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LEPOINTDEVUEDESÉDITEURS

Quelques jours avantNoël,MartinMolin, le collèguedePatrikHedström, accompagne sapetite amieLisetteàuneréuniondefamillesuruneîleaulargedeFjällbacka.Maisaucoursdupremierrepas, legrand-père,unrichissimemagnatdel’industrie,leurannonceuneterriblenouvelleavantdes’effondrer,terrassé.Danssonverre,Martindécèleuneodeurfaiblemaisdistincted’amandeamère.Uneodeurdemeurtre.Unetempêtedeneigefaitrage,l’îleestisoléedumondeetMartindécidedemenerl’enquête.Commencealorsunpatientinterrogatoirequevasoudaintroublerunnouveaucoupdethéâtre…Offrant une pause à son héroïne Erica Falck, Camilla Läckberg nous livre un polar familial

délicieusementempoisonné.

“ACTESNOIRS”

sériedirigéeparManuelTricoteaux

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CAMILLALÄCKBERG

Née en 1974, Camilla Läckberg est l’auteur d’une série de romans policiers mettant en scène lepersonnage d’Erica Falck. Ses ouvrages caracolent tous en tête des ventes en Suède comme àl’étranger.

DUMÊMEAUTEUR

LAPRINCESSEDESGLACES,ActesSud,2008.

LEPRÉDICATEUR,ActesSud,2009.LETAILLEURDEPIERRE,ActesSud,2009.

L’OISEAUDEMAUVAISAUGURE,ActesSud,2010.L’ENFANTALLEMAND,ActesSud,2011.

Illustrationdecouverture:©NatalieShau

Titreoriginal:

SnöstormochmandeldoftEditeuroriginal:

Månpocket,Stockholm©CamillaLäckberg,2007

Publiéavecl’accorddeNordinAgency,Suède

©ACTESSUD,2011pourlatraductionfrançaiseISBN978-2-330-00459-0

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CAMILLALÄCKBERG

Cyanure

romantraduitdusuédoisparLenaGrumbach

ACTESSUD

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Çasentaitdenouveaulaneige.Noëlétaitdansmoinsd’unesemaineetlemoisdedécembreavaitdéjàapportésonlotdefroidetdeflocons.Pendantplusieurssemaines,uneglaceépaisseavaitrecouvertlamer,maisleredouxdecesderniersjoursl’avaitrenduefragileettraîtresse.MartinMolinsetenaitàl’avantdubateauquifaisaitcapsurValödanslechenalouvertdanslaglace

par la vedette de sauvetage en mer. Il se demandait s’il avait pris la bonne décision. Lisette avaittellementinsistépourqu’ilvienne.Ellel’avaitsuppliémême.Lesréunionsdefamillen’étaientpassonfort,avait-elledit,etcelle-cisepasseraitbeaucoupmieuxs’ilétaitlà.Seulement,unerencontreavecsafamillesous-entendaitqueleurrelationétaitsérieuse,etilnevoyaitpasdutoutleschosesainsi.Maismaintenantc’étaitfait.Illeluiavaitpromisetilétaitlà,enroutepourl’îledeValöetl’ancienne

coloniedevacancestransforméeenmaisond’hôte,oùilpasseraitdeuxjoursaveclafamilledeLisette.Ilseretourna.Fjällbackaétaitmagnifique,surtoutenhiver,lorsquesespetitesmaisonsrougesétaient

enfouies dans toute cette blancheur. La hautemontagne grise qui ceinturait la petite ville lui apportaitaussi une intensité dramatique et une esthétique incomparables. Il devrait peut-être abandonnerTanumshedepourvenirvivreici,sedit-ilenriantdecetteidéefolle.Lejouroùilauraitgagnéauloto,peut-être.—Vousmelancezlebout?crial’hommesurl’appontement.Martinémergeadesesrêveries.Il se pencha et prit la corde enroulée à l’avant du bateau. Lorsqu’ils furent suffisamment près du

ponton,illajetaàl’hommequil’attrapahabilementetamarral’embarcation.—Vousêtesledernier.Touslesautressontdéjàlà.Martindescenditprudemmentlapetitepasserelleglissanteetpritlamainqu’illuitendait.—Jedevaisterminerquelquesdossiersaucommissariatavantdepartir.—Oui, j’aiapprisqu’onallaitavoirunreprésentantdesforcesde l’ordrepour leweek-end.Jeme

senstoutdesuiteplusrassuré,ditl’hommeavecungrosrireavantdeseprésenter:jesuisBörje.Avecma femme, on a repris l’endroit, et du coup, je suis l’homme à tout faire ici : menuisier, cuisinier,majordome.Ehoui,mieuxvautavoirplusieurscordesàsonarc.Ilpartitencoreunefoisd’unrirejovial.MartinattrapasonsacetsuivitBörjeendirectiondeslumièresquiscintillaiententrelesarbres.—D’aprèscequ’onm’adit,vousavezfaitdesmiraclesaveccevieuxbâtiment,dit-il.—Çaaétépasmaldeboulot,réponditfièrementBörje.Etd’argent.Ilfautlereconnaître.Maisonest

arrivésauboutdenospeinesmaintenant.C’étaitpleincetété,etmadulcinéeetmoi,onaeudesgensjusquetardenautomne.NotreoffredeNoëlremporteunfrancsuccès,onnes’yattendaitpas.—J’imaginequelesgensontenvied’échapperàl’hystériedesfêtes,ditMartin.Il s’efforça de ne pas trop souffler enmontant le raidillon vers lamaison. Il eut un peu honte. Sa

condition physique était lamentable. Compte tenu de son âge et de son métier, il aurait dû être enmeilleureforme.En levantun instant lesyeuxdu sentier, il fut saisid’émerveillement. Ils avaient réellement faitdes

miraclesaveclevieuxbâtiment.Commelaplupartdeceuxquiavaientgrandidanslarégion,MartinétaitvenuàValöavecl’écoleoupourdescampsdevacances,etilserappelaitunemaisonverte,certesjolie,maisassezdélabréeetentouréed’uneimmensepelouse.Aujourd’hui,delapeintureblancheétaitvenuerecouvrir l’ancienne, et lamaison rénovée de fond en comble était un vrai bijou.Une lumière chaudesemblaitruisselerdesfenêtresetmettaitenvaleurlafaçadeclaire.Devantl’escalier,onavaitallumédesbougiesd’extérieuretparunefenêtredurez-de-chaussée,ilaperçutungrandsapindeNoël.C’étaitundécorféeriqueetilmarquaunehaltepourl’admirer.—Joli,n’est-cepas?ditBörjequis’arrêtaégalement.—C’estincroyable,réponditMartin,époustouflé.

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Ilsarrivèrentàlamaison,entrèrentdanslevestibuleettapèrentdespiedssurlesolpourôterlaneigedeleurschaussures.—Voilàledernierarrivé!criaBörje,etMartinentenditdespasrapidess’approcher.—Martin!Commejesuiscontentedetevoir!LisettesejetaàsoncouetMartineutdenouveaulesentimentqu’iln’auraitpasdûvenir.Lisetteavait

beauêtremignonneetsympathique,ilcommençaitàsedirequ’elleprenaitleurrelationtropausérieux.Ilétaitcependanttroptardpourfairemarchearrière.Ilfallaitseulementessayerdesurvivreàceweek-end.—Viens!Ellelepritparlamainetl’entraînaplusoumoinsdeforceverslagrandesalleàgaucheduvestibule.

DanslessouvenirsdeMartin,ils’agissaitd’undortoirencombrédelitssuperposés.Aprésent,unemainau goût sûr l’avait transformée en une salle de séjour et une bibliothèque. Un énorme sapin de Noëldécorédanslesrèglesdel’arttrônaitaucentredelapièce.—Levoici!claironnatriomphalementLisette.Touslesregardssetournèrentverslui.Ilréprimal’enviederajusterlecoldesachemiseetsecontenta

defaireunpetitgesteridiculedelamain.Lisetteluifitcomprendreparunpetitcoupdecoudequel’ons’attendait probablement à plus de sa part, et il entreprit d’aller saluer chacun des invités. Lisettel’accompagnaetsechargeadesprésentations.—Monpère,Harald.Unhommegrandavec les cheveuxenbataille etunemoustache tout aussi fournie se levaet secoua

frénétiquementlamaindeMartin.—EtvoiciBritten,mamère.—MonvrainomestBritt-Marie,maispersonnenem’ajamaisappeléeautrementqueBrittendepuis

mescinqans.LamèredeLisetteselevaégalement,etMartinfutfrappéparlaressemblanceentrelamèreetlafille.

Ellesavaientlamêmesilhouettemenue,lesmêmesyeuxnoisetteetlesmêmescheveuxchâtainsbienqueceuxdeBrittensoientparsemésdequelquescheveuxblancs.—Jesuiscontentedepouvoirenfinvousrencontrer,luidit-elle.Martin murmura quelque chose du même ordre en guise de réponse et espéra que son manque de

sincériténesoitpastropmanifeste.—MononcleGustav,repritLisette.De toute évidence, l’homme,qui ressemblait à uneversionpluspetite et décharnéede sonpère, ne

faisaitpaspartiedesespréférés.—Enchanté,enchanté,ditGustavavecunairquelquepeuempeséens’inclinantlégèrement.Martin se demanda s’il devait s’incliner à son tour,mais décida qu’un petit signe de la tête ferait

l’affaire.EnsuitevintletourdelafemmedeGustavqui,àenjugerparletonqu’employaitLisette,neluiinspiraitpasnonplusunenthousiasmedébordant.—MatanteVivi.Martinsentitunemainsècheetratatinéeserrerlasienne.Celle-cicontrastaitfortementavecunvisage

sidépourvuderidesquesapeauparaissaittenduecommeuntambour.Ilétaitpersuadéques’iljetaituncoup d’œil derrière ses oreilles, il découvrirait les cicatrices d’un certain nombre d’interventionschirurgicales.Heureusement,ilréussitàs’enabstenir.—MoncousinBernard,continuaLisetted’unevoixchaleureuse.Il y avait apparemment plus d’amour entre Lisette et l’homme assis à côté de tante Vivi. Martin

éprouvauneaversioninstinctivepourcetéléganttrentenaire.Ilarboraitunecoiffurequi,pouruneraisonincompréhensible,étaitpriséedanslesmilieuxdelafinance:cheveuxgominésetplaquésenarrière.—Tiens,voilàdonclepolicierdeLisette…

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Ilparlaitavecl’accentsnobdeStockholm,etmêmesil’énoncéétaitcorrectetparfaitementinnocent,Martinperçutautrechosederrièresontondésinvolte.Quelquechosedecondescendantqu’ileutdumalàdéfinir.—Eneffet,c’estça,répondit-ilsèchementendirigeantsonattentionsurlajeunefemmequisetenait

prèsdeBernard.—LasœurdeBernard,Miranda,annonçaLisette.Martinneputs’empêcherdetressaillirlorsqu’ilpritlamaintenduedelacousinedeLisette.Miranda

étaitbelleàcouperlesouffle.Elleavaitenvironvingt-cinqans,lesmêmescheveuxailedecorbeauquesonfrère,maispluslongs,etdesyeuxd’unbleuintensequ’elleposasurlui.Martinsentitqu’ilperdaitcontenance.UnpetittoussotementdeLisetteluifitcomprendrequ’ilavaitprobablementgardélamaindesacousineunpeutroplongtempsdanslasienne,etillalâchacommes’ils’étaitbrûlé.—Monfrère,Mattias.Maistoutlemondel’appelleMatte.LavoixdeLisetteétaitdevenueglaciale,etMartinsetournaavechâteverssonfrèreaîné.Matteavait

unvisagesympathiqueetilsecoualamaindeMartinavecbeaucoupd’entrain.—J’aipresquel’impressiondeteconnaître!Lisettenefaitqueparlerdetoidepuiscetété.Jesuis

vraiment,vraimentcontentdeterencontrer!Lisettemarquaunepausethéâtraleavantdedire:—Etenfin,leplusimportant–mongrand-pèreRuben.Unhommeâgéenfauteuilroulantsetenaitdevantlui.Rubenavaitdonnésestraitsàsesdeuxfils,mais

lui-mêmesemblaits’êtrerabougri.Iln’étaitpasplusgrandqu’unenfant.Ilétaitinstallédanssonfauteuilavecunecouvertureàcarreauxsurlesgenoux.Malgrécela,sapoignéedemainétaitfermeetsonregardvif.—Aaahhh,voilàdoncnotrejeunehomme,dit-ilavecuneexpressionamusée,etfaceàlui,Martinse

sentitcommeunécolier.Le vieil homme avait quelque chose d’extrêmement impressionnant. Martin connaissait bien son

histoire.IlétaitnépauvrecommeJobet,àpartirderien,ilavaitbâtiunempirequibrassaitaujourd’huidesmilliardsdanslemondeentier.SoncontedeféesétaitconnudelaplupartdesSuédois.—Lerepasestservi!Toutlemonderegardaendirectiondelavoixclairequisefitentendredepuisl’embrasuredelaporte.

Unefemmeavecuntablierblancàl’ancienneindiquaitlasalleàmanger.Martinsupposaqu’ils’agissaitdelafemmedeBörje.—Ehbien,çatombebien,parcequej’aiunedecesfaims,ditHaraldquifutlepremieràserendre

danslasalleàmanger.Avant qu’un petit groupe ne se forme à sa suite,Martin fut témoin d’une scène cocasse. Plusieurs

membres de la famille Liljecrona se précipitèrent vers le fauteuil roulant de Ruben en rivalisant devitessepourl’atteindrelepremier.Lisette,quiétaitleplusprès,sortitgagnantedel’épreuveetjetaunregardtriomphantsur tanteVivi. Ilsedéroulaitmanifestement icideschosesauxquellesMartinn’avaitpasétéinitié.Intérieurement,ilsoupiraunefoisdeplus.Leweek-ends’annonçaittrès,trèslong.

Lisettesentitlesregardsdanssondostandisqu’ellepoussaitlefauteuildesongrand-pèreverslasalleàmanger. L’émotion de la victoire empourpra ses joues et elle espéra que ce succès préfigurait levainqueurdelagrandebataille.Cellepourl’argentdesongrand-père.L’idéequ’unetellesommepuisseunjourluiappartenirlafaisaitrêver.Ilnes’agissaitpasdemillions,maisdemilliards.Toutcequ’ilyavait à faire était de rester en bons termes avec le vieux et croiser les doigts pour que les autres sedisqualifientàtourderôle.Etcen’étaitpassiutopique.Ellesavaitaveccertitudequesonpèreetsononcle étaient en train de brûler leurs vaisseaux ; ils ne représenteraient pas ungrandobstacle sur son

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chemin.NiBernard etMirandad’ailleurs.Non, sonprincipal concurrent à la course à l’héritage étaitMatte.Pourlemoment,ilfallaitadmettrequ’ilétaitbienmieuxplacéqu’elleauprèsdugrand-père.Maiselle était certaine que c’était temporaire.Matte finirait forcément parmontrer une faiblesse dont ellepourraittirerparti,ilsuffisaitdes’armerdepatience.—Ohpardon!ElleavaitheurtélajambedeMartinaveclefauteuilroulant,etelles’arrêtapourlelaisserpasser.Elle

sedemandauninstantsielleavaiteuraisondeluidemanderdevenir.Ellevoulaitmontreràgrand-pèrequ’elle était désormais une adulte, qu’elle avaitmûri, et un petit ami policier venait avantageusementcompléter le tableau. Même si elle aurait préféré qu’il se montre moins empoté. Un seul regard surBernard lors des présentations lui avait suffi pour comprendre ce qu’il pensait deMartin, et elle sedemanda si tous partageaient son avis. Martin était certes sympathique et charmant, mais de touteévidenceilmanquaitdesavoir-vivre.Ellel’avaitfaitvenir,tantpispourelle.Maintenant,ilneluirestaitqu’àessayerdepasserceweek-endaumieux.

La vue de tous les mets du buffet installé le long du mur était impressionnante. La table croulaitlittéralementsouslesspécialités:dujambon,dufromagedetête,desharengssoustouteslesformes,desboulettes de viande, des saucisses cocktail et bien d’autres plats encore. Il y avait tout ce que doitcomporterunbuffetdeNoëlquiserespecte,etl’estomacdeMartinsemitàgronderbruyamment.—Jecroisquelejeunehommeafaim!ditHaraldenrianttandisqu’illuidonnaitunetapedansledos.—C’estvrai,j’avouequej’aiunpetitcreux,répondit-ilavecunsourireforcé.Ilespéraque lepèredeLisetteneprendraitpas l’habitudede l’appeler“le jeunehomme”etde lui

taperdansledosàtoutboutdechamp.Chacunavaitrapidementremplisonassietteets’étaitinstalléautourdelatablejolimentdécoréepour

l’occasion.Dehors,lafaiblechutedeneigeavaitévoluéenunequasi-tempête.Börjefitletourdelatableavecunebouteilled’aquavitglacéàlamain.Ilavaitl’airsoucieux.—Çanemeditrienquivaille.D’aprèslamétéo,onvaavoirunsaletemps.J’espèrequ’onn’aurapas

besoinderejoindrelecontinent,parcequeçapourraits’avérerdifficile.—Onnemanquederienici,ditRubendesavoixsèchedevieillard.Onn’apasprévudepartiravant

dimanche,etj’ail’impressionqu’onnevapasmourirdefaim.Tout le monde rit de son commentaire. Un peu trop fort et un peu trop cordialement. Une ride de

mécontentement se forma entre ses sourcils broussailleux ; il en avait probablement plus qu’assezdescourbettes.Pendantuneseconde,Martincroisasonregardetilcompritquelevieilhommeavaitdevinésespensées. Ilbaissa lesyeuxet s’appliquaà tremperunesaucissecocktaildansde lamoutarde.Unepetiteentaillefaiteàchaqueboutdespetitessaucisseslesavaitfaitserecourbersurelles-mêmes.Quandil était petit, il les appelait des saucisses-bouclettes, et ses parents le lui rappelaient encore à chaqueNoël.—AlorsBernard,ditRubenendéplaçantsonattentionsursonpetit-fils.Commentvatasociété?Ilya

certainesrumeursquicourentàlabourse.IlyeutunpetitsilencepesantavantqueBernardréponde:—Cesontdesmauvaiseslangues.L’entreprisenes’estjamaisaussibienportée.—Ahbon,cen’estpascequej’aientendu,ditRubend’unevoixdoucereuse.Etmessourcessont…

commetulesais…àconsidérercommeparfaitementfiables.—Loindemoil’idéedecritiquer tessources,grand-père,mais jemedisqu’ellessontpeut-êtreun

peudépassées.Alorsqu’est-cequetuveuxqu’ellessachentsur…VivilançaunregardacéréàBernardquileréduisitausilence.Enbaissantleton,ilpoursuivit:

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—Ehbien, tout ceque jepeux tedire, c’estque tes sources se trompent.Nousauronsdes chiffresexcellentsàprésenterlorsdenotreprochainbilan.—Ettoi,Miranda?Commentseportetonagencededesign?LesyeuxdeRubenseposèrentsurMirandacommedesrayonsX,etellesetortillaenrépondant:—Ehbien,onaétépoursuivisparlamalchance.Beaucoupdecommandesontétéannuléesaudernier

moment,etonadûfairepasmaldeboulotgratuitementpournousprocurerdesclientsderéférence,et…Rubenlevaunemainosseuse.—Merci,merci,celamesuffit.Jevoisparfaitementletopo.Autrementdit,ilnerestepasgrand-chose

ducapitalquej’aiinjectédanstonaffaire?—Ben,tuvoisgrand-père,j’avaisl’intentiondet’enparler…Elle enroula une mèche de ses magnifiques cheveux longs autour d’un doigt et adressa un sourire

obséquieux au vieil homme. Vivi essaya de sauver la situation avec son verbiage tout en tirantnerveusementsursoncollierdeperles:—Lesenfantssedébrouillentvraimentbien,ilstravaillentdur.Onnelesvoitpratiquementpluspasser

àlamaison,Gustavetmoi,c’estboulot,boulot,boulot…Martin commença à avoir du mal à avaler ses mini-saucisses. Le repas avait pris une tournure

désagréable, et il chercha à croiser le regard deLisette. Seulement, comme les autresmembres de lafamille,elleécoutaitavidementlajouteverbaleetattendaitlasuite.—EttoiLisette,tuenvisagesdecommenceràtravaillerbientôt?LabouchedeLisetteserefermad’uncouplorsquesongrand-pèresefocalisasurelle.—Mais…moi…jen’aipasencorefinimesétudes,bégaya-t-elleetellesemblarétréciràvued’œil.—Oui,jesaisquetufaisdesétudes,ditsèchementRuben.C’estmoiquilesfinance.Depuishuitans.

Jevoulaisseulementsavoirs’iln’étaitpastempsdemettretoutecetteconnaissanceenpratique?Sontonétaittoujoursd’unedouceurtrompeuse,etLisetteavaitlesyeuxbaisséslorsqu’ellerépondit:—Si,biensûr,grand-père.Rubensoufflademépris,puisilregardafinalementsesfils.—Quelquesproblèmesauboulot,sij’aibiencompris.L’œil exercédeMartinvitHaraldetGustavéchangerun regard rapide.Ce futunéchangemuetd’à

peineuneseconde,maisMartineutletempsd’ylireàlafoisdelahaineetdelapeur.—Qu’est-ce que tu as compris, papa ? finit par direHarald. Tout roule comme sur des roulettes.

Businessasusual,tusais.Exactementcommeàtonépoque.Un sourire joyeux,mais superficiel, accompagna ses propos. Sesmains, qui réduisaient fébrilement

uneservietteenconfettistandisqu’ilparlait,trahissaientsessentimentsréels.—Mon époque ! Tu sais très bien que “mon époque” ne remonte qu’à deux ans. A t’entendre, on

pourraitcroirequejetenaislabarreilyaplusdecentans.Etsijen’avaispaseuces…–ilcherchalemot–…cesproblèmesdesanté,jelatiendraisencore.Maisj’aitoujoursmessourcesdanslasociété.Etcequej’aientenduestalarmant,dit-ilenlesmenaçantdudoigt.Aprèsavoirjetéuncoupd’œilobliqueàsonfrère,Gustavpritlaparole.—CommeHaraldvientdeledire,toutestenordre.Jenecomprendspascequetuaspuentendre…Denouveau,Rubensoufflaetdelasalivejaillitdesabouchelorsqu’ils’exclama:—Vous faites vraiment piètre figure, tous autant quevous êtes.Vous avezvécu àmesdépens toute

votrevie,profitédemonargentetattenduquelescaillestombenttoutesrôties!Etj’aicommislabêtisedevous fournir desoccasions enor, j’ai sans arrêt injectéde l’argentdansvos activités, et vous– ilhochalatêteendirectiondesesdeuxfils–jevousailaissésdirigerl’entrepriseaprèsmaretraite,parcequejedésiraisqu’ellerestedanslafamille.Maisvousm’aveztrahi,tous!Vousavezdétourné,dépenséetdilapidécequejevousaidonné!Etmaintenantjevousledis:çasuffit!

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Rubentapadupoingsurlatableettoutlemondesursauta.L’instinctdeMartinluidictaitdefuircettesituationpourlemoinsdéplaisante.Pourtant,ellesemblaitprovoquerlemêmeeffetquelesaccidentsdelaroute.Ilnepouvaits’empêcherderegarder.—J’ail’intentiondevousdéshériter,sachez-le!Tous!Letestamentestrédigéetsigné,lasignature

est authentifiée, vous n’obtiendrez que ce que la loi m’oblige à vous donner. Un certain nombred’organisationsdebienfaisancetriéessurlevoletvontpouvoirremercierleurbonneétoilelejouroùjecasseraimapipe,carc’estellesquivonthériterdureste!Toutelafamilledévisageal’hommedanslefauteuilroulant.C’étaitcommesiquelqu’unavaitappuyé

surunboutonet figé l’image,personnenebougeaitd’uncil.Onn’entendaitpasunbruitdans lapiècehormislarespirationsifflantedeRubenetlatempêtequirugissaittelunfauvederrièrelesfenêtres.Sonéclatdecolèreavaitdûluidonnersoif,carilsaisitsonverred’eaud’unemaintremblanteetlebut

d’untrait.Toutlemondesetaisaitetsetenaitabsolumentimmobile.Rubenreposaleverre.Ilsemblaitquesespoumonssevidaientlentement,commeunballonquisedégonfle.Unlégerfrémissementsursonvisagefutlepremiersignequequelquechoseclochait.Ilfutsuivid’un

tressaillementdiscretdelamoitiédroitequisepropageaensuiteàgauche.Puislecorpsentierduvieilhomme futprisde soubresauts.D’abordpresque imperceptibles, les spasmes se firentdeplus enplusviolents.Unsongutturalsortitdesongosiertandisquelesconvulsionssecouaientlepetitcorpsefflanquédanslefauteuilroulant.LesmembresdelafamilleLiljecronacommencèrentàréagir.—Grand-père!s’écriaLisetteenseprécipitantsurlui.Bernard aussi se leva d’un bond,mais tous deux demeurèrent hésitants quant à lamarche à suivre.

Bernardessayad’arrêterlesspasmesenappuyantsurlesépaulesdécharnéesdeRuben,maisilsétaienttropviolentspourqu’ilyparvienne.— Ilmeurt, ilmeurt ! criaVivi et elle tira tellement fort sur son collier deperlesque le fil cassa,

laissantserépandreunecascadenacréesurleparquet.—Maisfaitesquelquechose!lançaBrittend’unairdésemparé.MartinseruasurRuben,maisaumomentoùill’atteignit,lesspasmescessèrentnetetsatêtetombasur

l’assietteavecunbruitaffreux.Enprenant lepoignetosseuxduvieilhommeentre lepouceet l’index,Martincherchasonpouls,maisaprèsuninstantilannonça:—Jesuisvraimentdésolé.Ilestmort.Vivilaissaéchapperunnouveaucriettâtasursoncoulecollierquin’yétaitplus.BörjeetsafemmearrivèrentencourantdelacuisineetHaraldleurcria:—Appelezuneambulance!Monpèrevientd’avoiruneattaque.Ilnousfautdel’aide!—Jesuisdésolé,maiscen’estpaspossible.Latempêteaarrachéleslignestéléphoniques,ditBörje,

l’airnavré.J’aiessayédetéléphonerilyauninstant,maisiln’yavaitpasdetonalité.—Detoutefaçon,celan’auraitserviàrien,ditMartinenserelevant.Ilestmort.—Maisqu’est-cequis’estpassé?sanglotaBritten.Ilaeuuneattaque?Unecrisecardiaque?Qu’est-

cequis’estpassé?Martinpensad’abordhausserlesépaulespourmontrerqu’iln’ensavaitrien.Puisilhumal’air.Une

odeurentouraitlevieilhommemort…uneodeurquineluiétaitpasinconnue…IlsepenchasurRuben,dontlevisagereposaittoujoursparmileharengetlesboulettesdeviande,etilaspiraunelargeboufféed’air. Oui, elle était bien là. Faible, mais distincte. Une odeur d’amandes amères. Une odeur qu’iln’aurait pas dû sentir dansdepareilles circonstances. Il prit le verre queRubenvenait devider et lerenifla.Uneexhalationtrèsnetted’amandesamèress’endégageaetconfirmasessoupçons.—Ilaétéassassiné.

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Soncœurcognaitfortdanssapoitrinequandelleregardaitlecrânedesongrand-père.Ilétaittellementimmobile.Mirandaserraleborddelatableetneputserésoudreàdétacherlesyeuxdumort.Elleétaitencoreen

colère contre lui après qu’il lui eut parlé de façon si agressive, et elle dut réfréner son envie de luibalancer un coup de pied dans le tibia. Il avait osé s’en prendre à elle !Devant tout lemonde ! Passeulement devant ses parents et son frère,mais aussi devant ses cousins, sa tante et son oncle. Ils nel’avaientpasquittéedesyeux,commedesfauvesaffamésprêtsàsejetersurlesrestesaprèsquelechefdemeutes’étaitservi.Pourquoineluiavait-ilpasdonnéplusdetemps?Siquelqu’unétaitenmesuredecomprendrequ’il

était très longdeconstruireuneactivitéàpartirde rien,c’étaitbien lui. Ilsauraientpu résoudre leursproblèmesavectoutl’argentqu’ilpossédait.Unmilliondeplusoudemoins,quelledifférence?C’étaitdel’argentdepochepourlui.EtcepauvreBernard.Luinonplusn’avaitpasméritéd’êtreclouéaupiloridelasorte.Iltravaillaittellementduretavaitvraimenttoutesleschancesderéussir.Siseulementilavaiteuunpeuplusdetemps…Etd’argent.MonDieu!Ets’ilavaitdéjàchangéletestament?CettepenséefrappaMirandadepleinfouetetlui

coupapresquelesouffle.Sesonglescreusèrentunpeuplusleboisdelatableetellesentitleslarmesluimonterauxyeux. Ilavaitpeut-êtredéjàmissamenaceàexécution! Ilavaitpeut-êtredéjàcontactéunavocatetfaitfairelesmodificationsnécessaires.Atouslescoups,ils’agissaitbiendecela.Ilenétaitcapable,cevieuxschnoquefourbeetrusé,elleenétaitsûre.Justepouravoirleplaisirdelesvoirramperdevantluietfayoteravantqu’ilneleurportel’estocade.Ilneleurresteraitquelesmiettesdecequelaloil’obligeaitàleurdonner,déductionfaitedecequ’ils

avaientdéjàperçu.Pourraient-ilsmêmeseretrouverendettés?Etellequiétaitdéjàcribléededettes!Mirandaeutdeplusenplusdemalàrespireretjetaunregardfurieuxsurl’hommeassassinédanssonfauteuilroulant.

Lerestedelasoiréesepassacommedansunesortedebrouillard.LesparolesdeMartinprovoquèrentd’abord un silence pesant dans la pièce. Puis elles déclenchèrent une cacophonie impressionnante.Personnenevoulut le croire,mais il expliqua calmementque l’odeurd’amandes amères indiquait uneprésencedecyanure.L’attaquedeRubencorrespondaitparfaitementàl’effetinduitparceviolentpoison.IldemandaàBörjeunsacenpapier,danslequelilglissaleverre.Ilfaudraitlefaireanalyseretils’en

voulaitdel’avoirtouchéàlalégère.Ilavaittrèsbienpudétruiredeprécieusesempreintesdigitales.—Ilfautqu’onessaiederejoindrelecontinent,dit-ilàBörjeavecautorité.Mentalement,ilavaitdéjàcommencéàénumérerlesmesuresàprendre.Convoquersescollèguesau

commissariat. Envoyer les pièces à conviction au labo. Veiller à faire partir le corps à l’institutmédicolégal,et surtout,commencerà interroger les témoins.Ainsi,dès lorsqu’ils seraientsur la terreferme,ilpourraitenclencherleprocessuspourretrouverl’assassin.—Onnepeutpas,réponditBörjeàvoixbasseenmontrantlatempêtequisévissaitdehorsetlaneige

quitombaitsidruqu’ellesemblaitformerunmurblanc.—Commentça,onnepeutpas?Ilfautabsolumentqu’onretournesurlecontinent!—Pasavecletempsqu’ilfait.C’estimpossible,ditBörjeenécartantlesmains.—Maisc’esttoutprès!Martinserenditcomptedesonirritationetseditqu’ildevaitymettreunesourdine.Ilétaitlepremier

àdevoirrestermaîtredesoi.—Börjearaison,ajoutasafemme.Onneréussirajamaisàsortirlebateau.C’estimpossible,levent

nous repoussera immédiatement vers le ponton. Non, il faut attendre que le temps se calme, toutsimplement.

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—Onn’aqu’àappelerlessecoursenmer,ditrésolumentMartin.— Le téléphone ne marche plus, tu n’as pas entendu ? rétorqua Bernard sur un ton qui indiquait

clairementcequ’ilpensaitdeMartin.—Etlesportables,qu’est-cequetuenfais?Martinsortitvivementlesiendesapoche,maissentitsoncœurflancherenvoyantqu’iln’yavaitpas

lamoindrecouvertureréseau.—Merde!s’écria-t-ilenparvenanttoutjusteàs’empêcherdejeterletéléphonecontrelemur.—C’estbiencequejedisais,répliquaBernardavecunricanementmaldissimuléetMartineutenvie

deluidonnerunegifle.—Vousvoulezdirequ’onestcoincésici?sanglotaMiranda.Elles’accrochaaubrasdeMatte.Sesyeuxmouillésétaientrivéssurl’hommeaffaissé.Matteneparut

mêmepaslaremarquer.Pour la première fois, Martin réalisa que Matte était le seul à avoir échappé à l’humiliant

interrogatoire pendant le repas, et qu’il était également le seul à montrer du chagrin. Comme pourconfirmer ses réflexions,Matte s’approchaduvieil homme, souleva tendrement sa têtede l’assiette etcommençaànettoyersonvisageavecuneserviette.Touslefixèrentcommehypnotisés,maispersonnenefit un geste pour l’aider. Lorsque le visage de Ruben fut propre,Matte l’inclina doucement contre ledossierdufauteuilroulantetréarrangealacouverturesursesjambes.—Merci,Matte,ditBrittenenregardantsonfilsavecreconnaissance.—Ilfaudraitlemettredansunendroitfroid,ditMartinenévitantdecroiserlesyeuxdeMatte.Sinous

n’arrivonspasàpartird’ici,ilestimportantdeconserver…lespiècesàconviction.Ils’exprimaitsansdouteavecmaladresse,maisilétaitleseulàpouvoirgarantirlebondéroulement

del’enquêteetàfaireensortequ’ilyaitlemoinsdedégâtspossible.Quelquepartdanscettemaisonilyavaitunassassin,etiln’avaitpasl’intentiondelelaissers’entirer.—Onpeutledéposerdanslachambrefroide,ditBörjeetils’avançapourluidonneruncoupdemain.—Parfait.Le corps était bien calé dans le fauteuil roulantMartin put aisément le transporter seul jusqu’à la

chambrefroide.—Est-cequelaportefermeàclé?demanda-t-ilàBörjequihochalatêteenmontrantlecadenas.—Onnetientpasàcequenosclientsviennentfairemainbassesurlestournedos,n’est-cepas?dit-il

avecunsourireencoinquis’effaçaaussitôtdevantlevisageimpassibledeMartin.AprèsavoirenferméàclélecorpsdeRuben,MartinetBörjeretournèrentdanslasalleàmangeroù

toutlemondeoccupaitencoreexactementlamêmeplace.Personnenesemblaitenétatdebouger.—Allonsdans labibliothèque,ditMartinenfaisantunsignede têtevers lapièceà l’autreboutdu

couloir.Börje,est-cequevousavezducognac?Lepropriétairedugîteopinadelatêteetpartitenchercherunebouteille.—Est-cequeceseraitpossibled’allumerunfeudanslacheminée?demandaMartinàlafemmede

Börje, qu’il ne connaissait toujours pas autrement que sous le nom de “ma dulcinée”. Je ne sais pascommentvousvous…—Kerstin,jem’appelleKerstin,compléta-t-elle.Et,oui,c’esttoutàfaitpossible.Jem’enoccupe.Elle quitta la pièce et Martin prit un ton péremptoire pour s’adresser aux membres de la famille

Liljecrona,quin’avaienttoujourspasbougéd’unpouce.—Allons-y.Venezavecmoi.Ilpartitlepremierenprésumantquelesautreslesuivraient.L’unaprèsl’autre,ilsvinrents’installer

danslabibliothèque.Kerstinétaitentraind’allumerlefeu,etlorsquetousfurentassemblés,Börjearrivaaveclabouteille.Ilsortitdesballonsàcognacd’ungrandvaisselieretservitunebonnedoseduliquideambréàchacun.

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—C’estlanormedanslapoliceparici?Deservirdel’alcoolauxtémoins?demandaGustavd’unevoixfaible.IlvidacependantavecreconnaissancesonverreetletenditdenouveauàBörje.—Non,pasvraiment,ditMartinavecunlégersourire.Maisriendanscetteaffairenesembleentrer

danslesnormes.C’estpourçaqu’onavanceentâtonnant.Un instant, il aurait voulu que Patrik Hedström, son collègue le plus proche au commissariat de

Tanumshede, soit là. Cela ne faisait pas très longtemps qu’ils travaillaient ensemble, mais Martinl’admiraiténormément.IlseseraitsentiplusconfiantavecPatrikàsescôtés.Ilauraittrèscertainementsuquoifaire.Tantpis,iln’étaitpaslà,etMartindevraitsedébrouillerseul.Simplement,ilnefallaitpasdécevoirPatrik.Cen’étaitqu’unequestiondebonsens,ilsuffisaitdeprocéderparétapes.—Puisquenousnepouvonspasnousrendreaucommissariat,jeprendraivostémoignagesici.Jevais

vousentendreàtourderôle,etjeparsduprincipequevousallezcoopérer.Ilposauninstantsonregardsurchacund’eux,personnenesemblaitavoird’objectionàfaire.—Jeproposequenouscommencionstouslesdeux,poursuivit-ilenfaisantsigneàHaralddelesuivre.

Lamainquitenaitleballonàcognactremblait.Brittenregardaavecpréoccupationlelargedosdesonmariquidisparaissaitparlaporte.Elles’inquiétaitpourluietsedemandaitcommentilrésisteraitàlapression.Haraldparaissait si solide.Un roc.Mais elle savait quecen’était qu’une façade.Leur longmariageluiavaitapprisqu’ilétaittoujoursunpetitgarçoneffrayé.ElleenimputaitlafauteàRuben.Ilavaitététropdur.Tropexigeant.Ildésiraitquesesfilssoientdelamêmetrempequelui.Maisnil’un,nil’autre ne l’avaient jamais été. Gustav avait une apparence physique aussi veule que l’était sontempéramentets’enétaittoujoursmieuxtiréquesonfrèredontlagrandetailledonnaituneimpressiondeforce.Personnen’avaitjamaisdécelélafaiblessequ’ilportaitenlui.Pourtant,ellesupposaitqueRubenavaitdûlesavoirmaisilavaitchoisidel’ignorer,etellelehaïssaitpourcela.Lamissionqu’ilavaitdonnéeàHaraldétaitdèsledépartvouéeàl’échec.Etl’idéedelaisserGustav

etHaraldtravaillerensemble…ehbien,elleétaitsisaugrenuequeBrittens’étaitdemandésiRubenavaittoutesatêtelorsqu’illeuravaitfaitcetteoffre.Maissesfilsavaientmorduàl’hameçon,évidemment.Ilsétaientsienthousiastesqu’ilsensalivaientàl’avance.Ilsmouraientd’enviedemontreràleurpèrequ’ilsétaient aptes à lui succéder et que tous leurs fiascos précédents seraient balayés d’un seul coup. Ilsauraientenfinl’occasionderegagnerlerespectdeRuben,aprèstantd’années.Oui,ilsavaientpeut-êtremêmeosépenserqu’ilsregagneraientsonamourmaiscelaavaitfinieneaudeboudin.Haraldrentraitdubureau chaque jour de plus en plus pâle, de plus en plus tassé. L’année passée, son infarctus n’avaitsurprispersonne.Pendantquelquetemps,ilavaitmêmeredonnéespoiràBritten.CarHaralds’enétaittiré,etelleavaitcruqueRubenverraitenfinquelatâcheétaittroplourdepoursonfils.Cenefutpaslecas.Ilavaitenvoyéunebrasséedefleursàsonchevet,puisluiavaitdemandéquandilseraitprêtàseremettreenselle.—Qu’est-cequ’ilvaraconter,àtonavis?luichuchotaGustav.Tucroisqu’il…—Jenesaispas,Gustav,ditBrittensèchement.Lecôtégeignarddesonbeau-frèreetsafaçondetoujourssedébinercommençaientàluiportersurles

nerfs.—J’espèrevraimentqu’ilne…Ilutilisaitdenouveaucetonpleurnichardetsavoixétaitunpoiltrop

aiguëlorsqu’ilrépéta,enchuchotantcettefois:j’espèrevraimentqu’ilne…—Arrête ! aboyaBritten, et ce fut son intonation plus que l’injonction qui interrompitGustav. Peu

importecequeHaraldvadireounepasdire.La limiteest franchie, et j’aimerais autantque tout soitrévélé.—Mais…,tentaGustav,leregarderrant.

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MaisBrittenenavaitassez.Elleluitournaledosetseconcentrasurlatempêtequirégnaitau-dehors.Ladiscussionétaitclose.

—Vousêtesdoncl’aîné?—Oui.Harald Liljecrona fixa le vide devant lui. Ils avaient emprunté le bureau de Börje et Kerstin et se

trouvaientdechaquecôtéd’unetabledetravailsurchargée.Kerstinavaittrouvéunbloc-notesviergeetunstylopourMartin,et il se tenaitprêtànoter tous les renseignementsqu’ilpourraitobtenir. Ilauraitpréféréunmagnétophone,commeaucommissariat,maisdutsecontenterdecequiétaitàsadisposition.—Oui,jesuislefilsaîné,répétaHaraldenobservantMartin.—Etvoustravaillezdansl’entreprisefamiliale,sij’aibiencompris?Haralds’esclaffa,sonrireétaitétrange,beaucouptropfluetpourunhommedesacorpulence.—Oui,sionpeutqualifierd’“entreprisefamiliale”unemultinationalequibrassedesmilliards.—Etquelestvotrerôledansl’entreprise?demandaMartinenl’étudiantdeprès.—JesuislePDG.Gustavestledirecteurfinancier.—Commentfonctionnevotrecollaboration?Ilpoussadenouveauunpetitrire.— Eh bien, je suppose que ce n’est pas la meilleure idée qu’ait eue papa, de nous confier des

responsabilitésquiempiètentl’unesurl’autre.Nousnenoussommesjamaisentendus,Gustavetmoi.Cen’estpaslapeined’enfaireunmystère,vousallezcertainementapprendredeschosesbienpiresdelabouchedes autres, surtoutdeVivi.Mabelle-sœur estunevraie languedevipère…Il se tut, avantdereprendre : Papa espérait peut-être que Gustav et moi serions plus proches si nous étions forcés detravaillerensembletouslesjours.Enréalité,çan’afaitqu’empirerleschoses.—Pendantlerepas,faisait-ilallusionàunfaitenparticulierlorsqu’ilademandécommentseportait

l’entreprise?Cettefois,lerirenevintpas.—J’ignoretotalementdequoiilavouluparler.Certes,nousavonsdumalànousentendre,Gustavet

moi,etparfois lesassiettesvolentaubureau–c’estunemétaphore–mais,non, jenesaispascequepapaapuentendrepournousposerunetellequestion.—Vousl’ignoreztotalement?—Totalement.Le ton secdeHarald indiquait clairementqu’il n’avait pas l’intentionde fournirde réponse à cette

questionmêmes’ilenexistaitune.—Avez-vousune idéedequi apuvouloir assassinervotrepère ?demandaMartin et il attendit la

réponseavecimpatienceentenantlapointedesonstyloàquelquescentimètresau-dessusdubloc-notes.—Ehbien,vousétiezlà,vousavezbienvul’atmosphèrequirégnaitàtable.Pensez-vousqu’ilyenait

unparmicesvautoursquinesouhaitaitpassamort?ditHaraldspontanément,puisilparutregrettersoncommentaire.Non, jepoussepeut-être lebouchonunpeu loin. Jeveuxdire,onaeunosheurts etnosdésaccordsdanslafamille,jenepeuxpaslenier.Maisdelààvouloirl’assassiner…Pourrépondreàvotrequestion,jen’enaiaucuneidée.Martin lui posa encore une poignée de questions et mit fin à l’interrogatoire lorsqu’il sentit qu’il

n’apprendraitriendeplus.

LapersonnesuivanteàprendreplacedevantMartin futMiranda. Iln’avaitpasétablidesystèmepourl’ordredepassagedesmembresdelafamille,ilcomptaittouslesentendre.

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Miranda paraissait petite et fragile. Ses cheveux noirs qui auparavant tombaient librement sur sesépaulesétaientramassésenunequeue-de-chevalserrée,cequimettaitencoreplusenvaleursabeauté.—C’esttellementhorrible,dit-elle.Salèvreinférieuretremblait.Martin fut obligé de faire un effort pour ne pas la prendre dans ses bras et lui dire que tout allait

s’arranger.Ils’envoulut.Cen’étaitpastrèsprofessionnelcommeréaction.—Oui,c’estvraimenthorrible,dit-illentemententapotantaveclestylosurlebloc-notes.Est-ceque

tusaisquipourraitavoirenviedetuertongrand-père?— Non, je ne vois absolument pas, sanglota Miranda. Je ne comprends pas comment ça a pu se

produire!Commentpeut-onfaireunechosepareille!Embarrassé,Martinluitenditunmouchoirenpapierqu’iltirad’uneboîtesurlebureau.Lesfemmes

quipleuraientlemettaienttoujoursmalàl’aise.Ilseraclalagorge.—D’après ce que j’ai entendu pendant le repas, ton grand-père n’était pas satisfait de ta façon de

gérertesaffaires,ditMartinenserendantcomptequecelasonnaitguindé.—Grand-pèreatoujoursététrèsgénéreuxavecsesenfantsetsespetits-enfants,hoqueta-t-elle.Ilm’a

prêtélecapitalpourdémarrermonagencededesign,etsiseulementj’avaiseuunpeuplusdetemps…etpeut-êtreuntoutpetitpeuplusdefonds,j’yseraisarrivée,j’ensuissûre.Maisj’aiétépoursuivieparlamalchance,etlesclientsn’ontpasencoredécouvertmesproduitset…—Tongrand-pèret’adoncprêtédel’argent.Etmaintenanttun’enasplusettuavaisl’intentiondelui

endemanderdavantage?Ai-jebiencompris?—Oui,ilnemefallaitqu’untoutpetitmilliondepluspourrenflouerlescaisses,çam’auraitdonnéle

temps nécessaire pour que ça décolle.Lemonde de lamode n’est pas tendre, il fautmiser gros pourréussir!répondit-elleenrelevantlatête.Salèvrenetremblaitplus.—Tuvoulaisdemanderunmilliondecouronnesàtongrand-père?—Oui.C’estdel’argentdepochepourlui.Tuasidéedetoutcequ’ilasursescomptesenbanque,le

vieux?Ellerefitunpetitmouvementdelatêteetlevalesyeuxauciel,puiselleparutréalisercequ’ellevenait

dedireetsalèvreseremitàtrembler.—Alorstuneleluiavaispasencoredemandé?Martinregardaavecmoinsdesympathieleslarmesdecrocodilequiruisselaientsursesjoues.—Non,non,jura-t-elleensepenchantverslebureau.J’avaisl’intentiondelefaireaucoursduweek-

end,maisjen’avaispasencoreeuletempsd’entamerlesujet.—Etlesautresmembresdelafamille?—Oui?Qu’est-cequ’ilsont?—Rubensemblaitavoirdeschosesàleurreprocheraussi.Est-cequetupensesquequelqu’unaurait

puréagirplusviolemmentque…Mirandal’interrompit.Sesyeuxfurieuxsemblaientlancerdeséclairs.—Tucroisréellementquejedésigneraisquelqu’undemaproprefamillecommeassassin?Tulecrois

vraiment?—J’aisimplementdemandésil’und’euxapuréagirplusviolemmentquelesautres.—Etceneseraitpaspareilquededemanderqui,àmonavis,aputuergrand-père?Intérieurement, Martin dut lui donner raison. Il se sentit tout à coup terriblement fatigué. Pendant

plusieurs semaines, il avait redouté ce séjour avec Lisette, et on pouvait sans exagérer dire que celas’étaitrévélécentfoispirequecequ’ilauraitpuimaginer.Ilregardasamontrequiindiquait23heurespasséesetdit:—Ilesttard.Jepensequ’onvas’arrêterlà,onreprendrademain.Unevaguede soulagementparcourut levisagedeMiranda.Ellehocha la tête et se leva.Martin lui

emboîtalepaspourretournerauprèsdesautresdanslabibliothèque.L’ambianceétaittellementpesante

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qu’illuisemblarentrerdansunmur.—Jevaisinterromprelesinterrogatoirespourcesoir.Onesttousfatigués,etjepensequ’ilvautmieux

reprendredemain,àtêtereposée.Personnenerépondit,maistoussemblèrentsoulagés.—Tuveuxuncognac?Lisette vint le rejoindre et posa samain sur son bras. Son premier instinct fut de répondre par la

négative,ilétaitpourainsidireenservice.Maislafatigueetlepoidsdelaresponsabilitéaidant,ilfitouidelatêteetselaissatomberdanslefauteuilleplusproche.Dehors,laneigetourbillonnaittoujours.Unebranchebattaitcontreunefenêtreàl’autreboutdelamaison.—C’estsûralors,qu’onnepeutpasrejoindrelaterreferme?demandaVivientouchantsoncoud’une

maintremblanteàl’endroitoùs’étaittrouvélecollierdeperles.—Tuasentenducequ’ilsontdit!Cen’estpaspossible!s’exclamaGustav.Savoixétaitunpeutrop

hautperchéeetilrépétasuruntonplusdoux:cen’estpaspossible,Vivi.Onverrademain.Latempêteseserapeut-êtrecalméed’icilàetonpourrafairelatraversée.—Jen’ycompteraispas,ditHarald.Lamétéoditqueçavacontinuercommeçajusqu’àdimanche.Je

pensequ’ilnousfaudraprendrenotremalenpatienceetattendresagementici.—Maisjenepeuxpasresterdeuxjoursici…avecuncadavre!C’étaitdenouveaulavoixdeVivi,ettouslesregardssetournèrentverselle.—Etqu’est-cequetuproposesqu’onfasse?Qu’onvolepar-dessuslaglacejusqu’àFjällbacka?rugit

Harald.Gustavselevaetposaunbrasautourdesafemme.—TuneparlespasàVivisurceton.Elleestenétatdechoc,tulevoisbien…Noussommestousen

étatdechoc.Harald renifla, et au lieu de répondre, il but une grandegorgée de cognac.Unevoix étouffée se fit

entendredepuislefauteuilprèsdelafenêtre.—Vousvousdisputez,commed’hab.Personneneparledegrand-père.Ilestmort!Iln’estpluslà!

Vousentendez?Ondiraitquevousn’enavezrienàfoutre.Laseulechosequicomptepourvous,c’estdecontinueràvousprendrelatête.Pourdesconneries!Etpourl’argent!Grand-pèreavaithontedevous,tousautantquevousêtes,etjepeuxlecomprendre!Matterespirabruyammentets’essuyalesyeuxaveclamanchedesonpull.—Voilàl’autrequiseréveille!ditBernardavecmépris.Ilétaitnonchalammentinstallédansuncoin

du canapé et faisait tourner le cognac dans son verre. Le chouchou de grand-père. Le brave toutoutoujoursprêtàécouterseshistoires interminables.Tuasmêmefaitsemblantde tepassionnerpoursesfoutaisesdeclubSherlockHolmes.Ettunet’espasgênépouracceptersonargent,toinonplus.—Bernard…,suppliaLisette,maissoncousinneprêtaaucuneattentionàsonintervention.—Tut’esretrouvéavecunappartementenvillequandtuascommencétesétudes.Combienilvaut?

Troismillions?Quatre?—Jen’aijamaisriendemandé!ditMatteenfoudroyantBernardduregard.Contrairementàvous,je

nesuispasallémendierauprèsdeluipourunouioupourunnon.L’appartementétaitaunomdegrand-père,etjepouvaisyhabiterenattendantd’avoirmondiplôme,maisaprès,jedevaismedébrouillertoutseul,c’étaitledeal.Etjenevoulaispasqu’ilensoitautrement!Grand-pèrelesavait!Il essuya encore une fois ses larmes, puis se tourna vers la fenêtre,manifestement gêné de pleurer

devantlesautres.—Matte, nous savons combien vous étiez proches, grand-père et toi, dit Britten. Et nous sommes

sincèrementdésolés.Simplement,noussommes…souslechoc,commeoncleGustavvientdeledire.Elles’assitsurl’accoudoirdufauteuildesonfilsetluicaressadoucementlebras.Illalaissafaire,

maisconservasonregardbraquésurl’obscurité.

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—Bon, ilestpeut-être tempsd’allersemettreau lit,ditHaraldense levant.Avantqu’ondise deschosesqu’onregretterademain.Unmurmureconfirmaque tout lemondeétaitdumêmeavis,etce fut lesignedudépart.SeuleVivi

s’attardadanslabibliothèque.—Notrechambreestàl’étage,ditLisetteentirantlégèrementMartinparlebras.Tun’asquetonsacà

monter,lemienyestdéjà.Illasuivitdanslelongescalieretilnefallutpaslongtempsavantqu’ilssoientcouchés.Mêmesiles

litsétaientd’unconfortdivin,ilrestalongtempséveilléàécouterlarespirationprofondedeLisetteàsescôtés.Dehors,latempêtefaisaitrageetMartinsedemandadequoilelendemainseraitfait.

Toucher son collier de perles lorsqu’elle était inquiète était une habitude que sa mère avait depuisl’adolescence. Et après toutes ces années, cela représentait beaucoup de tripotage. “Viveca a desproblèmesavecsesnerfs”,avait-elleentendurépétersamèreàtoutboutdechamppendantsajeunesse.Celaavaitfinipardeveniruneréalité.Elleavaitcruaudébutqu’onledisaitpourjustifierleseffusionsdesentimentnaturelleschezuneenfantouuneadolescente.Maisavecletemps,cetteformulationluiavaitcollé à la peau telle une sorte de pellicule sale. Les gens la traitaient comme si elle avait les nerfsmalades,alorsautants’yconformer.Aujourd’hui,toutluifaisaitpeur.Lesaraignées,lesserpents,l’effetdeserreetlacourseàl’armementnucléaireauMoyen-Orient.Cescraintespouvaientparaîtrejustifiéesmaiselleredoutaitégalementdeschosesinfimesauquotidiencommeleregarddeceuxqu’ellecroisait,les sous-entendus lorsqu’ils s’adressaient à elle, les offenses invisibles et les attaques inattendues.Lemondeentierétaitdevenuunendroitmenaçantetelleétaitpresqueconstammententraindetripotersoncollier.Etmaintenantellenel’avaitplus.Descentainesdepetitesperless’étaientrépanduessurlesoldelasalleàmanger.Kerstinl’avaitconsoléeetluiavaitditqu’ellelesretrouveraitcertainementtoutesenbalayant.Ellen’auraitqu’àlesdonneràunbijoutierquilesenfileraitdenouveau.C’étaitsûrementvrai.Maisceneseraitpluspareil.Cequiétaitdétruitnepouvaitjamaisredevenircommeavant.Unobjetneufrestaitunobjetneuf.Uninstant,elleeutl’impressiondevoirleregardaccusateurdeRubendevantelle.Celuiqu’ilposait

toujourssurelle.Accablantetpleindeméprispoursafaiblesse.Oh,commeelleauraitvouluavoirneserait-cequ’uncentièmedelaforcequiémanaitsinaturellementdelui!SansparlerdesondésirdevoirGustav hériter au moins d’une toute petite partie de ses biens. Ensemble, ils étaient encore plusvulnérablesqueseulset sansRuben,cettemenaceunificatrice,qui lesavait soudéspendant toutescesannées,leurcouplenesurvivraitjamais.Vivilesavait.Alorsqu’ellefixaitdesesyeuxsecsetaveugleslefeuquisemourait,elleeutlepressentimentqu’unecatastrophes’approchaitàlavitessedel’éclair.Devieuxsecretsavaientcommencéàreprendrevie,commeunecréaturemonstrueusesouslasurface.

Lelendemain,latempêten’avaitpasfaibli.BörjeetKerstinavaientvaillammentessayédedéblayerlaneigedevantlaported’entrée,maisilenétaittombéunetellequantitéqu’elleatteignaitpresquelereborddesfenêtres.Sicelacontinuaitàcerythmependantencorevingt-quatreheures,ilsseraientcomplètementensevelis.Cefutungroupemorosequiseréunitdanslasalleàmanger.Ilétaitétrangedes’asseoiràlamême

tablequelaveilleausoirmaispersonnen’yavaitvud’objectionlorsqueleurshôtesavaientdemandésicelaleurconvenait.Encoreunefois,ilyavaitprofusiondevictuailles.Desœufsàlacoque,troissortesde fromages,du jambon,dusalami,dubaconetdupain tout justesortidu four.Pourtant,presque tousmangèrentduboutdes lèvres.SeulsHaraldetBernard firenthonneuraupetitdéjeuner sans laisserunmeurtregâcherleurappétit.

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—Vous avez bien dormi ? lança Britten qui tentait d’engager une conversation. Elle n’obtint quequelques murmures épars en guise de réponse. Les lits sont vraiment confortables, poursuivit-elle àl’intentiondeKerstinquifaisaitletourdelatablepourservirducafé.— J’espère que vous n’avez pas eu froid ?Autrement, il fautme le dire, on peut vous donner des

couverturessupplémentaires.—Non,iln’yapaseudeproblème.C’étaittrèsbien.Britten jeta un regard autour d’elle pour voir si quelqu’un voulait ajouter quelque chose,mais tous

avaientlesyeuxrivéssurleurassiette.Martinnesupportaitpluscetteambiancepesanteetannonçabrusquement:— J’aimerais poursuivre les interrogatoires après le petit déjeuner. Gustav, pourriez-vous me

rejoindredanslebureaudans…Ilregardasamontre.Disonsdansdixminutes?—Biensûr.Dansdixminutes.J’yserai.Leprochainàpassersurlegril,c’estça?Ileutunpetitrirequipartitdanslesaigus.Ilfutleseulàtrouvercelaamusant.—Mercipourlepetitdéjeuner,ditMartinenselevant.Iln’avaitriendeparticulieràpréparerdanslebureau,maisilvoulaitrestertranquilleetseconcentrer

unpetitmoment.Exactementdixminutesplustard,àlasecondeprès,GustavLiljecronapénétradanslapièce.Martin

futdenouveaufrappéparladifférenceentresonfrèreetlui.LàoùHaraldétaitgrand,larged’épaulesetpourvud’unechevelureabondante,Gustavétaitpetit,fluetavecseulementuneamorced’épaulesetdescheveuxquin’étaientplusqu’unlointainsouvenir.—Bien,mevoici,dit-ilens’asseyant.Martinattaquasanspréambuleavecunepremièrequestion:—Commentétaitvotrerelationavecvotrepère?Gustavsursautaetparutnepassavoiroùposersonregard.Ilfinitparsedéciderpourleplateaudu

bureauetréponditlentement:—Ehbien,quoidire?Elleétaitcommelesrelationspère-filsengénéral,jesuppose.Autrementdit,

unriencompliquéeparmoments,dit-ilavecunpetitrirenerveux.Martinfeuilletalesnotesconsacréesàl’interrogatoiredeHaraldavantdepoursuivre:—Unriencompliquée?D’aprèscequej’aicompris,vousaviezunerelationextrêmementcompliquée

avec Ruben. Comme votre frère, d’ailleurs. Et la relation entre vous deux semble égalementproblématique.Gustavlaissaéchapperunautrepetitrirenerveux.IlneregardaittoujourspasMartindanslesyeux.—C’estvrai,cen’estpastoujourstrèsfacile,lafamille.Etpapaavaitmislabarretrèshaut–c’estle

moinsqu’onpuissedire.—Sonidée,envousattribuantdespostesclésdansl’entreprise,étaitsansdoutedevousrapprocher

l’undel’autre?Iln’obtintqu’unreniflementdeméprispourtouteréponse.—Sij’aibiencompris,lerésultatn’apasétéàlahauteurdesattentes,insistaMartin.—Jesupposequenon.Gustavneparaissaitpasavoirtrèsenviedediscuterdecesujet,maiscelan’empêchapasMartinde

poursuivre:—Cequevotrepèreamentionnéaudîner.Ausujetdel’entreprise.Dequois’agissait-il?Gustavsetortillasursachaise,malàl’aise.—Aucuneidée.C’était lamême réponsequ’avait donnée son frère.Martinne croyait ni l’unni l’autre, pasun seul

instant.

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—Ilavaitquandmêmequelquechosederrièrelatête,non?D’autantquesadernièredémarcheaplusoumoinsétédevousdéshériter.C’estunemesureplutôtradicale.— Je pense que ce n’étaient que des paroles en l’air, répondit Gustav en tripotant nerveusement

l’ourlet de sa veste. Ça lui prenait de temps en temps. Comme une façon demontrer qui décidait. Ilréaffirmaitsonpouvoir.Maisçanevoulaitriendire.Riendutout.—Cen’estpasl’impressionquej’aieue,ditMartin.—Non,maisc’estnormal,vousneconnaissezpasnotrefamille,lerabrouaGustaventriturantencore

plusfortsaveste.Ilavaitl’airinquiet,maisMartinneselaissapasintimider.—Vousavezraison,dit-ilcalmement.Maisjecompteensavoirconsidérablementplusaprèsavoireu

unentretienavecchacund’entrevous.IlcontinuaàquestionnerGustavpendantencoreunedemi-heure,maisneparvintpasà lui fairedire

quoiquecesoitd’utile.Personnedanslafamillen’avaitderaisondevouloirtuerRuben.Non,iln’avaitrienvudesuspectnidanslajournée,nidanslasoirée.Non,ilnecomprenaitpasceàquoisonpèreavaitfaitallusionenparlantdel’entreprise.Unpetitcoupfrappéàlaportevintfinalementlesinterrompre.C’étaitKerstin.—Désoléesi jevousdérange.Jevoulais justevousdireque lecaféestservidans labibliothèque,

alorsquandvousaurezterminé,sivous…—Jepensequ’onpeuts’arrêterlà,ditMartinensoupirant.Maisonreprendraàuneautreoccasion.Il n’avait pas voulu dire cela comme unemenace, plutôt comme une constatation. Pourtant, Gustav

tressaillit.Puisilselevaetsortitvivementdubureau.Martin,quisesentaitdeplusenplusfrustré,commençaitàsedemanders’ilétaitvraimentàlahauteur

delatâche.Denouveau,ilregrettadenepasavoirlesoutiendePatrikHedström.Iln’avaitcependantpaslechoix.Ilseretrouvaitaveccetteaffairesurlesbrasetilferaitdesonmieux.Dèsqu’ilsauraientrejoint la civilisation, il recevrait toute l’assistance dont il avait besoin. En attendant, il lui fallaitseulementrestermaîtredelasituationettoutiraitbien.

Martin entendit des voix agitées dans la bibliothèque et en entrant dans la pièce, il trouvaGustav etHaralddeboutfaceàface,aussiécarlatesl’unquel’autre.Ilssedisputaientetdelasalivegiclaitdeleurbouche.—Toi,tuneteprendspaspourdelamerde!Tupensesquetusaistoutmieuxfairequelesautres!

hurlaGustavenmenaçantsonfrèredupoing.—C’estparcequejesaiseffectivementtoutmieuxfairequetoi!Qu’est-cequetuasréussidansla

vie?Hein?Qu’est-cequetuasréussi?LevisagedeHaraldavaitprisunetelleteintequeMartineutpeurqu’ilnefasseunecrisecardiaque

sousleursyeux.Brittennourrissaitmanifestementlesmêmescraintes,carellevinttirersurlebrasdesonmarienlesuppliantd’arrêter.—Tutecroisfortiche,mais tutemetsledoigtdansl’œil!crachaGustav.J’aiapprispourquoinos

fournisseursaméricainssesontretirésauprintempsdernier.Tut’esmontréincompétentetimprévisible,tuasmêmeréussil’exploitd’offusquerleurPDG.Commeça,grâceàtoionaperduuncontratquiauraitpugénérerjusqu’à10%denotrechiffred’affairesdel’annéeprochaine.Haraldvoulut frapperGustav,mais celui-ci esquivahabilement le coup.Britten tiraplus fort sur le

brasdesonmaripourleretenir.—Jet’enprie,Harald,arrêtemaintenant.C’estvraimentinutile,toutça!Vousêtesfrères,aprèstout.

Penseàtatension…Maissonmarinevoulutrienentendre.

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—Ehbienmoientoutcas,jen’aipasdétournédefonds…,lâchaHarald,puisilsetournaversMartin.Vousnelesaviezpas,ça.Quemoncherfrèreapuisédanslescaissesdelaboîtependantplusd’unan.Ilmanqueplusdecinqmillions.Lesexperts-comptablesviennentdemettrelenezdedans,c’estsûrementàçaquepapafaisaitallusionhieràtable.Alorssivouscherchezunmobile,envoilàun.Cinqmillionsplusprécisément.Haraldpointaundoigttriomphantsursonfrère.Gustavpâlitaupointdedevenirpresquetransparent.—Ha!Çateclouelebecça,hein!HaraldsedébarrassadelamaindeBrittenpuisilcroisalesbrassurlapoitrine.Onauraitditunchat

quivenaitd’avaleruncanaribiengras.—C’est…Ce n’était qu’un emprunt…, bégayaGustav. J’avais l’intention de le rendre. Je le jure.

Jusqu’audernieröre.J’aijusteempruntéparceque…J’aijuste…Il bafouilla puis se tourna versVivi qui, elle aussi, était restée derrière sonmari pendant la passe

d’armes. Elle était aussi blanche queGustav et elle le fixait, les yeux écarquillés. Elle cherchait soncollierdelamain.—Gustav?Que…queveut-ildire?Cinqmillions?Gustav…?Avecunairdésespéré,Gustavtenditlamainverssafemme,quifitunrapidepasenarrièrepouréviter

soncontact.—Chérie…je…Ilregardaparlafenêtrecommepouressayerdedécouvrirunmoyendefuir,maislatempêtesévissait

avec autant de fureur qu’auparavant et empêchait toute retraite. Il se laissa tomber dans un fauteuil etenfouit levisageentresesmains.Onauraitpuentendreunemouchevolerdans lapiècealorsque tousl’observaient.Vivi avec incrédulité,Harald avec triomphe,Bernard avec une satisfactionmanifeste etBrittenavecunecertainepitié.Vivifutlapremièreàromprelesilenced’unevoixtremblante.—Qu’as-tufaitdetoutcetargentGustav?Qu’as-tufaitdel’argent?Danssonfauteuil,Gustavpoussad’abordunprofondsoupir,puisilréponditd’unevoixsaccadée.—Je…l’ai…perduaujeu.Viviprituneprofonde inspiration.Bernardpoussaunpetit rire etMartinvitMiranda lui donner un

coupdecoudeetchuchoter:—Reprends-toi!—Tuas…perdul’argentaujeu…,ditViviensecouantlentementlatêtecommesiellenevoulaitpas

ycroire.Quelsjeux?Latêtetoujoursenfouieentresesmains,Gustavmurmura:— Courses de chevaux, poker en ligne, n’importe quoi qui pouvait me procurer une poussée

d’adrénaline.Audébut,jegagnais.Puisj’aicommencéàperdre.J’aipenséqu’encontinuantencoreunpeu, la chance allait tourner et que je regagnerais tout ce que j’avais perdu pour pouvoir rembourserl’entreprise.—Tun’esqu’unfoutuloser,ditHaraldd’unairdégoûté.Gustavlevabrusquementlatêteetfoudroyasonfrèreduregard.—Nelaramènepas,toi!CommePDG,tunevauxpasunclou,papaétaitsurlepointdetevirer!Ettu

lesais!Etqu’aurais-tufaitdanscecas-là,hein?Plusdepostededirecteur,papanet’auraitpasdonnéd’argentettuteseraisretrouvésansunradis.Tuasprofitédeseslargessestoutetavieettuesincapabledetedébrouillerseul.Alorssituveuxqu’onparledemobile,letienvautbienlemien!Gustavlâchacettedernièrephraseàl’intentiondeMartin,avantdeseleveretdeseruerverslaporte.Lesilencerésonnadanslapièce.PuisBernardlançasuruntonguilleret:—Voilà,lespectacleestterminé.Quelqu’unveutducafé?

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Qu’ilssoientaussiautodestructeurslelaissaitpantois.Bernardn’auraitjamaiscruquesonvieuxaiteul’audacededétournercinqmillionsdecouronnes–etdelesperdreaujeu!Ilgloussatoutbasetpritunebriocheàlacannelle.Enfait,ilauraitdûleplaindre,maislapitién’avaitjamaisétésonfort.Detempsen temps, cela l’étonnait, quequelqu’und’aussibrillant et déterminéque luipuisse êtrenédeparentsaussiminables.Celaendisaitlongsurlathéoriedel’innéetl’acquis.Ils’installaprèsdesasœurquiétaitseuleàunetable.Elle tournait lentementunecuillèredansson

café.—Tuneprendsrien?demanda-t-ilendésignantlesassiettesquidébordaientdepâtisseriesderrière

lui.—Non,jesuisaurégime,dit-elledistraitement.C’étaitmanifestementunephrasetoutefaitequidécrivaitsonquotidienplutôtqu’unétattemporaire.—Tantpispourtoi,ditBernardetilmorditdanssabrioche.—Jenecomprendspascommenttupeuxmangerautantdesucreriesetrestersimince,ditMirandaen

lecontemplant,dégoûtée.—J’aihéritéd’excellentsgènes,dit-ilentapotantsonventreplat.—Oui,c’estvraimenttoiquiastirélegroslot,réponditjalousementMiranda.Mamanetpapat’ont

refilélesbonsgènesetmoij’aieu…bah,vasavoircequej’aieu,dit-elleenriant.—Entoutcas,c’estlaseulebonnechosequ’ilsm’aientdonnée,ditBernardavecunsourireencoin.—Ehoui,soupiraMiranda.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ilsdiscutaientdecela,ilsétaientd’accordpourdirequ’ilsn’avaient

pasgrand-choseencommunavecleursparents.—Tuenpensesquoi?—Detoutça?Jen’ensaistroprien,ditMirandaensoupirantdenouveau.—Tupenseslamêmechosequemoi?chuchotaBernard.—Queletestamentestpeut-êtredéjàmodifié?Oui,l’idéem’atraversél’esprit…Entoutcas,c’estce

qu’ildisait.—Alors ce n’est pas la peine de paniquer. Il est toujours possible de contester un testament. On

trouverasansproblèmedestémoinspourcertifierquelevioqueétaitcomplètementgâteux.—Mmm,fitMiranda,l’airsceptique.Ellecessabrusquementlemouvementdesacuillèreetparcourut

lapièceduregard,avantdechuchoter:tucroisquec’estqui,l’assassin?—Jen’enaiaucune idée.Absolumentaucune,ditBernardavantd’avaler lederniermorceaudesa

brioche.

Aprèsavoirmangéuncertainnombredepâtisseriesde toutessortes,Martinfutprisd’unesomnolenceirrésistible.IlauraitdûexaminerlachambredeRubenpouressayerdetrouverquelquechose,n’importequoi,quiferaitavancerl’enquête,maisoptapourunepetitesieste.Ilavaitbesoind’unepausepourtoutpasserenrevue.Asongrandregret,Lisettel’accompagnaetaulieud’unmomentdecalme,ildutécoutersonéternelbavardage.—Jetrouveçaaffreuxqu’oncleGustavaitdétournélefricdel’entreprise,etpuisilaleculotdedire

ceshorreurssurpapa…Rienqu’àypenser…Quepapapourrait…Monpauvrepapa.Jenelesaijamaisvraimentaimés,oncleGustavettanteVivi,jedoislereconnaître…Martineutdumalàréprimerunprofondsoupir.CequiaudébutluiavaitpluchezLisette,safacilitéà

parleravecentrain,commençaitàperdredesoncharmeenuntempsrecord.IlréalisaitqueLisetten’étaitqu’uneamourettedevacancesetqu’elleauraitdûlerester.Manquedechance,iltombaittoujourssurlesfillesqu’ilne fallaitpas !Parfois il sedemandait s’il trouveraitun jourquelqu’unquipartagerait son

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existence.Pourl’instant,cesexpériencesn’étaientpastrèsprometteuses.D’unautrecôté,iln’étaitpassivieuxetavaitencoretoutsontemps.Maisildevaitd’abordsesortirdecemauvaispas.—Entoutcas,j’aidumalàcomprendrecommentGustavapuavoirunfilsaussibeauqueBernard,

poursuivitLisette.Viviétaitpas tropmalquandelleétait jeune, j’aivudesphotos, il tient sansdouted’elle.EtMiranda,elleestvraimentbelle,tunetrouvespas,Martin?AutondeLisette,Martincompritqueleterrainétaitminé,etqu’ilferaitmieuxd’ignorerlaquestion.Il

poussadoncunpetitronflementenespérantqueLisettenecomprennepaslesubterfuge.Dieusoitloué!Celasemblaitfonctionner,ellen’insistapas.Uninstantplustard,ils’étaitendormi.

Martin se redressa d’un coup et réalisa qu’il avait dormi plus d’une heure. Il rejeta la couverture enpoussant un juron. La place à côté de lui était vide et froide, Lisette avait quitté le lit depuis un bonmoment.Irrité,ilpassasamaindanssescheveuxetrejoignitlecouloir.Ducoindel’œil,ilaperçutdeuxombres qui tournèrent rapidement au bout du corridor. Il courut pour les rattraper,mais elles avaientdisparuavantqu’iln’atteignel’escalier.Quivoulaitl’éviteretpourquoi?Toujoursdansunétatdelégèresomnolence,ildescenditlesmarchesetsuivitlesondesvoixjusqu’à

labibliothèque.La tempêtedeneigenemontrait aucun signed’accalmie, aucontraire.L’inquiétudededevoir rester enfermés dans de pareilles circonstances se lisait sur tous les visages. Tous avaient lestraits tirés et semblaient couverts d’un voile gris. Martin scruta la pièce d’un œil suspicieux en sedemandantquiavaitvoulusesoustraireàsonregard.Personnen’avaitl’airinquiet,nimêmeessoufflé.—Tiens,tiens,onseréveille?tonitruaHarald.C’estsympadevoiroùpassel’argentducontribuable.

Lesforcesdel’ordrepiquentunroupillonpendantqu’unassassinsebaladeenliberté.IlgloussaetBritten,quitrouvaitapparemmentsaplaisanteriedefortmauvaisgoût,luidonnauncoup

decoude.—J’aimeraispoursuivrelesinterrogatoires,ditMartin.Ilserenditcomptequ’ildevaitparaîtrebourru

etajoutasuruntonplusdoux:Bernard,est-cequetupourrais…Bernardnesedonnapas lapeinede répondre. Il leva lentementunsourcil,posasonverreet suivit

Martin.—C’est toi que j’ai aperçu aupremier tout à l’heure ?demandaMartin enobservant attentivement

l’hommeassisenfacedelui.—Al’étage?Non,j’étaisdanslabibliothèque.Tum’asbienvuenarrivant,non?Bernardcroisalesjambesavecunairnarquois.Martinn’étaitpasconvaincu,sibienqu’ilajouta:—As-tuvuquelqu’und’autredescendreàl’instant?—Mmmm,non,onétaittousdanslabibliothèque.Maisdis-moi,jecroyaisqu’onétaitlàpourparler

d’hiersoir.Pouressayerdetrouverquiatuénotrechergrand-pèreRuben,celuiquireposemaintenantdansunechambrefroide…Paspoursavoirquisebaladaitàl’étage.—Oui,parlonsd’hiersoir.Tongrand-pèren’apasététendreavectoiaudîner.Quevoulait-ildire?

De quelles “sources” parlait-il, et quelles révélations avaient-elles à faire sur l’entreprise dont tu esapparemmentl’undesassociés?Bernard enleva quelques fils invisibles de son pantalon impeccablement repassé. Puis il regarda

Martin droit dans les yeux, un petit sourire errant sur les lèvres. Tout son corps, toute son apparenceexprimaitledédainet,pensaMartin,unsentimentdesupérioritéfaceauxgensqu’ilrencontrait.—Eh bien, comme tu as dû l’entendre hier à table, j’ignore totalement de quoi grand-père voulait

parler.Monentrepriseestflorissante,nousallonsbientôtêtrecotésenbourse,etencequiconcernelessources de grand-père… Je vais le dire comme ça : le vieux n’était plus dans le bain. Toutes ses

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prétenduessourcessontdeshasbeenquin’ontplusledroitdejouer,etquis’amusentparconséquentàrépandredefaussesrumeurs.—Tongrand-pèrenem’apasfaitl’impressiond’êtreunhasbeen.Plutôtl’inverse.Bernardsoufflaavecmorgue.Iltripotaencoresonpantalonavantderépondre:—Grand-pèreRubenainstallémonpèreetHaraldàdeuxpostesclésdesonentreprise.Est-cequeça

tesembleunedécisionsaine,intelligenteetprofessionnelle?Martincompritcequ’ilvoulaitdire.Levieilhommes’étaitpeut-êtreégarédanssespropos.—J’ail’impressionqu’ilyavaitunritueldanslafamilleLiljecronaquiconsistaitàallerlevoirpour

toutes sortes de… d’investissements financiers… Est-ce que toi aussi, tu as profité du tiroir-caissefamilial?—Etalors ?L’argentallait tôtou tardnous revenir enhéritage.C’étaitquandmêmemieuxpour le

vieuxdenousaiderdesonvivant,commeça,onpouvaitleremercierdevivevoix.Etilétaittémoindenosréussites…—Combien?demandaMartinfroidement.—Commentça,combien?—Combienas-tuamenéRubenàinvestirdanstonentreprise?Bernardsemblauninstantperdrecontenanceetilréfléchitunmomentavantderépondre:—Vingtmillions.—Vingtmillions?ditMartinincrédule,tantlasommeétaitcolossale.—Ilallaitlesrécupéreraveclesintérêts.Dèsquel’introductionenbourseseraitfaite.—Alors quel était le problème hier soir ? J’ai cru comprendre que ton grand-père avait certaines

craintesparrapportàsoninvestissement.—Commejeviensdeledire,jenesaispasdequoiilparlait!L’introductionenbourseauralieudans

quelquessemainesetilauraitimmédiatementrécupérésesvingtmillionsplusungrospaquetdefricenrab!Sonassurancesemblaitsefissurer,etBernardpassalamaindanssescheveuxgominés.—Alorssijedemandeàlabrigadefinancièred’opéreruncontrôlesurtonentreprise,ilsnetrouveront

riendebizarre?Ilavaitdenouveaulamaindanssescheveuxgras,etMartinressentitunegrandesatisfactionenvoyant

leregarddeBernarderrerdanslapièce.—Combiendefoisest-cequejedoislerépéter?J’ignoretotalementdequoiilvoulaitparler,dit-il

entresesdents.—Tun’avaisdoncaucuneraisondel’assassiner,c’estça?Etlesautres?Penses-tuqu’unmembrede

votrefamilleaitpupasseràl’acte?Bernardavaitretrouvésonaplombhabituel.Etilréponditcommesasœur:—Penses-turéellementquejetelediraissic’étaitlecas?Martincompritqu’iln’enobtiendraitpasdavantage.—Bon,ons’arrêtelà.Pourl’instant.Peux-tudemanderàMattiasdevenir?—Personnenel’appelleMattias.OnditMatte.Maispasdeproblème,jevaisdireàmonchercousin

devenir.Irrité,Martin observaBernardquimarchait nonchalamment vers la porte.Cet hommeavait quelque

chosequiluitapaitsurlesystème.

—Tuvoulaismevoir.Matte apparut timidement dans l’embrasure de la porte. Martin vit que ses yeux étaient rouges et

compritqu’ilavaitverséd’autreslarmesdepuislaveille.

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—Entre,dit-ilgentimentenmontrantlachaisedevantlebureau.—Pourunepremièrerencontreaveclafamille,tuesservi…—Oui,jepensequeçavaêtreunrecorddifficileàbattre,ritMartinavantdepoursuivresurunton

plussérieux:Commenttesens-tu?—Jen’arrivepasàmefaireàl’idéequegrand-pèren’estpluslà,ditMatteensecouantlatête.Etque

personnenesembles’enémouvoir.—Jevoiscequetuveuxdire.Tuesleseulquej’aievupleurerRubenLiljecrona.J’imaginequevous

étieztrèsproches,tongrand-pèreettoi?—Onavaitnotrerituel.Unefoisparsemaine,levendrediaprès-midi,jeprenaislethéchezlui.On

parlait de tout et de rien. Grand-père était une des personnes les plus intelligentes que j’aie jamaisrencontrées,unhommetrèscultivéettrèslarged’esprit.C’étaitunvraiprivilègedel’avoirdansmavie.—Onnediraitpasquelesautresmembresdelafamillesoientdetonavis.— Ils avaient des dollars plein les yeux dès qu’il était question de grand-père, soufflaMatte avec

dédain. Même papa. Tout ce qu’ils voulaient, c’était lui extorquer le plus de fric possible. Çan’intéressaitpersonnedesavoirquiilétaitréellement.—Etcettehistoired’appartementdontparlaitBernard…—C’étaitunarrangemententregrand-pèreetmoi,ditMatteavecunsoupirde lassitude.Jepouvais

occuperundesesappartementsletempsdemesétudes.Ilnemel’avaitpasdonné,jepayaisunloyer.Martinobservaunpetitsilenceavantdedemanderàvoixbasse:—Est-cequetuasdessoupçonsenversquelqu’un?Matteneréagitpastoutdesuiteàlaquestion,puisilsecoualatête:—Non,aucun.Martineutl’impressionqu’ilvoulaitdireautrechose,etilredemandaenlefixantdesyeux:—Tuessûr?Tunesoupçonnespersonned’avoirvoulutuertongrand-père?—Non,personne,ditMatte,plusfermementcettefois.Biensûr,toutlemondetiraitprofitdelui,mais

delààvouloirletuer…Non,jen’imaginepersonnefaireça.—Alorsçaseratoutpourlemoment.—Tun’aspasd’autresquestions?Maisildoityavoirbeaucoupplusà…—Oui,biensûr,j’aiencoredeschosesàdemander,àvoustousd’ailleurs,avantdetirerçaauclair.

Maispourl’instant,j’aibesoindemefaireuneidéeglobaledelasituation.Jereviendraiverstoi.Matteseleva,maisilnequittapaslapièce.Ils’immobilisauninstantdevantlaporte,ilparaissaitsur

lepointdeparlermaisilseretournaetpartit.Martinauraitbienaimésavoiràquellesquestionsilavaitfaitallusion.

Matteavaitlesjambesencotonensortantdubureau.Quelquechosedansleregarddecepolicierrouquinsemblait le mettre à nu. Avait-il démasqué l’imposteur qu’il était ? Il sentit une panique familières’installer au creuxde sonventre.Cellequi se signalait toujoursparunpetit grondementpour ensuites’intensifiertelunouragans’ilnel’arrêtaitpas.Plusjeune,iln’avaitpaseud’autrechoixquedesubircette vague de panique lorsqu’elle montait en lui jusqu’à presque l’étouffer. Aujourd’hui, il savaitcommentlagérer.Ilpossédaitlesoutils,commeauraitditsonpsy.Sibienqu’ilfitquelquespasjusqu’aumur,s’yadossaetselaissaglisserenpositionassise.Ilappuyasonfrontcontresesgenouxetfermalesyeux. Il devait seulement se focaliser sur unpoint fixe au centrede tout cenoir.Lepoint qu’il faisaitgrandirl’aidaitàseconcentrersursonsouffle.Inspirer,expirer.Inspirer,expirer.Calmement,jusqu’àcequesarespirationnemenaceplusdel’emporter.L’obscuritéderrièresespaupièresferméesl’apaisa.Aujourd’hui,ilavaitdelacompagniedanslenoir.

Quelquepartaumilieudupointquigrossissait,ilvitsongrand-père.Rubenluifitunsignedelamain.Un

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clind’œil.Illuimontraitquetoutallaitbien,quetoutétaitparfaitementenordre.Aprèsunmoment,ilputserelever.Lacriseétaitpasséepourcettefois.

—Quandest-cequevouspensezqu’onpourrapartird’ici?demandaVivialorsquesalèvreinférieure

semitàtrembler.—Onl’adéjàdit,ilfautattendrequelatempêtesecalme.Martinentenditl’impatiencedanssaproprevoix.Etait-cesidifficilequecelaàcomprendre?Onne

pouvaitpassongeràfairelatraverséepourlemoment.Puisilfutprisderemords.Lafemmedevantluisemblaitsurlepointdes’effondrer,etiln’avaitpasbesoind’empirerleschosesenétantdésagréable.—Vousallezvoir,letempsfinirapars’améliorer,dit-ilgentimentenluitendantunmouchoirqu’elle

pritavecreconnaissance,puisilpoursuivit:Jecomprendsquetoutçasoittrèspéniblepourvoustous.—Oui, sanglotaViviense tamponnant lesyeux.Çacommenceà faire troppourmoi. J’ai lesnerfs

fragiles,vouscomprenez.Martinhochalatêteensignedesympathie.—Jevousprometsd’yallerendouceur.Maisilnousfautabsolumenttirercetteaffaireauclair.—Oui,oui,jesais,sanglotaVivi.Elles’essuyaencoreunefoislesyeuxennoircissantsonmouchoirdemascara.—Etiez-vousaucourantdes…agissementsdevotremari?demandaMartin.Vivisanglotadeplusbelle,etsamainpartitnerveusementverssoncou.—Non,absolumentpas…Qu’ilaitpu…Non,j’ignoraistout.Sa voix se brisa et elle sembla abandonner la lutte avec la bonne tenue de son maquillage. Deux

traînées noires coulaient désormais sur ses joues. Elle serra le mouchoir dans ses mains. Martinl’observa avec attention. Il la trouva plutôt crédible et décida d’abandonner cette partie-là del’interrogatoirepouraborderunautresujet.—QuelleétaitvotrerelationavecRuben?Lessanglotss’atténuèrentetelleavalasasaliveavantderépondre:—Nous…Ehbien, jediraisplutôtquenousn’avionspasde relationdu tout.Rubennem’a jamais

tenueentrèshauteestime,ilm’atoujoursplusoumoinsignorée.Etilmerendaittoujoursnerveuse.—Nerveuse?— Oui, nerveuse. C’était un homme avec une aura immense. Gustav était toujours stressé par la

présencedeRuben,ilavaittellementenvied’êtreàlahauteur,etjesupposequeçadéteignaitsurmoi.—D’aprèsvous,quiauraitpuavoiruneraisondetuervotrebeau-père?LamaindeVivirepartitverssoncou.— Je ne vois absolument personne vouloir faire une telle chose. C’est inimaginable. Totalement

inimaginable!—Mais suffisamment imaginable pour que quelqu’un soit passé à l’acte, dit doucementMartin en

inclinantlatêtesurlecôté.Vivi ne répondit pas, elle se trémoussait sur sa chaise et étaitmanifestement inquiète. Soit elle ne

voulaitpasrépondreàlaquestion,soitellenelepouvaitpas.Martin respiraprofondémentavantdeposer laquestionsuivante,maisunbruitde l’autrecôtéde la

portel’arrêtadanssonélan,ettouslesdeuxtournèrentlatête.Deséclatsdevoixetlebruitdemeublesqu’ondéplaceleurparvinrentdepuislabibliothèque.Martinserelevarapidementets’yprécipita.MatteetBernardsefaisaientface,Matteaveclenetavantaged’avoiracculésoncousincontrelemur

etdetenirsachemised’unemainferme.Ilhurlaitetpostillonnait,etBernardn’osaitmanifestementpasleverlesmainspours’essuyerlevisage.—Tagueule,espècedesalaud!Tum’entends?Tagueule!

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Matteétaitrougedecolère,etàchaquemot,ilpoussaitdavantageBernardcontrelemur.—Bernardnevoulaitpas…,hasardaplatementGustav.Sonregardallaitetvenaitentresonfilsetson

neveu.—Gustav,qu’est-cequisepasse?s’écriaViviquiavaitemboîtélepasàMartin.—Tonfilss’estmisàlancerdesaccusationscontrelemien,ditBrittend’unevoixglacialeàsabelle-

sœur,puisens’adressantàMatted’unevoixnettementplusdouce:jet’enprie,Matte,arrêtemaintenant.Lâche-le.Neprêtepasattentionàcequ’ildit.C’estuncrétin,ettulesais.—Tu traitesmon filsdecrétin? s’interposaGustavenbombant le torsealorsqu’il la fustigeaitdu

regard.—Tuastrèsbienentenducequej’aidit,Gustav.Tonfilsestuncrétindepremière,cen’estunsecret

pourpersonne!—Tupeuxparler,toi,avectonnévrosédefils!SiRubenn’étaitpasintervenu,ilseraitprobablement

encoreinterné!Etjecommenceàmedirequeçaauraitétémieuxpourtoutlemonde!GustavetBritten se faisaient face commedeuxcoqsde combat.Acôtéd’eux,Matte tenait toujours

Bernardd’unemainde feret semblaitnepasse rendrecomptedecequi sepassaitautourde lui.Lesautresmembresdelafamilleétaientcommepétrifiés.Martincompritqu’ildevaitagir.Desavoixlaplusautoritaireildit:—Maintenantonsecalme!EnuneseuleenjambéeilfutdevantMatteetl’obligeaàlâcherBernard,cequifutétonnammentfacile.

Mattesemblasevidercommeunebaudrucheàl’instantmêmeoùMartinlepritparlebras,etils’écrouladanslefauteuilleplusproche.Bernardsefrottalapoitrineaveclamain.Sachemiseétaitfroisséeetilallaitsûrementavoirunbeau

bleu. Sans avoir entendu l’origine de la dispute,Martin avait cru comprendre queBernardméritait lacorrectionqu’ilvenaitdesubir.—Maintenanttoutlemondesecalme,dit-il.—Ilfaudraitl’enfermeraveclesfous,celui-là!Espècedemalade!crachaBernardenfusillantMatte

duregard.MaislefrèredeLisetteneprêtaitplusattentionàlui.Ilétaitprostrédanssonfauteuil,latêteentreles

mains,fixantlevidedevantlui.Brittenfitlesquelquespasquilesséparaientettombaàgenoux.Ellepassalentementlamaindansle

dosdesonfilstoutenluiparlantdoucementpourlecalmer.—Putain,ilestcomplètementcinglé!maugréaBernardentirantsursacravatepourlaremettredroit.—Tutecalmesmaintenant.Gustavfitsigneàsonfilsdes’écarterunpeu.Bernardobéit,toutencontinuantàfoudroyerMattedu

regard.—Jesaisque lescirconstancessont terriblementstressantespour tout lemonde,ditMartin,mais il

fautquechacunfasseuneffortetacceptelasituation.OnpourrasûrementrejoindreFjällbackabientôt,etenattendantjevousconseilledegardervotresang-froid.Ilregardalonguementlesdeuxbelligérantsetrépéta:—Toutlemondesetienttranquille.C’estcompris?Bernardhochalatêteàcontrecœur,maisMattenesemblapasentendrecequisedisait.Subitementil

seleva,seruaversl’escalieretmontadanssachambre.Brittenvoulutlesuivre,maisHaraldl’arrêtaenposantunemainsursonbras.—Laisse-lepartir.Ilabesoinqu’onluifichelapaix.—Ça,c’estMattetoutcraché!lançaLisetteàl’autreboutdelapièce.Ilfauttoujoursqu’ilfasseune

scène.

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—Lisette,tudevraisplutôtêtresolidairedetonfrère!Tuasentenducequetonchercousinluiadit!C’estnormalqu’ilréagisse,protestaBritten.—MaisBernardaraison.Matteestbonàenfermer.Lisetteparlaitsuruntongeignard,etMartinlatrouvademoinsenmoinsattiranteàchaqueminutequi

passait.—Lisette!LavoixdeBrittenvintinterrompretoutautrecommentairedelapartdesafille.Martinenprofitapour

répéterfermementàl’adressedesacopine:—Onsecalme,jeviensdeledire.Çanesertàriendesedisputer.Etc’estvalablepourvoustous,

jusqu’àcequ’onpuisseretournersurlecontinent.Leregardque lui jetaLisette lui fitcomprendrequ’ilnedevraitpascomptersursonamourpendant

quelquetemps.Tantmieux.Unefoispartid’ici,ilnelareverraitplusjamais.Martinleurtournaledosetsedirigeaverslacuisinepoursefaireuncafé.Ilenavaitpar-dessuslatête

delafamilleLiljecrona.

LisettecontemplaledosdeMartinquandilsortitdelapièce.Ellebouillonnaitintérieurement.Quelculotde la corriger comme il l’avait fait ! Pareil pour sa mère, d’ailleurs ! Ses parents avaient toujourschouchoutéMattecommeunbébé.Touteleurattentionavaittoujoursétépourlui–àsesdépens.“Matteabesoinqu’onl’aideunpeu,alorsquetoi, tut’ensorstellementbientouteseule…”Ilsavaient toujoursdonné la priorité à son frère.AMatte avec ses peurs et ses hésitations. Pendant sa première année àl’université,quandilavaitexploséenpleinvol,elleauraittoutaussibienpuêtreinvisible.Iln’yenavaiteuquepour“cepauvreMatte”quin’avaitpassupportélapressionetquidevaitmaintenant“serefaireune santé”.Même grand-pèreRuben s’était inquiété.Matte avait toujours été la prunelle de ses yeux.C’étaitvraimentinjuste.Elle échangea un regard avec Bernard qui se tenait de l’autre côté de la pièce. Il était le seul à

comprendre. Ilsavaientpasséplusd’unesoiréeensemble,à ressasser lesmanquementsde leurspèresrespectifs enbuvantduvin,parfoisunpeu trop.Aquelques reprises, ils s’étaient carrément retrouvésdanslemêmelit.Maiscen’étaitpasunechoseàcriersurtouslestoits,ilsétaienttoutdemêmecousins.C’était dommage d’ailleurs. Lisette avait toujours trouvé qu’ils étaient comme faits l’un pour l’autre.Bernardétaitunhomme,unvrai.Encomparaison,Martinétaitd’unebanalitéconsternante.Et rienquel’idéequ’ilpuissesesatisfaired’unsalairedepolicierlafaisaitrire.C’étaitmoinsquecequesonpèreluidonnaitcommeargentdepoche.Elleseréjouitenpensantaupetittête-à-têtequ’ilsavaienteu,Bernardetelle.Plustôtdanslajournée,

ilsavaient réussiàseménagerun instantencatimini.Mais il s’enétait falludepeuqueMartinne lessurprenne.—Lisette,j’auraisvraimentaiméquetufassesplusattentionàMatte.Brittenfutsubitementàsescôtés,etLisettesursauta,puisellesesecoualebraspoursedébarrasserde

lamaindesamère.—Matte,Matte,Matte. Je ne supporte plus d’entendre parler de lui tout le temps. Pourquoi faut-il

toujoursquetuledéfendes?Tun’aspasvucommentilasautésurcepauvreBernard?—CepauvreBernard,répétaBrittenavecdédain.Ilseraittempsquetuouvreslesyeuxsurlavraie

personnalitédetoncousin.Tun’aspasentenducequ’iladitàMatte?Cen’estpasquejedéfendemonfils,onnerésoutrienparlaviolence,maisjepeuxcomprendresaréaction,c’étaitvraimentdéplacé…—Déplacé?Ettunetrouvespasquec’estdéplacéd’essayerd’étranglerBernard?LavoixdeLisettemontaversleplafondettouslesregardssetournèrentverselleetBritten.—Çasuffit,onarrêtemaintenant!Baissezleton,s’ilvousplaît,ditHarald.

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SavoixétaitsupplianteetLisetteseréjouitdelevoiraussimalàl’aise.Sonpèreavaittoujoursétéunlâchequicraignaitlesconflits.C’estBrittenquis’étaitchargéedetouteslesdiscussionsorageusesavecMatteetelle,tandisqueHaraldsetenaitàl’écart.Lisetteregardasonpère,dontlesyeuxerraientdanslevague.Commeelleleméprisait!Commeelleméprisaittoutesafamille!Saseuleconsolationavaitétédesavoirqu’unjourellehériteraitdel’argentdegrand-pèreRuben.Desavoirqu’elleleurferaitundoigtd’honneuràtousetvivraituneviedepatachonsurlaCôted’Azurpourjouirdechaquejourcommes’ilétaitledernier.Qu’ellelaisseraittombersesfoutuesétudesetneferaitque…vivre!ElleposaunregardfroidsurHaraldetBritten.Puiselletournalestalonsetpartit,avecuneseuleidée

entête.Pouvoirbientôtquittercetendroit.

BörjeetKerstinétaientplongésdanslapréparationdudéjeunerlorsqueMartinentradanslacuisine.—Est-ceque jepeuxprendreducafé?demanda-t-il enhochant la têteendirectionde lacafetière

électrique.—Biensûr,servez-vous,ditKerstin,quicoupaitdupain.Martinenversadansunetasse,puisils’appuyacontrelemontantdelaporteetregardaparlafenêtre.

Latempêtesévissaittoujours.—Çanerigolepasdehors,ditBörje.—C’estlemoinsqu’onpuissedire.Martintrempaseslèvresdanslecafébrûlantetlereposapourlelaisserrefroidirunpeu.—Martin…?commençaKerstin.Euh…onsedemandaitsivouspouviezsortirlerôtidelachambre

froide?Pourqu’ilaitletempsdedécongelerd’iciàcesoir.Martin ne comprit pas tout de suite pourquoi ils tenaient à ce que ce soit lui qui le fasse.Soudain,

l’évidencelefrappa.LecorpsdeRubens’ytrouvait.—Biensûr.Aucunproblème.KerstinetBörjeeurentl’airsoulagé.Malgré son tonguilleret,Martinhésita un instant avant d’ouvrir la porte.Seshôtesdevaient penser

qu’entantquepolicier,ilavaitl’habitudedevoirdescadavres.C’étaitpeut-êtrelecasdanslesgrandesvilles.Poursapart,iln’avaitvudesmortsqu’endeuxoccasions–unepersonnequiavaitperdulaviedansunaccidentdelarouteprèsdeTanumshede,etuntouristefinsoûlquis’étaitnoyé.Ilentradanslachambrefroide.Rubenétaittoujourslà.Martins’étonnadenepassesentirplusmalà

l’aise.Lapièceparaissaitpaisible.Le vieil homme était allongé sur la table qu’ils y avaient apportée. Moins de vingt-quatre heures

s’étaientécouléesdepuisledînerdramatique,maisl’atmosphèreoppressantequirégnaitdanslamaisondonnaitl’impressionqu’ilsyétaientenfermésdepuisdessemaines,desmois,uneéternité.Martincontournalentementlatablesurlaquelleétaitétendulecorpspours’approcherducongélateur.

Il lui semblaapercevoirunmouvementducoinde l’œilmais il réalisaaussitôtquecen’étaitquesonimagination.Rubenétaitparfaitementimmobile.Lecouvercleducongélateurnebougeaitpas,ilfutobligéd’utilisertoutessesforcespourl’ouvrir.Un

souffle froid l’atteignit au visage et il recula instinctivement. Le rosbif était sur le dessus. Il étaitsoigneusementemballéetportaituneétiquetteàl’écritureféminine.Legrandpaquetétaitsifroidqu’illuibrûla les mains, et il se dépêcha de sortir. Bien qu’il n’ait pas ressenti la présence du mort commedésagréable,iléprouvauncertainsoulagementlorsquelaporteserefermaderrièrelui.—Çaaété?demandaKerstin,etàsonintonation,onauraitpucroirequ’ilrevenaitd’uneexpédition

aupôleNordetnonqu’ilétaitalléchercherdelaviandedansuncongélateur.—Oui,trèsbien.Ilposalerôtisurgeléetsefrottalesmainspourréactiverlacirculationdusang.

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—Qu’est-cequevousenpensez?Vousobtenezdesrésultats?demandaBörjeendésignantlachambrefroidedelatête.Ledécouragementl’envahissait,maisMartinnepouvaitdirequecequ’ilenétait.—Non,pasvraiment.Personnen’arienvu.Personnenesaitrien.Personnen’ademobile.Pourtantils

sontcommechiensetchats,tousautantqu’ilssont.—J’aicomprisquec’étaitlapremièrefoisquevouslesrencontriez,ditBörjeavecunpetitsourire.

Enmatièred’introduction,c’estfoutrementréussi!Kerstinpoussasonmariducoude.—MaisBörje,envoilàunefaçondeparler!—Çanefaitrien,ditMartinenriant.Etvousavezraison,c’estfoutrementréussi!TouslestroisrirentetMartinsentitlatensionserelâcherdanssapoitrine.

Lahainecontinuaitàbouillonnerenlui.Ilavaitétéobligédepartir.Autrement,elleauraitprisledessus,l’auraitvaincuetfaitfairedeschosesqu’ilauraitregrettées.Assisdosàlaportedanssachambre,Matteserralesmains,rythmiquement.Ilnesesentaitrassuréqu’enmaintenantsaporteferméeàclé,qu’enétantseul.Lesautresreprésentaientundangeretunrisque.Ilsavaientbeauavoirlesmeilleuresintentionsdumonde,ilspouvaientêtrepleinsd’amourmême,maisenréalitéilsétaientdangereuxetperfides.Laseulepersonneavecquiilsesentaitensécuritéétaitsongrand-père.Ensacompagnie,ilpouvaitsedétendreetselaisseraller.Ilavaitpuluiparlerdetouteslespenséesquifusaiententoutsensdanssonespritetqui,inlassablement,semblaientguetterunmomentderelâchement.Alamoindreoccasion,elless’immisçaientenlui.Grand-pèrel’avaitcomprisetn’avaitjamaisrienremisendoute.Iln’avaitjamaispestécontreluicomme papa, ni pleuré commemaman, ne l’avait jamais méprisé comme Lisette. Il ne s’était jamaismoquédeluicommeBernard.Lesautresnecomprenaientpaspourquoi ilnourrissaitunehaine irrationnelle à l’égarddeBernard.

Matte avait pourtant tentéde semaîtriser, de faire fi de ses souvenirs.De se comporter correctement,commeilsdésiraientqu’illefasse.Maislessouvenirsétaienttoujourslà.Ilsressurgissaientlorsqu’ilnesetenaitpassursesgardes.Bernardetluiavaientfréquentélamêmeécole,dansdesclassesdifférentesmais dumêmeniveau.Durant toute leur scolarité,Bernard avait fait de lui son souffre-douleur, et lesautresélèvessuivaientlemeneurqu’ilétait.Ilslefrappaientetleridiculisaientsansrelâche.Encoreetencore.Toujoursaveccesourirenarquois.Toujoursàlarecherchedenouveauxstratagèmespourbrisersonexistence.Avecl’âge,leschosess’étaientaméliorées.Ilsn’étaientpasallésdanslemêmelycée,etBernard s’était sans doute lassé et avait trouvé d’autres exutoires pour son énergie perverse. Maislorsqu’ils se croisaient, il affichait lemême sourire commepourdirequ’il voyait clair en lui et qu’ilsavaitexactementsurquelsboutonsappuyerpourlebriser.C’étaitlaseulechosequ’iln’avaitjamaisracontéeàgrand-père.IlsedoutaitbienqueRubenvoyait

Bernardtelqu’ilétait,maisqu’ilgardaitespoirenlui.EtMattenevoulaitpasluiôtercetteconfiance.C’estpourquoiilconservaitlesilencelorsqueRubenparlaitdeBernard.Ilneluirépondaitpaslorsqu’illuidisait:“Ilvas’assagir,luicommetoutlemonde,quandilaurafinidejouer.Detoutefaçon,çanepartpas d’une mauvaise intention.” Dans ces moments-là, Matte scrutait attentivement son grand-père.Croyait-ilcequ’ildisait?Nevoyait-ilvraimentpaslemasquedontils’étaitparéetlemalquiricanaitderrière le beau sourire deBernard ? Peut-être. Peut-être pas.Quoi qu’il en soit,Matte avait très tôtdécidé de ne pas être celui qui étoufferait l’espoir que Ruben plaçait en Bernard. Le temps s’enchargeraitàsaplace.Maismaintenantilétaittroptard.Grand-pèren’étaitpluslà.Sonseulamiaumonde,leseulêtreavec

quiilsesentaitensécuritéavaitdisparu.Etlesouriremoqueurdesoncousinluidisaitqu’ilavaitfinipargagner.

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Le tonnerre retentit si fort que les carreaux des fenêtres en tremblèrent.La tempête de neige s’étaitdésormaismuéeenorage!Mattepritconsciencedecequ’ildevaitfaire.Maisd’abordil luifallaitsereposerunmoment. Il s’allongeasur le lit et ferma lesyeux.Etaprèsquelquessecondesseulement, ildormait.

—Ehbien,ça,c’estcequej’appelleundramefamilial,ditGustav.Ilétaitconfortablementinstalléavecsafemmeetsesenfantsdanslescanapésetfauteuilsblancsdela

bibliothèque. Un fumet appétissant leur parvenait depuis la cuisine et l’estomac de Gustav se mit àgronderbruyamment.—Mmm,j’aifaim,dit-ilavecunenjouementfeintavantdeboireunegouléedecognac.Avec les événements du week-end, toutes les règles de convenance étaient négligées, et le cognac

généreusementservi.Personne ne répondit à sa tentative de lancer la conversation. Bernard se frotta la peau du cou en

marmonnant:—Merdealors, jesuissûrque jevaisavoirunputaindebleu.Vafalloirexpliquerçaaubouloten

plus.Jeparspouruneréuniondefamilleetjereviensavecunemarquedestrangulation…—Matte a toujours été instable. Je ne comprends pas qu’ils ne se soient pas occupés de ça plus

sérieusement.C’est un véritable danger pour son entourage, ditGustav en secouant la tête alors qu’ilfaisaittournerleliquideambrédanssonverre.—Vouspensezque…?Mirandas’arrêtanetpuispoursuivit:VouspensezqueçapeutêtreMattequi…Elleneterminapassaphrase,iln’enfallaitpasplus.Unelueurs’allumadanslesyeuxdesmembresde

safamille.—Maisbiensûr,putain!s’exclamaBernard,quisemblaitconsidérablementragaillardi.Ilseredressa

sur lecanapéetpoursuivitd’un tonexcité :Maisbiensûrquec’estMatte ! Ilya toujourseuquelquechosequinetournaitpasrondchezlui.Etvousavezvucommentilm’aagressé.—Mais…Rubenetluiétaienttellementproches,protestaVivi.SonobjectionfutbalayéeparGustavquiavait,luiaussi,unéclatfiévreuxdanslesyeux.—Justement!Çarendlachosed’autantplusplausible.Quisaitcommentsoncerveaumaladeaperçu

leschoses?Leplussouvent,lesvictimessonttuéesparunmembredeleurfamille,non?Bernard et Gustav hochèrent la tête en signe d’assentiment. Miranda avait toujours l’air un peu

hésitante.Elleneparaissaitpasaussiconvaincue,bienqu’elleaitlancélapistelapremière.—Mais…,dit-elleencherchantdesyeuxunpeudesoutienauprèsdesamèreavantdepoursuivre.

Quelseraitsonmobile?—L’argent,lavengeance,desgriefsimaginaires–tuchoisis,soufflaBernard.—Jenesaispas,vraiment,ditMirandaentripotantundescoussinsducanapé.Jenesaispas…—Maismoi, jesais,ditBernardenselevant.Jem’envaisdecepasdireunmotauflicdeLisette

pourqu’ilaituneimageplusnettedetoutça.Etçanem’étonneraitpasqu’iltrouvelapistefranchementprometteuse.—Mais…Mirandasemblaitavoirautrechoseàdire,maisBernardétaitdéjàentraindequitterlapièce.

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Soudainelles’envoulutdenepasavoirsutenirsalangue.Enfait,elleaimaitbienMatte.Etiln’étaitpasdérangéàcepoint-là.Bonsang,unepersonnesurdeuxdanssonentourageavaitdéjàfaitunedépression.S’empiffrerdeProzacetautrespilulesrosesétaitpresquelégitime,etdéfinitivementpasquelquechoseque l’on gardait secret. Au contraire. Il ne fallait pas s’étonner non plus que Matte s’en soit pris àBernard.Elleadoraitsonfrère,maisilpouvaitêtreassezprovocateur.Ilavaitledonétrangededevinerquelsétaientlespointsfaiblesdesgens,etilenusaitavecunesortedejouissancemalsaine.— Et Harald et Britten, qu’est-ce qu’ils vont dire s’ils apprennent que Bernard traite leur fils

d’assassin?ditVivid’untoninquietens’agitantnerveusementsurlecanapé.—Ils sont libresdedirecequ’ilsveulent, jem’en fous,ditGustavqui tournait encore sonverreà

cognac.Matte est instable et de toute évidence agressif, alors ce n’est pas absurde de le considérercommelecandidatleplusprobable.—Maisunassassin…,ditViviavecunregardsuppliantàMiranda.—Jedoisdonnerraisonàmaman.Jesaisquec’estmoiquiailancél’idée,mais…non,jenevoispas

Matteenassassinsanguinaire…çanecollepas.Mirandafutsurprisedes’entendredirecela.Ellen’étaitpassouventd’accordavecsamère,etpour

unefois,ellessemblaientêtredumêmecôté.—Bah,lesbonnesfemmes,ditGustavavantdeboireunegrandelampéed’alcool.Vousêtestoujours

tellementconfiantes.Vous lesvoyezcomment, lesassassins?Commedesmonstres sauvagesavecunegrossebarbeetdestatouagespartout?Pourmapart,jecroisMattetoutàfaitcapabledetuerquelqu’un.Satisfait,ils’enfonçadanssonfauteuilavecl’airdepenserqu’ilavaiteulederniermot.MirandaetViviéchangèrentunregarddeconnivence.Cecineprésageaitriendebon.Aucontraire.—Tupensesqu’ons’yestmalpris?ditBrittenàvoixbasse.Harald et elle s’étaient réfugiés dans la salle à manger pour s’isoler un moment. Matte et Lisette

avaientchacunfoncédansleurchambre,Gustavetsafamilleétaientdanslabibliothèque,certainemententraindesegargariserdel’agitation,etducoindel’œilellevitMartinMolindanslacuisine,quiparlaitaveclespropriétairesdeslieux.Haraldétaitassisenfaced’elle.Sonvisageavaitprisuneteintecendréequil’inquiétaaussitôt.—Tuvasbien?demanda-t-elleenposantunemainsurcelledesonmari.—Net’inquiètepas,répondit-ilavecunsourireforcé.—Tusaisquejem’inquiètequoiquetudises.—Oui,jesais.Haralddéplaça samainafindepouvoir tapotercelledeBrittenenungestequi sevoulut rassurant.

Vainetentative.—Jevousapporteducafé.Vousn’avezqu’àvousservir.KerstinposaunplateauavecunThermosetdestassessurlatablelelongdumur,avantdedisparaître

danslacuisine.—Tuenveux?demandaBritten.Haraldhochalatêteenguisederéponse,etelleselevapourservirdeuxcafés,noirpourelle,aulait

avecdeuxmorceauxdesucrepourHarald.Depuistoujours,elleluidisaitdenepasmettredesucredanssoncafé,maiselleavaitfiniparcomprendrequec’étaituncombatdésespéré.—Tun’aspasoubliélesucre?—Non,monchéri,jen’aipasoubliélesucre,ditBrittenquisouritensongeantàleurcomplicité.Ellebutquelquesgorgéesavantderépétersaquestion:—Tupensesqu’ons’yestmalpris?—PourMatte,tuveuxdire?—PourMatte etpourLisette.Elle a raison, tu sais.On l’anégligée.Matte a eudroit à toutenotre

attention,alorsqu’onluidisaitsansarrêtqu’ilfallaitêtregentilleetnousaider,qu’elleétaitunegrande

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filleetqu’ellesedébrouilleraittoujours.Maisellenes’estpasdébrouillée…Toujourspas.—Qu’est-ce qu’on aurait dû faire alors ? ditHarald d’une voix lasse en passant unemain sur son

visage.Matteétaitexigeant.Onafaitcequ’onapu.—Tucroisqu’onafaitcequ’onapu?répliquaBrittenalorsquesesyeuxs’emplissaientdelarmes.

Vraiment?N’aurait-onpaspufaireunpeuplusd’efforts?Pouressayerd’être làpour tous lesdeux?PourdonneràLisetteletempsetl’attentionqu’elleméritait.Maintenantj’aipeurqu’ilnesoittroptard.Unelarmecoulasursajoue.Haraldfixasatassedecafé,puisilsecoualatête.—J’auraispeut-êtrepuessayerdemoinstravailler…,dit-il.Brittenréalisaquec’étaitlapremièrefoisqu’ilévoquaitunetelleéventualité.Elleleluiavaitdittant

defois,parfoisenlesuppliant,parfoisaveccolère.Maisàprésentqu’illeformulait,ellecompritquecelan’auraitjamaisfonctionné.Haraldn’étaitpeut-êtrepasd’unecompétencehorsducommun,c’étaitunfaitqu’elleavaitdécouvertdepuisbelle lurette,mais iladorait travailler,et travaillerdur. Ilnesavaitrienfaired’autre,etiln’auraitpasaiméfaireautrechose.Sibienqu’ilavaitpeut-êtreraison.Ilsavaientpeut-êtrefaitdeleurmieux,aveclesmoyensquiétaientlesleurs.—Qu’est-cequ’onfaitmaintenant?demanda-t-elleenposantdenouveausamainsurlasienne.—Onleurfichelapaixunpetitmoment.Ensuite,quandonserapartid’ici,ontrouveraunesolution.Il

yaforcémentunesolution.Ilsfinirentleurcaféensilence.Iln’yavaitpasgrand-choseàajouter.

Martin fit unbond lorsque le tonnerre se remit àgronder. Il avait toujours eupeurdesorages.C’étaitgênant pour un homme adulte, mais cette fureur soudaine qui inondait tout de sa lumière crue avaitquelque chosede sinistre.Et cette attente…celledu tonnerrequ’on savait imminent.Lorsqu’un éclairilluminaànouveaulacuisine,ilcomptalessecondesensilence.Un,deux,trois…—Boum.Martinsursauta.Bernardsurgitderrièreluiaveccesouriredésagréabledontilavaitlesecret.—Pardon,jet’aifaitpeur?—Non,pasdutout,minimisaMartin.—C’estquandledéjeuner?demandaBernardàKerstinetBörje.Asonton,onauraitpucroirequ’il

lesconsidéraitcommesesdomestiques.—Dansunedemi-heure,réponditKerstinavantdeseretournerpourcontinuerlapréparationdurepas.—Parfait,commeça,onaletempsdeparler.BernardfitunsignedetêteàMartin,quisuivitàcontrecœurl’hommegrandetbrun.Ileutbeautrouver

Bernard fort antipathique, il était obligé de reconnaître qu’il possédait une bonne dose d’autorité. IlsemblaitdifficiledenepassuivreBernardLiljecrona.—Dequoiveux-tumeparler?demandaMartinquitentaitdereprendrelesrênes.BernardjetaunregardversHaraldetBritteninstallésplusloindanslasalleàmanger,etilnerépondit

pas.Agrandesenjambées,ilsedirigeaverslepetitcabinetdetravail,etuninstantMartincrutqu’ilallaits’asseoirderrièrelebureauetcommenceràl’interroger.MaisBernardchoisitlachaisedevantlebureauetposaunregardimpérieuxsurMartin.LacuriositédeMartin s’éveillamalgré lui. Il s’assit à son tour et leva les sourcilspour signaler à

Bernardd’enveniraufait.—Tuasvucequis’estpassétoutàl’heure,ditBernardd’unevoixsècheetneutre.—Tuveuxdirevotre…différend,àtoietMatte?Même s’il s’en doutait déjà un peu, Martin se demandait quelle tournure allait prendre cette

conversation.—Oui.TuasvuqueMattem’aattaqué,sanslamoindreprovocationdemapart.

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Martinn’enétaitnullementconvaincu,maisilattenditlasuitesansfairedecommentaire.—Bon,donc,cen’estpasnouveau.Matteacertains…problèmes.HaraldetBrittenontfaitdeleur

mieuxpourgarderçasouscontrôle,etlecacher–etRubenaussi,tantqu’onyest.MaislavéritéestqueMattealecerveaudétraqué,iladéjàfaitquelquesséjoursenpsy.Et…sijedevaischercherl’assassinleplusvraisemblabledanscetteassemblée,alors…,dit-ilenécartantlesmainsd’ungestethéâtral.Martin soupira. Il avait espéré que Bernard lui fournirait quelque chose de plus consistant. Les

problèmespsychiquesdeMatten’étaientpasunscoop,etçan’aideraitpasl’enquêteàprogresser.—Tun’asriendeplusconcret?dit-ild’unevoixfatiguée.—Commentça,deplusconcret?Ilm’aattaqué!Ilaessayédem’étrangler!Est-cequeçapeutêtre

plusconcretqueça?Putain,c’estunetentatived’assassinat!—Situveuxmonavis,appelerçaunetentatived’assassinatestunpeuexagérédanscecontexte.Et

celanelelieenrienàlamortdeRuben,n’est-cepas?Deplus,vousaveztousditqueRubenetMatteétaienttrèsproches.Danscecas,quelmobileaurait-ileupourtuersongrand-père?Letonnerregronda.BernardetMartinsursautèrent.—Mobile,mobile,répétaBernard.Quipeutsavoircommentfonctionneuncerveaumalade?Etlefait

qu’ilssoientprochesrendlachoseplusprobable,pasvrai?— Qu’est-ce que tu veux dire par là ? demanda Martin, sans réussir à paraître spécialement

enthousiaste.—Ehbien,l’amoursechangefacilementenhaine.UnepersonneinstablecommeMattepeutfacilement

imaginerdeschoses,etquisaitcequ’ilapusemettreentêteconcernantgrand-père?—Hmm…C’estunpeutropléger,ditMartinensecouantlatête.J’ainotécequetuviensdemedire,

maisjepensequ’iltefautmefournirdespreuvesplusconcrètespourmeconvaincredeplacerMatteentêtedelalistedessuspects.—Quoiqu’ilensoit,dèsqu’onauraquittécettefoutueîle,j’ail’intentiond’allerporterplainte,sache-

le.Ilnes’attaquerapasimpunémentàmoi,claironnaBernardenfixantMartindroitdanslesyeux.—C’esttondroit.Martinselevapourmontrerquelaconversationétaitterminée.Ilyeutencoreuncoupdetonnerre,et

cettefoisileutl’impressionquel’orages’étaitconsidérablementrapproché.

Ledéjeunersedéroulaensilence.Lisettelesavaitrejointsmêmesielleétaitdemauvaisehumeur,tandisqueMattebrillaittoujoursparsonabsence.LerepasqueKerstinetBörjeavaientserviétaitdélicieux,maispersonnen’étaitvraimentenétatdel’apprécieràsajustevaleur.Martinsedemandaquelleserait la réactiondeHaraldetBrittens’ilsapprenaientqueBernardavait

cherchéàdésigner leur fils commeassassin. Il n’avait cependantpas l’intentionde les en informer. IllorgnaversLisettequis’entêtaità regardersonassiette.Ellene luiavaitpasadressé laparoledepuisqu’elle était revenue, ce qui confirma le fait qu’ils avaient dépassé le stade où les choses pouvaientencores’arranger.Cedontiln’avaitaucuneenvie.Unefoisqu’ilsauraientquittél’île,ilsecontenteraitparfaitementdenepluslarevoir.Enattendant,leurrelationseraitforcémentquelquepeuglaciale.—Est-cequel’undevousaparléavecMatte?dit-ilàvoixbasseàHaraldetBrittenquiétaientassis

enfacedeLisetteetlui.Tousdeuxsecouèrentlatêteenmêmetemps.—Non,finitpardireBrittenenjetantuncoupd’œilàHarald.Onl’alaissétranquille.Engénéral,il

secalmetoutseul,pourvuqu’onluifichelapaix.—Ondevraitpeut-êtremontervoircommentilva?ditHaraldenbaissantencored’unton.—Non,ilvautmieuxlelaisser,réponditBrittenquin’enparaissaitpastotalementconvaincue.

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Haraldn’insistapasetilscontinuèrentàmangerdansunsilenceoppressantrompuparleseulcliquetisdescouverts.Martinsentitlapaniquepoindreenlui.Iln’avaitqu’uneseuleenvie:quittercettemaisonetcetteîle.Il

étaitsurtoutimpatientd’obtenirl’aidedequelqu’undeplusexpérimentéqueluipourl’enquête,quelqu’unquisauraitcommentlafaireprogresseretquienvisageraitdespossibilitésquemanifestementilloupait.Ilignoraitquipouvaitêtrel’assassinduvieilhomme.Iln’étaitabsolumentpasplusaviséquelaveille,etenvenaitàdoutersérieusementdesescompétences.— Je crois que je vais aller faire une petite sieste digestive, dit Harald en tapotant son ventre

volumineux.—Oui,c’estunebonneidée,réponditMartinenétouffantunbâillement.L’atmosphère pesante, la grande quantité de nourriture et de boissons le rendaient terriblement

somnolent.Pourtant,ilavaitdéjàdormiuneheuredanslamatinée.—Jemontem’allongerunmoment,dit-ilàLisette.Ellemurmuraunevagueréponsesansluiadresserunregard.Uninstantplustardalorsqu’ilétaitétendusursonlit,ilentenditlesportessefermerlesunesaprèsles

autres.Presquetoussemblaientsuivresonexemple.Lescoupsdetonnerrefurentladernièrechosequ’ilentenditavantdesombrerdanslesommeil.

Brittenseréveillaavecl’impressionquetoutn’étaitpastoutàfaitnormal.Elletentadesedébarrasserdesonmalaise.Peut-êtreavait-elle rêvédequelquechosededésagréable?Cettesensationnes’atténuaitpas.Quelquechoseclochait.Elleseredressaettenditl’oreille.Lesseulsbruitsqu’ellepercevaitétaientles ronflementsdeHaraldallongéàcôtéd’elleet le tonnerre.Jamaisellen’avaitvécuunoraged’unetelleforce.Ilmontraitparmomentsdessignesd’apaisementpourreveniravecunevirulencedécuplée.Elleavaitl’impressionquec’étaituncoupdetonnerrequil’avaitréveillée.Cependant,ellen’enétaitpassûre.Ilyavaitautrechose…Elleserallongeaetfermalesyeux.Celanefonctionnaitpas,elleétaitdéfinitivementréveillée.Haraldrenifladanssonsommeiletseretournasurlecôté.Unefoisqu’ilétaitendormi,aucunorageau

mondenepouvaitleréveiller.Elles’assit,fitpivotersesjambessurleborddulitetposalespiedsparterre.Mêmeàtraversseschaussettes,ellesentaitquelesolétaitfroid.Unsentimentd’inquiétudelafrappadepleinfouetlorsqu’ellepensaàMatte.Elleeneutpresquedes

nausées.Cetteinquiétuded’unemèrepoursonenfantnes’atténueraitdoncjamais?Elleavaitdébutéàlamaternitépoursepoursuivreindéfiniment.LisettenecomprenaitpasqueBrittensefaisaitautantdesoucipourellequepourMatte.Etqu’ellel’aimaitautant.Seulement,l’amourqu’elleportaitàsafillenes’étaitjamais exprimé aussi concrètement que celui qu’elle ressentait pourMatte. Lui avait eu besoin d’unegrandesollicitudeetdemesurespratiques,contrairementàsasœur.Brittensoupira,selevaetenfilaungilet.Apparemment,elleétaitlaseuledelamaisonàêtreréveillée.

Cecalmeluiparutpresquefuneste.Elle se dirigea lentement vers la porte, ne sachant pas trop quoi faire. Lisette était étendue sur le

canapédelabibliothèqueetBrittennevoulaitpaslaréveiller.Ellen’avaitpaslaforcedes’embarquerdansuneénièmediscussionavecelle,pasaveclemalaisequ’elleressentaitdanstoutsoncorps.Unefoisdanslecouloir,ellesutoùaller.Ilfallaitqu’ellevoieMatte,qu’ellevérifies’ildormaitetlui

caresselescheveuxcommelorsqu’ilétaitpetit.S’ilnedormaitpas,elleluiparleraitunmomentafindes’assurerqu’ilallaitbien.Ellepressadoucementlapoignéedesaporte.Elleauraitpeut-êtredûfrapper,maiselleespéraitqu’il

seraitendormi.Brittenvoulaits’asseoirsurleborddesonlitetregardersonfilsdormirpaisiblement,retrouverdanssonvisaged’adultelerefletdeceuxquis’étaientsuccédéaufildesans.Mattelorsqu’il

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était encore bébé, Matte à cinq ans, posant plein de questions, à dix ans, curieux de tout, et aussil’adolescentrenfrognéqu’ilavaitété.Elleouvritlentementlaporteetentra.Puisvintlecri.

Vivi n’arrivait pas à dormir. Elle s’était allongée et avait fixé le plafond pendant près d’une heure.Comme à son habitude, Gustav s’était endormi instantanément. Il sombrait dans la seconde, et elleregardaitlenoir,heureaprèsheure.Ellen’avaitpasenviedefaireunesieste,maistouslesautresavaientdisparu,etilneluirestaitpasbeaucoupdechoix.Quelqu’unmarchaitdanslecouloir.Ellepritappuisursescoudesetseredressaunpeupourécouter.

Aprèsquelquessecondes,elleentenditqu’onouvraituneporte.Lecriquisuivitnesemblaitpashumain.Onauraitditceluid’unanimalquihurlaitdedouleur,etsoncœursemitàcognerdanssapoitrine.—Quoi,quoi?Qu’est-cequisepasse,bordel?Gustavseredressa,ilétaitàpeineéveilléetsesyeuxécarquillésbalayèrentlapièce.—Jenesaispas.Viviétaitdéjàsortiedulit.Elleenfilalarobedechambrequ’elleavaitaccrochéesurlemontantdulit

etnoualaceinture.Lecris’intensifiaitetétaitseulementinterrompupardelongssanglots.Viviouvritlaporteetseprécipitadanslecouloir,suiviedeprèsparGustav,vêtuseulementd’untee-

shirtetd’uncaleçon.Tousavaientététirésdeleursiesteetseretrouvèrentdanslecouloir.—Qu’est-cequisepasse?demandaHaraldenlesrejoignant.IldirigeasonregardverslachambredeMatteetréalisaquelecrivenaitdecettepièce.Ilrejoignitla

porteenuneenjambée,l’ouvritengrandpuischancela.Safemmeétaitassiseparterre,latêtedeMatteposée sur ses genoux. Elle se balançait d’avant en arrière sans arrêter de crier. Ses genoux étaientrecouvertsdesang,toutcommesesmainsquitenaientlatêtedesonfils.Untroubéants’ouvraitdanssapoitrine.Vivin’arrivaitpasàendétacherlesyeuxpuisdevantelledansl’encadrementdelaporte,ellevitHarald qui oscillait de droite à gauche,muet, en état de choc.Vivi semit à haleter en posant sonregardsurlatêtedeMatte.Lesyeuxdesonneveuétaientouverts.Illafixaitetellecrutuninstantqu’ilétaitvivant.Puiselleréalisaqu’iln’yavaitpersonnederrièreceregard.Ilétaitseulementlerefletdelamort,del’absencedevie.Haraldfitquelquespasdanslapièceettombaàgenouxprèsdesafemme.Luiaussisanglota,caressant

maladroitement le bras deMatte comme pour s’assurer qu’il ne s’agissait que d’unmauvais rêve. IlvoulutprendreBrittendanssesbras,maisellelerepoussad’ungestevifetcontinuaàbercersonfilstoutenproférantdessonsquiglaçaientlesang.Vivifrissonna.Ellenepouvaitpasadmettrelaréalitédelascènequisedéroulaitsoussesyeux.Quelqu’unessayadesefrayerunpassagederrièreelle.C’étaitMartinMolin.—Ques’est-ilpassé?Luiaussi s’arrêtabrusquement. Il retrouvacependant rapidement sesesprits, et s’agenouillaprèsdu

corps.Cettefoisiln’eutpasbesoindeprendresonpouls.IlnefaisaitaucundoutequeMatten’étaitplusenvie.—Onluiatirédessus,constata-t-il.Brusquement, tous semblèrent prendre conscience de ce que signifiait le trou dans sa poitrine. On

entendaitquelqu’unqui tentaitde reprendresonsouffle :Mirandavenaitd’arriveret fixait lachambreavecdesyeuxécarquillés.—Est-cequequelqu’unaentenduladétonation?demandaMartin.Personnenerépondit,maisquelques-unssecouèrentlatête.—Commentest-cepossible?s’entenditdireVivi.Nousaurionsquandmêmedûentendreuncoupde

feu?

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—L’orage,ditMiranda.Lecoupdefeuaétécouvertparletonnerre.—C’est toutà faitprobable, réponditMartin. Ilapuêtre tirépendantundescoupsde tonnerre, ils

étaientvraimentassourdissants.—Etlepistolet,oùest-il?demandaMiranda,Vivi,quisetenaitprèsdeMiranda,lasentaittrembler.Elles’écartadequelquescentimètresetserra

sa robe de chambre contre elle. Les battements de son cœur qui résonnaient dans tout son corpssemblaientêtrerythmésparlepoidsdesonsecret,etelleévitadeposerlesyeuxsursafille.Martininspectalapièce.Ilsoulevalecouvre-litetregardasouslelit,maisnevitriendeparticulier.Il

sedressaetexaminalefoyerdelacheminéequinecontenaitquequelquesbûchettescarbonisées.L’armeducrimen’étaitpasici.—L’assassin l’asûrementemportée, finit-ilpardire.Entoutcas, iln’estpasdans lapièce.Jevais

vousdemanderderesterdanslecouloir.Tous ceux qui se tenaient dans l’ouverture de la porte firent un pas en arrière. Harald et Britten

restèrent où ils étaient. Britten poussait à présent de longs gémissements qui étaient presque plusdéchirantsquesescris.Martins’accroupitàsescôtésetluiparlacalmementetdistinctementcommeàuneenfant:—J’aibesoindevoircequis’estpasséici.Est-cequevouspouvezmelaisseravecMatteuntoutpetit

moment?Il posa samain sur son épaule et elle n’essaya pas de la retirer.Martin attendit qu’elle se décide,

pendantqu’ellecontinuaitàbercersonfilssursesgenoux.Elles’arrêtaenfin,reposadoucementsatêtesur le solet se leva.Ellechancelaet faillit tomber,maisHarald la rattrapa.Aprèsavoir jetéuncoupd’œilàMartin,ilmitsonbrasautourdesafemmeetl’entraînahorsdelapièce.—Voilà,machérie.OnvalaisserMartinfairesonboulotmaintenant.Là.Là.Lesmembresdelafamillequiétaientrestésdanslecouloirs’écartèrentpourleslaisserpasser.Harald

ne les regarda pas quand il emmenaBritten en bas de l’escalier.Tous demeurèrent figés sur place uninstant avantde réagir et de les suivre.L’imagedesmains ensanglantéesdeBritten s’attarda sur leursrétines.

Une fois seul, Martin inspecta la chambre plus en détail. Il savait qu’en temps normal, il auraitpratiquement été lynché par ses collègues en piétinant ainsi une scène de crime.Mais à circonstancesextraordinaires, mesures extraordinaires. Il n’avait pas d’autre choix que de chercher lui-même lesindicesquipouvaients’ytrouver.Pourcommencer,ilsemitàquatrepattesetprogressasurlesolcentimètreparcentimètreencherchant

desyeuxn’importequelélémentquipourraitéveillersonintérêt.Leplancherétaitimpeccable.Ilsoulevade nouveau le couvre-lit, mais sous le lit le sol était tout aussi propre.Matte était apparemment unepersonnetrèsordonnée.Deuxpairesdechaussuresétaientconsciencieusementposéesprèsdelaporte,ettoussesvêtementsétaientrangésdansl’armoire.Ilpivotadecentquatre-vingtsdegrésetentrepritlamêmeinspectionminutieusedel’autrecôtédela

chambreenmaintenantsonvisageprèsdusolpourrepérerlamoindreparticule.Lànonplus,ilnetrouvariend’intéressant,maisendéplaçantleregardunpeusurlagauche,ilvitquelquechosescintillersouslatabledenuit.Ils’enapprochaetglissalamainsouslemeuble.Sesdoigtsserefermèrentsurunobjetduret froid.Un téléphoneportable.C’était unmodèlehautdegamme. Il lui semblait enavoirvuunautrequelquepartdanslachambre,etilletrouvaeffectivementsurlatabledechevet.Unmodèlebonmarchéetbeaucoupplususéyétaitposé,etMartinsupposaqu’ilappartenaitàMatte.Restaitmaintenantàsavoirquiétaitlepropriétairedel’autreportable.

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IlleposaàcôtédeceluideMatteetpoursuivitsesrecherches,maisl’inspectionduplanchernelivraaucunautre indice,et il seconcentrasur lecorps.Unpetit frisson leparcourut lorsqu’il le toucha.Ceséjour s’était transformé en une formation accélérée dans l’art demanipuler les cadavres. Il examinad’abordlablessureà lapoitrine.Sansêtreunspécialiste, ilputsupposerquelaballeavaitété tiréeàfaible distance car la plaie était bordée de noir. Il retourna le corps et constata que la balle l’avaittraversé.IlreposadoucementMattesurledosetsereleva.Ilscrutalapièce.Aenjugerparlapositiondu corps, la balle devait se trouver quelque part vers la porte qui était restée ouverte. Il la referma.Effectivement,laballeétaitfichéedanslebois.Elleavaitdûêtreralentieparlatraverséeducorpsetn’yétaitpasenfoncéeprofondément.Martinnelatouchapas,lestechnicienss’enchargeraientàleurarrivée.Ilseretournaverslachambre,lessourcilsfroncés.Unechoseluisemblaitétrange.Ill’avaitvuesans

vraimenty faireattention.Devant lacheminée, ilyavaitde la finepoussièreetquelques fragmentsdepierreplusgrossurlesol.Lemanteaudelacheminéeavaituneentailleensonmilieuets’iln’avaitpasretrouvélaballefichéedanslaporte,Martinauraitcruqu’elleavaitcausécesdégâts.Pourtant,c’étaitimpossible. Le corps de Matte ne présentait les blessures que d’un seul impact de balle, et rienn’indiquaitqu’unsecondcoupdefeuaitététiré.Lacheminéeavaitforcémentétéabîméeparautrechose.Iln’yavaitaucunetracedeluttedanslapièce.Toutyétaitsoigneusementrangé.Lemanteauébréchédelacheminéeetlepetittasdepoussièredepierresurlesolétaientlaseulediscordance.Etrange.Cependant,lacheminéepouvaittrèsbienavoirétéendommagéeavantqueMattenesoitassassiné.Martinsoupira.Ilne s’en sortirait pas. Si aumoins il avait pu discuter de l’affaire avec PatrikHedström, cela l’auraitcertainementaidé.Seul,ilétaitcomplètementperdu.Ilsortitde lapièceàreculons.Iln’ytrouveraitriendeplus.Maintenant il fallaitmettre lecorpsde

Matte dans la chambre froide où il reposerait temporairement avec son grand-père. Martin ne seréjouissaitpasd’avoiràdemanderdel’aidepourlefaire.

Lisettedormaitd’unsommeilagité.Lecanapéétaitcertesconfortable,maisdesombresrêvesvenaientperturbersonrepos.ElleavaitmisdesboulesQuièspournepasêtredérangéeparlatempête,maislesilencequ’ellesprovoquaientsemblaitouvrirlavoieauxpenséesangoissantes.Elleétaitpoursuivieparsesrêvesdanslesquelsdesvisagesseconfondaient.RubendevenaitBernard,

qui devenait Matte. Des yeux accusateurs. Des yeux tristes. Des yeux désespérés. Des yeux qui setournaient vers elle, pleins de colère et de haine. Derrière ses paupières closes, ses propres yeuxs’agitaientnerveusement.UnsonavaitfranchilebarragedesboulesQuies,c’étaituncridedouleuretdedétresse.Maislafrontièreentrerêveetréalitéétaitfloue,etlecriaccompagnalesimagesdecesyeuxquilapoursuivaient.Malgrélescauchemars,elleluttapoursemaintenirdanslesommeil.Laréaliténevalaitguèremieuxet

elle ne souhaitait pas la retrouver. Cependant, elle sentit une main sur son épaule et se réveilladéfinitivement.Enouvrantlespaupières,ellevit levisagedesonpère.Ilétaitsiaffligéqu’elleeutdumalàlereconnaître.Elleseredressad’uncoup.—Qu’est-cequ’ilya,papa?Ellesutd’instinctquequelquechosen’allaitpas.Lesouvenirducridanssonrêve,quid’uneétrange

façonluiavaitparusiréel,refitsurface.Ellepritsonpèreparlebras.—Maisdis-moi,qu’est-cequ’ilya?Elleréalisaseulementàcetinstantquelabibliothèqueétaitpleinedemonde.Ilsétaienttouslà.Elle

vitsamèreeffondréedansunfauteuiletlapaniquel’envahit.Elles’accrochaaubrasdeHaraldlorsqu’ilselaissalourdementtomberàcôtéd’elle.—Qu’est-cequis’estpassé?

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Elle les regarda un à un et lentement, elle commença à comprendre. Tout lemonde était là…Toussauf…—Matte!s’écria-t-elle.OùestMatte?Ellevoulut se lever,maissonpère l’enempêchaet lapritdanssesbras.Legesteétaitdestinéà la

consolerautantqu’àlaretenir.—Ils’estpasséunechose…épouvantable,Lisette.Savoixsebrisa,etLisetteréalisaquec’étaitlapremièrefoisqu’ellevoyaitsonpèrepleurer.Iln’en

fallutpaspluspouramplifierlapaniquequil’assaillaitdéjà.—OùestMatte?répéta-t-elle.Savoixétaitfaibleetatone.Enfait,ellelesavait.Ellelelisaitsurtouslesvisages.—Matte est mort, dit Harald, confirmant ainsi ce que son cerveau avait déjà commencé à tenter

d’assimiler.Elle poussa un sanglot, toujours avec l’étrange sensation d’être encore dans son rêve. Une chose

comme celle-ci ne pouvait pas réellement avoir eu lieu. PasMatte. Toute son amertume à son égarddisparutinstantanémentcommesiellen’avaitjamaisexisté.—Comment?demanda-t-elleenserendantcomptequ’elletremblait.—Onluiatirédessus,ditHaraldenposantsesmainsmoitessurlessiennes.—Qui?—Onn’ensaitrien…HaraldsepassaunemainsurlesyeuxetLisettepritsoudainconsciencedel’étatdanslequeldevait

êtresamère.ElleseprécipitasurBrittenetposalatêtesursesgenoux,enlarmes.Brittenavaitcessédecrier,ellesemblaitêtreenétatdechoc,sesyeuxfixaientlevide.EllecaressalescheveuxdeLisetted’unaircomplètementabsent.—J’auraisbesoind’uncoupdemain.Martin se tenait sur le seuil de labibliothèque.Sonvisage était gris et il évitade regarderBritten,

commesisadouleur luiétait insupportable. Il fallutquelquessecondesauxautrespourcomprendrecequ’ilvoulaitdire.Haraldse levaenpremier.Gustav fitunpasvers son frèreetposasamainsur sonépaule. Iln’avaitmanifestementpas l’habitudedecegenredegeste, il étaitmaladroitmais témoignaitd’unegrandecompassion.—Ons’enoccupe,Harald.Toi,turestesiciavecBrittenetLisette.Gustav fit un signe de tête àBernard qui lui répondit par un hochement silencieux et suivitMartin.

Gustavfermasoigneusement laportederrièreeux. Ilétait inutileque lafamilledeMatteassisteà leurtristebesogne.—Qu’est-cequ’ilsvontfaire?demandaBrittend’unevoixdistante.Lisettepritlesmainsdesamèreentrelessiennes.—Tun’aspasbesoindet’ensoucier,maman.— Ils le déplacent, c’est ça ?Où vont-ils lemettre ? Je dois lui trouver une couverture, il risque

d’avoirfroid.Brittententadeselever,maisLisettelamaintintdoucementdanslefauteuil.—Ilss’occupentdelui,maman.Jetepromets.Tunepeuxplusrienfairepourl’instant.—Mais…—Chuut…Lisettes’installacontresamèredans legrand fauteuil, l’entouradesesbraset laberçacommeune

enfant.Elleavaitl’impressionqu’onluiavaitarrachélecœurmaiscen’étaitpaslemomentdeselaisseraller.Samèreavaitbesoind’elle.Derrièrelaportefermée,ilsécoutèrentensilencelesondeslourdspasdansl’escalier.Troishommes

quidescendaientets’éloignaientlentement.

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Enarrivantdanslacuisine,Martinserenditcomptequelecoupledepropriétairesignorait toujourscequi s’était passé.La pièce était vide, ils s’étaientmanifestement absentés et toute la confusion de cesdernièresminutesavaitdûleuréchapper.Ilsne tarderaientcependantpasà l’apprendre.Mais il fallaitd’aborddéposerlecorpsdeMattedanslachambrefroide.Martinmarchaitentête,etilréussitàouvrirlecadenasetlaported’unemain.Lasoudainebaissedetempératurelefitgrelotterlorsqu’ilpénétradanslapièce.IlcherchadesyeuxunendroitoùdéposerMatteets’aperçutquelaseulepossibilitéquis’offraitàeuxétaitlecongélateur.Leposeràterreneluiparaissaitpastrèsrespectueux.—On va le poser sur le congélateur pour l’instant, puis on ira chercher une table dans la salle à

manger.Bernard et Gustav hochèrent la tête sans rien dire. Ils se faufilèrent devant Ruben en évitant de le

regarder.AussitôtaprèsavoirétendulecorpsdeMatte, ilsrepartirentchercherunetable.Ilsn’avaientaucuneenviederesterlàplusquenécessaire.Quelquesminutesplus tard,Matte était convenablement installé à côtéde songrand-père.Cesdeux

hommesde lafamilleLiljecronaavaient tousdeuxconnuunemortviolente.Etcettemaisonabritaitunassassin.Quelqu’unavaittuéMatteetsongrand-père,etMartinréalisaencetinstantqu’iln’avaitpaslamoindreidéedesonidentité.Cettepenséeleglaça.Aucun d’eux n’avait la force de se confronter au chagrin qui régnait dans la bibliothèque. Ils

s’attardèrentdanslacuisineetseversèrentunetassedecaféqu’ilssirotèrentensilence.—Savez-voussiquelqu’undanslafamillepossèdeunearmeàfeu?L’undevouspeut-être?demanda

Martin.Sonintonationétaitplusincisivequ’ilnel’auraitvoulumaisils’agissaitd’unequestionassezdifficile

à enrober. Un silence pesant s’installa pendant lequel Bernard et Gustav échangèrent un long regard.Enfin,Gustavpritlaparole.—Monpèreavaittoujoursunrevolveraveclui.Çaacommencéaprèslatentatived’enlèvement.SoudainMartinsesouvintd’uneinformationqu’ilavaitoubliée.Ilyavaitunequinzained’années,la

mafia de l’Est avait tenté de kidnapper Ruben Liljecrona. La police avait eu vent du projet et étaitintervenueavantqueleraptn’aitlieu.Lesjournauxenavaientfaitleurschouxgraspendantdessemaines.—Aprèsça,ilnes’estplusjamaisvraimentsentiensécurité,poursuivitGustav.Alorsils’estprocuré

unrevolverqu’ilgardaittoujoursàproximitédelui.—Commenta-t-ilfaitpourobtenirunpermis?demandaMartinquiserenditimmédiatementcompte

delanaïvetédesaquestion.Bernardpoussaunpetitsoupircommepourconfirmersespensées.—Ils’enfoutaitcomplètementd’avoirunpermis.Ettrouverunrevolvern’étaitpasunproblème.—QuisavaitqueRubenavaitunearme,etoùillagardait?—Tousceuxquisontici,ditBernardsurcetondédaigneuxquiportaitsurlesnerfsdeMartindepuis

qu’il l’avait rencontré.Personnedans la famillen’ignoraitqueRubenétait tout le tempsarmé,etqu’ilgardaitsonarmedansuncompartimentdesaserviette.—Etpersonnen’aeul’idéedem’eninformer?ditMartinquiétaitdésormaishorsdelui.Unmeurtre

a été commis, le tueur n’a pas encore été identifié, nous sommes coincés ici, et vous ne trouvez paspertinentdem’informerqu’ilyaunpistoletdanslamaison?poursuivit-ilentremblantdecolère.—On…jecroisqu’onn’yapaspensé…,ditGustavsurun ton inquiet.Onlesaitdepuis tellement

longtempsqu’onn’ypenseplus…Son regard seposa sur la chambre froide, etMartin espérade tout soncœurqu’il pensait lamême

chosequelui.S’ilss’étaientdonnélapeinedel’informerdel’existencedupistolet,Matteauraitpeut-êtreeulaviesauve.

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—Jemontejeteruncoupd’œil.Martinposabruyammentsa tassesur leplande travail.Unefoisdans l’escalier, ilpestacontre lui-

même.Pourquoin’avait-ilpasprislapeined’examinerlachambredeRubenplustôt?Surlemoment,lestémoignagesluiavaientparuplusimportants.Ilentraprudemmentdanslachambre,laplusgrandeetlaplusbelledelamaison,cequiétaitpeut-être

justifiépuisquec’étaitRubenquirégalait.Unlitàbaldaquintrônaitaucentredelapièce.Iln’avaitpasétédéfait,puisquelevieilhommen’avaitpaseuletempsdes’yglisser.Ilyavaitdespilesdevêtementssoigneusementpliésdansunegrandevaliseouverte.Unlivreétaitposésurlatabledechevet,etMartinleprit,curieuxdevoirquelleétaitlalecturedeRuben.LesAventuresdeSherlockHolmes.Ileutunpetitsourire.C’étaitunlivre…toutàfaitapproprié.Martinauraitbienaiméavoirneserait-cequ’uneinfimepartiedugéniedeSherlockHolmesetdesondonpourrésoudrelesmystèresquiparaissaientinsolubles.Il s’accroupitdevant lavaliseetcommençaàensortir lecontenu.Deschemises,despullsen laine

d’agneau, des pantalons et des sous-vêtements. Il y avait de quoi s’habiller pour quinze jours.Evidemment lorsqu’on ne portait pas ses bagages, il était tentant de les surcharger.Une fois vidée, ilexaminalavalise.Ellenecontenaitriend’autre.Pasdetracedupistolet.Toutaussisoigneusementqu’illesavaitsorties,ilyreplaçalespilesdevêtements,puisscrutalapièceunmoment.Unporte-documentétaitappuyécontrelatabledechevetet,sentantunelueurd’espoirpoindreenlui,illesaisitets’assitsurle lit.La serrure codée à quatre chiffres n’était que sommairement fermée et ce fut un jeud’enfant del’ouvrir. La première chose qu’il vit était une épaisse liasse de documents et quelques chemises enplastique. Il les sortituneàuneet lesposasur le lit. Iln’yavait riend’autredans la serviette. Il tâtal’intérieurdelamainetsentitunmorceaudetissudoux.Ilétaitdelamêmecouleurqueladoublureetcela expliquait pourquoi il ne l’avait pas vu tout de suite. Il le déplia et comprit qu’il contemplaitvraisemblablementlelingequiavaitserviàenvelopperunearme.Lepistoletquidevaitdoncyêtrerangénes’ytrouvaitplus.Martinfixalevidedevantlui.Lespenséessebousculaientdanssatête.L’armedeRubenavaitdisparu,et ilne fallaitpasêtreungéniepourconclurequ’elleavaitprobablementserviàtuerMatte.Aprèsavoirremislelingeaufonddelaserviette,ilexaminalesdocumentsdansl’espoird’ytrouver

unepiste.Riennesemblaitêtreuntantsoitpeuassociéauxdeuxmeurtres.Ilyavaituncompterenduderéunion, un rapport financier et une analyse de risques concernant unepropositiond’investissement. Ilremitlesdossiersenplaceetdemeuraunmomentassissurlelitpourréfléchir.Quelqu’unétaitentrédanslachambredeRubenetavaitprissonrevolver.Quelqu’unquisavaitqu’ill’avaitetoùillegardait,cequi était probablement le cas de toute la famille Liljecrona. Martin soupira. Il appréhendait deredescendre affronter l’accablement qui avait envahi la bibliothèque et d’avoir à assumer laresponsabilitéquipesaitsursesépaules.Ilseleva.Autants’ymettresanstarder,ilnepouvaitpasresterassisiciéternellement.

Mirandapénétra dans le vestibule aumoment où l’onouvrait la porte d’entrée.L’air froid et la neiges’engouffrèrentdanslamaisonetellefrissonna.KerstinetBörjeétaientbiencouvertsetilstapèrentdespiedsavantd’entrerpourdégagerlespaquetsdeneigecollésàleursbottes.—Brrr,queltempsdecochon!ditBörjeenenlevantsesgants.Onestdescendusjusqu’auponton,on

diraitqueletempssecalme.Silebrise-glacearriveàsortir,onvabientôtpouvoirrejoindreFjällbacka.Il se poussa pour laisser place àKerstin, et ils enlevèrent les doudounes dont ils s’étaient équipés

contrelevent.QuelquechosedansleregarddeMirandaattiral’attentiondeBörje,etils’arrêtanet,sonblousonàlamain.—Qu’est-cequ’ilya?Ils’estpasséquelquechose?

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Kerstins’interrompitelleaussienpercevantlemalaisequiflottaitdansl’air.Toutd’abord,Mirandaneputquehocherlatêtecarsespleursl’empêchaientdeparler.Puisellefituneffortpourseressaisiretseraclalagorge.—Ilest…Ils’estpasséquelquechose…Matte…il…Ellebutasurlesmotsetessayadeseconcentrerpourformulercequidevaitêtredit.—Matte…il…ilestmort.Lesmots résonnèrent, froids, entre lesmurs. Ils paraissaient durs et définitifs dans sa bouche, et la

bouledanssonventregranditavecchaquesyllabe.Elleentenditdessanglotsdepuislabibliothèque.LespropriétairesdeValösefigèrentcommefrappésparlafoudre.—Qu’est-ceque tudis?Mais…comment…?bégayaBörjequiavait luiaussidumalàs’exprimer

avecdesphrasescomplètes.C’estarrivécomment?reprit-ilensecouantlatêtecommepourchassercequ’ilvenaitd’entendre.—Onluiatirédessus…—Tirédessus?répétaKerstin,livide,puisellechancelaets’appuyacontrelemur.—Tirédessus?répétaBörjeencontinuantàsecouerlatêted’unairincrédule.—Brittenl’a trouvédanssachambre,ditMirandaetsesyeuxseposèrentsur laporteferméedela

bibliothèque.—OhmonDieu.Pauvre femme, s’exclamaKerstind’unevoixcompatissante.Comment…comment

va-t-elle?—Elleestenétatdechoc.Unsanglots’échappadelapiècefermée,commeunetristeillustrationsonoredecequ’ellevenaitde

dire.—Pauvrefemme,répétaKerstinquiparaissaits’êtreressaisie.Börje,onvaleurpréparerducaféet

dessandwiches,etpuisilfautvérifierlefeudanslacheminéepourqu’ilsn’aientpasfroid.Ondoitleuroffrirunserviceirréprochable,c’estlemoinsqu’onpuissefaire.CesdirectivesrapidestirèrentBörjedesatorpeuretilôtavivementsesbottesetsonpantalondeski.—Biensûr.Jem’occupedufeu,situprendslacuisine,dit-ilensedirigeantverslabibliothèque.La

mainsurlapoignéedeporte,ils’arrêtabrusquement.—Où…l’avez-vousmis?—Danslachambrefroide.Ilreposedanslachambrefroide.—Etvousnesavezpasqui…,ditBörjequilaissalerestedelaphrases’éteindredanssabouche.—Non.Nousnesavonspasqui,réponditMirandaavantdeleurtournerledospourmonterdanssa

chambre.Elleavaitunbesoincriantdeseretrouverseuleunmoment.

BrittenrelevalatêtelorsqueBörjeouvritlaporte.Ilrestatimidementdansl’ouvertureetditd’untonpeuassuré:—Toutesmescondoléances…Brittencompritqu’ilignoraitcommentpoursuivre.Quelsmotschoisirpourcegenredesituation?Il s’approcha de la cheminée et farfouilla avec le tisonnier dans le feu avant d’y ajouter quelques

bûches.—Commeça,vousaurezunpeupluschaud.Kerstinvavousapporterducaféetdessandwichesdans

uninstant,dit-ilàvoixbasseavantderefermerlaportederrièrelui.Britten le suivit d’un regard apathique. La température de la pièce était le cadet de ses soucis. Le

thermomètrepourraitdescendreendessousdezéro,qu’ellenes’enrendraitpascompte.C’étaitcommesisoncorpsavaitétédébranché,illuisemblaitqu’ellenepouvaitplusressentirdeschosesaussitriviales

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quelachaleur,lefroid,lafaimoulasoif.Sonesprittraitaitlesimagesimpriméessursarétinecommeuneinformationirrecevables.Commentpourrait-elleaccepter?Commentpourrait-elleaccepterlamortdeMatte,sonfils?Lisette était accroupie la tête sur ses genoux. Elle sentit que sa fille était secouée de pleurs et, ne

sachant pas la consoler véritablement, elle lui caressa distraitement les cheveux. Elle était incapabled’accordersonattentionauchagrind’autruialorsqu’ellesedébattaitavecsapropredouleur.ElleseremémoralejourdejuilletoùMatteétaitné.Ilfaisaitunechaleurinsupportabledanslasalle

detravail.Elleavaitaperçuuneguêpecoincéederrièrelesurvitragedelafenêtreets’étaitconcentréesursaluttepourensortirtoutaulongdesonaccouchement.Maisdèsl’instantoùelleavaitvusonfils,laguêpe avait cessé d’exister, la douleur également. Il était si petit. Il avait un poids normal, mais luisemblait terriblement fragile. Elle avait compté ses doigts et ses orteils, plusieurs fois, comme uneformuleincantatoirepours’assurerquetoutallaitbien.Ilnecriaitpas.Emerveillée,elleavaitconstatéqu’ilétaitvenuaumondeensilence,lesyeuxécarquillésd’étonnement,louchantunpeulorsqu’ilessayaitde la fixer.Dès la première seconde où elle l’avait vu, elle l’avait aimé passionnément. Et quelquesannéesaprès,elleavaitégalementaiméLisettedèssanaissancemaisMatteétaitsonpremierenfant,etilsavaientpartagéquelquechosedespécial.Unlienuniques’étaitcrééàl’instantoùpourlapremièrefoisses yeux curieux avaient rencontré les siens.Harald n’avait pas assisté à l’accouchement. Cela ne sefaisaitpasàcetteépoque.Etcelan’avaitfaitquerenforcerlelienentreMatteetelle.C’étaitluietellefaceaurestedumonde.Riennepourraitvenirs’interposerentreeux.Bien sûr, cela avait changé lorsqu’il avait grandi. Ils n’avaient jamais retrouvé la magie des tout

premiers instants, mais quelque chose demeurait. Un sentiment de partage exceptionnel. Elle avaitterriblementsouffertdelevoirdevenirquelqu’und’aussitourmenté,d’imaginerquelsdémonsildevaitcombattre.Maintesfois,lesquestionsavaientmenacédel’étouffer–était-cequelquechosequ’elleavaitfait, qu’ils avaient fait ?Cependant, elle savait en son for intérieur que ce n’était pas le cas.Dès lespremièressecondes,lorsqu’ilétaitcouché,chaudethumide,sursapoitrine,elleavaitperçuunegravitédanssesyeuxcommesiuneâmeancienneavaitétéremisesurlechemindelavie,alorsqu’elleauraitpeut-êtrepréférélapaixetlerepos.Cen’étaitpasdesidéesdontelleavaitdiscutéavecHaraldmaisunepartd’ellen’avaitpasétésurpriselorsqu’ellel’avaitdécouvertétendusurlesol,sesbeauxyeuxbleusfixantlevidesansrienvoir.D’unecertainefaçon,elleavaittoujourssuquecetteâmeancienneenMatten’auraitpaslaforced’assumerunevieentière.Elleavaitdéjàtropvu,tropvécu.Ilavaitétédonnéàsonfilsdevivretrenteans,plusqu’ellen’avaitoséespérer,pourtantcelanerendaitpasledeuilplusfacileàporter.EllecontinuaàcaresserlescheveuxdeLisette.

MartinpénétradanslacuisineaumomentoùKerstinversaitducafédansunThermos.—Oh,est-ceque jepeuxenavoir?demanda-t-il, enquêtedumoindre stimulantpourcombattre la

fatigueetledécouragement.—Biensûr,réponditKerstinenluiservantuncafénoirdansungrandmug.Ellehésitauninstantavant

dedire:Onaappriscequiestarrivé.Ças’estpassécomment?Börje entra à son tour dans la cuisine, lui aussi voulait connaître les détails du drame.Martin but

goulûmentunegorgéedecafé.—Matteaété tuéparballe.Samèrel’a trouvédanssachambreetà l’heureactuelle,nousn’avons

aucuneidéedequiapufaireça.—C’estforcémentlemeurtrierdeRuben,ditBörje,lefrontplisséenjetantunregardsurlaportedela

chambrefroide.

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—Trèssincèrement,jen’ensaisrien.Maisjesupposequ’ilyadesraisonsdecroirequ’ils’agitdelamêmepersonne.—Avez-voustrouvél’arme?—Non.Iln’yavaitpasdepistoletdanslachambredeMatte.Jel’aifouilléedefondencomble.—Vousl’avezmislà-dedans?demandaKerstind’unevoixtremblanteendésignantlachambrefroide.—Oui.Onl’ainstalléàcôtédeRuben.Maisilfaudrarapidementlestransportersurlecontinent.Et

destechniciensdoiventàtoutprixveniriciavantquetouteslestracesnedisparaissent.Börjerépétacequ’ilvenaitjustededireàMiranda:—Onrevientduponton.Cen’estpasuneminceaffaired’ydescendreavectoutecetteneige.Ellevous

arrivejusqu’àlataille.Maisonaréussi,etsileventtombeencoreunpeu,lebrise-glacepourrasortir,etonpourrabientôtquitterl’île.—Iln’yapasmoyenderétablirletéléphone?demandaMartinsansgrandespoir.—Onenaprofitépourvérifierlaligne.Leventl’aarrachée,etonnepeutrienfaire,ilfautattendre

qu’ilsviennentlaréparer.—Bon,tousnosespoirsreposentdésormaissurlebrise-glace,ditMartin.Sera-t-onprévenusdeson

arrivée?—Onlesaura,vouspouvezmecroire,ditKerstinquiavaitcommencéàpréparerdessandwiches.Il

faitundecesboucans,onl’entendsansproblème.Pasd’inquiétudeàavoirdececôté-là.—Etdanscecas,ilscassentlaglacejusqu’ici?—Ilssaventqu’onadumonde.Jeleurenaiparlélasemainedernière.Dèsqu’ilspourrontsortir,ils

ouvrirontunchenaljusqu’àl’appontement.—Tantmieux,ditMartinen tendant lamainversun sandwich jambon-fromage.Enattendant,on se

débrouillera comme on pourra. Mais pour le bien de tous, il vaudrait mieux qu’il y ait bientôt uneaccalmie.Touslestroisjetèrentuncoupd’œilverslaporteferméedelachambrefroide.

Avecunregarddeconnivence,GustavetBernardsortirentdiscrètementdelabibliothèqueoùilsétaientretournésaprèsavoiraidéMartinàtransporterlecorpsdeMatte.Incapablesdumoindregeste,ilsétaientrestésplantésdansuncoindelapièce,enchuchotantentreeux,nesachantquelleattitudeadoptervis-à-vis de la famille deMatte. Vivi etMiranda étaient montées dans leurs chambres. Bernard et Gustavenfilèrent quant à eux leur veste et sortirent affronter le froid. Après l’atmosphère oppressante de lamaison,respirerlegrandair,fût-ilglacial,étaitunelibération.—Uncigare?demandaGustavenluiprésentantunétuicontenantdescigaresroulésàlamain.—Pourquoipas?réponditBernard,s’ilssontbonspourlesfêtes, jesupposequ’ilssontbonsaussi

pourcegenredecirconstances.Il en prit un dont il coupa adroitement le bout, l’alluma et inspira une première bouffée jouissive.

C’étaitdivin.Connaissantsonpère,ilsn’étaientcertainementpasbonmarché.Alamaison,ilpossédaitunepetitefortunedanssacaveàcigares.Gustav en savoura également les premières bouffées et ferma les yeux en recrachant lentement la

fumée.—Qu’est-cequetuenpenses?dit-ilenfixantl’obscuritéetenserrantdavantagesavesteautourde

lui.—Qu’est-cequ’onpeutenpenser?Ondiraitunesortedevaudeville.—Vaudevillen’estpeut-êtrepaslemotapproprié,ditGustavavecunregardsévèrepoursonfils.—Non,cen’estpascequejevoulaisdire,simplement,toutçaestunpeu…absurdeseraitpeut-être

mieux.—Jesuisd’accord.C’estpourlemoinsabsurde.EtunetragédiepourBrittenetHarald.

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—Putain,oui,unevraietragédie,renchéritBernardentapotantsursoncigarepourendétacherunpeudecendre.—Mais à ton avis ? Qui a tué Matte et Ruben ? Je dois reconnaître que je ne pensais pas que

quelqu’undanscettefamilleaitsuffisammentdecouillespourfaireunechosepareille.—Jesuisentièrementd’accordavectoi,papa,ditBernardenriant.Tusais,àunmoment,j’aimême

cruquec’étaittoi.Maisc’étaitavantqueMattesoittué.—Moi!?s’écriaGustavd’unairoffensé.—Oui,jesaisquegrand-pèren’apasététendreavectoidernièrement,etjemesuisdit…quetuavais

simplementrégléçaàtamanière.Bernardritdenouveauetéteignitsoncigaredanslaneigesurlarambardeduperron.—Tuforcesunpeuladose,là.Tuermonproprepère?Parfoisjemedemandecommenttuesfoutu?

ditGustav,indigné.—Prends-lecommeuncompliment.Ilmesemblebienquetupassespouruntrouillardauxyeuxdes

autres.Sijet’aisoupçonné,c’estquejeconsidèrequemonvieuxpèrepeutfairepreuved’initiative.Malgrélui,Gustaveutl’airassezsatisfaitenentendantlesparolesdesonfils.—Oui,c’estvrai,onpeutlevoircommeça.Luiaussiéteignitsoncigaredanslaneigeetglissalesmainsdanslespochesdesonduffel-coat.—TucroisqueHaraldauraitpu…?Bernard laissa sa question en suspens. Gustav eut tout d’abord l’air de vouloir protester avant de

réfléchiràcetteéventualité.—S’iln’yavaiteuqueRuben…peut-être.MaisMatte?J’aileplusgrandmalàcroirequ’ilpourrait

abattresonfilsdesang-froid.—Maisonnesaitpasdutoutcommentças’estpassé,ditBernard.Ilsontpeut-êtrecommencéàse

bagarrer,etlecoupestparti…Qu’est-cequej’ensais?Cen’estpassiinvraisemblable.— Non, tu as peut-être raison. Ce n’est pas totalement impensable. Harald aussi a eu sa part de

réprimandesdelapartdepapa,etilatoujoursétésisusceptible…,ditGustav,l’airpréoccupé.—Espéronsquelapoliceducontinentpourrabientôtprendretoutel’affaireenmain.LemecdeLisette

estunblanc-bec, il ne fait pas le poids. Je neme fais pas tropd’illusions sur sa capacité à résoudrel’affaire,ditBernardavecunriredédaigneux.—C’estvrai,ilnevautpastripette.—Tripette,quelmot!TuparlescommedansunesérieBdesannées1930,ditBernardenriantavant

d’ouvrirlaported’entrée.—Disdonc,faisattentionàcequetudis,jesuistonpèreaprèstout!Dèsqu’ilsfurententrés,ilsadoptèrentuneexpressionendeuilléeplusappropriée.

—Est-cequ’onpeutseparlerunpeu?Vousenavezlaforce?Martinavaitdiscrètementpassélatêteparlaportedelabibliothèqueets’adressaitàHarald.Celui-ci

interrogeaBrittenduregardetellehochalatête.Enjetantunderniercoupd’œilàsafemmeetsafille,ilselevaetluiemboîtalepas.—Onpourraitpeut-êtres’installerdanslasalleàmanger,ditMartin.Haraldneréponditpasmaisillesuivit.Ilss’assirentàunetableaufonddelapièce,etKerstinleur

apportaducaféetdestartinesavantd’allerservirdanslabibliothèque.—Mangezunpeu,ditMartin,maisHaraldfitunegrimaceetrepoussaleplat.J’aiquelquesquestions

àvousposer,poursuivit-il,assezmalàl’aised’avoiràl’importunerainsi,maisHaraldneparutpass’enoffusquer.—Allez-y,dit-ild’unevoixlasse.

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—Ils’agitdupistoletdevotrepère,ditMartinquivitHaraldsursauteràcesmots.—Lepistoletdemonpère?Qu’est-cequ’il…?Ilcompritcequ’ilenétaitetsonvisageprituneteintecendrée.—C’estluiquia…?—On ne peut l’affirmer avec certitude avant que les techniciens aient fait leur boulot. Mais il a

disparu,alorsonadesraisonsdecroireque…Quiconnaissaitl’existencedecettearme?poursuivit-ilpourobteniruneconfirmationdecequ’ilavaitdéjàentendu.LamaindeHaraldtremblalorsqu’ilsaisitsatasseavantderépondre.— Toute la famille. Tout le monde était au courant. Mon père a été victime d’une tentative

d’enlèvementilyaquinzeans.Lesravisseursétaientàdeuxjoursdel’exécutiondeleurprojetlorsquel’und’euxabuuncoupdetropdansunbaretabavardéaveclamauvaisepersonne.Jesaisquepapaaeutrès, très peur. Peut-être pour la première fois de sa vie, d’ailleurs. Ils avaient bricolé un coffre danslequelilsavaientl’intentiondel’enfermer.Papal’avuenphotodansunjournal,etlelendemainils’estarrangépourtrouverunrevolver.Illeportaittoutletempsaveclui.Toutelafamilleétaitaucourant.—Apparemment,illegardaitdanssaserviette.—Oui.—Est-cequ’ilfermaitlaservietteàclé?— C’était un sujet de dispute entre nous tous. Il était très distrait. La serviette est pourvue d’une

serrureàcombinaison,maisilnes’enservaitjamais,çal’agaçait.Onn’arrêtaitpasdeleluidire,d’unepartàcausedurevolver,d’autrepartàcausedesdocumentsconfidentielsquipouvaients’ytrouver.Ilyadesgensquiferaientn’importequoipourmettrelamainsurcegenred’informations.Maisbizarrement,çaluiétaitégal.—C’étaitdoncquelquechosequetoutlemondedanslafamillesavait?—Oui.Maisj’aidumalàcroireque…,ditHaraldensecouantlatêted’unairsceptique.Jeveuxdire,

qui…?Quidans la famillepourraitenvisagerune tellechose?Mattequin’a jamais faitdemalàunemouche…Ses yeux s’emplirent de larmes. Ce n’était pas évident, mais Martin se sentit obligé de faire une

remarque.—Ilavaittoutdemêmesérieusementessayédes’enprendreàBernardplustôtdanslajournée.—ParcequeBernard l’avaitprovoqué,sifflaHarald.Sonénervement lequittaaussivitequ’ilétait

apparuetilajoutasuruntonpluscalme:Bernardaundonpourappuyerlàoùçafaitmal.J’aitoujourseulesentimentqu’ilyavaitunconflitlarvéentreluietMatte,etje…j’auraissansdoutedûessayerd’ensavoirplus.Subitement,ilseredressasursachaise,etsonvisagerepritdescouleurs.—VouscroyezqueBernard…?—Pourl’heure,jenecroisrien.Etnousnevoulonspasempirerlasituationavecuntasd’accusations

infondées,ditMartinenfixantHaralddanslesyeux.—J’entendscequevousdites.Jevaismeteniràcarreaux.Maiss’ilyalamoindrepreuveque…,dit

Haralddontleregardsemblaits’êtreobscurci.—Despreuves…CesmotsrésonnèrentenMartin.Ilavaitmanquéquelquechose.Quelquechosequ’ilauraitdûfaire,ou

voir,etquiluiéchappaitàprésent.Illaissaencoreunefoiscesmotslepénétrer…despreuves…C’estça!DanslachambredeMatte!Ilselevabrusquement.—Excusez-moi,Harald,maisjedoisallervérifierunechose.Mercidevotreaide.Ilsedirigeaverslaporte,maiss’arrêtaavantdequitterlasalleàmangeretditgentiment:—Essayezquandmêmedemangerunpeu.Puisilfiladanslevestibuleetgrimpal’escalierquatreàquatre.

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Vivi était allongée sur son lit et avait le regard rivé auplafond.Elle laissait vagabonder sespensées.Ellesétaientsombresetchaotiques.Chaquefoisqu’ellefermaitlesyeux,ellerevoyaitlecorpsdeMatte.Lesangsursapoitrineetceluiquis’étaitrépanduàterre.L’expressionqu’avaitBrittenenberçantlatêtedesonfilssursesgenoux.Vivifinitalorsparlesgarderouvertsetlesimagesétaientmoinspuissantes,moins horribles lorsqu’elle focalisait son attention sur le plafond. Sa propre culpabilité pesait sur sapoitrine.C’étaitlepoidsd’unsecretenfouipendanttroplongtemps.Sapeurl’avaitmaintenusousbonnegarde,maisdésormaisilsemblaitlutterpourremonteràlasurfaceetelleignoraitpourquoi.Ellen’avaitjamaisressentilebesoindesoulagersaconscienceets’étaittoujoursditqu’elleemporteraitsonsecretdanslatombe.Aprésent,toutparaissaitsidifférent.Peut-êtreparcequepourlapremièrefois,elleétaitconfrontéedeprèsàlamort.Peut-êtreàcausedel’expressionterriblesurlevisagedeBritten.Riennepouvait êtrepire.Comparé à la douleurdeperdreun enfant, tout le resteparaissait simesquin et sonsecretnefaisaitpasexception.Samèreluidisaittoujoursquelesmonstreséclatentàlalumièredusoleil.Pourlapremièrefois,elleeutl’impressionquecettelumièreéclairaitsonsecretenlerendantinsignifiantetfutile.Elleseleva.Soncorpsn’étaitpashabituéàladéterminationquil’inondait.Detoutesavie,ellen’avaitjamaisprisdedécisiondésagréableetavaittoujoursessayédesemaintenirsurunchemindroit,large et régulier. Maintenant elle s’apprêtait à souffler sur des braises dont presque tous ignoraientl’existence.Elleenfilasongiletetglissasespiedsdanslespantouflesqu’elleavaitméticuleusementrangéesàcôté

du lit.Ellehésitaun instant,maisdèsqu’elleeutouvert laporteetqu’elle futdans lecouloir,ellesutqu’ellenepouvaitplusreculer.L’heureétaitvenue.

Elle rejoignit en quelques pas la chambre deMiranda qui était située en face de la sienne et frappadoucementàlaporte.Ellen’entenditquequelquespetitsbruitsépars,puisenfinlavoixdesafille:—Quiest-ce?—C’estmoi.Mirandavintluiouvrir,elleparaissaitinquiète.—Ils’estpasséquelquechose?—Non,réponditViviensecouantrapidementlatête.Jepeuxentreruninstant?—Oui,biensûr,ditMirandaens’effaçantpourlafaireentrer.J’étaisentraindelire.J’avaisbesoin

dem’éloignerde…detoutça.Uneombrepassasursonvisage,etVivisedemandasielleavaitfaitlebonchoix.Maissesscrupules

disparurentaussivitequ’ilsétaientapparus.Ilétaittempsd’aérer,deviderlesplacardsetdesortirtouslesvieuxsquelettesàlalumièredujour.—J’aiquelquechoseàtedire,annonça-t-elleens’asseyantsurlelit.—Oui?—Je…Les mots ne vinrent pas et comme à son habitude, Vivi passa sa main sur son cou. Elle ignorait

commentformulercequ’elleavaitàannonceràsafille,etelleseraclalagorge.—J’ai faitunebêtise. Ilyadenombreusesannées.Pourtant jen’ai jamais regretté…,ajouta-t-elle

rapidement.Mirandalacontempla,déconcertée.Elleignoraittotalementdequoisamèrevoulaitparler.—J’ai…j’aieuunebrèveaventure.Avecunautrehomme.Etjesuistombéeenceinte.Les yeux deMiranda s’agrandirent soudain. Elle leva les mains pour se boucher les oreilles à la

manièred’unenfantquichoisitd’évitercequ’ilneveutpasentendre.Maiselleleslaissaretombersur

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sesgenouxetfixasamère,muette.—Tonpèren’estpasaucourant.Ilasansdoutepenséquetuétaisarrivéeunpeuvite,maistusais,les

hommes… eh bien, ils sont très doués pour se leurrer. Je me demande parfois s’il a envisagé cettepossibilité,maisjenelecroispas.—Alorstuveuxdirequeje…Mirandaavalasasaliveetcontinuaà regarder fixementsamère.Vivipouvait littéralementvoirson

cerveautravaillerpouraccueillirl’information.—Oui,jeveuxdirequeGustavn’estpastonpère.Vivi fut étonnée de la facilité avec laquelle elle lâchait lesmots qui étaient restés enfouis en elle

pendanttrenteans.Ellelesavaitsurveillésdeprès,lesavaitretenus,s’étaitmêmeinterditd’ypenser.Etdésormais, elle laissait s’échapper son secret d’un ton calme et détaché. Elle sentit une sensation desoulagementserépandreenelleenprenantconsciencequecefardeauavaitététrèslourdàporter.—Maisquialors…?Mirandadéglutit avec peine.Sesmains bougeaient nerveusement, commedepetits oisillons sur ses

genouxtandisqueVivitripotaitlespeluchesducouvre-lit.—Harald.C’estHarald,tonpèrebiologique.Onaeuunerelationassezbrève,j’airompulorsquej’ai

comprisquej’étaisenceinte.MirandaeutlesoufflecoupéetVivienprofitapourcontinuer:—Personned’autrequemoi,etpeut-êtreHarald,n’estaucourant.Maisjevoulaisquetusachesque

Matteétaittonfrère,pastoncousin.Elleavaitpresquelevertigetantelleétaitsoulagéed’entendreenfinjaillircesparoles.C’étaitcomme

sitouslesévénementstragiquesdeceweek-end,lamortdeRuben,lamortdeMatte,l’avaientlibérée.Quereste-t-ilàcraindrelorsquelecielvousestdéjàtombédessus?—Matte… était…mon… frère…, bégayaMiranda. Je n’arrive pas à le croire.Mais comment…

quand…?Ellesecoualatête,sansquittersamèreduregard.—Onenreparleraplustard,déclaraVivientapotantlamaindesafille.Jepensequetuasbesoinde

digérertoutçatranquillement,ensuitetupourrasmeposertouteslesquestionsquetuveux.Entoutcas,maintenanttuesaucourant.Elles entendirent quelqu’unmonter l’escalier aupasde course et en sortant de la chambre,Vivi fut

presquerenverséeparMartinquipassaitentrombedanslecouloir.—Pardon,dit-elle,maisilneluiprêtaaucuneattention.Il s’arrêta devant la chambre de Matte et elle se demanda ce qui pouvait bien mériter une telle

précipitation.

Martin se maudit. Comment avait-il pu être aussi négligent ? Il avait une preuve, une seule preuveéventuelle,etill’avaitlaisséedanslachambre.Etsil’assassinétaitdéjàvenulachercher?IlpestaenouvrantlaportedelachambredeMatte.Puisils’arrêtanetàlavuedelaflaquedesanget

se calma. Cela n’améliorerait certainement pas les choses s’il se ruait dans la pièce et se mettait àpiétinerlestracesquipouvaients’ytrouver.Ilentradonclentementdanslachambreetavançajusqu’àlatabledechevet.Ilneserenditcomptequ’ilretenaitsarespirationquelorsqu’ilsouffladesoulagementàlavuedutéléphoneportabledontlepropriétaireétaitencoreinconnu.Ilétaitéteint.Quellepoisse!Ilrefermaleclapetetl’emporta,redescenditethésitauninstantdevantla

portedelabibliothèqueavantdel’ouvrir.Enpénétrantdanslapièce,ilressentitpresquephysiquementladouleur des membres de cette famille et envisagea un instant de tourner les talons pour ne pas lesdéranger.Pourtant,ilsavaitquecen’étaitpasuneoption.

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Ilseraclalagorgepoursignalersaprésence.—N’ya-t-ilvraimentaucunmoyendepartird’ici?demandaBritten.Alorsqu’iln’étaitqu’àdeuxmètresd’elle,Martineutpeineà l’entendreavantquesonfiletdevoix

casséesedissolveetdisparaisse.Ilsecoualatête.—Pasencore.MaisBörjeetKerstinsontdescendusauponton,ilsdisentquesileventsecalmeun

peu,lebrise-glaceviendrajusqu’ici.—OnpourraprendreMatteavecnousalors?demandaBritten.Elleserrasacouvertureplusprèsducorps.Martinvitqu’elleclaquaitdesdentsbienquelefeudans

lacheminéeeûtréchauffélapièce.—Onferaensortequ’ilvienneavecnous,réponditMartin.Ilespéranepasluifaireunepromessequ’ilnepourraitpastenirmaisiln’avaitpaslaforcedelelui

refuseralorsqu’ellesemblaitsurlepointdes’effondrer.Ilverraitplustardcommentfairepourassumersadécision.—J’aiunequestion.Est-cequequelqu’unreconnaîtceci?demanda-t-ilenbrandissant le téléphone

portable.—C’estlemien,réponditBernard.Oùl’as-tutrouvé?—DanslachambredeMatte.LevisagedeBernardétaittotalementinexpressiflorsqu’ildemanda:—Commentilestarrivélà?—C’estexactementcequejem’apprêtaisàtedemander,ditMartinenexhortantBernardduregard.—Jen’enaiaucuneidée.Ladernièrefoisquejel’aivu,ilétaitdansmachambre.Cen’étaitpasla

peinedeletrimballerpartoutalorsqu’iln’yapasderéseau.—Etquandest-cequetul’asvupourladernièrefois?—Cematinenmeréveillant,réponditBernard.Ilmesertderéveilaussi.—Ettun’espasentrédanslachambredeMattedepuis?Martinsavaitquesaquestionétait tropdirecte,maiscesdernièresvingt-quatreheuresavaientétési

stressantesqu’ilavaitdumalàcontrôlersesnerfs.—Non,jenesuisjamaisentrédanslachambredeMatte,pasuneseulefois!Tuessaiesdem’accuser

dequoi?Bernardfitunpasenavant,maissonpèrel’arrêtaenposantsamainsursonbras.—Martinfaitsonboulot,Bernard.Calme-toimaintenant.Ilfautbienquetoutelalumièresoitfaitesur

cetteaffaire.Bernardsedégageadel’étreintedesonpère,puisilrépétasuruntonpluscalme:—JenesuispasentrédanslachambredeMatte.Jamais.—Tun’asaucuneidéealorsdecommenttontéléphones’yestretrouvé?—Quelqu’unadûvenir leprendredansmachambre. Jenevoispasd’autrepossibilité.Quelqu’un

chercheàmecoincer.L’assassinestvenuprendremontéléphonepourallerlemettredanslachambredeMatte.—Onpeutmonteryjeteruncoupd’œil?—Biensûr,jen’airienàcacher,ditBernardenécartantlesbras.Tupeuxregardertantquetuveux.SontonétaitrailleuretMartindutréprimersonenviedeluidonnerunviolentcoupdepied.Ilsuivit

Bernarddansl’escalieretarrivésenhaut,ilscroisèrentVivietMiranda.Ellesfaisaientunedrôledetête,maisMartinavaitd’autreschatsàfouetterpourl’instant.—Quefaites-vous?demandaVivi.—Rien.Onva justevérifierun truc,ditévasivementBernardensedirigeantverssachambreavec

Martinsurlestalons.—Tuvois,cen’estmêmepasferméàclé.N’importequipeutentrer.

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BernardouvritlaporteavecungestedémonstratifetfitsigneàMartind’entrerlepremier.La chambre était un miracle d’ordre. Trois chemises blanches parfaitement repassées étaient

suspendues dans la penderie ouverte. Une paire de chaussures noires cirées, identiques à celles queBernardavaitauxpieds,étaitposéesousleschemises.Iln’aperçutaucunevaliseetseditqu’elledevaitêtrerangée.Unlivreétaitposésurlatabledechevet,LesAventuresdeSherlockHolmes.Martineutletempsdesefairelaréflexionqu’iln’avaitpasimaginéBernardenlecteurassidulorsquecelui-cis’arrêtanetderrièrelui.—Cen’estpasmoiquiaiposéçalà.—Comment?demandaMartinenseretournant.—Lelivre.Iln’estpasàmoi.Martinhaussalessourcils.—Tuprétendsquequelqu’unestvenuicipourvolertontéléphoneportableetpourposerunlivresur

tatabledechevet.Situveuxmonavis,çanetientpasdebout…—C’estpourtantcequis’estpassé,réponditBernard,irrité.Jenelisquelesjournauxéconomiques.

EtSherlockHolmes,c’estuntrucàgrand-père.Personnellement,jetrouveçaterriblementcon.—Tuessûrquelelivren’étaitpaslàcematin?—Tuécoutescequejedis?s’exclamaBernarddesavoixhautainequirésonnaentrelesmurs.Jene

possèdepasuntellivre.Etpourterépondre:non,iln’étaitpaslàcematin.Quelqu’unl’yamis.Bernard prononça cette dernière phrase lentement et distinctement comme s’il parlait à un enfant.

Encoreunefois,lajambedroitedeMartinfutparcouruedetressaillements,tantilavaitenviedeplacerunboncoupdepiedsurletibiadeBernard.Ilsemaîtrisa.—N’exagèrepas.J’entendscequetudis,répliquaMartinsuruntonquiétaitaussiguindéqueceluide

Bernardétaithautain.Tunevoisriend’autrequitesembleétrange?Quelquechosequ’onaajoutéouquiauraitdisparu?Bernardparcourutlapièceduregard,puissecoualatête.—Non,toutleresteestcommelorsquejesuisparti.Martins’agenouillapourregardersouslelit.—Qu’est-cequetufais?demandaBernard,interloqué.Ahah,tucherchesl’armeducrime.—Exactement.Tuasquelquechoseàyredire?—Non,jet’enprie,faiscommecheztoi!Bernards’adossaaumur,croisalesbrasetobservaMartind’unairamusé.Aprèsunmoment,celui-ci

sereleva,époussetasonpantalonetdemanda:—Jesupposequetuasunevalise.Est-cequejepeuxlavoir?—Pasdeproblème,ditBernardenindiquantleplacard.Elleestlà-dedans.Vas-y,siçatefaitplaisir

defarfouillerdansmescalebards.Martin sortit la valise, la posa à terre et l’ouvrit. Il chercha parmi les vêtements, inspecta

soigneusementlesdifférentscompartiments,maisnetrouvariendeparticulier.—Aucunpistoletquifume?ditBernardenobservantMartinquiremettaitlavaliseàsaplace.—Non.— Suis-je considéré comme le principal suspect maintenant ? demanda Bernard que la situation

semblaitsincèrementamuser.—Entoutcas,tufiguresparmilespremiersdelaliste.Tuespriédenepasquitterlaville,commeils

disent.—Çane risquepas, réponditBernard en riant.Tiens, ondirait presqueque le temps se calme,ma

parole.Onpourrapeut-êtrebientôtquittercetrouperdu.—Espérons-le.Martinobservalapièceunedernièrefoisavantdelaquitter.Bernardlesuivit.

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—Est-cequejepeuxrécupérermonportablemaintenant?demandaBernardentendantlamain.—Non,jelegardeencoreunpeu.Detoutefaçon,ilnetesertàrien,iln’yapasderéseauici.—Etpourlelivre,qu’est-cequ’onfait?—Jevaisdemanderenbassiquelqu’unestaucourant.Maisçam’étonneraitqu’onmedonnecette

informationsifacilement.Qu’est-cequetuendis?Serait-ceunesortedemessagepourtoi?—Amoinsquejenel’yaiemismoi-même,poursemerletrouble.N’oubliepasquejesuislesuspect

numéroun.Ilritdenouveau,etcettefois,Martinneputsetaire.—Tutrouvesvraimentçadrôle?Toncousinestmort, tongrand-pèreaussi,et toi, tuconsidèresce

dramecommeunesortededivertissement.—Jepleuredansmoncœur,ditBernardenposantthéâtralementsesmainssursapoitrine.Martin,quinesupportaitplusdelevoir,descenditl’escaliersansl’attendre.IlcroisaBörje.—Ondiraitqu’ilyauneaccalmie,constata-t-iletMartinacquiesça.—Oui,ons’enestrenducompte.Onpourrapeut-êtrebientôtpartir.—C’estvraiqu’onn’ajamaisspécialementenviedevoirnoshôtesvouloirnousquitter.Maisdansle

casprésent,jelecomprends.Jevousaiapportéducafé,ditBörjeenmontrantlabibliothèque.—Merci.Martin entendit Bernard descendre l’escalier et se hâta vers la bibliothèque pour éviter d’autres

commentairesidiots.— Qu’êtes-vous allés faire ? demanda Harald qui avait retrouvé une partie de son incontestable

autorité.—Vérifierquelquechose,c’esttout,réponditMartinenfaisantunpetitsignedelamain.Entempsvoulu,illesinformeraittous,maisilvoulaitlefaireàsonproprerythme.Ils’approchadela

tableoùsetrouvaitlacafetièreetseservitunetasseavantdes’asseoirsurlecanapé.Lisetteavaitquittélaplaceauxpiedsdesamèreetétaitmaintenantassiseàl’autreboutducanapé,commeabsente,lesyeuxrivéssurlesol.SamainreposaitsuruncoussinetMartinsepenchapourl’effleurer.Elleneréagitpas,maisaumoinsellenelerepoussapas.Martincompritqu’ilavaitgrossièrementnégligésesdevoirsdepetitami,ouplutôtd’ex-petitami.Ilauraitaumoinspuessayerdelaréconforter.IlentenditqueBernardcommençaitàparleràsonpèredulivresurlatabledechevet,etilsedépêcha

deledevancer.—Quelqu’unestapparemmententrédanslachambredeBernardaucoursdelajournée.D’aprèsluien

toutcas,neput-ils’empêcherd’ajouter,etcettepersonneaprissontéléphoneportableetaposéunlivresursatabledenuit.Est-cequel’undevousensaitquelquechose?Martinparcourutlabibliothèqueduregardetdutfairefaceàunmurdesilence.Brittennesemblaitpas

avoir entendu la question. Bernard et Gustav se contentèrent de secouer la tête. Vivi etMiranda quiétaientassisessurlecanapéenfacedeluisemblaientabsentes.Mirandaétaitblanchecommeunlinge,etMartin se rappela soudain l’étrange expression qu’elles avaient lorsqu’il les avait croisées dansl’escalier.Encoreunélémentàtirerauclair.—C’étaitquoicommelivre?demandaLisette.—UntrucdeSherlockHolmes.Unrecueildenouvelles,jecrois.Ellepouffa,unpetitrirequisonnaitcreux.—C’estsûrementlebouquindegrand-père.IlétaittotalementobsédéparSherlockHolmes.—Lorsqu’ilétaitplusjeune,ilétaitprésidentd’uneassociationdédiéeàSherlockHolmes,compléta

Harald.Et ilacontinuéàenêtremembrependant toutescesannées. J’ai toujourseu l’impressionquecetteassociation–etcettepassion–offraitsurtoutunprétexteàunebandedevieuxpourseretrouverunefoisparmoisetradoterenbuvantduwhisky.

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—Non,c’étaitun intérêt sincère,glissaBrittend’unevoix toujoursaussi frêle. Il l’avait transmisàMatteetilsdiscutaienttoujoursdeceslivres-làlesvendredisquandilssevoyaient.—Maisvousnesavezpasquiapuposerlelivrelà,nipourquoi?Martinn’obtintpasderéponse.Gustavs’éclaircitlagorge.—Pasdetracedurevolver?—Non,malheureusement.Lesilences’installadenouveau.Tousétaient réunis,etpour lapremière fois,Martin fut frappépar

l’évidencedelasituation.L’unedecespersonnesétaitunassassin.Iln’yavaitpasd’autrespossibilités.Lescorpsdedeuxhommesgisaientdans lachambre froide.L’unavait étéempoisonné, l’autre tuéparballe,etquelqu’unavaitcommiscesmeurtres.Ilétaitforcémentdanscettepièce.Cettepenséeluifaisaitfroiddansledos.—Queva-t-ilsepasserquandnousseronssurlecontinent?Mirandaavaitformulélaquestionquiétaitprobablementsurtoutesleslèvres.—Vousserezinterrogésparmescollèguesducommissariatetdestechniciensferontlesexamensqui

s’imposentici,réponditMartinquimarquaunepetitepauseavantdepoursuivre:RubenetMatteseronttransportés à l’unité médicolégale pour qu’on effectue une autopsie. J’ai bon espoir que nous tirionsl’affaireauclairrelativementvite.Miranda hocha la tête. Ses yeux se posèrent sur chacun desmembres de sa famille et elle sembla

penser la même chose queMartin. C’était comme si elle les voyait pour la première fois. Puis elleobservasamèreeteutdenouveauuneexpressionétrange.LeregarddeViviseposasurMartinetilylutune sérénitéqu’il n’avait pas remarquée auparavant.Ellen’avait plus l’air nerveuse et ce changementsoudainattisalacuriositédeMartin.Ildécidadel’interroger.—Vivi…est-cequejepourraisvousparlerunpeu?Danslebureau?Ellehochalatêteetseleva.Ilss’installèrentdanslepetitcabinetdetravailpourlasecondefoisau

coursdecedramatiqueweek-end.Vivinesemblaitplusêtrelamêmefemme.— J’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose, commença-t-il, puis après une seconde

d’hésitation,ilpoursuivit:jen’arrivepasàmettreledoigtsurquoiquecesoitdeconcret,maisjesensque…MartincherchaittoujourssesmotslorsqueVivil’interrompit.—Vousêtesplusperspicacequejenel’auraiscru.Lecalmedontelle faisaitpreuvesemblait luiprocurerune toutenouvellepersonnalité,etMartinse

renditcomptequ’ill’aimaitbien.Quellequefûtlacausedecechangement,illuiétaitprofitable.—Sijevousdisqu’ils’agitd’uneaffairedefamillequin’arienàvoiraveclesmeurtres,est-ceque

celavoussuffit?Elleinclinalatêtesurlecôtéetl’observaenattendantsaréponse.—Non.Encemoment,jevoudraisêtreleseulàdéterminercequiconcernelesmeurtresounon.Je

voussauraisgrédememettreaucourantmêmesivousauriezpréférélegarderpourvous.—C’estbiencequejepensais.Bon,detoutefaçon,laboîtedePandoreestdéjàouverte,alorsjepeux

toutaussibieninformerlaforcepublique.Elle rit etMartin l’appréciait davantage à chaqueminute qui passait. C’était comme si elle s’était

réveillée.Viviétaitdésormaisunefemmeforteetvivantequis’étaitdébarrasséedesafragilecarapace.—CequevousavezvuentreMirandaetmoiétaitlecontrecoupdelarévélationquejeluiaifaite.Je

l’aiinforméequ’ellen’estpaslafilledeGustav,maiscelledeHarald.Martinenfutbouchebée.Ilnes’attendaitàriendeteletlaissaVivipoursuivresonexplication.—J’aieuunebrèveaventureavecHaraldetjesuistombéeenceinte.DeMiranda.—EtBernard?demandaMartin,passablementébranlé.

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—Non,BernardestdeGustav,aucundoutelà-dessus,c’estsonpèretoutcraché.AlorsqueMirandaatoujours euquelquechosequi rappelaitMatte, ditVivi, et pour lapremière foisdepuisqu’elle s’étaitmiseàparler,savoixtrembla.C’estpourçaqueje…Ehbien,jetrouvaisqu’elleétaitendroitdesavoirquec’estsonfrèrequiestmortetnonsoncousin.—EtGustav?Illesait?Martinn’était toujourspassûrdevouloircroirecequ’ilvenaitd’apprendre.Toutcelasemblait tiré

d’unsitcomdebasétage.—Gustav… non, il ne pourrait jamais imaginer que j’aie le courage d’agir dans son dos. Je n’ai

jamais compté pour lui. En quoi que ce soit. Je pense qu’il serait surtout étonné et fou furieux contreHarald,évidemment.—MaisHaraldestaucourant?—Oui,ilétaitprésentaumomentdelaconceptionsijepuisdire,ditViviavecunpetitrire.Maisje

croisqu’iln’enajamaisétévraimentsûr.Celadit,ilatoujourssuquec’étaitpossible.—Vousavezdûavoirtrèspeurqu’onl’apprenne.LavoixdeMartinétaitpleinedesympathieetlevisagedeVivis’adoucit.Ellehochalatête.—Oui,j’aieumapartdenuitsblanches.Maissurtout…Jem’inquiétaispourl’héritage…—L’héritage?L’argent?demandaMartinperplexe.VousvoulezdirequeRubenn’auraitpasapprécié

s’il…Vivisecouaénergiquementlatête.—Non,pascethéritage-là.Jeparledel’héritagegénétique.EnpensantàtoutcequeMatteatraversé

aufildesans…toutescesdépressions.J’aieupeurqueMirandasoitfrappéedumêmemal.—Maisellen’arieneu?—Non,Dieusoitloué.SeulcepauvreMatteenasouffert.—Cesdépressions,quelleétaitleurréellegravité,aufait?Personneneveutvraimentm’enparler.—Çanem’étonnepas!Çan’apasétéfacilepourlui,pauvregarçon.Brittenatoutessayé,maisles

hommesdelafamilleonttoujourspréférétoutminimiser.MêmeRuben,quitenaittantàMatte,nevoulaitpasvoirlagravitédesestroubles.Ilauraiteubesoind’aidemédicalebienplustôt,etd’uneaidebienplusimportantequ’ellen’aété.Mêmequandil…Ungrondementlointainsefitentendreetelleregardaparlafenêtre.—Ondiraitquelebrise-glaceestenchemin,constataMartinavantd’encouragerViviàreprendrele

fildesespensées.Vousdisiez“mêmequandil”…—Oui.Jeveuxdire,ilaessayédesesuicideràplusieursreprisesetmêmeçanesemblepaslesavoir

alertéssursonétat.Ilafaitunbrefséjouràl’hôpitalpour“sereposer”,maisiln’ajamaisétéquestiondevéritabletraitement.JecroismêmeavoirentenduHaralddirequ’il“espéraitquesonfilsenauraitbientôtterminéaveccesbêtises”,dit-elled’unevoixindignée.Uncoupfrappéàlaportelesinterrompit.C’étaitBörje.— Le brise-glace arrive. Ce serait bien de faire vos valises et de descendre au ponton assez

rapidement.—Jepensequenousavonsterminé,ditMartinenregardantVivi,quihochalatêteetseleva.—Jevaispréparermesaffaires.Jedoisdirequeceseraunvraibonheurdepartird’ici.Martinlalaissasortirenpremierdelapièce,puismontadanslachambrequ’ilpartageaitavecLisette.

Elleétaitdéjàentraindebouclersesbagages.Sesyeuxétaientcernésderouge.—Commentçava?demanda-t-ilenlaprenantdanssesbras.Pendantuninstant,ellesedétenditetse

serracontrelui.Puisellelerepoussadoucementendisant:Jesupposequec’estunaurevoir.Pasvrai?ElleleregardaitdroitdanslesyeuxetMartinneputquerépondre:—Oui,j’imagine.Jecroisquetuasraison.Ellepritsonvisageentresesmainsetl’embrassasurlajoue.

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—Pardonsij’aiétébête.—Bah,lescirconstancesontété…disonsstressantes.Ons’enesttousrenducompte,d’unefaçonou

d’uneautre.—Tuesquelqu’undebien,Martin.Elle lui fitencoreunebise,puiselleprit savaliseet sortitde lachambresansse retourner.Martin

demeuraunlongmomentimmobile.Ilressentaitsurtoutdusoulagement,maisaussiunepetitepointedetristesse. Ilvenaitdenouveaudevoirunerelationtomberà l’eauetcommençaitàenavoirassez.N’yavait-ildoncpersonnepourluiencemonde?Avecunsoupir,ilfourrasesaffairesdanssonsacetlehissasursonépaule.Ilavaitglisséleportable

deBernardet le livredeSherlockHolmesdansdeuxsacsenpapierqu’ilavait roulésdansunpulletposéssurledessus.Leverrequiavaitcontenudupoisonétaitbienàl’abriaumilieudusac.Iln’auraitpasétéprudentdelelaisserici.Avantdesuivrelesautres, ilretournadanslachambredeMatte.Ilobservalapiècedepuislaporte

commepourlasupplierdeluirévélercequis’yétaitdéroulé.Lamarquesurlemanteaudelacheminéelenarguaittoujours.Ilneparvenaitabsolumentpasàsavoirpourquoielleluisemblaitsiimportante.Dixminutes plus tard, tous pataugeaient dans la neige en direction de l’appontement et le poids de

leurs bagages ne facilitait pas leur progression. Börje était parti avant les autres et avait réussi àdémarrer le moteur du bateau sans problème. Ils seraient bientôt sur le continent. Après une brèveconcertation, ils s’étaient mis d’accord pour descendre tous les bagages au ponton, les hommesremonteraientensuitechercher lescorpsdans lachambrefroide.C’étaitune tâchedontpersonneneseréjouissait,etMartinavaitconsciencequed’unpointdevueprofessionnel,ilauraitdûordonnerqu’ilsyrestent.LeregarddeBrittenlorsqu’elleavaitdemandés’ilsemporteraientMattel’avaitdéterminé.Qu’ilensoitainsi.Alorsqu’ilremontaitverslamaison,lespenséessebousculaientdanssatête.Lepistolet,lelivre,les

entretiensqu’ilavaiteusaveclesmembresdelafamilleLiljecrona,etlorsdudînerdupremiersoir,lessous-entendusetlespiquesquiavaientvolécommedesflèchesempoisonnées.Toutseconfondaitenunbourbier innommable dans son esprit. Matte et Ruben. Grand-père et petit-fils. Plus proches l’un del’autre que d’aucun autre membre de la famille. Ils se voyaient tous les vendredis pour discuter etpartagerquelquechosedeparticulier.Unvieux,unjeune.L’unmaladeducorpsetl’autredel’âme.LeurintérêtpourSherlockHolmes.Martinenavaitseulementvudesadaptationsàlatéléetilavaitdumalàcomprendrequ’onpuisseàcepointseprendredepassionpour…Ilinterrompitnetsaréflexion.Quelquechosesemitenbranleàlapériphériedesaconscience.Ils’arrêtasibrusquementdanslaneigeprofondequeBernardluirentrainvolontairementdedans.—Putain,qu’est-ceque…—Pardon,ditMartind’unairabsentavantdecontinuersonchemin.Ils avaient presque rejoint le ponton lorsqu’il secoua la tête comme pour faire ressurgir l’idée qui

l’avait effleuré. C’était un éclair qui avait fusé aumoment où il pensait aux adaptations de SherlockHolmespourlecinéma…Oui!C’étaitça!Ilsentitlacertitudeetunsentimentdetriomphegrandirenluietilseprécipitaverslamaison.—Merde,qu’est-cequisepasse?criaBernardderrièrelui.Martin l’ignora. Il ne se donna pas la peine d’ôter ses chaussures pleines de neige, glissa et faillit

tomberàlarenverse.Auderniermoment,ilputseretenirgrâceàlarampedel’escalieretrétablirsonéquilibre. Ilmonta lesmarchesquatreàquatreetseruadans lecouloirendirectionde lachambredeMatte.Derrière lui, les autres l’appelèrent,mais il était si absorbé par ce qu’il avait en tête qu’il leremarquaàpeine.Ilfallaitqu’ilaitraison!Ilsavaitqu’ilavaitraison.Celaexpliqueraittout!EnouvrantlaportedelachambredeMatte,ilralentitlepas.Soncœurs’étaitemballé,tantsousl’effet

delacoursedansl’escalierquesousceluidel’excitationquantàcequ’ilpensaitavoirdeviné.Ilentra

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prudemment dans la pièce, contourna la flaquede sang et se dirigea droit sur la cheminée. Il observal’entaillesurlabordure,tenditlamainetlaglissaàl’intérieurduconduit.Samainnerencontraquelapierrefroideetunsentimentdedoutes’immisçaenlui.Pouvait-ilsetromper?Ilcontinuaàtâtonnersurlaparoietsentitsoudainquelquechosededuretdefroidsoussesdoigts.Unesensationdebienêtreserépanditalorsdanstoutsoncorps.Ilavaitraison.Ilentenditdesvoixderrièrelui.—Qu’est-cequetufous?Bernard apparut à la porte, déconcerté et les cheveux en bataille, ce qui ne lui ressemblait pas.

Derrièrelui,HaraldetGustavsemblaienttoutaussiperplexes.Sans un mot, Martin saisit l’objet qu’il avait trouvé et tira dessus. Les hommes à la porte furent

estomaquésenvoyantcequ’iltenaitàlamain.—Lerevolver?ditHaraldincrédule.Mais?Où?Commentest-cequ’ilapuseretrouverlà?Martintiraplusfortpourqu’ilslevoient,toujourssansriendire.Lepistoletétaitattachéàunruban

élastique.—Je…jenecomprendspas…,bredouillaGustavenfixantl’armeetl’élastique.Cen’étaitpasencorelebonmomentpourleurfairepartdesesconclusions,etMartinleurtournale

dos et continua son inspection dans la hotte de la cheminée. Une nouvelle expression de satisfactionparcourut son visage lorsque ses doigts sentirent un autre élément.C’était du plastique. Il tira dessus,entenditunpetitbruissement,maisl’objetnevintpas.Alorsilessayadelepousserverslehaut,etlesacsedétacha.Ils’agissaitd’unsacplastiquedesupermarché.Ilétaitlourdetilleposadoucementàterre.Ilcontenaitdeuxchoses:unecaméravidéoetuneenveloppe.Leshommesde la familleLiljecronaétaientàprésententrésdans lachambreet formaientuncercle

autourdelui,touslestroistotalementabasourdis.—Unecaméra?Al’intérieurdelacheminée?Pourquoi?demandaGustav.—C’estcequ’onvavoir,réponditMartinenallumantl’appareil.Lacamérasemitàbourdonner,etil

appuyasurRewindpuissurPlay.L’écrandevintnoiretaprèsquelquessecondes,desvoixfamilièressefirententendre.CellesdeMatteetdeRuben.Rubenétaitassisdanssonfauteuilroulantfaceàlacaméra,Mattelefilmait.Rubens’éclaircissaitlavoix.—Lorsquevousverrezceci,jeseraimort.Harald en eut le souffle coupé. Gustav pâlit soudain tandis que Bernard avait presque l’air de

s’amuser,commes’ilsavaitcequilesattendait.Rubenpoursuivait:—D’aprèslesmédecins,ilmerestesixmoisàvivre.Jen’aipaspourhabituded’abandonner,sibien

quej’aiconsultétouslesspécialistespossibles,maisleurpronosticesttoujourslemême.C’estfini.Etce sera douloureux. Et indigne. Comme vous le savez, je peux vivre avec la douleur. Mais une finindigne…Jamais.Alorsj’aidécidédeprendreleschosesenmain.Etjenerésistepasàl’opportunitédevousdonnerunepetiteleçon.Vousm’aveztrahi,grossièrement,etvousn’avezpasétéàlahauteurdemesattentes.Maisrassurez-vous,vousaurezmonargent.Telsquejevousconnais,ilnevousapporterapaslebonheur, bien au contraire, il vousmènera à votre perte. Soit.Mais je n’ai pas l’intention de vous ledonnersansvousfairesouffrirunpeu.Rubensouriaitettendaitlamainversquelquechosehorschamp.Martinreconnutlelitàbaldaquinà

l’arrière-plan.C’étaitfilmédanslachambredeRuben,icisurl’îledeValö.Rubentenaitunsachetremplidepoudreàhauteurdesonvisage.—Voiciducyanuredepotassium.Iln’estpastrèsdifficiledes’enprocurersionadel’argentetdes

contacts. Je vais moi-même le verser dans mon verre au cours du dîner, et vous offrir un spectacleinoubliable,jel’espère.Jerépète,jevaismoi-mêmeleverserdansmonverre.Matten’aurarienàvoiravecmamort,autrementquecommesoutienetobservateur.Jeveuxaussisoulignerqu’ilatoutfaitpourmedissuader.Puis,ilapeuàpeucomprisquejesuistotalementdéterminé,etafiniparaccéderàmon

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derniersouhaitenacceptantdem’aideraveccepetitrappelàl’ordre.J’espèrequepourquelquetempsvousallezvivredanslessoupçons,lacrainteetledésespoird’êtredéshérités.Lorsdelalecturedemontestament, il sera révélé que ce n’est pas le cas.EtMatte veillera à ce que cette vidéo soit projetée.L’énigme diabolique digne d’un polar dont vous avez été les acteurs involontaires – et innocents –trouverasonexplication.Elémentaire,moncherWatson,commeauraitditmonamiSherlockHolmes.Rubenpoussaunpetitrireaprèssonmotd’esprit.Ilsemblaitsatisfaitduplanqu’ilavaitconcoctépour

sondépartdansl’au-delà.Mattetenaitlacaméraensilence,maissaforterespirationtrahissaitsonétat.Rubensetortillaitdanssonfauteuiletsemblaitsepréparerpourunesalvefinale.—JevoussouhaiteàtousunNoëlinfernaletunenouvelleannéevéritablementcalamiteuse.Quemon

argentnevousprofitepas.Ilgloussait.L’images’éteignit.—Quelputainde…salaud,crachaGustav.Haraldfixal’écranéteintdelacamérad’unregardvide,commes’iln’avaittoujourspascomprisce

qu’ilvenaitd’entendre.Bernardsemitàrire.Unrirequidevintdeplusenplusfort,jusqu’àcequeleslarmessemettentàruisselersursesjouesetqu’ilsoitobligédesetenirlescôtes.Ilsetordaitderireetsonpèrefinitparluidonneruncoupdecoude.—Arrêtemaintenant,Bernard,tuteridiculises.—Quelvieuxfilou,beuglaBernardquisemblaitincapabledecalmersonfourire.Ilnousatouseus!Les larmescontinuaientàcouler le longdeses joueset ils’essuyalesyeuxavecledosdelamain.

Haraldselaissatombersurlelit.Iln’esquissaitpaslemoindresourire.—MaisMatte…pourquoi?Martinluitenditl’enveloppeblanche.—Cecidonnerapeut-êtreuneexplication.Harald prit l’enveloppe, l’ouvrit et sortit la lettre d’unemain tremblante. Ils le regardèrent lire en

silence.Aprèsuninstant,ilposalafeuillesursesgenouxetditàvoixbasse:—Ilnepouvaitpasvivreavecça,savoirqu’ilavaitaidésongrand-pèreàsedonnerlamort.Ruben

l’a persuadé, il l’a supplié de l’aider à mettre en scène cette farce macabre.Matte a hésité, tout enespérantêtreassezfort.Maisilnel’étaitpas.Ilécritqu’ilnesupportepasl’idéed’avoiraidéRubenàmourir.Puisilteprésentesesexcuses,Bernard.C’estluiquiamislelivredanstachambreetilapristonportableet l’aposédanssachambrepourdiriger lessoupçonssurtoi.Maisilsavaitquetuseraisinnocentédèsqu’onauraitcomprisqu’ils’agissaitd’unsuicide.Ilditqu’encela,ilestbienlepetit-filsdeRuben.Ilnepouvaitpaslaisserpasserunetelleoccasiondesevengeretvoulaitterendrelapareille.—Unsuicide?Gustavsemblaitnetoujourspastrèsbiencomprendre,etMartinluiexpliqua.—JemesuissubitementrappeléavoirvuceladansunfilmdeSherlockHolmes.Matteaattachéle

pistoletàunélastiqueetilafixél’autreboutàl’intérieurdelahotte.Puisils’esttiréuneballedanslecœur.Dèsquesamainalâchél’arme,l’élastiquel’aremontéedansleconduitdelacheminée,àl’abridesregards.Abracadabra–nivu,niconnu!Nousavonscruqu’ilavaitétéassassiné.C’estlepistoletquiafaitcettemarquesurlemanteaudelacheminéeenremontantavecl’élastique.—Jen’aurais jamaiscruqu’ilpuisseêtreaussifinaud,ditBernardquiavaitcesséderiremaisqui

conservaittoutdemêmeunpetitairamusé.Bon,maintenantqu’onatirétoutçaauclair,jevousproposed’yaller,lebateaunousattend.MêmesiMartinn’approuvaitpassontoninsouciant,ilsavaitqueBernardavaitraison.Ilsn’avaient

plusrienàfairesurcetteîle.

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Unedemi-heureplustard,lebateauquittaleponton.C’étaitunesoiréesansluneavecuncielétoilé.Lesprojecteursdelavedetteéclairaientlaneigeépaissesurlaglacedepartetd’autreduchenalouvertparlebrise-glace.Toussavaientdésormaiscequis’étaitdéroulépendantcesvingt-quatreheuresàValö.Iln’yavaitplusrienàdire.Lesilences’étaitinstalléparmilespassagers.Martintournaitledosàl’îlequis’éloignait lentement derrière eux. Devant lui, Fjällbacka scintillait dans l’obscurité. Deux corpsrecouvertsd’unebâcheétaientétendusdanslacabinedubateau.IlrestaitcinqjoursavantNoël.

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