La Vague Mystique

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    ^

    /l..//.--^''^

    / /

    L

    A

    LA

    YAGUE

    MYSTIQUE

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    6/188

    DU

    MME AUTEUR

    A

    la

    Libraine

    du

    Mercure de

    France.

    LES

    GRANDS CONVERTIS

    (1

    Vol.

    in-18).

    PARADIS

    LAQUES

    (1

    VOl.

    in-18).

    HENRI POINCAR.

    A

    la

    Librairie

    Payot et C''=

    LA

    GUERRE

    ET LE

    PROGRS.

    A

    la

    librairie

    Flix

    Alca?i.

    LE SYSTME DU MONDE.

    Des

    Chaldeis

    Newton.

    PHILOSOPHIE

    DE

    LA

    GUERRE

    ET

    DE

    LA

    PAIX.

    E. GREYIX

    IJIPRIJIERIE

    DE

    LAGXY

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    7/188

    Bibliothque

    de

    Culture

    gnrale.

    JULES

    SAGERET

    LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    HENRI POINCARE

    ENERGETISME

    (W.

    OSTWALD)

    NO-THOMISME

    (P.

    DUHEM)

    BERGSONISME

    PRAG-

    MATISME

    EMILE

    BOUTROUX.

    PARIS

    ERNEST

    FLAMMARION,

    DITjEUR

    26,

    RUE

    RACINE, 26

    Tous

    droits

    de

    traduction,

    d'a

    daptation

    et de reproduction

    rservs

    i(^^ousTespSWs>s.

    BlBLiOTritCA

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    8/188

    s

    /

    9

    Su

    Droits

    de

    traduction

    et

    de

    reproduction

    rservs

    pour

    tous

    les pays.

    Copyright,

    1920,

    by

    Ernest

    Flammarion

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    9/188

    INTRODUCTION

    J'ai

    entendu

    ici, par

    mysticisme

    ,

    tout

    ce qui,

    dans

    l'ordre

    de la

    pense, est

    en dehors

    de

    la

    m-

    thode et de

    la

    connaissance

    scientifiques.

    Le

    mysticisme

    vivra

    autant

    que

    l'humanit,

    quand

    bien

    mme

    les religions

    et

    les mtaphysiques

    pri-

    raient

    avant

    elle,

    car

    il

    a

    pour

    trame

    nos

    douleurs

    et

    nos

    joies : les arts

    sont

    base

    mystique.

    Il

    y

    a

    toutefois

    en

    lui quelque

    chose de

    temporaire,

    un

    va-et-vient, suivant

    qu'il

    envahit la

    philosophie

    ou se

    retire

    d'elle. Aujourd'hui

    le mouvement

    philo-

    sophique

    est

    une

    Vague mystique.

    C'est une

    entreprise

    tmraire

    que

    de vouloir

    rsumer,

    en

    ce

    petit

    livre,

    tant

    de

    volumes o

    d'il-

    lustres

    penseurs

    comme

    W.

    James, MM. Bergson,

    Boutroux...

    ont condens

    leurs

    ides.

    Jai

    d forc-

    ment

    tre

    incomplet

    et

    ne

    m'attacher,

    parmi les

    cons-

    tructions

    philosophiques,

    qu'aux

    pierres

    angulaires

    et

    aux

    clefs de

    vote,

    ou, du

    moins,

    ce qui

    m'a

    paru

    tel.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

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    b

    INTRODUCTION

    M. Flix

    Le Danteca, trs

    heureusement

    pour

    moiy

    accompli une

    partie

    importante

    de

    la

    tche dans

    La

    ((

    Mcanique

    de la

    Vie,

    ouvrage

    faisant

    partie

    de

    la

    prsente

    collection

    ;

    on

    y

    trouvera

    discut

    tout

    ce

    qui

    concerne

    l'utilisation de

    la

    biologie par

    la philosophie

    mystique.

    Jules

    Sageret.

    Les

    lignes qui prcdent

    comme,

    d'ailleurs,

    tout

    le

    reste

    du volume

    ont t crites avant

    la

    Grande

    Guerre. L'actualit

    de

    mon essai

    reste donc

    la

    mme,

    car,

    entre

    tant d'autres

    moratoriums

    ,

    il

    y

    a eu

    celui de

    la

    spculation

    pure et

    dsintresse

    ;

    et,

    aussi,

    le

    vent

    de

    la

    mort,

    soufflant

    en

    tempte

    pendant plus de

    quatre ans,

    aura paul

    la

    vague

    mystique

    qui

    dferlera

    avec

    une

    force

    nouvelle.

    J.

    S.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    11/188

    LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    CHAPITRE

    PREMIER

    LE MYSTICISME

    ET

    SON

    EVOLUTION

    1. Ze

    royaume

    intrieur.

    Le

    mysticisme

    prend

    sa

    source

    dans

    le royaume intrieur;

    il

    est

    d'origine

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

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    8

    LA

    VAGUE MYSTIQUE

    qu'il

    serait se.ul, qu'il n'y

    aurait

    pas

    d'autre

    royaume

    avec

    quoi

    faire

    des changes.

    Opinion

    sans

    importance.

    Elle

    n'a

    t

    professe

    que

    par un

    petit

    nombre de

    philosophes, des taquins

    sans doute,

    qui

    s'amusaient

    embarrasser

    leurs

    semblables.

    Je

    n'aurais

    mme pas

    mentionn le

    subjectivisme

    absolu

    s'il

    n'attirait notre attention sur

    un fait trs

    rel

    et trs

    important :

    la clture sentimentale

    du

    royaume

    intrieur.

    Les

    hommes

    peuvent

    s'entendre

    sur

    tout

    ce

    qui

    leur

    vient du

    dehors et tout

    ce

    qu'ils

    manifestent

    au

    dehors,

    mais

    leurs sensations et leurs

    sentiments

    en

    eux-mmes

    demeurent

    incommunicables.

    Nous

    recon-

    naissons

    que

    la

    couleur

    du coquelicot,

    celle

    de

    la

    teinture

    de

    garance,

    celle

    du

    sang

    artriel,

    sont

    la

    jnme

    couleur,

    et

    nous

    lui donnons

    le

    nom

    de

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    13/188

    LE

    MYSTICISME

    ET

    SON

    VOLUTION

    9

    des nuances plus

    fines

    et

    plus

    varies,

    et

    sont

    donc

    encore

    plus

    personnelles.

    Ainsi

    on

    se

    trompe

    grossirement

    sur

    l'amour

    lors-

    qu'on

    y

    voit

    la

    fusion de

    deux

    mes.

    Il

    va

    d'un tre

    l'autre

    comme un

    fleuve

    de

    la

    montagne

    la

    plaine,

    car

    c'est un dynamisme

    ;

    pareil

    toutes

    les nergies,

    au

    courant

    lectrique,

    par exemple,

    il

    ne subsiste

    que

    grce

    des diffrences.

    C'est

    une

    accommodation

    et

    non

    un

    mlange

    homogne

    qui

    s'opre

    chez

    les

    couples les plus unis

    ;

    ils

    prsentent

    des contrastes

    tels

    que le

    blanc

    et

    le

    noir

    en

    fait d'intelligence

    et

    de

    sensibilit.

    Comment parler

    de

    pntration

    des

    esprits

    s'il

    y

    a

    d'une part

    temprament

    d'artiste et

    de l'autre

    temprament de savant?

    Songeons

    tout

    simplement

    que

    le

    chien

    aime son

    matre

    et

    que

    le

    matre aime

    soa

    chien;

    ils

    en

    arrivent,

    dit-on, se

    ressembler;

    tout

    de

    mme on

    accordera

    que

    celui des

    deux

    d'o

    vient

    le

    plus de

    tendresse

    je

    veux dire le

    chien,

    bien

    entendu

    demeure

    loin

    du

    seuil

    de

    la

    'con-

    science

    profonde

    de

    l'homme.

    Les

    amoureux

    ignorent

    mutuellement

    leur

    tre

    intime

    parce

    que,

    pendant

    tout

    le

    temps

    de

    leur

    amour,

    ils

    sont

    chacun

    sortis

    hors

    d'eux-mmes,

    marchant

    l'un

    au-devant

    de

    l'autre. Leurs

    conversa-

    tions

    ne

    comportent pas

    de

    ces

    coups de

    sonde

    psycho-

    logiques qui

    pourraient prtendre

    explorer les

    abmes

    du Moi;

    prises

    au

    pied de la

    lettre,

    elles

    sont le

    plus

    souvent

    insignifiantes, plates

    et

    banales

    ;

    elles

    valent

    cependant

    des entretiens sublimes

    ;

    ce

    sont des

    romances

    dont

    on

    n'coute

    que

    la

    musique;

    peu im-

    portent les

    paroles.

    Rflchir

    en

    amour,

    c'est

    rentrer en

    soi-mme,

    c'est

    ne

    plus

    aimer.

    Tout

    au

    moins

    prouve-t-on

    la

    solidit

    de

    la

    clture

    qui spare un

    Moi

    d'un autre

    Moi.

    On

    s'en

    dsespre

    et

    l'on

    s'crie

    comme

    Mme

    Co-

    lette

    :

    L'amour,

    c'est ce

    choc

    douloureux et

    toujours

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    14/188

    10

    LA VAGUE

    MYSTIQUE

    recommenc,

    contro

    une

    paroi

    qu'on

    ne

    peut

    pas

    rompre.

    Nous

    pouvions tre

    deux

    amis, qui

    marchent

    paralllement de

    l'un

    et

    l'autre

    ct

    de

    ce

    cristal

    dur,

    n

    ignorant qu'il nous spare. Mais l'amour va

    nous

    jeter l'un vers

    l'autre, et

    je

    tremble de

    m'y

    briser

    la

    premire,

    moi

    la

    plus fragile

    '...

    Les

    consciences

    n'entrent donc jamais

    les unes

    chez

    les

    autres. Si elles

    communiquent

    cependant,

    c'eat

    exclusivement

    par

    l'extrieur,

    par

    des

    sons,

    des

    images,

    du

    toucher,

    et en

    particulier

    par cet ensemble

    systmatis

    de

    signes

    qui constitue

    le

    langage.

    Ce

    sera

    l'extrieur,

    l'objectif,

    sur quoi

    elles

    s'enten-

    dront

    avec

    le

    plus

    de

    prcision.

    L,

    en

    effet, leurs

    diffrences

    individuelles

    interviennent au

    minimum

    et

    arrivent mme

    tre

    tout

    fait ngligeables. Il

    suffit,

    pour

    qu'on

    puisse

    tomber

    d'accord sur

    le

    signe

    attribu

    un

    objet, de

    savoir distinguer

    cet

    objet de

    tout

    autre

    :

    pas n'est

    besoin,

    pour cela, de

    s'occuper

    en

    quoi

    que ce soit des

    ractions motives

    que suscite

    la

    perception

    de l'objet

    dsign.

    Quand il

    s'agira

    de

    quelque chose

    d'intrieur

    au

    Moi,

    comme

    d'une

    sensation,

    d'un

    sentiment,

    nous

    sommes

    obligs,

    au

    contraire,

    pour

    que

    le langage

    y

    devienne applicable,

    de

    postuler

    qu'ils

    sont les

    mmes

    chez

    chaque individu lorsque leurs marques

    et

    leur

    origine

    extrieures

    sont

    les

    mmes. Dcrit-on, par

    exemple,

    le

    deuil

    d'une mre qui

    a

    perdu un enfant,

    on

    dira

    ses troubles physiques, ses jeux

    de

    physiono-

    mie,

    ses

    gestes, ses

    attitudes,

    ses paroles; on

    n'at-

    teindra

    ses penses

    qu'en les extriorisant,

    en

    les tra-

    duisant

    par

    des

    paroles

    prononces

    tout

    bas au

    lieu

    de

    l'tre

    haute

    voix,

    en faisant

    appel

    ses

    souve-

    nirs

    qui

    sont

    des

    rsurrections

    d'images

    ou d'actions,

    et

    dont,

    par

    consquent,

    l'origine

    est

    extrieure.

    Des-

    i.

    VEntrave.

    Paris, Librairie

    des Lettres,

    1913,

    p.

    245.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    15/188

    LE

    MYSTICISME ET

    SON

    VOLUTION

    11

    cription

    toujours

    trs incomplte, et qui

    implique

    ncessairement

    la

    supposition

    suivante

    :

    n'importe

    qui,

    dont

    on

    aurait

    racont

    identiquement

    la

    mme

    histoire

    que de

    cette

    mre, aurait

    prouv

    une

    dou-

    leur identique.

    Cette

    supposition est vraie

    dans

    la

    mesure

    o

    il

    faut

    que

    les

    hommes

    soient pareils

    pour

    se

    comprendre mutuellement, mais

    nous

    savons

    que

    sa

    correspondance

    la ralit

    manque

    de

    rigueur.

    L'approximation

    deviendra de

    plus

    en

    plus

    grossire

    mesure

    que

    la

    pense

    communicable

    voudra

    pn-

    trer davantage

    dans

    le

    sanctuaire du Moi,

    clairer

    les

    couches

    profondes

    dposes

    par

    un

    pass

    lointain :

    souvenirs

    qui

    sont morts laissant

    subsister la

    gaine

    motive

    dont ils

    s'entouraient,

    nostalgies hrdi-

    taires,

    rsurrection de

    voix

    ancestrales,

    et

    enfin

    le

    Moi

    lui-mme,

    inviolable

    parce

    que,

    compar

    tout

    le

    reste, il

    est une

    diffrence

    irrductible.

    Ainsi

    le langage

    est

    clair

    lorsqu'il

    est

    objectif

    ,

    parce

    qu'il fait alors abstraction de tout

    ce

    qui

    a

    trait

    aux divergences individuelles

    possibles.

    C'est

    ce

    langage

    dont

    se sert la science.

    Tandis

    qu'il

    s'obs-

    curcit

    en proportion

    de

    l'intimit

    des

    phnomnes

    psychologiques

    auxquels il

    se

    rapporte

    ;

    autrement

    dit,

    il

    s'obscurcit mesure

    qu'il

    devient plus

    sub-

    jectif

    .

    Or,

    dans

    le

    premier

    cas,

    bien

    qu'il entrane un

    accord

    universel,

    ou

    plutt

    cause

    de

    cela

    mme,

    il

    n'excite

    gure

    les passions. L'enthousiasme

    pour

    les

    ides

    implique

    toujours

    qu'on

    a

    besoin

    de

    les

    faire

    triompher,

    et, par

    consquent,

    que

    certains

    hommes

    ne

    les

    partagent

    pas.

    On

    ne fait

    qu'exprimer

    ces

    remarques

    d'une autre

    manire

    quand on se

    plaint,

    comme

    il

    arrive

    si souvent,

    de ce

    que

    la science

    soit

    desschante

    .

    Plus

    le

    langage

    est

    subjectif,

    moins

    on

    lui adresse

    ce

    reproche

    de

    scheresse. C'est

    qu'alors,

    si les

    signes

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    16/188

    1:2 LA

    VAGUE MYSTIQUE

    qu'il

    emploie

    ne sont

    pas

    interprts

    par chacun

    d'une

    manire

    rigoureusement

    identique,

    du

    moins

    atteignent-ils

    des

    cordes

    vibrantes :

    nul

    n'en

    est tota-

    lement

    dpourvu.

    L'effet motif de

    la sorte de mu-

    sique

    ainsi

    produite

    s'accrot

    mesure

    que

    les

    rso-

    nances

    des mots

    pntrent

    davantage

    au

    sein de

    l'in-

    dividu

    en

    s'loignant

    de sa surface de

    contact avec

    le

    monde

    extrieur.

    Conclusion

    paradoxale

    :

    les

    hommes

    s'isolent

    les

    uns

    des autres

    lorsqu'ils sont

    soulevs

    par

    un

    grand

    lan

    collectif.

    Les

    arts

    nous

    montrent bien

    comment

    se

    rsout

    cette

    apparente

    contradiction.

    Considrons

    la

    posie,

    puisqu'elle

    se

    sert

    du langage

    proprement dit.

    On

    dirait la mme

    chose

    de

    la

    sculpture, de

    la peinture

    et

    de la musique qui

    emploient un

    systme

    de signes,

    donc

    un

    langage.

    Le contraste le plus

    remarquable

    entre la posie

    et

    la

    science,

    c'est que

    la premire

    est comparative-

    ment trs

    pauvre

    en thmes gnraux

    ;

    par

    contre

    ces

    thmes

    ne

    s'puisent

    pas. Avec

    Ulysse

    et

    Pn-

    lope,

    Hector

    et

    Andromaque, Homre chantait

    dj

    l'amour

    ;

    l'instant

    mme

    o on

    lira

    les

    lignes

    que

    j'cris,

    il

    paratra

    bien

    dans

    le

    monde

    quelques

    cen-

    taines

    de

    pages

    sur l'amour, et pendant

    les

    vingt-

    six sicles

    au moins qui

    nous

    sparent

    d'Homre,

    les

    calmes,

    stylets, pinceaux, plumes et engins

    dactylo-

    graphiques,

    n'ont

    gure

    connu d'poque

    o

    l'amour

    ne

    les

    mt

    contribution.

    Ce

    qui

    vient

    d'tre

    dit de

    l'amour

    se

    rpterait

    du

    printemps,

    du

    vin,

    de

    la

    mort,

    de la

    guerre,

    et en gnral des principales

    ma-

    tires

    potiques.

    Non

    seulement le

    pote

    ne nous

    apprend rien

    de nouveau,

    mais il

    cultive

    l'ternel;

    les

    ncessits

    de

    son

    art,

    dfaut de sa volont

    expresse, le ramnent aux instincts

    primitifs de

    notre

    race

    comme

    la

    source

    la

    plus profonde

    et la

    plus

    certaine d'motion.

    Une uvre

    objective

    est

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    17/188

    LE iMYSTICISME

    ET

    SON VOLUTION

    43

    tout

    le contraire : elle

    ne

    rappelle

    les

    travaux anciens

    que

    pour

    mieux

    montrer en

    quoi

    elle en

    modifie

    les

    rsultats

    :

    quand

    elle

    n'ajoute rien

    ce

    qui

    est

    dj

    connu,

    on

    ne

    lui attribue

    aucune

    valeur,

    '

    moins

    qu'elle

    n'affiche

    un but

    pdagogique

    ou de

    vulgarisa-

    tion.

    Du point de vue

    positif,

    la posie

    apparat

    comme

    un

    formidable rabchage.

    D'o

    vient cependant,

    l'heure

    prsente,

    que

    les

    diteurs

    publient

    encore

    des

    livres d'amour et que cette branche de leur industrie

    paraisse

    immortelle?

    C'est

    que la posie

    est

    essentiel-

    lement

    sul)jective.

    En art,

    pour un sujet

    donn, aussi

    prcisment

    dlimit

    que

    l'on

    voudra,

    autant d'au-

    teurs, autant d'expressions diffrentes; ajoutons

    :

    autant de

    lecteurs

    ou

    d'auditeurs (s'il s'agit

    d'art lit-

    traire),

    autant d'impressions

    diffrentes.

    L'art

    at-

    teint

    par l

    les

    choses

    des

    royaumes

    intrieurs,

    dont

    la puissance

    motive

    se

    mesure

    la

    profondeur

    o

    elles sjournent dans

    chaque

    Moi,

    et,

    par cons-

    quent, au caractre

    secret, obscur,

    inviolable,

    mys-

    trieux, qu'elles

    ont pour

    ceux

    d'un

    autre

    Moi.

    Voulez-vous

    apprcier

    le

    degr de

    temprament

    potique

    d'un crivain?

    demandez-lui

    s'il a

    russi

    rendre les beauts

    de son rve.

    Plus

    il

    aura

    un talent

    lev, plus

    il

    se

    plaindra

    de la

    disproportion entre

    ce

    qu'il a

    senti

    et ce qu'il a exprim. Comment

    aurait-l

    reproduit sa

    vision?

    elle

    demeure

    enferme en lui;

    tout

    ce qu'il a

    pu

    projeter

    au

    dehors c'est

    une combi-

    naison

    de

    signes

    propres

    voquer

    des

    visions,

    les

    visions des autres,

    parentes.de la

    sienne;

    parentes

    quel degr?

    il

    n'en

    sait

    rien.

    Ses vers,

    dclams

    devant

    des

    assistances

    nom-

    breuses,

    ont dchan

    des

    enthousiasmes.

    Efforcez-

    vous

    de

    connatre

    l'motion

    de chacun

    des admira-

    teurs;

    ils

    vous

    en

    feront

    mesurer

    jusqu'

    un

    certain

    point

    l'intensit,

    mais

    vous en

    laisseront

    ignorer

    la

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    18/188

    14

    LA

    VAGUE MYSTIQUE

    nature;

    des

    citations, des

    exclamations,

    quelques

    adjectifs,

    voil

    tout ce

    que

    vous tirerez

    d'eux;

    et,

    en

    gnral,

    vous

    en

    tirerez

    d'autant

    moins

    de

    discours

    que leur

    sensiijilit

    a

    t

    plus

    atteinte.

    Ils

    vibraient

    nagure

    ensemble,

    un lan

    collectif

    les

    soulevait,

    mais

    ils

    n'taient

    runis que par

    cette

    manifestation;

    ils

    redevenaient

    isols

    ds

    qu'ils

    prtendaient

    s'ex-

    pliquer l'un

    l'autre; toutes les

    paroles

    qu'ils

    pou-

    vaient

    changer

    se

    seraient traduites

    ainsi

    :

    Quelque

    chose

    de

    fort

    a pass

    sur

    moi

    comme

    sur vous.

    C'tait

    fort

    parce

    que cela

    touchait

    au

    fond de

    chaque

    conscience,

    et,

    pour la

    mme raison,

    incommuni-

    cable.

    L'isolement

    des

    individus

    qui

    participent

    un

    enthousiasme commun

    leur chappe tout

    fait,

    bien

    entendu,

    car

    la

    facult

    d'examen

    interne

    est

    alors

    supprime

    en eux.

    Pendant les rvolutions, personne

    ne

    comprend personne. On

    s'en aperoit

    au

    sort des

    victimes,

    dont

    la

    plupart,

    en

    rgime normal,

    au-

    raient

    t

    pargnes,

    parce

    qu'elles

    auraient pu

    ((

    s'expliquer

    .

    Ou s'en

    aperoit

    encore

    aprs la crise,

    lorsque les

    gens se

    demandent,

    stupfaits

    :

    Gom-

    ment ai-je

    pu

    marcher

    avec

    tel

    ou

    tel et

    approuver

    de

    pareilles

    normits?

    Tout

    ce

    qui prcde contribue

    clairer

    le

    mysti-

    cisme. Il

    estessentiellement

    subjectif. Pour

    amener

    la

    posie

    ne

    faire qu'un

    avec

    lui,

    on

    n'a

    qu'

    prendre

    au

    pied

    de

    la lettre

    ce

    qui est

    chez

    elle simple

    moyen

    d'expression

    :

    les

    images,

    les

    mtaphores.

    On

    com-

    prend

    alors

    que

    le mysticisme

    concilie

    une formi-

    dable

    puissance

    sur les

    masses

    avec

    une

    floraison

    secrte

    au

    centre de

    chaque

    royaume

    intrieur,

    l

    o

    nul

    tranger ne

    peut

    pntrer.

    Entre

    ses

    heures

    d'exaltation

    religieuse,

    l'individu

    considre

    le

    senti-

    ment dont

    il

    a t

    transport.

    11

    atteint l'intime

    de

    son

    Moi,

    ce

    qui

    n'appartient

    aucun

    autre

    Moi.

    11

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    19/188

    LE

    MYSTICISME

    ET

    SON VOLUTION

    5

    n'existe pas

    de

    mots pour

    dcrire avec

    prcision

    cette

    chose

    de

    l'abme, puisque les

    mots

    sont

    des tiquettes

    mises,

    par

    convention

    commune,

    sur

    les

    objets

    ac-

    cessibles tous.

    L'individu

    sera

    impuissant

    dire,

    mme

    se

    dire,

    ce

    qu'il trouve

    au

    fond de

    lui

    :

    c'est

    l'indfinissable,

    l'incommunicable,

    donc

    le mystre,

    qu'on

    grandit,

    sans

    le changer, en

    lui donnant les

    noms

    de

    Dieu,

    d'me,

    d'Infini;

    et il

    apparat

    comme

    ne

    ralit vivante,

    puisque

    c'est le

    Moi.

    2.

    L'volution

    du mysticisme.

    Je

    ne mettrai

    en

    vidence

    qu'un fait

    de

    cette volution

    :

    la spara-

    tion

    progressive de la science et du mysticisme.

    Il faut

    remonter jusqu'

    Aristote,

    puisque

    aussi

    bien

    la

    doctrine aristotlicienne

    a

    persist

    dans

    son

    essence

    travers

    l'antiquit,

    puis

    le

    moyen

    ge,

    et

    mme

    la Renaissance, pour

    ne

    s'vanouir

    que

    de-

    vant

    Descartes.

    Encore le

    grand

    philosophe

    grec n'a-

    t-il

    perdu

    que

    son influence laque

    :

    il

    prside

    tou-

    jours,

    par

    l'intermdiaire de son

    disciple saint

    Thomas

    d'Aquin, la

    mtaphysique dont se

    rclame

    la

    tho-

    logie

    catholique

    orthodoxe.

    Cette

    mtaphysique,

    aujourd'hui indpendante

    de

    la

    science,

    tait

    une

    consquence logique

    de

    la

    physique

    d'Aristote.

    Celui-ci

    avait fait un

    ensemble

    remarquablement

    cohrent

    et

    bien

    li

    des

    donnes du

    bon

    sens

    et

    del

    science

    de son

    poque

    :

    il

    tablissait,

    par des

    argu-

    ments

    non

    seulement

    lgitimes,

    mais

    alors irrfuta-

    bles,

    l'immobilit

    de

    la

    terre;

    il considrait,

    pour

    des

    raisons

    tout

    aussi valables,

    la

    pesanteur

    comme

    une

    ((

    qualit

    inhrente aux

    corps matriels

    solides

    et

    liquides,

    et en

    vertu de

    laquelle ils tendaient

    en

    ligne droite vers

    le

    centre

    du

    monde

    o

    leur

    agglo-

    mration

    formait la terre. Une

    telle

    doctrine

    est con-

    forme

    l'observation

    qui, si

    nous

    ne

    disposons

    pas

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    20/188

    i6

    LA VAGUE

    MYSTIQUE

    d'un matriel

    appropri,

    nous

    montre

    la pesanteur

    d'un

    corps

    terrestre

    comme

    indpendante

    de

    tous

    les

    autres corps

    voisins,

    donc

    bien

    intrinsque

    lui.

    Arislote

    admettait

    que les

    objets clestes taient

    forms

    d'une

    substance

    spciale, (Jnue

    de

    pesan-

    teur et de

    lgret,

    soustraite aux causes

    d'altration

    qui modifiaient

    sans

    cesse les choses

    sublunaires,

    et

    apte

    seulement

    au

    mouvement

    circulaire

    qui lui

    tait

    ((

    naturel

    ,

    c'est--dire

    pouvait

    lui tre

    imprim

    sans

    ncessiter

    de

    violence

    ,

    sans

    effort

    physique.

    Il

    attribuait

    enfin

    l'inertie

    de

    la

    matire

    tant

    cleste

    que terrestre

    un

    sens conforme

    l'acception com-

    mune

    du

    mot

    :

    une

    fois

    en

    son

    lieu

    ,

    en

    la

    rgioE

    vers

    laquelle

    elle

    tendait naturellement,

    la matire

    tait

    incapable

    de

    mouvement,

    moins

    qu'elle

    ne

    ft

    entrane

    par

    un

    moteur,

    et

    ce

    moteur

    devait

    rester

    en

    contactavecellepour

    que l'impulsion

    persistt. (Le

    mouvement

    des

    projectiles

    s'expliquait

    dans

    cette

    thorie

    par des ractions

    de

    l'air.)

    L'absolu,

    maintenant

    proprit

    prive

    de

    la mta-

    physique

    et

    chass

    de

    la

    science,

    imprgnait toute

    cette

    physique.

    11

    y

    avait

    un

    mouvement

    absolu

    puisque

    la

    terre

    t^t

    immobile

    et

    seule

    de

    son

    es-

    pce

    ,

    des

    directions

    absolues vers

    un

    point absolu

    supprimez

    par la pense

    le monde

    entier,

    ne con-

    servez

    qu'une

    pierre,

    elle

    irait ce

    point

    par

    la

    ligne

    droite

    , une pesanteur, des

    qualits

    absolues

    qu'un pouvoir surhumain

    soulve

    la terre

    dans

    les

    cieux

    et

    l'y

    maintienne

    et

    qu'il

    en

    dtache

    un

    caillou,

    celui-ci

    tombera

    vers le

    centre

    du monde

    en

    vertu

    de

    sa

    pesanteur, qui

    lui

    est

    donc

    bien

    propre

    et

    n'appa-

    rat

    en

    relation

    avec

    rien d'autre,

    rien

    d'extrieur

    au

    caillou,

    car on

    prtendrait

    en vain

    qu'il

    est

    attir

    par le

    centre

    du

    monde

    :

    comment

    un

    point

    gom-

    trique

    exercerait-il

    une attraction?

    Dieu

    lui-mme,

    dans

    un

    pareil

    systme,

    se

    rvlait

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    21/188

    LE

    MYSTICISME ET

    SON

    VOLUTION

    il

    physiquement.

    Des rouages ingnieux de sphres fai-

    saient

    la

    vrit

    que

    tous

    les

    mouvements

    des

    astres

    se

    commandaient

    les

    uns

    les

    autres;

    mais

    il

    fallait

    un

    moteur

    pour

    donner

    le

    branle,

    car

    les

    objets c-

    lestes,

    tant

    en leur

    lieu

    ,

    fussent demeurs immo-^

    biles

    sans

    une

    intervention

    extrieure

    ternellement

    active.

    Comment

    donner

    un

    autre

    nom

    que

    celui

    de

    Dieu

    ce

    moteur

    qui,

    sans

    commencement ni fin^

    animait

    le

    premier

    mobile

    la sphre

    extrme

    du

    monde

    et par lui la

    sphre

    toile avec

    toutes

    les

    autres?

    Il

    est

    vrai

    que

    les

    Grecs

    abandonnrent cette

    gi-

    gantesque

    horlogerie pour lui

    en

    substituer

    une autre.

    Ils

    ne

    cessaient

    pas

    pour

    cela

    de

    poser

    en

    principe

    absolu

    que

    les mouvements

    clestes

    taient

    de

    toute

    ncessit

    circulaires

    et

    uniformes

    ou

    composs

    de

    mouvements

    circulaires

    et

    uniformes.

    Ce

    dogme

    rgna

    universellement

    chez

    les

    philosophes

    et

    les

    savants

    jusqu'

    Kepler,

    c'est--dire jusqu' notre

    xyii ^

    sicle.

    Jusqu'

    Kepler

    aussi

    fut en

    vigueur

    le nouveau m-

    canisme

    qui

    se caractrisait

    principalement par des

    quipages

    de

    cercles

    affects

    chaque plante :

    Fastre

    lui-mme

    tournait,

    par

    exemple,

    sur

    un cercle

    nomm

    picycle

    dont

    le

    centre

    suivait

    la circonfrence

    d'un

    autre

    cercle

    appel

    dfrent,

    et

    il

    y

    avait

    bien

    d'autres

    complications

    :

    Copernic

    tait

    oblig

    de

    combiner

    7

    cercles

    pour rendre compte

    des dplace-

    ments

    de

    Mercure,

    3

    pour la Terre, et

    5

    pour chacune

    des

    autres

    plantes,

    et

    pourtant

    il

    introduisait

    une

    immense

    simplification

    en mettant

    le

    Soleil

    au

    centre

    du

    monde,

    comme

    Aristarque

    de

    Samos

    l'avait fait

    dix-huit

    sicles

    avant lui.

    Impossible

    d'imaginer

    des liaisons

    matrielles

    qui

    fissent

    dpendre

    d'un grand mouvement

    d'ensemble

    les

    mouvements

    de

    chaque

    rouage

    plantaire.

    On

    s'y

    effora

    sans

    aucun

    succs.

    On

    ne

    parvint

    pas

    mieux

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    22/188

    18 LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    trouver

    des

    analogies tires

    de

    la

    matire inerte

    et

    qui se

    prtassent

    l'explication des rvolutions

    c-

    lestes.

    Force

    tait

    donc

    d'en

    emprunter

    an

    flomaine

    de la

    vie. Les uns

    firent

    agir

    Dieu

    sur les astres direc-

    tement ou par

    l'intermdiaire de ses

    anges, les

    autres

    supposrent

    les plantes

    doues

    d'une

    sorte

    d'instinct,

    d'une

    forcn vitale

    qui

    les

    guidaient

    le

    long de leur

    route.

    Il

    n'y

    avait

    pas

    d'autre parti

    logique

    prendre.

    Kepler

    niait

    qu'aucun

    mouvement ternel nonrecti-

    ligne et

    t

    donn par Dieu

    un

    corps

    priv d'es-

    prit.

    La terre

    est

    cependant

    anime

    d'un mouve-

    ment

    de

    rotation sur elle-mme, c'est

    pourquoi il lui

    attribuait

    une

    me

    ni

    intelligente,

    ni

    sensible,

    pure-

    ment motrice.

    Il considrait la translation

    des

    pla-

    ntes

    autour

    du

    soleil

    comme produite

    par une

    action

    magntique;

    le

    soleil

    tournait,

    et

    avec

    lui

    ce

    que

    nous

    appellerions son

    flux

    de

    force, lequel

    entranait

    les

    plantes; comment celles-ci, attires

    en

    mme

    temps

    par l'astre

    central, ne tombaient-elles

    pas

    sur

    lui?

    C'tait

    en

    vertu

    d'une

    puissance

    vitale

    ou

    de

    quelque autre analogue

    (1).

    ))

    Donc tant

    que

    Newton

    n'eut

    pas

    formul

    les

    lois

    de

    la

    gravitation

    universelle,

    la

    mcanique

    cleste

    im-

    pliquait, dans

    les

    astres, l'existence

    de

    quelque

    chose

    qui n'tait

    pas

    matire

    et

    cependant agissait

    sur

    la

    matire.

    Cet

    agent,

    bien

    que

    dpourvu

    de

    raison,

    empchait

    les astres

    de s'garer dans

    un

    chemin qui

    n'tait

    trac

    qu'idalement

    et

    dont

    la

    complication

    gomtrique

    mettait

    en

    chec

    la

    sagacit

    des

    prd-

    cesseurs

    de

    Kepler.

    Le

    mysticisme

    bnficiait

    l d'un

    appui

    considrable que

    lui

    prtait

    la science.

    On

    n'avait aucune

    difficult

    croire

    l'me

    et

    la

    Providence quand

    l'astronomie

    vous

    montrait

    des

    (1)

    Ch.

    Frisch.

    Joannis

    Kepleri

    Opra

    Omnia.

    Frankfurt-

    am-Main

    et

    Erlangen, 1856. Vol. 111.

    p.p.

    37,

    157,

    176-179.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    23/188

    LE MYSTICISME

    ET

    SON

    VOLUTION 19

    pouvoirs quasi

    spirituels l'oeuvre

    dans

    les cieux.

    Ajoutons

    une

    autre

    commodit

    qui

    s'offrait

    la

    croyance

    jusqu'

    la

    fin

    du

    xviii'' sicle:

    la conception

    trs

    ancienne,

    conserve par

    Copernic,

    d'une

    sphre

    solide

    qui supportait les

    toiles fixes,

    demeurait

    scientifiquement

    soutenable.

    Au

    del

    de

    cette

    sphre,

    ce

    pouvait tre

    le

    Paradis,

    comme l'enseignait

    la

    tra-

    dition.

    Mais le

    jour

    ou

    l'on

    dcouvrit les

    parallaxes

    des

    toiles, celles-ci

    se

    sparrent

    les

    unes

    des autres

    par

    de

    formidables

    distances et

    flottrent dans l'es-

    pace

    vide.

    O

    rsident

    ds

    lors

    le

    Tout-Puissant et

    sa

    cour?

    J'entends

    bien qu'ils

    subsistent en dehors de

    l'tendue.

    Tout

    de

    mme,

    lorsque

    nos

    aeux

    les

    loca-

    lisaient,

    ils

    avaient moins

    de

    peine

    que

    nous

    se

    les

    reprsenter,

    donc

    y

    croire.

    En

    physique, et surtout en chimie, il pullula jus-

    qu'au XIX

    sicle

    des

    fluides

    ,

    des

    principes

    ,

    des entits

    vagues qui

    se

    superposaient

    parfois aux

    corps

    pondrables,

    et pouvaient, en

    thorie, subsister

    indpendamment

    d'eux,

    mais disparaissaient

    du

    champ

    de

    l'observation humaine

    ds qu'on tentait

    de

    les

    isoler

    de

    leur

    support

    matriel.

    Il

    ne

    manquait

    donc

    que

    la

    pense

    ces

    Invisibles,

    ces

    Insaisissa-

    bles,

    pour

    tre

    des mes. Du moment que la

    science

    garantissait

    leur existence

    comme relle

    et objec-

    tive,

    l'affirmation

    spiritualiste s'imposait

    a fortiori,

    et

    s'affranchissait

    de

    toute

    difficult

    d'ordre expri-

    mental.

    Le

    plus clbre

    parmi

    ces

    fluides

    ou

    prin-

    cipes

    fut

    le

    phlogistique.

    Tout

    le xviii

    sicle

    en

    admira

    l'invention comme

    la

    plus

    belle

    dcouverte

    qui

    se

    pt imaginer,

    et

    Stahl,

    son

    auteur, passa

    au

    rang

    de

    gnie. En fait,

    ce

    fut

    une tape

    importante

    du

    progrs scientifique,

    la

    premire vaste gnralisa-

    tion

    qui

    appart

    en

    chimie

    :

    la

    mise en

    vidence

    d'un

    lien commun

    entre

    les

    phnomnes

    de

    combus-

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    24/188

    20

    LA

    VAGUE MYSTIQUE

    lion

    ol

    (l'oxydation.

    Seulement le

    phlogislique

    tait

    l'inverse

    de

    l'oxygne

    : phlogisliquer

    c'tait

    dsoxyder

    et

    dphlogistiquer c'tait

    oxyder.

    En

    outre,

    ce

    mys-

    trieux

    lment tantt

    augmentait

    le

    poids

    des corps

    en

    se

    fixant

    sur

    eux et tantt le diminuait.

    Enln

    per-

    sonne

    n'avait

    pu

    mettre

    la

    main

    sur le

    phlogistique

    libre

    :

    il

    disparaissait

    le

    plus

    souvent

    en

    faisant

    de

    la

    flamme.

    C'tait une

    sorte

    de dmon

    auquel

    les chi-

    mistes

    avaient

    aflaire.

    On

    sait

    comment

    Lavoisicr

    mit fin

    son

    rgne.

    Dsormais

    les

    fluides

    et

    autres

    principes

    trop

    subtils

    ne

    tardrent

    pas

    vacuer

    le

    domaine

    de

    la

    physique et de

    la chimie.

    Leur

    expulsion

    complte

    rpondit ce

    qu'on appela

    sparation

    rigoureuse

    de

    la

    matire

    et

    de

    l'nergie.

    Que faut-il

    entendre

    par

    cette

    expression,

    souvent

    mal

    comprise,

    et

    d'ailleurs

    assez

    ambigu?

    Que la

    matire

    et l'nergie

    existent

    indpendamment

    l'une de

    l'autre?

    ce

    serait un

    non-

    sens.

    Ladite sparation

    signifie

    qu'il n'y

    a que

    matire

    pondrable et

    nergie,

    c'est--dire

    modifica-

    tions

    de

    la

    matire

    pondrable,

    qu'aucune

    de

    ces

    dernires

    n'est

    produite par

    la

    superposition

    la

    matire

    pondrable

    d'une substance

    impondrable.

    L'ther

    faisait exception

    : il

    s'imposait

    et

    il

    gnait.

    Voil

    qu'aujourd'hui

    on

    semble

    tre

    sur

    la

    voie

    d'expliquer

    la

    masse,

    ou

    pondrabilit

    de

    la

    matire,

    par

    l'lectromagntisme,

    par des

    modifica-

    tions

    de

    l'ther.

    La

    matire

    pondrable

    ne

    serait

    en

    dernire

    analyse

    que

    de

    l'ther.

    Le

    principe fonda-

    mental

    de la

    physico-chimie

    subsisterait

    sous

    cette

    forme :

    Il n'y a que l'ther et ses

    modifications

    .

    Ainsi

    la science a

    t

    sans

    cesse

    en

    liminant

    les

    analogies,

    les

    thories,

    qui

    craient

    un

    lien

    entre

    elle

    et

    le mysticisme.

    C'tait la

    loi

    mme

    de

    son

    progrs.

    Sauf

    en des

    occasions

    qui

    se font trs

    rares, le

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    25/188

    LE

    MYSTICISME ET

    SON VOLUTION

    21

    mysticisme et

    la

    science

    n'ont

    plus

    de

    mot

    en

    com-

    mun

    dans

    leur

    langage.

    Hier

    encore

    un

    mystique

    et

    un ((

    scientiste

    pouvaient

    sans

    absurdit

    s'efforcer

    de se

    convaincre

    l'un

    l'autre,

    parce

    qu'il

    y

    avait

    un

    assez

    grand nombre

    de

    termes

    fondamentaux

    sur

    le

    sens

    desquels

    ils

    tombaient

    d'accord.

    Ces

    temps

    ont

    rvolus : ouvrez

    les

    dictionnaires

    respectifs

    du

    mysticisme et

    de

    la science aux

    mots

    Vrit,

    Ralit,

    Dure,

    Espace, Existence...

    et

    vous

    constaterez

    que

    les

    mmes

    assemblages

    de lettres

    correspondent

    ici

    et l

    des

    choses

    trs

    diffrentes.

    Le

    mystique

    ne

    dit mme pas

    oui

    ou

    non

    quand

    votre

    question

    ne

    comporte

    que

    l'affirmative

    ou

    la

    ngative;

    oui ou

    non

    pour

    lui,

    c'est

    il

    faut

    ou

    ((

    i-1

    ne

    faut

    pas

    .

    Avons-nous

    une

    me?

    Il

    faut

    avoir une me,

    dclare

    M, Paul Doumergue

    (1),

    et

    la

    phrase est

    souligne dans

    le

    texte.

    A

    lui seul, un

    tel impratif

    rsume

    tout

    le

    mysti-

    cisme

    contemporain

    et le

    diffrencie

    de

    l'ancien

    mysticisme

    o

    l'on avait

    une me mme

    quand

    il

    ne

    le

    fallait

    gure,

    tmoin

    Achille

    qui,

    devenu

    le

    plus

    illustre

    des morts,

    regrettait

    de

    n'tre

    pas

    le

    moindre

    parmi

    les

    vivants.

    (1)

    Le

    Matrialisme

    aclil.

    Paris,

    Ernest

    Flammarion,

    1913,

    p.

    5.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    26/188

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

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    CHAPITRE

    II

    L

    ESPRIT ET LA

    METHODE

    SCIENTIFIQUES,

    LEUR

    OPPOSITION AVEC

    LE

    MYSTICISME.

    4. Ze langage

    et

    la pense.

    Le

    langage

    est la

    condition ncessaire

    de

    la

    pense.

    Rien de plus

    vi-

    dent

    lorsqu'il

    s'agit

    de communiquer

    celle-ci.

    Mais,

    quand

    je

    pense

    pour

    mon propre

    compte,

    ne

    puis-je

    prtendre

    me

    dispenser

    de

    mots

    ou

    de signes?

    coup sr

    non.

    Si

    je ne

    me

    reprsente

    pas

    ma

    pense,

    je

    ne

    sais

    pas

    quoi je pense

    ;

    or se

    reprsenter,

    c'est prsenter aux regards de

    la

    conscience

    une

    image, un

    signe.

    Des

    philosophes

    vous diront :

    j'atteins ma

    pen-

    se

    elle-mme^

    indpendamment

    de

    tout

    ce

    qui

    n'est

    pas

    elle.

    Soit.

    Alors

    o

    bien

    ils

    pourront

    nous

    exprimer

    cette

    pense, et

    ce

    sera

    avec des

    expres-

    sions,

    c'est--dire

    avec

    un langage,

    ou bien

    ils

    ne

    le

    pourront

    pas,

    et

    elle

    quivaudra

    au

    nant,

    mme

    pour

    eux, car

    toute parole

    ou toute

    action

    qu'ils

    sauraient

    tre

    en

    rapport

    avec elle en

    serait

    l'expression,

    et

    justement

    elle

    ne

    comporte

    pas

    d'expression.

    La

    pense

    pure

    du

    mtaphysicien

    aura

    donc

    tout

    au

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    24

    LA VAGDE

    MYSTIQUE

    plus

    la valeur

    d'un

    rve

    dont

    on

    ne

    connat que

    sa

    nature de

    rve

    : elle se

    rduira

    la conscience

    con-

    fuse

    d'une

    activit

    non

    moins

    confuse.

    Peut-tre

    se

    la

    reprsentera-t-on encore

    par

    cette

    espce de

    nbu-

    leuse

    qui

    est

    la pense en

    formation. De

    semblable

    brouillards se

    lvent

    souvent

    en

    nous;

    on

    ne

    sait rien

    d'eux

    sinon

    leur

    prsence

    et

    notre

    soupon qu'il

    reclent

    quelque chose;

    puis une

    forme

    se dessine,

    parfois

    avec

    une

    soudainet

    surprenante,

    et

    nous

    noua

    affirmons

    aprs

    coup

    qu'elle

    provient

    de

    tel

    brouil-

    lard.

    Seulement la pense

    pure

    est

    une

    brume qui

    ne

    se

    condense jamais.

    A-t-on bien

    le droit

    de

    l'appe-

    ler

    pense?

    Pas

    plus,

    il me

    semble,

    que

    le

    gland

    ne

    mrite le nom de

    chne

    s'il

    doit rester

    enferm

    dans

    un

    tiroir.

    Donc

    on a

    le

    droit

    de

    poser

    d'une manire

    absolue

    en

    fait,

    sinon

    en

    thorie

    :

    pas

    de

    pense

    si

    elle n'est

    communicable, pas

    de pense sans

    langage.

    Imaginons

    des crateurs

    mythiques

    du

    langage. Ils

    auraient

    pu

    concevoir

    un

    lment

    de

    pense corres-

    pondant

    ce

    que

    nous

    exprimons

    dans

    une phrase

    simple

    :

    un

    sujet

    accol

    un

    verbe

    ou

    un

    attribut,

    par

    exemple

    ;

    ils se

    seraient

    alors aviss de faire

    correspondre

    l'lment de langage

    l'lment

    de

    pense

    :

    autant

    d'lments

    de pense,

    autant

    de

    mots diffrents.

    Tentative

    absurde,

    ou du

    moins

    qui

    n'a

    jamais

    abouti la

    formation

    d'un

    langage,

    mme

    aussi peu

    perfectionn

    que celui

    des

    Hotten-

    tots

    ou

    des

    sauvages

    d'Australie. Il

    y

    a,

    pour nous

    autres civiliss,

    un

    si

    grand nombre

    d'lments

    pos-

    sibles

    de

    pense

    communicable

    qu'il nous

    faudrait

    plusieurs vies pour

    apprendre

    le

    langage des

    cra-

    teurs mythiques et que

    nous

    n'aurions pas

    une

    minute

    pour

    l'utiliser.

    La

    seule solution

    pratique

    tait

    celle

    que

    l'huma-

    nit

    a adopte,

    peut-tre

    pas

    sans

    beaucoup

    de

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

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    l'esprit

    et

    la

    mthode scientifiques

    25

    ttonnements

    : prendre

    un nombre

    relativement

    pet^t

    de

    signes

    en

    l'espce

    quelques

    dizaines

    de

    mil-

    liers

    et

    utiliser leurs

    combinaisons par

    groupes

    de

    deux, trois, quatre,

    etc.. Mille signes combins

    ensemble trois

    trois

    de

    toutes

    les

    manires

    pos-

    sibles fournissent uu

    peu

    plus de 1997 millions

    de

    combinaisons (en

    tenant

    compte de

    l'ordre

    des

    signes,

    en

    affectant

    G

    B A,

    par

    exemple,

    une signi-

    fication

    diffrente

    de

    celle

    d'A

    B

    G);

    ce

    nombre

    esl

    celui des secondes

    qu'il

    y

    a

    dans trente

    annes.

    Un

    tet

    systme de

    mille

    signes

    diffre

    beaucoup des

    langages

    rels,

    mais il

    donne une

    ide

    de leurs ressources.

    Les

    langages rels, en

    effet,

    sont

    loin

    d'utiliser

    toutes les

    combinaisons

    qu'ils ont

    leur

    disposition.

    Prenezvau

    hasard

    dix

    mots

    dans

    un

    dictionnaire,

    il

    y

    a

    d'assez grandes

    probabilits pour que

    vous ne

    puissiez

    pas construire

    avec

    eux, ou partie

    d'entre

    eux, une

    phrase intelligible,

    mme

    si

    vous

    laissez

    compltement

    de

    ct

    la

    correction

    grammaticale.

    Les mots

    sont

    comme

    des pices de

    machine

    dta-

    ches

    :

    il s'agit

    de

    trouver ceux qui

    s'embotent

    les

    uns

    avec

    les

    autres,

    de

    les

    articuler

    entre

    eux.

    Pour

    parler

    ou

    crire,

    la

    connaissance

    de

    ces

    articulations

    est non

    moins

    indispensable que celle

    des mots.

    Les

    langages

    sont

    des mcanismes,

    pas

    absolument

    pareils,

    c'est

    pourquoi

    un

    Franais,

    un Allemand

    et

    un

    Russe, traduisant

    une

    mme

    phrase latine

    en

    leurs

    idiomes

    respectifs,

    ne

    penseront

    pas

    tout

    fait

    la

    mme

    chose.

    Mais, chez

    les peuples

    civiliss,

    ces

    mcanismes divers ont

    en

    commun

    leurs

    lois

    gn-

    rales

    de

    fonctionnement

    et leurs

    organes

    fondamen-

    taux. G'est

    de

    cela

    seulement qu'il sera

    question

    ici.

    Les

    diffrences

    auxquelles il a

    t

    fait allusion

    n'affectent

    pas,

    d'ailleurs,

    sensiblement,

    la pense

    objective.

    Si

    l'on tient

    se

    reprsenter

    d'une

    mianire

    con-

    2

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    30/188

    iie

    LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    crte

    ce

    que

    j'appelle

    le langage

    en

    gnral,

    qu'on

    se

    figure

    un

    volapuk,

    un

    ido, un

    espranto,

    ou une

    langue

    vivante

    adopte

    comme

    idiome

    universel,

    apprise

    et

    bien

    sue

    par

    tous

    les

    civiliss

    sans

    excep-

    tion,

    cette

    langue

    pouvant tre n'importe

    laquelle

    parmi

    celles

    des

    peuples sortis de la

    barbarie.

    Au

    surplus,

    un

    langage,

    mme particulier,

    suppose

    un

    accord

    universel

    implicite entre tous

    les

    hommes

    d'une

    culture

    analogue, par

    cela

    seul

    que

    la

    traduc-

    tion

    en

    un

    autre

    langage

    n'est

    pas arbitraire.

    Le

    langage

    ne

    devrait

    tre

    qu'objectif

    et,

    par

    con-

    squent,

    il

    ne

    devrait

    y

    avoir que

    pense

    objective.

    Puisque

    en

    effet

    il

    s'impose

    chacun

    comme

    un

    accord

    sur

    ce

    qui

    est

    accessible

    tous,

    en

    quoi

    exprimerait-il

    ce

    qui est inaccessible

    tous

    sauf

    une

    conscience

    en

    particulier?

    Et

    cependant

    le rle

    subjectif,

    motif,

    sentimental,

    mystique,

    du

    langage

    dborde

    infiniment

    son

    rle

    objectif.

    C'est

    d'abord,

    cas

    le

    plus

    ordinaire,

    parce

    qu'on

    parle

    pour

    dire

    autre

    chose

    que

    ce que

    l'on

    dit

    expres-

    sment.

    11

    n'y

    aurait

    sans

    cela

    ni

    art,

    ni littrature.

    Voici

    deux

    phrases

    :

    1

    Ctait

    20

    heures, heure de

    V

    Europe

    orientale.

    2

    C'tait

    Vheure

    tranquille

    ou

    les

    lions

    vont

    boire.

    La

    seconde,

    vers

    de

    Victor Hugo

    [La

    Lgende

    des

    Sicles,

    luth

    et

    Booz),

    signifie

    la

    mme

    chose

    que la

    premire,

    tant

    donn

    qu'il

    s'agit

    du

    commencement

    de

    la nuit,

    en

    Jude

    et

    l'poque de la

    moisson,

    c'est-

    -dire en

    mai,

    et

    en

    un

    pays

    o

    les

    nuits

    de la

    belle

    saison

    durent

    plus que

    les ntres.

    Tel

    est

    le point

    de

    vue

    objectif.

    Trs

    objectif

    aussi

    est

    ce

    renseignement

    que les

    lions

    vont

    boire

    peu

    aprs

    le

    coucher

    du

    soleil.

    Or le

    grand

    pote

    ne

    l'nonce

    pas

    pour

    nous

    documenter

    sur

    les

    murs

    des

    lions.

    Que

    se

    pro-

    pose-t-il

    donc?

    Les

    rponses

    cette

    question

    vont

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    31/188

    l'esprit

    et la

    mthode scientifiques

    27

    tre

    aussi

    nombreuses

    que

    les

    lecteurs de Ruth

    et

    Booz.

    Ils

    sont

    unanimes,

    sans

    doute,

    encore

    est-ce

    bien

    certain?

    sur

    quelques

    gnralits

    vagues

    :

    beaut,

    grandeur,

    harmonie, magnifique

    expression

    d'un

    instant

    la

    fois

    calme, redoutable

    et solennel.

    Pour

    le reste,

    nous

    en savons

    autant

    qu'une

    mre

    dont

    le

    fils a pass

    un

    brillant

    examen

    :

    toutes

    boules

    blanches

    ;

    elle

    ne connat

    que

    les

    boules

    blanches,

    la

    joie, les

    flicitations,

    les

    embrassades,

    l'orgueil

    ;

    de

    l'examen

    lui-mme,

    des interrogations,

    des

    sujets

    traits, rien.

    Ce

    qui

    s'voque

    en

    moi,

    la

    Iecj,ure

    du

    vers

    de

    Hugo,

    c'est

    un

    paysage

    fauve,

    une

    plaine

    borde

    de

    montagnes,

    deux

    ou

    trois mares

    qui

    refltent

    le

    crpuscule,

    et

    autour

    desquelles

    des

    fourrs

    mettent

    leurs

    taches sombres; et les

    lions n'y

    sont

    pas.

    Vision

    draisonnable,

    en

    plein dsaccord

    avec

    le

    reste

    du

    pome.

    Je

    la fixerais sur une

    toile si

    je savais

    tenir

    un

    pinceau,

    mais

    je sens

    que le tableau

    a

    dj

    chang.

    Les

    autres

    lecteurs

    ont

    vu

    chacun autre

    chose.

    Celles

    de

    ces

    images

    qui

    se

    ressemblent

    le

    plus n'ont

    entre

    elles

    qu'une

    ressemblance

    gnrale

    et

    qui ne

    va

    pas

    plus

    loin,

    coup

    sr, que

    celle

    de

    Notre-Dame de

    Paris

    avec

    Saint-Sulpice.

    Qu'on

    traduise

    le

    vers

    de

    Hugo

    par

    le crayon

    ou

    le pinceau

    et

    on

    n'aura

    aucune

    garantie

    de la

    fidlit de

    ces

    traductions

    par rapport

    l'impression

    premire;

    sachant combien

    celle-ci

    est

    indcise,

    mobile,

    incomplte,

    on

    sait

    aussi

    combien

    elle

    a

    volu

    avant de se stabiliser

    :

    autant que l'in-

    secte

    depuis

    l'uf. S'il

    en

    est

    ainsi

    de

    l'vocation

    visuelle, que

    dire de

    l'harmonique

    et

    de l'motive?

    Chaque

    mot

    met,

    autour

    de

    son

    sens prcis,

    un

    halo, une irradiation

    quelquefois

    aussi vaste que

    celle

    de

    la

    lumire

    du

    jour

    autour

    du soleil

    ;

    elle re-

    prsente

    le

    pouvoir

    suggestif du mot. Les artistes

    ne

    s'occupent

    que

    du halo, et

    cela de

    propos dlibr. Le

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    32/188

    28

    LA VAGUE MYSTIQUE

    halo

    subsisle

    quand

    bien

    mme on

    aurait

    besoin

    de

    s'en

    dbarrasser. Il

    est de contours

    indtermins,

    il

    dpend

    de

    l'me o

    tombe

    le mot

    et

    du

    moment

    o

    le mot

    y

    tombe.

    Cela

    fait

    que

    le langage

    le

    plus

    objectif est

    expos

    produire

    des effets

    subjectifs.

    Ceux-ci

    rsultent aussi

    d'un

    culte

    quasi-religieux

    qui

    s'attache

    certains

    mots. M.

    Julien

    Benda,

    avec

    une

    intelligence

    pntrante,

    nous

    expliquera

    com-

    ment.

    Si

    les

    hommes, dit-il,

    appelaient

    par

    exemple,

    la tendresse

    tendresse

    et le

    dsir

    sexuel

    dsir

    sexuel

    ,

    d'interminables disputes

    seraient vites;

    mais ils veulent

    appeler

    l'un

    et

    l'autre

    amour

    ,

    en

    raison

    de

    la

    religion

    universelle qui

    s'attache

    ce

    mot.

    Ce

    que

    veut

    chacun

    en

    cette

    affaire, ce

    n'est

    pas

    du tout s'entendre ou se

    faire

    entendre... c'est

    confis-

    quer un

    verbe

    sacr

    au

    profit

    du

    mode

    qu'il

    prfre.

    En

    sorte que

    ce qu'on

    nomme

    en

    souriant la

    guerre

    des

    mots, c'est

    en

    ralit

    cette

    chose

    trs

    srieuse

    :

    la

    guerre des

    valeurs

    pour

    l'occupation

    de

    ces

    places

    formidables qu'on appelle les mots.

    ((

    Cette

    guerre

    est

    naturellement

    d'autant

    plus

    acharne

    que

    les mots

    sont

    plus

    puissants et

    qu'ils

    sont moins dfinis

    (on

    ne

    se bat pas

    pour

    le

    mot

    physique

    dont le

    sens n'est point

    vacant).

    D'autre

    part

    les

    mots

    sont

    d'autant moins

    dfinis

    qu'ils

    sont

    plus

    puissants, puisqu'ils

    sont

    puissants

    par le graiid

    nombre

    des

    sentiments

    qui

    s'y

    peuvent

    projeter

    (1).

    M.

    Julien Benda

    nous dsigne

    ainsi

    une

    occasion

    importante

    de

    conflit de passions :

    c'est la

    dlinition

    mme

    des mots. Le langage

    ralise

    l'accord

    entre les

    hommes

    quand

    ils

    s'entendent sur

    les

    conventions

    qui

    rglent

    l'application

    des signes

    aux

    choses

    signi-

    (1)

    Julien

    Benda,

    Une Philosophie

    pathtique.

    Cahiers

    de

    la

    quinzaine;

    deuxime

    cahier

    de la

    quinzime

    srie,

    p.

    27

    et

    note.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    33/188

    l'esprit et

    la

    mthode

    scientifiques

    29

    fies,

    et

    alors le

    langage

    est

    objectif;

    mais il

    arrive,

    pour

    le

    mme

    mot,

    que

    l'entente,

    tablie

    en

    temps

    normal,

    cesse

    brusquement;

    ators les

    passions

    s'exci-

    tent, un

    effet

    sentimental

    est

    produit.

    Certains

    mots

    ne

    sont pas

    dfinissables

    en

    ce

    sens

    qu'ils servent

    diinir

    les

    autres

    et

    qu'aucun

    autre

    ne

    les

    dfiait;

    il faut

    qu'il

    y

    en ait

    le

    moins

    pos

    sible

    :

    on

    ne

    s'en

    passerait pas

    sans

    tourner

    dans

    un

    cercle

    vicieux.

    Tels

    sont/e

    tem,ps,

    Vespace,

    la

    masse.

    Ceux-l

    cependant

    sont

    clairs

    dans

    les pratiques

    cou-

    rante et

    scientifique

    parce

    que nul n'hsite

    sur

    l'ap-

    plication

    qu'il

    convient

    d'en

    faire;

    ils

    resteraient

    tou-

    jours

    clairs

    si l'on

    revenait

    leur

    origine,

    car ils

    se

    rattachent

    de

    proche

    en proche

    des

    mots

    concrets

    parfaitement

    clairs

    eux-mmes

    comme

    tant

    les

    signes

    attachs

    d'une

    manire

    invariable

    ce

    qu'atteignent

    nos sens.

    Ces

    rebelles

    la

    dfinition

    ne

    sont

    pas

    des

    mots-bases, ce

    sont

    des

    mots-sommets,

    des

    pointes

    de

    pyramides

    formes

    par la convergence

    de lignes

    issues

    de

    tous

    les

    mots

    dont

    le

    contact

    avec

    les

    choses

    est

    direct. Or,

    on

    ne

    peut

    pas

    monter plus

    haut

    que

    la

    pointe,

    moins

    de s'envoler

    dans le

    vague

    o

    il

    est

    impossible

    de tracer

    un chemin,

    o

    chacun suit

    des

    voies

    personnelles.

    Quand vous prendrez un tel

    essor,

    vous

    vous

    exprimerez

    en pote ou en

    mtaphysicien

    et

    ne

    raliserez que

    des accords de

    pure

    sympathie.

    Les gens

    qui

    vous

    plairez s'crieront

    :

    Quelle

    lu-

    mire

    surnaturelle

    En

    ralit

    ils

    seront

    heureux

    de

    se

    trouver

    dans

    le

    mystre

    en

    mme

    temps

    que

    vous,

    parce que

    c'est

    vous

    ;

    mais ils

    n'y

    verront

    pas

    plus

    clair

    pour

    cela,

    ou,

    du

    moins, s'ils

    voient

    quel-

    que

    chose, n'en

    pourront

    pas mieux

    s'entendre

    sur

    ce

    qu'ils voient.

    Quelques-uns

    de

    ces

    mots-sommets comme

    vrit,

    ralit,

    connaissance, existence, le

    Bien, le Beau,

    ne

    paraissent pas

    toujours

    irrductibles

    entre

    eux.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    34/188

    30

    L\

    VAGUE

    MYSTIQUE

    Quand

    les

    philosophes

    s'en

    mlent,

    on

    se

    demande

    si

    c'est

    le

    mot A

    qu'on

    doit

    dfinir par

    les

    mots B

    et

    G,

    ou

    G

    par

    B

    et

    A...

    De

    tels

    doutes ne

    sont

    exploits

    qu'en

    vue

    des

    conflits

    de

    doctrine

    mtaphysique

    qui

    se

    rduisent

    tous

    des

    conflits sentimentaux,

    et l'on

    rentre

    dans

    le

    cas

    tudi

    par M.

    Julien

    Benda.

    C'est

    pendant

    leur

    fonctionnement subjectif,

    remar-

    quons-le

    en

    passant, et

    cause

    de

    lui

    seul,

    que les

    langages

    cessent

    d'tre

    traduisibles

    les

    uns

    par

    les

    autres

    avec

    une

    rigueur

    complte. On

    arrive

    bien

    tou-

    jours

    faire

    concider,

    sur

    le

    mme

    sens

    prcis,

    des

    mots

    ou

    assemblages

    de

    mots de deux

    idiomes

    dis-

    tincts,

    mais

    les

    halos

    motifs

    moyens

    dilTrent

    d'amplitude,

    la

    religion

    des

    mots

    n'est

    pas

    la

    mme...,

    de

    sorte

    qu'il

    faut se

    rsigner

    toujours

    un

    certain

    vague

    dans

    les

    versions

    franco-allemandes

    ou

    autres

    quand

    il

    s'agit du ct

    moral,

    esthtique,

    pit-

    toresque,

    mystique,

    mtaphysique, etc., de

    l'expres-

    sion.

    ^

    2.

    Abstraction,

    gnralisation.

    Ces deux

    op-

    rations

    de

    l'esprit,

    bien

    que

    distinctes l'une

    de

    l'autre,

    sont

    dans

    une

    dpendance mutuelle trs troite; on

    ne

    gnralise

    pas

    sans

    avoir

    abstrait,

    et,

    ds

    que

    l'on

    a

    abstrait,

    on

    a

    une

    possibilit

    de gnraliser.

    Je

    sers

    dans

    la

    cavalerie

    ;

    j'ai

    un

    cheval

    alezan;

    cer-

    tains

    caractres

    individuels le

    distinguent

    des autres

    chevaux

    alezans

    de

    la

    mme

    taille

    et

    me

    permettent

    de

    le

    reconnatre

    parmi

    ces

    autres

    chevaux

    quand on

    les

    mne

    ensemble

    l'abreuvoir

    ;

    il

    y

    a

    dans mon

    es-

    cadron

    d'autres

    chevaux

    alezans

    qui

    ont

    la

    mme

    taille, et

    cependant

    je

    reconnais

    aussi chacun

    d'eux

    par

    d'autres

    caractres

    individuels. Abstraction

    faite

    de

    ces

    caractres

    ou

    de caractres

    du

    mme

    ordre

    sur

    la

    nature

    desquels

    aucun

    cavalier

    ne

    se

    tromperait,

    on

    a

    tous

    les

    chevaux

    alezans

    de

    mme

    taille :

    gn-

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    35/188

    l'esprit

    et

    la

    mthode

    scientifiques

    31

    ralisation.

    Absiraclion

    faite

    de

    la

    taille,

    on

    a tous

    les

    chevaux alezans

    :

    progrs

    dans

    la

    gnralisation.

    Abstraction

    faite

    de

    la

    couleur de

    la

    robe,

    on

    a

    tous

    les

    chevaux, nouveau

    progrs

    dans

    la

    gnralisation.

    En

    procdant

    ainsi

    par une suite

    d'abstractions

    et

    de

    gnralisations,

    on

    arriverait

    au

    quadrupde,

    au

    mammifre,

    l'animal,

    l'tre vivant...

    En

    somme, on a

    gnralis quand on

    a

    retir

    des

    choses

    d'un

    groupe dtermin

    un

    certain

    nombre

    d'abstractions.

    La taille, la

    couleur...

    (1)

    sont

    des

    abstractions.

    Abstraire,

    tymologiquement,

    ressemble

    extraire;

    on peut

    comparer l'abstraction

    l'extraction

    que l'on

    fait des huiles essentielles contenues

    dans

    certaines

    fleurs

    ;

    mais

    il

    y

    a

    une diffrence

    fondamentale

    :

    quand

    vous

    avez

    trait

    des

    tonnes

    de

    roses

    pour

    en

    tirer

    quelques grammes

    d'essence

    de roses,

    cette

    essence,

    vous

    l'enfermez dans un

    flacon,

    vous

    la conservez,

    lle subsisterait^quandbien mme

    il

    ne

    devrait

    plus

    y

    avoir

    de roses ni de

    rosiers.

    Une fois faite, au

    con-

    traire,

    l'abstraction

    reste absolument dpendante

    de

    ce

    dont

    on

    l'a

    abstraite.

    Si

    on

    supprimait

    tous

    les

    objets

    colors, il

    n'y

    aurait

    plus

    de

    couleur.

    Il

    est bien

    vident

    que

    le pouvoir

    d'abstraire

    et

    de

    gnraliser

    tait

    l'origine

    mme du langage

    et de

    la

    pense,

    sinon

    il

    aurait

    fallu inventer un

    signe

    pour

    chaque

    brin

    d'herbe, pour chaque

    caillou;

    alors

    il

    et

    t

    encore bien

    plus

    pratique

    d'aller

    chercher

    l'objet

    mis

    en

    question

    ou d'amener

    auprs de lui les

    gens

    auxquels

    on voulait le dsigner.

    Au

    surplus,

    la

    pense

    purement

    imaginatrice

    des

    animaux

    abstrait et gnralise dj dans une

    certaine

    (1)

    Dans

    des

    cas

    comme

    ceux des

    animaux,

    c'est la

    couleur

    de

    certaines

    matires

    contenues

    dans

    leur

    peau

    et

    leurs

    poils,

    plumes,

    cailles,

    etc..

    qui

    est

    une

    abstraction.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    36/188

    32

    LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    mesure.

    La

    vache

    est

    sans

    doute

    capable

    de se

    repr-

    senter

    un

    brin

    d'herbe

    type

    qui

    est

    seulement

    le

    brin

    d'une

    certaine

    espce

    d'herbe,

    sans

    tre

    plutt

    ce

    brin-ci

    que

    ce

    brin-l.

    Le

    progrs

    du

    langage

    ne

    s'est

    pas

    fait

    en

    inven-

    tant

    beaucoup

    de

    mots

    pour

    dsigner

    beaucoup

    de

    catgories

    d'objets,

    mais au

    contraire

    en

    rduisant

    le

    nombre

    des

    catgories auxquelles

    on affectait

    un

    signe

    verbal

    particulier

    et

    en inventant

    des

    mots qui

    servaient dans

    beaucoup

    de

    catgories.

    Les langues

    primitives sont

    souvent

    trs

    riches,

    parce qu'elles

    affectent des termes

    diffrents,

    non

    seulement

    toutes

    les

    choses suivant leurs

    espces,

    mais

    encore

    suivant leur manire d'tre;

    par contre,

    elles

    man-

    quent

    de

    moyens

    pour exprimer les

    classes,

    les genres

    un

    peu

    tendus

    :

    arbre

    ,

    par

    exemple,

    fera

    dfaut

    dans leur

    dictionnaire

    o on

    trouvera des

    vocables

    spciaux

    pour

    jeune

    rable

    ,

    rable courb

    ,

    ((

    vieil

    rable

    ,

    rable

    en fort

    ,

    ((

    rable

    isol

    ,

    etc.

    Mieux

    vaut videmment n'avoir

    qu'

    rable

    pour

    n'importe

    quel

    rable,

    et avoir

    jeune

    ,

    ((

    vieux

    ,

    ((

    courbe

    ,

    isol

    ,

    qui trouvent s'ap-

    pliquer

    une

    norme

    quantit de choses

    qui

    ne

    sont

    pas des rables.

    3o La Logique.

    Une fois

    suffisamment

    riches

    en

    termes

    abstraits

    et

    gnraux,

    ces

    langages

    furent

    rgis par

    certaines

    ncessits

    pratiques

    communes

    tous

    et

    aussi

    imprieuses,

    aussi

    inluctables,

    que

    celle

    de

    l'abstraction

    et

    de la

    gnralisation

    elles-mmes.

    Ces ncessits,

    les mcanismes

    qu'elles

    imposent,

    font

    la

    logique.

    On

    a beaucoup tendu

    le sens

    du

    mot

    logique .

    Il n'y

    a plus

    la

    logique

    mais des

    logiques,

    chacune

    comprenant

    non

    seulement

    une

    manire

    de

    juger

    et

    de raisonner, mais

    les principales

    affirmations et

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    37/188

    l'esprit et

    la

    mthode scientifiques

    35

    ngations

    irrductibles

    qui

    sont,

    pour ainsi

    dire,

    les

    premiers

    anneaux

    des

    clianes

    de

    raisonnements.

    Des

    notions

    fcondes

    ont

    t

    introduites

    par

    l,

    mais

    aussi

    quelque

    confusion.

    Pour

    l'viter,

    qu'il

    soit

    bien

    convenu

    que

    la

    logique

    dont nous

    parlons

    ici

    est

    la

    logique

    rationnelle

    ,

    la

    logique

    entendue

    en

    son

    vieux

    sens.

    Celui-ci

    demeure aussi

    le

    sens

    mo-

    derne

    dans

    la

    plupart

    des

    cas,

    lorsqu'on

    reproche,

    par exemple,

    un

    orateur de conclure

    son

    discours

    contrairement

    la

    logique, c'est--dire

    en

    dsaccord

    avec les

    principes

    initiaux

    qu'il

    a proclams.

    La

    logique

    ainsi

    entendue laisse

    en

    dehors

    d'elle

    ces

    principes

    initiaux

    ;

    la preuve en

    es que la

    faute

    com-

    mise

    contre

    elle

    peut

    apparatre aux

    yeux

    des

    amis

    comme

    des

    adversaires

    de l'orateur,

    de

    ceux

    qui

    admettent

    comme

    de

    ceux

    qui

    repoussent

    sa

    base

    doctrinale. Qu'est-ce que cette

    faute?

    Elle

    a consist

    simplement

    fausser le mcanisme

    du

    langage.

    Le

    langage

    n'existerait

    pas

    s'il

    n'tait

    une

    convention

    non seulement

    sur

    l'affectation particulire

    des

    mots,

    mais sur

    leur assemblage

    ;

    l'orateur

    a

    viol

    cette

    con-

    vention

    l

    o

    elle

    rsulte,

    pour

    tous

    les

    hommes,

    du

    besoin

    de

    s'entendre.

    La

    logique

    rationnelle

    se

    rduit

    ce

    qu'il

    y

    a

    de

    ncessaire

    et d'universel dans la

    convention

    du

    langage.

    La

    lgitimit

    de cette

    dlnition

    apparat

    quand

    on

    examine le

    raisonnement,

    principale

    matire

    de

    la

    logique.

    Le

    raisonnement

    lmentaire,

    sous

    sa

    forme

    clas-

    sique

    de

    syllogisme,

    consiste

    poser deux proposi-

    tions, la

    majeure

    et

    la mineure,

    d'o

    en

    dcoule

    une

    troisime,

    la

    conclusion.

    Exemple

    :

    Majeure.

    Tous les hommes

    sont

    mortels.

    Mineure.

    Or

    Pierre

    est

    un

    homme.

    Conclusion.

    Donc

    Pierre

    est

    mortel.

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    38/188

    34

    LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    Le

    syllogisme

    ne

    nous apprend rien

    :

    si

    nous

    savons

    que

    tous les hommes

    sont

    mortels

    el que

    Pierre

    est

    un

    homme,

    ce

    n'est

    pas

    du

    syllogisme

    que

    nous

    le

    tenons.

    Par

    sa

    vertu

    propre, il

    ne

    nous

    dit

    qu'une

    chose

    :

    si tous

    les

    objets d'une

    catgorie

    les

    hommes

    doivent porter une tiquette,

    l'tiquette

    mortel,

    par

    exemple,

    chaque

    objet

    du

    groupe,

    Pierre

    en particulier,

    devra

    la

    porter

    :

    n'oubliez

    pas

    Pierre.

    C'est

    une

    ncessit vidente

    du

    langage,

    et

    ce

    n'est

    que

    cela.

    Comme

    tous les

    raisonnements,

    si

    longs,

    si

    com-

    plexes

    qu'on les imagine,

    se rsolvent en une

    chane

    de

    syllogismes,

    le

    raisonnement,

    en

    gnral,

    ne

    r-

    pond

    rien

    de

    moins,

    rien

    de

    plus,

    que le syllo-

    gisme

    :

    les seules conventions

    ncessaires

    du

    lan-

    gage

    le

    conditionnent.

    Appliquer

    un

    systme

    de

    rfrences

    par

    fiches

    tel

    que

    tout

    le

    monde

    aboutisse

    la

    mme rfrence

    ou

    raisonner correctement

    sont

    deux

    oprations semblables.

    Le

    raisonnement

    est

    donc

    un instrument

    de

    vrifi-

    cation,

    non de dcouverte.

    Prenons la

    gomtrie

    qui

    est

    le type

    de l'difice

    logique,

    ciment

    par le

    rai-

    sonnement,

    et considrons le thorme

    du

    carr

    de

    l'hypothnuse.

    II

    est

    dmontrable

    aussitt que l'on

    connat

    les cas

    d'galit

    des

    triangles

    et des aires

    triangulaires

    et

    les

    proprits

    des

    parallles.

    Une

    telle connaissance,

    aide

    du simple raisonnement,

    ne

    vous

    fera pas

    souponner cependant

    qu'il

    pourrait

    bien

    exister

    une

    relation

    gnrale

    entre

    les

    trois

    car-

    rs

    ayant pour

    cts

    respectifs

    ceux

    du triangle

    rec-

    tangle.

    Et

    quand,

    souponnant

    la relation,

    vous

    ferez

    sur elle des

    hypothses, il

    faudra encore

    que

    vous

    inventiez

    des

    constructions

    propres

    en clairer la

    discussion.

    C'est

    partir

    de

    ce

    moment-l

    seulement

    que

    vos

    connaissances

    gomtriques

    antrieures

    vont

    jouer un

    rle

    dcisif

    :

    elles

    serviront

    de

    critrium

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    39/188

    l'esprit

    et

    la

    mthode

    scientifiques

    35

    vos

    essais

    et

    vous

    permettront

    de

    vrifier

    votre

    rus-

    site.

    Cette

    vrification

    s'accomplit

    lorsque

    vous

    pouvez

    rattacher

    une

    de

    vos

    hypothses

    des

    vents

    deja

    acquises,

    et

    en

    faire

    ainsi

    une

    vrit

    nouvel

    e.

    On

    procde

    de

    la

    sorte,

    pour

    ainsi

    dire,

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    40/188

    36

    LA

    VAGUE

    MYSTIQUE

    de

    physique, emploieront

    toujours

    le mme

    procd,

    savoir,

    relier une

    conclusion

    par des

    files

    de

    raison-

    nements

    des

    propositions

    initiales

    au

    del

    desquelles

    le pur

    raisonnement

    ne

    peut pas

    remonter,

    ou

    bien

    des propositions

    que

    l'on juge

    implicitement

    relies

    celles-ci

    dans

    l'esprit des auditeurs. Ces

    proposir

    tions

    initiales

    peuvent

    d'ailleurs

    tre

    de toute

    nature,

    venir,

    par

    exemple,

    du

    sentiment,

    comme

    les

    expres-

    sions d'un

    devoir moral,

    d'une opinion

    politique,

    d'une

    croyance

    religieuse...

    :

    Le

    salut

    de

    la

    patrie

    avant tout,

    La mission d'une dmocratie

    est

    de...

    La vraie

    tradition

    franaise

    consiste

    ...

    Le

    Christ

    est

    Dieu.

    La logique

    ne fournit pas de propositions initiales

    :

    un

    matrialiste

    et

    un thologien

    peuvent

    se dcerner

    l'un

    l'autre

    un

    brevet

    de

    parfait

    logicien

    ;

    et,

    prci-

    sment

    parce

    qu'ils

    sont

    parfaits

    logiciens, ils devront

    aboutir

    des conclusions inconciliables, leurs

    pro-

    positions initiales tant

    opposes.

    Si

    la

    logique

    ne

    fournit

    pas

    de propositions

    ini-

    tiales,

    cela confirme,

    par

    une

    limination importante,

    qu'elle ne

    contient

    que

    les ncessits

    du

    langage.

    Ncessits

    de

    langage

    quivalent

    ncessits

    de

    pense,

    puisque

    nous ne

    pouvons pas penser

    sans

    langage.

    Par l

    se

    cre un contact entre

    la

    mtaphy-

    sique

    et la

    logique,

    la

    premire

    appelant

    Absolu,

    en

    soi,

    ce

    qui

    n'est

    en

    ralit qu'un

    mode

    de

    pense

    pratiquement

    indispensable,

    c'est--dire

    sans

    lequel

    on

    ne

    voit

    gure

    comment

    nous

    penserions.

    La mtaphysique n'a aucun droit

    accaparer

    cer-

    tains principes fondamentaux

    comme

    ceux

    d'identit

    et

    de

    contradiction

    :

    ils appartiennent

    la logique

    ;

    ils

    constatent

    simplement,

    au

    fond,

    que

    si

    chaque

    signe

    du langage correspondait

    n'importe

    quand

    n'importe

    quoi, il n'y

    aurait

    ni

    langage,

    ni

    pense

    (voir

    plus

    bas

    :

    ch. vu,

    1).

  • 8/11/2019 La Vague Mystique

    41/188

    l'esprit

    et

    la

    mthode scientifiques

    37

    Par

    ailleurs, la

    logique est pleinement

    comptente

    pour

    dissiper,

    elle seule, certaines obscurits

    mta-

    physiques,

    notamment

    dans

    le

    cas

    des

    abstractions.

    Voici

    le

    bref expos

    de

    ce

    cas

    :

    Nous

    traitons

    couramment comme

    subslantifSj

    comme

    termes faits

    pour

    dsigner

    des

    substances,

    des

    supports

    d'attributs et

    d'actions,

    ces actions,

    ces

    attributs

    eux-mmes

    : la

    blancheur,

    le

    galop,

    par

    exemple.

    Or

    qu'est-ce

    que

    blanc

    sans

    chose

    blanche,

    qu'est-ce que

    galoper sans

    animal

    qui

    galope

    ?

    Et

    cependant

    il

    y