L’enfancedeJean-PaulII

Ouvragesd’AlainVircondeletrelatifsàJean-PaulII

Jean-PaulII,Julliard,Paris,1994“LarhétoriquemessianiquedeJean-PaulII,flamboyance

slaveetconviction”inFiguresdumessie,colloquedeCerisy-la-Salle,sousladirectiondeClaudeCohen-Boulakia,1996

Jean-PaulII,naissanced’undestin,Autrement,Paris,1998Article“Jean-PaulII”,inDictionnairedel’histoiredu

christianisme,EncyclopaediaUniversalis/AlbinMichel,Paris,2000

L’EnfancedeJean-PaulII,LeRocher,2002Jean-PaulII,labiographie,éditionsFirst,Paris,2004Jean-PaulII,laviedeKarolWojtyla,album,Flammarion,

Paris,2004LaPassiondeJeanPaulII,Pressesdelarenaissance,Paris,

2005SaintJean-PaulII,Plon,Paris,2011

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couple,descrisd’enfants,dessurcroîtsdeviequivontanimerlamaison.

L’austérité qui règne dans la famille provient surtout dupère, Karol Wojtyla, dont on donnera le même prénom audernier-né.C’estdeluiquelefuturpapeapprendratout:ilfut,dira-t-il,«celuiquim’atoutappris,lafigureidéaledupère».

Il est originaire d’une commune proche de Cracovie,Czaniec,villagequifutparlasuiteenglobédanslacommunautéurbaine de Bielski-Biala. Son propre père s’installa ensuite àLipnik, où il se plaça comme fermier puis comme tailleur. En1879, sa femme,AnnaWojtyla, donna naissance àKarolmaisellemouruttrèstôt.Commepourlefuturpape,lepèreconnaîtuneenfancedouloureuse,enfouissantdanssanuitladouleurdelamèremorte.Sonadolescence,pieuseetrigoureuse,sedéroulesansévénementnotoire.Ilsedirigeversunecarrièremilitaireetdevientlieutenantdel’arméepolonaisejusqu’en1927oùilpritsaretraiteentantquecapitaine.En1903,ilrencontreEmilia.Làencore, légende ou réalité, on prétend qu’ils se rencontrèrentpourlapremièrefoisdansuneéglise,devantl’auteldelaVierge.Chacunyfaisaitbrûleruncierge.Commedanslesromans,leursregards se croisèrent et ils surent qu’ils étaient faits l’un pourl’autre.Emiliapourquilaviefamilialeétaitlourdeseréjouitdesemarierrapidement.Lapiétédesonfiancé,sagrandeexigencemoraleemportèrentsonadhésion.IlssemarientdoncàCracoviemaisrejoignentviteWadowiceoùlejeuneofficierd’état-majoraétéattachéàl’intendancedansle12erégimentd’infanterie.

Leurs revenus sont modestes, mais quand on observeaujourd’hui le petit appartement aménagé en musée local, onpeut voir le mobilier, les objets usuels, les bibelots et lavaisselle.Cen’estpas lapauvretédesSoubirousàLourdes, lamisèredu«cachot»oùlaruinelesavaitjetés,maisunintérieur

petit-bourgeois,unpeuétriqué,bien rangé, sansaucuneœuvred’art : lestrictnécessaire.Lesobjetsdepiétéontbonneplace,images pieuses, prie-Dieu, crucifix, vierges de plâtre et deporcelaine, livres saints et bénitier. Le père aime l’histoire,particulièrement celle de l’Empire austro-hongrois et de laPologne, des livres trônent en bonne place sur de modestesétagères. L’appartement est composé de plusieurs pièces maisellessontpetitesetpeuéclairéesparlalumièredujour.Pouryaccéder, il faut traverser une cour sombre où se tient le plussouventEmilia,«franchiruneportevermoulue»,grimper«unescalier de pierre pour se retrouver au premier étage sur unegalerie extérieure en fer. Une porte donne directement sur lacuisine que l’on traverse pour arriver aux deux pièces quiformentl’appartement.»Ladescriptionqu’enfaiticiBlazynski,qui est un proche du pape, n’est pasmisérabiliste. L’intérieurdes Wojtyla, s’il révèle leur milieu social, montre les centresd’intérêt qui les animèrent toujours : vie familiale unie,imitation de Nazareth, existence sous le regard constant deDieu, fidélité aux sacrements et à la pratique religieuse. Lespièces communiquant toutes entre elles renforcent lapromiscuité entre les membres de la famille, mais aucun n’enporte ombrage, respectueux de chacun. Il n’y a pas d’eaucourante non plus, donc pas de salle de bains, il faut allerchercherl’eauàlafontaineouaupuitsdelaplaceduMarché,tâchequeremplitcomplaisammentEdmundpournepasfatiguersa mère. Comme toutes les fenêtres donnent sur la façade del’église,leregardcroiserégulièrementlasentencequiestgravéesur le cadran solaire :«Tempus fugit,æternitasmanet. »Unemanière de rejeter l’ambition, la vanité, de se souvenir de sacondition.

LorsqueEmiliaaccouche, le18mai1920,d’ungarçonque

le couple nommera Karol, suivi du second prénom Josef enl’honneurdel’empereurdel’Autriche-Hongriede1848à1916et de saint Joseph,modèle du père de famille, un autre Josef,Pilsudski,entredansVarsovieauretourd’Ukraine.LevainqueurdeKievqui triomphadesRussesestacclamécommeunhéros,porté en triomphe jusqu’à l’église Saint-Alexandre où estcélébré un Te Deum, accompagné d’un cortège d’étudiantsjusqu’aupalaisduBelvédère.

La mise au monde de Karol est longue et difficile, elleépuiseEmiliadéjà trèsfragilemais l’enfantestenbonnesantéetmêmerobuste.Desactionsdegrâcessontaussitôtprononcéespour remercierDieu de la venue d’un nouveau garçon. Emiliaqui eut son premier fils quatorze ans auparavant retrouve unecertaine vigueur, une énergie que ses maladies chroniquestarissaientrégulièrementetsurtoutunmeilleurmoral.Ellevoueàsondernier-néunamoursansmesure,etvaseconsacreràluiavecpassion.

Lebaptêmealieule20juinàl’églisevoisineSainte-Marie.Un aumônier militaire, le père Zak, célèbre la cérémoniesacramentelle.Lesclochessonnentcejour-làavecuneallégresseredoublée. Un enfant, un fils de Dieu, va entrer dans lacommunauté des chrétiens. Les registres de la paroissetémoignent de cette journée : « Anno Domini millesimonongentesimo vicesimo hoc est 1920 die duodovicesima 18mensisMaiis5natussubNrodomus2etdie20Juniieius.An.AbAdm.RndoDnoFranciscoZak secundumritumRomanoi-Catholicum baptisatus est Carolus Josephus binom. religio.rom. Cath. Sexus masculini, torus legitimi Pater – WojtylaCarolusofficialismilit. fil.MathiaeetAnnePrzeczkaMater–Kaczorowska Aemilia fil. Felicis et Mariae Schol. PatriniJosephusKuczmierczyk,MartiaWiadrowskaux.Leonis.»

Emiliaseremetlentementdesescouches.Ellenesortguère,

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viennent de cette force originelle, de ce lien fondamental quesonpèresuttisserpourluietquiluiapportelaconvictiond’êtreunemaille,unfil,delanationpolonaise.

Les pèlerinages à Kalwaria Zebrzydowska sont aussi unemanièred’entretenircelien,deletendredavantageencore.Sonpère l’y conduit régulièrement et c’est dans cette familiaritémystique,danscetteproximitépopulairequeLolekseforgeunefoi, une pratique où subsisteront toujours des traces de piéténaïve et émotive qu’il mettra au même plan que sa pratiquephilosophique. C’est dans cette dualité en apparencecontradictoiremaisenfaitunificatricequesafoivaseconstruireetsevivre.

Après la mort d’Emilia, son comportement psychologiqueévoluenotablement.Ilaperducettejovialitéetcettefougueetilmanifeste une certainemélancolie. Son institutrice admet qu’àcette époque, en 1929-1930, s’il aime à rendre service auxautres, s’il communique avec eux, il préfère cependant seplonger dans l’étude et l’oraison. Il tient ce caractèreméthodiqueetstudieuxdecetempsdouloureuxoù,secrètement,ilconfiesasouffranceintérieureàlaViergeMarie.Il luiafaitdon de lui-même sûrement à Kalwaria lorsque son père, lelendemainmêmedel’enterrementdesamère,emmenasesdeuxgarçonsenpèlerinageausanctuairemarial.Onlevoitmoinssurles terrainsde jeux, avec ses camarades, il estmoins joueur etenjoué,unegravitél’amûrienquelquesmois.

Surtatombeblanche,écrira-t-ilplustard,

Depuisdesannées,closeQuelquechosesembles’élever:AussiinexplicablequelamortSurtatombeblanche,

Mère,monamoursansvie…

Quand il sombre dans ses accès de tristesse, son frère luivientenaideettentedelesortirdesadouleur.Lolekluiporteuneaffectionsansmesure.Ilnelevoitguèredepuisqu’EdmundestpartiàCracovieétudierlamédecinemais,lorsqu’ilrevientàWadowice,cesonttoujoursdesjoursdefêteetdejoiefamilialequ’ilaffectionneparticulièrement.Edmundest toutlecontrairede son frère cadet : il est très démonstratif, entreprenant etséducteur. Sportif, il initie Lolek au football et s’amuse àentraînersonfrèreetsescamaradessurlesterrainsautourdelaville.Lolek l’appelleMundek et il représente à ses yeux celuiquiveillesurluietleprotège.Mundekauneforcedecaractère,unesprittrèsfortquienimposeàlapersonnalitédeLolek,toutjusteentraindeseformer.L’étéoudanslesjournéesd’arrière-saison, il l’emmène se promener enmontagne, et c’est là queLolek apprendra à se ressourcer. Devenu pape, Jean-Paul IIcontinuera à skier et à pratiquer de longues marches dans lesDolomites.EdmundvaaussiavecluisebaignerdanslaSkawaetcesontdesmomentsintensesdebonheurqueLoleképrouveetquiledérident.Ilretrouvesajoiedevivreetcetteforcevitalequi ne l’ont jamais abandonné mais qui avaient été commeendoloriesparladisparitiondesamère.

À la rentrée de 1930, Lolek entre au lycée de garçonsMarcin Wadowita de Wadowice. Clin d’œil du destin ?L’établissement se trouve rue Mickiewicz, le grand poètenational.Lolekconnaîtsesœuvresdepuisquesonpèreluirécitetouslessoirsprièresetgrandesodeslyriquesnationalistes.Sonoreille, très tôt, est forméeà la rime, à la scansion, au rythme,auxmystèresdelamétaphore,etilpeutalorsdéclamerdesversentiersdugrandpoètepolonaisàlagrandejoiedesesmaîtres.

De cette période, Lolek se souvient surtout de la grandeaustéritéqui règneà lamaison.Elleest instauréepar sonpèrequi ne cesse de prier, selon ses dires, et vit son deuilsombrement. Entre le père et le fils s’installe unmode de vieparticulier,d’oùlesfemmessontabsentes.Seuletrône,invisibleet infiniment présente, la Vierge Marie, que tous les deuxrévèrent. Lentement se précise une manière de vivre presquemonacale,unefaçond’être,depenser,desentirleschosesetlesêtresquis’imprimedanslecaractèredeLolek.

Pourtant, en 1930, le témoignage d’un prêtre, fraîchementarrivéàWadowice,lepèreKazimierzFiglewicz,etquienseignelecatéchismeaulycée,déclarequ’ilest«ungarçonpleindevie,trèsdoué».La rencontreavecce jeuneprêtreestdéterminantedans la vocation du futur Jean-Paul II. Très vite, une grandeintimités’établitentre l’enfantetceluiqu’ilvaprendrecommeconfesseuretquiluienseigneralesdogmesdel’Église.

Sa pratique religieuse est alors intense. Il sert la messe,initielesautresenfantsdechœurauxgestesdeleurfonction,etle père Zacher, qui est le curé de sa paroisse, lui demanderégulièrement de l’assister deux à trois fois par jour pour sesmesses. Il n’empêche que son caractère s’est assombri et s’ilapparaît à tous serviable et actif, il ne parvient pas toujours àcacher à ses maîtres sa mélancolie, peut-être même uncomportementdépressif.

Sur les différents clichés que le Vatican a mis à ladisposition du monde, les seuls que Karol Wojtyla ait puconserver,onpeutobserverlevisageardentdel’enfantdeonzeans. Des yeux quelque peu enfoncés dans leurs orbites, unregardgrave,presqueinquiet,animéd’unebrûluresecrète,d’unesortedehâteetdetension,unregard,commeillediraplustarddans ses poèmes, qui veut « atteindre ». Atteindre quellelumière,quellecertitude,quelleconnaissance?

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de cette manière de faire. Karol Wojtyla aura donné à sesparoissiensdeCracoviel’impressionvécued’avoirétésensibleàleursproblèmes,delesavoirécoutésavecconfianceetpatience.Cette exigence de l’écoute est à ses yeux le primat de touteconfession.Sanselle,iln’yapasdelienpossibleentreleprêtreet celui qui se confie à lui, donnant ainsi au mot même dereligiontoutsonsensétymologiquequiestderelier.

Au lycée,Karol apparaît commeun garçon un peu étrangedont la discrétion et la piété le font, malgré l’amitié et lasympathie qu’il exerce, étranger auprès des autres. Le« capitaine » aurait pu le confier à une des deux institutionsreligieusesdeWadowicemaissaqualitédemilitaireenretraitelui donne l’avantage d’obtenir une bourse qui correspond à lamoitiédesfraisdescolarité.Karolveutpourcelahonorercettedetteàl’égarddel’Étatenétantundesmeilleursélèvesdulycéeetennesefaisantpasremarquerparunequelconquehistoire.Ilrefuseainsidesebagarrer,etjamaisonnelevoitdanslacourderécréationentraindesebattreviolemment.Pasdavantage,ilnese livre au copiageouprête ses copies à ses camarades.Toutetricherieluiestinsupportableetlaseulefoisoùilfaitensorteque son camarade puisse lire par-dessus son épaule sa copied’algèbre, il est repéréet enéprouveune tellehontequ’il juredevantl’auteldeMariequ’ilnerecommenceraplus!

Cette réserve naturelle ne lui retire pas cependant lasympathiequ’ilexerceauprèsdetous,camaradesetprofesseurs.Sesmaîtressontémerveillésdevantsonsavoiretsarigueur.Àlafin de la première année de lycée, son livret scolaire note :«Grandemaîtrisede lui-même,descapacitésetuniversalitédesesdons.»

C’est dans les grandes randonnées engroupequeKarol sefaitaimer.Ilestparticulièrementàl’aiseenmontagne,danslesveillées à la belle étoile, autour d’un feude camp, chantant et

déclamantdesversnationalistes,exaltantlegéniedelaPologne.LesmontsBeskidesrévèlentenluilevraisensdelasolitudeetdelacontemplation.Peuàpeu,ils’ouvreàlaviemystique,auxsecrets des nuits de l’âme, à ces rencontres spirituelles que lanatureprovoqueetinspire,àcesheuresdesilencesouslavoûtecéleste.

Àladifférencedesonpèrequisembleêtredenaturefragileetmaladive,ilestrobusteetretrouve,plusd’unanaprèslamortd’Edmund,unejoieetuneforcedevivretrèsgrandes.Larigueuràlaquellel’obligesonpère,ill’accepteavecdocilitécommes’ilsavaitdéjàquelesplusgrandeschosess’obtiennenttoujoursparl’obéissanceàsesmaîtres,parunerigueuretunefidélitéàsesaînés.

Le soir, son père l’initie à l’allemand, langue qu’il parleracouramment. Karol fait des progrès très rapidement et, àquatorzeans,semetàlire…Kantdansletexte.Cetteexistencequi semble exemplaire et sans problème cache cependant ungrand désarroi et des manques inévitables. L’affection et laprésence d’une femme au foyer font gravement défaut et, siKarols’adonneàl’étudeetauxactivitésextra-scolairesavectantd’assiduité et d’enthousiasme, c’est bien pour combler lasolitudedesavieetl’ariditédesessoirées.«Nazareth»seviticiavecunemèreinvisibleetilmanqueàKarol,lesoir,lebaiserd’Emilia, la douceur d’une vraie famille. Son activismes’explique par là, dans ce vide laissé par sa mère, dans cettepauvreté affective que sa nature sensuelle et avide ne parvientpas à assouvir. Car ce qui prédomine psychologiquement chezKarolWojtyla,c’estuntempéramenttrèsfortettrèscharnel,unepuissancevitaletrèsgrandeetuneviolenceintérieurequisontàla mesure de sa foi et de sa ferveur. C’est dans cette natureexcessive que seule la raison peut contrôler etmaîtriser, qu’ilfaut comprendre son succès auprès des foules, la foi qu’il sait

transmettre.C’estparcequ’ilestunhommedechairetdesang,qu’il a pu aussi bien communiquer avec les fidèles dumondeentier.

C’est pour cela encore qu’à quatorze ans, il découvre lethéâtrequi feranaîtreen luiunepassionqu’ilgardera toutesavieenl’élargissantàlareligion.CommesidelascèneàlaCène,iln’yavaitqu’unpasqu’ilfranchiraittrèsvite…

Depuisdesannéesdéjà,ils’estfamiliariséaveclamagieduverbe, l’art dramatique le fascine pour ce qu’il peut véhiculerd’ardeur et de rêve, et l’impactque l’acteurpeut avoir sur sonpublic,sonartdecommuniquersontpourluicommedesoutilsmagiques auxquels il s’est essayé au cours de petitesreprésentations théâtrales qu’il donne chez son ami, le fils duchef de garde, Zbigniew Silkowski. Il aime alors lire à hautevoix des poèmes des poètes épiques de la Polognemillénaire,entredesconcertsdemusiquedechambre, ildéclamedesversnationalistesquiprédisentquelaPologneseraleferdelancedelarésurrectioneuropéenne,qu’elleannoncedesjoursmeilleurspour l’humanité entière. Il connaît par cœur les chants deSlowacki,lesdouxpoèmesdeNorwid,etl’alluretonitruantedeMickiewiczdont ilsauraretrouverplus tardlesmêmesaccentsquienthousiasmerontlesgensdelamerdeGdynia,lesmineursdeSilésie,lesouvriersdeGdansk.

Depuis longtemps déjà, il s’est fait apprécier pour seshistoires qu’il raconte avec humour et malice, pour ses petitsspectaclesqu’ilmonteen find’année,pour la remisedesprix.Pour ces occasions exceptionnelles, il entend non seulementjouer à l’acteur mais il est encore le costumier, le metteur enscène. Très tôt il affirme ce goût pour l’esprit de groupemaisaussipourenêtrelechef,l’organisateurexemplaire.Ilpousselescrupulejusqu’àapprendrelerôledesautrescomédiensaucasoù l’und’entreeux feraitdéfaut le jourde la représentation…

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vers les autres, nous embrassant tous en un passé plus ancienqu’aucundenous:

C’estdecepassé–quand jepense :patrie–que j’émergepourl’enfermerenmoiteluntrésor.

Sanscesse jemedemandecomment lemultiplier,commentélargirl’espacequ’ilemplit.»

MaispourKarol,êtrel’amidesjuifsestencoreunsignedela divineProvidence.Tout se passe comme si des épreuves luiétaient données pour affirmer davantage sa foi. Très tôt, il aadmis que la religion qui est la sienne est celle de l’Alliance,qu’elleestlienentreleshommes,archeetbarquequisauvetousleshommes.Êtreainsil’amides«frèresaînés»,c’est«ouvrir,comme il l’écrira, toujours plus grand l’espace ».Car il s’agitd’ouvrir lemonde,de l’élargirauxdimensionsde l’univers,dene pas se restreindre à ses uniques certitudes, mais d’écouteraussicellesdesautres:

Brise!Ouvre(lesphrasesdoiventêtredenses,Ontuncaractèred’urgence,pasdebellesstrophes).Brise!Ouvre!Unœilau-dessusdemoi:rayonsducœur,Unœilplushautquelapoutretransversale,Sihautquejenesauraisl’atteindre.

LesadieuxàGinka,tristes,sontdoncunedesleçonsdeviequeKarolassimileetaccepte.Ildéploreledépartdesonamie,ilsaitquelesannéesheureusess’enfuientirrémédiablement,maisenmêmetempsilsaitquecedépartestuneétapedeplusdanscetteconnaissance.Toutcelaestconfusémentressenti,Karolestencore adolescent et il ne conceptualise pas comme il le feraquelques années plus tard en écrivant une poésie trèsintellectuelle,maisilendevinelessignesobscursetprofonds.

La guerre d’Espagne fait rage et, en 1936, Karol, âgé deseizeans,intervientaulycéedemanièreferme.Lesdébatsfontrage entre les garçons du secondaire et il y prend part avecardeur. Il affirme sans hésiter que l’« antisémitisme estantichrétien».Ilnecraintpasdeleproclamerdevantlesjeunesmilitants du parti extrémisteND qui sont prêts à en découdremêmephysiquement.MaisKarolneveutpassebattreavecsespoings, ilenragecependantquand ilvoit lamontéesourdedeshainesetdesviolencesettrouveconsolationetforceauprèsdesa«mère»,«ReinedePologne,ViergedeJasnaGora». Il lasupplie intérieurement : « Sois laMère et l’éducatrice. Ne telaissepasdécouragerparnosfaiblesses.»

À cette époque, il suit toujours les cours de Kotlarczyckdont il est presque devenu l’assistant. Il lit avec ferveurSlowacki dont il admire la rythmique si fortement scandée, lalangue qui appelle le geste, comme dans les grandes épopéesbibliques.IlréciteparcœurlesversetslargesetprophétiquesdugrandpoèmeintituléLePapeslavedontilnemesurepasencorelaportéeprovidentielle.

Auseindesdiscordes,Dieufaitretentirl’énormebourdon:C’estàunpapeslavequ’ilouvrel’accèsautrônedestrônes.Celui-lànefuirapasdevantl’épéecommecetItalien!Celui-là,hardicommeDieu,affronteraenfacel’épée!–C’estlemondequiestpoussière!–Les foules s’enfleront et le suivront vers la lumière que Dieuhabite!Il débarrassera les plaies du monde de leur sanie et de toutevermine,Ilnettoieralesanctuairedeséglisesetbalaieraleseuil.IlrévéleraDieuaussiclairquelejour.IlenfautdelaforcepourrestitueràDieuunmondequiestsien.

Voicidoncqu’ilarrive,lepapeslave,lefrèredespeuples!

C’est fort de ces certitudes intérieures que Karol avancedans cette Pologne qu’il voit, chaque jour davantage, envahieparlahaineetladiscorde.ÀVarsovie,lesexactionsperpétréescontre les juifs s’intensifient.Onne compteplus lesmagasinsdétériorés,saccagés,pillés.Marcherdans les ruesdevientpoureuxdangereux.Wadowicen’est pas épargné, etKarolobserve,avec stupeur, l’attitude des catholiques polonais à l’égard deleurs frères juifs. Une manifestation antijuive, organisée parl’Organisation nationale radicale, particulièrement violente, asemélapeuretledésarroidanslapetitecommunautéjuive.Lesmagasins, les cabinets d’avocats, de médecins sont frappésd’interdiction. La population non juive est sommée de nefréquenter aucun juif, lesmagasins sont signalés à la vindictepopulaire, et la plupart sont saccagés. Karol se souvient dulendemain de cette manifestation et de la colère froide etcourageusedesonprofesseurd’histoire.Ilréunittoutelaclasseetsolennellementfaitcettedéclaration:«J’espèren’avoirpasàcompterunseuldemesélèvesparmilescasseursdecettenuit…Je vous parle non pas tant comme professeur d’histoire maiscommePolonais.Toutcequivientdesepassern’a rienàvoiraveclatraditiondenotrepays.»

Puis, ilouvreunlivreet litcepassagequ’iladéjàrepéré:« En 1848, AdamMickiewicz prépara une sorte de manifestepolitique, destiné à inspirer la constitution des futurs Étatsslavesindépendants.Ilaécritentreautres:“[…]danslanation,chacunestcitoyen.Touslescitoyenssontégauxfaceàlaloietfaceàl’administration…”Reprenantsondiscours,ilajoute:“ÀIsraël, c’est-à-dire au juif… au juif, notre frère aîné, [nousdevons]aideetassistancesursarouteverslebienetlebien-êtreéterneletl’égalitédesdroitsdanstouteslesquestions.”»Karol

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« Un sourire cordial et séducteur, […] un visage large, plusarrondiqu’ovale,descheveuxcopieuxetblonds,coupésàraslecou(plutôtcoupésàlamaisonquechezuncoiffeur)[…]yeuxbleu-gris, […] regard sérieux et rêveur qui reflétait cependantunejoiedevivre.»

Sa rusticité d’une certaine manière tranche avec le côtéraffiné et élitiste qui règne à Cracovie. Ville de traditionintellectuelle, elle accueille des artistes, des poètes et desétudiantsquifontlegéniedelaPologne,maisKarolnes’ysentpasdutoutmalàl’aise.Aucontraire,ilévoluedanslavilleavecbonheur. Il amuse ses nouveaux amis par son enthousiasme ettous l’ont accepté. C’est que Karol est d’une très grandesociabilité, il a certes gardé, comme à Wadowice, sonintransigeance envers tout ce qui pourrait paraîtreblasphématoireou immoral, sapiété est toujours aussi forte etsolide, ses camarades connaissent sa ferveur et ses escapadesdans les églises de Cracovie, mais il aime participer auxréunions entre étudiants, la mixité ne lui déplaît pas, il nedédaignepas plaisanter et souvent apparaît comme l’animateurleplusécoutéetleplusséduisantdesongroupe.

Cela ne l’empêche pas toutefois d’être le fidèle pèlerin dusanctuairedeJasnaGora,lehautlieuducultemarialpolonais.Ilnemanquerajamais,lesfinsdesemaine,d’assisterauxangélusetauxveilléesmarialesquiysont rituellementcélébrés,vivantce rendez-vous hebdomadaire comme une tendre visite à sa«mèreduciel».Lorsqu’ilreviendraenPologneaucoursdesestriomphales tournées pontificales, il retournera fidèlement àJasnaGora.L’acten’estpas innocent.Y revenir,c’estbiensûrrappelerauxPolonaislaprotectionmillénairedeMariesureux,maisc’est aussiunacte intime,uneautremanièrede revenir àEmilia,lamèredéfunte,desesouvenirdesonenfance.

Lorsqu’il deviendra évêque de Cracovie, Karol Wojtyla

instaureral’«appeldeJasnaGora»:àneufheuresdusoir,uneprière sera prononcée dans le sanctuaire, que devront relayertous les catholiques de Pologne, à la même heure, afin de« ceinturer » le pays communiste d’une auréole de prières.L’idée vient de lui, et elle n’étonne pas : elle a ce caractèrepoétiqueetprophétiquequ’ilaimebienetquiestdanssanatureslave.Ainsi, en 1987, alors que la Pologne est encore sous lejoug communiste, il se rendra à Jasna Gora et déclarera :« Marie, Reine de la Pologne, je suis proche de toi, je mesouviensdetoi,jeveille.»Touslesjours,depuisdenombreusesannées, depuis la préparation au millénaire du baptême de laPologne,résonnecetappeldeJasnaGora.Deslèvreshumaines–etdescœurshumains–,lerépètentauxdifférentslieuxdelapatrie. Même au-dehors de ses frontières. Même à Rome, auVatican.

« Ce soir, dit-il, les lèvres des pèlerins ici présents, avanttousceuxdecettevilleetdetoutlediocèsedeCzestochowa,del’archidiocèsedeWroclawet dePoznan, et certainement aussidebeaucoupd’autres,lerépètentdemanièreparticulière.

Ces jours-ci,nousdisons :“Jesuisprochede toi",etnousdésironsdire : “Sois avecnous.”Cet appel estpournous–etpour toi.Sois avecnous, veille prèsdenous commeunemèreveille près de ses fils, et même lorsqu’ils grandissent, elle necessedeveiller.»

DeKalwaria à Jasna Gora, Karol retrouve les siens. CetteSainteFamilledontilgardelaprésenceinvisibleenluietquilesuitconstamment.Ilvitaveccettefamillespirituelledemanièretrèsdiscrète, il ne fait jamais étalagedesgrâcesdont il estimeêtredoté,maisilsaitqu’iltientsaforcedecettesecrèteunion:ellelesoutient,elleleporte,elleleveille.

Cette première année à Cracovie, Karol la vit comme uneinitiation, un apprentissage stimulant et créatif. « Consumé »,

selonsespropresmots,delittératureromantiqueetpatriotique,ilsuitavecpassionlescoursdephilologiepolonaise,s’attachantà les réussir brillamment, concevant cette étude comme undevoirpatriotique.Leslecturesqu’ilavaitfaitesàWadowicedeSlowacki,deMichiewicz,deNorwidetSienkiewicz,prixNobeldelittératureen1905,luiontdonnédesfondationstrèsfortes.Illesétudieàprésentdanslesecretparcoursdeleursmots,dansles flux lexicauxqui les ont parcourus.Ce travail de sourcier,cette découverte des irrigations souterraines, ce réseaud’affluents qui ont permis à la langue polonaise de se direéveillent en lui d’insoupçonnéesméditationsqu’il vaplus tardrapporter dans ses poèmes.Les thèmes de l’arbre, des racines,des sources invisibles qui vivifient cependant le visible luirappellent l’obscur travail de Dieu auprès des hommes. C’estpourquoid’ailleursilneprovoquepassavocation.Ilsaitqu’ellelui sera un jour annoncée comme l’ange visitaMarie pour luiapprendrelanaissanced’unfils,«sauveurdumonde».

Lesvêtementsque lui confectionne sonpèrene sontguèredistingués et peuvent paraître un peu déplacés dans une villeaussiélégantequeCracovie.MaisKarolnes’enpréoccupepaset fréquente tout aussi assidûment que ses camarades issus demilieux plus huppés les terrasses des brasseries sur la grandeplace. Son enthousiasme et la richesse de sa conversationfascinentsesamisetsatenuemodesteestalorsviteoubliée.Aucontraire elle finirait presque par lui donner un genre et uncertaincharme.

Il entre très vite dans des cercles de poésie, lit les poètescontemporains et ceux qui s’essaient à la rime. Lors de cesséances,ilesttoujoursdisposéàlirelesdernierspoèmesparus,devantuneassistancetrèsacquise.Ilmetalorsàcontributioncefameuxtalentdecomédienqu’ilamanifestéchezKotlarczyk.Ilaimeuserdesavoix,forteetnuancée,lafairevibrer,etcaptiver

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l’onyfaitcours,lesSzkockiontdisposélesjeunesétudiantsenrond,faisantainsicroireàunepetitefête.

Karol,autrefois si libre, redouteàprésentdemarcherdanslesruesdeCracovie,etpouréviterlesrafleséventuellesoudescontrôles dangereux, il reste à la maison auprès de son père,lisant sans relâche et apprenant le français. Il a le don deslangueset lesapprendavecune facilité stupéfiante.Rigoureuxet méthodique, il se donne des buts, des perspectives afin des’épargner l’ennui et l’angoisse. Fataliste d’une certainemanière,ils’enremetàDieu,qui,dit-il,choisitetdécidepourlui.

La nuit, dans l’entresol faiblement éclairé, il entend lesrondes de police, les pas des Allemands, et quelquefois descoups de pistolet, des exécutions sommaires sans doute quidéchirentlanuit.Destrainspassent,toutprès,ensifflant.

La petite pension de lieutenant de son père ne suffit plusguère à leur existence. Le marché noir est partout, et il fautdavantaged’argent.Karol trouveunpetit emploi pour arrondirsesfinsdesemaine.Ilestquelquesheuresparjourcoursierpourun restaurant. En plus de son misérable salaire, le patron luidonne quelquefois des restes de nourriture, des morceaux depain. Les difficultés de sa nouvelle vie provoquent en lui unchoc émotionnel et psychologique si fort qu’il acquiert uneénergieredoublée,uneviolencequilesoutient.Leslecturesdel’Ancien Testament le galvanisent, la foi absolue des juifsd’Égypteluiordonned’espérer.

Il puise dans cette guerre une théologie messianique,inspiréeetlyriquequiferadesesparoissiensdesacteursd’unescénographie rituelle et sacrée. La plupart d’entre eux yretrouverontleurespritd’enfance,leurcrainteancestraleduMaldontilsseronteux-mêmeslesfarouchescombattants.Leurpiété

aimecetteexpressioncharnelleetsentimentaledelareligionetdanslespériodesdeguerreetdetension,lesPolonaisretrouventtoujourslechemindeséglises.KarolWojtylalesaitbienetnemanquera jamais d’encourager, face au nazisme comme aucommunisme, cette tendance presque naturelle, intuitive, de lafoipolonaise.

L’occupation nazie exacerbe unnéo-romantisme catholiquedontontrouvelatraceenEurope,audébutduXIXesiècle,chezManzoni ou chezLamartinepar exemple.Une certainenaïvetéaffirme son courage et son espérance. Jamais, pendant cesannéesdeplomb,ilnecéderaàlapaniqueetàl’angoisse.Cetteabsencedepeurestsivisiblequ’aucunnazijustementn’oses’yconfronter.Mais il fautdirequedurantcettepériode, la foideKarol ne parvient pas à avoir une vision juste et réaliste de lasituation.Sonespéranceesttotaleetonlaretrouve,intacte,danslesannées2000oùilmartèle,enfacedespiresconflitsque lemonde ait connus, des solutions dont l’application apparaîtirréalisteàunmondedéchristianisé.Maiscetteténacitépeutendéfinitiveserévélerrentable,parlafidélitéàsespropresvaleurs,parl’échecdetouteslesautressolutionspolitiques.AinsiJean-Paul II, qui sera un acteur majeur de l’effondrement ducommunisme, ne cesse de rappeler la valeur indispensable del’espérance chrétienne pour l’avenir du monde. En face de cequ’il appellera « une dérive humaine incontrôlable », ilpréconise la prière. Il ne dira jamais rien d’autre dans sajeunesseassiégée,pendantlaglaciationcommuniste.Ilcroitaupouvoir de la prière comme seule possibilité de « changer lecœurdeshommes,desplusobstinésd’entreeuxégalement».

Demême,pendantl’hiver1939,correspondanttoujoursavecKodarczyk, il déclare abruptement et en pleine défaite : « Jecrois que notre libération nous attend à la porte duChrist. Je

voisunePologne athénienne, –maisplusparfaitequ’Athènes,grâceàl’immensitédelachrétienté.»

La mainmise nazie sur l’ensemble du pays s’accomplitcependant à une vitesse foudroyante. Cracovie, qui est lacapitale administrative du nouvel « état », est particulièrementsous le regarddesnouveauxchefs.Lavieculturelle, si intenseautrefois,esttotalementéradiquée.LesPolonaissonttraitésensous-hommes ; théâtres, salles de concert, bibliothèques sontfermés. Une sorte de ghetto moral, spirituel et intellectuel estcréé.Leséglises,uneàune,sont,ellesaussi,ferméesauculte.LesAllemandsonttrèsvitecomprisqu’ellespeuventdevenirdesfoyers de résistance. Face au paganisme barbare des nazis, lecatholicisme est considéré comme une religion dangereuse etsubversive. Plus que jamais, Karol voit dans la Bible desanalogies entre la condition des juifs et des Polonais. Lespsaumes deviennent ainsi des chants d’espérance et derésistance.

LalecturedelaBibleépiquecommecelledesgrandspoètesromantiques ravivent toujours plus sa certitude et sonobstination.«Chanter l’histoireavec lesmotsdenotre langue,comme un étendard », écrira-t-il plus tard, sous le jougcommuniste.

Pasdedéfiimprudentcependantnid’arrogance,maispasdeservilité ni de compromission. Karol vit cette occupation enstratègeetennaïf.Cetteattitude,fermeetsolitaire,luidonnedetouttraverser,périlsetpièges,sansperdresaliberté.

Lasantédu«capitaine»sedégradechaquejourdavantage.Il ne sort plus guère et passe son temps à ruminer le temps, àcraindreaussipoursonfils.Karolfaitensortedenepasrentrertroptardpournepasinquiétersonpèremaisilnediminuepaspourautanttoutessesactivités.C’estàceprixde«présence»dans la ville, dans cet état constant de vigile qu’il fait « sa »

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aller à la moindre permissivité, car cela nous conduirait toutdroitàpiétinerlesdroitsdel’homme.Nousenviendrionsànierdes valeurs fondamentales non seulement pour la vie despersonnes ou des familles, mais pour la société elle-même.N’est-cepas une atrocevérité qu’évoque l’expression cruelle :“Unecivilisationdelamort”?»

Dèssonadolescence,KarolWojtylaavécucetélanducœuretducorpsdans la responsabilité.«Aspirerà l’amourbeau»,telleestladevisequ’ilveutteniràlui-même.

C’est pourquoi il croit beaucoup à l’apport desmaîtres etdesaînés.Les rencontresqu’ila faitesnesontpas le faitd’unpur hasard, il les suscite et les entretient, elles s’inscrivent,selon lui, dans un chemin qui a un sens providentiel, quelquechose comme la participation deDieu sur sa route.Comment,dèslorsqu’ilporteenluicettecertitude,manquer,trahirunteldestin?

Àundesesbiographesquiavait insinuéqu’ilauraitpéchédurantcettepériode,etqu’ilaurait« retrouvé lagrâceaprès laconfession»,lepapeJean-PaulII,fortirrité,écrivitàl’auteuretlui dit : «Qui vous a fait penser que j’ai commis des péchésgravespendantmajeunesse?Cen’estjamaisarrivé.»

Affirmer haut et fort et avec une telle véhémence cettechastetédéjàassuméeestd’unetrèshautesignification:lepapeest intransigeant sur cette question ; douter de cette chasteté,c’est lui nier son devoir de responsabilité. Durant toute sonexistence, il pensera que le travail, la prière sont les deuxgrandesforcesdelavie,aptesàluttercontreleségarementsducorpsetàlaisserlibrelechampouvertàDieu.PourKarol,entrel’amourdeDieuetl’amourcharnelpourunefemme,lechoixestaussitôtrésolu.SedonneràDieu,c’est,commeilledit,«entrerdanslaseuleespérancequinenousdécevrajamais».

Laréverbérationdesgrandsmystiquesqu’illitattentivement

alors,grâceàl’influencedeTyranowski,contribueàintensifiercetterelationprivilégiéeavecDieu.Laleçondelapierrefenduepar la scie électriquedont il vérifie chaque jour laportée, auxchantiersdelaSolvay,luirappellelesexplosionsdel’amour.Ilapprend qu’il y a des déchirures aussi fortes que celles quibrisentlapierreetquiéchancrentsoudainl’âme,l’entraînentlàoù il ne sait rien : « De nouveau, le courant électrique sciel’épaisseurdesparois»,écrit-ildansLaCarrière,etdanscettefentepeut surgir l’amour.Onprétend alors qu’il est amoureuxd’unejeuneapprentiecomédiennedelatroupeduThéâtredelaParole.Onn’ensaurajamaisrien,tantestenfouiecettehistoiredanslessouterrainsd’uneviequ’ilneveutpasounepeutvoiraffleurer.«Lecentre,c’estLui»,répète-t-ilincessamment.

La vie continue, durant l’année 1941, avec la mêmerégularitédeforçat,lesmêmesprivations,lesmêmessouffrancesenduréesdanslefroidetlafaim.Maisiltientabsolumentàfaireface, non pas à défiermais à tenir comme la seule exigence àlaquelle l’oblige sa dignité humaine.Ne jamais paraître défait,abandonné devant l’ennemi. Aussi ne cherche-t-il pas à plaireauxAllemandsouàlesflatteroubienencoreàprofiterdesonstatut d’étudiant et d’intellectuel en méprisant les autresouvriers. Ilveutalors rester lui-même,devant sescamarades, ilfaitsaprièreetsesigneavantd’entamersonrepas, ilnecachepassonchapeletdanssapoche,etéchangesesticketsdevodka(ancien président du Club des abstinents oblige !) contre destickets de viande. Il ramène ainsi chez lui quelque nourriturequ’ilmitonnepoursonpère.

Sagentillessenaturelle,sonautoritémalgrésesvingtansluivalentd’êtreappréciédetoussescamaradesdetravailycomprisd’Irka, la filled’undesdirecteursde laSolvayquin’ad’yeuxquepourluietleguettetandisqu’elle-mêmetravailleàl’usine.

MaisKarol feintdene rienvoir, refusantde se laisser tenter :«Nejamaismanquerdevision»,écrit-il!

Cependant la grave dépression de son père, l’abandonpresquevolontairedesesforcesleprécipitentrapidementverssafin. Karol voit très rapidement le vieux « capitaine » déclinerchaque jour davantage et ne sait plus quoi faire pour luiredonner de l’appétit et de l’énergie.Depuis les fêtes deNoël1940,ilnepeutqueconstaterl’imminenteissue.

C’estle18février1941.Ilfaitunfroidterriblequipétrifiela ville. Personne dans les rues, des Allemands traversent encamion,enJeep,lesavenues,lescarillonsdeséglisessontmuetsdepuis desmois. Comme il le fait souvent, Karol, en quittantsontravail,serendchezlesparentsdesonamiKydrinskiquiluioffrent un repas chaud ; délicate attention, Mme Kydrinski apréparé un plat à emporter pour son père. Après avoir dîné,Karol rentre chez lui, Maria Kydrinski, la sœur de son ami,l’accompagne. L’appartement est froid quand ils y entrent et,tandisqueMariadéposesespaquetssur la tablede lacuisine,Karol se précipite dans la chambre pour y voir son père. Il letrouvemortdanssonlit.Lechocestimmense.

LagrandemaîtrisedeKarolne résistepas à cettenouvelleperte. Pour la première fois de sa courte vie, il se sentdéfinitivement orphelin, et abandonné. Toute la nuit, il veilleson père ; Juliusz l’a rejoint et tous deux prient. Mais Karolconnaîtcommeunenuitdel’âme,celleprévueparsaintJeandelaCroix,cetempsoùDieusevoilelaface,etlaisseleshommestout seuls, comme pour les éprouver davantage encore avantqu’ilnereviennedanssalumière.

Karolest trèsentaméparcettemortetmesureauchevetdesonpèremort toute l’importancequ’il a revêtuepour lui. Il seculpabilise de n’avoir pu recueillir son dernier souffle comme

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TROISIÈMEPARTIEVerslaprêtrise

U nefoissadécisionprise,formuléeenfindansunaveuquine sera jamais connudequiconque et qui appartient au

secret de son confesseur, KarolWojtyla est libéré d’un poidsinfini. Il a laissé derrière lui ses tentations de comédien, demetteurenscène,d’auteurdramatique.«HorsdeToijenepuisêtre»,écrira-t-il,pourexprimerl’inévitablelienquil’attacheàDieu.«Allerseulementdanslesensdutorrent,sansarrêt,sansrésistance»…

Ilnedoutepascependantquetoutcequ’ilaacquisdurantcesannéesserviradeterreauàsonsacerdoce,aussibiencetartde la parole et cette compréhension intime des êtres, cettemanière si singulière qu’il a d’écouter les autres et de lescomprendresans les juger. Ilestheureuxd’avoirprononcésonfiatdanslacathédraleduWawel,danscehautlieudel’histoirepolonaise où dorment les rois qui ont fait son histoire et lespoètesaussi.«Lemonumentsanségal»,commeillenommera,relieKarolàtoutel’histoiredesapatrie,avec«touslesgrandsespritsquiguidentlanationdepuisdessiècles».

Il se souvient avec émotion de cette journée de printemps1942, le 24 précisément, où il s’est rendu en pèlerinage àCzestochowa,avecunpetitgroupetoléréparlesAllemands.Ilapriéavecsesamisdevantlafacevoiléedel’icône,sousleregardironiquedesoccupants,maiscettepromiscuitédubienetdumall’aréconfortédanssoncombat,l’aassurédanssadétermination.Ilsesouvientduvœuqu’ilfitalorsdeservirMarie,d’aideràlarestaurationdubien,etpeut-êtrecevœua-t-il tracé ladernièrelignedroiteversladécisiondusacerdoce.

Dès le lendemain de sa rencontre, à la demande du pèreFiglewicz, il se rend au palais de l’archevêché deCracovie oùrésideMgrSapieha.Laquestionqueleprélatavaitposéeàsonprofesseur de religion, autrefois à Wadowice, et le regret quis’en était suivi, prennent soudain tout leur sens. Ainsi Mgr

Sapiehaavaitvujusteetavaitdiscernéchezlejeunehommequilisaitsibiensondiscoursdebienvenueuneforcepeucommune,une grâce qui émanait de lui, mystérieusement. Il sonne à lalourde porte du palais, et demande à rencontrer le recteur duséminaire, le père Piwowarczyk, qui le reçoit et après un brefentretien l’accepte.LamargedemanœuvredeMgrSapiehaesttrès étroite. Les autorités allemandes interdisent toutenseignement religieux et, devant les ruses déployées par leprélat, ils interdisent que de nouveaux séminaristes soientaccueillis et formés. L’archevêque a l’esprit de résistance et, àl’exempleduChrist,décidedebraver la loietde ruseravec lemal pour que triomphe la lumière. Le séminaire sera doncclandestinetunenseignementseradispenséauxjeuneshommespardesprofesseursquilesrecevrontchezeux.

Karolcontinuesontravailàl’usinedeBorekFaleckicommesi de rien n’était. Il surveille lesmachines, la nuit, profite dusilenceetde lasolitudepour lireetétudier,se rendmêmeauxréunionsdethéâtreorganiséesparKodarczyk.Savienesemblepaschangée, ilneveutsurtoutpasdonner l’éveilàquiconque,se fait le plus neutre possible. Kodarczyk, mis au courantcependantdesadécision,tentedel’endissuader.Illuiditqu’ilest fait pour être comédien, que ce talent nepeut être soudainétoufféetabandonné,queleshommesontbesoind’entendresavoix, lumineuse et forte, pour croire. Toute la troupe estmisepeuàpeuaucourant.Tousessayentde le fairechangerd’avis,arguant de sa très grande aptitude à être dans lemonde, de sanaturesociable.Maisrienn’yfait:«Celuiquin’entrepas/N’apassapleinepartauxchosesdecemonde»,leurdéclare-t-il…

Àceuxquiplaidentpourqu’ilrenonceàsonchoix,quiluifont entrevoir la richevie intellectuellequ’ilpourraitmener, ilrépond que cette vie, sans l’abandon total à Dieu, n’est quefrustration et désenchantement, « sansgoûtde l’aventure, sans

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improvisésdelavieclandestine,viesilencieuse,viecachée.Peud’exercice physique, peut-être la plus éprouvante contraintepour Karol, de nature sportive et aimant dépenser ce surcroîtd’énergiequelapratiquemystiqueobligepourtantàconcentreràl’intérieurdesoi.Lesacrificedecentainesdeprêtrespolonaisdans les camps de Dachau ou d’Auschwitz renforce sadéterminationfarouche.«Monsacerdoce,dit-il,dèssonorigine,s’estsituépar rapportaugrandsacrificedenombreuxhommesetnombreuses femmesdemagénération.»Aussi ladimensionsacrificielleduprêtredèsleséminairedevient-elleundesmotifsles plus obsédants de sa propre pastorale. Être prêtre, c’estaccepter d’être sacrifié sur le « grand autel » du « theatrummundi », acquérir les forces nécessaires pour être en étatd’imiterlemodèlemajeurduChrist.Quand,en1981,Jean-PaulIIs’affaisseradanssapapamobile,souslescoupsd’AliAgça,ilinterpréteraenquelquesorte lagrandescénographieduChrist,Prêtre et Victime, dont il avait l’habitude, au séminaire, derécitertouslesvendredis,leslitanies.

L’existence se poursuit donc au rythme de la progressionalliée.Mgr Sapieha se tient très informé de la situation et nemanquepasdemettreaucourantsesséminaristes.Tousessaient,raconteMalinski,de«respecteruncertainordreetnedepassedéranger mutuellement ». Pour échapper à l’angoisse, Karolexcelle en deux activités : la lecture et l’adoration du saintsacrement.

L’hiver 1944 est rigoureux et lugubre. La Pologne n’estqu’unchampderuines,lieud’unebatailleféroceentrelesdeuxarmées, russe et allemande. Les villages sont dévastés et lescampagnesruinées.Karolméditesurcetteterretantaimée,livréeaupillageinternational:«Tupaiestaliberté,écrit-il,encourtesstrophes, de toute ta personne. Nomme donc liberté : qu’enpayant ton prix toujours à nouveau, tu peux toujours être en

possessiondetoi-même.Paruntelpaiement,nousentronsdansl’histoire,nouspouvonsaborderauxsiècles.»Ilcraintpoursa«petiteRome»,Cracovie,auxsinombreuxclochersetdômes,quelesAllemandspeuventdétruireenuneseulesoirées’illeurprenaitfantaisiedelefaire.

LanuitdeNoël,danslachapelleprivéedeMgrSapieha,lesséminaristes sont regroupés autour de l’autel et de leur pèrespirituel.Plusquejamais,ilsformentunepetitefamillequifaitdon d’elle-même à Dieu. Le pilonnage de la DCA ne cessed’étoufferlesparolesdusacrificemaisKarolvitcettenuitdansun total abandon à l’événement, soumis à son rayonnement.CommeMarie sur qui il écrira un long poème, il peut dire :«L’immensefatigueatrouvésalumièreetsonsens.»

Plusquejamais,eneffet,KarolWojtylaalacertitudedesavocation. Les épreuves et la souffrance de ses concitoyensaccroissentsafoiqueriennepeutplusdésormaisentraver.

Devantl’avancéeirrésistibledesSoviétiques,lesAllemandsse décident à abandonnerCracovie.Dans la nuit du 17 au 18janvier1945,desbombesexplosentdanstouslesquartiers, lesAllemands ont quitté la ville enminant les édifices, les lieuxstratégiques comme la gare et le pont de Debniki. Un fracasépouvantabletientéveillétoutcequirested’habitants, terrifiéset tétanisés. Les vitres de l’archevêché cèdent sous lesdéflagrations. Les séminaristes sont descendus dans les cavesaccompagnésdesreligieusesquisontauservicedel’archevêché.Le cardinal Sapieha est resté, lui, dans sa chapelle privée, àprier. Tous ici craignent pour la cathédrale et le château duWawel ; les Allemands quittent Cracovie en emportant desœuvresd’artparcamionsentiers, la«Romedel’Est»,commeon l’appelle ici, risque d’être anéantie sous les bombes. Tarddanslanuit,MgrSapiehaestrevenuàsonbureau,ilfeintdenerienentendre,poursuivant son travail, écrivant,méditant. Il est

lalumièretenueenéveil,lachandellealluméedesparaboles.Aupetitmatin,lesRussesentrentdanslaville.Ilsfrappent

tôtàlaportedupalaisépiscopal,demandantquihabiteici.«Lemétropolite », déclare le chauffeur de l’archevêque. Ils veulententrer puis descendent dans les caves, y sont accueillis enlibérateurs. La liesse est immense, et les jeunes séminaristeslancentdesalléluias.Ilssortentenfindanslarue.KarolWojtylase rend avec Malinski dans la maison religieuse attenante auchâteau, sachant que les Allemands l’ont désertée. Elle estentièrement pillée, détruite, saccagée, et ils s’emploient tousdeux à nettoyer les lieux, à recouvrir de bâches les toituresdétruites. Revenus au palais, les Russes leur demandent de lavodka.Parchance, lechauffeurenaunebouteille.Lessoldatsse la passent, buvant chacun leur tour une gorgée. Un soldatfrappeàlaporteprincipale.Karolluiouvre,etlejeunehommeluidéclarequ’ilveutentrerauséminaire,devenirprêtre.Karol,quivoitlàunnouveausignedelaProvidence,parlelonguementaveclui,faitdéjàcelenttravaild’écouteetdeconfessionqu’ilpréconiseratoujoursdanssaviepastorale.Leprêtrequ’iln’estpasencoreestcependantattentifàcepatientetobscurdialogue,selonlui,latâchelaplusimportantedelavocationreligieuse:c’estparlàqueDieuentre,écrira-t-ildanssesMéditationssurlapaternité,etque«lentementIIcommenceà[me]fairecroîtredudedans».

C’est là la première expérience de prêtre de Karol, cellequ’ilaural’habitudedevivreplustarddansunmilieuhostileetathée:«LamarquedeDieudansl’esprithumain»,confrontéàdes«conditionsdenégationsystématique.»

Pour l’heure, Karol ne se doute pas encore desmarchandagesdeYalta, ilcroitquelaguerrevabientôtfiniretque laPolognevaretrouversa liberté. Ilsepromène,aprèscessixmoispassésdanslaclandestinité,dansCracoviedonttoutes

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exceptionnellement appelés à Dieu. La messe à laquelle ilassiste et que célèbrePadrePio le laisse dans une très grandecontemplation. Comme dans la passion du Christ qu’elle veutrappeler,l’eucharistieducapucin,lesmainsgantéesdemitainespour dissimuler ses stigmates, révèle sa souffrance et sonabandon à Dieu et Karol est sensible à ce dolorisme dont lapiété polonaise est empreinte. Il ressent comme les siens lesdonsparticuliersdePadrePio:directionspirituelledesfidèles,réconciliation sacramentelle des pénitents et célébration del’eucharistie.Laprièrequepratiquelecapucinestl’ordinairedesa vie, « dans les livres nous cherchons Dieu, dans la prière,nousletrouvons»,a-t-ilcoutumededire.«Laprièreestlacléqui ouvre le cœur de Dieu. » Déjà, à cette époque, sonconfessionnalestassiégé,PadrePioenfaitsonlieud’élection,reçoit des dizaines de personnes par jour, les écoutant aveccompassion et sans fatigue, et Karol se livre à lui avecsimplicité.Àl’issuedesaconfession,ilreconnaîtenPadrePio«unconfesseurtrèssimple,clairetconcis».Onnesaurajamaismais Jean-Paul II ne le démentira pas cependant, ne voulants’attarderni sur laprophétieduconfesseurni sur la révélationd’uneconfession,siPadrePioluiafaitvraimentl’aveudesonélectionfutureausiègedePierreetdesonattentat.Lalégendeveut toutefois que ce soit là, dans la pauvreté de sonconfessionnal napolitain, que Karol Wojtyla eut pour lapremièrefois l’intuition,queDieu,commedans leMagnificat,voulaitfairedegrandeschosespourlui…

Mais le pape s’en souvient encore aujourd’hui et labéatificationdePadrePio,en1999,suiviedesacanonisation,le16juin2002,nesontpasétrangèresàcettelointaineetdécisivevisitequ’ilrenditaucapucinstigmatisé.

Il visite encore le sanctuaire bénédictin de Subiaco, situédanslesmontagnesetoùsonthonoréeslamémoiredeGrégoire

le Grand et celle de saint Benoît de Nursia. De même, laréputationdusaintcuréd’Arsluiparvientetc’estauretourd’unvoyage en Europe, en Belgique et en France (il découvre lemétroparisienetilprétendquemêmelà,laprièreestpossible!),qu’il rend visite à la petite cure de Jean-Marie Vianney. Làencore, c’est près du plus célèbre confesseur de France queKarolWojtylaserend,etqu’ilvachercher,envisitantsonlieuetensecoulantdanssespas,cequ’ilcroitessentielàlatâched’un prêtre, l’écoute de ses ouailles, et cette aptitude à toutentendre,àtoutrecevoiretàpardonner.

EnBelgique,ilestchargédes’occuperdesmineurspolonaisprès deCharleroi. Il passe auprès d’eux et de leur famille dessemainesàprier,àconfesser,àpratiquercettepastoraledebasedontilsaitqu’elleestnécessaireaprèslesdégâtsquelaguerreaoccasionnés dans les esprits. Sa conviction se forge qu’unapostolat ne peut être efficace que par sa proximité et sonécoute,etquelesprêtres,désormais,doiventallerau-devantdeshommes.Ladéchristianisation,lesavancéesducommunismeenEuropede l’Est l’assurentde cettenouvelle« évangélisation»dontilseferalechampion,entantquepape,lorsdesesvoyagesautour dumonde et au cours desquels il ira à la rencontre detous les chrétiens, mineurs et marins, étudiants et politiques,mèresdefamillesetmalades,prisonniersetlaïcsengagés.Peuàpeu,carlejeuneprêtreétudiantassimileetapprendtrèsvite,seprécisentunethéologiedelacommunion,delafusionavecleschrétiensdumonde,etunecertitude,puissanteetindestructible,celle que le prêtre a une vocation sociale et mystique, et quec’estparcesdeuxvisagesqu’ildoitsedonnerauxhommes.

Saconnaissancedesmilieuxouvriersdueàsonexpériencede la guerre à l’usine Solvay lui a ainsi permis d’avoir le ton«juste»auprèsdesmineursbelgesetd’êtreressenticommeundes leurs. C’est à cette époque que Karol Wojtyla s’engage

littéralement : articles pour la revue polonaise TygodnykPowszechny,poèmesécritsàlahâte,surlereversd’unjournal,d’un livre, gribouillés et puis repris dans sa chambre, etélaboration d’une pastorale d’unité avec les laïcs, sûr quel’avenir et le salut de l’Église passeront par cette ouverture àtousleschrétiens.

Néanmoins, l’enseignement dispensé à l’Angelicum, sanstournerledosauxthéologiesplusaudacieusesdel’après-guerre,reste des plus classiques et des plus traditionnels. Guidé parl’une des figures les plus emblématiques, le père Garrigou-Lagrange, le collège enseigne une théologie tirée de laphilosophiedesaintThomasd’Aquinquipuisseêtreviabledanslemondemoderne.Cettesynthèsedite«néo-scolastique»tentedeseposerenfacedesspéculations lesplusavant-gardistesetd’offrir ainsi à sesprêtres étudiantsun socledeconnaissancessuffisamment sérieux et indiscutable pour pouvoir affronter lamodernité. Le père Garrigou-Lagrange est le maître incontestéducollège,ilestaussiparmilesplusaimésetlesplusappréciésdel’Angelicumetsesséminairessonttrèsattendus.Soucieuxdeconserver à l’Église sa philosophie dogmatique et sonenseignement thomiste, il est encore très attirépar lamystiquedeJeandelaCroixàlaquelleilvoudraitquelemondechrétienmodernede l’après-guerresoitsensible.KarolWojtylaéprouveune grande attirance pour son professeur et en fait même sonconfesseur et son directeur de thèse. Celle-ci consacréejustementaumystiqueespagnolpermetàKarold’affirmerquelafoi procède d’abord d’une rencontre personnelle avec Dieu,point d’orgue de la philosophie sanjuaniste. L’homme vit enDieu sans pour autant qu’il perde son identité d’homme toutcommeDieu,acceptantcettefusion,gardecependantsonexacteidentité.Laprièreetlacontemplationsontlesoutilsimparables

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Tabledesmatières

PREMIÈREPARTIELestendresannées

DEUXIÈMEPARTIELesannéesdeguerre

TROISIÈMEPARTIEVerslaprêtrise

Bibliographie

Bibliographiesuccincte:

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