garantie personnelle non publiée et les autres créanciers du garant,

est donc préférable. Il s’agirait de créer une fin de non recevoir à l’action en

responsabilité délictuelle exercée par le créancier n’ayant pas inscrit sa garantie

contre les autres créanciers qui, tenus dans l’ignorance de la situation exacte du

garant, lui auraient accordé des crédits excessifs ou lui auraient fait souscrire une

garantie disproportionnée1804.

812. Si le législateur français décidait de tirer les conséquences de l’existence

de l’obligation de couverture, il pourrait donc introduire dans le régime primaire des

garanties personnelles des règles relatives, non seulement à leur publicité, mais aussi

à la préservation de la solvabilité du garant avant l’appel de la garantie.

L’assimilation des caractéristiques techniques des garanties personnelles devrait se

poursuivre par l’insertion, dans ce régime primaire, de règles intéressant l’extinction

de l’obligation de couverture.

2. L’extinction de l’obligation de couverture

813. Les causes d’extinction admises. L’extinction de l’obligation de

couverture constitue l’une des principales expressions de l’inefficacité objective des

garanties personnelles, puisqu’elle emporte la libération totale ou partielle du

garant1805. En vue de conforter l’efficacité des garanties personnelles, il conviendrait

1803 La proposition de directive du 11 septembre 2002 oblige les Etats membres à déterminer

eux-mêmes les sanctions assortissant les règles qu’elle leur impose (cf. supra n°779). 1804 En faveur de cette sanction, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, art. préc., p. 33 :

« l’instauration du fichier positif serait un rempart contre les actions en responsabilité

délictuelle exercées par les autres créanciers du débiteur ». 1805 La libération est totale lorsque l’extinction de l’obligation de couverture survient dans le

cadre d’une garantie personnelle indépendante ou d’une garantie personnelle présentant un

caractère accessoire renforcé et couvrant une dette présente. La libération n’est que partielle

lorsque l’extinction de l’obligation de couverture se produit dans le cadre d’une garantie

personnelle présentant un caractère accessoire renforcé et couvrant des dettes futures.

Page 462: L'efficacité des garanties personnelles

de subordonner cette extinction à des causes indiscutables, qui ne risquent pas de

surprendre les attentes des créanciers.

Tel est le cas de la survenance du terme extinctif stipulé dans le contrat de

garantie, mais aussi de la résiliation, qui peut certes se produire à n’importe quel

moment, mais dont le créancier accepte le risque en faisant souscrire au garant un

engagement à durée indéterminée.

814. Le principe d’interdiction de l’extinction de l’obligation de

couverture par la survenance d’un terme extinctif implicite et ses

tempéraments. Les termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture

remettent profondément en cause, au contraire, les prévisions intrinsèques des

créanciers1806. Pour rendre l’efficacité des garanties personnelles plus sûre qu’elle ne

l’est aujourd'hui, la réforme pourrait donc instituer, dans le régime primaire, une

règle interdisant l’extinction de l’obligation de couverture par la survenance d’un

terme extinctif implicite.

Serait ainsi consacrée la jurisprudence empêchant la réduction du montant de

l’obligation de règlement du garant consécutive à un changement affectant, soit la

société créancière ou débitrice, soit les rapports entretenus avec le débiteur

principal1807. Serait désavouée, en revanche, la jurisprudence acceptant de libérer les

cautions pour l’avenir, en raison des modifications dans la physionomie initiale de

l’opération de garantie.

En premier lieu, le décès de la caution cesserait de libérer les héritiers des

dettes nées postérieurement. Les intérêts des héritiers ne s’en trouveraient pas

nécessairement bafoués, puisque la réforme pourrait, conjointement à l’exclusion de

ce terme extinctif implicite, instaurer des règles nouvelles qui supprimeraient les

dangers pour les héritiers qu’occasionne la transmission de la garantie personnelle

lors du décès du garant1808.

En deuxième lieu, la disparition du créancier ne constituerait plus une cause

d’extinction de l’obligation de couverture. Serait ainsi reconnu le caractère en

principe indifférent, pour le garant, de la personne du créancier. Là encore, cette

règle n’interdirait pas de protéger le garant, si, par exception, le changement de

créancier lésait ses intérêts. Tel pourrait être le cas lorsque la détermination du

montant de l’obligation de règlement du garant se fait par emprunt ou par référence

à celui de l’obligation principale et que le nouveau créancier accorde des crédits plus

importants au débiteur que l’ancien. Dans cette hypothèse, la protection du garant

pourrait reposer sur la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du nouveau

bénéficiaire pour octroi excessif de crédit. Ainsi, l’obligation de règlement du garant

ne serait plus amputée de manière automatique et forfaitaire par la seule extinction

de l’obligation de couverture, consécutive à la disparition du premier créancier, mais

seulement à hauteur du préjudice subi par le garant, par le jeu de la compensation

entre cette obligation de règlement et les dommages et intérêts dûs par le nouveau

créancier pour manquement à son devoir de tempérance.

En troisième et dernier lieu, le changement de débiteur principal ne pourrait

plus, en principe, être invoqué par le garant pour obtenir la réduction, voire 1806 Sur la réduction du cautionnement par le biais de l’extinction de l’obligation de

couverture, cf. supra n°569-573 1807 Sur cette jurisprudence protectrice des intérêts des créanciers, cf. supra n°452, 453 1808 Sur ces règles nouvelles relatives au décès du garant, cf. infra n°880

Page 463: L'efficacité des garanties personnelles

l’extinction, de son obligation de règlement. Une exception pourrait cependant être

introduite pour tenir compte du rôle prépondérant que jouent les pouvoirs de

direction ou de contrôle du garant sur le débiteur, tant sur la décision du garant de

s’engager, que sur l’acceptation du garant par le créancier. Ainsi, l’obligation de

couverture du garant pourrait prendre fin au jour du changement de débiteur à

condition, d’une part, que le garant n’ait pas lui-même pris l’initiative de ce

changement et, d’autre part, qu’il prouve, par tous moyens, ne plus disposer à

l’égard du nouveau débiteur des pouvoirs de direction ou de contrôle qu’il exerçait

sur l’ancien1809.

815. En posant comme principe l’interdiction des termes extinctifs implicites

de l’obligation de couverture et en assortissant ce principe de quelques correctifs,

l’efficacité des garanties personnelles pourrait donc être renforcée, sans pour autant

que les intérêts du garant ou de ses héritiers ne soient sacrifiés. Ce résultat, auquel

les règles relatives à l’existence de l’obligation de couverture conduisent également,

devrait encore être obtenu par l’insertion, dans le régime primaire des garanties

personnelles, de règles se rapportant à la seconde composante de l’obligation de

garantir, à savoir l’obligation de règlement du garant.

B/ LES REGLES RELATIVES A L’OBLIGATION DE REGLEMENT

816. Toutes les garanties personnelles donnent naissance à une obligation de

règlement subsidiaire, dont l’objet est le paiement du créancier en cas de défaillance

du débiteur principal. L’efficacité des garanties personnelles gagnerait en certitude

si le régime primaire applicable à ces mécanismes comportait des règles reposant sur

cette caractéristique technique commune. Plus précisément, la réforme du droit des

garanties personnelles devrait procéder à l’assimilation de l’obligation de règlement,

en régissant ses conditions d’exécution (1), les conséquences de son inexécution (2),

ainsi que ses causes d’extinction (3).

1. L’exécution de l’obligation de règlement

817. La prohibition des conditions implicites. Subsidiaire, l’obligation de

règlement, quelle que soit la garantie personnelle dans laquelle elle prend corps, ne

peut légitimement naître qu’en cas de défaillance du débiteur principal1810.

Conformément au droit commun des obligations, les parties peuvent en plus

subordonner son exécution à la réalisation d’une condition déterminée, comme la

présentation de documents au garant, la justification de l’appel de la garantie par le

créancier, l’affectation des fonds remis au débiteur principal à une certaine fin, ou

encore la présence de cogarants ou d’autres garanties. Afin de tarir le contentieux

relatif aux conditions implicites1811, le régime primaire des garanties personnelles

pourrait préciser que l’exécution de l’obligation de règlement du garant ne peut être

subordonnée qu’à la réalisation de conditions expressément stipulées.

1809 Une telle preuve ne pourra être rapportée que si le garant n’occupe plus des fonctions

directoriales dans la nouvelle entreprise débitrice ou s’il est devenu un dirigeant de paille. 1810 Sur la subsidiarité de l’obligation de règlement du garant, même lorsque la garantie est

payable à première demande, cf. supra n°263 1811 Sur ce contentieux en matière de cautionnement, cf. supra n°471

Page 464: L'efficacité des garanties personnelles

818. La mise en demeure obligatoire du garant. Le régime primaire

pourrait, par ailleurs, rendre obligatoire la mise en demeure du garant. En droit

positif, bien qu’aucun texte ne le formule de manière générale, la nécessité d’une

mise en demeure fait déjà figure de principe. La volonté des parties permet

néanmoins d’y déroger. La réforme du droit des garanties personnelles pourrait

empêcher cette exception, en étendant sur ce point le champ d’application de la

proposition de directive du 11 septembre 2002.

819. Le domaine d’application de la mise en demeure obligatoire. L’article

24.1 b) du texte communautaire dispose que « les Etats membres veillent à ce que le

prêteur ne puisse exiger le paiement immédiat des versements à échoir ou invoquer

une condition résolutoire expresse que moyennant une mise en demeure préalable

invitant le consommateur ou, le cas échéant, le garant, à respecter ses obligations

contractuelles dans un délai raisonnable ou à demander un rééchelonnement de la

dette ». Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne précise que

l’objectif de cette mise en demeure obligatoire est d’ « encourager les parties

concernées à chercher des accords ou des arrangements extrajudiciaires »1812.

La mise en demeure obligatoire du garant constitue ainsi un facteur d’efficacité,

puisqu’elle est susceptible d’éviter le recours au juge et, par conséquent,

l’augmentation du coût de la protection des intérêts des créanciers qui en résulte,

ainsi que la possible remise en cause judiciaire des prévisions intrinsèques des

parties.

Compte tenu de ces avantages, il est souhaitable d’étendre le champ de l’article

24.1 b) à toutes les garanties personnelles. Le formalisme entourant la mise en

demeure étant peu contraignant, puisqu’une lettre simple suffit1813, cette dérogation

au droit commun ne rendrait pas plus onéreuse la protection des créanciers. La

plupart d’entre eux s’y plient d’ailleurs déjà spontanément.

820. La sanction du défaut de mise en demeure. La proposition de directive

n’indique pas la sanction du défaut de mise en demeure. Ce silence autorise le

maintien de la solution de l’article 1153 alinéa 3 du Code civil, à savoir que

l’absence de mise en demeure empêche les intérêts moratoires de courir.

821. L’exception à l’obligation de mise en demeure. Le texte

communautaire précise, en revanche, que la mise en demeure n’est pas nécessaire, et

donc qu’aucune sanction ne peut être prononcée, « en cas de fraude manifeste, à

démontrer par le prêteur ou le nouveau titulaire de la créance » (article 24.2 a). La

Commission européenne n’en fournit aucun exemple. En matière de garanties

personnelles, la fraude du garant aux droits du créancier pourrait résider, au stade de

1812 Dans le même sens, la Commission ajoute que «le point b) du paragraphe 1 vise à éviter

que le consommateur ou le garant ne soit confronté au remboursement immédiat du montant

total du crédit sans avoir été invité au préalable à rattraper un retard éventuel ou à formuler

une proposition à l’amiable en vue de convenir d’un rééchelonnement de la dette ». Les

procédures extrajudiciaires sont également favorisées par l’article 10.1 alinéa 3 de la

proposition de directive. 1813 L’article 1139 du Code civil, dans sa rédaction issue de la loi du 9 juillet 1991, admet que

le débiteur soit constitué en demeure par « une sommation ou par autre acte équivalent, telle

une lettre missive lorsqu’il ressort de ses termes une interpellation suffisante ».

Page 465: L'efficacité des garanties personnelles

la conclusion du contrat, dans la fourniture de renseignements erronés, et au cours

de la vie du contrat, dans l’organisation frauduleuse de l’insolvabilité.

822. La charge des frais de recouvrement. Si la mise en demeure du garant

reste infructueuse, le créancier peut charger une personne physique ou morale

d’obtenir l’exécution de l’obligation de règlement.

Selon l’article 32 alinéa 3 de la loi du 9 juillet 1991, dans sa rédaction issue de

la loi du 22 novembre 1999, les frais de recouvrement entrepris sans titre exécutoire

restent à la charge du créancier et toute stipulation contraire est réputée non

écrite1814.

A l’occasion de la transposition de la future directive sur le crédit aux

consommateurs, cette disposition devrait être modifiée. En effet, le caractère

impératif du droit communautaire et l’objectif d’harmonisation totale interdisent aux

Etats membres de maintenir des règles plus sévères que celles imposées par la

directive. Or, l’article 27.1 de la proposition du 11 septembre 2002 admet que la

rémunération, directe ou indirecte, de la personne pratiquant le recouvrement des

créances nées du contrat de crédit ou de sûreté peut être réclamée au consommateur

ou au garant si les contrats susmentionnés l’ont expressément prévu.

Si, une fois encore, le champ d’application de la proposition de directive

pourrait être étendu à toutes les garanties personnelles, c’est parce que, quelles que

soient la qualité des parties et la nature du contrat de garantie, le principe de l’effet

relatif des conventions s’oppose à ce que la rémunération ou l’indemnité due à la

personne chargée du recouvrement par le créancier soit réclamée à un tiers, c'est-à-

dire au garant. Seule une stipulation expresse du contrat de garantie personnelle

pourrait déroger à ce principe.

823. Application des délais de grâce de l’article 1244-1 du Code civil.

Concernant, enfin, le moment d’exécution de l’obligation de règlement, le régime

primaire des garanties personnelles pourrait prévoir que le garant ne peut obtenir des

délais de paiement que dans les conditions de l’article 1244-1 du Code civil. Une

telle disposition renforcerait incontestablement l’efficacité des garanties

personnelles.

824. Exclusion des délais de paiement liés à la procédure collective ou de

surendettement ouverte contre le débiteur principal. La disposition nouvelle

consacrerait, tout d’abord, les solutions jurisprudentielles rendues en matière de

cautionnement, qui évitent aux créanciers de pâtir d’un retard dans l’exécution de

l’obligation de règlement du garant lorsque le débiteur principal fait l’objet d’une

procédure collective de paiement1815.

Ainsi, les garants couvrant la dette même du débiteur se verraient légalement

privés de la suspension des poursuites dont bénéficie automatiquement ou

facultativement celui-ci. Ils ne pourraient plus invoquer les lenteurs de la procédure

1814 Si le contrat ne peut prévoir que le débiteur supportera les frais de recouvrement, l’article

32 alinéa 4 de la loi du 9 juillet 1991 précise, néanmoins, que « le créancier qui justifie du

caractère nécessaire des démarches entreprises pour recouvrer sa créance peut demander au

juge de l’exécution de laisser tout ou partie des frais ainsi exposés à la charge du débiteur de

mauvaise foi ». 1815 Sur cette jurisprudence, cf. supra n°493-495

Page 466: L'efficacité des garanties personnelles

collective et, spécialement, celles résultant de la vérification des créances. Enfin, ils

ne pourraient plus se prévaloir des délais de paiement accordés au débiteur dans le

cadre d’une procédure de surendettement.

Si l’octroi de délais de paiement était enfermé dans les conditions de l’article

1244-1 du Code civil, il conviendrait, par ailleurs, d’abroger un texte grevant

considérablement l’efficacité du cautionnement, à savoir l’article L. 621-48 alinéa 2

du Code de commerce1816. Pendant la période d’observation, les cautions

personnelles personnes physiques et, plus généralement, tous les garants, ne

bénéficieraient donc plus d’une suspension automatique des poursuites. L’attente

objective des créanciers relative à la ponctualité du paiement du garant serait, par

conséquent, plus sûrement satisfaite qu’elle ne l’est aujourd'hui. Les chances de

redressement de l’entreprise débitrice ne s’en trouveraient pas diminuées. En effet,

alors que le dépôt de bilan est sensé intervenir dans de meilleurs délais grâce à la

suspension des poursuites dont bénéficient les dirigeants-cautions, la liquidation

judiciaire est malgré tout prononcée neuf fois sur dix. Elle pourrait l’être moins

souvent si, plutôt que de chercher à hâter le dépôt de bilan, le législateur incitait les

dirigeants à se tourner vers le règlement amiable, dans lequel la suspension

automatique des poursuites contre la caution dirigeante n’a jamais été instaurée.

L’abrogation de l’article L. 621-48 alinéa 2 du Code de commerce pourrait donc

rendre le droit des procédures collectives plus cohérent et celui du cautionnement

beaucoup plus efficace.

825. En limitant les délais de paiement accordés aux garants à ceux de l’article

1244-1 du Code civil, la réforme du droit des garanties personnelles pourrait donc

renforcer leur fonction de paiement au moment où elle est la plus utile, c'est-à-dire

lorsqu’une procédure collective ou de surendettement est ouverte contre le débiteur

principal. Si cette règle nouvelle est essentiellement tournée vers la protection des

intérêts des créanciers, les autres règles proposées relatives à l’exécution de

l’obligation de règlement du garant pourraient conforter l’efficacité des garanties

personnelles, tout en ménageant les intérêts des garants. Cet équilibre pourrait

encore caractériser les dispositions du régime primaire intéressant l’inexécution de

l’obligation de règlement.

2. L’inexécution de l’obligation de règlement

826. Deux dispositions de la proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs intéressant l’inexécution du « contrat de sûreté » conclu par un

«garant consommateur» pourraient être étendues à toutes les garanties personnelles.

827. La communication des frais d’inexécution. Il s’agit, tout d’abord, de

l’article 24.1 d), selon lequel « les Etats membres veillent à ce que le consommateur

et le garant aient le droit, à leur première demande et sans délai, de recevoir en cas

1816 Sur l’inefficacité du cautionnement résultant de cette disposition, cf. supra n°560-562

Il convient de reconnaître que l’abrogation proposée n’est pas d’actualité, puisque l’article 42

du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596 du 12 mai 2004 dispose que « le

jugement d'ouverture suspend jusqu'au jugement arrêtant le plan ou prononçant la

liquidation toute action contre les personnes physiques coobligées ou ayant constitué une

caution personnelle ou une garantie autonome» (nouvel article L. 622-26 alinéa 2 du Code de

commerce).

Page 467: L'efficacité des garanties personnelles

d’inexécution de leurs obligations ou en cas de remboursement anticipé, un

décompte gratuit et détaillé leur permettant de vérifier les frais et intérêts

réclamés ». C’est bien des frais d’inexécution dont il est question, et non des

sommes dues en exécution du contrat de sûreté qui, elles, sont précisées dans la mise

en demeure. La communication immédiate et gratuite des décomptes, à la demande

du garant, est susceptible d’inciter celui-ci à exécuter son obligation de règlement,

pour éviter que les frais d’inexécution ne s’accumulent. Comme, par ailleurs, cette

communication est peu coûteuse pour le créancier, l’objectif d’efficacité, aussi bien

que celui de transparence, pourraient conduire à l’imposer dans le régime primaire

des garanties personnelles.

828. L’enregistrement de la défaillance du garant dans un fichier de type

négatif. C’est ensuite la règle de l’article 8.1 de la proposition de directive qui

pourrait voir son champ d’application étendu. Ce texte concerne la « base

centralisée de données ayant pour but l’enregistrement des consommateurs et des

garants qui ont encouru un incident de paiement ». Alors que l’instauration d’un

fichier de type positif n’est qu’une faculté pour les Etats membres1817, la mise en

place de ce fichier de type négatif1818 constitue une obligation.

La France dispose déjà d’une telle base de données1819, sous la forme du

« fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers »

(FICP). Mais ce fichier ne recense pas les incidents de paiement des garants. Le

« fichier des cautions défaillantes reconnues », envisagé par le règlement du Comité

de la réglementation bancaire du 19 mars 19931820, n’a jamais vu le jour. Lors de la

transposition de la directive sur le crédit aux consommateurs, le législateur français

devra donc, soit étendre le domaine du FICP1821, soit créer un fichier de type négatif

propre aux garants.

829. Les avantages d’un fichier de type négatif propre à l’ensemble des

garanties personnelles. La mise en place d’un fichier spécifique est souhaitable, car

1817 Sur les fichiers de type positif assurant la publicité des garanties personnelles, cf. supra

n°806-811 1818 « Le fichier négatif enregistre uniquement les incidents de paiement du consommateur. Il

ne donne pas d’information quantitative sur le montant total de l’endettement » (M.-C.

BARRET-BARNAY, Les différents systèmes d’enregistrement des crédits dans les Etats

membres de l’Union européenne, D. 2003, chron., p. 1082 et s.). 1819 Sur les fichiers négatifs dans d’autres pays européens, cf. M.-C. BARRET-BARNAY,

ibid., p. 1087 1820 Article 17 du règlement du Comité de la réglementation bancaire du 11 avril 1990, relatif

au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, issu du

règlement du 19 mars 1993 : « A la lumière de l’examen qui sera fait de l’application du

présent règlement, un règlement ultérieur fixera les conditions d’enregistrement éventuel

dans le fichier des cautions défaillantes judiciairement reconnues ». 1821 L’article 2 du règlement du Comité de la réglementation bancaire du 11 avril 1990, relatif

au fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, précise le

domaine du FICP en définissant le terme « crédit » : « tout acte par lequel un établissement

met des fonds à la disposition d’une personne physique pour le financement de ses besoins

professionnels ou prend, dans l’intérêt de celui-ci, un engagement par signature, quelle que

soit la qualification ou la technique utilisée ». L’article 3 de ce même règlement définit la

notion d’ « incident de paiement caractérisé ».

Page 468: L'efficacité des garanties personnelles

un fichier distinct du FICP pourrait enregistrer les incidents de paiement se

rapportant à toutes les garanties personnelles, et non seulement à ceux imputables à

des «garants consommateurs». Le champ d’application de la proposition de

directive, aussi bien que celui du règlement du Comité de la réglementation bancaire

du 11 avril 1990 organisant le FICP, méritent d’être étendus, puisqu’un fichier de

type négatif est susceptible de « réduire le risque crédit »1822, tant pour les

créanciers, que pour les garants, quels que soient leur qualité, la « cause » de leur

obligation de couverture et l’objet de leur obligation de règlement.

La consultation d’un tel fichier peut effectivement permettre aux dispensateurs

de crédit souhaitant être couverts par une garantie personnelle de refuser un garant

précédemment défaillant et d’en requérir un autre ayant plus de chances d’exécuter

ses obligations.

Sans conduire à un tel refus, la consultation du fichier peut inciter les futurs

créanciers à être plus vigilants lorsqu’ils contractent avec un garant ayant déjà fait

l’objet d’une inscription. Ils peuvent ainsi procéder à un cumul de garanties ou

demander au garant d’ajouter à son engagement personnel une sûreté réelle ou

encore surveiller plus attentivement le patrimoine du garant en cours d’exécution, de

manière à prendre des mesures conservatoires en temps utiles.

La consultation du fichier de type négatif peut encore faciliter l’adaptation de

l’étendue de l’engagement du garant à ses facultés financières. Se trouvent par là

même réduits le risque de contestations fondées sur le manque de tempérance, mais

aussi le risque d’insolvabilité du garant.

La base de données recensant les incidents de paiement des garants constitue

donc un facteur d’efficacité à plusieurs égards et elle protège conjointement les

intérêts des garants inscrits en évitant qu’ils ne souscrivent de nouveaux

engagements qui les conduiraient à un endettement excessif.

En raison de ces divers avantages, l’obligation d’inscrire les incidents de

paiement dans un fichier de type négatif mériterait de figurer dans le régime

primaire des garanties personnelles.

830. Si la définition des incidents de paiement et les modalités de collecte,

d’enregistrement, de conservation et de consultation des informations figurant dans

ce fichier pourraient être fixées par un nouveau règlement du comité de la

réglementation bancaire, en s’inspirant des règles régissant le FICP1823, il pourrait

1822 Il s’agit de l’avantage que la Commission européenne attache à « l’existence

d’informations adéquates et sûres relatives aux éventuels incidents de paiement » (exposé des

motifs de la proposition de directive du 11 septembre 2002). 1823 Concernant les incidents de paiement devant être enregistrés dans le fichier, ceux visés

par l’article 3 a) du règlement du 11 avril 1990 relatif au FICP ne sont pas transposables en

matière de garanties personnelles, puisqu’ils se rattachent à l’inexécution d’obligations à

exécution successive et que l’obligation de règlement du garant est toujours à exécution

instantanée. Par contre, les incidents visés à l’article 3 b) et c) pourraient servir de référence

pour délimiter le champ du fichier se rapportant aux garanties personnelles. Ainsi, devraient

être inscrits dans le fichier, d’une part, les inexécutions de l’obligation de règlement durant

plus de quatre-vingt dix jours après la mise en demeure du garant et, d’autre part, les défauts

de paiement pour lesquels le créancier engage une procédure judiciaire.

S’agissant de l’organisation du fichier des garants défaillants, elle pourrait incomber à la

Banque de France, dans le respect de la loi Informatique et Liberté, comme c’est déjà le cas à

l’égard du FICP (article L. 333-4 du Code de la consommation). Des règles à même de

Page 469: L'efficacité des garanties personnelles

revenir, en revanche, à la loi réformant le droit des garanties personnelles de préciser

les règles nouvelles relatives au « contrat de sûreté » imposées par l’article 8 de la

proposition de directive.

831. La consultation du fichier. Tout d’abord, le régime primaire des

garanties personnelles pourrait réglementer la consultation de la base de données sur

les incidents de paiement. Comme pour le fichier de type positif assurant la publicité

des garanties personnelles, une distinction reposant sur la qualité du créancier

consultant pourrait être opérée.

Ainsi, à l’égard des créanciers n’agissant pas dans un cadre professionnel, la

consultation pourrait être une simple faculté et être subordonnée à la présentation à

l’organisme centralisant les données de l’assentiment exprès du garant pressenti.

A l’égard des créanciers agissant dans un cadre professionnel, la consultation

préalable à la conclusion d’une garantie personnelle serait, au contraire, une

obligation, comme l’impose l’article 8.1 alinéa 2 de la proposition de directive du 11

septembre 2002. Dans l’exposé des motifs, la Commission européenne souligne que

cette obligation répond à « un souci d’efficacité ». La consultation, pour un coût

modique, limite effectivement le risque que les créanciers ne souffrent de

l’inexécution du garant. Nouvelle en matière de garanties personnelles, cette

obligation de consulter un fichier de type négatif pèse déjà sur les établissements de

crédit, avant la délivrance de formules de chèques à un nouveau titulaire de

compte1824, et elle est pareillement susceptible de mettre les banques à l’abri

d’impayés.

Que le créancier agisse ou non dans un cadre professionnel, le régime primaire

pourrait en outre préciser qu’il doit, à la demande du garant, informer celui-ci, sans

délai et gratuitement, du résultat de la consultation. Il s’agirait d’étendre le bénéfice

de l’article 8.1 alinéa 3 de la proposition de directive à tous les garants inscrits dans

le fichier, qu’ils soient ou non consommateurs.

832. La sanction du défaut d’enregistrement et la sanction du défaut de

consultation. Le régime primaire des garanties personnelles pourrait également

protéger la vie privée des garants personnes physiques devraient être spécialement instaurées

pour respecter les exigences de la directive communautaire sur le crédit aux consommateurs.

La déclaration des incidents de paiement caractérisés pourrait être imposée, non seulement

aux établissements de crédit, mais aussi à tous les créanciers bénéficiaires d’une garantie

personnelle victimes d’une inexécution prolongée ou judiciairement déclarée. Comme le

prévoit l’article 4 du règlement du Comité de la réglementation bancaire du 11 avril 1990

relatif au FICP, dès qu’un incident de paiement caractérisé serait constaté, le créancier devrait

informer le garant défaillant que l’incident sera déclaré à la Banque de France à l’issue d’un

mois à compter de la date de l’envoi de cette information. Le contenu de la déclaration

pourrait être le même que celui imposé par l’article 5 du règlement précité (identification du

garant défaillant et du contrat de garantie personnelle inexécuté).

Comme le précise déjà l’article 8 du règlement relatif au FICP, à compter de la date

d’enregistrement, les informations pourraient être conservées pendant cinq ans. La radiation

pourrait suivre la déclaration par le créancier du paiement intégral des sommes dues. 1824 Article 30 du décret du 22 mai 1992 : « Tout banquier doit interroger la Banque de

France avant de procéder à la première délivrance de formules de chèques à un nouveau

titulaire de compte». Cette consultation a pour but de vérifier que le client n’est pas sous le

coup d’une interdiction d’émettre des chèques.

Page 470: L'efficacité des garanties personnelles

déterminer les sanctions assortissant respectivement le défaut d’inscription d’un

incident de paiement au fichier et le défaut de consultation de ce dernier.

Comme le défaut de publicité des garanties personnelles dans le fichier de type

positif, le défaut d’inscription de la défaillance du garant dans le fichier de type

négatif pourrait être sanctionné par une fin de non recevoir à l’action en

responsabilité délictuelle exercée contre les autres créanciers du garant.

S’agissant du défaut de consultation de la base de données, il ne saurait être

sanctionné aussi sévèrement qu’en matière de chèque1825, puisque le fichier des

garants défaillants ne recenserait que des incidents de paiement et non des

interdictions de se porter garant. Dans la mesure où la consultation constitue un

facteur d’efficacité, les créanciers se pénaliseraient eux-mêmes en ne vérifiant pas si

leur cocontractant n’a pas déjà manqué à une obligation de règlement. A l’égard des

créanciers n’agissant pas dans un cadre professionnel, qui ne devraient pas avoir

l’obligation de consulter le fichier, une nouvelle défaillance du garant pourrait

constituer une sanction suffisante. A l’égard des créanciers agissant dans un cadre

professionnel, une sanction spéciale pourrait, au contraire, être attachée au

manquement à l’obligation de consultation. Comme le préconise la Commission

européenne dans l’examen du dispositif de sa proposition de directive, « le prêteur

pourra être responsabilisé en même temps à l’aide de sanctions civiles ou

commerciales au cas où, sur la base de l’information reçue, il aurait dû

raisonnablement s’abstenir d’octroyer un nouveau crédit » ou de faire souscrire une

garantie personnelle disproportionnée. Le défaut de consultation ne serait ainsi

réprimé que s’il conduisait le créancier à faire souscrire au garant un engagement

disproportionné par rapport à ses capacités financières au jour de la conclusion de la

garantie. En conséquence, la réduction de cet engagement pourrait sanctionner tout à

la fois le manquement au devoir de tempérance et le défaut de consultation du

fichier des incidents de paiement1826.

833. Tant pour respecter les exigences communautaires concernant la

défaillance du garant que pour conforter l’efficacité des garanties personnelles, le

régime primaire devrait donc comporter des règles relatives à l’inexécution de

l’obligation de règlement du garant. Pour rendre l’efficacité des garanties

personnelles plus solide qu’elle ne l’est actuellement, il devrait également limiter les

causes d’extinction de cette obligation.

3. L’extinction de l’obligation de règlement

834. L’application des causes d’extinction de droit commun. Si la

recherche de l’efficacité des garanties personnelles devrait conduire à restreindre les

hypothèses d’extinction totale ou partielle de l’obligation de règlement, cette

restriction ne devrait pas concerner les causes d’extinction de droit commun. Le

régime primaire pourrait rappeler, comme le fait déjà l’article 2034 du Code civil

pour le seul cautionnement, que l’obligation de règlement du garant s’éteint par les

mêmes causes que les autres obligations.

1825 L’article L. 131-81 I 2 du Code monétaire et financier oblige le banquier n’ayant pas

consulté la Banque de France, avant la délivrance de formules de chèques à un nouveau

titulaire de compte, à payer les chèques sans provision émis par ce dernier. 1826 Pour de plus amples développements sur la sanction du manquement au devoir de

tempérance, cf. infra n°856

Page 471: L'efficacité des garanties personnelles

835. L’exclusion des causes d’extinction afférentes à la procédure

collective de paiement dirigée contre le débiteur principal. L’objectif d’efficacité

pourrait, en revanche, conduire à l’exclusion des causes d’extinction résultant de la

procédure collective ou de surendettement du débiteur principal. Il s’agirait ainsi de

ne pas faire peser sur les créanciers la solidarité devant répondre aux besoins que la

crise économique fait ressentir au débiteur. Plutôt que de maintenir une répartition

des risques entre le créancier et le garant1827, la réforme du droit des garanties

personnelles pourrait prévoir que les créanciers ayant pris la précaution d’étendre

leur droit de gage général, avant que ne s’ouvre une procédure collective de

paiement contre leur débiteur, n’ont pas à supporter l’altération du droit de créance

causée par cette procédure. Quel que soit l’objet de l’obligation de règlement du

garant, la fonction de paiement attachée à cette obligation se verrait ainsi reconnaître

une priorité chaque fois que la défaillance du débiteur se trouverait établie par

l’ouverture d’une procédure collective à son encontre. Dans le cadre des garanties

personnelles présentant un caractère accessoire renforcé, les mesures accordées au

débiteur sur le fondement de l’impératif de justice distributive cesseraient alors

d’être des causes de réduction, voire d’extinction, de l’obligation de règlement du

garant.

Si le régime primaire des garanties personnelles reconnaissait cette primauté de

la fonction de garantie en cas de défaillance judiciairement constatée du débiteur, se

trouveraient confortées des solutions déjà inscrites dans le droit des procédures

collectives, au sujet du cautionnement. Il en irait ainsi du maintien du cours des

intérêts (article L. 621-48 alinéa 1er du Code de commerce), de l’inopposabilité par

les cautions des remises de dette consenties au débiteur (article L. 621-65 du Code

de commerce), ou encore du maintien du cautionnement en cas de clôture de la

procédure pour insuffisance d’actif (article L. 622-32 du Code de commerce). Ces

textes pourraient être conservés, à condition toutefois d’en étendre le champ à tous

les garants1828 et d’en supprimer les défauts formels1829.

1827 En matière de cautionnement, le droit positif procède à une telle répartition des risques

entre le créancier et la caution, puisqu’il privilégie, tantôt la fonction de garantie du

cautionnement (cf. supra n°491-503), tantôt la règle de l’accessoire (cf. supra n°644-646). 1828 La réforme du droit des procédures collectives devrait déjà conduire à une extension

notable, puisque le nouvel article L. 631-16 du Code de commerce devrait interdire aux

cautions personnelles, mais aussi aux coobligés et garants autonomes, de se prévaloir du plan

de redressement judiciaire (article 102 du projet de loi de sauvegarde des entreprises n°1596

du 12 mai 2004).

Il convient cependant de remarquer que, dans le cadre de la procédure de sauvegarde (c'est-à-

dire un redressement judiciaire sans cessation des paiements), la solution retenue par le

dernier projet de loi est toute autre. En effet, le nouvel article L. 626-8 du Code de commerce

pourrait prévoir que « le jugement qui arrête le plan, en rend les dispositions opposables à

tous, y compris aux personnes physiques coobligées ou ayant consenti une caution

personnelle ou une garantie autonome, qui peuvent s'en prévaloir. Ne peuvent, en revanche,

s'en prévaloir les cautions personnelles, les coobligés et les personnes ayant consenti une

garantie autonome, lorsqu'il s'agit de personnes morales».

Avec cette réforme du droit des procédures collectives, « le législateur souffle le chaud et le

froid » sur le cautionnement (C. LEGUEVAQUES, Où va le cautionnement ?, LPA 21 mai

2004, n°102, p. 4).

Page 472: L'efficacité des garanties personnelles

Si le régime primaire des garanties personnelles excluait les causes d’extinction

liées à la défaillance judiciairement constatée du débiteur principal, la règle du

nouvel article L. 332-9 du Code de la consommation se trouverait également

confirmée1830, ainsi que les solutions jurisprudentielles organisant la protection des

intérêts des créanciers lors de la procédure de surendettement de leur débiteur1831.

Serait en outre supprimé le facteur d’inefficacité tenant à l’absence de parti pris

législatif clair sur le sort des garanties personnelles en cas de surendettement du

débiteur principal1832.

Enfin, si le régime primaire des garanties personnelles excluait les causes

d’extinction liées à la procédure collective du débiteur principal, la libération de la

caution pour défaut de déclaration de la créance ne devrait plus être prononcée par

les juges1833. Sur ce point, le régime du cautionnement rejoindrait celui de la

solidarité passive et des garanties indépendantes1834 et l’efficacité du cautionnement

se trouverait indéniablement renforcée.

836. La charge définitive des mesures fondées sur l’impératif de justice

distributive. La réforme du droit des garanties personnelles ne devrait pas exclure

de la sorte les causes d’extinction afférentes à la défaillance judiciairement constatée

du débiteur, sans indiquer corrélativement sur qui devrait peser définitivement le

poids des mesures consenties à celui-ci sur le fondement de l’impératif de justice

distributive. Le législateur devrait préciser si le débiteur est ou non autorisé à

opposer au garant ces mesures, lors du recours en remboursement. Une solution

différente pouvant être apportée selon les rapports qu’entretiennent le garant et le

débiteur, cette précision ne devrait pas figurer dans le régime primaire, mais plutôt

dans une règle spéciale fondée sur la « cause » de l’obligation de couverture du

garant. La question de la charge définitive des faveurs octroyées au débiteur soumis

à une procédure collective de paiement sera donc résolue à l’occasion de l’étude des

règles spéciales1835.

837. Nombre de règles nouvelles applicables à l’ensemble des garanties

personnelles pourraient donc se rapporter à cette caractéristique technique commune

qu’est l’obligation de garantir. L’efficacité des garanties personnelles se trouverait

1829 La distinction injustifiée entre les cautions simples et les cautions solidaires, que retient

l’actuel article L. 621-65 du Code de commerce, devrait ainsi être supprimée. 1830 L’article L. 332-9 du Code de la consommation, issu de la loi Borloo du 1er août 2003,

dispose que la clôture de la procédure de rétablissement personnel entraîne l’effacement de

toutes les dettes non professionnelles du débiteur, à l’exception de celles dont le prix a été

payé aux lieu et place du débiteur par la caution ou le coobligé. Cette disposition devrait viser,

plus généralement, tous les garants. 1831 Sur la jurisprudence interdisant aux cautions de se prévaloir des allégements ou

effacements de dette consentis dans le cadre du redressement judiciaire civil, cf. supra n°499 1832 Sur l’inefficacité résultant du désintérêt du droit du surendettement pour le

cautionnement, cf. supra n°534, 535 1833 Ce même résultat pourrait être atteint si la réforme du droit des procédures collectives

abrogeait l’article L. 621-46 du Code de commerce, comme les dernières propositions de loi

relatives à cette réforme le laissent présager. 1834 Sur le défaut d’application de l’article L. 621-46 du Code de commerce aux garanties

personnelles innomées, cf. supra n°677, 682 1835 Cf. infra n°962

Page 473: L'efficacité des garanties personnelles

certainement confortée par l’instauration de règles intéressant, d’une part,

l’existence et l’extinction de l’obligation de couverture et, d’autre part, l’exécution,

l’inexécution et l’extinction de l’obligation de règlement. Des règles fondées sur

l’impératif d’éthique contractuelle pourraient également servir les intérêts des

créanciers.

§2 : LES REGLES FONDEES SUR L’IMPERATIF

D’ETHIQUE CONTRACTUELLE

838. L’impératif d’éthique contractuelle commande des limites au

déploiement de l’individualité. Il oblige chacune des parties à se montrer loyale

envers son cocontractant, en n’adoptant pas un comportement prédateur à son égard

et en facilitant même son exécution. Les manquements à ces exigences de

l’impératif d’éthique contractuelle peuvent être sanctionnés par la seule application

de l’article 1134 alinéa 3 du Code civil. En revanche, pour imposer a priori la

tempérance aux créanciers et la solidarité aux contractants, des dispositions

spéciales sont nécessaires.

Comme les exigences de l’éthique contractuelle, au contraire de ses

excroissances, sont utiles à la satisfaction des attentes des créanciers, la question se

pose de savoir quelles règles fondées sur l’impératif d’éthique contractuelle

mériteraient de figurer spécialement dans le régime primaire des garanties

personnelles pour que l’efficacité de l’ensemble de ces contrats soit plus solide

qu’elle ne l’est aujourd'hui. Nous allons répondre à cette question en montrant qu’en

imposant aux créanciers certaines contraintes (A), et en soumettant les garants à des

obligations s’ajoutant à leur obligation de garantir (B), le régime primaire pourrait

asseoir la solidarité devant exister entre les contractants, au nom de l’impératif

d’éthique contractuelle, et renforcer, par là même, l’efficacité de toutes les garanties

personnelles.

A/ LES CONTRAINTES IMPOSEES AUX CREANCIERS

839. La solidarité imposée aux créanciers à tous les stades de la vie du

contrat de garantie. La protection des intérêts des créanciers n’est pas

exclusivement subordonnée à l’instauration de règles qui leur soient entièrement

favorables. Certaines contraintes peuvent aussi être à l’origine de facteurs

d’efficacité. Tel est le cas des contraintes fondées sur l’impératif d’éthique

contractuelle ayant pour objet de faciliter l’exécution du cocontractant. Pour

renforcer l’efficacité de toutes les garanties personnelles, le régime primaire devrait

ainsi comporter des règles imposant aux créanciers de se montrer solidaires envers le

garant, aussi bien lors de la formation du contrat, qu’au cours de son exécution.

840. La remise au garant d’un exemplaire du contrat de garantie.

Concernant la conclusion du contrat de garantie personnelle, le régime primaire

pourrait servir les intérêts des créanciers en étendant le champ d’application de

contraintes que la proposition de directive du 11 septembre 2002 ne fait peser que

sur les créanciers agissant dans un cadre professionnel au profit des «garants

consommateurs». Ainsi, le régime primaire pourrait, non seulement imposer

l’établissement du contrat « sur un support papier ou sur un autre support

Page 474: L'efficacité des garanties personnelles

durable »1836, mais surtout rendre obligatoire la remise d’un exemplaire de ce contrat

au garant1837.

Ce formalisme pourrait concerner toutes les garanties personnelles puisque,

sans rendre plus onéreuse la protection des intérêts des créanciers, il est susceptible

de rendre plus sûre l’exécution du garant, quels que soient la « cause » de son

obligation de couverture, l’objet de son obligation de règlement, la qualité du

créancier ou encore la nature du contrat principal. En effet, la remise d’un

exemplaire du contrat de garantie au garant pourrait éviter que celui-ci n’oublie le

contenu, voire l’existence même de son engagement, et ne s’abstienne, par

conséquent, de prendre les précautions nécessaires pour pouvoir exécuter son

obligation de règlement en cas de défaillance du débiteur principal. Cette remise

pourrait également permettre aux héritiers du garant de connaître l’existence de la

garantie personnelle et donc de prendre les précautions susvisées. Par ailleurs, cette

connaissance des héritiers pourrait justifier qu’ils ne soient pas libérés des dettes

nées postérieurement au décès du garant par la découverte d’un terme extinctif

implicite1838. Pour toutes ces raisons, le régime primaire pourrait donc imposer la

remise d’un exemplaire du contrat de garantie personnelle au garant1839.

Cette règle nouvelle ne devrait pas être confondue avec celle du double

original, puisqu’elle n’est pas fondée sur la réciprocité des obligations des

contractants, mais sur la solidarité devant exister entre eux. Cependant, elle pourrait

recevoir la même sanction que la règle de l’article 1325 du Code civil. Ainsi, le

défaut de remise au garant d’un exemplaire du contrat de garantie n’entraînerait pas

la nullité de ce contrat, mais le priverait seulement de sa force probante1840, dans

l’hypothèse où ce défaut ne pourrait être couvert1841. Cette sanction devrait rarement

être prononcée tant la remise d’un exemplaire du contrat de garantie au garant est à

l’avantage des créanciers et est déjà de pratique courante1842.

841. La remise au garant d’un exemplaire du contrat principal. Pour faire

respecter l’impératif d’éthique contractuelle, ainsi que pour se conformer à la

directive sur le crédit aux consommateurs, une autre contrainte pourrait être imposée

aux créanciers lors de la conclusion du contrat de garantie. Il s’agit de la remise au

garant d’un exemplaire du contrat principal.

1836 Article 10.1 alinéa 1er de la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs 1837 Article 10.1 alinéa 2 : « Le garant reçoit un exemplaire du contrat de sûreté ». 1838 Sur l’exclusion des termes extinctifs implicites, cf. supra n°814 1839 En faveur de cette règle nouvelle, cf. S. PIEDELIEVRE, n°97 ; Ph. SIMLER, n°57, 368 1840 En ce sens, au sujet de la formalité du double original, cf. Cass. 3ème civ., 26 juin 1973 :

Bull. civ. III, n°444 ; Cass. 3ème civ., 23 janvier 1991 : Bull. civ. III, n°35 ; Cass. 3ème civ., 13

février 1991 : Bull. civ. III, n°58 ; Defrénois, 1991, p. 1264, obs. AUBERT 1841 Par application de l’article 1325 du Code civil, la Cour de cassation décide que le défaut

de force probante ne peut être invoqué en présence d’un commencement d’exécution (Cass.

1ère civ., 20 octobre 1981 : Bull. civ. I, n°300) ou lorsque les parties ne contestent, ni

l’existence de l’écrit, ni aucune de ses mentions (Cass. 3ème civ., 16 juin 1971 : Bull. civ. III,

n°387). 1842 L’Association française des banques a recommandé à ses adhérents la remise d’une copie

du contrat de garantie personnelle dès 1982 (recommandation du 21 avril 1982 : Banque

1982, p. 703 ; Banque 1983, p. 15). Elle a réitéré ce conseil dans sa recommandation du 28

juillet 1989, ainsi que dans sa brochure d’octobre 1990.

Page 475: L'efficacité des garanties personnelles

Cette formalité peut permettre aux garants dont l’obligation est déterminée par

emprunt ou par référence à l’obligation principale de mieux évaluer les risques

encourus et donc de mieux préparer l’exécution éventuelle de l’obligation de

règlement. Quel que soit l’objet de cette obligation, la remise du contrat principal au

garant peut permettre à celui-ci de faire pression sur le débiteur de manière adéquate

pour qu’il exécute son engagement. Alors que l’article 10.1 alinéa 2 de la

proposition de directive ne la rend obligatoire que dans les « contrats de sûreté »

conclus par des «garants consommateurs» couvrant un contrat de crédit, la remise du

contrat principal au garant pourrait figurer dans le régime primaire des garanties

personnelles, puisqu’elle peut engendrer divers facteurs d’efficacité, sans augmenter

le coût de la protection des créanciers.

Si la remise du contrat principal au garant devait ainsi figurer dans le régime

primaire, perdrait son utilité la précision, figurant dans l’article 22-1 alinéa 3 de la

loi du 6 juillet 1989, selon laquelle « le bailleur remet à la caution un exemplaire

du contrat de location ».

En revanche, la règle nouvelle n’empiéterait pas sur le domaine des articles L.

311-8 et L. 312-7 du Code de la consommation, car ces textes imposent la remise,

non du contrat de crédit à la consommation ou immobilier définitivement conclu,

mais seulement de l’offre de crédit. Si l’abrogation de ces dispositions du Code de la

consommation ne saurait donc résulter de l’instauration de la formalité préconisée

dans le régime primaire, elle pourrait en revanche procéder du nouvel agencement

des protections accordées aux «garants consommateurs» dans les règles spéciales

leur étant consacrées.

S’agissant de la sanction du défaut de remise du contrat principal au garant,

l’objectif d’efficacité invite à exclure la nullité actuellement retenue en matière de

cautionnement de dettes locatives1843, au profit de la responsabilité contractuelle du

créancier. L’absence de remise du contrat de base ne serait alors sanctionnée que si

le garant parvenait à prouver en avoir subi un préjudice. La responsabilité du

bénéficiaire devrait être rarement retenue en présence d’obligations de règlement

dont l’objet est déterminé ab initio, ou encore de garanties personnelles souscrites

par des garants disposant d’informations sur le contrat principal en raison des

rapports étroits entretenus avec le débiteur.

A condition de ne pas être assortie d’une sanction forfaitaire, la remise du

contrat principal au garant pourrait donc protéger les intérêts de celui-ci tout en

augmentant les chances de satisfaction des attentes du créancier.

842. L’information du garant sur le premier incident de paiement du

débiteur principal. La solidarité à l’égard du garant peut également être utile à

l’efficacité des garanties personnelles lorsqu’elle est imposée en cours d’exécution

du contrat. Ainsi, le régime primaire pourrait servir, tant l’impératif d’éthique

contractuelle, que l’objectif d’efficacité, en obligeant les créanciers à informer le

garant du premier incident de paiement du débiteur principal.

Lorsque le montant de l’obligation de règlement du garant est déterminé par

emprunt ou par référence à l’obligation principale, cette information peut permettre

au garant d’exécuter son obligation dans les meilleurs délais et d’éviter par là même

1843 Sur l’inefficacité résultant des sanctions forfaitaires assortissant aujourd'hui le formalisme

informatif indirect en matière de cautionnement, cf. supra n°617-620

Page 476: L'efficacité des garanties personnelles

le surcoût lié à l’accumulation des intérêts moratoires dûs par le débiteur. Par

ailleurs, quels que soient l’objet de l’obligation de règlement du garant, la « cause »

de son obligation de couverture, la qualité du créancier et la nature du contrat

principal, l’information sur la défaillance du débiteur présente l’avantage, en termes

d’efficacité, de permettre au garant d’inciter ledit débiteur à exécuter ses obligations

ou, à tout le moins, à ne pas continuer à s’endetter. Si la proposition de directive du

11 septembre 2002 n’impose pas cette information, la Commission européenne

remarque, néanmoins, dans l’examen du dispositif, que « le prêteur devrait alerter

à temps le garant si le consommateur se trouve dans une situation de défaut de

paiement, de sorte que le garant puisse prendre au besoin des mesures pour ne pas

aggraver encore plus la situation débitrice du consommateur ». Compte tenu de ses

avantages et de son caractère peu onéreux, l’information du garant sur la défaillance

du débiteur pourrait donc être imposée par le régime primaire des garanties

personnelles.

L’instauration de cette règle nouvelle pourrait être l’occasion de supprimer les

défauts formels du droit du cautionnement afférents à cette obligation d’information.

Tout d’abord, l’illisibilité résultant de la coexistence des articles 47-II alinéa 3 de la

loi du 11 février 1994, L. 313-9 et L. 341-1 du Code de la consommation pourrait

cesser, puisqu’un texte unique remplacerait ces dispositions éparses. Pourrait ensuite

être supprimée l’incohérence découlant de la dualité de définitions de l’incident de

paiement. A cette fin, le législateur pourrait situer la défaillance du débiteur

principal, soit au jour du premier incident de paiement non régularisé dans le mois

d’exigibilité1844, soit au jour du premier incident de paiement susceptible

d’inscription au FICP1845. La première définition peut sembler préférable, car, en

permettant au garant d’être plus tôt avisé de la défaillance du débiteur, elle renforce

les avantages de l’information du garant. Enfin, lors de la réforme du droit des

garanties personnelles, le silence relatif aux modalités d’exécution de l’obligation

d’information pourrait être comblé par une référence à la lettre simple. Toutes ces

améliorations apportées au droit positif rendraient plus solide l’efficacité du

cautionnement.

Pour que l’efficacité de l’ensemble des garanties personnelles soit renforcée par

la généralisation de l’obligation d’informer le garant sur la défaillance du débiteur, il

paraît nécessaire d’écarter la sanction forfaitaire que retiennent les textes actuels1846,

au profit de la responsabilité contractuelle du créancier. Celui-ci ne pourrait être

condamné à des dommages et intérêts que si le garant parvenait à prouver que le

défaut d’information lui a fait perdre une chance de ne pas être poursuivi ou d’être

poursuivi pour une moindre somme. En outre, le lien de causalité entre le défaut

d’information et ce préjudice risquant de faire défaut en présence d’un garant

parfaitement informé de la situation du débiteur principal, les garanties personnelles

souscrites par des garants professionnels ou par des garants intégrés dans les affaires

1844 Il s’agit de la définition retenue par les articles 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994

et L. 341-1 du Code de la consommation. 1845 Telle est la définition de l’article L. 313-9 du Code de la consommation. 1846 Les articles 47-II alinéa 3 de la loi de 1994, L. 313-9 et L. 341-1 du Code de la

consommation sanctionnent le défaut d’information de la caution par la déchéance des

« pénalités ou intérêts de retard échus entre la date de ce premier incident et celle à laquelle

elle en a été informée ». Sur l’inefficacité résultant de cette sanction forfaitaire, cf. supra

n°620

Page 477: L'efficacité des garanties personnelles

du débiteur ou encore par des garants nourrissant des liens affectifs très étroits avec

celui-ci devraient être rarement remises en cause sur le fondement du défaut

d’information.

843. Sous réserve d’être assorties de sanctions proportionnées, les contraintes

imposées aux créanciers sur le fondement de l’impératif d’éthique contractuelle

pourraient donc conforter l’efficacité des garanties personnelles. Les intérêts des

créanciers pourraient, en plus, être directement protégés, si le régime primaire

imposait également la loyauté aux garants.

B/ LES OBLIGATIONS MISES A LA CHARGE DES GARANTS

844. La solidarité du garant à l’égard du créancier. Positivement,

l’impératif d’éthique contractuelle exige que les contractants se montrent solidaires

l’un envers l’autre. Dans un contrat unilatéral, le débiteur doit ainsi, non seulement

exécuter ses obligations au mieux des intérêts de son créancier, mais aussi

renseigner ce dernier sur tout ce qui est susceptible de faciliter ou d’entraver

l’exécution de sa prestation. L’information n’est pas l’apanage des créanciers. Sur le

fondement de l’impératif d’éthique contractuelle, il convient donc d’obliger les

garants, d’une part, à fournir des informations aux créanciers et, d’autre part, à

rechercher les informations nécessaires à l’exécution de leur obligation de garantir.

845. L’obligation de répondre loyalement aux demandes de

renseignements du créancier. L’article 6.1 alinéa 1er de la proposition de directive

sur le crédit aux consommateurs dispose que les créanciers ne peuvent demander

aux garants pressentis que « des renseignements adéquats, pertinents et non

excessifs afin d’apprécier la situation financière de ceux-ci et leurs facultés de

remboursement ». Si un créancier venait à dépasser ce cadre, les sanctions de droit

commun des violations de la vie privée, des atteintes aux droits des tiers ou encore

des discriminations pourraient s’appliquer.

Le régime primaire pourrait préciser, conformément à l’article 6.1 alinéa 2 de la

proposition de directive, que les garants « sont tenus de répondre à ces demandes de

renseignement de manière exacte et complète ». La mauvaise foi par commission,

aussi bien que par omission, devrait être pourchassée, sans distinction tenant à la

qualité des parties, à la nature du contrat principal ou à celle du contrat de garantie

personnelle. L’obligation de loyauté imposée par le texte communautaire devrait

donc voir son champ d’application étendu à l’ensemble des garanties personnelles.

Comme l’efficacité de la condamnation au paiement de dommages et intérêts

est rendue incertaine par l’éventuelle insolvabilité du garant de mauvaise foi, le

manquement à ce devoir de loyauté devrait plutôt être sanctionné par la déchéance

de certains droits. Ainsi, la fourniture d’informations incomplètes ou erronées lors

de la formation du contrat de garantie pourrait constituer une fraude dispensant le

créancier de mettre en demeure le garant1847. Par ailleurs, dans l’hypothèse où la

fourniture de tels renseignements conduirait le créancier à faire souscrire au garant

un engagement disproportionné par rapport à ses capacités financières, ledit garant

1847 Sur l’obligation de mise en demeure et l’exception procédant de la fraude du garant aux

droits du créancier, cf. supra n°818-821, 845

Page 478: L'efficacité des garanties personnelles

pourrait se voir refuser le bénéfice de la réduction de son obligation de

règlement1848.

846. L’obligation de se renseigner mise à la charge des garants. Le devoir

de conseil non imposé aux créanciers. En vertu de l’impératif d’éthique

contractuelle, le garant doit fournir des informations sur sa situation patrimoniale,

mais il doit aussi rechercher des informations à même de faciliter son exécution. En

conséquence, le régime primaire des garanties personnelles pourrait préciser que,

même lorsque le garant doit recevoir certaines informations du créancier avant de

donner son consentement1849, il doit toujours se renseigner sur le contrat de garantie

et sur le contrat principal1850, et n’est jamais créancier d’une obligation de conseil.

L’obligation de se renseigner serait justifiée, non seulement au regard de

l’objectif d’efficacité, puisqu’elle empêcherait de nombreuses contestations des

garants, mais également au regard des exigences communautaires. En effet, la

Commission européenne précise, dans l’examen du dispositif de sa proposition de

directive, que la règle relative au prêt responsable1851 « est sans préjudice de

l’obligation du consommateur d’agir avec prudence lors de la recherche d’un crédit

et de respecter ses obligations contractuelles ». Par analogie, les protections

spéciales accordées à certains garants ne devraient pas les dispenser de se

renseigner, à tous les stades de la vie du contrat.

Concernant le conseil dû aux garants, son exclusion pourrait aussi s’expliquer

par la recherche de l’efficacité, car le conseil constitue une excroissance de

l’impératif d’éthique contractuelle incompatible avec la protection des intérêts des

créanciers1852. L’exclusion du devoir de conseil ne contredirait en rien, par ailleurs,

les exigences communautaires, puisque ce devoir n’est imposé qu’au bénéfice du

consommateur1853. La proposition de directive ne comporte, par contre, aucune

disposition relative à l’opportunité, pour le garant, de conclure le « contrat de

sûreté ».

847. Conclusion de la Section 1. Pour faire régner la solidarité entre les

contractants, tout en respectant, aussi bien l’objectif d’efficacité, que la proposition

de directive sur le crédit aux consommateurs, le régime primaire des garanties

personnelles pourrait donc imposer aux garants de répondre loyalement aux

demandes de renseignements des créanciers et de s’informer sur le contrat de

garantie, ainsi que sur le contrat principal, sans attendre de leur créancier un conseil. 1848 Sur l’exigence de proportionnalité et sa sanction, cf. infra n°852-856 1849 Sur le formalisme informatif que le régime des garanties personnelles souscrites par un

«garant consommateur» devrait organiser, cf. infra n°914-917 ; 920-926 ; 929-938 1850 En faveur de cette obligation de se renseigner, cf. J. CASEY, th. préc., n°443 : « plus la

caution sera informée par elle-même, plus on peut concevoir de réduire le formalisme de son

engagement » ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°69 : « il appartient à toute personne de

bonne foi qui s’engage comme caution de se renseigner elle-même sur l’étendue du risque

qu’elle court, ce qui nous paraît de bonne politique et conforme à l’idéal de responsabilité de

chacun. Le droit n’aide que les gens vigilants ! » 1851 Sur l’article 9 de la proposition de directive relatif au prêt responsable, cf. infra n°854,

856 1852 Sur les excroissances de l’impératif d’éthique contractuelle et leur incompatibilité avec

l’objectif d’efficacité, cf. supra n°164-166 1853 Article 6.3

Page 479: L'efficacité des garanties personnelles

S’agissant des bénéficiaires, ils pourraient se voir contraints, lors de la formation de

la garantie, de remettre au garant un exemplaire de ce contrat et un exemplaire de la

convention principale et, au cours de l’exécution du contrat de garantie, d’informer

le garant du premier incident de paiement du débiteur principal non régularisé dans

le mois de l’exigibilité.

Pour conforter l’efficacité des garanties personnelles, le régime primaire

pourrait, en outre, comporter des règles fondées sur cette caractéristique commune

qu’est l’obligation de garantir. L’assimilation de l’obligation de couverture pourrait

être concrétisée par des règles intéressant son existence (remplacement du garant

insolvable et publicité des garanties personnelles) et son extinction (exclusion de

tous les termes extinctifs implicites). L’assimilation de l’obligation de règlement

pourrait, quant à elle, reposer sur des règles se rapportant à son exécution (caractère

exprès des conditions subordonnant l’exécution de l’obligation de règlement ; mise

en demeure obligatoire, sauf fraude du garant ; charge des frais de recouvrement ;

octroi de délais de paiement uniquement dans les conditions de l’article 1244-1 du

Code civil), son inexécution (communication immédiate et gratuite des frais

d’inexécution ; inscription au fichier des garants défaillants et consultation de ce

fichier) et son extinction (extinction par voie principale pour les causes de droit

commun, mais exclusion des causes d’extinction découlant de la procédure

collective de paiement ouverte contre le débiteur principal).

Toutes les règles jusqu’ici préconisées pourraient s’appliquer à l’ensemble des

garanties personnelles, mais seulement à celles-ci, puisqu’elles sont fondées, soit sur

une caractéristique technique qui leur est propre, soit sur les spécificités de

l’impératif d’éthique contractuelle en leur domaine. D’autres règles du régime

primaire pourraient, au contraire, avoir un champ d’application plus étendu, comme

reposant sur des caractéristiques que les garanties personnelles partagent avec

d’autres mécanismes.

SECTION 2 : LES RÈGLES APPLICABLES

À D’AUTRES GARANTIES

848. La structure du nouveau titre XIV du Code civil. Les règles du régime

primaire des garanties personnelles fondées sur les caractéristiques qu’elles ont en

commun avec d’autres mécanismes de garantie pourraient être appliquées a pari par

les juges. L’analogie pourrait même dicter le travail législatif et conduire à

l’instauration de plusieurs régimes primaires. Ainsi, les actuels titres XIV, XVII et

XVIII du Code civil1854 pourraient fusionner en un seul titre, intitulé « Des

garanties ».

Dans le premier chapitre, baptisé « Dispositions générales », une première

section pourrait regrouper les règles applicables à toutes les garanties et les sections

suivantes pourraient être consacrées aux règles communes aux principales catégories

de garanties, c'est-à-dire les garanties de paiement et les garanties de crédit1855.

1854 Au sein du Livre troisième du Code civil relatif aux « différentes manières dont on

acquiert la propriété », le Titre XIV est consacré au cautionnement, le Titre XVII au

nantissement et le Titre XVIII aux privilèges et hypothèques. 1855 D’autres catégories de garanties pourraient également faire l’objet de règles communes,

notamment les garanties par conservation du droit de gage général, les garanties par

Page 480: L'efficacité des garanties personnelles

Dans le deuxième chapitre, nommé « Des garanties personnelles », la première

section pourrait réunir toutes les règles précédemment présentées, qui s’appliquent à

l’ensemble de ces contrats, mais seulement à ceux-ci. Les autres sections pourraient

être dédiées aux règles spéciales, qui seront envisagées plus loin1856.

Le troisième chapitre, intitulé « Des garanties réelles », sur le modèle du

précédent, pourrait commencer par une section relative à leur régime primaire1857 et

se poursuivre par plusieurs sections, chacune fondée sur une caractéristique

distinctive, ou chacune consacrée à une garantie réelle particulière.

849. Les règles fondées sur les caractéristiques que les garanties

personnelles partagent avec d’autres mécanismes. Que le législateur reconstruise

le seul droit des garanties personnelles et n’institue, ce faisant, qu’un seul régime

primaire, ou qu’il s’attèle à une tâche plus ambitieuse, le conduisant à réformer

toutes les garanties du Code civil et à poser plusieurs corps de règles communes

impératives, comme ceux proposés ci-dessus, il est indéniable que de nombreuses

règles affectant l’ensemble des garanties personnelles concernent plus largement

tous les mécanismes présentant des caractéristiques identiques. Certaines règles

pourraient ainsi s’appliquer aux garanties de paiement ou de crédit (§1), d’autres

pourraient même viser toutes les garanties (§2).

renforcement du contenu obligatoire du contrat et les garanties par exclusion du concours. Sur

ces différents types de garanties, cf. supra n°249-251, 256-258 1856 Une section 2 pourrait instaurer « des règles particulières aux garanties personnelles

souscrites par un garant personne physique », une section 3 « des règles particulières aux

garanties personnelles souscrites par un «garant consommateur» », une section 4 « des règles

particulières aux garanties personnelles souscrites par un garant non tenu envers le débiteur»,

une section 5 « des règles particulières aux garanties personnelles accessoires » et une section

6 « des règles particulières aux garanties personnelles indépendantes ». 1857 Les auteurs reconnaissant l’existence d’un droit commun des sûretés réelles ont

essentiellement mis en avant les règles suivantes : les règles fondées sur la nature des sûretés

réelles (indivisibilité ; attribution des indemnités d’assurance ; déchéance du terme ;

transmission et extinction avec la créance) ; les règles répondant à des exigences particulières

de l’ordre public (prohibition de la clause de voie parée et du pacte commissoire ; protection

du patrimoine personnel de l’entrepreneur ; sauvetage de l’entreprise avec la substitution de

garantie qui est applicable à toutes les sûretés réelles dont l’existence empêcherait l’entreprise

de disposer du prix d’aliénation ; sauvetage de l’entreprise avec l’uniformité des délais du

plan de continuation ; substitution de garantie dans le cadre d’un surendettement ; droit, pour

le débiteur, avant la vente aux enchères publiques, de rechercher lui-même l’acquéreur du

bien) ; les règles interdisant des ruptures anormales d’égalité (nullité de plein droit des sûretés

réelles constituées pendant la période suspecte pour garantir des dettes antérieures ;

prohibition des inscriptions à partir du jugement d’ouverture, pour toutes les sûretés soumises

à publicité) ; la transmission de la sûreté au cessionnaire (sur ces règles communes, cf. P.

CROCQ, L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch.

Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°22 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°520 à 526 ; J.

MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19, 261).

Il sera démontré que certaines de ces règles concernent, non seulement toutes les garanties

réelles, mais aussi toutes les garanties de paiement ou de crédit, et même toutes les garanties.

Elles devraient ainsi figurer dans les régimes primaires se rapportant à ces deux ensembles de

mécanismes.

Page 481: L'efficacité des garanties personnelles

§1 : LES REGLES APPLICABLES

AUX GARANTIES DE PAIEMENT OU DE CREDIT

850. Les règles fondées sur les effets principaux de la constitution et de la

réalisation de la garantie. Toutes les garanties personnelles se caractérisent par les

mêmes effets principaux. Leur constitution peut conférer au bénéficiaire un droit

d’agir, que ne procure pas le seul droit de gage général, et qui anticipe l’éventuelle

inexécution du débiteur. Leur constitution peut également faciliter l’accès au crédit

de ce dernier. Leur mise en œuvre, quant à elle, peut permettre au bénéficiaire de

recevoir un paiement, sans pâtir d’un éventuel concours avec les autres créanciers du

débiteur.

Comme les garanties personnelles ne sont pas les seuls mécanismes à pouvoir

produire ces effets, les règles régissant ceux-ci pourraient s’appliquer à d’autres

garanties. Plus précisément, les règles relatives aux effets de la garantie sur la

situation du créancier pourraient jouer en présence de n’importe quelle garantie de

paiement (A), et les règles intéressant les effets de la garantie sur la situation du

débiteur pourraient concerner toutes les garanties de crédit (B).

A/ LES REGLES APPLICABLES AUX GARANTIES DE PAIEMENT

851. Les règles imposant aux créanciers la tempérance. Certaines règles

ayant trait au désintéressement des créanciers pourraient être appliquées à tous les

mécanismes de garantie dont la mise en œuvre est susceptible d’éteindre la dette du

débiteur en plaçant le bénéficiaire dans une situation avantageuse par rapport aux

autres créanciers dudit débiteur1858. Tel pourrait être le cas des règles faisant

respecter l’impératif d’éthique contractuelle dans sa dimension négative, c'est-à-dire

imposant aux créanciers la tempérance1859.

852. L’exigence de proportionnalité. Conformément à l’impératif d’éthique

contractuelle, les créanciers ne doivent pas confondre la protection de leurs intérêts,

qui constitue la fonction des contrats unilatéraux de garantie, avec leur

surprotection, qui consiste à faire souscrire une garantie disproportionnée, au mépris

des intérêts fondamentaux du constituant. La proportionnalité entre la garantie de

paiement et le montant de la créance, ainsi que la proportionnalité entre cette

garantie et le patrimoine du constituant, sont des exigences de l’impératif d’éthique

1858 Sur la présentation des principales garanties de paiement, cf. supra n°248 1859 En faveur de l’application à toutes les sûretés de règles imposant aux créanciers la

tempérance au stade de leur constitution, cf. D. LEGEAIS, n°26 : au rang des « principes

communs », figure la sanction des créanciers, qui manquent à leur devoir de bonne foi en se

faisant consentir des garanties excessives par rapport au patrimoine de leur débiteur et au

montant de leur créance ; H., L. et J. MAZEAUD et F. CHABAS, par Y. PICOD, n°6-3 : « à

l’instar du droit allemand, on peut entrevoir une règle commune aux sûretés personnelles et

réelles à travers le principe de proportionnalité » ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M.

BILLIAU, n°161 et s. ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 : la règle selon laquelle un

créancier n’est jamais tenu de prendre une sûreté, mais reste libre, sous réserve de ne pas

abuser de ses prérogatives, d’en choisir une ou plusieurs, devrait figurer dans un droit

commun des sûretés.

Page 482: L'efficacité des garanties personnelles

contractuelle1860, tout autant que des facteurs d’efficacité des garanties conclues,

puisqu’elles diminuent les risques de contestation et augmentent, au contraire, les

chances de réalisation satisfactoire pour le bénéficiaire1861. Elles devraient donc être

imposées dans toutes les garanties de paiement1862.

853. L’obligation de ne pas faire souscrire au garant un engagement

disproportionné par rapport à ses facultés financières. En matière de garanties

personnelles, le devoir de tempérance au stade de la constitution pourrait se traduire

par l’édiction d’une obligation générale de ne pas faire souscrire au garant un

engagement disproportionné par rapport à ses facultés financières.

En tant que manifestation du devoir de loyauté contractuelle et facteur

d’efficacité, cette obligation devrait s’appliquer à toutes les garanties personnelles,

quels que soient la qualité des parties1863, la « cause » de l’obligation de couverture

du garant, l’objet de son obligation de règlement ou encore la nature du contrat

principal. Le droit positif pourrait se trouver profondément modifié, non seulement

par cette extension du champ d’application de l’exigence de proportionnalité1864,

1860 Pour de plus amples développements sur la tempérance des créanciers comme exigence

de l’impératif d’éthique contractuelle, cf. supra n°149-152 1861 Dans l’examen du dispositif de sa proposition de directive du 11 septembre 2002, la

Commission européenne a remarqué, en ce sens, que des règles de prudence doivent être

imposées aux prêteurs « non seulement dans l’intérêt des consommateurs ou des garants mais

également de tous les prêteurs. Ceux-ci risquent en effet de voir diminuer la solvabilité de

leurs clients en raison de contrats de crédit accordés ultérieurement par leurs concurrents,

lorsque ces contrats sont accordés dans des circonstances mettant gravement en péril les

capacités de remboursement du consommateur ou du garant ».

Dans sa proposition de résolution du 13 novembre 2002, le Sénat a également noté que la

notion de « prêt responsable » est instaurée, tant dans l’intérêt du consommateur, que dans

l’intérêt collectif des prêteurs.

Sur l’utilité des contraintes fondées sur la tempérance des créanciers, en vue de la satisfaction

des attentes de ces derniers, cf. supra n°169, 170 1862 En matière de sûretés réelles, l’édiction d’un principe général de proportionnalité

viendrait conforter les dispositions existantes autorisant la réduction des hypothèques

excessives au regard du montant de la créance (articles 2161 et 2162 du Code civil). Elle

pourrait, par ailleurs, rendre inutile le recours à la théorie de l’abus de droit pour sanctionner

les garanties disproportionnées. Sur la proportionnalité en matière de sûretés réelles, cf. S.

PESENTI, Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars 2004, n°51,

p. 12 et s., n°27 et s. ; D. LEGEAIS, n°360 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU,

n°191 et s. 1863 Tous les garants devraient pouvoir invoquer le manquement de leur créancier au devoir de

tempérance. Ph. SIMLER (n°247) a remarqué en ce sens que, « dans l’article L. 313-10 du

Code de la consommation, la restriction aux seuls cautionnements consentis par des

personnes physiques n’a pas de justification rationnelle. Elle ne s’explique que par le

contexte de la loi du 31 décembre 1989, c'est-à-dire la prévention du surendettement des

particuliers ». Il est vrai cependant que, compte tenu de la surface financière respective des

garants personnes physiques et des garants personnes morales, la protection ne devrait

pratiquement jouer qu’au bénéfice des premiers. 1864 A l’heure actuelle, la disproportion de l’engagement du garant par rapport à ses biens et

revenus n’est légalement sanctionnée qu’en matière de cautionnement (sur les positions

doctrinales favorables à la sanction de la disproportion en matière de garanties personnelles

innomées, cf. supra n°704) et, plus précisément, seulement dans les cautionnements conclus

entre un créancier professionnel et une caution personne physique (article L. 341-4 du Code

de la consommation, issu de la loi du 1er août 2003).

Page 483: L'efficacité des garanties personnelles

mais aussi par les dispositions de la proposition de directive du 11 septembre 2002

ayant trait à la prudence dont doivent faire montre les créanciers.

854. L’interprétation du principe communautaire de « prêt

responsable ». Le devoir de tempérance et l’obligation de ne pas faire souscrire au

garant un engagement disproportionné ne sont pas expressément visés par le texte

communautaire1865, mais ils constituent les corollaires du principe de « prêt

responsable », que son article 9 formule en ces termes : « lorsque le prêteur conclut

un contrat de crédit ou de sûreté ou augmente le montant total du crédit ou le

montant garanti, il est censé avoir estimé préalablement, par tout moyen à sa

disposition, que le consommateur et, le cas échéant, le garant seront

raisonnablement à même de respecter leurs obligations découlant du contrat ».

A la lecture de cette disposition, ainsi que de l’examen du dispositif, il apparaît

que la Commission européenne n’admet pas que le manquement du créancier au

principe de « prêt responsable » puisse être constaté en tenant uniquement compte

d’une disproportion mathématique entre le montant de l’engagement du garant et ses

capacités financières au jour de la conclusion du « contrat de sûreté » ou de sa

renégociation1866. Ce constat semble plutôt dépendre de l’appréciation que le

créancier a pu porter sur la situation patrimoniale du garant et, en amont, des

investigations qu’il a pu mener pour connaître cette situation.

En effet, le but assigné à l’article 9 est avant tout d’obliger le prêteur à

« vérifier si un consommateur, et le cas échéant un garant, est à même de respecter

de nouveaux engagements »1867. La Commission européenne précise qu’il s’agit

d’ « une obligation de moyens, qui se traduit notamment par la consultation des

bases centralisées de données et l’examen des réponses fournies par le

consommateur ou le garant » et qu’ « il importe de préciser le lien entre la

conclusion du contrat de crédit et cet examen préalable »1868. Alors que le choix en

faveur d’une obligation de résultat aurait pu conduire à sanctionner le créancier

chaque fois que le garant se serait trouvé dans l’incapacité financière d’exécuter son

engagement, sous réserve de la preuve d’une cause étrangère, le choix en faveur de

l’obligation de moyens invite plutôt à ne prononcer une sanction qu’en cas

d’absence de diligences du créancier pour connaître les capacités financières du

garant1869 ou en cas de mauvaise analyse de celles-ci. La Commission souligne ainsi

1865 Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne parle néanmoins de « règles de

prudence ou de gestion en « bon prêteur » ». 1866 La proposition de directive impose la prudence aux créanciers lors de la conclusion du

« contrat de sûreté », mais aussi lors d’une augmentation du montant garanti. Comme elle

exige, par ailleurs, que le « contrat de sûreté » comporte un plafond (article 10.3), le montant

garanti ne peut pas être déterminé par référence au montant du contrat principal, par voie

accessoire. L’augmentation du montant garanti visée par l’article 9 ne peut donc résulter que

d’une renégociation du « contrat de sûreté » avec le garant, et non d’une augmentation de la

dette principale. En conséquence, le créancier doit vérifier la capacité financière du garant

uniquement lors de la conclusion de la garantie et d’une éventuelle renégociation, et non

chaque fois qu’il accorde un crédit supplémentaire au débiteur principal. 1867 Point 15 de l’exposé des motifs de la proposition de directive. 1868 Examen du dispositif relatif à l’article 9 de la proposition de directive. 1869 Afin d’éviter la sanction, le créancier devra donc commencer par prouver s’être renseigné

sur la situation financière du garant. A cet égard, dans sa proposition de résolution du 13

novembre 2002, le Sénat a relevé une incohérence dans le dispositif de la proposition de

Page 484: L'efficacité des garanties personnelles

que « l’examen par le prêteur des capacités de remboursement du consommateur

n’est pas neutre ». Le créancier ne peut pas se contenter de consulter les bases de

données et de demander des renseignements. Il doit tirer les conséquences de ces

recherches, le cas échéant en s’abstenant de conclure le contrat ou, à tout le moins,

en adaptant le contenu du contrat aux capacités du garant. « Pareilles règles de

prudence demandent une appréciation des faits, à examiner au cas par cas, de

préférence par les autorités judiciaires ». Parmi les faits examinés, devraient figurer

les moyens dont dispose le créancier pour se renseigner de manière fiable sur la

situation du garant, ainsi que ses compétences en matière de crédit et de garantie.

855. Les critères subjectifs d’appréciation de la disproportion. A en suivre

les précisions apportées par la Commission européenne sur le principe de « prêt

responsable », le texte national imposant l’obligation de ne pas faire souscrire au

garant un engagement excessif ne devrait donc pas viser une disproportion purement

objective, résultant de la seule comparaison entre le montant de l’engagement du

garant et ses biens et revenus au jour de la conclusion du contrat de garantie ou de sa

renégociation. Il devrait plutôt imposer que l’appréciation de la disproportion repose

aussi sur des critères subjectifs1870.

Si les articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation ne répondent

pas à ces exigences, la jurisprudence Nahoum de la Cour de cassation, au contraire,

s’en rapprochait1871. En conséquence, à l’occasion de la réforme du droit des

garanties personnelles, les articles précités pourraient être abrogés et remplacés par

un nouveau texte, dans le Code civil, qui transposerait les exiges communautaires,

en ne s’attachant pas uniquement à une disproportion mathématique, mais en

prenant également en compte les connaissances des créanciers, comme l’avait

décidé la Chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 8 octobre

2002.

Une telle modification du droit positif n’empêcherait pas de protéger les garants

contre les abus manifestes des créanciers intempérants et pourrait en même temps

limiter les possibilités de remise en cause des garanties personnelles sur le

directive : « le prêteur est censé consulter les bases centralisées de données avant la

conclusion du contrat par le consommateur ou la personne agissant en garantie de celui-ci,

puis il doit détruire les données une fois le prêt accordé ou refusé. Or, s’il agit de cette

manière, on voit mal comment il pourrait faire la preuve ultérieurement qu’il a bien procédé

au contrôle préalable de la situation de son client ». En vue de supprimer cette incohérence,

qui pourrait nuire aux intérêts des créanciers, le Sénat a demandé au Gouvernement « que soit

déterminée la procédure de conservation des données informatiques pour valoir preuve du

comportement responsable du prêteur ». 1870 Si tous les créanciers, même non professionnels, étaient soumis à ce devoir de

tempérance, ils ne devraient donc pas tous avoir les mêmes risques d’être sanctionnés en cas

de disproportion de la garantie personnelle par rapport aux capacités patrimoniales du garant.

Ces risques pourraient surtout peser sur les créanciers disposant de nombreux moyens de

connaître le patrimoine du garant, c'est-à-dire sur les créanciers agissant dans un cadre

professionnel. Si la réforme préconisée venait à étendre le champ d’application des textes

actuels relatifs à la disproportion, elle ne se traduirait donc certainement pas par la sanction de

créanciers jusqu’ici non visés par ces textes. 1871 Sur les articles L. 313-10 et L. 341-4 du Code de la consommation, cf. supra n°414, 507,

520, 545, 614, 619. Sur la jurisprudence Nahoum, cf. supra n°414, 466

Page 485: L'efficacité des garanties personnelles

fondement de la disproportion1872. L’efficacité de ces mécanismes pourrait encore

être renforcée si la modification du droit en vigueur affectait également la sanction

de cette disproportion.

856. Les sanctions de la disproportion. Selon l’article 31 de la proposition

de directive sur le crédit aux consommateurs, il appartient aux Etats membres de

déterminer le régime des sanctions applicables aux violations des règles nationales

prises en application de cette directive. Au vu de cette disposition, le législateur

français serait en droit, lors de la réforme du droit des garanties personnelles, de

maintenir la sanction actuellement retenue par les articles L. 313-10 et L. 341-4 du

Code de la consommation, c'est-à-dire la déchéance totale du créancier, sous réserve

d’un retour à meilleure fortune du garant. Cependant, compte tenu, non seulement

de l’inefficacité résultant de cette sanction forfaitaire1873, mais également des

suggestions faites par la Commission européenne au sujet de la sanction du non

respect du principe de « prêt responsable », il est souhaitable que la sanction de la

disproportion soit modifiée.

A cette fin, on pourrait songer à remplacer la déchéance du créancier par la

mise en jeu de sa responsabilité1874. Le préjudice subi par le garant pourrait ainsi être

pris en compte. Mais, il est à craindre que les juges ne fixent pas le montant des

dommages et intérêts au regard de ce préjudice et qu’ils déchargent trop facilement

le garant de la totalité de son engagement.

La Commission européenne propose une autre sanction pour le cas où le

créancier ne respecterait pas les dispositions relatives au prêt responsable. Il s’agit

de « la perte d’intérêts et de frais pour le prêteur et le maintien du bénéfice de

paiement échelonné du montant total du crédit par le consommateur »1875. La

sanction préconisée est double, puisque pourraient se cumuler une déchéance

partielle, ne concernant que les accessoires et non le principal de la dette, et

l’éviction de la déchéance du terme.

1872 Si la mise en œuvre du principe de « prêt responsable » est susceptible de conforter

l’efficacité des garanties personnelles, certains craignent qu’elle n’ait des conséquences

néfastes en matière de crédit. Ainsi, en février 2003, le MEDEF a fait valoir que la

responsabilité instaurée par l’article 9 de la proposition de directive est « particulièrement

déséquilibrée. Elle ne pèse, en fait, que sur le prêteur, le consommateur apparaissant comme

n’étant pas capable d’avoir son propre jugement. Le résultat ne peut qu’être une raréfaction

du crédit à la consommation. Afin de se prémunir de sanctions pour avoir délivré des prêts

« irresponsables », les établissements de crédit seront incités à refuser des crédits qui se

seraient pourtant bien déroulés, voire à renchérir leurs conditions pour mieux assurer la

mutualisation du risque ». Dans un communiqué de presse, la Commission européenne a

répondu que la directive vise à protéger les consommateurs contre les abus et non à

restreindre l’octroi de crédits. Par rapport au principe de prêt responsable, il est seulement

exigé que les sociétés de crédit procèdent à l’évaluation honnête de la capacité du

consommateur de rembourser son emprunt. Ce principe n’implique pas de limitation du ratio

dettes-revenu. 1873 Sur cette inefficacité, cf. supra n°617-621 1874 En faveur de la sanction de la disproportion par la mise en jeu de la responsabilité du

créancier, cf. S. PESENTI, Le principe de proportionnalité en droit des sûretés, LPA 11 mars

2004, n°51, p. 12 et s., n°17 1875 Examen du dispositif relatif à l’article 31 de la proposition de directive.

Page 486: L'efficacité des garanties personnelles

Conformément à cette suggestion de la Commission européenne, le législateur

français pourrait abandonner la déchéance totale au profit d’une déchéance

seulement partielle, présentant l’avantage d’être proportionnée et de respecter la

force obligatoire du consentement donné par le garant.

Mais, plutôt que la perte forfaitaire des accessoires, la réforme pourrait retenir

la réduction de l’obligation de règlement du garant à la mesure de ses capacités

financières au jour de la conclusion ou de la renégociation du contrat de garantie1876.

Le créancier ne serait ainsi privé que des sommes que son intempérance l’avait

conduit à exiger. Proportionnée, cette sanction peut sembler insuffisamment

dissuasive. C’est pourquoi, elle pourrait être complétée par l’autre sanction

préconisée par la Commission européenne, c'est-à-dire un paiement échelonné, qui

oblige le créancier à subir l’impécuniosité du garant qu’il a créée. Par conséquent,

en cas de disproportion, les juges pourraient réduire l’engagement du garant à ses

facultés patrimoniales au jour de la conclusion du contrat et imposer

l’échelonnement du règlement en tenant compte de ces facultés au jour de la

demande de paiement. Les garants de mauvaise foi, qui fourniraient à leur créancier

des informations erronées ou incomplètes sur leur situation financière, pourraient

être privés du droit d’invoquer ces sanctions1877.

857. Si le champ d’application, les conditions d’appréciation, et la sanction de

l’exigence de proportionnalité n’ont été développés que dans le cadre des garanties

personnelles, il n’en reste pas moins que le devoir de tempérance au stade de la

formation du contrat pourrait être imposé aux créanciers dans toutes les garanties de

paiement. Il pourrait en aller de même à l’égard du devoir de tempérance au stade du

recouvrement des créances.

858. La proportionnalité dans le recouvrement des créances. L’article 24.1

a) de la proposition de directive du 11 septembre 2002 « contient un principe

général de proportionnalité à l’égard du recouvrement des dettes nées d’un contrat

de crédit ou de sûreté »1878. Il précise, en effet, que « les Etats membres veillent à ce

que les prêteurs, leurs mandataires, ainsi que toute personne qui serait le nouveau

titulaire des créances résultant d’un contrat de crédit ou d’un contrat de sûreté, ne

1876 En faveur de la sanction de la disproportion par la réduction, cf. D. BAKOUCHE, La

proportionnalité dans le cautionnement à l’épreuve de la loi et de la jurisprudence, Contr.,

conc., consom. avril 2004, p. 7 et s., n°15 et s. ; O. CUPERLIER et A. GORNY,

L’engagement disproportionné de la caution. Après la loi n°2003-721 du 1er août 2003 sur

l’initiative économique (Réflexions et statistiques), JCP 2004, éd. E, 1475 ; G. PIETTE, La

sanction du cautionnement disproportionné, Droit et patrimoine 2004, n°127, p. 44 et s. ; P.

CROCQ, RTD civ. 2004, p. 126 ; Ph. SIMLER, Codifier ou recodifier le droit des sûretés

personnelles ?, in Le Code civil 1804-2004. Livre du Bicentenaire, éd. Dalloz-Juris-Classeur

2004,

p. 382 ; Ph. SIMLER, n°248 1877 Sur cette déchéance, cf. supra n°845. En faveur de cette déchéance, cf. Y. PICOD,

Proportionnalité et cautionnement. Le mythe de Sisyphe, Liber amicorum J. Calais-Auloy,

Etudes de droit de la consommation, Dalloz, 2004, p. 843 et s. En faveur d’une exonération

seulement partielle du créancier lorsque le garant commet une faute d’imprudence en

s’engageant en connaissance de cause, cf. P. CROCQ, Les développements récents de

l’obligation d’information de la caution, Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999 1878 Examen du dispositif relatif à l’article 24 de la proposition de directive.

Page 487: L'efficacité des garanties personnelles

prennent pas des mesures disproportionnées pour récupérer leurs créances en cas

d’inexécution de ces contrats ».

Pour se conformer à cette exigence communautaire, le législateur français devra

compléter la règle générale de l’article 22 de la loi du 9 juillet 1991, qui réprime les

mesures d’exécution excessives1879, par des règles propres au recouvrement des

créances nées d’un « contrat de sûreté ».

Mais, comme le texte communautaire entend avant tout empêcher les créanciers

d’obtenir paiement par n’importe quel moyen, les règles relatives au recouvrement

des créances pourraient s’appliquer, non seulement à l’ensemble des garanties

personnelles, mais encore à toutes les garanties dont la mise en œuvre est susceptible

de procurer un paiement au créancier. Ainsi, les pratiques de recouvrement de

créances visées par l’article 27.2 de la proposition de directive pourraient être

interdites dans toutes les garanties de paiement.

859. L’exigence de proportionnalité dans le recouvrement des créances et

dans la constitution même d’une garantie pourrait donc figurer dans le régime

primaire des garanties personnelles, et même dans un corps de règles régissant

l’ensemble des garanties de paiement. Les règles relatives aux effets de la garantie

sur l’accès au crédit du débiteur pourraient également s’appliquer à d’autres

mécanismes que les garanties personnelles.

B/ LES REGLES APPLICABLES AUX GARANTIES DE CREDIT

860. Les règles fondées sur la confiance du créancier en son débiteur.

Nombre de règles fondées sur la confiance que placent les créanciers en leur

débiteur pourraient s’appliquer, non seulement à l’ensemble des garanties

personnelles, mais aussi à toutes les garanties dont la constitution a pour effet de

faciliter l’accès au crédit du débiteur1880. Tel est le cas des textes subordonnant

aujourd'hui certains droits du débiteur à la constitution d’une « sûreté » ou

« garantie », ou sanctionnant le débiteur en cas de perte d’une « sûreté »1881.

861. L’article L. 312-8 4° du Code de la consommation. L’article L. 312-8

4° du Code de la consommation exige que l’offre de prêt immobilier « énonce, en

donnant une évaluation de leur coût, les stipulations, les assurances et les sûretés

réelles ou personnelles exigées, qui conditionnent la conclusion du prêt ». Cette

1879 Article 22 de la loi du 9 juillet 1991portant réforme des procédures civiles d’exécution :

« Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l’exécution ou la conservation de sa

créance. L’exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir

le paiement de l’obligation.

Le juge de l’exécution a le pouvoir d’ordonner la mainlevée de toute mesure inutile ou

abusive et de condamner le créancier à des dommages et intérêts en cas d’abus de saisie ». 1880 Sur la présentation des principales garanties de crédit, cf. supra n°255 1881 Comme les textes étudiés se réfèrent improprement aux « sûretés », il est discutable de

tirer argument de leur existence pour défendre l’utilité de la notion même de sûreté (sur la

doctrine développant cet argument, cf. supra n°742).

Page 488: L'efficacité des garanties personnelles

énumération pourrait être remplacée par la référence, non pas à toutes les garanties,

mais aux garanties de crédit1882.

862. Les articles L. 331-6 alinéa 3 et L. 331-7 alinéa 2 du Code de la

consommation. Le législateur pourrait aussi modifier les articles L. 331-6 alinéa 3

et L. 331-7 alinéa 2 du Code de la consommation relatifs aux mesures protectrices

du débiteur que les commissions de surendettement peuvent inclure dans le plan

conventionnel de redressement ou recommander après l’échec de ce plan. Ainsi,

plutôt que de préciser que ces mesures peuvent être subordonnées à

« l’accomplissement par le débiteur d’actes propres à faciliter ou à garantir le

paiement de la dette », les textes précités pourraient faire dépendre ces mesures de la

constitution de garanties de crédit.

863. L’article 517 du nouveau Code de procédure civile. Ces garanties

pourraient encore être visées par l’article 517 du nouveau Code de procédure civile,

qui subordonne actuellement l’exécution provisoire à « la constitution d’une

garantie, réelle ou personnelle, suffisante pour répondre de toutes restitutions ou

réparations ».

864. L’article 760 alinéa 2 du Code civil. Dans le Code civil, d’autres textes

pourraient également être modifiés. Tout d’abord, le nouvel article 760 alinéa 21883,

au lieu d’envisager les « sûretés » que doivent fournir les cohéritiers débiteurs lors

de la conversion de l’usufruit du conjoint survivant en rente viagère, pourrait viser

les garanties de crédit. Comme en attestent les textes antérieurs à la réforme du 3

décembre 20011884, ce qui importe, en effet, c’est que les héritiers fournissent des

garanties suffisantes pour que l’époux survivant crédirentier ait l’assurance de ne

pas souffrir de l’insolvabilité des héritiers débirentiers. Comme les caractéristiques

techniques du mécanisme constitué, ainsi que la fonction exclusive de garantie, sont

1882 Toutes les garanties ne doivent pas être visées, car certaines n’ont aucun effet sur l’accès

au crédit du débiteur et ne conditionnent donc pas la conclusion du prêt. La Cour de cassation

en a décidé ainsi à l’égard de ces garanties par renforcement du contenu obligatoire du contrat

que sont les clauses sanctionnant l’inexécution de celui-ci (Cass. 1ère civ., 20 juin 2000 : RTD

civ. 2000, p. 670, obs. MOLFESSIS ; RTD civ. 2000, p. 676, obs. LIBCHABER ; D. 2000,

p. 699, note NIBOYET ; JCP 2000, éd. E., I, 1663, note PIEDELIEVRE ; RJDA 2001,

n°214 ; Droits et procédure 2001, p. 49, note BAZIN). 1883 Dans sa rédaction issue de la loi du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint

survivant et des enfants adultérins, l’article 760 alinéa 2 du Code civil dispose que « s’il fait

droit à la demande de conversion, le juge détermine le montant de la rente, les sûretés que

devront fournir les cohéritiers débiteurs, ainsi que le type d’indexation propre à maintenir

l’équivalence initiale de la rente à l’usufruit ». 1884 Avant la réforme du 3 décembre 2001, l’article 767 alinéa 7 du Code civil retenait que

« jusqu’au partage définitif, les héritiers peuvent exiger, moyennant sûretés suffisantes et

garantie du maintien de l’équivalence initiale, que l’usufruit de l’époux survivant soit

converti en une rente viagère équivalente. S’ils sont en désaccord, la conversion sera

facultative pour les tribunaux ».

L’article 1094-2 alinéa 1er, également abrogé, précisait, quant à lui, que « lorsque la libéralité

faite, soit en propriété soit en usufruit seulement, portera sur plus de la moitié des biens,

chacun des enfants ou descendants aura, en ce qui concerne sa part de succession, la faculté

d’exiger, moyennant sûretés suffisantes et garantie du maintien de l’équivalence initiale, que

l’usufruit soit converti en une rente viagère d’égale valeur ».

Page 489: L'efficacité des garanties personnelles

à cet égard indifférentes1885, le terme « sûretés » pourrait donc être remplacé par

l’expression « garantie de crédit ».

865. L’article 1752 du Code civil. Pour les mêmes raisons et dans les mêmes

conditions, c’est ensuite l’article 1752 du Code civil qui pourrait être modifié. Ce

texte précise que « le locataire qui ne garnit pas la maison de meubles suffisants,

peut être expulsé, à moins qu’il ne donne des sûretés capables de répondre du

loyer ». La constitution d’une « sûreté » est un substitut de l’obligation de

garnissement, dont on perçoit l’importance en rapprochant les articles 1752 et 2102-

1° du Code civil. Cette dernière disposition institue le privilège du bailleur

d’immeuble « sur tout ce qui garnit la maison louée ». Le rapprochement de ces

deux textes conduit à se demander si la « sûreté » donnée en remplacement du

garnissement doit conférer au créancier bailleur les mêmes prérogatives que le

privilège mobilier spécial, à savoir un droit de préférence et un droit de suite (limité

par le jeu de l’article 2279 du Code civil). La lettre même de l’article 1752 impose

une réponse négative. En effet, ce n’est, ni la technique de garantie, ni le caractère

exclusif de la fonction de garantie, qui sont mis en avant, mais la confiance que doit

faire naître le mécanisme constitué chez le créancier (des sûretés « capables de

répondre du loyer »)1886. Or, la constitution d’une sûreté stricto sensu n’est pas le

seul moyen de permettre au bailleur d’obtenir une somme correspondant aux loyers

dûs. Ce résultat pourrait aussi être atteint au moyen, notamment, d’une promesse de

porte fort1887, d’une délégation imparfaite1888 ou encore d’une aliénation fiduciaire.

L’article 1752 du Code civil gagnerait donc en clarté en recourant à la notion de

garantie de crédit.

866. L’article 1188 du Code civil. Enfin, une modification mériterait d’être

apportée à l’article 1188 du Code civil. Ce texte ne concerne pas, contrairement aux

précédents, les droits du débiteur subordonnés à la constitution d’une « sûreté » ou

d’une « garantie ». Il sanctionne, par la déchéance du terme, le débiteur qui

« diminue les sûretés qu’il avait données par le contrat à son créancier ». Comme

dans les textes précités, en revanche, la confiance du créancier en son débiteur joue

un rôle essentiel. En effet, comme le terme est lié au crédit, et que celui-ci est lui-

même dépendant de cette confiance, le débiteur est sanctionné par la déchéance du

terme s’il n’honore pas la confiance qui lui est accordée, en diminuant les « sûretés »

constituées. Dans la mesure où la confiance du créancier ne repose pas 1885 Des auteurs ont ainsi remarqué que l’exigence des anciens articles 767 alinéa 7 et 1094-2

du Code civil pouvait être satisfaite sans qu’une sûreté spéciale ne soit constituée.

Particulièrement, serait susceptible de donner pleine garantie au conjoint le placement en

rente sur l’Etat, au nom des héritiers pour le capital, et au nom du conjoint survivant pour la

jouissance (cf. PLANIOL et RIPERT, Traité pratique de droit civil français, 2ème éd., t.IV,

1956, par MAURY et VIALLETON, n°141-2°). 1886 La Cour de cassation (Soc. 16 juillet 1955 : Gaz. Pal. 1955, 2, p. 199) décide que les

avantages procurés par la « sûreté » ne s’apprécient pas abstraitement, mais au regard de la

situation de l’espèce. Les juges ont ainsi un large pouvoir d’appréciation pour déterminer dans

chaque cas, compte tenu des circonstances, ainsi que de la situation particulière des parties, la

nature et l’importance des « sûretés » capables de dispenser le locataire, en tout ou en partie,

de l’obligation de garnissement. 1887 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°25 1888 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°26

Page 490: L'efficacité des garanties personnelles

nécessairement sur une sûreté stricto sensu, la déchéance du terme devrait pouvoir

jouer quelle que soit la garantie de crédit perdue ou amoindrie par le débiteur. Cette

solution, que consacre déjà la jurisprudence1889, pourrait donc intégrer un régime

primaire des garanties de crédit1890, qui comporterait, en outre, les règles

subordonnant certains droits du débiteur à la constitution d’une garantie susceptible

de faire naître la confiance du créancier.

867. Les règles ayant trait à cette confiance, ainsi que les règles relatives au

désintéressement du créancier, pourraient donc figurer dans le régime primaire des

garanties personnelles, mais il serait encore plus approprié de tirer les conséquences

de leur fondement pour les appliquer, plus largement encore, aux garanties de crédit,

d’une part, et aux garanties de paiement, d’autre part. D’autres règles communes à

l’ensemble des garanties personnelles pourraient avoir un champ d’application

encore plus étendu et concerner toutes les garanties.

§2 : LES REGLES APPLICABLES A TOUTES LES GARANTIES

868. Les règles fondées sur la qualification d’accessoire de la créance.

Certaines règles pourraient s’appliquer à tous les mécanismes ayant pour raison

d’être de renforcer la position du créancier par l’éviction d’un risque de perte

pécuniaire1891. Il en va ainsi des règles fondées sur la qualification d’accessoire de la

créance. La raison en est que toutes les garanties, quelle que soit la manière dont

elles protègent les intérêts des créanciers, n’ont pas d’existence autonome et sont

destinées à « servir » l’obligation principale1892. Les garanties étant toutes des

accessoires de la créance, trois règles tirant les conséquences de cette qualification

pourraient intégrer un régime primaire des garanties.

1889 Dans un arrêt de la première Chambre civile de la Cour de Cassation du 9 mai 1994 (Bull.

civ. I, n°171 ; RTD civ. 1995, p. 110, obs. MESTRE ; Defrénois 1995, p. 340, obs.

DELEBECQUE), un employeur avait consenti à l’un de ses salariés trois prêts et il était

convenu entre les parties, mais sans qu’une clause du contrat de prêt ne le stipule, que ces

prêts seraient remboursés par prélèvements directs sur salaires. Les juges du fond firent

application de l’article 1188 du Code civil en retenant que le salarié emprunteur, dans ses

conclusions, avait reconnu l’accord sur cette modalité de paiement et en ont déduit qu’en

démissionnant le salarié avait perdu une sûreté donnée par contrat. La Cour de Cassation a

exercé sa censure au visa de l’article 1188 en rappelant qu’ « il résulte de ce texte que les

sûretés dont la perte entraîne pour le débiteur la déchéance du terme, sont celles qu’il a

données dans le contrat ». C’est l’absence de prévision contractuelle des prélèvements qui a

justifié la cassation. En revanche, la Haute juridiction n’a pas dénié au prélèvement direct sur

salaires la qualification de « sûreté ». Il est permis d’en déduire que, pour la jurisprudence, les

notions de sûreté et de garantie de crédit pourraient être équivalentes 1890 La règle de l’article 1188 du Code civil s’applique, certes, à toutes les sûretés réelles,

mais pas uniquement à celles-ci. Plutôt que de figurer dans un régime primaire des sûretés

réelles, comme le préconisent certains auteurs (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°522), elle devrait plutôt intégrer un régime primaire des garanties de crédit. 1891 En faveur d’un droit commun des garanties, cf. P. CROCQ, L’évolution des garanties du

paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°3 et 16 ;

D. LEGEAIS, n°1 et 24 1892 Sur les éléments constitutifs de la notion d’accessoire de la créance, cf. supra n°273, 274

Page 491: L'efficacité des garanties personnelles

869. La commercialité par accessoire. Tout d’abord, le caractère civil ou

commercial de la garantie pourrait dépendre de la nature civile ou commerciale de la

créance au service de laquelle elle est affectée. L’édiction d’une telle règle ne ferait

que confirmer les solutions en vigueur en matière de sûretés réelles1893, mais

bouleverserait, au contraire, le droit positif du cautionnement, qui fait reposer la

commercialité de cette garantie sur l’intérêt personnel et patrimonial de la

caution1894. En substituant à ce critère jurisprudentiel subjectif le critère objectif de

la commercialité par accessoire, le législateur renforcerait l’efficacité du

cautionnement, non seulement par l’assimilation de son caractère accessoire

essentiel1895, mais aussi par la suppression de l’insécurité qui entoure aujourd'hui le

critère de l’intérêt de la caution1896. En outre, le droit des garanties personnelles

gagnerait en cohérence, puisque tous ces mécanismes pourraient être soumis au

même critère de commercialité, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui, dans la mesure

où le critère de l’intérêt du garant dans l’opération principale est inopérant en

matière de garanties indépendantes1897.

1893 L’article 91 alinéa 1er du Code de commerce (article L. 521-1 alinéa 1er du nouveau Code

de commerce) disposant que le gage constitué par un non commerçant pour un acte de

commerce relève des règles de preuve du droit commercial, la jurisprudence en a conclu que

le gage est commercial lorsque la créance garantie l’est elle-même (Cass. com., 8 février

1962 : Bull. civ. III, n°72 ; Cass. com., 11 juin 1974 : Bull. civ. IV, n°190 ; Banque 1975,

p. 92). 1894 En ce sens, cf. notamment Cass. com., 7 juillet 1969 : D. 1970, p. 14 ; Cass. 1ère civ., 17

mai 1982 : Bull. civ. I, n°289 ; Cass. com., 23 février 1988 : Bull. civ. IV, n°78 ; Cass. com.,

19 janvier 1993 : Bull. civ. IV, n°21 ; LPA 31 mars 1993, n°39, p. 18, note VIDAL ; Cass.

com., 7 avril 2004 : RJDA 8-9/2004, n°1040 1895 Faire dépendre le caractère civil ou commercial du cautionnement de la nature de la

créance principale se justifie par le seul fait que le cautionnement est un accessoire de cette

créance. La Cour de cassation retient d’ailleurs cette justification lorsqu’elle décide que le

juge administratif est compétent en matière de cautionnement si celui-ci est l’accessoire d’un

contrat de prêt administratif (Cass. 1ère civ., 28 mai 2002 : Bull. civ. I, n°151 ; LPA 8 octobre

2002, n°201, p. 8, note HOUTCIEFF). Il est inutile d’invoquer le caractère accessoire

renforcé du cautionnement. Il nous paraît ainsi discutable de défendre la commercialité par

accessoire en remarquant que « ce serait là restituer une conséquence au caractère accessoire

du cautionnement » (B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°521. Dans le même sens, cf. M.

OURY-BRULE, th. préc., n°312 à 314, qui en déduit l’inapplicabilité du critère de la

commercialité par accessoire à la solidarité de l’article 1216 du Code civil). 1896 L’appréciation de l’intérêt personnel et patrimonial de la caution dans l’engagement

commercial qu’elle garantit ressortit au pouvoir souverain des juges du fond. Les hésitations

et l’arbitraire gouvernent cette appréciation jurisprudentielle et nourrissent le contentieux,

spécialement au sujet des cautionnements souscrits par un époux, un associé ou un salarié.

Sur les inconvénients du critère de l’intérêt patrimonial de la caution et sur l’utilité de le

remplacer par le critère de la commercialité par accessoire, cf. P. ANCEL, Le cautionnement

des dettes de l’entreprise, Dalloz, 1989, n°28 ; D. LEGEAIS, L’imprévisible droit des

garanties personnelles, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 657 et s. ; B. ROMAN, Les

moyens de défense de la caution : l’importance accrue des aspects procéduraux, Droit et

patrimoine 2004, n°124, p. 51 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°74-1, 76 ; Ph.

MALAURIE et L. AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°234 ; H., L. et J. MAZEAUD et

F. CHABAS, par Y. PICOD, n°13 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°43 ; Ph. SIMLER,

n°98 et s. 1897 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471-5 ; Ph. SIMLER et Ph.

DELEBECQUE, n°215

Page 492: L'efficacité des garanties personnelles

870. La transmission de plein droit des garanties avec la créance

principale. Ensuite, le législateur pourrait prévoir que toutes les garanties, en qualité

d’accessoires de la créance, sont transmises de plein droit avec la créance principale.

A cette fin, il suffirait de modifier l’article 1692 du Code civil en remplaçant les

trois exemples d’accessoires de la créance (« tels que caution, privilège et

hypothèque ») par un seul (« tels que les garanties »).

En matière de garanties personnelles, une telle modification n’aurait guère

d’incidence sur le droit du cautionnement, puisque la transmission de cette garantie

avec la créance principale est déjà rendue possible par l’article 1692 du Code civil.

L’effet de cette transmission pourrait cependant être plus étendu qu’il ne l’est

aujourd'hui si le régime primaire des garanties personnelles interdisait les termes

extinctifs de l’obligation de couverture du garant. En effet, sous réserve d’engager la

responsabilité du cessionnaire, la caution ne pourrait plus se prévaloir d’une

extinction partielle de son obligation de règlement due au changement de

créancier1898.

A l’égard des garanties personnelles indépendantes, la transmission de plein

droit avec la créance principale serait beaucoup plus novatrice1899 et pourrait même

être contestée.

871. Les arguments s’opposant à la transmission de plein droit des

garanties personnelles indépendantes avec la créance principale. Certains

auteurs se sont déjà montrés hostiles à une telle transmission. A l’encontre du

transfert des garanties indépendantes, deux arguments ont été essentiellement

avancés.

Tout d’abord, la transmission de plein droit ne pourrait jouer qu’en présence de

garanties dont le régime est voulu accessoire par les parties car, à l’égard des

garanties détachées de la créance principale, elle emporterait une négation de

l’autonomie1900.

1898 Sur l’exclusion des termes extinctifs implicites de l’obligation de couverture et

notamment l’indifférence de principe du changement de créancier, cf. supra n°814 1899 Le principe d’intransférabilité est affirmé par l’article 4 des règles uniformes de la

Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur demande et par l’article 9 de

la convention de la commission des Nations-Unies pour le commerce international sur les

garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by. Sur l’analyse de ces dispositions, cf.

H. CHANTELOUP et V. HEUZE, Financement et garantie, in Pratique des contrats

internationaux, 1997, n°140 ; S. PIEDELIEVRE, Remarques sur les règles uniformes de la

Chambre de commerce internationale relatives aux garanties sur demande, RTD com. 1993,

p. 619 ; S. PIEDELIEVRE, Le projet de convention de la commission des Nations-Unies pour

le commerce international sur les garanties indépendantes et les lettres de crédit stand-by,

RTD com. 1996, p. 639 ; Ph. SIMLER, n°887 1900 En ce sens, cf. B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°97, 98 : « la sûreté ne doit se

transmettre automatiquement que si elle est un accessoire de la créance, que son régime est

voulu accessoire de celle-ci, ou bien si une disposition ou stipulation prévoit expressément le

transfert de la garantie avec ou sans la créance » ; n°103 et s. sur l’intransférabilité de la

garantie autonome (« c’est un engagement principal, dont le régime est voulu indépendant de

la créance et même du contrat. Le rapport d’affectation issu de la règle de l’accessoire est

absent ») ; n°149 et s. sur l’intransférabilité de la lettre d'intention ; n°162 et 163 sur

l’intransférabilité du constitut ; A. PRÜM, Les garanties à première demande, Litec, 1994,

Page 493: L'efficacité des garanties personnelles

Ensuite, le transfert de plein droit des garanties indépendantes contreviendrait à

leur caractère intuitus personae et au principe selon lequel la transmission des

sûretés ne doit pas aggraver le sort du garant1901.

872. Les arguments confortant la transmission de plein droit des

garanties personnelles indépendantes avec la créance principale. Aucun des

arguments précédents ne paraît suffisant pour interdire la transmission des garanties

indépendantes.

En effet, le transfert constitue une conséquence nécessaire de la qualification

d’accessoire de la créance1902. L’application de la règle « accessorium sequitur

principale » ne dépend que de cette qualification, et non du choix des parties en

faveur d’une garantie présentant un caractère accessoire renforcé. Les garanties

indépendantes étant des accessoires de la créance, elles devraient donc pouvoir être

transférées de plein droit avec la créance principale1903.

L’argument tiré du caractère intuitus personae ne devrait pas l’empêcher, car la

personne du créancier est en principe indifférente au garant1904.

préf. B. TEYSSIE, n°213, 214 : « la sûreté n’est en principe transmise au nouveau créancier

qu’en vertu d’une disposition légale spécifique ou à la condition que la sûreté ne puisse en

aucun cas être détachée de la créance » ; A.-M. TOLEDO, Notion de sûreté et droit du

commerce international, th. Paris I, 1997, sous la direction de L. AYNES, n°320 à 323 ; Ch.

GAVALDA et J. STOUFFLET, La lettre de garantie internationale, RTD com. 1980, p. 12 ;

S. PIEDELIEVRE, n°205 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°222, note 3 1901 Sur ce principe, qui ne serait « qu’une simple application du principe de l’effet relatif des

contrats », cf. B. de GRANVILLIERS, ibid., n°134 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°418 : « le cessionnaire peut abuser encore plus de la garantie indépendante que le

bénéficiaire originaire car il n’est pas sûr qu’il connaisse tous les éléments du contrat »

Sur le caractère intuitus personae des garanties indépendantes, cf. A. PRÜM, ibid., n°199 à

206 ; Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, ibid., p. 12 ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY,

n°418 1902 En ce sens, cf. G. GOUBEAUX, La règle de l’accessoire en droit privé, LGDJ, 1969,

préf. D. TALLON ; M. CABRILLAC, Les accessoires de la créance, Etudes Weill, 1984,

p. 107 et s ; Ph. THERY, n°3 1903 En ce sens, cf. F. JACOB, Le constitut ou l’engagement autonome de payer la dette

d’autrui à titre de garantie, LGDJ, 1998, préf. Ph. SIMLER, n°258 : « application de l’adage

« l’accessoire suit le principal » en matière de constitut, tout comme en matière de garantie

autonome, car en un sens, toutes les garanties sont accessoires » ; M. CABRILLAC et Ch.

MOULY, n°418 : « toute garantie, même indépendante, qui est au service exclusif de la

créance garantie doit la suivre, sauf disposition contraire » ; n°523 ; Ph. MALAURIE et L.

AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°346 : « certes, la garantie autonome n’est pas

accessoire par son objet. Mais, par sa finalité, elle est mise au service de l’obligation du

donneur d'ordre envers le bénéficiaire, et constitue à cet égard un « accessoire » de la

créance, au même titre qu’une clause pénale ou l’action résolutoire. (…)En droit français, la

transmission en tant qu’accessoire de la créance principale devrait être admise ». 1904 En ce sens, cf. B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°129 : « l’argument fondé sur l’intuitus

personae ne pourrait être opposé que par le donneur d'ordre et non par le bénéficiaire ; il ne

peut motiver une intransférabilité de la garantie » ; n°159 et 162 sur la stérilité de l’argument

tenant à l’intuitus personae en matière de lettre d'intention et de constitut, puisque le quantum

de l’engagement n’est pas déterminé à l’avance ; M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°418 :

« le garant ne connaît pas le bénéficiaire et agit en fonction du débiteur ».

Page 494: L'efficacité des garanties personnelles

S’agissant du risque d’aggravation de la situation du garant causé par le

changement de créancier1905, il ne semble pas non plus de taille à entraver la

transmission de plein droit des garanties indépendantes, car le garant pourrait

toujours remédier à cette aggravation en mettant en jeu la responsabilité du nouveau

bénéficiaire pour avoir accordé des crédits excessifs au débiteur principal.

D’autres arguments militent encore en faveur de la transmission de plein droit

de toutes les garanties, et notamment des garanties personnelles indépendantes. En

premier lieu, la créance principale dépourvue de sa garantie risquerait de perdre de

sa valeur1906.

En deuxième lieu, la garantie perdrait toute utilité si elle n’était pas transférée,

puisque l’ancien créancier ne pourrait plus s’en prévaloir1907.

En troisième et dernier lieu, l’absence de transfert pourrait injustement «

affranchir le débiteur des obligations qu’il a souscrites ou alléger la situation qu’il a

acceptée »1908.

Pour toutes ces raisons, la transmission de plein droit des garanties avec la

créance principale pourrait être consacrée dans une nouvelle disposition légale ou

par le biais d’une modification de l’article 1692 du Code civil.

873. La « restitution » de l’enrichissement engendré par la réalisation de

la garantie. Une autre règle fondée sur la qualification d’accessoire de la créance

pourrait également s’appliquer à l’ensemble des garanties. Comme les accessoires

de la créance sont affectés au service exclusif de celle-ci, le législateur pourrait

préciser que les créanciers ne peuvent conserver l’éventuel enrichissement engendré

par la réalisation de la garantie.

En matière de garanties personnelles, cette règle justifierait l’opposabilité au

créancier, par le débiteur principal, du paiement réalisé par le garant1909, ainsi que les

1905 Une telle aggravation ne peut se produire lorsque l’objet de l’obligation de règlement du

garant indépendant est déterminé ab initio, comme c’est notamment le cas en matière de

garantie autonome. Elle ne peut intervenir que lorsque l’objet de l’obligation de règlement du

garant est déterminé par référence à l’objet de l’obligation principale, comme dans le cadre du

constitut et des garanties indemnitaires. 1906 En ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°418 1907 En ce sens, cf. B. de GRANVILLIERS, th. préc., n°159 : « le cédant n’a plus aucun

intérêt à conserver le bénéfice de la garantie et la sûreté ne peut plus assurer sa finalité » ;

M. CABRILLAC, art. préc., n°18 : il est « illogique que les prérogatives stipulées dans le

seul dessein d’améliorer la position du créancier demeurent à la disposition du créancier

originaire qui ne pourrait pas les utiliser ou qui ne pourrait les utiliser qu’à d’autres fins que

la détermination du montant de la créance ou son recouvrement » ; I. FADLALLAH,

Rapport général sur les sûretés personnelles, Travaux de l’association H. Capitant, « Les

garanties de financement », journées portugaises, t. 47, 1996, LGDJ, p. 323 et s., n°30 : « le

refus du transfert aboutirait à de sérieuses complications : le cédant pourrait-il appeler une

garantie qu’il ne peut plus imputer sur une créance qu’il a cédée ? » ; Ph. MALAURIE et L.

AYNES, par L. AYNES et P. CROCQ, n°346 : « si la garantie n’est pas transmise, que

devient-elle ? Le bénéficiaire ayant cédé son droit contre le donneur d'ordre ne peut plus

l’appeler, sans commettre un abus manifeste ». 1908 M. CABRILLAC, ibid., n°18 1909 Sur cette opposabilité, cf. Ch. LACHIEZE, Le régime des exceptions dans les opérations

juridiques à trois personnes en droit civil, th. Bordeaux IV, 1996, sous la direction de J.

HAUSER, n°416 à 432

Page 495: L'efficacité des garanties personnelles

actions en remboursement d’un paiement indu exercées contre le créancier, tant par

le débiteur principal1910, que par le garant lui-même.

874. Conclusion de la Section 2 et du Chapitre 1. En qualité d’accessoires

de la créance, toutes les garanties personnelles et, plus largement, tous les

mécanismes ayant pour fonction de renforcer la position du créancier par l’éviction

d’un risque de perte pécuniaire pourraient donc être soumis à des règles communes :

l’obligation pour le créancier de restituer l’enrichissement auquel a pu conduire la

mise en œuvre de la garantie, la transmission de celle-ci avec la créance principale,

et la détermination du caractère civil ou commercial de la garantie au regard de la

nature civile ou commerciale de la créance au service de laquelle elle est affectée.

En tant que garanties de crédit, toutes les garanties personnelles, ainsi que

toutes les garanties dont la constitution a pour effet de faire naître la confiance du

créancier et donc de faciliter l’accès au crédit du débiteur, pourraient également être

régies par un corps de règles communes. Celui-ci pourrait, d’une part, sanctionner le

débiteur ayant perdu totalement ou partiellement une garantie de crédit par la

déchéance du terme et, d’autre part, énoncer les droits du débiteur subordonnés à la

constitution d’une telle garantie. Parmi ces droits, pourraient figurer la dispense

d’exécution de l’obligation de garnissement, la conversion de l’usufruit du conjoint

survivant en rente viagère, l’exécution provisoire, et les mesures protectrices du

débiteur incluses dans le plan conventionnel de redressement ou recommandées par

la commission de surendettement.

En qualité de garanties de paiement, l’ensemble des garanties personnelles, de

même que toutes les garanties dont la mise en œuvre peut permettre de désintéresser

le créancier en le plaçant dans une situation avantageuse par rapport aux autres

créanciers du débiteur, pourraient encore se voir appliquer des règles communes,

traduisant l’impératif d’éthique contractuelle dans sa dimension négative. La

tempérance pourrait être imposée aux créanciers, aussi bien au stade de la

conclusion de la garantie (exigence de proportionnalité entre la garantie de paiement

et le montant de la créance couverte et de proportionnalité entre la garantie de

paiement et le patrimoine du constituant), qu’à celui du recouvrement des créances

(interdiction de certaines pratiques de recouvrement). Si les règles précitées

pourraient s’appliquer à toutes les garanties personnelles, ainsi qu’à d’autres

catégories de garanties, c’est parce qu’elles sont fondées sur des caractéristiques que

les garanties personnelles partagent avec d’autres mécanismes. Au contraire, les

règles reposant sur l’obligation de garantir et celles adaptant l’exigence de solidarité

entre les contractants au contexte particulier des garanties personnelles ne pourraient

s’appliquer qu’à celles-ci. Qu’elles soient propres aux garanties personnelles ou

qu’elles soient aussi applicables à d’autres garanties, toutes les règles envisagées

dans le régime primaire pourraient conforter les attentes objectives et subjectives des

créanciers. Certaines d’entre elles sont en plus nécessaires à la mise en conformité

1910 Sur les recours du donneur d’ordre contre le créancier bénéficiaire d’une garantie

autonome, cf. notamment D. GRIMAUD, th. préc., n°299 ; P. CROCQ, L’évolution des

garanties du paiement, de la diversité à l’unité, Mélanges Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 323 ; F.

MOLENAAR, Les engagements abstraits pris par le banquier, Rapport général, in Travaux

de l’Association H. Capitant, T. XXXV, 1984, p. 225 ; Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE,

n°233. Sur le recours du délégant contre le délégataire, cf. P. ANCEL, Les sûretés

personnelles non accessoires en droit comparé, th. Dijon, 1981, n°92 à 95

Page 496: L'efficacité des garanties personnelles

de notre droit à la future directive sur le crédit aux consommateurs. Toujours dans

l’optique de renforcer l’efficacité des garanties personnelles et de satisfaire aux

exigences communautaires, il convient désormais de proposer des règles spéciales,

fondées sur les caractéristiques distinctives des garanties personnelles.

CHAPITRE II

LES RÈGLES SPÉCIALES

875. La réalisation des attentes subjectives des créanciers exige que la loi

reconnaisse les spécificités susceptibles d’être imprimées par les parties à la garantie

conclue et en déduise des règles appropriées. Plus précisément, l’efficacité in

concreto des garanties personnelles est subordonnée à l’assimilation de leurs

caractéristiques distinctives dans des règles spéciales1911.

Pour conforter les attentes des créanciers, il est ainsi nécessaire de compléter le

régime primaire par trois corps de règles particulières, qui ont vocation à se

conjuguer1912 : les règles propres aux garants personnes physiques (Section 1), les

règles spéciales fondées sur la « cause » de l’obligation de couverture du garant

(Section 2) et les règles spéciales exprimant l’assimilation de la diversité des objets

de l’obligation de règlement du garant (Section 3).

1911 Sur l’assimilation des caractéristiques distinctives comme condition de l’adéquation entre

le contenu du droit des garanties personnelles et l’objectif d’efficacité, cf. supra n°237 et s.

Sur l’instauration de règles spéciales comme condition du perfectionnement de l’efficacité des

garanties personnelles, cf. supra n°735 1912Sur les classifications complexes, cf. J.-L. BERGEL, Différence de nature = différence de

régime, RTD civ. 1984, p. 255 et s., n°11, 16 ; J.-L. BERGEL, Théorie générale du droit,

Dalloz, Coll. Méthodes du droit, 1999, n°192 et 203

Page 497: L'efficacité des garanties personnelles

SECTION 1 : LE RÉGIME DES GARANTIES

PERSONNELLES SOUSCRITES

PAR UN GARANT PERSONNE PHYSIQUE

876. La personnalité physique du garant constitue l’un des principaux critères

d’application des textes ayant réformé le cautionnement depuis ces vingt dernières

années. Très souvent, ce critère compromet l’efficacité du cautionnement, car il

conduit à protéger des cautions n’ayant pas besoin de l’être et donc à augmenter

inutilement le coût de la protection des intérêts des créanciers1913. Si, dans l’optique

de perfectionner l’efficacité des garanties personnelles, l’application de nombreuses

dispositions devrait donc dépendre de la « cause » de l’obligation de couverture du

garant, plutôt que de la qualité de personne physique1914, ce dernier critère ne devrait

pas être complètement abandonné pour autant.

En effet, à l’égard de certaines règles, les motifs et buts de l’engagement du

garant, mais aussi l’objet de son obligation de règlement, la nature du contrat

principal ou la qualité du créancier, sont indifférents. Seule importe la personnalité

physique du garant. Il en va ainsi, d’une part, des règles fondées sur les spécificités

de la personnalité physique par rapport à la personnalité morale (§1) et, d’autre part,

des règles intéressant le patrimoine de la personne physique et, plus spécialement,

des règles relatives aux risques financiers qu’elle peut supporter (§2).

Ces deux types de règles devraient être intégrés dans le Code civil1915 et ils ne

devraient s’appliquer de manière impérative que si la garantie personnelle est

souscrite par un garant personne physique1916, mais dès que le contrat est conclu par

une personne physique1917.

1913 Sur l’inefficacité du cautionnement résultant de l’absence ou de la mauvaise prise en

compte de la qualité de la caution, cf. supra n°611, 612, 614 1914 Sur les modifications du droit positif découlant de l’assimilation de la cause de

l’obligation de couverture du garant, cf. infra n°890-970 1915 En faveur de l’insertion des lois protégeant le contractant en qualité de personne physique

dans le Code civil, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°159 et 165 (« la justice et la simplicité

gagneraient si, sur le plan formel, on daignait consacrer dans le titre du Code civil relatif au

cautionnement, un seul chapitre, ou une seule section, dont l’intitulé serait : « Du

cautionnement conclu par une personne physique ». De la sorte, l’éparpillement des textes

dans divers codes spéciaux cesserait »). 1916 Les règles figurant dans le régime des garanties personnelles souscrites par un garant

personne physique ne devraient donc pas s’appliquer aux garants personnes morales.

Toutefois, les règles compatibles avec les caractéristiques de la personnalité morale pourraient

être intégrées dans la garantie personnelle, par le biais de stipulations contractuelles. 1917 Sur l’indifférence souhaitable de la qualité du cocontractant de la personne physique

protégée et de l’activité de celle-ci dans la méthode de protection du contractant en qualité de

personne physique, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°117 à 121, 159 (« les dispositions protégeant

la caution personne physique, au stade de la formation, comme au stade de l’exécution du

cautionnement, devraient s’appliquer à toutes les personnes physiques sans égard à leur

activité professionnelle ou consumériste, et à tous les créanciers sans égard à leur qualité ») ;

L. AYNES, La réforme du cautionnement par la loi Dutreil, Droit et patrimoine 2003, n°120,

p. 30

Page 498: L'efficacité des garanties personnelles

§1 : LES REGLES FONDEES SUR LES SPECIFICITES

DE LA PERSONNALITE PHYSIQUE

877. Si la plupart des règles s’appliquent indifféremment à tous les sujets de

droit, certaines ne concernent cependant que les personnes physiques, car elles

régissent les caractéristiques que celles-ci ne partagent pas avec les personnes

morales. Au sein de ces règles fondées sur les spécificités de la personnalité

physique, peuvent être distinguées celles se rapportant à la capacité et au décès du

garant personne physique (A) et celles visant à protéger la vie privée de celui-ci (B).

A/ LES REGLES RELATIVES A LA CAPACITE ET AU DECES DU GARANT

878. L’application du régime de capacité des actes à titre onéreux. Les

règles relatives à la capacité devraient être les mêmes pour tous les garants

personnes physiques, quelles que soient les autres caractéristiques de la garantie

personnelle conclue. Ces règles sont liées, en effet, à la qualification d’engagement

de payer à titre de garantie et non à la cause ou à la gravité de cet engagement.

Une règle propre aux garanties personnelles souscrites par un garant personne

physique pourrait préciser que c’est le régime de capacité des actes à titre onéreux

qui doit s’appliquer, sous réserve que ne soit prouvée l’intention libérale du garant

envers le créancier. L’efficacité de toutes les garanties personnelles s’en trouverait

renforcée, puisque seraient évitées des contestations fondées sur le non respect des

formalités contraignantes entourant les actes à titre gratuit1918.

879. Les modifications à apporter à l’article 1415 du Code civil.

Concernant le pouvoir de conclure une garantie personnelle, il pourrait également

donner lieu à une règle applicable à tous les garants personnes physiques et, plus

spécialement, à tous ceux mariés sous le régime de la communauté. Il s’agirait de

modifier l’article 1415 du Code civil en étendant son champ d’application, d’une

part, et en y apportant des précisions à même de limiter l’atteinte au droit de gage

général du créancier, d’autre part.

L’extension du champ d’application de la règle de l’article 1415 à toutes les

garanties personnelles pourrait procéder d’un raisonnement a pari à l’égard des

garanties personnelles présentant un caractère accessoire renforcé et d’un

raisonnement a fortiori à l’égard des garanties personnelles indépendantes1919. Cette

extension analogique d’origine légale supprimerait une cause d’incertitude grevant

l’efficacité des actuelles garanties personnelles innomées. Par ailleurs, elle nuirait

moins aux attentes subjectives des créanciers qu’une autre règle proposée pour

protéger le patrimoine familial, à savoir l’affirmation du « caractère d’ordre public

1918 Comme la jurisprudence considère déjà que le cautionnement est un acte à titre onéreux

(cf. supra n°480), l’édiction de la règle proposée ne supprimerait pas une cause d’extinction

de cette garantie. Elle renforcerait néanmoins son efficacité en évitant l’augmentation du coût

de la protection des intérêts du créancier résultant de la procédure engagée pour faire

reconnaître l’existence d’un acte à titre gratuit. 1919 Sur les arguments confortant ou, au contraire, excluant l’application de l’article 1415 du

Code civil aux actuelles garanties personnelles innomées, cf. supra n°680, 683

Page 499: L'efficacité des garanties personnelles

du cautionnement lorsqu’il concerne précisément, mais seulement, la famille »1920.

En effet, dès lors que le droit de gage général du créancier est limité, le patrimoine

familial se trouve protégé et il n’est pas nécessaire de priver en plus le bénéficiaire

des attraits propres des garanties autres que le cautionnement. L’obligation de

constituer un cautionnement en présence d’un garant personne physique marié sous

le régime de la communauté semble ainsi constituer un moyen de protection de la

famille disproportionné au regard de l’objectif d’efficacité. Plutôt que d’interdire les

garanties indépendantes au nom de cette protection, mieux vaudrait donc les

soumettre au même régime que le cautionnement1921.

L’objectif d’efficacité pourrait également conduire le législateur à préciser la

règle de l’article 1415 de manière à en éviter une interprétation excessivement

attentatoire aux intérêts des créanciers. A cet égard, deux solutions jurisprudentielles

pourraient recevoir une consécration légale. Tout d’abord, le nouveau texte pourrait

indiquer que seuls les époux peuvent se prévaloir du non respect de cette règle de

pouvoir1922. Ensuite, il pourrait préciser que le consentement exprès du conjoint

n’est pas requis lorsque les deux époux se portent garants d’une même dette dans le

même acte ou par actes séparés1923. Pour renforcer l’efficacité des garanties

personnelles, le législateur pourrait aussi désavouer la Cour de cassation sur deux

points. D’une part, il pourrait exclure le jeu de l’article 1415 en présence d’un garant

marié sous le régime de la communauté universelle1924. D’autre part, il pourrait

écarter la restriction de gage dans l’hypothèse où le créancier parviendrait à prouver

que le garant a commis une fraude en lui dissimulant sa situation maritale1925.

880. La transmission des garanties personnelles aux héritiers du garant.

Le régime des garanties personnelles souscrites par un garant personne physique

pourrait également s’éloigner des décisions jurisprudentielles rendues au sujet du

décès de la caution. Un nouveau texte pourrait en effet imposer la transmission de

tous les engagements des garants aux héritiers1926, en précisant que cette

transmission vaut, non seulement pour les dettes nées avant le décès du garant, mais

aussi pour celles nées postérieurement.

1920 J. CASEY, th. préc., n°421, 423 : « le principe général dégagé (celui de la protection de

la famille contre les sûretés personnelles non accessoires) permet de protéger la famille par

une technique désormais classique du droit civil : l’ordre public virtuel. Admettre ce principe

permet de déclarer le caractère accessoire du cautionnement d’ordre public en matière

familiale ». 1921 En faveur d’un régime primaire des garanties personnelles incluant la règle de l’article

1415 du Code civil, cf. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE, n°19 1922 En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 14 janvier 2003 : Bull. civ. I, n°3 1923 En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 13 octobre 1999 : Bull. civ. I, n°273 1924 Sur l’application de l’article 1415 du Code civil à des époux mariés sous le régime de la

communauté universelle, cf. Cass. 1ère civ., 3 mai 2000 : Bull. civ. I, n°125 ; Cass. 1ère civ., 28

janvier 2003 : RJDA 8-9/2003, n°880 1925 Sur le caractère aujourd'hui inopérant de la fraude de la caution, cf. Cass. 1ère civ. 17

février 1998 : Bull. civ. I, n°63 1926 Le nouveau texte devrait donc étendre le champ d’application de l’actuel article 2017 du

Code civil, qui envisage la transmission des seuls « engagements des cautions ». Il devrait

également supprimer la référence qu’opère cet article à la contrainte par corps, qui a été

abrogée en matière civile, commerciale et contre les étrangers par la loi du 22 juillet 1867.

Page 500: L'efficacité des garanties personnelles

Cette règle spéciale ne serait qu’une illustration de la règle du régime primaire

selon laquelle l’obligation de couverture du garant ne peut s’éteindre par un terme

implicite1927. Elle n’en constituerait pas moins une remise en cause de la

jurisprudence Ernault de 19821928.

Cependant, l’abandon de cette jurisprudence ne devrait pas se traduire par un

déficit de protection des héritiers. En effet, si le régime primaire des garanties

personnelles imposait la remise d’un exemplaire du contrat de garantie au garant1929,

les héritiers ne devraient pas ignorer l’existence de ce contrat. En conséquence, ils

pourraient se libérer pour l’avenir de l’engagement transmis, soit en le résiliant s’il a

été conclu pour une durée indéterminée, soit en renonçant à la succession ou en ne

l’acceptant que sous bénéfice d’inventaire. En outre, à l’égard des dettes dont ils

seraient tenus, les héritiers devraient bénéficier des protections spécialement

instituées au bénéfice des «garants consommateurs», puisqu’ils devraient appartenir

à la catégorie des garants personnes physiques n’agissant pas dans un but

professionnel1930.

881. Compte tenu des spécificités de la personnalité physique par rapport à la

personnalité morale, le régime des garanties personnelles souscrites par un garant

personne physique pourrait donc instituer des règles nouvelles se rapportant à la

capacité, aux pouvoirs et au décès de celui-ci. Si des modifications du droit positif

en ces trois domaines sont susceptibles de conforter l’efficacité des garanties

personnelles, des règles nouvelles intéressant la vie privée du garant sont en outre

nécessaires pour se conformer à la proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs.

B/ LA PROTECTION DE LA VIE PRIVEE DU GARANT

882. L’utilisation des données personnelles concernant le garant. Les

contrats de garantie établis par les professionnels du crédit comportent fréquemment

une clause aux termes de laquelle le garant accepte que le créancier utilise les

informations personnelles qu’il lui fournit dans le cadre de la conclusion, la gestion

ou l’exécution du contrat, à des fins commerciales. Pour ne pas compromettre

l’octroi de crédit au débiteur principal, les garants discutent rarement cette

stipulation. Le plus souvent, ils ne sont même pas conscients d’avoir souscrit une

pareille clause1931.

« Afin de garantir la confidentialité des informations et la protection des

données à caractère personnel »1932, et donc de protéger la vie privée des garants

contre des atteintes que la clause précitée facilite, la proposition de directive du 11

septembre 2002 interdit la collecte et le traitement de données personnelles à

d’autres fins que l’appréciation de la situation financière et des capacités de

1927 Sur cette règle nouvelle, cf. supra n°814 1928 Sur cette jurisprudence, cf. supra n°570 1929 Sur cette règle nouvelle, cf. supra n°840 1930 Sur les règles spéciales relatives aux garanties personnelles souscrites par un «garant

consommateur», cf. infra n°892-933 1931 En ce sens, cf. examen du dispositif de la proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs. 1932 Point 13 de l’exposé des motifs de la proposition de directive.

Page 501: L'efficacité des garanties personnelles

remboursement du garant. Il est ainsi interdit d’utiliser ces données à des fins de

publicité, de marketing, de commercialisation ou encore pour proposer des offres de

contrat d’assurance1933. Cette interdiction concerne tous les modes de collecte

d’informations1934, mais la Commission y insiste particulièrement au sujet des

données obtenues lors de la consultation du fichier de type négatif1935. Dans ce

cadre, il est également précisé que « la destruction des données aura lieu

immédiatement après la conclusion du contrat de crédit ou de sûreté ou le refus par

le prêteur de la demande de crédit ou de la sûreté proposée ». Pour que cette règle

empêche les utilisations prohibées des informations personnelles concernant le

garant et protège ainsi la vie privée de celui-ci, sans pour autant entraver la

production éventuelle de preuves par le créancier, la Commission européenne a

suggéré, dans l’examen du dispositif, que le maître du fichier puisse « garder une

preuve de la consultation et la communiquer au besoin à l’intéressé ou au tribunal,

au cas où par exemple la responsabilité du prêteur serait engagée ou contestée en

vertu des dispositions qui règlent le « prêt responsable »».

Dans la proposition de directive, seul le «garant consommateur» ayant conclu

un « contrat de sûreté » bénéficie des protections décrites. Dans la mesure où des

atteintes à la vie privée du garant peuvent avoir lieu, quels que soient la « cause » de

son obligation de couverture et l’objet de son obligation de règlement, les

protections imposées par le droit communautaire mériteraient de profiter à tous les

garants personnes physiques1936.

Par ailleurs, dans la proposition de directive, seuls les créanciers professionnels

sont visés, puisque les atteintes à la vie privée du garant sont uniquement envisagées

sous la forme d’utilisations commerciales des données personnelles1937. Cela ne

devrait cependant pas empêcher de sanctionner pour violation de la vie privée du

garant les créanciers n’agissant pas dans un cadre professionnel.

Ainsi, dans le corps de règles propre aux garanties personnelles souscrites par

un garant personne physique, le législateur pourrait imposer à tous les créanciers de

n’utiliser les informations recueillies auprès du garant que pour apprécier la situation

financière et les facultés de remboursement de celui-ci. Mais, alors que les

créanciers non professionnels pourraient être sanctionnés uniquement sur le

fondement du droit commun de l’article 9 du Code civil, les créanciers

professionnels pourraient en outre se voir appliquer les sanctions prévues par la loi

Informatique et Liberté1938.

1933 Examen du dispositif relatif à l’article 7 de la proposition de directive. 1934 Article 7 de la proposition de directive 1935 Article 8.3 1936 La loi n°2004-801 du 6 août 2004, modifiant la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à

l’informatique, aux fichiers et aux libertés, a ainsi pour objet la protection des personnes

physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel (JO 7 août 2004,

p. 14063 ; D. 2004, p. 2107 et s.). 1937 Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne précise que l’interdiction de faire

un usage commercial des données personnelles relatives au garant concerne « non seulement

les prêteurs et les intermédiaires de crédit mais également les bureaux d’information ainsi

que les assureurs crédit auxquels le prêteur ferait appel dans sa recherche d’information

conformément à l’article 9. La liste peut être complétée par les bureaux de recouvrement et

en général par toute personne qui aurait repris la créance du prêteur ». 1938 En ce sens, cf. D. KHAYAT et C. FIORI-KHAYAT, Prévention et fichier relatif à

l’endettement, LPA 10 avril 2003, n°72, p. 31

Page 502: L'efficacité des garanties personnelles

883. Outre des règles concrétisant l’assimilation des spécificités de la

personnalité physique par rapport à la personnalité morale (règles relatives à la

capacité, au décès et à la vie privée du garant), le régime des garanties personnelles

souscrites par un garant personne physique pourrait comporter des règles se

rapportant au patrimoine de celui-ci et, plus précisément, des règles limitant les

risques financiers supportables par un garant personne physique.

§2 : LES REGLES RELATIVES AUX RISQUES FINANCIERS

SUPPORTABLES PAR UNE PERSONNE PHYSIQUE

884. Les règles préventives inspirées par les impératifs de justice

distributive et de protection de la dignité humaine. Si le garant personne

physique n’obtient pas du débiteur principal remboursement du paiement qu’il a

effectué entre les mains du créancier, la réalisation de la garantie personnelle risque

de le conduire à la pauvreté, voire à l’exclusion. Au nom de la justice distributive1939

et de la protection de la dignité humaine, qui constitue un impératif que nul autre

objectif ne peut primer1940, le législateur doit mettre le garant personne physique à

l’abri des risques financiers les plus graves.

Afin d’éviter l’endettement excessif des garants, quels qu’ils soient, nous avons

vu que le régime primaire des garanties personnelles pourrait, d’une part, imposer

aux créanciers de vérifier que le garant est à même de respecter de nouveaux

engagements, en consultant les bases de données de type négatif et positif et, d’autre

part, dissuader les créanciers de faire souscrire au garant un engagement

disproportionné par rapport à ses biens et revenus, en pourchassant le non respect du

principe de « prêt responsable »1941.

A l’égard des garants personnes physiques, trois autres règles pourraient

prévenir les risques financiers excessifs.

885. L’interdiction du démarchage actif. En premier lieu, les créanciers

professionnels pourraient se voir interdire le démarchage actif des garants personnes

physiques.

Les principales sanctions retenues par les articles 45 à 49 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978

relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, dans sa rédaction issue de la loi précitée

n°2004-801 du 6 août 2004 sont l’avertissement, la sanction pécuniaire, l’injonction de cesser

le traitement des données, l’interruption de la mise en œuvre dudit traitement et le

verrouillage de certaines des données. 1939 Cet impératif de justice distributive sous-tend les règles protectrices des garants personnes

physiques qu’institue la proposition de directive du 11 septembre 2002. La Commission

européenne a en effet insisté sur le fait que ces protections sont nécessaires « compte tenu des

risques encourus pour leurs intérêts économiques ». Sur les objectifs que le droit

communautaire impose aux Etats membres, cf. supra n°745, 751, 771-776 1940 Sur la supériorité de l’impératif de protection de la dignité humaine sur l’objectif

d’efficacité des garanties personnelles, cf. supra n°138 1941 Sur la consultation du fichier de type positif, cf. supra n°806-811. Sur la consultation du

fichier de type négatif, cf. supra n°828-832. Sur le principe de « prêt responsable » et

l’obligation corrélative de ne pas faire souscrire au garant un engagement disproportionné, cf.

supra n°852-856

Page 503: L'efficacité des garanties personnelles

Dans la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs, cette

interdiction a un domaine plus réduit, puisqu’elle ne se rapporte qu’aux « contrats de

sûreté » conclus par un «garant consommateur»1942. Comme la prohibition

s’explique par le fait que le démarchage non sollicité accroît le risque de non

compréhension de l’impact financier réel du contrat consenti1943, elle devrait jouer

quels que soient la « cause » de l’obligation de couverture du garant et l’objet de son

obligation de règlement1944.

Cette extension du champ d’application de l’exigence communautaire ne

devrait pas bouleverser les pratiques des créanciers professionnels car, en matière de

garanties personnelles, le démarchage actif est quasi inexistant. La raison en est que

les créanciers cherchent à adapter leur demande de garantie aux caractéristiques de

l’opération de crédit principale.

886. L’extension de la règle de subsidiarité de l’article L. 313-21 du Code

monétaire et financier à toutes les garanties personnelles souscrites par un

garant personne physique. En deuxième lieu, afin d’éviter que les garants

personnes physiques ne supportent des risques financiers excessifs, le législateur

pourrait modifier l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier (ancien article

60-1 de la loi du 24 janvier 1984). Pour garantir le remboursement d’un concours

financier accordé à un entrepreneur individuel pour les besoins de son activité

professionnelle, il s’agirait de rendre subsidiaires toutes les garanties personnelles

consenties par une personne physique1945. De telles garanties ne devraient être

constituées que si l’entrepreneur n’est pas en mesure de proposer une garantie sur

les biens nécessaires à l’exploitation de l’entreprise. L’entrepreneur devrait être

informé de cette subsidiarité par l’établissement de crédit créancier.

Aujourd'hui, l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier ne précise pas

quelle est l’incidence du non respect de cette obligation d’information sur le contrat

de garantie personnelle conclu1946. Le législateur pourrait réparer cette omission1947

en interdisant à l’établissement de crédit de poursuivre le garant personne physique.

1942 Article 5 de la proposition de directive. Les articles L. 121-21 à L. 121-33 du Code de la

consommation, qui organisent la protection de la personne physique démarchée, visent

pareillement les consommateurs. 1943 Examen du dispositif relatif à l’article 5 de la proposition de directive. 1944 Pour une critique de la prise en compte de l’activité du démarché et une défense, au

contraire, de l’application des règles relatives au démarchage à domicile à toutes les

personnes physiques, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°134 à 139 1945 Aujourd'hui, l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier retient la subsidiarité de la

« sûreté personnelle consentie par une personne physique ». Dans la mesure où ce texte

adopte le même principe à l’égard de la « sûreté réelle sur un bien non nécessaire à

l’exploitation », certains auteurs y voient une règle commune à toutes les sûretés (en ce sens,

cf. P. CROCQ, L’évolution des garanties du paiement : de la diversité à l’unité, Mélanges

Ch. Mouly, Litec, 1998, p. 317 et s., n°18 ; J. MESTRE, E. PUTMAN et M. BILLIAU, n°207

et s. ). 1946 L’article L. 313-21 alinéa 3 du Code monétaire et financier dispose simplement que

« l’établissement de crédit qui n’a pas respecté les formalités prévues aux premier et

deuxième alinéa ne peut dans ses relations avec l’entrepreneur individuel se prévaloir des

garanties qu’il aurait prises ». 1947 Sur l’inefficacité résultant des obscurités par omission et notamment de celle concernant

la sanction de l’article L. 313-21 du Code monétaire et financier, cf. supra n°531

Page 504: L'efficacité des garanties personnelles

La sévérité de cette sanction pourrait inciter les créanciers professionnels à informer

l’entrepreneur individuel de la subsidiarité des garanties personnelles souscrites par

une personne physique. Le risque d’un endettement excessif de celle-ci s’en

trouverait diminué.

887. Le « reste à vivre ». En troisième et dernier lieu, dans le but d’éviter le

surendettement des garants personnes physiques et des atteintes à leur dignité, la

règle du « reste à vivre », qui ne profite actuellement qu’aux cautions, pourrait

figurer dans le régime des garanties personnelles souscrites par un garant personne

physique1948. Un défaut formel du droit du cautionnement s’en trouverait

supprimé1949.

Pour que l’utilité du « reste à vivre » ne soit plus contestée1950, le législateur

pourrait modifier la règle de l’actuel article 2024 du Code civil sur deux points.

D’une part, il pourrait préciser que le garant ne peut se prévaloir de la limitation du

droit de poursuite du créancier que si la procédure de surendettement ne lui est pas

ouverte. D’autre part, il pourrait revoir à la hausse le montant des ressources laissées

au garant, de telle sorte que le risque d’exclusion soit véritablement conjuré.

888. Les règles relatives au surendettement du garant ne devraient pas

concerner tous les garants personnes physiques. En vertu de l’impératif de justice

distributive et de celui de protection de la dignité humaine, les poursuites exercées

contre le garant personne physique pourraient donc être limitées par le « reste à

vivre ». Par ailleurs, la souscription même d’une garantie personnelle par une

personne physique pourrait être strictement encadrée lorsqu’elle est susceptible de

faire peser sur celle-ci des risques financiers excessifs. Tel est le cas dans

l’hypothèse où le garant est démarché activement et dans celle où il est amené à

couvrir les dettes professionnelles d’un entrepreneur individuel. Si ces différentes

règles préventives méritent de profiter à tous les garants personnes physiques, tel

n’est pas le cas de celles palliant le surendettement.

En effet, les mesures fondées sur l’impératif de justice distributive, qui visent à

remédier au surendettement, ne peuvent être accordées que si celui-ci n’est pas né de

dettes professionnelles. Par conséquent, les règles curatives ne devraient profiter

qu’aux «garants consommateurs» et non aux garants intégrés dans les affaires du

débiteur principal1951. Elles ne devraient donc pas avoir leur place dans un corps de

règles ayant pour objet de déduire le régime des garanties personnelles de la seule

personnalité physique du garant.

1948 En faveur de l’application du reste à vivre à l’ensemble des sûretés personnelles, cf. Ph.

DUPICHOT, th. préc., n°504 ; C. NOBLOT, th. préc., n°103, 142 et 143 ; S. PIEDELIEVRE,

Le cautionnement dans la loi relative à la lutte contre les exclusions, JCP 1998, I, 170 1949 Sur la critique de l’insertion du « reste à vivre » dans l’article 2024 du Code civil, qui

régit le cautionnement simple, cf. supra n°512 1950 Sur ces contestations, cf. supra n°552 1951 L’article L. 331-2 alinéa 1er du Code de la consommation retient déjà cette solution,

puisqu’il refuse le bénéfice de la procédure de surendettement aux cautions ou codébiteurs

solidaires qui sont dirigeants de fait ou de droit de la société débitrice. Pour que les garanties

personnelles indépendantes ne soient plus laissées pour compte, ce texte pourrait viser, plus

largement, tous les «garants consommateurs».

Page 505: L'efficacité des garanties personnelles

889. Conclusion de la Section 1. Les règles limitant les risques économiques

supportables par une personne physique, tout comme les règles régissant la capacité,

le décès et la protection de la vie privée du garant, pourraient donc s’appliquer dans

toutes les garanties personnelles souscrites par une personne physique, sans que ne

soient pris en compte, ni les motifs et les buts présidant à l’engagement du garant, ni

le caractère accessoire renforcé ou indépendant de cet engagement.

Beaucoup d’autres règles pourraient, au contraire, être fondées sur ces

caractéristiques distinctives liées à l’obligation de garantir.

SECTION 2 : LES RÈGLES SPÉCIALES

FONDÉES SUR LA « CAUSE »

DE L’OBLIGATION DE COUVERTURE

890. L’influence de la « cause » de l’obligation de couverture du garant.

Tous les garants ne s’engagent pas à couvrir le risque de perte financière pour les

mêmes raisons, ni dans les mêmes buts. Alors que la cause de l’obligation de

règlement, qui réside dans l’extinction de l’obligation principale, est objective et

commune à l’ensemble des garanties personnelles1952, la « cause » de l’obligation de

couverture est variable d’une garantie personnelle à une autre. En raison de ce

caractère subjectif, les changements ou la disparition de la « cause » de l’obligation

de couverture ne devraient pas affecter la garantie conclue1953.

En revanche, au regard des « causes » efficiente et finale de l’obligation de

couverture, le niveau de protection du garant pourrait varier. Selon sa qualité

(professionnel ou non) ou le lien qui l’unit au débiteur principal (relation affective,

dépendance patrimoniale, intégration dans ses affaires, dette préalable à son égard),

le garant pourrait bénéficier de la sollicitude du législateur dans des proportions

variables.

891. Il importe, par conséquent, d’envisager les formes et l’intensité de la

protection du garant dans les trois régimes particuliers qui pourraient être fondés sur

la « cause » de l’obligation de couverture, à savoir le régime des garanties

personnelles souscrites par un garant n’agissant pas dans un but professionnel (§1),

le régime applicable aux garants non consommateurs (§2) et enfin le régime des

garanties personnelles conclues par un garant non tenu envers le débiteur principal

(§3).

Dans ces trois corps de règles spéciales, les protections du garant pourraient

être organisées dans le respect, d’une part, des exigences communautaires et, d’autre

part, de l’objectif d’efficacité des garanties personnelles.

1952 Sur la cause de l’obligation de règlement comme élément constitutif du caractère

accessoire essentiel de toutes les garanties personnelles, cf. supra n°278 1953 Sur la jurisprudence rejetant les contestations de la caution fondées sur la disparition de la

cause subjective et, notamment, sur la cessation des fonctions de la caution ou son divorce

avec le débiteur principal, cf. supra n°483

Page 506: L'efficacité des garanties personnelles

§1 : LE REGIME DES GARANTIES PERSONNELLES

SOUSCRITES PAR UN «GARANT CONSOMMATEUR»

892. Les justifications d’un régime propre aux «garants consommateurs».

Le «garant consommateur» est une personne physique qui « agit dans un but

pouvant être considéré comme étranger à son activité commerciale ou

professionnelle »1954. La « cause » de son obligation de couverture réside dans les

relations affectives qu’il entretient avec le débiteur principal.

Compte tenu du fait que le «garant consommateur» dispose, en principe, de

connaissances limitées en matière de crédit et de garantie, qu’il ne peut exercer à

l’encontre du débiteur qu’un pouvoir de nature psychologique et non juridique, et

qu’il ne retire pas nécessairement de son engagement un bénéfice d’ordre

patrimonial, le législateur pourrait contraindre les créanciers, quelle que soit en

principe leur qualité1955, à faire spécialement preuve de solidarité et de tempérance à

son égard.

Cette intervention législative paraît d’ailleurs inéluctable au regard de

l’évolution du droit communautaire, puisque la proposition de directive du 11

septembre 2002 impose aux Etats membres d’édicter de nombreuses règles

protectrices du «garant consommateur».

893. Un régime inscrit dans le Code civil plutôt que dans le Code de la

consommation. A l’occasion de la transposition de la directive sur le crédit aux

consommateurs, le législateur pourrait regrouper toutes les règles protectrices du

«garant consommateur» dans une nouvelle section du Code civil. Même si le garant

n’agissant pas dans un but professionnel est qualifié de consommateur, il ne peut

être confondu avec un consommateur au sens strict, car il ne se procure ni n’utilise

aucun bien ou service. En conséquence, les règles le concernant ne devraient pas

figurer dans le Code de la consommation1956.

1954 Article 2 a) de la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs. 1955 Sous réserve de quelques dispositions visant les créanciers agissant dans un cadre

professionnel, le régime applicable aux «garants consommateurs» ne devrait pas prendre en

compte la qualité du créancier. Ce régime présenterait alors une originalité certaine par

rapport aux règles régissant aujourd'hui le contrat de consommation. En effet, en droit positif,

« il n’existe pas à proprement parler un statut applicable au consommateur, qui serait

inhérent à sa seule personne. Ce qui existe, c’est un statut de la relation contractuelle

particulière qui est susceptible de se nouer entre un consommateur et un professionnel » (C.

NOBLOT, th. préc., n°415). La référence à ce binôme est ainsi expresse dans le dispositif de

protection du consommateur contre les clauses abusives (article L. 132-1 du Code de la

consommation). La double prise en compte de la qualité des parties est implicite dans le

système de protection du consommateur emprunteur (l’exigence de la qualité de

consommateur se déduit des articles L. 311-3-3° et L. 312-3-2° du Code de la consommation.

La qualité de professionnel est également requise de façon allusive dans les articles L. 311-2

et L. 312-1 du même code). 1956 Il convient de souligner que, même si le «garant consommateur» devait être purement et

simplement assimilé à un consommateur, les règles le concernant ne devraient pas

nécessairement figurer dans le Code de la consommation. En effet, certaines protections du

consommateur pourraient être insérées dans le Code civil. A l’occasion de la célébration du

bicentenaire de celui-ci, J. FOYER (« Le Code civil est vivant. Il doit le demeurer », JCP

2004, I, 120) a remarqué, en ce sens qu’« il y a actuellement un certain nombre de règles

Page 507: L'efficacité des garanties personnelles

La préférence pour une insertion dans le Code civil peut également se justifier

par le fait que ce code est traditionnellement le siège des règles de droit commun et

que les règles relatives au «garant consommateur» pourraient être envisagées

comme telles1957. Les garanties personnelles souscrites par un «garant

consommateur» ne sont, en effet, que le prolongement du cautionnement « service

d’ami », qui fait figure de principe dans le Code civil.

En outre, l’intégration de toutes les protections du «garant consommateur» dans

le Code civil pourrait conforter l’accessibilité matérielle et l’intelligibilité du droit

des garanties personnelles et renforcer, ce faisant, l’efficacité de ces mécanismes.

894. Un régime tenant compte de la forme du contrat de garantie

personnelle. Au sein des protections regroupées dans le Code civil, une distinction

pourrait être opérée entre celles profitant à tous les «garants consommateurs» (A), et

celles dépendant de la forme de la garantie personnelle (B). L’objectif d’efficacité

impose une telle distinction, car la réalisation des attentes des créanciers serait par

trop compromise si certaines protections spéciales devaient s’ajouter à celles

qu’engendre nécessairement la conclusion d’un contrat devant notaire.

A/ LES PROTECTIONS

BENEFICIANT A TOUS LES «GARANTS CONSOMMATEURS»

895. Les faiblesses des «garants consommateurs» justifiant l’instauration

de protections à tous les stades de la vie du contrat de garantie. La « faiblesse

inhérente »1958 des «garants consommateurs», résultant de l’insuffisance de leurs

connaissances dans la matière du contrat à conclure et de la légèreté avec laquelle ils

peuvent donner leur consentement, pourrait justifier qu’ils profitent tous de

protections lors de la formation de la garantie personnelle (1). En outre, comme ils

n’entretiennent avec le débiteur que des liens affectifs, ils peuvent avoir des

difficultés à influer sur l’évolution de la dette principale et peuvent même ignorer la

situation financière du débiteur. Pour ces raisons, tous les «garants consommateurs»

pourraient bénéficier de protections spéciales au cours de la vie du contrat principal

et à la suite de l’inexécution de celui-ci (2).

1. Les protections au stade de la formation du contrat de garantie personnelle

896. Les moyens à mettre en œuvre pour respecter l’impératif

communautaire de lutte contre le contournement. L’article 30.3 de la proposition

de directive du 11 septembre 2002 oblige les Etats membres à prendre des mesures

contre le contournement des règles qu’elle édicte au moyen de « formes

éparses qui pourraient rejoindre le Code civil en prenant les précautions formelles

nécessaires. Je pense par exemple qu’il serait bon d’y faire figurer les principes de base de

protection des consommateurs. Ce n’est pas un astre intouchable ». 1957 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du

cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les

lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,

p. 1610 et s., n°31 : « il n’est pas opportun que le siège principal des dispositions relatives au

droit du cautionnement ait sa place dans le droit de la consommation ». 1958 M. FONTAINE, Rapport de synthèse, in La protection de la partie faible dans les

rapports contractuels, LGDJ, 1996, p. 615 et s., n°2

Page 508: L'efficacité des garanties personnelles

particulières données aux contrats ». Pour respecter cette exigence communautaire,

le législateur français devra, soit réglementer l’ensemble des garanties personnelles,

soit interdire la conclusion des garanties n’entrant pas dans le champ de la

proposition de directive1959. En réalité, ces deux méthodes de lutte contre le

contournement pourraient être cumulées.

Ainsi, la réglementation de l’ensemble des garanties personnelles pourrait

reposer, non seulement sur le régime primaire et sur les règles spéciales ne

s’intéressant pas à la nature de la garantie conclue, mais aussi sur les règles spéciales

fondées sur l’objet de l’obligation de règlement du garant.

S’agissant de la prohibition des garanties non régies par le droit

communautaire1960, elle pourrait se traduire par l’interdiction de faire souscrire à un

«garant consommateur» une garantie personnelle ne présentant pas un caractère

accessoire renforcé. Les garants n’agissant pas dans un but professionnel ne

pourraient donc s’engager qu’en qualité de caution ou de codébiteur solidaire1961.

897. L’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur» une

garantie personnelle ne présentant pas un caractère accessoire renforcé. Cette

règle nouvelle est susceptible de protéger tout à la fois les intérêts des «garants

consommateurs» et ceux des créanciers. Du côté des garants, la protection est

évidente, puisque l’interdiction proposée leur permettrait d’échapper à la rigueur des

garanties indépendantes. Du côté des créanciers, il n’y a sans doute pas à craindre

que cette interdiction soit « très mal acceptée et ressentie comme une nouvelle et

intolérable atteinte au crédit »1962 et ce, pour plusieurs raisons.

En premier lieu, l’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur»

un engagement ne présentant pas un caractère accessoire renforcé ne bouleverserait

pas profondément les habitudes de la pratique, car les créanciers demandent encore

exceptionnellement à un tel garant de conclure une garantie indépendante1963.

1959 Pour de plus amples développements sur ces répercussions du droit communautaire sur le

contenu du droit des garanties personnelles, cf. supra n°782, 795 1960 Sur le champ d’application de la proposition de directive relativement au « contrat de

sûreté », cf. supra n°754-761 1961 En faveur d’une telle limitation, cf. J. CASEY, th. préc., n°419 : « il n’est pas

inconcevable d’ajouter un article au code civil (ou d’ajouter un alinéa à l’art. 2012) qui

disposerait que « le cautionnement est la seule sûreté personnelle admise lorsque le garant

est une personne physique » ». Cet auteur tempère ensuite la généralité de cette proposition en

reconnaissant qu’une distinction pourrait être opérée entre caution profane et caution intégrée

(n°427 à 431).

D’autres auteurs se montrent plus favorables à des interdictions ponctuelles des garanties

indépendantes, dans les hypothèses où le cautionnement est organisé par des textes impératifs,

notamment dans le Code de la consommation (en ce sens, cf. E. RAWACH, La licéité des

garanties à première demande à la lumière du droit de la consommation, RD bancaire et

financier 2000, p. 57 et s.) ou lorsque la garantie n’est pas liée à l’obligation de payer une

consignation (en ce sens, cf. M. CABRILLAC et Ch. MOULY, n°471). 1962 P. ANCEL, Nouvelles sûretés pour créanciers échaudés, JCP 1989, éd. E, suppl. Cahier

droit des entreprises, n°5, p. 9 1963 S’il en va ainsi, c’est parce qu’ « il est apparu à certains directeurs juridiques qu’un tel

comportement (faire souscrire aux particuliers des garanties autonomes en réaction à l’érosion

du droit du cautionnement) ne manquerait pas d’entraîner une réaction extrêmement forte du

législateur ou du magistrat. (…) Le gain obtenu à court terme dans certains dossiers risquait

Page 509: L'efficacité des garanties personnelles

En deuxième lieu, lorsque les créanciers osent faire souscrire une garantie

indépendante à une personne physique n’agissant pas dans un but professionnel,

leurs attentes sont le plus souvent déjouées, car les juges comblent le déficit de

protection de ce garant en requalifiant l’engagement en cautionnement, ou en le

libérant sur le fondement du droit commun des contrats, ou encore en faisant une

application a pari du droit du cautionnement1964. En termes d’efficacité, il pourrait

donc être plus avantageux de faire souscrire une garantie personnelle accessoire,

dont on puisse obtenir l’exécution, plutôt qu’une garantie indépendante, dont la

survie devant un juge est des plus incertaine.

En troisième lieu, si l’interdiction des garanties indépendantes figurait

uniquement dans le régime intéressant les «garants consommateurs», les attentes

subjectives des créanciers se rapportant aux avantages de l’indépendance pourraient

toujours être satisfaites. Il suffirait, pour cela, de contracter avec un garant

professionnel ou intégré dans les affaires du débiteur principal.

En quatrième et dernier lieu, la protection des intérêts des créanciers pourrait

tenir au fait que, « si on accepte d’exclure certaines sûretés, cela implique

nécessairement d’adopter une attitude plus libérale à l’égard du cautionnement. (…)

Une fois les dangers des autres sûretés personnelles écartés, il n’y a plus guère de

raison de vouloir surprotéger le droit du cautionnement »1965. L’obligation de faire

souscrire au «garant consommateur» un engagement présentant un caractère

accessoire renforcé pourrait ainsi avoir pour corollaire l’abandon, par le législateur

et par les juges, de solutions excessivement protectrices de la caution qui entament

aujourd'hui l’efficacité du cautionnement.

Loin de sacrifier les intérêts des créanciers, l’interdiction des engagements

indépendants souscrits par les «garants consommateurs» pourrait donc renforcer

l’efficacité des garanties accessoires conclues par ces garants, tout en ménageant à

ces derniers une protection également efficace.

898. Le caractère abusif de la clause mettant à la charge du «garant

consommateur» la preuve des obligations du bénéficiaire. La future directive

devrait conduire le législateur à instaurer une autre protection du «garant

consommateur», relative au contenu du contrat de garantie. L’article 33 de la

proposition de directive précise que « toute clause contractuelle prévoyant que la

charge de la preuve du respect par le prêteur et, le cas échéant, de l’intermédiaire

de crédit, de tout ou partie des obligations que leur impose la présente directive

incombe au consommateur et, le cas échéant, au garant, est une clause abusive au

sens de la directive 93/13/CEE ».

Il est heureux que le texte communautaire ne fournisse aucun autre exemple de

clause abusive concernant spécialement le « contrat de sûreté »1966, car l’effacement

des clauses abusives constitue une technique de rééquilibrage, qui ne devrait être

mise en œuvre que dans les contrats synallagmatiques. L’annulation des clauses

de se traduire par une perte de longue durée » (J.-L. GUILLOT, Pratiques bancaires, source

du droit des affaires, LPA 27 novembre 2003, n°237, p. 17). 1964 Sur ces différentes causes d’inefficacité des garanties personnelles innomées, cf. supra

n°628-707 1965 J. CASEY, th. préc., n°439 1966 L’article 15 de la proposition de directive énumère, au contraire, six types de clauses

devant être déclarées abusives dans le cadre du contrat de crédit.

Page 510: L'efficacité des garanties personnelles

abusives repose, en effet, sur l’impératif de justice corrective, qui n’a aucun sens

dans les contrats unilatéraux.

Dans la mesure où la règle de l’article 33 de la proposition de directive n’est

donc pas compatible avec l’objectif d’efficacité des garanties personnelles1967, il

serait souhaitable que le législateur français n’en étende pas le champ d’application.

Par conséquent, seuls les «garants consommateurs» ayant contracté avec un

créancier professionnel devraient être protégés par la prohibition de la clause

mettant à leur charge la preuve des obligations du bénéficiaire.

899. Si la protection du «garant consommateur» par le biais de l’annulation de

clauses abusives heurte l’objectif d’efficacité, celle se manifestant par l’interdiction

de souscrire un engagement ne présentant pas un caractère accessoire renforcé

pourrait, en revanche, servir conjointement les intérêts des créanciers. Certaines

protections profitant au «garant consommateur» après la conclusion du contrat

pourraient également être utiles à l’efficacité de la garantie constituée.

2. Les protections postérieures à la conclusion de la garantie personnelle

900. L’information annuelle du «garant consommateur» sur l’encours de

la dette principale. Au cours de la vie du contrat de garantie, l’information du

garant sur l’encours de la dette principale concrétise la solidarité entre les

contractants, qu’exige l’impératif d’éthique contractuelle. Par ailleurs, cette

protection du garant peut favoriser la satisfaction des attentes du créancier,

puisqu’elle est susceptible d’augmenter les chances d’exécution par le débiteur lui-

même ou, à défaut, de solvabilité du garant lors de la réalisation de la garantie1968.

Alors que, dans son principe même, l’information annuelle de la caution constitue

ainsi un facteur d’efficacité, ses traductions en droit positif sont, au contraire, à

ranger parmi les causes d’inefficacité du cautionnement. A l’occasion de la réforme

du droit des garanties personnelles, il serait donc souhaitable de conserver

l’obligation d’information annuelle sur le montant de la dette principale, mais d’en

corriger les défauts actuels.

901. Une seule obligation figurant dans le Code civil. Pour améliorer le

droit en vigueur, il conviendrait de remplacer les quatre textes régissant aujourd'hui

l’information annuelle1969 par une seule disposition dans le Code civil. Cela

renforcerait, aussi bien l’accessibilité matérielle du droit des garanties personnelles,

1967 Sur les rapports entre l’impératif de justice corrective et l’objectif d’efficacité des

garanties personnelles, cf. supra n°125-132 1968 Lorsque l’objet de l’obligation de règlement du garant est déterminé par emprunt à la

dette principale, l’information du garant sur le montant de cette dette lui permet de connaître

l’étendue de sa propre dette et de prendre, en conséquence, les précautions nécessaires pour

pouvoir disposer de fonds suffisants lors de l’éventuel appel de la garantie. En toute

hypothèse, l’information sur l’encours de la dette principale peut également permettre au

garant de faire pression sur le débiteur, pour éviter qu’il ne soit défaillant. 1969 Articles L. 313-22 du Code monétaire et financier, 47-II alinéa 2 de la loi du 11 février

1994, 2016 alinéa 2 du Code civil et L. 341-6 du Code de la consommation.

En faveur d’une disposition générale déterminant le contenu de l’obligation d’information de

la caution, cf. D. LEGEAIS, Le Code de la consommation siège d’un nouveau droit du

cautionnement. Commentaire des dispositions relatives au cautionnement introduites par les

lois du 1er août 2003 relatives à l’initiative économique et sur la ville, JCP 2003, éd. E,

p. 1610 et s., n°31

Page 511: L'efficacité des garanties personnelles

que son intelligibilité et sa cohérence, puisque se trouverait supprimé le manque

d’harmonisation entre les textes actuels.

902. Le domaine d’application de l’obligation d’information annuelle. Le

champ d’application de la nouvelle obligation d’information annuelle devrait être

défini au regard du besoin de protection du garant, ce qui n’est pas le cas

aujourd'hui1970. Ainsi, les critères d’application de l’article L. 341-6 du Code de la

consommation, qui est actuellement le texte le plus général, pourraient être modifiés

à deux égards.

D’une part, l’information ne devrait profiter qu’aux garants n’ayant pas

nécessairement ou facilement connaissance de la situation financière du débiteur

principal. Pour éviter l’augmentation inutile du coût de la protection des intérêts des

créanciers, seuls les «garants consommateurs» pourraient, de ce fait, bénéficier de

l’information, et non l’ensemble des garants personnes physiques.

D’autre part, tous les créanciers, et non seulement les créanciers professionnels,

pourraient par contre se voir imposer de renseigner le «garant consommateur» sur

l’encours de la dette principale. Cette généralisation pourrait se justifier par le fait

que la probable ignorance de ce garant sur la situation financière exacte du débiteur

ne dépend en rien de la qualité du créancier1971. De plus, tous les bénéficiaires ont

intérêt à profiter des avantages, en termes d’efficacité, que présente cette obligation

d’information. Enfin, le risque que le créancier non professionnel n’ignore cette

obligation et ne se voit ainsi injustement sanctionné devrait être considérablement

réduit si un texte unique du Code civil régissait cette contrainte.

903. Les modalités d’exécution de l’obligation d’information annuelle. En

troisième lieu, le législateur pourrait réparer une omission, qui a jusqu’ici donné lieu

à contentieux abondant1972, en précisant les modalités d’exécution de l’obligation

d’information annuelle. A cet égard, il pourrait imposer la lettre recommandée avec

accusé de réception, car elle fait indubitablement preuve de l’expédition de

l’information, ainsi que de son contenu. Grâce à cette nouvelle formalité, les débats

judiciaires coûteux relatifs à ces preuves, voire la libération partielle de la caution

consécutive au rejet des preuves apportées par le créancier, pourraient être évités et

se trouverait compensé, par là même, le coût de la lettre recommandée.

904. La sanction du défaut d’information. Enfin, le droit positif pourrait

être modifié au sujet de la sanction du défaut d’information. A cet égard, l’éviction

de la déchéance « des pénalités ou intérêts de retard échus depuis la précédente

information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information », au

profit de la mise en jeu de la responsabilité contractuelle du créancier, ne

supprimerait certes pas le contentieux, mais diminuerait les risques qu’une sanction

ne soit effectivement prononcée.

D’une part, le défaut d’information ne serait sanctionné que s’il causait

effectivement au «garant consommateur» un préjudice. Celui-ci pourrait résider dans

1970 Sur la mauvaise prise en compte de la qualité du débiteur et du bénéficiaire de l’obligation

d’information annuelle dans les textes actuels, cf. supra n°614 1971 En ce sens, cf. C. NOBLOT, th. préc., n°142 1972 Sur le contentieux relatif aux modalités d’exécution de l’obligation d’information

annuelle, cf. supra n°608

Page 512: L'efficacité des garanties personnelles

la perte d’une chance d’inciter le débiteur principal à s’exécuter ou dans celle de

résilier la garantie à durée indéterminée.

D’autre part, l’exigence du lien de causalité entre ce préjudice et le défaut

d’information devrait empêcher de sanctionner le créancier lorsque ce manquement

intervient à un moment où le garant est nécessairement informé du montant de la

dette principale. La jurisprudence ne devrait donc plus pouvoir priver les créanciers

d’une partie de leurs droits pour ne pas avoir respecté leur obligation d’information

après l’assignation de la caution ou après la déclaration de la créance entre les mains

du représentant des créanciers.

Par ailleurs, le choix en faveur de la responsabilité contractuelle devrait mettre

un terme aux incertitudes liées à la possibilité d’un cumul entre cette sanction de

droit commun et la déchéance légale. Dans tous les cas, les juges devraient

uniquement se prononcer sur le manquement à une obligation légale et ils n’auraient

pas à rechercher l’existence d’un dol ou d’une faute lourde ou distincte du créancier.

La sanction du défaut d’information y gagnerait en prévisibilité.

Enfin, avec la déchéance du droit aux intérêts devrait être abandonnée la règle

d’imputation issue de la loi du 25 juin 1999, qui déroge au principe de l’article 1254

du Code civil uniquement dans le but de protéger les cautions.

Sous réserve d’y apporter les modifications suggérées, l’obligation

d’information annuelle sur l’encours de la dette principale pourrait donc constituer

une protection du «garant consommateur» utile à l’efficacité de la garantie conclue.

905. La protection du «garant consommateur» consécutive à la

transmission de la garantie personnelle à un tiers cessionnaire. En vertu de la

proposition de directive du 11 septembre 2002, le «garant consommateur» devrait

encore être protégé, au cours de la vie du contrat de garantie, dans l’hypothèse où les

droits du créancier au titre de ce contrat seraient cédés à un tiers. Au sujet de la

transmission du « contrat de sûreté » en dehors du transfert de la dette principale,

l’article 17 du texte communautaire exige, en effet, que « le garant puisse faire

valoir à l'égard du nouveau titulaire des créances résultant dudit contrat les mêmes

exceptions et défenses qu'il pouvait invoquer à l'égard du prêteur initial, y compris

le droit à compensation, pour autant que celle-ci soit autorisée dans l'État membre

concerné ».

Dans l’examen du dispositif, la Commission européenne a précisé que cette

règle doit jouer « sans qu’il n’y ait lieu d’avoir égard à la construction juridique

appliquée : cession de créance, subrogation, délégation, etc ». Comme

l’opposabilité des exceptions est déjà reconnue par le droit commun de la cession de

créance et de la subrogation, c’est surtout dans l’hypothèse d’une délégation des

droits du créancier contre le «garant consommateur» que celui-ci devrait être

spécialement protégé par la règle communautaire. En principe, le délégué ne peut

effectivement pas opposer au délégataire les exceptions nées du contrat conclu avec

le délégant.

Bien que la règle de l’article 17 de la proposition de directive soit ainsi

dérogatoire à notre droit de la délégation, elle devrait être étendue dans la

disposition nationale de transposition. En effet, dans la mesure où l’exigence de

protection du «garant consommateur» face à un nouveau créancier ne saurait varier

en fonction de la qualité du créancier initial, l’opposabilité des exceptions devrait

Page 513: L'efficacité des garanties personnelles

être reconnue, que celui-ci ait ou non consenti du crédit dans l’exercice de ses

activités commerciales ou professionnelles.

906. Le délai de carence. La qualité du créancier pourrait être pareillement

indifférente dans le cadre de la protection du «garant consommateur» organisée par

l’article 23.2 de la proposition de directive. Ce texte dispose que « le prêteur ne peut

agir contre le garant que si le consommateur qui manque à son obligation de

rembourser le crédit ne s'y est pas conformé dans un délai de trois mois à partir de

la mise en demeure ». En ne permettant ainsi au prêteur de « s’adresser au garant

qu’après l’écoulement d’un délai de « carence » »1973, la Commission européenne

protège indéniablement les intérêts du «garant consommateur», sans toutefois

sacrifier ceux du créancier.

907. Les avantages du délai de carence. Le garant n’agissant pas dans un but

professionnel est protégé, puisqu’il ne peut être poursuivi dès qu’un incident de

paiement survient dans le contrat principal. Exiger que cet incident se consolide

pendant trois mois évite que le garant ne soit inquiété alors qu’il n’est pas encore

certain que le débiteur ne régularisera pas. Le délai de carence protège donc le

«garant consommateur» contre des poursuites inutiles1974.

Pour le créancier, ce délai de carence présente l’avantage de favoriser

l’exécution du contrat principal par le débiteur lui-même, puisqu’il laisse au garant

le temps de faire pression sur celui-ci ou de prendre des mesures à même de faire

cesser la défaillance.

Il convient de souligner que le délai de carence ne fait pas, à cet égard, double

emploi avec l’information du garant sur le premier incident de paiement du débiteur

principal non régularisé dans le mois de l’exigibilité, que pourrait imposer le régime

primaire des garanties personnelles1975. En effet, le «garant consommateur» ne

disposant que d’un pouvoir psychologique à l’encontre du débiteur, et n’étant pas

nécessairement au fait des mesures à prendre pour remédier à la carence de celui-ci,

il peut être utile d’ajouter à l’information un délai d’action.

Si les démarches accomplies par le garant pendant ce délai devaient demeurer

infructueuses, le statu quo de trois mois pourrait néanmoins se révéler profitable au

créancier, s’il permettait au garant d’organiser sa propre solvabilité.

908. Le champ d’application du délai de carence. Compte tenu de ses

bienfaits, tant à l’égard du garant que du créancier, le délai de carence pourrait voir

son champ d’application étendu dans la disposition nationale de transposition. Il

1973 Examen du dispositif relatif à l’article 23 de la proposition de directive. 1974 Il pourrait être objecté que cette protection peut se révéler perverse. En effet, comme

pendant le délai de trois mois les intérêts moratoires courent contre le débiteur principal, si

l’engagement du «garant consommateur» couvre ces accessoires, le respect du délai de

carence pourrait conduire à une augmentation du montant de l’obligation de règlement. En

réalité, la proposition de directive empêche cet effet pervers, puisque son article 23.3 exclut

de la couverture par un «garant consommateur» les intérêts moratoires dûs par le débiteur

principal. Sur cette disposition limitant l’étendue en montant de la dette du «garant

consommateur», cf. infra n°924 1975 Sur cette obligation d’information, cf. supra n°842

Page 514: L'efficacité des garanties personnelles

pourrait ainsi profiter à tout «garant consommateur», quelles que soient la qualité du

créancier, celle du débiteur, et la nature du contrat principal.

909. Les conséquences du non respect du délai de carence. Les

conséquences du non respect du délai de carence ne sont pas envisagées par la

proposition de directive. Le législateur français pourrait alors distinguer trois

hypothèses.

Tout d’abord, si le garant payait le créancier immédiatement après avoir été

informé de la défaillance du débiteur, sans attendre que l’incident de paiement ne se

soit consolidé pendant trois mois, et sans que le créancier ne l’ait mis en demeure, ce

paiement pourrait être considéré comme valable. Le «garant consommateur» ne

pourrait donc pas agir en répétition de l’indu contre le créancier. En revanche, à

condition d’avoir averti de ce paiement le débiteur principal, il pourrait exercer

contre celui-ci son recours en remboursement.

Ensuite, si le garant payait immédiatement le créancier, sans avoir été mis en

demeure, et sans en informer le débiteur principal, qui disposait de moyens pour

faire déclarer la dette éteinte, il pourrait perdre son recours contre le débiteur, mais

exercer, par contre, une action en répétition contre le créancier. Il s’agirait d’étendre

la solution de l’article 2031 alinéa 2 du Code civil.

Enfin, si le créancier ne respectait pas le délai de carence et mettait en demeure

le «garant consommateur» dès le premier incident de paiement du débiteur, ledit

garant pourrait agir en répétition des sommes versées et demander, le cas échéant,

des dommages et intérêts en réparation du préjudice occasionné par le paiement et

non couvert par la seule répétition. Dans cette même hypothèse, le garant pourrait

aussi ne pas répondre à la mise en demeure, sans risquer de sanction et, notamment,

sans que ne commencent à courir contre lui des intérêts moratoires.

A condition de nuancer de la sorte les conséquences à apporter au non respect

du délai de carence, ce délai imposé par le droit communautaire pourrait donc

constituer une protection du «garant consommateur» compatible avec l’objectif

d’efficacité des garanties personnelles.

910. L’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur» une

lettre de change, un billet à ordre ou un chèque de garantie. Après la défaillance

du débiteur principal, la proposition de directive du 11 septembre 2002 impose de

protéger le «garant consommateur» en le mettant à l’abri, non seulement des

poursuites du créancier pendant trois mois, mais encore des dangers qu’engendre la

souscription de certains titres. En effet, son article 18 alinéa 1er précise qu’« il est

interdit au prêteur ou au titulaire des créances résultant d’un contrat de crédit ou

d’un contrat de sûreté d’exiger du consommateur ou du garant, ou de proposer à

ceux-ci, de garantir, au moyen d'une lettre de change ou d'un billet à ordre, le

paiement des engagements qu'ils ont contractés en vertu dudit contrat ».

Pour se conformer à cette exigence communautaire, le législateur français

pourrait étendre le champ d’application de l’article L. 313-13 du Code de la

consommation, qui retient cette même prohibition à l’égard des emprunteurs ou

bénéficiaires d’un crédit à la consommation. Mais, comme cet article est déjà

Page 515: L'efficacité des garanties personnelles

particulièrement « hermétique »1976 et qu’il est souhaitable que toutes les règles

relatives aux garanties personnelles souscrites par un «garant consommateur» soient

regroupées, il devrait plutôt introduire cette nouvelle protection dans le Code civil.

Il devrait par ailleurs en faire profiter tous les «garants consommateurs»,

quelles que soient la qualité du créancier, celle du débiteur ou encore la nature du

contrat principal. Ces circonstances d’espèce sont en effet sans incidence sur la

rigueur des titres visés, qui résulte de l’inopposabilité des exceptions aux endosseurs

successifs.

En cas de non respect de l’interdiction d’utiliser la lettre de change ou le billet à

ordre, la sanction cambiaire de l’article L. 511-5 du Code de commerce pourrait

s’appliquer et emporter la nullité du titre. Le contrat de garantie personnelle lui-

même ne serait, en revanche, nullement affecté.

En son article 18 alinéa 2, la proposition de directive interdit également de faire

signer à un «garant consommateur» « un chèque garantissant le remboursement

total ou partiel du montant dû ». Cette prohibition peut s’expliquer par le fait que les

chèques de garantie sont reconnus valables, même si leur bénéficiaire est informé de

l’absence ou de l’insuffisance de la provision lors de l’émission1977, et ils sont en

tout état de cause payables à vue, par application de l’article L. 131-31 du Code

monétaire et financier1978. Aussi dangereux que les lettres de change ou billets à

ordre, mais pour des raisons différentes, les chèques de garantie pourraient être

interdits dans les mêmes conditions que ces autres titres et recevoir la même

sanction.

911. Plutôt que de laisser souscrire aux «garants consommateurs» des

engagements dont ils ne percevraient pas immédiatement les dangers et qu’ils

chercheraient ultérieurement à contester ou qu’ils seraient dans l’impossibilité de

respecter, le législateur pourrait en interdire a priori la signature. Au stade de la

formation de la garantie, cela pourrait se traduire par l’interdiction de faire souscrire

à un «garant consommateur» un engagement ne présentant pas un caractère

accessoire renforcé et, au stade de sa réalisation, par l’interdiction d’utiliser la lettre

de change, le billet à ordre et le chèque de garantie.

Le législateur pourrait également protéger les «garants consommateurs» en leur

faisant profiter de mesures qui compensent leurs faiblesses : l’information annuelle

sur le montant de la dette principale, pour combler le manque de connaissances sur

la situation financière du débiteur, et un délai de carence, pour conforter leur

pouvoir de nature seulement psychologique à l’encontre de celui-ci.

Parce qu’elles peuvent favoriser l’exécution par le débiteur lui-même ou celle

du garant, en raison d’une diminution du risque de contestation ou d’insolvabilité à

1976 Ch. GAVALDA et J. STOUFFLET, Instruments de paiement et de crédit. Effets de

commerce, chèque, carte de paiement, transfert de fonds, Litec, 2001, 4e éd., n°27 1977 Cass. com., 12 janvier 1993 : Bull. civ. IV, n°3 ; D. 1993, IR, p. 36 ; JCP 1993, éd. E., II,

425, note CABRILLAC 1978 Cass. com., 22 juin 1993 : Bull. civ. IV, n°265 ; D. 1993, Somm., 315, obs.

CABRILLAC ; Cass. com., 17 novembre 1998 : Bull. civ. IV, n°269 ; D. 1999, Somm., 148,

obs. CABRILLAC ; D. 1999, p. 304, obs. PIEDELIEVRE ; JCP 1999, II, 10226, note

GIBIRILA ; RTD civ. 1999, p. 165, obs. CROCQ ; RTD com. 1999, p. 165, obs.

CABRILLAC ; JCP 1999, I, 158, n°12, obs. SIMLER et DELEBECQUE ; Cass. com., 24

octobre 2000 : Bull. civ. IV, n°162 ; D. 2000, AJ, p. 417, obs. LIENHARD

Page 516: L'efficacité des garanties personnelles

l’échéance, ces protections profitant à tous les «garants consommateurs» pourraient

participer à la satisfaction des attentes des créanciers. A l’égard d’autres formes de

protection, en revanche, l’efficacité de la garantie conclue ne pourrait être préservée,

voire renforcée, que si ces protections n’étaient pas accordées à l’ensemble des

garants personnes physiques n’agissant pas dans un but professionnel, mais

seulement à ceux s’engageant sous seing privé.

B/ LES PROTECTIONS VARIABLES

SELON LA FORME DE LA GARANTIE PERSONNELLE

912. Les avantages de l’authentification. L’authenticité présente de

nombreux avantages, tant pour le garant que pour le créancier. A l’égard du premier,

la conclusion de la garantie devant notaire donne lieu à une information

personnalisée sur la nature et l’étendue de l’engagement, et donc sur les risques

encourus. En outre, le garant bénéficie du devoir de conseil du notaire, qui est

particulièrement étendu. A l’égard du créancier, l’authenticité rime avec sécurité et

efficacité. Effectivement, elle dispense de l’accomplissement d’autres formalités

probatoires ou validantes, elle rend inopérantes certaines contestations liées à la

compréhension de l’engagement, et elle procure au créancier un titre exécutoire1979.

913. L’objectif d’efficacité invite à favoriser l’authentification plutôt qu’à

l’imposer. Bien qu’elle présente de réels avantages, l’authentification ne devrait pas

être rendue obligatoire1980, car elle entraverait l’efficacité in concreto de la garantie

conclue. La simplicité, la rapidité et la quasi gratuité de la conclusion par acte sous

seing privé peuvent en effet faire l’objet d’attentes subjectives. Plutôt que d’imposer

l’authenticité, il serait donc préférable de laisser la liberté contractuelle présider au

choix de la forme de la garantie personnelle1981.

Cela ne devrait cependant pas empêcher le législateur d’encourager

l’authentification des garanties personnelles. A cet égard, le législateur pourrait faire

dépendre de la forme choisie certaines protections du «garant consommateur». Afin

d’éviter l’inefficacité qui pourrait résulter de la surprotection de ce garant, et en

considération de la protection que lui procure déjà l’obligation d’information et de

conseil du notaire, le législateur pourrait ainsi exclure l’application de certaines

mesures en présence de garanties passées par acte authentique.

1979 En vertu de l’article 3-4° de la loi du 9 juillet 1991, les actes notariés, revêtus de la

formule exécutoire, constituent des titres exécutoires. 1980 Lors du 81e Congrès des notaires de France, l’authenticité pour les cautionnements

supérieurs à 20000 F ou illimités a été vivement défendue. L’année suivante,

l’authentification du cautionnement fut encore au cœur des débats de ce Congrès (Nice 1986),

mais le vœu de la rendre obligatoire à l’égard de tous les cautionnements a été finalement

repoussé (cf. L. AYNES, Les garanties du financement, Rapport de synthèse au 82ème

Congrès des notaires, Defrénois 1986, article 33779, p. 909 et s., n°6).

J. CASEY (th. préc., n°479 à 490) a vivement soutenu l’obligation de passer par acte notarié

les cautionnements garantissant un emprunt immobilier et ceux, en matière mobilière,

dépassant un certain montant et souscrits par toute caution, à l’exception des cautions

intégrées. 1981 En ce sens, cf. D. LEGEAIS, n°41

Page 517: L'efficacité des garanties personnelles

Tel pourrait être le cas du délai d’acceptation (1). C’est, par ailleurs, au sujet de

l’étendue de l’engagement du garant que pourraient différer le régime de la garantie

sous seing privé et celui de la garantie notariée1982. Plus précisément, les limitations

de cet engagement, en montant (2), et en durée (3), pourraient être uniquement

imposées dans le cadre des garanties sous seing privé. Pour échapper à ces

contraintes, les créanciers seraient incités à faire souscrire aux «garants

consommateurs» des engagements par acte authentique. Les intérêts des créanciers,

aussi bien que ceux des «garants consommateurs», s’en trouveraient plus sûrement

protégés.

1. Le délai d’acceptation

914. Les avantages du délai d’acceptation. La protection des «garants

consommateurs» s’engageant sous seing privé pourrait reposer sur le respect d’un

délai d’acceptation. Comme les connaissances de ces garants sur le contrat à

conclure sont fréquemment limitées et comme les relations affectives qu’ils

entretiennent avec le débiteur peuvent les conduire à s’engager trop rapidement et

légèrement, il serait utile d’imposer un temps de réflexion, préalable à la conclusion

définitive de la garantie. Le consentement du garant gagnerait en densité et la

sécurité des créanciers s’en trouverait renforcée, puisque les contestations du garant

relatives au défaut de compréhension de la nature et de l’étendue de l’engagement

perdraient de leur pertinence.

915. Le domaine d’application du délai d’acceptation. Le délai

d’acceptation existe en droit positif, mais son champ d’application est trop restreint.

Il profite, en effet, à la seule caution personne physique garantissant un crédit

immobilier consenti par un établissement de crédit (article L. 312-10 du Code de la

consommation). Le délai de réflexion pourrait être accordé, plus largement, à tout

«garant consommateur», quels que soient la nature du contrat principal et la qualité

du créancier, dès lors qu’il s’engage sous seing privé. Dans le cadre des garanties

conclues par acte authentique, comme les conseils fournis par le notaire renforçent

1982 L’étendue de l’engagement du garant au stade de la contribution à la dette pourrait être

concernée par cette distinction liée à la forme de la garantie. Plus exactement, l’information

du garant sur le caractère solidaire de son engagement pourrait ne pas être donnée dans les

mêmes conditions dans le cadre d’une garantie notariée et dans celui d’une garantie sous

seing privé. Dans le premier cas, cette information pourrait être fournie par l’officier

ministériel, sans que la loi n’en prescrive la forme. Au contraire, une mention manuscrite

relative à la solidarité pourrait être imposée dans les garanties personnelles souscrites sous

seing privé par un «garant consommateur». Le législateur pourrait ainsi remplacer les articles

L. 313-8 et L. 341-3 du Code de la consommation, qui se chevauchent inutilement, par une

disposition du Code civil, qui en reprendrait le principe, tout en en corrigeant les défauts.

Ainsi, le nouveau texte pourrait préciser la signification de la solidarité, mais aussi celle de

l’indivisibilité, qui l’accompagne fréquemment. Il pourrait également réparer une autre

omission en visant, outre la renonciation au bénéfice de discussion, la renonciation au

bénéfice de division. C’est surtout la sanction du défaut ou de l’irrégularité de la mention

manuscrite qui mériterait d’être modifiée. La nullité du cautionnement en son entier, que

retient aujourd'hui le Code de la consommation, est particulièrement attentatoire à l’efficacité

de cette garantie. Elle devrait être remplacée par la nullité de la seule clause de solidarité. Le

cautionnement solidaire se transformerait alors en cautionnement simple.

Page 518: L'efficacité des garanties personnelles

l’intensité du consentement du garant, aucun délai de réflexion ne devrait, en

revanche, être octroyé à ce dernier.

916. La sanction du non respect du délai d’acceptation. Afin que la

jurisprudence ne ruine plus l’efficacité du cautionnement conclu avant l’expiration

du délai de réflexion en prononçant sa nullité1983, le législateur pourrait prescrire une

sanction plus limitée, mais néanmoins dissuasive, à savoir la déchéance du droit aux

accessoires, « en totalité ou dans la proportion fixée par le juge ». L’article L. 312-

33 alinéa 4 du Code de la consommation retient déjà cette sanction dans l’hypothèse

où une offre de crédit immobilier est acceptée moins de dix jours après son

émission.

917. L’exclusion des délais de rétractation. La généralisation du délai

d’acceptation pourrait s’accompagner de l’exclusion de tout délai de rétractation. Le

droit de revenir sur un engagement déjà conclu étant plus attentatoire à la sécurité

juridique que le droit de réfléchir avant de consentir1984, et devenant superfétatoire

lorsqu’un délai d’acceptation est institué, la caution personne physique garantissant

un crédit à la consommation consenti par un établissement de crédit ne devrait plus

pouvoir se rétracter dans un délai de sept jours1985. Plus généralement, aucun «garant

consommateur» ne devrait se voir reconnaître le droit de revenir sur son

engagement. La proposition de directive du 11 septembre 2002 n’invite pas à une

autre solution, puisqu’elle impose le droit de rétractation au bénéfice du seul

consommateur, et non du garant1986.

2. Le montant de la garantie personnelle

918. Le montant de l’engagement du garant devrait faire l’objet d’un

traitement différencié selon la forme de la garantie personnelle. En droit positif,

la plupart des dispositions encourageant ou rendant obligatoire le cautionnement

limité en montant visent les engagements sous seing privé1987. Au contraire, la

proposition de directive du 11 septembre 2002 impose différentes limitations du

montant de l’engagement du «garant consommateur», sans distinguer selon la forme

du « contrat de sûreté ». Si le texte communautaire devait être adopté en l’état, il

1983 En ce sens, cf. Cass. 1ère civ., 30 mars 1994 : Bull. civ. I, n°130. Sur l’inefficacité

résultant de la sanction du formalisme informatif par la nullité du cautionnement, cf. supra

n°618 1984 En ce sens, cf. Ph. BRUN, Le droit de revenir sur son engagement, Droit et patrimoine

1998, n°60, p. 78 et s. ; J. CALAIS-AULOY et F. STEINMETZ, Droit de la consommation,

Dalloz, 2000, 5e éd., n°169 ; D. FERRIER, La protection des consommateurs, Dalloz, 1996,

coll. Connaissances du Droit, p. 39 1985 Ce droit de rétractation n’est pas expressément affirmé par le Code de la consommation,

mais il résulte de la lecture croisée des articles L. 311-2 et L. 311-15 de ce Code. 1986 Article 11 de la proposition de directive sur le crédit aux consommateurs. 1987 Les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation visent expressément

l’engagement sous seing privé. L’article L. 341-5 du même code, qui oblige les créanciers

professionnels à choisir entre l’indétermination du montant et la stipulation de solidarité, ne

devrait concerner que le cautionnement notarié, puisque, dans le cas contraire, il serait en

contradiction avec l’article L. 341-2, qui prohibe le cautionnement d’un montant indéterminé.

Seul l’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994, qui impose le même choix aux

créanciers, ne distingue pas selon la forme du cautionnement.

Page 519: L'efficacité des garanties personnelles

contraindrait le législateur français à étendre ces restrictions aux garanties notariées.

Les protections du «garant consommateur» pourraient alors se transformer en

surprotections, qui nuiraient à l’efficacité des garanties conclues.

Compte tenu des critiques déjà essuyées par la proposition de directive au sujet

de cette absence de distinction1988, il est néanmoins probable que le texte

communautaire final ne couvrira pas les « contrats de sûreté » conclus par acte

authentique et qu’il ne fera donc pas apparaître les facteurs d’inefficacité dénoncés.

Nous allons donc envisager le traitement qui pourrait être réservé au montant de

l’engagement du «garant consommateur», d’une part, dans les garanties notariées,

d’autre part, dans les garanties sous seing privé.

919. Le montant des garanties personnelles notariées. Informés par le

notaire de la signification du caractère accessoire renforcé de la garantie

personnelle1989 et conseillés par lui sur l’opportunité de conclure un tel contrat au vu

de leur situation, les «garants consommateurs» peuvent accepter, en connaissance de

cause, de s’engager pour le montant réclamé par le créancier. En conséquence, sauf

à assimiler ces garants à des incapables, il conviendrait de donner plein effet à ce

consentement éclairé par les conseils du notaire. En matière de garantie notariée, la

règle pourrait donc être celle de la libre fixation du montant de l’engagement du

«garant consommateur». Ce dernier devrait donc pouvoir couvrir les dettes

déterminées ou seulement déterminables du débiteur par un engagement indéfini1990.

Si le législateur tirait toutes les conséquences de la protection du consentement

du garant qu’engendrent les conseils du notaire, il devrait admettre que cet

engagement indéfini puisse être en même temps solidaire. Cela devrait le conduire à

abroger l’article L. 341-5 du Code de la consommation, qui impose au contraire un

choix entre ces deux propriétés. L’efficacité des garanties notariées en serait

d’autant plus accusée.

1988 Lors de l’audition du 29 avril 2004 devant la Commission juridique du Parlement

européen, la CNUE a fait valoir qu’ « il est important que les contrats de crédit aux

consommateurs et les contrats de sûreté conclus sous la forme d’un acte authentique signé

devant notaire ou devant un juge soient exclus du champ d’application de la proposition de

directive ». Pour conforter cette proposition, la CNUE a souligné les inconvénients de

l’absence de distinction au regard des articles 6 (information réciproque et préalable et

obligation de conseil), 9 (prêt responsable), 11 (droit de rétractation), 19 (responsabilité

solidaire) et 30 (harmonisation totale et caractère impératif des dispositions de la directive) de

la proposition de directive. Elle a également fait valoir que la Commission européenne

n’allègue aucun fait permettant de justifier que les actes authentiques aient été exclus de la

directive 87/102/CEE et qu’ils ne le soient plus dans la proposition du 11 septembre 2002.

Elle a aussi mis en avant la protection des consommateurs et la sécurité des transactions

juridiques résultant de l’intervention d’un notaire. Enfin, la CNUE a souligné que l’exemption

des contrats passés en forme authentique devrait être retenue dans un souci de cohérence du

droit européen. En effet, le système d’exemption est celui adopté dans d’autres domaines du

droit communautaire, notamment celui du commerce électronique (articles 1 et 9 de la

directive 2000/31/CE). 1989 Sur l’interdiction de faire souscrire à un «garant consommateur» une garantie personnelle

ne présentant pas un caractère accessoire renforcé, cf. supra n°897 1990 Sur le régime de la garantie personnelle accessoire indéfinie, cf. infra n°982

Page 520: L'efficacité des garanties personnelles

920. La limitation obligatoire du montant des garanties personnelles sous

seing privé. Relativement au montant des garanties sous seing privé, le droit positif

pourrait être également sensiblement modifié. La réforme du droit des garanties

personnelles ne devrait pas remettre en cause l’obligation de déterminer le montant

de l’engagement sous seing privé, d’abord instaurée par l’article L. 313-7 du Code

de la consommation, puis étendue par l’article L. 341-2 du même code. En effet,

outre le fait que cette détermination peut constituer un facteur d’efficacité1991, elle

est aujourd'hui imposée par le droit communautaire, puisque l’article 10.3 de la

proposition de directive du 11 septembre 2002 exige que « le contrat de sûreté

mentionne le montant maximal garanti ». Cette disposition étant particulièrement

générale, elle pourrait autoriser le maintien pur et simple des articles précités du

Code de la consommation. La recherche de l’efficacité pourrait cependant conduire

à leur apporter plusieurs modifications.

921. Le champ d’application du plafonnement obligatoire. En premier lieu,

il conviendrait de redéfinir le champ d’application de l’obligation de plafonnement

du montant garanti, de manière à ce que soient visés les garants à l’égard desquels

l’indétermination du montant est la plus dangereuse. En l’occurrence, le principal

danger accompagne l’engagement indéfini couvrant une dette seulement

déterminable, et il consiste dans l’imprévisibilité de la somme pouvant être réclamée

au garant. Dans la mesure où cette somme ne peut être réellement imprévisible que

lorsque le garant ne dispose pas d’un pouvoir de contrôle, voire de direction, à

l’encontre du débiteur principal, la protection pourrait ne bénéficier qu’aux garants

non intégrés dans les affaires de celui-ci. Afin que l’obligation de déterminer le

montant de l’engagement sous seing privé cesse d’être une surprotection à l’égard

des garants qui ont le pouvoir d’influer sur l’évolution de la dette principale, elle ne

devrait donc plus concerner l’ensemble des garants personnes physiques, mais

seulement les «garants consommateurs».

Elle pourrait, par contre, continuer à ne s’appliquer qu’aux créanciers

professionnels, car ce sont les principaux distributeurs de crédit d’un montant

indéterminé.

Plutôt que de modifier en ce sens les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la

consommation, il serait préférable d’abroger ces deux dispositions, qui se

chevauchent inutilement, et de les remplacer par un seul texte, dans le Code civil.

L’article 47-II alinéa 1er de la loi du 11 février 1994 devrait alors être

également abrogé, car l’alternative entre le caractère solidaire et le caractère indéfini

du cautionnement, par une personne physique, des dettes professionnelles d’un

entrepreneur individuel, n’aurait plus aucun sens si les garanties sous seing privé

souscrites par un «garant consommateur» devaient obligatoirement comporter un

plafond et si le montant des garanties conclues par les autres garants personnes

physiques devait relever de la liberté contractuelle.

922. La mention manuscrite du montant de l’engagement du garant. En

deuxième lieu, le nouveau texte du Code civil pourrait continuer à exiger que le

montant garanti figure dans une mention manuscrite, afin que ce montant ne soit pas

1991 Sur la détermination du montant de l’engagement du garant comme facteur favorisant

l’exécution de celui-ci, cf. supra n°72

Page 521: L'efficacité des garanties personnelles

noyé au milieu des clauses dactylographiées et ne risque, ce faisant, d’être occulté

par le garant.

En revanche, la mention manuscrite pourrait être présentée uniquement à

titre d’exemple et non constituer, comme aujourd'hui, la seule formule devant être

recopiée par le garant. L’abandon de ce formalisme très pointilleux pourrait éviter

une libération injustifiée du garant.

923. La couverture des accessoires de la dette principale ne devrait pas

être subordonnée à leur mention manuscrite. En troisième lieu, des modifications

devraient être apportées au sujet des dettes couvertes par le garant. Les articles L.

313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation précisent que le montant inscrit par

le garant couvre « le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des

pénalités ou intérêts de retard ».

Tant l’objectif d’efficacité, que le caractère accessoire renforcé de

l’engagement souscrit par le «garant consommateur», invitent, au contraire, à ne pas

imposer une évaluation a priori des accessoires et à faire peser ceux-ci sur le garant

dès que le corps de l’acte de garantie, imprimé ou dactylographié, y fait référence.

Lors de la réforme du droit des garanties personnelles, il serait donc souhaitable que

le législateur, comme le fait la Cour de cassation depuis plusieurs années dans le

cadre de la mention de l’article 1326 du Code civil1992, cesse de subordonner la

couverture des accessoires à la mention manuscrite du montant garanti.

Le droit communautaire ne saurait empêcher cette modification du droit positif.

En effet, si l’article 23.3 de la proposition de directive du 11 septembre 2002 dispose

que « le montant garanti ne peut porter que sur le solde restant dû du montant total

du crédit et sur tout arriéré dû en vertu du contrat de crédit », il n’exige pas que les

intérêts et frais éventuels, constitutifs de cet « arriéré »1993, soient mentionnés de la

main du garant pour être couverts. Le droit communautaire autorise, par conséquent,

une réforme concernant le formalisme entourant la couverture des accessoires et il

va rendre nécessaire, par ailleurs, une réforme au sujet de la nature des accessoires

garantis.

924. L’interdiction de couvrir les pénalités et frais d’inexécution dûs par

le débiteur principal. Le même article 23.3 de la proposition de directive précise,

en effet, que le montant garanti ne peut porter sur « toute autre indemnité ou

pénalité prévue par le contrat de crédit ». Le garant ne devrait donc plus pouvoir

s’engager à couvrir « toute forme de pénalité ou frais d’inexécution » imposés au

débiteur1994.

Grâce à cette exclusion, le délai de carence imposé par l’article 23.2 ne risque

pas de produire un effet pervers à l’encontre du «garant consommateur», puisque

pendant les trois mois suivants la mise en demeure infructueuse du débiteur

1992 Sur l’efficacité du cautionnement résultant de la jurisprudence relative à la preuve d’un

engagement exprès de la caution, cf. supra n°444-449 1993 Examen du dispositif relatif à l’article 23.3 de la proposition de directive. 1994 Dans l’examen du dispositif relatif à l’article 23.3 de la proposition de directive, la

Commission européenne ajoute que « ces frais dûs en principal par le consommateur peuvent

se limiter à ce montant si le garant exécute immédiatement ses obligations. En effet, il serait

anormal que le garant paie pour des pénalités additionnelles causées par l’inexécution par le

consommateur de ses obligations ».

Page 522: L'efficacité des garanties personnelles

principal, les intérêts moratoires vont certes courir à l’encontre celui-ci, mais ne

pourront augmenter la dette du garant.

L’exclusion des accessoires visés par la proposition de directive conforte, en

outre, une solution que nous avions préconisée au sujet de la sanction du défaut

d’information du garant sur le premier incident de paiement du débiteur principal

non régularisé dans le mois de l’exigibilité, à savoir l’abandon de la déchéance des

pénalités ou intérêts de retard1995. Cette sanction n’aura, en effet, plus d’objet

lorsque le législateur français aura transposé la règle communautaire interdisant la

couverture de ces accessoires.

925. La mention des frais d’inexécution dûs par le «garant

consommateur». Il convient de remarquer que la Commission européenne a

spécialement insisté sur le fait que l’exclusion des frais et pénalités liés à

l’inexécution ne doit jouer qu’à l’égard de la défaillance du débiteur. Par

conséquent, « si le garant tarde dans l’exécution de ses propres obligations, le

prêteur pourra lui réclamer des intérêts de retard et des pénalités additionnelles

calqués sur le montant garanti et impayé »1996. Simple application du droit commun,

cette règle ne devrait pas donner lieu à une disposition spéciale.

Par contre, pour se conformer à l’article 10.3 de la proposition de directive, le

législateur devrait préciser que les frais d’inexécution ne pourront être réclamés au

«garant consommateur» qu’à la condition que le contrat de garantie les ait

mentionnés1997.

926. Les sanctions des règles relatives au montant des garanties

personnelles sous seing privé. En quatrième et dernier lieu, des précisions

devraient être apportées au sujet du non respect des règles relatives à la

détermination du montant de l’engagement sous seing privé souscrit par le «garant

consommateur».

Tout d’abord, si une mention manuscrite précise n’était fournie qu’à titre

d’exemple dans le nouveau texte, seul le défaut pur et simple de mention devrait être

sanctionné, et non une simple irrégularité formelle. La nullité pourrait être conservée

pour son caractère dissuasif, mais le législateur devrait préciser son caractère relatif,

1995 Cette déchéance est actuellement imposée par les articles L. 313-9 et L. 341-1 du Code de

la consommation et 47-II alinéa 3 de la loi du 11 février 1994.

Sur l’obligation d’information portant sur la défaillance du débiteur, qui pourrait figurer dans

le régime primaire des garanties personnelles, et sa sanction, cf. supra n°842 1996 Examen du dispositif relatif à l’article 23.3 de la proposition de directive.

Rappelons que le retard du «garant consommateur» ne peut être constaté qu’à l’expiration du

délai de carence de trois mois. Ce n’est donc qu’à compter de cette date que les intérêts

moratoires peuvent commencer à courir à son encontre. Sur les conséquences du non respect

du délai de carence, cf. supra n°909 1997 L’article 10.3 de la proposition de directive se contentant d’indiquer que « le contrat de

sûreté mentionne le montant maximal garanti ainsi que les frais d’inexécution selon les

modalités visées au paragraphe 2, point e) », la couverture de ces frais ne devrait pas être

subordonnée à leur insertion dans une mention manuscrite. Ils pourraient seulement être visés

dans le corps de l’acte de garantie, imprimé ou dactylographié.

Page 523: L'efficacité des garanties personnelles

afin de tarir le contentieux né du silence des textes actuels sur ce point1998, et afin de

permettre la régularisation1999.

Ensuite, le non respect de l’interdiction de couvrir les pénalités et intérêts de

retard dûs par le débiteur ne devrait pas être sanctionné par la nullité du contrat de

garantie en son entier. Seule la clause stipulant cette couverture pourrait être réputée

non écrite. Comme cette nullité partielle ne présente pas un caractère suffisamment

dissuasif, elle pourrait être complétée par la déchéance de tous les autres accessoires

de la dette principale.

927. Pour éviter la surprotection des «garants consommateurs», le législateur

pourrait donc confiner l’obligation de déterminer le montant dû par le garant dans

les engagements souscrits sous seing privé et modifier, en outre, le droit positif

relatif à cette obligation, quant à son champ d’application, son étendue par rapport

aux accessoires, et sa sanction. Toujours dans l’optique de préserver l’efficacité des

garanties conclues par des «garants consommateurs», la durée de leur engagement

pourrait également faire l’objet d’un traitement différencié selon que cet engagement

est souscrit sous seing privé ou devant un notaire.

3. La durée de la garantie personnelle

928. La durée des garanties personnelles notariées. Dans les garanties

passées par acte authentique, la durée de l’engagement du garant pourrait être

librement déterminée par les parties. Le garant s’engageant pour une durée

indéterminée devrait être informé par le notaire de la faculté de résiliation

unilatérale. Cette faculté devrait ensuite lui être rappelée chaque année par le

créancier dans la lettre lui indiquant l’encours de la dette principale2000.

929. La mention manuscrite de la durée de la garantie personnelle sous

seing privé. Dans le cadre des garanties conclues sous seing privé par un «garant

consommateur», la liberté contractuelle pourrait, par contre, demeurer exclue, au

profit de l’exigence d’une mention manuscrite de la durée de l’engagement du

garant. Une nouvelle disposition du Code civil, se substituant aux articles L. 313-7

et L. 341-2 du Code de la consommation2001, pourrait imposer cette limitation de la

durée de l’obligation de couverture. La modification du droit positif en ce domaine

ne devrait pas s’arrêter là, car la proposition de directive sur le crédit aux

consommateurs impose deux règles nouvelles relativement à la durée du « contrat de

sûreté ».

1998 Sur l’inefficacité résultant des obscurités par omission du droit du cautionnement, cf.

supra n°523-535 1999 Sur l’inefficacité résultant de l’impossibilité de régulariser ou de ratifier des défauts

formels, cf. supra n°622-625 2000 Sur l’obligation d’information annuelle de tous les «garants consommateurs» sur le

montant de la dette principale, cf. supra n°900-904 2001 Les articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la consommation interdisent les

cautionnements à durée indéterminée souscrits par une personne physique au profit d’un

créancier professionnel, en exigeant que la caution fasse précéder sa signature de la mention

manuscrite de la durée de son engagement.

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930. Une durée limitée à trois ans lorsque la garantie personnelle sous

seing privé couvre une dette à durée indéterminée. L’article 23.1 du texte

communautaire précise qu’ « un garant ne peut conclure un contrat de sûreté

garantissant le remboursement d’un contrat de crédit à durée indéterminée que

pour une période de trois ans ».

La Commission européenne justifie ce plafond en relevant qu’ « un garant n’a

souvent qu’une vue momentanée sur la solvabilité du consommateur. Exiger de lui

une sûreté « à vie » doit être considéré comme hors de proportions avec ses intérêts

et risque de le conduire vers l’endettement »2002.

Cette dernière justification semble peu pertinente, dans la mesure où le risque

d’endettement excessif est déjà conjuré par les contraintes imposées aux créanciers

sur le fondement du principe de « prêt responsable »2003, par les règles relatives aux

risques financiers supportables par une personne physique2004, mais aussi par la

limitation du montant de l’engagement du garant.

Pour justifier le plafonnement de la durée de l’obligation de couverture

souscrite par un «garant consommateur», il est préférable de s’attacher à deux autres

considérations. D’une part, les connaissances de ce garant en matière de crédit ne

sont généralement pas assez solides pour lui permettre de faire des projections à

long terme sur l’évolution de la dette principale. D’autre part, les relations affectives

entre le garant et le débiteur principal, qui sont la « cause » de l’obligation de

couverture du premier, peuvent s’émousser avec le temps et rendre intolérable le

maintien de l’engagement pendant une très longue durée.

Compte tenu de ces justifications, le plafonnement imposé par l’article 23.1 de

la proposition de directive pourrait être imposé dès qu’un «garant consommateur»

s’engage sous seing privé à couvrir les dettes nées d’un contrat à durée

indéterminée, quelles que soient la nature de ce contrat, la qualité du débiteur et

même celle du créancier2005.

931. La sanction du non respect des règles relatives à la durée de la

garantie personnelle sous seing privé. L’extension du champ d’application de

l’obligation de déterminer la durée de l’engagement du garant2006 pourrait se

concilier avec l’objectif d’efficacité si le non respect de cette obligation n’emportait

pas la nullité de la garantie. Pour que les attentes des créanciers ne soient pas

anéanties, il conviendrait d’abandonner la sanction des articles L. 313-7 et L. 341-2

du Code de la consommation. A défaut de mention manuscrite de la durée de

l’engagement du garant ou dans l’hypothèse où la durée stipulée serait supérieure à

trois ans, le garant pourrait être tenu du seul montant de la dette principale au jour de

2002 Examen du dispositif relatif à l’article 23.1 de la proposition de directive. 2003 Sur ces contraintes, cf. supra n°852-856 2004 Cf. supra n°884-888 2005 Si les crédits d’un montant indéterminé sont l’apanage des créanciers professionnels, tel

n’est pas le cas des contrats à durée indéterminée. Le contrat de bail en fournit l’illustration.

Par conséquent, si la limitation du montant de l’engagement du «garant consommateur» ne

devrait être imposée qu’en présence d’un créancier professionnel, le plafonnement de la durée

de l’engagement de ce garant pourrait, au contraire, être indifférent à la qualité du créancier. 2006 Le champ d’application proposé est plus large que celui imposé par la proposition de

directive, mais aussi que celui des actuels articles L. 313-7 et L. 341-2 du Code de la

consommation.

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