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HAL Id: dumas-01962299 https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01962299 Submitted on 20 Dec 2018 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le “ sujet migrant ” : négociations d’une identité collective : étude de cas d’un refuge à la frontière du Mexique et le Guatemala Luciana Mariscal de Souza To cite this version: Luciana Mariscal de Souza. Le “ sujet migrant ” : négociations d’une identité collective : étude de cas d’un refuge à la frontière du Mexique et le Guatemala. Sociologie. 2018. dumas-01962299

Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

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Page 1: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

HAL Id: dumas-01962299https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01962299

Submitted on 20 Dec 2018

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinée au dépôt et à la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publiés ou non,émanant des établissements d’enseignement et derecherche français ou étrangers, des laboratoirespublics ou privés.

Le “ sujet migrant ” : négociations d’une identitécollective : étude de cas d’un refuge à la frontière du

Mexique et le GuatemalaLuciana Mariscal de Souza

To cite this version:Luciana Mariscal de Souza. Le “ sujet migrant ” : négociations d’une identité collective : étude de casd’un refuge à la frontière du Mexique et le Guatemala. Sociologie. 2018. �dumas-01962299�

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0

MEMOIRE

pour obtenir le diplôme de

MASTER DE L’UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3 Master 2 Recherche

Mention : Études internationales et européennes Spécialité : Études latino-américaines Option : Sociologie

présenté par

Luciana MARISCAL DE SOUZA dirigé par M. David DUMOULIN Maître de conférences en sociologie

Le « sujet migrant » : Négociations d’une identité collective Etude de cas d’un refuge à la frontière du Mexique et le Guatemala

Mémoire soutenu le 26 juin 2018

Institut des Hautes Etudes de l’Amérique latine 28 rue Saint-Guillaume 75007 Paris

Page 3: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

1

Le « sujet migrant » : Négociations d’une identité collective

Etude de cas d’un refuge à la frontière du Mexique et le Guatemala

1

Présenté par Luciana Mariscal de Souza

Mémoire de Master 2 Recherche orientation Sociologie

Master en Études Internationales et Européennes, spécialité Études Latino-

Américains

Directeur : David Dumoulin

Membre du jury : Denis Merklen

Mémoire soutenu le 26 juin 2018

Institut des Hautes Études de l’Amérique Latine

28 rue Saint-Guillaume 75007 Paris

1 Photo “We are people, we are hondurien, we are immigrants” . Facebook officiel, La 72 : Hogar-Refugio para Personas

Migrantes, publié le 18 mai 2018. Adresse URL : https://www.facebook.com/la72tenosique/photos.

Page 4: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

2

Remerciements

Je souhaite adresser mes remerciements à mon directeur de mémoire, M. David DUMOULIN,

pour tous ses conseils, sa patience et son soutien lors de la réalisation de ce travail de recherche.

Je remercie également M. Denis MERKLEN pour avoir accepté d’être membre du jury et pour

m’avoir donné des conseils lors du séminaire de recherche en sociologie.

Je voudrais également remercier les responsables du refuge migrant « la 72 », M. Ramón

MARQUEZ et Frère Tomás GONZALEZ pour m’avoir permis de réaliser mon terrain de

recherche au sein du refuge.

Un grand merci à tous les hommes, femmes, adolescents et enfants migrants que j’ai rencontré

lors de mon terrain de recherche et qui m’ont ouvert les portes de leurs cœurs. Je voudrais

particulièrement remercier les personnes qui ont accepté d’être interviewés et qui m’ont raconté

des moments très durs de leurs vies.

Je tiens à remercier le conseil régional d’Île-de France qui ont financé mes deux premières

années d’étude en France.

Mille mercis enfin à mes amies Sandrine, Rosalyn, Alicia, Fernanda, Agustina, Mariela, Alix

qui ont suivi de très près la rédaction de ce mémoire, à tous les amis qui ont eu des mots

d’encouragement et à tous ceux qui depuis le Mexique et le Brésil ont toujours cru en moi et qui

m’ont donné le courage de réaliser un master en France.

Un très grand merci à Michael pour sa relecture, sa patience, sa méticulosité et pour m’avoir

toujours poussé à donner le meilleur de moi-même.

Merci aussi à ma famille, ma mère Tercia, mon père Gerardo, mon frère Gabriel et ma tante

Ana pour m’avoir toujours soutenu dans mes projets professionnels. Je vous aime.

Page 5: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

3

Table de matières

Introduction ................................................................................................................................ 5

Partie I. La construction de l’identité du « sujet migrant » par le refuge .......... 15

Chapitre 1. Le « sujet migrant »: du sujet à protéger au sujet de droit.................................. 17

I. Un projet franciscain d’aide aux migrants : le migrant comme un sujet à protéger .............. 17

II. Un refuge qui lutte pour les droits de l’Homme : le migrant comme un sujet de droit ........ 22

III. Le « sujet-migrant » défini par « La 72 » ............................................................................ 27

Chapitre 2. La cérémonie d’entrée au refuge et la définition du « sujet migrant » ............... 29

I. L’explication de trois règles ................................................................................................... 30

II. L’entretien individuel : l’identification du « sujet migrant » ................................................ 32

Chapitre 3. Le refuge migrant : un espace créé pour le « sujet migrant » ............................. 38

I. La gestion collective des migrants ......................................................................................... 38

II. Les tensions et rapports de pouvoir entre les bénévoles, les gardiens et les migrants. ......... 47

Partie II. Les stratégies des migrants pour faire face à l’identité collective ...... 54

Chapitre 1. Les migrants et les stratégies négociation face à la gestion collective ................ 56

I. Les stratégies des migrants pour négocier le traitement collectif .......................................... 56

II. Les stratégies des bénévoles et responsables face aux négociations des migrants ............... 62

III. Les stratégies des migrants pour obtenir une attention individuelle ................................... 64

Chapitre 2. Les stratégies de réaproppiation spatio-temporelle des migrants ....................... 67

I. Meubler le vide par les activités du quotidien : sport, loisir et culture .................................. 67

Chapitre 3. Les stratégies des migrants face à la stigmatisation et la précarité ..................... 78

I. Faire face à la stigmatisation : l’entrée des « indésirables » .................................................. 78

II. Faire face à la précarité ......................................................................................................... 86

Page 6: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

4

Partie III. L’appropriation de l’identité du « sujet migrant » : un moyen pour

se reconstruire en tant que sujets autonomes ............................................................... 94

Chapitre 1. Les stratégies employées pour se créer une identité valorisante au refuge ........ 95

I. Le statut de groupe vulnérable, moyen de se réconcilier avec son identité. .......................... 95

II. Les événements culturels au refuge migrant : des espaces de valorisation des identités. .... 96

III. Montrer ses capacités de mobilité ..................................................................................... 100

IV. La recherche d’une identité masculine .............................................................................. 103

Chapitre 2. La demande d’asile : un moyen pour reconstruire son projet de vie ................ 107

I. La demande d’asile, une démarche compliquée................................................................... 107

II. La demande d’asile, une stratégie pour les migrants ? ....................................................... 111

Chapitre 3. Du « sujet migrant » au sujet autonome : la reconstruction biographique à

travers du discours. .................................................................................................................... 116

I. Une histoire de rédemption : le récit de vie de Ricardo. ...................................................... 117

II. Une histoire d’aventure : le récit de vie de Leonardo. ........................................................ 122

III. Andrea et Viviana : du centre de rétention au refuge migrant........................................... 128

IV. L’histoire de Juan Carlos, un défenseur de la communauté garifuna ............................... 132

Conclusions .............................................................................................................................. 139

Note sur les principales difficultés rencontrées lors de la réalisation du terrain de recherche..... 145

Bibliographie ................................................................................................................................ 149

Page 7: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

5

Introduction

Les migrations en provenance des pays du Triangle nord-centraméricain (le Honduras, le

Guatemala et le Salvador) ne datent pas d’aujourd’hui, cependant les raisons de migrer ont

changé d’une époque à l’autre. Dans les années 1980s, les migrations avaient pour cause les

conflits armés dans la région, le Mexique a ainsi reçu une première vague de réfugiés politiques,

notamment du Guatemala2. Dans les années 1990, les flux migratoires étaient la conséquence de

l’insertion des économies locales dans une économie mondialisée qui a produit une crise dans le

secteur agricole et une perte importante d’emplois dans le secteur public3. Ces crises ont poussé

de nombreuses personnes à migrer pour chercher de meilleures conditions de vie ailleurs. De nos

jours, nous sommes passés d’une migration volontaire et économique à une migration forcée du

fait de la montée de la violence dans les pays centraméricains 4. Ces violences ont eu pour

conséquence une hausse de la demande d’asile au Mexique, transformant le Mexique d’un pays

de transit à un pays d’accueil. Un rapport d’Amnesty International indique que 8781 personnes

avaient fait une demande d’asile au Mexique en 20165 contre seulement 1296 en 2013.

Nous assistons en parallèle à une augmentation des contrôles migratoires au Mexique du fait

des accords de libre-échange conclus avec les États-Unis qui prévoient des actions pour bloquer

l’immigration clandestine6. Le programme Plan Integral de la Frontera Sur est au cœur des

dénonciations des ONG de défense des migrants. Les ONG dénoncent que le programme oblige

les migrants à prendre des routes dangereuses (montagnes, désert) contrôlées par les cartels de la

drogue du fait de la présence des agents migratoires sur les lieux de passage des trains.

L’augmentation du nombre de migrants, réfugiés et demandeurs d’asile en provenance des

pays du Sud a depuis la fin des années 1980 « vu fleurir à son entour une rhétorique faisant usage

2 Manuel Ángel CASTILLO, “Las políticas hacia la migración centroamericana en países de origen, de destino y de

tránsito”, Papeles de Población, vol. 6, núm. 24, abril-junio 2000. Universidad Autónoma del Estado de México.

Toluca, México.

3 Abelardo MORALES GAMBOA, “La diáspora de la posguerra: Regionalismo de los migrantes y dinámicas

territoriales en América Central, San José C.R., FLACSO, 2007. 4 Miguel VILCHES HINOJOSA (org.), Los nuevos escenarios de la migración internacional en la región

Centroamérica-Norteamérica, Red Jesuita con migrantes, México, 2015. 5 Amnistía Internacional, “Enfrentando muros: violaciones de los derechos de solicitantes de asilo en Estados Unidos

y México”,p. 32. Adresse URL: https://www.amnesty.org/download/Documents/AMR0164262017SPANISH.PDF 6 Nakache, D. et Crépeau, F., « Le contrôle des migrations et l’intégration économique. Entre ouverture et

fermeture », Mondialisation, migrations et droits de l’homme : le droit international en question, Chétail, V. (Ed.)

Bruxelles : Bruylant, p.22.

Page 8: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

6

de notions tendant à criminaliser la mobilité »7. Certains auteurs, tels que Amarela Varela Huerta

(2015), dénoncent l’existence d’un système mondial de gestion des frontières, dont la finalité est

de caractériser les migrations humaines contemporaines comme un problème de sécurité

nationale et pouvoir ainsi « justifier la radicalisation des politiques de répulsion à l’égard des

migrants »8. La rhétorique anti-migrante qui était auparavant ancrée à l’extrême droite est

aujourd’hui disséminée dans un large spectre de la classe politique. Les migrants provenant des

pays du Sud sont désormais catégorisés comme « clandestins », « sans-papiers », « demandeurs

d’asile », « illégaux »9. Ces catégories marquées par la stigmatisation et l’exclusion forment une

identité sociale, une étiquette que les migrants doivent porter.

Dans le même temps, la référence aux droits de l’Homme dans la sphère du discours publique

est devenue une caractéristique des migrations internationales de ces trente dernières années10

. Il

s’est créé un réseau transnational de plaidoyer dont la défense des migrants est le principal

objectif. La défense des migrants fait partie d’un mouvement plus large d’action collective

transnationale11

. D’après Étienne Ollion et Johanna Siméant (2015), ces réseaux transnationaux

de défense de causes « sont le plus souvent focalisés sur les manifestations les plus visibles du

plaidoyer : les campagnes au niveau national et international, les stratégies médiatiques, les

appels au public comme aux responsables politiques »12

. Ces réseaux peuvent inclure des

organismes de recherche et de défense de causes internationales et domestiques, des mouvements

sociaux locaux, des fondations, des médias, des églises, des syndicats, etc.13

.

Amarela Varela Huerta (2015), défini les mouvements luttant pour les droits des migrants

comme des « luttes politiques citoyennes […] visant à la reconnaissance du droit d’asile et de la

7 Arsène BOLOUVI, « Migration « clandestine » et recherche biographique : le récit de soi comme support de

résistance », Le sujet dans la cité. 2015/1 (Actuels N° 4), p. 4. 8 Idem

9 Idem

10 Jacques AMAR, « Les migrations contemporaines entre droits de l’homme, liberté de circulation et droit au retour

», Hommes & migrations [En ligne], 1306 | 2014. 11

Della Porta and Tarrow, 2005 : 7, cité par DUFOUR, P. & GOYER, R. (2009). « Analyse de la transnationalisation

de l’action collective : Proposition pour une géographie des solidarités transnationales ». Sociologie et sociétés, Vol,

4. Número. 2, p. 4. .

Della Porta et Tarrow (2005) définissent l’action collective transnationale comme des « campagnes internationales

coordonnées effectuées par des réseaux de militants contre des acteurs internationaux, d’autres États ou des

institutions internationales » 12

Étienne OLLIION et Johanna SIMÉANT, « Le plaidoyer : internationales et usages locaux», Critique

internationale 2015. Vol, 2 , N° 67, pp. 9-15. , p. 3 13

Keck et Sikink (1998) cité par Johanna SIMÉANT, Johanna, « 6. La transnationalisation de l'action collective», in

AGRIKOLIANSKY, Éric et al., Penser les mouvements sociaux, La Découverte « Recherches », 2010 p. 5.

Page 9: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

7

liberté de circulation, deux droits de l’Homme universellement reconnus »14

. La particularité des

mouvements de défense des droits des migrants trouve racine dans la difficulté de la construction

politique du groupe migrant. Ainsi, Johanna Siméant (1999) explique à partir de sa recherche sur

les mouvements des sans-papiers en France que vu leur situation irrégulière, les migrants sont

« bien souvent dépourvus de toute ressource tant matérielle que symbolique, privée de tout

recours légal pour se faire entendre »15

, ce qui en fait des étrangers face au monde de l’action

collective. La condition sine qua non de la mobilisation en faveur des étrangers sans papiers est

la participation d’agents intéressés par la promotion des droits de l’Homme, que l’auteur appelle

les entrepreneurs. Johanna Siméant (1999) distingue deux types d’entrepreneurs : d’une part les

étudiants, militants d'extrême gauche, associations de solidarité, des intellectuels, etc., et de

l’autre part les immigrés déjà naturalisés ou les sans-papiers qui ont fait des études dans leurs

pays d’origine.

L’action collective en faveur des migrants fait partie d’une nouvelle vague de mouvements

sociaux analysés par les chercheurs en sciences sociales. La nouveauté de ces mouvements est

qu’ils mettent l’accent sur « des valeurs telles que l’identité, la reconnaissance sociale, le respect

de l’individu, les droits de l’Homme, les conditions de vie »16

. En se focalisant sur les identités,

ces mouvements ont réussi à mobiliser la société civile, comme dans l’exemple des mouvements

défendant des identités concrètes : ouvrière, indienne, gaie (Varela Huerta, 2015). Michaël

Voegtli (2009), écris par rapport à l’importance des identités collectives dans les mouvements

sociaux :

« Il s’agit d’une catégorie utilisée par les individus en vue de construire un mouvement, de s’y

reconnaître et d’en connaître les membres, de le distinguer d’autres entreprises de mouvement

social et de construire par là même le groupe qu’il est censé représenter. En d’autres termes, on a

affaire à un processus de différenciation et de légitimation d’un groupe social »17

.

Concernant le mouvement en défense des migrants, l’identité collective mise en avant est

marquée par l’altérité, le manque de papiers et le fait d’être migrant, et non par l’identification

14

Amarela VARELA HUERTA, “Luchas migrantes: un nuevo campo de estudio para la sociología de los disensos”,

Andamios. Revista de Investigación Social, vol. 12, núm. 28, mayo-agosto, 2015, p.8. 15

,PIERRU, Emmanuel. SIMÉANT, J., « La cause des sans-papiers ». Politix, vol. 12, n°48, Quatrième trimestre

1999,p.3. 16

Camille GOIRAND, « Penser les mouvements sociaux d'Amérique latine » Les approches des mobilisations

depuis les années 1970, Revue française de science politique, 2010/3 Vol. 60, p.8. 17

Michaël VOEGTLI, « Identité collective », in Olivier Fillieule et al., Dictionnaire des mouvements sociaux,

Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.) « Références », 2009. p. 2

Page 10: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

8

de classe (Varela Huerta, 2015). Les porte-parole ont fait un travail de subjectivisation du

migrant pour provoquer la mobilisation, construisant ainsi « un sujet migrant » comme « sujet

social autonome et porteur de droits »18

. Michel Wieviorka (2012) écrit à propos de la

subjectivation :

« Les processus de subjectivation et de dé-subjectivation sont des processus par lesquels se construit

et se transforme la conscience des acteurs, à partir de laquelle ils prennent des décisions. La

subjectivation conduit vers le sujet à la Touraine ou à la Joas, capable d’agir, car capable de se

penser comme acteur et de trouver les modalités du passage à l’action. La désubjectivation conduit

à l’inverse vers les formes décomposées et inversées du sujet, vers l’anti-sujet ou le non-sujet, et, de

là, éventuellement, vers des conduites de destruction et d’autodestruction »19

.

D’après Amarela Varela Huerta (2015), les activistes du mouvement de défense des migrants

se sont inspirés d’autres luttes sociales, notamment les luttes des paysans : « les autochtones et

leurs mobilisations ont démontré que pour transformer l’ordre social global, il fallait avant

obtenir la reconnaissance des peuples autochtones comme des sujets juridiques collectifs »20

.

Toutefois, à la différence du mouvement des autochtones, le sujet migrant est construit par des

« porte-parole », c’est-à-dire par les activistes qui parlent au nom des migrants21

. Ce type de

représentation des dominés crée le risque de reconduire leur exclusion, car les dominés sont sous

l’impression que les porte-parole parlent pour eux, même si en réalité ils sont « à la merci des

discours qu’on leur propose (...); à la merci, dans le meilleur des cas, de leur porte-parole à qui il

appartient de leur fournir les instruments de la réappropriation de leur propre expérience»22

.

Le succès des porte-paroles du réseau transnational de plaidoyer en défense des migrants

centraméricains est lié au discours élaboré sur la violation des droits de l’Homme des migrants en

transit (Olga Akin et Alejandro Anaya Muñoz, 2013). Dans ce discours, les migrants sont

montrés comme des victimes vulnérables qui doivent également lutter pour le respect de leurs

droits. D’après moi, le principal problème de cette identité créé dans le discours sur le « sujet

migrant » est le fait que les migrants soient traités par les institutions qui les accueillent et les

défendent uniquement comme des victimes vulnérables. Cette identité du « sujet migrant » se vit

18

Camille GOIRAND, « Penser les mouvements sociaux … » op.cit, p.13. 19

Michel WIEVIORKA, « Du concept de sujet à celui de subjectivation/dé-subjectivation ». FMSH-WP-012-16,

2012,p. 7. 20

Amarela VARELA HUERTA, op. cit, p. 12. 21

Samuel, HAYAT « La représentation inclusive », Raisons politiques 2013. Vol, 2. N° 50, p. 18. 22

Pierre Bourdieu, La Distinction..., op. cit., p. 238, cité par Samuel, HAYAT « La représentation inclusive »,p. 14.

Page 11: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

9

donc de manière paradoxale et ne permet pas de mobiliser les migrants sur la défense de leurs

droits. Par conséquent, je défends l’idée que la mobilisation de défense de migrants gérée par des

porte-parole crée des processus de subjectivation non aboutis chez les migrants. D’après Samuel

Hayat (2013), s’il n’y a pas de processus de subjectivation c’est parce que le rôle des porte-parole

n’est pas représentatif du groupe social. Un processus de subjectivation aboutit bien à la

représentation d’un groupe seulement « s’il permet aux sujets ainsi constitués de se doter d’une

capacité d’agir propre ».23

J’ai réalisé mon terrain de recherche qui a rendu possible la rédaction de ce mémoire de juin à

septembre 2017, au refuge pour migrants La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes. Le

refuge se trouve au sud-est du Mexique dans la municipalité de Tenosique, état de Tabasco,

localisé à 64 kilomètres de la frontière avec le Guatemala. Le refuge est un espace privilégié pour

observer la matérialisation du discours de plaidoyer de droits des migrants dans la vie

quotidienne et les négociations identitaires de la part des migrants. Ce refuge fait partie des

territoires de l’attente étudiés par Vidal et Musset (2015). D’après les auteurs, ces territoires sont

des « espaces destinés volontairement ou servant involontairement à la mise en attente de

populations déplacées ou en déplacement. Il y a donc une dimension collective nécessaire »24

.

Ce type d’espaces « révèlent des possibilités identitaires qui varient selon les situations »25

. En

effet, c’est pendant le temps plus ou moins long de l’attente au sein du refuge que les migrants

disputent et négocient avec l’identité du « sujet migrant » qui leur est assignée. Vidal et Musset

(2005) signalent que le sociologue étudiant les identités dans les territoires de l’attente doit

centrer « sa focale sur les attributs des qui possibles »26

.

J’ai observé lors de mon terrain de recherche que le discours de plaidoyer qui veut montrer un

sujet migrant politique, autonome, ayant des droits, ainsi qu’un sujet collectif capable d’agir et de

modifier le cours de son existence est en décalage par rapport à la manière dont le refuge « La

72 » accueille les migrants. Je montre au long de ce mémoire que « La 72 » a créé un discours

autour des migrants qui, malgré le fait de vouloir les positionner en tant que sujets de droit, a fini

23

Samuel, HAYAT « La représentation inclusive », Raisons politiques 2013. Vol, 2. N° 50, p. 18. 24

VIDAL Laurent, MUSSET, Alain (org.), Les territoires de l’attente : migrations et mobilités dans les Amériques

(xix-xx siècle), Collection des Amériques. Presses Universitaires de Rennes, 2015.p. 11. 25

FREHSE, Fraya et VIDAL, Dominique « Les territoires de l’attente comme territoires moraux », Les territoires de

l’attente : migrations et mobilités dans les Amériques (xix-xx siècle), Collection des Amériques. Presses

Universitaires de Rennes, 2015, p.2-3. 26

Idem.

Page 12: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

10

par les mettre en avant en tant que sujets vulnérables et qui ont besoin de protection. Ce qui se

traduit dans un traitement et gestion de leurs vies en tant que sujets non auto-suffisants, réalité

qui n’est pas acceptée par les migrants et qu’ils vont essayer de négocier.

Grégory Beriet et Ambre Dewaele (2015)27

ont réalisé une recherche sur un refuge migrant,

La Casa del Migrante, localisée à Tijuana, au Mexique. Les auteurs décrivent un modèle

sécuritaire représenté par l’architecture et le fonctionnement de ce type de refuges qui sont en

partie calqués sur le modèle du Panoptique de Foucault. Ce modèle ressemble à un espace

carcéral qui renvoie à l’instauration d’une technologie fine et calculée de l’assujettissement

permettant de rendre les corps dociles. D’après Beriet et Dewaele (2015) l’influence catholique

sur ces refuges joue aussi un rôle important, car « la morale catholique s’exerce sur les migrants à

travers un contrôle ouvert de leurs pratiques et de leurs mœurs, veillant à éviter toute

déviance »28

.

L’identité du « sujet migrant », en tant que sujet politique qui fait valoir ses droits est aussi en

décalage par rapport à l’identité personnelle des migrants, qui ne se voient pas comme des

individus qui vont exiger le respect de leurs droits. Un exemple de cette situation est que lors des

événements de défense de leurs droits, les migrants ne sont pas intéressés par l’action collective

menée par le refuge et préfèrent uniquement profiter de l’occasion pour sortir en ville. Les

migrants du refuge analysé ne participent pas donc à une activité politique autonome, car

l’identité collective du « sujet migrant » ne les dote pas d’une capacité pour agir et parce qu’ils ne

se reconnaissent pas dans cette identité. Les conditions de vie, les règles du refuge, la prise en

charge totale de l’institution sont également des éléments qui empêchent les processus de

transformation en sujet politique.

Je soutiens ainsi que les migrants n’entrent pas en totalité dans cette identité collective qui leur

est assignée. Les migrants sont par exemple opposés au traitement collectif de leurs vies, car ils

ne se voient pas comme membre d’un sujet collectif et ne se reconnaissent pas non plus dans

certains éléments de cette identité collective telle que la stigmatisation ou la précarité. Les

migrants sont en quête de solutions personnelles pour aboutir dans leurs projets migratoires,

;27

Grégory Beriet, Ambre Dewaele, « Des quarantaines au centre pour migrants : étude des stratégies d’attente dans

les dispositifs biopolitiques (XIX-XX siècles) », Les territoires de l’attente : migrations et mobilités dans les

Amériques (xix-xx siècle), Collection des Amériques. Presses Universitaires de Rennes, 2015. 28

Ibid., p. 147.

Page 13: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

11

notamment à travers la demande d’asile. Cela les différencie de la vision du sujet politique

collectif qui lutte pour faire défendre ses droits.

Néanmoins, ceci ne veut pas pour autant dire qu’ils ne s’engagent pas dans aucune action

politique. En réalité, j’ai observé que ce que les migrants négocient n’est pas le respect des droits

de l’Homme, tel que le défend la casa, mais leurs identités personnelles face à l’imposition du

traitement collective du refuge destiné au « sujet migrant ». Afin de négocier avec l’identité

collective, les migrants qui sont au refuge agissent au niveau de l’infrapolitique des

dominés, c’est-à-dire « une grande variété de formes discrètes de résistance qui n’osent pas dire

leur nom et qui se développent faute de pouvoir agir à l’encontre des dominants »29

. Les migrants

emploient des stratégies qui leur permettent de négocier certains éléments de l’identité qui leur

est imposée.

Dans ce travail de recherche, je m’intéresse ainsi aux négociations identitaires initiées par les

migrants face à l’identité collective qui leur est assignée et à la réponse apportée par l’institution

du refuge. Ma question de recherche est de savoir ce qui est en jeu dans ces négociations

identitaires ? Plus particulièrement, je me demande si les migrants commencent à travers ces

négociations vis-à-vis des intentions de l’institution, un processus de subjectivation et

deviennent, par conséquent, des sujets capables d’action ?

J’essaierai de montrer dans ce travail de recherche que les migrants deviennent des sujets

conscientes, capables de passer à l’action et des acteurs de leurs propres destins, mais non de la

manière du « sujet migrant » tel que défini par le refuge et par le réseau transnational de

plaidoyer. Les efforts des migrants pour devenir des sujets d’action, autonomes et de passer à

l’action restent des efforts largement individuels. Leurs actions politiques ne visent pas à faire

respecter leurs droits de l’Homme mais ils emploient des stratégies d’infrapolitique dirigées

contre le refuge en tant qu’institution qui vise à gérer leurs vies pendant leur temps d’attente et ils

visent également à aboutir dans leur projet de migration. Finalement, les migrants essayent

d’échapper à une construction de l’identité du « sujet migrant » en tant que vulnérable et à travers

leurs propres récits, ils essayent de se mettre en avant en tant que sujets autonomes capables

d’aboutir dans leurs projets de migration.

29

Yann CLEUZIOU « James C. Scott, La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours

subalterne. », Études rurales [En ligne], 186 | 2010, p.33.

Page 14: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

12

J’ai divisé ce mémoire en quatre chapitres qui expliquent et analysent les différents aspects de

la négociation identitaire par les migrants. J’ai organisé les chapitres d’une manière à ce que le

lecteur puisse observer l’évolution dans le processus de subjectivation du « sujet migrant ». Ainsi

au fur et à mesure que le lecteur avancera de ce travail, la parole des migrants deviendra de plus

en plus présente.

Dans la première partie de ce travail, je présente le refuge et le discours employé pour parler

des migrants et ainsi créer le « sujet-migrant ». Je commence par analyser les racines religieuses

du refuge et leurs influences sur la conceptualisation de l’identité du migrant comme sujet à

protéger. Ensuite, j’aborde la vision que le refuge a du migrant comme un sujet de droit

notamment à travers de la collaboration avec plusieurs ONG internationales. Je m’intéresse

également à la matérialisation de l’identité du « sujet migrant » dans le cadre du refuge,

notamment à travers la cérémonie d’admission au refuge, marquée par un processus de

catégorisation et classification des migrants. Finalement, j’analyse le refuge migrant créé ad hoc

pour la population accueillie en tant qu’une institution totalitaire. Plus particulièrement, j’analyse

les rapports de pouvoir entre les acteurs censés de veiller au bon fonctionnement du refuge, à

savoir les bénévoles et les gardiens, avec les migrants.

Dans la deuxième partie de ce travail, j’aborde la discussion sur les négociations identitaires

des migrants. Je soutiens dans le premier chapitre que les migrants s’engagent dans des actions

d’infrapolitique telles que les a analysés James Scott (2006) afin de négocier avec le caractère

collectif de l’identité du « sujet migrant ». Ensuite, dans le deuxième chapitre, je montre

comment les migrants luttent avec les contraintes spatio-temporelles imposées par le refuge. Je

partage la notion de Vidal et Musset (2015), selon laquelle les migrants arrivent à « faire avec

l’espace et avec le temps pour ne pas perdre leur identité ou pour s’en constituer une nouvelle en

lien avec leur nouveau lieu de résidence »30

. Dans le troisième chapitre, je me focalise sur les

aspects de l’identité du « sujet-migrant » qui sont difficiles à accepter pour les migrants. Ces

éléments sont : l’entrée des migrants « indésirables », la stigmatisation et la précarité liée à

l’identité du « sujet-migrant » créé par le refuge. Je montre que les migrants trouvent des moyens

pour gérer ces aspects car ils ne sont pas des individus passifs face à l’identité imposée.

30

Ibid, p. 124.

Page 15: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

13

Dans la troisième partie, j’analyse la manière dont les migrants s’approprient de certains

éléments qui constituent l’identité qui leur est assignée afin de trouver des identités plus

valorisantes ainsi que de reconstruire leurs parcours biographiques. En effet, les migrants

prennent les éléments identitaires qui leur servent en tant que stratégie personnelle. Ainsi, dans le

premier chapitre, je montre que les migrants utilisent des stratégies afin de se construire des

identités personnelles plus valorisantes. Puis, j’explore les manières dont les migrants

s’approprient du droit d’asile pour reconstruire leurs parcours de vie. Ceci nous confirme que les

migrants identifient, mesurent et choisissent des éléments construits autour de la catégorie

identitaire du migrant. Ensuite, dans le troisième chapitre, je me centre sur la parole de six

migrants. J’analyse dans leurs récits de vie comment ils sont capables de réaliser un travail de

subjectivation grâce à une reconstruction biographique. J’essaie de montrer dans ce chapitre que

les migrants choisissent et organisent les éléments de leur parcours migratoire d’une manière qui

leur permet de se réaffirmer en tant que sujets autonomes dans leur discours.

La méthodologie choisie lors de mon terrain de recherche fut essentiellement qualitative. Je

me suis servie de la technique d’observation participante en tant que bénévole du refuge ainsi que

des entretiens qualitatifs réalisés auprès de migrants. Ceci fait que mon travail de recherche

combine ma perspective avec celle du migrant. Selon moi, cette combinaison permet au lecteur

d’avoir deux visions complémentaires.

Figure 1. Arrivé à La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes.

Source : Luciana Mariscal

Page 16: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

14

Figure 2. Plan du refuge migrant, élaboration Luciana Mariscal de Souza.

Source : Ciudad de Colores

Page 17: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

15

Partie I.

La construction de l’identité du « sujet migrant » par le

refuge

La casa del migrante “La 72” accueille les migrants qui arrivent par la frontière entre le

Guatemala et le Mexique. Les migrants accueillis sont originaires pour la plupart du Honduras,

du Salvador et du Guatemala, mais des migrants d’autres régions du monde comme l’Amérique

du Sud ou l’Afrique arrivent également à la casa. Le refuge « La 72 : Hogar-Refugio para

personas migrantes » est ouvert depuis 2011. L’aide aux migrants y existe depuis 1995, année où

la communauté de franciscains de la ville de Tenosique a commencé à agir en faveur des groupes

vulnérables de la région.

Grégory Beriet et Ambre Dewaele (2015) décrivent les refuges de migrants comme des

organisations non gouvernementales se distinguant généralement par leur dimension religieuse et

qui sont en contact avec différents organismes d’État qui tentent de gérer les flux migratoires.

Cette caractéristique rend l’étude de ces espaces intéressante. Ainsi, je me suis trouvée au

moment de rédiger ce travail de recherche avec cette interrogation, parlons-nous d’une ONG,

d’un foyer, d’une auberge, d’une maison (casa) ou d’un refuge ?

D’après mes observations faites sur le terrain, il me semble que « La 72 » est à la fois tous ces

types d’organismes. Le refuge agit en tant que centre d’hébergement, maison d’accueil et comme

organisation non gouvernementale luttant pour les droits des migrants. Ce qui m’intéresse dans

cette recherche n’est pas nécessairement ce qu’est « La 72 », mais comment « La 72 » conçoit et

définit les migrants qu’elle accueille. Je m’intéresse également à la manière dont les migrants

réagissent face à cette définition et à ses conséquences pendant leur séjour au refuge.

D’après moi, le modèle du refuge migrant s’est constitué à partir d’une identité collective,

celle du « sujet migrant ». Ce « sujet migrant » tel que conçu par l’institution possède des

Page 18: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

16

caractéristiques et des besoins spécifiques. J’ai observé deux éléments clés dans la construction

de l’identité du « sujet migrant » par cette institution. Tout d’abord, la vision initiale et religieuse

des franciscains qui conçoivent le « sujet migrant » comme un sujet à protéger. Ensuite, la vision

d’une ONG des droits de l’Homme qui définit le migrant en tant que sujet de droit. La double

caractéristique du « sujet migrant » peut se voir à travers la figure des deux responsables du

refuge : le Frère franciscain Tomás et le directeur Ramón Márquez. Ces deux responsables sont

les représentants des deux visages du refuge : le religieux et le laïque.

Au fur et à mesure que la définition du « sujet migrant » a évolué, l’institution accueillant les

migrants a elle aussi évolué : nous sommes ainsi passés d’une paroisse qui hébergeait des

hommes migrants pour un maximum de trois jours à un refuge où la durée du séjour est illimitée,

et qui offre un service plus élargi d’aide alimentaire, médicale et d’accompagnement juridique.

Nous sommes passés d’une paroisse accueillant uniquement des hommes à un refuge recevant

des femmes, des enfants, des mineurs non accompagnés, des personnes du troisième âge et de la

communauté LGBTI.

Dans cette première partie de mon travail de recherche, je veux montrer que le refuge en tant

que territoire de l’attente est un espace de construction et de définition des identités. Dans le

premier chapitre, je m’interroge sur le rapport existant entre les origines du projet franciscain et

la définition du « sujet migrant » afin de mettre en avant les éléments religieux qui modèlent

l’image que le refuge a des migrants comme sujet à protéger. Puis, je m’intéresse à la manière

dont le refuge définit le migrant en tant que sujet de droit. Plus spécifiquement, je mets en avant

la vision de défense des droits des migrants avec la participation des ONG internationales, telles

que Médecins Sans Frontières, le Haut-Commissariat pour les Réfugiés et Asylum Access dans la

constitution du refuge migrant.

Dans le deuxième chapitre, je m’intéresse à la cérémonie d’admission au refuge et au rôle de

celle-ci dans la définition du « sujet migrant ». Le but de ce chapitre est d’étudier comment le

passage par cette cérémonie fait que la personne arrivant au refuge cesse d’être un migrant lato

sensu et devient le « sujet migrant » défini stricto sensu par l’institution. Dans le troisième

chapitre, je m’interroge sur le cadre de vie construit par l’institution qui a priori correspond le

mieux à l’identité du « sujet migrant ». Je me focalise surtout sur l’imposition d’un cadre spatio-

temporel aux migrants et les rapports de pouvoir entre les migrants, les bénévoles et les gardiens.

Page 19: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

17

Ces trois chapitres me permettent de montrer par quel processus la définition de cette identité

acquiert une dimension réelle, spatiale et temporelle. J’analyserai dans les prochaines parties les

tensions existantes entre le cadre construit par le refuge et les migrants qu’y résident.

Figure 3. Entrée de La Casa.

Source : Ciudad de Colores.

Chapitre 1. Le « sujet migrant »: du sujet à protéger au sujet de droit

I. Un projet franciscain d’aide aux migrants : le migrant comme un sujet à protéger

Les franciscains sont actifs au sud-est du Mexique, notamment dans l’état de Tabasco et du

Chiapas, depuis 1951. À partir des années quatre-vingt, les franciscains ont commencé à réfléchir

à un nouveau projet d’aide aux groupes vulnérables. Ce projet a débuté en 1995 au moment où la

Province Franciscaine « San Felipe de Jesús » fut créée. De nos jours, « La 72 » n’est plus

uniquement un projet de frères franciscains, car on observe une variété d’acteurs plus diversifiée :

ONG internationales et nationales, personnel non ecclésiastique, etc. Cependant la base religieuse

est encore très présente au refuge. Dans ce chapitre, je m’interroge sur l’image que les

franciscains ont des migrants centraméricains depuis le début de leur projet et je défends l’idée

que cette image est celle d’un sujet à protéger. Cette vision des franciscains est un élément clé

pour comprendre le travail réalisé par le refuge.

Page 20: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

18

Qui sont les franciscains ? Et pourquoi l’origine religieuse du refuge est-elle importante ?

François d’Assise a donné le nom de « Frère mineur » aux franciscains à la fin du Moyen Âge, à

l’époque où « la plus grande partie de la population est composée d’humbles artisans, de

journaliers, de mendiants […] Frères mineurs signifient les frères humbles, pauvres et

simples »31

. Dans leurs quêtes pour le bien commun, les franciscains agissent d’une double

manière : par le « bas » à travers la pauvreté volontaire et par le « haut » en tant que « religieux

engagés dans la voie de la vie parfaite »32

, c’est-à-dire la vie religieuse. Les Frères mineurs « ont

prétendu vivre ensemble sans posséder rien en propre ni en commun, dans un état de minorité qui

les plaçaient immédiatement au niveau des mendiants et des plus pauvres »33

. L’aide aux plus

démunis est, par conséquent, au centre de leurs attentions. Le but des Frères franciscains n’est

pas de s’exclure avec les exclus […], mais bien plutôt d’élargir la perspective économique et la

politique générale au point de pouvoir y faire entrer tous ceux qui sont réputés marginaux »34

.

Depuis leurs origines, les franciscains défendent la pauvreté et la minorité, car ils

« considèrent qu’elle constitue en quelque sorte un patrimoine et un enseignement permanent

pour toute société humaine »35

. Dans la vision des Frères mineurs, c’est à travers la pauvreté

volontaire que le projet du bien commun devient atteignable. La proximité à dieu est possible

grâce à la pauvreté volontaire, car « le dépouillement complet qu’elle implique rappelle la nudité

de l’homme sorti des mains de dieu »36

. C’est dans cette nudité que la minorité du franciscain est

exprimée, puisque « l’homme nu est placé sous la responsabilité de l’autre, un peu comme

l’enfant vis-à-vis de ses parents. Pour les Frères mineurs, l’enfance n’est pas un état à dépasser,

mais notre condition fondamentale à l’égard de dieu »37

. Ainsi, les prêtres ou religieux qui ne

suivent pas l’enseignement de la pauvreté volontaire sont comme des fils émancipés, qui peuvent

disposer des biens de leurs églises. Au contraire, « les Frères mineurs sont comme les fils de la

famille encore petits ; ils sont totalement soumis au gouvernement du pape »38

.

31

Ordre des Frères Mineurs du Canadá : http://www.freresfranciscains.ca/qui-sommes-nous/minorite/, 32

Laure SOLIGNAC, « La pauvreté volontaire au service du bien commun : la solution franciscaine »,

Transversalités, 2016, n° 138, p.2. 33

Ibid., p. 5. 34

Idem. 35

Ibid., p. 14 36

Idem. 37

Laure SOLIGNAC, « La pauvreté volontaire … » p.14. 38

Apologia pauperum, xI, § 7 (ed. Quaracchi, t. vIII, p. 312), cité par Laure SOLIGNAC, 2016, p. 15.

Page 21: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

19

Nous pouvons observer que la pauvreté volontaire et la minorité constituent deux piliers de la

pensée franciscaine. Par la suite, si nous nous situons dans le travail d’aide que l’ordre réalise

auprès des migrants centraméricains, nous pourrions nous demander si cette « minorité » se

reflète dans la vision portée sur les migrants ? Autrement dit, le migrant en tant que sujet pauvre,

vulnérable et exclu du bien commun, ressemble-t-il à un enfant ? Dans cet effet de miroir, les

migrants, sont-ils les porteurs de la figure du « petit de la famille » mis sous la responsabilité et la

protection du « père », dans ce cas des franciscains ? Si c’est le cas, il faut alors se demander de

qui faut-il protéger les migrants ? Et plus spécifiquement, si les acteurs identifiés comme les

agresseurs des migrants ont toujours été les mêmes ?

En 1995, l’aide aux migrants avait pour objectif de les protéger des agents migratoires qui se

localisaient à Tenosique et qui montraient un excès de force lorsqu’ils arrêtaient les migrants.

L’événement fondateur de l’aide au migrant par les franciscains fut l’entrée d’un migrant fuyant

un agent migratoire dans l’église de Tenosique. Le migrant se tenait fortement à l’autel et l’agent

migratoire le tirait pour le faire sortir de l’Église et l’arrêter. Un Frère franciscain a entendu des

cris et il est descendu. Le Frère a décidé de protéger le migrant qui était en larmes, il lui a donné à

manger et il a écouté son récit de vie. Ce mythe fondateur du travail envers les migrants nous

montre bien l’identité construite du « sujet migrant ». Nous observons cette volonté de protéger,

d’écouter et de nourrir le migrant. La minorité du migrant est ainsi présente dans cet événement

fondateur :

« Nous étions en train de manger quand nous avons a entendu beaucoup de bruit dans l’église. Il y

avait des personnes qui criaient, je me suis approché de la fenêtre du premier étage et j’ai vu une

scène qui m’a frappé. Plusieurs agents de migration traînaient un migrant qui se tenait à l’autel de la

paroisse […] J’ai demandé ce qui se passait et l’un des agents m'a dit de descendre et de collaborer

avec eux. Je suis descendu, cependant je leur ai dit de laisser l’homme, que je n’allais pas permettre

qu’ils le prissent avec eux […] L’homme pleurait de colère d’impuissance. Je l’ai fait monter dans

la salle à manger et après l’avoir nourri j’ai commencé à discuter avec lui. Son récit m’a frappé et

avec les autres Frères de la communauté nous avons décidé de démarrer l’aide aux migrants dans la

paroisse (Fray Cutberto García, Párroco) » 39

.

39

La 72: Hogar Refugio para personas migrantes, «En los límites de la frontera, quebrando los límites: situación de

los derechos humanos de las personas migrantes y refugiadas en Tenosique, Tabasco», 2016, p. 8.

Traduction de l’original: “Estábamos comiendo cuando en el templo escuchamos mucho ruido, se escuchaba que

había muchas personas gritando; me acerqué a las ventanas de la planta alta que dan acceso al templo y vi una escena

Page 22: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

20

Le projet initial d’aide offrait un hébergement temporaire d’une durée maximale de trois

jours. Les équipes d’aide se rendaient aux voies des trains où ils nourrissaient les migrants et

soignaient les plaies de leurs pieds provoquées par la marche qu’ils réalisaient jusqu’à

Tenosique. Le travail a continué dans les installations de la paroisse où les franciscains

témoignaient des actions des agents migratoires, par exemple des descentes de la police au

centre-ville de Tenosique. À partir des années 2000, le groupe de franciscains a enregistré une

hausse de la violence faite aux migrants dans la région de Tenosique. Ils ont décidé de créer

une équipe des droits de l’Homme qui travaillerait à la paroisse.

C’est en 2010 que le refuge que l’on connaît aujourd’hui comme « La 72 » fut créé. Deux

événements ont orienté de manière définitive le projet franciscain. Le premier fut quand

l’équipe s’est rendue sur les voies de train et a observé un groupe de trois migrants, deux

hommes et une femme qui furent brutalement frappés et assassinés. La migrante s'est fait

violer avant d'être assassinée par un groupe d'hommes qui appartenait au gang criminel les

Maras, le M18. Le deuxième événement fut la découverte de 72 corps de migrants au

Tamaulipas. Ces migrants avaient été brutalement assassinés par les Zetas dans l’état du

Tamaulipas au nord du Mexique.

Dans leur rapport officiel, l’équipe de « La 72 » explique qu’après cet épisode ils ont pris

conscience que la région de Tabasco était soumise à la délinquance et au crime organisé. À

partir de 2010, le refuge migrant commence à faire référence à la « découverte »40

de la

frontière sud du Mexique. Les difficultés rapportées par les migrants pour traverser la frontière

ont acquis à cette époque une couverture médiatique national et international. Le rapport du

refuge signale que les autorités mexicaines étaient infiltrées par des organisations

criminelles et que les extorsions et kidnappings de migrants par les autorités étaient une

que me cimbró: Varios agentes de migración arrastraban a un migrante asido al altar de la parroquia; el hombre

estaba postrado y no se soltaba de una de las patas de la mesa del altar, con todo y la mesa lo estaban jalando. Desde

arriba interrogué qué pasaba y uno de los agentes me dijo que bajara, que colaborara con ellos. Efectivamente bajé,

pero lo que hice fue decirles que dejaran a esa persona, que no iba a permitir que se lo llevaran. Nos hicimos de

palabras, pero finalmente lo dejaron. El hombre estaba llorando de rabia, de impotencia. Lo pasé al comedor y

después de darle de comer, me puse a platicar con él. Su historia me dejó pasmado. Con los otros frailes de la

comunidad decidimos iniciar la pastoral de migrantes en la parroquia”. 40

J’ai mis les guillemets dans le mot découverte car la frontière a en réalité été toujours là. Je soutiens que « La 72 »

utilise ce mot dans leur rapport officiel pour donner un sens plus dramatique à leur travail d’aide aux migrants dans

la frontière sud.

Page 23: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

21

pratique courante. Dans leur rapport officiel, « La 72 » signale également que les franciscains

de Tabasco ont aussi découvert un réseau de traite de personnes dans la région.

En observant ces deux événements fondateurs du refuge, nous voyons que les acteurs

contre lesquels il fallait protéger les migrants avaient changé. Il ne s’agissait plus uniquement

des agents migratoires, mais d’une palette d’acteurs beaucoup plus complexe allant des cartels

de drogue aux trafiquants de personnes pratiquant le kidnapping, la traite des femmes et les

assauts. Cette évolution a eu pour conséquence un renforcement de la vision du migrant

comme personne à protéger. Prenons comme exemple la tuerie des 72 migrants au

Tamaulipas. Sur cet événement le refuge écrit dans son rapport :

« Une clameur fut entendue au Tamaulipas, plein de larmes et lamentations, c’est l’Amérique

Centrale que pleure ses enfants, et elle ne veut pas se consoler, car ces enfants n’existent plus (Mt

2,16-18) »41

.

La définition du « sujet-migrant » comme sujet à protéger est clairement montrée ici. Nous

pouvons nous demander si les franciscains sont à travers leur projet d’aide des pères

protecteurs et les migrants des enfants. Par suite de ces deux événements, le projet s’est rebaptisé

et a changé d’orientation. Ces modifications ont eu pour objectif l’adaptation du refuge à cette

frontière récemment « découverte » afin de s’adapter à l'identité du « sujet migrant » émergente,

à savoir un sujet ayant besoin d’encore plus de protection. L’intention du refuge fut de penser à

un projet qui aurait comme « moteur de ne pas permettre plus de douleur, de souffrance et de

sang »42

. Les franciscains ont décidé de prendre le chiffre 72 qui fait référence aux migrants

assassinés en 2010 à Tamaulipas. La vision renouvelée du refuge migrant a amené des

transformations dans l’assistance aux migrants :

« Les deux événements ont poussé les franciscains à changer la direction du projet d’aide aux

migrants. À cette époque, l'accueil offert était très simple, il y avait deux salles dans la paroisse

pour héberger les personnes migrantes et on avait construit deux salles de bain, mais l’accès était

41

La 72: Hogar Refugio para personas migrantes, «En los límites de la frontera … op, cit, p. 10.

Traduction de l’original: “Un clamor se ha oído en Tamaulipas, mucho llanto y lamento, es Centroamérica que llora

a sus hijos, y no quiere consolarse porque ya no existen”. Esta es una paráfrasis de aquel pasaje bíblico de la muerte

de los inocentes (Mt 2, 16-18)”. 42

Ídem.

Page 24: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

22

interdit aux femmes. Le temps maximum de séjour était de trois jours. Le groupe des droits de

l’Homme faisait ce qu’il pouvait quand ils attendaient les personnes »43

.

À partir de 2011 le projet franciscain a pris le nom « La 72 : Hogar-Refugio para Personas

Migrantes » et a déménagé de la paroisse du centre-ville de Tenosique à un terrain localisé à

l’extérieur de la ville. L'auberge a commencé à travailler en collaboration avec différentes ONG

nationales et internationales constituant un réseau transnational de défense et de promotion des

droits des migrants centraméricains.

II. Un refuge qui lutte pour les droits de l’Homme : le migrant comme un sujet de droit

Le refuge « La 72 » a changé son modèle d’aide aux migrants au fil des années. La casa del

migrante a ainsi développé en plus de ses activités humanitaires des actions de défense et de

promotion des droits de l’Homme : l’aide aux démarches de demande d’asile, aux démarches de

régularisation pour visa humanitaire ou pour rattachement familial. La casa œuvre également

pour des changements structurels à travers le travail avec d’autres organisations au niveau

régional, national et international afin de promouvoir une migration libre de violence. En avril

2017 le projet « Laudato Si’ : Techo, Trabajo, Tierra » est né. Il s’agit d’une ferme

agroécologique qui offre un emploi [non rémunéré] aux migrants résidants au refuge pendant

l’attente de leur demande d’asile et qui a pour objectif de nourrir les habitants de la casa44

.

Je soutiens dans cette partie que dans le refuge étudié, le « sujet migrant » n’est pas seulement

défini comme un sujet ayant besoin de protection, mais comme un sujet de droit. Voyons les

explications sur la ligne de projet du refuge, faites par le directeur, Ramón Márquez :

« La 72 est un projet franciscain d’aide aux personnes migrantes et aux personnes réfugiées qui

entrent par la frontière sud du Mexique, plus concrètement par l’état de Tabasco […] La 72 est née

le 25 avril 2011 afin d’offrir une réponse aux flux qui augmentaient sur cette route. Dans les sept

dernières années de travail, on a assisté, reçu et accompagné presque 75 mille personnes […] La

casa a une forte ligne de défense, d’exigence et de promotion de droits de l’Homme. Nous voulons

en faire une lutte sociale, la lutte sociale d’en bas, où les personnes migrantes et les réfugiés ont un

43

Ibid., p.9. Texte original en espagnol: “Los dos eventos impulsaron a los Franciscanos a cambiar el rumbo del

proyecto de atención a personas migrantes. Para entonces el proyecto era muy sencillo, se habían acondicionado los

salones parroquiales para el hospedaje de las personas migrantes y se construyeron dos baños, pero no se permitía el

acceso a las mujeres. La estancia era de máximo 3 días. El grupo de derechos humanos hacia lo que podía durante el

tiempo que prestaban sus servicios”. 44

“La 72: Hogar-Refugio para personas migrantes”, site web officiel: https://la72.org/.

Page 25: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

23

rôle actif dans l’exigibilité de leurs droits. Nous sommes là pour créer des liens de solidarité, donner

de la dignité et de l’espoir »45

.

Cette nouvelle identification du migrant centraméricain comme sujet de droit n’est pas

exclusive au refuge étudié ici. Cette définition du migrant fait partie d’un réseau transnational

d’action collective qui lutte pour la promotion et la défense des droits de l’Homme des migrants

centraméricains. Ce réseau a réalisé un exercice de cadrage autour de ces migrants, c’est-à-dire

qu’ils ont construit autour des migrants centraméricains un « ensemble de croyances et de

représentations orientées vers l’action qui inspire et légitime les activités et les campagnes des

entreprises de mobilisation, en insistant sur le caractère injuste d’une situation sociale »46

. Olga

Akin et Alejandro Anaya Muñoz (2013) signalent que ce réseau existe depuis l’année 2005, mais

que c’est à partir de 2009-2010 qu’il a pris de l’ampleur grâce à l’incorporation de nouveaux

acteurs nationaux et transnationaux de la promotion des droits de l’Homme47

.

Les refuges pour migrants, tels que « La 72 », constituent les nœuds du réseau transnational de

plaidoyer. Les autres nœuds du réseau sont les ONG mexicaines focalisées sur les thématiques de

migration, les ONG internationales des droits de l’Homme tels qu’Amnistie Internationale les

groupes centraméricains tels que les familles de migrants disparus, les organismes spécialisés de

l’ONU tels que l’Organisation pour les familles de travailleurs migrants (et plus récemment le

Haut-Commissariat pour les Réfugiés) , l’Organisation des États Américains et finalement la

Commission National de Droits de l’Homme, du Mexique. Le rôle des refuges de l’Église

catholique fut traditionnellement de donner une assistance humanitaire et un hébergement aux

migrants en transit. Toutefois, grâce au soutien des ONG internationales, certains de ces refuges

ont commencé à enregistrer des témoignages et à diffuser des rapports qui ont servi comme

preuve de la violation des droits de l’Homme (Aikin et Anaya Muñoz, 2013). Ceci fut le cas de

« La 72 » qui dans les dernières années a réalisé un travail de traitement des témoignages qui a

abouti à la publication de deux rapports officiels et une aide aux migrants plus élargie.

45

Entretien Ramón Márquez, directeur du refuge « La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes », par

l’organisation Ciudad de Colores. 46

Jean-Gabriel CONTAMIN, « 3. Cadrages et luttes de sens », in Éric Agrikoliansky et al., Penser les mouvements

sociaux, La Découverte « Recherches », 2010, p. 5. 47

Aikin, OLGA; Anaya Muñoz, ALEJANDRO, “Crisis de derechos humanos de las personas migrantes en tránsito

por México: redes y presión transnacional”. Foro Internacional, vol. LIII, núm. 1, 2013, pp. 143-181.

Page 26: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

24

Figure 4. Frère Tomás, directeur du refuge migrant. Source : Amnistie Internationale

Le succès de ce réseau transnational de plaidoyer est en grande partie liée au cadrage élaboré

sur la situation des migrants en transit et la violation des droits de l’Homme. Olga Akin et

Alejandro Anaya Muñoz (2013) signalent que les thématiques les plus sensibles à cadrer sont

celles où : a) il y a une violation aux droits de vie ou à l’intégralité physique des personnes

considérées comme vulnérables ou innocentes et, b) les violations des droits de l’Homme qui

sont facilement transportables aux normes internationales existantes. Présenter des situations

dramatiques basées sur des sources fiables est un élément nécessaire pour que les cadrages

réussissent à mobiliser la communauté nationale et internationale. Les refuges migrants tels que

« La 72 » possèdent une crédibilité, car l’équipe de travail est en contact direct avec la population

migrante. D’ailleurs, la situation des migrants centraméricains y est présentée à travers des

rapports de manière tragique :

« Dans notre brève histoire on a découvert que Tenosique, Tabasco est la porte de l’enfer, camp

miné où les migrante(e)s sont victimes de kidnapping, d’assauts, d’extorsions, de discrimination et

plusieurs autres délits et violations de leurs droits humains »48

.

Le cadrage construit autour des migrants centraméricains nous montre les migrants comme

sujets vulnérables, voire innocents, qui souffrent d’attentats contre leurs vies et qui en même

temps sont des sujets de droit. Le travail du réseau est ainsi, de veiller au respect des droits de

l’Homme de ces migrants. Le réseau transnational de plaidoyer a réussi à générer une

mobilisation au niveau national et international grâce au cadrage de la migration centraméricaine

48

La 72: Hogar Refugio para personas migrantes, «En los límites de la frontera…», op, cit, p.10.

Traduction de l’originale en espagnol : En nuestra breve historia descubrimos que Tenosique, Tabasco, es la puerta

del infierno, campo minado donde las y los migrantes son víctimas de secuestro, asaltos, extorsión, discriminación y

de un sinfín de delitos y violaciones a sus derechos humanos.

Page 27: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

25

par le Mexique comme une situation "injuste et immorale et non comme malheureuse, mais

tolérable »49

.

Toutefois, d’après Olga Akin et Alejandro Anaya Muñoz (2013) il y a des désaccords au sein

du réseau de plaidoyer sur les éléments à mettre en avant dans l’exercice de cadrage. Par exemple

les ONG mexicaines mettent plus en avant des thématiques de sécurité, de législation, de

demande d’asile, des kidnappings et de dangers pour les activistes, et finalement l’accès à la

justice. Au niveau des ONG internationales, la situation est similaire. Les auteurs donnent

l’exemple d’Amnistie internationale qui a publié en 2010 un rapport intitulé « Victimes

Invisibles. Migrantes en movimiento en México »50

. Le rapport se focalise sur l’invisibilité de ces

migrants en transit par le Mexique, tandis que d’autres ONG internationales telles que le

Washington Office for Latin American Affaires (WOLA) considèrent comme prioritaire les

problèmes de sous-développement dans les pays d’origine.

Plus récemment, j’ai constaté une transformation dans le cadrage de la migration

centraméricaine et la violation des droits de l’Homme. Certains refuges tels que « La 72 » et des

ONG internationales ont commencé à parler de réfugiés et demandeurs d’asile et non plus

seulement de migrants en transit. Par exemple, Amnistie internationale a lancé une campagne de

plaidoyer en 2016 dénonçant « la crise occulte de réfugiés en Amérique Centrale »51

. Ils ont aussi

lancé un communiqué de presse en novembre 2017, dénonçant la négligence des autorités

mexicaines et centraméricaines face aux réfugiés LGBTI52

.

Voyons par exemple un extrait du rapport officiel décrivant la vision du refuge migrant :

« Un refuge, un espace pour les protéger des délinquants, criminels et des autorités. Un camp de

réfugiés qui accueille toutes et tous ceux qui fuient la mort dans leurs pays. Les personnes ne sont

pas l’objet de notre charité, mais des sujets qu’on accompagne dans une partie de leur chemin »53

.

49

Jean-Gabriel CONTAMIN, « 3. Cadrages et luttes de sens … », p. 4. 50

AMNISTÍA INTERNATIONAL, “Víctimas Invisibles : Migrantes en Movimiento en México”. London,

Royaume-Uni, 2010. 51

AMNISTIA INTERNACIONAL, “¿Hogar Dulce Hogar? La crisis de refugiados de Centroamérica. 52

AMNISTIA INTERNACIONAL, México/Centroamérica: las autoridades dan la espalda a las personas refugiadas

LGBTI, sólo por ser gays. 53

La 72: Hogar Refugio para personas migrantes, «En los límites de la frontera … op, cit, p. 11.

Traduction du texte original en espagnol : Un refugio, un espacio para protegerlos de los victimarios sean

delincuentes, criminales o autoridades. Un campo de refugiados que acoge a todas y todos aquellos que en sus países

huyen de la muerte. No son las personas objeto de nuestra caridad sino sujetos que acompañamos en un tramo de su

camino.

Page 28: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

26

Le refuge migrant « La 72 » en suivant ce nouveau travail de cadrage a établi des alliances

avec le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) de l’ONU qui s’est installé à Tenosique en

2015. La casa a ainsi construit un bâtiment pour les réfugiés LGBTI grâce aux ressources du

HCR54

. L’installation du Haut-Commissariat pour les Réfugiés (HCR) au centre-ville de

Tenosique et d’Asylum Access qui a également ouvert un bureau au refuge a eu pour effet une

hausse des demandes d’asile à Tenosique et une meilleure formation des bénévoles du refuge.

Les bénévoles ont été formés par ces organisations internationales pour accompagner les

demandes d’asile des migrants logés au refuge.

L’ONG international Médecins Sans Frontières (MSF) s’est également installée au refuge. La

présence de MSF nous donne également des éléments d’analyse sur le cadrage de la migration

centraméricaine. Phillipe Ryfman (2009) signale que MSF fait partie d’une nouvelle génération

d’ONG agissante dans les pays du sud, sur des terrains appelés « humanitaires » caractérisés par

« l’intervention d’urgence auprès des populations victimes de catastrophes naturelles ou de

conflits armés »55

. Nous voyons ainsi que « sujet migrant » n’est pas uniquement un sujet ayant le

droit de réaliser une demande d’asile, mais également un sujet qui a le droit à la santé, droit

fourni par le refuge migrant.

Figure 5. Bureaux du Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU au centre-ville de Tenosique.

Source : Luciana Mariscal de Souza.

54

UNCHCR-ACNUR, “ACNUR: ayudando a construir un espacio seguro para LGBTI”. 55

Ryfman, Philippe. Les ONG. La Découverte, 2009 p. 13.

Page 29: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

27

L’installation des ONG internationales a beaucoup changé le fonctionnement du refuge.

Leonardo, 33 ans, habite au refuge depuis trois ans et il a constaté cette évolution :

« Avant l’auberge te permettait de rester au maximum six jours, ils ne te disaient pas qu’il fallait

partir, mais ils te disaient bon les gars c’est le moment de continuer votre chemin, ici n’est pas votre

destination. Quand je suis arrivé au refuge, il y avait très peu de personnes qui avaient fait une

demande d’asile, environ cinq, car le refuge ne donnait pas d’informations. Mais avec le temps et

avec les sessions d’information, ceci a changé. Et peu à peu d’autres organisations se sont

incorporées : MSF, le HCR, ASYLUM ACCESS. Ces organisations sont très importantes pour nous

renseigner sur nos droits »56

.

Le refuge qui fonctionnait auparavant comme une auberge dans une paroisse locale s’est

transformée dans un espace accueillant une grande quantité de migrants et de demandeurs d’asile,

ainsi qu'une diversité d'ONG internationales. Ce sont ces acteurs nord-américains et européens

qui ont permis à « La 72 » d’élargir son champ d’action même si ceci a signifié une dépendance

financière à ces organisations (Dumoulin, 2006). Voyons par exemple que dans leur rapport

officiel, « La 72 » remercie les différentes organisations internationales qui ont soutenu leur

projet:

« À la Croix-Rouge Internationale qui dès le départ du projet fut présente, à Médecins Sans

Frontières qui depuis février 2015 collabore dans le travail ardu de la santé physique et mentale, à

Asylum Access Mexique, qui collabore depuis mai 2015 dans la représentation légale des

demandeurs d’asile, au Haut-Commissariat pour les Réfugiés des Nations Unies qui ont fait

confiance à notre projet depuis qu’ils ont ouvert des bureaux dans la région »57

.

III. Le « sujet-migrant » défini par « La 72 »

Nous avons vu comment le refuge a construit l’identité du « sujet migrant » en ligne avec la

définition employée par le réseau transnational de plaidoyer. Cette identité possède également

une base religieuse qui a marqué le projet d’aide aux migrants depuis le début. Dans cette section,

56

Entretien conduite avec Leonardo lors du terrain de recherche. 57

La 72: Hogar Refugio para personas migrantes, «En los límites de la frontera … op, cit, p. 37.

Traduction du texte original : “A la Cruz Roja Internacional que desde el inicio del proyecto ha estado presente, a

Médicos Sin Fronteras que desde febrero de 2015 colaboran en la ardua labor de la salud física y mental, a Asylum

Access México, que colabora desde mayo de 2015 en la representación legal de las y los solicitantes de refugio, al

Alto Comisionado de las Naciones Unidas para los Refugiados que ha confiado en nuestro proyecto desde que

establecieron oficina en la región”

Page 30: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

28

je mets en avant les principaux éléments conformant l'identité du « sujet-migrant » en tant que

sujet de droit et sujet à protéger.

En ce qui concerne le premier élément, j’ai noté que le « sujet migrant » est défini comme un

individu vulnérable, dont ses droits fondamentaux, notamment le droit à la vie est en danger. Le

« sujet migrant » effectue une migration dangereuse et violente ce qui produit des situations

« dramatiques ». De plus, « le sujet migrant » est potentiellement un demandeur d’asile ou un

demandeur de visa humanitaire ce que signifie qu’il faut lui donner un accompagnement légal. En

ce qui concerne l’accès aux soins, l’aide au « sujet migrant » doit être faite sous une approche

d’intervention d’urgence. Le projet d’aide aux migrants a changé, car la définition même du

« sujet migrant » a commencé à se développer au sein d’un réseau transnational de plaidoyer.

Toutefois, en même temps que le refuge s’est ajusté à l’agenda international, il a maintenu sa

propre essence, et c’est bien ici qu’on observe que l’image du « sujet migrant » à protéger

perdure.

Ces deux aspects de l’identité du « sujet-migrant » sont visibles dans l’extrait suivant du

rapport officiel du refuge :

« LA 72: c’est une maison où les personnes migrantes ne trouvent pas que du pain et un matelas pour

manger, mais aussi un câlin solidaire, la bénédiction maternelle, un endroit où les femmes enceintes

accouchent et où les rêves d’une meilleure vie commencent à devenir une réalité […] Elle n’est pas

simplement une maison ou une auberge, nous voulons que ça soit un vrai foyer où les migrants puissent

trouver un espace pour se reposer, soigner leurs blessures, manger, dormir, mais aussi un endroit où ils

puissent se faire entendre, se faire consoler, reçoivent une attention spirituelle, où ils puissent être orientés

et conseillés en matière juridique. Un refuge, un espace pour les protéger des agresseurs, des délinquants,

des criminels et des autorités ».58

58

Ibid., p.10.

Traduction du texte original : « LA 72: Así, con género femenino, es una casa donde las personas migrantes no sólo

encuentren pan y colchón para dormir, sino encuentren el abrazo solidario, la bendición materna, el lugar donde las

mujeres embarazadas dan a luz y donde los sueños de una vida mejor se empiezan a hacer realidad. Es una gran

vergüenza para nosotros que las y los migrantes encuentren en nuestro país sufrimiento y muerte; nos negamos a

aceptar la muerte de los setenta y dos en San Fernando, Tamaulipas y de todas las demás masacres y desgracias que

el Estado mexicano ha permitido, al grado que se ha catalogado a toda esta serie de horrores como el holocausto

migratorio. Desde este lugar nuestra mirada y nuestra voz también se dirigen a las víctimas vivas, familiares de los

setenta y dos. Es un abrazo permanente de consuelo el saber que al entrar a México por la frontera sur, en Tabasco,

hay un altar-hogar en honor de las víctimas que derramaron su sangre en agosto de 2010.

Page 31: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

29

J’ai pu observer que la définition du « sujet-migrant » par l’institution, n’existe pas sans

l’identification des acteurs contre lesquels il faut les protéger. L’identité du « sujet migrant »

comme la figure du sujet agresseur sont de ce fait présent au refuge. Voyons ainsi comment

l’équipe de « La 72 » signale que lorsque le travail d’aide aux migrants évolue, le harcèlement de

la part des agresseurs augmente :

« Le nouvel espace ne nous a pas exonérés de continuer dans un environnement hostile, délicat,

entouré plus que jamais de passeurs, de trafiquants, des informant, de criminels harcelant les

personnes qui entraient et sortaient de La 72 […] Différents acteurs nous ont menacés par différents

moyens, les autorités ont utilisé le système pénitentiaire pour nous intimider ou freiner notre

travail »59

.

Comme nous allons le voir dans le chapitre suivant, c’est à travers le passage par

l’enregistrement des informations personnelles des migrants que le refuge réalise un processus de

contrôle et d’étiquetage. Ce moment permet d’identifier le « sujet migrant » et ses besoins

particuliers en même temps que cela permet d’étiqueter le sujet agresseur expulsable.

Chapitre 2. La cérémonie d’entrée au refuge et la définition du « sujet

migrant »

Dans ce chapitre, je présente le rôle de la cérémonie d’admission de l’institution dans

l’identification et de la classification des migrants. À leur arrivés au refuge, les migrants

s’assoient sur deux banquettes sous une paillote appelée la palapa del registro. C’est ici que leur

sont donnés les explications collectives sur les règles et le fonctionnement du refuge. Ensuite, les

migrants passent un entretien d’accueil individuel dirigé par un bénévole.

Le protocole d’admission au refuge a pour objectif de niveler, d’homogénéiser et de classifier

les migrants. Le groupe de bénévoles est responsable de mettre en place ce processus

d’homogénéisation. Je soutiens dans ce chapitre qu’une fois les migrants passés par le protocole

59

La 72: Hogar Refugio para personas migrantes, «En los límites de la frontera … op, cit, p. 11.

Traduction du texte original : “ El nuevo lugar no nos exentó de seguir en un ambiente hostil, delicado, rodeado,

ahora más que nunca, de “coyotes”, traficantes, informantes, criminales que estaban al acecho de las personas que

entraban y salían de La 72; desde entonces tampoco hemos estado exentos de estar bajo la mirada de las autoridades

infiltradas por el crimen organizado, o de aquellas que ven amenazada su mediocre actuación cuando discriminan,

humillan o hacen menos a las personas por el simple hecho de ser migrantes. Diferentes actores nos han amenazado

por distintos medios, varias autoridades han usado el sistema penal para intimidarnos o frenar nuestro trabajo”.

Page 32: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

30

d’accueil, on ne parle plus de migrants lato sensu, mais du « sujet migrant » stricto sensu, tel que

défini par le refuge. Le protocole permet de diviser les migrants entre ceux qui sont admissibles

et ceux qui ne le sont pas. L’entrée au refuge renforce la notion du « sujet migrant », et en même

temps et sert à définir qui le sujet migrant n’est pas.

Après la cérémonie d’entrée, les bénévoles commencent à utiliser un langage institutionnel

pour parler des migrants, par exemple : les « groupes vulnérables » sont les femmes, les mineurs

non accompagnés, la communauté LGBTI. Les bénévoles disent « code violet » au lieu de dire

victimes de violence sexuelle. Les bénévoles ne parlent pas de victimes de violence, mais plutôt

de possibles demandeurs de visas humanitaires. Ce sont des exemples qui montrent comment la

cérémonie d’entrée est le premier point de contact entre la définition de l’institution et le migrant.

Dans le prochain chapitre, je présente en détail comment se déroule cette cérémonie d’admission

et quels sont les principales dynamiques entre les bénévoles qui animent cette cérémonie à partir

de la définition du « sujet migrant » par l’institution et les migrants soumis à cette définition.

I. L’explication de trois règles

L’explication des règles a pour objectif de faire connaître aux migrants les attitudes et les

comportements qui ne sont pas acceptables au refuge. Je considère que ces attitudes et

comportements inacceptables sortent du modèle du « sujet-migrant ». Ceci est particulièrement le

cas de la figure du passeur et du trafiquant de personnes, car ceux-ci sont des acteurs identifiés

comme les agresseurs des migrants depuis la création du refuge. Au contraire des agents

migratoires mexicains, les passeurs, les trafiquants et les infiltrés sont souvent des

Centraméricains qui arrivent au refuge pour trouver des migrants. Ils font sembler d’être des

migrants en transit pour rester au refuge. C’est pour cette raison que les bénévoles doivent suivre

un protocole pour les identifier.

Ainsi, l’explication des règles est le moment où l’institution va définir et expliquer qui le

« sujet migrant n’est pas. J’appelle ce moment comme la définition de l’« anti-sujet migrant ».

Cet « anti-sujet » est celui qui veut faire du mal au « sujet migrant » défini comme un sujet

vulnérable ayant besoin de protection. Michel Wieviorka (2012) le définit :

Page 33: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

31

« L’anti-sujet renvoie à la destruction, à la négation délibérée d’autrui, à la violence pour la

violence, à la cruauté, et peut impliquer des notions de plaisir et de jouissance […] Un concept

complet de sujet doit donc inclure la face positive et la face négative du sujet »60

.

Cependant, le refuge n’interdit pas l’entrée de personnes qui dans leur pays d’origine ont fait

partie d’un gang criminel tel que les Maras. L’appartenance à un gang criminel dans le pays

d’origine ne les transforme pas automatiquement en « anti-sujet », car il peut s’agir d’une

personne fuyant un gang ou qui veut simplement migrer aux États-Unis. Dans la définition du

refuge du « sujet-migrant », ils ne sont pas des agresseurs, mais de possibles victimes et des

sujets porteurs de droits. L’admission de ces acteurs autrefois vus comme agresseurs dans leurs

pays d’origine est possible, car la vision du refuge est d’accueillir tous les migrants.

La condition pour qu'ils puissent rester est de ne pas briser les règles mais cette condition est

la même pour tous les arrivants. Par conséquent, la figure de l’« anti-sujet » est plus complexe

que simplement celle du criminel, du passeur ou du trafiquant. En réalité, tous les migrants qui ne

respectent pas les règles de la casa sont potentiellement des « anti-sujets migrants », car le non-

respect des règles équivaut à compromettre la sécurité des autres habitants du refuge. Voyons

quelles sont ces règles :

La première règle est l’interdiction de tout type de violence, verbale ou physique,

spécialement contre les femmes, les adolescentes et les personnes de la communauté LGBTI. La

deuxième règle est l’interdiction de drogues et d’alcool à la casa, ainsi que l’entrée sous les effets

de ces substances. La troisième règle est l’interdiction de tout type d’affaires sachant que les

services du refuge sont gratuits. La vente de cigarettes, la vente d’appels téléphoniques et les

services de passeurs sont interdits, de la même manière, la présence de passeurs et trafiquants est

interdite.

Comme mentionné précédemment, tout migrant qui entre au refuge est susceptible de devenir

« l’anti-sujet » faute de ne pas respecter une ou la totalité de ces trois règles. La surveillance de la

part de bénévoles et des gardiens du respect de ces règles est constante au refuge. Les règles les

plus susceptibles à ne pas être respectée par le « sujet migrant » sont: la première, l’interdiction

de violence, notamment à travers les commentaires faits aux femmes, ainsi que l’interdiction

d’alcool ou l’entrée sous ses effets.

60

Michel WIEVIORKA, « Du concept de sujet à celui de subjectivation … » op.cit., p. 6

Page 34: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

32

Ceux qui ne respectent pas ces règles deviennent des figures problématiques pour la vie en

commun. Je considère que ceux qui ne respectent pas ses règles sortent de la vision du « sujet

migrant » vulnérable et ayant besoin de protection. Par exemple, un homme migrant qui arrive

ivre ou qui harcèle les femmes n’est plus un sujet vulnérable, mais un potentiel agresseur.

Le non-respect des règles lié à la violence et à l’alcool n’arrive généralement pas dès l’arrivée

d’un migrant au refuge, mais plus tard une fois qu’il y est installé. Au moment de l’entrée au

refuge, le seul critère réel d’expulsion est l’interdiction de l’entrée des passeurs et trafiquants de

personnes. L’explication des règles est un premier contact bref avec la structure du refuge. Ce

n’est qu’au moment où le migrant passe l’entretien individuel avec le bénévole que se met en

place la définition du « sujet migrant » ainsi que la définition de l’« anti-sujet ».

Figure 6. L’accueil de migrants et l’explication de trois règles. Source : Ciudad de Colores.

II. L’entretien individuel : l’identification du « sujet migrant »

L’entretien individuel a un double objectif pour l’institution. D’un côté, le bénévole doit

identifier les besoins du migrant qui vient d’arriver et de l’autre il doit identifier les migrants qui

représentent une possible menace.

Pendant l’entretien individuel, le bénévole doit identifier les besoins médicaux, alimentaires et

vestimentaires et voir si la personne fait partie d’un groupe reconnu comme vulnérable (LGBTI,

des mineurs non accompagnés, personnes du troisième âge, femmes et enfants). Le bénévole doit

également voir si le migrant a été victime d’un assaut, d’un kidnapping ou d’une agression

Page 35: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

33

sexuelle et aussi déterminer si le migrant est qualifié pour réaliser une demande d’asile, de visa

humanitaire, plus simplement pour régulariser sa situation. Ce premier visage de l’entretien

d’accueil je l’appelle « créer le sujet migrant ».

L’entretien se compose d’une série de questions sur le pays d’origine, le lieu de naissance, les

raisons de migrer, la destination finale et les problèmes qu’ils ont affrontés sur la route. Les

bénévoles doivent faire le lien entre le migrant qui arrive au refuge et la catégorie identitaire du

« sujet migrant ». Ces liens se font grâce à un questionnaire élaboré par le refuge. En plus de

suivre le questionnaire, les bénévoles doivent être attentifs aux non-dits pour être capables de

diriger les migrants vers les systèmes d’appuis existants. Cette méthodologie de travail nous

permet d'observer comment l’institution met en place des protocoles guidant les actions de

bénévoles, notamment les guides d’identification des besoins et des droits et comment se fait la

canalisation des migrants vers les responsables de santé ou des démarches administratives.

Prenons comme exemple l’accompagnement juridique. Les bénévoles doivent être attentifs à

la réponse apportée à la question, « pour quelle raison avez-vous quitté votre pays ? » Le

bénévole doit savoir identifier les réponses correspondant à l’image du sujet de droit. Il faut

identifier si les raisons pour sortir du pays correspondent à la définition du réfugié. Dans certains

cas, les migrants ne veulent pas expliquer pourquoi ils ont fui leur pays d’origine, donc le

bénévole doit observer certains comportements, par exemple voir si le migrant a peur, s’il veut

parler, mais qu’il n’ose pas. Il s’agit d’essayer de faire parler le migrant pour savoir s’il peut

commencer une démarche administrative. Même si la situation du migrant ne correspondant pas

au profil du demandeur d’asile, il faut identifier s’il a subi une agression de la part d’un agent

migratoire, car dans ce cas, il y a la possibilité de faire une démarche de visa humanitaire.

La possibilité pour le migrant de recevoir un accompagnement juridique n’est pas la seule

chose de laquelle les bénévoles doivent être attentifs. Les questions de santé sont également

importantes. Les migrants doivent être orientés vers les responsables de santé en cas de maladie

ou de violence sexuelle. Les bénévoles plutôt que de demander directement à une femme si elle a

été victime de violence sexuelle demandent si elle a eu des difficultés pendant le chemin. Il faut

éviter d’utiliser certaines expressions qui « revictimisent » la personne vulnérable, mais il faut la

Page 36: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

34

protéger de nouvelles violences61

. La bénévole (obligatoirement une femme) qui parle avec une

femme migrante regarde si elle porte des signes évidents de violence physique, mais observe

également son comportement général, chercher des signes, des gestes ou des comportements

atypiques, qui pourraient montrer la peur ou l’anxiété.

Les questions de santé, spécialement celles de violence sexuelle, sont travaillées sous l’angle

de l’urgence et de la confidentialité. Le personnel du refuge ne parle pas directement des

violences sexuelles, mais utilise un « code violet ». Ce code est utilisé dans le cas des urgences

hospitalières et le refuge l’a repris pour les questions de violence sexuelle. En cas d’un code

violet, la femme est dirigée rapidement aux services de Médecins Sans Frontières, l’information

est passée au directeur du refuge et le bénévole n’a ensuite plus le droit de parler de cette

situation.

Nous avons vu comment l’institution a créé la définition du « sujet migrant » et, ensuite, la

met en place lors de la cérémonie d’admission. Prenons un autre exemple, notamment celui de

satisfaire les besoins alimentaires et vestimentaires. La seule manière pour le migrant d’obtenir

des vêtements est que le bénévole qui a réalisé l’entretien d’entrée détermine qu’il en a besoin.

Cette règle existe à cause de la rareté des ressources du refuge, son intention est de donner les

vêtements et les chaussures aux personnes qui en ont le « plus » besoin. Cela peut être le cas si le

migrant a été victime d’un assaut ou a laissé son sac à dos pour fuir un agent migratoire ou encore

si le migrant arrive mouillé. Afin de choisir quel migrant a le plus besoin de vêtements, le

bénévole s’appuie sur l’image construite du « sujet migrant ». Il faut pouvoir répondre à la

question suivante : qui en a plus besoin ? Autrement dit, qui est le plus vulnérable ? Qui a le plus

besoin de protection ?

L’entretien d’entrée est aussi un moment pour classifier les migrants d’après leur degré de

vulnérabilité, afin de les donner l’attention la plus convenable. Les bénévoles doivent identifier si

les migrants arrivants font partie de groupes vulnérables. Les groupes vulnérables sont les

femmes, les enfants, les mineurs non accompagnés et les personnes de la communauté LGBTI.

Les personnes qui arrivent et qui correspondent à l’un de ces groupes doivent être dirigées auprès

des responsables de groupe.

61

SIN FRONTERAS I.A.P., “Guía para albergues que reciben a población migrante, refugiada, solicitante de asilo y

apátrida”, 2014, p. 7.

Page 37: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

35

Identifier qui appartient à quel groupe vulnérable est, en soi-même, un exercice de définition

du « sujet migrant ». Pour les femmes et les mineurs, il y a des caractéristiques objectives

permettant de déterminer si le migrant fait partie du groupe. Ceci n’est pas le cas pour les

personnes de la communauté LGBTI. J’ai ainsi observé que certaines tensions se créent au

moment de mettre en place le protocole d’attention. Le bénévole se trouve dans un moment

gênant où il faut demander au migrant s’il est gay, lesbien ou transsexuel, simplement parce qu’il

a « cru » voir des éléments identifiant cette personne avec l’image du sujet LGBTI. Dans

certains cas les personnes ne s’identifient pas au « LGBTI », simplement car ils ne connaissent

pas. Ceci fut le cas de Kimberly qui était au refuge depuis un mois. Elle explique que sa première

nuit, elle est restée avec les hommes, car la responsable du module LGBTI n’était pas au refuge.

Elle affirme qu’elle ne savait pas ce qu’était « LGBT ». Le cas de Kimberly montre que le travail

du bénévole est d’identifier qui fait partie d’un groupe vulnérable même si la personne n’exprime

pas un besoin.

« Quand je suis arrivée ici je ne connaissais pas le dortoir LGBTI. J’ai pensé que j’allais dormir

parmi les hommes et j’en avais honte à cause de cela. Les hommes m’ont touché la première nuit

que j’ai dormi ici (dans le dortoir des hommes). Je me suis éloigné d’eux, car cela ne me plaisait

pas. [Les bénévoles] m’ont dit de parler avec Daryl afin de voir si je pouvais aller dans le dortoir

LGBTI. J’ai alors demandé qu’est-ce que c’est LGBTI ? », Kimberly, hondurienne.

Donner des informations personnelles et sensibles est une caractéristique de l’entretien qui se

déroule dans un contexte d’intimité. Le bénévole et le migrant développent des liens de proximité

que se maintiennent à travers le temps. Les migrants sentent que le bénévole veut les aider et les

jours suivants, ils cherchent le bénévole qui les a accueillis pour les aider à trouver une solution à

leurs problèmes. Ceci peut s’expliquer par la puissance de l’identité du « sujet-migrant », car le

migrant qui arrive à l’institution se trouve face à un cadre construit autour de cette image du sujet

vulnérable. Et le bénévole est le premier lien de communication entre le cadre et le nouvel

arrivant.

Page 38: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

36

Figure 7. Le dortoir LGBTI décoré le jour de la fierté gay. Source : Luciana Mariscal de Souza

Bien qu’il soit possible de développer des liens émotionnels entre les migrants et les bénévoles

lors du premier entretien, cet entretien demeure angoissant pour l’équipe de bénévoles. Car le

passage par l’entretien sert également à déterminer qui est un danger potentiel pour le « sujet

migrant ». Ce moment d’identification est une continuation de l’explication de trois règles pour

déterminer les personnes qui ne peuvent pas rester au refuge (les passeurs ou les trafiquants de

personnes). Une des consignes de l’équipe est d’être alerte sur les situations suspicieuses. Il y a

ainsi une série de questions permettant de poser une suspicion. Par exemple, combien de fois les

migrants sont-ils passés par le Mexique ? La réponse la plus fréquente pour les migrants est une à

trois fois, tandis que l’« anti-sujet » est connu pour traverser dix, quinze ou vingt fois la frontière.

Un autre élément à observer c’est les chaussures; la majorité des migrants ont des chaussures

cassées ou abîmées, mais les passeurs eux ont des chaussures de marque et en bonnes conditions.

Si la personne monopolise l’entretien, essaye d’être charmante et se montre tranquille, ceci

devient également suspicieux, car les migrants arrivant au refuge sont souvent dans un état de

choc ou très faible.

Le bénévole doit également être attentif à la présence de couples pour s’assurer que l’homme

qui arrive avec une femme n'est pas un trafiquant. Les bénévoles travaillent en coordination, un

bénévole réalise l’entretien avec la femme et l’autre avec l’homme. L’objectif est de déterminer

si la femme est victime de traite de personnes. Les informations importantes à recueillir sont par

exemple le nom de famille de la femme pour le comparer avec le nom de famille donné par le

Page 39: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

37

mari. La bénévole peut aussi demander à la femme si « tout se passe bien » ou si elle a besoin

d'aide. Il faut aussi être attentif aux gestes et signes non verbaux : la femme est-elle en train de

fixer son regard au sol ? A-t-elle des marques physiques d’agressions ? Il faut demander aussi

quelle est la destination finale de la femme, car certaines destinations telles que Mérida au

Yucatán sont connues au refuge comme étant de grands marchés de traite des femmes.

Des moments d’intimidation peuvent arriver, spécialement lors des entretiens avec un homme

membre des Maras. Les membres de gangs sont généralement identifiables par leurs tatouages,

comme la toile d’araignée ou la larme au-dessus des yeux. Des moments de tension existent lors

de l’entretien individuel, notamment au moment de poser la question, « quel était votre métier

avant de migrer ? » Lors d’un entretien, un homme m’a répondu qu’il avait déjà tué plusieurs

personnes. Comme expliqué précédemment, ceci n’est pas un facteur d’exclusion, car la politique

du refuge est d’accueillir tous les migrants. Toutefois, les informations se partagent entre l’équipe

et une surveillance est placée sur le migrant. Identifier qui est un membre de gang n’est pas une

activité que le bénévole apprend lors de sa formation, c’est un apprentissage qui se fait sur le

terrain. Ceci peut s’expliquer par l’image du « sujet-migrant » et celle de l’« anti-sujet » puisque

le bénévole apprend à étiqueter les arrivants par le degré de danger qu'ils représentent.

Le passage par l’accueil montre bien quelle est l’identité créée du « sujet-migrant » et permet

de classifier tous les migrants selon cette catégorie. À présent, je montre les classifications

existantes au sein du refuge. D’abord, les résidents de la casa sont divisés en deux groupes selon

leur statut légal : les demandeurs d’asile et les migrants en transit. Le délai de réponse d’une

demande d’asile est de 45 jours ouvrables, environ deux mois et demi, avec possibilité de

demander une révision si la première demande est rejetée. Les migrants qui initient une demande

d’asile deviennent immédiatement résidents de la casa. Les personnes choisissant de ne pas faire

une demande d’asile ou celles qui ne sont pas admissibles peuvent également rester dans le

refuge le temps qu’elles le souhaitent. La durée du temps de séjour n’est pas nécessairement

marquée par la demande d’asile, car l’on observe des migrants résidants au refuge pendant

plusieurs semaines ou mois et dans certains cas des années.

En plus de la division entre les migrants en transit et les demandeurs d’asile, l’institution

utilise la classification de groupes vulnérables afin de séparer les migrants arrivants. Comme

j’avais signalé précédemment ces groupes sont les femmes et les enfants, les mineurs non

Page 40: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

38

accompagnés et le groupe LGBTI. Une dernière classification de migrants qui sont au

refuge ce sont les potentiels dangers. Le passage par la cérémonie d’admission permet aussi

d’établir qui est un potentiel danger qui doit être surveillé. Car il y a toujours la possibilité que

les agresseurs soient entrés au refuge. De ce fait, il y a une communication entre l’équipe de

bénévoles et les gardiens qui surveillent le refuge.

Un autre moment important de cette cérémonie d’admission : l’explication du fonctionnement

du refuge. Cette explication présente le cadre de vie construit par le refuge, que les migrants

doivent impérativement respecter s’ils souhaitent y résider. Étant donné les conditions dans

lesquelles les migrants arrivent et le faible nombre d’options disponibles à Tenosique pour se

loger et se nourrir, le refuge migrant est un espace très valorisé par les migrants lors du premier

contact.

Chapitre 3. Le refuge migrant : un espace créé pour le « sujet migrant »

I. La gestion collective des migrants

Le cadre de vie du refuge est modelé par la catégorie identitaire du « sujet-migrant ». Comme

nous l’avons vu, ce sujet est une figure du protégé et du vulnérable. Le refuge répond à cette

image à travers la prise en charge totale de ces personnes jugées inoffensives et incapables de

subvenir à leurs besoins62

. Au moment de l’admission au refuge, les bénévoles expliquent aux

migrants le fonctionnement de la casa, ils présentent les services offerts tels que l’alimentation,

les services de communication et les services de santé.

La cuisine est ouverte toute la journée, deux équipes de cuisiniers préparent trois repas par

jour qui sont servis à huit heures, quatorze heures, et dix-huit heures. Une heure avant chaque

repas, les migrants doivent contribuer aux activités de ménage des espaces communs et le samedi

matin à sept heures, c’est le « ménage général » auquel tous les résidents migrants et les

bénévoles doivent participer. Les migrants ont à leur disposition un centre de communication où

se trouvent deux ordinateurs qu’ils peuvent utiliser pendant quinze minutes par jour. Dans ce

centre, les migrants peuvent utiliser les réseaux sociaux pour communiquer avec leurs familles,

ils peuvent recevoir des appels sur le téléphone, mais il n’est pas possible de passer des appels.

62

GOFFMAN, Erving, « Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus », Paris : Ed.

Minuit, 1990.

Page 41: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

39

Si les personnes ont besoin d’appeler un membre de leur famille ou un ami, ils ont la

possibilité de faire un appel de trois minutes par mois via l’installation mobile de la Croix-Rouge.

Le bâtiment de Médecins Sans Frontières est disponible aux migrants ayant besoin d’une

consultation médicale. Si le médecin et la Croix-Rouge ne sont pas présents, il existe une

infirmerie gérée par les bénévoles où les migrants peuvent se faire traiter les ampoules aux pieds,

les douleurs à la tête et au ventre, ainsi que recevoir des kits d’hygiène.

En plus de ces services, le refuge a construit un cadre veillant à garantir la sécurité de ses

habitants. Ce cadre a pour objectif de réduire au maximum les dangers liés aux organisations

criminelles, les passeurs et les trafiquants. La prise en charge est ainsi accompagnée par une

structure rigide de fonctionnement qui est expliqué aux migrants lors de leurs arrivées. Ceci est le

cas pour les horaires d’ouverture et de fermeture des portes et des espaces du refuge. La porte qui

donne accès au refuge reste ouverte de neuf heures le matin jusqu’à treize heures, elle est fermée

pendant le déjeuner. Les portes sont rouvertes de quatorze heures trente jusqu’à dix-huit heures.

La fermeture des portes a pour objectif d’éviter que des migrants puissent se trouver à

l’extérieur du refuge pendant la nuit, car cela les rendrait plus vulnérables. Si les personnes

veulent dormir au refuge, il faut qu’elles soient rentrées avant dix-huit heures, toute sortie après

cette heure est interdite. À vingt et une heures, les migrants doivent dormir, et observer le silence.

Cette contrainte horaire essaye de garantir la sécurité des résidents de la casa, en évitant l’entrée

des personnes qui sont restées à l’extérieure loin de la surveillance du personnel et des gardiens.

La seule exception concerne le passage des trains que les migrants prennent pour quitter

Tenosique. Dans le cas où un train arrive, les gardiens crient « train, train ! » et les personnes

peuvent alors sortir. S’ils n’ont pas réussi à monter dans le train, ils ont une demi-heure pour

regagner l’auberge.

Page 42: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

40

Figure 8. Gardiens montés sur le plafond surveillant l’arrivée du train. Source : Facebook Andrea CA

Concernant l’organisation des dortoirs, il y a celui des mineurs non accompagnés, le dortoir

des femmes, le dortoir des bénévoles, celui des hommes et le dortoir LGBTI. Les migrants ont

accès uniquement à leur propre dortoir. Le dortoir des hommes reste fermé pendant la journée et

ils ont des horaires limités pour prendre leur douche et faire la lessive. Les femmes n’ont quant à

elle pas de restriction horaire. Le contrôle des espaces comme le contrôle des horaires a pour but

d’éviter des situations délicates à l’intérieur du refuge. Le dortoir des hommes reste par exemple

fermé pendant la journée pour éviter les situations de disputes, menaces et les réunions

clandestines entre les hommes.

La division des espaces permet de maintenir les populations migrantes séparées et en sécurité.

J’ai montré précédemment que tout migrant est potentiellement une figure de l’« anti-sujet

migrant », notamment s’ils brisent une des trois règles du refuge (pas de violence, pas de drogue

ou d’alcool, pas de trafic, pas de passeur). Le cadre du refuge doit garantir la sécurité à travers le

contrôle des espaces auxquels les migrants ont accès. Par exemple, il y a une surveillance du

dortoir des femmes afin d’empêcher que les hommes y entrent. Malgré cela, il arrive que des

hommes entrent dans le bâtiment de femmes pour les harceler.

Figure 9. Dortoir des femmes. Source: Luciana Mariscal de Souza

Page 43: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

41

La division des espaces de la casa est marquée par le genre. Même si les bénévoles ont plus

d’accès aux espaces que les migrants, ces espaces restent divisés par genre. Les femmes

bénévoles n’ont pas le droit d’entrer dans le dortoir des hommes ni dans la chambre des garçons

mineurs.

Un autre exemple du contrôle de l’espace est que les migrants n’ont pas le droit de rester à

l’entrée du refuge là où se trouve la porte d’accès, le poste des gardiens et le registre des

nouveaux arrivants. Ainsi, les bénévoles indiquent aux nouveaux arrivants qu’une fois installé au

refuge, ils doivent toujours rester del monumento para atrás c’est-à-dire derrière la statue du

Frère fondateur, là où se trouvent les dortoirs, le terrain et la salle à manger. Cette division est

faite pour séparer les migrants qui viennent d’arriver et qui ne sont pas encore passés par

l’entretien d’accueil de ceux qui résident déjà au refuge.

Un dernier élément important sur ce cadre contraignant pour protéger le « sujet migrant » est

que la figure de « l’anti-sujet » est souvent masculine. Ainsi, la surveillance est généralement

dirigée envers les hommes. Ceci peut toutefois s’expliquer également par des raisons

quantitatives, car les hommes migrants en transit représentent la majorité de la population du

refuge. Le cadre du refuge est particulièrement créé pour protéger ceux qui restent longtemps au

refuge principalement les demandeurs d’asile et les groupes vulnérables.

Figure 10. Dortoir des hommes. Source : Luciana Mariscal de Souza

Le cadre de vie est expliqué à tous les migrants qui arrivent. Lors de leur première rencontre

avec le cadre, j’ai observé que les migrants n’étaient pas préoccupés par les règles ni par le

Page 44: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

42

contrôle des horaires et de l’espace. Comme je l’ai mentionné précédemment, ceci peut être

s’expliquer par le fait que les migrants arrivent dans des conditions pénibles. Néanmoins, je

considère que la présentation du cadre n’est pas suffisamment claire. Par exemple, lors de leur

arrivée, les bénévoles expliquent aux migrants que le refuge a uniquement trois règles.

Cependant, le cadre du refuge est marqué par l’existence d’autres règles : le contrôle des sorties,

les horaires pour réaliser les activités, le contrôle des espaces, l’obligation de participer aux

tâches de ménage, etc.

D’après mon expérience, le cadre de vie qui n’est pas montrée comme obligatoire est en réalité

celui qui donne le plus de contraintes aux migrants. Et c’est avec ce cadre-là que les migrants

vont essayer de négocier. Ceci est notamment le cas des demandeurs d’asile qui sont au refuge

depuis plusieurs semaines ou mois et qui sentent le poids de ce cadre sur leurs vies. Le non-

respect des trois règles et le non-respect du cadre sont deux choses qui sur le terrain acquièrent

des expressions différentes. Le non-respect des règles est le moins négociable, nous observons

des migrants qui se font expulser, car ils sont rentrés alcoolisés ou parce qu’ils ont harcelé une

femme. En revanche, le non-respect du cadre n’est pas en soi-même une raison pour expulser les

migrants. En sachant qu’ils ne sont pas expulsables, les migrants utilisent des stratégies pour

l’esquiver.

L’imposition du cadre et le poids qu'il fait peser sur les migrants peuvent rappeler le mode de

fonctionnement des institutions tels que les hôpitaux psychiatriques, les foyers pour les personnes

aveugles, les orphelinats et même les prisons. Ces institutions apportent une prise en charge totale

des résidents avec des cadres de vie très strictes. Les différences entre ces institutions viennent de

la définition du sujet à prendre en charge : un sujet inoffensif ou un potentiel danger pour la

communauté. Dans le cas du refuge, il y a des éléments de ces deux types de sujets, car il y a

l’image du « sujet migrant » ainsi que celle du potentiel danger, celle que j’ai appelée l’« anti-

sujet migrant ». Erwin Goffman fut le premier sociologue à étudier ces institutions qu’il a

appelées institutions totalitaires. Ces institutions réunissent sous une même sphère les trois

activités des sociétés modernes : dormir, travailler et se distraire et sont définies comme :

Page 45: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

43

« [U]n lieu de résidence et de travail où un grand nombre d’individus, placés dans la même

situation, coupée du monde extérieur pour une période relativement longue, mènent ensemble une

vie recluse dont les modalités sont explicitement et minutieusement réglées »63

.

Nous pouvons remarquer que dans le cas du refuge migrant, ces trois champs d’activités

ont lieu dans un même espace physique. Les migrants et les bénévoles dorment, mangent et se

distraient dans un espace physique commun. La transition vers ce nouveau style de vie se fait

à travers d’une coupure vis-à-vis de l’extérieur, manifestée par l’isolement écologique et

humain. Dans le cas du refuge, les migrants sont, dans une certaine mesure, coupés du monde

extérieur, même s’ils peuvent sortir et se balader au centre-ville. Bien que les migrants ne

soient pas prisonniers du refuge, la prise en charge est totale et elle est accompagnée de

difficultés à sortir du fait de leur statut de « sans-papiers ». La vie au refuge est donc vécue par

les migrants comme une coupure par rapport au monde extérieur.

Voyons par exemple le cas de David, 41 ans, de nationalité colombienne. David affirme

que depuis qu’il est au refuge, il n’a pas besoin de sortir au centre-ville de Tenosique.

« En réalité qu’est-ce que j’ai d’important à faire au centre-ville de Tenosique à 20 h ou 21 h ? Ce

n’est ne pas pour aller chercher un médicament, car ici vous me donnez le médicament. Si j’ai

besoin d’une pilule, il y a l’infirmerie, si j’ai besoin de l’eau, il y a de l’eau. Si j’ai besoin d’un

crayon, j’ai un crayon. Toutes les choses basiques je les ai à portée de main. Donc, je n’ai pas de

raison d’aller dans la rue. D’ailleurs, pourquoi sortirais-je ? Je me mets en danger de la délinquance,

s’il y a un voleur il va penser que j’ai de l’argent sur moi et il va m’agresser. Et pourquoi sortirais-je

pour avoir des problèmes avec les agents de migration ?

J'ai tout ici à la casa, avec toute la sécurité, on a même un mur qui nous protège avec des caméras.

Peut-être que tout le monde ne comprend pas, mais chaque caméra a une fonction, elles nous

protègent. Si on a un problème il faut jusque regarder la vidéo de surveillance. Si on veut jouer du

football, on peut jouer, ou au basketball, si on veut lire il y a des bouquins. On n’a pas vraiment

besoin de sortir dans la rue ni d’aller travailler, car normalement la journée est faite pour aller

travailler et le soir pour se reposer. C’est pour ça que je n’ai pas envie de sortir la nuit. Pour moi

c’est parfait s’ils ferment la porte à cette heure-là et que nous sommes tous à l’intérieur » David, 41

ans, colombien.

63

Jean NIZET, « La sociologie de Erving Goffman », La Découverte, 2010, p. 29.

Page 46: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

44

Le refuge migrant se caractérise également par le contrôle du temps à travers des activités

réglementées. D’après Goffman (1990), dans une institution totalitaire « toute tâche s’enchaîne

avec la suivante à un moment déterminé à l’avance, conformément à un plan imposé d’en haut

par un système explicite dont l’application est assurée par une équipe administrative »64

. Au

refuge migrant, une grande partie de la journée est inscrite dans un planning approuvé par les

directeurs du refuge. Par exemple, la porte de la casa ouvre à neuf heures du matin précises, les

repas sont toujours servis aux mêmes horaires et la fermeture des portes se fait à dix-huit heures.

À vingt et une heures, les migrants font une dernière mise en rang et écoutent un message donné

par un des responsables du refuge, puis c’est l’heure de dormir.

D’autres similitudes aux institutions totalitaires sont observables, par exemple, le contrôle de

l’entrée et de la sortie. Un des signes particuliers de ces institutions ce sont les barrières qu’elles

dressent aux échanges sociaux avec l’extérieur, à travers des obstacles matériels : portes

verrouillées, hauts murs, étendus d’eau (Goffman, 1990). Notons que dans le cas du refuge, le

seul accès se fait via la porte principale surveillée par des gardiens. De plus, douze caméras

surveillent le refuge et la nuit quatre lampes de surveillance de plusieurs mètres de hauteur

éclairent les alentours.

Les caractéristiques précédemment décrites font que ces institutions recréent des

microcosmes sociaux, des caricatures de la société. Toutefois, le temps passé aux institutions

totalitaires est vécu en négatif par les migrants par rapport à la vie normale, dans une durée

vide encadrée par la rupture de l’avant et de l’après, de l’admission et de la sortie. Notons le

témoignage de Juan, 33 ans, d’origine hondurienne de San Pedro Sula et qui fût policier dans

son pays. Il est en demande d’asile depuis deux mois, Juan identifie la configuration du refuge

à celles des prisons. En même temps, il met en valeur le récépissé de sa demande d’asile,

l’élément lui permettant d’échanger avec l’extérieur.

« Pour moi ça a été un peu difficile, même si chez moi je n’avais pas l’habitude de rester dehors

dans la rue. Parfois la famille me manque. Je ne suis pas habitué à être ici. Moi qui ai travaillé pour

la police je me sens comme dans une prison avec toutes ces autres personnes. Certaines de ces

personnes-là ne sont pas très amicales, vous me comprenez ? C’est difficile de s’adapter. C’est un

système pénitentiaire, au moins j’ai la liberté de sortir parce que j’ai un permis, un récépissé que la

64

Erving, GOFFMAN, « Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux … », op.cit., p.48.

Page 47: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

45

COMAR65

m’a donnée qui me permet de rester dans l’état de Tabasco, mais d’autres personnes qui

sortent sont en danger de se faire attraper par la migra et de se faire expulser dans leurs pays, car ils

n’ont pas fait la demande d’asile » Juan, 33 ans, hondurien.

En plus de la coupure avec l’extérieur, ces institutions sont marquées par des coupures

internes, dont notamment, la coupure entre le personnel et les résidents. Dans l’étude de Goffman

(1990) sur les hôpitaux psychiatriques la coupure fut représentée par le personnel et les patients.

Dans son analyse de ces institutions, les personnes recluses s’opposent à celles qui les dirigent,

les surveillent, ou les soignent, car une barrière sociale sépare ces deux groupes. Dans le cas du

refuge cette coupure est représentée par le personnel, dont notamment les bénévoles et les

migrants.

Les bénévoles se divisent en deux groupes : les bénévoles de long séjour qui travaillent à

l’auberge pour un minimum de quatre mois, et les bénévoles de court séjour qui sont à l’auberge

pour trois mois au moins. Les bénévoles de long séjour contribuent à l’administration et au

fonctionnement du refuge. Ils sont responsables des groupes vulnérables (l’administration du

dortoir de femmes, des adolescents et LGBTI). Ils orientent les migrants dans leurs démarches

administratives : ils assistent les migrants dans leurs demandes d’asile et les accompagnent au

Commissariat Mexicain d’Aide au Réfugié et les assistent dans d’autres démarches comme celle

de régularisation ou de visa humanitaire.

Les bénévoles de court séjour sont quant à eux en charge des activités à l’intérieur du refuge

comme l’accueil, l’infirmerie et l’accompagnement à l’hôpital, au le centre de communication,

les activités socioculturelles avec les enfants et les adolescents (atelier de lecture, des sorties aux

parcs), les activités sportives (tournements de football, volleyball et basketball) et les événements

culturels de l’ONG (festivals, représentations théâtrales, forums). Tous les bénévoles (long et

court séjour) dorment au refuge pendant leurs trois premiers mois de bénévolat. Ensuite, ils

s’installent dans une maison appartenant au refuge, localisé au centre-ville de Tenosique.

Dans cette coupure entre le personnel et les migrants, le personnel représente le dehors ainsi

que les « normes, les mythes et les pouvoirs de la vie normale » alors que les migrants

représentent le dedans, ce qui est « défini par l’abolition de tous les privilèges d’une existence

libre ». Par exemple, les bénévoles ont une liberté de circulation au refuge, car ils ont le droit

65

Commission Mexicaine d’Aide aux Réfugiés.

Page 48: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

46

d’entrer et de sortir quand ils le souhaitent, tandis que les migrants doivent signer un cahier et

porter un récépissé avec eux pour sortir sans se faire arrêter. La différence entre les migrants et

les bénévoles est aussi marquée par le pouvoir d’achat qui se manifeste par une consommation de

produits différente : les bénévoles achètent des bouteilles d’eau froide pour supporter la chaleur

alors que les migrants boivent l’eau du puits que se trouve au refuge.

Les bénévoles mangent souvent en dehors du refuge alors que la grande partie de migrants

mange uniquement la nourriture du refuge. Les différences entre bénévoles et migrants sont

également marquées dans l’architecture du centre. L’architecture manifeste la place de chacun

dans la hiérarchie66

. Par exemple, le dortoir de bénévoles se trouve au premier étage, ce qui leur

donne un ample regard sur le refuge. À l’intérieur du bâtiment, il y a une cuisine où les bénévoles

peuvent se faire à manger et boire du café. L’accès à ce bâtiment se fait par un escalier que les

migrants n’ont pas le droit de prendre.

J’ai montré certaines caractéristiques similaires entre le refuge migrant et les institutions

totalitaires. Il me semble important de garder à l’esprit ces similitudes lors de l’étude du refuge,

car elles nous permettent d’observer à quel point le cadre de vie de l’institution est contraignant.

Néanmoins, il y a aussi des différences assez importantes par rapport au type idéal créé par

Goffman. À partir de ce que j’ai observé, il me semble que le refuge ne partage pas toutes les

caractéristiques d’une institution totalitaire. Par exemple, la casa del migrante a un degré

d’ouverture beaucoup plus important que d’autres institutions telles que les hôpitaux

psychiatriques ou les prisons. Les migrants peuvent, par exemple, sortir du refuge pendant les

horaires autorisés par l’administration. Une fois sorti, le personnel ne leur impose pas d’activités.

Si les migrants veulent sortir hors des horaires autorisés, ils peuvent le faire, en sachant qu’ils ne

pourront plus rentrer au refuge une fois les portes fermées. Les moments de loisir tels que les

événements culturels, sportifs et les soirées de danse organisées tous les samedis m’obligent aussi

à différencier le refuge d’une institution totalitaire.

Le rapport entre les bénévoles et les migrants n’est pas uniquement marqué par des rapports de

pouvoir. Comme je l’ai montré précédemment, le moment de l’entretien individuel, même s’il est

un processus homogénéisant, reste un moment où des liens affectifs se créent entre les bénévoles

66

Céline GOUVERNET, « Expériences plurielles de l’enfermement : entre rejet et reprise de contrôle », Espaces et

sociétés 2015/3 (n° 162), p. 8.

Page 49: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

47

et les migrants. J’ai également constaté à plusieurs occasions que les bénévoles avaient aussi du

mal à suivre le cadre imposé par le refuge et que dans une certaine mesure ils le mettaient en

question, je discuterai de ce point dans la deuxième partie de ce travail.

Les migrants ont donc des marges de manœuvre qui leur permettent de mettre en place des

stratégies pour renégocier l’identité du « sujet-migrant » qui leur est assignée. Par conséquent,

dans ce travail de recherche je préfère parler d’institution contraignante dans le sens dont Corinne

Rostaing (1997) l’a employé dans son étude sur les prisons de femmes. L’auteur affirma que « le

concept d'institution contraignante […] garde du concept original l'idée de contrainte forte tout en

prenant en compte les évolutions récentes du système carcéral, correspondant globalement à un

assouplissement, renforçant les marges de manœuvre du détenu »67

.

II. Les tensions et rapports de pouvoir entre les bénévoles, les gardiens et les migrants.

Tous les jours, à sept heures du matin, une équipe de femmes bénévoles se dirige vers le

dortoir de femmes et réveille les femmes qui dorment au rez-de-chaussée avec leurs enfants. Les

bénévoles montent ensuite au premier étage et réveillent les femmes sans enfants68

. Cette routine

consiste à dire buenos dias et s’assurer que les femmes soient prêtes pour le petit-déjeuner qui a

lieu une heure plus tard. Une autre équipe de bénévoles fait la même chose avec les adolescents.

À huit heures, les gardiens crient ¡a formarse!, pour indiquer que c’est l’heure du petit-déjeuner.

Les gardiens sont des migrants qui ont été choisis par les responsables pour veiller à la sécurité et

au respect des règles du refuge. Avant de pouvoir prendre leur petit-déjeuner, les migrants

doivent se mettre en rang. Une fois bien en rang, un gardien crie ¡ silencio ! et un bénévole

délivre alors des messages sur les activités organisées dans la journée et un rappel des règles à

respecter au refuge.

Après avoir écouté les messages, les migrants doivent prendre leurs assiettes et les gardiens

veillent à que cela se fasse dans l’ordre et la discipline. Les femmes sont les premières à être

servies, puis les personnes LGBTI, les adolescents, les hommes et finalement les bénévoles qui

se servent en dernier. Un problème récurrent est que les femmes et les mineurs non accompagnés

ne veulent pas se réveiller et sont toujours en retard pour la mise en rang de repas. Les femmes et

67

CHANTRAINE, Gilles, « La sociologie carcérale : approches et débats théoriques en France ». In: Déviance et

société. 2000 - Vol. 24 - N°3, p. 8. 68

Le dortoir pour les femmes « sans enfants » fait référence aux femmes qui arrivent seules au refuge. Il peut s’agir

qu’elles aient des enfants dans leur pays d’origine ou aux États-Unis.

Page 50: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

48

les adolescents ont une attitude de refus vis-à-vis des horaires et des activités programmées par

les bénévoles.

Pour comprendre l’attitude des migrants, je reprends les travaux de Corinne Rostaing (2006)

qui étudie les relations entre les détenus et les gardiens en prison. L’auteur signale qu’il y a de

deux types d’attitude pour faire face à la vie dans ce type d’institutions : la participation et le

refus. Concernant le refus, elle note que l’attitude des détenus « oscille entre le retrait ou la

rébellion »69

. Le fait de devoir se réveiller aux mêmes horaires, réaliser la mise en rang et

respecter l’ordre pour se servir les aliments acquiert un poids lourd dans la vie des migrants

surtout les femmes et les mineurs non accompagnés qui sont à l’auberge depuis plusieurs

semaines, voire plusieurs mois.

Au contraire, les hommes migrants respectent cette routine plus facilement et cela peut

s'expliquer par le fait qu’ils restent moins longtemps à l’auberge, car ils sont en transit et ne font

généralement pas de demande d’asile. Les hommes migrants montrent donc plus facilement une

attitude de participation face à ces routines. Un migrant qui a une attitude de participation a

tendance à accepter plus facilement son temps d’attente à la casa et le cadre de vie qui lui est

proposé. Prenons exemple de Daniel, un migrant colombien, qui a une attitude participative. Il ne

remet pas en question les activités de ménage ni les horaires contrôlés par les gardiens :

« Une journée typique ici : le matin il faut se réveiller, nous sommes des paresseux, car on dort

beaucoup, c’est 6 h 30, levez-vous ! nous crient les gardiens. Après s’être réveillé, il faut ranger les

matelas et faire le ménage. Ceci n’est pas obligatoire, mais volontaire et il faut que nous

participions tous. Puis, il faut attendre le petit déjeuner, c’est ce qu’on attend le plus » Daniel, 41

ans, colombien.

Les tensions sont fréquentes à la casa, car l’attitude de refus est la plus répandue parmi les

migrants. Les migrants refusent, par exemple, de participer aux activités proposées par le refuge,

car ils considèrent le temps passé dans ces activités comme du temps perdu. Un gardien, Ricardo,

fait régulièrement des réclamations aux bénévoles par rapport au comportement des femmes et

des adolescents. Il se plaint que les femmes migrantes ne sortent pas de leur dortoir pour la mise

en rang, que les adolescents ne sont jamais prêts ce qui fait que les repas sont servis plus tard que

prévu :

69

Corinne ROSTAING « La compréhension sociologique de l'expérience carcérale », Revue européenne des

sciences sociales, vol. xliv, no. 3, 2006, p. 5.

Page 51: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

49

« Quel est le problème avec les mineurs ?

« Leur rébellion ! si vous demandez à un enfant de deux ans de passer la serpillière ou de laver une

assiette, il ne peut pas le faire. Si vous le demandez à un mineur, il peut le faire, mais seulement s’il

veut bien le faire. Ici, il y a des mineurs qui sont en couple, il y a des mineurs qui ont des enfants.

S’ils peuvent avoir fait un enfant, je pense qu’ils peuvent laver une assiette, mais ils ne veulent pas.

Ils n’aiment pas que des personnes leur donnent des ordres. Je vais vous dire une chose, si je ne

veux pas qu’une personne me domine, je ne pars pas de mon pays. S’ils veulent continuer comme

ça, ils devraient partir de la casa, s’ils ne veulent pas suivre les règles […] Moi, j’ai déjà élevé mes

deux filles, je n’ai pas de raison de me casser la tête ni avec eux ni avec les autres » Ricardo,

gardien hondurien.

Des tensions se créent entre les gardiens et les bénévoles qui ont des manières différentes de

gérer ces situations et de s’adresser aux femmes et aux adolescents. La plupart des bénévoles ont

une attitude missionnaire70

qui, d’après moi, provient de leur motivation à s’engager dans des

actions de défense des droits des migrants. Les gardiens eux ont une attitude statuaire « qui

privilégie la fonction de sécurité et de garde »71

. Les motivations pour faire partie de l’équipe de

gardiens sont radicalement différentes de celles des bénévoles. Devenir gardien est une stratégie

des migrants pour obtenir certains bénéfices, avoir un statut, et être moins oppressé par les règles

du refuge.

Les relations qui se créent par les migrants avec les gardiens et les bénévoles sont très

différentes. Je me suis intéressée à l’analyse de Corinne Rostaing (2006) qui observe deux types

de dynamiques entre les détenus des prisons et les gardiens : les relations conflictuelles et les

relations négociées. D’après mes observations, ces dynamiques sont applicables aux rapports

créés au sein du refuge. Les bénévoles avec leur attitude missionnaire sont plus enclins à

maintenir de relations négociées avec les migrants, tandis que les gardiens établissent

normalement des rapports conflictuels avec les autres migrants. Généralement, le groupe de

bénévoles a plus de difficultés à assumer son rôle d’autorité du fait de leur attitude missionnaire.

Les gardiens ont moins de difficulté à accepter les relations d’autorité et ils en parlent plus

ouvertement.

70

Corinne, ROSTAING « La compréhension sociologique de l'expérience carcérale … » op.cit., p. 5 71

Idem

Page 52: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

50

Dans le cas du rituel matinal, les bénévoles négocient souvent avec les adolescents, ils

frappent à la porte du dortoir à sept heures et ensuite toutes les quinze minutes. Certaines

bénévoles chantent des chansons de reggaeton pour les faire rire et qu’ils se réveillent. Les

bénévoles négocient ainsi leur figure d’autorité et se mettent dans une attitude maternelle qui aide

les adolescents à respecter les règles du refuge. Dans le cas des femmes migrantes, les femmes

bénévoles entrent dans le dortoir et demandent cordialement de sortir et de se mettre en rang. À

l’inverse, afin de faire respecter les rythmes du refuge, les gardiens crient beaucoup sur les

femmes, les adolescents et parfois même sur les bénévoles.

Les relations de négociation entre les bénévoles et les migrants ainsi que les rapports

conflictuels avec les gardiens sont liés à l’imposition du cadre et de ses règles. Les trois groupes

interagissent quotidiennement et chaque groupe joue son rôle avec des attributs bien définis : les

bénévoles sont la figure d’autorité, ils sont en majorité de jeunes étudiants qui ont déjà collaboré

avec d’autres ONG ou qui réalisent une recherche sur ce sujet. Les migrants sont les

représentants de la figure du « sujet-migrant », clandestin, vulnérable et objets d’un appareil

destiné à la défense des droits de l’Homme. Les gardiens eux se situent entre ces deux rôles,

celui du « sujet migrant » et celui de la figure d’autorité. Ils se baladent dans le refuge avec des

walkies-talkies et ils ont un poste de garde situé à l’entrée du refuge.

Les migrants essayent de négocier avec l’identité du « sujet migrant » et ses conséquences

comme les effets de dépersonnalisation du fait de la gestion collective du refuge. Les migrants

emploient des stratégies subtiles pour ne pas respecter les règles, mais ils ne vont pas jusqu’à

montrer ouvertement leur insubordination, car l’ordre social doit être maintenu à travers des

apparences communes. Autrement dit, les migrants doivent faire semblant de respecter le cadre

établi par le refuge ainsi que ceux qui l’imposent pour ne pas risquer de se faire expulser. Les

migrants ne vont par exemple jamais critiquer ouvertement un bénévole ou les responsables du

refuge.

Pour l’analyse de ces stratégies, les travaux de James Scott (2004) sur les dominés et les arts

de résistance nous offrent un bon cadre d’interprétation. Scott (2004) écrit :

« Dans des circonstances ordinaires, les dominés ont un intérêt particulier à éviter toute

démonstration explicite d’insubordination. Ils ont aussi, bien sûr, un intérêt particulier à résister afin

de réduire au maximum le travail à accomplir et les exactions et les humiliations dont ils sont

Page 53: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

51

victimes. La synthèse de ces deux objectifs qui peuvent au départ sembler contradictoires est rendue

possible précisément par la poursuite de formes de résistance qui évitent toutes confrontations

ouvertes avec les structures de l’autorité à laquelle on s’oppose »72

.

Les bénévoles cherchent également à minimiser ces rapports de force et utilisent des

euphémismes pour parler du quotidien. James Scott (2004) explique que l’utilisation d’un

euphémisme montre que le sujet discuté est un sujet délicat. Ainsi, les euphémismes utilisés par

le personnel ont une fonction cosmétique utilisée pour embellir des aspects d’un rapport de

pouvoir. Les responsables et les bénévoles évitent donc d’utiliser le mot migrant, mais utilisent

des expressions comme « la population » ou « camarade », cela permet d’avoir l’illusion que les

bénévoles et les migrants sont égaux. Les responsables ne nient pas totalement l’existence de

rapports de pouvoir entre les bénévoles et les migrants. Par exemple, les responsables expliquent

dans les réunions de bénévoles que les relations amoureuses entre les bénévoles et les migrants

sont interdites. Par rapport à cette situation, le rapport de pouvoir est ouvertement évoqué.

Il me semble que parler de rapport de domination entre le personnel et les migrants est tout à

fait pertinent. Ce cadre d’analyse nous permet de mieux étudier les stratégies employées par les

migrants et de comprendre quels sont les niveaux de discours existants au refuge. Yann Cleuziou

(2010) explique la notion de différents niveaux de discours formulée par James Scott :

« Il existe donc, pour les dominés, plusieurs niveaux de discours, de pratiques et de rôles. Le

premier est le texte public, défini par les légitimations de la domination, c’est-à-dire “les images

flatteuses que les élites produisent d’elles-mêmes” […] Le deuxième est le texte caché que

partagent en coulisse les dominés là où ils sont à l’abri du pouvoir et donc en mesure de le

dénoncer. Le troisième niveau se situe de manière stratégique entre les deux premiers : “c’est la

politique du déguisement et de l’anonymat [qui] se déroule aux yeux de tous, mais est mise en

œuvre soit à l’aide d’un double sens soit en masquant l’identité des acteurs” […] par exemple, tout

un ensemble de contes et de chansons qui, sous couvert d’histoires mettant en scène des animaux

rusés et vengeurs, valorisent les attitudes de filouterie et de résistance des subordonnés73

.

Il existe différents niveaux de discours au refuge dont le premier est le texte public où nous

trouvons les règles de l’établissement et les pratiques des bénévoles pour bien faire respecter ces

règles. Dans le texte public se trouve la définition du « sujet migrant » créé par le refuge et sa

72

James Scott (2009) « La domination et les arts de la résistance. Fragments du discours subalterne » cité par

CLEUZIOU, Yann « James C. Scott, La domination et les arts de la résistance…» op.cit., p. 4. 73

Ibid., p.4.

Page 54: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

52

justification qui a pour objectif de créer un cadre de vie fait ad hoc pour cette population. Dans un

deuxième niveau, nous trouvons le texte caché des migrants. Ce texte reste dans des espaces qui

sont exclusifs aux migrants et les bénévoles n’y ont pas accès que par les rumeurs. Par exemple,

des rumeurs circulent au refuge sur « La 73 », espace où les migrants se retrouvent pour avoir des

rapports sexuels. Le troisième niveau est ce que James Scott (2004) appelle « l’art du

déguisement politique ». C’est dans ce troisième niveau que je situe les stratégies que les

migrants emploient avec les bénévoles et aux gardiens pour contourner les règles.

Notons que les stratégies de contournement des migrants ne sont pas les mêmes vis-à-vis des

gardiens et des bénévoles. Les migrants savent que les risques de défier les gardiens ouvertement

sont moins importants. Ils emploient donc des stratégies directes envers les gardiens pour les

défier. Voyons ce que dit Ricardo, le gardien d’origine hondurienne, par rapport aux tensions

entre migrants et gardiens :

« Il y a beaucoup de tension, parfois nous leur disons [aux migrants] excusez-moi camarade

pourriez-vous vous mettre en rang ? Et la réponse est ah pourquoi vous faites chier tous les jours

avec la même chose” […] La première chose que je réponde est : camarade, ce sont les règles de la

casa, elles sont imposées par le Frère, qui les donne au coordinateur de garde. Le coordinateur

nous les communique à nous les gardiens, et ensuite nous vous les communiquons. Si quelqu’un

n’est pas d’accord, je vous invite à parler avec un de mes collègues gardiens ou avec moi et nous

passerons au Frère vos suggestions […] Mais je vais vous dire camarade que le Frère pourrait

éventuellement vous répondre que si vous n’êtes pas d’accord, vous êtes libre de quitter la casa. Ce

ne sera pas moi qui vais vous expulser ni un de mes collègues gardiens non plus, ça sera le Frère,

car c’est lui qui a imposé les règles et vous devez les respecter exactement comme il les a établies »,

Ricardo, hondurien.

Nous pouvons observer que les migrants expriment de manière directe leur mécontentement

auprès des gardiens. Ricardo essaye de relativiser son rôle de figure d’autorité et rappelle aux

migrants que ce sont les frères responsables du refuge qui prennent les décisions et déterminent

les règles. Cela ne semble pas fonctionner, car les migrants persistent à se moquer et faire des

ragots pour punir les gardiens de leur autorité et de leur rapport privilégié avec le personnel du

refuge. De son côté, Ricardo, en tant que gardien, n’hésite pas à punir les migrants qui se

moquent de lui :

Page 55: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

53

« Ils se moquent de moi dans le dortoir des hommes. Un jour j’y suis allé, j’ai allumé les lumières et

je leur ai demandé : camarades qu’est-ce que je vous ai fait pour que vous vous moquiez comme ça

de moi ? L’autre jour ils m’ont appelé de sapo, je me suis tourné et j’ai demandé qui m’a appelé

comme ça ? Je ne suis pas un sapo, je vais laisser les lumières allumées et je vais éteindre les

ventilateurs comme ça vous apprendrez à me respecter […] Sapo c’est une personne qui observe et

qui ensuite va et le raconter au responsable.

Quels autres types de ragots ?

Que je suis un pédé parce que j’ai une amitié avec les gens de LGBTI, ce sont des personnes

ignorantes, car les LGBTI sont des êtres humains aussi […] une amitié on peut la donner à qui on

veut » Ricardo hondurien.

Face aux bénévoles, les migrants doivent en revanche faire semblant de respecter le texte

public de l’institution et ainsi préserver le rôle de domination du bénévole pour ne pas risquer de

se faire expulser. En nous situant dans les termes de James Scott (2004), nous pouvons analyser

différemment l’attitude apparemment participative des migrants face aux règles du refuge. Sous

l’analyse de Scott même l’attitude la plus participante est une stratégie pour s’adapter au texte

public du refuge. Analysons maintenant le témoignage de David, un migrant colombien d’attitude

participante :

« Ici vous nous apprenez ce que nous ne connaissions pas, par exemple que nous devons maintenir

une hygiène, laver l’assiette et tout cela. C’est un apprentissage que vous nous donnez ici et cela va

nous servir plus tard dans n’importe quelle auberge où on arrivera » David, colombien, 41 ans.

Des questions sur cette attitude participative peuvent se poser, par exemple, lors de ses

quarante et une années de vie, David n’a-t-il jamais appris à laver une assiette ? D’après moi,

David est un exemple de migrant qui utilise le texte public pour s’aligner avec ce qui est attendu

de lui et gagner les faveurs des bénévoles. Néanmoins, s’adapter au texte public n’est pas

toujours facile pour les migrants, car la pression du cadre de vie est lourde et constante. Par

conséquent, l’attitude la plus répandue parmi les migrants est celle du refus. Nous trouvons dans

le quotidien du refuge de nombreuses utilisations de stratégies cachées pour refuser le cadre et les

règles du refuge.

Dans le prochain chapitre, j’analyse les stratégies des migrants pour contourner le traitement

collectif correspondant à l’identité du « sujet migrant ». J’analyse également les stratégies que les

bénévoles et les responsables utilisent en réponse aux migrants.

Page 56: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

54

Figure 11. La fille d’attente pour le repas. Source :UNHCR-ACNUR

Figure 12. Les migrants en rang, écoutent les messages donnés par un bénévole avant manger.

Source : Luciana Mariscal de Souza

Partie II.

Page 57: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

55

Les stratégies des migrants pour faire face à l’identité

collective

Nous avons vu dans la précédente partie que dans la vision du refuge, le « sujet migrant » est

caractérisé par sa vulnérabilité et son besoin de protection. Le « sujet migrant » a aussi des droits

et peut devenir un « un demandeur d’asile », « un demandeur de visa humanitaire » ou membre

d’un « groupe vulnérable ». Pour protéger ces sujets vulnérables, un espace capable d’accueillir

les populations migrantes a été créé. Cet espace a pour objectif de couvrir leurs besoins à travers

différentes infrastructures : les dortoirs, le centre de santé, la salle à manger, un terrain destiné

aux activités sportives et au loisir. Les bénévoles et les gardiens sont responsables de faire

respecter les règles de cet espace, de le contrôler et de le surveiller.

Je soutiens dans cette partie que les migrants ne sont pas passifs face au cadre de vie créée par

l’institution pour le « sujet-migrant ». Le refuge en plus d’être un espace créé sur l’identité du

« sujet migrant » est aussi un espace de négociation de cette identité collective par le migrant lui-

même, négociation qui va créer des points de tension à l’intérieur du refuge. Ainsi, je commence

par analyser les stratégies cachées et subtiles des migrants face à la gestion collective du refuge

qu’elle implique.

Ensuite, je me centre sur les stratégies de réappropriation du temps et de l’espace et je montre

comment les migrants cherchent à se réapproprier de leurs vies à l’intérieur du refuge. Ces

stratégies des migrants montrent qu’ils ne sont pas des sujets passifs face au quotidien rigide du

refuge. Je montre qu’ils sont capables de faire avec le temps et l’espace et se construire une vie

malgré les règles du refuge, l’imposition de rythmes et l’interdiction d’accès à certains.

Finalement, je me focalise sur la manière dont les migrants gèrent des aspects de cette identité

collective, aperçus comme négatives tels que la stigmatisation. Notamment, à travers le rejet que

les migrants ont d’être obligés à vivre avec les « indésirables » du refuge : les membres de gangs

considérés comme dangereux pour les migrants et leur identité. Je me focalise également sur la

difficulté des migrants à porter une identité marquée par la précarité et les conditions de vie

difficiles à l’auberge et les stratégies pour s’en distancier.

Page 58: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

56

Chapitre 1. Les migrants et les stratégies négociation face à la gestion

collective

« C’est comme ça, la vie du migrant n’est pas facile, il faut rendre l’impossible, possible. Quand le

migrant est sur le chemin, il réfléchit à beaucoup de choses. Comment vais-je faire ? Où vais-je

dormir ? Si j’étais chez moi, je serais mieux, mais maintenant je suis sur ce chemin et je dois me

débrouiller seul. Comment vais-je faire pour dormir ? Je vais dormir sur un baluchon, un matelas

ou sur des cartons ? Je vais te dire une chose, j’ai déjà dormi sur des pierres, vers Monterrey j’ai

dormi à côté des voies de train. Ce n’est qu’après beaucoup de temps que j’aie trouvé un

appartement et que je suis devenu plus stable. C’est comme ça, après la tristesse, il y a la joie. C’est

comme ça la vie du migrant » -William, migrant d’origine hondurien.

I. Les stratégies des migrants pour négocier le traitement collectif

Le récit de William nous montre que les migrants sont habitués à trouver des moyens pour

survivre dans des conditions difficiles. Dans ce chapitre, je présente les stratégies des migrants

pour s’adapter au cadre de vie du refuge et en tirer des avantages. Les tensions liées au respect du

cadre de vie sont latentes au refuge, car l’imposition des activités et des tâches est présente à tous

les moments. Les règles sont continuellement rappelées à travers les annonces. Tous les jours,

avant chaque repas, les migrants se mettent en rang et les bénévoles leur délivrent des messages

recueillis auprès du coordinateur de bénévoles, des gardiens et des membres de la cuisine. Ces

messages sont un rappel des règles de vie au refuge par exemple sur les espaces autorisés ou sur

l’obligation de participer aux tâches de ménage. Les messages sont aussi un moment pour

rappeler aux migrants que leurs actions sont observées comme le fait d’étendre le linge n’importe

où ou le fait que des couteaux disparaissent de la cuisine. Ces messages servent finalement à

informer les migrants des activités programmées pour la journée : la session d’information sur les

droits de l’Homme pour les primoarrivants et les activités culturelles, artistiques ou sportives.

Lors de mon terrain de recherche, j’ai pu observer les stratégies employées par les migrants

pour contourner les règles de vie commune, s’adapter au cadre de vie que le refuge leur imposait

et en tirer des bénéfices. Ces stratégies sont différentes selon qu’il s’agisse d’un adolescent, d’un

homme ou d’une personne de la communauté LGBTI. J’ai noté que ceux qui utilisent le plus ces

stratégies sont les « groupes vulnérables » : les adolescents, les femmes et la communauté

LGBTI. Les hommes migrants semblent employer moins de stratégies, peut-être parce qu’ils

Page 59: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

57

savent que les bénévoles sont moins enclins à négocier avec eux du fait qu’ils n’appartiennent pas

un groupe vulnérable.

L’utilisation du statut de « groupe vulnérable »

Les migrants utilisent leur appartenance à un groupe vulnérable pour contourner les règles du

refuge. Tout d’abord, les adolescents se savent particulièrement protégés ayant le statut de

« mineurs non accompagnés ». Les mineurs non accompagnés sont protégés par des règles

internationales, ils sont sous la tutelle du refuge et il est presque impossible pour eux d’en être

exclu. Les adolescents se servent de la figure du « sujet-migrant », sujet à protéger, comme une

stratégie pour contourner les règles. Dans les faits, les adolescents dépassent presque toutes les

règles de vie au refuge. Ils ne font pas la mise en rang comme il faut, ils fument des cigarettes

devant les bénévoles et parfois ils franchissent les grilles du refuge pour s’échapper pendant la

nuit.

Séduire les bénévoles pour en tirer des bénéfices.

Les adolescents emploient des stratégies de séduction envers les bénévoles. Cette séduction se

fait grâce à leur charisme et en cherchant à développer une amitié avec les bénévoles. Leur

charisme et leur jeune âge font que les bénévoles leur donnent une attention particulière. Les

adolescents savent qu’ils peuvent tirer profit de leurs relations privilégiées avec les bénévoles

pour s’offrir une protection face aux gardiens et aux responsables du refuge. Les gardiens tels que

Ricardo passent leurs journées à râler et à montrer leurs mécontentements face au laxisme des

bénévoles.

Les jeunes migrants observent et analysent les bénévoles. Ils leur posent des questions et les

étudient pour savoir comment agir avec eux. L’étude d’Alice Jaspart (2006) à propos de jeunes

délinquants enfermés partage des éléments similaires aux dynamiques observées au refuge.

Notamment, en ce qui concerne la surveillance et l’observation de l’autre :

« Dès ses premiers pas dans l’institution, le jeune est observé de manière constante par l’équipe

pluridisciplinaire. De la douche matinale au moment du coucher, en passant par les cours et les

ateliers, les entretiens formels, les visites familiales, les tâches et le nettoyage, tout est matière à

observation et à notation. L’éducateur ou le surveillant qui fait ses premiers pas dans l’institution

apprend dès lors à avoir des yeux dans le dos et l’oreille attentive. Mais il en va de même pour les

jeunes placés. Très vite, les jeunes entrants apprennent à observer les adultes et à les analyser en

Page 60: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

58

retour. Certains paraissent parfois plus habiles et développent de véritables techniques. Ils repèrent

et varient les postes stratégiques, les moments privilégiés pour voir sans être vus, pour entendre

sans être entendus, pour surveiller sans être repérés »74

.

Durant mon séjour au refuge, j’ai pu constater à différentes reprises ce comportement

d’observation et d’analyse des adolescents. Par exemple, durant les trois repas de la journée, les

adolescents s’assoient autour des longues tables de la salle à manger et ils invitent les bénévoles à

s’asseoir avec eux. Les adolescents choisissent les bénévoles qui leur sont les plus agréables et

leur conviennent le plus. Les adolescents leur posent des questions personnelles, ils veulent par

exemple connaître leurs parcours éducatifs et professionnels. Cela flatte les bénévoles qui se lient

d’affection pour les adolescents. Les adolescents utilisent également des démonstrations d’estime

pour gagner l’affection des bénévoles. Par exemple, au moment de laver les assiettes à la fin du

repas, les adolescents prennent les assiettes de certains bénévoles pour aller les laver et ainsi

gagner leur confiance et leur amitié. Les adolescents font aussi cadeau de bracelets qu’ils

fabriquent eux-mêmes à leurs bénévoles préférés.

Avoir gagné la confiance et l’amitié d’un bénévole est aussi utile aux adolescents pour sortir

du refuge durant la journée. En effet, ayant le statut de mineurs non accompagnés, ils sont sous la

tutelle du refuge. Les adolescents doivent donc avoir l’autorisation de Frère Tomás pour sortir.

Mais ils peuvent également sortir s’ils accompagnent des bénévoles dans certaines activités. Par

exemple, tous les après-midi un bénévole se rend avec une des camionnettes du refuge au centre-

ville pour demander des donations de légumes et du pain aux commerçants. Le bénévole choisit

quatre ou cinq adolescents pour l’accompagner. Lorsqu’ils ont identifié le bénévole qui conduit

de manière régulière la camionnette, les démonstrations d’estime et les attentions sont plus

focalisées sur ce bénévole que sur les autres.

Une autre stratégie des adolescents est d’établir des rapports de proximité avec les

responsables du refuge notamment avec les deux Frères franciscains, Tomás (le responsable) et

Bernardo (le comptable), car ils ont l’autorité pour les faire sortir. Un groupe de mineurs sort tous

les matins avec Frère Tomás pour travailler dans la ferme agroécologique gérée par le refuge.

Après le travail à la ferme, les adolescents mangent du poulet rôti et boivent du coca-cola avec le

74

JASPART, Alice, « Aux rythmes de l’enfermement. Enquête ethnographique en institution pour jeunes

délinquants », Bruxelles, Bruylant, 2015, p. 7.

Page 61: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

59

Frère. Cela leur permet donc de sortir du refuge d’avoir accès à des produits autrement

inaccessibles pour eux.

Les femmes migrantes utilisent également des stratégies de séduction pour établir des amitiés

avec les bénévoles et ainsi obtenir des faveurs. Par exemple, tous les samedis une bénévole

accompagne deux femmes migrantes au centre-ville pour vendre des vêtements donnés au refuge.

Souvent, les femmes demandent aux bénévoles si elles peuvent garder certains vêtements et les

bénévoles le permettent. Un autre exemple est que les membres de la communauté LGBTI

invitent leurs bénévoles préférés à manger avec eux à la palapa del amor (la table de l’amour).

Cette invitation leur permet ensuite de demander des faveurs comme de l’argent, des cigarettes,

des sodas. D’ailleurs, le fait d'établir des amitiés avec les bénévoles permet aux migrants de se

faire moins réprimander par rapport à l’utilisation des espaces interdits. Ainsi durant la journée,

les adolescents, les femmes et les membres de la communauté LGBTI viennent s’asseoir à la

palapa de l’accueil, même si cet espace leur est normalement interdit. Les gardiens rappellent

alors aux bénévoles que les migrants ne peuvent pas être là. Les bénévoles demandent aux

migrants de partir, ce qu’ils font pour revenir quelques minutes plus tard. Cela se répète plusieurs

fois par jour.

Toutefois, même si les femmes établissent des amitiés avec certains bénévoles, elles restent

souvent à l’écart des bénévoles et des autres migrants notamment parce qu’elles passent la

plupart de leurs temps à l’intérieur du dortoir. Elles utilisent donc le fait d’avoir des espaces

propres à elles pour contourner participer à la vie commune du refuge. Les femmes ont elles une

certaine autonomie, car elles ont leur propre organisation pour le ménage, l’accueil des nouveaux

arrivants et elles ont des activités organisées uniquement pour les femmes comme les ateliers de

couture. Elles utilisent le prétexte des activités pour se protéger de certaines obligations de la vie

commune par exemple le ménage collectif dans la cuisine, le salon, le terrain. La faible

collaboration dans les activités de ménage collectif contribue à créer des tensions entre les

gardiens et les bénévoles.

Les femmes migrantes mères utilisent également les activités organisées pour les enfants

comme les sorties au parc municipal, les lectures de contes, les projections de films pour se

décharger de leur responsabilité auprès des bénévoles. En effet, durant la journée ce sont souvent

uniquement les bénévoles qui surveillent les activités des enfants pendant que les mères restent à

Page 62: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

60

l’intérieur du dortoir. Il faut cependant nuancer, car la responsabilité des enfants repose presque

uniquement sur les femmes, ce qui les motive à s’appuyer sur les bénévoles.

Le mensonge

Parmi les hommes, le mensonge est la stratégie la plus utilisée pour contourner le cadre du

refuge. Les hommes utilisent beaucoup le mensonge, car ne faisant pas partie d’un groupe

vulnérable ils ont moins de possibilités pour négocier avec les bénévoles. En général, les

migrants savent qu’il faut parfois mentir aux bénévoles pour obtenir des bénéfices matériels. Par

exemple, à l’infirmerie, des migrants affirment qu’ils n’ont pas reçu de kits d’hygiène pour

obtenir plus de produits. Au centre de communication, les migrants disent qu’ils n’ont pas encore

utilisé l’ordinateur pour accéder aux ordinateurs deux fois par jour même si cela est interdit. Le

mensonge permet de contourner les règles de vie rigide du refuge, imposées quotidiennement par

l’équipe de bénévoles. Les résultats sont provisoires, car les menteurs sont généralement

découverts, mais cette méthode atteint l’objectif provisoire de contourner le cadre.

Voyons également l’exemple de l’accueil des nouveaux arrivants. Les bénévoles doivent

trouver les migrants arrivés durant la nuit à partir d’une liste donnée par les gardiens. La quête

des migrants de la liste prend du temps, car le refuge est grand et les bénévoles ne connaissent

pas les nouveaux arrivants. Les gardiens qui étaient de garde peuvent aider à les localiser sinon

les bénévoles doivent crier leur nom et aller demander à chaque groupe. Après avoir trouvé les

migrants de la liste, il faut les diriger à l’accueil pour leur expliquer les règles et faire l’entretien

d’entrée. Souvent les migrants disent si, si, ahorita vamos mais ne viennent pas, ce qui oblige les

bénévoles à aller les rechercher pour leur rappeler de se diriger à l’accueil. Certains migrants

affirment avoir déjà passé par l’explication des règles et l’entretien individuel, même si ce n’est

pas vrai. Les bénévoles doivent parfois les menacer en disant que s’ils ne vont pas à l’accueil ils

se feront expulser.

Avoir un travail au sein du refuge.

Le fait d’avoir un travail [non rémunéré] au sein du refuge donne un statut qui permet de

contourner plus facilement les règles. Nous pouvons prendre l’exemple du groupe des cuisiniers,

Page 63: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

61

qui possède un rôle important dans le bon déroulement des journées au refuge. Les cuisiniers

passent leur journée dans la cuisine, ce travail est une tâche difficile, car il faut préparer à manger

pour environ deux cents personnes. Mais ce travail leur donne un pouvoir et un statut face aux

bénévoles. Le bénévole responsable de la supervision de la cuisine doit les consulter sur les

aliments à acheter, sur l’organisation du ménage dans les espaces de la cuisine, notamment la

bodega. Ce travail leur donne également une autonomie, ainsi le groupe de cuisiniers peut se

permettre certaines distractions. Par exemple, quand les cuisiniers se mettent à l’extérieur

lorsqu’ils coupent les légumes pour le déjeuner, ils mettent alors de la musique à fond grâce à un

haut-parleur. Le directeur du refuge leur répète plusieurs fois qu’il faut baisser le son cependant

ils continuent à mettre leur musique.

Les gardiens utilisent également leur position pour obtenir des bénéfices. Ils peuvent par

exemple entrer dans le dortoir des hommes et dormir quand ils le veulent. Ils peuvent également

rester dans les espaces interdits aux autres migrants, notamment derrière le statut du père

fondateur. D’ailleurs, étant donné que leur poste se trouve à côté de l’espace d’enregistrement des

nouveaux migrants, les gardiens ont plus d’opportunité pour discuter avec les bénévoles. Cette

relation de proximité leur permet de faire de demandes aux bénévoles comme des cigarettes, de

soda, la nourriture. Par ailleurs, à partir de vingt et une heures quand les migrants doivent se

coucher et que les lumières du refuge s’éteignent, seuls les gardiens et les bénévoles ont

l’autorisation de circuler dans l’auberge. Pendant la nuit les gardiens s’assoient sur le banc du

registre, et jouent aux cartes en fumant de cigarettes.

Les gardiens profitent donc de leur position d’autorité et de leur statut pour avoir des bénéfices

par rapport aux autres migrants. Leur travail leur permet d’occuper leur temps, et en plus, grâce à

leur rôle d’autorité, ils peuvent obtenir des cadeaux qui rendent leur séjour plus agréable. Étant

donné qu’ils contrôlent la porte du refuge, les autres migrants cherchent à avoir de bonnes

relations avec eux, car ils pourraient éventuellement leur ouvrir la porte hors des horaires

autorisés. Ainsi, certains migrants leur offrent des bouteilles de Coca-Cola, du poulet rôti ou des

cigarettes. Ces cadeaux se traduisent plus tard en petites faveurs comme les laisser sortir la nuit et

rentrer à neuf heures une fois que les portes sont de nouveau ouvertes ou les laisser rentrer le soir

après l’heure de fermeture des portes. Un dimanche matin, j’ai observé un couple qui n’étaient

pas au petit-déjeuner, rentrer au refuge à neuf heures, ils étaient restés dehors la nuit et les

Page 64: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

62

gardiens les avaient laissé entrer. L’homme s’entendait bien avec les gardiens et parfois leur

amenait des bouteilles de Coca-Cola ou des cigarettes. Conformément au règlement du refuge,

ces deux personnes auraient dû être expulsées après être restées la nuit dehors.

II. Les stratégies des bénévoles et responsables face aux négociations des migrants

Face aux migrants, les bénévoles et les responsables doivent trouver des moyens pour se faire

respecter et faire respecter les règles du refuge. Pour réaffirmer leur autorité, les bénévoles

s’éloignent parfois du discours officiel qui lie les migrants aux sujets vulnérables pour réaffirmer

leur autorité. Les bénévoles cherchent à se faire respecter tout en conservant leur image de

bénévole au service des migrants. Ils cherchent à conserver leur rôle de dominant à travers la

démonstration d’un degré d’autorité, sans pour autant sortir de leur rôle missionnaire. Ces

démonstrations d’autorité peuvent s’avérer difficiles étant donné que les bénévoles sont parfois

pris dans des liens d’amitié et dans les stratégies de séduction des migrants.

Face aux femmes migrantes, les bénévoles mettent en avant leur manque d’attention envers

leurs enfants. Elles redonnent aux femmes migrantes leurs responsabilités en se distançant du rôle

de la bénévole qui prend soin de l’enfant migrant. Face aux adolescents, l’équipe de bénévoles

relativise leur vulnérabilité sans pour autant oublier qu’il s’agit de mineurs dans une situation

structurelle compliquée. La stratégie consiste à ne plus penser uniquement l’adolescent comme

appartement à la catégorie « mineur non accompagné »75

, mais à voir un adolescent avec une

maturité émotionnelle suffisante pour comprendre que mentir n’est pas acceptable. Il faut donc

encore une fois responsabiliser le mineur. Un autre apprentissage nécessaire pour les bénévoles

est de savoir dire « non ». Au fur et à mesure que le séjour du bénévole dure, le bénévole apprend

à s’éloigner de l’image du missionnaire et commence à refuser plus facilement les demandes des

migrants : « non, je ne peux pas ouvrir l’infirmerie après les horaires, si ce n’est pas une urgence,

vous avez eu toute la journée pour demander un doliprane ».

75

J’ai traduit le terme “menores no acompañados” directement de l’espagnol au français. Cependant, en France on

utiliserait plutôt le terme « mineur isolé étranger ». J’ai fait ce choix car la traduction textuel me semble la plus

proche au langage utilisé quotidiennement au refuge migrant, et par conséquent, le plus proche à la réalité que j’ai

observé lors de mon terrain de recherche.

Page 65: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

63

Finalement, j’ai trouvé que la stratégie la plus efficace des bénévoles pour faire face aux

négociations constantes des migrants est de se plaindre des migrants dans la salle des bénévoles.

C’est le fait de partager avec les autres bénévoles, de sortir du texte public et de se sentir protégé

dans leur propre texte caché qui permet aux bénévoles de gérer les tensions permanentes. Être

capable de se plaindre des migrants, discuter des attitudes qu’ils ont trouvé inacceptables et parler

des cas qu’ils ont trouvés trop dramatisés sont quelques exemples.

En ce qui concerne les responsables, le Frère franciscain a lui aussi une méthode pour faire

entendre les règles aux migrants. Le Frère franciscain n’est pas souvent présent et visible au

refuge pendant la journée. Il part tôt le matin pour travailler à la ferme agroécologique et en

rentrant de la ferme, il reste dans son bureau ou dans sa petite maison qui se trouve tout au fond

du refuge. Même s’il n’est pas présent physiquement pendant la journée au refuge, les bénévoles

l’informent de ce qui se passe au refuge. Le soir, le Frère délivre un message aux migrants, il

signale les attitudes et les actions des migrants qui sont intolérables à l’auberge. C’est son

invisibilité durant la journée et la mise en scène du soir qui donne de la force à son message qui

est encore plus puissant, car inattendu. Cela se déroule ainsi :

Tous les soirs, à vingt et une heures les migrants se mettent en rang une dernière fois avant

d’aller dormir. Cela se passe sur le grand terrain du refuge. Les gardiens crient ¡ a formarse !

Frère Tomas se place au milieu du terrain. L’équipe de gardiens, une douzaine d’hommes, reste

en ligne derrière lui. Le Frère demande aux migrants d’éteindre leurs téléphones, de laisser leurs

cigarettes et d’arrêter de discuter entre eux. Frère Tomás délivre alors le dernier message de la

journée. Le message du Frère consiste en un rappel de certaines règles comme l’interdiction des

commentaires aux femmes migrantes bénévoles, l’interdiction de l’entrée des substances comme

l’alcool au refuge ou sur les comportements non tolérés observés durant la journée. Le Frère dit

par exemple aux migrants qu’il est au courant de la perte des portables et des couteaux, et il

répète que ce type de situation n’est pas toléré.

De même, Frère Tomás rappelle à tous les migrants qu’ils doivent participer aux activités de

ménage du refuge, indépendamment de leur temps de séjour. Ce message est spécialement dirigé

aux migrants qu’y habitent depuis plusieurs mois. Il maintient ainsi une pression et ne laisse ni

les migrants ni les bénévoles oublier les règles à respecter. D’ailleurs, le Frère exprime souvent

son mécontentement pour les relations très proches entre les bénévoles et les adolescents ainsi

Page 66: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

64

qu’entre les femmes bénévoles et les enfants. Après avoir délivré son message, le frère termine en

demandant une minute de silence, pour les migrants qui ont quitté leur pays et qui sont sur le

chemin. Cela permet d’installer le calme avant d’aller se coucher.

En conclusion, nous observons que le personnel doit faire face aux stratégies des migrants qui

cherchent à contourner la gestion collective du refuge. Les bénévoles vont donc relativiser la

vulnérabilité du sujet, ce qui peut aboutir à une sortie du discours officiel dans les moments de

détente. Les responsables vont réaffirmer leur position de domination à travers des messages qui

montrent qu’il y a une surveillance constante des actions tant des migrants que des bénévoles.

L’utilisation de ces stratégies tant de la part de migrants, que de celle du personnel, crée des

tensions au sein du refuge migrant. Ces tensions montrent le désaccord de la part des migrants

face au traitement collectif. La réaction du personnel notamment celle du responsable, montre

que même s’il y a une tolérance face aux stratégies des migrants, les responsables veillent à tout

moment au respect du cadre. Cette dispute symbolique entre le dominant et le subordonné

continuera de créer des tensions à la casa del migrante.

III. Les stratégies des migrants pour obtenir une attention individuelle

Les installations de l’auberge et le personnel du refuge ne sont pas en mesure de donner une

attention individualisée aux migrants. L’institution a été créée pour accueillir un sujet collectif, le

« sujet migrant ». Cependant, d’après mes observations, les migrants trouvent à travers les

connexions avec les bénévoles, une manière de faire face à la dépersonnalisation à laquelle ils

sont soumis au refuge. Les migrants recherchent les moments où ils peuvent raconter leur

histoire personnelle aux bénévoles, ce qui n’est pas sans ses difficultés du fait du manque

d’intimité dans l’auberge. Ils parlent des raisons pour lesquelles ils se trouvent au refuge, des

dangers qu’ils ont vécus sur le chemin, de leurs projets pour l’avenir. Lors de mon terrain de

recherche, certains migrants ont partagé avec moi leur parcours de manière détaillée. Cela se

faisait dans un contexte informel, pendant les moments de pause entre les activités, durant les

repas ou pendant les temps de détente.

Je veux montrer que des tensions se produisent au refuge à cause de l’imposition d’un

traitement collectif dépersonnalisant. Ces points de tension créent des espaces de négociation du

traitement collectif. Ces tensions montrent que les migrants essaient de créer une définition du

Page 67: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

65

sujet migrant plus en accord avec leurs besoins personnels. Il devient donc nécessaire pour les

migrants qu’ils trouvent des mécanismes pour se rendre différenciables et recevoir une attention

particulière.

La première stratégie consiste en la dramatisation de leur situation à travers des

démonstrations d’angoisse et de peur. D’une certaine manière, ils se mettent dans le rôle du

« sujet migrant » comme sujet vulnérable à protéger, et ils amplifient leur situation. Les

adolescents cherchent à recevoir une attention particulière à travers les rapports de séduction. Ils

vont parfois utilisation ce que j’appelle des stratégies du choc. En effet, certains se coupent le

bras avec un rasoir la nuit, notamment quand ils se sont fait réprimer par un membre du personnel

après une faute grave comme avoir fumé une cigarette. Cette stratégie a pour but de rendre le

personnel du refuge confus et de renforcer l’adolescent dans son rôle de mineur non accompagné

à protéger. Après le moment du choc, les bénévoles et les responsables parlent plus doucement

avec les adolescents.

J’ai assisté à plusieurs situations où les migrants pleuraient, criaient ou s’infligeaient des

blessures graves pour se rendre visibles. Je ne mets pas en question le fait que ces migrants soient

traumatisés après avoir vécu des situations de violence. Cependant, j’ai pu observer certaines

situations où les migrants dramatisaient leurs problèmes pour obtenir une attention particulière.

Face à ces dramatisations répétées, l’équipe de bénévoles finit par mettre en doute les

démonstrations des migrants. Par exemple, un homme s’est levé un jour avec du sang qui coulait

de son oreille droite. Il a fallu le ramener à la station mobile de la Croix-Rouge localisée hors de

l’auberge. Le migrant expliquait qu’il avait reçu des lettres menaçantes de la part de Maras. Les

Maras voulaient le tuer et la nuit précédente quelqu’un l’avait agressé avec un tournevis dans le

dortoir des hommes. L’homme demandait à parler avec un des responsables. Après avoir discuté

avec le responsable, il est sorti du bureau, mais rien ne s’est passé. Le groupe de bénévole a alors

appris que les lettres que l’homme avait montrées au responsable avaient été écrites de sa propre

main. Il s’était envoyé les lettres lui-même et probablement s’était aussi blessé lui-même.

J’essaie de montrer à travers cet exemple que le personnel connaît les stratégies des migrants

pour attirer l’attention. Pour les bénévoles, cet apprentissage se fait au fur et à mesure du séjour

au refuge et provoque une désensibilisation par rapport aux démonstrations publiques de peur et

d’angoisse. Cette peur est normale dans le contexte de l’auberge, car il y a en effet des situations

Page 68: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

66

où les personnes fuient leurs pays à cause des menaces des gangs tels que les Maras. Toutefois

déterminer les situations de peur réelles et celles qui ne le sont pas est un exercice à effectuer

continuellement. Le risque est sinon d’augmenter les peurs et les angoisses des personnes à

l’intérieur du refuge et créer une paranoïa collective.

La deuxième stratégie pour obtenir une attention individualisée est le renforcement de rapports

d’infantilisation avec les bénévoles. Certains migrants veulent être pris en charge à travers

l’établissement de liens affectifs sécurisants. Plus spécifiquement, dans leur quête

d’individuation, les migrants attendent que les bénévoles prennent soin d’eux. Voyons par

exemple les rapports entre les femmes bénévoles et les femmes migrantes lors du moment du

coucher. Les bénévoles doivent acostar mujeres et acostar menores, c’est-à-dire accompagner les

femmes à leurs dortoirs. Les premières semaines acostar mujeres consistait à les accompagner au

dortoir, dire bonne nuit et éteindre les lumières. Toutefois, depuis qu’une bénévole a commencé à

lire des contes aux enfants, les mères et les enfants ont demandé à tous les bénévoles de leur lire

des histoires avant de se coucher. Les bénévoles qui ne lisaient pas d’histoire aux femmes et aux

enfants étaient moins appréciés que celles qui le faisaient. Cette situation permet de mettre en

avant les attitudes maternelles de la part de l’équipe bénévole envers le groupe de migrant. Je

trouve pertinent de se demander jusqu’à quel point les bénévoles avec leurs attitudes ne

maintiennent pas les migrants en situation d’infantilisation permanente. La réponse n’est pas

évidente, car la frontière entre l’établissement de relations sincères et les mécanismes

d’infantilisation est floue dans le contexte du refuge.

Les relations établies entre les bénévoles et certains groupes vulnérables comme les femmes et

les adolescents sont un phénomène généralisé. Un autre exemple ce sont les sentiments

d’admiration et dans certains cas d’engouement de la part des adolescents envers les femmes

bénévoles. L’empathie ressentie de la part de l’équipe de bénévoles (hommes et femmes) envers

ce groupe est un facteur qui permet le développement de liens affectifs. Toutefois, créer des

relations intimes avec le groupe de migrants peut avoir de mauvaises conséquences, même sur la

santé des migrants, car par exemple les adolescents sont alors plus enclins à se faire mal

physiquement à la fin du séjour du bénévole. À cause de ces risques, la proximité entre les

bénévoles et les adolescents n’est pas appréciée par les responsables.

Page 69: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

67

Un dernier exemple qui montre les angoisses des migrants et l’envie d’être materné par les

bénévoles est le cas d’une femme nicaraguayenne de soixante ans qui était très malade. Pendant

trois nuits consécutives, elle s’est réveillée et nous a expliqué qu’elle était en danger. Elle était

convaincue que les autres femmes du dortoir voulaient la tuer. D’après elle, la majorité des

femmes étaient des Honduriennes qui avaient déclaré que le dortoir était sous leur contrôle et

qu’il était de territoire hondurien. Impossible de savoir si cela était vrai, cependant les premières

nuits le groupe de bénévoles croyait en ce qu’elle racontait. En réalité, elle voulait simplement se

faire entendre, mais n’avait plus d’options officielles, sa demande d’asile ayant été rejetée.

Dans la situation où se trouvait cette dame, se rendre visible à travers ses angoisses était une

stratégie. Les nuits passées avec les trois bénévoles qui l’écoutaient et la rassuraient étaient un

moyen de ne pas rester dans l’invisibilité du traitement collectif. Toutefois, la dernière nuit où

elle se leva, l’équipe de bénévoles passa moins de temps à discuter avec elle. Les tâches et la

fatigue des bénévoles empêchent de donner cette attention individuelle souhaitée par les

migrants. De plus, l’aide que cette femme nécessitait relevait plus des médecins avec des soins

psychiatriques.

En conclusion, je trouve que les stratégies de lutte contre la dépersonnalisation montrent

l’importance de ne pas penser le « sujet-migrant » exclusivement comme un sujet collectif, mais

de réfléchir au migrant en tant qu’individu. D’après moi, il pourrait être envisageable de trouver

des alternatives et créer au refuge des espaces où les migrants pourraient obtenir une

reconnaissance par exemple à travers des groupes d’entraide.

Chapitre 2. Les stratégies de réaproppiation spatio-temporelle des migrants

I. Meubler le vide par les activités du quotidien : sport, loisir et culture

Le séjour des migrants au refuge est contraint par l’attente et l’imposition de rythmes et de

limites spatiales. Ces contraintes se traduisent par une perte d’autonomie et une dépossession du

temps et de l’espace pour les migrants.

Goffman (1990) a écrit à propos de la perte d’autonomie dans ce type d’institution :

« Les institutions totalitaires suspendent ou dénaturent ces actes mêmes dont la fonction dans la vie

normale est de permettre à l’agent d’affirmer, à ses propres yeux et à la face des autres, qu’il détient

Page 70: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

68

une certaine maîtrise sur son milieu, qu’il est une personne adulte douée d’indépendance,

d’autonomie et de liberté d’action ».76

J’ai observé lors de mon terrain de recherche que les migrants vont chercher à « faire avec »

ces contraintes à travers ce que j’appelle des stratégies de réappropriation spatio-temporelle. Ces

stratégies permettent aux migrants de montrer qu’ils ne sont pas des sujets passifs face à leur

parcours migratoire et à leur actualité à tous ceux qui les regardent : les bénévoles, les visiteurs

au refuge, leurs connaissances sur les réseaux sociaux. Les migrants veulent montrer qu’ils sont

au refuge parce qu’ils se dirigent vers une autre destination, leur destination finale. Ainsi, être

capable de se réapproprier son existence est une stratégie pour vivre l’attente comme une étape

dans le but du projet migratoire.

D’après moi, les migrants défient à travers de cette réappropriation, leur situation subordonnée

aux règles du refuge. Dans ce chapitre je m’intéresse aux différentes manières utilisées par les

migrants pour meubler le vide lié au temps d’attente. Plus spécifiquement, je me demande quelles

stratégies de réappropriation leur permettent de reprendre l’autonomie perdue ? Je commence par

analyser les stratégies employées par les migrants lorsqu’ils restent au refuge et puis j’analyserai

leurs activités à l’extérieure.

Les migrants qui restent au refuge durant la journée passent beaucoup de temps à circuler et à

patienter parmi les différents espaces de la casa. La circulation est très liée à la satisfaction des

besoins socio-médicaux des migrants. Certains migrants vont à la station mobile de la Croix-

Rouge localisée devant le refuge, ils s’assoient et patientent en attendant leur tour pour faire

l’appel mensuel de trois minutes auquel ils ont droit. D’autres migrants attendent pour avoir une

consultation avec le médecin de Médecins sans Frontières. Certains patientent pour voir les

avocats et les accompagnateurs bénévoles et faire le point sur leur demande d’asile. D’autres

patientent à l’infirmerie pour obtenir des kits d’hygiène.

76

Erving, GOFFMAN, « Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux … », op.cit., p.87.

Page 71: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

69

Figure 13. Les migrants patientent dans les installations mobiles de la Croix-Rouge dehors le refuge.

Source : vidéo UNHCR-ACNUR

Un grand nombre de migrants attendent aussi leur tourne au centre de communication pour

utiliser les ordinateurs. L’utilisation de ces espaces crée ainsi du mouvement et remplit le vide.

C’est l’action réciproque des migrants avec les bénévoles qui produit la sensation de remplissage

de l’espace. D’après George Simmel (1999) :

« Quand un certain nombre de personnes logent isolées côté à côté à l’intérieur de certaines limites

dans l’espace, chacune remplit de sa substance et de son activité la place qui lui est immédiatement

propre, et entre cette place et celle du voisin il y a un espace non rempli- ce qui veut dire en

pratique : rien. Dès l’instant où ces deux personnes entrent en relations réciproques, l’espace entre

eux paraît rempli et animé »77

.

Circuler à la casa est aussi une manière pour les migrants de créer leurs propres rythmes : se

balader, patienter, sortir acheter une boisson, s’asseoir aux palapas, noter son nom pour utiliser

les ordinateurs, discuter du passage des trains, ou demander des nouvelles de ceux qui sont déjà

partis. Ces actions quotidiennes des migrants leur permettent de meubler le temps vide laissé par

l’attente, de « tuer » le temps. Ce sont également des signes d’une appropriation de

l’espace même si cela reste provisoire.

L’observation d’autrui est aussi une manière pour les migrants de passer le temps. Une grande

partie des hommes migrants restent ainsi assis, avec un bon angle d’observation, et regardent les

autres, notamment les femmes bénévoles. Cette activité d’observation n’est pas exclusive aux

migrants, les bénévoles passent aussi une grande partie de leur temps à observer les migrants,

notamment à chercher des attitudes expulsables. Observer et l’analyser sont des manières de se

focaliser sur l’autre et par conséquent, d’oublier un peu ses propres problèmes. Il y aussi des

77

SIMMEL, Georg, Sociologie : étude sur les formes de la socialisation, Paris : Presses universitaires de France,

1999, p. 601.

Page 72: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

70

migrants qui veulent être regardés, par exemple C., une femme transgenre que se balade dans le

refuge, observe ceux qui viennent d’arriver, mais surtout se laisse observé par les autres,

notamment par les hommes. C’est une manière d’occuper son temps en se mettant en valeur, ce

qui fait que le temps au refuge devient aussi un temps de possible séduction.

Les adolescents et les enfants ne sont pas scolarisés78

ce qui fait que durant la journée ils

jouent et font du bruit, ce qui donne au refuge un sentiment de vitalité. Les enfants ont des âges

divers, les plus grands ont entre huit et douze ans, mais il y a aussi des bébés, certains nés à

Tenosique, voire parfois directement au refuge dans le dortoir des femmes. Les enfants jouent

ensemble. Un de leurs jeux favoris est de jouer à la « migra » et au prisonnier. Un enfant joue le

rôle « la migra » et les autres enfants jouent les migrants qui se font poursuivre et emprisonner.

Des activités pour les enfants sont organisées par les bénévoles comme la projection

hebdomadaire d’un film, des fêtes d’anniversaire. Pendant l’été, les enfants, les adolescents et

certains adultes aident les bénévoles à peindre les murs du terrain. Cette activité fait partie d’un

projet artistique de la casa pour laquelle des artistes bénévoles se sont installés au refuge.

Les femmes qui restent à la casa pendant la journée ont le droit de rester à l’intérieur de leur

bâtiment et ne sortent presque que pour les repas. Les femmes ont ainsi plus de possibilités de se

réapproprier leurs espaces et leur temps, que les hommes. Les hommes qui eux n’ont pas le droit

de rester dans leur dortoir la journée passent une bonne partie de la matinée, allongée sur le

terrain, les mains ou la veste sur le visage, pour se reposer et finir leur nuit. Ils refusent presque

systématiquement de participer aux activités suggérées par les bénévoles comme les cours de

danse, les ateliers de lecture ou les activités artistiques, car ils se disent fatigués. J’en ai conclu

qu’une stratégie des hommes migrants est de rester exprès sur ce terrain. C’est une manière de se

réapproprier leur temps puisqu’il est

alors plus difficile pour les bénévoles de

les faire participer aux activités de l’auberge.

78

À partir du mois d’août 2017, les adolescents et certains enfants ont commencé à être scolarisés dans la ville de

Tenosique grâce aux efforts du personnel du refuge migrant.

Page 73: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

71

Figure 14. Migrant allongé sur le terrain.

Source : Instagram « La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes”.

Les migrants utilisent les espaces de socialisation pour se réapproprier leur existence, par

exemple les quatre palapas. Les palapas sont des tables situées le long du terrain du refuge, où

les migrants se rencontrent, discutent, partagent leur chagrin, jouent aux dames, chargent leurs

téléphones, écoutent de la musique ou s’allongent pour faire une sieste. Ces espaces sont eux

aussi difficiles d’accès aux bénévoles, car les migrants se mettent en cercle. Ce temps passé aux

palapas permet donc aux migrants d’avoir un discours qui leur appartient exclusivement.

Figure 15. Les «palapas », tables situées au long du terrain du refuge. Source: Ciudad de colores

D’autres espaces occupés par les migrants posent de véritables problèmes au personnel du

refuge. Prenons comme exemple les arbres à mangues qui se trouvent dans l’espace vert. Cet

Page 74: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

72

espace fait partie de la zone protégée de l’auberge où les agents migratoires ne peuvent pas

entrer. A priori c’est un espace où les migrants pourraient rester, car ils ont cette protection.

Toutefois, une crainte du personnel du refuge est qu’il puisse s’y dérouler des réunions « non

autorisées ». Les bénévoles vont donc régulièrement séparer les groupes de migrants,

particulièrement ceux des hommes. Un deuxième exemple est celui d’un commerce dirigé par un

mexicain et sa femme hondurienne qui se trouve juste à côté du refuge. Étant donné cette

proximité et les prix plus accessibles, les migrants achètent leurs produits dans ce commerce.

Néanmoins, progressivement le personnel du refuge a eu des suspicions sur la vente de

substances non autorisées au refuge dans ce commerce. Les responsables du refuge ont donc

interdit tous les achats dans ce magasin. Malgré tout, les migrants continuent d’y aller.

Ces exemples nous montrent que parmi les stratégies de réappropriation des migrants,

l’appropriation de certaines espaces est plus tolérée que d’autres. Les espaces moins tolérés se

trouvent régulièrement hors du contrôle du personnel. Je considère que les espaces de

socialisation restent sous un contrôle relatif du personnel du refuge et de ce fait n’appartiennent

pas totalement aux migrants. Ceci montre que la réappropriation du temps et de l’espace reste

encadrée et fait l’objet d’un rapport de force. La possibilité d’une réappropriation par les migrants

est donc limitée.

Concernant les migrants qui sortent du refuge pendant la journée, ceux-ci vont généralement

au centre-ville de Tenosique pour se balader, ou par exemple aller nager dans une rivière qui est

proche de l’auberge. Les migrants sortent également de la casa pour faire le suivi de leurs

démarches administratives, dont notamment la demande d’asile. Les migrants doivent aller une

fois par semaine signer une liste de présence aux bureaux de l’Institut National de Migration.

Deux manques à cette obligation peuvent entraîner l’annulation de leur démarche. En ce qui

concerne le détail de ces activités réalisées à l’extérieure du refuge, il m’a été cependant difficile

de connaître ce que font les migrants en dehors de la casa. Cette difficulté peut s’expliquer par

mon rôle de bénévole au sein du refuge, avec un agenda chargé d’activités. Par conséquent, je

n’étais pas en mesure de faire des accompagnements dehors. De plus, avec mon rôle de bénévole,

je me trouvais dans l’impossibilité d’« entrer » dans l’univers et le « texte caché » des migrants.

Mon genre, féminin, rendait également la connaissance des activités des hommes plus difficile.

Page 75: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

73

De ce fait je ne peux pas donner plus de détail sur ce que font les migrants quand ils ne sont pas à

l’auberge.

Figure 16. Mairie de Tenosique localisée au centre-ville.

Source : Luciana Mariscal de Souza

Les occasions où les migrants se réapproprient leur espace et leur temps sont largement

marquées par les moments de loisir, dont les principaux sont les événements culturels et festifs

ainsi que les activités sportives organisées au refuge. Ces activités de loisir sont plus visibles

pendant le week-end, ces jours semblent comme l’écrit Jaspart (2006) inscrit à la fois dans la

rupture et dans la quotidienneté. Le samedi est ainsi le jour où il y a des tournois de football et de

volleyball ainsi qu’une soirée de danse. Les dimanches, l’heure à laquelle les migrants doivent se

réveiller passe de sept heures à huit heures et les responsables du refuge sont absents. Ceci a pour

conséquence une ambiance plus décontractée. En conséquence, même si les week-ends

s’inscrivent dans la continuité du cadre, ils sont une rupture par rapport à la semaine. Il y a

cependant le samedi le ménage général de la casa à sept heures du matin qui consiste à nettoyer

tous les bâtiments, les sols et les espaces extérieurs du refuge. Les gardiens et les bénévoles

participent à ce ménage général et coordonnent l’activité. Ce ménage général renforce le

caractère contraignant et disciplinaire du refuge.

D’après moi, les activités de loisir du week-end sont une stratégie de l’équipe responsable

pour que les migrants continuent à avoir un rythme similaire à celui de la vie normale. Les

activités sportives permettent également aux migrants d’arrêter de penser à leurs problèmes, de se

défouler. Cependant, ces activités organisées par les bénévoles déclenchent des disputes avec les

Page 76: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

74

migrants qui demandent aux bénévoles d’organiser plus de tournois. Cela montre que les

migrants souhaitent se réapproprier plus de leur temps et qu’il y a un rapport de force au sein du

refuge entre les migrants et le personnel sur l’utilisation du temps et de l’espace.

Figure 17. Tournement de football, vu du dortoir de bénévoles. Source : Luciana Mariscal de Souza

Figure 18. Tournement de basketball. Source: vidéo UNCHR-ACNUR.

Les événements culturels organisés par le personnel du refuge sont également une manière

pour les migrants de se réapproprier le temps vécu au refuge. Durant le mois d’août de mon

séjour, le refuge a reçu la visite du ministre général des franciscains, le Frère Michael Perry. Les

semaines avant son arrivée le groupe des bénévoles a commencé à organiser des activités avec les

migrants pour préparer le refuge à le recevoir : peindre des toiles de coton, décorer des

installations, etc. La visite fut organisée autour du « sujet-migrant » et a consisté en une

présentation du refuge, une réunion avec le personnel et les salariés des ONG internationale. Un

Page 77: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

75

moment fort de cette visite fut une session de témoignages de certains demandeurs d’asile choisis

par les responsables du refuge.

Une messe a ensuite été donnée au centre-ville de Tenosique et à la fin de cette messe, un

groupe sélectionné de migrants est entré en file dans l’Église en portant les 72 croix qui se

trouvent à la chapelle du refuge. Ces croix représentent les 72 migrants assassinés en Tamaulipas

en 2010. Ce symbole des migrants entrant dans l’église avec les 72 croix fut pensé comme un

moment de revendication des droits des migrants. Dans le cas de la visite du ministre général, la

plupart des migrants ne savaient pas qui était le ministre et pourquoi il visitait le refuge.

Cependant, les migrants savaient qu’il y avait une messe programmée par la communauté

franciscaine et que tous les bénévoles et résidents du refuge étaient invités à y participer. Une

quarantaine de tables avaient été dressées sous des tentes à l’extérieur de l’église. La plupart de

migrants de la casa et des personnes de Tenosique sont restés sous les tentes durant la messe. Il y

avait de la musique, des sandwiches gratuits et des boissons, les migrants mangeaient, dansaient

et écoutaient la musique.

Figure 19. Groupe musical qui joue lors de la masse du ministre général des Franciscains.

Source: Luciana Mariscal de Souza

Après le déjeuner, le personnel du refuge a amené le ministre à la ferme agroécologique. Les

bénévoles et une trentaine de migrants attendaient le ministre avec des panneaux sur lesquels

avait écrit « Bienvenido Michael Perry ». Frère Tomás et Frère Michael Perry ont planté un arbre

sur le terrain et ont fait une cérémonie de bénédiction. Comme les agents migratoires

n’interviennent pas lors de ces événements, ce sont des moments de liberté et de réappropriation

Page 78: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

76

de leur existence pour les migrants. Ils en profitent donc pour sortir du refuge, sans la crainte de

se faire arrêter. Pendant que nous attentions le ministre, les migrants faisaient des blagues chaque

fois qu’ils voyaient une voiture ¡Ahí vienne la migra ! ils rigolaient et disaient « si c’est la migra

je coure et je m’échappe, je suis plus rapide qu’eux ! ».

Figure 20. Les frères franciscains réunis à la ferme agroécologique. Source : Luciana Mariscal de Souza

Dans la camionnette de retour à la casa, nous sommes passé devant un poste de garde des

agents migratoires qui se trouve à l’entrée de Tenosique. Deux adolescents migrants qui se

trouvaient dans la camionnette ont alors commencé à insulter les agents migratoires en se sachant

protégé. De cette manière ils défiaient l’autorité même si c’était jusque pour un moment. Lors de

mon terrain de recherche, j’ai constaté que ces événements permettent aux migrants de donner un

autre sens à leur séjour au refuge. Le fait d’être dans un événement culturel en écoutant de la

musique crée des moments où l’attente est expérimentée différemment, sous le sens d’une visite

touristique à Tenosique, d’un jour de fête, et pas seulement celui d’une attente provoquée par une

migration forcée ou économique. Dans les jours suivants, j’ai observé que les migrants utilisaient

les réseaux sociaux tels que Facebook pour montrer des photos d’eux à l’événement.

En ce qui concerne le loisir, tous les samedis soir, une fête est organisée à la casa. À vingt

heures, les bénévoles commencent à préparer la salle pour el baile. Il faut enlever toutes les tables

de la salle à manger pour faire une piste de dance pour la soirée. Le chef de gardiens que tout le

monde appelle El Sargento est le D.J. du refuge. Il prend son ordinateur et met sa sélection de

Page 79: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

77

musique, généralement du reggaeton, de la bachata, de la cumbia et la punta79

. Il n’y a pas

d’alcool, mais les migrants fument des cigarettes et dansent. Tout le monde ne danse pas,

beaucoup d’hommes restent debout dans la salle et regardent les autres danser, certains bénévoles

restent aussi dans leur dortoir. Les femmes bénévoles qui dansent le font presque exclusivement

avec les adolescents, les enfants ou les gardiens qu’elles connaissent bien et rarement avec les

autres hommes. Pour les bénévoles, danser avec un homme peut créer des rumeurs ou de la

jalousie parmi les femmes migrantes, il faut donc faire attention.

Certaines femmes migrantes dansent avec leur compagnon. Dans certains cas, ces couples

sont arrivés ensemble au refuge, mais souvent les couples se forment pendant le temps

d’attente. Il y a régulièrement des situations où les migrants étaient mariés dans leur pays

d’origine, mais ils forment un nouveau couple « temporaire » pendant leur temps d’attente.

Certains couples se forment pendant la soirée du samedi, ce moment de loisir est en effet un

espace où les migrants peuvent se réapproprier leur sensualité et de leurs rôles masculins ou

féminins. Les hommes invitent les femmes à danser, ils dansent ensemble et puis parfois, ils

s’embrassent. Certains couples sortent la nuit avec l’aide des gardiens et passent la nuit

ensemble dans des chambres louées à l’extérieure. Il y a des couples qui ne dansent pas, mais

qui restent au fond du terrain assis sur leurs chaises et s’embrassent. Une fois que la soirée est

terminée, il faut séparer ces couples, car les dortoirs des hommes et de femmes sont séparés.

Le refuge en tant qu’espace d’attente permet des moments de redéfinition de l’identité

sexuelle. Par exemple, un jeune homme marié avec une femme au Honduras décida de changer

de dortoir et d’aller s’installer dans le bâtiment LGBTI où il commença une relation avec une

femme transsexuelle. Son père, cuisinier au refuge me dit un jour à propos de son fils qu’il ne

savait pas ce qui lui était arrivé au refuge et pourquoi il avait pris cette décision. Comme il y a

beaucoup moins de femmes que d’hommes aux fêtes du refuge, les hommes migrants focalisent

leur attention sur les femmes transsexuelles. Elles dansent souvent de manière provocante en

cherchant à attirer l’attention des hommes.

Quand les hommes migrants voient les femmes transsexuelles aller danser, certain groupe

d’hommes imitent le hurlement des loups, ils suivent avec les femmes transsexuelles sur la piste

79

La punta c’est une danse de l’Amérique Centrale, notamment de la côte de Belize, le Honduras et le Guatemala.

Ce style musical date du 18th

siècle, cette musique a des influences de la musique africaine.

Page 80: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

78

de dance et se permettent de danser avec elles. Les femmes transsexuelles ne parlent pas, mais

continuent à danser de manière provocante. Les hommes qui s’abstiennent de hurler et de danser

rigolent. C’est dans ces moments que les hommes se défoulent de leurs énergies sexuelles, c’est

aussi dans ces moments qu’il est toléré de montrer de l’attraction envers les femmes trans, tout en

sachant qu’il faut rire et exagérer beaucoup afin que cela passe pour une blague.

Chapitre 3. Les stratégies des migrants face à la stigmatisation et la précarité

I. Faire face à la stigmatisation : l’entrée des « indésirables »

Les migrants sont porteurs d’une identité qui est stigmatisée dans la ville de Tenosique, par le

fait d’être de clandestins. D’après Goffman : « le stigmate est ce qui, lors d’une interaction,

affecte, en le discréditant, l’identité sociale d’un individu [innés ou acquises] produisant une

frontière entre deux groupes, celui des stigmatisés et celui des normaux »80

. Dans le cas qui nous

intéresse ici, « les normaux » sont les citoyens mexicains, habitants de Tenosique. Les stigmates

que les migrants portent avec eux sont leur accent et leur apparence, deux éléments qui ne

correspondent pas à celui du résidant, et parfois aussi son manque d’hygiène. Voyons un

exemple:

« Un militaire nous a arrêtés, ce matin-là j’avais pris ma douche et je n’avais pas pris beaucoup le

soleil. Le militaire m’a dit toi tu n’as pas l’air d’être migrant, tu n’es pas sale et tu n’es pas bronzé.

Je me suis alors demandé est-ce qu’il faut être sale pour être un migrant ? » Gerardo, 39 ans,

hondurien.

Se savoir stigmatisé n’est pas facile pour les migrants. Un témoignage nous vient de Ricardo

qui est originaire du Honduras et qui travaille comme gardien au refuge. Au Honduras, il a déjà

été emprisonné trois fois. Ricardo a quitté le Honduras, car des membres d’un gang local de son

quartier l’avaient menacé de mort. Dans son témoignage, il fait un rapprochement intéressant

entre les circonstances qui l’ont poussé à quitter le Honduras et sa vie actuelle à Tenosique :

« Pourquoi as-tu quitté ton pays ?

Je me suis rendu compte que j’étais dans une liste et qu’ils allaient me tuer et je vais vous dire : la

vie elle est très précieuse et on ne la récupère pas. Je suis venu ici au Mexique et je n’avais jamais

80

Clyde, PLUMAUZILLE, Mathilde, ROSSIGNEUX-MÉHEUST « Le stigmate ou « La différence comme

catégorie utile d’analyse historique », Hypothèses 2014/1 (17), p. 3.

Page 81: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

79

pensé que ma situation allait se répéter ici. Je suis passé d’être dans une liste de gangsters à être

dans une liste des agents de migration par le simple fait d’être migrant. Une liste comme celle qu’il

y avait dans mon quartier. Il n’y a pas de place pour moi ici, comme dans mon quartier il n’y avait

pas de place pour moi non plus. Ici ils veulent m’attraper pour m’expulser.

Les agents de migration ont-ils vraiment une liste ?

En tout cas, c’est la même sensation. La seule différence c’est qu’ici ils ne cherchent pas à me tuer,

mais à m’expulser. Par exemple, au Honduras c’est un délit d’avoir des tatouages et ici c’est un

délit d’être vivant, c’est un délit et le châtiment ici c’est l’expulsion […] je ne sais pas si c’est vrai

mais j’ai déjà entendu dire qu’ils sont payés 500 dollars par migrant qu’ils attrapent. Ce sont des

rumeurs que j’ai entendues mais je ne peux pas confirmer si c’est vrai ou pas » Ricardo, hondurien.

Ricardo fait dans son récit un parallèle entre le stigmate qu’il portait en Honduras et celui qu’il

porte au Mexique. Alors qu’au Honduras, le fait de porter un tatouage est un stigmate car ces

personnes sont associées aux Maras, au Mexique, le fait d’être un migrant sans-papiers devient

son stigmate. D’ailleurs, Ricardo ne semble pas capable d’échapper aux conséquences de porter

une identité stigmatisée :

« Nous sommes en train de fuir la violence au Honduras, nous nous cachons de la violence et ici nous

nous nous cachons des agents de migration. Nous quittons nos pays avec la peur et malheureusement nous

ne pouvons plus y retourner. Le problème c’est que je ne m’attendais pas à avoir peur de nouveau. J’ai fui

un problème pour en trouver un autre » Ricardo, hondurien.

Page 82: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

80

Figure 21. « Nous sommes personnes, nous sommes honduriens, nous sommes migrants ».

Source : Facebook, « La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes »

Voyons un deuxième exemple de ce sentiment de stigmatisation avec Juan, un migrant

originaire du Honduras. Il signale se sentir discriminé par les habitants de Tenosique depuis son

arrivé :

« Ici au Mexique nous nous sentons discriminés, par exemple par le simple fait que tout le monde

pense que nous sommes dangereux ou que nous sommes venus parce qu’on a provoqué des

problèmes dans nos pays. En réalité, nous sommes venus parce qu’on cherche la paix que nous ne

trouvons pas dans notre pays. Moi, j’ai ressenti au Mexique que si les gens apprennent que je suis

un migrant alors ils me répondent mal dans les commerces, comme s’ils ne voulaient pas parler

avec moi. Je ressens leur mépris et je suis mal à cause de ça […] Nous voulons que les gens ici au

Mexique sachent que nous sommes des bonnes personnes, que nous sommes des personnes de bien,

mais oui souvent nous nous sentons discriminés. Parfois, c’est seulement la manière dont les gens

nous ignorent, cela nous fait mal.

Quand j’ai marché par El Ceibo, pendant que j’étais sur le chemin, nous n’avions plus d’eau. Nous

sommes arrivés dans une ferme où il y avait des gens. Nous allions leur dire bonjour pour voir s’ils

pouvaient sortir pour nous aider, mais les seuls qui sont sortis c’étaient leurs chiens. Personne ne

nous a aidé, nous ne voulions pas demander de l’argent, seulement de l’eau parce que nous étions

très déshydratés. Personne ne nous a donné de l’eau sur ce chemin et c’est ce genre de choses que

font que nous nous rendons compte que nous sommes discriminés. Cela fait que la confiance en soi

diminue. Il y a des gens qui s’ils s’aperçoivent que j’ai un accent me menacent d’appeler la migra,

ils ne veulent pas nous aider. Même si je sais que j’ai raison je ne peux rien dire parce que si

quelqu’un m’insulte et que moi je réponds de sorte de défendre mes droits, qu’est-ce qu’ils font ? Ils

menacent d’appeler les agents de migration, ça c’est de la discrimination » Juan, 33 ans, hondurien.

Cependant, les migrants attribuent à la présence des « indésirables » le rejet ressenti de la part

des habitants de Tenosique. Les « indésirables » sont les membres de gangs, dont notamment les

Maras. Ces persona non grata sont néanmoins acceptées dans les installations, car le refuge est

ouvert à tous les migrants sous la condition du respect des règles de la casa. Un membre des

Maras peut donc résider au refuge s’il respecte les trois règles d’interdiction de la violence aux

Page 83: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

81

femmes, d’interdiction de l’entrée de substances interdites, et de l’interdiction de faire des

affaires.

Comme dans les prisons, les migrants craignent une contamination morale provoquée par le

contact avec des codétenus indésirables (Goffman, 1990). Les migrants ne veulent pas que les

« indésirables » entrent au refuge, car d’après eux, leur présence accroît leur stigmatisation à

Tenosique. Pour faire face à cette situation, la principale stratégie des migrants qui habitent au

refuge est de faire la distinction entre ceux qui sont des « bons » migrants et ceux qui sont des

« mauvais » migrants :

« Moi j’ai déjà parlé avec certaines personnes qui ne sont pas des bénévoles mais des Mexicains qui

habitent dehors. Parfois j’ai l’impression qu’ils ont raison et que les problèmes sont de la faute des

migrants […] Le problème c’est qu’il n’y a pas que les Mexicains qui nous font du mal, mais aussi

d’autres personnes centraméricaines qui viennent avec nous. Ces personnes-là elles ne travaillent

pas, la chose qu’ils font c’est de le faire du mal aux personnes [migrants] qui viennent ici [au

Mexique]. Ça, c’est leur boulot vous comprenez ? C’est de faire mal aux gens […] J’ai la sensation

qu’ici on est comme des souris, à cause d’une personne tous les migrants doivent payer […] Nous

fuyons la violence de nos pays, alors pourquoi provoquerions-nous de la violence à [Tenosique] ?

Pourquoi resterions-nous à la casa ? Si nous sommes à La 72 a priori c’est parce que c’est une

auberge que nous offre de l’aide. Si nous arrivons ici, c’est parce que nous sommes des bonnes

personnes qui ne veulent pas faire de mal à personne » Juan, hondurien.

Le rejet à la contamination morale des « indésirables » est un moyen de s’éloigner de l’identité

stigmatisée. Les migrants vont donc s’identifier comme les « bons » migrants. Une autre manière

pour s’éloigner, cette fois-ci physiquement de ce stigmate est de quitter le refuge. Toutefois,

après que les migrants ont déjà quitté le refuge, ils doivent continuer à employer des stratégies

pour faire face à leur stigmate. De ce fait, les migrants qui habitent en ville font aussi cette

distinction entre les « bons » et les « mauvais » migrants. Néanmoins, étant donné qu’ils sont

régulièrement en contact avec les habitants de Tenosique, ils vont encore plus loin dans cette

distinction. Les migrants qui habitent dans la ville de Tenosique reproduisent une des conduites

analysées par Goffman pour gérer le stigmate. Ces migrants sont prêts à « discuter avec les

Page 84: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

82

normaux de leurs stigmates […] en s’en détachant »81

. Ainsi, les migrants déposent tout le poids

de leur stigmate sur la casa del migrante, afin de gagner la confiance des habitants.

Juan Carlos un migrant garifuna d’origine hondurien parle, par exemple, de l’attitude des

migrants qui habitent à l’extérieur de la casa et de leur stratégie pour s’éloigner du stigmate et de

l’espace qui l’accueille :

« Ce que les gens racontent à l’extérieur, c’est que la casa del migrante est un nid à rats, un nid de

voleurs et un nid d’ivrognes […] Ils font cela de sorte de gagner la confiance des habitants de

Tenosique. Ils doivent mal parler de la casa pour être accepté dehors » Juan Carlos, hondurien.

Figure 22. Panneau touristique de la ville de Tenosique. Source: Luciana Mariscal de Souza

En plus de la peur à la stigmatisation dans la ville de Tenosique, la peur à la contamination

morale se traduit dans le refus de partager l’espace avec des acteurs qu’ils identifient comme des

agresseurs. Les migrants ont donc des difficultés pour accepter qu’ils habitent dans le même

espace encloisonné avec les personnes qui les ont obligés à quitter leurs pays. Voyons par

exemple ce que dit Juan Carlos, un demandeur d’asile garifuna d’origine hondurienne, par

rapport au rejet des migrants à l’accueil des « indésirables »:

« La 72 est la casa de tous les migrants, peu importe pourquoi et comment le migrant arrive, par où

il arrive ou ce que le migrant a fait pendant le chemin, la casa est à tous. C’est de cela que les gens

[les migrants] se plaignent parce qu’ils ne veulent pas comprendre que c’est une maison religieuse.

Qu’importe si on a assassiné quelqu’un sur le chemin ou si au contraire on a fait preuve de bonté, la

casa est faite pour prendre du repos […] Ils ne comprennent pas la grandeur de cette initiative mais

81

Ibid. p. 13.

Page 85: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

83

la casa aide beaucoup de gens. Par exemple, ils nous ont aidés moi et ma famille pendant dix jours.

Je suis tout à fait conscient des défauts, mais aussi des qualités de la casa. Ils nous ont donné un

espace pour dormir, à manger et à boire » Juan Carlos, hondurien.

Dans cet extrait, Juan Carlos nous dit que la casa appartient à tous les migrants

indépendamment de leurs actions passées. Durant l’entretien il se montra en désaccord avec les

migrants qui ne comprennent pas que le refuge est une maison religieuse qui se doit d’accueillir

tout le monde Néanmoins, il a peur pour sa famille et par conséquent a décidé de s’installer à

Tenosique :

« Les personnes comme nous qui fuyons, nous avons peur. Alors, je pense que quand nous

demandons l’asile nous devons rester un peu à l’écart, car la 72 est l’auberge pour tous les migrants

[…] Nous avions peur parce que nous ne savions pas qui avait tué mon frère » Juan Carlos,

hondurien.

Juan Carlos n’est pas le seul à avoir peur de partager le même espace que les Maras. C’est le

cas également d’Ingrid, une femme hondurienne qui a fui son pays avec ces deux fils car les

Maras essayaient de recruter son fils de douze ans. Après avoir trouvé un soutien économique du

Haut-Commissariat pour les Réfugiés, Ingrid décida de quitter la casa car elle avait peur de rester

au refuge à cause de l’entrée de membres des gangs :

« À la casa je me sentais stressé parce qu’il y avait beaucoup de personnes qui entraient et certains

d’entre eux étaient membre des Maras. J’avais peur quand quelqu’un me regardait. Parfois je

n’arrivais même pas à dormir parce qu’il y avait les Maras. Là-bas au refuge, ils peuvent entrer et

sortir librement et ils vont aussi aux voies du train pour voir qui attaquer » Ingrid, hondurienne.

À partir des témoignages de Juan Carlos et Ingrid, nous voyons que l’entrée des

« indésirables » pose une limite aux objectifs de l’auberge. La casa veut en effet être un espace

ouvert, accueillant et qui met à disposition de tous les migrants des installations qu’ils peuvent

utiliser dans l’attente de la réponse à leur demande d’asile. Cependant, les migrants ne trouvent

pas que la casa soit un espace sécurisant pour attendre cette réponse. Cette limite est le résultat

de la manière dont l’auberge a été conçu à partir de l’identité du « sujet-migrant ». Cette identité

et les personnes qu’y sont représentées ne sont pas toujours acceptées par les migrants qui sont

aussi dans un exercice constant de catégorisation et de définition de ceux qui arrivent à l’auberge.

Voyons l’exemple Juan Carlos qui explique qu’il est capable d’identifier et de classifier les

migrants qui arrivent à la casa :

Page 86: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

84

« Cela te fait réfléchir sur la casa et sa population. Il y a des personnes qui arrivent et qui ont vraiment

besoin d’aide, des personnes qui n’ont pas vraiment besoin d’aide et des personnes qui viennent pour faire du

mal. On apprend à les reconnaître au fur et à mesure » Juan Carlos, hondurien.

Le témoignage précédent nous montre que les migrants voient de manière différente le danger

que représentent les membres de gangs. Les membre de gang, sont eux inclus par le refuge

comme appartenant à l’identité collective que j’ai appelé le « sujet-migrant », ce qui fait qu’ils

sont acceptés à l’auberge. Les membres de gang sont en revanche, vu comme des

« indésirables » par les migrants eux-mêmes.

Pour les responsables, les indésirables au refuge sont en réalité les passeurs et les trafiquants

de personnes qui sont interdits d’entrer mais les migrants ne signalent pas avoir des problèmes

avec leur présence au refuge. Il est intéressant de comprendre le décalage entre ce que les

passeurs et les trafiquants de personnes représentent pour le refuge et ce qu’ils représentent pour

les migrants. Les passeurs sont en réalité des acteurs ambivalents pour la communauté migrante,

car ils ont besoin de ces passeurs pour continuer leur chemin. Un homme m’a expliqué un jour

que les migrants peuvent avoir affaire à « des bons passeurs » ou à « des mauvais passeurs ».

Nous voyons ainsi que la manière de classifier les dangers n’est pas la même, tant les

responsables comme les migrants construisent leurs propres catégories identitaires et identifient

ceux qui en appartient. Autrement dit, les « bons » et les « mauvais » ne sont pas les mêmes pour

tout le monde. Il faut tout de même nuancer la perception que les migrants ont de l’acceptation

des indésirables par le refuge. Premièrement, même si l’entrée des membres de gangs n’est pas

interdite, il y a une surveillance interne renforcée sur ces acteurs qui représentent un potentiel

danger pour les autres migrants mais aussi pour le personnel. Deuxièmement, l’interdiction des

passeurs et des trafiquants au refuge est liée à la loi mexicaine et aux lois internationales qui

interdisent le trafic de personnes. Le refuge migrant applique donc la loi en refusant l’accès à ces

acteurs et en les expulsant s’ils sont identifiés. Finalement, le refuge est dans un exercice de

déstigmatisation des migrants qui arrivent à ses portes et cela concerne également les Maras.

Certains membres de gangs sont des jeunes qui ont été forcés de faire partie de gangs ou qui

n’ont pas eu d’autres opportunités pour changer leurs conditions de vie.

Wim Savenije écrit à ce sujet :

Page 87: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

85

« La MS et la 18 ont trouvé un terreau fertile dans le triangle nord de l’Amérique centrale à cause

de la ressemblance entre les situations d’exclusion et de marginalisation auxquelles doivent faire

face les jeunes des grandes villes des États-Unis et d’Amérique centrale. Il convient d’insister sur le

fait que les membres des pandillas sont souvent issus de familles dysfonctionnelles ou désintégrées,

et de communautés socialement fragmentées. Un facteur aggravant de la situation centraméricaine

est l’absence de politiques sociales destinées à la prévention et à la réinsertion des pandilleros et la

préférence des autorités pour des politiques essentiellement répressives »82

.

Dans la vision du refuge, le fait d’appartenir ou d’avoir appartenu à un gang n’enlève donc pas

le droit à une assistance humanitaire ou la possibilité de faire une demande d’asile. Les migrants

peuvent discuter avec les responsables et les informer si certaines personnes les ont menacés à

l’intérieure de la casa ou dans leurs pays d’origine. Néanmoins, certains migrants déclarent avoir

peur des représailles. C’est le cas d’Andrea, une femme hondurienne, qui m’expliqua que

l’homme qui l’avait menacé de mort au Honduras allait arriver au refuge. Elle avait peur de le

dénoncer parce que l’homme connaissait d’autres personnes au refuge qui étaient les

responsables de la mort de son beau-frère au Honduras :

« Le type, il va arriver ici, mais je ne peux pas le signaler ni dire son prénom parce que mes enfants

sont là-bas (au Honduras) […] Je ne peux rien dire parce que certaines personnes qui sont ici ont tué

le mari de ma sœur et je ne veux pas mettre ma famille en danger. Je ne peux parler avec personne

de ça. S’il y a de problèmes à la casa, ils se font expulser, mais nous, nous les retrouvons dehors »

Andrea, hondurienne.

Comme nous pouvons le constater, la situation est très complexe, car les visions des uns et des

autres sur l’entrée des « indésirables » n’est pas la même. Un effet de l’entrée de ces

« indésirables » est une propagation de la peur et de la paranoïa collective parmi les migrants. Un

deuxième effet c’est que les migrants se sentent encore plus stigmatisés car ils sont obligés à

partager les mêmes espaces que les membres de gang. Finalement, un troisième effet c’est que de

sorte de se distancier du stigmate, les migrants contribuent à la stigmatisation du refuge migrant.

82

Wim, SAVENIJE, « Les « Maras » ou la transnationalisation des pandillas en Amérique centrale », Problèmes

d'Amérique latine, vol. 75, no. 1, 2010, p.25.

Page 88: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

86

Figure 23. « Les indésirables », les membres de Maras.

Source : Extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés

II. Faire face à la précarité

Les migrants ont des difficultés pour faire face à la précarité de leur situation. Antonio, un

jeune homme salvadorien a, par exemple, dû rester au refuge, car son cousin avec qui il voyageait

s’est fait agresser par un agent migratoire à Tenosique. Après l’agression, son cousin a dû subir

une opération chirurgicale et a initié une demande de visa humanitaire au refuge. Antonio est

resté à l’auberge pour attendre que son cousin sorte de l’hôpital et reçoive une réponse à sa

demande de visa. Il souhaite continuer son parcours migratoire mais refuse de demander une

aide financière à ses parents car il pense pouvoir s’en sortir seul :

« Je stagne ici, je ne sais pas où je serais si mon cousin n’avait pas eu son problème. Je pense qu’on

serait déjà vers la frontière avec les États-Unis. Tout ce que j’avais gagné en travaillant à

Tenosique, je ne l’aurais pas dépensé. Je n’ai aucune aide [économique] et je ne veux pas demander

de l’aide à mes parents. Je ne veux pas être dépendant d’eux ni qu’ils me disent nous te l’avions dit.

Je veux que cela soit dur pour moi » Antonio, 22 ans, salvadorien.

Quelques semaines plus tard, Antonio s’est fait arrêter par les agents migratoires qui l’on

renvoyé au Salvador. Antonio travaille maintenant dans une plantation de café, où il espère faire

des économies pour pouvoir retenter le voyage vers les états unis. Ainsi, même si Antonio ne

voulait pas accepter que sa précarité économique jouerai un rôle dans la continuation de son

Page 89: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

87

chemin, le fait de ne pas avoir les moyens pour payer un passeur a contribué à son éventuelle

expulsion du pays.

La difficulté de certains migrants pour accepter leur statut précaire est aussi une conséquence

d’être obligés à rester dans des espaces, tels que « La 72 », qui sont marqués par la faible quantité

des ressources disponibles. Les migrants qui restent dans ces refuges doivent faire avec une vie

en communauté marquée par la précarité. Cette précarité est déjà très présente dans la vie des

migrants sur la route. Une fois arrivé dans ces auberges, ils ont donc des difficultés à accepter

cette précarité à laquelle ils ne leur semblent pas possible d’échapper. Cela provoque des tensions

qui dans certains cas poussent les migrants à quitter le refuge. Nous pouvons nous demander ce

que cette précarité représente pour les migrants qui se sont installés au refuge et comment font-ils

pour y faire face ?

La précarité des ressources du refuge peut s’expliquer par les difficultés pour trouver des

financements qui permettraient soutenir le refuge. Ainsi, malgré le fait que le projet d’accueil de

migrants ait évolué, les problèmes liés au manque de ressources se font ressentir dans le

quotidien : la nourriture, les espaces réduits et le surpeuplement sont des problèmes récurrents.

Faire face à ses conditions de vie rudimentaires dans les installations de l’auberge est un

challenge pour les migrants. Néanmoins, bien que le manque de ressources soit une conséquence

des problèmes de financement, il me semble que la manière dont le refuge conçoit le « sujet-

migrant » est aussi un facteur qui génère de la précarité. Le refuge agit en effet sur la logique de

l’urgence et cherche à accueillir un nombre maximal de migrants ce qui paradoxalement renforce

la précarité de tous. Le projet d’attention aux migrants est aussi un projet franciscain, un ordre

religieux qui a ses origines dans la pauvreté volontaire. Les ressources financières du refuge sont

donc destinées à satisfaire les besoins primaires des migrants au détriment d’autres types de

conforts.

Cette vision de l’institution qui cherche seulement à satisfaire les besoins primaires est remise

en cause par certains migrants. Par exemple, un migrant originaire du Honduras m’affirma

préférer une auberge se trouvant en Salamanca puisque cette auberge est plus jolie, il m’a ainsi

dit « là-bas, c’est du « luxe ». Dans l’auberge qu’il m’a décrite, le personnel change les draps

fréquemment et les migrants se servent leurs propres repas. Après son témoignage, je me suis

demandé comment les migrants réfléchissaient aux structures et aux services offerts par le refuge.

Page 90: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

88

D’après moi, les migrants cherchent aussi un certain confort dans les refuges. Même s’ils arrivent

fatigués et affamés, une fois passé la phase de d’urgence, ils regardent ce qui leur est offert et

peuvent se plaindre de leur condition de vie dans les installations.

J’ai observé différents aspects de la précarité qui créent de tensions chez les migrants. Ces

aspects sont notamment liés au surpeuplement de la casa, plus spécifiquement à la précarité dans

l’alimentation, le logement et les services d’approvisionnement d’eau. Je trouve que

l’alimentation est le point de tension le plus important : nourrir le grand nombre de migrants qui

arrivent chaque jour au refuge pose de véritables enjeux pour le personnel du refuge. Il faut

trouver les moyens pour acheter la nourriture pour environ de deux cents personnes chaque jour.

Au moment de réaliser mon terrain de recherche, le financement de l’auberge venait de différents

soutiens économiques de la part du HCR, de donations privées, celui de la communauté

franciscaine et d’autres ordres religieux. Néanmoins, à partir du mois d’août le refuge migrant a

décliné des aides de l’ONU 83

.

Les migrants se plaignent régulièrement de la nourriture de la casa, car contrairement au

groupe de bénévoles, ils n’ont pas les moyens pour manger à la ville de Tenosique. Les migrants

se plaignent de la répétition des mêmes repas tels que le riz, les haricots rouges et la salade ainsi

que du « mauvais » goût de ces aliments. Voyons un extrais de l’entretien avec Juan Carlos. Cet

extrait nous montre que les migrants essayent de s’éloigner de cette identité d’homme précarisé

qui est en décalage à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes :

« La plupart de gens quand ils quittent la casa parlent mal de la nourriture. Mais en réalité, tout ce

qui est acheté au refuge migrant est très bon, beaucoup de personnes qui sont déjà passées par le

refuge ne mangent jamais ces choses [au Honduras]. Ce qu’on mange au refuge c’est de la bonne

nourriture, qui est bien apprécié au Honduras. Il y a beaucoup de légumes à la casa. La seule chose

que j’ai noté, c’est que ce n’est ne pas la même chose de faire à manger dix personnes que deux

cents. Les cuisiniers qui travaillent ne sont pas habitués à faire à manger deux cents personnes »

Juan Carlos, hondurien garifuna.

83

Les responsables du refuge n’étaient pas d’accord avec les salariés du Haut-Commissariat pour les Réfugiés de

l’ONU dans certaines mesures qu’ils voulaient imposer au refuge migrant. À cause de la confidentialité dans les

actions du refuge, je n’étais pas informée sur les détails de la finalisation du soutien économique. Pour plus

d’information voire la partie de « Principales difficultés au moment de réaliser le terrain de recherche », notamment

la sous-partie sur la confidentialité.

Page 91: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

89

D’après moi, le rejet de la nourriture qui est pourtant offert à titre gratuit dans une auberge qui

les accueille également à titre gratuit est un exemple du décalage entre la situation de précarité

des migrants et l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. On trouve des similitudes dans l’analyse que

Cyprien Avenel (2009) fait sur les habitants de banlieues défavorisées :

« Les individus se représentent comme des acteurs de la société de consommation, même et peut-

être surtout quand ils sont soumis à des formes de rejet […] ils ont les pieds dans la précarité

économique et la tête dans l’univers culturel des classes moyennes »84

.

Pour les migrants, arriver au refuge avec des aliments achetés à l’extérieur est le signe d’un

pouvoir économique. La viande est un des aliments les moins servi à la casa. Les migrants qui

ont plus de ressources économiques achètent du poulet rôti et du coca-cola et le mangent au lieu

de la nourriture du refuge. Cela est une stratégie qui leur donne un statut par rapport aux autres

migrants qui mangent les repas servis au refuge.

Un deuxième problème de précarité lié au surpeuplement est celui des logements. Des tensions

liées à cet aspect se créent facilement au sein de l’auberge. La précarité des ressources des

migrants contribue à ce qu’ils s’approprient le peu d’espaces qui sont à leur disposition. Par

conséquent, les conflits territoriaux sont très fréquents. Notamment, pour les femmes qui ont plus

de possibilités que les hommes de s’approprier leurs dortoirs :

« Existe-t-il des tensions entre les femmes ?

Oui, au moins avec quelques-unes, parfois elles ne veulent pas qu’on leur parle. Il y a des femmes

qui ne veulent pas établir des rapports avec les autres. En plus, on doit faire attention de ne pas

toucher leurs affaires parce que sinon elles s’énervent.

Elles s’énervent si vous touchez leurs affaires ?

Oui, c’est normal, il faut respecter ce qui est à elles, on ne peut pas prendre leurs petits sacs par

exemple. Il faut respecter la personne et ce qui est à elle » Amelia, hondurienne.

Le logement est spécialement problématique car il n’y a pas assez de dortoirs ou de chambres

plus adaptés aux besoins des migrants. Le cas d’Ingrid le montre clairement. Elle était au refuge

avec son bébé et son fils de douze ans qui dormait avec elle dans le dortoir des femmes. Après

certaines plaintes portant sur la présence de l’adolescent dans le dortoir des femmes, les

84

Cyprien, AVENEL, « La construction du « problème des banlieues » entre ségrégation et stigmatisation », Journal

français de psychiatrie, vol. 34, no. 3, 2009, p.8.

Page 92: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

90

responsables ont souhaité transférer Hector, le fils d’Ingrid, dans le dortoir de mineurs non

accompagnés. Cette situation a poussé Ingrid à quitter le refuge :

« Ils voulaient m’isoler de mon fils à cause des règles de la casa. Ils ne voulaient pas m’enlever mon

autorité, mais ils voulaient l’éloigner de moi. Je ne pouvais pas aller le voir dans le dortoir,

comment j’aurais fait pour savoir s’il était endormi. Chez moi il peut dormir dans sa chambre. À la

casa s’il est malade, à qui va-t-il demander de l’aide ? Moi, je n’allais pas pouvoir voire si

quelqu’un voulait lui faire du mal, ou s’il allait acquérir un vice. Il était déjà en train de devenir plus

rebelle parce qu’il avait beaucoup de liberté » Ingrid, hondurienne.

D’autres difficultés liées au fait de partager son logement sont observables, comme par

exemple, devoir faire avec certaines odeurs désagréables. Goffman (1990) appelle cela, la peur

d’une contamination physique : « des faits déshonorants, habituellement tenus secrets, viennent à

la connaissance d’un nouveau public […] la forme la plus pénible de l’exposition du reclus a la

contamination est peut-être purement physique- comme la souillure et la salissure du corps »85

.

Certains migrants qui sont au refuge gèrent mieux cette contamination physique que d’autres,

cependant, la présence d’un malaise est notable dans leurs discours :

« Quand nous devons dormir dans le salon bleu c’est encore pire, car il y a des personnes qui puent

trop. Ils ne veulent pas prendre leur douche, en plus il fait une chaleur insupportable, nous sommes

enfermés là-bas. Moi, j’essaie qu’ils [les gardiens] me laissent dans l’autre dortoir. C’est ceux qui

sont le plus malin qui réussissent à rester dans le dortoir des hommes et les autres, ils vont dans le

salon bleu » Antonio, salvadorien, 22 ans.

Certaines causes de cette précarité ne sont pas directement dues au manque de ressources du

refuge mais sont la conséquence de problèmes liés à la région de Tabasco, comme les problèmes

d’approvisionnement en eau. Par exemple, il est arrivé une fois pendant mon séjour au refuge

qu’il n’y ait plus d’eau pendant plusieurs jours dans toute la ville de Tenosique. La Croix-Rouge

a dû alors ramener des réservoirs d’eau qu’il fallait rationnaliser. Le manque d’eau a représenté

un problème pour tous ceux qui habitaient au refuge, y compris les bénévoles. J’ai observé

beaucoup de disputes pour l’eau, notamment entre les femmes. Le seul bâtiment qui avait un

réservoir d’eau en fonctionnement était le dortoir des femmes. L’eau n’était néanmoins accessible

85

Erving GOFFMAN, « Asiles : études sur la condition sociale des malades mentaux et autres reclus », Paris : Ed.

Minuit, 1990, p. 68.

Page 93: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

91

que pour les femmes qui dormaient au rez-de-chaussée et pas pour celles du premier étage. Les

femmes ayant de l’eau ne voulaient pas la partager et certaines femmes en sont venues aux mains.

Une des stratégies des femmes migrantes qui se trouvent au refuge pour remédier au fait de

porter une identité précarisée est d’affirmer leurs dominations en cherchant à diriger et contrôler

les autres femmes afin de se créer une identité plus valorisante.

« C’est comment l’ambiance au dortoir de femmes ?

Il y a beaucoup de femmes très envieuses et qui posent beaucoup de problèmes. Ce sont des femmes

qui pensent qu’elles ont plus de droits que des autres, peut-être parce qu’elles sont là depuis plus

longtemps et alors ? On est tous la même peste. Elles veulent tout gouverner, se sentir supérieure

aux autres et nous faire sentir inférieur […] c’est comme si elles se sentaient les propriétaires du

refuge ou les chefs d’une entreprise » Ingrid, hondurienne.

Une autre manière pour les migrants de se valoriser est d’essayer de se différencier des autres

à travers l’argent. Ainsi, la jalousie par rapport aux biens matériels est très présente entre les

migrants :

« Les femmes n’aiment pas quand de bonnes choses arrivent aux autres par exemple si nous

recevons un transfert d’argent. Elles commencent à se montrer énervés contre la personne » Ingrid,

hondurienne.

La stratégie la plus efficace pour faire face à cette identité précarisée est d’être capable de

quitter le refuge pour s’installer dans le centre-ville de Tenosique en attendant la réponse de la

demande d’asile. Certains migrants obtiennent un soutien économique d’une association qui

travaille en collaboration avec le Haut-Commissariat pour les Réfugiés. Généralement ce sont les

femmes avec leurs enfants qui bénéficient de cette aide. Le fait d’habiter en dehors du refuge est

un signe de différenciation entre les migrants. Une barrière sépare les migrants qui bénéficient de

cette aide et qui se trouvent justes au-dessus de la précarité par rapport à ceux qui ont leurs nez

dedans 86

. Cependant, dans les faits, ce soutien économique ne suffit pas pour couvrir toutes les

dépenses des migrants et de leurs familles. Voyons le cas d’Ingrid :

« Maintenant que vous habitez dehors, vous avez un soutien financier du HCR ?

86

LAÉ, Jean-François et MURARD, Numa : « Le mendiant, le bandit et le bon travailleur » in Deux générations

dans la débine. Ethnographie d’une ville ouvrière, Paris, Bayard, 2012, pp. 81-117, p. 86.

Page 94: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

92

Oui, je suis allée au HCR et ils m’ont demandé mon récépissé que je n’avais pas encore parce que

COMAR ne l’avait pas encore, mais ils savaient que j’étais en train de faire une demande d’asile,

ainsi ils ont demandé l’information directement au COMAR. J’ai signé un document disant que le

HCR pouvait prendre mes informations du COMAR. Ils m’ont envoyé à l’association RED pour

que je prenne un autre rendez-vous […] ils m’ont donné le rendez-vous pour une semaine plus tard .

Pour qu’ils me donnassent l’aide financière, j’ai dû d’abord passer un entretien où ils m’ont

demandé pourquoi j’avais quitté mon pays, quelles avaient été les circonstances de mon départ, en

fait les mêmes informations que la COMAR demande.

Il est difficile d’obtenir cette aide, mais cela l’est un peu moins quand on est mère célibataire ou si

on a un membre de sa famille malade. Si vous venez avec votre mari et votre enfant ils vous diront

non, car vous et votre mari pouvez travailler. En revanche, une femme seule qui a un enfant malade

ayant besoin d’hospitalisation, là oui ils vous donnent l’aide. Ils vont aussi vous donner un bonus

pour l’école. Demain mon fils commence l’école.

L’aide financière que vous recevez suffit pour vous trois ?

Non ça ne suffit pas, apparemment avant ils donnaient plus, mais maintenant ils donnent beaucoup

moins. Ce n’est même pas assez pour passer le mois, et généralement il ne reste plus rien de l’aide

après deux semaines, après avoir payé le loyer, la nourriture. Je travaille à coté pour une femme, je

garde ses deux enfants, je fais à manger pour eux et pour moi aussi » Ingrid, hondurienne.

Malgré le fait que les migrants qui bénéficient de ce financement continuent à vivre dans la

précarité, la puissance symbolique d’habiter en dehors du refuge est vraiment forte. Ainsi un

samedi soir, lors de la soirée de danse, Ingrid la femme hondurienne qui venait de s’installer en

ville, arriva à l’auberge maquillée, coiffée et avec de nouveaux vêtements. Elle fut le centre

d’attention.

Des nouveaux profils précarisés ?

Le rejet des migrants face à leurs conditions de vie précaires montre leur rejet face à cet

élément de l’identité du « sujet-migrant ». Les migrants qui se trouvent au refuge ne se trouvaient

pas tous dans une extrême précarité avant de migrer. Une grande partie de ces migrants sont des

agriculteurs appartenant aux couches sociales les plus pauvres dans leurs pays d’origine, mais j’ai

connu de nombreuses personnes qui travaillaient dans d’autres secteurs comme le commerce, la

Page 95: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

93

restauration ou l’éducation. D’après moi, cette précarité est très difficile à gérer pour ceux qui

avaient une situation économique raisonnable avant de migrer. Andrea travaillait par exemple

pour un homme politique au Honduras. Même si elle affirma lors de notre entretien que son

salaire ne suffisait pas à couvrir toutes ses dépenses et celles de ses enfants, elle n’était pas non

plus dans une extrême précarité comme au refuge puisqu’elle avait à l’époque suffisamment de

moyens pour payer le loyer, l’électricité, et acheter à manger :

« J’ai travaillé dans un bureau avec un homme politique, c’est pour ça que je déteste les hommes

politiques, nationaux, libéraux, tous ceux-là. J’ai collé des affiches et toute leurs publicités dans les

quartiers […] Moi j’étais utile pour eux, mais cela n’était pas utile pour moi […] je gagnais trois

milles lempiras par moi, mais je devais commencer à huit heures pile le travail et je n’avais pas le

droit à des retards. Si j’avais de la chance, je quittais le travail aux alentours de 16h/ 17h, mais je

restais parfois jusque 20h […] trois milles lempiras c’est juste assez pour payer le loyer, l’énergie et

l’électricité et pour aller au supermarché, mais pour le reste ça ne suffit pas. En plus il faut donner

une partie de notre argent aux Maras. C’est-à-dire soit nous restons en zéros soit nous travaillons,

mais notre travail n’est pas reconnu, je ne recevais même pas le SMIC, et si on se plaignait, on était

viré » Andrea, hondurienne.

Juan travaillait lui comme officier de police, il affirma s’être fait voler sa motocyclette qui

valait plusieurs milliers de lempiras :

« La raison pour laquelle je suis en train de faire une demande d’asile c’est parce que j’ai été

victime de violence de la part d’un gang au Honduras. Ils m’ont volé ma moto qui valait quarante-

deux mille lempiras, plus mon portable et d’autres choses. Comme j'étais policier, je leur ai dit

avant de savoir [qu’ils faisaient partie de Maras] qu’ils allaient payer pour ce qu’ils m’ont fait »

Juan, hondurien.

Ces témoignages nous invitent à réfléchir aux nouvelles populations en migration. Comme le

mentionne Catherine Wihtol de Wenden (2010), nous assistons à un changement dans les profils

migratoires. Nous sommes passé d’observer des « travailleurs masculins, jeunes, ruraux et peu

qualifiés des années de croissance à des élites urbaines très qualifiées, des femmes, des mineurs

non accompagnés, des immigrés âgés, des demandeurs d’asile, des migrants pendulaires, des

étudiants, des touristes au long cours »87. Il me semble qu’il faudrait donc continuer à réfléchir à

87

Catherine WIHTOL DE WENDEN, La question migratoire au XXIe siècle. Migrants, réfugiés et relations

internationales. Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.),2010. p. 3.

Page 96: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

94

ces nouveaux profils de migrants et aux défis identitaires qui accompagnent leur entrée dans les

flux migratoires clandestins. Il me semble aussi qu’une lutte pour les droits de migrants pourrait

inclure aussi le droit au travail.

Partie III.

L’appropriation de l’identité du « sujet migrant » : un

moyen pour se reconstruire en tant que sujets autonomes

Dans cette partie, je me focalise sur l’appropriation que les migrants font de l’identité qui leurs

est assignée. Je soutiens que les migrants s’approprient de certains éléments de cette identité

comme une stratégie pour se (re)construire en tant que sujets autonomes possédant des identités

plus valorisantes. Je commence cette partie par montrer comment les migrants essayent

d’acquérir des identités plus valorisantes. Corinne Rostaing (2006) explique que dans les prisons,

« les détenus cherchent à retrouver la dignité, voire négocier des identités plus valorisantes »

qu’ils ont perdues. Cette quête détermine les relations entre les détenus et le personnel. Ainsi,

d’après Rostaing (2006), « le maintien ou la reconstruction d’une identité personnelle, toujours

menacée en prison, exige des stratégies particulières, que se jouent dans la relation à l’autre »88

.

Je trouve que cela est également observable au refuge dans les relations entre les migrants et les

bénévoles. Les migrants sont donc comme les détenus des prisons, dans une recherche constante

pour obtenir une identité personnelle plus valorisante.

Ensuite, je me focalise sur la manière dont les migrants s’approprient des éléments de

l’identité du « sujet-migrant » qu’ils utilisent comme stratégie pour construire leurs projets de

vie. Je me focalise sur la demande d’asile comme un moyen pour les migrants pour reconstruire

leur vie après avoir émigré. Les migrants apprennent à utiliser et à produire un récit sur soi

compatible avec ce qui est attendu d’eux pour le rendez-vous avec le Commissariat Mexicain

d’Aide au Réfugié. Néanmoins, je soutiens que la manière dont les migrants s’approprient de

cette identité est composé par des adaptations, des négociations et des ajustements. Ainsi, même

si les migrants se mettent dans le rôle du demandeur d’asile, leurs envies et aspirations

s’éloignent de l’image institutionnelle du réfugié.

88

Corinne ROSTAING « La compréhension sociologique de l'expérience carcérale » p. 6.

Page 97: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

95

Finalement, j’explore les manières dont les migrants reconstruisent leurs biographies à travers

leurs récits sur soi. Les migrants sont capables d’incorporer certains éléments de l’identité qu’ils

portent désormais en tant que migrants au refuge, cependant, ils font des choix sélectifs sur les

éléments à raconter ainsi que l’organisation de ces événements. Je soutiens qu’à travers leurs

récits, les migrants se redéfinissent en tant que sujets autonomes et émancipés. C’est à travers le

récit de leur histoire de vie que les migrants sont capables de s’enlever le poids d’appartenir à une

identité définie par le refuge migrant, les organisations internationales, les agents migratoires, etc.

Chapitre 1. Les stratégies employées pour se créer une identité valorisante au

refuge

I. Le statut de groupe vulnérable, moyen de se réconcilier avec son identité.

Le refuge est un espace où pour la première fois les LGBTI trouvent des avantages et un statut

à appartenir à cette communauté. Les migrants de la communauté LGBTI que j’ai interviewée

n’avaient jamais été traité avec dignité dans leur pays d’origine. Au contraire, ils ont dû quitter

leurs pays à cause des discriminations et des violences dans leur vie quotidienne.

Par exemple, Alfredo, guatémaltèque signale qu’il a subi la discrimination dans son ancien

emploi :

« Mon premier boulot était dans un McDonald’s mais c’était très dur parce que je devais prendre

dans mes bras des choses très lourdes et j’ai dû demander qu’ils me changeassent de tourne. À la

fin, ils m’ont licencié à cause des conduites peu masculines et inappropriés pour le restaurant »

Alfredo, guatémaltèque.

En arrivant au refuge les LGBTI obtiennent cependant un statut et des bénéfices, ils ont par

exemple leur propre dortoir et les couples ont le droit de dormir ensemble dans le même dortoir.

Ils vivent donc un séjour plus confortable et agréable que les hommes migrants. Voyons les

témoignages d’Alfredo, membre de la communauté LGBTI qui parle du fait d’avoir son propre

dortoir :

« Je suis très content, car la première nuit j’ai dormi dans le salon bleu (avec les hommes) et c’était

horrible. Je ne pouvais pas dormir, car cela sentait trop mauvais dans le salon. J’avais envie d’aller

me coucher dans le terrain tellement c’était insupportable. Cette première nuit, je ne suis pas resté

Page 98: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

96

dans le dortoir LGBTI, car le Frère n’était pas là. J’étais soulagé (après avoir changé de dortoir)

parce qu’en réalité c’est beaucoup plus confortable ici que pour le reste de la population » Alfredo,

guatémaltèque.

Les femmes ont également un statut particulier et des avantages qui leur permettent d’avoir

une meilleure qualité de vie que les hommes à l’auberge. Ce statut de groupe vulnérable est un

contre-pouvoir aux situations de violences auxquelles elles doivent faire face en dehors le refuge.

Nous pouvons prendre l’exemple des femmes victimes de violences sexuelles de la part des

organisations criminelles mais aussi des hommes migrants sur le chemin. La protection apportée

par le refuge du fait de la stricte interdiction de violences faites aux femmes leur permet de se

réapproprier une dignité qui est régulièrement mise à mal durant la migration. Les femmes ont

leur propre dortoir ce qui n’est pas le cas dans d’autres auberges au Mexique. Elles sont la seule

catégorie du refuge à avoir le droit de rester dans leur dortoir la journée. Amelia, une femme

hondurienne qui était à l’auberge pour la troisième fois explique que les femmes doivent rester

séparées des hommes pour des questions de sécurité :

« Comme femmes, nous ne pouvons pas rester avec tout le monde, les camarades migrants ne nous

respectent pas. Au moins on dort séparées, parfois on a peur, on se méfie des hommes. Je suis déjà

passé par des choses horribles, moi j’ai peur, s’il y a que des hommes je ne reste pas », Amelia,

hondurienne.

Les femmes peuvent ainsi essayer de se réconcilier avec leur identité. Tout cela nous montre

que le refuge n’est pas uniquement un espace où se définit l’identité du sujet migrant, mais un

espace où se jouent d’autres identités comme pour les LGBT ou les femmes. Les adolescents

utilisent aussi leur appartenance au groupe vulnérable « mineurs non accompagnés », afin de

trouver de bénéficies. Ils agissent comme des adultes, par exemple ils fument des cigarettes

devant les bénévoles et ils vont essayer d’acheter de l’alcool dans la ville de Tenosique, tout en

utilisant leur condition de mineurs pour ne se pas faire expulser du refuge.

II. Les événements culturels au refuge migrant : des espaces de valorisation des identités.

Le refuge organise de manière régulière des événements culturels au sein du refuge. Ces

événements culturels offrent des espaces pour que les migrants puissent montrer une identité plus

valorisante aux habitants de Tenosique. Par exemple, en août 2017, le refuge a organisé avec la

communauté migrante garifuna du Honduras un événement culturel, musical et gastronomique

Page 99: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

97

appelé Weibuguña. La communauté noire du Honduras, connu comme les garifunas, arrive de

plus en plus nombreuse au refuge, car ils fuitent la violence des Maras dans leur pays d’origine.

Certaines de ces familles se sont installées à Tenosique dans l’attente de la réponse à leur

demande d’asile. Ces communautés sont doublement stigmatisées dans la ville, car ils sont des

migrants centraméricains et aussi car ils sont noirs.

Le personnel du refuge a donc eu l’idée d’organiser un événement et inviter les habitants de

Tenosique, des hommes politiques de Tenosique et de l’état de Tabasco et les consuls du

Guatemala, du Salvador et du Honduras. Quelques jours avant l’événement, une famille garifuna

habitant au refuge s’est présenté à la fin de la messe animée par l’un des Frères franciscain et a

invité les habitants de Tenosique au refuge pour participer cet événement culturel où il y aurait

des spécialités culinaires de leur pays, de la musique traditionnelle et où ils pourraient danser la

punta.

Les responsables du refuge ont aidé à l’achat de cocos pour que les femmes puissent préparer

des repas traditionnels ainsi que l’achat de cuir pour que les hommes fabriquent des tambours.

Les bénévoles ont aidé à l’organisation de l’événement en faisant la décoration et en aidant à la

logistique.

Quel était l’enjeux de cet événement et pourquoi à la différence d’autres événements moins

réussis au refuge, cet événement a-t-il suscité un grand enthousiasme qui a amené à une

deuxième date du festival Weibuguña ? Tout d’abord, l’enjeu de ce festival était d’améliorer

l’image du refuge migrant auprès des habitants de Tenosique, et ensuite d’améliorer l’image de la

communauté garifuna désormais installée à Tenosique.

Ces deux éléments sont liés l’un à l’autre, car contribuer à la déstigmatisation de la

communauté garifuna sert aussi à donner une légitimité au refuge qui les accueille. Les garifunas

ont vu cet événement comme une opportunité de négocier une identité plus valorisante à

Tenosique. La médiatisation de l’événement a servi à ce que cette identité garifuna soit au cœur

des actions du refuge, ce qui pourra peut-être amener à une meilleure prise en charge de leurs

demandes d’asile par la Commission d’Aide pour les Réfugiés.

Page 100: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

98

Figure 24. Festival garifuna « Weibuguña ».

Source : La 72 Hogar-Refugio para Personas Migrantes, Facebook officiel.

Néanmoins, tous les événements culturels au refuge ne cherchent pas à revendiquer des

identités plus valorisantes aux yeux de migrants. Ces événements peuvent au contraire et sans que

cela soit intentionnel, être des moments qui vont réaffirmer leur condition de dominé. J’ai

observé que cela arrivait souvent lors d’événements ayant pour finalité de dénoncer à l’extérieur

du refuge les violations des droits des migrants. Le refuge organise par exemple depuis six ans

chaque année une pièce de théâtre sur le massacre des 72 migrants par les Zetas au Tamaulipas en

2010. Il s’agit d’une représentation théâtrale dans l’Église de Tenosique où des migrants jouent le

rôle des Zetas et d’autres migrants le rôle des migrants ayant été assassinés. Les responsables

avaient déjà un script et les bénévoles devaient trouver les acteurs et les préparer pour la mise en

scène. Cette fois-ci, la pièce a eu lieu à l’extérieur de l’Église dans les rues du centre-ville de

Tenosique.

La préparation de la pièce de théâtre a présenté plusieurs difficultés dont la plus importante fut

que les migrants ne voulaient pas jouer le rôle des migrants mais celui des Zetas. Dans la pièce,

les Zetas kidnappent les migrants, leur bandent les yeux et les menacent de mort. Puis, les Zetas

appellent les familles de migrants pour demander une rançon. Ils leur demandent ensuite de

travailler pour eux, mais comme les migrants refusent, ils les assassinent. D’après James Scott

(2006), les dominés ne montrent pas d’enthousiasme pour les rites qui célèbrent leur infériorité,

au contraire, leur éventuelle participation dans ces événements est marquée par une attitude

Page 101: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

99

cynique et sceptique. À cause de cette attitude, l’équipe bénévole a dû pendant plusieurs jours

chercher des stratégies pour les convaincre de participer à mise en scène.

La principale stratégie était de sensibiliser et de faire prendre conscience aux migrants de

l’importance de jouer cette pièce devant la communauté de Tenosique. Pendant une semaine,

l’équipe de bénévoles a montré aux migrants des vidéos parlant du massacre, ils ont réalisé des

groupes de parole pour discuter de cet événement et le Frère responsable a répété lors de son

message de fin de journée l’importance de faire valoir les droits des migrants centraméricains.

L’équipe de bénévoles a finalement trouvé quelques acteurs pour la pièce, mais certains

bénévoles ont dû jouer le rôle des migrants. Le deuxième problème pour préparer cette pièce fut

la violence exercée par les migrants qui jouaient le rôle des Zetas.

Par exemple, au moment de kidnapper et de bander les yeux des autres migrants, les faux

Zetas blessaient des migrants, les poussaient et ils en profitaient pour toucher les femmes. Les

faux Zetas avaient fabriqué des armes avec du bois et il a fallu que l’équipe de bénévoles

confisque les armes, car ils les utilisaient en dehors des répétitions pour « jouer » voire menacer

les migrants du refuge. D’après moi, les identités des migrants étaient en jeu dans cette pièce de

théâtre. D’un côté, nous avions la vision du refuge qui cherchait à transmettre un message

puissant à la communauté de Tenosique sur l’exigibilité du respect des droits des migrants. De

l’autre côté, les migrants voyaient cette pièce comme une attaque à leur dignité, à leur identité

individuelle souvent menacée durant leurs

parcours migratoires.

Figure 25. Migrant qui joue le rôle d’un membre des « Zetas » avec une arme fabriquée en bois.

Source: www.rodrigocruz.com/portafolio.

Page 102: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

100

III. Montrer ses capacités de mobilité

Les migrants cherchent des opportunités pour montrer leur capacité de mobilité, ce qui leur

permet de montrer leur pouvoir et ainsi se valoriser. Certains migrants ont par exemple réussi à

transférer leur demande d’asile dans d’autres régions du pays, notamment la ville de Mexico. Un

jeune homme de la communauté LGBTI m’a annoncé un jour qu’il partait pour Mexico, car les

autorités avaient transféré sa demande d’asile. L’idée d’être dans une grande ville au lieu de

Tenosique est une réussite symbolique face aux autres migrants qui restent immobiles au refuge.

Ainsi les semaines après que ce migrant soit parti pour Mexico, plusieurs autres migrants

regardaient son Facebook et me montraient des photos de lui faisant du tourisme à Mexico. Un

jour une femme trans, C., qui regardait des photos d’une amie arrivée à Mexico, m’a regardé

tristement et m’a dit :  j’ai hâte que mes papiers soient prêts pour que j’aille moi aussi à Mexico.

D’après moi, ce qui est intéressant dans ces exemples est la manière dont les migrants

conçoivent la mobilité. Même si les migrants sont empêchés dans leur mobilité par les autorités

mexicaines, ils trouvent des moyens pour se déplacer. Cet exemple du transfert de dossier de

demande d’asile à Mexico montre que les migrants sont en quête d’une identité plus valorisante,

à travers l’accès à des villes plus valorisées. Ils négocient ainsi avec une identité qui est

largement marquée par les difficultés de mobilité et certains trouvent les moyens pour obtenir

cette valorisation. D’après moi, en s’affirmant comme des sujets qui voyagent par le monde, tel

que le font les personnes qui ont des autorisations pour voyager, les migrants cherchent à se

soustraire de l’identité déterminée par les autorités.

En plus du transfert de leur demande d’asile, j’ai également observé que les migrants répètent

de manière régulière qu’ils vont bientôt quitter le refuge, ya casi me voy même si cela n’est pas

toujours vrai. D’après moi, le fait de montrer qu’ils ont la possibilité de quitter le refuge quand ils

le souhaitent est aussi un mécanisme pour faire face à leur temps d’attente, en montrant aux

autres et à eux-mêmes que cela se terminera bientôt. À travers cette stratégie, nous pouvons

observer que les migrants ne se voient pas simplement comme des clandestins, mais comme des

individus « normaux » qui voyagent dans différents pays.

Les migrants cherchent à montrer qu’ils ont les moyens financiers mais aussi le réseau

nécessaire pour être en mesure de voyager. Un homme m’a raconté qu’il allait voyager par avion

parce qu’il allait recevoir une fausse carte d’identité. Il m’a dit avoir payé neuf mille dollars au

Page 103: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

101

passeur et qu’il allait bientôt prendre un avion de Cancún jusqu’à la frontière avec les États-Unis.

Cette capacité de mobilité dépend largement des ressources des migrants, de leurs réseaux et de

leurs contacts avec les différents acteurs de la migration, tels que les passeurs. Dans le cas de

l’homme qui allait prendre l’avion il connaissait déjà le passeur, car c’est celui qui avait aider son

frère à rentrer aux États-Unis. La plupart des migrants ont moins de ressources économiques ainsi

qu’un réseau moins important. Ils ont du mal à tolérer les migrants qui aiment démontrer avoir

les capacités de rentrer aux États-Unis.

Antonio, un homme salvadorien qui migre pour la première fois, est un exemple d’un migrant

qui n’a pas beaucoup d’économies ni le réseau pour se rendre facilement aux États-Unis. Ainsi,

lors de notre entretien, il m’expliqua qu’il ne s’entendait pas avec les hommes qui faisaient la

démonstration de leurs moyens :

« Il y a des groupes avec lesquels on ne s’entend pas trop. Il y a certains gars qui sont très

prétentieux, mon père m’aide, moi je vais aux États-Unis quand je veux. Il y a quelque chose en eux

que je n’aime pas » Antonio, 22 ans, salvadorien.

Il y a également une différence de point de vue entre les migrants cherchant à obtenir une

identité plus valorisante à travers leur discours sur leur capacité de mobilité, et le personnel du

refuge avec une vision lié à l’identité du « sujet migrant » tel que vu par l’institution. Voyons

l’exemple de Fernando, un bénévole qui accompagne les migrants dans leur demande d’asile. Il

essaye de montrer aux migrants où ils sont localisés géographiquement, pour les faire réfléchir au

peu de distance qu’ils ont vraiment parcourue et au trajet restant à accomplir.

« J’ai l’impression que l’environnement de La 72 est propice à que les personnes restent pendant

une période plus longue que ce que l’on voit habituellement dans d’autres refuges. Ici, les migrants

ne restent pas 48 heures, ou 72 heures comme c’est souvent le cas, mais ils restent une semaine ou

deux ou une vingtaine de jours. Ils en profitent pour travailler un peu et faire des économies, ils

attendent de recevoir de l’argent de leur famille. Mais ils attendent aussi de retrouver du courage

pour continuer […] Je leur demande toujours vous êtes où ? Et ils commencent à se localiser sur la

carte, ils sont à 58 km, de la frontière [Sud] et ils sont déjà passés par un enfer. La frontière [au

nord] la plus proche est à Reynosa ou Matamoros à environ 1300 ou 1500 km. S’ils vont en

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102

direction de Mexicali, c’est encore beaucoup plus »89

Fernando, bénévole accompagnateur demande

d’asile.

Si des divergences existent entre l’image du « sujet migrant » vu par le refuge et l’image que

les migrants ont d’eux-mêmes, ce n’est pas uniquement le personnel du refuge qui rappelle la

réalité aux migrants, même les migrants qui cherchent à montrer leur capacité de mobilité doivent

reconnaître à un moment leurs limites :

« Ça me fait sentir très mal, les jours passent, les heures passent, les minutes passent et toutes les

minutes c’est la même chose, je suis toujours loin de ma destination. Nous sommes seulement à 763

kilomètres de mon pays et il me reste 3879 kilomètres à parcourir. Je réfléchis beaucoup à ça. Je

n’ai même pas fait un quart du chemin, il m’en reste beaucoup » Antonio, salvadorien, 22 ans.

À travers ces exemples de la démonstration de leur capacité de mobilité, nous observons que

les migrants sont dans une négociation constante avec l’identité du « sujet-migrant » qui leur est

assignée. Cette négociation se passe avec les bénévoles qui agissent comme le bras institutionnel,

mais les migrants sont également dans cette négociation identitaire avec eux-mêmes. D’après

moi, s’il y a des négociations c’est parce qu’il y a un décalage entre l’identité du « sujet-migrant »

construite par l’institution et la vision que les migrants ont d’eux-mêmes.

89

Entretien conduit avec Fernando.

Page 105: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

103

Figure 26. Migrant regardant la carte du Mexique et le chemin aux États-Unis,

Source : « La 72 : Hogar-Refugio para Personas Migrantes, instagram.

IV. La recherche d’une identité masculine

Les migrants qui arrivent au refuge sont généralement déshydratés et affamés. Certains d’entre

eux souffrent d’angoisses et de stress liés aux agressions subies en chemin. Certains migrants ont

peur de se faire expulser dans leur pays d’origine, car ils se sont fait menacer par les Maras.

Malgré toutes ces difficultés et ces souffrances, les hommes migrants qui arrivent au refuge ne

peuvent pas s’empêcher de flirter avec les femmes bénévoles et cela dès leur arrivé. Les hommes

migrants sont largement privés de leur masculinité dans cette migration, car ils sont soumis aux

agressions des organisations criminelles et des délinquants locaux. Face à cette situation, les

migrants entrevoient la possibilité d’être victime d’un vol, d’une agression ou même d’un viol,

comme le montre le témoignage de William:

« Je vais te dire une chose, c’est la peur qui nous rend fort […] les migrants, c’est comme ça la vie

du migrant. On doit s’accrocher et se focaliser et se dire à soi-même, non je n’ai pas peur. Par

exemple quand je monte dans le train, je marche avec cet état d’esprit plutôt que de penser que je

vais me faire violer, que je vais me faire tuer ou voler […]

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104

Quand je voyage, je prends mon sac à dos avec moi et si par exemple six mecs viennent et me

disent, c’est un assaut, je leur réponds prenez tout ce qu’il y a dans le sac à dos, si vous l’aimez

prenez-le, c’est comme ça que je pense. Cependant, tout le monde n’a pas cette mentalité, beaucoup

d’entre nous par exemple s’ils se font voler de l’argent ne vont pas dire qu’ils ont encore de l’argent

caché dans leurs poches […] mais si les voleurs voient que tu as encore de l’argent dans tes poches

et tu ne leur as pas donné, alors ils te menacent. Bref, si tu as d’argent il faut le donner, l’argent est

matériel tu peux toujours gagner plus, mais la vie on en a qu’une » William, hondurien.

Je considère que le témoignage de William montre bien que les migrants et dans ce cas, les

hommes, doivent faire avec l’aspect violent de cette migration, et négocier avec leur identité

masculine en acceptant d’être dans une position de vulnérabilité. Dans ce contexte, une fois que

les hommes migrants arrivent au refuge, ils essayent de négocier une identité plus valorisante, de

regagner leur masculinité, notamment en séduisant les femmes bénévoles. Prenons l’exemple des

interactions entre les hommes migrants et les femmes bénévoles à l’infirmerie. D’après moi cet

espace illustre le mieux cette recherche d’une identité masculine. Les migrants arrivent à

l’infirmerie avec leurs pieds blessés et les bénévoles prennent soin de leurs ampoules. Les

bénévoles (hommes et femmes) mettent des gants et nettoient les pieds des migrants, appliquent

une crème soignante et bandent les pieds. Alors que les hommes bénévoles n’ont jamais reporté

d’anomalies pendant qu’ils réalisaient cette activité, ceci ne fut pas le cas des femmes bénévoles.

Les migrants ont généralement deux types de réactions : soit ils flirtent avec la bénévole et posent

des questions personnelles comme êtes-vous mariée ? Ou font des commentaires comme je ne

suis pas si bien pris en charge chez moi. Ou, soit les hommes se mettent à pleurer.

D’après moi, tenter de séduire la femme bénévole est une manière de ne plus être dominé mais

de contrôler la bénévole à travers le charme et la séduction. Cette situation présente deux types de

rapports : celui entre le bénévole et le migrant et celui entre un homme et une femme. Le flirt des

hommes est aussi une stratégie pour tenter de sortir de leur situation de migrant car ils pourraient

éventuellement régulariser leur situation. Les migrants essayent donc d’accrocher les femmes

bénévoles et de les faire tomber amoureuses d’eux en se mettant dans le rôle du migrant

vulnérable.

Lors de ma première semaine au refuge, un migrant m’a raconté qu’il était en route vers les

États-Unis et qu’il avait peur. Il m’a demandé ce que je pensais qu’il devrait faire. Ensuite, il m’a

expliqué que les migrants qui voyagent au-dessus du train doivent descendre des wagons avant

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105

d’arriver à Mexico. Il me raconta que là-bas les Zetas leur donnent un sac à dos avec de la

drogue. Les migrants marchent à travers les montagnes pendant la nuit pour échapper aux agents

migratoires. Ils traversent la frontière avec les États-Unis et une fois dans le pays, les trafiquants

les ramènent directement à leur destination. Le risque est de se faire attraper par la police et de

passer trois ans de prison aux États-Unis pour possession de drogues. Puis, il m’expliqua que les

Zetas proposaient parfois de les rejoindre et que si c’était le cas il considérerait l’option. Plus je

me montrais angoissé en écoutant son récit, plus il en rajoutait. Puis il me montra des hommes

qui se trouvaient sur le terrain et me dit regardes-les, ils vont tous chercher ce sac à dos. Il

continua et me dit : Les Zetas t’obligent à tuer quand tu travailles pour eux. Il termina

finalement son récit en me disant si je trouvais une femme ici peut-être que je resterais, peut-être

je ne travaillerais pas pour les Zetas.

Les hommes migrants sont très bons pour accrocher les femmes. Ils cherchent des femmes

mexicaines, américaines ou d’une autre nationalité et essayent de les rendre amoureuses. Le récit

de cet homme qu’il soit vrai ou faux avait pour objectif de provoquer des impressions, de

manipuler derrière le masque du migrant vulnérable.

Les femmes bénévoles ont leurs stratégies pour répondre aux séductions des hommes

migrants. Elles se servent de la première règle du refuge qui est l’interdiction de violences

(physique, psychologique et verbale) faites aux femmes. Elles rappellent aux hommes migrants

qu’ils sont susceptibles de se faire expulser s’ils ne respectent pas cette règle. Confrontés à cette

réalité, les hommes finissent par s’excuser auprès des femmes et, par conséquent, reprennent une

attitude de respect face aux femmes bénévoles. Nous pourrions donc affirmer que d’une certaine

manière, les rapports de genre sont négociés au refuge. Le cadre créé dans ce territoire de

l’attente permet aux femmes bénévoles de renégocier des identités plus valorisantes, d’affirmer

leur droit au respect. Toutefois, cet espace de négociation identitaire s’arrête aux limites du

refuge migrant, car à l’extérieur, les femmes ne se trouvent plus dans un univers contrôlé.

Leonardo, un migrant salvadorien qui est au refuge depuis trois ans explique qu’il se méfie

des migrants qu’y habitent, car ils se comportent différemment à l’extérieur du refuge où ils ne

sont plus soumis aux règles, qu’ils ne le font pas à l’intérieur.

« On ne peut pas faire confiance aux gens, car ils agissent ici d’une manière différente dans laquelle

ils le feraient à l’extérieur. Là-bas (dehors), ils se montrent comme ils sont vraiment, ici dans le

Page 108: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

106

refuge ils savent qu’ils ne peuvent rien faire, mais si on les croise à l’extérieur ils commencent à te

dire quoi de neuf mec ? Moi, quand je sors je me fais suivre tout le temps et je demande à Dieu de

me protéger et que rien ne m’arrive […] » Leonardo, 33 ans, salvadorien.

Pendant mon séjour au refuge migrant, j’ai eu la même sensation que celle expliquée par

Leonardo. Par exemple, un jour après avoir écouté un homme migrant faire un commentaire sur

moi, je me suis approchée pour me confronter à lui, lui rappeler les règles du refuge et le menacer

d’une possible expulsion. Après la confrontation, j’ai réfléchi à la situation car j’avais vu que

l’homme portait des tatouages liés aux Maras. Je ne peux pas affirmer qu’il exerçait son activité à

Tenosique, toutefois, j’ai eu la même peur que Leonardo. Si l’homme exerçait une activité

criminelle, ne pourrait pas-il me suivre en dehors du refuge et me faire du mal ? D’après moi,

cette sensation existe, car les règles créées par le refuge fonctionnent tant que nous restons dans

les limites de l’univers du refuge, mais plus à l’extérieur.

La conscience de l’existence d’une vie hors du refuge est tellement présente chez les migrants

que dans les rapports de force existants avec le personnel, les migrants préfèrent se soutenir entre

eux plutôt que de céder aux règles du refuge. Voyons un exemple avec ce qui se passa une nuit au

refuge. Cette nuit-là, les gardiens avaient installé des matelas dans la salle à manger pour les

hommes qui n’avaient pas eu de place dans le dortoir. Des femmes bénévoles se déplaçaient dans

le refuge pour gérer une situation d’angoisse d’une femme migrante. Lorsqu’une bénévole passa

devant la salle à manger, un sifflement se fit entendre. Puis, de nouveaux des sifflements lorsque

deux autres bénévoles passèrent à leurs tours. Les bénévoles décidèrent de chercher le

responsable du refuge Frère Tomas qui demanda alors au responsable de se dénoncer et de quitter

le refuge. Confrontés à l’autorité et aux représailles, les migrants préfèrent ce soir-là être tous

expulsés plutôt que de signaler le coupable. Ceci peut s’expliquer par le fait que les migrants

avaient peur des représailles une foi sortie du refuge. En choisissant de se protéger entre eux

plutôt que de céder à l’autorité, environ trente migrants se firent expulser cette nuit-là.

Séduire les femmes bénévoles est donc une des stratégies employées par les migrants pour

négocier des identités plus valorisantes. La réponse des femmes bénévoles est aussi une manière

pour elles de négocier avec leur propre identité de femmes. Lors de mon séjour au refuge, les

tensions étaient très présentes entre ces deux groupes, surtout au moment où toute l’équipe de

bénévoles était des femmes. Ces tensions nous invitent à réfléchir aux rapports de genre au

refuge.

Page 109: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

107

Chapitre 2. La demande d’asile : un moyen pour reconstruire son projet de vie

I. La demande d’asile, une démarche compliquée

J’avais montré dans la première partie que, dans une grande majorité, les migrants qui arrivent

à la casa ne connaissent pas ce qu’est l’asile. J’avais aussi montré que l’auberge a créé avec le

soutien des ONG internationales tout un dispositif institutionnel pour faciliter aux migrants

l’accès à leurs droits. Le refuge migrant joue ainsi le rôle d’intermédiaire entre les migrants et

l’appareil institutionnel du droit d’asile. Les migrants assistent du lundi au samedi à une session

d’information sur les droits de l’Homme au refuge. Ces sessions hebdomadaires sont dirigées le

lundi par le HCR et les autres jours par les bénévoles accompagnateurs du refuge.

Pendant ces sessions, les salariés du HCR utilisent un langage technique qui n’est pas toujours

compris par les migrants, les migrants ne sont également pas toujours attentifs durant ces

sessions. Les bénévoles accompagnateurs utilisent eux un langage plus accessible. Dans tous les

cas, les migrants comprennent les informations les plus importantes : la peur de retourner dans le

pays, le récépissé pendant le temps d’attente et le permis de travail provisoire. Voyons comment

un migrant qui arrive au refuge devient demandeur d’asile :

« Quand je suis arrivé à la casa, je ne savais pas qu’ici au Mexique il y avait la possibilité de

demander l’asile quand on a fui son pays à cause de problèmes. Cependant ici, ils m’ont expliqué

qu’il y avait cette possibilité de demander l’asile ou le visa humanitaire, moi je suis plutôt intéressé

par l’asile. Je suis sorti de mon pays, mais je n’avais pas l’intention d’être loin de ma famille. Donc,

je ne suis pas sorti avec l’intention d’aller aux États-Unis parce je ne connais personne là-bas qui

pourrait m’accueillir » Juan, hondurien.

À la fin des sessions d’information, les migrants intéressés pour discuter avec les avocats de

l’ONG Asylum Access ou avec les bénévoles accompagnateurs s’inscrivent sur une liste. Ils

doivent alors patienter plusieurs heures voire quelques jours avant de parler avec un des

responsables. Les migrants qui sont acceptés pour recevoir un accompagnement de la casa

pendant leur démarche doivent s’installer au refuge. Les migrants assument volontairement

l’identité du « sujet-migrant » afin de bénéficier de ce soutien institutionnel.

Page 110: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

108

Le rendez-vous avec les autorités compétentes, au Mexique le Commissariat Mexicain d’Aide

aux Réfugiés (COMAR), est pour les migrants « le seul moment où la parole leur est donnée »90

.

À la fin de l’entretien avec le COMAR, le migrant sera soit « reconnu comme réfugié et pourra à

ce titre ouvrir ses droits et bénéficier d’une protection juridique », ou soit il sera « débouté et

contraint à affronter l’avenir avec beaucoup d’incertitudes »91

. Cette prise de parole doit être

modelée à l’image du « sujet-migrant ». C’est pour cela que le refuge organise des ateliers pour

les demandeurs d’asile. Ces ateliers ont pour objectif de les aider à mieux répondre aux questions

durant leur entretien. Les migrants doivent savoir expliquer d’une manière cohérente pourquoi ils

fuient la violence et ils doivent également être capables de justifier pourquoi ils méritent de

recevoir le statut de réfugié :

« C’est très pénible, il faut raconter son histoire, il faut aller voir le psychologue et il faut voir la

personne de l’assistance humanitaire. Ils doivent remplir un formulaire de seize pages où ils

racontent de manière détaillée leurs histoires et ils doivent donner beaucoup d’informations

personnelles : quel est ta famille ? où as-tu vécu ces dix dernières années ? quels pays as-tu

traversés ? as-tu un casier judiciaire ? As-tu déjà fait partie de l’armée ? combien de fois as-tu été

expulsé du Mexique ? Imagine une personne qui doit faire une démarche légale de ce genre […] Le

COMAR ne demande pas forcement de preuves, mais ils mesurent ta crédibilité et ils le font sur la

base de trois paramètres : le récit doit être cohérent, c’est-à-dire qu’il y a un départ et une fin, et ils

doivent montrer une raison pour laquelle ils ont quitté leurs pays » Fernando, bénévole

accompagnateur pour la demande d’asile.

Les autorités mexicaines jouent un rôle négatif pour les migrants dans leurs démarches de

demande d’asile. Certaines institutions telles que l’Institut National de Migration sont contre les

demandeurs. D’autres institutions telles que le COMAR ont un rôle ambivalent, car l’institution

travaille avec un système de quotas, ce qui fait que les places pour les demandes d’asiles sont

limitées :

« Les autorités ne nous laissent pas faire notre travail, l’Institut National de Migration est contre

nous, le COMAR joue son rôle, ils disent quelles demandes sont recevables. Mais cela ils ne le

disent pas ouvertement, car ils ont un système de quotas. Chaque demandeur d’asile est en

concurrence avec des centaines de demandes de personnes d’autres pays. Les demandes des

Centraméricains sont actuellement rejetées, car il y a les Haïtiens et même eux commencent à voir

90

Arsène, BOLOUVI, « Migration « clandestine » et recherche biographique : le récit de … », p.6. 91

Ídem.

Page 111: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

109

leurs demandes rejetées, car il y a les Cubains qui avant ne voulaient pas demander l’asile au

Mexique, mais qui le font maintenant avec la nouvelle situation aux États-Unis » Fernando,

bénévole accompagnateur dans la demande d’asile » Fernando, bénévole accompagnateur dans la

demande d’asile.

La demande d’asile est également compliquée pour d’autres raisons. Les migrants sont

dépassés par le langage juridique qu’il faut employer. Fernando, le bénévole accompagnateur,

signale que le faible niveau éducatif rend la démarche difficile pour les migrants :

« Ils n’ont pas suffisamment d’éducation pour comprendre ce qui est écrit dans le formulaire,

beaucoup d’entre eux ne savent pas écrire et je les vois avec la main qui tremble et en larmes de

frustration parce que c’est un processus qui les dépasse. Il faut leur tenir la main et leur dire ça va

aller » Fernando, bénévole accompagnateur pour la demande d’asile.

Comme nous le voyons, la demande d’asile n’est pas exempte de difficultés pour les migrants

qui n’ont pas les compétences linguistiques nécessaires pour faire la démarche. D’ailleurs, le

processus est long et difficile pour ceux qui restent au refuge en attendant la réponse. Les

migrants abandonnent souvent leurs demandes soit parce qu’ils ont vu beaucoup de demandes

rejetées, soit parce que le temps d’attente devient insupportable. D’après le rapport officiel de

« La 72 », 34% des demandes d’asile ont été abandonnées par les migrants en 2016. Ils attribuent

cet abandon à divers facteurs comme :

« [L]e harcèlement de la part des autorités mexicaines pour qu’ils arrêtent leurs demandes et

retournent dans leurs pays, le nombre de demandes qui ne sont même pas traitées, les faibles opportunités

d’emploi à Tenosique ainsi que la discrimination et l’exploitation des patrons qui embauchent »92

.

Le rejet de la demande d’asile est très souvent l’issue. En 2016, « La 72 » a suivi 752 cas de

demandes d’asile dont uniquement 166 ont été approuvées, c’est-à-dire 23%. L’anxiété par

rapport à la réponse à la demande est donc toujours présente. Toutefois, face à cette incertitude,

les migrants ne restent pas passifs :

« J’ai le plan A et le plan B. Le premier, si la réponse est favorable je cherche un bon département

ici au Mexique pour aller travailler. Le plan B, en cas de refus est de partir aux États-Unis, car je ne

peux pas rentrer dans mon pays.

92

LA 72 HOGAR-REFUGIO PARA PERSONAS MIGRANTES, “En los límites de la frontera, quebrando los

límites: situación de los derechos humanos de las personas migrantes …” op.cit., p.27

Page 112: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

110

Depuis quand as-tu cette deuxième option ?

Depuis que j’ai vu que beaucoup de mes camarades recevaient une réponse négative. Si la réponse

est négative je ne vais pas rester les bras croisés. Je ne vais pas non plus déposer un appel, car je

devrais alors rester ici encore plus, ce que je trouve compliqué. Bref, c’est ça mon plan alternatif :

monter dans le train et partir vers le nord » Juan, hondurien.

Le témoignage de Juan nous montre que même si les migrants suivent le processus de

demande d’asile et apprennent à raconter les événements de la manière demandée par les

autorités mexicaines, cela ne veut pas dire qu’ils assument le rôle de « sujet-migrant » dans sa

totalité. Si la réponse est négative, les migrants sont prêts à quitter le refuge et sortir de l’identité

du sujet à protéger du sujet de droit. La clandestinité est ainsi leur seule alternative. Nous voyons

que les migrants sont capables de mettre de la distance par rapport à ce que le refuge et les autres

institutions sont en mesure de leur proposer. C’est cet espace vide entre l’institution et la vision

du migrant qui m’intéresse. Cela atteste d’un décalage entre la catégorie identitaire construite sur

les migrants et la vision que ceux-ci ont d’eux même.

Un autre exemple sont les attentes et les projets formulés autour de la demande d’asile. J’ai

observé lors de mon terrain de recherche que les migrants ont leurs propres intérêts en ce qui

concerne l’asile, ils ne sont pas uniquement les bénéficiaires du système de protection

internationale. Je trouve qu’il existe un décalage entre les motivations et aspirations des migrants

et la posture de demandeur d’asile dans laquelle ils doivent entrer. Je présente à continuation la

manière dont les migrants conçoivent la demande d’asile comme une stratégie pour aboutir dans

leurs projets.

Page 113: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

111

Figure 27. Qu’est-ce qu’est un réfugié ?

Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

II. La demande d’asile, une stratégie pour les migrants ?

Les migrants ont des difficultés pour traverser le Mexique à cause des contrôles migratoires

qui les poussent à prendre des routes clandestines où ils sont victimes des organisations

criminelles. La peur de se faire arrêter par les agents migratoires et la violence de la part des

organisations criminelles sont des facteurs qui motivent les migrants à faire une demande d’asile.

La possibilité d’avoir des papiers leur permettant de résider légalement au Mexique est attirante.

Cependant une grande partie des migrants ne souhaitent pas s’installer au Mexique, mais

poursuivre leur parcours vers les États-Unis :

Page 114: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

112

« Comment est-ce que je peux faire pour continuer mon voyage sans me faire kidnapper,

cambrioler ou sans être obligé de monter sur un train ? Donnez-moi un papier pour que je puisse

prendre un bus. Quatre-vingt-dix pour cent des migrants sont intéressés pour des papiers qui leur

permettraient de continuer à voyager. Ils voient la demande d’asile comme une opportunité de

voyager librement, mais quand ils comprennent que ce n’est pas la bonne démarche si ce qu’ils

souhaitent est d’arriver aux États-Unis, alors la plupart ne commencent pas la démarche.

Je suis obligé de leur dire que si ce papier existait les personnes ne seraient pas obligées de monter

dans ce train : ce que vous me demandez c’est un permis pour transiter librement par le Mexique

pour arriver aux États-Unis, mais ce permis n’existe pas », Fernando, bénévole accompagnateur

dans la demande d’asile.

Figure 28. Qu’est-ce qu’est un réfugié ?

Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

Nous voyons cependant que faire une demande d’asile ne leur permet pas de transiter

librement par le Mexique, car ils doivent rester dans la région où ils ont commencé leur

démarche93

. Ils doivent se présenter chaque semaine pour signer une liste aux bureaux de

l’Institut National de Migration ce qui les empêche de rester loin de Tenosique. La durée

d’attente pour la réponse est aussi un facteur qui décourage les migrants qui veulent arriver aux

États-Unis rapidement. Ainsi, une partie des migrants qui sont au refuge et qui se montrent

intéressés pour faire la demande décident finalement de ne pas le faire après avoir été informés de

ces conditions.

93

Si les migrants quittent le département où ils ont fait la demande d’asile ils sont en risque de se faire arrêter et

renvoyer dans leurs pays par les agents migratoires des autres départements.

Page 115: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

113

Certains migrants décident, néanmoins, de commencer la demande d’asile et d’attendre la

réponse. Quels avantages ont-ils à faire cette démarche ? D’abord, pour ceux qui ont quitté leurs

pays à cause de la violence, le fait que le statut de réfugié soit garanti pendant l’attente de la

réponse est un avantage. Pendant qu’ils attendent la réponse à leur demande, ils peuvent rester

loin de leurs pays où ils sont menacés. Voyons le témoignage de Juan qui fait la séparation entre

les migrants en transit qui veulent arriver aux États-Unis et les demandeurs d’asile, ceux qui

restent au refuge pour un long moment en attendant une réponse :

« Si nous sommes là depuis plus d’un mois cela signifie que nous sommes en train de faire un effort

parce que nous avons besoin de l’asile. Nous avons besoin du statut de réfugié parce que bien sûr il

y a des personnes qui sont uniquement intéressées pour arriver aux États-Unis […] Mais ça n’est

pas ma situation et je pense que nous sommes beaucoup qui ne voulons pas partir ailleurs, nous

voulons seulement être réfugiés » Juan, hondurien.

Cependant, la séparation entre les migrants en transit et les demandeurs d’asile n’est pas

toujours aussi simple que l’explique Juan. Il arrive que des migrants qui fuient la violence dans

leur pays et ne peuvent pas y retourner décident de monter dans un train et de quitter le refuge.

Cela peut s’expliquer pour plusieurs causes : ils préfèrent arriver de manière clandestine aux

États-Unis, ils préfèrent faire une demande dans une autre partie du Mexique comme Mexico94

,

ou ils décident de faire une demande d’asile directement aux États-Unis.

Les destinations que les migrants choisissent pour commencer la démarche ne sont donc pas

toujours les mêmes. Le fait que les migrants choisissent de continuer leurs parcours vers les

États-Unis où de faire une demande d’asile au refuge ou ailleurs sont des exemples qui nous

montrent que les migrants ne sont pas membres d’un collectif ayant les mêmes motivations et

aspirations. Leurs aspirations en cas de réponse positive ne sont pas toujours les mêmes non plus.

Par exemple, les migrants ne sont en réalité pas tous intéressés de rester au Mexique même si le

statut de réfugié leurs est donné. Certains d’entre eux veulent continuer leurs parcours et entrer

aux États-Unis. Intéressons-nous par exemple à ce qu’Andrea affirme par rapport au résultat de sa

demande :

94

Certains migrants affirment qu’à Mexico le temps d’attente de réponse est plus court qu’à Tenosique. D’autres

migrants privilégient faire la demande à Mexico car ils ont plus de possibilités de trouver un emploi. Finalement,

certains migrants ont peur de rester au sud-est du Mexique car ils sont encore relativement proche de leurs pays

d’origine et de leurs agresseurs.

Page 116: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

114

« Si la réponse est positive je travaillerai ici (au Mexique) et peut-être un jour j’irais aux États-

Unis », Amelia, hondurienne.

Je trouve ce décalage entre la fonction de l’appareil institutionnel et les aspirations des

migrants, particulièrement important en ce qui concerne l’asile. Par exemple, le HCR n’autorise

pas les demandeurs d’asile à choisir un lieu d’asile à leur convenance. Le HCR limite le degré de

décision des migrants par rapport au pays où ils peuvent s’installer :

« D’après le HCR, les gens ont le droit de chercher refuge, mais ils n’ont pas le droit de choisir un

lieu d’asile à leur convenance. Ce n’est pas aux requérants de décider comment seront réparties les

charges résultant de l’octroi de l’asile. Les réfugiés sont censés demander l’asile dans le premier

pays sûr où ils arrivent »95

.

Les aspirations des migrants qui décident de partir aux États-Unis même après l’obtention de

l’asile sont un parfait exemple qui montre que dans les faits, les migrants gardent leurs

autonomies sur les choix concernant leurs avenirs. L’aspiration de partir un jour États-Unis se

maintient parmi les migrants, car ils voient ce pays comme une bonne option économique. Par

exemple, Ingrid, hondurienne, aimerait travailler aux États-Unis mais habiter au Mexique :

« Vous êtes mieux payé aux États-Unis. S’ils vous laissent choisir parmi tous les pays qu’est-ce que

vous feriez ? Si on fait le calcul par rapport à l’argent, les salaires sont très bas au Honduras, le

dollar est plus fort que le lempira, même la monnaie du Guatemala vaut plus que celle de Honduras

[…] Les gens voient tout cela et ils se disent qu’il vaut mieux partir aux États-Unis.

En Honduras il y a beaucoup de gens qui ont de bonnes maisons parce qu’ils sont partis deux ans

aux États-Unis. Vous partez deux ans vous travaillez et vous faites des économies et ensuite vous

rentrez au Honduras pour en profiter. Beaucoup de monde a maintenant des propriétés au Honduras,

ils voient les progrès, car au Honduras l’argent se multiplie.

Vous vous habiterez aux États-Unis ?

Je travaillerai aux États-Unis, mais je ferai ma vie au Mexique » Ingrid, hondurienne.

95

Luc LEGOUX « Asile, immigration : réconcilier les Droits de l’homme et ceux du citoyen », Revue européenne

des migrations internationales [En ligne], vol. 22 - n°2 | 2006, p.5.

Page 117: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

115

Un autre avantage de faire une demande d’asile est la possibilité d’obtenir un soutien financier

du HCR96

pendant l’attente de la réponse. Ce soutien financier a eu comme conséquence que

certains migrants sollicitent l’asile uniquement pour bénéficier de l’aide :

« Le problème que nous avons actuellement est d’une manière ou d’une autre un effet du HCR. Je

ne critique pas ce qu’ils font parce que c’est important l’aide, mais maintenant ils disent : « vous

êtes demandeur d’asile, on a de l’argent pour vous appuyer économiquement pendant que vous

faites votre demande » et beaucoup de personnes se disent, on peut rester ici pendant quelques

mois, on fait une demande dont la réponse sera probablement négative, mais on aura un endroit où

habiter et un peu d’argent » Fernando, bénévole accompagnateur pour la demande d’asile.

Nous avons observé que la population migrante qui réalise la demande d’asile a des

motivations et des aspirations différentes qui sont souvent en décalage avec l’image

institutionnelle du réfugié. Les migrants ne sont pas des agents passifs face à l’appareil

institutionnel, ils sont en mesure d’apprendre à suivre les démarches institutionnelles pour

demander l’asile. De même manière, ils apprennent à raconter les faits qui les ont poussés à

quitter leurs pays dans la façon qui est demandée par les autorités.

Toutefois, ceci ne veut pas nécessairement dire qu’ils partagent la même vision du réfugié. Par

exemple dans leurs visions, un réfugié au Mexique pourrait continuer son parcours aux États-

Unis sans les mêmes difficultés qu’un migrant centraméricain. Ainsi, ils pourraient reproduire le

schéma du migrant mexicain aux

États-Unis qui construit son

patrimoine au Mexique.

96

Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

Page 118: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

116

Figure 29. Ana, Adela et Juan ont déposé une demande d’asile.

Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-commissariat pour les Réfugiés

Chapitre 3. Du « sujet migrant » au sujet autonome : la reconstruction

biographique à travers du discours.

« En l’absence de reconnaissance et d’espace d’expression, la démarche biographique offre au

migrant victime ou témoin d’un parcours d’exil émaillé de drames la possibilité d’entreprendre un

travail réflexif sur soi. Le récit de soi peut ainsi se structurer et prendre sens pour son auteur »97

.

À travers le processus de reconstruction biographique, les migrants ont la possibilité de se

doter d’une identité propre, construite sur leurs propres termes, sur leurs aspirations, motivations

et leurs envies personnelles. D’après Arsène Bolouvi, (2015) c’est « en nous racontant que nous

nous donnons une identité. L’expressivité biographique établit une position de sujet qui permet

l’auto-connaissance, la perception de soi dans le contexte plus large de la vie sociale, civique,

politique, et la possibilité accrue d’une émancipation »98

.

Ainsi, à travers leurs reconstructions biographiques, les migrants sont capables d’arriver à une

autonomie « en permettant une appropriation par l’individu de son itinéraire biographique et de

97

Arsène, BOLOUVI, « Migration « clandestine » et recherche biographique : le récit de soi comme support de

résistance », Le sujet dans la cité. 2015/1 (Actuels N° 4), p.5. 98

Ibid., p.6

Page 119: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

117

ses expériences »99

. Grâce à ces récits, les migrants donnent un sens aux événements qui ont

marqué leurs processus migratoires :

« L’ensemble de ce qu’un acteur a vécu doit s’intégrer plus ou moins dans la justification de sa

situation actuelle […] les procédures de narration et d’analyse contribuent donc à unifier le

parcours, à lui donner une forme de trajectoire et à le rendre cohérent – au regard du début ou au

regard de la fin »100

.

Dans ce chapitre, je soutiens que l’identité que les migrants se construisent est différente de

celle que le refuge migrant a construite pour eux. Dans l’identité qui leur est assignée par le

refuge, les migrants sont les récepteurs d’une aide, des sujets à protéger. Ils sont aussi la cible des

ONG internationales qui veulent leur donner un accès à des droits. Toutefois, les récits que je

présente dans ce chapitre nous montrent que les migrants se pensent dans des horizons plus larges

et donnent un nouveau sens à leurs passés et à leurs attentes pour l’avenir.

Les migrants élaborent un récit de vie où ils ne sont pas uniquement des victimes, des

bénéficiaires de l’aide du refuge, ni uniquement des sujets qui attendent la réponse de la demande

d’asile. La reconstruction biographique leur permet de se voir comme des sujets qui ont pris des

décisions et non seulement comme des personnes qui ont été poussées à migrer. Les migrants

essayent de donner un nouveau sens aux drames de leur parcours et ils utilisent ce drame pour se

créer une identité dans laquelle ils ont été capables de surmonter les problèmes.

Ainsi, je trouve que la passivité du « sujet migrant » en tant que sujet vulnérable à protéger ou

sujet auquel il faut l’offrir des droits est contestée par les migrants dans leurs reconstructions

biographiques. Dans ces récits, ils sont des sujets, des agents autonomes et émancipés qui

dirigent leurs destins. Grâce à leurs récits, ils arrivent à l’autonomisation, à se reconstruire

comme sujet qui ne s’est pas laissé faire.

I. Une histoire de rédemption : le récit de vie de Ricardo.

Cela fait six mois que Ricardo est au refuge, sa demande d’asile a été rejetée il y a trois mois.

Il n’a pas fait appel, car il a été incarcéré trois fois au Honduras, il a donc très peu de chance

d’obtenir une réponse positive. Ricardo a grandi à Tegucigalpa, dans le quartier 3 mai. Il affirme

99

Ídem 100

Claire BIDART « Crises, décisions et temporalités : autour des bifurcations biographiques », Cahiers

internationaux de sociologie, vol. 120, no. 1, 2006, p.3.

Page 120: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

118

que son quartier est devenu très dangereux et que ce sont aujourd’hui environ cinq à six

personnes qui sont assassinées chaque jour.

Ricardo parle de son passé violent, notamment du fait qu’il a été emprisonné trois fois, la

première fois à cause d’un problème avec le neveu de son ex-femme :

« Combien de temps es-tu resté en prison ?

La première fois deux ans et demi. Les délits étaient beaucoup plus sérieux que ce pour quoi ils

m’ont condamné. Ils m‘ont mis violence familiale, mais en réalité c’était tentative d’homicide. Et le

deuxième aussi »,

Ricardo explique que ses problèmes de violences ont commencé quand il était très jeune et

qu’il travaillait dans l’atelier de chaussures de son père :

« J’allais à l’école et j’étais toujours discriminé par les collègues, j’étais un peu de mon côté. Quand

j’ai quitté l’école, j’ai commencé à travailler dans l’atelier de chaussures de mon père pour l’aider.

Un jour un « pote » m’a proposé d’aller voler avec lui et ça s’est bien passé la première fois. Nous

sommes allés voler une deuxième fois, mais cette fois je me suis fait frapper et j’avais des bleus

autour des yeux. Ils l’ont dit à mon père et il m’a aussi frappé et m’a laissé un œil bleu. J’ai

commencé à travailler à treize ans, et à quatorze ans je suis devenu indépendant ».

Ricardo parle de son passé violent quand il était plus jeune et sur le fait qu’il se disputait avec

ses voisins de quartier. Cependant, dans son récit il affirme s’être calmé à une certaine époque de

sa vie quand il est devenu père et travailleur. Il ne nie pas son passé violent, mais s’en éloigne en

parlant d’un changement d’étape dans sa vie quand il a pris des responsabilités familiales :

« Au fil des années, on a tous commencé à travailler et de temps en temps on se retrouvait pour aller

boire. Le problème c’est qu’on allait boire dans le quartier où il y avait toujours des confrontations,

des problèmes de violence. À la fin, beaucoup de gens qui étaient contre nous sont devenus

membres de gangs. Nous, on s’était déjà éloigné de tout ça, on travaillait beaucoup et on avait des

enfants. Eux, ils avaient des enfants aussi, mais comme ils avaient des armes ils ont commencé à se

sentir plus forts et à mener des représailles. Les anciens problèmes ont resurgi parce que c’est vrai

que moi, mon frère et nos amis, on avait agressé beaucoup de personnes dans le passé».

Ricardo s’éloigne également de son passé en admettant qu’il a effectivement eu des problèmes

d’addiction aux drogues, mais en expliquant qu’il a changé et qu’il est maintenant dans une lutte

permanente pour s’éloigner de ses addictions :

Page 121: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

119

« Je dis que je suis encore addict parce que n’importe quand je pourrais avoir une rechute. Il faut

avoir la force, la volonté et demander à Dieu qu’il nous aide. Je n’ai pas besoin de drogues ni de

vices. J’ai besoin d’un travail, de m’en sortir, avoir des pensées positives et laisser le stress et les

problèmes derrière moi ».

Pour expliquer pourquoi il est au refuge, Ricardo mentionne « des anciens » problèmes qui ont

resurgi et à cause desquels il a dû fuir le Honduras en 2017. Il explique qu’à sa dernière sortie de

prison pour « violence familiale », il a découvert que ses anciens voisins étaient devenus des

Maras :

« Tu faisais partie d’un gang ?

Non, mais je les agressais (aux personnes qui sont désormais dans un gang). Quand on se disputait,

on leur jetait des pierres, des tubes, des chaînes. À l’époque, il y avait moins de trafic d’armes.

Pourquoi es-tu ici au refuge ?

Parce que dans mon quartier ils ont commencé à assassiner beaucoup de mes collègues de travail

seulement pour le plaisir. Il y avait une liste de personnes à tuer et moi j’ai préféré partir. Ils ont

commencé à dire qu’ils allaient tous nous tuer, et mon frère était sur la liste. Je ne sais pas si j’y

étais.

Ricardo a ainsi dû quitter le Honduras pour fuir la violence. Il dit qu’il ne voulait pas être

migrant, il est parti, car il n’avait pas d’autres solutions :

« J’ai 35 ans, je n’ai jamais voulu être au Mexique ou aux États-Unis, cela ne m’avait jamais passé

par la tête. Le moment où j’ai dû prendre la décision était difficile, j’étais préoccupé et j’avais peur

de me faire agresser. Je dormais une nuit à l’atelier, une autre nuit chez moi, l’autre chez ma mère,

j’allais de maison en maison jusqu’au moment que j’ai réuni assez d’argent pour partir et venir ici.

J’ai décidé de venir parce que s’ils ne te trouvent pas ils cherchent ta famille, je suis parti pour

protéger mes filles ».

Le fait d’être obligé de fuir les gens qui voulaient le tuer semble important pour Ricardo dans

sa quête de rédemption. Ricardo n’était plus l’agresseur, mais la victime, ce qui contribue à son

processus de reconstruction biographique :

« Quand on quitte son pays, on a peur, mais malheureusement on ne peut pas y retourner. Quand je

suis venu ici au Mexique, j’étais dans une camionnette. À El Ceibo, j’ai retrouvé mon frère qui

m’attendait, puis j’ai rencontré un Nicaraguayen et nous sommes allés dans une ville qui s’appelle

Page 122: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

120

Zapata. Je suis resté 15 jours et je dormais dans une église. On l’a peinte, on faisait des réparations

et les gens nous donnaient de la nourriture. Nous sommes ensuite venus à Tenosique ou j’ai

commencé à travailler avec un mexicain pour faire des réparations de chaussures, mais il ne me

faisait pas confiance. La première nuit j’ai dormi dans la rue, mais un policier m’a dit que je ne

pouvais pas rester là. Il m’a dit d’aller à la 72 et que là-bas ils pourraient m’aider ».

Malgré la peur toujours présente, Ricardo a trouvé au refuge, un espace pour se reconstruire. Il

a réussi à s’adapter aux règles du refuge, peut-être grâce à ses expériences précédentes en prison.

« Qu’est-ce que tu as ressenti lorsque tu es arrivé au refuge ?

En réalité je n’arrivais plus à dormir, je ne faisais que penser à ma famille, je ne dormais que deux

heures par nuit […] Peu à peu j’ai commencé à m’adapter au système de la casa et aux règles pour

cohabiter avec la population, les gardiens, les responsables. Ce n’était pas difficile pour moi de

m’adapter. Au Honduras, ça faisait un an et demi que j’étais seul et que je ne sortais plus dans la

rue, j’allais du boulot à la maison et de la maison au boulot. La seule chose qui était dure, c’était de

me faire des amis, car je n’avais plus confiance en personne. Ça fait un mois et demi que je suis

gardien, mais j’ai hésité à accepter parce que comme gardien, on a beaucoup d’ennemis ».

C’est au refuge qu’il a commencé à se créer des projets pour l’avenir où le travail est très

présent. Il a décidé de ne pas se laisser faire si les agents de migration cherchent à l’arrêter.

D’après lui, il n’y a pas à avoir peur des agents de migration :

« Je veux faire des économies et un jour ouvrir mon propre commerce à Tenosique, parce que je

suis là pour travailler et pas pour faire des mauvaises choses, je ne veux pas sortir et demander de

l’argent. J’ai pris une décision, si un jour la migration m’arrête je vais leur dire que je ne peux pas

retourner dans mon pays et s’ils me demandent de monter dans la camionnette je vais leur dire que

je ne monte pas. Je vais leur dire qu’ils vont devoir me faire monter par force et qu’ils peuvent me

tuer, parce que s’ils me déportent c’est la même chose que de me tuer. Je ne vais pas fuir la

migration, je suis déjà passé en marchant à côté d’eux et ils ne m’ont jamais arrêté. Je n’ai pas peur

quand ils me regardent.

Les aspirations de Ricardo pour l’avenir sont de s’installer à Tenosique et d’y faire sa vie

normalement. Il est intéressant de voir qu’il souhaite continuer une vie de rédemption qu’il

imagine en reconstruisant son présent avec des éléments du passé. Plus particulièrement, Ricardo

affirma vouloir ouvrir un atelier de réparation de chaussures, tel que celui de son père dans lequel

il travaillait avant de commencer à participer à des actes criminels :

Page 123: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

121

« Ton commerce serait ici à Tenosique ?

J’ai des cousins aux États-Unis qui m’ont dit d’aller là-bas, mais ma vie elle est ici. La seule

chose qui me reste à faire, c’est de récupérer les fruits : un travail, une famille, des enfants. Ça

serait les fruits oui, un commerce, un atelier de chaussures, où les gens de la casa puissent

m’aider ».

Ainsi, il me semble que dans son récit, Ricardo essaye de se constituer comme un sujet

autonome dans la communauté de Tenosique. Il veut prendre sa vie en charge et dans ses pensées

il est émancipé des agents migratoires :

« On ne sait pas ce qui va se passer, mais nos pensées vont déterminer ce qui va se passer.

Si je pense monter dans le train, je sais quels risques je cours. Mais si je pense ouvrir un atelier,

la seule chose qui puisse se passer c’est d’avoir peur des agents de migration. Mais comme dans

mes pensées je ne suis pas en dette avec eux, je sais que je ne dois pas me préoccuper. Il y a

beaucoup de privilèges que je ne peux pas avoir au Mexique, comme un permis de travail, mais je

pense que si les gens de Tenosique voient qu’on a envie de bosser, ils ne vont rien dire ».

En conclusion, Ricardo, à travers son récit, cherche une autonomie et une émancipation de

sa situation actuelle de migrant clandestin. Son récit de soi lui permet de s’approprier l’identité

du « sujet-migrant » pour donner un nouveau sens à son passé violent et en même temps de se

mettre à distance de cette identité pour déclarer que même s’il est au Mexique sans papiers, il n’a

pas peur des agents migratoires. Dans son récit, Ricardo fait une reconstruction biographique où

il fait mention de deux moments de rédemption. Le premier au Honduras quand il a arrêté de

boire et d’agresser les gens de son quartier et qu’il est devenu père et travailleur. Les événements

de son passé l’ont néanmoins rattrapé et alors il a dû fuir les personnes qui voulaient se venger.

Ainsi, sa deuxième quête de rédemption fut le refuge migrant, plus particulièrement à Tenosique

où il veut travailler, s’installer, et avoir une autre famille. En affirmant que lui aussi est victime

de violence et qu’il ne peut pas retourner dans son pays, Ricardo est en mesure d’expliquer et de

justifier pourquoi il est au refuge. Dans son récit, il fuit des agresseurs qui l’ont menacé ce qui lui

permet d’accepter son passé et le fait que lui aussi avait agressé plusieurs personnes.

Dans sa quête d’émancipation et l’autonomie, Ricardo se maintient à l’écart de l’image du

« sujet-migrant » comme sujet vulnérable, clandestin qui a besoin de protection. Ricardo soutient

Page 124: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

122

dans son récit qu’il s’est émancipé de la peur des agents migratoires, parce qu’il veut travailler et

bien gagner sa vie. D’après lui, en discutant avec les agents migratoires il pourra leur expliquer

pourquoi ils ne doivent pas le déporter au Honduras. Il se met ainsi à distance de l’image du sujet

migrant qui a peur de la police et du clandestin qui n’a pas le droit d’être au Mexique. Ricardo

reconnaît qu’il n’a pas le droit d’avoir un permis de travail, mais d’après son récit, il a la

possibilité de trouver des solutions. La possibilité de que ses projets aboutissent n’est cependant

par certaine. Ainsi, l’émancipation de Ricardo de la figure d’un sujet sans aucun pouvoir de

choisir et de déterminer son parcours de vie, reste pour le moment discursif. C’est à l’intérieur du

refuge migrant qu’il se permet de produire ce récit, toutefois, les éléments émancipatoires de son

discours ne sont pas nécessairement alignés avec la réalité objective de sa situation au Mexique.

II. Une histoire d’aventure : le récit de vie de Leonardo.

La première fois que Leonardo a quitté le Salvador en 2007, il avait 24 ans. Il a émigré alors

qu’il était en train d’étudier une licence de psychologie. Il travaillait mi-temps et habitait dans

son propre appartement. Un ami lui a dit lors d’une soirée qu’il allait partir aux États-Unis. Cet

ami voulait partir pour fuir la violence, l’injustice et la précarité dans l’emploi, il ne voulait pas

partir seul et a proposé à Leonardo de l’accompagner. Après avoir réfléchi, Leonardo a décidé de

partir aux États-Unis aussi, il affirme avoir voulu sortir de la routine du quotidien, car il était

jeune. Sa famille n’était néanmoins pas d’accord :

« Ils m’ont conseillé de finir mes études avant, mais vous savez quand on est jeune, on est anxieux

avec les émotions. J’ai pris un sac, deux chemises, deux pantalons, trois paires de chaussettes, une

brosse à dents et du déodorant. C’était un vendredi, le week-end j’ai appelé mon pote et le lundi j’ai

dit au revoir à mes parents ».

Leonardo et son ami se sont rendus à la gare routière et c’est là que Leonardo a découvert que

son ami ne savait pas comment faire le voyage, quel bus il fallait prendre. Ils allaient renoncer

quand un homme est entré dans la gare et les a aidés :

« Jusqu’avant qu’on parte un monsieur nous a poussés dans la queue. Il a crié madame, donnez-moi

un ticket pour la route qui va au Nord. Nous nous sommes assis à côté de l’homme dans la salle

d’attente et il nous a dit, je vais au Nord, je me suis fait expulser, mais j’ai une famille à nourrir et

vous ? Nous avons répondu que nous allions là-bas aussi, mais que nous ne connaissions pas le

chemin. Il nous a assuré que maintenant le chemin était facile, il n’y a pas de danger. Les

Page 125: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

123

kidnappings venaient de commencer, mais il y en avait beaucoup moins de violence en 2007. On a

pris le bus avec le Monsieur, le plus nous sommes le mieux c’est, nous a-t-il dit ».

Dans le bus, Leonardo s’est assis à côté d’un jeune hondurien qui connaissait bien le chemin et

qui allait passer avec un groupe de migrants par le Guatemala et le Mexique. Leonardo et son ami

ont décidé de l’accompagner. À la frontière avec le Mexique, ils ont contourné les montagnes de

El Ceibo. Leonardo explique la sensation au moment de traverser ces montagnes :

« Pendant qu’on est sur le chemin, on a une sensation d’aventure. Il y avait des singes hurleurs, on en tendait des

oiseaux, on sentait l’humidité, la chaleur, les guêpes nous piquaient ».

C’est sur le chemin de El Ceibo que Leonardo, son ami et le Hondurien qui amenait le groupe

de migrants se sont fait voler leurs affaires. Après s’être fait voler, Leonardo et les autres ont

marché jusqu’à la ville de Tenosique. Leonardo affirma avoir rencontré beaucoup de gens qui

attendaient comme lui autour des voies de train. Au cinquième jour, ils ont entendu le train

arriver, les voies se sont remplies de monde comme des « fourmis ». Ses genoux tremblaient et il

voyait les gens monter dans le train. Un garçon a glissé et le train a coupé ses jambes :

« J’ai pensé à ma famille, à ma mère, mon père, c’était la première fois que je voyais quelque chose

comme ça. Ça aurait pu être moi […] J’ai vu sept personnes se faire tuer dans le train, parce qu’ils y

jouaient, parce qu’ils faisaient de mauvais calculs au moment de monter dans le train, parce qu’ils

ont bu ou fumé de la marijuana, ou parce qu’il se sont endormis ».

Page 126: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

124

Figure 30. Les migrants centraméricains montent au train connu comme « La Bête »,

à la Frontière Sud du Mexique.

Source : extrait d’une bande dessinée donné aux migrants par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés.

Leonardo et son ami sont arrivés à Veracruz par le train. Il affirme que l’expression de son

visage avait changé à cause du chemin :

« Quand je suis arrivé à Tierra Blanca, j’avais peur. J’avais une expression dans mon visage, et mon

regard était différent. Pendant quinze jours j’ai vécu dans ce train. Je devais supporter le froid, la

pluie, la faim, le soleil, faire mes douches et dormir. Je ne changeais pas de vêtements, car j’avais

perdu mon sac à dos. »

Page 127: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

125

Ils sont arrivés à Tierra Blanca vers dix-neuf heures et il y avait de la pluie. Son ami et lui se

sont séparés pour aller chercher à manger, mais son ami n’est jamais revenu. Leonardo l’attendait

sous la pluie et il pleurait :

« J’ai craqué, qu’est-ce que je fais là ? J’ai faim, je n’ai pas d’argent, mon lit me manque, mes

parents aussi, qu’est-ce que je fais là ? Et mon pote n’arrivait pas, je me sentais seul, car le mec du

Honduras il était avec les gens qu’il connaissait. Dieu merci, une dame m’a offert une soupe à

manger ».

Leonardo a dit aux parents de son ami qu’il s’était perdu et dans son récit il ne reparlera plus

de lui. Il a continué son voyage par le Mexique avec le Hondurien qu’il avait rencontré au

Salvador. Ils sont montés dans un train qui allait dans une région désertique après Mexico.

« Nous sommes descendus dans une région désertique après Mexico. On voyait qu’une ligne droite

à la fin de l’horizon. Il était que midi et nos chaussures étaient déjà chauds, ma tête commençait à

palpiter à cause du manque d’eau et de nourriture ».

Dans son récit, Leonardo fait beaucoup référence aux personnes qu’il a connues sur le chemin,

notamment dans les villages :

« Le lendemain on a marché, mais on était très faibles. Nous sommes arrivés dans un village où un

monsieur déjà âgé nous a donné un endroit où nous reposer dans l’écurie avec les vaches, des

haricots rouges et de l’eau qui venait d’un puits. Ce vieil homme nous a sauvés. Plus tard, nous

sommes arrivés dans un autre village, le train n’était pas passé, la nuit il faisait très froid et nous

avons vu les lumières d’un petit village Los ahorcados. Je suis allé chercher à manger pendant que

les autres m’attendaient […] J’ai entendu du bruit et j’ai vu un homme avec une clope, sa

moustache et son chapeau, c’était une fête de 15 ans ».

L’homme leur a offert à manger ce soir-là et le lendemain. L’homme a proposé à Leonardo de

rester au village et lui et sa femme l’ont aidé à trouver un espace où s’installer et un travail. Il

travaillait dans une quincaillerie et il est devenu connu dans le village. Il y est resté six mois

jusqu’au moment où certains habitants du village l’ont aidé à rentrer aux États-Unis :

« Nous sommes arrivés à la gare routière de San Luis Potosí et de là-bas à Ciudad Victoria, on a

traversé en radeau. Nous avons marché pendant deux jours dans le désert. Nous étions trente

personnes, le désert c’est horrible, l’eau qu’on a avec nous ne dure pas. Ils te donnent un gallon

d’eau et si on le finit ou si on se perd dans le désert, c’est notre problème ».

Page 128: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

126

Leonardo a passé ses premiers mois aux États-Unis sans trouver de travail ce qui le faisait se

sentir mal, car il avait beaucoup d’ambition. Après six mois, il a réussi à trouver un travail en

préparant des hamburgers et il a commencé à prendre des cours d’anglais. Il a aussi travaillé dans

une laverie de voitures. Il est resté six ans aux États-Unis, où à la fin il travaillait dans la

construction :

« Quand on arrive aux États-Unis, on découvre que ce n’est pas comme tout le monde veut te faire

croire. Ce n’est pas comme quand les gens viennent te rendre visite. Ils te disent qu’il y a du travail

qu’ils ont une vie stable, mais ils ne te disent que tu vas beaucoup souffrir sur le chemin ».

Après six ans aux États-Unis, Leonardo voulait rentrer à El Salvador. Il avait fait des

économies. Néanmoins, le retour à El Salvador fut très difficile pour lui et après un an et demi, il

a de nouveau quitté le pays :

« Je me suis dit, je veux retourner dans mon pays, je veux travailler là-bas et être avec les miens

[…] Quand je suis retourné au Salvador, tout avait changé. Les gens n’étaient plus comme avant, il

y avait beaucoup de gangs. Je voulais ouvrir un restaurant et reprendre des études de psychologie à

l’Université. J’ai commencé à travailler, mais le salaire était beaucoup plus bas. En plus, il y avait

l’insécurité, les gens me regardaient, ils voyaient mes vêtements, ils regardaient mon accent. Les

gens commençaient à me regarder comme si j’avais des signes de dollar sur la tête ».

En 2014, il a donc quitté le Salvador pour la deuxième fois. Quand il est arrivé à Tenosique, il

a vu que le refuge était beaucoup plus grand. À la casa del migrante il a appris que le chemin

était très dangereux, il entendait des histoires de gens qui avaient été tués. Il a commencé à avoir

peur. À la casa, il a participé au programme de construction et ainsi deux années se sont passés. Il

a attendu une troisième année pour faire une demande de régularisation et au moment de

l’entretien il attendait la réponse.

Les trois années qu’il a passé à l’auberge lui ont permis d’apprendre sur ses droits, mais aussi

sur lui-même :

« Qu’est-ce que tu as appris à l’auberge ?

J’ai beaucoup appris sur mes droits et mes responsabilités comme migrant, à respecter les règles de

ce pays, à ne pas m’impliquer dans des problèmes. J’ai appris sur moi-même, sur mes limites […]

J’ai passé mon temps en travaillant [à l’auberge] et ça m’a fait beaucoup réfléchir. On observe ce

qui se passe et on commence à devenir paranoïaque. Je suis resté un an et demi sans sortir dans la

Page 129: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

127

rue. J’avais une phobie du monde extérieur. Je sortais ici [sur le terrain], mais j’avais peur à cause

de toute l’insécurité. Avec le temps j’ai commencé à apprendre des choses sur mes droits dans les

sessions d’information. On se rend compte qu’il y a beaucoup d’opportunités au Mexique, ici il y a

beaucoup de choses que le pays peut nous offrir comme aux États-Unis, il faut les utiliser et se

projeter pour l’avenir. S’ils me donnent une résidence je continuerai mes études, apprendre une

deuxième langue, être utile à la société ».

En conclusion, Leonardo a reconstruit son parcours migratoire à partir de l’aventure. Dans son

récit, il est un jeune homme qui cherche de nouvelles expériences et qui se lance dans l’inconnu.

Leonardo décrit de manière détaillée les événements de sa première émigration. Je me suis rendu

compte en réalisant cet entretien que Leonardo maîtrise son récit de vie. Après avoir vécu trois

ans au refuge migrant, il avait déjà réélaboré son récit biographique. Ainsi, Leonardo raconte

chaque enjeu qu’il a vécu avec un soin important.

Leonardo a néanmoins beaucoup plus de difficultés pour parler des trois années qu’il a passées

au refuge. Dans l’entretien, il a seulement affirmé qu’il avait beaucoup appris sur ses droits et ses

responsabilités en tant que migrant au Mexique. D’ailleurs, il a mentionné de manière brève que

pendant sa première année au refuge migrant il a souffert d’une phobie pour sortir de l’auberge.

Ainsi, le récit de Leonardo, bien qu’intéressant, nous donne plus d’informations à travers les non-

dits que par ce qu’il dit.

Leonardo construit une histoire d’aventure dans laquelle il est le principal héros. Cette histoire

lui permet de donner du sens au trauma qu’il a subi pendant son parcours migratoire. C’est à

travers cette romance du passé qu’il devient autonome et s’émancipe de toutes les mauvaises

situations qu’il a vécues. Les non-dits, c’est-à-dire ses peurs et ses angoisses, sont laissés dans

l’invisibilité de manière délibérée. Si Leonardo fait mention de sa phobie de sortir, c’est

uniquement pour expliquer à son interlocuteur pourquoi il est encore résident au refuge. Il n’a pas

voulu partir parce que les conditions extérieures étaient trop dangereuses. Cette explication

permet de convaincre l’interlocuteur que les raisons de Leonardo de rester sont bonnes. De plus,

il explique dans son récit qu’au but de la deuxième année quelqu’un lui a dit d’attendre un an de

plus et qu’il pourra régulariser sa situation.

Leonardo embellit le passé, donne un sens aventurier à son histoire, incorpore dans son récit la

disparition de son ami. Ainsi, il se définit en tant que sujet qui agit et pas comme sujet qui fuit ou

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128

qui est limité par le fait d’être un sans-papiers. Durant l’entretien, Leonardo attendait la réponse

de sa demande de régularisation. Pendant son temps d’attente, il se crée des projets pour l’avenir

comme retourner à l’Université. Comme Ricardo, Leonardo semble vouloir reprendre son histoire

là où les événements qui l’ont amené à la migration ont commencé. Dans le cas de Ricardo c’était

avant de commencer ses actes délinquants, dans l’atelier de chaussures avec son père. Dans le cas

de Leonardo, ce sont les études universitaires.

III. Andrea et Viviana : du centre de rétention au refuge migrant

Andrea et Viviana expliquent que la situation politique au Honduras est difficile à cause de

l’actuel président. Elles affirment qu’il y a beaucoup de violence faite aux femmes et que par

conséquent, beaucoup de femmes sont en train d’émigrer. Les femmes sont dans une situation de

précarité, mais elles ne bénéficient pas des aides du gouvernement. Elles dénoncent que les

programmes de soutien économique du gouvernement « Bourse solidaire » sont réservés aux

femmes militantes du parti de l’actuel président, Juan Orlando Hernández.

Un salaire faible et de longs horaires de travail ont poussé Andrea à quitter son travail comme

secrétaire pour un homme politique. Elle a laissé ses trois enfants avec sa mère. Andrea est

originaire de La Ceiba Atlántida, une région contrôlée par l’armée, là où se trouve également, une

forte présence des gangs :

« Maintenant c’est horrible, c’est pire qu’avant, ma mère m’a dit que les militaires frappent les gens

dans la rue. Ma mère m’a raconté que mon frère était sorti faire des courses, il y avait un groupe de

personnes et les militaires ont crié de s’arrêter là. Les gens se sont mis à courir et mon frère leur a

dit de ne pas bouger. Mais comme finalement ils sont partis en courant les militaires leur ont tiré au-

dessus.

En ce qui concerne le travail, bon là-bas celui qui veut trouver du boulot le trouve. Mais il y a trop

de délinquance et on ne peut même pas vendre des vêtements ou ouvrir un petit commerce parce

que les Maras viennent vous demander de l’argent […] De l’autre côté de ma rue, il n’y a presque

plus aucun résident parce qu’ils se sont tous fait expulser. Tout le monde dit que ce sont que les

Maras, mais il y a aussi des gangs du Salvador qui viennent pour s’approprier des maisons »,

Andrea, hondurienne.

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129

Viviana quant à elle est partie du Honduras à cause des menaces des gangs et de la violence,

elle a également laissé ses deux enfants avec sa mère. Elle est originaire de Santa Barbara au

Honduras, une région où l’on produit du café et où l’on trouve l’exploitation des mines.

« À Santa Barbara il y a la production de café et il y a des mines aussi. Les hommes qui travaillent

dans les mines s’en sortent mieux que les autres. Les autres doivent trouver ce qu’ils peuvent faire.

Par exemple, ils vendent des libres de fer à cinquante ou soixante centimes, ce n’est ne pas une vie.

En plus il y a des familles avec neuf ou dix enfants […] ce n’est pas très facile la vie là-bas.

C’est violent ?

Là-bas c’est chaud, il y a des morts tous les jours, des cambriolages. Les Maras se sont appropriés

de tous les quartiers et entre les gangs, il y a toujours de disputes. On essaye de ne pas entrer en

conflit avec eux, mais ça ne marche pas, donc on préfère partir » Viviana, hondurienne.

Toutes les deux ont été arrêtées par les agents migratoires lorsqu’elles se trouvaient à El

Ceibo, à la frontière entre le Guatemala et le Mexique. Andrea était enceinte de deux mois, elle

dénonce que les agents migratoires roulaient très vite sur les ralentisseurs même en sachant

qu’elle était enceinte afin de lui faire perdre son bébé. Cela a contribué à ce que dans les jours

suivants, Andrea ait fait une fausse couche alors qu’elle se trouvait au centre de rétention de

l’Institut National de Migration. D’après Andrea, elle demandait à être amenée à l’hôpital, mais

les agents du centre lui disaient qu’elle mentait, qu’elle n’était pas enceinte :

« Je me suis disputée avec beaucoup de ces gens-là parce qu’ils me disaient que je n’étais pas

enceinte et que j’avais tout inventé, que je mentais. Moi, je voulais parler avec les gens de droits de

l’Homme, mais les agents n’ont m’a pas laissé » Andrea, hondurienne.

Après beaucoup insister et avoir fait un malaise dans le centre de rétention, les agents de

migration l’ont amené à l’hôpital, mais elle avait déjà perdu son bébé. Après l’hôpital, les agents

l’ont amené de nouveau au centre de rétention où elle dit avoir reçu de mauvais traitements,

notamment de la part de la responsable du centre de rétention :

« Quand je suis sortie de l’hôpital ils m’ont ramené encore au centre de rétention, avec l’air

conditionné à dix-huit degrés c’était trop froid, j’avais les lèvres cassées, les couettes sentaient le

pipi, j’ai eu une irritation dans la peau. J’avais la nausée et je demandais des médicaments, mais ils

me disaient ici ce n’est pas une pharmacie, je fermais mes yeux et j’avais la tête qui tourne. Je ne

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130

voulais pas manger, la nourriture n’avait pas de sel, elle n’avait pas de goût. J’ai mangé que les

biscuits qu’ils nous donnaient » Andrea, hondurienne.

Parmi les mauvais traitements reçus durant les vingt-quatre jours passés au centre, il y avait de

la violence psychologique, particulièrement des insultes.

« La responsable du centre disait : pourquoi avez-vous quitté votre pays ? Pourquoi êtes-vous là ?

Vous les migrants vous vous laissez remplir l’esprit par des idées du HCR, on va voir si toi et les

autres filles qui sont ici vous allez tenir ».

Andrea a reçu uniquement trois appels pendant son séjour au centre, cependant sa mère lui a

affirmé plus tard qu’elle l’appelait tous les jours. Les agents qui travaillent au centre de rétention

ne transféraient pas les appels et ils ne lui disaient pas non plus combien de temps elle allait

rester :

« J’ai senti que je gâchais ma vie là-bas. Les toilettes étaient horribles, il n’y a pas de portes que

divisent et tout le monde doit faire sa douche nue. Pas tout le monde tire la chasse d’eau et il y a

une odeur qui nous fait plus avoir faim. On était tous enfermés, pendant vingt-quatre jours je n’ai

pas vu le soleil » Andrea, hondurienne.

Viviana signale aussi avoir subi de mauvais traitements durant les quatre jours qu’elle est

restée au centre :

« On était beaucoup dans une salle, je ne pouvais pas dormir, j’étouffais. Comme il y avait trop de

monde, nous restions assises pour faire de la place aux autres qui arrivaient. Ils éteignaient les

lumières et quand je voulais dormir, il y avait des enfants qui me marchaient au-dessus, car ils

jouaient, il y avait un bébé qui venait de naître. Pour laver les vêtements, on devait les porters

mouillés parce qu’il n’y avait rien pour les sécher, on avait mal après, car on devait porter les

vêtements mouillés et il y avait l’air conditionné froid […] On n’avait pas le droit de parler avec les

gens qu'y travaillaient, ni avec le gardien ni avec la concierge parce que s’ils parlaient avec nous ils

risquaient de se faire virer. Les Mexicains ne pouvaient pas établir de communication avec les

migrants » Viviana, hondurienne.

Toutes les deux voulaient avoir accès à la justice. Dans leurs récits elles racontent qu’elles

demandaient à voir le responsable de droits de l’Homme, mais les agents de migration leur

interdisaient. Ainsi, c’étaient les autres migrants qui leur ont expliqué la possibilité de faire une

demande d’asile, mais les agents de migration ne voulaient pas leur laisser-faire. Après avoir

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131

insisté, elles ont tout de même réussi à faire la demande et elles ont été transférées au refuge

migrant.

« Quels sont vos projets pour l’avenir ?

« Si j’obtiens les papiers je vais travailler ici et un jour peut-être aller aux États-Unis » , Andrea,

hondurienne.

« Mon objectif si je réussis à avoir des papiers est de ramener mes enfants ici. Je chercherai un

travail, alors je pourrais payer une chambre et mes enfants pourront venir vivre avec moi. [Au

Honduras] J’ai quitté mon travail à cause des menaces […] je n’ai pas envie de retourner dans mon

pays. J’ai confiance en Dieu, quand j’ai marché jusqu’ici, je demandais à Dieu que tout se passe

bien, que rien de mauvais ne m'arrive Si je me fais expulser, alors je reviendrai de toute façon ici

parce que je ne peux pas retourner vivre au Honduras. La seule manière de m’en sortir, c’est de

venir vivre ici»

J’ai appelé une copine pour avoir des nouvelles de mes enfants, je ne vais pas vous mentir, j’ai peur

… j’ai laissé mes enfants, mais j’espère qu’un jour ils comprendront. J’ai deux garçons de douze et

cinq ans et une fille de deux ans. C’est triste quand on quitte son pays, ce jour-là ma copine est

partie en larmes. Quand je suis partie, je ne faisais que penser à revenir, ma fille criait, mais je ne

pouvais pas faire marche arrière. Ma fille me disait maman ne pars pas, et les deux autres

s’accrochaient à mes pieds et mes bras » Viviana, hondurienne.

Andrea et Viviana sont deux exemples de femmes qui reconstruisent leur récit biographique.

Dans les deux cas, ce sont leurs enfants qui les ont motivées à quitter leurs pays. Les enfants

marquent le départ du parcours migratoire et établissent également la finalité du parcours. Ainsi,

si elles réussissent à avoir des papiers, elles vont faire venir leurs enfants au Mexique.

D’ailleurs, dans leur discours, elles ont réclamé aux responsables du centre de rétention, la

possibilité de parler avec les responsables des droits de l’Homme. Ainsi, même avant le refuge

migrant elles se voyaient déjà comme des sujets avant droits. Dans leurs récits biographiques,

elles se décrivent comme demandant de bons traitements, du respect et de la dignité. Elles ne sont

pas que des figures qui ont été emprisonnées et qui ont dû subir de mauvais traitements dans le

centre de rétention. Au contraire, elles étaient déjà conscientes de leurs droits.

Page 134: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

132

Figure 31. Une mère dit au revoir à ses enfants avant quitter son pays. Source : extrait d’une bande dessinée

distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les Réfugiés

IV. L’histoire de Juan Carlos, un défenseur de la communauté garifuna

Juan Carlos est un homme garifuna101

de 35 ans originaire de Triunfo de la Cruz, dans le

département d’Atlántida au Honduras. Au moment de réaliser l’entretien, lui et sa famille se

trouvaient au Mexique depuis six mois. Juan Carlos et une grande partie de sa famille sont partis

du Honduras après que ses deux frères aient été assassinés par les Maras.

À Tenosique, Juan Carlos était avec sa femme et ses trois enfants, deux filles adolescentes et

leur fils de dix ans. Deux neveux de Juan Carlos se trouvaient également avec lui et sa famille.

Une cousine de Juan Carlos se trouvait aussi à Tenosique avec son bébé. Les deux parents de

Juan Carlos ont également quitté le Honduras et ils sont arrivés au Mexique. Tous les membres

de la famille ont initié une demande d’asile en janvier 2017.

Toutefois, la première réponse fut négative ce qui a poussé les parents de Juan Carlos à partir

aux États-Unis pour y faire une demande d’asile. Ils ont été arrêtés et ils attendaient dans un

centre de rétention aux États-Unis. La mère de Juan Carlos fut libérée, mais son père est resté au

centre de rétention où quelques mois après cet entretien il est décédé. De son côté, Juan Carlos est

resté avec sa famille, ses neveux et sa cuisine à Tenosique et ils ont fait appel de la réponse

négative.

101

« Les Garifuna, produits du métissage entre Africains et indigènes Caribes au cours de la période coloniale, vivent

depuis le XVIIIe siècle sur le littoral caribéen de quatre pays d'Amérique Centrale (Belize, Guatemala, Honduras et

Nicaragua) », Carlos AGUDELO, « Les Garifuna. Transnationalité territoriale, construction d’identités et action

politique », Revue européenne des migrations internationales [En ligne], vol. 27 - n°1 | 2011, mis en ligne le 01 juin

2014.

Page 135: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

133

Juan Carlos est musicien et il a été un des principaux organisateurs de l’événement du refuge

migrant appelé Weibuguña. Cet événement avait comme intention de faire découvrir la musique,

la culture et la gastronomie garifuna. Grâce au parcours de Juan Carlos comme musicien il avait

déjà voyagé légalement au Mexique et dans différents pays tels que le Guatemala, le Salvador, le

Costa Rica, les États-Unis et même le Japon.

Juan Carlos se décrit ainsi comme un défenseur de la culture garifuna ce qu’il fait à travers sa

carrière de musicien. En plus de la musique, Juan Carlos est un défenseur des droits de la

population garifuna, notamment en ce qui concerne le respect de la nature et des ressources

naturelles de sa région. L’engagement de Juan Carlos dans la lutte pour les droits de sa

communauté a conduit à la mort de ses deux frères :

« Moi j’étais un protecteur de notre culture, de nos droits. J’avais gagné beaucoup d’écho peu de

temps après qu’ils aient assassiné Berta Cáceres. Je faisais partie d’une organisation qui défendait

les droits de notre peuple. J’étais en négociations avec les autorités, car notre communauté a gagné

une demande contre l’État. Cependant, ils ont commencé à m’affaiblir avec la mort de mon frère

parce qu’ils savaient qu’ils allaient me faire partir. Les Maras ont tué mes deux frères et maintenant

je cherche un endroit tranquille pour habiter […]

Mon premier frère a été tué chez ma mère, mes enfants ont entendu les coups de feu. Mon deuxième

frère a été tué dans une zone touristique sur un quai et les autorités affirment ne rien savoir sur

l’auteur du meurtre, malgré le fait qu’il y avait des caméras de surveillance. Ils ont aussi tué fut le

beau-père de mon frère, ils l’ont tué devant mes enfants qui ont vu comment il s’est fait couper la

tête. Mes enfants voulaient qu’on quitte le pays et c’est pour ça qu’on est là ».

Les actions de protection de leur territoire, dont notamment une demande que le peuple

garifuna a gagné contre l’État, ont entraîné une série d’actions violentes dans sa communauté :

« À Triunfo de la Cruz, nous avons gagné le procès contre l’État […] Nous avons commencé à

récupérer des terres et c’est ça qui a lancé la vague de violences ».

Les actions de Juan Carlos comme défenseur de droits ont fait de lui une cible dans la

communauté. Les frères de Juan Carlos se sont fait tuer après un conflit pour des terres dans

lesquelles Juan Carlos et ses frères ont été impliqués. Ils avaient tous les trois un restaurant à côté

de la mer où ils pouvaient vendre du poisson. Le restaurant se situait sur des terres que sa

communauté avait récupérées à des entrepreneurs après avoir gagné une action légale contre

Page 136: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

134

l’État. Ils n’étaient pas propriétaires des terres, mais le responsable de l’organisation des

garifunas leur avait cédé le droit de l’utiliser pour l’ouverture du restaurant.

Une fois le restaurant ouvert, un homme qui se disait être le propriétaire de ces terres leur avait

dit de partir et comme ils avaient refusé, l’homme les a menacés de mort. Quelques mois plus

tard, son frère aîné s’est fait tuer par les Maras, Juan Carlos a alors abandonné le restaurant, mais

son autre frère a voulu le garder. Un mois après que Juan Carlos avait transféré le restaurant à son

deuxième frère, celui-ci s’est fait également tuer.

D’après le récit de Juan Carlos, la collaboration entre les entreprises, le gouvernement et les

Maras a eu un effet sur la hausse de la violence dans la communauté garifuna. L’homme qui

voulait les terres où se trouvait le restaurant était par exemple un entrepreneur qui ne faisait pas

partie de la communauté garifuna. Juan Carlos affirme que les Maras sont les bras exécuteurs des

décisions du gouvernement et des entrepreneurs :

« Les gangs sont seulement le bouc émissaire parce que vous savez que le pauvre se fait toujours

voler, saboter, ce sont les pauvres qui meurent et les pauvres qui deviennent des voleurs. La

violence c’est le produit des inégalités. Les Maras sont nés aux États-Unis et avant ils avaient une

idéologie différente, ils protégeaient leurs quartiers. Au départ les Maras au Honduras protégeaient

les pauvres, une chose que la police ne fait pas. Maintenant, ce sont des tueurs à gages, ils tuent

parce qu’un chef de Maras a ambitionné l’argent des hommes politiques […]

Les autorités savent qui sont les assassins, mais elles ne disent rien, car ce sont leurs tueurs à gages.

Au Honduras les autorités ne trouvent jamais les assassins et ce sont même elles qui les sortent de

prison. Quand on connaît toutes ces choses-là, on est en danger au Honduras […] ».

Juan Carlos signale que malgré le fait que la culture garifuna est patrimoine culturel de

l’humanité, ceci ne se traduit pas dans une vraie protection ni de la part des organisations

internationales ni du gouvernement hondurien :

« Les mortes violentes ont commencé un an avant la mort de mon premier frère […] A priori, nous

sommes une ethnie protégée par différentes institutions dans le monde, mais dans les faits nos

communautés n’ont pas de protection. Les documents établissent que nous sommes patrimoine

mondial de la culture, mais la police n’est pas dans nos communautés, où sont les lois et la

protection internationale ? ».

Page 137: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

135

D’ailleurs, dans son récit Juan Carlos dénonce que les organisations internationales telles que

la Banque Mondiale contribuent au sabotage des ressources naturelles de sa région. Ainsi, il

explique qu’en tant que président de l’organisation des Garifunas, OFRANEH102

, il avait

plusieurs réunions avec la direction de la Banque Mondiale. Dans ces réunions, Juan Carlos

dénonçait la collaboration entre la banque mondiale, les banques honduriennes et les entreprises

qui détruisent leur environnement :

« Quand je me suis réuni avec la représentante de la Banque Mondiale, elle m’a expliqué les fonds

qui existaient, comme les fonds destinés aux organisations qui défendent les droits de l’Homme et

la nature. Je lui ai dit tout cela est très bien, mais vous vous empruntez de l’argent à des banques

telles que Ficosa qui détruisent la communauté garifuna. La Banque Ficosa a détruit un fleuve de

notre communauté qui était la source de poisson de presque tout le pays. En plus ils ont rempli le

fleuve avec de mangroves et beaucoup de poisson sont morts à cause de ça. Qui a financé ça ? La

banque mondiale a donné une quantité impressionnante d’argent à la Banque Ficosa pour construire

des hôtels de luxe et des courts de golf.

J’ai dit à la dirigeante de la Banque Mondiale, Vous ne pouvez pas défendre notre cause parce que

vous êtes là comme une entrepreneuse. Vous n’êtes pas là pour défendre la cause de ces petits

noirs, mais plutôt pour voir quels bénéficies vous pouvez obtenir de cet endroit où tous les poissons

sont morts et les petits noirs meurent de faim. Vous êtes ici seulement pour observer ce qu’on fait et

on dit et aller le raconter à vos chefs. Ils nous envoient des gens de troisième catégorie, qui ne

peuvent pas prendre de décisions, cette réunion ne sert à rien, il vaut mieux l’annuler ».

Juan Carlos semble spécialement frustré et énervé avec l’organisation des garifunas qui

continue de collaborer avec des organisations telles que la Banque Mondiale. Il dénonce la

collaboration de l’organisation des garifunas avec des organisations internationales telles que la

Banque Mondiale et l’ONU qui travaillent avec les entreprises et le gouvernement corrompu.

D’ailleurs, il dénonce que l’organisation de sa communauté est dirigée par des garifunas qui ont

vécu plusieurs années à l’étranger et qui ne représentent pas les vrais intérêts de sa communauté :

« Toute l’aide financière qu’ils ont pour leur organisation ils l’obtiennent de ces organisations […]

Ils sont liés aux Nations Unies et la Banque Mondiale, toutes ces aides étaient faites pour aider les

hommes politiques pour défendre leurs causes, mais pas les causes du peuple ».

102

Organización Fraternal Negra Hondureña, site web officiel: http://ofraneh.org/ofraneh/index.html

Page 138: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

136

Tout au long de son récit, il fait une distinction entre les garifunas qui ont émigré aux États-

Unis pour l’ambition et les garifunas comme lui qui sont restés dans son pays. Il fait cette

distinction, car Juan Carlos est resté dans son pays pour défendre sa culture, ce qui a provoqué

d’une certaine manière, la mort de ses frères :

« Nous qui sommes restés en luttant pour notre peuple et pour montrer la culture garifuna au

monde, on a eu beaucoup de problèmes à cause de la violence dans nos communautés. […] La plus

grande partie de la population garifuna qui a migré l’a fait, car ils étaient des personnes ambitieuses

et qu’ils voulaient arriver aux États-Unis pour avoir une voiture et des choses comme ça, des choses

de luxe. Cette ambition et la migration de beaucoup de garifunas ont affaibli nos communautés. Une

partie de la culture est partie et là-bas ils ne l’ont pas maintenue parce qu’ils n’avaient pas le temps

à cause du travail et du style de vie.

Il y a des garifunas qui ont vécu cinquante ans aux États-Unis et ce sont eux qui représentent nos

communautés. Ils n’ont pas eu l’initiative d’apprendre leur langue à leurs enfants. Dans les réunions

ils me voyaient comme un mineur, car ils avaient 57 ans, 60 ans et moi 32 ans et quand je leur

parlais directement et leur disait ce que je pensais ils n’appréciaient pas ».

Cette distinction par rapport aux garifunas est très répétée par Juan Carlos. Il déclare que

l’organisation garifuna l’a nommé président du patronat parce qu’ils pensaient avoir trouvé en lui

une marionnette. Néanmoins, Juan Carlos voulait vraiment des changements dans sa

communauté :

« Ils ont pensé qu’ils allaient avoir une marionnette en moi et c’est pour ça qu’ils m’ont mis en tant

que président et quand ils ont vu que je n’étais pas une marionnette ils m’ont mis des obstacles. Je

leur ai demandé de l’aide après la mort de mon frère, mais ils ne m’ont pas du tout aidé.

Je l’ai dit au procureur, l’argent corrompt, l’argent lave l’esprit, on ne veut pas de votre argent. Il

voulait nous donner un million et demi de dollars pour qu'on se dispute. Je lui ai dit : la principale

priorité c’est l’assainissement de nos terres, la deuxième priorité est l’assainissement de nos terres

et la troisième priorité est l’assainissement de nos terres.

Les directeurs de l’OFRANEH n’ont pas apprécié ce que j’ai fait, mais je suis capable d’avoir mes

propres réflexions et c’est ça qu’ils n’apprécient pas. Ce sont eux qui sont en train de détruire la

communauté. La directrice de l’OFRANEH n’a pas apprécié ce que j’ai fait et elle a commencé à

organiser des réunions secrètes avec le procureur ».

Page 139: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

137

Dans ces conditions de violence et notamment après la mort de sa famille, Juan Carlos a dû

quitter son pays avec sa famille. Ils sont arrivés au Mexique parce qu’une connaissance du

Chiapas lui avait parlé de la demande d’asile. Néanmoins, ils se sont trouvés avec le racisme

latent de Tenosique, ce qui rend difficile leur séjour. Juan Carlos ne dénonce pas uniquement le

racisme des habitants de Tenosique, mais aussi celui des salariés du Commissariat pour l’Aide

aux Réfugiés. Il signale avoir reçu des traitements racistes durant sa demande d’asile. Lors d’une

réunion avec la COMAR il demanda combien de garifunas reçoivent l’asile, les agents lui ont

répondu que c’était impossible de le savoir. Juan Carlos explique que c’est faux, car dans le

formulaire de la demande, il est demandé de renseigner l’ethnie à laquelle on appartient :

« Je leur ai dit : vous savez combien de garifunas ont fait une demande d’asile et combien ont eu

une réponse positive. Je comprendre ce que j’ai lu, parmi les questions il est écrit « appartenez-

vous à une ethnie ? avez-vous besoin d’un traducteur ? Donc vous savez combien ont fait la

demande ».

Il pense qu’après révision de son cas, la réponse sera positive, car au COMAR ne lui convient

pas d’avoir des attitudes racistes. Si la demande d’asile est acceptée, il cherchera une autre ville

pour s’installer avec sa famille. Il aimerait aussi connaître les Afro-Mexicains, mais en même

temps il affirme qu’ils sont dans l’ignorance de leurs racines noires. Juan Carlos ne veut plus

s’engager dans un processus de conscientisation, car au Mexique les personnes qui se mobilisent

disparaissent aussi. Il souhaite avoir un futur dans lequel ses enfants pourraient être tranquilles

ainsi que le reste de sa famille. Il souhaite réaliser des collaborations avec d’autres musiciens

mexicains et continuer à montrer la culture garifuna au monde.

Juan Carlos signale que son pays lui manque, notamment sa communauté, la plage, la vie à

côté de la mer. Il dit qu’il n’avait pas beaucoup d’argent, mais s’il se sentait déprimé il pouvait

prendre son bateau et aller pêcher avec ses enfants ou aller nager avec sa famille. D’après lui, la

situation du peuple garifuna serait mois complexe si les organisations internationales, mais aussi

garifunas, donnaient l’aide et la protection qu’ils sont censés donner parce que la culture garifuna

a été déclarée patrimoine culturel de l’humanité.

En conclusion, le témoignage de Juan Carlos est très marqué par son rapport à sa culture

garifuna. La manière dont il présente les éléments de son récit sur soi et de son passé est traversée

par sa filiation à son ethnie. Ceci est différent des autres récits que nous avons vus dans cette

Page 140: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

138

partie. Ainsi, Juan Carlos avant que s’identifier en tant que demandeur d’asile ou migrant,

s’identifie en tant qu’un homme garifuna, qui appartient à une ethnie a priori protégée par les lois

internationales.

De la même manière, il est intéressant d’observer que dans son récit, Juan Carlos se décrit

toujours comme un sujet autonome, avec ses propres pensées et qui ne se laisse pas manipuler par

les autres. Ce sens de l’autonomie est présent tout au long de son récit et ne disparaît pas une fois

qu’il a quitté son pays et habite de manière provisoire à Tenosique. D’ailleurs, son exigence du

respect de ses droits ne se limite pas à son pays, car il explique protester contre le racisme des

agents de la Commission Mexicain d’Aide au Réfugié.

Le récit est marqué aussi par une séparation entre les migrants économiques et les demandeurs

d’asile. Ainsi, dans son récit de vie les migrants économiques sont comme des traîtres de la

culture garifuna. Cependant, il ne se place pas dans cette catégorie, car il a migré après avoir été

victime de violence. Ceci lui permet de maintenir une cohérence dans sa ligne biographique, Juan

Carlos reste donc le défenseur des droits des garifunas et non le garifuna qui a abandonné sa

communauté.

Le témoignage de Juan Carlos nous permet de réfléchir sur l’identité assignée aux migrants et

la manière dont ils s’en éloignent. Il me semble que son témoignage est particulièrement

important, car il nous montre les caractéristiques spécifiques de ces sujets qui participent aux flux

migratoires. Notamment, le témoignage de Juan Carlos fait référence à un groupe ethnique qui a

des luttes très spécifiques dans son pays d’origine. Ce groupe fait face également à des enjeux

particuliers tels qu’une double discrimination, par le fait d’être migrant et parce qu’ils sont noirs.

Page 141: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

139

Conclusions

Dans ce travail de recherche, j’ai montré comment le refuge construit l’identité du sujet

migrant et des sous catégories identitaires telles que les réfugiés, les migrants en transit, les

groupes vulnérables : les mineurs non accompagnés, les femmes et les LGBTI. Le sujet migrant

conçu par le refuge est un sujet vulnérable ayant besoin de protection internationale et spirituelle

(basé dans les origines religieuses du refuge) et un sujet ayant des droits. Le refuge migrant a créé

un espace ad hoc pour l’accueil des personnes appartenant à cette catégorie identitaire du « sujet

migrant ».

Un des principaux aspects du « sujet migrant » conçu par le refuge est sa dimension collective,

le refuge prend en charge les besoins de ce groupe mais il n’est pas créé pour écouter et traiter les

demandes des individus. Ceci est l’un des principaux enjeux et points de tension pour les

migrants qui doivent porter cette identité collective et respecter les règles et les logiques internes

de l’auberge bien qu’ils vivent leur migration de manière individuelle. Comme je l’ai montré

Page 142: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

140

précédemment, les migrants ne sont toutefois pas passifs face à l’imposition de ce cadre basé sur

une identité collective qui leur est imposé une fois qu’ils entrent au refuge. Nous observons ainsi

au long de ce travail de recherche les différentes stratégies utilisées par les migrants pour

négocier avec le traitement collectif de l’identité du « sujet migrant » telles que le mensonge, le

développement d’amitiés avec le groupe de bénévoles, l’utilisation de certains des bénéfices liés

aux groupes « vulnérables », etc.

J’ai également montré au long de cette recherche que les migrants vont trouver des stratégies

pour négocier avec les aspects identitaires qui leurs sont le moins agréables comme la

stigmatisation et la précarisation. Ces aspects sont plus difficiles à gérer, car ils impliquent pour

les migrants de faire des compromis par rapport à l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Ainsi se

trouver dans le même espace que d’ancien membre de gang fut pour certains migrants une raison

de quitter l’auberge. Les migrants recherchent des identités plus valorisantes, en montrant par

exemple qu’ils ont une capacité de mobilité qui n’est pas limitée par les contrôles migratoires. Ils

mettent en avant leurs réseaux (passeurs, famille aux États-Unis, connaissance du chemin

migratoire) pour montrer qu’ils ont la capacité de continuer leur parcours migratoire. Les

hommes luttent contre un parcours migratoire démasculinisant et vont employer des stratégies

pour récupérer une identité masculine. Les femmes et les personnes LGBTI vont s’approprier

leur appartenance à un groupe vulnérable afin de bénéficier d’un traitement particulier et

protecteur qu’ils ne recevraient pas en dehors du refuge. Les mineurs non accompagnés utilisent

la protection internationale pour éviter se faire expulser et cherchent à agir librement comme s'ils

étaient des adultes (comme certains le faisaient peut-être déjà avant car certains mineurs sont déjà

parents dans leurs pays d'origine).

Les migrants font leurs projets de vie autour des possibilités qui leur sont accessibles tel que

l’asile ou l’aide financière. Certains éléments de l’identité collective du « sujet migrant » peuvent

ainsi être utilisés par les migrants pour bénéficier de ce statut. Les migrants apprennent par

exemple à raconter les événements qui les ont poussés à émigrer d’une manière à pouvoir initier

une demande d’asile et avoir l’opportunité d’obtenir le statut de réfugié. Ils postulent au soutien

financier du Haut-Commissariat pour les Réfugiés pour trouver une stabilité économique, même

si provisoire. Les migrants utilisent cette identité collective afin de reconstruire leurs biographies,

donner un nouveau sens à leurs vies et finalement se créer de nouveaux projets pour l’avenir.

Page 143: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

141

Reconstruire certains éléments de leurs passés leur permet de donner un sens au fait qu’ils soient

au refuge migrant. Dans leurs récits, les migrants parlent de leurs vulnérabilités, du besoin de

quitter leur pays pour aider leurs enfants ou à cause de menaces de gangs, sans chercher à

renvoyer l’image d’un migrant sans choix. Dans leurs récits, ils ont toujours une capacité

d’action, de choix qui les ont poussés à quitter leurs pays. Ils ne parlent pas de leur séjour au

refuge ou s’ils en parlent c’est d’une manière très synthétique, car il faut d’abord donner un sens

nouveau au passé. En réalité, il leur est plus difficile de donner du sens à leur présent vécu à

l’auberge. En omettant le présent et en reconstruisant leurs passés, ils arrivent ainsi à créer une

histoire sur soi qui n’est pas uniquement marquée par le passage [obligé] par le refuge migrant.

Qu’est-ce que tous les éléments analysés au long de cette recherche ont en commun ?

Pourquoi est-il important de montrer les points de décalage entre l’identité collective construite

sur les migrants et les migrants eux-mêmes ? Que signifie le fait que dans leurs actions et leurs

discours les migrants sont toujours en train de négocier avec la gestion de leurs vies et avec les

aspects liés à leur identité acquise de migrants clandestins ? D’après moi, tous les éléments

précédemment cités montrent et confirment que les migrants sont en train de pousser les limites

de la catégorie du migrant clandestin qu’on leur fait porter. Ils sont ainsi en train d’affirmer par

différents moyens que malgré le fait qu’ils aient été obligés de quitter leurs pays d’origine, ils ne

sont pas seulement des victimes. Ils ne sont pas des sujets passifs face aux enjeux auxquels ils

font face et même s’ils n’ont pas le droit de migrer légalement, ils ont quand même un droit de

mobilité.

Les migrants ne négocient pas uniquement avec les aspects liés à leur clandestinité, à leur

interdiction de mobilité ou à leur vulnérabilité apparente, ils critiquent aussi et, ceci est le point

d’ancrage de ma recherche, la manière dont les espaces destinés à leur accueil fonctionnent. Pour

les migrants il est plus difficile de faire une critique d’un espace d'accueil et de protection qui a

pour objectif d’offrir un traitement digne aux migrants que des espaces d'enfermement tel qu’un

centre de rétention. Toutefois, cette recherche nous montre que la création de catégories

identitaires liées au respect des droits de l’Homme entraine une imposition, un contrôle et une

classification des sujets qui sont largement opposés aux envies, besoins et espoirs de ces mêmes

sujets.

Page 144: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

142

Nous avons vu que les migrants négocient avec l’identité collective créée sur eux et pour eux

par le refuge, mais aussi plus largement par un réseau transnational de plaidoyer. Le refuge

migrant en tant qu’un territoire de l’attente nous a permis d’observer ce qui se passe lorsque le

discours humanitaire et de protection des droits de migrants se matérialise. Il nous a également

permis d’observer ce qui se passe lorsque les sujets sur lesquels le discours a été fondé se

confrontent à la vie au sein de ces espaces. L’élément qui est en jeu ici est leur propre sens de soi,

autrement dit, leur identité personnelle qui est confrontée à une identité collective avec laquelle

ils ne sont pas nécessairement d’accord ou ne se sentent pas engagés. L’identité du « sujet-

migrant » cherche la mobilisation de la société civile. Ainsi, cette identité est marquée par la

vulnérabilité, la victimisation, la peur à la mort, la dénonciation des violations de droits de

l’Homme, la mobilisation pour le respect des lois internationales telles que le statut de réfugié.

Néanmoins, les migrants vivent leur migration de manière très individuelle et leur objectif

principal n’est par conséquent pas de garantir le respect de leurs droits, mais plutôt de trouver des

solutions et des stratégies personnelles pour se construire un meilleur avenir. Dans le cas

spécifique des migrants garifunas, j’ai trouvé qu’ils se voient comme membres d’un sujet

collectif marqué par leur ethnicité et non pas par le fait d’être migrants. Si non, la majorité des

migrants (indépendamment de l’ethnie, sexe ou âge) cherchent à passer le temps d’attente de la

manière la plus confortable et la moins exposée aux dangers possibles et ne se trouvent pas dans

des démarches politiques bien qu’ils se trouvent dans l’espace de l’attente où a priori l’exigibilité

du respect des droits est la racine fondamentale. Ainsi, ils sont plus concentrés à bien vivre, bien

manger, sortir, se balader, faire des amitiés, vivre leur sexualité, montrer leur pouvoir d’achat, se

reposer aux horaires quand ils le veulent, etc.

D’après moi, c’est à travers ces activités du quotidien que les migrants réalisent un travail de

subjectivation et de définition de leur identité. De ce fait, plutôt que de rester passifs et de suivre

ce que le refuge migrant leur demande, les migrants négocient. Ces négociations identitaires ont

lieu au niveau individuel, mais vu la répétition et la propagation de ces attitudes de négociation,

je trouve que nous pouvons affirmer que c’est un processus collectif de subjectivation,

d’émancipation et d’autonomisation par rapport à l’identité collective qui les classifient comme

des « clandestins », de « sans-papiers » des « exclus de la vitesse du monde » (Vidal et Musset,

Page 145: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

143

2015). Il s’agit en même temps d’un processus d’émancipation par rapport à l’identité créée au

sein du discours de droits de l’Homme.

Nous avons donc un décalage, avec d’un côté une identité collective construite par les

activistes sur laquelle des organisations internationales se mobilisent et par laquelle des

campagnes de plaidoyer sont régulièrement créées, et de l’autre côté une identité individuelle

avec ses ambitions, projets et envies. Nous pouvons nous demander quels sont les enjeux liés à ce

décalage pour le refuge migrant ? Un premier enjeu est la gestion collective de cette population et

les négociations des migrants pour contourner les règles. Pourrait-on trouver d’autres moyens

pour maintenir l’ordre à l’intérieur du refuge ? Faudrait-il, par exemple, demander aux migrants

quels aspects ils aimeraient voir changer dans cette gestion collective ? Un second enjeu est que

les campagnes de plaidoyer essaient de mettre en avant ne correspond pas à la vision des

migrants. Il serait intéressant de réfléchir aux causes qui font que les actions du refuge

n’aboutissent pas à la création d’un sujet migrant politique qui s’engageraient dans l’action

collective sur le long terme ? Comment le refuge pourrait-il faciliter l’apparition de migrants

acteurs dans le processus collectif de défense et de promotion de leurs droits ?

Je trouve qu’il serait également intéressant pour les responsables du refuge et des réseaux de

plaidoyer de remettre en cause l’organisation qui accompagne la gestion de la migration. Il serait

légitime de se demander pourquoi nous avons une présence si importante d’ONG internationales

telles que le Haut-Commissariat pour les Réfugiés dans cette région du Mexique alors qu’il y a

également des concentrations importantes de migrants à la frontière nord du pays et notamment

dans les états sud des États-Unis. Pourquoi autant d’organisation au sud du Mexique et pas aux

Etats-Unis, au Texas ou en Arizona ?

Nous pouvons réfléchir aux conséquences de la présence de ces organisations sur la hausse de

la demande d’asile dans la région et ses effets sur le refuge migrant. Le refuge migrant est-il

vraiment équipé pour accueillir une telle population qui devient de plus en plus sédentaire et qui

réside plus longtemps au Mexique dans un sorte de purgatoire existentiel en matière de séjour

légal ? Si la précarité et la stigmatisation posent déjà des problèmes parmi la population migrante,

mais aussi parmi les habitants de Tenosique, nous pouvons nous demander quels sont les effets

de l’accumulation d’une population flottante en attente de la résolution de sa demande

d’asile dans la région ?

Page 146: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

144

En ce qui concerne les migrants, il est important de s’interroger sur les limites du processus de

subjectivation par lequel ils passent. Ainsi, même si les migrants deviennent sujets dans le sens

où ils se montrent capables d’action et cherchent des solutions pour leur avenir, nous pouvons

nous interroger sur les conséquences liées au fait que les processus d’autonomisation des

migrants restent principalement des efforts individuels ? Comment les migrants peuvent ils

s’engager en matière de politiques publics si les migrants se focalisent exclusivement dans

l’aboutissement de leurs projets personnels ? Ces processus d’autonomisation peuvent il avoir

lieu en dehors du contexte protégé du refuge migrant ?

Ainsi, même si le territoire de l’attente permet des négociations identitaires importantes, il est

nécessaire de se demander si ces négociations vécues au niveau individuel au sein de l’auberge

peuvent trouver des espaces où continuer en dehors le refuge ? Ceci est notamment le cas pour les

migrants qui n’obtiennent pas le statut de réfugié (la grande majorité de demandeurs) et qui se

trouvent alors dans une sorte de purgatoire existentiel. Si au sein du refuge ils sont capables de se

reconstruire en tant que sujets, en dehors le refuge leurs possibilités restent très limités. D’après

moi, cela pourrait être différent si grâce à l’action collective, les politiques publiques arrivaient à

donner plus d’opportunités aux migrants qui se trouvent au Mexique.

Il me semble qu’une action véritablement collective serait la seule manière pour que les

migrants puissent se constituer en tant que sujets, même à l’extérieur du refuge et que leur statut

de clandestin ne soit pas en soi leur limitation la plus importante. Toutefois, cette action

collective ne peut pas continuer comme actuellement, car si les porte-parole n’ont pas encore

réussi à générer des processus de conscientisation et de politisation chez les migrants c’est parce

qu’ils n’ont pas su suffisamment écouter ce que les migrants veulent vraiment.

Finalement, il est important de continuer à faire des recherches sur ces espaces accueillant des

populations migrantes et sur la défense de droits de l’Homme. Réaliser des travaux

ethnographiques sur ces espaces serait envisageable afin d’avoir plus des repères sur les enjeux

de ces populations migrantes dans les territoires de l’attente. Les chercheurs intéressés par ce type

d’enquêtes auraient à leur disposition une grande diversité d’information sur les droits de

l’Homme, des rapports des ONG internationales, campagnes de plaidoyer, etc., mais beaucoup

moins des travaux ethnographiques sur ces espaces. Ce dernier aspect atteste de l’envergure du

Page 147: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

145

travail de plaidoyer autour des migrants sans-papiers au détriment des travaux scientifiques faits

sur les espaces de l’attente.

Note sur les principales difficultés rencontrées lors de la réalisation du terrain de recherche

Lors de mon séjour à la casa del migrante, j’ai dû faire face à différentes situations

problématiques qui ont rendu mon travail de terrain difficile. À présent, je présente les

principales difficultés que j’ai rencontré :

1. Le double rôle de chercheuse et de bénévole

J’avais le double rôle de chercheuse et de bénévole pendant mon terrain de recherche. En

effet, travailler au refuge en tant que bénévole était une condition pour séjourner à l’auberge.

Grâce à mon rôle de bénévole j’ai pu utiliser la technique de l’observation participante, ce qui

m’a permis d’observer les dynamiques des migrants et du personnel de l’auberge. Néanmoins,

une des grandes difficultés durant mon terrain fut de gérer la charge de travail associée au

bénévolat. À cause du grand nombre de migrants et le peu de ressources humaines du refuge, j’ai

eu un planning très chargé pendant les trois mois du travail de terrain. Les activités à réaliser en

tant que bénévole occupaient une grande partie de mon temps et par conséquent, je devais

observer les interactions entre les migrants et le personnel en même temps que je réalisais les

activités de bénévolat. Il ne me semble pas que cela ait influencé de manière négative mes

observations, cependant, il y a des éléments que je n’ai pas réussi à retenir ni enregistrer dans

mon cahier de terrain.

La charge de travail a également provoqué des difficultés pour réaliser les entretiens car

j’avais des horaires très strictes et il était compliqué de trouver un autre bénévole pour me

remplacer. Une autre difficulté du double rôle de chercheuse-bénévole fut de maintenir

l’objectivité pendant mon terrain de recherche. Cela fut particulièrement compliqué car les

migrants employaient des stratégies, dont j’ai parlé dans ce mémoire, avec moi. Un exemple ce

sont les rapports émotionnels que j’ai développé avec les migrants, notamment avec les

adolescents qui employaient des stratégies de « séduction » pour que je leur donne un traitement

différencié.

De plus, il me semble après avoir réalisé les entretiens et avoir réécouté les audios que mon

rôle en tant que bénévole a aussi joué contre moi. J’avais un rôle d’autorité par rapport aux

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146

migrants et j’ai ressenti qu’ils n’étaient pas toujours à l’aise pour parler ouvertement du refuge.

Notamment, lorsque les entretiens se faisaient dans les installations de l’auberge. Les entretiens

qui ont eu lieu avec les migrants qui habitaient dans la ville de Tenosique ont apporté plus

d’informations sur les enjeux vécus à la casa. Toutefois, la plupart des migrants habitent au

refuge et non dans la ville de Tenosique.

2. Les difficultés pour enquêter dans une institution totalitaire/contraignante

Enquêter sur une institution comme le refuge migrant, caractérisé par le contrôle spatio-

temporel des migrants est une difficulté. Les contraintes des migrants pour sortir en ville ainsi

que les horaires d’ouverture et de fermeture des portes de l’auberge apportent des restrictions

pour pouvoir conduire les entretiens. De même, il y avait aussi des difficultés liées au manque

d’intimité pour réaliser les entretiens car les espaces de l’auberge sont très limités. J’ai réalisé

certains entretiens dans une salle de réunion et d’autres sur le terrain qui se trouve à l’extérieur du

refuge. Toutefois, j’ai eu des difficultés dans les deux cas, provoquées notamment par le manque

d’intimité. J’ai réussi à faire uniquement deux entretiens dans la ville de Tenosique, un entretien

avec une femme qui avait déménagé au centre-ville et l’autre avec un homme qui habitait au

centre-ville avec sa famille pendant qu’ils attendaient la réponse à la demande d’asile.

Je me suis également trouvé face à un problème qui me semble être caractéristique des

institutions totalitaires : la répétition. Bien qu’au début de mon terrain de recherche, la répétition

m’a donné beaucoup d’éléments d’analyse (la discipline, les mises en rang, les repas…), au fil du

temps je me suis habituée à observer les même scènes plusieurs fois et ceci a contribué à ce que

je rate des inconsistances ou des nouveautés dans ces répétitions. Un autre problème fut qu’il m’a

semblé à un moment qu’il n’y avait pas assez d’éléments à analyser au refuge. D’après moi, il

m’aurait fallu six mois au total pour réaliser une ethnographie capable de capturer plus de détails

sur les différentes dynamiques de la casa. Pendant ces six mois, j’aurais dû être très vigilante

pour ne pas écrire toujours les mêmes observations sur mon cahier de terrain.

3. Le manque de recherches ethnographiques

Ceci fut un grand problème au moment de réaliser ce travail de recherche. Le sujet de la

migration clandestine et particulièrement la migration centraméricaine est très connue grâce aux

campagnes de plaidoyer des organisations telles qu’Amnistie Internationale. Le travail de

Page 149: Le `` sujet migrant '': négociations d'une identité

147

promotion de droits de migrants est également important à rendre visible les conditions de la

migration clandestine. Toutefois, j’ai eu de difficultés pour trouver des recherches

ethnographiques de là où se trouvent les migrants. En réalité, j’ai observé au long de mon terrain

que bien que le sujet soit médiatisé, on connaît vraiment très peu par rapport à leurs vies,

notamment aux refuges migrants.

4. La confidentialité

Tout au long du terrain de recherche, j’ai observé et participé à des situations crues desquelles

je n’ai pas forcement parlé dans ce mémoire. Des situations de victimes de violence, de migrants

qui arrivent au bord de la mort, d’urgences médicales, des scènes de violence au sein du refuge

ou des accouchements de femmes, sont quelques exemples. Au moment de rédiger ce mémoire,

j’ai hésité pour sélectionner les informations qui seraient mieux de maintenir confidentielles.

La confidentialité a toujours été source de difficulté dans la réalisation de ce mémoire. Je suis

arrivée au terrain de recherche avec l’intention de réaliser ma recherche sur l’action collective de

défense des migrants. Cependant, l’équipe de travail permanente de l’auberge garde les

informations de leurs activités dans une grande confidentialité. Par exemple, pendant mon terrain

de recherche la « 72 » a décidé de décliner le soutien financier du Haut-Commissariat pour les

Réfugiés de l’ONU, ceci n’était pas expliqué aux bénévoles et les raisons ont été maintenus en

secret.

La confidentialité est très répandue car les situations vécues au refuge sont très délicates : la

violence, les problèmes de santé, le travail des organisations criminelles aux alentours du refuge.

De ce fait, dès que je suis arrivée au refuge je me suis rendu compte que l’information sur

l’organisation et ce qui se passait derrière les bureaux de l’administration était inaccessible pour

moi. Si j’étais resté un temps plus important au refuge, au minimum six mois, j’aurais peut-être

pu me rapprocher des dynamiques organisationnelles. Cependant, j’ai ressenti que ma position en

tant que bénévole de court séjour m’a permis de passer du temps dans la quotidienneté des

migrants ce qui a rendu possible l’étude des stratégies et de la vision qu’ont les migrants sur ce

qui se passe à l’auberge.

5. Le rejet des chercheurs

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148

Les responsables du refuge migrant se montraient contre les chercheurs qui venaient à

l’auberge pour faire des enquêtes. D’après moi, ce rejet était plutôt dirigé vers les enseignants-

chercheurs qui se présentaient pendant quelques jours au refuge et qui, ensuite, partaient et pas

contre les étudiants ou les jeunes chercheurs. Les responsables du refuge trouve que les salariés et

les bénévoles du refuge qui sont en contact direct avec la population ont une vraie expertise que

les enseignants chercheurs n’ont pas. Ces commentaires de la part des responsables sur les

chercheurs m’ont créé de d’inconfort au moment de réaliser les entretiens et j’ai choisi de pas

parler ouvertement que je faisais un travail de terrain pour un mémoire de recherche. J’avais

également besoin de l’autorisation des responsables pour réaliser les entretiens ce qui ralentissait

la procédure.

6. Le fait d’être une femme

L’expérience sur mon terrain de recherche a également été marquée par le fait que je sois une

femme. Les hommes migrants harcelaient les femmes bénévoles systématiquement. Ainsi, en

plus d’observer les stratégies et tactiques des hommes envers les bénévoles, je faisais partie de

ces dynamiques. Cela m’a posé des difficultés lors de mon travail en tant que chercheuse mais

aussi en tant que bénévole. Pour moi, le harcèlement a rendu difficile de travailler dans

l’assistance des hommes migrants. Les femmes bénévoles appliquaient leurs propres stratégies

pour faire face à celle des hommes. Bien que cela a permis beaucoup d’observation de ma part, il

était compliqué pour moi de ne me pas sentir agressée par ces hommes.

Le fait d’être une femme et partir faire un entretien avec un homme posait des problèmes. Par

exemple, si je marchais avec un homme le long du terrain à l’extérieur de l’auberge, les migrants

nous observaient et parlaient entre eux. En tant que femme, j’étais plus observé par les migrants

et je devais faire attention pour que des rumeurs ne circulent pas sur moi et les hommes migrants.

D’ailleurs, pendant les entretiens les personnes ont parlé de sujets sensibles pour eux, et vu que

j’étais dans l’écoute cela a provoqué une réaction à laquelle je ne m’attendais pas. Certains des

homes migrants que j’ai interviewés ont déclaré leur amour pour moi.

7. Les conditions environnementales

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149

Le terrain de recherche fut aussi une épreuve au niveau physique à cause des conditions socio-

environnementales de la ville de Tenosique. Par exemple, les moustiques me provoquaient des

allergies, j’ai eu des problèmes de santé comme la salmonellose provoquée par la nourriture de

l’auberge. J’étais déshydratée et j’ai subi des insolations. D’ailleurs, une situation qui a rendu

plus dur le terrain de recherche fut le manque d’eau à l’auberge et dans la ville de Tenosique.

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https://www.cairn.info/revue-transversalites-2016-3-p-33.htm (Site consulté le 05 juin 2018).

TABLE DES FIGURES

Figure 1. Arrivé à La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes. Source : Luciana Mariscal

Figure 2. Plan du refuge migrant, élaboration Luciana Mariscal de Souza.

Source : Adresse URL:

https://www.facebook.com/ciudaddecoloresmx/videos/1874472695896275/ (Site consulté le 14

juin 2018).

Figure 3. Entrée de La Casa.

Source : Adresse URL:

https://www.facebook.com/ciudaddecoloresmx/videos/1874472695896275/ (Site consulté le 14

juin 2018).

Figure 4. Frère Tomás, directeur du refuge migrant.

Source : Amnistie Internationale. Adresse URL : https://sipaz.wordpress.com/tag/fray-tomas-

gonzalez/ Site consulté le 13 juin 2018.

Figure 5. Bureaux du Haut-Commissariat pour les Réfugiés de l’ONU au centre-ville de

Tenosique.

Source : Luciana Mariscal de Souza.

Figure 6. L’accueil de migrants et l’explication de trois règles.

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Source : Vidéo Ciudad de Colores. Adresse URL:

https://www.facebook.com/ciudaddecoloresmx/videos/1874472695896275/ . (Site consulté le 14

juin 2018).

Figure 7. Le dortoir LGBTI décoré le jour de la fierté gay. Source : Luciana Mariscal de Souza

Figure 8. Gardiens montés sur le plafond surveillant l’arrivée du train.

Source : Facebook Andrea CA

Figure 9. Dortoir des femmes. Source: Luciana Mariscal de Souza

Figure 10. Dortoir des hommes. Source : Luciana Mariscal de Souza

Figure 11. La fille d’attente pour le repas.

Source : UNHCR-ACNUR, « Fraile mexicano ofrece un santuario a los refugiado”. Adresse

URL. https://www.youtube.com/watch?v=0NJClAL8PsU. (Site consulté le 14 juin 2018).

Figure 12. Les migrants en rang, écoutent les messages donnés par un bénévole avant manger.

Source : Luciana Mariscal de Souza

Figure 13. Les migrants patientent dans les installations mobiles de la Croix-Rouge dehors le

refuge.

Source : « Fraile mexicano ofrece un santuario a los refugiado”. Vidéo UNHCR-ACNUR :

Adresse URL https://www.youtube.com/watch?v=0NJClAL8PsU. (Site consulté le 14 juin 2018).

Figure 14. Migrant allongé sur le terrain.

Source : Instagram « La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes”. Adresse URL :

https://www.instagram.com/explore/locations/606665941/la-72-hogar-y-refugio-para-personas-

migrantes/?hl=it (Site consulté le 14 juin 2018).

Figure 15. Les «palapas », tables situées au long du terrain du refuge.

Source: Vidéo Ciudad de colores Adresse URL:

https://www.facebook.com/ciudaddecoloresmx/videos/1874472695896275/ . (Site consulté le 14

juin 2018).

Figure 16. Mairie de Tenosique localisée au centre-ville. Source : Luciana Mariscal de Souza

Figure 17. Tournement de football, vu du dortoir de bénévoles. Source : Luciana Mariscal de

Souza

Figure 18. Tournement de basketball.

Source: vidéo « Fraile mexicano ofrece un santuario a los refugiado”. Vidéo UNHCR-ACNUR :

Adresse URL https://www.youtube.com/watch?v=0NJClAL8PsU. (Site consulté le 14 juin 2018).

Figure 19. Groupe musical qui joue lors de la masse du ministre général des Franciscains.

Source: Luciana Mariscal de Souza

Figure 20. Les frères franciscains réunis à la ferme agroécologique. Source : Luciana Mariscal de

Souza

Figure 21. « Nous sommes personnes, nous sommes honduriens, nous sommes migrants ».

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157

Source : Facebook « La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes” Adresse URL :

https://www.facebook.com/la72tenosique/ (Site consulté le 14 juin 2018).

Figure 22. Panneau touristique de la ville de Tenosique. Source: Luciana Mariscal de Souza

Figure 23. « Les indésirables », les membres de Maras.

Source : Extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les

Réfugiés

Figure 24. Festival garifuna « Weibuguña ».

Source : Facebook « La 72 : Hogar-Refugio para personas migrantes” Adresse URL :

https://www.facebook.com/la72tenosique/

Figure 25. Migrant qui joue le rôle d’un membre des « Zetas » avec une arme fabriquée en bois.

Source: “Migration of Central Americans in Mexico”. www.rodrigocruz.com/portafolio. (Site

consulté le 14 juin 2018).

Figure 26. Migrant regardant la carte du Mexique et le chemin aux États-Unis

Source : « La 72 : Hogar-Refugio para Personas Migrantes, instagram. Adresse URL :

https://www.instagram.com/explore/locations/606665941/la-72-hogar-y-refugio-para-personas-

migrantes/?hl=it (Site consulté le 14 juin 2018).

Figure 27. Qu’est-ce qu’est un réfugié ?

Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les

Réfugiés.

Figure 28.Qu’est-ce qu’est un réfugié ?

Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les

Réfugiés.

Figure 29. Ana, Adela et Juan ont déposé une demande d’asile. Source : extrait d’une bande

dessinée distribuée aux migrants par le Haut-commissariat pour les Réfugiés

Figure 30. Les migrants centraméricains montent au train connu comme « La Bête », à la

Frontière Sud du Mexique.

Source : extrait d’une bande dessinée donné aux migrants par le Haut-Commissariat pour les

Réfugiés.

Figure 31. Une mère dit au revoir à ses enfants avant quitter son pays.

Source : extrait d’une bande dessinée distribuée aux migrants par le Haut-Commissariat pour les

Réfugiés

ENTRETIENS

Entretien Ramón Márquez, directeur du refuge « La 72 : Hogar-Refugio para personas

migrantes », par l’organisation Ciudad de Colores. Adresse URL:

https://www.facebook.com/ciudaddecoloresmx/videos/1874472695896275/

Entretien conduite avec Leonardo le 15 août 2017

Entretien conduite avec Ricardo le 20 août 2017

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Entretien conduite avec Ingrid le 27 août 2017.

Entretien conduite avec Andrea et Viviana le 22 août 2017.

Entretien groupal conduite avec Kimberly, Mateo, Alfredo, Gerardo le 28 août 2017.

Entretien conduite avec Juan Carlos le 23 août 2017.

Entretien conduite avec Juan le 13 août 2017.

Entretien conduite avec Antonio le 25 août 2017.

Entretien conduite avec William le 20 août 2017.

Entretien conduite avec Amelia le 31 août 2017.

Entretien conduite avec David le 23 août 2017.